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Kératites fongiques
T. Bourcier, A. Sauer, V. Letscher-Bru, E. Candolfi

Les kératites fongiques (ou kératomycoses) représentent en Europe une cause rare, mais souvent grave,
d’infection cornéenne. Cependant, leur incidence semble constante, en rapport avec l’usage intensif des
corticoïdes, des immunosuppresseurs et des lentilles de contact. Les champignons responsables sont
souvent opportunistes et envahissent des cornées pathologiques mais des kératomycoses peuvent
également survenir sur cornées normales après traumatisme le plus souvent par un végétal. Le très
mauvais pronostic de ces infections est dû à la virulence des champignons qui infectent souvent des
cornées déjà pathologiques mais aussi à des retards diagnostiques. Néanmoins, les nouveaux
traitements antifongiques apparus ces dernières années ont contribué à améliorer sensiblement la prise
en charge et le pronostic des kératomycoses.
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Mots clés : Cornée ; Champignons ; Antifongiques ; Kératite ; Kératomycose ; Levures ; Filamenteux

Plan une phase de levure), est responsable de mycoses profondes


mais rarement de kératites. Plus de 70 espèces de champignons
filamenteux et de levures ont été identifiées dans le cadre de
¶ Organismes 1
kératites fongiques [1, 2]. Les filamenteux impliqués sont ubiqui-
¶ Pathogénie, facteurs de risque 1 taires dans l’environnement en étant présents sur les plantes,
¶ Diagnostic clinique 2 dans la terre et dans l’air (spores). Les levures sont elles aussi
¶ Microscopie confocale 3 largement répandues dans l’environnement (sol, objets, nourri-
ture). Candida albicans est un saprophyte du tube digestif, de la
¶ Diagnostic microbiologique 3
sphère urogénitale et de la peau. En outre, certains champi-
¶ Traitement 4 gnons peuvent être isolés dans la flore normale des paupières et
Traitement médical 4 de la conjonctive, tout particulièrement chez des personnes
Traitement chirurgical 5 travaillant en extérieur dans des conditions de fortes chaleur et
¶ Évolution, pronostic 5 humidité.
Les infections dues à des champignons filamenteux survien-
nent essentiellement sous des climats tropicaux : Sud des États-
Unis, Amérique centrale, Amérique du Sud, Afrique, Moyen-
■ Organismes Orient, Chine, Inde (où les kératomycoses représentent 40 % à
80 % des kératites infectieuses), Asie du Sud-Est. Les filamenteux
Les champignons peuvent être classés en champignons pigmentés (Dematiaceae) sont plus rares que les non pigmentés
filamenteux et en levures (Tableau 1). Les filamenteux sont des (Monilaceae).
organismes multicellulaires tandis que les levures sont unicellu- Les kératomycoses liées à des levures sont, dans la très grande
laires. Un troisième groupe constitué par les champignons majorité des cas, dues à des Candida ou des Cryptococcus.
dimorphiques (comportant à la fois une phase filamenteuse et L’immunodépression locale ou générale constitue le principal
facteur de risque. Il n’existe que peu d’influence des facteurs
Tableau 1.
environnementaux. Candida albicans est le plus fréquemment en
Trois groupes de champignons peuvent être à l’origine de kératomycoses.
cause mais d’autres espèces (parapsilosis, guilliermondii, tropicalis,
krusei) ont été identifiées au niveau de la cornée. Les levures
Filamenteux Levures Dimorphiques représentent environ 50 % à 60 % des kératomycoses observées
Non pigmentés Pigmentés dans les pays à climat tempéré (Europe, Nord des
États-Unis) [3-5].
Fusarium(a) Curvularia(a) Candida(a) Blastomyces
(a)
Aspergillus Alternaria Cryptococcus Coccidioides
Acremonium Phialophora Histoplasma ■ Pathogénie, facteurs de risque
Paecilomyces Bipolaris Sporothrix
Penicillium Exserohilum Bien que l’œil soit continuellement exposé à ces micro-
Pseudallescheria Cladosporium organismes, la surface oculaire constitue normalement une
protection efficace. La survenue d’une infection mycotique
Scedosporium Lasiodiplodia
implique l’altération d’un ou de plusieurs systèmes de défense
Beauveria
anti-infectieux de la cornée (barrière épithéliale, film lacrymal,
(a)
Champignons les plus fréquemment isolés et rapportés dans la littérature. clignement palpébral). La réaction inflammatoire créée par

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l’infection dépend de la réplication des champignons, des


mycotoxines, enzymes protéolytiques sécrétées, et des antigènes
fongiques. La réponse de l’hôte s’accompagne généralement du
relargage de cytokines telles que macrophage inflammatory
protein 2 (MIP-2), keratinocyte-derived chemokine (KC), interleu-
kine (IL)-1b, et IL-6 par les cellules inflammatoires (polynucléai-
res neutrophiles notamment) [6]. Les champignons peuvent
pénétrer les lamelles stromales, attaquer la Descemet, diffuser en
chambre antérieure et provoquer une endophtalmie.
Les corticoïdes et autres agents immunosuppresseurs facilitent
le développement des infections mycotiques en inhibant la
transcription des cytokines et des chimiokines. Ils diminuent
également l’activité anti-infectieuse des macrophages ainsi que
la capacité d’adhésion des polynucléaires neutrophiles [7].
Les kératomycoses à champignon filamenteux surviennent
fréquemment après un traumatisme cornéen végétal (ou telluri-
que) concernant une cornée saine. Il peut s’agir d’une plante
d’intérieur ou d’extérieur ou d’autres types de végétaux (bran-
ches d’arbres, légumes, fruits). Certaines professions comportant
des activités extérieures (fermier, agriculteur, pépiniériste) sont
donc plus particulièrement concernées, ce qui explique la Figure 1. Kératite à Aspergillus chez un patient porteur de lentilles
prépondérance masculine des infections à champignons fila- de contact. Noter la présence d’infiltrats satellites.
menteux. Il existe également des variations saisonnières, les cas
étant plus fréquents au printemps et à l’automne, au moment
des récoltes.
Les Candida et autres levures sont des champignons opportu-
nistes qui infectent les surfaces oculaires déjà compromi-
ses (immunodépression localisée) que sont celles des
kératoconjonctivites atopiques ou sèches, des herpès stromaux
(souvent traités par corticoïdes), pemphigoïdes, kératites
neurotrophiques, kératites d’exposition.
Des kératites fongiques peuvent occasionnellement se décla-
rer chez des porteurs de lentilles de contact, notamment avec
des lentilles cosmétiques ou d’aphaques, pour les filamenteux,
lentilles pansement pour les levures. Entre 2004 et 2006, une
importante épidémie mondiale de kératites à Fusarium a
été reliée au produit d’entretien pour lentilles, ReNu
MoistureLoc® [8-10]. Aucun moyen de nettoyage des lentilles ne
protège totalement de la contamination fongique des lentilles et
du boîtier.
Des cas de kératites fongiques ont été rapportés après chirur-
gie cornéenne (principalement greffe de cornée mais aussi lasik
[laser in situ keratomileusis], kératotomies, anneaux, crosslinking) Figure 2. Kératite à Fusarium chez une patiente porteuse de lentilles
ou chirurgie de la cataracte [11]. de contact. Infiltrat cornéen à bords flous, irréguliers.
Certaines causes d’immunodépression systémique peuvent
être associées aux kératomycoses : infections à virus de l’immu-
nodéficience humaine (VIH), hémopathies, cancers, endocrino-
pathies, lupus, déficits en IgA.

■ Diagnostic clinique
L’interrogatoire précise le mode d’apparition de la kératite. Le
début est généralement insidieux lorsqu’il s’agit de cornées
pathologiques. Les premiers signes se manifestent quelques
heures ou jours après le traumatisme ou le port infestant de
lentilles de contact, mais peuvent parfois apparaître plus
tardivement. La cinétique de l’infection dépend de la virulence
du champignon, de la taille de l’inoculum, et des résistances de
l’hôte. Des facteurs de risque sont généralement relevés :
traumatisme cornéen, pathologie chronique ou chirurgie de
surface oculaire, port de lentilles de contact, immunodépression
systémique, utilisation de corticoïdes. Les traitements déjà
administrés au patient sont notés.
Les signes fonctionnels désignent une atteinte cornéenne
Figure 3. Volumineux abcès à Fusarium consécutif à un traumatisme
(douleur, larmoiement, photophobie, blépharospasme) mais
végétal (plante d’intérieur) et instillation de collyre corticoïde.
sont aspécifiques. La baisse d’acuité visuelle est variable.
L’examen biomicroscopique (Fig. 1 à 5) révèle des signes
d’inflammation non spécifiques (hyperhémie conjonctivale,
cercle périkératique), et parfois la présence de sécrétions récurrentes deviennent permanentes au stade tardif de l’infec-
conjonctivales. Au niveau de l’épithélium cornéen, la surface est tion. Au niveau du stroma cornéen, il existe un infiltrat à bords
typiquement « grise », « sale », « rugueuse » et comporte irréguliers comportant peu ou pas d’inflammation, ce qui
quelques infiltrats. Elle peut également être intacte, surélevée ou permet parfois de visualiser au fort grossissement les bords des
occasionnellement ulcérée avec des bords soulevés en regard de champignons filamenteux et explique l’aspect « duveteux » des
l’infiltrat inflammatoire stromal. Ces ulcérations initialement bords de l’infiltrat. Des microabcès ou lésions satellites peuvent

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perforation cornéenne, sclérite, endophtalmie, fonte purulente


du globe, cellulite orbitaire.

■ Microscopie confocale
La microscopie confocale in vivo permet parfois de détecter
précocement les kératomycoses en visualisant au sein de la
cornée des structures linéaires avec embranchements (filamen-
teux), ou des points ronds hyperréflectifs (levures). Cet examen
permet de différencier les champignons des autres micro-
organismes (amibes notamment) [12] et de suivre l’efficacité des
traitements antimycotiques [13].

■ Diagnostic microbiologique
La recherche d’un diagnostic de certitude par examen micro-
biologique est impérative devant toute suspicion clinique de
kératomycose, compte tenu des implications pronostiques et
thérapeutiques. Il repose sur un grattage cornéen profond,
réalisé à la lampe à fente au niveau de la base et des berges de
l’infiltrat cornéen, si possible avant tout traitement anti-
infectieux, et après rinçage de la surface oculaire au chlorure de
sodium (NaCl) 0,9 % stérile. Le produit de grattage est étalé puis
fixé sur lame puis coloré au Gram, May-Grünwald-Giemsa
(MGG) lent ou Grocott pour examen direct (Fig. 6). Un milieu
Figure 4. Abcès à Fusarium chez une patiente traitée par corticoïde
de culture fongique avec antibiotique et sans inhibiteur est
topique pour une conjonctivite aiguë.
ensemencé pour la culture. Celle-ci est généralement « positive »
après 3 à 4 jours, mais certains champignons peuvent nécessiter
plusieurs semaines de culture (Fig. 7). Un milieu de Sabouraud
liquide peut être utile si un traitement anti-infectieux a déjà été
débuté. L’analyse morphologique et les tests biochimiques
permettent l’identification du champignon. Des antifongigram-
mes peuvent être réalisés. Cependant, l’interprétation des
concentrations minimales inhibitrices (CMI) obtenues est
difficile car il existe des différences entre ces tests in vitro et
l’efficacité clinique des molécules antifongiques [14]. Le diagnos-
tic mycologique par polymerase chain reaction (PCR) est encore
en cours d’évaluation. Un examen bactériologique doit être
systématiquement pratiqué car il existe 30 % de co-infections
bactériennes. Les recherches d’amibes et herpès sont demandées
en fonction du contexte clinique.
Le diagnostic de kératomycose peut également être réalisé en
anatomopathologie sur biopsie de cornée, lorsque le grattage
cornéen n’est pas contributif et l’évolution clinique défavorable,
ou encore sur bouton cornéen, en cas de greffe à chaud (Fig. 8).
Les colorations de MGG, acide périodique Schiff (PAS),

Figure 5. Abcès à Candida albicans survenu 30 ans après une kératoto-


mie radiaire.

être disséminés dans toute la cornée. Des dépôts de pigment sur


le fond d’un ulcère sont parfois observés en cas d’infection par
filamenteux pigmentés. L’infection peut prendre l’aspect d’une
kératopathie microcristalline (Candida). Un anneau immunitaire
de Wessely peut être observé autour de l’infiltrat central. Au
niveau de l’endothélium cornéen et en chambre antérieure,
l’atteinte est variable : effet Tyndall, hypopion, fibrine, plaque
endothéliale, plis de Descemet.
L’évolution des kératomycoses est en général plus lente que
celle des kératites bactériennes. Toutefois, les infections à
filamenteux (Aspergillus, Fusarium) peuvent évoluer de façon très
rapide vers la perforation cornéenne et l’endophtalmie, notam-
ment lorsque des corticoïdes ont été prescrits. À l’inverse, les
levures causent souvent de petites ulcérations ovales blanc-
jaune plutôt superficielles entourées d’œdème stromal et qui
ressemblent à un abcès à bactérie à Gram positif. Cependant,
Figure 6. Grattage cornéen, examen direct coloré au Gram : nombreux
des infections suppuratives très graves peuvent également se
filaments mycéliens septés parmi les cellules épithéliales. Grossissement ×
développer lors d’infections à levures.
100. La culture de ce prélèvement a permis l’identification de Fusarium
Les complications évolutives des kératomycoses sont nom-
proliferatum.
breuses à type de fonte stromale, descemetocèle, ectasie ou

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Tableau 2.
Principales molécules antifongiques utilisées pour le traitement des
kératomycoses.
Famille Nom (DCI)
Polyènes Amphotéricine B
Natamycine

Azolés
Imidazolés Miconazole
Kétoconazole
Econazole
Clotrimazole
Triazolés Fluconazole
Itraconazole
Voriconazole
Posaconazole

Pyrimidines 5 Fluorocytosine
Figure 7. Grattage cornéen, isolement de Fusarium proliferatum après Échinocandines Caspofungine
culture de 7 jours sur milieu chromIDTM Candida.
Micafungine
Anidulafungine

L’amphotéricine B (Fungizone ® ) a in vitro une activité


antifongique large contre les levures (Candida sauf lusitaniae et
glabrata, Cryptococcus), variable sur les filaments : Aspergillus
régulièrement sensible, Fusarium de sensibilité inconstante.
L’usage de l’amphotéricine B par voie intraveineuse est à éviter
en raison d’une importante toxicité systémique (rénale) et d’une
faible pénétration intraoculaire. L’utilisation de la suspension
buvable est inutile car celle-ci n’est pas absorbée par le tube
digestif. Sous forme de collyre, l’amphotéricine B est peu
soluble, instable, ce qui lui confère une faible capacité de
pénétration cornéenne et provoque de nombreux effets indési-
rables (kératite ponctuée superficielle, retard de cicatrisation
épithéliale, chémosis, coloration jaune-vert de la cornée et de la
conjonctive). Néanmoins, le collyre amphotéricine B à 0,15 ou
0,25 % (1,5 à 2,5 mg/ml) représente le meilleur compromis
efficacité/toxicité. Il est exclusivement fabriqué par les pharma-
cies hospitalières et se conserve 15 jours au réfrigérateur dans
un flacon opaque. L’Ambisome® (amphotéricine B liposomale)
collyre est mieux toléré mais très onéreux.
Figure 8. Bouton cornéen. Coloration de Gomori, grossissement × 20. La natamycine est active in vitro vis-à-vis des champignons
De multiples particules mycotiques (noires) sont disséminées au sein de la filamenteux (Aspergillus, Acremonium, Fusarium, Penicillium), ainsi
cornée. que sur certaines levures. Elle est disponible aux États-Unis sous
forme de suspension à 5 % (Pimaricin®). Elle peut être obtenue
en France dans le cadre d’une procédure d’autorisation tempo-
raire d’utilisation (ATU). Ce collyre est stable, et relativement
hémalun-éosine-safran (HES) et Grocott sont les plus peu toxique pour la cornée et la surface oculaire. Hyperhémie
contributives. conjonctivale, follicules, ulcérations épithéliales en sont les
principaux effets indésirables.
Le groupe des azolés comporte les imidazolés qui sont peu
solubles, peu efficaces et relativement toxiques. Ils sont actuel-
■ Traitement lement supplantés par les triazolés, moins toxiques et dont le
spectre est plus large. Ces derniers ont en outre une bonne
biodisponibilité systémique et diffusent bien dans la cornée
Traitement médical après administration orale. Ils sont efficaces sur les champi-
Le Tableau 2 récapitule les principaux agents antifongiques gnons filamenteux (itraconazole - Sporanox®, voriconazole -
actuellement disponibles. Vfend®) et les levures (fluconazole - Triflucan®). Itraconazole et
L’expérience la plus importante en ophtalmologie concerne fluconazole sont disponibles sous forme de collyres à respecti-
vement, 1 % et 0,3 %, préparés par les pharmacies hospitalières.
les polyènes plus que les azolés dont l’efficacité a été démontrée
Le voriconazole (Vfend®) a un spectre étendu à Aspergillus,
in vitro et sur de petites séries cliniques [15]. L’association de
Scedosporium et Fusarium. Candida krusei (résistant au flucona-
polyènes et d’azolés semble synergique in vitro. Les polyènes et
zole) y est habituellement sensible mais des résistances croisées
azolés attaquent la membrane cellulaire (stérols) tandis que la avec le fluconazole sont possibles pour toutes les espèces,
5-fluorocytosine interfère avec la synthèse protéique et les particulièrement C. glabrata. Il peut être administré par voie
échinocandines inhibent la synthèse de la paroi des orale (biodisponibilité excellente) ou intraveineuse. Un collyre
champignons. est disponible dans certaines pharmacies hospitalières à la
Aucun collyre antifongique n’est disponible en pharmacie concentration de 10 mg/ml (1 %) [16]. Des injections intrastro-
d’officine. À l’exception de la natamycine, les collyres sont males de voriconazole (50 µg/0,1 ml) ou intracamérulaires
préparés par les pharmacies hospitalières à partir de solutions ou (100 µg) ont été proposées en cas de kératomycoses résistan-
de poudres d’antimycotiques destinées à l’usage systémique. tes [17] ou compliquées d’endophtalmie [18].

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Tableau 3. • le crosslinking cornéen est en cours d’évaluation dans la


Exemple de protocole antifongique utilisé pour le traitement des prise en charge des kératomycoses à la phase aiguë de
kératomycoses. l’infection [20].
Kératomycose débutante Levure identifiée : Toutefois, la kératoplastie lamellaire ou transfixiante permet-
au stade épithélial amphotéricine B ± fluconazole tant la réhabilitation visuelle doit idéalement être réalisée à
= Filament identifié : distance de l’infection.
traitement local par collyre amphotéricine B + voriconazole
uniquement

En cas d’atteinte cornéenne Filament identifié :


■ Évolution, pronostic
profonde Vfend® (voriconazole) per os
Les paramètres cliniques à surveiller de façon quotidienne ou
= Levure identifiée :
biquotidienne sont : l’acuité visuelle, les signes fonctionnels,
®
traitement général à ajouter - Triflucan (fluconazole) per os l’infiltrat principal (taille, profondeur), les lésions satellites, l’état
- sauf Candida krusei, glabrata : Vfend® de cicatrisation épithéliale. L’inflammation intraoculaire peut
être fluctuante même en cas d’amélioration (libération d’anti-
En cas d’endophtalmie Discuter au cas par cas :
gènes fongiques sous l’influence du traitement).
ou d’évolution défavorable Cancidas® (caspofungine) i.v.
L’évolution est toujours très lente sur plusieurs semaines à
Injection intrastromale de voriconazole plusieurs mois. Des photographies répétées de la cornée sont
(50 µg/0,1 ml)
utiles pour déterminer l’existence ou non d’une amélioration.
Injection intracamérulaire Les levures sont difficiles à traiter en raison de l’atteinte
de voriconazole (100 µg/0,1 ml)
cornéenne sous-jacente et les filamenteux du fait de leur
Injection intravitréenne virulence naturelle. Le pronostic des kératomycoses est habi-
ou intracamérulaire d’amphotéricine B
tuellement mauvais : l’évolution est favorable grâce au traite-
(5 µg/ 0,1 ml)
ment médical dans 50 % à 70 % des cas. Cependant, ces
i.v. : par voie intraveineuse. infections peuvent entraîner la perte du globe (10 % à 25 %).
Lorsque ce n’est pas le cas, une greffe de cornée est nécessaire
dans environ un tiers des cas, mais cette proportion varie en
La caspofungine (Cancidas®) est active sur les Aspergillus et les fonction des centres et des pays [5, 21, 22].
Candida. Elle peut être utilisée par voie veineuse ou sous forme
de collyre à 0,1 mg/ml fabriqué par une pharmacie hospitalière.
Récemment, la micafungine a été utilisée avec succès dans le .

traitement des kératites à Candida [19].


La flucytosine ou 5-fluorocytosine (Ancotil®) est principale- ■ Références
ment active sur les levures (Candida, Cryptococcus) et certaines
[1] Thomas PA. Fungal infections of the cornea. Eye 2003;17:852-62.
souches d’Aspergillus, Penicillium, Cladosporium. L’acquisition de
[2] Srinivasan M. Fungal keratitis. Curr Opin Ophthalmol 2004;15:321-7.
résistances secondaires est rapide de sorte qu’une association
[3] Gower EW, Keay LJ, Oechsler RA, Iovieno A, Alfonso EC, Jones DB,
avec l’amphotéricine B est nécessaire lors d’un traitement et al. Trends in fungal keratitis in the United States, 2001 to 2007.
prolongé. Un collyre à 1 % est disponible mais il pénètre mal Ophthalmology 2010;117:2263-7.
l’épithélium cornéen. [4] Gaujoux T, Borsali E, Goldschmidt P, Chaumeil C, Baudouin C,
En pratique, le traitement médical est déterminé en fonction Nordmann JP, et al. Fungal keratitis in France. Acta Ophthalmol
de l’identification du champignon pathogène, de ses concentra- (Copenh) 2011;89:e215-e216.
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initial (Tableau 3). and risk factors. Cornea 2009;28:638-43.
Les corticoïdes sont contre-indiqués à la phase précoce de [6] Zhong W, Yin H, Xie L. Expression and potential role of major
l’infection. L’hospitalisation est nécessaire dans la plupart des inflammatory cytokines in experimental keratomycosis. Mol Vis 2009;
cas comportant une atteinte stromale. Dans tous les cas, le 15:1303-11.
traitement est administré à raison d’une goutte toutes les [7] Sauer A, Abry F, Lhermitte B, Candolfi E, Speeg-Schatz C, Bourcier T.
5 minutes la première heure, puis 1 goutte par heure y compris Purulent corneal melting secondary to multidrug-resistant Fusarium
la nuit pendant 48 heures. La posologie et le choix des antifon- oxysporum aggravated by topical corticosteroid therapy. J Fr
giques sont ensuite adaptés en fonction de l’évolution des Ophtalmol 2008;31:534e531-534e535.
paramètres infectieux, inflammatoire et de la toxicité liée aux [8] Bullock JD, Warwar RE, Elder BL, Northern WI. Temperature
collyres renforcés. La tolérance des traitements systémiques est instability of ReNu with MoistureLoc: a new theory to explain the
au mieux surveillée par un médecin infectiologue. La durée worldwide Fusarium keratitis epidemic of 2004-2006. Trans Am
minimale de traitement recommandée est comprise entre Ophthalmol Soc 2008;106:117-26 (discussion 126-7).
6 semaines (atteinte épithéliale) et plusieurs mois (atteinte [9] Bullock JD, Khamis HJ. A retrospective statistical analysis of the
stromale). Fusarium keratitis epidemic of 2004-2006. Ophthalmic Epidemiol
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Traitement chirurgical [10] Tu EY, Joslin CE. Recent outbreaks of atypical contact lens-related
keratitis: what have we learned? Am J Ophthalmol 2010;150
Le débridement régulier de l’ulcère, quotidien au début, puis (602-8 e602).
deux fois par semaine, permet de diminuer la charge infectieuse, [11] Yildiz EH, Abdalla YF, Elsahn AF, Rapuano CJ, Hammersmith KM,
d’éliminer le matériel nécrotique et d’augmenter l’efficacité des Laibson PR, et al. Update on fungal keratitis from 1999 to 2008. Cornea
antifongiques. Un traitement véritablement chirurgical peut être 2010;29:1406-11.
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• greffe lamellaire antérieure afin de diminuer la charge et al. Contribution of in vivo confocal microscopy to the diagnosis and
infectieuse ; management of infectious keratitis. Ocul Surf 2009;7:41-52.
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ou avérée (greffe architectonique) ; fungi during clinical course of fungal keratitis. Cornea 2010;29:
• colle cyanoacrylate en cas de perforation de petite taille ; 1346-52.
• recouvrement conjonctival en cas d’atteinte extensive ; [14] Shapiro BL, Lalitha P, Loh AR, Fothergill AW, Prajna NV,
• énucléation en cas d’endophtalmie résistante au traitement Srinivasan M, et al. Susceptibility testing and clinical outcome in fungal
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T. Bourcier.
Service d’ophtalmologie, Pôle SMOH, Nouvel hôpital civil, Hôpitaux universitaires et Université de Strasbourg, 1, place de l’Hôpital, 67091 Strasbourg,
France.
A. Sauer.
Service d’ophtalmologie, Pôle SMOH, Nouvel hôpital civil, Hôpitaux universitaires et Université de Strasbourg, 1, place de l’Hôpital, 67091 Strasbourg,
France.
Service de parasitologie-mycologie, Plateau technique de microbiologie, Hôpitaux universitaires et Université de Strasbourg, 3, rue Koeberlé, 67000
Strasbourg, France.
V. Letscher-Bru.
E. Candolfi.
Service de parasitologie-mycologie, Plateau technique de microbiologie, Hôpitaux universitaires et Université de Strasbourg, 3, rue Koeberlé, 67000
Strasbourg, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Bourcier T., Sauer A., Letscher-Bru V., Candolfi E. Kératites fongiques. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris),
Ophtalmologie, 21-200-D-27, 2011.

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