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Kératites fongiques
T. Bourcier, A. Sauer, V. Letscher-Bru, E. Candolfi
Les kératites fongiques (ou kératomycoses) représentent en Europe une cause rare, mais souvent grave,
d’infection cornéenne. Cependant, leur incidence semble constante, en rapport avec l’usage intensif des
corticoïdes, des immunosuppresseurs et des lentilles de contact. Les champignons responsables sont
souvent opportunistes et envahissent des cornées pathologiques mais des kératomycoses peuvent
également survenir sur cornées normales après traumatisme le plus souvent par un végétal. Le très
mauvais pronostic de ces infections est dû à la virulence des champignons qui infectent souvent des
cornées déjà pathologiques mais aussi à des retards diagnostiques. Néanmoins, les nouveaux
traitements antifongiques apparus ces dernières années ont contribué à améliorer sensiblement la prise
en charge et le pronostic des kératomycoses.
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Ophtalmologie 1
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■ Diagnostic clinique
L’interrogatoire précise le mode d’apparition de la kératite. Le
début est généralement insidieux lorsqu’il s’agit de cornées
pathologiques. Les premiers signes se manifestent quelques
heures ou jours après le traumatisme ou le port infestant de
lentilles de contact, mais peuvent parfois apparaître plus
tardivement. La cinétique de l’infection dépend de la virulence
du champignon, de la taille de l’inoculum, et des résistances de
l’hôte. Des facteurs de risque sont généralement relevés :
traumatisme cornéen, pathologie chronique ou chirurgie de
surface oculaire, port de lentilles de contact, immunodépression
systémique, utilisation de corticoïdes. Les traitements déjà
administrés au patient sont notés.
Les signes fonctionnels désignent une atteinte cornéenne
Figure 3. Volumineux abcès à Fusarium consécutif à un traumatisme
(douleur, larmoiement, photophobie, blépharospasme) mais
végétal (plante d’intérieur) et instillation de collyre corticoïde.
sont aspécifiques. La baisse d’acuité visuelle est variable.
L’examen biomicroscopique (Fig. 1 à 5) révèle des signes
d’inflammation non spécifiques (hyperhémie conjonctivale,
cercle périkératique), et parfois la présence de sécrétions récurrentes deviennent permanentes au stade tardif de l’infec-
conjonctivales. Au niveau de l’épithélium cornéen, la surface est tion. Au niveau du stroma cornéen, il existe un infiltrat à bords
typiquement « grise », « sale », « rugueuse » et comporte irréguliers comportant peu ou pas d’inflammation, ce qui
quelques infiltrats. Elle peut également être intacte, surélevée ou permet parfois de visualiser au fort grossissement les bords des
occasionnellement ulcérée avec des bords soulevés en regard de champignons filamenteux et explique l’aspect « duveteux » des
l’infiltrat inflammatoire stromal. Ces ulcérations initialement bords de l’infiltrat. Des microabcès ou lésions satellites peuvent
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■ Microscopie confocale
La microscopie confocale in vivo permet parfois de détecter
précocement les kératomycoses en visualisant au sein de la
cornée des structures linéaires avec embranchements (filamen-
teux), ou des points ronds hyperréflectifs (levures). Cet examen
permet de différencier les champignons des autres micro-
organismes (amibes notamment) [12] et de suivre l’efficacité des
traitements antimycotiques [13].
■ Diagnostic microbiologique
La recherche d’un diagnostic de certitude par examen micro-
biologique est impérative devant toute suspicion clinique de
kératomycose, compte tenu des implications pronostiques et
thérapeutiques. Il repose sur un grattage cornéen profond,
réalisé à la lampe à fente au niveau de la base et des berges de
l’infiltrat cornéen, si possible avant tout traitement anti-
infectieux, et après rinçage de la surface oculaire au chlorure de
sodium (NaCl) 0,9 % stérile. Le produit de grattage est étalé puis
fixé sur lame puis coloré au Gram, May-Grünwald-Giemsa
(MGG) lent ou Grocott pour examen direct (Fig. 6). Un milieu
Figure 4. Abcès à Fusarium chez une patiente traitée par corticoïde
de culture fongique avec antibiotique et sans inhibiteur est
topique pour une conjonctivite aiguë.
ensemencé pour la culture. Celle-ci est généralement « positive »
après 3 à 4 jours, mais certains champignons peuvent nécessiter
plusieurs semaines de culture (Fig. 7). Un milieu de Sabouraud
liquide peut être utile si un traitement anti-infectieux a déjà été
débuté. L’analyse morphologique et les tests biochimiques
permettent l’identification du champignon. Des antifongigram-
mes peuvent être réalisés. Cependant, l’interprétation des
concentrations minimales inhibitrices (CMI) obtenues est
difficile car il existe des différences entre ces tests in vitro et
l’efficacité clinique des molécules antifongiques [14]. Le diagnos-
tic mycologique par polymerase chain reaction (PCR) est encore
en cours d’évaluation. Un examen bactériologique doit être
systématiquement pratiqué car il existe 30 % de co-infections
bactériennes. Les recherches d’amibes et herpès sont demandées
en fonction du contexte clinique.
Le diagnostic de kératomycose peut également être réalisé en
anatomopathologie sur biopsie de cornée, lorsque le grattage
cornéen n’est pas contributif et l’évolution clinique défavorable,
ou encore sur bouton cornéen, en cas de greffe à chaud (Fig. 8).
Les colorations de MGG, acide périodique Schiff (PAS),
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Tableau 2.
Principales molécules antifongiques utilisées pour le traitement des
kératomycoses.
Famille Nom (DCI)
Polyènes Amphotéricine B
Natamycine
Azolés
Imidazolés Miconazole
Kétoconazole
Econazole
Clotrimazole
Triazolés Fluconazole
Itraconazole
Voriconazole
Posaconazole
Pyrimidines 5 Fluorocytosine
Figure 7. Grattage cornéen, isolement de Fusarium proliferatum après Échinocandines Caspofungine
culture de 7 jours sur milieu chromIDTM Candida.
Micafungine
Anidulafungine
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T. Bourcier.
Service d’ophtalmologie, Pôle SMOH, Nouvel hôpital civil, Hôpitaux universitaires et Université de Strasbourg, 1, place de l’Hôpital, 67091 Strasbourg,
France.
A. Sauer.
Service d’ophtalmologie, Pôle SMOH, Nouvel hôpital civil, Hôpitaux universitaires et Université de Strasbourg, 1, place de l’Hôpital, 67091 Strasbourg,
France.
Service de parasitologie-mycologie, Plateau technique de microbiologie, Hôpitaux universitaires et Université de Strasbourg, 3, rue Koeberlé, 67000
Strasbourg, France.
V. Letscher-Bru.
E. Candolfi.
Service de parasitologie-mycologie, Plateau technique de microbiologie, Hôpitaux universitaires et Université de Strasbourg, 3, rue Koeberlé, 67000
Strasbourg, France.
Toute référence à cet article doit porter la mention : Bourcier T., Sauer A., Letscher-Bru V., Candolfi E. Kératites fongiques. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris),
Ophtalmologie, 21-200-D-27, 2011.
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