Vous êtes sur la page 1sur 8

• • • • • • • •

Parasitoses intestinales
méconnues
Objectifs pédagogiques Mondiale du Tourisme estime à 700
millions le nombre de voyages trans- O. BOUCHAUD
— Connaître l’épidémiologie des frontaliers par an dans le monde. En (Bobigny)
parasitoses rares ; 1950, ces mouvements internationaux
— Connaître leur tableau clinique ; étaient estimés à 25 millions ; en 2020,
ils seront 1,5 milliard (croissance
— Savoir prescrire les examens complé-
annuelle de 4,3 %). En France, ce sont
mentaires utiles ;
près de 4,5 millions de personnes qui Sans reprendre la complexité de cer-
— Connaître leur traitement curatif. vont séjourner tous les ans en zone tains cycles parasitaires dont certains
— Connaître les recommandations ou tropicale [1, 2] ; b) Les migrants repré- font appel à 2 voire 3 hôtes intermé-
traitements préventifs. sentent la deuxième population à diaires, rappelons que les parasites sont
risque en raison de leurs conditions de issus de 2 grands groupes, les proto-
vie difficiles dans leur pays d’origine zoaires (unicellulaires) et les méta-
Introduction et rappels (les migrations pour raison économique zoaires (pluricellulaires). En patholo-
expliquent 90 % des phénomènes gie humaine, les métazoaires existent
Les parasitoses intestinales (PI), d’une migratoires) et de leur parcours migra- surtout par les helminthes (parasites
banalité absolue dans le monde en toire parfois très « aventureux » ; c) Les sous forme de vers) dont la particula-
développement (l’ascaridiose affecte le patients immuno-déprimés représen- rité est d’avoir un cycle en 2 phases
quart de la population mondiale), sont tent une troisième population, notam- qui vont être responsables de consé-
devenues relativement rares dans les ment ceux exprimant des parasitoses quences physiopathogéniques très
pays industrialisés et par conséquent, opportunistes volontiers responsables différentes notamment dans le cadre
de moins en moins bien connues. de tableaux sévères ; d) Enfin, les des PI. Ainsi, la phase larvaire va
Pourtant, elles sont non seulement loin enfants (parfois aussi les personnes être paradoxalement responsable de
d’être exceptionnelles, mais la mon- âgées) vivant en collectivité posent tableaux parfois très sévères alors que
dialisation devrait logiquement entraî- régulièrement des problèmes de traite- les manifestations cliniques au stade
ner une augmentation des situations ment de certaines PI. adulte du parasite sont en général
où généralistes ou gastro-entérologues bénignes et même très souvent asymp-
vont se retrouver face à un problème tomatiques [3].
Dans ce qui va être développé ci-
de diagnostic ou de traitement de ces dessous, certains lecteurs seront peut En matière de PI, le diagnostic positif
parasitoses. être surpris des changements de ter- va reposer essentiellement sur la visua-
Même si n’importe quel résident fran- minologie. Ils sont liés à une volonté lisation du parasite à l’examen micro-
çais peut contracter de façon occa- d’homogénéisation par rapport aux scopique direct des selles (examen
sionnelle une PI, on peut identifier terminologies internationales. Ainsi parasitologique des selles (EPS) par-
4 populations particulièrement à les parasitoses finissant par « ase » ont fois après concentration (par exemple
risques : a) Les voyageurs et expatriés, maintenant une terminaison en « ose » technique de Baermann pour la stron-
notamment ceux séjournant dans des (ascaridiase ➞ ascaridiose ; amibiase gyloïdose/anguillulose), cultures ou
conditions aventureuses ou proches ➞ amoebose). Par ailleurs, la lambliase techniques spécifiques. Pour une ren-
des populations locales sont les pre- « n’existe plus » et ne devrait plus tabilité optimum, trois règles sont à
miers concernés du fait de l’augmen- s’appeler maintenant que giardiose. De respecter : 1) examen « à chaud » des
tation spectaculaire des voyages inter- même, les bilharzioses devraient main- selles, certains protozoaires (amibes,
continentaux. En effet, l’Organisation tenant s’appeler schistosomoses. giardia) étant très fragiles, ce qui
impose une émission des selles au labo-
ratoire avec examen immédiat; 2) répé-
tition des examens (3 à quelques jours
Tirés à part : Olivier Bouchaud, Service des maladies infectieuses et tropicales, d’intervalle) ; 3) signalement au bio-
hôpital Avicenne, 125 rue de Stalingrad, 93009 Bobigny. logiste si l’on pense à un parasite inha-

59
• • • • • • • •

bituel pour bénéficier des techniques molécules nouvelles sont apparues Principales situations
spécifiques (cyclospora, cryptospori- (ivermectine, nitazoxanide, triclaben-
die, microsporidie, …) [3]. La visuali- dazole, …), d’autres ont vu leur spectre où une PI
sation de cristaux de Charcot Leyden d’indications s’étendre de façon parfois peut/doit être évoquée
(cristallisation de produits de dégra- étonnante (ivermectine, albendazole,
dation des polynucléaires éosinophiles) …). En pratique, dans le cadre des para-
est un élément en faveur de la pré- sitoses digestives et notamment intes- Retour d’un séjour
sence d’un helminthe (mais d’autres tinales, on peut résoudre la majorité en zone tropicale
hypothèses sont possibles comme une des situations cliniques avec 4 anti-
allergie alimentaire). Par contre, dans parasitaires : le métronidazole, l’iver- DIARRHÉE AVEC SYNDROME
les PI, les sérologies sont d’un intérêt mectine, l’albendazole et le prazi- DYSENTÉRIQUE
limité. quantel [3].
Deux parasitoses peuvent être évo-
L’hyperéosinophilie a une valeur pré- Pour aborder la question posée de quées. L’amoebose (amibiase) intesti-
somptive du diagnostic de PI impor- façon concrète et pragmatique, nous nale, présente dans tout le monde tro-
tante dans un contexte évocateur bien nous sommes efforcés d’évoquer les pical mais devenue relativement rare
que cela soit limité aux helminthoses. différentes situations où un gastro- chez le voyageur, donne des tableaux
Sa définition doit être bien connue pour entérologue peut être confronté à très variés allant du syndrome dysen-
éviter de partir sur de fausses pistes : une PI. C’est cette logique qui servira térique classique avec sang dans les
elle se définit par une valeur absolue de fil guide pour la suite. Pour rester selles à des tableaux non spécifiques.
de polynucléaires éosinophiles à plus dans l’esprit d’un texte synthétique, Il n’y a pas ou peu de fièvre. Dans ce
de 500 /mm3. Elle est d’autant plus éle- seuls les points importants pour contexte, le principal diagnostic
vée que l’helminthe est en phase lar- la pratique clinique seront évoqués. différentiel est la shigellose. La séro-
vaire, pouvant aller jusqu’à 10 Le tableau I résume ces différentes logie est souvent négative. Une cure
000/mm3 [4]. Il ne faut cependant pas situations et le tableau II synthétise d’Intétrix (amoebicide de contact) est
perdre de vue que l’hyperéosinophilie les principales données à connaître. recommandée en complément du
n’est pas spécifique des parasitoses. Pour plus d’informations sur les PI métronidazole pour éviter les récidives
Ces dernières années, les antiparasi- citées on peut consulter les références (persistance de kystes dans la lumière
taires ont beaucoup évolué. Certaines 3 et 5. intestinale) [3, 5].

TABLEAU I
PRINCIPALES SITUATIONS OÙ UNE PARASITOSE INTESTINALE PEUT ÊTRE ÉVOQUÉE

Diarrhée avec syndrome dysentérique amoebose, balantidiose


Diarrhée chronique giardiose, amoebose, cyclosporose, cryptosporidiose,
microsporidiose, isosporose, strongyloïdose,
Voyageurs au retour distomatoses intestinales
de zone tropicale Signes généraux avec signes digestifs ankylostomose, ascaridiose, strongyloïdose
(primo-invasion) (anguillulose), schistosomoses (bilharziose),
trichinellose, toxocarose,…
Tableau dyspeptique giardiose, téniase, ascaridiose, ankylostomose
Dépistage systématique souhaitable à l’arrivée Toutes les parasitoses et notamment strongyloïdose
et schistosomoses
Migrants
Dyspepsie, diarrhée, hépatopathie, hyperéosinophilie giardiose, amoebose, ankylostomose, ascaridiose,
schistosomoses, strongyloïdose, téniase,
distomatoses intestinales
Diarrhée et déficit immunitaire giardiose, cryptosporidiose, microsporidiose,
isosporose, cyclosporose
Tableau de primo-invasion d’helminthose trichinellose, toxocarose
Pas de séjour en zone tropicale Signes généraux sévères et troubles digestifs anguillulose (strongyloïdose) maligne ou disséminée
avec immuno-dépression
syndrome pseudo-occlusif ou pseudo-ulcéreux anisakidose (anisakiase)
Enfants en collectivité oxyurose, giardiose
– 15 à 20 cm : ascaris (émission par les selles ou vomissements)
Visualisation (parfois fortuite) – 1 à 5 cm : ankylostome, trichocéphale, anisakis (endoscopie)
de vers (à l’œil ou endoscope) – < 1 cm : oxyure, Capillaria philippinensis (marge anale ou endoscopie)
– anneaux plats : ténia, bothriocéphale (marge anale, sous-vêtements)
découverte fortuite cysticercose, dracunculose, filariose, hydatidose, porocéphalose
de calcifications abdominales

60
• • • • • • • •

TABLEAU II
PRINCIPALES NOTIONS À RETENIR POUR LA PRATIQUE DANS LES PARASITOSES INTESTINALES

Traitement
Parasitose Pop. à risque1 Dtic2 HE3 Particularités
et posologie (adulte)

Protozooses
– amoebose voy, mig EPS+ non métronidazole 500 mgx3/j/7j + Intétrix 2gelx2/j/10j

– cryptosporidiose ID, voy, mig EPS non 0 nitazoxanide ??

– cyclosporose voy, ID EPS non cotrimoxazole (Forte) particulièrement fréquent


2 à 4 cp/j/ 7 à 10 j au Népal, Pérou, Haïti, Russie

– giardiose voy, mig, enf EPS+ non métronidazole 2e cure à J15 surtout
250 mgx3/j/5 à 7 j chez les enfants

– isosporose voy,mig, ID EPS non cotrimoxazole (Forte) traitement d’entretien


2 à 4 cp/j/ 7 à 10 j à 1/2 dose si ID

– microsporidiose ID, voy EPS non 0 ou fumagilline ? nitazoxanide ?

Helminthoses
– ankylostomose voy, mig EPS oui albendazole 400 mg HE3 plus élevée
3 jours de suite si stade larvaire

– anisakidose (anisakiase) tout venant endo- +/- ablation de la larve consommation de poisson cru
scopie ou fumé ; intérêt
séro de l’albendazole ?

– ascaridiose voy, mig EPS oui albendazole 400 mg Sd de Loeffler possible


3 jours de suite en phase d’invasion

– distomatoses intestinales mig, voy EPS +/- praziquantel 40 mg/kg rare ; surtout si séjour en Asie
en 1 prise

– oxyurose enf EPS +/- albendazole 400mg ou 200 Traiter tous les sujets contacts
si < 2ans 1 à 3 j

– schistosomoses mig, voy EPS oui praziquantel 40 mg/kg Sd d’invasion chez voy ;
séro en 1 prise phase d’état chez mig

– strongyloidose voy, mig, ID EPS oui ivermectine 4 cp infection persistante


(anguillulose) séro en 1 prise (200 µg/kg) jusqu’à 30 ans
(cycle d’auto-infestation) ;
risque de forme maligne si ID

– téniases voy, mig EPS +/- praziquantel 10 (à 20) mg/kg HE3 faible à nulle ;
risque de cysticercose
avec larve de T. solium

– toxocarose voy, tout venant séro oui albendazole, Parasite du chien/chat


diéthylcarbamazine en impasse parasitaire,
cosmopolite ; TTT mal codifié

– trichinellose voy, tout venant séro oui albendazole 15 mg/kg/j possible en France
10 à 15 j si épidémie locale
1. principales populations à risque : voyageur : voy ; migrant : mig ; immunodéprimé : ID ; enfants en collectivité : enf ; tout venant : toute personne vivant en
France
2. diagnostic : examen parasitologique des selles (3 à quelques jours d’intervalle) : EPS ; selles émises au laboratoire = EPS+; sérologie : séro
3. HE : hyperéosinophilie (> 500 polynucléaire éosinophiles/mm3)

La balantidiose (Balantidium coli) ridiose, isosporose sont possibles et particulièrement observée chez des
est rare, rencontrée surtout dans les donnent des diarrhées pas ou peu voyageurs revenant du Népal, Pérou,
zones d’élevage de porcs. Sa patho- fébriles, rarement abondantes. A côté Haïti et Russie [6]. Les quinolones
génie est discutée mais il semble que de la classique mais fréquente (notam- et peut être le nitazoxanide sont
dans certains cas (infestation mas- ment en Russie et tout particuliè- des alternatives au cotrimoxazole
sive ?), un syndrome dysentérique soit rement St Petersbourg) giardiose proposé en première intention ; b)
possible [3]. (ex-lambliase) et de l’amoebose, 4 pro- Cryptosporidiose et microsporidiose
tozooses dites émergentes doivent être ne disposent pas de traitement validé
DIARRHÉE CHRONIQUE NON SPÉCIFIQUE
connues même si elles restent relati- en dehors du nitazoxanide non dis-
Giardiose, amoebose mais aussi cyclo- vement rares [6, 7] : a) La cyclospo- ponible en Europe et incomplètement
sporose, cryptosporidiose, microspo- rose (Cyclospora cayetanensis) a été évalué.

61
• • • • • • • •

La fréquence des causes parasitaires d’une hyperéosinophilie ; 4) chez les reconnu efficace, la fumagilline (micro-
souvent méconnues justifie (ainsi que patients fragilisés, polypathologiques sporidiose) et le nitazoxanide (crypto-
d’autres étiologies sensibles à ces molé- ou immunodéprimés (recherche de sporidiose, microsporidiose) n’ayant
cules), après l’exploration parasito- protozooses surtout) [3, 9]. pas encore apporté toutes les preuves
logique des selles, un traitement empi- d’efficacité [10, 11].
rique associant simultanément ou
Migrants SIGNESGÉNÉRAUX AIGUS
consécutivement métronidazole, cotri-
Tout migrant arrivant dans un pays AVEC MANIFESTATIONS DIGESTIVES
moxazole +/- quinolones [8].
industrialisé devrait bénéficier d’une Trois situations très diverses peuvent
SIGNES GÉNÉRAUX AVEC SIGNES
recherche de PI à titre systématique.
DIGESTIFS COMPATIBLES
révéler une PI avec ce type de tableau :
Les conditions d’hygiène dans le pays
AVEC UNE PRIMO - INVASION – Tableau évocateur de primo-inva-
d’accueil ne permettant pas en règle
Les PI liées à des helminthoses à cycle générale des réinfections, le dépara- sion d’helminthose (voir ci-dessus) :
larvaire tissulaire peuvent entraîner sitage même sur une parasitose chez des personnes n’ayant pas
dans les semaines suivant la contami- asymptomatique est souhaitable. voyagé, 2 parasitoses autochtones
nation, des tableaux parfois bruyants C’est particulièrement important à expression parfois digestive sont
(notamment dans les infestations pour 2 parasitoses : la strongyloïdose à considérer [3] : a) La toxocarose est
massives) liés à la migration larvaire (anguillulose) en raison du risque une helminthose du chien et du chat
(syndrome d’invasion). Il s’agit de même très à distance de forme maligne en impasse parasitaire ce qui
signes de la lignée allergique qui (voir ci-dessous) et les schistosomoses entraîne une errance des larves
s’associent de façon variable (fièvre, (notamment digestives) en raison du (larva migrans) dans l’organisme
urticaire ou érythème, asthme – syn- risque de poursuite à bas bruit de l’évo- (dont la sphère digestive). Elle se
drome de Loeffler –, douleurs abdo- lution fibrosante du foie (la longévité contracte par voie orale. Le tableau
minales et troubles digestifs voire des femelles permet une ponte active peut être très bruyant, les antipara-
choc). L’hyperéosinophilie est dans ce de nombreuses années après la der- sitaires (Tableau II) ayant de la peine
cas constante et élevée. C’est le cas nière infestation). En pratique, ce bilan à faire la preuve de leur efficacité ;
notamment de l’ascaridiose, la trichi- systématique devrait comporter pour b) La trichinellose, également cos-
nellose, la toxocarose, l’ankylostomose, ce qui est des PI un à trois EPS et une mopolite, se contracte principale-
la strongyloïdose (anguillulose), les sérologie bilharziose. Bien évidem- ment par consommation de viande
schistosomoses… Les trois dernières ment, tout signe clinique ou biologique crue ou mal cuite (cheval, porc, …).
parasitoses citées sont liées à des (dyspepsie, diarrhée aiguë ou chro- Elle survient surtout par bouffée épi-
contacts cutanées (marche pieds nus nique, signes d’hépatopathie, hyper- démique. Le tableau, survenant rapi-
ou dans l’eau) avec l’eau ou la terre éosinophilie) doit déclencher un bilan dement après l’ingestion de viande
humide, les trois premières au péril parasitologique comprenant au mini- contaminée, est parfois très bruyant
féco-oral [3, 5]. mum 1 à 3 EPS, le bilan sérologique avec en dehors d’une diarrhée et des
étant orienté par les signes d’appel et douleurs abdominales, des signes de
TABLEAU DYSPEPTIQUE
la provenance du patient [3]. la lignée allergique et notamment,
Cette sensation fréquente chez le voya- un œdème du visage. Même si le
geur au retour doit faire évoquer la bénéfice de l’albendazole n’a pas été
possibilité de PI pauci-symptomatiques Patient n’ayant pas séjourné démontré formellement, il est
telles que giardiose, téniase, ascari- en zone tropicale recommandé d’en prescrire une cure
diose, ankylostomose, strongyloïdose DIARRHÉE ET DÉFICIT IMMUNITAIRE (voir posologie tableau II) en
(au même titre qu’un syndrome de l’in- l’association à une corticothérapie
testin irritable dont on a montré qu’il Que le déficit immunitaire (notamment
(0,5 à 1 mg/kg) dans les formes
pouvait être secondaire à une diarrhée infection par le VIH) soit connu ou
graves [5].
du voyageur). suspecté devant des signes évocateurs,
la survenue d’une diarrhée chronique – Signes généraux sévères et troubles
FAUT-IL DÉPISTER SYSTÉMATIQUEMENT dans ces situations doit faire évoquer digestifs avec terrain d’immuno-
UNE PI CHEZ UN VOYAGEUR une giardiose et les protozooses oppor- dépression : il peut s’agir de l’an-
À SON RETOUR ? tunistes (cryptosporidiose, microspo- guillulose (strongyloïdose) maligne
En l’absence de signes cliniques, il n’est ridiose, isosporose, et à un moindre (ou disséminée). Dans ce contexte
en règle pas nécessaire de faire un degré, cyclosporose). Il s’agit en règle (corticothérapie à fortes doses, chi-
dépistage systématique (par EPS ou d’une diarrhée chronique volontiers miothérapie lourde…mais bizarre-
sérologie) sauf dans 4 situations : abondante, sans fièvre, responsable ment pas le sida), le cycle d’auto-
1) séjour ou expatriation prolongée en rapidement d’un amaigrissement infestation interne (qui permet à une
zone à risque ; 2) voyageur ayant un important. Le diagnostic repose sur les anguillulose de persister à bas bruit
facteur de risque de schistosomose EPS en spécifiant les parasites recher- plusieurs décennies après l’infesta-
(bilharziose) : marche ou nage dans chés (techniques spécifiques). En dehors tion) « s’emballe » avec hyperpro-
l’eau douce (intérêt d’une sérologie de l’isosporose et de la cyclosporose duction d’une quantité considérable
systématique) ; 3) découverte fortuite (Tableau II), il n’y a pas de traitement de larves qui vont disséminer par-

62
• • • • • • • •

tout dans l’organisme. Ce tableau, – La visualisation (parfois fortuite) de cipales caractéristiques des antipara-
heureusement rare, peut être gra- vers à l’œil ou au cours d’une endo- sitaires qu’il faut connaître en pratique
vissime ce qui justifie une recherche scopie n’est pas exceptionnelle. Le [17-20].
et même un traitement préventif sys- tableau II donne des orientations Lorsqu’un parasite est identifié sur un
tématique chez toute personne ayant diagnostiques en fonction de la taille EPS et quelle que soit l’indication de
séjourné même très longtemps aupa- et de l’aspect ; cet examen, la première question à se
ravant (plusieurs décennies) en zone – La découverte fortuite de calcifi- poser est la nécessité d’un traitement.
tropicale (y compris Antilles). Le cations abdominales lors d’un ASP En effet, certains parasites (amibes non
traitement par ivermectine (non doit faire évoquer des parasitoses pathogènes surtout) sont considérés
codifié) fait appel à des doses élevées qui en règle (sauf l’hydatidose et comme non pathogènes et ne méritent
et prolongées [12,13]. parfois la cysticercose) sont non aucun traitement, l’éventuelle symp-
— Syndrome pseudo-occlusif ou actives et ne nécessitent pas de tomatologie digestive justifiant leur
pseudo-ulcéreux : la consomma- traitement (tableau II). découverte étant due à une autre cause
tion de poisson cru, fumé ou peu – La parasitophobie (syndrome (Tableau IV). Entamoeba dispar amibe
cuit peut entraîner un tableau dou- d’Ekbom) portant notamment sur non pathogène 10 fois plus fréquente
loureux pseudo-chirurgical par les parasites digestifs est un trouble que E. histolytica ne peut malheu-
insertion d’une larve d’anisakis dans mental extrêmement éprouvant pour reusement pas être distinguée de cette
la muqueuse digestive (anisakidose les malades (et pour les praticiens !). dernière par l’examen microscopique
ou anisakiase). Le diagnostic se fait La prise en charge psychiatrique est standard (EPS). Le résultat de l’EPS
par visualisation de la larve à l’en- souvent décevante, les patients évoquera donc cette double possibi-
doscopie qui en permet l’ablation errant d’un consultant à un autre, lité sachant que, en l’absence d’autres
(pas d’antiparasitaire reconnu même le risque étant de céder aux techniques de confirmation (actuelle-
si des études in vitro suggèrent demandes d’explorations invasives ment en cours de validation), un trai-
l’intérêt de l’albendazole) [14, 15]. et de traitements inutiles. tement d’amoebose sera institué (même
en l’absence de symptomatologie) [3].
Enfants et sujets âgés D’autres ont une pathogénie discutée,
en collectivité certains auteurs considérant que dans
Traitements certains cas (infestation massive,
L’oxyurose et la giardiose (rencontrée anti-parasitaires immuno-dépression), ils pourraient être
aussi en maison de retraite ou en sec- responsables de diarrhée et de troubles
teur psychiatrique fermé) sont ren-
(Tableau III) digestifs. La majorité des amibes non
contrées régulièrement dans les col- pathogènes sont sensibles au métro-
La gamme des anti-parasitaires s’est
lectivités de jeunes enfants (crèches, nidazole. Le seul intérêt de leur décou-
élargie tant par l’apparition de nou-
garderies). La transmission inter- verte est d’avoir un argument pour une
velles molécules (issues d’ailleurs le
humaine directe (mains) explique les hygiène défectueuse. Enfin, certains
plus souvent de la médecine vétéri-
taux d’attaque important. La sympto- parasites comme Dicrocoelium dentri-
naire plus novatrice en la matière du
matologie est en règle minime (prurit ticum (douve hépatique cosmopolite
fait d’un meilleur retour sur investis-
anal ou vulvaire avec troubles du de nombreux herbivores, notamment
sement qu’en pathologie humaine !)
sommeil pour l’oxyurose ; diarrhée du mouton), qu’il n’est pas exception-
que par la découverte de nouvelles
chronique et dyspepsie pour la giar- nel de trouver sur un EPS, provien-
indications (albendazole, ivermectine,
diose). Le traitement dans les 2 cas nent de la consommation de viande
praziquantel) ). En matière de PI, les
est efficace mais suppose que tous les parasitée mais sont en fait en transit
antiparasitaires classiques tendent à
sujets contacts soient traités en même dans le tube digestif du patient sans
être moins utilisés maintenant que l’al-
temps, ce qui explique les récidives qu’un cycle pathogène ne puisse s’en-
bendazole, actif sur la majorité des
fréquentes [3]. clencher. Aucun traitement n’est néces-
helminthes et sur certains protozoaires saire. En cas de doute, la disparition du
est disponible, le métronidazole (et ses parasite sur des examens de contrôle
Cas particuliers dérivés retard) restant la référence pour confortera cette hypothèse [5].
les protozoaires. Au delà des schisto-
– Giardiose et déficit immunitaire : somoses (bilharzioses), le praziquan-
dans le déficit primitif en IgA ou tel a vu élargir ses indications aux
déficit global en immunoglobulines, téniases et à certaines distomatoses. A Conclusion
la giardiose est fréquente, résistante terme, si son intérêt se confirme, le
et récidivante malgré un traitement nitazoxanide (pas encore disponible En conclusion, il faut retenir les points
adapté [16] ; en Europe) pourrait encore simplifier pratiques suivants :
– Strongyloïdose et infection par les choix thérapeutiques, son spectre – Dans un contexte compatible,
HTLV-1 : incidence plus importante d’activité recouvrant pratiquement l’hyperéosinophilie est très évoca-
avec moindre efficacité et récidives celui de l’albendazole et du métroni- trice d’une infection par helminthes.
sous traitement ; dazole. Le tableau III résume les prin- Si elle est franchement supérieure à

63
• • • • • • • •

TABLEAU III
CARACTÉRISTIQUES DES PRINCIPAUX ANTI-PARASITAIRES

Posologie Principaux Contre-indications


Médicament Présentation Indications
adulte//enfant effets secondaires Particularités

Métronidazole (Flagyl®) Cp : 250 mg et 500 mg amoebose (amibiase), 750 à 1500 mg/j // – troubles digestifs, – allergie
Suspension buvable giardiose, 30 mg/kg/j glossite – métronidazole
flacon i.v. : 500 mg trichomonose 5à7j – prurit, éruption, possible si grossesse
urticaire
– effet antabuse
avec l’alcool
si traitement prolongé :
– neuropathie périphérique
– confusion, convulsions
– neutropénie, thrombopénie

Albendazole (Zentel®) Cp : 200 et 400 mg – nématodoses – 400 mg (enfants Bonne tolérance générale – Aucune sauf allergie
Suspension buvable intestinales (oxyurose, > 2 ans et adultes) – digestifs – Déconseillé
(400 mg/10 ml) ascaridiose, 1 à 3 j // 200 mg – céphalées, vertiges pendant la grossesse
trichocéphalose, (enfants < 2 ans) – traitement prolongé
anguillulose, taeniasis, 1à3j seulement :
ankylostomose) – giardiose : 400 mg/j / 5 j cytolyse hépatique,
(Eskazol® : hydatidose – giardiose – hydatidose fièvre, alopécie, rash,
et échinococcose – trichinellose et échinococcose leucopénie
alvéolaire) – Hydatidose, alvéolaire : plusieurs
échinococcose cures de 1 mois
alvéolaire à 15 mg/kg/j
– cysticercose – trichinellose :
15 mg/kg/j 10 à 15 j
– cysticercose :
15 mg/kg/j 8 à 28 j

Praziquantel (Biltricide®) Cp : 600 mg – Schistosomoses – 40 (à 60) mg/kg Bonne tolérance – grossesse : possible
(bilharzioses) (prise unique) – troubles digestifs, (> 3 mois)
– cysticercose – 50 mg/kg/j 15 j céphalées (rares) – (60 mg/kg
– taeniasis – 10 mg/kg (prise unique) pour S. japonicum)
– distomatose – 3 × 25 mg/kg/j 1 à 2 j
pulmonaire
et intestinale

Ivermectine Cp : 3 mg – anguillulose 200 µg/kg (prise unique) – troubles digestifs (rares) – grossesse : possible
(Stromectol®) (strongyloïdose) (12 mg chez l’adulte) – (rares encéphalites si indication justifiée
(Mectizan® : Filarioses) – larva migrans, gale, si charge parasitaire – allergie
filarioses élevée de loa loa)

Nitazoxanide Cp : 500 mg
(pas d’AMM en Europe ; – cryptosporidiose – 1,5 à 3 g/j pour ≥1 mois* troubles digestifs Non commercialisé
accessible par ATU) et microsporidiose (?) en Europe ;
– giardiose, amibiase, – 30 à 50 mg/kg ATU possible
nématodes intestinaux sur 1 à 6 j

* : posologie non encore validée

TABLEAU IV
PARASITES INTESTINAUX NE NÉCESSITANT HABITUELLEMENT PAS DE TRAITEMENT

Parasites intestinaux non pathogènes Entamoeba coli, Entamoeba hartmani, Entamoeba polecki, Chilomastix mesnili,
Endolimax nana, Pseudolimax (Iodamoeba) butschlii, Blatocystis hominis,
Embadomonas intestinalis, Enteromonas hominis, Entamoeba dispar

Parasites intestinaux à pathogénie discutée Dientamoeba fragilis, Trichomonas intestinalis, Sarcocystis hominis, Balantidium coli

Parasites intestinaux en transit Dicrocoelium dentriticum


(non pathogènes dans cette forme)

1 000/mm3, cela évoque une primo- – Dans une diarrhée chronique au vant passer inaperçue avec consti-
invasion (primo-infection) surtout retour de voyage, penser aux pro- tution de lésions hépatiques à bas
si des signes « allergiques » sont pré- tozoaires « émergents » et considérer bruit, le dépistage systématique chez
sents. A l’inverse, au-dessous de ce l’intérêt d’un traitement présomptif ; le voyageur exposé et le migrant
seuil, il s’agit plutôt d’une helmin- – La schistosomose (bilharziose) diges- africain est souhaitable (EPS et
those au stade d’état. tive (S. mansoni et japonicum) pou- sérologie) ;

64
• • • • • • • •

– Chez le jeune enfant en collectivité, 4. http://medecinetropicale.free.fr/cours/ 12. Al-Hasan MN, McCormick M, Ribes
un traitement efficace de la giar- hypereosinophilie_tropicale.htm JA. Invasive enteric infections in
diose et de l’oxyurose impose 2 cures hospitalized patients with underlying
5. Bouchaud O (coordinateur), Consigny
à 15 jours d’intervalle et surtout un strongyloidiasis. Am J Clin Pathol.
PH, Cot M, Odermatt-Biays S. Méde-
2007;128(4):622-7.
traitement de tous les sujets contacts; cine des Voyages, Médecine tropicale.
Coll. Abrégés, Masson, Paris, 2006 : 13. Vadlamudi RS, Chi DS, Krishnaswamy
– Pour éviter l’anguillulose dissémi- G. Intestinal strongyloidiasis and
305 pages.
née (maligne), penser à une cure hyperinfection syndrome. Clin Mol
d’ivermectine systématique avant 6. Goodgame R. Emerging causes of Allergy 2006;4:8.
un traitement immuno-suppresseur traveler’s diarrhea: Cryptosporidium, 14. Takei H, Powell SZ. Intestinal anisa-
chez tout patient ayant séjourné en Cyclospora, Isospora, and Microspo- kidosis (anisakiosis). Ann Diagn Pathol
zone d’endémie, même plusieurs ridia. Curr Infect Dis Rep 2003; 2007;11(5):350-2.
décennies auparavant ; 5:66-73.
15. Arias-Diaz J, Zuloaga J, Vara E,
– L’albendazole est devenu l’anti- 7. Adachi JA, Ericsson CD, DuPont HL. Balibrea J, Balibrea JL. Efficacy of
parasitaire de référence pour toutes Relative importance of pathogens and albendazole against Anisakis simplex
noninfectious causes. In Travellers’ larvae in vitro. Dig Liver Dis
les helminthes intestinales avec par
diarrhea. Ericsson CD, Dupont HL, 2006;38(1):24-6.
ailleurs, une efficacité sur les Steffen R, Eds. Hamilton-London: BC
giardia ; 16. Aumaitre H, Bouchaud O. Parasitoses
Decker Inc; 2003:100-9. digestives. In Traité d’Hépatogastro-
— Tout parasite trouvé dans les selles 8. Cailhol J, Bouchaud O. Turista: trave- entérologie. JC Rambaud Ed. Flam-
ne nécessite pas forcément un trai- lers’ diarrhea. Presse Med. 2007;36: marion Médecine-Sciences, Paris,
tement (parasites non pathogènes). 717-22. 2000:467-482.
17. Fox LM. Ivermectin: uses and impact
9. Meltzer E, Artom G, Marva E, Assous
20 years on. Curr Opin Infect Dis. 2006;
MV, Rahav G, Schwartzt E.
19(6):588-93.
Schistosomiasis among travelers: new
RÉFÉRENCES aspects of an old disease. Emerg Infect 18. Farthing MJ. Treatment options for the
eradication of intestinal protozoa. Nat
Dis. 2006;12(11):1696-700.
Clin Pract Gastroenterol Hepatol
1. Handszuh H. Tourism patterns and
10. Didier ES, Maddry JA, Brindley PJ, 2006;3(8):436-45.
trends. In: Dupont HL, Steffen R, Eds.
Stovall ME, Didier PJ. Therapeutic stra- 19. Bouchaud O. Antiparasitaires. In E.
Textbook of travel medicine and
tegies for human microsporidia infec- Pilly - Maladies Infectieuses et Tropi-
health. BC Decker, 2001:34-36.
tions. Expert Rev Anti Infect Ther cales. Collège des Universitaires de
2. Bouchaud O., Caumes E. Médecine des 2005;3(3):419-34. Maladies Infectieuses et Tropicales :
Voyages. Un acte de prévention dont Vivactis Plus Ed;2006:pp134-137.
11. Abubakar I, Aliyu SH, Arumugam C,
les généralistes doivent s’emparer. Rev
Hunter PR, Usman NK. Prevention and 20. Anderson VR, Curran MP. Nitazo-
Prat 2007;57 (8):829-30.
treatment of cryptosporidiosis in xanide: a review of its use in the treat-
3. http://www.uvp5.univ-paris5.fr/campus immunocompromised patients. Cochrane ment of gastrointestinal infections.
%2Dparasitologie/ Database Syst Rev. 2007;(1):CD004932 Drugs 2007;67(13):1947-67.

Points forts
• 4 populations à risque :
< voyageurs, migrants, immuno-déprimés, enfants
• Hyperéosinophilie : 5500/mm3 < helminthes (vers)
< > 1000/mm3 : primo-invasion / < 1000 : phase d’état
• Voyageurs au retour exposés & migrants
< Dépistage schistosomose (sérologie ++)
• Enfants/collectivité : giardiose et oxyurose
< TTT des contacts et 2e cure J 15
• Albendazole (Zentel®) : helminthes & giardiose

65

Vous aimerez peut-être aussi