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EMC-Dentisterie 1 (2004) 378–381

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Contaminations microbiologiques
par les dispositifs médicaux dans les unités
dentaires
Microbiological contamination induced
by medical devices in dental care units
R. Djeribi a,*, M. Zaghez b
a
Groupe de recherche en procédés biotechnologiques appliqués à l’environnement,
département de biochimie, Faculté des sciences, Université d’Annaba, Algérie
b
Département de chirurgie dentaire, Faculté de médecine, Université d’Annaba, Algérie

MOTS CLÉS Résumé Les micro-organismes qui adhèrent aux surfaces sont responsables de la conta-
Unité dentaire ; mination des instruments et donc de plusieurs types d’infections microbiennes et de
Infection ; maladies. Une étude sur la contamination des conduits des unités dentaires (résultats non
Instrument ; publiés) a révélé l’existence, dans les conduits d’eau, d’une souche de Corynebacterium
Eau
pseudotuberculosis. L’isolement de cet agent pathogène respiratoire opportuniste nous a
conduit à réfléchir sur sa provenance ainsi que sur son mode de dissémination. L’hypo-
thèse d’une origine autre que l’eau est apparue probable. Cette présente étude a été
menée afin de mettre en évidence l’existence d’un phénomène d’aspiration, par les
instruments, d’aérosols contaminés provenant des cavités buccales de patients. Les
résultats obtenus ont révélé que les instruments utilisés en soins dentaires peuvent
être responsables de dissémination d’agents pathogènes provenant des cavités buc-
cales.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS
Dental unit; Abstract The contamination of medical instruments, and thus many types of microbial
Infection; infections and diseases are due to surface-adherent micro-organisms. A previous study on
Instrument; the contamination of conduits in dental care units (results non published) has revealed
Water the presence of Corynebacterium pseudotuberculosis strain in water conduits. The
isolation of this opportunist pathogenic agent led us to analyse its origin and dissemina-
tion process. The present study has been carried out to give evidence to the existence of
a possible instrument-induced aspiration of contaminated aerosols from buccal cavities of
patients. The resuts indicate that the instruments used in dental care may be responsible
for the dissemination of pathogenic agents originating from buccal cavities.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : rdjeribi@yahoo.fr (R. Djeribi).

1762-5661/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi: 10.1016/j.emcden.2004.07.002
Contaminations microbiologiques par les dispositifs médicaux dans les unités dentaires 379

Introduction Seulement, pour des raisons de sécurité et de fai-


sabilité, la cavité buccale du patient s’est vue, pour
notre recherche, substituée par une cavité buccale
Si le risque infectieux au cours des soins dentaires
animale. Ce choix est justifié par le fait que cette
existe, il semble plus concerner la transmission de
cavité buccale de substitution présente des simili-
virus que de bactéries.1 Les infections transmises tudes structurales avec celle de l’homme.
en milieu dentaire, du fait d’une part de leur rareté
et d’autre part de la difficulté à les mettre en
évidence chez les sujets traités en ambulatoire, Préparation et désinfection de la cavité
sont probablement sous-estimées. Une contamina- buccale animale
tion par le sang des instruments utilisés en dentis-
terie n’est pas rare. Il faut rappeler que même une La désinfection de la cavité buccale a été réalisée à
quantité très faible de sang dont le praticien ne l’aide d’une solution antiseptique commerciale
réalise pas forcément la présence au niveau d’un (Hextril®) dans le but de neutraliser la microflore
instrument peut entraîner une hépatite B chez le buccale naturelle de l’animal. Après un temps de
patient suivant si l’instrument ne subit pas, avant contact avec l’agent chimique (2 à 3 min), une série
de resservir, un traitement adapté.2 de rinçage des mâchoires à l’eau distillée stérile a
Le risque viral le plus élevé semble être lié à été réalisée afin d’éliminer toute trace du désin-
l’usage des porte-instruments rotatifs. Diverses fectant.
études expérimentales ont montré qu’un refoule-
ment des liquides biologiques vers les canaux et la Contamination artificielle de la cavité
chambre internes se faisait même avec les appa- buccale
reils équipés de système antiretour. Ensuite, lors
de la réutilisation de l’appareil, un relargage pro- L’inoculation des mâchoires de l’animal a été réa-
gressif de produits biologiques potentiellement in- lisée aseptiquement à l’aide d’une suspension de
fectants s’effectue dans la bouche du patient sui- Staphylococcus aureus. La souche bactérienne
vant.3–6 préalablement isolée, identifiée et purifiée a été
Une étude sur la contamination des conduits des soigneusement entretenue au laboratoire grâce à
unités dentaires (CUD) réalisée sur des unités de une série de repiquages successifs sur milieu Chap-
soins dentaires (résultats non publiés) a révélé man à 37 °C. La contamination a été réalisée par
l’existence, dans l’un des multiples conduits d’eau, une simple aspersion des différents composants
d’une souche de Corynebacterium pseudotubercu- tissulaires et dentaires de la mâchoire de l’animal
losis. L’isolement de cet agent respiratoire nous a (gencives, dents et muqueuses) avec la suspension
conduit à réfléchir sur sa provenance ainsi que sur bactérienne contenue dans une seringue stérile.
son mode de dissémination. L’hypothèse d’une
source autre que l’eau, provenant des réseaux Simulation de soins et inoculation du milieu
d’aqueduc, apparaît probable. Pour cela, un proto- de culture
cole expérimental a été mis au point afin de mettre
en évidence l’existence de phénomènes d’aspira-
Pour la réalisation de l’expérimentation, il a été
tion, par les instruments, d’aérosols contaminés
demandé au praticien de simuler, dans les condi-
provenant des cavités buccales de patients. tions identiques à celles réalisées en pratique cou-
rante sur des patients, des soins sur la dentition de
l’animal par l’utilisation d’une turbine (fraise)
équipée d’un dispositif de refroidissement à eau.
Matériels et méthodes
Outre l’action mécanique de la fraise sur la struc-
ture dentaire, l’eau s’introduisant dans la cavité
Le protocole expérimental a été réalisé en colla- buccale à forte pression a pour conséquence la
boration avec les collègues du service de parodon- genèse de microaérosols dans la cavité buccale de
tologie du centre hospitalier universitaire d’An- l’animal. Les micro-organismes initialement pré-
naba. Une unité dentaire a été mise à notre sents adhèrent aux microgouttelettes d’eau for-
disposition tout au long de la réalisation de l’expé- mées au cours des soins utilisant cet instrument. Le
rimentation. Le travail expérimental a été réalisé principe de la manipulation fut d’actionner à plu-
dans des conditions similaires à celles effectuées sieurs reprises la turbine et par conséquent l’eau de
par le praticien lors d’un traitement de routine refroidissement émergeant de l’ouverture située à
réalisé au niveau de la cavité buccale d’un patient. l’extrémité inférieure du dispositif.
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Les multiples actions de la turbine sont entre- tient succédant au premier, est exclusivement as-
coupées par des inoculations directes et simulta- socié aux aérosols qui sont constitués de particules
nées des milieux Chapman et gélose nutritive préa- microbiennes présentes au niveau des mâchoires et
lablement coulés et refroidis dans des tubes en des muqueuses associées aux divers éclats issus du
verre de 2,8 cm de diamètre interne. Le surplus traitement mécanique de la dent du patient. Ces
d’eau émergeant de la turbine au moment de l’en- aérosols peuvent : soit adhérer aux structures ex-
semencement et ayant été en contact quasi instan- ternes de l’instrument dans une région voisine de
tané avec les milieux de culture a été aseptique- l’émergence de l’eau et qui sont plus tard expul-
ment éliminé avant l’incubation des tubes. Ces sées avec l’eau au moment de l’action de la tur-
derniers sont incubés à 37 °C pendant 24 à 48 heu- bine ; soit se retrouve aspirés à l’intérieur du
res. conduit d’eau de la turbine suite à l’arrêt de l’ac-
Le tube en verre inoculé est considéré comme un tion de celle-ci. Ce dernier phénomène est dû à
potentiel patient susceptible d’être contaminé ul- l’absence de clapet de non-retour sensé prévenir
térieurement par un instrument utilisé chez un toute pression négative dans les conduits d’eau et
précédent patient (l’animal utilisé dans notre ex- éliminer la réaspiration de l’eau. Ce résultat ob-
périmentation) porteur d’un micro-organisme pa- tenu montre que les instruments utilisés en soins
thogène. Une éventuelle contamination de la tur- dentaires peuvent être à l’origine de dissémination
bine par Staphylococcus aureus sera sans aucun d’agents pathogènes provenant des cavités bucca-
doute mise en évidence au niveau des tubes ense- les de patients.
mencés. L’insuffisance de la décontamination basée uni-
quement sur la diffusion passive de produit de
désinfection doit inciter à réfléchir sur la nécessité
du nettoyage de l’intérieur des tubes et des cavités
Résultats et discussion poreuses afin de réduire la charge bactérienne des
sécrétions du patient. Ce principe fondamental
Au bout de 48 heures d’incubation à 37 °C, des d’hygiène est, depuis plusieurs années, prôné par
colonies diffuses, compte tenu du mode d’ense- les fabricants de matériels dentaires, et a pour
mencement adopté dans notre manipulation, de exemple conduit à la prescription de la Commu-
coloration jaune sont apparues sur la gélose Chap- nauté dentaire canadienne (CDC, 1985) que les
man avec virage de la couleur du milieu de culture. instruments rotatifs soient stérilisés après chaque
Des examens microscopiques réalisés sur la culture utilisation au même titre que les autres instruments
bactérienne après coloration de Gram ont permis la dentaires entrant en contact avec les éléments de
mise en évidence de cellules en forme de cocci la cavité buccale.
regroupées en amas et gardant le violet de gentiane
après décoloration à l’alcool (Gram +). Ces carac-
téristiques macroscopiques et microscopiques sont
celles de l’espèce Staphylococcus aureus initiale-
Conclusion
ment inoculée dans la cavité buccale de l’animal et
qui a été retrouvée au niveau des tubes après À l’issue de cette expérimentation, le résultat ob-
manipulation de la turbine par le praticien. Le tenu montre effectivement que les instruments
pourcentage de transfert de la bactérie a été es- utilisés en soins dentaires peuvent être responsa-
timé à 70 % (pourcentage des tubes dans lesquels a bles de dissémination d’agents pathogènes prove-
été constatée l’apparition de colonies de Staphylo- nant des cavités buccales de patients.
coccus aureus). Sur le milieu de culture gélose L’insuffisance de la décontamination basée uni-
nutritive, aucune croissance bactérienne n’a été quement sur la diffusion passive de produits de
décelée, ce qui explique l’efficacité de la neutrali- désinfection doit nous inciter à réfléchir sur la
sation de la microflore buccale par l’antiseptique nécessité du nettoyage de l’intérieur des tubes et
utilisé. L’absence de croissance du staphylocoque des cavités poreuses afin de réduire la charge bac-
sur ce milieu est due au fait que la gélose nutritive, térienne des sécrétions du patient. Les instruments
compte tenu de sa composition, ne permet pas la rotatifs doivent être stérilisés après chaque utilisa-
croissance de bactéries exigeantes. tion au même titre que les autres instruments den-
Le phénomène physique responsable du transfert taires entrant en contact avec les éléments de la
des particules bactériennes de la cavité buccale de cavité buccale. En outre, les clapets de non-retour
l’animal vers les tubes utilisés et considérés, dans peuvent également être utilisés afin de diminuer le
notre expérimentation, comme un deuxième pa- risque de transfert de matières infectieuses.
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Références 3. Lewis DL, Arens M, Appeleton S. Cross-contamination


potentiel with dental equipment. Lancet 1992;340:
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