Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
quelques jours; mais des durées d’incubation excédant plusieurs Diverses particularités étiologiques, cliniques et évolutives justi-
semaines ont été mentionnées. fient une description séparée des différentes localisations.
Le début est marqué par une douleur vive, permanente, d’inten-
sité croissante, qui contraste avec des modifications locales encore DERMO-HYPODERMITES ET FASCIITES NÉCROSANTES DES MEMBRES
limitées (plaie atone; peau froide, tendue, pâle ou discrètement
érythémateuse) et un retentissement général minime (décalage ther- Les membres inférieurs peuvent être le siège de DHBN-FN dues
mique ou tachycardie). Des signes plus évocateurs, odeur fétide, à une flore mixte, essentiellement d’origine digestive. Les causes
crépitation à la palpation ou clartés gazeuses objectivées par les n’ont rien de spécifique par rapport à celles des myonécroses; elles
clichés des parties molles, sont possibles mais très inconstants à ce résultent de la surinfection de plaies traumatiques, se développent
stade; ils ne doivent donc pas être attendus pour envisager le après chirurgie ou simple injection et compliquent des ulcérations
diagnostic. À l’inverse, la présence de gaz intratissulaires n’est pas d’origine vasculaire ou des escarres.
synonyme d’infection à anaérobies : il peut s’agir d’air piégé dans les Lorsqu’elles sont vues à un stade évolué, elles sont souvent
tissus à la suite d’un traumatisme ou d’un acte opératoire. Finale- prises pour des myonécroses clostridiales et le diagnostic n’est
ment le moindre doute doit conduire à entreprendre une redressé que lors de l’exploration chirurgicale. Si les manifestations
exploration chirurgicale. évocatrices de la présence d’anaérobies (présence de gaz dans les
Sinon, en l’absence de prise en charge, l’infection progresse tissus, odeur nauséabonde) font défaut, c’est avec des infections à
rapidement. Un œdème important se développe. La peau prend un germes aérobies qu’elles risquent d’être confondues : érysipèles ou
aspect bronzé puis se couvre de zones ecchymotiques et de bulles à simples cellulites superficielles au début, DHBN-FN streptococciques
contenu sérohématique. Des sérosités nauséabondes s’écoulent de la ensuite [13, 14].
plaie, des décollements cutanés se forment et une crépitation est À côté des fasciites aiguës graves, il existe aussi des DHBN plus
fréquemment perceptible. Parallèlement à l’extension des lésions superficielles, dues notamment à C. perfringens, d’évolution plus
locales apparaissent des signes généraux de plus en plus marqués : progressive, avec des signes locaux (douleur, œdème, modifications
hyper- ou hypothermie, agitation, puis collapsus, oligo-anurie, trou- cutanées) et généraux nettement moins marqués, mais qui s’accom-
bles de la conscience, ictère, syndrome hémorragique, etc. À ce point pagnent d’une production de gaz importante. Leur pronostic est en
de l’évolution le diagnostic fait peu de doute; une fasciite nécrosante règle favorable après drainage et antibiothérapie adaptée [15].
ne peut être écartée formellement mais cela n’a aucune importance
pratique. De toute façon, l’intervention chirurgicale vient confirmer DERMO-HYPODERMITES ET FASCIITES NÉCROSANTES PELVIPÉRINÉALES
la myonécrose en montrant des muscles pâles ou brunâtres, atones [16-20]
et qui ne saignent pas.
Les DHBN-FN pelvipérinéales observées de nos jours correspon-
Les prélèvements, pré et peropératoires, des sérosités et des
dent rarement au tableau décrit par Fournier en 1883 de nécrose
tissus doivent si possible être acheminés directement au laboratoire,
aiguë idiopathique du scrotum et du fourreau de la verge chez des
à l’abri de l’air, et immédiatement examinés. Si la technique est
sujets jeunes et jusque-là bien portants. Elles atteignent aussi des
rigoureuse, l’examen direct est le plus souvent contributif en objecti-
femmes, concernent une population plus âgée (50-55 ans en
vant des bacilles à Gram positif, isolés ou dominant au sein d’une
moyenne), diabétique et/ou alcoolique dans plus de la moitié des
flore polymorphe; le faible nombre des polynucléaires présents sur
cas, et relèvent presque toujours d’une cause locale identifiable.
l’étalement est caractéristique. Si l’incubation en anaérobie ne peut
Néanmoins beaucoup continuent à les regrouper sous le terme de
être effectuée immédiatement, il est indispensable d’employer un
« gangrènes de Fournier » [20].
milieu de transport approprié (flacon Portagerm). La culture permet
l’identification de l’espèce clostridiale en cause; elle peut isoler aussi Actuellement une partie importante des DHBN-FN périnéales
des streptocoques, des staphylocoques ou des bacilles à Gram négatif apparaît liée à la méconnaissance ou au traitement insuffisant
associés. Quant aux hémocultures, elles ne poussent à Clostridium d’abcès péri-anaux ou ischiorectaux compliquant une fissure anale,
que dans moins de 10 % des cas. une plaie rectale, une chirurgie, en particulier hémorroïdaire, un
cancer, une sigmoïdite diverticulaire ou une appendicectomie.
PRONOSTIC D’autres font suite au passage extracanalaire d’urines infectées, favo-
risé par l’hyperpression créée en amont d’une sténose urétrale, ou
La mortalité des myonécroses clostridiales dépasse 20 % (5 à consécutif à une instrumentation ou un acte chirurgical sur les voies
31 % selon les séries publiées). Une extension au tronc est particuliè- urinaires basses. La cause peut être également gynécologique : abcès
rement péjorative (60 % de décès), de même que le caractère de la vulve ou des glandes de Bartholin, avortement septique, suites
spontané de l’infection (décès dans au moins deux tiers des cas). d’une épisiotomie ou d’une hystérectomie. Enfin, certains cas ont un
L’amélioration du pronostic par l’utilisation de l’oxygénothérapie point de départ cutané : escarre, abcès pilonidal ou hidrosadénite
hyperbare n’a pas été prouvée [3, 9, 10]. suppurée.
D’importantes séquelles fonctionnelles sont également à mettre Que la porte d’entrée soit anorectale ou génito-urinaire, l’exten-
sur le compte des gangrènes gazeuses : amputations, enraidissements sion du processus infectieux à l’ensemble du périnée, et même au
articulaires et paralysies. delà à la racine des cuisses et à la paroi abdominale antérieure, est
facilitée par l’étroite interconnexion des différents fascias pelviens :
au fascia de Colles préanal en arrière font directement suite le fascia
DERMO-HYPODERMITES NÉCROSANTES de Buck et le dartos autour des organes génitaux et le fascia de Scarpa
ET FASCIITES NÉCROSANTES en avant [19, 20]. Plus d’une fois sur deux, lors de la prise en charge,
l’infection dépasse la région périnéale. En revanche, la fréquence
À la différence des myonécroses, monomicrobiennes pour la d’une myonécrose associée ne dépasse pas 30 % et cette atteinte
plupart, les DHBN-FN apparaissent déterminées par l’association de musculaire reste en règle générale limitée. La rareté de l’atteinte
plusieurs bactéries anaérobies, Peptostreptococcus, Bacteroides, Clostri- testiculaire, vésicale ou rectale s’explique par une vascularisation
dium, Fusobacterium…, mais aussi aérobies : entérobactéries, particulière, distincte de celle des tissus mous.
streptocoques, staphylocoques, etc. [11]. On les qualifie de DHBN- La reconnaissance des fasciites périnéales est souvent tardive
FN de type I pour les distinguer des DHBN-FN dues au streptocoque après plusieurs jours de progression insidieuse des symptômes (en
A (envisagées plus loin) qui, elles, sont dites de type II [4]. moyenne 4 à 5 jours d’après la littérature). En effet, les manifesta-
Il est probable que la gravité des infections mixtes tienne, au tions initiales se résument habituellement à des douleurs pelviennes,
moins pour partie, à des phénomènes de synergie bactérienne. Il a parfois limitées à une simple pesanteur, volontiers mises sur le
été montré qu’une diminution du potentiel d’oxydoréduction local compte de pathologies plus banales et bénignes. L’attention n’est
par les germes aérobies pouvait favoriser la croissance des anaérobies véritablement attirée qu’avec l’intensification des phénomènes algi-
et que ces derniers inhibaient le pouvoir phagocytaire des polynu- ques et surtout l’apparition secondaire de lésions locales évidentes :
cléaires vis-à-vis des bactéries aérobies par blocage de l’opsonisation d’abord érythème et œdème extensif, quasi constants au moment du
[12]. diagnostic; puis constitution de bulles à contenu sérohématique
Les DHBN-FN d’origine mixte surviennent le plus souvent sur nauséabond, nécrose cutanée et crépitation, présentes dans 30 à
un terrain prédisposé. Une ou plusieurs comorbidités sont retrouvées 60 % des cas. À ce stade, le retentissement général peut encore se
dans 75 à 80 % des cas, diabète et artériopathies périphériques limiter à une fièvre et une tachycardie mais la survenue d’un état de
surtout, mais aussi cancers, immunodépressions, cirrhose, insuffi- choc ou de défaillances viscérales multiples n’est pas rare (20-30 %
sance rénale, alcoolisme chronique, etc. des cas) [16-18].
44200_Volume4_1 Page 1060 Jeudi, 12. février 2009 2:16 14
Si la mise en route du traitement, en particulier de l’exploration La fasciite peut s’étendre vers la face, la partie basse du cou, les
chirurgicale, ne doit pas être retardée par la réalisation d’examens creux sus-claviculaires et la paroi thoracique antérieure. Mais sa
complémentaires, l’intérêt du scanner est néanmoins à souligner. Il gravité tient pour l’essentiel à plusieurs risques particuliers :
peut fournir une aide importante au diagnostic chez un patient vu – détresse respiratoire brutale par obstruction des voies aériennes liée
précocement avec un aspect local peu caractéristique lorsqu’il objec- à l’atteinte des espaces pharyngés latéraux et postérieurs;
tive des collections abcédées ou des gaz dans les parties molles. Il – pneumopathie de déglutition ou en rapport avec des emboles
permet, mieux que la clinique, de connaître l’extension exacte de septiques à partir d’une thrombose jugulaire;
l’infection aux différents fascias périnéaux et l’atteinte éventuelle
– extension au médiastin postérieur si l’espace rétropharyngé est
des fosses ischiorectales, des espaces périvésicaux ou même du rétro-
atteint car aucune barrière anatomique ne vient s’interposer entre
péritoine. L’échographie a également été utilisée dans ce but et aussi
les deux.
pour différencier les gangrènes de Fournier des autres causes de
douleur et d’inflammation des bourses, orchiépididymites par Un scanner cervicothoracique préopératoire réalisé en urgence
exemple [20]. est donc indispensable pour faire un bilan complet des lésions et
Les prélèvements bactériologiques doivent être effectués avec notamment rechercher une pneumopathie, une pleurésie, une péri-
les mêmes précautions que pour les myonécroses. Les multiples cardite ou une médiastinite. Cet examen doit être répété au moindre
germes isolés, en moyenne quatre par patient, appartiennent aux doute car il a été observé des médiastinites secondaires alors que
flores digestives, génitale et cutanée. C’est un mélange de bactéries l’évolution cervicale paraissait favorable [23].
aérobies (Escherichia coli et autres entérobactéries, streptocoques, La mortalité des fasciites cervicales était restée lourde, comprise
staphylocoques, Pseudomonas) et anaérobies ( Bacteroides, Peptostrep- entre 20 et 40 % avec des décès pour la plupart en rapport avec une
tococcus, Clostridium). Une septicémie associée n’est pas rare : il a été infection médiastinale incontrôlable. Récemment des résultats beau-
signalé jusqu’à 40 % d’hémocultures positives, principalement à coup plus favorables ont été rapportés, y compris avec un drainage
entérobactéries [18]. percutané exclusif sans chirurgie [24].
Les chiffres de mortalité attribuables aux fasciites périnéales se
situent d’après la littérature récente entre 19 et 25 % [16-18]. Un âge TRAITEMENT
avancé, la gravité à l’admission appréciée par l’IGS et une extension
de l’infection à l’abdomen, aux lombes ou au thorax, apparaissent Le traitement des infections des parties molles à anaérobies
comme des facteurs de mauvais pronostic. relève à la fois d’une antibiothérapie adaptée, d’une chirurgie
souvent iterative, et de façon plus discutée, de l’oxygénothérapie
DERMO-ÉPIDERMITES ET FASCIITES NÉCROSANTES ABDOMINALES [15] hyperbare (OHB). Leur gravité impose dans la plupart des cas une
prise en charge en réanimation. Les problèmes complexes qu’elles
La seule véritable particularité des DHBN-FN abdominales par posent sont au mieux résolus par des équipes médico-chirurgicales
rapport aux infections pelviennes est leur contexte de survenue : rompues à cette pratique.
suites de chirurgie biliaire ou digestive, surtout si cette chirurgie a été
effectuée en urgence ou qu’il y a eu ouverture de l’intestin. Il faut ANTIBIOTHÉRAPIE
toujours rechercher dans ce cas un foyer intra-abdominal persistant,
abcès ou péritonite. Immédiatement entreprise dès que le diagnostic est suspecté,
l’antibiothérapie ne saurait attendre les résultats des examens bacté-
DERMO-ÉPIDERMITES ET FASCIITES NÉCROSANTES CERVICALES [21-23] riologiques. Son choix est dicté par la nécessité de couvrir l’ensemble
de la flore polymicrobienne aéro-anaérobie qui peut être impliquée
La large utilisation des antibiotiques en pathologie stomatolo- dans ce type d’infection. En pratique, les traitements empiriques qui
gique et ORL a réduit la fréquence des fasciites nécrosantes DHBN- paraissent le mieux convenir dépendent de la localisation : associa-
FN cervicales sans toutefois les amener à disparaître : quatre à cinq tions pipéracilline-tazobactam ou ticarcilline-acide clavulanique
cas sont néanmoins encore traités chaque année au centre d’hyper- pour le pelvis et les membres inférieurs; amoxicilline-acide clavula-
barie de Lille [23]. nique pour les membres supérieurs et le cou. L’adjonction de
Près de 80 % d’entre elles sont d’origine dentaire, à partir d’un métronidazole est théoriquement redondante, à quelques excep-
abcès ou même après une simple extraction. Trois fois sur quatre le tions près, mais souvent utilisée car la diffusion tissulaire de cet
foyer initial siège à la racine des deuxièmes ou troisièmes molaires antibiotique est excellente.
inférieures qui ne sont séparées de l’espace sous-mandibulaire que Si l’antibiothérapie est modifiée secondairement au vu des
par une mince lame de cortex osseux relativement aisée à franchir. résultats bactériologiques, elle doit en tout cas rester active vis-à-vis
Parmi les causes de DHBN-FN cervicales on compte aussi des angines des anaérobies, germes de culture difficile et donc d’isolement
et des phlegmons amygdaliens, des traumatismes mandibulaires inconstant.
avec effraction muqueuse, des interventions chirurgicales, même À côté des pénicillines et des imidazolés, d’autres classes anti-
quand l’antibioprophylaxie a été correcte, des tumeurs ou des biotiques possèdent une activité vis-à-vis des anaérobies :
radionécroses. céphamycines, carbapénèmes, antibiotiques du groupe MLS, phéni-
colés et glycopeptides. Toutes sont utilisables pour traiter une
Les infections à point de départ dentaire se développent d’abord
infection à C. perfringens en cas d’allergie aux pénicillines. Mais le
dans les espaces celluleux sous-mandibulaires et sublinguaux; la
choix est beaucoup plus restreint pour certains bacilles à Gram
bilatéralisation de cette atteinte définit l’angine de Ludwig. Ensuite,
négatif anaérobies : ainsi une partie des Bacteroides du groupe
elles peuvent s’étendre par contiguïté aux espaces latéropharyngé et
fragilis ne conserve de sensibilité qu’aux associations pénicillines-
rétropharyngé, et de là fuser vers le médiastin. La fasciite emprunte
inhibiteurs de bêtalactamase, à l’imipénème et au métronidazole
un chemin différent lorsque son origine est amygdalienne : ici c’est
[25].
l’espace latéropharyngé qui est le premier touché [22].
La durée de l’antibiothérapie, fonction de l’évolution, s’établit à
Les germes impliqués, anaérobies et aérobies associés, provien- 10-15 jours en moyenne.
nent logiquement de la sphère oropharyngée. Il s’agit de Prevotella,
Peptostreptococcus, Fusobacterium, streptocoques aérobies, et plus rare-
CHIRURGIE [26, 27]
ment entérobactéries, staphylocoques ou Pseudomonas.
Les premiers symptômes (douleur, tuméfaction localisée) ne Rien ne doit faire différer la mise en œuvre du traitement
diffèrent en rien de l’expression habituelle d’une affection bucco- chirurgical, ni la bonne tolérance apparente de l’infection, ni la
dentaire banale. Puis dans un délai variable, parfois quelques heures, réalisation préalable d’une séance d’oxygénothérapie hyperbare.
les manifestations cliniques prennent une tournure beaucoup plus L’intervention initiale permet d’abord de confirmer le
impressionnante. Les phénomènes algiques s’intensifient. La région diagnostic et de préciser la nature, la profondeur et l’étendue des
sous-mandibulaire est comblée par un volumineux empâtement de lésions. Ce temps exploratoire nécessite des incisions suffisamment
consistance ligneuse accompagnée d’un érythème cutané. La langue, larges pour ne méconnaître aucune zone atteinte; l’extension de
augmentée de volume et soulevée par l’œdème du plancher buccal, l’infection est en général beaucoup plus importante que ne le lais-
interdit la fermeture de la bouche. Il existe une gênante hypersaliva- sent supposer les modifications de la peau sus-jacente; un clivage
tion et souvent une dysphagie ainsi qu’un trismus. La palpation facile à la pince entre hypoderme et plans profonds, qui traduit
permet parfois la détection d’une crépitation. Un syndrome infec- l’existence d’une fasciite, doit être recherché avec soin. Des prélève-
tieux plus ou moins marqué complète le tableau. ments bactériologiques sont effectués.
44200_Volume4_1 Page 1061 Jeudi, 12. février 2009 2:16 14
Le second temps est une mise à plat complète : excision de tous La prévention antitétanique est obligatoire si la vaccination du
les tissus nécrosés, qu’ils soient musculaires, cellulograisseux ou patient est ancienne ou douteuse.
cutanés; débridement des zones sous tension et évacuation des
collections et des hématomes. Il ne faut pas craindre de retirer tout
ce dont la viabilité paraît irrémédiablement compromise, même au INFECTIONS À BACTÉRIES AÉROBIES
prix de sacrifices tissulaires importants. Ensuite, après un lavage
abondant avec des antiseptiques, le foyer opératoire est laissé large- Parmi les infections des parties molles à bactéries aérobies,
ment ouvert et drainé par de multiples lames. seules les DHBN-FN, pour la plupart streptococciques, et les rares
Après l’acte chirurgical initial il est préférable que les premiers myonécroses relèvent véritablement de la réanimation. Cependant,
pansements soient réalisés au bloc opératoire sous anesthésie géné- à leur début, elles sont parfois indiscernables de maladies des DHB
rale. À chaque fois un bilan complet des lésions doit être repris. De non nécrosantes comme l’érysipèle, liées aux mêmes germes, mais
nouvelles excisions sont parfois nécessaires. La fréquence de ces de traitement et de pronostic très différents. Il paraît donc logique
pansements est au début au moins quotidienne puis, quand les d’aborder ici l’ensemble de ces pathologies.
plaies sont devenues propres, ils peuvent être espacés.
La chirurgie présente aussi des aspects particuliers à certaines
localisations : ÉRYSIPÈLE ET AUTRES DERMO-HYPODERMITES
– dans les fasciites pelviennes une colostomie est indispensable si BACTÉRIENNES NON NÉCROSANTES [1, 30]
l’infection atteint la région anorectale et même d’indication plus
large pour certains. Les avis sont partagés pour le drainage urinaire : L’érysipèle a longtemps été exclusivement défini comme une
sondage urétral pour les uns, cathétérisme sus-pubien ou même infection superficielle de la peau, d’origine streptococcique, typique-
cystostomie pour d’autres; ment localisée à la face et caractérisée par un placard érythémateux,
– les médiastinites qui compliquent les fasciites cervicales imposent chaud, sensible et œdématié, à limites nettes et surélevées, accom-
le recours à la thoracotomie; pagné de fièvre. Les autres streptococcies cutanées non nécrosantes,
– la gravité de certaines infections des membres ne laisse parfois atteignant surtout les membres avec les mêmes signes inflamma-
aucun autre choix que l’amputation; toires, mais sans bourrelet périphérique ni démarcation nette entre
– enfin à distance une chirurgie reconstructrice (greffes cutanées, la zone atteinte et la peau saine, étaient désignées comme cellulites.
lambeaux musculaires) peut s’avérer nécessaire quand l’importance En fait, il ne semble pas qu’il y ait lieu de maintenir cette distinction
de la perte de substance rend illusoire l’attente d’une cicatrisation et on tend maintenant à nommer « érysipèles » l’ensemble de ces
totale spontanée. infections. En effet, elles partagent la même bactériologie : strepto-
coque bêta-hémolytique du groupe A dans plus de 2/3 des cas, sinon
OXYGÉNOTHÉRAPIE HYPERBARE [3, 4, 10] streptocoque G, B ou C. Leur physiopathologie paraît identique : il
s’agit de toxi-infections avec une densité bactérienne locale faible
Le traitement des myonécroses clostridiales par OHB s’appuie (prélèvements très souvent négatifs). Elles reconnaissent les mêmes
sur des arguments expérimentaux. Il a ainsi été montré, sur un causes et facteurs favorisants : la porte d’entrée est une plaie, voire
modèle murin, qu’utilisée seule mais immédiatement après l’initia- une simple érosion cutanée, une ulcération aiguë ou chronique ou
tion de l’infection avec un faible inoculum, elle pouvait être efficace
une maladie dermatologique; il préexiste le plus souvent une altéra-
[28]. Dans une étude réalisée chez le chien, c’est la triple association
tion du drainage lymphatique ou du retour veineux, responsable de
antibiotique-chirurgie-OHB qui a donné la meilleure survie,
troubles trophiques et d’œdèmes, par exemple dans les suites d’un
comparée à toutes les autres combinaisons de ces trois traitements
[29]. curage ganglionnaire ou après prélèvement saphène lors d’un
pontage aortocoronarien.
L’oxygène agit en bloquant la production d’alphatoxine. À très
fortes pressions, il exerce aussi un effet bactéricide sur C. perfringens L’incidence des érysipèles a été évaluée récemment en France à
en culture. L’élévation du potentiel d’oxydoréduction provoque en 190/100 000 habitants/an; plus de 85 % de ces infections siègent
effet une réduction des synthèses protéiques et induit la formation aux membres inférieurs et la forme clinique la plus banale est une
de radicaux libres oxygénés qui peuvent être responsables de lyse grosse jambe rouge et douloureuse [1]. Il est courant de constater
bactérienne. En revanche, si l’on se place dans les conditions de une lymphangite et des adénopathies satellites. L’évolution se fait
pression et de durée d’exposition tolérées par l’homme, l’effet sur un mode progressif. Parfois apparaissent quelques micro-abcès
observé in vitro n’est que bactériostatique. Mais une action indirecte ou vésicules, voire une ou deux zones limitées de nécrose cutanée.
et non spécifique de la phagocytose par les polynucléaires pourrait La tolérance générale de l’infection reste habituellement bonne; on
expliquer l’obtention d’une bactéricidie in vivo [9]. observe toutefois des bactériémies dans environ 5 % des cas.
Il n’existe pas le même rationnel pour légitimer l’emploi de Le traitement des érysipèles fait appel à la pénicilline G ou à
l’OHB dans les infections à anaérobies autres que C. perfringens. l’amoxicilline. Mais une mauvaise réponse à cette thérapeutique, la
Aucun modèle animal n’a jusqu’ici été développé. Ces germes sont survenue dans des circonstances particulières (toxicomanie IV,
en règle générale beaucoup plus aérotolérants. risque de contamination par des germes hydriques) ou chez un
Malgré son abondance la littérature ne fournit aucune preuve patient immunodéprimé peuvent justifier le recours à des antibioti-
supplémentaire de l’efficacité de l’OHB en pathologie humaine, qu’il ques à plus large spectre prenant en compte d’autres éventualités :
s’agisse ou non de myonécroses clostridiales. On ne dispose d’aucun staphylocoque doré, entérobactéries, Pseudomonas, Aeromonas hydro-
essai contrôlé, ni même de véritable étude de cas appariés sur le sujet phila, Pasteurella, etc. Dans ce cas, la mise en culture préalable d’une
[10]. biopsie cutanée est indispensable. La question d’une phlébite asso-
Finalement, le traitement des véritables gangrènes gazeuses par ciée et donc d’une anticoagulation efficace peut aussi se poser, mais
OHB continue à bénéficier d’un large accord basé sur les données le risque essentiel est de méconnaître une DHBN-FN et de la laisser
expérimentales. Les avis sont nettement plus partagés en ce qui évoluer sans intervenir chirurgicalement, alors que c’est
concerne les DHBN-FN. indispensable.
En pratique, la mise en œuvre de l’OHB ne se conçoit que chez
un patient à l’état hémodynamique et respiratoire stabilisé. Sa réali-
sation ne doit jamais amener à différer la chirurgie. Les protocoles DERMO-HYPODERMITES ET FASCIITES NÉCROSANTES
proposés varient : séances à 3 ATA, durant 1 à 2 heures, répétées 2 à 3 À STREPTOCOQUES DU GROUPE A [13, 14, 30-32]
fois par jour et poursuivies durant 4 à 7 jours selon l’état local. La
survenue de crises convulsives hyperoxiques est systématiquement Les DHBN-FN dues aux streptocoques A paraissent avoir
prévenue par une benzodiazépine. augmenté de fréquence au cours des années quatre-vingt-dix, du
moins dans certains pays (États-Unis, pays scandinaves), et leur
MESURES GÉNÉRALES gravité est extrême. L’incidence annuelle, relevée dans une enquête
Les mesures générales sont surtout des mesures non spécifiques épidémiologique prospective canadienne, est ainsi passée de 0,085 à
de réanimation pour traiter un état de choc, une défaillance respira- 0,40 pour 100 000 entre 1991 et 1995; près de 50 % des cas s’accom-
toire ou une insuffisance rénale. Les pansements répétés imposent pagnaient d’état de choc ou de défaillances viscérales précoces,
souvent une analgésie et une sédation prolongées, et donc le main- définissant le « choc toxique streptococcique » [31]. Une statistique
tien d’une assistance ventilatoire. américaine plus récente donne des chiffres du même ordre [33].
44200_Volume4_1 Page 1062 Jeudi, 12. février 2009 2:16 14
[12] Kingston D, Seal DV. Current hypotheses on synergistic microbial gangrene. [27] Lewis RT. Necrotizing soft-tissue infections. Infect Dis Clin N Amer 1992, 6 :
Brit J Surg 1990, 77 : 260-264. 693-703.
[13] Roujeau JC. « Erysipèle et fasciite nécrosante : critères cliniques et facteurs de [28] Hill GB, Osterhout S. Experimental effects of hyperbaric oxygen on selected
risque ». Med Mal Infect 2000; 30 suppl 5 : 399-405. clostridial species. II. In vivo studies in mice. J Infec Dis 1972, 125 : 26-35.
[14] Anaya DA, Dellinger EP. Necrotizing soft-tissue infection : diagnosis and [29] Demello FJ, Haglin JJ, Hitchcock CR. Comparative study of experimental
management. Clin Infect Dis 2007, 44, 705-710. Clostridium perfringens infection in dogs treated with antibotics, surgery and
[15] Swartz MN. Subcutaneous tissue infections and abscesses. Principles and hyperbaric oxygen. Surgery 1973, 73 : 936-941.
practice of infectious diseases. Mandell GL, Douglas RG, Bennett JE, Dolin R [24] Stevens BL, Bryant AE, Adams K, Mader JT. Evaluation of therapy with hyper-
eds. Churchill Livingstone, New York, 2000 : 1037-1057. baric oxygen for experimental infection with Clostridium perfringens. Clin
[16] Enriquez JM, Moreno S, Devesa M, Morales V, Platas A, Vicente E. Fournier’s Infect Dis 1993, 17 : 231-237.
syndrome of urogenital and anorectal origin. Dis Colon Rectum 1987, 30 : 33- [30] Bisno AL, Stevens BL. Streptococcal infections of skin and soft tissues. N Engl
37. J Med 1996, 334 : 240-245.
[17] Baskin LS, Carroll PR, Cattolica EV, Mc Aninch JW. Necrotising sof tissue [31] Kaul R, McGeer A, Low DE. Population-based surveillance for group A strep-
infections of the perineum and genitalia : bacteriology, treatment and risk tococcal necrotizing fasciitis : clinical features, prognostic indicators, and
assessment. Brit J Urol 1990, 65 : 524-529. microbiologic analysis of seventy- seven cases. Amer J Med 1997, 103 : 18-24.
[18] Clayton MD, Fowler JE, Sharifi R, Pearl RK. Causes, presentation and survival
of fifty-seven patients with necrotizing fasciitis of the male genitalia. Surg [32] Low DE, McGeer A. Skin and soft tissue infection : necrotizing fasciitis. Curr
Gynecol Obstet 1990, 170 : 49-55. Opin Infect Dis 1998, 11 : 119-123.
[19] Paty R, Smith AD. Gangrene and Fournier’s gangrene. Urol Clin N Amer 1992, [33] Ellis Simonsen SM, Van Orman ER, Hatch BE, et al. Cellulitis incidence in a
19 : 149-162. defined population. Epidemiol Infect 2006, 134 : 293-9
[20] Laucks SS. Fournier’s gangrene. Surg Clin N Amer 1994, 39 : 1339-1352. [34] Wong Ch, Khin LW, Heng KS, Tan KC, Low CO. The LRINEC (laboratory risk
[21] Juang YC, Cheng DL, Wang LS, Liu CY, Duh RW, Chang CS. Ludwig’s indicator for necrotizing fasciitis) score : a tool for distinguishing necrotizing
angina : an analysis of 14 cases. Scand J Infec Dis 1989, 21 : 121-125. fasciitis from other soft tissue infections. Crit Care Med 2004; 32 : 1535-41.
[22] Chow AW. Life-threatening infections of the head and neck. Clin Infect Dis [35. Loh NN, Ch’en IY, Cheung LP, Li KC. Deep fascial hyperintensity in soft-tissue
1992, 14 : 991-1004. abnormalities as revealed by T2-weighted MR imaging. Amer J Roentgenol
[23] Mathieu D, Neviere R, Teillon C, Chagnon JL, Lebleu N, Wattel F. Cervical 1997, 168 : 1301-1304.
necrotizing fasciitis : clinical manifestations and management. Clin Infect Dis [36] Majeski J, Majeski E. Necrotizing fasciitis : improved survival with early reco-
1995, 21 : 51-56. gnition by tissue biopsy and aggressive surgical treatment. South Med J 1997,
[24] Nakamori Y, Fujimi S, Ogura H et al. Conventional open surgery versus percu- 90 : 1065-1068.
taneous catheter drainage in the treatment of cervical necrotizing fasciitis [37] Mehta S, Mc Geer A, Low DE, Hallett D, Bowman DJ, Grossman SL, Stewart
and descending necrotizing mediastinitis. AJR 2004, 182 : 1443-1449. TE. Morbidity and mortality of patients with invasive group A streptococcal
[25] Dubreuil L. « Bacteroïdes fragilis : état de la sensibilité aux antibiotiques, infections admitted to the ICU. Chest 2006, 130 : 1679-1686.
évolution des résistances ». Med Mal Infect 1996, 26 (spécial) : 196-207. [38] Ulusarac O, Carter E. Varied clinical presentations of Vibrio vulnificus
[26] Ahrenholz DH. Necrotizing soft-tissue infections. Surg Clin N Amer 1988, 68 : infections : a report of four unusual cases and review of the literature. South
199-214. Med J 2004, 97 : 163-168.