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LE POINT SUR

Les blépharites infectieuses


Diagnostic et prise en charge
Dr Stéphan Fauquier*

purement antérieures) entraînent favorable.


Introduction fréquemment des inflammations
plus ou moins importantes de
En plus des atteintes palpébrales,
le Demodex est très vraisembla-
cette dernière. Dans ce dernier blement impliqué dans la rosacée.
Les blépharites infectieuses sont
cas, elles prennent souvent le pas On a remarqué que la population
des pathologies très fréquentes.
pour le patient, plus gêné par l’irri- de demodex augmente quand la
Elles peuvent être aiguës et anté-
tation oculaire que par l’atteinte température extérieure est élevée,
rieures type herpès, ou postérieures
palpébrale, et qui de plus ne s’en correspondant aux périodes où
dans le cas d’un chalazion isolé. Il
plaindra pas spontanément. la rosacée est souvent exacerbée
n’y a dans ce cas que rarement un
Souvent, l’atteinte infectieuse et elle semble également pouvoir
problème diagnostique ou théra-
palpébrale est torpide, mais suffi- augmenter en cas d’immunodé-
peutique.
sante pour générer une altération pression.
Une blépharite chronique pose en
du film lacrymal provoquant alors An niveau oculaire, D. folliculo-
revanche fréquemment des pro-
l’entrée dans le cercle vicieux rum est retrouvé dans les follicules
blèmes diagnostiques ou thérapeu-
inflammatoire de la sécheresse des cils signant sa présence par un
tiques, car l’étiologie est fréquem-
oculaire. engainement typique de la base
ment plurifactorielle.
des cils. D.brevis vit dans la glande
Elle peut également être reliée à une
sébacée annexée au cil et dans les
pathologie systémique type rosacée
LES BLÉPHARITES glandes de meibomius.
ou dermite séborrhéique. Ces deux
ANTÉRIEURES Leur rôle pathologique est débat-
dernières seront également abor-
tu, car on constate fréquemment
dées, car elles sont fréquemment à
BLÉPHARITES DEMODEX des patients “infestés” au niveau
l’origine de surinfections.
Les Demodex sont des acariens des cils et totalement asympto-
commensaux obligatoires des fol- matiques, néanmoins ses effets
licules pileux des mammifères. néfastes semblent clairement éta-

P
Deux espèces sont décrites chez blis (1).
our des raisons didactiques, l’Homme : Demodex folliculorum Les effets pathogéniques des
nous allons distinguer les retrouvé dans les follicules pileux Demodex sont probablement
blépharites antérieures et Demodex brevis, plus petit qui multiples (2), ils peuvent bloquer
des postérieures même si nous peut résider également dans les mécaniquement le follicule pileux
verrons que la frontière est assez glandes sébacées. Son cycle de vie et le canal sébacé générant hyper-
floue dans la réalité. de l’œuf au stade adulte dure entre plasie épithéliale, hyperkératini-
Les blépharites antérieures 14 et 18 jours. Les œufs sont dépo- sation et inflammation du follicule
touchent la peau des paupières sés dans les glandes sébacées pour pileux, des glandes de meibomus
et/ou les cils et l’on distingue clas- se transformer en larve puis en pro- ou sébacées. Les débris et les dé-
siquement les blépharites infec- tonymphe qui migre à l’ouverture chets qu’ils produisent peuvent
tieuses proprement dites et les d’un follicule pileux et mature en engendrer une réaction d’hyper-
blépharites séborrhéiques. deutonymphe puis devient adulte. sensibilité retardée ou auto-im-
Les blépharites postérieures On pense que le sébum est la source mune (3).
touchent le bord libre et les alimentaire principale de ce para- Le rôle pathogène potentiel de la
glandes de meibomius. site. Les larves sont très sensibles flore bactérienne associée n’est
Les paupières et la surface ocu- à la déshydratation et ne se trans- pas non plus à négliger. Il semble-
laire étant très étroitement liées, mettent que par contact direct. rait que le Demodex favorise en les
les blépharites chroniques (même Il est donc possible qu’un dysfonc- transportant la pénétration de la
tionnement meibomien favorise flore bactérienne dans les annexes
*Unité d’oculoplastique et de pathologies de la surface oculaire, leur prolifération par modification de la peau. Les super antigènes
centre Monticelli Paradis, Marseille
contact@dr-fauquier.fr de l’écosystème leur devenant plus produits par les staphylocoques et

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streptocoques peuvent être impli-


qués dans de nombreuses patholo-
gies et semblent jouer un rôle dans
l’induction de la rosacée (4).
Le rôle pathogène de Bacillus
olreanuis, bactérie symbiotique
vivant à l’intérieur des Demodex,
est également suspecté dans les
rosacées papulopustuleuses (5).
Il semblerait que le taux de D. brevis
soit plus élevé chez les patients dé-
veloppant des lésions cornéennes
associées à la blépharite (6). Figure 1 - Demodex.
Des patients présentant des signes
de blépharite, associés ou non à mius peut maintenant être réalisé, nant des extraits d’huile d’arbre à
une inflammation conjonctivale, pour les rares équipes qui en dis- thé (NaviBlef®) qui pourrait être
et traités avec succès pour dimi- posent, en microscopie confocale utile dans cette pathologie en trai-
nuer la présence de Demodex ont in vivo (10). tement adjuvant.
été nettement améliorés, ce qui On peut également recommander
tendrait à prouver leur rôle patho- Pour le traitement, la pommade au patient d’utiliser un shampoing
génique dans le cas de patients à l’oxyde mercurique, quand elle à l’huile d’arbre à thé à la fois pour
probablement intolérants. était tolérée par les patients, était le cuir chevelu, les sourcils et les
D. brevis pourrait également être très efficace, mais est maintenant paupières et le buste.
impliqué dans les cas de chalazions, interdite en Europe.
résistant à la fois en bloquant l’ori- Dans plusieurs publications, LA BLÉPHARITE SÉBORRHÉIQUE
fice des glandes et en générant une l’huile essentielle d’arbre à thé Il s’agit d’un dysfonctionnement
réaction inflammatoire de type serait efficace pour traiter ce para- des glandes annexes du follicule
granulomateuse (7-8). site (11-12). ciliaire. Les glandes de Ziess pro-
Les signes fonctionnels sont un L’effet par ailleurs antiseptique de duisant du sébum et les glandes de
prurit du bord libre des paupières, l’huile d’arbre à thé (13) ou l’utili- Moll, sudoripares, s’associent pour
plus rarement des douleurs ou sation d’antibiotiques type tétra- lubrifier les cils. Dans cette patho-
des brûlures. Des symptômes de cyclines sont également efficaces logie, les glandes ont une produc-
sécheresse oculaire peuvent être sur B. oleronius et pourraient ex- tion trop importante visible par
décrits ainsi que des atteintes cor- pliquer leur efficacité indirecte sur des croûtes jaunâtres sur les cils
néennes (9). les Demodex en tuant leurs bacté- (Fig. 2) plus ou moins associées à
À l’examen, on retrouve l’engai- ries symbiotiques. une inflammation du bord libre.
nement typique de la base des cils L’ivermectine, à raison de 2 trai- Elle peut accompagner une der-
avec des cils désorganisés (Fig. 1) et tements minute à 2 fois 6 mg, à mite séborrhéique ou une blépha-
parfois une inflammation du bord 14 jours d’intervalle semble égale- rite postérieure et peut facilement
libre, un dysfonctionnement mei- ment être efficace (14). se compliquer d’orgelet qui est la
bomien, une conjonctivite avec Mon expérience personnelle dans surinfection d’une glande de Zeiss.
une sécheresse oculaire par déficit ce dernier cas semble montrer des Le diagnostic est uniquement cli-
lipidique voire une kératite. résultats relativement mitigés. nique et le traitement consiste
Le diagnostic de cette parasitose Une autre étude associant iver- en l’absence de surinfection en
peut se faire soit de façon simple mectine à 200 μg/kg répété une de simples soins d’hygiène des
à la lampe à fente, les Demodex si- fois à une semaine et métroni- paupières grâce aux divers pro-
gnant leur présence par un engai- dazole 250 mg, trois fois par jour duits nettoyants mis à notre dis-
nement typique de la base des cils, pendant 2 semaines montre que position, éventuellement associés
soit par examen direct au micros- l’association est plus efficace que au chauffage et à la pression des
cope optique après épilation de l’ivermectine seule (15). paupières pour vider les glandes
cils. Enfin, l’examen des follicules Il existe en France une mousse et limiter l’évolution vers une blé-
ciliaires et des glandes de meibo- nettoyante pour paupières conte- pharite postérieure qui reste fré-

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Figure 2 - Blépharite séborrhéique. Figure 3 - Blépharite staphylococcique.

quente dans cette pathologie avec voie locale ou générale sont clas-
une évolution vers une sécrétion siquement inefficaces dans cette
épaisse entraînant une meibomite pathologie sur le plan cutané,
pouvant se compliquer de chala- mais sont indiquées pour traiter
zions. l’atteinte palpébrale quand elle est
Concernant la dermite sébor- postérieure.
rhéique, c’est un dysfonction-
nement chronique, plus qu’une LES BLÉPHARITES ANTÉRIEURES
maladie, de l’adulte d’âge moyen à BACTÉRIENNES
prédominance masculine. Elle se Les germes les plus souvent en
traduit par un accroissement de cause sont ceux de la flore com-
la production de sébum là où elle mensale : Staphylococcus epider-
prédomine à savoir le cuir chevelu, midis et S. aureus, Streptococcus
la partie médio-faciale et le buste. β-hémolitique et les Pseudomonas
Comme nous l’avons vu, elle peut mais on peut aussi retrouver en
entraîner une blépharite anté- association Corynebacterium et Figure 4 - Orgelet.
rieure et/ou postérieure qui peut Propionebacterium.
fréquemment se surinfecter. Leur rôle pathogénique est soit des graisses (Fig. 5). Cette mousse
De plus, Malassezia furfur est direct avec une infection patente peut être également visible en
impliquée dans la réaction inflam- ou simplement indirect par libéra- appuyant sur le tarse et sortant
matoire cutanée qui accompagne tion de toxines qui peuvent irriter des glandes de meibomus dans le
la dermite séborrhéique (16-17). Il la conjonctive, et/ou de lipases qui cadre d’une blépharite postérieure
s’agit d’une levure à tropisme cuta- vont déstabiliser le film lipidique (Fig. 6). On retrouve fréquemment
née pour laquelle le sébum est un lacrymal et provoquer l’entrée associée une petite hyperhé-
excellent milieu de culture. dans le cercle vicieux de la séche- mie prédominant au niveau des
Le traitement de la blépha- resse oculaire. conjonctives tarsales et plutôt de
rite séborrhéique non infectée Cliniquement, les signes fonction- type folliculaire.
consiste essentiellement en des nels sont d’intensité variable al- Une kératite inférieure peut être
soins d’hygiène de paupières en lant d’une simple irritation palpé- présente, provoquée par la séche-
chauffant les glandes de zeiss et brale à une blépharoconjonctivite. resse oculaire et/ou la libération
de meibomus grâce à des masques On peut retrouver à l’examen au d’acides gras libres lors de la sapo-
ou des lunettes chauffantes, sui- niveau des cils des croûtes fines nification des graisses qui peuvent
vis de pressions sur les paupières avec parfois de mimines saigne- avoir un effet toxique pour l’épi-
puis d’un nettoyage avec des gels ments, des cils collés, brisés ou dé- thélium cornéen superficiel.
émollients. Il faudra adresser le saxés (Fig. 3), allant parfois jusqu’à Des infiltrats catarrhaux corres-
patient au dermatologue qui met- une madarose. pondant à une réponse auto-im-
tra en place le traitement local et L’orgelet est l’infection d’une mune à la présence de ces germes
général adapté en fonction de la glande de Zeiss (Fig. 4). peuvent également se voir.
sévérité de l’atteinte cutanée et Au niveau de la rivière lacrymale, Cette blépharite peut en outre
palpébrale (18). on peut voir sur le bord libre un as- compliquer une blépharite sébor-
Les cyclines et les macrolides par pect mousseux par saponification rhéique, une blépharite posté-

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Figure 5 - Mousse dans la rivière lacrymale.

Figure 7 – Herpès.

Figure 6 - Mousse sortant de l’orifice d’une glande


à la pression.

Figure 9 - Herpès cornéen cortisoné. Figure 8 - Herpès palpébral cortisoné.

rieure ou un eczéma palpébral. thérapie per os (pyostacine, bris- compagné de vésicules jaunâtres
Le diagnostic est donc le plus sou- topène ou augmentin) peut être (Fig. 7) qui vont ensuite sécher avec
vent clinique et les prélèvements nécessaire. des croûtes.
bactériologiques ne sont néces- Dans le cas d’un orgelet il faudra L’atteinte peut être isolée et par-
saires qu’en cas de mauvaise ré- épiler le cil et vider le micro abcès fois récurrente. Elle peut aussi
ponse au traitement. par une simple pression puis ap- compliquer un terrain fragilisé
Celui-ci consiste en des soins pliquer une pommade fucithalmic. comme cette patiente qui souf-
d’hygiène palpébrale par gels frait d’eczéma chronique touchant
émollients associés à des cures LES BLÉPHARITES les paupières qui s’est compliqué
locales d’antibiotiques, les deux VIRALES d’un herpès malheureusement
molécules les plus utilisées actuel- Les plus fréquentes sont celles se- cortisoné. L’atteinte palpébrale
lement sont l’acide fucithalmic qui condaires à l’herpès, au zona et au et conjonctivo-cornéenne a alors
a un spectre limité aux staphylo- Molluscum contgiosum. était sévère (Fig. 8 et 9).
coques sensibles évitant ainsi de Hormis ces cas nécessitant un
trop sélectionner de germes, et ❚ L’atteinte herpétique traitement par aciclovir en perfu-
l’azythromicine qui a un spectre Elle est généralement facile à re- sion, l’atteinte herpétique palpé-
plus large. connaître avec les brûlures et l’as- brale classique ne nécessite qu’un
Dans les cas sévères, une antibio- pect de placard inflammatoire ac- traitement par aciclovir ou vala-

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Figure 10 - Molluscum. Figure 11 - Pthirus pubis.

ciclovir per os et aciclovir topique avec une minuscule vésicule dont pèces sont visibles à la lampe à fente
pendant une semaine à dix jours. le centre est ombiliqué (Fig. 10). à fort grossissement. Pthirus pubis
Elles sont en général isolées sans est plutôt trapu avec un abdomen
❚ L’atteinte zostérienne caractère inflammatoire en péri- de forme globuleuse avec de larges
Il s’agit de la réactivation du virus phérie. L’autocontamination est griffes (il est comparé à un crabe)
varicelle zona qui dans notre cas fréquente. An niveau des pau- alors que Pediculus capitis est plus
correspondra au métamère du nerf pières, l’aspect peut être trompeur fin avec un abdomen allongé et de
trijumeau V1 (front, paupière supé- avec une lésion de grande taille petites griffes. Le cycle de vie est de
rieure conjonctive, pli nasogénien, d’aspect non spécifique pouvant 21 jours avec des lentes accrochées
aile et pointe du nez). Les patients faire suspecter un basocellulaire aux cils et des adultes hémato-
généralement concernés sont les ou un trichoépithélium. phages fixés par leurs griffes entre
sujets âgés et/ou immunodéprimés. La conjonctive peut être aussi tou- les cils (Fig. 11).
Les prémisses classiques sont des chée de façon unie ou bilatérale Les traitements possibles au ni-
sensations de brûlure dans le méta- et le diagnostic devient plus diffi- veau palpébral sont soit l’extrac-
mère concerné. Puis apparaissent cile en cas d’atteinte conjonctivale tion à la pince, fastidieuse selon
une inflammation cutanée et des lé- pure. L’aspect est celui d’une pro- le nombre de lentes et de poux,
sions ulcératives suintantes laissant lifération importante ressemblant mais bien efficace, et/ou la vase-
place à des croûtes qui disparaissent un peu à une dysplasie papilloma- line en pommade officinale matin
en 2 à 4 semaines. Une petite dépig- teuse. L’aspect prolifique se voit et soir pendant 3 semaines qui agit
mentation est parfois visible. surtout sur des patients immu- à “l’étouffade” ou la fluorescéine à
L’atteinte oculaire, quand elle est nodéprimés, mais pas seulement. 20 % qui détruirait tous les para-
présente, ressemble beaucoup à Dans ce cas, le diagnostic est sou- sites en une seule application (21) !
l’herpès. vent fait par l’anatomopathologiste. Pour le reste du corps, car non uti-
Le traitement est le même que Le traitement des lésions cutanées lisable sur les paupières, on peut
l’herpès avec aciclovir ou valaci- va du simple curetage de la vési- utiliser soit un produit asphyxiant
clovir par voie générale et locale. Il cule à idéalement une photocoa- les adultes et les lentes, soit des
est important de traiter le plus tôt gulation (19). insecticides.
possible ce qui tendrait à limiter le Le déméticone à 4 % est un as-
problème des douleurs post zosté- LES BLÉPHARITES PARASITAIRES phyxiant, utilisé seul ou associé
riennes. Outre le Demodex dont nous à des produits potentialisant son
avons parlé on peut également se effet (gamme Pouxit®). Assez effi-
❚ L’atteinte par retrouver confronté à une pthi- cace, il présente plusieurs avan-
Molluscum contagiosum riase cilaire, soit par Pediculus ca- tages : utilisable dés 6 mois et chez
Elle touche préférentiellement pitis soit par Pthirus pubis. Il s’agit la femme enceinte, il ne génère
les enfants, mais les adultes de deux arthropodes cousins l’un pas de résistance, ce qui est le gros
peuvent également présenter de l’autre qu’il est important de inconvénient des produits anti-
soit une primo-infection soit pouvoir différentier, car leur prise parasitaires comme le mélathion
des récurrences, surtout en cas en charge annexe n’est pas exacte- (Prioderm®), le plus utilisé en
d’immunodépression. ment la même (20). France, et qui est un insecticide
L’aspect est relativement typique Les différences entre les deux es- organophosphoré.

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Figure 13 - Blépharite purulente mixte.

Figure 12 - Rosacée.

Figure 15 - Bouchon sur l’orifice de glandes. Figure 14 – DGM pâte dentifrice blanche.

Pour les deux il faut faire des trai- tion des glandes de meibomius qui d’une dermite séborrhéique.
tements tous les 8 jours jusqu’à survient dans deux cadres nosolo- Nous avons vu dans le paragraphe
disparition complète des poux et giques très voisins. concernant les Demodex leur rôle
des lentes et en peignant les che- dans la rosacée, particulièrement
veux avec un peigne anti-lente. Il Dans le premier cas, il survient au niveau palpébral et oculaire.
faudra examiner et traiter l’entou- dans le cadre d’un dysfonctionne- Contrairement à la dermite sébor-
rage, ainsi que s’occuper des vête- ment des glandes de meibomius rhéique, la rosacée ne touche que
ments et de la literie (insecticide et (DGM) isolé, qui va durer plu- la partie médio-faciale (Fig. 12). Les
lavage 30 min à 60 °C + repassage). sieurs mois à plusieurs années. Il femmes sont deux fois plus tou-
Dans le cas de Pthirus pubis il est touche surtout les jeunes enfants, chées que les hommes et sa phy-
considéré comme maladie sexuel- parfois dès l’âge d’un an, mais peut siopathologie n’est pas encore bien
lement transmissible nécessitant survenir à tout âge y compris chez connue. Elle résulte probable-
donc un bilan complet. l’adulte. Il n’y a dans ce cas aucun ment de l’association de facteurs
Cette prise en charge ne se fait natu- antécédent familial et aucun signe génétiques et environnementaux.
rellement pas uniquement par l’oph- de rosacée et il ne s’agit pas d’une Cliniquement, on retrouve des
talmologiste, mais nécessite d’adres- rosacée oculaire pure. Les patients télangiectasies du bord libre et à la
ser le patient à un dermatologue et souffrent de chalazions à répé- pression du tarse le meibum appa-
d’en informer le médecin traitant. tition touchant les quatre pau- raît anormal, pouvant aller d’une
Si un enfant est touché, il faudra pières. La sécrétion de meibum y sécrétion granuleuse abondante
aussi prévenir l’école. est généralement extrêmement jaune plus ou moins épaisse et pu-
compacte. À la pression forte, on rulente (Fig. 13) à de la pâte blanche
retrouve un “vermicelle” blanc et type dentifrice (Fig. 14). Les glandes
LES BLÉPHARITES compact. sont fréquemment bouchées soit
POSTÉRIEURES Dans le second cas, nous sommes par des bouchons de cire visibles
Il s’agit dans ce cas de la surinfec- dans le cadre d’une rosacée, ou sur l’orifice de la glande soit par

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LE POINT SUR

Figure 17 - Chalazion + blépharite antérieure mixte.

Figure 16 - Bouchons + saponification.

Figure 18 - Meibographie Lipiview®.

Figure 19 - Glandes atrophiées par rétro-illumination.

des bouchons situés juste avant L’examen clinique peut être com- peut tenter de ne pas donner les
l’orifice (Fig. 15). On peut retrouver plété par une analyse précise de la cures per os et de ne les introduire
la mousse signant la saponifica- qualité du film lacrymal par inter- qu’en cas d’inefficacité). Elles
tion des graisses (Fig. 16) et la pré- férométrie et le contrôle anato- seront stoppées dès les paupières
sence associée de Demodex (Fig. 17). mique des glandes par meibogra- bien stabilisées, mais reprises au
Si l’obstruction et l’inflammation phie (Lipiview®) (Fig. 18). moindre signe inflammatoire.
durent, elles vont aboutir à des Si l’on ne dispose pas de ce maté- 3) La vidange manuelle des glandes
chalazions et à une atrophie pro- riel, un simple rétro illuminateur de meibomius par chauffage (gant,
gressive irréversible des glandes permet déjà de voir une atrophie compresses, masques ou lunettes
de meibomius. (Fig. 19). chauffantes) (Fig. 20) puis par pres-
On comprend donc que, globale- Dans la rosacée et le DGM isolé, le sion est essentielle, le problème
ment, dans la rosacée, la séche- traitement est le même, sauf qu’il est sa réalisation, surtout pour les
resse oculaire est obligatoire. À sera chronique dans le cas de la jeunes enfants.
noter également une fréquence rosacée, et comporte 3 volets : Un appareil automatisé de chauf-
un peu supérieure d’allergie avec 1) Des cures per os de macrolides, fage et vidange des glandes est
environ 30 % de cas contre 20 % azythromicine préférentiellement maintenant disponible (Lipi-
dans la population “normale”. par cures mensuelles (parfois flow®) (Fig. 21), mais est relative-
Dans des cas plus sévères, l’at- bimensuelles au début) de 3 à 10 ment couteux et il n’existe à ce jour
teinte devient en plus la surface jours (locale ou pers os), ou d’éry- en France que sept appareils.
oculaire allant de la simple inflam- thromycine que personnellement
mation conjonctivale à la kératite je n’utilise qu’en cas d’intolérance La vidange des glandes sera suivie
inflammatoire puis à des ulcères à l’azythromicine, car nécessitant d’un nettoyage des yeux par un
catarrhaux généralement asep- des cures de 4 semaines sans que produit de rinçage et par un net-
tiques. Plus exceptionnellement, les résultats soient meilleurs. toyage des paupières et des cils par
on peut voir des phlyctènes qui 2) Des cures locales, soit de 7 à des gels nettoyants ou compresses
sont pathognomoniques. 10 jours d’acide fucithalmique, soit préimprégnées.
Rare, mais également possible, la de 3 jours d’azythromicine collyre,
rosacée peut entraîner des épis- mensuelles ou bimensuelles au Dans des cas où il y a une atteinte
clérites ou des sclérites. début (et dans ce dernier cas on de la surface oculaire ou à la phase

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initiale du traitement, une cortico-


thérapie locale est indiquée, mais
jamais au long court ou à répéti-
tion, car la cortisone à elle seule
peut créer une rosacée cortico-in-
duite et donc finir par l’aggraver
(en plus des effets délétères d’un
usage prolongé).
Dans les cas de rosacée avec in-
flammation et atteinte cornéenne
corticodépendante, la ciclospo-
rine collyre (plutôt 2 % pour les
formes hospitalières) est égale-
ment indiquée. Figure 20 - Lunettes chauffantes Bléphasteam.

On doit aussi conseiller au patient


de limiter autant que possible
certains aliments : chocolat, café,
boissons alcoolisées (toutes),
épices (poivre, piment, moutarde),
boissons et plats très chauds, to-
mate cuite (coulis, pizza, ketchup),
charcuteries grasses, ail, agrumes,
vinaigre.

La fréquence des cures est ensuite


adaptée pour chaque patient en
essayant de trouver l’espace le plus
long possible sans décompensa-
tion.
Figure 21 - Traitement des glandes par Lipiflow®.
Rappelons que dans le cadre d’une
rosacée ou d’une dermite sébor-
rhéique il sera préférable d’adres- matoires qui non diagnostiquées
ser le patient à un dermatologue et non traitées vont devenir de
pour la mise en place des traite- plus en plus sévères et se chroni-
ments cutanés nécessaires. ciser.
À l’examen, on retrouve un DGM
LA KÉRATO-CONJONCTIVITE avec souvent des bouchons de cire
PHLYCTÉNULAIRE sur l’orifice des glandes.
Une entité particulière est la kéra- Il y a une kératite plutôt inférieure
to-conjonctivite phlycténulaire qui se complique rapidement d’un
touchant quasiment exclusive- appel vasculaire au départ infé-
ment les enfants. rieur (Fig. 23) qui va progressive-
Dans les 3/4 des cas, l’atteinte est ment devenir circonférentiel.
Figure 22 – KCV avec DGM et phlyctènes.
unilatérale. À l’interrogatoire, Le signe pathognomonique, mais
l’enfant a présenté par le passé des pas toujours visible de cette pa-
chalazions à répétition, mais le thologie est le phlyctène (Fig. 24). Ils lyre ou per os donne d’excellents
plus souvent il n’en fait plus. sont visibles sur la conjonctive et résultats (22).
Parfois il y a des antécédents fami- sur la cornée plutôt périphérique
liaux de rosacée et certains de ces et inférieure.
enfants auront une rosacée à l’âge Le principe du traitement est CONCLUSIONS
adulte. exactement le même que pour la La prise en charge des blépharites
Les signes fonctionnels sont une rosacée en sachant que l’on n’uti- nécessite un examen palpébral et
photophobie de plus en plus im- lise pas les cyclines avant l’âge de oculaire soigneux qui permettra
portante et des poussées inflam- 8 ans, mais l’azythromycine col- de faire un diagnostic précis alors

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LE POINT SUR

Figure 23 – KCV appel vasculaire inférieur. Figure 24 – Phlyctènes.

Figure 25 – KCV avant traitement. Figure 26 – KCV après 4 mois de traitement.

que les signes fonctionnels : irri- Mais bien diagnostiqué et bien va nécessiter des soins au long court
tations, brûlures, démangeaisons traité, l’ensemble des blépharites ce qui peut parfois poser des pro-
palpébrales et oculaires sont peu infectieuses est assez facilement blèmes de démotivation tant du côté
spécifiques. contrôlable avec les thérapeu- du patient que du médecin… n
Diverses pathologies peuvent tiques dont nous disposons.
s’associer, nécessitant une prise Cependant, dans de nombreux cas,
Mots-clés : Blépharites infec-
en charge globale pour ne pas se l’ophtalmologiste et le patient sont
tieuses, Demodex, Herpès, Chalazion
retrouver en échec thérapeutique. face à une pathologie chronique qui

BIBLIOGRAPHIE
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