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DHBN-FN dues à une flore polymicrobienne, souvent mixte aéro-


anaérobie.
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MYONÉCROSES [2-5]
INFECTIONS DES PARTIES MOLLES Les myonécroses sont communément appelées gangrènes
gazeuses, quel que soit le germe responsable, bien que théorique-
B. Clair ment le terme ne désigne que les seules myonécroses clostridiales.
Leur raréfaction a été attestée par des données
épidémiologiques : une incidence annuelle d’environ 0,2 cas pour
Des infections très diverses peuvent résulter de l’ensemence- 100 000 habitants a été observée dans le Nord de la France au cours
ment bactérien des parties molles, habituellement à la faveur d’une des années quatre-vingt [3]; les chiffres rapportés aux États-Unis
effraction cutanée ou muqueuse. La plupart d’entre elles sont des étaient du même ordre [4]. Dans une série d’environ 200 patients
maladies bénignes, à l’opposé de quelques unes qui revêtent une consécutifs pris en charge dans un centre américain pour infection
gravité particulière liée à la fois à un caractère local nécrosant nécrosante des tissus mous entre 1985 et 1993, il n’a été observé que
extensif et à un retentissement général souvent majeur, état de choc 4 myonécroses clostridiales [6].
ou même défaillances viscérales multiples. Le pronostic de ces
pathologies sévères est largement conditionné par la précocité du ÉTIOLOGIE
diagnostic et de la mise en œuvre d’un traitement approprié qui ne
peut être exclusivement médical, mais doit comporter également Quatre-vingts à quatre-vingt-dix pour cent des myonécroses
une chirurgie efficace entreprise sans délai. Malgré leur rareté, il restent dus à des Clostridium, en premier lieu C. perfringens, mais
apparaît essentiel que le réanimateur en ait une bonne connaissance, aussi C. novyi, C. septicum, C. histolyticum, C. bifermentans et C. fallax.
la quasi-totalité de l’exposé leur sera donc consacré. D’autres bactéries anaérobies apparaissent responsables de quelques
cas : Bacteroides fragilis ou streptocoques anaérobies associés à divers
germes aérobies.
DÉFINITIONS ET CLASSIFICATION Les espèces clostridiales impliquées dans les gangrènes gazeuses
possèdent certaines caractéristiques importantes [3, 4, 7] :
De nombreuses catégories d’infections des parties molles ont – il s’agit de germes de l’environnement où ils survivent sous forme
été individualisées en fonction des tissus initialement atteints de spores; ils font également partie de la flore digestive naturelle. Cet
(derme, hypoderme, fascia et aponévroses, ou muscles), de l’aspect habitat explique les différents modes de contamination possibles;
lésionnel (nécrosant ou non), de la localisation (membres, périnée,
– ces bacilles à Gram positif sont anaérobies stricts c’est-à-dire qu’ils
abdomen…), du mode évolutif (aigu ou subaigu) ou des germes en
ne poussent que dans une atmosphère contenant moins de 20 %
cause (Clostridium perfringens, streptocoque A, flore plurimicrobienne
d’oxygène. Mais leur développement est également favorisé par tout
aéro-anaérobie…). Mais les multiples entités ainsi définies (cellulites
ce qui concourt à un potentiel d’oxydoréduction local bas ou à un
qualifiées de superficielles, progressives, nécrosantes, gangréneuses
pH acide : ischémie, nécrose et présence de corps étrangers;
ou clostridiales; gangrènes gazeuses, synergistiques ou de Fournier;
– la pathogénicité des Clostridium apparaît essentiellement liée à la
fasciites nécrosantes, etc.) ne recouvraient pas toujours des tableaux
production d’exotoxines. Ainsi, l’alphatoxine de C. perfringens est
cliniques bien distincts et ont créé une certaine confusion.
une phospholipase responsable de lyse des membranes cellulaires;
Dans un but de clarification, des recommandations ont été les nécroses tissulaires qu’elle induit constituent à leur tour un
émises lors de la conférence de Consensus organisée par la SPILF en milieu favorable à une multiplication bactérienne intense. C. perfrin-
2000 [1]. Le terme « dermo-hypodermite » a été préféré à celui de gens produit également une thêtatoxine, cardiotoxique mais
« cellulite », jugé trop flou; il ne correspondait, en effet, à aucune exerçant aussi divers effets sur les polynucléaires neutrophiles : inhi-
véritable structure anatomique et était employé pour des maladies bition du chimiotactisme et de la phagocytose et même action
très diverses y compris non infectieuses. Le mot « fasciite » a été lytique à forte concentration; l’absence de formation de pus au cours
réservé à l’atteinte de l’aponévrose superficielle jouxtant le plan de la gangrène gazeuse trouve peut-être ici son explication;
musculaire et à celle des fascias profonds intermusculaires. En
– la production de gaz caractérise aussi les Clostridium mais ils n’en
pratique, une classification simplifiée adoptant cette terminologie
ont pas l’exclusivité.
apparaît suffisante à la compréhension des problèmes posés :
Des myonécroses peuvent survenir dans trois grands types de
– les dermo-hypodermites bactériennes (DHB) qui ne s’accompa-
circonstances : après traumatisme, en postopératoire, ou en dehors
gnent pas de nécrose sont essentiellement représentées par
de tout contexte de blessure ou de chirurgie.
l’érysipèle. Elles ne s’étendent jamais en profondeur au-delà de
Toute plaie traumatique expose théoriquement à ce genre
l’aponévrose superficielle;
d’infection mais le risque est beaucoup plus élevé en présence de
– la nécrose du derme et de l’hypoderme fait parler de dermo-hypo- tissus dévitalisés, contus, souillés de terre ou d’autres corps étrangers.
dermite bactérienne nécrosante (DHBN), celle de l’aponévrose de
De rares cas de gangrène gazeuse sont encore observés à la suite
fasciite nécrosante (FN). L’utilisation de l’acronyme DHBN-FN vient
de certains actes chirurgicaux :
traduire la fréquence de leur association et l’absence de présentation
véritablement caractéristique de chacune d’entre elles. Au cours des – interventions sur l’abdomen réalisées en urgence, ayant comporté
DHBN-FN, les muscles restent épargnés ou ne sont touchés qu’à un une ouverture du tube digestif ou motivées par une infection
stade tardif; intrapéritonéale;
– lorsque l’infection et la nécrose sont primitivement musculaires, – chirurgie vasculaire ou orthopédique des membres inférieurs chez
on emploie les termes « myosite » et « myonécrose », même si le l’artéritique ou le diabétique.
diagnostic est habituellement porté à un stade où les lésions ont La liste des autres causes « médicales » de myonécrose est
atteint la peau sus-jacente; variée : brûlures thermiques ou électriques, injections sous-cutanées,
– des particularités étiopathogéniques, cliniques et thérapeutiques intramusculaires, intraveineuses (toxicomanes) ou intra-articulaires
amènent à distinguer deux grands types d’infections des parties de produits divers (insuline, adrénaline, corticoïdes, AINS, etc.),
molles selon la nature de leur bactériologie, d’un côté celles provo- escarres de décubitus et ulcérations cutanées d’origine artérielle,
quées de façon exclusive ou prédominante par des germes veineuse ou neurotrophique.
anaérobies, de l’autre celles dues uniquement à des germes aérobies. Il faut enfin individualiser les myonécroses spontanées, sans
porte d’entrée apparente. Le germe responsable est presque toujours
C. septicum. La voie de contamination est hématogène à partir de
INFECTIONS À BACTÉRIES ANAÉROBIES lésions du tube digestif : tumeur colique ou rectale, ulcérations
muqueuses chez des patients cancéreux ou leucémiques sous
L’efficacité des mesures préventives systématiques prises après chimiothérapie [8].
traumatisme ouvert ou lors des interventions chirurgicales (parage
soigneux des plaies, antibioprophylaxie) a permis une réduction PRÉSENTATION CLINIQUE ET DIAGNOSTIC
considérable du nombre de ces infections, mais ne les a pas fait
disparaître. La myonécrose d’origine clostridiale représentait Le délai entre l’événement contaminant et les premières mani-
naguère l’aspect dominant. Il s’agit maintenant en majorité de festations cliniques est en règle générale bref, quelques heures à
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Infections des parties molles 1059

quelques jours; mais des durées d’incubation excédant plusieurs Diverses particularités étiologiques, cliniques et évolutives justi-
semaines ont été mentionnées. fient une description séparée des différentes localisations.
Le début est marqué par une douleur vive, permanente, d’inten-
sité croissante, qui contraste avec des modifications locales encore DERMO-HYPODERMITES ET FASCIITES NÉCROSANTES DES MEMBRES
limitées (plaie atone; peau froide, tendue, pâle ou discrètement
érythémateuse) et un retentissement général minime (décalage ther- Les membres inférieurs peuvent être le siège de DHBN-FN dues
mique ou tachycardie). Des signes plus évocateurs, odeur fétide, à une flore mixte, essentiellement d’origine digestive. Les causes
crépitation à la palpation ou clartés gazeuses objectivées par les n’ont rien de spécifique par rapport à celles des myonécroses; elles
clichés des parties molles, sont possibles mais très inconstants à ce résultent de la surinfection de plaies traumatiques, se développent
stade; ils ne doivent donc pas être attendus pour envisager le après chirurgie ou simple injection et compliquent des ulcérations
diagnostic. À l’inverse, la présence de gaz intratissulaires n’est pas d’origine vasculaire ou des escarres.
synonyme d’infection à anaérobies : il peut s’agir d’air piégé dans les Lorsqu’elles sont vues à un stade évolué, elles sont souvent
tissus à la suite d’un traumatisme ou d’un acte opératoire. Finale- prises pour des myonécroses clostridiales et le diagnostic n’est
ment le moindre doute doit conduire à entreprendre une redressé que lors de l’exploration chirurgicale. Si les manifestations
exploration chirurgicale. évocatrices de la présence d’anaérobies (présence de gaz dans les
Sinon, en l’absence de prise en charge, l’infection progresse tissus, odeur nauséabonde) font défaut, c’est avec des infections à
rapidement. Un œdème important se développe. La peau prend un germes aérobies qu’elles risquent d’être confondues : érysipèles ou
aspect bronzé puis se couvre de zones ecchymotiques et de bulles à simples cellulites superficielles au début, DHBN-FN streptococciques
contenu sérohématique. Des sérosités nauséabondes s’écoulent de la ensuite [13, 14].
plaie, des décollements cutanés se forment et une crépitation est À côté des fasciites aiguës graves, il existe aussi des DHBN plus
fréquemment perceptible. Parallèlement à l’extension des lésions superficielles, dues notamment à C. perfringens, d’évolution plus
locales apparaissent des signes généraux de plus en plus marqués : progressive, avec des signes locaux (douleur, œdème, modifications
hyper- ou hypothermie, agitation, puis collapsus, oligo-anurie, trou- cutanées) et généraux nettement moins marqués, mais qui s’accom-
bles de la conscience, ictère, syndrome hémorragique, etc. À ce point pagnent d’une production de gaz importante. Leur pronostic est en
de l’évolution le diagnostic fait peu de doute; une fasciite nécrosante règle favorable après drainage et antibiothérapie adaptée [15].
ne peut être écartée formellement mais cela n’a aucune importance
pratique. De toute façon, l’intervention chirurgicale vient confirmer DERMO-HYPODERMITES ET FASCIITES NÉCROSANTES PELVIPÉRINÉALES
la myonécrose en montrant des muscles pâles ou brunâtres, atones [16-20]
et qui ne saignent pas.
Les DHBN-FN pelvipérinéales observées de nos jours correspon-
Les prélèvements, pré et peropératoires, des sérosités et des
dent rarement au tableau décrit par Fournier en 1883 de nécrose
tissus doivent si possible être acheminés directement au laboratoire,
aiguë idiopathique du scrotum et du fourreau de la verge chez des
à l’abri de l’air, et immédiatement examinés. Si la technique est
sujets jeunes et jusque-là bien portants. Elles atteignent aussi des
rigoureuse, l’examen direct est le plus souvent contributif en objecti-
femmes, concernent une population plus âgée (50-55 ans en
vant des bacilles à Gram positif, isolés ou dominant au sein d’une
moyenne), diabétique et/ou alcoolique dans plus de la moitié des
flore polymorphe; le faible nombre des polynucléaires présents sur
cas, et relèvent presque toujours d’une cause locale identifiable.
l’étalement est caractéristique. Si l’incubation en anaérobie ne peut
Néanmoins beaucoup continuent à les regrouper sous le terme de
être effectuée immédiatement, il est indispensable d’employer un
« gangrènes de Fournier » [20].
milieu de transport approprié (flacon Portagerm). La culture permet
l’identification de l’espèce clostridiale en cause; elle peut isoler aussi Actuellement une partie importante des DHBN-FN périnéales
des streptocoques, des staphylocoques ou des bacilles à Gram négatif apparaît liée à la méconnaissance ou au traitement insuffisant
associés. Quant aux hémocultures, elles ne poussent à Clostridium d’abcès péri-anaux ou ischiorectaux compliquant une fissure anale,
que dans moins de 10 % des cas. une plaie rectale, une chirurgie, en particulier hémorroïdaire, un
cancer, une sigmoïdite diverticulaire ou une appendicectomie.
PRONOSTIC D’autres font suite au passage extracanalaire d’urines infectées, favo-
risé par l’hyperpression créée en amont d’une sténose urétrale, ou
La mortalité des myonécroses clostridiales dépasse 20 % (5 à consécutif à une instrumentation ou un acte chirurgical sur les voies
31 % selon les séries publiées). Une extension au tronc est particuliè- urinaires basses. La cause peut être également gynécologique : abcès
rement péjorative (60 % de décès), de même que le caractère de la vulve ou des glandes de Bartholin, avortement septique, suites
spontané de l’infection (décès dans au moins deux tiers des cas). d’une épisiotomie ou d’une hystérectomie. Enfin, certains cas ont un
L’amélioration du pronostic par l’utilisation de l’oxygénothérapie point de départ cutané : escarre, abcès pilonidal ou hidrosadénite
hyperbare n’a pas été prouvée [3, 9, 10]. suppurée.
D’importantes séquelles fonctionnelles sont également à mettre Que la porte d’entrée soit anorectale ou génito-urinaire, l’exten-
sur le compte des gangrènes gazeuses : amputations, enraidissements sion du processus infectieux à l’ensemble du périnée, et même au
articulaires et paralysies. delà à la racine des cuisses et à la paroi abdominale antérieure, est
facilitée par l’étroite interconnexion des différents fascias pelviens :
au fascia de Colles préanal en arrière font directement suite le fascia
DERMO-HYPODERMITES NÉCROSANTES de Buck et le dartos autour des organes génitaux et le fascia de Scarpa
ET FASCIITES NÉCROSANTES en avant [19, 20]. Plus d’une fois sur deux, lors de la prise en charge,
l’infection dépasse la région périnéale. En revanche, la fréquence
À la différence des myonécroses, monomicrobiennes pour la d’une myonécrose associée ne dépasse pas 30 % et cette atteinte
plupart, les DHBN-FN apparaissent déterminées par l’association de musculaire reste en règle générale limitée. La rareté de l’atteinte
plusieurs bactéries anaérobies, Peptostreptococcus, Bacteroides, Clostri- testiculaire, vésicale ou rectale s’explique par une vascularisation
dium, Fusobacterium…, mais aussi aérobies : entérobactéries, particulière, distincte de celle des tissus mous.
streptocoques, staphylocoques, etc. [11]. On les qualifie de DHBN- La reconnaissance des fasciites périnéales est souvent tardive
FN de type I pour les distinguer des DHBN-FN dues au streptocoque après plusieurs jours de progression insidieuse des symptômes (en
A (envisagées plus loin) qui, elles, sont dites de type II [4]. moyenne 4 à 5 jours d’après la littérature). En effet, les manifesta-
Il est probable que la gravité des infections mixtes tienne, au tions initiales se résument habituellement à des douleurs pelviennes,
moins pour partie, à des phénomènes de synergie bactérienne. Il a parfois limitées à une simple pesanteur, volontiers mises sur le
été montré qu’une diminution du potentiel d’oxydoréduction local compte de pathologies plus banales et bénignes. L’attention n’est
par les germes aérobies pouvait favoriser la croissance des anaérobies véritablement attirée qu’avec l’intensification des phénomènes algi-
et que ces derniers inhibaient le pouvoir phagocytaire des polynu- ques et surtout l’apparition secondaire de lésions locales évidentes :
cléaires vis-à-vis des bactéries aérobies par blocage de l’opsonisation d’abord érythème et œdème extensif, quasi constants au moment du
[12]. diagnostic; puis constitution de bulles à contenu sérohématique
Les DHBN-FN d’origine mixte surviennent le plus souvent sur nauséabond, nécrose cutanée et crépitation, présentes dans 30 à
un terrain prédisposé. Une ou plusieurs comorbidités sont retrouvées 60 % des cas. À ce stade, le retentissement général peut encore se
dans 75 à 80 % des cas, diabète et artériopathies périphériques limiter à une fièvre et une tachycardie mais la survenue d’un état de
surtout, mais aussi cancers, immunodépressions, cirrhose, insuffi- choc ou de défaillances viscérales multiples n’est pas rare (20-30 %
sance rénale, alcoolisme chronique, etc. des cas) [16-18].
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1060 Affections et leurs traitements

Si la mise en route du traitement, en particulier de l’exploration La fasciite peut s’étendre vers la face, la partie basse du cou, les
chirurgicale, ne doit pas être retardée par la réalisation d’examens creux sus-claviculaires et la paroi thoracique antérieure. Mais sa
complémentaires, l’intérêt du scanner est néanmoins à souligner. Il gravité tient pour l’essentiel à plusieurs risques particuliers :
peut fournir une aide importante au diagnostic chez un patient vu – détresse respiratoire brutale par obstruction des voies aériennes liée
précocement avec un aspect local peu caractéristique lorsqu’il objec- à l’atteinte des espaces pharyngés latéraux et postérieurs;
tive des collections abcédées ou des gaz dans les parties molles. Il – pneumopathie de déglutition ou en rapport avec des emboles
permet, mieux que la clinique, de connaître l’extension exacte de septiques à partir d’une thrombose jugulaire;
l’infection aux différents fascias périnéaux et l’atteinte éventuelle
– extension au médiastin postérieur si l’espace rétropharyngé est
des fosses ischiorectales, des espaces périvésicaux ou même du rétro-
atteint car aucune barrière anatomique ne vient s’interposer entre
péritoine. L’échographie a également été utilisée dans ce but et aussi
les deux.
pour différencier les gangrènes de Fournier des autres causes de
douleur et d’inflammation des bourses, orchiépididymites par Un scanner cervicothoracique préopératoire réalisé en urgence
exemple [20]. est donc indispensable pour faire un bilan complet des lésions et
Les prélèvements bactériologiques doivent être effectués avec notamment rechercher une pneumopathie, une pleurésie, une péri-
les mêmes précautions que pour les myonécroses. Les multiples cardite ou une médiastinite. Cet examen doit être répété au moindre
germes isolés, en moyenne quatre par patient, appartiennent aux doute car il a été observé des médiastinites secondaires alors que
flores digestives, génitale et cutanée. C’est un mélange de bactéries l’évolution cervicale paraissait favorable [23].
aérobies (Escherichia coli et autres entérobactéries, streptocoques, La mortalité des fasciites cervicales était restée lourde, comprise
staphylocoques, Pseudomonas) et anaérobies ( Bacteroides, Peptostrep- entre 20 et 40 % avec des décès pour la plupart en rapport avec une
tococcus, Clostridium). Une septicémie associée n’est pas rare : il a été infection médiastinale incontrôlable. Récemment des résultats beau-
signalé jusqu’à 40 % d’hémocultures positives, principalement à coup plus favorables ont été rapportés, y compris avec un drainage
entérobactéries [18]. percutané exclusif sans chirurgie [24].
Les chiffres de mortalité attribuables aux fasciites périnéales se
situent d’après la littérature récente entre 19 et 25 % [16-18]. Un âge TRAITEMENT
avancé, la gravité à l’admission appréciée par l’IGS et une extension
de l’infection à l’abdomen, aux lombes ou au thorax, apparaissent Le traitement des infections des parties molles à anaérobies
comme des facteurs de mauvais pronostic. relève à la fois d’une antibiothérapie adaptée, d’une chirurgie
souvent iterative, et de façon plus discutée, de l’oxygénothérapie
DERMO-ÉPIDERMITES ET FASCIITES NÉCROSANTES ABDOMINALES [15] hyperbare (OHB). Leur gravité impose dans la plupart des cas une
prise en charge en réanimation. Les problèmes complexes qu’elles
La seule véritable particularité des DHBN-FN abdominales par posent sont au mieux résolus par des équipes médico-chirurgicales
rapport aux infections pelviennes est leur contexte de survenue : rompues à cette pratique.
suites de chirurgie biliaire ou digestive, surtout si cette chirurgie a été
effectuée en urgence ou qu’il y a eu ouverture de l’intestin. Il faut ANTIBIOTHÉRAPIE
toujours rechercher dans ce cas un foyer intra-abdominal persistant,
abcès ou péritonite. Immédiatement entreprise dès que le diagnostic est suspecté,
l’antibiothérapie ne saurait attendre les résultats des examens bacté-
DERMO-ÉPIDERMITES ET FASCIITES NÉCROSANTES CERVICALES [21-23] riologiques. Son choix est dicté par la nécessité de couvrir l’ensemble
de la flore polymicrobienne aéro-anaérobie qui peut être impliquée
La large utilisation des antibiotiques en pathologie stomatolo- dans ce type d’infection. En pratique, les traitements empiriques qui
gique et ORL a réduit la fréquence des fasciites nécrosantes DHBN- paraissent le mieux convenir dépendent de la localisation : associa-
FN cervicales sans toutefois les amener à disparaître : quatre à cinq tions pipéracilline-tazobactam ou ticarcilline-acide clavulanique
cas sont néanmoins encore traités chaque année au centre d’hyper- pour le pelvis et les membres inférieurs; amoxicilline-acide clavula-
barie de Lille [23]. nique pour les membres supérieurs et le cou. L’adjonction de
Près de 80 % d’entre elles sont d’origine dentaire, à partir d’un métronidazole est théoriquement redondante, à quelques excep-
abcès ou même après une simple extraction. Trois fois sur quatre le tions près, mais souvent utilisée car la diffusion tissulaire de cet
foyer initial siège à la racine des deuxièmes ou troisièmes molaires antibiotique est excellente.
inférieures qui ne sont séparées de l’espace sous-mandibulaire que Si l’antibiothérapie est modifiée secondairement au vu des
par une mince lame de cortex osseux relativement aisée à franchir. résultats bactériologiques, elle doit en tout cas rester active vis-à-vis
Parmi les causes de DHBN-FN cervicales on compte aussi des angines des anaérobies, germes de culture difficile et donc d’isolement
et des phlegmons amygdaliens, des traumatismes mandibulaires inconstant.
avec effraction muqueuse, des interventions chirurgicales, même À côté des pénicillines et des imidazolés, d’autres classes anti-
quand l’antibioprophylaxie a été correcte, des tumeurs ou des biotiques possèdent une activité vis-à-vis des anaérobies :
radionécroses. céphamycines, carbapénèmes, antibiotiques du groupe MLS, phéni-
colés et glycopeptides. Toutes sont utilisables pour traiter une
Les infections à point de départ dentaire se développent d’abord
infection à C. perfringens en cas d’allergie aux pénicillines. Mais le
dans les espaces celluleux sous-mandibulaires et sublinguaux; la
choix est beaucoup plus restreint pour certains bacilles à Gram
bilatéralisation de cette atteinte définit l’angine de Ludwig. Ensuite,
négatif anaérobies : ainsi une partie des Bacteroides du groupe
elles peuvent s’étendre par contiguïté aux espaces latéropharyngé et
fragilis ne conserve de sensibilité qu’aux associations pénicillines-
rétropharyngé, et de là fuser vers le médiastin. La fasciite emprunte
inhibiteurs de bêtalactamase, à l’imipénème et au métronidazole
un chemin différent lorsque son origine est amygdalienne : ici c’est
[25].
l’espace latéropharyngé qui est le premier touché [22].
La durée de l’antibiothérapie, fonction de l’évolution, s’établit à
Les germes impliqués, anaérobies et aérobies associés, provien- 10-15 jours en moyenne.
nent logiquement de la sphère oropharyngée. Il s’agit de Prevotella,
Peptostreptococcus, Fusobacterium, streptocoques aérobies, et plus rare-
CHIRURGIE [26, 27]
ment entérobactéries, staphylocoques ou Pseudomonas.
Les premiers symptômes (douleur, tuméfaction localisée) ne Rien ne doit faire différer la mise en œuvre du traitement
diffèrent en rien de l’expression habituelle d’une affection bucco- chirurgical, ni la bonne tolérance apparente de l’infection, ni la
dentaire banale. Puis dans un délai variable, parfois quelques heures, réalisation préalable d’une séance d’oxygénothérapie hyperbare.
les manifestations cliniques prennent une tournure beaucoup plus L’intervention initiale permet d’abord de confirmer le
impressionnante. Les phénomènes algiques s’intensifient. La région diagnostic et de préciser la nature, la profondeur et l’étendue des
sous-mandibulaire est comblée par un volumineux empâtement de lésions. Ce temps exploratoire nécessite des incisions suffisamment
consistance ligneuse accompagnée d’un érythème cutané. La langue, larges pour ne méconnaître aucune zone atteinte; l’extension de
augmentée de volume et soulevée par l’œdème du plancher buccal, l’infection est en général beaucoup plus importante que ne le lais-
interdit la fermeture de la bouche. Il existe une gênante hypersaliva- sent supposer les modifications de la peau sus-jacente; un clivage
tion et souvent une dysphagie ainsi qu’un trismus. La palpation facile à la pince entre hypoderme et plans profonds, qui traduit
permet parfois la détection d’une crépitation. Un syndrome infec- l’existence d’une fasciite, doit être recherché avec soin. Des prélève-
tieux plus ou moins marqué complète le tableau. ments bactériologiques sont effectués.
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Infections des parties molles 1061

Le second temps est une mise à plat complète : excision de tous La prévention antitétanique est obligatoire si la vaccination du
les tissus nécrosés, qu’ils soient musculaires, cellulograisseux ou patient est ancienne ou douteuse.
cutanés; débridement des zones sous tension et évacuation des
collections et des hématomes. Il ne faut pas craindre de retirer tout
ce dont la viabilité paraît irrémédiablement compromise, même au INFECTIONS À BACTÉRIES AÉROBIES
prix de sacrifices tissulaires importants. Ensuite, après un lavage
abondant avec des antiseptiques, le foyer opératoire est laissé large- Parmi les infections des parties molles à bactéries aérobies,
ment ouvert et drainé par de multiples lames. seules les DHBN-FN, pour la plupart streptococciques, et les rares
Après l’acte chirurgical initial il est préférable que les premiers myonécroses relèvent véritablement de la réanimation. Cependant,
pansements soient réalisés au bloc opératoire sous anesthésie géné- à leur début, elles sont parfois indiscernables de maladies des DHB
rale. À chaque fois un bilan complet des lésions doit être repris. De non nécrosantes comme l’érysipèle, liées aux mêmes germes, mais
nouvelles excisions sont parfois nécessaires. La fréquence de ces de traitement et de pronostic très différents. Il paraît donc logique
pansements est au début au moins quotidienne puis, quand les d’aborder ici l’ensemble de ces pathologies.
plaies sont devenues propres, ils peuvent être espacés.
La chirurgie présente aussi des aspects particuliers à certaines
localisations : ÉRYSIPÈLE ET AUTRES DERMO-HYPODERMITES
– dans les fasciites pelviennes une colostomie est indispensable si BACTÉRIENNES NON NÉCROSANTES [1, 30]
l’infection atteint la région anorectale et même d’indication plus
large pour certains. Les avis sont partagés pour le drainage urinaire : L’érysipèle a longtemps été exclusivement défini comme une
sondage urétral pour les uns, cathétérisme sus-pubien ou même infection superficielle de la peau, d’origine streptococcique, typique-
cystostomie pour d’autres; ment localisée à la face et caractérisée par un placard érythémateux,
– les médiastinites qui compliquent les fasciites cervicales imposent chaud, sensible et œdématié, à limites nettes et surélevées, accom-
le recours à la thoracotomie; pagné de fièvre. Les autres streptococcies cutanées non nécrosantes,
– la gravité de certaines infections des membres ne laisse parfois atteignant surtout les membres avec les mêmes signes inflamma-
aucun autre choix que l’amputation; toires, mais sans bourrelet périphérique ni démarcation nette entre
– enfin à distance une chirurgie reconstructrice (greffes cutanées, la zone atteinte et la peau saine, étaient désignées comme cellulites.
lambeaux musculaires) peut s’avérer nécessaire quand l’importance En fait, il ne semble pas qu’il y ait lieu de maintenir cette distinction
de la perte de substance rend illusoire l’attente d’une cicatrisation et on tend maintenant à nommer « érysipèles » l’ensemble de ces
totale spontanée. infections. En effet, elles partagent la même bactériologie : strepto-
coque bêta-hémolytique du groupe A dans plus de 2/3 des cas, sinon
OXYGÉNOTHÉRAPIE HYPERBARE [3, 4, 10] streptocoque G, B ou C. Leur physiopathologie paraît identique : il
s’agit de toxi-infections avec une densité bactérienne locale faible
Le traitement des myonécroses clostridiales par OHB s’appuie (prélèvements très souvent négatifs). Elles reconnaissent les mêmes
sur des arguments expérimentaux. Il a ainsi été montré, sur un causes et facteurs favorisants : la porte d’entrée est une plaie, voire
modèle murin, qu’utilisée seule mais immédiatement après l’initia- une simple érosion cutanée, une ulcération aiguë ou chronique ou
tion de l’infection avec un faible inoculum, elle pouvait être efficace
une maladie dermatologique; il préexiste le plus souvent une altéra-
[28]. Dans une étude réalisée chez le chien, c’est la triple association
tion du drainage lymphatique ou du retour veineux, responsable de
antibiotique-chirurgie-OHB qui a donné la meilleure survie,
troubles trophiques et d’œdèmes, par exemple dans les suites d’un
comparée à toutes les autres combinaisons de ces trois traitements
[29]. curage ganglionnaire ou après prélèvement saphène lors d’un
pontage aortocoronarien.
L’oxygène agit en bloquant la production d’alphatoxine. À très
fortes pressions, il exerce aussi un effet bactéricide sur C. perfringens L’incidence des érysipèles a été évaluée récemment en France à
en culture. L’élévation du potentiel d’oxydoréduction provoque en 190/100 000 habitants/an; plus de 85 % de ces infections siègent
effet une réduction des synthèses protéiques et induit la formation aux membres inférieurs et la forme clinique la plus banale est une
de radicaux libres oxygénés qui peuvent être responsables de lyse grosse jambe rouge et douloureuse [1]. Il est courant de constater
bactérienne. En revanche, si l’on se place dans les conditions de une lymphangite et des adénopathies satellites. L’évolution se fait
pression et de durée d’exposition tolérées par l’homme, l’effet sur un mode progressif. Parfois apparaissent quelques micro-abcès
observé in vitro n’est que bactériostatique. Mais une action indirecte ou vésicules, voire une ou deux zones limitées de nécrose cutanée.
et non spécifique de la phagocytose par les polynucléaires pourrait La tolérance générale de l’infection reste habituellement bonne; on
expliquer l’obtention d’une bactéricidie in vivo [9]. observe toutefois des bactériémies dans environ 5 % des cas.
Il n’existe pas le même rationnel pour légitimer l’emploi de Le traitement des érysipèles fait appel à la pénicilline G ou à
l’OHB dans les infections à anaérobies autres que C. perfringens. l’amoxicilline. Mais une mauvaise réponse à cette thérapeutique, la
Aucun modèle animal n’a jusqu’ici été développé. Ces germes sont survenue dans des circonstances particulières (toxicomanie IV,
en règle générale beaucoup plus aérotolérants. risque de contamination par des germes hydriques) ou chez un
Malgré son abondance la littérature ne fournit aucune preuve patient immunodéprimé peuvent justifier le recours à des antibioti-
supplémentaire de l’efficacité de l’OHB en pathologie humaine, qu’il ques à plus large spectre prenant en compte d’autres éventualités :
s’agisse ou non de myonécroses clostridiales. On ne dispose d’aucun staphylocoque doré, entérobactéries, Pseudomonas, Aeromonas hydro-
essai contrôlé, ni même de véritable étude de cas appariés sur le sujet phila, Pasteurella, etc. Dans ce cas, la mise en culture préalable d’une
[10]. biopsie cutanée est indispensable. La question d’une phlébite asso-
Finalement, le traitement des véritables gangrènes gazeuses par ciée et donc d’une anticoagulation efficace peut aussi se poser, mais
OHB continue à bénéficier d’un large accord basé sur les données le risque essentiel est de méconnaître une DHBN-FN et de la laisser
expérimentales. Les avis sont nettement plus partagés en ce qui évoluer sans intervenir chirurgicalement, alors que c’est
concerne les DHBN-FN. indispensable.
En pratique, la mise en œuvre de l’OHB ne se conçoit que chez
un patient à l’état hémodynamique et respiratoire stabilisé. Sa réali-
sation ne doit jamais amener à différer la chirurgie. Les protocoles DERMO-HYPODERMITES ET FASCIITES NÉCROSANTES
proposés varient : séances à 3 ATA, durant 1 à 2 heures, répétées 2 à 3 À STREPTOCOQUES DU GROUPE A [13, 14, 30-32]
fois par jour et poursuivies durant 4 à 7 jours selon l’état local. La
survenue de crises convulsives hyperoxiques est systématiquement Les DHBN-FN dues aux streptocoques A paraissent avoir
prévenue par une benzodiazépine. augmenté de fréquence au cours des années quatre-vingt-dix, du
moins dans certains pays (États-Unis, pays scandinaves), et leur
MESURES GÉNÉRALES gravité est extrême. L’incidence annuelle, relevée dans une enquête
Les mesures générales sont surtout des mesures non spécifiques épidémiologique prospective canadienne, est ainsi passée de 0,085 à
de réanimation pour traiter un état de choc, une défaillance respira- 0,40 pour 100 000 entre 1991 et 1995; près de 50 % des cas s’accom-
toire ou une insuffisance rénale. Les pansements répétés imposent pagnaient d’état de choc ou de défaillances viscérales précoces,
souvent une analgésie et une sédation prolongées, et donc le main- définissant le « choc toxique streptococcique » [31]. Une statistique
tien d’une assistance ventilatoire. américaine plus récente donne des chiffres du même ordre [33].
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1062 Affections et leurs traitements

ÉTIOLOGIE Les bêtalactamines, toujours efficaces in vitro, restent la base de


l’antibiothérapie des infections à streptocoques du groupe
Des streptocoques divers ont été isolés de DHBN-FN, mais asso- A. Cependant certains leur préfèrent la clindamycine pour traiter les
ciés avec d’autres germes aérobies et anaérobies, avec l’intervention fasciites, surtout si elles s’accompagnent de choc toxique streptococ-
probable de phénomènes de synergie bactérienne (cf. DHBN-FN à cique. L’argument avancé est que l’efficacité des pénicillines et
germes anaérobies). Les streptocoques du groupe A se singularisent céphalosporines est réduite quand l’inoculum bactérien est impor-
par leur aptitude à provoquer à eux seuls l’infection. Les mécanismes tant (effet Eagle) alors que celle de la clindamycine ne l’est pas. Des
de cette virulence particulière restent hypothétiques. Les toxines études expérimentales plaident en faveur de cette hypothèse mais
dites érythrogènes ou pyrogènes produites par la bactérie ainsi que aucune étude clinique ne l’a encore testée [30].
sa protéine M se comportent in vitro comme des superantigènes; ils Les principes de la chirurgie sont les mêmes que pour les infec-
pourraient donc induire une réponse inflammatoire excessive. tions à anaérobies : intervention immédiate avec exploration
Certains sérotypes de la protéine M (M1 et M3) sont d’ailleurs plus complète, débridement, résection de tous les tissus non viables et
fréquents au cours des infections cutanées nécrosantes que dans les reprises au bloc opératoire autant de fois que nécessaire.
autres pathologies invasives dues aux streptocoques A [31]. Il
Il n’y a en revanche aucune indication à l’OHB lorsque l’origine
semblerait aussi que l’absence d’anticorps antiprotéine M et anti-
streptococcique de l’infection est établie ou fortement suspectée.
érythrotoxine rende les sujets plus sensibles à l’infection.
La physiopathologie des infections graves à streptocoque A a
L’inoculation du germe dans les tissus résulte d’un traumatisme
par ailleurs amené à les traiter par immunoglobulines intravei-
souvent minime, d’un acte chirurgical ou survient à la faveur d’un
neuses. Il a été montré qu’elles pouvaient bloquer la production de
ulcère de jambe, d’une escarre, d’affections dermatologiques (vari-
cytokines induite par les exotoxines pyrogènes. Leur efficacité
celle, psoriasis) ou d’une brûlure.
clinique n’a pas été confirmée jusqu’ici mais leur emploi reste
La maladie peut atteindre des individus jeunes et sans antécé- recommandé, au moins en cas de choc toxique streptococcique [37].
dents notables mais, comme pour les DHBN-FN à germes anaérobies,
Les fasciites streptococciques gardent un pronostic particulière-
l’âge moyen dépasse la cinquantaine et la présence de facteurs géné-
ment péjoratif. La mortalité, dans l’étude canadienne déjà citée,
raux prédisposants (maladies cardiovasculaires, diabète,
atteint 34 % avec comme facteurs prédictifs indépendants l’âge,
immunodépression) est habituelle. Sur des arguments théoriques les
mais aussi l’existence d’un état de choc ou d’une septicémie [31].
anti-inflammatoires non stéroïdiens ont été accusés de favoriser
Plus récemment, un chiffre de 24 % a été retrouvé lors d’une
l’apparition de DHBN-FN streptococciques et d’en augmenter la
enquête épidémiologique prospective réalisée aux États-Unis [37].
gravité mais aucune étude épidémiologique n’a jusqu’ici confirmé
ces soupçons.
AUTRES INFECTIONS GRAVES
DESCRIPTION CLINIQUE ET DIAGNOSTIC
À BACTÉRIES AÉROBIES [27]
Les DHBN-FN streptococciques siègent par ordre décroissant
aux membres inférieurs (environ 50 % des cas), aux membres supé- Des DHBN-FN particulièrement graves (25 à 50 % de mortalité),
rieurs, à l’abdomen ou au périnée. causées par Vibrio vulnificus ou d’autres espèces de vibrions présents
Leur présentation initiale est comparable à celle d’un érysipèle; dans l’eau de mer, ont été décrites chez des sujets diabétiques,
les signes inflammatoires locaux sont modérés et il n’y a pas de cirrhotiques, insuffisants rénaux chroniques ou sous corticothérapie
retentissement général notable. Mais ce tableau faussement rassu- au long cours [38].
rant ne dure pas. Les lésions prennent rapidement un caractère Il a également été observé des fasciites nécrosantes ou des
extensif et changent d’aspect : l’œdème se majore de façon impor- myonécroses, indiscernables des gangrènes gazeuses, à Aeromonas
tante, l’érythème s’accentue; il apparaît des bulles à contenu hydrophila.
liquidien d’abord clair puis plus foncé, marron ou violacé. Parallèle-
ment se développe un état septique souvent remarquable par sa
précocité et sa sévérité. Si rien n’est entrepris l’aggravation se CONCLUSION
poursuit : la peau se décolle largement et se nécrose par endroits Le profil des infections graves des tissus mous s’est progressive-
tandis que s’installent état de choc et défaillances viscérales ment modifié au cours des dernières décennies, avec moins de
multiples. myonécroses et plus de dermo-hypodermites et fasciites nécrosantes,
La reconnaissance des fasciites streptococciques est aisée quand mais il n’est pas évident que leur pronostic se soit amélioré. Peut-être
elles sont observées à un stade évolué. Au début, il est en revanche ne bénéficient-elles pas toujours d’une prise en charge optimale, et
souvent difficile de les différencier de simples érysipèles alors que en particulier d’un traitement chirurgical suffisamment précoce et
cette distinction a des implications pratiques majeures : un érysipèle complet. Après plus de 45 ans d’utilisation, les indications de
est curable par antibiotiques, en cas de fasciite la chirurgie est indis- l’oxygénothérapie hyperbare n’ont toujours pas été précisées.
pensable. Même en l’absence de nécrose cutanée, certains signes
locaux doivent interpeller : douleur spontanée intense, caractère très
induré de l’œdème, aspect cyanique ou livide des téguments,
hypoesthésie cutanée, absence de lymphangite. Alors que le RÉFÉRENCES
syndrome septique est encore cliniquement peu perceptible, il faut
[1] Conférence de Consensus. « Erysipèle et fasciite nécrosante : prise en
attacher de l’importance à certaines perturbations biologiques : forte charge ». Med Mal Infect 2000; 305 suppl 4 : 252-272.
hyperleucocytose, CRP > 150mg/l, anémie, hyponatrémie, élévation [2] Hart GB, Lamb RC, Strauss MB. Gas gangrene : a collective review. J Trauma
de la créatininémie, hyperglycémie; un score prenant en compte ces 1983, 23 : 991-1 000.
variables aurait semble t-il une bonne valeur prédictive d’infection [3] Mathieu D, Nevière R, Chagnon JL, Wattel F. « La gangrène gazeuse : une
vieille ennemie qui n’a toujours pas disparu ». La lettre de l’infectiologue 1993,
nécrosante [34]. On peut recourir aussi au scanner ou à l’IRM pour 8 : 488-494.
détecter l’éventuelle nécrose des fascias, mais il est reproché à ces [4] Chapnick EK, Abter EI. Necrotizing soft-tissue-infections. Infect Dis Clin N
examens un manque de spécificité [35]. La biopsie des lésions suivie Amer 1996, 4 : 835-855.
[5] Swartz MN. Myositis. Principles and practice of infectious diseases. Mandell
d’une lecture rapide des coupes congelées paraît avoir une meilleure GL, Douglas RG, Bennett JE, Dolin R eds, Churchill Livingstone, New York,
valeur diagnostique; toutefois, la mise en œuvre de la technique 2000 : 1058-1066. 1990 : 812-818.
dans le cadre de l’urgence paraît difficile [36]. Finalement, si le doute [6] Elliott DC, Kufera JA, Myers RAM. Necrotizing soft tissue infections. Risk
factors for mortality and strategies for management. Ann Surg 1996, 224 :
persiste, l’exploration chirurgicale s’impose sans délai. 672-683.
L’identification du streptocoque A repose sur les hémocultures, [7] Bryant AE. Biology and pathogenesis of thrombosis and procoagulant acti-
positives dans près de 50 % des cas, et les prélèvements locaux beau- vity in invasive infections caused by group A streptococci and Clostridium
perfringens. Clin Microbiol Rev 2003, 16 : 451-462.
coup plus fréquemment positifs qu’au cours de l’érysipèle. Il est rare [8] Stevens DL, Musher DM, Watson DA, Eddy H, Hamill RJ, Gyorkey F, Rosen H,
que d’autres germes associés soient retrouvés. Mader J. Spontaneous, nontraumatic gangrene due to Clostridium septicum.
Rev Infect Dis 1990, 12 : 286-296.
[9] Stevens DL, Bryant AE, Adams K, Mader JT. Evaluation of therapy with hyper-
TRAITEMENT baric oxygen for experimental infection with Clostridium perfringens. Clin
Infect Dis 1993, 17 : 231-237.
Le traitement des fasciites streptococciques est médico-chirur- [10] Wang C, Schwaitzberg S, Berliner E, Zarin DA, Low J. Hyperbaric oxygen for
gical. Il est habituellement débuté sans certitude bactériologique si treating wounds. A systematic review of the literature. Arch Surg 2003, 138 :
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bien que ses modalités, au moins initiales, sont identiques à celles [11] Brook I, Frazier EH. Clinical features and aerobic and anaerobic microbiolo-
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Infections des parties molles 1063

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