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la revue des

microbiotes
MARS 2022
numéro 22

DOSSIER THÉMATIQUE page 4


Impact des microbiotes génitaux sur la fertilité

ENTRETIEN page 12
avec Blandine Courbiere
FOCUS page 16
L’actualité commentée par les experts

w w w. l a rev u e d e s m i c ro b i o te s .f r
éditorial
Environ 1 couple sur 5 en France connaît des problèmes de fertilité. Dans
75 % des cas, une étiologie est retrouvée : causes féminines, masculines
ou mixtes avec une importante proportion d’étiologies infectieuses.
Jusqu’à récemment, l’attention s’était essentiellement portée sur les
bactéries pathogènes.
Depuis quelques années, l’étude des interactions hôte-microbiotes
a permis de découvrir des mécanismes impliquant directement les
dysbioses dans l’infertilité. En particulier, la notion de l’existence d’un
continuum entre le microbiote vaginal et les microbiotes cervical et
endométrial a permis de mieux cerner l’influence du microbiote vaginal
sur le haut appareil génital féminin. S’il était reconnu que la dysbiose
vaginale favorisait la colonisation des voies génitales supérieures par
des bactéries pathogènes, il est maintenant démontré qu’elle favorise
également l’ascension de bactéries commensales avec une action
délétère sur la muqueuse endométriale.
La fin du dogme du sperme microbiologiquement stérile a également
bouleversé notre vision de la fertilité masculine. Si la composition
du microbiote séminal « normal » demeure discutée, on sait que son
altération modifie la qualité du sperme et qu’une fois parvenu dans le
vagin, le sperme peut également voir sa qualité perturbée par l’action
du microbiote vaginal.
Ces découvertes jettent un éclairage nouveau sur les causes d’infertilité
ainsi que sur les échecs d’implantation au cours des protocoles de
procréation médicalement assistée. La recherche des dysbioses
génitales, féminines et masculines, apparaît comme une exploration de
plus en plus utile à la compréhension des mécanismes de l’infertilité
humaine avec probablement à la clé, la perspective de nouvelles voies
thérapeutiques.
Bonne lecture !

Jean-Marc Bohbot
Rédacteur en chef de ce numéro

La Revue des Microbiotes est publiée grâce à l’initiative et au concours de PiLeJe Laboratoire.
Les points de vue et opinions exprimés sont ceux des auteurs.
La responsabilité de PiLeJe ne saurait en rien être engagée par ceux-ci.
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comité scientifique
La Revue des Microbiotes existe grâce à un comité scientifique constitué de neuf experts
français issus de différents domaines, pour parler des microbiotes, acteurs majeurs de la santé.

Jacques Amar Jean-Marc Bohbot Stanislas Philippe Gérard Geneviève


MD. Cardiologue, MD, PhD. Bruley des Varannes PhD. Microbiologiste, Héry-Arnaud
CHU Toulouse, Infectiologue, MD, PhD. Institut MICALIS, PharmD, PhD.
Consultant scientifique Institut Alfred Fournier, Gastro-entérologue, Jouy-en-Josas Microbiologiste,
de VAIOMER, Paris Institut des maladies de INSERM UMR 1078,
Labège l’appareil digestif, Université de Brest,
Nantes CHRU Brest

Cyrille Hoarau Alexis Mosca Bruno Pot Patrick Vermersch


MD, PhD. MD, Pédiatre, PhD, Microbiologiste, MD, PhD.
Immunologiste Service de gastro- Université de Bruxelles Neurologue,
et allergologue, entérologie et nutrition Université de Lille,
Service transversal pédiatrique, Hôpital Lille
d’allergologie et Robert Debré,
immunologie clinique, Paris
CHRU, Tours

Merci à eux !

invitéE
ENTRETIEN :
Pr Blandine Courbiere - Centre Clinico-Biologique d’Assistance Médicale à la Procréation -
Pôle Femmes-Parents-Enfants - Hôpital de La Conception, Marseille
Merci au Pr Courbiere qui a également relu le dossier thématique

2
sommaire
Dossier thématique...............................................................................................p.4
 mpact des microbiotes génitaux sur la fertilité
I
Jean-Marc Bohbot

Entretien • Blandine Courbiere ................................................................................... p.12



En bref....................................................................................................................p.14

Chronique des microbiotes................................................................................p.15
Le microgenderome (sex gap ou gender gap)
Geneviève Héry-Arnaud

Focus.......................................................................................................................p.16

Dermatologie...................................................................................................................................................................................... 16
Laisser les bactéries se battre entre elles ?
Bruno Pot
Paléontologie..................................................................................................................................................................17


Le microbiote au service de la paléomicrobiologie
Geneviève Héry-Arnaud
Environnement.............................................................................................................................................................. 18
 es villes aussi ont leur propre microbiote !
L
Philippe Gérard
Gastro-entérologie...................................................................................................................................................... 19

Les biofilms : un marqueur d’intestin irritable ?
Stanislas Bruley des Varannes
Oncologie

- Le dépistage du cancer par l’analyse du microbiote sanguin : un nouveau paradigme........ 20
Jacques Amar
- Immunité innée dans l’homéostasie immunitaire antitumorale : nouvelle démonstration
du rôle majeur du microbiote.............................................................................................................................. 21
Cyrille Hoarau
Pédiatrie................................................................................................................................................................................................. 22


Contrebalancer les effets négatifs de la césarienne sur le microbiote intestinal
du nouveau-né : des résultats confirmés pour le vaginal seeding
Alexis Mosca
Neurologie........................................................................................................................................................................................... 23


Microbiote intestinal : un potentiel marqueur précoce de la maladie de Parkinson ?
Patrick Vermersch

Repères taxonomiques...................................................................................... p.24

Édité par LARENA – 1 ZI du Taillis – 49270 Champtoceaux.

Directeur de la publication : Production : Isabelle Méjean-Plé Achevé d’imprimer : Février 2022


Christian Leclerc Maquette : Com l’Hirondelle, Pour toute correspondance,
Rédacteur en chef : Jean-Marc Bohbot Lise Delattre s’adresser à :
Comité de rédaction : Impression : Com’Event contact@microbiotes.com
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Comité de lecture : Claude Blondeau, ISSN : 2428-4688
Papiers issus de forêts gérées durablement
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Impact des microbiotes génitaux sur la fertilité

Jean-Marc Bohbot. Institut Alfred Fournier, Paris

A u sein d’un couple sans contraception, la probabilité de grossesse sur un cycle


menstruel est de 20 à 25 %1. On parlera d’infertilité en l’absence de grossesse après
12 mois de rapports sexuels réguliers. En France, 18 à 24 % des couples sont concernés 1
soit 1 couple sur 5 en moyenne. Selon le rapport 2020 de l’Agence de biomédecine
sur l’aide médicale à la procréation (AMP), en France, en 2019, 157 593 tentatives de
fécondation in vitro (FIV) ont été réalisées, soit une augmentation de 5 % par rapport
à 2016 2 ; 27 063 enfants ont été conçus, soit 3,6 % des naissances (versus 2,6 % en
2009). Si 3 fois sur 4, l’infertilité est expliquée par une cause masculine, féminine ou
mixte, elle demeure inexpliquée dans 10 à 25 % des cas. L’impact des microbiotes
génitaux sur la fertilité fait par conséquent l’objet d’un nombre croissant d’études.
Les dysbioses vaginales sont un facteur de risque d’infertilité démontré, en revanche
l’implication des microbiotes endométrial et séminal est encore mal élucidée.

Parmi les causes infectieuses d’infertilité de la femme, considéré comme une eubiose. Ce microbiote chez une
les séquelles tubaires d’infections génito-annexielles du femme saine est peu diversifié, dynamique, c’est-à-dire
fait d’infections sexuellement transmissibles (IST) ont variable dans le temps en fonction de facteurs endogènes
longtemps été prépondérantes. Le concept de dysbiose (cycle menstruel par exemple) ou exogènes (rapports
est né avec le concept moderne de microbiote au début sexuels, antibiotiques, etc.) avec un haut pouvoir de
des années 2000. Les techniques de métagénomique résilience. La dysbiose est caractérisée par une raréfaction
permettant le séquençage des bactéries et de des lactobacilles et une dominante de bactéries
culturomique évaluant les microorganismes minoritaires anaérobies. Le stade ultime de la dysbiose vaginale est la
ont permis de découvrir des microbiotes dans des vaginose bactérienne (VB).
sites considérés jusqu’à présent comme stériles. Une En bactériologie « traditionnelle », la dysbiose vaginale est
approche fonctionnelle du microbiote peut aussi évaluée par le score de Nugent et la culture des sécrétions
maintenant être étudiée par la métabolomique* ou la vaginales. Le score de Nugent, réalisé sur un examen direct
des sécrétions vaginales après coloration, permet une
métatranscriptomique**.
évaluation quantitative des morphotypes de lactobacilles,
de Gardnerella vaginalisE et de MobiluncusG. Trois classes
MICROBIOTES GÉNITAUX FÉMININS ET
de « flore » vaginale sont ainsi définies avec, de 0 à 3, la
INFERTILITÉ
flore normale, de 4 à 6, la flore intermédiaire et de 7 à
Il existe un continuum entre les divers microbiotes
10, la VB. Mais cet examen présente plusieurs limites. Il
génitaux féminins avec une transition individuelle entre
est examinateur dépendant et parfois difficile à corréler
les microbiotes vaginal, cervical et endométrial et des
avec la clinique. Quant aux cultures bactériologiques, elles
caractéristiques spécifiques à chaque site3.
ont également leurs limites car de nombreuses bactéries
Microbiote vaginal de la femme non liées à la dysbiose ne sont pas cultivables avec les
ménopausée techniques « classiques ». De ce fait, un certain nombre de
Un microbiote vaginal dominé par des lactobacilles déséquilibres du microbiote vaginal ne sont pas confirmés
(notamment L. crispatus E, gasseri E et jensenii E) est par la bactériologie « traditionnelle ».

* Étude de l’ensemble des métabolites présents dans un milieu.


** Étude des ARN issus de la transcription des génomes de l’ensemble des organismes faisant partie d’un milieu.

4
Classes Dominance Évaluation microbiote
Classe I Lactobacillus crispatus E
Normal
Classe II Lactobacillus gasseriE Normal
Classe III Lactobacillus inersE Normal ou dysbiose
Classe IV A Abondance importante de Candidatus Lachnocurva vaginae et Dysbiose E

faible abondance de Gardnerella vaginalisE


Classe IV B Abondance importante de G. vaginalisE et faible abondance de Vaginose
Ca. L. vaginaeE
Classe IV C Faible abondance de lactobacilles, G. vaginalisE et Ca. L. vaginaeE Dysbiose
mais abondance d’autres bactéries anaérobies
Classe V Lactobacillus jenseniiE Normal

Tableau 1 : Classification par communauté bactérienne du microbiote vaginal (Classification VALENCIA)4

Les techniques de biologie moléculaire ont permis à composition fait l’objet de controverses car les techniques
France et al.4 de définir une classification du microbiote de prélèvement microbiologique de l’endomètre
vaginal selon les communautés bactériennes retrouvées. peuvent difficilement exclure de façon certaine une
Cette classification VALENCIA (VAginaL community contamination microbienne. Certaines études10,11 utilisant
state typE Nearest CentroId classifier) distingue un recueil transcervical du tissu endométrial ont conclu
4 classes dont chacune est dominée par une famille à un microbiote endométrial dominé par des souches
de lactobacilles (L. crispatusE, L gasseriE, L jenseniiE, de lactobacilles. Pour Moreno et al.10, une proportion de
L. inersE) et une classe polymicrobienne subdivisée en lactobacilles dans l’endomètre inférieure à 90 % serait
3 sous-groupes avec une déplétion en lactobacilles corrélée au taux d’échec d’implantation des FIV. Plus
(dysbiose) (cf. Tableau 1). récemment, la dominance des lactobacilles au niveau
Cliniquement, la dysbiose vaginale se présente sous endométrial a été remise en cause par des études sur
des formes très variables. Mais, 50 % des femmes ayant pièces d’hystérectomie9-11. Pour Chen et al.3, la proportion
une VB seraient asymptomatiques5. Cependant, même de lactobacilles dans l’endomètre ne dépasse pas
asymptomatique, une VB « microscopique » peut être 30 %. Pour Winters et al.8, les lactobacilles ne sont pas
à l’origine d’une inflammation cervico-vaginale infra- dominants dans le microbiote endométrial alors que
clinique, avec augmentation du risque d’infection Acinetobacter G, Pseudomonas G, Comamonadaceae F
sexuellement transmissible notamment à Neisseria et Cloacibacterium G y sont abondants. Dans l’étude
gonorrhoeaeE (RR : 2,4) et Chlamydia trachomatisE (RR : de Mitchell et al.12, Prevotella spE était dominante dans
1,5)6 et donc du risque d’infection génitale haute. l’endomètre. Mais, la majorité des auteurs s’accordent à
dire que la biomasse endométriale est faible (10 000 fois
Microbiote cervical plus faible que celle présente dans le vagin6) ce qui la
Sa composition, bien que proche de celle du microbiote rend sensible à d’éventuels contaminants présents
vaginal, s’en différencie par plusieurs critères. Le dans les réactifs utilisés par les différentes techniques.
microbiote cervical présente une plus grande diversité L’hypothèse la plus plausible actuellement est celle
que le microbiote vaginal7,8 (en particulier la diversité α). d’un microbiote endométrial à faible biomasse, plus
Par ailleurs, ce microbiote est moins riche en lactobacilles diversifié que le microbiote vaginal et non dominé par les
que le vagin7 mais plus riche en ProteobacteriaP,7, en lactobacilles comme le confirme une très récente étude
particulier en AcinetobacterG,8. Il est un reflet plus fidèle du de Lu et al.13.
microbiote endométrial que le microbiote vaginal, comme
Microbiotes du tractus génital féminin et
l’ont montré plusieurs travaux8,9. Ainsi, le prélèvement
infertilité
cervical pourrait devenir une méthode peu invasive
Les anomalies tubaires (inflammation, altération des cellules
d’évaluation du microbiote endométrial mais l’évaluation
ciliées, obturation) représentent entre 14 et 20 % des
de ses variations physiologiques reste à préciser.
étiologies d’infertilité féminines14. Une endométrite isolée
Microbiote endométrial serait également retrouvée chez 12 à 46 % de femmes
Longtemps considérée comme stérile, la cavité utérine infertiles15. Dans 85 % des cas, ces lésions endométriales
hébergerait un microbiote spécifique. Néanmoins, sa et tubaires sont dues à des IST16. Les bactéries le plus

Repère
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souvent en cause sont : C. trachomatisE, N. gonorrhoeaeE MICROBIOTE SÉMINAL ET INFERTILITÉ


et Mycoplasma genitalium E. Or on sait que le risque MASCULINE
d’IST est augmenté par la dysbiose vaginale . Dans une Isolées ou en association avec des causes féminines, les
méta-analyse, Tamarelle et al.17 ont trouvé une association étiologies masculines représentent 50 % des étiologies
significative entre la déplétion lactobacillaire vaginale et la élucidées d’infertilité du couple. Les causes d’infertilité
fréquence des infections à HPV et C. trachomatisE. D’autres masculine sont nombreuses : tabac, consommation
études18,19 ont montré une corrélation entre dysbiose excessive d’alcool, âge, chirurgie ou traumatisme uro-
vaginale et infection par M. genitaliumE ou infection mixte génital, facteurs génétiques, anomalies anatomiques,
C. trachomatisE/M. genitaliumE. La dysbiose vaginale est maladies systémiques comme le diabète, inflammation et
donc un co-facteur d’infertilité féminine en augmentant le infections. En marge des infections patentes comme les
risque de contracter une IST. prostatites, les orchites ou les épididymites, l’impact de
Mais on sait maintenant que certaines bactéries bactéries sur la fonction spermatique commence à être
associées à la VB sont directement impliquées dans explorée avec des conséquences diverses : agglutination
l’infertilité féminine. L’association entre VB et endo­ des spermatozoïdes, induction de l’apoptose, altération
métrite/inflammation pelvienne évoquée dès la fin de la mobilité ou de la fonction de l’acrosome* 26,27
des années 9020 a été confirmée par plusieurs études (cf. Figure 1).
récentes21-23. Grâce aux techniques de séquençage haut- Longtemps considéré comme stérile, le milieu séminal
héberge un microbiote spécifique28. Le microbiote séminal
débit, plusieurs bactéries ont été incriminées dans les
a été peu étudié comparativement aux microbiotes
processus d’infection du haut appareil génital féminin
génitaux féminins, et sa composition détaillée ainsi que la
comme Atopobium vaginaeE, Sneathia sanguinegensE,
relation entre ses variations et les anomalies spermatiques
Sneathia amnioni E, Megasphaera sp, bactéries de
varient d’une publication à l’autre. La présence de
type EggerthellaG, Prevotella amniiE. Les mécanismes
lactobacilles a été corrélée à un sperme normal dans
conduisant à cette infection haute sont divers et encore
quelques études29-30. A contrario, Yang et al.31, même
insuffisamment élucidés : activation immunitaire avec
s’ils confirment la présence de lactobacilles dans des
augmentation de la production de cytokines pro-
spermes normaux, ont trouvé une plus grande abondance
inflammatoires, production de sialidase et de mucinase
relative de lactobacilles dans les asthénospermies**
altérant l’intégrité du mucus cervical23, etc. Wang et
et oligoasthénospermies***. À noter, dans cette étude
al.24 ont étudié cette translocation bactérienne vaginale que l’une des souches de lactobacilles en cause dans
à l’origine de l’endométrite. L’équipe chinoise a trouvé, ces spermes anormaux était Lactobacillus inersE, dont
d’une part des modifications synchrones des microbiotes on sait qu’il est présent chez les femmes avec dysbiose
vaginal et endométrial en cas d’endométrite et confirmé, vaginale. Ainsi, la question se pose d’un possible rapport
d’autre part, que la translocation se faisait dans le sens entre dysbiose vaginale et anomalies spermatiques. Il a
vagin-utérus. Ces observations chez la femme ont été en effet été démontré, qu’au cours des rapports sexuels,
complétées par une expérimentation animale montrant des échanges de microorganismes se faisaient32. Mändar
l’effet protecteur ou délétère sur la muqueuse utérine et al.32 ont ainsi montré une corrélation entre présence
de ratte de l’injection vaginale de bactéries provenant de G. vaginalisE dans le vagin et inflammation du tractus
de femmes saines ou de femmes avec endométrite. génito-urinaire masculin. Zozaya et al.33 ont décrit des
Sans surprise, PrevotellaG et ClostridiumG ont induit modifications du microbiote cutané de la verge et de
une inflammation utérine, tandis que l’injection vaginale l’urètre masculin d’hommes partenaires de femmes
de lactobacilles a réduit l’inflammation préalablement atteintes de VB. Mais ces auteurs n’ont pas étudié le
causée par ClostridiumG. sperme de ces hommes.
Ces observations microbiologiques sont importantes Une méta-analyse portant sur 55 études observa­tion­nelles34
car elles impliquent des conséquences dans la stratégie permet de mieux appréhender l’influence des modifi­
thérapeutique. En effet, nombre des « nouvelles » cations du microbiote séminal sur la qualité du sperme :
bactéries impliquées dans les infections génitales hautes • Première constatation de cette analyse : le microbiote
ont une sensibilité très variable au métronidazole 25 séminal est riche et diversifié aussi bien chez les sujets
souvent prescrit en association avec d’autres anti­ fertiles que chez les sujets infertiles.
biotiques au cours des inflammations pelviennes. D’autre
* Extrémité antérieure du spermatozoïde.
part, la démonstration d’une translocation bactérienne ** Anomalie du sperme caractérisée par une diminution de la mobilité
des spermatozoïdes.
vagino-utérine ouvre des perspectives de prévention par
*** Anomalie du sperme caractérisée par une asthénospermie ­associée
l’administration de lactobacilles. à faible quantité des spermatozoïdes.

6
SpaC EPS

1. Agglutination
adhésine de 70 kDa

3. Conséquences
a-D-galp-l-4-9-D-galp
PapG Immobilisation du flagelle
EP
S

La
Co

ct
ob
ry
S.

ne

a cil
a
mannose α-D Immobilisation de l’acrosome

ba
E.

ur

le
co

ct
eu
FimH

s
li E

er
s
E

iu
m
E. coli E

G
Agglutination
Mécanisme des bactéries
LPS
E. coliE Apoptose
CD14 TLR4  ROS,  ΔΨm
EnterococcusE
E
oli
Lactobacilles
Lactobacilles

E. c
S. aure E
us
li E
co

FIS de 56KDa
Inactivation
E.

FIS soluble
récepteur
Mg2+ ATPase
Ionophore calcique LFA-1

FIS de 20KDa
HlyA peptidoglycane
2. Immobilisation Mg2+ ATPase
TLR1/6 EPS : exopolysaccharides
Ionophore calcique FIS : facteur d’immobilisation des spermatozoïdes
LPS : lipopolysaccharides
TLR2 ROS : Reactive Oxygen Species
β-hémolysine ΔΨm : potentiel transmembranaire mitochondrial
1. Mécanismes d’agglutination selon les bactéries :
• FimH sur pilus - 1 d’Escherichia coliE se lie au mannose α-D.
• PapG sur pilus P se lie à a-D-galp-l-4-9-D-galp.
•L ’adhésine de 70 kDa à la surface de Staphylococcus aureusE et SpaC sur le pilus de CorynebacteriumG
et les lactobacilles médient l’agglutination des spermatozoïdes.
• Les exopolysaccharides (EPS) du biofilm piègent les spermatozoïdes.
2. Mécanismes d’immobilisation via :
• les lipopolysaccharides (LPS) d’E. coliE qui se fixent sur TLR4,
• une petite molécule soluble, un facteur d’immobilisation des spermatozoïdes (FIS)
• un FIS de 56 kDa qui se fixe sur un récepteur de 113 kDa et bloque l’ATPase magnésium dépendant et
­l’ionophore calcique,
• une α-hémolyse (HlyA) d’E. coliE qui altère la membrane des spermatozoïdes,
•u  n FIS de 20 KDa de S. aureusE qui se fixe sur un récepteur de 62KDa, et bloque l’ATPase magnésium
­dépendant et ­l’ionophore calcique,
• un peptidoglycane lactobacillaire qui se fixe sur un TLR2,
• la β-hémolysine des entérocoques et lactobacilles qui altère la membrane des spermatozoïdes.
3. Conséquences : immobilisation, atteinte acrosomique, agglutination, apoptose et inactivation.
Figure 1 : Influence des bactéries vaginales sur les spermatozoïdes éjaculés38

• Dans les études ayant utilisé des techniques de • Dans les études basées sur les cultures bactériennes,
séquençage haut-débit, des clusters de bactéries une corrélation négative statistiquement significative
dominantes ont pu être identifiés dans le sperme : l’un a été observée entre bactériospermie et plusieurs
dominé par les lactobacilles, l’autre par PrevotellaG. Les critères spermatiques (concentration, mobilité et index
lactobacilles semblent associés à une bonne qualité du de fragmentation de l’ADN), la présence d’Ureaplasma
sperme alors que Prevotella aurait un impact négatif
G
urealyticumE, Enterococcus faecalisE, et Mycoplasma
sur sa qualité. hominisE identifiées soit par culture soit par PCR étant

Repère
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D O S S I E R T H É M AT I Q U E

corrélée avec une mauvaise qualité du sperme ou une techniques de 8 % pour les inséminations intra-utérines
infertilité. Il est, par ailleurs, communément admis que la à 29,6 % pour les fécondations in vitro (FIV) et les ICSI.
majorité des uro-pathogènes peuvent altérer la qualité Si l’accent est actuellement mis sur l’intérêt du dépistage
du sperme par des mécanismes d’agglutination et d’anomalies pré-implantatoires génétiques et les tests
d’immobilisation des spermatozoïdes35. d’implantation endométriaux pour augmenter le taux
de naissances en FIV, le rôle des dysbioses génitales
Une fois pénétré dans le tractus génital féminin, le sperme féminines dans les échecs d’implantation embryonnaire
n’est pas au bout de ses peines car il doit se confronter au est de plus en plus évoqué.
microbiote vaginal (cf. Figure 1). Les études sur la relation Plusieurs études ont observé qu’une dysbiose vaginale
« bactéries-qualité du sperme » sont généralement des diminuait les taux de grossesses lors des protocoles
études in vivo évaluant des paramètres spermatiques de FIV. Dans l’étude de Haahr et al.40, le taux global de
observés après masturbation. En revanche, peu d’études grossesses chez 84 femmes après FIV était de 35 %
ont porté sur les modifications du sperme après vs 9 % en cas de dysbiose vaginale. Dans Koedooder
éjaculation vaginale. Contrairement au liquide séminal au et al.41, sur 192 femmes en protocole de FIV, un faible
sein duquel les lactobacilles ont un effet protecteur du taux de lactobacilles vaginaux était corrélé à une
sperme, leurs homologues vaginaux sont susceptibles diminution des chances d’implantation. Pour Wang
d’altérer la qualité du sperme. Le mécanisme d’action et al. 42, sur 150 femmes en protocole de FIV avec
des lactobacilles est encore flou mais débuterait par transfert d’embryons frais, 89 grossesses ont été
l’adhérence des bactéries sur le flagelle et l’acrosome observées. Les échecs étaient associés à la présence
du spermatozoïde par l’intermédiaire de pili provoquant de Bifidobacterium G, Prevotella G, et L. iners E dans
une immobilisation du spermatozoïde et un phénomène le vagin. Dans une étude comparant le microbiote
d’agglutination avec d’autres spermatozoïdes 36. De vaginal de femmes saines et de femmes infertiles
même, les lipopolysaccharides bactériens se fixent sur en protocole de FIV, Zhao et al.43 ont montré que le
les TLR2 et TLR4 exprimés à la surface de l’acrosome microbiote vaginal de femmes infertiles présentait une
du spermatozoïde. Il s’ensuit une cascade d’évènements proportion plus importante d’AtopobiumG, AerococcusG,
qui conduit à l’immobilisation et à l’apoptose du et BifidobacteriumG et moins de lactobacilles que le
spermatozoïde37. Un autre mécanisme serait une altération microbiote de femmes saines.
de la paroi cellulaire du spermatozoïde par une hémolysine Plus récemment, l’attention s’est portée sur le rôle
bactérienne conduisant à une apoptose cellulaire37. du microbiote endométrial dans le taux de réussite
Ces mécanismes auraient un objectif de « sélection (ou d’échec) des FIV. L’endométrite chronique est
naturelle » des spermes de mauvaise qualité. En effet, une pathologie dont l’expression clinique est parfois
les spermes « sains » sont peu altérés par l’action des modérée (leucorrhées inhabituelles, métror­ragies,
lactobacilles vaginaux, alors que les spermes subfertiles douleurs pelviennes, etc.) voire absente (endo­
sont beaucoup plus impactés par l’action bactérienne, métrites asymptomatiques). Elle est caractérisée
aggravant ainsi le phénomène d’infertilité. histologiquement par une infiltration de l’endomètre par
Il est paradoxal d’observer à la fois un effet protecteur des cellules plasmatiques (lymphocytes, plas­mocytes,
des lactobacilles dans le liquide séminal et un effet etc.). L’infection est due soit à des bacté­ries exogènes
délétère de ceux-ci dans le vagin vis-à-vis des sperma­ (C. trachomatisE, M. genitaliumE, N. gonorrhoeaeE, etc.)
tozoïdes. En réalité, c’est bien la charge bacté­rienne, soit, plus fréquemment, à des bactéries endogènes
beaucoup plus importante dans le vagin que dans le comme Streptococcus spp. E, E. coliE, Enterococcus
liquide séminal, qui détermine l’action des lactobacilles faecalisE, U. urealyticumE ou Staphylococcus spp.E,44.
sur le sperme38. Tous ces effets négatifs nécessitent en Les modi­fications inflammatoires et immuno­logiques
effet une importante concentration lactobacillaire. induites au cours de cette infection expliquent les lésions
hyperplasiques observées et les échecs d’implantation.
MICROBIOTES DU TRACTUS GÉNITAL La diversité microbiologique des endométrites
FÉMININ ET AMP chroniques conduit à des protocoles thérapeutiques très
Le recours aux techniques d’AMP est en constante divers tant en ce qui concerne le type d’antibiotiques
augmentation. Le taux de naissances varie selon le type que la durée des traitements44. Les antibiotiques les
d’AMP (inséminations, transferts d’embryon, injections plus utilisés sont l’amoxicilline-acide clavulanique,
intra-cytoplasmiques [ICSI], etc.) de 10,8 % à 24,5 % la doxycycline, le métronidazole, la ceftriaxone, la
par cycle d’AMP. Dans un rapport concernant 17 pays39, ciprofloxacine, avec des résultats variables. Plusieurs
le taux de naissances par cycle d’AMP variait selon les raisons peuvent expliquer les échecs de ces protocoles

8
comme un spectre antibiotique inapproprié, ou encore les échecs d’implantation, ont conduit les auteurs à
la persistance de biofilms microbiens. conseiller les congélations d’ovocytes ou d’embryons
En dehors de l’endométrite, des modifications du pour un transfert différé, permettant un rétablissement
microbiote endométrial pourraient être impliquées dans préalable de l’eubiose.
les échecs de FIV. La première difficulté est, comme nous
l’avons vu plus haut, qu’il n’existe pas de consensus sur la QUELLES STRATÉGIES DIAGNOSTIQUES ET
définition d’une eubiose ou d’une dysbiose endométriale. THÉRAPEUTIQUES ?
Riganelli et al.45 ont étudié une population de 34 femmes
Dépistage
en protocole de FIV. Le microbiote endométrial des
En cas d’infertilité d’un couple, la recherche d’infec­
femmes enceintes suite à cette FIV a révélé une absence
tions génitales (chez l’homme comme chez la
totale de lactobacilles contrairement à celui des femmes
femme) fait partie du bilan de première intention.
non-enceintes, en échec de FIV, qui montrait la présence
L’interrogatoire et l’examen clinique peuvent orienter
de lactobacilles pouvant témoigner d’une translocation
en cas de leucorrhées anormales et/ou malodorantes,
vaginale par dysfonctionnement de la barrière cervicale.
d’infections urinaires récidivantes, d’augmentation du
Cette barrière cervicale joue en effet un rôle majeur en
pH vaginal, d’antécédents d’urétrite, de prostatite ou
limitant le risque d’ascension bactérienne dans le haut
d’orchi-épididymite chez l’homme. En l’absence de
appareil génital. Or, des phénomènes inflammatoires
symptômes ou d’antécédents évocateurs, se pose la
et infectieux peuvent accroître la perméabilité
question du dépistage microbiologique systématique.
cervicale. Ainsi, dans une étude sur modèle animal,
Des recommandations récentes 49 ne sont pas en
Anton et al.46 ont montré que des bactéries comme
faveur du prélèvement vaginal systématique en
L. inersE ou G. vaginalisE altéraient la barrière cervicale
l’absence de symptôme ou d’antécédents particuliers.
par plusieurs mécanismes : rupture des protéines de
Cependant, on sait qu’une dysbiose vaginale peut être
jonction inter-cellulaires, augmentation de cytokines
asymptomatique. Pramanick et al.50 ont en effet retrouvé
pro-inflammatoires, ou modification de la régulation
14,5 % de VB et 11,6 % de flores intermédiaires (score
épigénétique par augmentation de l’expression de
de Nugent) chez 199 femmes asymptomatiques. Sans
miRNA. A contrario, cette étude a montré l’effet
avoir recours à des techniques coûteuses de biologie
protecteur de L. crispatusE sur la barrière cervicale.
moléculaire, un simple examen direct des sécrétions
Par ces mécanismes de détérioration de la barrière
vaginales avec établissement d’un score de Nugent
cervicale, on comprend que la dysbiose vaginale puisse
est un examen simple et rapide de mise en évidence
déséquilibrer le microbiote endométrial. Récemment,
d’une dysbiose. Cette recherche peut être intéressante
Ichiyama et al.47 ont comparé le profil des microbiotes
si on considère qu’une dysbiose vaginale peut avoir
vaginal et endométrial de 145 femmes en échecs
un impact sur l’intégrité de la barrière cervicale46 avec
répétés d’implantation (ERI) versus 21 femmes contrôle.
un risque de translocation au niveau de l’endomètre.
La technique de séquençage 16S a montré des taux
Dans un avenir proche, l’utilisation en routine de tests
significativement plus élevés de cinq genres bactériens
PCR « dits Multiplex » ou de techniques de séquençage
dans le vagin et de 14 dans l’endomètre chez les femmes
haut-débit permettront une cartographie précise du
en ERI. Le taux de lactobacilles était inférieur dans le
microbiote vaginal et donc une meilleure prise en
vagin des femmes en ERI (76,4 ± 38,9 % vs femmes
charge thérapeutique.
contrôle 91,8 ± 22,7 %, p = 0,018) mais pas dans leur
Au cours des protocoles de FIV, la réalisation d’un
endomètre. Le taux de lactobacilles pourrait donc être
examen du microbiote endométrial est plus contro­
un marqueur du risque d’ERI.
versée car il n’existe actuellement aucun consen­sus
Enfin, les traitements hormonaux de stimulation
sur la composition exacte de ce microbiote. En effet,
ovarienne au cours des FIV ont également un impact sur
il est difficile d’éliminer formellement tout risque de
la composition des microbiotes vaginal et endométrial.
contamination lors du prélèvement endométrial. En
Carosso et al.48 ont montré une augmentation de la
revanche, la biopsie d’endomètre reste indiquée en cas
diversité bactérienne dans les deux sites, une diminution
de suspicion d’endométrite avec une recommandation
significative du taux des lactobacilles vaginaux (à un
de contrôle post-antibiothérapie avant toute nouvelle
moindre titre également dans l’endomètre) avec une
tentative de FIV51.
augmentation significative des taux de PrevotellaG
dans les deux sites et d’A. vaginaeE uniquement dans Place de l’antibiothérapie ­pré-implantatoire
l’endomètre. Ces perturbations des microbiotes pendant En dehors du contexte d’endométrite se pose la question
la « fenêtre » de transfert étant de nature à favoriser de l’intérêt d’une antibiothérapie ­­pré-implantatoire.

Repère
D P C O F G E S
9
D O S S I E R T H É M AT I Q U E

Les résultats sont contradictoires. Kaye et al.52 n’ont à l’endométrite63,64, il est trop tôt pour évaluer la place
retrouvé aucune différence des taux d’implantation et de des pro- ou prébiotiques (voire de la transplantation de
grossesses après transfert d’embryon chez 876 femmes microbiote vaginal) dans la prévention ou le traitement
entre le groupe traité par cortisone et antibiotiques des endométrites.
(doxycycline) et le groupe non traité. Si pour Kroon et al.53, Quelques rares études ont porté sur l’action des
l’antibiothérapie peut déstabiliser le microbiote vaginal et probiotiques sur la qualité du sperme. Dans l’étude
donc avoir un impact défavorable sur l’évolution de la FIV, de Helli et al. 65 l’administration orale d’un cocktail
Garcia-Velasco et al.54 considèrent que l’antibiothérapie de probiotiques pendant 10 semaines a amélioré
pré-implantatoire est de nature à prévenir le risque de la qualité du sperme d’hommes atteints d’oligo­
transmission d’infection vers l’endomètre. Eskew et asthénotératozoospermies* (OATS) idiopathiques
al.55 ont montré qu’un traitement prophylactique pré- (traitement versus placebo). L’amélioration portait sur
implantatoire par azithromycine induisait une plus le volume éjaculatoire, la concentration et la mobilité
grande diversité du virome vaginal (herpès virus et des spermatozoïdes ainsi que sur le stress oxydatif et
α-papillomavirus) avec une diminution du taux de les marqueurs de l’inflammation. Une autre équipe66 a
grossesses. Ces études contradictoires montrent qu’il n’y comparé l’effet d’un synbiotique comprenant plusieurs
a pas de consensus sur l’efficacité de l’antibio­thérapie souches de probiotiques (Lc. rhamnosusE, Lc. caseiE,
pré-implantatoire. Pour les partisans de ces protocoles, L. bulgaricusE, L. acidophilusE, B. breveE, B. longumE,
il n’existe pas non plus de consensus tant en termes de Streptococcus thermophilus E ) et un prébiotique
choix d’antibiotiques que de durée de traitement. (fructo-oligo-saccharide) en cure de 80 jours sur des
Concernant la prise en charge de la VB, l’antibiothérapie hommes avec OATS idiopathiques. L’étude menée
classique (métronidazole ou secnidazole) permet un versus placebo a montré une amélioration significative
taux de guérison à court terme compris entre 60 et de la concentration, de la mobilité et du nombre de
80 %56,57 mais avec un taux de récidive d’environ 50 % formes typiques de spermatozoïdes dans le groupe
dans un délai de 6 à 12 mois après guérison de l’épisode synbiotique, de même qu’une diminution de la fragmen­
initial58. En dehors des causes comportementales de tation de l’ADN. Pour encourageantes qu’elles soient,
récidive de la vaginose (tabac, erreurs hygiéniques, ces études portent sur des effectifs trop réduits pour
surpoids, stress, etc.), des causes purement micro­ pouvoir en tirer des conclusions définitives.
biologiques expliquent ces récidives : résistance de
certaines souches de G. vaginalisE aux imidazolés (soit En conclusion, l’impact des dysbioses des microbiotes
résistance pure, soit inefficacité des antibiotiques vis- génitaux sur la fertilité féminine et masculine est une
à-vis des biofilms bactériens)59 et faible sensibilité voie de recherche importante. S’il est prématuré de
d’A. vaginaeE aux imidazolés25. Les recommandations conseiller une exploration systématique du microbiote
européennes de 2018 60, indiquent en traitement de endométrial chez les femmes infertiles et/ou en
seconde intention un antiseptique local, le chlorure de protocole de FIV, la recherche d’une dysbiose vaginale
dequalinium dont le spectre d’action est plus étendu, pourrait être intéressante dans un bilan étiologique,
couvrant G. vaginalisE et A. vaginaeE,61. en particulier dans les infertilités inexpliquées et les
Place des probiotiques échecs d’implantation, y compris chez la femme
La gestion de la dysbiose vaginale, outre les recom­ asymptomatique. L’existence démontrée d’un conti­
mandations d’hygiène de vie, passe de plus en plus nuum microbiotique vagino-cervico-endométrial, plaide
par la prescription de probiotiques en association en faveur d’une prise en charge de la dysbiose vaginale
avec les traitements anti-infectieux. Les probiotiques par traitements anti-infectieux et probiotiques afin de
utilisés dans cette indication sont des lactobacilles protéger au mieux le haut appareil génital.
(L. crispatusE, L. gasseriE, Lacticaseibacillus rhamnosusE, Une meilleure connaissance du microbiote séminal et
Lactiplantibacillus plantarumE) soit en souche unique, de ses éventuelles fluctuations permettrait de mieux
soit en association de souches. Indépendamment de la comprendre son impact sur la qualité du sperme et
propriété de restauration de l’équilibre du microbiote donc d’envisager de nouvelles pistes thérapeutiques.
démontrée par plusieurs méta-analyses56-62, l’action Les techniques diagnostiques récentes (séquençage
préventive sur la barrière cervicale de certaines souches haut-débit) devraient élargir nos possibilités diagnos­
comme L. crispatus E pourrait être une indication tiques des dysbioses féminines et masculines et offrir
supplémentaire à leur utilisation46. ainsi des solutions nouvelles aux couples infertiles.
Si dans certaines études, l’administration de probio­
*
Anomalie du sperme associant asthénospermie, oligospermie et
tiques a permis de diminuer l’intensité des douleurs liées troubles de la mobilité des spermatozoïdes.

10
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Repère
D P C O F G E S
11
ENTRETIEN

L’environnement global d’un couple joue sur sa fertilité


et moi, quand je pense environnement, je pense aussi
microbiote
Interview du Pr Blandine Courbiere, Centre Clinico-Biologique d’Assistance Médicale à la
­Procréation, Hôpital de La Conception, Marseille

Vous êtes gynécologue-obstétricienne, spécialiste existe probablement un continuum entre ces microbiotes,
de la médecine de la reproduction, pourquoi voire en cas de VB, avec le microbiote digestif. Ces
et comment vous êtes-vous intéressée aux compartiments ne sont pas bien séparés et les dysbioses
microbiotes ? pourraient entraîner un état inflammatoire chronique.
Du fait de mon métier de médecin de la reproduction, je C’est ce qui pourrait expliquer qu’une VB puisse être à
dois m’interroger sur tout ce qui peut avoir un impact sur l’origine d’une augmentation du risque de prématurité
l’implantation embryonnaire et les chances de grossesse comme cela a été montré en obstétrique. Nous n’étudions
en insémination intra-utérine et en fécondation in vitro pas le microbiote urinaire dans notre spécialité mais cela
(FIV) chez les femmes infertiles. Dès 2013, notre équipe pourrait être intéressant. Voilà, il commence à y avoir
s’est intéressée à la vaginose bactérienne (VB) dans le différentes hypothèses de travail mais je préfère rester
cadre d’une petite étude1. Sa prévalence concernait prudente. Je pense en revanche que la recherche va
environ 10 % des femmes infertiles en parcours de FIV. Les exploser dans ce domaine dans les dix prochaines années.
résultats n’étaient pas statistiquement significatifs mais
Y a-t-il, selon vous, des profils plus concernés par
on distinguait une tendance à la diminution des taux de
ces problèmes de microbiotes ?
grossesses cliniques chez les femmes qui présentaient Tous les médecins de la reproduction se heurtent aux
une VB. Depuis ces premières interrogations, de nouvelles infertilités inexpliquées. Ces infertilités représentent
publications tendent à montrer le rôle du microbiote 10 % des couples. L’impact des microbiotes n’est
vaginal dans la fertilité de la femme. probablement pas prépondérant pour ces couples mais
la VB concernant 16 et 18 % des femmes infertiles, c’est
« Il faut prendre soin de son microbiote, une piste à étudier. L’autre groupe est celui des femmes
c’est plus que de l’hygiène, c’est presque
avec échecs d’implantation embryonnaire répétés en
de la santé publique. »
FIV. C’est terrible car ce sont des femmes jeunes avec
des embryons « chromosomiquement » normaux mais
En quoi, selon vous, les microbiotes impactent-ils qui ne s’implantent pas. Chacun y va de sa théorie mais
la fertilité ? certaines publications dont celle de l’Imperial College
C’est vrai, vous avez raison de dire les microbiotes. C’est de Londres 3 rapportent que ces femmes ont une
un point important pour comprendre les publications. diminution des taux de lactobacilles vaginaux avec des
Globalement, les dernières méta-analyses réalisées ont microbiotes déséquilibrés. Mais c’est compliqué parce
surtout montré que la présence d’une VB augmentait que toutes les publications ne s’accordent pas sur les
le taux de fausses couches après FIV. Celle de l’équipe proportions de lactobacilles dans les flores vaginales
de Skafte-Holm publiée l’année dernière et colligeant normales. Cela étant, toutes ces femmes pourraient
17 études, a rapporté une prévalence de VB de 18 % avoir un impact de leur dysbiose sur leur fertilité et on
associée à un risque relatif significatif de fausse couche sait que le microbiote varie beaucoup pendant la vie
de 1,72. Il n’y avait pas d’effet significatif des VB sur les génitale. On peut aussi parler des dysbioses persistantes
taux de naissance mais cela s’explique probablement par qui partent et qui reviennent. C’est un vrai problème. Il
un problème de puissance statistique. Il a également été y a cette étude kenyane, publiée l’an dernier, incluant
montré une diminution significative des taux de grossesse 458 femmes souhaitant concevoir, qui a étudié la
clinique en cas de dysbiose moléculaire. Il se passe prévalence des dysbioses vaginales et persistantes.
donc bien quelque chose, au niveau de l’implantation Elles étaient respectivement de 35 et 25 %. C’est la seule
embryonnaire en tout cas… Pour le microbiote utérin, étude que j’ai trouvé sur la fécondabilité naturelle. Alors
les publications sont plus récentes et posent toujours la certes, comme toute étude transversale, il y a des biais,
question d’un biais de contamination. Il n’y a pas encore mais cette étude a montré une baisse de la fécondabilité
assez de littérature pour conclure, à mon avis, sur l’impact de 43 % en cas de dysbiose vaginale persistante. Donc,
du microbiote endométrial sur la fertilité. En revanche, il même si les études ne sont pas parfaites, on peut penser

12
FOCUS

que le microbiote vaginal a un impact sur la fécondabilité un sujet qui mériterait un peu plus d’être relayé auprès
naturelle et en assistance médicale à la procréation (AMP). du grand public. J’ai l’impression que les médecins et
les femmes ne s’y s’intéressent finalement qu’en cas de
Justement, comment évaluez-vous ces dysbioses
problème. Il n’y a qu’à voir les femmes qui ont des VB
en pratique ?
à répétition, elles sont très handicapées dans leur vie
Alors déjà, ce qui est très frustrant au quotidien pour les
sexuelle et dans leur vie quotidienne. Gênées par les
gynécologues, c’est qu’il n’y a, finalement, que le test de
odeurs, elles ont honte. Il faudrait faire plus de prévention
Nugent et le pH vaginal pour avoir une idée de dysbiose
en amont en communiquant sur comment chouchouter
ou non. C’est un peu comme regarder le ciel avec des
son microbiote. Et puis, pour les chercheurs, il va falloir
jumelles, alors que la métagénomique serait un télescope
dépasser la phase de la description des microbiotes et
de la NASA. Cela vous donne une idée… On ne connait
que le système solaire mais pas encore les autres galaxies. mieux en comprendre la fonctionnalité.
Il faut donc améliorer les outils diagnostiques et connaître Pour finir, si vous deviez faire passer un message
exactement l’impact des microbiotes sur la santé humaine. à nos lecteurs, quel serait-il ?
Je pense qu’il est nécessaire de décrire les microbiotes, Comme je l’ai déjà évoqué, je dirais qu’il faut améliorer
à mon niveau, au moins vaginal, en standardisant les les outils diagnostiques et connaitre exactement
méthodologies. Le score de Nugent ne suffit plus en 2022 l’impact des microbiotes sur la santé humaine. On
mais nous n’avons pas d’autres outils remboursés. Je n’ai a beaucoup de faisceaux d’arguments mais il faut de
pas les outils et je n’ai pas la conduite à tenir, donc c’est la recherche interventionnelle et être certain de bien
vrai que cela génère beaucoup de frustration. définir le microbiote vaginal. Je pense à la publication de
Cette prise en compte de l’impact des microbiotes Mc Kinnon publiée en 20194. Il a dessiné un iceberg, les
a-t-elle changé quelque chose à votre pratique ? vaginoses diagnostiquées par le test de Nugent étant la
En général, lorsqu’il y a une vaginose clinique, on prescrit partie émergée et les vaginoses asymptomatiques mais
des antibiotiques mais le souci avec les antibiotiques dépistées en biologie moléculaire, l’immergée. Or, on sait
c’est qu’on ne sait pas vraiment quel va être l’impact que les vaginoses asymptomatiques peuvent avoir un
sur le microbiote. Et puis, il y a toutes les dysbioses impact sur l’implantation embryonnaire mais, en tant
infracliniques… Alors, bien que je n’aie aucune preuve que clinicienne, mon problème est que je n’identifie
scientifique de leur effet positif, il est vrai qu’en AMP, finalement que les femmes symptomatiques. Il faut
chez les femmes présentant une infertilité inexpliquée, également faire attention à l’interprétation des résultats,
face à ces échecs d’implantation, ces fausses couches à en tenant compte de la variabilité des microbiotes
répétitions, j’essaie de rééquilibrer le microbiote vaginal en fonction de l’âge, de l’origine géographique, des
via l’alimentation, avec des probiotiques plus qu’avec habitudes sexuelles, du tabagisme, etc.
des antibiotiques, par l’arrêt du tabac – car le plus gros
ennemi du microbiote, c’est le tabac – mais aussi avec
une prise en charge psychologique. Voilà, on se rend bien
Biographie
compte que l’environnement global d’un couple joue Gynécologue-obstétri­cienne,
sur sa fertilité et, moi, quand je pense environnement, je spécialisée en médecine de la
reproduction, le Pr Blandine
pense aussi microbiote.
Courbiere dirige le centre
Maintenant que l’on a pris conscience du rôle des clinique d’assistance médicale
microbiotes dans ce domaine, y a-t-il selon vous à la procréation de l’hôpital
des mesures à mettre en place afin de préserver de la Conception à Marseille.
la fertilité ? Ses activités de recherche
Tout à fait, je pense même que cela devrait se faire, en sont tournées vers la préservation de la fertilité de la
gynécologie, en dehors de l’infertilité. Il faut prendre femme et l’impact des facteurs environnementaux,
soin de son microbiote, c’est plus que de l’hygiène, dont les microbiotes, sur la reproduction.
c’est presque de la santé publique. Toutes les femmes
connaissent l’impact d’un traitement antibiotique sur Références
1. Mangot-Bertrand J, et al. Molecular diagnosis of bacterial vaginosis:
leur flore vaginale, voire, même, sur leur flore intestinale. impact on IVF outcome. Eur J Clin Microbiol Infect Dis. 2013;32:535-
Quand j’étais jeune, ça me semblait presque normal que 41. 2. Skafte-Holm A, et al. The Association between Vaginal Dysbio-
sis and Reproductive Outcomes in Sub-Fertile Women Undergoing
les femmes aient une diarrhée et une candidose vaginale IVF-Treatment: A Systematic PRISMA Review and Meta-Analysis. Pa-
après des antibiotiques. Mais non, ce n’est pas normal thogens. 2021;10:295. 3. Grewal K, et al. Lactobacillus deplete vagi-
nal microbial composition is associated with chromosomally normal
qu’un antibiotique déséquilibre ces deux microbiotes ! miscarriage and local inflammation. Hum Reprod. 2021;3 6; Supply1.
4. Mc Kinnon LR, et al. The Evolving Facets of Bacterial Vagino-
Les antibiotiques ne sont plus automatiques mais sis: Implications for HIV Transmission. AIDS Res Hum Retroviruses.
probablement que l’hygiène de vie sur le microbiote est 2019;35:219-28.

Repère
D P C O F G E S
13
EN BREF

MOTS ET ILLUSTRÉS DES MICROBIOTES

 eneviève Héry-Arnaud
G

Les activités humaines entrainent une contamination de l’environnement


par des substances toxiques. Elles ont profondément modifié
60% d es maladies infectieuses
humaines ont une
origine animale2
75% des écosystèmes terrestres et
66% des écosystèmes marins 2

Santé de l’environnement
et régimes alimentaires =
Émergence de Santé de l’Humain impact sur la santé humaine
microorganismes
résistants aux
antibiotiques 40% de pertes
des cultures vivrières
mondiales causées par les
ne Health maladies et insectes ravageurs3
20% Modifications environnement
d es pertes de la + réchauffement climatique =
production animale @ probabilité rencontre
mondiale sont liées à entre pathogènes,
des maladies animales2 Santé de animaux et humains4
Santé des l’environnement
Animaux
75% des espèces
Déforestation = @ risque d’exposition des humains
végétales cultivées ont besoin
d’être pollinisées2 et des élevages à de nouveaux pathogènes

Une seule santé, pour la Terre, les Animaux et les Hommes. Une infographie de l’INRAE d’après 1
Références
1. D’après INRAE https://www.inrae.fr/alimentation-sante-globale/one-health-seule-sante • 2. Organisation mondiale de la santé animale (OIE).
https://www.oie.int/fr/ce-que-nous-faisons/initiatives-mondiales/une-seule-sante/ • 3. FAO on behalf of the IPPC Secretariat. Scientific review
of the impact of climate change on plant pests – A global challenge to prevent and mitigate plant pest risks in agriculture, forestry and
ecosystems. 2021. https://doi.org/10.4060/cb4769en • 4. https://presse.inserm.fr/les-crises-ecologiques-responsables-de-lemergence-de-
nouvelles-epidemies-vraiment/41444/

MICROBIOTES STORY

Les bactériophages pour lutter contre la résistance aux antibiotiques ?


Bruno Pot
Selon la source, entre 700 0001 et 5 millions2 de personnes détruire les pathogènes les plus résistants aux antibiotiques,
mourraient chaque année de maladies pharmaco-résistantes. pourraient donc offrir une solution à ce problème croissant.
Ces maladies de plus en plus courantes, pour la plupart incu- Ces attentes légitimes doivent cependant être régulées car
rables, nécessitent des procédures médicales de plus en plus l’utilisation des phages a aussi ses limites3 :
risquées alors que les systèmes alimentaires sont de plus en • La plupart des phages ont une fenêtre d’activité limitée,
plus précaires. Ainsi, sans engagement de tous les pays, quel souvent envers une souche spécifique, ce qui nécessite le
que soit leur niveau de revenus, l’OMS estime que la résis- criblage de grandes collections pour identifier le(s) phage(s)
tance aux antimicrobiens pourrait plonger jusqu’à 24 millions les plus actif(s).
de personnes dans l’extrême pauvreté. • Les phages doivent être exempts de gènes de toxines, de
Les bactériophages*, ayant la capacité d’attaquer voire de résistance aux antibiotiques ou de facteurs de virulence.

Références
1. WHO. New report calls for urgent action to avert antimicrobial resistance crisis. 2019. Disponible à l’adresse https://www.who.int/news/item/­
29-04-2019-new-report-calls-for-urgent-action-to-avert-antimicrobial-resistance-crisis. Dernière consultation le 04/01/21. 2. Antimicrobial
­Resistance Collaborators. Global burden of bacterial antimicrobial resistance in 2019: a systematic analysis. Lancet. 2022:S0140-6736(21)02724-0.
3. Principi N, et al. Advantages and Limitations of Bacteriophages for the Treatment of Bacterial Infections. Front Pharmacol. 2019;10:513.

14
FCHRONIQUE
O C U SDES MICROBIOTES

Le microgenderome (sex gap ou gender gap)


Geneviève Héry-Arnaud
ne Health

D
ans de nombreuses maladies, des différences en termes
Le concept One Health, ou « une
seule santé » en français, s’est d’incidence, de gravité ou de pronostic sont relevées entre
­développé depuis le début des les deux sexes. Ainsi, le diabète de type I est environ deux
années 2000 en réponse à la fois plus fréquent chez les femmes que chez les hommes, mais la
prise de conscience des liens
goutte est nettement plus fréquente chez les hommes que chez
étroits existant entre la santé hu-
maine, celle des animaux et l’état les femmes.
écologique global. En effet, le Les études sur les commu­nautés bacté- les sexes dans la capacité de sélection
nombre de grandes épidémies au riennes ont permis de montrer que les évolutive des espèces m ­ icrobiennes la-
­niveau mondial a augmenté de- différences entre les sexes se logeaient quelle est elle-même façonnée et mo-
puis un siècle et nombre d’entre également au cœur des microbiotes. dulée par la physiologie de l’hôte. En
elles ont trouvé leur origine dans Ce dimorphisme sexuel dans les mi- d’autres termes, les ­microbiotes jouent
le monde animal ; la pandémie crobiotes est appelé microgenderome. un rôle essentiel dans les différences
­actuelle de Covid-19 en est une Ce terme1 a été inventé à la suite d’une de susceptibilité aux maladies par
parfaite illustration (cf. Hors-­ étude dans un modèle murin sur la rela- le biais de leurs i­nteractions avec les
Série Covid-19 et microbiotes). tion entre la susceptibilité au diabète et hormones et le système immunitaire,
­L’accroissement de la population le microbiote intestinal, étude qui a révé- ou via les axes de communication mé-
mondiale, le déve­lop­pement des lé (i) l’existence de communautés micro­ diés par les ­métabolites bactériens qui
villes, l’intensification des trans- biennes spécifiques au sexe (ii) le rôle circulent entre l’intestin et d’autres or-
ports ­alliée à celle de la dégra- de la maturation sexuelle sur les change- ganes comme le cerveau, la peau ou
dation de l’environnement sont ments des communautés microbiennes les poumons. Depuis, d’autres travaux
autant de facteurs favori­sant la (iii) le rôle protecteur et thérapeutique sont venus confirmer l’importance du
propagation des agents infectieux. des commu­nautés microbien­nes via microgenderome dans des maladies
En incitant à prendre en considéra- leur influence sur les voies hormonales, spécifiques, en p­ articulier les maladies
tion tous les facteurs d’émergence métaboliques et immunitaires2. auto-immunes, neurodégénératives,
des maladies, le concept One L’ensemble des données du projet de ­pulmonaires3 et certains cancers.
Health vise à promouvoir une ap- microbiome humain (HMP) a été ré-ana- Avec l’avènement du microgende-
proche pluridisciplinaire et g­ lobale lysé et a permis de montrer à quel point rome, il apparaît donc aujourd’hui
des enjeux sanitaires. les microbiotes exercent une influence ­essen­tiel d’examiner la composition et
considérable sur la susceptibilité aux les f­ onctions du microbiote à l’aulne du
maladies. Ces différences p ­ roviennent sexe des patients quelles que soient les
principalement des différences entre études réalisées.

Genre, microbiotes et maladie d’après 1


Lymphocytes La puberté entraîne chez l’homme
T et B
Lymphocytes des modifications du microbiote
• Il est nécessaire d’envisager l’uti­ T et B
intestinal lesquelles renforcent la
li­sation de cocktails de phages production de testostérone, hor-
car les bactéries peuvent devenir mone empêchant les dysfonction-
Faible taux Prévalence nements des lymphocytes T et B
­résistantes à ces phages. de testostérone du diabète Fort taux qui sont à l’origine des maladies
de testostérone
• Produire et stabiliser des prépa- de type I
auto-immunes. Chez la souris, les
rations pharmaceutiques à base
> propriétés protectrices du mi-
crobiote des mâles peuvent être
de phages peut s’avérer difficile et transférées à des femelles après
coûteux. Microbiote transplantation de microbiote fécal
• Une réponse immunitaire de l’hôte ce qui leur confère ainsi une pro-
Microbiote
tection contre le développement
contre les phages est possible. des maladies auto-immunes.

Références
* Virus capables de détourner à leur 1. Flak MB, et al. Immunology. Welcome to the microgenderome. Science. 2013;339:1044-1045. 2.
profit la machinerie biosynthétique de la Markle JG, et al. Sex differences in the gut microbiome drive hormone-dependent regulation of
bactérie qu’ils infectent (cf. La Revue des autoimmunity. Science. 2013;339:1084-1088. 3. Beauruelle C, et al. The Human Microbiome, an
Microbiotes n°4, p. 20) Emerging Key-Player in the Sex Gap in Respiratory Diseases. Front Med. 2021;8:600879.

Repère
D P C O F G E S
15
FOCUS Dermatologie

Nakatsuji T, et al. Use of Autologous Bacterio­


therapy to Treat Staphylococcus aureus in
Patients With Atopic Dermatitis: A Randomized
Résumé de l’article Double-blind Clinical Trial. JAMA Dermatol.
2021;157:978-82.

Staphylococcus aureusE a un rôle délétère dans la dermatite atopique (DA). De plus, le microbiote cutané
associé à cette pathologie est déficient en staphylocoques à coagulase négative (CoNS) qui ont la capacité
d’éliminer S. aureusE. Dans cette étude en double aveugle contrôlée versus véhicule menée chez 11 patients
adultes atteints de DA, les auteurs ont évalué si le CoNS producteur d’antimicrobiens (CoNS-AM+) d’un
patient atteint de DA pouvait être réintroduit de manière autologue pour améliorer la DA. Isolé à partir d’une
zone non lésionnelle, le CoNS-AM+ a été appliqué sur les avant-bras à une concentration de 107 UFC/g. Cette
application a diminué de 99,2 % la colonisation de S. aureusE au niveau des lésions cutanées, diminution qui
a persisté pendant 4 jours après le traitement et qui était accompagnée d’une amélioration des symptômes.
Cette approche personnalisée par bactériothérapie pourrait donc constituer un traitement alternatif de
la DA.

Laisser les bactéries se battre entre elles ?

Commentaire de Bruno Pot

Dans cette étude, l’idée d’exclusion compétitive avec Staphylococcus aureusE. L’utilisation d’espèces
publiée dans Nature en 1973 1 (concept dit de taxonomiquement proches est également quelque
Nurmi) est reprise et nommée « bactériothérapie » ; chose que nous connaissons d’un autre concept
mais ne devrait-on pas parler plutôt de « thérapie datant de 19252 : le concept de bactériocine.
probiotique » ? Alors, cette approche ne comporte-t-elle aucun
Bien que cette étude présente une certaine risque ? Bien que les risques soient faibles, il serait
homologie avec l’approche de 1973, elle comporte bon de connaître le mécanisme à l’origine de l’effet
aussi des différences importantes. Alors que Nurmi anti-S. aureusE, et peut-être que des tests de dose
et Rantala avaient utilisé des ingesta non caractérisés et de spectre devraient également être réalisés,
prélevés dans le jabot et le tractus intestinal de trois pour éviter que le microorganisme utilisé en grande
coqs adultes en bonne santé pour les administrer quantité, bien qu’autologue, n’affecte négativement
directement à de jeunes poussins, dans cette la diversité du microbiote local, au-delà de
nouvelle étude, c’est un microorganisme clairement l’élimination de la ou des souches de S. aureusE...
identifié qui a été utilisé qui, de plus, provenait du Néanmoins, la conclusion est que des approches
propre microbiote du patient. Cela signifiait que personnalisées similaires pourraient à l’avenir être
d’un côté l’isolat serait sûr et bien toléré mais de intéressantes en termes d’optimisation de l’efficacité
l’autre, il fallait que le microorganisme soit déjà des traitements, et aussi que de telles approches
présent chez le patient. Par ailleurs, le concept pourraient être une alternative valable à l’utilisation
traditionnel d’exclusion compétitive n’envisageait pas des antibiotiques et des immunosuppresseurs : une
nécessairement la compétition entre des souches utilisation positive de connaissances anciennes dans
de la même espèce ou du même genre (Salmonella de nouvelles applications !
sp. dans le cas de Nurmi), mais comptait plus
probablement sur la compétition entre bactéries Références
pour des sites et des nutriments. Dans cette nouvelle 1. N
 urmi E, Rantala M. New aspects of Salmonella infection in
broiler production. Nature. 1973;241:210-211.
étude, le choix a été fait d’utiliser des staphylocoques
2. Gratia A. Sur un remarquable exemple d’antagonisme entre deux
à coagulase négative pour entrer en compétition souches de colibacille. CR Seances Soc. Biol. Fil. 1925;93:1040–1041.

16
FOCUS Paléontologie

Wibowo MC, et al. Reconstruction of ancient


microbial genomes from the human gut. Nature.
Résumé de l’article 2021;594:234-9.

La perte de diversité microbienne intestinale dans les populations industrielles ayant été associée à une
augmentation des maladies chroniques, une équipe internationale a reconstruit les génomes de huit
échantillons de paléofèces humaines authentifiées, récoltées dans le sud-ouest des États-Unis et au Mexique,
et les a comparées à 789 échantillons provenant de huit pays industrialisés ou non. Si ce profilage a mis en
évidence des similarités entre les génomes issus des paléofèces et des pays non industrialisés, il a confirmé des
divergences avec celles des pays industrialisés qui se caractérisaient par une présence supérieure de gènes
de résistance aux antibiotiques et de dégradation des mucines, en ligne avec une abondance plus élevée de
BacteroidetesP dans ces microbiotes, ainsi que par un appauvrissement en éléments génétiques mobiles, en
Ruminococcus callidusE, Butyrivibrio crossotusE et Treponema succinifaciensE. Pour les auteurs, cette étude
donne un nouvel éclairage sur l’histoire évolutive de l’Homme et de son microbiote intestinal.

Le microbiote au service de la paléomicrobiologie

Commentaire de Geneviève Héry-Arnaud

Cette étude est tout d’abord une prouesse microbiote intestinal ancestral. Pourtant, si l’on
technologique car elle a dû contourner une veut comprendre l’évolution de l’espèce humaine,
difficulté majeure : la dégradation importante des il semble désormais tout aussi fondamental
ADN microbiens présents dans les paléofèces. Ce de comprendre l’histoire de l’évolution de son
verrou a été levé notamment grâce à un protocole microbiote que celle de son génome. L’étude
d’extraction adapté aux acides nucléiques provenant du tartre de dents retrouvées dans les fouilles
de paléofèces, un séquençage très profond (100 à archéologiques s’est révélée riche d’enseignements
400 millions de paires de bases par échantillon) pour les paléoanthropologues 1. Cette étude est
et un assemblage de novo à grande échelle des la preuve de concept que les paléofèces sont une
génomes microbiens. autre source d’information précieuse permettant
Sur le fond, cette étude démontre que le microbiote
de reconstituer l’histoire évolutive des microbiotes
intestinal de sujets contemporains vivant dans des
humains, et donc de l’Homme, à travers les âges. Des
pays non industrialisés ressemble davantage au
études ultérieures pourraient également conduire à
microbiote intestinal de sujets vivant il y a 1000 à
la mise au point d’approches visant à ramener les
2000 ans qu’à celui de leurs contemporains vivant
microbiotes intestinaux industrialisés (autrement dit
dans des pays industrialisés. Elle confirme la perte
dysbiotiques) à leur état ancestral.
de biodiversité et de fonctions du microbiote induite
par l’ère industrielle et met en exergue la rapidité à
Référence
laquelle ce phénomène se produit.
1. Weyrich L, et al. Neanderthal behaviour, diet, and disease inferred
À l’heure actuelle, on sait peu de choses sur le from ancient DNA in dental calculus. Nature. 2017;357 -361.

Repère
D P C O F G E S
17
FOCUS Environnement

Danko D, et al. A global metagenomic map of


Résumé de l’article urban microbiomes and antimicrobial resistance.
Cell. 2021;184:3376-3393.e17.

Longtemps rurale, la majorité de la population mondiale (55 %) vit désormais en ville. Certains travaux
ayant montré que les interactions habitants-microbes différaient selon le type d’habitat, des chercheurs
internationaux ont souhaité étudier la dynamique microbienne en milieu urbain. Ils ont collecté, pendant
3 ans, 4 728 échantillons métagénomiques provenant des transports en commun de 60 villes permettant
de répertorier les souches microbiennes et leurs caractéristiques. Ils ont ainsi mis en évidence des
signatures taxonomiques distinctes et identifié 4 246 espèces connues de microorganismes urbains ainsi
qu’un ensemble cohérent de 31 espèces non commensales pour l’Homme dans une grande majorité des
échantillons. Les résistomes* variaient considérablement en termes de type et de densité d’une ville à
l’autre. Pour les auteurs, cet atlas ouvre de nouvelles perspectives notamment en santé publique et en
médecine légale.

Les villes aussi ont leur propre microbiote !


Commentaire de Philippe Gérard

De la même façon que nous hébergeons tous un espèces vivant en association avec l’être humain,
microbiote qui nous est propre, chaque ville dispose et spécialement celles de la peau. Cela inclut, par
de son microbiote spécifique, sorte de signature exemple, Cutibacterium acnes E qui se nourrit du
microbienne. C’est ce qui ressort de cette très large sébum. Ont également été retrouvées des bactéries
étude qui montre par ailleurs que le microbiote vivant dans le sol et, plus surprenant, des bactéries
est d’autant plus complexe et diversifié que la présentes habituellement dans l’océan. Les trois
ville est peuplée. En effet, s’il existe un « cœur » phyla bactériens les plus courants dans les villes du
de 31 microorganismes commun à 97 % des villes
monde, classés en fonction du nombre d’espèces
(Micrococcus luteusE, une bactérie responsable des
observées, sont ProteobacteriaP, ActinobacteriaP et
odeurs corporelles, fait par exemple partie d’une
FirmicutesP. Quant aux virus, la quasi-totalité sont
de ces espèces présentes dans presque toutes les
des bactériophages, c’est-à-dire qu’ils s’attaquent
villes du monde), la plupart sont spécifiques à un
aux bactéries. La « signature microbienne » d’une
seul lieu. À tel point qu’on estime qu’il serait possible
ville serait donc un mélange dépendant de multiples
de déterminer avec une précision d’environ 90 %
où réside une personne en séquençant l’ADN se facteurs, comme la nourriture qu’on y trouve, les
trouvant sur ses chaussures ! usines présentes, la nature du sol aux alentours ou
Un total de près de 14 000 microorganismes les pratiques en matière d’hygiène… À partir des
ont ainsi été identifiés, parmi lesquels plus de informations collectées, les auteurs ont créé une base
10 000 virus et plus de 700 bactéries jusqu’alors de données nommée MetaSUB, appelée à s’enrichir
inconnus. De façon intéressante, parmi les et accessible sur Internet : on peut y découvrir les
bactéries présentes, on retrouve en majorité des microorganismes présents dans chaque ville étudiée.

* Ensemble des gènes de résistance à un ou plusieurs antibiotiques dans un environnement donné.

18
FOCUS G astro-entérologie

Baumgartner M, et al. Mucosal biofilms are an en-


doscopic feature of irritable bowel syndrome and
Résumé de l’article ulcerative colitis. Gastroenterology. 2021;161:1245-
1256.e20.

Les biofilms sont des structures hétérogènes adhérant aux surfaces, formées de microorganismes à
prédominance bactérienne englobés dans une matrice extracellullaire leur conférant de multiples avantages
métaboliques et défensifs. Impliqués dans le fonctionnement normal de nombreux écosystèmes, leur rôle
a également été montré dans certaines maladies chroniques. C’est pourquoi une équipe autrichienne a
évalué leur présence chez 1 426 patients et 36 sujets contrôle. Les résultats ont montré que 57 % des
sujets atteints du syndrome de l’intestin irritable (SII) et 34 % de rectocolite hémorragique (RCH) abritaient
des biofilms au niveau de leurs muqueuses iléale et colique contre 6 % des témoins. En analysant les
biofilms de 117 individus, ils ont mis en évidence une diminution de la diversité, un milieu dysbiotique,
associé notamment à la prolifération d’Escherichia coliE et de Ruminococcus gnavusE et à une accumulation
d’acides biliaires. Pour les auteurs, ces éléments donnent un aperçu différent de la physiopathologie de ces
pathologies et ouvrent de nouvelles perspectives diagnostiques et thérapeutiques.

Les biofilms : un marqueur d’intestin irritable ?


Commentaire de Stanislas Bruley des Varannes

Si la physiopathologie du SII est loin d’être univoque, ou associés. Les effets propres de ces biofilms ne
ces dernières années, la contribution du microbiote sont pas connus et on ne peut exclure certains
et de ses métabolites n’a cessé d’être documentée effets directs dans la pathogénie du SII comme des
et enrichie. Le travail rapporté ici constitue une troubles locaux de la motricité, des modifications
étape importante et une réelle avancée, non pas de la perméabilité, de la production de mucus,
tant par les confirmations physiopathologiques etc. Ce travail montre aussi nettement les liens
qu’il apporte, mais bien plus par ses potentielles avec un microbiote dysbiotique (richesse et
retombées en pratique clinique. diversité bactériennes abaissées), mais également
Le diagnostic de SII dont on recommande de ne avec un taux intraluminal et fécal élevé d’acides
pas en faire un diagnostic d’élimination reste difficile biliaires. Ce travail documente des liens entre
à établir sans contexte de durée. La présence de ces biofilms et certaines bactéries comme
ces biofilms, facilement identifiables en endoscopie Ruminococcus gnavus E (augmentées) ou les
courante, bien qu’insuffisamment sensibles et bactéries productrices d’acides gras à chaîne
spécifiques d’après ces premières données, pourrait courte (abaissées). Ces liens peuvent aussi faire
constituer une aide importante dans l’affirmation du espérer des potentiels biomarqueurs, voire des
diagnostic positif auprès des patients. cibles thérapeutiques, comme pourraient l’être
À ce stade, de nombreux éléments restent à docu­ également les concentrations d’acides biliaires
menter en raison de plusieurs facteurs confondants primaires et d’acide ursodésoxycholique.

Repère
D P C O F G E S
19
FOCUS Oncologie

Xiao Q, et al. Alterations of circulating bacterial


Résumé de l’article DNA in colorectal cancer and adenoma: a proof-
of-concept study. Canc Lett. 2021;499:201-8.

Dans le cancer colorectal, la plupart des études de métagénomique se sont basées sur des échantillons fécaux.
Quoique plus facile d’accès, l’ADN bactérien circulant restait inexploré. Cette étude de preuve de concept a
donc analysé les altérations de l’ADN bactérien circulant de 25 patients atteints de cancer colorectal (CRC),
de 10 patients atteints d’adénome colorectal (ACR) et de 22 témoins sains (TS). Les résultats ont montré
que la majorité de l’ADN bactérien circulant provenait de genres bactériens généralement associés au tractus
buccal et gastro-intestinal. Une analyse comparative des ADN circulants a permis d’identifier 127 espèces
d’intérêt dont 28 ayant le potentiel de différencier les sujets atteints de CRC des sujets sains. Pour les auteurs,
les altérations de l’ADN bactérien circulant pourraient devenir des biomarqueurs non invasifs de dépistage et
de diagnostic précoce du cancer colorectal.

Le dépistage du cancer par l’analyse du microbiote


sanguin : un nouveau paradigme
Commentaire de Jacques Amar

La présence d’un microbiote circulant a été établie bactériens. À cet égard, Bullman et al.5 ont montré
et son rôle comme biomarqueur a été montré pour que les métastases hépatiques des cancers coliques
la première fois dans les maladies métaboliques étaient colonisées par des bactéries. Ainsi, il est
en 20111. Une description exhaustive du microbiote possible que les cellules cancéreuses localisées
sanguin chez le sujet sain a été rapportée en 20162. dans la tumeur colique servent de transporteurs à
Depuis lors, l’évaluation du rôle du microbiote ces bactéries lors de leur migration du côlon vers le
circulant et tissulaire dans différentes pathologies foie et expliquent les résultats observés par Xiao et
humaines s’est poursuivie, notamment dans le ses collègues. À la lumière de l’étude de Riquelme et
cancer. Dans un article « pivot », Riquelme et al.3, on peut spéculer sur l’impact de ces bactéries
al. 3 ont établi l’existence d’une translocation du sur la réponse immunitaire et le pronostic du cancer
microbiote intestinal vers la tumeur pancréatique du côlon. De façon plus immédiate, la validation
et le rôle du microbiote de la tumeur pancréatique d’un profil de microbiote sanguin du cancer colique
sur le pronostic. Dans un autre article important ouvrirait la voie, par une simple prise de sang, à un
dans le domaine, Poore et al.4 ont mis en évidence dépistage de ce cancer qui représente la seconde
à partir d’une ré-analyse des données rassemblées cause de décès par cancer en France.
dans le Cancer Genome Atlas le rôle du microbiote
sanguin pour prédire de façon précoce la survenue Références
de différents cancers, notamment dans le poumon, 1. Amar J, et al. Involvement of tissue bacteria in the onset of diabetes
le pancréas et le mélanome. Cet article de Xiao et in humans: evidence for a concept. Diabetologia. 2011;54:3055-61.
2. Païssé S, et al. Comprehensive description of blood microbiome
al. s’inscrit dans ce nouveau champ d’investigation from healthy donors assessed by 16S targeted metagenomic
qu’est l’analyse du microbiote sanguin pour faire le sequencing. Transfusion. 2016;56:1138-47.
diagnostic du cancer. Dans cette étude cas-témoin, 3. Riquelme E, et al. Tumor Microbiome Diversity and Composition
Influence Pancreatic Cancer Outcomes. Cell. 2019;178:795-806.
les auteurs montrent l’existence d’un profil spécifique e12.
du microbiote sanguin chez les patients porteurs de 4. Poore GD, et al. Microbiome analyses of blood and tissues suggest
cancer diagnostic approach. Nature. 2020;579:567-74.
cancers colorectaux. Ce résultat pourrait s’expliquer 5. Bullman S, et al. Analysis of Fusobacterium persistence and
par un relargage par la tumeur de composants antibiotic response in colorectal cancer. Science. 2017;358:1443-8.

20
FOCUS Oncologie

Fan L, et al. A. muciniphila Suppresses Colorec-


tal Tumorigenesis by Inducing TLR2/NLRP3-Me-
Résumé des articles diated M1-Like TAMs. Cancer Immunol Res.
2021;9:1111-24.

Les interactions entre microbiote intestinal et système immunitaire sont impliquées dans la pathogenèse
du cancer colorectal. Des chercheurs ont observé que l’abondance d’Akkermansia muciniphilaE était
significativement réduite chez les patients atteints de cancer colorectal. Une supplémentation en A.
muciniphilaE a réduit le développement de tumeurs coliques dans un modèle murin. Mécanistiquement
ou au niveau cellulaire, A. muciniphilaE a facilité, au niveau de la tumeur, l’enrichissement en macrophages
de type 1, capable d’inhiber la progression tumorale. Cette fonctionnalité induite par A. muciniphilaE était
dépendante de l’inflammasome et de la voie TLR2. Ces résultats ont été confirmés par l’observation de
corrélations positives entre les macrophages de type M1, NLRP3/TLR2 et A. muciniphilaE chez des patients
atteints de cancer colorectal. Les macrophages de type M1 induits par A. muciniphilaE constitueraient donc
une cible thérapeutique.

Immunité innée dans l’homéostasie immunitaire


antitumorale : nouvelle démonstration du rôle majeur
du microbiote
Commentaire de Cyrille Hoarau

L’article de Fan et al. met en évidence les activation de l’inflammasome (NLRP3) permettant
mécanismes moléculaires qui lient l’immunité innée la production de cytokines pro-inflammatoires.
et le microbiote dans l’homéostasie intestinale. Ils Comme les auteurs le suggèrent, la démonstration
démontrent, de façon élégante, les mécanismes d u rô l e d e p ro te c t i o n a n t i c a n cé re u s e d e
qui sont à l’origine de l’effet anticancéreux de A. muciniphila E dans le cancer colorectal offre
A. muciniphila E . Cette bactérie à Gram négatif des perspectives intéressantes notamment dans
est souvent présentée comme une bactérie le développement de nouvelles thérapeutiques
probiotique prometteuse dans l’homéostasie ciblant l’immunité innée, via l’axe TLR-2/NLRP3
immunitaire. Les auteurs se sont intéressés ici pour induire des macrophages de type 1 protecteur.
aux effets anticancéreux d’A. muciniphila E dans On peut regretter que les auteurs ne se soient
un modèle de cancer colorectal murin. Partant pas intéressés aux composants ou métabolites
de l’observation que A. muciniphila E était réduit de A. muciniphila E qui engagent le TLR-2 et qui
chez les sujets présentant un cancer colorectal, ils sont responsables de cet effet protecteur. Quoi
ont initialement montré que la présence de cette qu’il en soit, cet article est aussi une nouvelle
bactérie permettait de réduire la progression démonstration du rôle majeur de l’immunité
tumorale et que cet effet était lié à l’induction innée dans l’homéostasie immunitaire induite
de macrophages de type 1 (pro-inflammatoire) par le microbiote (cf. La Revue des Microbiotes
qui infiltraient la tumeur. Ils ont également pu n°21) : la correction d’une dysbiose pourrait ainsi
démontrer que cette induction de cellules innées représenter une stratégie thérapeutique dans
était dépendante de la voie TLR-2 et d’une l’arsenal anticancéreux.

Repère
D P C O F G E S
21
FOCUS Pédiatrie

Song SJ, et al. Naturalization of the microbiota


Résumé de l’article developmental trajectory of Cesarean-born neonates
after vaginal seeding. Med 2021;2:889-91.

La naissance par césarienne modifie le microbiote du nourrisson et est associée à un risque accru de
troubles immunitaires et métaboliques. Dans cette étude observationnelle, des nouveau-nés ont été exposés
juste après leur naissance par césarienne aux fluides vaginaux de leur mère. L’analyse a confirmé que les
trajectoires du microbiote des bébés nés par césarienne exposés s’alignaient plus étroitement sur celles
des bébés nés par voie vaginale. Le jour de la naissance, les microbiotes vaginaux maternels contenaient de
fortes proportions de bactéries typiques d’autres sites corporels, contrairement aux femmes non enceintes
et la greffe de ces bactéries a normalisé le développement du microbiote dans différents sites corporels
du nourrisson. La normalisation du microbiote du nourrisson dès la naissance pourrait donc atténuer les
effets collatéraux de l’absence de colonisation et ainsi, réduire le risque accru de maladies immunitaires et
métaboliques associé à la naissance par césarienne.

Contrebalancer les effets négatifs de la césarienne sur


le microbiote intestinal du nouveau-né : des résultats
­confirmés pour le vaginal seeding*
Commentaire d’Alexis Mosca

En 2016, Dominguez-Bello et al. avaient fait sensation auteurs ont aussi pu confirmer que, quel que soit le
en publiant les résultats d’une étude pilote originale : mode d’accouchement, on ne voyait plus de différence
ensemencer les nouveau-nés, nés par césarienne, de composition des microbiotes intestinal, cutané et
avec le microbiote vaginal de leur maman grâce à une oral entre les 3 groupes à l’âge d’un an. Cela montre
compresse qui avait été déposée à son contact une bien qu’une altération précoce des interactions entre
heure avant la césarienne1. Il a en effet été proposé que microbiote intestinal et sys­tème immunitaire laisse une
l’augmentation du risque de maladies dysimmunitaires empreinte durable sur ce dernier, qui pourrait impacter
constatée après la naissance par césarienne pouvait la santé future de l’enfant. Cela montre également
être, au moins en partie, expliquée par l’effet négatif l’importance des premières bactéries colonisatrices
de la colonisation de leur microbiote intestinal par sur la façon dont va se mettre en place le microbiote
les microorganismes de la peau de la maman, alors intestinal de l’enfant dans les premiers mois de vie,
que lors d’une naissance par voie basse, l’intestin du comme cela avait été montré chez l’animal2. Notons
nouveau-né était préférentiellement colonisé par les également que d’autres approches pour contrebalancer
microorganismes vaginaux. Voici donc, 5 ans après, la l’effet dysbiotique d’une naissance par césarienne ont
confirmation de ces résultats par la même équipe mais été proposées dont une transplantation du microbiote
cette fois ci sur une cohorte plus large (173 naissances fécal maternel dans les premières heures de vie3.
dont 97 voies basses, 48 césariennes et 28 césariennes
+ ensemencement vaginal). Chez ces nouveau-nés, *colonisation du nouveau-né par les bactéries vaginales de la mère.

l’ensemencement vaginal a permis de retrouver une Références


composition microbienne intestinale plus proche de 1. D
 ominguez-Bello MG, et al. Partial restoration of the microbiota
of cesarean-born infants via vaginal microbial transfer. Nat Med.
celles des enfants nés pas voie basse que de ceux 2016;22:250-3.
2. M artínez I, et al. Experimental evaluation of the importance of
nés par césarienne sans ensemencement. De façon colonization history in early-life gut microbiota assembly. eLife. 2018;7.
intéressante, les microbiotes oral et cutané des bébés 3. Korpela K, et al. Maternal Fecal Microbiota Transplantation in
Cesarean-Born Infants Rapidly Restores Normal Gut Microbial
ont également été « corrigés » par cette méthode. Les Development: A Proof-of-Concept Study. Cell. 2020;183:324-334.e5.

22
FOCUS Neurologie

Heinzel S, et al. Gut microbiome signatures of risk


Résumé de l’article and prodromal markers of Parkinson’s disease. Ann
Neurol. 2021;90:E1-E12.

Des altérations du microbiote intestinal dans la maladie de Parkinson (MP) existent. Précèdent-elles
l’apparition de la maladie ? Comment sont-elles liées au risque et aux marqueurs prodromiques de la
MP ? Les marqueurs de risque et prodromiques de la MP, les facteurs liés à l’alimentation/au mode de vie,
à la fonction intestinale et aux médicaments ont été étudiés en relation avec la diversité, les entérotypes
et l’abondance différentielle dans des échantillons de selles de 666 personnes âgées. Certains facteurs,
comme l’inactivité physique, la constipation et l’âge, étaient associés à la diversité et/ou à un entérotype.
Par exemple, la constipation était plus élevée chez les individus ayant l’entérotype enrichi en FirmicutesP.
Certains autres facteurs (dont la perte olfactive, la dépression, l’hypotension orthostatique et les antécédents
familiaux de MP) n’ont montré aucune association avec le microbiote. Les auteurs ont conclu que l’impact
du microbiote dans la MP devait faire l’objet d’études plus approfondies basées sur des données cliniques
prospectives et (multi)omiques.

Microbiote intestinal : un potentiel marqueur précoce de la


maladie de Parkinson ?
Commentaire de Patrick Vermersch

Les maladies neurodégénératives se révèlent à un différentes diversités microbiennes chez des sujets
stade souvent avancé du processus pathologique, constipés, plutôt sédentaires, avec des altérations
limitant beaucoup les effets des thérapeutiques des mouvements oculaires durant le sommeil, ayant
susceptibles de ralentir le processus dégénératif. été exposés aux solvants ou encore montrant des
Dans la MP, des signes comme l’anosmie ou certains signes minimes de MP débutante. Les associations
symptômes associés au sommeil sont considérés les plus fortes concernaient la constipation avec
comme des prodromes1. Sachant qu’il est admis l’abondance des FirmicutesP et la sédentarité avec
que l’axe intestin-cerveau joue un rôle dans la les BacteroidesG. Même si l’étude a quelques limites,
physiopathologie de la MP2, il était intéressant de notamment le caractère déclaratif de certains
savoir si des altérations du microbiote intestinal marqueurs, l’analyse montre bien une association
étaient associés à ces signes prodromiques. entre diversité du microbiote et quelques signes
L’intérêt de cette étude a été de considérer, au- prodromiques ou précoces. Le suivi prospectif
delà de ces signes, des facteurs de risque avérés de
d’une telle population, associé à d’autres marqueurs
MP comme les antécédents familiaux, l’exposition
biologiques ou d’imagerie, notamment métaboliques,
prolongée à des pesticides ou encore le mode
sera déterminant pour déterminer le caractère
de vie, et notamment la sédentarité. Les résultats
prédictif des modifications du microbiote.
pourraient paraître décevants car l’étude n’a
pas montré d’association forte avec des signes
Références
prodromiques comme l’anosmie, ou précoces 1. Heinzel S, et al. Update of the MDS research criteria for prodromal
comme la dépression et l’hypotension orthostatique. Parkinson’s disease. Mov Disord. 2019;34: 1464-70.
Néanmoins, en incluant une population de sujets 2. Stokholm MG, et al. Pathological α-synuclein in gastrointestinal
tissues from prodromal Parkinson disease patients. Ann Neurol.
âgés mais sains, cette étude a permis d’objectiver 2016;79:940-9.

Repère
D P C O F G E S
23
R E P È R E S TA XO N O M I Q U E S

Repère
Domaine Phylum Classe Ordre Famille Genre Espèce Sous-espèce
4 4 4 4 4 4 Ex. : Lactobacillus 4 Ex : L. delbrueckii
Ex. : Bacteria Ex. : Firmicutes Ex. : Bacilli Ex. : Lactobacillales Ex. : Lactobacilleaceae Ex. : Lactobacillus delbrueckii subsp. bulgaricus

La taxonomie est la science de la classification. Elle permet d’ordonner des éléments en différents groupes (ou
taxons) selon leurs caractères communs, des plus généraux aux plus particuliers. Elle peut par conséquent être
évolutive au gré des découvertes ou des principes adoptés. Sa représentation graphique est souvent celle d’un
arbre ou tout simplement de niveaux.

La taxonomie du vivant (dite également systématique)


Il s’agit d’une classification scientifique, initialement L’espèce (du latin species, « type » ou « apparence ») est
proposée par Carl Linneus en 17351. le taxon de base de la systématique. Dans la philosophie
Le domaine constitue le 1er niveau de la taxonomie du biologique de Linnaeus, c’est le niveau qui permet la
vivant. La classification actuelle distingue trois domaines : multiplication sexuelle. Dans le domaine des procaryotes,
bactériesD, archéesD et eucaryotesD. en absence d’une multiplication sexuelle, l’espèce est un
Le niveau suivant correspond au règne mais il existe de concept plus qu’une ­réalité biologique dont les critères,
nombreuses controverses sur le nombre de règnes existants les limites et la dénomination sont définis par l’être
humain. Des espèces aux caractéristiques communes
(de 2 à 6 selon les sources1,3). Il est donc rarement utilisé ce
peuvent être rassemblées au sein de groupes.
qui module le nombre de rangs.
On utilise enfin parfois des échelons intermédiaires (sous-
Le phylum (ou embranchement) est le 2e (ou 3e) niveau de la
embranchement, sous-famille ou sous-espèces). Il est ainsi
classification classique. Il désigne une lignée évolutive c’est- possible, à l ’intérieur d’une même espèce ou sous-espèce,
à-dire que les espèces le composant sont toutes issues d’un de distinguer différentes souches. Elles sont souvent
même ancêtre. Il en existe 29 chez les bactéries. Dans les identifiées par un numéro de collection ou par le nom
publications sur le microbiote humain, les phyla FirmicutesP, donné par l’auteur qui a décrit la souche dans la littérature
ActinobacteriaP, ProteobacteriaP et BacteroidetesP sont très scientifique, par exemple Lactobacillus acidophilusE LA
souvent représentés. 201. Ainsi, chaque souche peut être distinguée des autres
La classe est le 3e (ou 4e) niveau de la classification classique souches appartenant à la même espèce ou sous-espèce.
des espèces vivantes. Certaines classes donnent souvent En pratique courante, le nom officiel d’une bactérie
leur nom au phylum4 ce qui peut causer des confusions (ex : renseigne à la fois sur son genre, son espèce et, si elle
ActinobacteriaP et C). existe, sa sous-espèce. Il peut s’écrire en toutes lettres
L’ordre est le 4e (ou 5e) niveau de classification classique. ou seulement avec l’initiale du genre. Par exemple,
Le nom des ordres se termine par le suffixe -ales chez les Lactobacillus delbrueckii subsp. bulgaricus S ou
bactéries, de même que chez les plantes, les algues et les L. delbrueckii subsp. bulgaricusS est une bactérie du genre
champignons. Un exemple bien connu : les LactobacillalesO. LactobacillusG, de l’espèce Lactobacillus delbrueckiiE et de
La famille constitue le 5e (ou 6e) niveau de la classi­ sous-espèce bulgaricusS. L’initiale du genre s’écrit toujours
fication classique. Ce taxon regroupe les genres et les en majuscule et le nom en italique.
espèces qui présentent le plus de similitudes entre eux. Références
Le nom des familles se termine par le suffixe -aceae chez 1. Linnaeus C. Systemae Naturae, sive regna tria naturae, s­ ystematics
proposita per classes, ordines, genera & species. 1735.
les bactéries, de même que chez les plantes, les algues et
2. Oren A. Microbial life at high salt concentrations: phylogenetic
les champignons. Ce nom s’écrit toujours en italique (ex : and m ­ etabolic diversity. Saline Systems. 2008 Apr 15;4:2.
LactobacillaceaeF). 3. Cavalier-Smith T. A revised six-kingdom system of life. Biol Rev
Le genre est le 6e (ou 7e) niveau de la classification classique. Camb Philos Soc. 1998;73:203-66.
4. Stackebrandt E, et al. Proposal for a new ­hierarchic classification
Il regroupe un ensemble d’espèces ayant en commun ­system, Actinobacteria classis nov. Int. J. Syst. Bacteriol 1997;47:
plusieurs caractères phéno- et génotypiques. ­479–91.

oo
Z
sur
m Lactobacillus inersE
Bruno Pot
Cette espèce anaérobie facultative à Gram positif, officiellement nommée en 1999 par le microbiologiste suédois
Enevold Falsen1, a été isolée à partir de l’urine humaine et initialement appelée groupe EF 47. On sait aujourd’hui
que cette espèce est un résident habituel de l’appareil reproducteur inférieur chez les femmes en bonne santé.
L. inersE possède un génome exceptionnellement petit, indiquant un mode de vie symbiotique ou parasitaire, qui
code l’inérolysine, une toxine porogène apparentée à la vaginolysine de Gardnerella vaginalisE. Les variants clonaux
peuvent favoriser un vagin sain ou être associés à une dysbiose ou une maladie2.
Phylum
Domaine 4 4 Classe 4 Ordre 4 Famille 4 Genre 4 Espèce
Bacillota
Bacteria (Firmicutes) Bacilli Lactobacillales Lactobacillaceae Lactobacillus L. iners

Références : 1. Falsen E, et al. Phenotypic and phylogenetic characterization of a novel Lactobacillus species from human sources:
­description of Lactobacillus iners sp. nov. Int J Syst Bacteriol. 1999;49:217-221. 2. Petrova MI, et al. Lactobacillus iners: Friend or Foe?
Trends Microbiol. 2017;25:182-191.

24
YREVUE MICR22

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