Spub 042 0383

La perception de la santé publique des infirmières à
l'hôpital
Jeanine Pommier, Anne Laurent-Beq, B. Beurrier, S. Fidan, L. Guilhem, L. Jeandel,
V. Ligoure, V. Thomas
Dans Santé Publique 2004/2 (Vol. 16), pages 383 à 392
Éditions S.F.S.P.
ISSN 0995-3914
DOI 10.3917/spub.042.0383
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PRATIQUES
Santé publique 2004, volume 16, no 2, pp. 383-392
La perception de la santé
publique des infirmières
à l’hôpital
Hospital nurses’perception of public health
J. Pommier (1), A. Laurent-Beq (1), B. Beurrier (2), S. Fidan (2),
L. Guilhem (2), L. Jeandel (2), V. Ligoure (2), V. Thomas (2)
Résumé : L’objectif de ce travail est d’étudier à partir d’un exercice pédagogique en

IFSI, la perception de la santé publique des infirmiers à l’hôpital.
Une étude qualitative a été réalisée par des entretiens semi directifs menés par des
étudiants d’une IFSI auprès d’infirmières hospitalières de différents services au sein
d’un hôpital de province.
Les principaux résultats montrent que pour un tiers des infirmiers interrogés, l’hôpital
n’est pas un lieu pour l’exercice de la santé publique. En ce qui concerne leur définition
de la santé publique, elle est très liée à la notion de prévention, avec des approches
plutôt individuelles. Cette définition est très proche des activités qu’ils mènent en santé
publique à l’hôpital et qui sont axées sur l’information et la prévention de maladies, sur
l’éducation à la santé et la relation d’aide et d’écoute des patients et des familles. Peu
d’infirmiers projettent leurs activités de santé publique dans les domaines de l’hygiène
hospitalière, de l’accueil du patient, de l’organisation des services, l’amélioration de la
qualité des soins.
Les pistes qui se dégagent de ce travail portent sur le renforcement de la formation sur
l’éducation du patient, sur le travail de l’hôpital en réseau avec des partenaires

extérieurs, et sur une meilleure valorisation des activités de santé publique au sein de
l’hôpital.
Summary : The objective of this work was to study hospital nurses’ perceptions of
pubic health based on a pedagogical exercise. A qualitative study, lead by students of
a training institute for nursing care (IFSI), was conducted using semi-directed interviews
of hospital nurses from different departments of a provincial hospital. The main results
show that for one-third of the nurses interviewed, the hospital is not a setting for public
health practice. In terms of their definition of public health, it is closely linked to the
concept of prevention, with primarily individual approaches. This definition is very close
to the public health activities that they conduct at the hospital and which are centred on
information and disease prevention, on education related to pathologies and the
relationship between the provision of care and listening to the patients and their
families. Few nurses place their public health activities within the scope of the areas of
hospital cleanliness, the welcoming of the patients, the organisation of services, and the
(1) Société française de santé publique (SFSP).

(2) Étudiants à l’Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) de Saint-Dié. CHG 88100 St-Dié-les-Vosges.
Tiré à part : J. Pommier Réception : 15/03/2004 - Acceptation : 27/04/2004

Dept POLITISS
r
École nationale de santé publique - Av. du P Léon-Bernard, 35043 Rennes cedex.
384 J. POMMIER, A. LAURENT-BEQ, B. BEURRIER, S. FIDAN, L. GUILHEM,
L. JEANDEL, V. LIGOURE, V. THOMAS
improvement of the quality of care. The potential tracks which have emerged from this
work lead to the need for the strengthening of training in patient education, in the
hospital’s work networking with external partners, and in better development of public
health activities undertaken in the hospital setting.
Mots clés : infirmières - santé publique - hôpital.

Key words : nurses - public health - hospitals.
Introduction optionnel de santé publique. Cette

démarche avait deux objectifs :
La profession d’infirmier de santé
publique n’est pas définie dans l’orga- – Rendre plus concret l’enseigne-
nisation de la profession comme une ment aux méthodes de recherche en
spécialisation. Ainsi, sont souvent santé publique en intégrant les étu-
définis comme infirmiers de santé diants à un travail en cours, en leur
publique des professionnels interve- offrant la possibilité de participer à un
nant dans des champs spécifiques : la recueil d’information et à l’analyse du
PMI, le service de promotion de la matériel recueilli.
santé en faveur des élèves, les infir- – Enrichir leur réflexion sur la défini-
miers du travail, les DDASS et DRASS, tion de la santé publique et leurs mis-
etc. sions en tant que futurs profession-
nels de santé en leur proposant d’in-
Paradoxalement, le lien entre la
terroger des soignants sur ces ques-
fonction d’infirmiers et la santé
tions.
publique est moins présent en milieu
hospitalier. Pourtant, l’enseignement Le présent article fait état des résul-
de cette discipline fait aujourd’hui tats de leur travail d’enquête. Celle-ci
partie intégrante de la formation en s’intégrait dans le cadre d’un travail de
IFSI et l’approche de santé publique recherche de la Société française de

est intégrée à la pratique infirmière. santé publique sur la place des infir-
Mais cet enseignement, parce qu’il mières dans le champ de la santé
semble déconnecté d’une technique publique, leurs compétences et leurs
et de la relation au patient peut appa- missions.
raître comme abstrait aux étudiants.
Comment vont-ils le réinvestir dans Les étudiants ont traité plus particu-
leurs pratiques professionnelles ? lièrement la perception des infirmiers
Vont-ils plus tard avoir le sentiment hospitaliers concernant la place de la
d’exercer une mission de santé santé publique dans leur milieu de tra-
publique ? Comment peut se définir vail. Il s’agissait d’étudier et d’analyser
cette mission ? la définition de la santé publique don-
née par les infirmiers hospitaliers,
C’est à partir de ces questions que d’analyser les activités de santé
nous avons construit avec des étu- publique menées par ces profession-
diants de deuxième année de l’IFSI (3) nels, les compétences nécessaires
de Saint-Dié une démarche pédago- pour la mise en place de ces activités,
gique dans le cadre d’un module la place et les apports de la formation
ainsi que les obstacles rencontrés
pour le développement d’actions de
(3) Institut de formation en soins infirmiers. santé publique en milieu hospitalier.
LA PERCEPTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE DES INFIRMIÈRES À L’HÔPITAL 385
Méthode publique, la reconnaissance profes-

sionnelle dans ce rôle ;
Une étude qualitative a été réalisée
– les compétences mobilisées par
par des entretiens semi-directifs
les professionnels pour mettre en place
menés auprès d’infirmières hospita-
ces activités, leur formation en santé
lières de différents services au sein
publique et les compétences spéci-
d’un hôpital de province. Les services
fiques des infirmiers pour mener des
participants ont été choisis en fonction
activités de santé publique à l’hôpital ;
de leur accessibilité pour mener ce
type d’entretien. Les 14 services qui – les souhaits concernant la mise
ont participé sont les suivants : en place d’activités de santé publique
hépato-gastro-entérologie, cardiolo- au sein des services les obstacles ren-
gie, plateau technique cardiologie, contrés pour développer des activités
réanimation médicale, réanimation chi- de santé publique.
rurgicale, médecine du travail, hôpital Les entretiens ont été réalisés par
de jour pour enfant (psychiatrie), hôpi- des étudiants en soins infirmiers de
tal de jour pour adulte (psychiatrie), deuxième année. Ils ont été enregis-
centre médico-psychologique adultes, trés et retranscrits. Une analyse de
endoscopie, salle de réveil, bloc opé- contenu thématique à permis leur trai-
ratoire, médecine A, UPATOU. tement.
Les infirmières rencontrées dans le
cadre de cette étude ont été dési-
Résultats
gnées par le cadre infirmier du service
en fonction des contraintes organisa- Les entretiens se sont déroulés sur
tionnelles au moment de l’enquête. 4 jours et au sein de 14 services diffé-
rents, leur durée moyenne des entre-
La grille d’entretien comprenait les
tiens était de 20 à 30 minutes. Cer-
thèmes suivants :
tains se sont déroulés avec 2 infir-
– la perception des infirmières sur la mières, ce qui porte le nombre de
santé publique en général : les profes- professionnels rencontrés à 21 :

sionnels et les structures ou institu- 19 femmes et 2 hommes. Parmi eux,
tions impliqués dans le champ de dix-neuf ont suivi la formation d’infir-
la santé publique, des exemples mier d’orientation générale, un s’est
d’actions ou de missions de santé spécialisé en Infirmier de Bloc Opéra-
publique ainsi que leur propre défini- toire Diplômé d’État (IBODE) et deux
tion de la santé publique ; ont un diplôme d’infirmier spécialisé
– la perception de la place des infir- en psychiatrie. Le tableau ci-dessous
miers en santé publique ; mentionne les informations relatives à
– leur pratique infirmière et la santé l’ancienneté dans la profession et
publique : mise en place ou participa- l’ancienneté dans le service des per-
tion à des activités relevant de la santé sonnes interrogées.
Ancienneté dans la profession Ancienneté dans le service

Moins de 5 ans 4 8
De 6 à 10 ans 4 9
De 11 à 15 ans 6 2
Plus de 16 ans 7 2
Total de l’effectif 21 21
La perception de la santé publique : sibles. Enfin les actions humanitaires

quelles structures, quelles ou médiatiques (Téléthon) sont
professions, quelles actions ? décrites comme des actions de santé
publique. Les interventions relevant
Pour la plupart des enquêtés, les de l’amélioration des conditions de vie
personnes concernées par la santé et de l’environnement ne sont citées
publique sont tous les professionnels qu’une seule fois.
de santé, par exemple les médecins,
les infirmiers, les sages femmes, etc.
La santé publique « réduite »
Les assistants sociaux, les ensei-
au champ de la prévention
gnants, les politiques ou décideurs,
les financeurs ont aussi été cités. A la La définition de la santé publique
lecture de l’ensemble des résultats, on est articulée autour de la notion de
constate un nombre important de pro- prévention des maladies ou des
fessions en lien avec l’enfant et/ou risques au niveau individuel : « …c’est
l’adolescent. Plus rarement, ont été tout ce qui a trait de la prévention par
cités des professionnels qui travaillent rapport à certaines maladies … ».
dans le cadre de l’environnement Rares ont été les infirmiers proposant
comme par exemple les éboueurs. une définition plus large et intégrant
En ce qui concerne les institutions notamment la collectivité : « on peut
et les structures impliquées dans la intervenir individuellement mais il faut
santé publique, les structures citées surtout, enfin je pense puisqu’elle est
sont très variées et l’ensemble des publique, intervenir collectivement ».
établissements de soins apparaissent. Peu d’infirmiers ont élargi la notion
L’hôpital est le premier cité mais il est de prévention d’une maladie à
néanmoins intéressant de relever d’autres actions de santé plus glo-
qu’un tiers des personnes interrogées bales en référence au maintien d’un
ne le considère pas comme un lieu état de santé : « Toutes les actions
d’exercice de la santé publique. qu’on peut mettre en place, les actions
de prévention surtout pour aider les

Les autres institutions sont les
DRASS et DDASS, les structures personnes à mettre en œuvre des
socio-sanitaires, l’éducation natio- choses qui leur permettent justement
nale, les caisses d’assurance maladie de garder la santé physique ou men-
et certains organismes internationaux tale. » Les termes le plus souvent
tels que l’Organisation mondiale de la employés pour qualifier la santé
santé. Les entreprises privées appa- publique sont les suivants : « pré-
raissent peu. venir », « informer », « éduquer ». Rares
ont été les infirmiers qui ont parlé
Dans l’analyse du discours des per- de l’environnement des personnes
sonnes interrogées, les actions de comme étant un levier de l’action de
santé publique relèvent quasi exclusi- santé publique. Un seul infirmier a pré-
vement du champ de la prévention cisé que la santé publique est surtout
avec d’une part, les actions théma- axée sur la prise en charge des per-
tiques centrées sur le tabac, l’alcool, sonnes les plus en difficultés : « C’est
les drogues, les soins dentaires, les la santé de la France d’en bas : c’est
accidents de la route, la vaccination, des gens qui ne vont pas forcément
le sida, les maladies sexuellement aller d’eux-mêmes consulter, ils n’ont
transmissibles et d’autre part, les rien pour se raccrocher, ils vont dans
dépistages du cancer, des hépatites, un centre ou on va les guider pour les
des maladies sexuellement transmis- examiner parce qu’ils ne peuvent pas
faire la démarche tout seul. C’est une Quelle pratique de la santé publique
garantie pour les gens qui n’ont pas pour les infirmiers à l’hôpital ?
d’autres moyens. »
La moitié des infirmiers rencontrée
Les soins sont aussi cités par déclare participer à des activités de
quelques infirmiers comme une partie santé publique dans la pratique hospi-
intégrante de la santé publique : talière. Cinq déclarent ne pas participer
« C’est prévenir, c’est la prévention et six n’ont pas répondu à la question.
des risques qui entourent la santé de Les infirmiers qui déclarent ne pas avoir
quelqu’un dans tout ordre d’idée que d’activités de santé publique travaillent
se soit l’enfant, l’adulte ou le vieillard, principalement dans les services en lien
la prévention surtout des maladies, avec la chirurgie (salle de réveil).
donc c’est le soin et le suivi ». Différents types d’activités ont été
mentionnés et peuvent être regroupés
La place des infirmiers comme suit :
en santé publique
• L’éducation individuelle du
Un seul infirmier considère que les patient hospitalisé et porteur d’une
infirmiers hospitaliers n’ont pas une pathologie : cette activité concerne
place dans le domaine de la santé principalement les maladies cardio-
publique. Pour ceux qui ont explicité vasculaires, le diabète, la consomma-
le rôle des infirmiers dans le domaine tion excessive d’alcool. Elle porte
de la santé publique, les éléments les principalement sur les risques poten-
plus cités sont l’information et la pré- tiels encourus et sur la gestion de la
vention par exemple dans le cadre des maladie au quotidien. Cette activité
consultations antitabac ou de la prise s’organise conjointement avec le
en charge des maladies cardio-vascu- médecin, l’information des infirmiers
laires : « Avertir des dangers par venant le plus souvent en complément
exemple les personnes qui fument, qui des conseils du médecin. Dans cer-
boivent surtout en cardiologie car tains cas, ce même type d’approche
beaucoup de maladies en découlent » ; se met en place pour des patients en

« Éducation au niveau de l’hygiène de consultation externe et le plus souvent
vie, l’alimentation. Eduquer les gens, se résume à des injonctions en terme
apprendre les gestes de survie. ». de « faire » ou « ne pas faire ». Parfois,
ce type d’approche est complété par
D’autres envisagent aussi l’éducation
des conseils concernant l’hygiène de
dans une perspective de sortie de l’hô-
vie à la sortie de l’hôpital et une infor-
pital et d’adaptation au milieu de vie
mation sur les autres structures de
avec pour but d’améliorer l’utilisation de
soin utiles aux patients.
structures extra-hospitalières : « Educa-
tion plus en milieu hospitalier afin qu’ils • La relation d’aide, l’écoute et le
aient une meilleure santé quand ils sont soutien psychologique des patients
à l’extérieur. » Ces éléments d’informa- et/ou des familles.
tion, de prévention et d’éducation ren- • Le rôle d’interface entre le
trent selon un infirmier dans le cadre patient et le médecin pour ce qui
du rôle propre des infirmiers. concerne l’environnement des patients
ou leur cadre de vie, et dont l’impact
Un autre infirmier perçoit le rôle des
potentiel joue sur leur pathologie et
infirmiers de manière plus large en
plus largement sur leur état de santé
considérant la santé mentale, le sou-
tien psychologique et le lien avec le Outre une activité de santé publique
secteur social. dans le cadre de relations individuelles
avec les patients, les infirmiers ren- vité de santé publique des soignants ?
contrés développent aussi des activi- Les professionnels qui se sentent
tés dans un cadre collectif. À travers reconnus, évoquent le plus souvent la
notamment des informations géné- reconnaissance des patients et de leur
rales sur certains thèmes délivrées famille : « faire de l’éducation où les
aux patients hospitalisés. La plupart gens on leur apporte vraiment quelque
du temps cette information est trans- chose de concret, ils sont contents, il y
mise par le biais de documents mis à a un retour, il y a un échange, ils sont
disposition dans les salles d’attente. vraiment considérés, on est face à
Lorsque les soignants évoquent des face, ce n’est plus la relation soignant-
activités collectives plus organisées ils soigné avec le patient alité. Tu vois,
parlent de groupes de gestion du c’est une autre approche de la per-
stress ou de séances de gymnastique. sonne ».
Dans le domaine de la psychiatrie
principalement, une fonction pointée La reconnaissance dans le cadre du
dans le cadre de la santé publique est travail quant à elle se manifeste par
de faciliter l’accès aux soins des per- une réflexion sur ce qui est déjà établi
sonnes en expliquant le fonctionne- et la mise en place de modifications si
ment et le but des structures et dans besoin, par l’intérêt de l’équipe, par la
certaines occasions en accompa- possibilité de prendre des initiatives,
gnant des personnes vers des struc- par les évaluations. D’autres expri-
tures. Un seul infirmier a souligné son ment une difficulté à être reconnus
rôle de santé publique dans le cadre dans ce domaine essentiellement en
de la lutte contre les infections noso- raison de difficultés liées à l’évaluation
comiales et de l’hygiène hospitalière. des activités décrites comme une
démarche de santé publique.
Dans le cadre de la médecine du
travail, les activités citées sont les
La formation et les compétences
bilans, les tests auditifs et visuels, la
en santé publique :
vaccination, l’ergonomie et des jour-
peu de compétences spécifiques
nées thématiques d’information par

évoquées
exemple concernant la maladie de
Lyme. Les outils les plus cités pour la Deux tiers des infirmiers disent avoir
mise en œuvre de ces actions de eu une formation en santé publique,
santé publique, sont la discussion, principalement dans le cadre de leur
l’écoute dans le cadre des entretiens. formation initiale. La plupart d’entre
Les campagnes d’information, l’utili- eux n’a pas pu préciser de manière
sation de brochures et dépliants, l’affi- plus détaillée le contenu de cette for-
chage de posters sont plus rares. mation. Mais les personnes rencon-
Une très grande majorité des infir- trées ont évoqué un certain nombre
miers a indiqué qu’il n’y a pas de ser- d’aptitudes à mobiliser dans le cadre
vices qui sont plus à même que des activités de santé publique. Une
d’autres pour mener des actions de grande majorité a cité uniquement des
santé publique car tous les services compétences relationnelles et psycho-
doivent les mettre en place. logiques visant à améliorer la capacité
d’écoute et la communication.
La reconnaissance des patients
plus que de l’institution La moitié des infirmiers considère
qu’il n’est pas nécessaire de dévelop-
L’institution hospitalière et le milieu per des compétences spécifiques en
professionnel reconnaissent-ils l’acti- santé publique.
Les obstacles au développement Une approche restrictive

d’actions de santé publique de la santé publique
Il n’y a pas de décalage entre la défi-
Deux tiers des infirmiers considè-
nition que donnent les infirmiers de la
rent que des activités de santé
santé publique et les actions qu’ils
publique pourraient être développées
mettent en place dans leur pratique :
davantage dans leur service notam-
les principaux axes cités et mis en
ment en ce qui concerne la prévention
œuvre concernent la prévention et le
et l’éducation. Pour les autres, ils ne
dépistage et parfois l’éducation pour
voient pas vraiment le type d’activité
la santé. L’approche est principale-
qui pourrait être développé ou ne sont
ment thématique, par rapport à une
pas intéressés par le sujet.
pathologie. Ces axes sont souvent vus
sous l’angle d’une relation individuelle
Les obstacles rencontrés dans la
avec le patient.
mise en place d’activités de santé
publique sont principalement le En comparaison avec des défini-
manque de temps. Le manque de per- tions classiques de la santé publique,
sonnel, manque de formation, des l’ensemble des définitions données
barrières institutionnelles, l’inadapta- sont schématiques et parcellaires :
tion des locaux sont signalés égale- – absence de notion d’interactivité :
ment. Le cloisonnement des services, seul le soignant est acteur et agit
l’absence de retour, de traces écrites sur le patient ; l’implication du patient
et de résultats quantifiables freinent la dans un projet d’autonomisation et de
mise en place d’actions de santé cogestion de sa santé est peu pré-
publique. Le manque d’intérêt des sente ;
médecins et des patients ou l’absence
de priorités ont été seulement cités – le maintien de la santé est rare-
une fois. ment abordé, la maladie est plus sou-
vent évoquée ;
De façon plus optimiste, cinq per- – les approches sont centrées sur

sonnes ont pu signaler qu’elles ne ren- l’individu excluant l’influence de l’envi-
contraient aucun obstacle au dévelop- ronnement et renforçant l’idée de res-
pement d’activités de santé publique ponsabilité individuelle de sa propre
dans leur exercice. santé ;
– la santé mentale est rarement
évoquée ;
Analyse – l’approche collective n’est pres-
que jamais mentionnée ;
– la place des déterminants envi-
Ce travail met en évidence la vision
ronnementaux et sociaux est peu évo-
des infirmiers hospitaliers de la santé
quée.
publique. Les résultats de ce travail ne
sont en aucun cas la représentation Ces axes sont loin d’évoquer ne
de tous les infirmiers hospitaliers mais serait-ce que la définition de la santé
permet de dégager certaines pistes de de l’OMS avec l’approche d’une santé
réflexion concernant les éléments qui positive du « bien-être physique men-
peuvent favoriser le développement tal et social » ou la définition de Jas-
d’actions de santé publique au sein pard qui parle plutôt « d’une sorte de
d’un hôpital ainsi que de pointer un situation d’équilibre et d’harmonie »
certain nombre d’obstacles. ou encore la relation de la santé avec
l’environnement comme le propose la prévention des accidents iatro-

Poletti ou l’adaptation au changement gènes.
proposée par Illich.
L’approche des infirmiers interro-
gés semble très centrée sur le patient
Une mise en place d’actions
hospitalisé et rares sont les allusions
de santé publique
du travail potentiel avec les structures
dans le contexte hospitalier
ambulatoires et les réseaux. Debré en
La plupart des infirmiers disent par- 1973 exprimait déjà cette pensée :
ticiper à des activités de santé « l’hôpital de demain doit être le
publique. La prévention et l’éducation centre de la santé, avec une pénétra-
sont deux pôles d’actions prédomi- tion beaucoup plus importante de
nants. Ils sont abordés souvent sous sujets qui ne sont pas hospitalisés
forme de conseils très orientés vers la que de sujets hospitalisés… donc
réparation et le soulagement. Les l’hôpital, centre de santé, compris
services spécialisés de diabétologie et dans le sens nouveau que nous expri-
de cardiologie sont souvent cités mons centre de santé publique, et
comme des lieux d’exercice de la non pas centre de santé troublés »
santé publique avec une prédomi- (cité dans [5]). En termes de régle-
nance pour les conseils diététiques, et mentation, la loi du 31 juillet 1991
une approche principalement bio- introduit dans les missions de l’hôpi-
médicale. tal la nécessité pour les établisse-
ments de participer à des actions de
Il est surprenant de constater que santé publique.
peu d’infirmiers évoquent l’hygiène
hospitalière, l’accueil du patient, l’or- La modélisation de Martin [4] d’un
ganisation du service, des structures, hôpital promoteur de santé montre les
l’amélioration de la qualité des soins… principaux éléments qui peuvent per-
comme faisant partie du champ de la mettre que la pratique de santé
santé publique. Peu d’entre eux évo- publique soit davantage développée
quent les démarches d’évaluation et dans un hôpital (tableau I).

d’accréditation pour lesquelles ils sont
sollicités. L’objet de la santé publique
reste le patient avec une grande insis- Une reconnaissance mitigée
tance sur la prévention et la responsa- de leur pratique de santé publique
bilité individuelle. La prise en charge La reconnaissance des infirmiers
de la douleur, la mesure de la satisfac- dans leur rôle, en santé publique
tion, le travail avec les associations de semble liée à l’existence d’un pro-
bénévoles et le développement des jet de service qui reconnaît cette mis-
réseaux de soins ne sont qu’excep- sion.
tionnellement abordés. Et pourtant,
comme l’indique Girard (1), en dehors Nous pouvons donc, d’une part,
des quelques décennies où l’hôpital nous poser la question de l’existence
s’est centré sur le soin curatif, les suffisante de projets de service en
hôpitaux ont de tout temps joué un santé publique et d’autre part, noter
rôle en santé publique. Les évolutions que la définition proposée par les soi-
actuelles lui confèrent une place dans gnants de la santé publique, n’inclut
le cadre par exemple de l’organisation que les activités de prévention encore
de réseaux et des politiques d’hy- peu organisées et visibles dans cer-
giène, que se soit en termes de lutte tains services, ce qui ne veut pas dire
contre les infections nosocomiales ou inexistantes.
Tableau I. Modélisation d’un hôpital promoteur de santé
Hôpital /maladie Hôpital/santé

Conception de la santé Finalité Moyen
(restitution ad integrum) (ressource face à la maladie)
Objet du soin Maladie Patient
Objectif du soin Guérison Qualité de vie
Place du patient Passif Acteur
Temps Séquences Processus
Durée de la maladie Aiguë chronique
Modèles Biomédical Global
Organisation Cloisonnée Transversale
Intra/extra-service Continuité santé/maladie
(curatif/préventif, médical/social)
Environnement « pas la fonction de l’hôpital » Prise en compte des
Déterminants de santé déterminants de santé du bassin
de vie
Pratique soignante Prestataire de service Empowerment (autonomisation
individuelle face à la maladie)
Individuelle et de groupe
Quelles aptitudes et quelles serait-elle en lien avec la représenta-

formations en santé publique ? tion parcellaire de la santé publique
Les réponses concernant la néces- des infirmiers interrogés ? Il est certain
sité de développer des compétences que les IDE (4) se forment sur les infec-
spécifiques pour mettre en place des tions nosocomiales, l’accompagne-
activités de santé publique sont très ment du mourant, les démarches qua-
partagées. Les compétences les plus lité… dont l’objectif principal est
souvent citées lorsque la réponse est l’amélioration de la qualité des soins,
positive sont la communication et les en lien direct dans le champ de la
compétences psychologiques (prise santé publique. On constate que la
majorité des formations initiales de

en charge des personnes suicidantes,
accompagnement des malades can- ces infirmiers se sont déroulées dans
céreux…). Il apparaît essentiel pour les années 1990, années durant les-
les infirmiers interrogés de développer quelles la prévention était très pré-
des qualités humaines et relation- sente et renvoyaient les gens à leurs
nelles dans le cadre des actions de responsabilités individuelles (années
santé publique, plus propices à une sida). Cette difficulté à définir des
meilleure diffusion de l’information compétences et des formations est
auprès des patients. Cependant, un essentiellement liée à la définition pro-
minimum de connaissances théo- posée. La capacité à la relation est
riques et la disponibilité pour les trans- pour certains innée et ne nécessite
mettre semblent indispensables mais pas de formation particulière.
sont rarement évoquées. Par ailleurs, La place de l’hôpital dans le champ
à l’heure où se matérialise l’éducation de la santé publique passe par une
thérapeutique du patient, il est impor- sensibilisation des acteurs.
tant que les compétences dans ce Dans le cadre de la préparation de la
domaine se structurent et se dévelop- loi sur la politique de santé publique,
pent [3]. un numéro de la Revue Hospitalière de
L’absence de demande de forma-
tions en matière de santé publique (4) Infirmiers diplômés d’État.
France à été consacré à l’hôpital et la de leur formation initiale. Cette dis-

santé publique [2]. La place de l’hôpi- tance à la santé publique pose un cer-
tal en matière de santé publique est tain nombre de questions et notam-
largement abordée. Cependant, cette ment celle du sens de l’activité de
étude montre bien qu’un travail sur la soins. S’il est légitime que leurs fonc-
perception des infirmiers hospitaliers tions soient définies par rapport à la
concernant la santé publique est relation avec le patient il est peut être
indispensable pour que l’hôpital aussi dommageable que les soignants
puisse prendre une véritable place de ne puissent définir leur place dans une
santé publique et ne soit plus seule- organisation plus large et dans une
ment un lieu de soin. politique de santé. L’ouverture de
l’hôpital vers l’extérieur, sa place dans
un système et non plus comme une
Conclusion organisation autonome nécessitent
une prise de conscience des acteurs.
Ce travail réalisé dans le cadre d’un Cela ne passe pas forcément par une
module optionnel a montré d’une part charge de travail plus lourde mais par
la relative méconnaissance de la santé une visibilité plus grande des missions
publique par les soignants. Véritables de l’hôpital dans un environnement
Monsieur Jourdain, ils ne se définis- complexe qui va au-delà de la seule
sent pas comme des acteurs de santé relation soignant - soigné.
publique et réduisent leur implication
aux interventions éducatives qu’ils Cette prise de conscience passe
peuvent mener, le plus souvent de aussi par l’enseignement de la santé
manière informelle et dans le cadre publique en IFSI. Cet enseignement doit
d’une relation individuelle avec le avoir du sens et être connecté à l’exer-
patient. Ils n’évoquent pas l’hygiène cice de la fonction. Cette enquête avait
hospitalière, leur contribution au aussi pour objectif de contribuer à
recueil d’informations, leurs réflexions mieux analyser ce qu’est la santé
dans le cadre de démarches qualités, publique et en quoi l’activité de soins est
liée à ce champ. En rencontrant des soi-

l’ouverture vers l’extérieur, les dé-
marches de projets. Leur rôle est défini gnants sur ce thème et en confrontant
comme une relation avec le patient et les discours à la littérature, en mettant
très rarement dans une perspective en œuvre un travail de recherche, les
plus large. Par ricochet, les formations étudiants ont mis en œuvre des outils et
évoquées, les outils décrits se limitent enrichi leur réflexion. Par les questions
à l’éducation et au conseil. posées et les réponses apportées ils ont
mieux compris le sens de cet enseigne-
Les soignants rencontrés ont par ment et la nécessité d’envisager la fonc-
ailleurs peu de souvenir de leur formation d’infirmier comme allant au-delà de
tion en santé publique dans le cadre la relation au patient.
BIBLIOGRAPHIE
1. Girard J.F. Un hôpital ouvert sur l’ensemble des problèmes de santé. Revue hospitalière de France
2003 ; (492) : 3.
2. Hôpital et santé publique. Revue hospitalière de France 2003 (492) : 1-88.
3. La promotion de la santé à l’hôpital. La santé de l’homme 2002 ; 1-51.
4. Martin F. Un moyen de valoriser le fil à plomb de la santé. Revue hospitalière de France 2003 ; (492) :
12-6.
5. Romatet J.J. Une pensée globale qui doit inspirer le changement. Revue hospitalière de France 2003 ;
(492) : 10-11.

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Résumé : L’objectif de ce travail est d’étudier à partir d’un exercice pédagogique en

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(1) Société française de santé publique (SFSP).

Tiré à part : J. Pommier Réception : 15/03/2004 - Acceptation : 27/04/2004

Mots clés : infirmières - santé publique - hôpital.

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France à été consacré à l’hôpital et la de leur formation initiale. Cette dis-

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