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Ebook Cours CNED Seconde - Francais
Ebook Cours CNED Seconde - Francais
Seconde
Rédaction :
M. Cournarie
S. d’Espies
E. Ferracci
J. Ledda
S. Kauffmann
S. Ledda
Coordination :
Kathy Gestin-Kay
Rozenn Jarnouen
Ce cours est la propriété du Cned. Les images et textes intégrés à ce cours sont la propriété de leurs auteurs et/ou ayants droit
respectifs. Tous ces éléments font l’objet d’une protection par les dispositions du code français de la propriété intellectuelle ainsi que
par les conventions internationales en vigueur. Ces contenus ne peuvent être utilisés qu’à des fins strictement personnelles. Toute
reproduction, utilisation collective à quelque titre que ce soit, tout usage commercial, ou toute mise à disposition de tiers d’un cours
ou d’une œuvre intégrée à ceux-ci sont strictement interdits.
©Cned-2012
Sommaire
listes au XIXe siècle
Introduction
écouvrir les caractéristiques du roman
1. D
et de la nouvelle réaliste
E Fiche méthode : Histoire du roman
2. C
orpus de textes :
Le réalisme de Balzac à Maupassant
E Fiches méthode : La situation d’énonciation
Expliquer un texte narratif
La lecture analytique
Replacer le réalisme dans l’histoire cultu-
relle du XIXe siècle
3. Du réalisme au naturalisme
E Fiche méthode : Le discours rapporté
Introduction
1. À la découverte des genres de l’éloquence
E Fiche méthode : Convaincre et persuader
Introduction
1. Texte et contextes
2. Genèse, structure, temps et narration
E Fiche méthode : La nouvelle, bref historique de ce genre lit-
téraire
3. Les lieux dans Le Colonel Chabert
4. Un héros à l’existence problématique
E Fiches méthode : Expliquer un texte descriptif
Le vocabulaire de l’analyse littéraire
5. L
a peinture d’une société : étude de trois
personnages
E Fiche méthode : Le commentaire littéraire
6. L
e rapport des hommes à l’argent dans des
œuvres du XIXe et XXe siècles
Lecture cursive : Zola, La Curée
Présentation de la séquence
spects de la comédie au XVIIe siècle
1. A
E Fiche méthode : Analyser le texte théâtral
Sommaire
de Molière : une comédie classique
Introduction
1. Autour de l’auteur
E Fiche méthode : Le classicisme
Introduction
1. D
u romantisme au Parnasse : rôle du poète et
fonction de la poésie
E Fiche méthode : Identifier le registre lyrique
Introduction
1. D
écouvrir les caractéristiques du roman
et de la nouvelle réalistes
Fiche méthode : Histoire du roman
Corrigés des exercices
3. Du réalisme au naturalisme
Corrigés des exercices
Séquence 1 – FR20 1
2 Séquence 1 – FR20
Séquence 1 – FR20 3
4 Séquence 1 – FR20
C Problématiques de la séquence
Pour comprendre le réalisme et le naturalisme dans la nouvelle et le ro-
man, nous pouvons nous poser les questions suivantes. Ces questions
seront à la fois traitées dans la partie « cours », puis à travers l’exemple
des textes que nous vous proposons dans les deux corpus.
E Comment peut-on définir le réalisme en littérature ?
la déforment-ils ?
E Pourquoi la nouvelle et le roman sont-ils les genres privilégiés pour
Séquence 1 – FR20 5
Bibliographie
6 Séquence 1 – FR20
Séquence 1 – FR20 7
le roman.
➠R
eportez-vous au corrigé de l’exercice 1 en fin de chapitre.
8 Séquence 1 – FR20
Si les lieux sont si importants dans les récits réalistes, c’est qu’au tour-
nant des années 1840-1850, on considère que l’environnement influe
sur le comportement des êtres humains. Ainsi, les décors de l’action ro-
manesque sont soigneusement décrits parce qu’ils permettent de com-
prendre les personnages, leur caractère, leur motivation. Par exemple,
l’incipit de La Maison du chat qui pelote de Balzac procède à la minu-
tieuse description d’un bâtiment.
Ces décors privilégiés du récit réaliste sont étroitement liés à des théma-
tiques qu’on retrouve d’un roman à l’autre :
– l ’ambition d’un(e) jeune provincial(e) qui monte à la capitale ;
– l es tractations financières de la bourgeoisie ;
– l e monde du prolétariat et des ouvriers ;
– l a destinée des femmes ;
– l e destin d’un personnage de seconde zone ;
– l es conditions de vie dans les villes et dans les campagnes ;
– l e monde journalistique et littéraire ;
– l es conflits familiaux.
Tous ces thèmes ne sont pas indépendants les uns des autres et peuvent
se croiser dans le même roman ou la même nouvelle. Ainsi, Madame
Bovary de Flaubert, raconte non seulement le destin d’une jeune femme
romanesque, mais décrit aussi les mœurs de la Normandie des années
1840. On y rencontre toutes les figures qui composent une petite ville de
province. Les coutumes, les superstitions, les habitudes y sont décrites
avec une précision minutieuse. On le voit, les principaux motifs du réa-
lisme (et du naturalisme) sont le plus souvent en lien avec des questions
de société. Ces choix thématiques expliquent aussi la part importante de
la description dans les récits.
Séquence 1 – FR20 9
10 Séquence 1 – FR20
Document 1
« Vivant au dix-neuvième siècle, dans un temps de suffrage universel,
de démocratie, de libéralisme, nous nous sommes demandé si ce qu’on
appelle « les basses classes » n’avait pas droit au Roman ; si ce monde
sous un monde, le peuple, devait rester sous le coup de l’interdit litté-
raire et des dédains d’auteurs qui ont fait jusqu’ici le silence sur l’âme
et le cœur qu’il peut avoir. Nous nous sommes demandé s’il y avait en-
core, pour l’écrivain et pour le lecteur, en ces années d’égalité où nous
sommes, des classes indignes, des malheurs trop bas, des drames trop
mal embouchés, des catastrophes d’une terreur trop peu noble. »
Jules et Edmond de Goncourt, « Préface » de Germinie Lacerteux.
Séquence 1 – FR20 11
12 Séquence 1 – FR20
Fiche méthode
Chapitre
1
Fiche méthode
Le roman est un genre complexe à définir car il comporte de nombreuses
catégories qui traversent les siècles. On parlera ainsi de roman d’aven-
tures, de roman d’apprentissage, de roman psychologique, de roman
noir, etc., jusqu’aux romans de gare !
Roman et nouvelle
Romans et nouvelles se distinguent par leur longueur respective. Bien
qu’il existe des romans brefs (Adolphe de Benjamin Constant, par
exemple), en général, la nouvelle est brève et le roman connaît de plus
amples développements. Cette structure a des implications sur la ma-
nière de conduire les événements, de décrire les décors et de camper les
personnages.
Roman et réalisme
Le XIXe est considéré comme l’âge d’or du roman français. Cette époque
correspond en effet à un moment unique de l’histoire littéraire où se ren-
contrent un genre, un mouvement, et des artistes qui revendiquent une
approche singulière de la société. Alors que le romantisme passionné
triomphe au théâtre et dans la poésie, des artistes peintres et des ro-
manciers proposent un autre regard sur la réalité. Il s’agit de « décrire
la société dans son entier, telle qu’elle est » confie Honoré de Balzac,
l’écrivain phare du mouvement réaliste, dans la Préface de La femme
supérieure.
Séquence 1 – FR20 13
Romans et personnages
Longtemps assimilé à la figure du héros, le personnage est caractérisé,
jusqu’au XVIIe, par son caractère noble et valeureux. Dans La Princesse
de Clèves de Madame de Lafayette, les protagonistes sont encore des
modèles de beauté et de vertu. Mais à la fin du XVIIIe siècle, l’émergence
du prolétariat avec la Révolution française et le triomphe de la bourgeoi-
sie après 1789 peuvent expliquer la naissance de nouveaux héros. Le
roman réaliste du XIXe siècle achève de démythifier le personnage en
le dotant d’une véritable épaisseur psychologique qui l’éloigne défini-
tivement du type. Représentatif de l’ensemble de la société, il favorise
l’identification du lecteur confronté aux mêmes situations et aux mêmes
difficultés de l’existence, qu’il s’agisse du paysan, de l’ouvrier ou du
jeune ambitieux pressé de réussir.
Pour approfondir
Rendez-vous sur Internet et tapez sur votre moteur les mots clés :
« académie », « Versailles » et « page des lettres ». Vous pourrez
ainsi accéder à la page d’accueil de ce site. Sur la page d’accueil,
dans la liste des « tags », cliquez sur « romantisme » (parcours : Accueil du
site > Mots-clés > Histoire Littéraire > Romantisme). Vous avez accès à une liste
d’items ; cliquez alors sur « Mouvement littéraire et culturel du 19e siècle ».
Vous avez alors accès à la conférence de Gérard Gengembre, professeur de
l’université de Caen. Cette conférence présente les principales caractéris-
tiques de trois mouvements littéraires importants au XIXe siècle : roman-
tisme, réalisme et naturalisme.
Le site institutionnel suivant fournit de nombreuses ressources documen-
taires et une plate-forme consacrée aux TICE :
http://www.educnet.education.fr
14 Séquence 1 – FR20
Séquence 1 – FR20 15
2 Le tableau d’Edgar Degas, L’Absinthe, est peint dans les années au
cours desquelles les frères Goncourt écrivent leurs récits réalistes. Il
y a donc d’emblée une proximité historique entre l’œuvre picturale et
l’œuvre littéraire. Mais le rapprochement ne s’arrête pas là. Le tableau
de Degas, comme le roman des Goncourt, place au centre un person-
nage féminin qui attire le regard du spectateur (ou du lecteur). Il s’agit
d’une femme de petite condition, dans les deux œuvres. Degas re-
présente une prostituée, et Germinie Lacerteux, à la fin du roman, se
vendra pour payer ses dettes. Le personnage féminin, dans les deux
cas, semble isolé. Sur le tableau de Degas, la femme a le regard dans
le vide et ne prête pas attention à ce qui se passe autour d’elle. Elle
semble hagarde et perdue. Bien qu’élégante, on devine sa solitude et
un certain désarroi moral. Le thème de l’alcoolisme, très présent dans
le roman réaliste, est au centre de la composition picturale. Le titre de
l’œuvre, l’absinthe, renvoie à un fléau qui touche les classes populaires
et aisées au XIXe siècle. Les conséquences de la consommation d’ab-
sinthe sont très graves. Elles entraînent des crises de delirium, ce que
mettra en scène Zola dans L’assommoir. La proximité thématique entre
le roman des frères Goncourt et le tableau de Degas est donc grande.
16 Séquence 1 – FR20
A Lectures analytiques
Vos objectifs
Consignes de travail
E L isez attentivement les cinq textes ; puis écoutez-les sur votre CD au-
dio. Ils ont été enregistrés par des comédiens professionnels. Ensuite,
relisez-les vous-même à voix haute.
E otez, au fil de votre lecture, les détails qui vous frappent dans la des-
N
cription des décors et des personnages. Vous serez notamment atten-
tifs aux détails qui ancrent les récits dans la réalité.
E épondez aux questions portant sur chaque extrait.
R
Attention Vous trouverez les réponses à ces questions en fin de
Un intrus – un texte n’apparte-
chapitre. Pour chaque texte, votre projet de lecture
nant pas au mouvement réa-
sera le suivant : montrer en quoi le texte est réaliste
liste – s’est glissé dans ce corpus.
ou pas.
Séquence 1 – FR20 17
18 Séquence 1 – FR20
Texte 2
Honoré de Balzac, Le Cousin Pons (1847)
Sylvain Pons est un compositeur de musique dont la gloire s’est éteinte.
Mais il a gardé de son prestige passé le goût des belles choses, et sur-
tout il est resté d’une extrême gourmandise. Ayant de petits revenus, il
cherche ainsi toutes les possibilités pour manger de bonnes choses à
peu de frais… Mais la société bourgeoise apprécie de moins en moins les
artistes et quand Pons est invité en société, on se moque bien souvent de
lui et il subit les pires humiliations. C’est ce qui lui arrive quand il endure
le mépris de parents fortunés. Dans l’extrait qui suit, il est reçu par ses
cousins parvenus, les Camusot de Marville.
«M
adame, voilà votre monsieur Pons, et en spencer encore ! vint dire
Madeleine à la présidente, il devrait bien me dire par quel procédé il le
conserve depuis vingt-cinq ans ! »
Séquence 1 – FR20 19
«E
h bien ! qu’il entre ! dit madame Camusot à Madeleine en faisant un
geste d’épaules.
— Vous êtes venu de si bonne heure, mon cousin, dit Cécile Camusot en
prenant un petit air câlin, que vous nous avez surprises au moment où
ma mère allait s’habiller. »
«C
hère cousine, reprit-il, vous ne sauriez m’en vouloir de venir un peu
plus tôt que de coutume, je vous apporte ce que vous m’avez fait le
plaisir de me demander… »
«M
ais, reprit-elle, vous êtes bien bon, mon cousin. Vous dois-je beau-
coup d’argent pour cette petite bêtise ? »
« J’ai cru que vous me permettiez de vous l’offrir, dit-il d’une voix émue.
— Comment ! comment ! reprit la présidente ; mais, entre nous, pas de
cérémonies, nous nous connaissons assez pour laver notre linge en-
semble. Je sais que vous n’êtes pas assez riche pour faire la guerre à
vos dépens. N’est-ce pas déjà beaucoup que vous ayez pris la peine
de perdre votre temps à courir chez les marchands ?…
— Vous ne voudriez pas de cet éventail, ma chère cousine, si vous deviez
en donner la valeur, répliqua le pauvre homme offensé, car c’est un
chef-d’œuvre de Watteau qui l’a peint des deux côtés ; mais soyez
tranquille, ma cousine, je n’ai pas payé la centième partie du prix
d’art. »
20 Séquence 1 – FR20
Texte 3
Alfred de Musset, Histoire d’un merle blanc (1842)
Dans ce conte aux teintes autobiographiques, Musset raconte l’histoire
d’un jeune merle incompris qui se révèlera être un grand poète. L’action
se situe à Paris, sous la monarchie de Juillet, comme le prouvent de nom-
breux détails du récit.
À ces mots, ma mère indignée s’élança de son écuelle, non sans se faire
du mal à une patte ; elle voulut parler, mais ses sanglots la suffoquaient ;
elle tomba à terre à demi pâmée. Je la vis près d’expirer ; épouvanté et
tremblant de peur, je me jetai aux genoux de mon père.
— Ô mon père ! lui dis-je, si je siffle de travers, et si je suis mal vêtu, que
ma mère n’en soit point punie ! Est-ce sa faute si la nature m’a refusé
une voix comme la vôtre ? Est-ce sa faute si je n’ai pas votre beau bec
jaune et votre bel habit noir à la française, qui vous donnent l’air d’un
marguillier en train d’avaler une omelette ? Si le ciel a fait de moi un
monstre, et si quelqu’un doit en porter la peine, que je sois du moins
le seul malheureux !
Séquence 1 – FR20 21
➠R
eportez-vous au corrigé de l’exercice 3 en fin de chapitre.
22 Séquence 1 – FR20
Texte 5
Flaubert, Un cœur simple, Trois Contes (1880)
Un cœur simple fait partie des Trois contes publiés par Flaubert à la fin
de sa vie. Le récit est à l’image de son personnage, simple et avec peu
d’artifice. Flaubert décrit le destin d’une figure sans importance, Félicité,
domestique restée au service de madame Aubain. L’extrait suivant décrit
un des passages clés du récit : on vient d’offrir à madame Aubain un
perroquet…
Séquence 1 – FR20 23
24 Séquence 1 – FR20
Apparence
Langage
Traits de
caractère
Rechercher et approfondir
5 Renseignez-vous sur le dénouement de chaque récit. Que constatez-
vous ? Quelle image de la réalité les récits réalistes présentent-ils ?
➠ Reportez-vous aux corrigés des exercices 5 et 6 en fin de chapitre.
Séquence 1 – FR20 25
à Henri Roujon
Mme Lefèvre était une dame de campagne, une veuve, une de ces demi-
paysannes à rubans et à chapeaux à falbalas, de ces personnes qui parlent
avec des cuirs, prennent en public des airs grandioses, et cachent une âme
de brute prétentieuse sous des dehors comiques et chamarrés, comme
elles dissimulent leurs grosses mains rouges sous des gants de soie écrue.
Elle avait pour servante une brave campagnarde toute simple, nommée
Rose.
Les deux femmes habitaient une petite maison à volets verts, le long
d’une route, en Normandie, au centre du pays de Caux.
Comme elles possédaient, devant l’habitation, un étroit jardin, elles
cultivaient quelques légumes.
Or, une nuit, on lui vola une douzaine d’oignons.
Dès que Rose s’aperçut du larcin, elle courut prévenir Madame, qui des-
cendit en jupe de laine.
Ce fut une désolation et une terreur. On avait volé, volé Mme Lefèvre !
Donc, on volait dans le pays, puis on pouvait revenir.
Et les deux femmes effarées contemplaient les traces de pas, bavar-
daient, supposaient des choses : «Tenez, ils ont passé par là. Ils ont mis
leurs pieds sur le mur ; ils ont sauté dans la plate-bande».
Et elles s’épouvantaient pour l’avenir. Comment dormir tranquilles main-
tenant !
Le bruit du vol se répandit. Les voisins arrivèrent, constatèrent, discutè-
rent à leur tour ; et les deux femmes expliquaient à chaque nouveau venu
leurs observations et leurs idées.
Un fermier d’à côté leur offrit ce conseil : «Vous devriez avoir un chien».
C’était vrai, cela ; elles devraient avoir un chien, quand ce ne serait que
pour donner l’éveil. Pas un gros chien, Seigneur ! Que feraient-elles d’un
gros chien ! Il les ruinerait en nourriture. Mais un petit chien (en Norman-
die, on prononce quin), un petit freluquet de quin qui jappe.
Dès que tout le monde fut parti, Mme Lefèvre discuta longtemps cette
idée de chien. Elle faisait, après réflexion, mille objections, terrifiée par
l’image d’une jatte pleine de pâtée ; car elle était de cette race parci-
monieuse de dames campagnardes qui portent toujours des centimes
dans leur poche pour faire l’aumône ostensiblement aux pauvres des
chemins, et donner aux quêtes du dimanche.
26 Séquence 1 – FR20
Séquence 1 – FR20 27
28 Séquence 1 – FR20
Séquence 1 – FR20 29
Par transposition – du genre (ex : transformer un extrait romanesque en scène de théâtre) ;
– du registre (ex : réécrire une scène tragique dans le registre comique) ;
– du point de vue (ex : la même scène racontée par un autre personnage)…
Par amplification – en imaginant le début ou la suite d’un texte, insérer un dialogue, une
description, le développement d’une ellipse narrative, etc.
30 Séquence 1 – FR20
Élaboration du plan
Même dans un sujet narratif ou descriptif, il faut élaborer un plan au
brouillon :
Introduction (lieu, moment, personnage, objet du récit, circonstances
particulières, etc.).
Développement (péripéties).
Conclusion (réflexion ou impression d’ensemble).
Parfois, on omet l’introduction en vue d’un effet de surprise (ou, bien sûr, si
l’on rédige la suite d’un texte).
Rédaction
Dans ce type de sujet, la qualité de l’expression est très importante et
fait partie des critères de notation : orthographe et syntaxe correctes,
précision, variété et richesse du vocabulaire, aisance du style.
Séquence 1 – FR20 31
c) Élaboration du plan
E Rappel Dans un sujet d’invention, l’élaboration d’un plan au brouillon est indis-
pensable.
➠R
eportez-vous au corrigé de l’exercice 8 en fin de chapitre.
32 Séquence 1 – FR20
Fiche méthode
Chapitre
1
Fiche méthode
Définition
La situation d’énonciation correspond à la situation dans laquelle est
produit un énoncé oral ou écrit. Pour déterminer les conditions de la si-
tuation d’énonciation, il convient de poser les questions suivantes :
Attention
– qui parle ? ( l’énonciateur)
– à qui ? ( le destinataire)
Ne pas confondre la date de – quand ? où ?
publication du texte écrit avec le
– de quoi ? ( thème de l’énoncé)
moment de son énonciation.
– pour quoi ? (la visée, l’intention)
Séquence 1 – FR20 33
Attention
Le présent de narration est éga- On trouve des énoncés coupés dans les romans, les
lement utilisé dans le récit pour textes documentaires, les textes ou revues histo-
mettre en valeur un fait, pour le riques etc.
rendre plus « présent » à l’esprit
du lecteur.
34 Séquence 1 – FR20
Fiche méthode
Chapitre
1
Fiche méthode
Certaines connaissances sont nécessaires pour aborder un récit, qu’il
s’agisse d’un roman ou d’une nouvelle. Nous vous rappelons ici les prin-
cipaux éléments pour expliquer un texte narratif.
Le statut du narrateur
Distinction auteur/narrateur
Dans le cas précis du réalisme, il convient de distinguer l’auteur du nar-
rateur. L’auteur est celui qui écrit le roman ; on le nomme d’ailleurs vo-
lontiers le romancier, ou le nouvelliste. Le narrateur est celui qui raconte
l’histoire. Il peut s’agir d’un personnage (intradiégétique) ou d’un narra-
teur externe (extradiégétique, narration à la troisième personne). Dans
les œuvres autobiographiques, auteur et narrateur sont identiques.
Séquence 1 – FR20 35
E
récit pour raconter des événements qui se sont déroulés avant. Il est
généralement signalé par le plus-que-parfait.
L’anticipation ou prolepse narrative interrompt le récit linéaire pour
E
souvent suivie d’une expression du type « Dix ans plus tard ». Il s’agit
fréquemment de mettre en valeur l’événement qui succède à l’ellipse.
Le sommaire accélère le rythme du récit en résumant une partie de l’his-
E
toire. Le temps de la narration est donc plus court que le temps de l’his-
toire : vingt ans d’une vie rapportés en quelques lignes, par exemple.
La scène vise une égalité de durée entre narration et fiction. Elle donne
E
nul, il ne se passe plus rien du point de vue des événements, mais l’au-
teur s’attarde à la description. On parle de pause descriptive. C’est le
cas lorsqu’un auteur dresse le portrait d’un personnage, par exemple.
36 Séquence 1 – FR20
Fiche méthode
Chapitre
a lecture analytique et
1 sa mise en œuvre à l’oral
Fiche méthode
1. Définition de la lecture analytique
Les instructions officielles définissent ainsi la lecture analytique :
La lecture analytique a pour but la construction détaillée de la signification
d’un texte. Elle constitue donc un travail d’interprétation. Elle vise à déve-
lopper la capacité d’analyses critiques autonomes. Elle peut s’appliquer à
des textes de longueurs variées :
E appliquée à des textes brefs, elle cherche à faire lire les élèves avec
méthode ;
E appliquée à des textes longs, elle permet l’étude de l’œuvre intégrale.
Une lecture analytique est donc une manière méthodique de lire des
textes, par une démarche progressive capable de construire un sens.
On peut ainsi parler d’une « lecture problématisée », puisqu’il s’agit de
mener à bien, par une série de questions, un projet de lecture capable
de parvenir à une interprétation. En effet, le texte est une construction,
le résultat d’un travail sur l’écriture : la lecture analytique a aussi pour
but de montrer comment s’élaborent cette construction, cette création.
Il s’agira ainsi de :
E mettre en valeur les intentions de l’auteur (émouvoir, attrister, bou-
Séquence 1 – FR20 37
Le travail préparatoire
Il comprend plusieurs étapes.
E Lire et relire le texte à analyser.
E É tudier le paratexte
a) Repérer le nom de l’auteur, de l’œuvre, sa date de parution.
b) Bien lire le chapeau introductif donnant souvent les informations
nécessaires pour situer le passage.
E I dentifier la nature du texte
a) Le genre. Rappel : les quatre grands genres sont la poésie, le roman,
le théâtre, la littérature d’idées. Il existe pour chacun de ces genres
des sous-catégories : nouvelle, conte, fable, chanson, autobiogra-
phie, correspondance…
b) Le type de discours : quel que soit son genre, le texte peut présen-
ter, successivement ou simultanément, un récit, une description,
une réflexion.
c) La situation d’énonciation. Se pose alors la question suivante, sou-
vent riche d’enseignement : le locuteur est-il impliqué dans son dis-
cours ?
d) Le registre du texte : un texte peut jouer sur différents registres ;
l’analyse permet souvent d’approfondir, de nuancer ou de corriger
une première approche.
Ex : Un texte peut d’abord paraître surtout comique, et se révéler en
fait nettement polémique.
E epérer les thèmes importants en identifiant, entre autres, les champs
R
lexicaux. En effet, la présence d’un thème dans un texte est assurée
par l’ensemble des termes et expressions qui s’y rapportent. Plus le
champ lexical est abondant, plus le thème est important pour le propos
de l’auteur.
E Rechercher le plan, la structure du texte.
L’analyse du texte
Elle se fait au moyen des outils d’analyse suivants :
– l’énonciation ;
– la focalisation ;
– le cadre spatiotemporel ;
– les figures de style (métaphore, antithèse, chiasme etc.) ;
– la syntaxe (construction des phrases) et la ponctuation ;
– le rythme et les sonorités ;
– les registres.
38 Séquence 1 – FR20
Fiche méthode
autour de la problématique
Lorsque toutes les informations ont été réunies, vient le moment de les
organiser pour répondre à la question posée.
Séquence 1 – FR20 39
Chapitre
eplacer le réalisme dans
1 l’histoire culturelle du XIXe s.
Fiche méthode
. L
’insertion du réalisme dans le contexte
socioculturel du XIXe siècle
Face L’expérience romantique a vécu. On en garde une grande défiance à
au romantisme l’égard des « idéalistes » ainsi que des « rêveurs » attardés : « allez vous
replonger dans les forêts enchantées d’où vous tirèrent des fées enne-
mies, moutons attaqués du vertigo1 romantique » (Baudelaire, Pierre
Dupont, 1851)
La contre- L’Art pour l’art est une doctrine esthétique du XIXe siècle qui fait de la
attaque perfection formelle le but ultime de l’art ; ses principaux représentants
sont Théophile Gautier, Banville, Leconte de Lisle, Heredia.
Beaucoup d’artistes s’élèvent contre cette conception ; citons par
exemple Duranty2 : « Dans le vrai utile, (le réalisme) cherche une émo-
tion qui soit un enseignement. »
Face à la vie En partie à l’exemple de la photographie dont l’utilisation se répand, on
comtemporaine veut peindre sincèrement la réalité immédiate et surtout on doit refuser
l’imaginaire. Car on pense que le lecteur a besoin de modernité et de vérité.
« Le Réalisme conclut à la reproduction exacte, complète, sincère, du mi-
lieu social, de l’époque où on vit, parce qu’une telle direction d’études est
justifiée par la raison, les besoins de l’intelligence et l’intérêt du public, et
qu’elle est exempte du mensonge, de toute tricherie... » (revue Le Réalisme)
Face aux classes Par souci d’authenticité, les écrivains réalistes s’attachent à décrire « la
populaires vie du plus grand nombre »(Duranty, revue Le Réalisme, 1857). Dans la
Préface de Germinie Lacerteux (1865), Edmond et Jules de Goncourt pour
« la rue » et « les malheurs trop bas » un accès au roman.
2. La bataille du réalisme
L’offensive D’abord le peintre Courbet3, devenu célèbre par le scandale avec l’Enter-
rement à Ornans (1851) et ses Baigneuses (1853), a donné du prestige
au réalisme, en particulier grâce à l’Exposition Courbet de 1855.
En 1857, Champfleury publie Le Réalisme.
En 1856-1857, Duranty publie une revue qui dure six mois
40 Séquence 1 – FR20
Fiche méthode
les Romantiques (Lamartine, Musset, Hugo) ainsi que Théophile Gautier.
Signalons quelques publications réalistes secondaires de cette époque
comme les romans de Duranty qui s’attache aux caractères types d’Erck-
mann-Chatrian qui écrit de façon très variée, mais toujours sur l’Alsace.
La contre- Il y a d’abord une réaction du pouvoir au nom de la morale : condamnation
attaque de Madame Bovary en 1857.
Il y a ensuite des écrivains qui considèrent que l’œuvre d’art est insépa-
rable de l’esthétique et du choix : Théodore de Banville dénonce le culte
de la laideur de certains réalistes.
D’autres, tel Daudet, posent la question de la copie servile du réel, affir-
mant que là n’est pas l’art : « Champfleury aura beau faire des romans,
il restera toujours un auteur de pantomime : ses personnages n’ont que
des gestes. » (Notes sur la Vie)
L’effritement Le mouvement réaliste proprement dit se dissout en formes multiples.
Seuls les Goncourt qui sont de grands artistes se maintiennent dans
cette voie et annoncent le naturalisme, prolongement du réalisme au-
tour d’un homme, Zola, et d’un embryon d’école, le Groupe de Médan ;
le naturalisme va durcir et systématiser le réalisme.
Bilan du réalisme
Ouvrages théoriques
1856-1857 : revue Le Réalisme de Duranty
1857 : Le Réalisme de Champfleury
Écrivains représentatifs
Balzac, La Comédie humaine (1829-1848)
Stendhal, Le Rouge et le Noir (1830), La Chartreuse de Parme (1839)
Flaubert, Madame Bovary (1857), L’éducation sentimentale (1869)
Les Goncourt, Germinie Lacerteux (1865)
→ On note l’échec relatif du réalisme : on a qualifié après coup Balzac,
Stendhal et Flaubert de réalistes.
Lieu symbolique
La propriété de Flaubert, en Normandie, Le Croisset.
Séquence 1 – FR20 41
42 Séquence 1 – FR20
Séquence 1 – FR20 43
44 Séquence 1 – FR20
Séquence 1 – FR20 45
46 Séquence 1 – FR20
Séquence 1 – FR20 47
48 Séquence 1 – FR20
Rechercher et approfondir
6 Les dénouements des récits que nous avons étudiés sont plutôt dra-
matiques. Mateo Falcone se referme sur un infanticide. Le Cousin Pons
n’est guère plus optimiste. Le héros, après avoir été la proie d’une
famille avare, meurt seul et abandonné. La fin de Madame Bovary
est tragique, puisque l’héroïne se suicide en avalant de l’arsenic. Un
cœur simple se termine sur la mort de Félicité. Ces récits présentent
une image plutôt pessimiste de la réalité, ce qui montre la volonté
qu’ont ces auteurs de représenter le réel sans l’embellir.
Séquence 1 – FR20 49
50 Séquence 1 – FR20
Séquence 1 – FR20 51
52 Séquence 1 – FR20
Texte 1 Dans Thérèse Raquin, j’ai voulu étudier des tempéraments et non des
caractères. Là est le livre entier. J’ai choisi des personnages souveraine-
ment dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre,
entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. […]
Émile Zola (1840-1902), préface de Thérèse Raquin (1867)
Texte 2 Je veux expliquer comment une famille, un petit groupe d’êtres, se com-
porte dans une société, en s’épanouissant pour donner naissance à dix,
à vingt individus qui paraissent, au premier coup d’œil, profondément
dissemblables, mais que l’analyse montre intimement liés les uns aux
autres. L’hérédité a ses lois, comme la pesanteur.
Je tâcherai de trouver et de suivre, en résolvant la double question des
tempéraments et des milieux, le fil qui conduit mathématiquement d’un
homme à un autre homme.
Préface de La Fortune des Rougon (1871)
Séquence 1 – FR20 53
54 Séquence 1 – FR20
2. Zola, L’Assommoir
Si certaines œuvres de Maupassant sont considérées comme natura-
listes, à l’instar de Pierre et Jean, roman qui traite de l’hérédité (légitime
ou bâtarde), la petite bourgeoisie, et des problèmes de l’argent, c’est
Zola qui est considéré comme le chef de file et théoricien du naturalisme.
Il est l’auteur des Rougon-Macquart. Ce cycle conte en 20 volumes l’his-
toire, sur cinq générations, d’une famille issue de deux branches : les
Rougon, la famille légitime, petits commerçants et petite bourgeoisie de
province, et les Macquart, la branche bâtarde, paysans, braconniers et
contrebandiers, qui font face à un problème général d’alcoolisme.
L’Assommoir, septième de la série est, selon Zola, « le premier roman sur
le peuple, qui ne mente pas et qui ait l’odeur du peuple ». L’écrivain y
restitue la langue et les mœurs des ouvriers, tout en décrivant les ravages
causés par la misère et l’alcoolisme.
Ce roman raconte la grandeur puis la décadence de Gervaise Macquart,
blanchisseuse dans le quartier de la Goutte-d’Or à Paris. Gervaise et son
amant Auguste Lantier viennent à Paris avec Claude et Étienne, leurs
deux fils. Chapelier de métier, Lantier est paresseux et infidèle. Il quitte
Gervaise pour Adèle, la laissant seule avec ses fils. Coupeau, un ouvrier
zingueur, lui fait alors la cour à l’Assommoir, le cabaret du Père Colombe.
Tous debout, les mains croisées sur le ventre ou rejetées derrière le dos,
les buveurs formaient de petits groupes, serrés les uns contre les autres ;
il y avait des sociétés, près des tonneaux, qui devaient attendre un quart
d’heure, avant de pouvoir commander leurs tournées au père Colombe.
« Comment ! c’est cet aristo de Cadet-Cassis ! cria Mes-Bottes, en ap-
pliquant une rude tape sur l’épaule de Coupeau. Un joli monsieur qui
fume du papier et qui a du linge !... On veut donc épater sa connais-
sance, on lui paye des douceurs !
– Hein ! ne m’embête pas ! » répondit Coupeau, très contrarié.
Séquence 1 – FR20 55
Quels sont les types de discours utilisés dans le texte des frères Gon-
court ?
2 Quels sont les types de discours présents dans le texte de Zola, extrait
de L’Assommoir ?
➠R
eportez-vous au corrigé de l’exercice 2 en fin de chapitre.
56 Séquence 1 – FR20
Soudain, la jument ralentit son allure, comme si son pied avait buté dans
l’ombre ; Meaulnes vit sa tête plonger et se relever par deux fois ; puis
elle s’arrêta net, les naseaux bas, semblant humer quelque chose. Au-
tour des pieds de la bête, on entendait comme un clapotis d’eau. Un
ruisseau coupait le chemin. En été, ce devait être un gué. Mais à cette
époque le courant était si fort que la glace n’avait pas pris et qu’il eût été
dangereux de pousser plus avant.
Meaulnes tira doucement sur les guides, pour reculer de quelques pas
et, très perplexe, se dressa dans la voiture. C’est alors qu’il aperçut,
entre les branches, une lumière. Deux ou trois prés seulement devaient
la séparer du chemin…
Séquence 1 – FR20 57
58 Séquence 1 – FR20
Séquence 1 – FR20 59
Chapitre
1
Fiche méthode
Discours direct Discours indirect Discours indirect libre
Soudain troublée, elle Soudain troublée, elle Elle devint soudain trou-
annonça : « Je suis trop annonça qu’elle était blée. Elle était trop émo-
émotive, je ne puis rester trop émotive, qu’elle ne tive, elle ne pouvait res-
Exemple avec toi ! ». pouvait rester avec lui ter avec lui !
– Je suis trop émotive, je
ne puis rester avec toi !
dit-elle soudain troublée.
Discours fidèlement Discours inséré dans le Discours inséré dans le
restitué récit récit, mais comportant
Définition
les marques de l’oralité
du discours direct
Proposition introduite Proposition principale Présence possible d’un
par un verbe de parole avec verbe de parole verbe parole
Encadrement
(annoncer, dire, s’excla-
des paroles
mer, etc.) + deux points
ou une proposition incise
Paroles transcrites entre Proposition subordon- Paroles dans le fil du
guillemets et/ou après née complétive : impar- récit : imparfait/passé
Transcription
un tiret de démarcation. fait/passé simple + pro- simple + pronom person-
des paroles
nom personnel de 3e nel de 3e pers.
pers.
Expressive : points d’ex- Non expressive : simple Expressive : le narrateur
Ponctuation clamation, d’interroga- point. imite l’oralité des per-
tion, de suspension etc. sonnages
60 Séquence 1 – FR20
Séquence 1 – FR20 61
62 Séquence 1 – FR20
Séquence 1 – FR20 63
2 La couleur qui domine sur la toile, c’est le noir. Il ne forme pas une
masse uniforme mais il présente au contraire des nuances charbon-
neuses ou bleutées. Les touches de blanc s’y opposent : les draps
des porteurs, les surplis du porte-croix, la chemise du fossoyeur, les
bonnets et les mouchoirs des femmes ainsi que le chien blanc tacheté
de noir au premier plan. Outre le noir et le blanc, des touches de cou-
leurs vives ponctuent la toile. Le rouge vermillon des bedeaux et des
enfants de chœur, le jaune cuivré du support du crucifix, le vert olive
de la blouse sur laquelle le fossoyeur est agenouillé, les bas bleus, la
culotte verte, la redingote grise et le gilet brun d’un des personnages
forment une « phrase colorée » qui traverse la toile et contraste avec
le triste évènement qu’est l’enterrement.
64 Séquence 1 – FR20
Introduction
1. À la découverte des genres de l’éloquence
Fiche méthode : Convaincre et persuader
Corrigés des exercices
2. L
a critique sociale au temps du classicisme
Fiche méthode : Types de textes et formes de discours
Fiche méthode : Les genres littéraires
Corrigés des exercices
3. «
Bas les masques » :
la satire du pouvoir à l’époque des Lumières
Corrigés des exercices
Séquence 2 – FR20 1
Introduction Chapitre 3
A. Évolution de la critique sociale « Bas les masques » : la satire du pouvoir
B. Présentation de la séquence à l’époque des Lumières
A. L a critique politique et religieuse
Chapitre 1 Texte 3 M ontesquieu, Lettres Persanes
À la découverte B. E
ntraînement à l’écrit : la dissertation (1)
des genres de l’éloquence Corrigés des exercices
Fiche méthode : Convaincre
et persuader Chapitre 4
Corrigés des exercices Le combat contre l’obscurantisme
2 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 3
4 Séquence 2 – FR20
Document
Définition de la rhétorique
I. La rhétorique est la faculté de considérer, pour chaque question, ce
qui peut être propre à persuader. Ceci n’est le fait d’aucun autre art, car
chacun des autres arts instruit et impose la croyance en ce qui concerne
son objet : par exemple, la médecine, en ce qui concerne la santé et la
maladie ; la géométrie, en ce qui concerne les conditions diverses des
grandeurs ; l’arithmétique, en ce qui touche aux nombres, et ainsi de
tous les autres arts et de toutes les autres sciences. La rhétorique semble,
sur la question donnée, pouvoir considérer, en quelque sorte, ce qui est
propre à persuader.
Aristote, Rhétorique, chapitre II.
Séquence 2 – FR20 5
6 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 7
1. L’exorde est le début d’un discours, les toutes premières lignes. La fin d’un discours s’appelle la péroraison.
8 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 9
Conclusion L’éloquence, l’art de bien parler, se fonde sur les règles de la rhétorique
grâce auxquelles un discours acquiert la capacité d’emporter l’adhésion
du destinataire.
Un texte ou un discours se compose par la recherche d’idées (« inven-
tion »), que l’on organise de manière appropriée (« disposition »), et que
l’on formule en un style adapté (« élocution »).
Il peut jouer davantage sur le fait de plaire, de convaincre, ou encore de
persuader, selon que l’on s’adresse plutôt à la raison ou aux sentiments
du lecteur. Il est bien sûr possible de jouer sur les trois à la fois !
Enfin, un discours peut relever du genre judiciaire, délibératif ou épi-
dictique, selon qu’il vise à attaquer ou à défendre une personne ou une
idée, à prendre une décision ou à inciter à une action, ou à proposer un
éloge ou un blâme dans le cadre d’une rhétorique d’apparat.
Cette éloquence, que les auteurs à chaque siècle se sont appropriée,
est notamment mise au service de la critique sociale aux XVIIe et
XVIIIe siècles. En suivant la chronologie, nous allons donc d’abord nous
pencher sur deux textes du XVIIe siècle.
10 Séquence 2 – FR20
Fiche méthode
Chapitre
1
Fiche méthode
Convaincre, c’est amener le lecteur à reconnaître la justesse d’une idée
en s’adressant à sa raison de manière logique par des preuves orga-
nisées de façon irréfutable. On utilise à cette fin des arguments et des
exemples.
Persuader, c’est s’adresser aussi aux sentiments du lecteur. On utilise
alors des modalités propres à l’émouvoir, à le séduire : des impératifs,
des interrogations, des images…
Ces deux voies de l’argumentation peuvent bien sûr se retrouver dans
un même texte !
a) P
ierre Bayle (1647-1706), « De la tolérance »
(Commentaire philosophique)
Précurseur avec Fontenelle de l’esprit des Lumières, Bayle s’attache à
dénoncer la superstition et à réclamer la liberté de conscience. En conju-
guant une grande érudition et des commentaires souvent ironiques, il a
établi une méthode et un style dont les Encyclopédistes du XVIIIe siècle
se souviendront.
Séquence 2 – FR20 11
b) C
rébillon fils (1707-1777),
Lettres de la marquise de M*** au comte de R***
Ce roman épistolaire3 à une voix donne à entendre la passion de la mar-
quise pour le comte, après qu’elle eut tenté d’y résister. Elle tente ici de
mettre fin à leur relation naissante.
3. Un roman épistolaire (du latin epistula, la lettre) repose sur un groupement de lettres que s’envoient les person-
nages. C’est uniquement à travers ces lettres, et donc selon des points de vue chaque fois différents, que l’histoire
se construit.
4. Commerce est à prendre ici au sens de « relation »
12 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 13
14 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 15
Texte 1
« Le Singe et le Léopard », La Fontaine, Fables
Jean de La Fontaine, originaire de Champagne, s’installe à Paris après
des études d’avocat. Ses écrits brillants vont séduire le surintendant Fou-
quet, qui devient son protecteur. La Fontaine restera fidèle à son mécène
après son arrestation, et ira même jusqu’à prendre sa défense contre le
roi Louis XIV, qui ne le lui pardonnera jamais. Après une retraite prudente
en Limousin, il revient à Paris, où ses Contes et ses Fables (publiées
de 1668 à 1693) lui valent un immense succès.
Voici la troisième fable du livre IX des Fables.
1. rayée
2. Gille (nom d’un personnage populaire des théâtres de foire).
16 Séquence 2 – FR20
Recherche préalable
Recherchez dans un dictionnaire ou une encyclopédie la définition
de la fable. Une fable est le plus souvent composée de deux parties :
lesquelles ?
Questions
1 En quoi les deux personnages s’opposent-ils ? Analysez leur manière
de se présenter et de parler.
4 Qui la morale de cette fable vise-t-elle ? Sur quels points précis cette
critique porte-t-elle ?
Séquence 2 – FR20 17
Recherche préalable
Une fable (du latin fabula : « conte », « apologue ») est un bref récit,
à l’origine oral, mettant en scène le plus souvent des animaux, ou des
personnages types (une veuve, un berger, deux amis…). Le genre est an-
cien : ainsi Ésope (environ VIe siècle avant J.-C.) écrivit des fables, fort
célèbres et dont La Fontaine ou Charles Perrault s’inspirèrent d’ailleurs
beaucoup. La fable n’est pas très éloignée du conte ; mais sa forme l’en
distingue : une fable en effet est composée de deux parties, souvent
séparées d’ailleurs par un espace typographique, et qui sont le récit lui-
même (ici, vers 1 à 25) et la moralité (vers 26 à 31) qu’en tire le fabuliste.
La moralité s’achève souvent sur une « pointe », qui condense le propos
de la fable toute entière, et s’adresse plus directement à la « cible » du
texte. La fable est régulièrement en vers (alexandrins ou octosyllabes à
l’époque du classicisme – dans Le Singe et le Léopard, alternance entre
les deux), mais peut aussi être écrite en prose.
Questions
1 Le narrateur oppose clairement ses deux personnages dès le début
du récit : « Ils affichaient chacun à part. » (v.4), « L’un d’eux/Le Singe
de sa part » (v.12).
Le Léopard affiche une belle arrogance, qui se manifeste dès son en-
trée en matière, dans laquelle il prend à témoin le public sans autre
manière : « Messieurs… ». Sa vanité repose sur ses relations et son
entregent : il est ainsi question d’un « bon lieu », la Cour probable-
ment, et du Roi lui-même. Il évoque également son « mérite » et sa
« gloire » : or il ne mentionne ensuite que son apparence physique,
décrite avec force adjectifs, dont l’énumération est amplifiée par la
répétition de la conjonction de coordination « et » : « bigarrée,/ Pleine
de taches, marquetée,/ Et vergetée et mouchetée ». Le champ lexical
dominant est donc celui de la vue, avec ces adjectifs décrivant l’as-
pect visuel de sa fourrure, et le verbe « voir » (v.5 et 10).
Le Singe pour sa part requiert l’attention du public en le priant et non
en s’imposant : « Venez de grâce,/ Venez, Messieurs » (v.13). Il met
en avant non son apparence, mais ses capacités réelles : « Je fais cent
tours », « il sait danser, baller/ Faire des tours de toute sorte,/ Passer
en des cerceaux » (v.21-23) : les champs lexicaux sont ceux de l’action
(« il parle », « je fais », « faire », « passer » « danser », « baller ») et de
la connaissance (« il sait »).
L’opposition entre les deux personnages est formulée par le singe aux
vers 15-16 : « Mon voisin Léopard l’a sur soi seulement ;/ Moi, je l’ai
dans l’esprit » : les prépositions « sur » et « dans » résument à elles
seules la différence entre un personnage qui se contente de mettre en
avant sa riche apparence, et un personnage savant et capable.
18 Séquence 2 – FR20
3 Le Léopard, s’il intéresse brièvement les curieux, ne les retient pas :
l’aspect extérieur, une fois la curiosité passée – « La bigarrure plaît ;
partant chacun le vit » (v.10) –, ne divertit plus. C’est donc l’ennui qui
guette son public, lequel d’ailleurs se retire : « Mais ce fut bientôt fait,
bientôt chacun sortit » (v.11).
Le Singe sait divertir et amuser par la diversité de ses tours – « cent
tours »–, car il joue non de ce qu’il a « sur soi », mais « dans l’esprit ». Il
recherche d’ailleurs l’attention de son public, par la nouveauté (« Tout
fraîchement en cette ville », v.19), et par la peine qu’il se donne pour
séduire (« Arrive en trois bateaux exprès pour vous parler », v.20) ; il
n’hésite pas à se remettre en question (« si vous n’êtes contents,/
Nous rendrons à chacun son argent à la porte », v.25), quand le Léo-
pard est imbu de lui-même.
La moralité explicite clairement les causes de l’échec du Léopard et
du succès du Singe : « L’une fournit toujours des choses agréables ;
L’autre en moins d’un moment lasse les regardants » (v.28-29).
Séquence 2 – FR20 19
6 La fable, comme on l’a vu, est en partie un récit : c’est d’abord le plaisir
de lire une histoire rendue souvent comique et imagée par la présence
d’animaux qui touche le lecteur. La fable « Le Singe et le Léopard » est
de plus en vers (alternance d’alexandrins et d’octosyllabes) : sa forme
à la fois condensée et travaillée la rend d’autant plus agréable à lire.
De plus, le Singe, porte-parole de l’écrivain, évoque lui-même l’agré-
ment qui doit être celui du public/ lecteur avec l’adjectif « contents »,
et le fabuliste à son tour a recours au terme « agréables ». C’est donc
sur le fait de « plaire », placere, que compte surtout La Fontaine pour
rendre convaincante sa critique des courtisans.
On pourra mettre cette fonction de la fable, et l’importance qu’ac-
corde La Fontaine au fait d’être plaisant et d’avoir du talent pour char-
mer, avec l’une des dimensions de l’idéal littéraire et artistique du
classicisme, qui est l’art de plaire. La littérature doit être agréable au
lecteur, même lorsqu’il s’agit d’instruire ou d’argumenter.
20 Séquence 2 – FR20
« Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c’est un homme universel,
et il se donne pour tel : il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer
quelque chose. On parle, à la table d’un grand, d’une cour du Nord : il prend la
parole, et l’ôte à ceux qui allaient dire ce qu’ils en savent ; il s’oriente dans cette
région lointaine comme s’il en était originaire ; il discourt des mœurs de cette cour,
des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes : il récite des historiettes
qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu’à éclater.
Quelqu’un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement qu’il dit des choses
qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre
l’interrupteur. « Je n’avance rien, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d’ori-
ginal : je l’ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à
Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j’ai fort interrogé,
et qui ne m’a caché aucune circonstance ». Il reprenait le fil de sa narration avec
plus de confiance qu’il ne l’avait commencée, lorsque l’un des conviés lui dit :
« C’est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive de son ambassade ».
Les Caractères (1688).
Séquence 2 – FR20 21
B La satire au théâtre
Texte 2
Molière, Tartuffe, acte III scène 3
Molière, pseudonyme de Jean-Baptiste Poquelin, est le fils d’un mar-
chand-tapissier établi rue Saint-Honoré à Paris, et nommé tapissier du roi.
Le 18 décembre 1637, Jean-Baptiste prête le serment de tapissier royal,
reprenant ainsi la charge de son père auprès de Louis XIII. Mais en jan-
vier 1643, il renonce à la charge de son père. Le 30 juin, il signe l’acte de
fondation de l’Illustre Théâtre, sous la direction de Madeleine Béjart, et
se lance dans la carrière théâtrale. En 1644, la troupe joue en province.
En juillet ils sont de retour à Paris et Jean-Baptiste est devenu « Molière »
et directeur de la troupe. Les pièces et les succès vont s’enchaîner : Les
précieuses ridicules, L’école des femmes, Dom Juan…
Mais Molière se heurta parfois à la censure. Ainsi, il écrivit trois versions
et mit cinq ans pour avoir enfin le droit, en 1669, de jouer durablement sa
pièce Tartuffe. Les dévots en effet, regroupés dans la Compagnie du Saint-
Sacrement8, avaient fait pression sur le pouvoir royal et avaient réussi à la
faire interdire. Molière soutenait cependant que sa pièce ne ridiculisait pas
la vraie dévotion, mais dénonçait seulement les « faux dévots » et l’hypo-
crisie religieuse à travers le principal personnage de Tartuffe qui profite,
sous couvert de la fausse vertu religieuse, de la faiblesse des esprits et
prend la direction des consciences.
Le riche Orgon a en effet introduit chez lui un dévot comme directeur de
conscience et voudrait que toute sa maisonnée suive les recommandations
de ce « saint homme ». Il voudrait même lui donner sa fille en mariage. La
femme d’Orgon, Elmire, tente de détourner Tartuffe d’une telle union. Mais
c’est d’une autre union que rêve Tartuffe…
7. Rappel : le classicisme est un mouvement littéraire, et plus généralement culturel et artistique, qui se développe
au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle, en relation avec le rayonnement de la monarchie absolue. S’ap-
puyant sur les valeurs et les modèles de l’Antiquité grecque et latine, elle est fondée sur la raison, s’attache à la
mesure, et respecte des codes précis (par exemple, la règle des trois unités au théâtre).
8. La Compagnie du Saint-Sacrement était une société catholique fondée en 1627, également appelée « parti des
dévots ». La Compagnie du Saint-Sacrement est surtout connue par ses attaques du Tartuffe de Molière. Outre la pra-
tique de la charité et l’activité missionnaire, elle entendait par la voix de ses fidèles réprimer les mauvaises mœurs.
22 Séquence 2 – FR20
9. Du diable.
10. « avecque »= avec.
11. Par votre décision.
Séquence 2 – FR20 23
Recherche préalable
E Que signifie aujourd’hui le mot « tartuffe » ?
E Qu’est-ce qu’un « dévot » ?
E L e texte ici présenté est principalement composé de deux tirades :
cherchez la définition de ce terme.
24 Séquence 2 – FR20
Éléments de réponse
Recherche préalable
E On qualifie aujourd’hui de « tartuffe » soit un faux dévot, soit plus gé-
néralement une personne hypocrite.
E Un dévot est avant tout attaché aux pratiques religieuses, et manifeste
Questions
1 Tartuffe avoue clairement à Elmire la passion charnelle qu’il éprouve
pour elle : le premier vers, très célèbre, de la seconde tirade le dé-
montre assez : « Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme »
(v.36-37). Pour autant, Tartuffe n’emploie pas le vocabulaire galant
habituel : il a recours au champ lexical de la religion dans sa décla-
ration amoureuse. On retrouve ainsi des expressions qui sont habi-
tuellement employées dans les textes sacrés, les Saintes Écritures
(la Bible), ou dans les textes de religieux comme Saint François de
Sales, très lus à l’époque dans les milieux catholiques, l’Introduc-
Séquence 2 – FR20 25
26 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 27
28 Séquence 2 – FR20
Lettre XXIV
➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter les corrigés des
exercices 3 et 4.
14. Ce sont deux personnages du roman. Rica visite Paris, et écrit à Ibben, resté à Smyrne.
15. Des efforts.
Séquence 2 – FR20 29
Chapitre
1 et formes de discours
Fiche méthode
On appelle discours toute production écrite ou orale, toute « mise en
pratique du langage » ; le texte est la trace de cet acte d’énonciation
qu’est le discours. Un discours correspond à une visée particulière : on
s’exprime pour raconter, pour décrire, pour exposer/expliquer, pour ar-
gumenter, dans une situation d’énonciation particulière et pour un ou
des destinataire(s) précis. À chaque forme de discours correspondent
des procédés spécifiques que l’on peut identifier.
1. Le discours narratif
– Il rapporte des faits, des événements, situés dans le temps ;
– L’accent est mis sur les faits racontés, souvent au passé, parfois au
présent. Un narrateur organise le déroulement de l’histoire (le schéma
narratif), un lieu et une époque (ou plusieurs) la situent, des person-
nages la font progresser ;
– Les marques principales du discours narratif sont les verbes d’action,
les adverbes, les indicateurs de temps...
2. Le discours descriptif
– Il donne à voir un lieu, un objet, un personnage : il situe les événe-
ments dans l’espace ;
– L’accent est mis sur la caractérisation des paysages, des êtres, des
choses, souvent à l’imparfait ou au présent ;
– Les marques principales du discours descriptif sont les verbes d’état ou
de perception, un point de vue particulier à partir duquel on observe, des
indicateurs de lieu, toutes les tournures pouvant désigner ou qualifier.
3. Le discours explicatif
– Il vise à faire comprendre un phénomène ou une idée ; il impose la
neutralité du locuteur ;
– L’accent est mis sur la cohérence et la compréhension de l’énoncé,
souvent au présent de l’indicatif. Des formes proches et associées sont
le discours explicatif ou informatif, qui donne des renseignements, et le
discours injonctif, qui donne ordres et conseils sans forcément les expli-
quer ;
– Les marques principales en sont les mots de liaison logiques ou chro-
nologiques, les indicateurs de cause et de conséquence, tout ce qui peut
aider à la clarté de l’information.
30 Séquence 2 – FR20
Fiche méthode
– Il vise à convaincre ou à persuader un ou des destinataire(s) ; il situe
les éléments dans le domaine de la pensée ;
– L’accent est mis sur la progression logique du raisonnement. La ré-
flexion s’organise à partir de thèses, d’arguments et d’exemples ;
– Les marques principales en sont l’emploi des 1re et 2e personnes,
les indices d’une prise de position du locuteur, les mots de liaisons lo-
giques, tous les procédés rhétoriques pour convaincre, émouvoir ou sé-
duire l’interlocuteur ou le destinataire.
Séquence 2 – FR20 31
Chapitre
1
Fiche méthode
Un genre est une forme commune à certains textes littéraires que le lec-
teur reconnaît comme telle : « C’est du théâtre ! » ou « C’est un roman ».
Chaque genre obéit à des contraintes et à des conventions particulières.
La connaissance des genres facilite le pacte de lecture entre auteur et
lecteur, puisque celui-ci connaît les lois du genre, même si leur délimita-
tion est délicate et a évolué avec le temps.
À chaque genre correspondent des registres dominants. On appelle re-
gistre l’expression par le langage d’effets suscitant chez le lecteur des
émotions diverses, la joie, l’intérêt, l’angoisse, la colère, l’indignation,
l’admiration, la compassion, la méfiance... Les principaux registres que
l’on étudie au lycée sont le tragique, le comique, le polémique, l’épique, le
lyrique, l’épidictique, le satirique, le pathétique, l’oratoire, le didactique...
2. Le théâtre
Au théâtre, on représente l’action au lieu de la raconter. Ce sont donc les
paroles directes qui construisent l’action et caractérisent les personnages.
32 Séquence 2 – FR20
Fiche méthode
aux spectateurs dont c’est le principe de la double énonciation. Des in-
dications de mise en scène, les didascalies, sont destinées à informer
lecteurs et metteurs en scène et ne sont pas prononcées lors de la re-
présentation.
On distingue traditionnellement depuis l’Antiquité plusieurs genres
théâtraux dont la tragédie et la comédie.
La tragédie codifiée au XVIIe siècle d’après les règles de l’Antiquité (« les trois
unités » : d’action, de temps et de lieu ; les cinq actes), met en scène
des personnages de rang élevé, confrontés à un destin exceptionnel.
Le dénouement est en général malheureux. La tragédie fait appel au
pathétique pour éveiller chez le spectateur « la crainte et la pitié ».
La comédie met en scène des personnages de condition modeste ou moyenne.
Son dénouement est heureux. Elle cherche à susciter le rire. Elle se
développe au XVIIe siècle, elle propose une représentation des mœurs
et des caractères qui la distingue de la farce (fondée sur un comique
plus grossier).
Le drame emprunte à la fois à la tragédie et à la comédie : drame bourgeois
(Diderot, Beaumarchais au XVIIIe siècle) ; drame romantique (Hugo, Musset
au XIXe siècle) qui se libère des règles et mélange les tons.
Au XXe siècle, ces trois appellations ne correspondent plus à des
modèles bien définis ; c’est le terme de pièce qui est le plus souvent
employé.
3. La poésie
La poésie se définit par un usage particulier du langage. Le texte poé-
tique peut obéir à des contraintes de formes et de versification, ce qui fut
le cas jusqu’au xixe siècle ; elle peut aussi s’en affranchir pour construire
une forme libre en vers ou en prose, comme le font de nombreux poètes
modernes.
Les visées dominantes de la poésie sont d’émouvoir, de suggérer, par-
fois de convaincre.
La poésie comprend traditionnellement plusieurs genres :
– épique (récit d’événements héroïques) ;
– lyrique (expression des sentiments personnels) ;
– didactique (enseignement moral ou philosophique) ;
– dramatique (le théâtre, considéré longtemps comme une forme de
poésie).
e e
Aux XIX et XX siècles, elle s’est assimilée surtout à la poésie lyrique.
Les principaux sous-genres, depuis l’Antiquité, sont :
– l’ode (poème lyrique au sujet grave) ;
– la fable (fiction avec morale) ;
– l’élégie (au sujet tendre et triste) ;
– la satire (qui attaque les mœurs).
Séquence 2 – FR20 33
4. La littérature d’idées
Le discours dominant y est le discours argumentatif. La visée essentielle
est d’expliquer, de persuader et de convaincre. Il s’agit d’œuvres en
prose où l’auteur propose jugement et réflexions.
Ainsi, au moyen d’une argumentation, il développe, expose et défend
une position.
On peut distinguer, en particulier :
L’essai l’auteur, dans une œuvre en prose ne relevant pas de la fiction, formule
ses réflexions sur les problèmes dont il traite, et il s’efforce de convaincre
ses destinaires du bien-fondé de ses positions.
La préface l’auteur déclare quels sont ses choix esthétiques, pourquoi il a écrit son
œuvre.
Le manifeste c’est une déclaration dans laquelle l’auteur présente ses conceptions,
ses objectifs.
Le pamphlet œuvre souvent brève, elle s’en prend avec violence à un système, une
institution, des personnes. L’argumentation est souvent moins ration-
nelle que caricaturale.
5. Le biographique
Il regroupe les œuvres qui rendent compte du cours d’une vie. On peut
distinguer en particulier :
La biographie l’auteur raconte la vie d’un autre que lui, choisie pour l’intérêt qu’elle
représente.
L’autobiographie l’auteur raconte sa propre vie, en donnant pour vrai tout ce qu’il rapporte
(pacte autobiographique).
Le journal intime textes écrits au jour le jour, donc discontinus. En principe, ils ne sont pas
destinés à être publiés.
Les mémoires un auteur raconte les événements historiques dont il a été témoin ou
acteur.
34 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 35
36 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 37
38 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 39
Questions
1 Quels sont selon le narrateur les pouvoirs du roi de France ? Et ceux du
pape ? Quels sont les points communs entre eux deux ?
40 Séquence 2 – FR20
5 En quoi peut-on dire que ce texte est une satire ? Quelle est la straté-
gie argumentative adoptée par Montesquieu ?
Éléments de réponse
e roi comme le pape ont en commun le pouvoir de manipuler les
1L
esprits, ceux de ses sujets pour le roi, ceux des fidèles (c’est-à-dire
tout le monde à l’époque !) pour le pape. Le lexique de la croyance
est très présent : on retrouve le terme de « magicien » employé dans
les deux cas, ainsi que les mots et expressions « et ils le croient », « et
ils en sont aussitôt convaincus » (la répétition de la conjonction de
coordination « et » en tête de proposition permet d’insister sur l’im-
médiateté de la croyance provoquée par le roi), « Il va même jusqu’à
leur faire croire », « il lui fait croire », « certains articles de croyance ».
Il s’agit même plus que de croyance bien sûr : il est question de la
naïveté des sujets, et du cynisme du roi et du pape, qui n’hésitent
pas à mentir et à tromper pour parvenir à leurs fins, c’est-à-dire emplir
les caisses du royaume afin d’enrichir la royauté et de pouvoir mener
des guerres pour l’un, d’asseoir son emprise sur les esprits par une
croyance absolue et non contestée en la foi catholique pour le second.
2«
Il va même jusqu’à leur faire croire qu’il les guérit de toutes sortes de
maux, en les touchant » : il est ici question de la thaumaturgie. Du grec
« celui qui fait des tours d’adresse », le thaumaturge est à l’époque
chrétienne « celui qui fait des miracles », le terme s’appliquant essen-
tiellement aux miracles de guérison. Dans la foi chrétienne, le premier
thaumaturge est le Christ, dont de nombreuses guérisons miracu-
leuses sont relatées dans les Évangiles. Selon une tradition profane
(et non selon la foi catholique !), les rois de France étaient censés
guérir les écrouelles7 par le toucher, en prononçant la phrase « Le Roi
te touche, Dieu te guérit ». Cette tradition se retrouve dans d’autres
monarchies européennes.
Il s’agit ici d’une allusion à une tradition qui n’a rien de rationnel, et
qui témoigne de la naïveté du peuple évoquée plus haut (cf. ques-
7. écrouelles : nom désuet d’une maladie d’origine tuberculeuse ; abcès provoqué par cette maladie.
Séquence 2 – FR20 41
3 Rica est stupéfait devant les pouvoirs du roi et du pape, qu’il perçoit
comme sans limites et comme surnaturels : il parle ainsi de « pro-
dige », terme qui a un sens fort, et de « magicien », deux mots qui
présentent le roi et le pape comme des personnages étonnants, et
qui font de Rica un spectateur au regard enfantin et émerveillé de-
vant des phénomènes qu’il ne comprend pas. Il témoigne d’ailleurs
de son incompréhension face aux mœurs européennes au début du
texte, par la phrase : « je n’en ai moi-même qu’une légère idée, et je
n’ai eu à peine que le temps de m’étonner ». Rica affirme ici qu’il est
difficile pour lui de tout comprendre à une culture qui est bien loin de
la sienne (il est Persan), et qui l’étonne – verbe au sens très fort au
XVIIIe siècle, qui signifie « frapper de stupeur ». Cette incompréhen-
sion est marquée par les rythmes ternaires (par exemple « ses troupes
se trouvaient payées, ses places munies, et ses flottes équipées »),
et explique la façon dont il rend compte du mystère de La Trinité et
de l’Eucharistie (« tantôt il lui fait croire que trois ne sont qu’un ; que
le pain qu’on mange n’est pas du pain, ou que le vin qu’on boit n’est
pas du vin (…) ». Par le biais de ce regard étranger, Montesquieu peut
présenter le roi et le pape avec humour et ironie.
42 Séquence 2 – FR20
appelons que la satire est un texte dont le rôle est d’amuser tout
5R
en soulignant les faiblesses de la condition humaine et les misères
de la vie sociale. Ici, la description de Rica fait sourire le lecteur, qui
reconnaît ce qui lui est familier – la gestion du royaume, les pou-
voirs du roi, ceux du pape – mais qui, présenté avec recul, paraît
ridicule : l’objectif de Montesquieu est ainsi de souligner les dé-
fauts de son temps, pour les dénoncer et faire réfléchir le lecteur.
8. La transsubstantiation est, littéralement, la transformation d’une substance en une autre. Le terme désigne,
pour les chrétiens la transformation du pain et du vin en chair et sang du Christ lors de l’Eucharistie, moment
fondamental de la messe.
Séquence 2 – FR20 43
6A
vec les autres auteurs du mouvement dit des Lumières (voir Fiche
méthode), Montesquieu s’attache à dénoncer les excès du politique
et du religieux ; ici, il s’est agi des dépenses engagées par le roi, des
guerres coûteuses, des dévaluations successives qui sapent l’éco-
nomie du royaume, de la création du papier-monnaie perçu comme
une tromperie, de l’absence de véritables ressources du pays, de la
naïveté du peuple qui croit aux pouvoirs de thaumaturge du souve-
rain, de la manipulation des esprits à laquelle se livrent le roi et le
pape, et des dogmes irrationnels que ce dernier impose par la force.
Plus généralement, ces attaques ont pour but d’inciter à un esprit
critique : chacun doit ne pas être dupe des mensonges du pouvoir,
comprendre de quelle façon le pays est véritablement gouverné, et
se libérer des dogmes imposés par l’Église. On retrouve donc l’idéal
des Lumières (cf. Fiche méthode), qui cherchent la vérité au-delà des
systèmes sociaux et religieux bridant la connaissance et la liberté,
en usant ici d’une arme littéraire, la satire, dans laquelle l’auteur sou-
ligne les ridicules et grossit les traits. Vous percevez bien ici le danger
de contestation que représentaient les Lumières pour les institutions
de l’époque !
44 Séquence 2 – FR20
Hyacinthe Rigaud, Portrait en pied de Louis XIV âgé de 63 ans en grand costume royal,
1702. (C) RMN (Château de Versailles) / Daniel Arnaudet / Gérard Blot.
Séquence 2 – FR20 45
B Entraînement à l’écrit :
la dissertation (1)
Méthodologie
Vous aurez reconnu les trois étapes de la rédaction d’un discours que nous avons vues dans le
Chap. 1 de cette séquence : l’inventio, la dispositio, et l’elocutio !
➠ N ous allons suivre ces trois étapes, pour élaborer progressivement une dissertation rédigée.
Voici donc un uel est, selon vous, l’intérêt d’argumenter de façon indirecte, par
Q
sujet de exemple à l’aide de récits imagés ? Pour répondre à cette question, vous
dissertation prendrez appui sur les textes de la séquence et sur les textes argumenta-
tifs que vous avez lus ou étudiés.
46 Séquence 2 – FR20
2 Le roi a ici revêtu son costume de sacre, ce qui contribue à le gran-
dir un peu plus. Ce costume royal est imposant et semble à lui seul
envahir une partie du tableau. Louis XIV est peint en pied sur une es-
trade devant son trône, et porte en outre une haute perruque et des
escarpins à talons, accessoires qui lui confèrent élégance et noblesse.
Le traitement des étoffes est particulièrement raffiné - quoique sur-
chargé - et rappelle la grandeur du règne du souverain.
Derrière lui s’élève une colonne sur un piédestal, signe de la dignité
et de la solidité du pouvoir. Le cadre du tableau est dédoublé par
un cadre interne, un dais pourpre en forme de baldaquin, qui forme
comme une scène de théâtre sur laquelle le jeu du pouvoir royal prend
place et qui permet de glorifier la personne royale.
Séquence 2 – FR20 47
48 Séquence 2 – FR20
E pensez aussi aux registres qu’un auteur peut employer pour émouvoir
Séquence 2 – FR20 49
1. L’optimisme est une philosophie appréciée par certains philosophes des Lumières, et qui fut élaborée par Leib-
niz en 1710 dans ses Essais de théodicée. Leibniz part du principe de la perfection et de la bonté divine. D’après
lui, rien ne peut être aussi parfait que Dieu, donc le monde n’est pas parfait, or, comme Dieu est bon, le monde
qu’il a créé est forcément le meilleur possible. Cette théorie a ensuite été simplifiée et critiquée par Voltaire dans
Candide (dont le titre complet est d’ailleurs Candide ou l’Optimisme).
2. Subversif signifie « qui renverse, détruit l’ordre établi, qui est susceptible de menacer les valeurs reçues ». Les
critiques faites par les écrivains des Lumières à l’encontre du régime politique ou de l’Église seront très souvent
perçues comme subversives.
50 Séquence 2 – FR20
Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lis-
bonne, les sages du pays n’avaient pas trouvé un moyen plus efficace
pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-
da-fé3 ; il était décidé par l’université de Coïmbre4 que le spectacle de
quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un se-
cret infaillible pour empêcher la terre de trembler.
On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d’avoir épousé
sa commère5, et deux Portugais qui en mangeant un poulet en avaient
arraché le lard6 : on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et son
disciple Candide, l’un pour avoir parlé7, et l’autre pour avoir écouté
avec un air d’approbation : tous deux furent menés séparément dans
des appartements d’une extrême fraîcheur, dans lesquels on n’était ja-
mais incommodé du soleil ; huit jours après ils furent tous deux revêtus
d’un san-benito, et on orna leurs têtes de mitres de papier : la mitre et
le san-benito8 de Candide étaient peints de flammes renversées et de
diables qui n’avaient ni queues ni griffes ; mais les diables de Pangloss
portaient griffes et queues, et les flammes étaient droites. Ils marchèrent
en procession ainsi vêtus, et entendirent un sermon très pathétique, sui-
vi d’une belle musique en faux-bourdon. Candide fut fessé en cadence,
pendant qu’on chantait ; le Biscayen et les deux hommes qui n’avaient
point voulu manger de lard furent brûlés, et Pangloss fut pendu, quoique
ce ne soit pas la coutume. Le même jour la terre trembla de nouveau avec
un fracas épouvantable.
Candide, épouvanté, interdit, éperdu, tout sanglant, tout palpitant, se
disait à lui-même : « Si c’est ici le meilleur des mondes possibles, que
sont donc les autres ? Passe encore si je n’étais que fessé, je l’ai été chez
les Bulgares. Mais, ô mon cher Pangloss ! le plus grand des philosophes,
faut-il vous avoir vu pendre sans que je sache pourquoi ! Ô mon cher ana-
baptiste, le meilleur des hommes, faut-il que vous ayez été noyé dans le
port ! Ô Mlle Cunégonde ! la perle des filles, faut-il qu’on vous ait fendu
le ventre ! »
Il s’en retournait, se soutenant à peine, prêché, fessé, absous et béni,
lorsqu’une vieille l’aborda et lui dit : « Mon fils, prenez courage, suivez-
moi ».
Voltaire, Candide ou l’Optimisme, chapitre VI
3. Le terme « auto-da-fé » (littéralement « acte de foi ») désignait à la fois la proclamation d’un jugement prononcé
par l’Inquisition et le châtiment qui lui faisait suite, le plus souvent la mort par le feu.
4. Ville du Portugal ; l’Université avait été fondée en 1307.
5. L’Église catholique interdisait le mariage entre le parrain et la marraine (la commère) du même enfant baptisé.
6. La religion juive prescrit qu’on s’abstienne de manger du porc.
7. L’optimisme de Pangloss l’avait rendu suspect aux yeux de l’Inquisition, parce qu’il semblait nier le dogme du
péché originel.
8. Casaque jaune qui faisait partie des signes infâmants dont on affublait les condamnés.
Séquence 2 – FR20 51
Questions
1 Mise en contexte
Éléments de réponse
1 a) Un conte philosophique est un récit fictif, écrit par l’auteur dans le
but de peindre une critique de la société. Ce texte est rédigé sous
la forme d’un conte, souvent pour se soustraire à la censure (rappe-
lez-vous que Voltaire a déjà été embastillé !). On y retrouve donc les
caractéristiques du genre du conte, qui est un récit de faits, d’aven-
tures imaginaires, destiné à distraire (pensez aux contes de Per-
rault, comme le Petit chaperon rouge). Ainsi, Candide commence
par la phrase « Il y avait en Westphalie, dans le château de M. le
baron de Thunder-ten-tronckh,…. », incipit9 typique des contes tra-
ditionnels. L’auteur a recours au conte pour transmettre des idées
et des concepts à portée philosophique. Puisque le récit est ima-
ginaire, l’auteur feint de porter un regard objectif sur les hommes,
ainsi que le fit Montesquieu dans les Lettres persanes, pour mieux
dénoncer ce qu’il condamne. Ainsi Voltaire dans Candide pousse le
lecteur à prendre conscience des travers de l’homme et de l’omni-
présence du mal sur terre, s’opposant à la théorie de l’optimisme
de Leibniz (qui se trouve caricaturé sous les traits de Pangloss).
52 Séquence 2 – FR20
c) « Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lis-
bonne » : le 1er novembre 1755, Lisbonne est détruite par un tremble-
ment de terre, suivi d’un raz de marée et d’incendies, qui tuent entre
60 000 et 90 000 habitants et détruisent 85 % de la ville. Voltaire écrit
le Poème sur le désastre de Lisbonne après cette catastrophe et men-
tionne le séisme dans notre texte.
2 Le chapitre, dont vous avez ici le texte complet, est très efficace dans
la conduite du récit. Le narrateur (point de vue omniscient ici) com-
mence par situer les événements et par présenter les raisons de l’au-
to-da-fé : le tremblement de terre qui a touché Lisbonne a conduit les
« sages « du pays (en l’occurrence, les institutions ecclésiastiques)
à penser qu’il fallait expier un péché commun par une procédure de
l’Inquisition (« Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois
quarts de Lisbonne, les sages du pays n’avaient pas trouvé un moyen
plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple
un bel auto-da-fé »). Tous les événements vont se dérouler en une
seule journée (« Le même jour la terre trembla de nouveau »), d’où
une concentration temporelle qui permet un rythme narratif rapide,
comme c’est le cas dans l’action de la tragédie, rassemblée sur vingt-
quatre heures.
La narration des actions joue sur l’énumération, sans lien syn-
taxique : les faits sont juxtaposés par le biais des deux points, ce
qui donne l’impression d’un enchaînement rapide et logique : « On
avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d’avoir épousé sa
commère (…) : on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et son
disciple Candide (…) : tous deux furent menés séparément dans des
appartements d’une extrême fraîcheur (…) ». Le second paragraphe
se clôt par un retour sur l’événement premier, le tremblement de terre
Séquence 2 – FR20 53
10. La parataxe est une construction de phrase par juxtaposition, sans qu’un mot de liaison indique la nature du
rapport entre les phrases.
11. L’obscurantisme est l’opinion des ennemis des « Lumières », de ceux qui s’opposent à la diffusion des connais-
sances, de l’instruction, de la culture dans les masses populaires. Voir la fiche méthode sur les Lumières.
54 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 55
12. Délicieux.
56 Séquence 2 – FR20
Il n’y a plus de pensée, c’est ça qui est vraiment douloureux. Les Maîtres
du langage ne veulent pas des pensées de leurs esclaves. Si les pen-
sées apparaissaient, peut-être qu’elles détruiraient l’empire des mots,
facilement, avec leur silence absolu. Peut-être que les pensées révéle-
raient le grand mépris qui règne ici, et qu’elles sauraient l’effacer. Si les
pensées pouvaient naître dans les cerveaux, peut-être que les hommes
et les femmes seraient vraiment beaux, et qu’il n’y aurait plus de Maîtres
du langage.
J.M.G. Le Clézio, Les Géants.
©Éditions Gallimard.
«Tous les droits d’auteur de ce texte sont réservés. Sauf autorisation,
toute utilisation de celui-ci autre que la consultation individuelle et
privée est interdite»
www.gallimard.fr
Répondez à la question suivante :
En quoi ce texte est-il polémique ? Définissez la cible visée, et les procé-
dés employés.
➠ Veuillez vous reporter à la fin de la séquence pour consulter le corrigé de
l’exercice.
13. Impala : antilope d’Afrique, de l’Est et du Sud, rapide et légère ; c’est aussi le nom d’une voiture.
Séquence 2 – FR20 57
« Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de
tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s’il est permis à
de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste
de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui as tout donné,
à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder
en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent
point nos calamités. Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr,
et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuel-
lement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les
petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles15 corps,
entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules,
entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées,
entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales
devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes
appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ;
que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer suppor-
tent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil ; que ceux qui cou-
14. La question était un supplice légal pratiqué avant la Révolution pour obtenir des aveux ou des
informations.
15. « Faibles ».
58 Séquence 2 – FR20
Questions
1 Repérez et identifiez tous les procédés qui font de ce texte une véri-
table prière. Qu’est-ce qui est demandé ? À qui ?
2 Analysez le lexique et les figures d’amplification et d’opposition :
en quoi peut-on parler de dramatisation et d’appel à l’imagination ?
Quelle image de l’homme se trouve évoquée ici ?
3 Comment s’exprime l’idée d’intolérance dans le texte ? À quoi est-elle
due ? Comment le texte plaide-t-il en faveur de la tolérance ?
4 Qu’apprend ce texte au lecteur concernant les croyances religieuses
de Voltaire ?
16. Le latin, langue du catholicisme, par opposition aux langues nationales utilisées dans d’autres religions.
17. Le rouge est la couleur des cardinaux ; le violet, celle des évêques.
18. Il s’agit des pièces d’or.
19. Haine.
20. Actuelle Thaïlande.
Séquence 2 – FR20 59
21. Pour un récit, on parle de narrateur ; dans une pièce de théâtre, ce sont les personnages qui prennent la parole ;
dans un discours, ou tout autre texte de cette nature, c’est le locuteur.
60 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 61
62 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 63
C Entraînement à l’écrit :
la dissertation (2)
Deuxième étape de la dissertation :
élaboration d’un plan détaillé (la dispositio)
64 Séquence 2 – FR20
Fiche méthode
Chapitre
es registres satirique,
1 polémique et oratoire
Fiche méthode
1. Le registre satirique
La satire est un genre littéraire qui se moque dans le but de critiquer ou
de dénoncer, mais aussi un registre : plusieurs genres peuvent être de
registre satirique, comme une fable ou une tirade théâtrale (cf. les deux
textes du chapitre 2). La caricature, la parodie, font partie des procédés
de la satire, qui joue souvent sur l’exagération, et qui n’est pas toujours
dénuée d’agressivité.
2. Le registre polémique
Le registre polémique renvoie à l’affrontement des idées à travers un
débat plus ou moins violent : de fait, l’étymologie grecque du mot est
« la guerre », « polemos ». Il s’agit dans ce registre d’attaquer un com-
portement social, un mode de vie, les mœurs de ses contemporains,
les défauts et ridicules d’une époque, d’une institution, d’une œuvre,
d’une personne… Il est donc étroitement lié au discours argumenta-
tif, et cherche plus à persuader qu’à convaincre. La notion de ton est
essentielle dans ce registre : une argumentation calme et mesurée ne
sera jamais assimilable à une polémique, qui suppose donc un ton pas-
sionné ou véhément. Souvent utilisé par les philosophes des Lumières,
elle est aussi fréquemment employée dans la littérature engagée. C’est
le registre du pamphlet, des essais, des lettres ouvertes :
Séquence 2 – FR20 65
E
notre art et notre littérature meurent de leur belle mort. Ce sont les cer-
veaux les plus vides, les cœurs les plus secs, les gens enterrés dans le
passé, qui feuillettent avec mépris les œuvres vivantes et tout enfiévrées
de notre âge, et les déclarent nulles et étroites. »
Zola, Mes haines.
3. Le registre oratoire
Ce registre est étymologiquement associé à la prière (« oratoire » vient
du latin orare qui signifie « prier »). Il reste de cette origine une vocation
du registre oratoire, souvent employé dans les discours, pour les textes
capables de mobiliser leurs destinataires. Il peut y parvenir par le souci
de persuader plus que de convaincre, sûr de faire partager l’émotion
– colère, indignation, pitié –par certaines ressources rhétoriques : les
invocations, les rythmes ternaires, les images saisissantes, l’ampleur de
la phrase, le choix d’images évocatrices, la prise à partie de l’auditoire
(apostrophes, exclamations, questions rhétoriques…).
C’est le registre du plaidoyer, du réquisitoire, ou de l’oraison :
E Exemple « O Dieu ! Encore une fois, qu’est-ce que de nous ? Si je jette la vue
devant moi, quel espace infini où je ne suis pas ! Si je la retourne, quelle
suite effroyable où je ne suis plus, et que j’occupe peu de place dans cet
abîme immense du temps !
Bossuet, Sermon sur la mort.
66 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 67
Document complémentaire
L’article « Torture » qui dénonce l’erreur judiciaire dont fut victime le che-
valier de La Barre et la barbarie qu’il subit, fut ajouté par Voltaire à son
Dictionnaire philosophique, republié sous le titre Questions sur l’Ency-
clopédie.
Article « Torture », Dictionnaire philosophique (Extrait)
Les Romains n’infligèrent jamais la torture qu’aux esclaves, mais les
esclaves n’étaient pas comptés pour des hommes. Il n’y a pas d’appa-
rence1 non plus qu'un conseiller de la Tournelle2 regarde comme un de
ses semblables un homme qu'on lui amène hâve, pâle, défait, les yeux
mornes, la barbe longue et sale, couvert de la vermine dont il a été rongé
dans un cachot. Il se donne le plaisir de l'appliquer à la grande et à la petite
torture, en présence d'un chirurgien qui lui tâte le pouls, jusqu'à ce qu'il
soit en danger de mort, après quoi on recommence ; et comme dit très bien
la comédie des Plaideurs : « Cela fait toujours passer une heure ou deux ».
Le grave magistrat qui a acheté pour quelque argent3 le droit de faire
ces expériences sur son prochain va conter à dîner à sa femme ce qui
s'est passé le matin. La première fois, madame en a été révoltée ;
à la seconde, elle y a pris goût, parce qu'après tout les femmes sont
curieuses ; ensuite, la première chose qu'elle lui dit lorsqu'il rentre en
robe chez lui : « Mon petit cœur, n’avez-vous fait donner aujourd'hui la
question à personne ? »
Les Français, qui passent, je ne sais pourquoi, pour un peuple fort
humain, s'étonnent que les Anglais, qui ont eu l'inhumanité de nous
prendre tout le Canada, aient renoncé au plaisir de donner la question.
Lorsque le chevalier de La Barre, petit-fils d'un lieutenant général des
armées, jeune homme de beaucoup d'esprit et d'une grande espérance,
mais ayant toute l'étourderie d'une jeunesse effrénée, fut convaincu4
d'avoir chanté des chansons impies, et même d'avoir passé devant une
procession de capucins sans avoir ôté son chapeau, les juges d'Abbe-
ville, gens comparables aux sénateurs romains, ordonnèrent, non seu-
lement qu'on lui arrachât la langue, qu'on lui coupât la main, et qu'on
brûlât son corps à petit feu ; mais ils l'appliquèrent encore à la torture
pour savoir combien de chansons il avait chantées, et combien de pro-
cessions il avait vues passer, le chapeau sur la tête.
1. « Il n’y a pas d’apparence non plus que… »: Il n’est pas non plus très vraisemblable qu’un conseiller de La Tour-
nelle puisse considérer comme un de ses semblables un homme …
2. La Tournelle : Chambre Criminelle du Parlement de Paris.
3. Allusion à la possibilité d’achat d’un titre ou d’une charge.
4. fut convaincu : fut accusé, fut jugé coupable de...
68 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 69
Bilan de séquence
E la dissertation (3)
Troisième étape de la dissertation :
rédaction (l’elocutio) guidée
Méthodologie
E des exemples
Mise en page : Pensez à sauter des lignes entre les grandes parties, et à
former un nouveau paragraphe pour chaque nouvelle idée (une idée par
paragraphe, un paragraphe par idée !). Chaque paragraphe débute par un
alinéa (retrait de la marge d’1 cm environ). Liez chaque partie à la suivante
par une phrase de transition.
70 Séquence 2 – FR20
Rappel du sujet
« Quel est, selon vous, l’intérêt d’argumenter de façon indirecte, par exemple à l’aide
de récits imagés ? Pour répondre à cette question, vous prendrez appui sur les textes
de la séquence et sur les textes argumentatifs que vous avez lus ou étudiés. »
Pensons par exemple au regard naïf du jeune Candide dans le conte épo-
nyme1 de Voltaire : par ce regard qui donne l’impression au lecteur que
le héros ne connaît pas les endroits ni les mœurs qu’il décrit, Voltaire fait
mine de ne pas faire allusion à sa propre société, or c’est bien au fond
elle qu’il critique !
Mais le risque n’est pas que politique, il est aussi social. Il n’est
pas rare en effet que le lecteur ne soit pas en position d’accepter la cri-
tique directe, parce qu’il n’y est pas prêt. Quand un auteur montre clai-
rement les défauts des hommes, comment s’étonner que le destinataire
se sente critiqué, attaqué, et donc réagisse par le rejet d’un auteur qui lui
semble le considérer de haut ? La position du moraliste n’est pas facile…
Ainsi, quand La Fontaine critique les courtisans, il passe par la fable « Le
Singe et le Léopard » : le récit des deux animaux qui « Gagnaient de l’ar-
gent à la foire » permet d’amener la moralité (« Oh ! que de grands sei-
gneurs, au Léopard semblables,// N’ont que l’habit pour tous talents ! »)
avec moins de rudesse, ainsi la critique est moins directe et donc mieux
supportée !
Enfin, il est certain qu’une argumentation indirecte comme une
fable peut être mieux comprise qu’une démonstration logique : une fable
1. Une œuvre éponyme porte le nom du héros dont elle narre les aventures, par exemple Candide, Zadig…
Séquence 2 – FR20 71
72 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 73
74 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 75
76 Séquence 2 – FR20
Transition
Transition
1 Le texte est composé de onze lettres, ainsi que d’une lettre fictive
censée avoir été rédigée par le chevalier de la Barre lui-même (« Le
cri du sang innocent ») et du « Précis de la procédure d’Abbeville ».
Dans la première lettre, aux quatrième et cinquième paragraphes, Vol-
taire rappelle qu’il est absurde et inhumain premièrement de mettre
au supplice un accusé qui reconnaît ses fautes, deuxièmement d’user
Séquence 2 – FR20 77
2 Dans la première lettre, Voltaire remarque que « ce qui est saint ne
doit être que dans un lieu saint » (paragraphe 13) : c’est une manière
d’affirmer que l’espace public doit être libre de tout signe religieux,
et que les croix par exemple doivent demeurer dans les églises. C’est
le fondement de la laïcité.
5 Voltaire affirme que les juges ont appliqué la loi datant de 1682 de
façon déviante, car les deux jeunes gens n’ont commis aucun crime
contre la société, mais ont seulement commis des actes légers, des
« sottises » dues à leur jeune âge : la sentence des juges est donc à la
fois contraire à la loi, injuste, et inhumaine.
1. Voir la définition qu’en donne Voltaire dans « Le cri du sang innocent » (cf. votre édition, p. 96).
78 Séquence 2 – FR20
Dissertation
complétée
Introduction Aussi bien au temps du classicisme que du temps des Lumières,
amorce les écrivains ont eu fréquemment recours à des formes d’argumentation
problématique indirecte, comme la fable ou le conte philosophique. Mais quel est l’in-
térêt d’argumenter de manière indirecte? [Autrement dit, pourquoi cer-
reformulation de tains auteurs ont-ils choisi de ne pas formuler directement leurs idées,
la problématique critiques, ou attaques, mais d’avancer « masqués », de telle sorte que
annonce de plan le lecteur doive interpréter le sens du texte pour en trouver la « substan-
tifique moelle » ? Cette stratégie littéraire peut s’expliquer de plusieurs
façons : il est possible que les auteurs se soient trouvés, pour diverses
raisons, obligés d’utiliser cette méthode. Mais à cette interprétation his-
torique et événementielle on pourra préférer penser que les grands écri-
vains ont adopté cette forme d’argumentation parce qu’ils la trouvaient
efficace : il s’agira donc de s’interroger sur le pouvoir de l’argumentation
indirecte. Enfin, on pourra également envisager les qualités littéraires et
philosophiques de cette forme d’argumentation.]
1. Le supporte, l’admet.
Séquence 2 – FR20 79
80 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 81
III A. : idée En effet, l’écrivain dans une argumentation indirecte peut tout
d’abord jouer sur les sentiments de son lecteur, en usant de divers
registres. [Ainsi, outre les registres ironique et satirique déjà évoqués, Vol-
taire en appelle au registre pathétique lorsqu’il évoque le sort déplorable
exemple du malheureux Candide – « Candide, épouvanté, interdit, éperdu, tout
citation sanglant, tout palpitant… », mais aussi au registre oratoire : « Mais, ô mon
cher Pangloss ! le plus grand des philosophes, faut-il vous avoir vu pendre
citation sans que je sache pourquoi ! Ô mon cher anabaptiste, le meilleur des
hommes, faut-il que vous ayez été noyé dans le port ! Ô Mlle Cunégonde !
la perle des filles, faut-il qu’on vous ait fendu le ventre ! », comme il le
citation fera aussi dans son Traité sur la tolérance : « Puissent tous les hommes se
souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur
développement les âmes… ». Le lecteur prend en pitié le personnage, et c’est ainsi à son
de l’idée tour, après le placere (plaire), le movere (émouvoir) qui est mobilisé pour
renforcer la persuasion. Les genres variés qui peuvent être le lieu d’une
argumentation indirecte – texte théâtral, récit… – ont donc la capacité lit-
téraire de faire naître des émotions, qui contribuent certes à l’efficacité
du message, mais sont aussi appréciables pour eux-mêmes – c’est même
l’un des plaisirs de la lecture que d’éprouver des sentiments !]
III B. : idée Mais comme les textes argumentatifs directs, les argumenta-
tions indirectes ont pour vocation de faire réfléchir le lecteur : loin de
se contenter de plaire et d’émouvoir, une fable par exemple peut trans-
exemple mettre une critique – nous avons vu celle des courtisans dans « Le Singe
82 Séquence 2 – FR20
Séquence 2 – FR20 83
84 Séquence 2 – FR20
Introduction
1. Textes et contextes
2. Genèse, structure, temps et narration
Fiche méthode : La nouvelle, bref historique de ce genre littéraire
Corrigés des exercices
3. Les lieux dans Le colonel Chabert
4. Un héros à l’existence problématique
Fiche méthode : Expliquer un texte descriptif
Fiche méthode : Le vocabulaire de l’analyse littéraire
Corrigés des exercices
5. La peinture d’une société : étude de trois personnages
Fiche méthode : Le commentaire littéraire
Corrigés des exercices
6. L
e rapport des hommes à l’argent
dans des œuvres des XIXe et XXe siècles
Corrigés des exercices
Lecture cursive : Zola, La curée
Séquence 3 – FR20 1
Introduction Chapitre 4
A. Objets et objectifs Un héros à l’existence problématique
B. Conseils de méthode
A. Le colonel Chabert : de la quête de soi
C. Testez votre première lecture
à la perte de soi
Chapitre 1 B. Le colonel Chabert : « enterré vivant »
Texte et contextes C. Le colonel Chabert : l’homme d’un passé révolu
A. B iographie de Balzac Fiche méthode : Expliquer un texte descriptif
B. C ontexte historique et culturel Le vocabulaire de l’analyse
de la vie de Balzac littéraire
C. Trois mouvements littéraires Corrigés des exercices
importants au XIXe siècle Chapitre 5
Chapitre 2
La peinture d’une société :
Genèse, structure, temps et narration étude de trois personnages
A. Étude du titre A. Le comte Ferraud : l’importance
B. Structure et progression romanesques, d’un personnage in absentia
étude du cadre temporel B. La comtesse Ferraud : une figure cupide
C. Le Colonel Chabert : genre et registre et manipulatrice
Fiche méthode : La nouvelle, bref historique C. Derville, un homme de loi intègre
de ce genre littéraire Fiche méthode : Le commentaire littéraire
Corrigés des exercices Corrigés des exercices
Chapitre 3 Chapitre 6
Les lieux dans Le Colonel Chabert Le rapport des hommes à l’argent
A. Le colonel Chabert : un homme d’ailleurs dans des œuvres du XIXe et XXe siècle
B. L e retour vers Paris : la déchéance A. Le rapport des hommes à l’argent
C. Les lieux d’échec dans des œuvres du XIXe siècle
B. Le rapport des hommes à l’argent
dans des œuvres du XXe siècle
Corrigés des exercices
2 Séquence 3 – FR20 Lecture cursive : Zola, La curée
B Conseils de méthode
Nous vous conseillons de lire Le Colonel Chabert dans l’édition Garnier-
Flammarion (édition avec dossier). Les références des citations données
dans le cours renvoient à cette édition qui comporte, en outre, des notes
sur le texte fort éclairantes.
Commencez par lire le roman, crayon en main. Soyez, dès la première
lecture, particulièrement attentifs aux thèmes suivants :
E la construction du roman et le traitement du temps ;
Séquence 3 – FR20 3
5 À quelle bataille a-t-il été blessé et retrouvé mort ? Quelle est la date
de cette bataille et quels sont les ennemis en présence ?
4 Séquence 3 – FR20
Éléments de réponses
1 La première phrase de l’incipit est cette exclamation : « Allons ! encore
notre vieux carrick ». Elle désigne le colonel Chabert, ce que le lecteur
ne peut comprendre que par la suite.
6 Les personnes qui sauvent le colonel sont une femme et son mari qui
le transportent dans leur pauvre baraque où il reste 6 mois « entre
la vie et la mort ». Il est ensuite transporté à l’hôpital d’Heilsberg, à
30 km d’Eylau. Il y reste 6 mois sans se rappeler qui il est.
Séquence 3 – FR20 5
Sa femme s’est remariée avec le comte Ferraud, conseiller d’État. Elle
l’a fait essentiellement pour deux raisons : elle croit Chabert mort et
son remariage lui permet d’accéder à la société aristocratique de la
Restauration.
6 Séquence 3 – FR20
1 Texte et contextes
A Biographie de Balzac
Dans cette biographie, nous allons mettre en valeur les liens entre la vie
de l’écrivain et ce roman, ainsi que la place du Colonel Chabert dans son
œuvre.
1. chicane : difficulté que l’on soulève dans un procès sur un point mineur de droit, pour embrouiller l’affaire.
Séquence 3 – FR20 7
La Comédie humaine
La Physiologie du mariage, œuvre parue en 1830, est son premier suc-
cès ; il est enfin accueilli non seulement par les éditeurs, journalistes et
artistes de son temps mais encore par la haute société. Il se consacre
alors entièrement à ses romans, qu’il publie en feuilletons pour la plu-
part. La Peau de chagrin (1831) confirme son succès. Ce roman fantas-
tique et philosophique plaît. C’est à cette même époque qu’il entreprend
une longue correspondance avec une admiratrice polonaise, madame
Hanska.
Ses nombreux romans sont le reflet de ses grandes préoccupations,
qu’elles soient historiques : Les Chouans (1829), philosophiques : La
Peau de chagrin (1831), sociales : Le médecin de campagne en (1833),
scientifiques : La recherche de l’absolu (1834), ou mystiques : Séraphita
(1832). Il se consacre aussi à l’étude réaliste de « scènes de la vie pri-
vée » où il peint des types humains et les mœurs de son temps avec
ses œuvres les plus célèbres comme Eugénie Grandet et Le Père Goriot
(1835), Le lys dans la vallée (1836), Les illusions perdues (1837) ou Le
curé de village (1841).
En 1842, il pense réunir tous ses romans sous le titre de Comédie
humaine, en référence à l’œuvre de Dante Alighieri, La Divine Comédie,
qui raconte le voyage spirituel de l’auteur en Enfer, au Ciel et au Purga-
toire, guidé par le poète latin, Virgile. Mais ici, il ne s’agit pas de l’au-delà
mais de la réalité de la société du début du siècle. Balzac veut étudier la
2. dandy : homme qui se pique d’une suprême élégance dans sa mise et ses manières (Définition du Robert).
8 Séquence 3 – FR20
Séquence 3 – FR20 9
10 Séquence 3 – FR20
1848 Révolution
Début de la IIe République
Séquence 3 – FR20 11
3. Stendhal (1783-1842) écrivain français, auteur entre autres de Lucien Leuwen, Le Rouge et le Noir, La Chartreuse
de Parme. Dans ces romans, l’auteur analyse avec un grand souci de réel et de vraisemblance la psychologie des
personnages. Ils sont aussi une critique de la société matérialiste et libérale du début du XIXe siècle.
12 Séquence 3 – FR20
La description romanesque
Dans le roman réaliste, les descriptions ont une fonction précise et ne
sont jamais de l’ordre du « décoratif ». Elles ancrent l’histoire dans une
réalité précise : « Créer l’atmosphère d’un roman, faire sentir le milieu où
s’agitèrent les êtres, c’est rendre possible la vie du livre » (Maupassant,
Chroniques, « Romans », article paru dans Gil Blas du 26 avril 1882). Les
lieux décrits sont réels et décrits avec une telle précision que le lecteur
contemporain peut aisément les reconnaître. Dans Le Colonel Chabert,
les descriptions de l’étude, du quartier et du logis du colonel obéissent
à cette volonté de vraisemblance romanesque.
Séquence 3 – FR20 13
3. Du réalisme au naturalisme
Comme nous l’avons vu dans la séquence 1, le naturalisme, qui se déve-
loppe entre 1865 et 1890, est une sorte de prolongement du réalisme.
Les naturalistes prennent en compte l’influence des progrès scienti-
fiques et techniques et des changements économiques et sociaux de
cette seconde moitié du XIXe siècle, qui vont bouleverser la société et
les modes de pensée. Le roman devient alors un lieu d’expérimentation ;
les romanciers naturalistes comme Zola voulant être des observateurs et
rivaliser avec la science. Ils vont plus loin encore que les réalistes dans
la description de la réalité : ils désirent, prenant pour modèles les bio-
logistes ou les médecins, en découvrir les ressorts cachés : « posséder
le mécanisme des phénomènes chez l’homme, montrer les rouages des
manifestations intellectuelles et sensuelles telles que la physiologie
nous les expliquera, sous les influences de l’hérédité et des circons-
tances ambiantes, puis montrer l’homme vivant dans ce milieu social »
(Zola, Le roman expérimental). Ils décrivent les ravages de l’argent, de la
misère sociale, ils montrent la médiocrité de la vie quotidienne…
Les romanciers naturalistes n’hésitent pas à décrire la réalité sans
aucune concession. Certains passages de leurs romans osent peindre
une réalité sordide. La mort de Madame Bovary (Flaubert) ou celle de
Nana (Zola) sont décrites de façon détaillée et cruelle, avec une préci-
sion scientifique. Pour Zola, par exemple, la peinture de la famille Rou-
14 Séquence 3 – FR20
4. Dans la mythologie grecque, le sculpteur Pygmalion tombe amoureux de la statue qu’il vient de créer. La déesse
de l’amour, Aphrodite, donne alors la vie à celle-ci qui devient Galathée.
Séquence 3 – FR20 15
16 Séquence 3 – FR20
Activité
Recherchez dans un dictionnaire le sens du mot « transaction » et deman-
dez-vous dans quelle mesure ce terme s’applique au roman de Balzac.
Corrigé de l’activité
La transaction
Avant d’être intitulé Le Colonel Chabert, ce roman a été intitulé La Tran-
saction. L’aspect juridique et l’affaire judiciaire sont essentiels dans
cette œuvre. L’intrigue est en effet judiciaire et le milieu judiciaire est
longuement décrit. L’étude d’avoué fait partie des lieux centraux du récit
et inaugure le roman. Balzac, dans sa Comédie humaine, veut décrire
la société de son temps, son fonctionnement, ses vices, ses carences.
Dans la conduite du récit, cette transaction sert de fil conducteur, et les
éléments de l’intrigue judiciaire sont donnés peu à peu, de façon à éviter
d’ennuyer le lecteur.
Qu’est-ce qu’une transaction ? La transaction est, d’après la définition du
dictionnaire Robert, un « acte par lequel on transige », ce qui signifie
composer, proposer un arrangement, « un contrat par lequel les contrac-
tants terminent ou préviennent une contestation en renonçant chacun à
une partie de leurs prétentions ». Il faut donc que les personnes fassent
des concessions pour régler le différend qui les oppose. Or, c’est jus-
tement ce qui ne plaît pas au colonel : l’idée du compromis, pour lui,
correspond à quelque chose d’impur. Une telle action est contraire à son
tempérament entier de militaire : « Transiger, répéta le colonel Chabert.
Suis-je mort ou suis-je vivant ? » (p. 77). La note de l’éditeur précise que
Balzac avait d’abord écrit : « suis-je ou ne suis-je pas ? »
Séquence 3 – FR20 17
Le colonel Chabert
Ces trois titres représentent symboliquement toute l’intrigue. Avec le
titre définitif, l’histoire tragique du colonel prend le pas sur l’intrigue
18 Séquence 3 – FR20
Séquence 3 – FR20 19
Le schéma narratif
La construction des œuvres narratives peut être présentée sous la forme d’un
schéma que l’on appelle schéma narratif, généralement composé de cinq étapes.
1 La situation initiale : c’est une situation d’équilibre, antérieure au déroulement des événe-
ments. Cadre et personnages sont en place, mais rien ne se déroule encore. La situation
initiale présente les personnages et leurs caractéristiques essentielles. Le lecteur découvre le
cadre dans lequel l’action va se développer.
2 L’élément perturbateur : un événement vient bouleverser la stabilité de la situation initiale,
provoque une rupture et déclenche l’action.
3 Les péripéties : « événements imprévus » au sens étymologique, elles marquent un change-
ment subit de situation, qui fait rebondir l’action.
4 L’élément de résolution : un événement, un personnage ou une action mettent fin aux aven-
tures du personnage principal.
5 La situation finale : elle marque le retour des personnages à la stabilité, que ce soit dans le
bonheur (le plus généralement) ou dans le malheur. C’est la fin de l’histoire, le moment ou le
nœud du récit s’est dénoué et où l’on retrouve une situation d’équilibre.
Corrigé de l’activité
1 Une durée romanesque inscrite dans un contexte historique et socio-
culturel précis
L’histoire du colonel Chabert, telle qu’elle nous est racontée, com-
mence par l’abandon de Chabert à l’hospice des enfants, ce qui fait
remonter l’histoire du colonel vers 1780 (« je suis un enfant d’hôpi-
tal » dit-il à la page 74) et s’achève en « 1840, vers la fin du mois de
juin » (p. 125), lorsque Derville et Godeschal retrouvent le colonel à
l’hospice de Bicêtre. Vingt-deux ans se sont écoulés depuis leur pre-
mière rencontre avec Chabert. Mais il y a une très longue ellipse : le
colonel disparaît en 1818 (c’est la fin de l’intrigue) ; après nous avons
une ellipse de six mois : « six mois après cet événement » (p. 121),
Derville reçoit une lettre mensongère de Delbecq. Puis la période sui-
vante est courte mais floue : « Quelque temps après la réception de
cette lettre » (p. 122). Et enfin, nous retrouvons le colonel en 1840 :
21 ou 22 ans ont passé.
20 Séquence 3 – FR20
2 L’intrigue principale
Durée
L’intrigue principale est resserrée puisqu’elle ne dure que quelques
mois, entre six et neuf mois.
Le schéma narratif de l’intrigue principale consiste en une suite de
scènes.
Situation initiale ou introduction
Les deux premières scènes, qui se déroulent en février 1818 ou 1819,
se répondent : dans la première, nous voyons Chabert se présenter le
matin, en vain, chez Derville, et dans la seconde, Chabert, revenant
à l’étude à une heure du matin, réussit à rencontrer enfin Derville.
Ces scènes introductives permettent de présenter les personnages et
l’intrigue.
Chabert, en effet, raconte son passé et lui explique sa situation expo-
sant ainsi les éléments principaux de l’intrigue. Parviendra-t-il à obte-
nir ce qu’il désire : retrouver sa femme et ses biens, se faire recon-
naître sous son nom, comme étant vivant ?
Péripéties
Les scènes suivantes ont lieu trois mois plus tard.
Dans la première, Derville reçoit les papiers attestant l’identité de Cha-
bert. Deux scènes se succèdent alors : Derville rend visite à Chabert
puis rencontre son logeur, Vergniaud. Ces différentes scènes com-
plètent le portrait du protagoniste. La scène qui suit, après un long
préambule analytique qui se déroule pendant le voyage de Derville
en voiture, fait écho à la précédente, puisque, cette fois-ci, Derville
rend visite à la comtesse. Ces parallélismes permettent de souligner
des oppositions et notamment entre les deux personnages principaux
que tout sépare : l’un vit misérablement, l’autre luxueusement, l’un
Séquence 3 – FR20 21
3 Les analepses
22 Séquence 3 – FR20
1. Roman ou nouvelle ?
Il est difficile de savoir si Le Colonel Chabert est un court roman ou une
longue nouvelle. Et la question est d’autant plus difficile à trancher que
la différence entre ces deux genres littéraires n’est pas clairement délimi-
tée. La différence de longueur entre ces deux genres littéraires n’est pas
un critère suffisant et le roman est un genre protéiforme où les auteurs
disposent d’une immense liberté.
Le terme de « roman » désigne au Moyen-Âge un récit fictif écrit en lan-
gue romane (langue vulgaire, c’est-à-dire parlée par tous). C’est Chré-
tien de Troyes qui, au XIIe siècle, a écrit le premier ses romans (Yvain
ou le Chevalier au lion, Perceval ou le chevalier de la charrette, Lance-
lot ou le comte du Graal…) dans cette langue, au lieu de les écrire en
latin (langue savante) comme c’était l’usage. Par extension, le mot
roman a désigné un texte écrit dans cette langue. Il va, avec Chrétien de
Troyes, prendre déjà son sens moderne : ses romans sont des récits où
se mêlent prouesses et amour et qui retracent l’histoire d’un individu.
Celui-ci parcourt le monde pour s’éprouver, se trouver lui-même et com-
prendre sa place dans l’univers. Par opposition à la nouvelle qui, le plus
souvent, est beaucoup plus courte (certaines peuvent ne comprendre
que quelques pages) le roman s’étend sur une certaine durée et met en
scène de nombreux personnages vivant dans un contexte historique et
socioculturel précis. Le colonel Chabert entre parfaitement dans cette
définition.
La nouvelle apparaît en Italie au XIVe siècle, puis en France au XVe siècle,
avec la traduction française, en 1414, du Decameron de Boccace, paru
en Italie en 1353. Dans ce recueil de nouvelles, dix personnes, retenues
dans un même lieu, se racontent des histoires ; après chacune d’entre
elles, les personnages discutent entre eux et en commentent le sens.
Au XIXe siècle, ce genre littéraire se développe et garde souvent de son
origine cette conception de la narration sous forme de conversation,
comme le fait Maupassant, grand spécialiste de la nouvelle, dans Boule
de Suif, paru dans la revue Les soirées de Médan, en 1880. Ce dévelop-
pement est lié à celui du journalisme qui faisait paraître en feuilleton des
romans (c’est en effet le cas du colonel Chabert). Ce type de parution a
favorisé le récit court qu’est la nouvelle.
Mais ce bref historique ne résout pas la question : Le Colonel Chabert,
roman ou nouvelle ? En effet, Balzac qualifie Eugénie Grandet (1833)
de « bonne petite nouvelle » alors que cette œuvre, plus longue que Le
colonel Chabert, compte plus de 200 pages. Et Stendhal introduit son
long roman La Chartreuse de Parme ainsi : « c’est dans l’hiver de 1830
Séquence 3 – FR20 23
24 Séquence 3 – FR20
Fiche méthode
Chapitre
a nouvelle, bref historique
1 de ce genre littéraire
Fiche méthode
Goethe9 pose la question : « qu’est-ce qu’une nouvelle sinon un événe-
ment singulier et tout à fait nouveau ? » Il se réfère d’abord à l’étymolo-
gie ; le mot doit donc être pris au sens propre (écouter les nouvelles à la
radio, c’est s’informer sur les événements récents).
Le genre Ce genre narratif se caractérise par sa brièveté ainsi que par son inscrip-
tion dans la réalité.
La nouvelle se différencie du roman en ce qu’elle s’attache à un épisode ;
elle ne s’inscrit pas dans la durée.
La nouvelle se différencie du conte, autre genre narratif bref, en ce qu’elle
se présente comme le récit d’une histoire réellement arrivée, quel que
soit le caractère fictif ou même fantastique de cette histoire.
Évolution La nouvelle moderne est née avec la grande presse au XIXe siècle. Le jour-
du genre nal a imposé une longueur au texte : par exemple Kipling (1865-1936)
disposait d’une colonne un quart dans la Civil and Military Gazette. Le
journal a aussi influé sur le contenu même des nouvelles : l’écrivain a
souvent été soucieux de ne pas déplaire aux lecteurs du journal, il a suivi
des modes.
9. Goethe (1749-1832) : écrivain allemand, chef de file du Sturm und Drang (Tempête et Élan) mouvement litté-
raire créé en Allemagne vers 1770, en réaction contre le nationalisme et le classicisme.
Séquence 3 – FR20 25
Au XXe Au XXe siècle, ce sont les écrivains anglo-saxons qui ont dominé la nou-
velle (John Steinbeck, Ernest Hemingway, William Faulkner, etc). Signa-
lons aussi, plus proches de nous, l’Italien Dino Buzzati et l’Argentin Jorge
Luis Borges (1899-1986).
26 Séquence 3 – FR20
Séquence 3 – FR20 27
28 Séquence 3 – FR20
A Le Colonel Chabert :
un homme venu d’ailleurs
Questions de lecture cursive
Relisez le récit que Chabert fait de sa vie, des pages 63 à 70 et des
pages 75 à 76.
Réponses
Si Paris est le centre de l’intrigue, la vie du colonel Chabert s’est dérou-
lée dans d’autres lieux, un espace beaucoup plus vaste et beaucoup
plus ouvert. Cette diversité des lieux rend le récit plus original. Une telle
originalité est due aussi à une autre spécificité du Colonel Chabert : il y a,
au début de l’histoire, un récit enchâssé qui fait vivre le lecteur dans un
autre espace et un autre temps, celui des guerres napoléoniennes, puis
celui de l’errance du protagoniste. Le premier espace est nostalgique,
le second représente des lieux de souffrance où le colonel se heurte à
l’incompréhension, à la moquerie et au refus de le reconnaître.
Séquence 3 – FR20 29
30 Séquence 3 – FR20
3. L
e vagabond en quête d’une identité,
l’errance
Une fois sorti de terre, revenu à la vie, c’est une vie d’errance qui l’at-
tend : « Depuis le jour où je fus chassé de cette ville par les événements
de la guerre, j’ai constamment erré comme un vagabond, mendiant mon
pain, traité de fou » (p. 69). L’emploi de la voix passive puis du verbe
« errer » et la comparaison avec un « vagabond », montrent bien que,
désormais, il ne choisit pas les lieux qu’il traverse. Cette errance est à
l’image de ce qu’il est devenu, un être perdu, sans identité. Les étapes
géographiques correspondent à des étapes de sa vie et notamment de
ses souffrances, celles-ci étant dues à ses incapacités successives à se
faire reconnaître : « pour moi, c’était douleur sur douleur » (p. 75). Il est
d’abord chassé de l’hôpital d’Helsberg, comme il le dit lui-même dans
la phrase précédemment citée. Puis il est enfermé deux ans à Stuttgart
(p. 69). L’étape suivante est Carlsruhe où il reste six semaines sur la
paille dans une auberge à cause de maux de tête (p. 75). Et enfin Stras-
bourg puis Paris, où, après s’être évanoui, il se retrouve à l’Hôtel-Dieu et
y reste un mois (p. 75-76) ; « Je n’avais ni souliers aux pieds, ni argent
dans ma poche. Oui, monsieur, mes vêtements étaient en lambeaux. »
(p. 75). Toutes ces étapes ne sont pas décrites comme un voyage mais
comme une errance jalonnée d’échecs, une quête erratique et vaine de
soi. Lui qui avait parcouru le monde pour le conquérir, dans le sillage de
Napoléon, traverse à nouveau une partie de l’Europe pour se reconquérir
lui-même. Mais ce second parcours est un échec. Il finira par revenir peu
à peu, à la fin du roman, vers ces refuges pour ceux qui ont tout perdu
jusqu’à la raison, passant de l’hôpital à l’hospice.
Séquence 3 – FR20 31
Réponses
1. U
n Paris méconnaissable
pour un héros méconnaissable
En quittant Paris, Chabert laissait une épouse, un hôtel particulier, une
assez grosse fortune. Lorsqu’il revient, il constate que l’hôtel a disparu,
que sa femme le rejette et lui a pris tous ses biens. Le Paris de la Res-
tauration n’est plus le Paris de l’Empire. Il n’y plus de place pour lui
dans cette ville qu’il ne reconnaît plus et qui ne le reconnaît plus. Son
exclusion de la société et du monde passe symboliquement par le nou-
vel espace qu’il occupe lui-même dans Paris. Nous sommes en 1817.
C’est le tout début de grands travaux qui vont remodeler Paris. Balzac,
à son habitude, mêle parfaitement réalité et fiction, en plaçant la plus
grande partie de l’histoire à Paris et en faisant de la capitale le symbole
de la déchéance de Chabert, incapable de retrouver son identité et sa
gloire d’antan. Ces travaux qui vont transformer Paris et qui sont évo-
qués dans un grand nombre des romans du XIXe siècle, commencent
à la Restauration (entre 1814 et 1830), continuent sous la Monarchie
de Juillet (entre 1830 et 1848) et la Seconde République (entre 1848
et 1851) pour prendre une ampleur particulière sous Napoléon III, avec
les travaux du baron Haussmann en 1853, trois ans après la mort de
Balzac. Quand il arrive à Paris, le colonel est très ému et plein d’espoir,
comme le montre cette phrase à structure ternaire : « J’étais sans argent,
mais bien portant et sur le bon pavé de Paris ». L’expression rythmée par
des mots courts liés entre eux par des allitérations « sur le bon pavé de
Paris » montre sa joie et son affection pour Paris. La phrase suivante, en
revanche, dénote une immense déception. Elle débute de façon enthou-
siaste et vive : « Avec quelle joie et quelle promptitude, j’allai rue du
Mont-Blanc » pour se terminer ainsi : « Bah ! la rue du Mont-Blanc était
devenue la rue de la Chaussée d’Antin. Je n’y vis plus mon hôtel, il avait
été vendu, démoli » (p. 76). L’explication qu’il donne : « Des spécula-
teurs avaient bâti plusieurs maisons dans mes jardins » (ibidem) est un
fait de société. Les nouveaux travaux effectués dans Paris profitent à de
32 Séquence 3 – FR20
Gustave Caillebotte, Rue de Paris ; temps de pluie, 1877. © akg-images / Erich Lessing.
Séquence 3 – FR20 33
34 Séquence 3 – FR20
9 II III 10
8 V
I 2 VI
16 1 3 20
IV VII 11
7
X 4 IX VIII
6
XI 5
15 XII
12
14
13
3. L
e faubourg Saint-Marceau
et le faubourg Saint-Germain
Le faubourg Saint-Germain est le symbole de la réussite sociale parfaite
de la comtesse, comme le faubourg Saint-Marceau l’est de l’exclusion
du colonel. Il est évoqué au moment où Derville réfléchit à la situation
du comte et de la comtesse Ferraud (p. 94-95). Ce faubourg, qui se
situait autrefois dans le 10e arrondissement et maintenant dans le 7e,
représente à lui seul, de façon métonymique10, toute la noblesse de la
Restauration : « quand le faubourg Saint-Germain sut que le mariage du
jeune comte n’était pas une défection… » (p. 96). Il est, en effet, « le fief
de l’aristocratie » et l’adresse du comte Ferraud reflète parfaitement sa
situation sociale : tout près de la plus haute marche (cf. note, p. 99).
Toutes les familles nobles de La Comédie humaine y vivent. Dans le cha-
pitre IV de La duchesse de Langeais, le narrateur déclare : « le faubourg
Saint-Germain a la splendeur de ses hôtels, ses grands jardins, leur
silence jadis en harmonie avec la magnificence de ses fortunes territo-
riales ». Le quartier et l’hôtel particulier où réside la comtesse Ferraud
(rue de Varenne) sont peu décrits mais quelques éléments luxueux suf-
fisent pour que le lecteur puisse imaginer l’ensemble. Derville la trouve
au milieu de matières précieuses qui brillent : « l’argent, le vermeil, la
nacre, étincelaient sur la table » ; tout est beau et raffiné : « des fleurs
curieuses […] dans de magnifiques vases en porcelaine » (p. 100). La
10.Métonymie : figure de style qui consiste à remplacer un terme par un autre qui est lié au premier par un rapport
logique. Ex : le contenant pour le contenu (Boire un verre), le symbole pour la chose (Les lauriers, pour la gloire),
l’écrivain pour son œuvre (Lire un Balzac)
Séquence 3 – FR20 35
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Séquence 3 – FR20 37
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Réponses
1. D
e l’enfant trouvé au colonel Chabert,
fier de ses mérites
a) Un enfant trouvé
« Je suis un enfant d’hôpital, j’avais un père, l’Empereur ! Donnez-moi
le grade de général auquel j’ai droit ». Toute l’histoire de Chabert réside
dans cette phrase. Le colonel est un enfant trouvé, abandonné par des
parents inconnus. « Si j’avais eu des parents, tout cela ne serait peut-être
pas arrivé ; mais il faut vous l’avouer, je suis un enfant d’hôpital » (p. 74),
dit le colonel au cours du récit rétrospectif qu’il fait lui-même de sa vie. Il
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40 Séquence 3 – FR20
Séquence 3 – FR20 41
42 Séquence 3 – FR20
c) U
ne seconde résurrection : l’espérance,
la quête difficile de soi
Le narrateur traduit les nouvelles espérances de Chabert par la méta-
phore de la sortie du tombeau, de prison mais aussi, comme nous
l’avons vu, du ventre de sa mère : « il sortait une seconde fois de la
tombe, il venait de fondre une couche de neige moins soluble que celle
qui jadis lui avait glacé la tête, et il aspirait l’air comme s’il quittait un
cachot » (p. 72).
En effet, seul Derville l’écoute, s’intéresse à lui et accepte de le croire.
Une telle attitude le bouleverse et renforce son désir de retrouver son
identité. C’est, en effet, le but de sa démarche et, comme nous l’avons
vu précédemment, cela a toujours été son plus grand désir depuis la
bataille d’Eylau. C’est même une obsession, une des ces passions que
décrit Balzac et qui s’emparent totalement d’un personnage. « Vous
êtes, dit le colonel d’un air mélancolique, la seule personne qui m’ait si
patiemment écouté ». La politesse de Derville le fait pleurer : « Veuillez,
s’écria le malheureux vieillard en prenant la main du jeune homme,
voilà le premier mot de politesse que j’entends depuis… ». Le colonel
pleura. La reconnaissance étouffa sa voix » (p. 71). Une telle émotion lui
redonne goût à la vie et le fait renaître. Il sera troublé de la même façon,
lorsqu’à dessein, la comtesse l’appellera « monsieur » lors de leurs
retrouvailles (p. 110). Désormais ragaillardi, le colonel Chabert va, aidé
de Derville, tâcher d’obtenir de la société et de la comtesse Ferraud une
reconnaissance officielle. Cette quête occupe toute la seconde partie du
roman et aboutit à un échec. Il désire retrouver son nom, ses titres, sa
femme, sa fortune, comme nous l’avons évoqué précédemment en citant
cette phrase : « Rendez-moi ma femme et ma fortune… » (p. 87). Mais ce
discours et ce passé militaire qui fixent son identité sont désormais en
quelque sorte passés de mode. Dans sa quête, en effet, il se heurte à un
monde qui veut le voir mort, et à une justice qu’il ne comprend pas. En
cela, d’une façon très insidieuse, la société est complice de son épouse.
L’Empereur est parti, l’Empire est mort avec lui ; que le colonel Chabert
soit mort, lui aussi, arrange tout le monde. « Je veux, je ne veux pas de
procès, je veux… », dit la comtesse. Derville lui coupe la parole, mettant
ainsi en lumière ses vrais désirs : « Qu’il reste mort » (p. 108). Le colo-
nel Chabert dira plus tard : « Les morts ont donc bien tort de revenir ? »
(p. 112). Le colonel décide de se battre lorsque la comtesse feint de ne
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Séquence 3 – FR20 45
Document complémentaire
Pour clore cette étude, voici une poème de Baudelaire qui fait écho au
personnage du colonel.
La cloche fêlée
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Méthodologie
Séquence 3 – FR20 47
Méthodologie
un tableau de Rembrandt
Rembrandt (1606-1669), peintre, graveur et dessinateur, est considéré
comme l’un des plus grands peintres de son temps. Il a marqué l’histoire
de la peinture par une technique remarquable du clair-obscur qui lui a
permis d’accentuer les expressions et les sentiments des personnages et
d’approfondir les effets dramatiques des scènes dépeintes.
Voici l’un de ses tableaux, intitulé La leçon d’anatomie. Rembrandt a peint
ce tableau en 1632, il a alors 26 ans et sa carrière commence. La scène
représente le Docteur Nicolaes Tulp entouré d’un groupe de chirurgiens.
Le tableau fait partie d’une série de portraits de groupe commandés par la
confrérie des chirurgiens. La leçon d’anatomie était un événement annuel
exceptionnel, la dissection publique d’un criminel était un moment en soi.
Rembrandt fait preuve d’un talent certain dans cette représentation d’un
très grand réalisme. Vous noterez que l’on voit à peine le décor, plongé
dans l’obscurité. L’utilisation de la lumière et des contrastes permet
de faire du cadavre « l’événement » du tableau. Il constitue un foyer de
lumière, mis en relief par les vêtements noirs des chirurgiens dont les
visages apparaissent aussi mis en valeur par la lumière et les collerettes
blanches de leurs tenues.
48 Séquence 3 – FR20
B Le colonel Chabert :
« enterré vivant »
Préparer la lecture analytique
Vous allez réaliser une lecture analytique du portrait du colonel Chabert
(de « Lorsque je revins à moi » à « le jour, mais à travers la neige, mon-
sieur ! », pp. 66-67)
Lisez ce passage, puis écoutez-le sur votre CD audio où il est lu par un
acteur. Ensuite, relisez-le vous-même.
Ce texte, à la différence du texte précédent, proposé en lecture analy-
tique, n’est pas un portrait mais un récit à la première personne. Il doit
donc être étudié un peu différemment du texte descriptif.
a) Tout d’abord, relisez la Fiche méthode : Expliquer un texte narratif,
puis posez-vous les questions suivantes :
– Qui est le narrateur ?
– À qui s’adresse-t-il, comment s’exprime-t-il et quel effet veut-il pro-
duire par son récit ?
Séquence 3 – FR20 49
I. L’art du récit
1. Un récit adressé à Derville
Bien que le colonel parle seul, il ne s’agit pas ici d’un monologue mais
d’un récit adressé à un autre personnage. En effet, le narrateur interpelle
son interlocuteur à plusieurs reprises : ainsi, dit-il au début, « Lorsque
je revins à moi, monsieur, j’étais dans une position et dans une atmos-
phère dont je ne vous donnerais pas une idée en vous entretenant
jusqu’à demain… » ; puis, il le fait de façon presque régulière au cours
du récit, invitant ainsi Derville à participer à son récit : « Mais, avec une
rage que vous devez concevoir », et : » monsieur, car me voici ! (…). Vous
me direz que (…) Enfin je vis le jour, mais à travers la neige, monsieur ! ».
Ces interpellations rendent le discours plus vivant. En outre, de la même
façon qu’au théâtre, nous retrouvons le principe de la double énoncia-
tion : ce discours adressé à Derville est aussi adressé au lecteur.
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52 Séquence 3 – FR20
2. Un récit morbide
Le soldat qu’est le colonel connaît cette peur de la mort que nous venons
d’étudier ; elle fait partie de son quotidien de soldat et il s’est battu contre
elle avec intelligence et courage. Mais être enterré vivant est insuppor-
table. Cette soudaine abolition des frontières entre les deux mondes,
Séquence 3 – FR20 53
Dans le récit du colonel, cette angoisse est introduite par des percep-
tions visuelles et auditives. Au début de son récit, le colonel a indiqué
qu’il ne voyait pas : « En ouvrant les yeux, je ne vis rien ». Les perceptions
qui suivent vont être autres que visuelles. L’incapacité de voir renforce
l’angoisse du colonel, cette forme de « cécité » décuplant les pouvoir
de l’imagination. On est beaucoup plus certain de ce que l’on voit que
de ce que transmettent les autres sens, en l’absence de la vue. Ainsi, le
colonel introduit aussitôt le doute avec l’expression « je crus entendre » :
« Mes oreilles tintèrent violemment. J’entendis, ou crus entendre, je ne
veux rien affirmer, des gémissements poussés par le monde de cadavres
au milieu duquel je gisais ». L’expression « monde de cadavres » crée un
effet d’abondance et surtout l’idée que le colonel a changé de monde,
il est dans l’autre monde, celui des morts. Le verbe gésir (« je gisais »)
est un verbe qu’on emploie souvent pour les morts. Sur les tombes,
on trouve l’expression : « ci-gît », qui précède le nom du mort et les
« gisants » sont des statues de morts placées sur les tombeaux. En par-
lant d’« une barrière entre la vie » et lui, il montre bien que les morts et la
terre sous lesquels il se trouvait le séparaient de la vie ; il était dans une
sorte « d’entre-monde » terrifiant. Cette première allusion aux morts est
abominable. L’idée que les morts puissent émettre des sons fait entrer le
récit puis le lecteur dans un monde effrayant, surnaturel. Le texte étant,
comme nous l’avons déjà vu, en perception interne, et le colonel relatant
ses perceptions et ses impressions de façon progressive, le lecteur est
peu à peu entraîné dans ce monde. Ainsi, nous avons d’abord « mes
oreilles tintèrent violemment » puis : « J’entendis, ou crus entendre,
je ne veux rien affirmer, des gémissements poussés par le monde de
cadavres ». Puis ces « gémissements » deviennent des « cris » : « Mais il
y a eu quelque chose de plus horrible que les cris ». Dans ses souvenirs,
l’expression « gémissements » devient des « soupirs étouffés ! » que le
colonel « croit encore entendre » la nuit. Ainsi, non seulement les morts
semblent émettre des sons, mais encore ce sont des sons qui expriment
une souffrance. Mais ce qui terrifie d’avantage le colonel (il le qualifie en
effet d’« horrible »), c’est le silence qu’il définit lui-même par l’expres-
sion « le vrai silence du tombeau ». L’adjectif « horrible » est à prendre
dans son sens littéral : « horrible » et donc qui provoque l’horreur, c’est
à dire un sentiment mêlé de terreur et de répulsion. Nous avons ainsi
changé de registre de vocabulaire, de même que nous avons changé
de monde ; et puisque ce silence est celui de la mort, il est autre que
tous les silences déjà perçus, comme le montre l’hyperbole : c’est « un
silence que je n’ai jamais retrouvé nulle part ». Plus le texte avance, plus
les évocations des morts sont terrifiantes et même répugnantes, d’au-
tant plus que les perceptions ne sont plus auditives mais tactiles : « en
tâtant les morts »… Les expressions qui désignent ces morts sont des
périphrases métaphoriques qui évoquent des corps en décomposition :
ce ne sont plus des morts entassés « jetés pêle-mêle », des « cadavres »,
54 Séquence 3 – FR20
3. Un souvenir traumatisant
Le colonel introduit son histoire en insistant sur deux points : la difficulté
à se souvenir précisément et le souvenir indélébile qu’a provoqué en lui
l’impression d’entendre ces morts crier. Ces cris le poursuivent malgré le
temps écoulé. La structure de la phrase, composée d’une suite de trois
propositions concessives souligne cette permanence, en lui, de l’an-
goisse ressentie : « Quoique la mémoire de ces moments soit bien téné-
breuse, quoique mes souvenirs soient bien confus, malgré les impres-
sions de souffrances encore plus profondes que je devais éprouver et
qui ont brouillé mes idées, il y a des nuits où je crois encore entendre ces
soupirs étouffés ! ». Elle met aussi en opposition la confusion des autres
souvenirs et la précision de celui-ci. Pourtant, ce moment vécu il y a long-
temps, est rappelé comme une véritable scène, extrêmement précise et
détaillée. Les adjectifs « ténébreuse », « confus », le verbe « brouiller »
pourraient faire croire qu’il va être incapable de narrer de façon précise
ce qui lui est arrivé. Or, c’est le contraire. Ce souvenir traumatisant est
inoubliable, il le poursuit encore. De plus, ce récit sert d’introduction à
toute l’histoire du colonel Chabert. Cette renaissance miraculeuse (« me
voici » s’exclame-t-il, et « enfin je vis le jour ») ne sera pas suivie du
retour à la vie espéré mais au contraire de plusieurs morts symboliques.
À maintes reprises, au cours de l’histoire, le colonel reviendra vers ce
passé et exprimera aussi bien son désir de vivre et de se battre que celui
de tout abandonner, de se laisser mourir, sous forme de métaphores : il
s’agira soit de sortir de terre, soit de plonger à nouveau dessous. Pour
autrui, pour la société, mises à part quelques personnes comme Der-
ville, il est mort et enterré et doit le rester. Cet instinct de survie qui l’ha-
bite dans ce passage va peu à peu disparaître sous l’effet du désespoir.
Texte complémentaire :
extraits de la nouvelle Apparition de Maupassant
Dans cette nouvelle, un vieux militaire raconte une histoire qui lui est arri-
vée, à des amis.
Il est intéressant d’observer l’analyse qu’il propose de la peur qu’il a
éprouvée en voyant apparaître un spectre.
Séquence 3 – FR20 55
56 Séquence 3 – FR20
Séquence 3 – FR20 57
Relisez le récit de Chabert ainsi que les passages où est évoquée l’épo-
pée napoléonienne.
E Quelle image nous est donnée de l’Empereur dans ces pages ?
E Quelle place occupe-t-il dans la vie du colonel ?
Éléments de réponses
a) Balzac et son personnage
Comme nous l’avons vu en étudiant la place du romantisme et du réalisme
dans l’œuvre de Balzac, ce dernier a gardé des romantiques la nostalgie
d’un passé glorieux et le dégoût d’une nouvelle époque marquée par le
matérialisme et la cupidité. Le colonel Chabert, comme beaucoup d’autres
personnages balzaciens, est un romantique : il ne peut plus garder sa place
dans cette nouvelle société ; il lui aurait fallu, comme Rastignac, chercher
à en devenir le maître. Certains personnages, en effet, avides de réussite
sociale, parviennent à trouver ce qu’ils pensent être le bonheur, mais à
condition d’avoir en quelque sorte « vendu leur âme » au diable. Le per-
sonnage de Bel Ami dans le roman éponyme de Maupassant est l’exemple
type du personnage corrompu par l’ambition et l’obsession de la réussite
sociale.
Balzac a choisi de faire de son héros éponyme l’incarnation de ce mythe.
Ce personnage se reconnaît dans ce passé épique et glorieux qui lui a
donné son nom et son grade.
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60 Séquence 3 – FR20
Antoine-Jean Gros, Napoléon 1er sur le champ de bataille d’Eylau. (C) RMN /
Daniel Arnaudet.
Séquence 3 – FR20 61
4. in medias res : au milieu de l’action. Se dit d’un récit qui commence alors que l’action a déjà démarré.
62 Séquence 3 – FR20
2. H
istoire d’un déterré qui retourne
sous terre
Questions de lecture cursive
a) M
ontrez, en vous appuyant sur votre connaissance de l’œuvre, que le
colonel sort du tombeau pour y retourner.
Réponses
a) « Il a l’air d’un déterré »
Le colonel Chabert apparaît d’emblée comme un personnage qui inquiète
à cause de son aspect cadavérique. L’une des premières réactions évo-
quées dans le roman à sa vue est celle du dernier clerc : « Il a l’air d’un
déterré » (p. 53), ce qu’il est en effet. Le portrait que le narrateur en fait
par la suite, selon le point de vue de Derville, confirme cette remarque du
clerc. Il s’agit d’un « spectacle surnaturel » (cf. lecture analytique de ce
passage). Ce premier portrait du colonel est très inquiétant et laisse Der-
ville « stupéfait » devant « cette physionomie cadavéreuse ». Balzac met
en scène ce portrait en empruntant à Rembrandt sa technique du clair-
obscur qui permet de faire ressortir le visage et de laisser le corps dans
l’ombre. Un tel éclairage, nous l’avons vu, permet aussi de jouer sur les
contrastes, de mettre en relief les lignes foncées, tout en faisant ressortir
les teintes plus claires qui sont ici, très inquiétantes : « la nacre sale » et
« les reflets bleuâtres » des yeux, la pâleur du visage « livide », « les rides
blanches », etc. Cette première impression de rencontrer un mort va être
corroborée par les paroles du colonel Chabert qui acquiesce lorsque
Huré lui demande : « Est-ce le colonel mort à Eylau ? ». Ce que confir-
Séquence 3 – FR20 63
64 Séquence 3 – FR20
3. U
n homme passionné trop pur
pour un monde impur
Questions de lecture cursive
a) Rappelez tout ce que le colonel a réussi grâce à son énergie.
Séquence 3 – FR20 65
Réponses
a) Un passionné
Dans les romans de Balzac, les personnages sont animés par une puis-
sante énergie vitale et par des passions qui leur donnent une force
extraordinaire mais finissent par les fragiliser puis les détruire.
Chabert fait longtemps preuve d’une immense énergie et l’on peut
considérer que la quête de l’identité perdue est devenue une obses-
sion. Elle mobilise toute son énergie, qui a toujours été très vive. En
effet, cette force et cette opiniâtreté apparaissent dès le début du récit.
Si l’on regarde quelle a été sa vie, l’on voit qu’il a toujours fait preuve
de courage, de force pour obtenir ce qu’il veut. Force que le narrateur
commente lui-même : « S’il courait après son illustration militaire, après
sa fortune, après lui-même, peut-être était-ce pour obéir à ce sentiment
inexplicable, en germe dans le cœur de tous les hommes, et auquel nous
devons les recherches des alchimistes, la passion de la gloire, les décou-
vertes de l’astronomie (…) tout ce qui pousse l’homme à se grandir en
se multipliant par les faits ou par les idées » (p. 71). Et, pendant un cer-
tain temps, cette énergie a été récompensée : comme nous l’avons déjà
dit, il a acquis tout seul nom, grade, fortune, gloire militaire. Il a eu la
force de survivre à de graves blessures et à une sorte de mort, suivie
d’une renaissance. Dans son récit à Derville, il raconte combien cela a
été difficile : ses luttes, ses retombées : il se retrouve soit à l’hôpital,
malade, avec de la fièvre, soit à l’asile : « j’ai constamment erré comme
un vagabond, mendiant mon pain, traité de fou ». Il est exclu, margina-
lisé : « me rendre à la vie sociale ». Parfois il passe des semestres entiers
dans des petites villes ; il est resté enfermé deux ans à Stuttgart. Il reste,
après le départ de Boutin, six semaines sur la paille dans une auberge
à Karlsruhe à cause de ses maux de tête. Encore malade, il se retrouve à
l’Hôtel-Dieu où il reste un mois (p. 76). Puis c’est un véritable parcours
du combattant. Il s’acharne pour se faire reconnaître : écrit des lettres,
guette sa femme, va de bureau en bureau pour réclamer ses droits, se
présente cinq fois chez Derville.
Mais, cette énergie est fragile, elle peut mener au spleen dont le narra-
teur analyse les manifestations et les causes après que Derville a pro-
posé la transaction au colonel : « le pauvre soldat reçut un coup mor-
tel dans cette puissance particulière à l’homme et que l’on nomme la
volonté ». Il parle alors de « maladie » et va jusqu’à employer le terme de
« spleen » (p. 91). En effet, comme nous l’avons déjà étudié dans les cha-
pitres précédents, cette énergie se brisera et sera suivie d’un immense
découragement jusqu’au dégoût de vivre.
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Séquence 3 – FR20 67
n Documents complémentaires :
autour de la bataille d’Eylau
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70 Séquence 3 – FR20
Fiche méthode
Chapitre
1 un texte descriptif
Fiche méthode
Dans votre parcours, vous aurez à analyser des extraits de romans que
vous ne connaissez pas ou bien des extraits de roman lus en œuvre com-
plète. Dans le premier cas, vous devrez vous appuyer sur les informa-
tions données par le paratexte, c’est-à-dire toutes les informations qui
se trouvent autour du texte l’auteur (chapeau introductif, nom de l’au-
teur, titre de l’œuvre, date de sa publication). Dans le second cas, vous
pouvez vous aider du contexte et faire des parallèles entre cet extrait et
ce que vous avez déjà lu et vous interroger sur la fonction du passage à
analyser dans le roman ?
Ainsi, Balzac est un écrivain du XIXe siècle et un écrivain réaliste. Il va
donc soigner la précision, le détail, vouloir créer un effet de réel. Deman-
dez-vous si c’est le cas dans le texte que vous avez à étudier. Mais il est
aussi influencé par le romantisme : même interrogation.
Séquence 3 – FR20 71
E le goût
3. E
n conclusion, quelles sont les fonctions
de l’extrait ?
Pour un portrait :
E Comment peut-on interpréter ce portrait ?
72 Séquence 3 – FR20
Fiche méthode
Chapitre
1 de l’analyse littéraire
Fiche méthode
Analepse retour en arrière. Le récit, au lieu d’être linéaire ou chronologique,
retourne dans le passé, pour expliquer des événements ou affiner la psy-
chologie d’un personnage. Au cinéma, l’analepse s’appelle un « flash-
back ».
Ellipse une ellipse dans le temps est une absence de narration. Le temps de
dans le temps la narration est en général très court alors que le temps du récit couvre
souvent plusieurs mois voire plusieurs années. On peut trouver, par
exemple : quelques années plus tard, quelques mois après.
Hyperbole figure qui amplifie le sens d’un énoncé en présentant les choses bien au-
dessus ou bien au-dessous de ce qu’elles sont. Ex : Il est mort de fatigue.
Séquence 3 – FR20 73
Mise en abyme expression utilisée en peinture. Dans certains tableaux, le peintre intro-
duit un miroir qui reflète une partie du tableau. Le tableau apparaît donc
en miniature à l’intérieur du tableau lui-même. Ce procédé se retrouve
en littérature : l’écrivain insère dans son récit un élément qui est le reflet
du récit lui-même. L’exemple habituel est la boîte de « vache qui rit », où
le procédé est appliqué à l’infini : s’y trouve représentée une vache qui
a pour boucle d’oreille une boîte de « vache qui rit », dans laquelle une
vache a pour boucle d’oreille, etc.
Prétérition figure de style où l’on commence par indiquer qu’on ne veut pas expri-
mer ce qui est néanmoins exposé dans la suite de la phrase ou du dis-
cours. Ex : Inutile de vous rappeler toute l’importance que j’accorde à ce
projet ; Je n’ai pas l’intention de vous raconter que j’ai rencontré notre
curé sortant de la mosquée ce matin.
Récit enchâssé un récit est dit « enchâssé » lorsqu’il fait partie d’un autre récit. Par
exemple, un personnage raconte une histoire à l’intérieur de laquelle un
autre personnage raconte une histoire. Les Mille et une nuits constitue
l’un des plus célèbres des récits enchâssés.
Récit cette sorte de récit, comme son nom l’indique, est un récit du passé. Le
rétrospectif personnage se retourne vers son passé pour le raconter.
Scène dans un roman, comme au théâtre, quand le temps du récit est égal au
temps de la narration, on parle de scène. Une scène est l’exact contraire
de l’ellipse. Monologues ou dialogues y sont en général présents.
Théâtralisation il s’agit, dans un roman, de traiter une scène comme s’il s’agissait d’une
représentation théâtrale. Les personnages surgissent de derrière une
porte ou un rideau, les indications du narrateur ressemblent à des didas-
calies et la scène est en général très vivante.
74 Séquence 3 – FR20
Séquence 3 – FR20 75
7 Il s’agit d’un tableau en noir et blanc : « de la nacre sale », « les rides
blanches », « visage (…) pâle, livide », « une cravate noire » : « l’ombre
cachait si bien le corps », « un sillon noir ».
9 Le portrait est physique, on l’a vu, mais aussi moral. La conscience
du personnage semble anéantie : « démence », « avec les dégradants
symptômes par lesquels se caractérise l’idiotisme ».
76 Séquence 3 – FR20
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78 Séquence 3 – FR20
Séquence 3 – FR20 79
80 Séquence 3 – FR20
Séquence 3 – FR20 81
Réponses
Le personnage du comte Ferraud est présenté dans l’analyse que Derville
fait de la situation des deux époux avant de se rendre chez la comtesse.
Le comte est ce qu’on appelle un personnage in absentia : il fait en effet
partie des personnages du roman puisqu’il est un élément de l’intrigue
mais il n’apparaît pas dans le roman.
C’est un aristocrate qui a émigré pendant la terreur et qui est resté
fidèle aux Bourbons. En épousant la « veuve » du colonel Chabert, il a
pu restaurer sa fortune. Habité par une « ambition dévorante », il trouve
que « sa fortune politique » n’est pas assez « rapide » (p. 96). Il est
« conseiller d’État, directeur général » mais désire davantage. Ayant
« conçu quelques regrets de son mariage » (p. 98), il serait prêt à répu-
dier son épouse pour s’assurer une position plus avantageuse. Il pour-
rait devenir pair de France en épousant l’héritière d’un pair de France.
Le comte Ferraud fait donc partie des figures cupides et opportunistes
du roman, qui représentent un type social décadent de la Restauration.
Ainsi, ce personnage est un élément essentiel de l’intrigue car il fait par-
tie des préoccupations majeures de son épouse. Entre lui et le colonel
Chabert, elle a depuis longtemps choisi. Le sort du colonel est fortement
lié à l’existence du comte Ferraud.
82 Séquence 3 – FR20
1. U
ne progression sociale
parfaitement réussie
Questions de lecture cursive
En vous appuyant sur votre connaissance de l’œuvre et tut particulière-
ment sur les passages où apparaît la comtesse, répondez aux questions
suivantes.
a) Q
uel comportement adopte la comtesse quand son mari tente de se
faire connaître d’elle ? Que révèle ce comportement ?
b) Quelle était le métier de la comtesse ? Quelle est sa situation de for-
tune quand son mari la retrouve ?
c) À quel milieu accède-t-elle par son mariage avec le comte ?
Réponses
a) Place de la comtesse dans le roman
Elle est mentionnée pour la première fois au début du roman, après
la venue de Chabert à l’étude : « Chabert est bien mort, sa femme est
remariée au comte Ferraud, conseiller d’État. Madame Ferraud est une
des clientes de l’étude ! » s’exclame Godeschal (p. 56), ce que Derville
dit à nouveau à Chabert qui lui répond « Ma femme ! Oui, monsieur »
(p. 65). Puis c’est Chabert qui l’évoque lorsqu’il explique à Derville dans
quelle situation il se trouve (p. 70). Il raconte comment les avoués puis
la comtesse l’ont éconduit. Le lecteur constate aussitôt sa cupidité, son
avarice, son inhumanité : « Elle possède 30 000 livres de rente qui m’ap-
partiennent, et ne veut pas me donner deux liards » (p. 70), et plus loin,
il ajoute : « elle ne m’a pas seulement fait parvenir le plus léger secours »
(p. 77). Tous les événements qu’il raconte la condamnent : il apprend
« l’ouverture de sa succession, sa liquidation, le mariage de sa femme
et la naissance de ses deux enfants » (p. 76). Il n’est pas reçu quand il
se fait annoncer sous un nom d’emprunt puis, ce qui est bien pire et
très révélateur, quand il s’annonce avec son nom, il est « consigné à
Séquence 3 – FR20 83
84 Séquence 3 – FR20
2. U
n type humain :
« la soif d’or des Parisiennes »
a) La comtesse à deux maris
La comtesse est effectivement dans une situation difficile, puisqu’elle
est « entre deux maris ». Dans l’analyse que Derville fait de sa situation,
le lecteur apprend que le comte Ferraud regrette son mariage avec elle
(« le comte Ferraud avait conçu quelques regrets de son mariage », p. 98)
et qu’elle le sait. Celui-ci l’a épousée pour sa fortune. Il est clairement
dit aussi que l’acquisition de richesses est le seul moyen de garder son
époux avec la métaphore filée de la chaîne : « elle conçut d’attacher le
comte à elle par le plus fort des liens, par la chaîne d’or, et voulut être
si riche que sa fortune rendît son second mariage indissoluble, si par
hasard le comte Chabert reparaissait encore » (p. 98). Or, son seul moyen
d’écarter Chabert est de lui restituer une partie de sa fortune ; il faut donc
qu’elle parvienne à l’écarter sans diminuer sa fortune, pour garder Fer-
raud. Son projet est d’obtenir de Chabert qu’il renonce en le séduisant.
Elle y parviendra à Groslay comme nous l’avons déjà étudié. Le narra-
teur analyse sa peur de perdre le comte Ferraud ; cette peur est analysée
comme une blessure, une maladie : « Mais quelle plaie ne devait pas
faire ce mot dans le cœur de la comtesse, si l’on vient à supposer qu’elle
craignait de voir revenir son premier mari » (p. 98). Son désir d’anéantir
Chabert s’est réalisé par étape comme Derville l’a bien deviné. Avant de
se rendre chez la comtesse, il réfléchit : « Il se mit à étudier la position de
la comtesse, et tomba dans une de ces méditations auxquelles se livrent
les grands politiques en concevant leurs plans, en tâchant de deviner
le secret des cabinets ennemis. » Le narrateur omniscient fait avec une
extrême habileté entrer le lecteur en même temps dans la pensée de
Séquence 3 – FR20 85
E étape 5 : la comtesse est certaine qu’il est vivant, mais elle l’espère
malade ou fou : « les souffrances la maladie l’avaient peut-
être délivrée de cet homme. Peut-être était-il à moitié fou ».
Grâce au discours indirect libre (répétition de « peut-être »),
le lecteur lit dans ses pensées, ses espérances. L’asile de
Charenton se profile alors, annonçant la triste fin du comte
et du roman : « Charenton pouvait encore lui en faire raison »
(p. 99).
Tout cela, Derville le comprend très bien : « elle serait capable de vous
faire tomber dans quelque piège et de vous enfermer à Charenton », dit-il
(p. 109). Rappelons ce passage déjà cité : « Je veux, je ne veux pas de
procès, je veux… » dit la comtesse. Derville lui coupe la parole et met en
lumière ses vrais désirs : « Qu’il reste mort » (p. 108).
Pour réussir, elle possède plusieurs atouts : elle est belle, rusée, sans
scrupule ni pitié, excellente comédienne. Tout en elle est calculé :
elle dispose d’une beauté naturelle qu’elle sait mettre en valeur pour
séduire ; mais cette séduction est mise au service du vice.
86 Séquence 3 – FR20
Séquence 3 – FR20 87
c) U
n type humain : une Parisienne,
sans cœur assoiffée d’or
La comtesse représente dans ce roman un type humain où se mêlent la
« femme sans cœur » et la Parisienne assoiffée d’or. « Elle n’a pas de
cœur » dit Chabert (p. 109), « Votre femme ne s’est pas fait scrupule
de tromper les pauvres » dit Derville (p. 88). Lorsque Chabert lui rap-
pelle son passé, le regard « venimeux » qu’elle lui lance est significa-
tif : dans la théorie de Balzac sur les tempéraments, elle est du côté du
serpent, et donc du diable. Les phrases qui l’évoquent sont souvent au
présent de vérité générale, ou la placent dans une catégorie. La com-
tesse n’est alors plus un individu : ces phrases présentent avec misogy-
nie ce type de femme comme un être pervers et dangereux. Nous avons
déjà cité la phrase évoquant son « tact et (sa) finesse dont sont plus ou
moins douées toutes les femmes » (p. 96). On trouve beaucoup d’autres
phrases du même type : « Cette soif d’or dont sont atteintes la plupart
des Parisiennes » (p. 97), « une jolie femme ne voudra jamais reconnaître
son mari… » (p. 100), « malgré les mensonges sous lesquels la plupart
des femmes parisiennes cachent leur existence » (p. 100), « avec toute la
violence d’une petite maîtresse » (p. 101), « Elle reprit avec le sang-froid
naturel à ces sortes de femmes » (p. 102). Dans certaines phrases, elle
parvient à vivre tout en étant dévorée par un mal profond : le narrateur
utilise l’image du cancer (p. 98 et 99) ou d’autres images : « Il existe à
Paris beaucoup de femmes qui, semblables à la comtesse Ferraud, vivent
avec un monstre moral inconnu, ou côtoient un abîme ; elles se font un
calus à l’endroit de leur mal, et peuvent encore rire et s’amuser » (p. 99).
3. C
ommentaire littéraire : « La comtesse,
une excellente comédienne »
Vous allez aborder l’exercice écrit du commentaire littéraire à partir de
l’étude du passage allant de « L’air de vérité qu’elle sut mettre » à « une
image d’elle-même à laquelle elle ne ressemble plus » (p. 114).
Commencez par lire la Fiche méthode expliquant comment faire un com-
mentaire en fin de chapitre.
Lisez ce passage, puis écoutez-le sur votre CD audio où il est lu par un
acteur. Relisez-le vous-même ensuite.
88 Séquence 3 – FR20
2. inique : injuste
Séquence 3 – FR20 89
4 Qui est Delbecq ? Quelles sont ses relations avec le comte et la com-
tesse ? Pourquoi peut-on dire qu’il est l’opposé de Derville ?
1. L
a place de l’intrigue judiciaire
dans Le Colonel Chabert
a) Le Code civil
Napoléon est à l’origine de la rédaction du Code civil qui sera promulgué
en mars 1804. Lorsqu’après le coup d’état du 19 brumaire (10 novembre
1799), le général Bonaparte instaure le consulat, Cambacérès (qui avait
rédigé au début de la Révolution un nouveau projet de code commun à
tous les citoyens) est nommé ministre de la Justice puis deuxième Consul
(les deux autres étant Bonaparte et Cambon). Bonaparte crée une com-
mission chargée de proposer une synthèse du projet de Cambacérès. Le
Conseil d’État consacre 109 séances (dont 57 sont présidées par Bona-
parte) à l’élaboration de ce document. Il en résulte la promulgation d’un
corps de lois de 36 titres et 2 281 articles. Portalis le définit ainsi : « Un
corps de lois destinées à diriger et à fixer les relations de sociabilité, de
famille et d’intérêt qu’ont entre eux des hommes qui appartiennent à la
même cité ». Il est donc applicable à tous les Français, et marque la fin
des législations particulières. Un grand nombre de pays d’Europe s’en est
inspiré et l’essentiel de son contenu est encore en vigueur aujourd’hui.
On désigne par l’expression « Code Napoléon » ce qui, dans notre Code,
n’a pas été modifié depuis l’adoption de celui de Napoléon. L’Empereur,
exilé à Sainte-Hélène, écrira ces mots, qui montrent à quel point il était
fier de « son code civil » : « Ma vraie gloire, ce n’est pas d’avoir gagné
quarante batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce
que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code Civil ».
90 Séquence 3 – FR20
Séquence 3 – FR20 91
a) Delbecq, un anti-Derville
Delbecq n’est ni un personnage très important ni très présent. Complice
de la comtesse, il en complète la noirceur ; opposé à Derville, il met en
valeur sa probité. Il est mentionné pour la première fois, lorsqu’est étu-
diée la situation du comte et de la comtesse Ferraud, alors qu’il est ques-
tion de « l’ambition dévorante » du comte (p. 96). Leurs deux ambitions
vont s’allier. Delbecq est « un ancien avoué ruiné », très doué pour les
affaires comme le montrent les expressions : « homme plus qu’habile »,
« rusé praticien » ; excellent connaisseur « des ressources de la chicane »,
il en est le reflet. L’oxymore « probe par spéculation », qui le désigne,
souligne parfaitement à quel point ce personnage sait dissimuler. La
description, qui suit, éclaire le lecteur sur ses ambitions : il veut utiliser
Ferraud de façon à pouvoir, grâce à lui, devenir président d’un tribunal
dans une grande ville ; il pourrait alors faire un bon mariage et « conqué-
rir plus tard une haute position dans la carrière politique en devenant
député ». La comtesse, qui a tout deviné, va se servir de lui, comme nous
l’avons déjà vu dans l’analyse du personnage de la comtesse. En disant
de lui qu’il devient « l’âme damnée » de celle-ci (p. 97), le narrateur met
en valeur l’aspect diabolique des deux personnages. Il devient complice
de toutes les intrigues malhonnêtes de la comtesse pour s’enrichir. L’un
et l’autre sont des représentants d’une société cupide et corrompue, où
l’intelligence peut se mettre au service du mal. Delbecq réapparaît à la
fin, à Groslay, la comtesse lui ayant demandé de venir (p. 115). Il est
alors assez habile pour avoir « su gagner la confiance du vieux militaire »
(p. 118).
Diabolique jusqu’à la fin, il conseille à Chabert de faire chanter la com-
tesse (p. 118). La phrase qui suit est construite sur des antithèses oppo-
sant ces deux êtres que tout sépare : l’un est un « coquin émérite »,
l’autre « un honnête homme indigné ». Cependant, pour bien montrer à
quel point cette société est injuste, la fin du roman, qui décrit la chute de
Chabert, montre la lettre calomnieuse de Delbecq et mentionne en même
temps qu’il a obtenu le poste qu’il briguait : celui de président du Tribunal
de première instance dans une ville importante de province (p. 121).
92 Séquence 3 – FR20
c) Un avoué habile
En effet, il est plus ambigu, plus complexe que Chabert dont il ne peut
posséder ni la pureté, ni l’innocence, ni la naïveté. Si c’était le cas il ne
pourrait pas exercer son métier qui exige une grande lucidité et une
connaissance approfondie des hommes, de la justice, de la société et
de ses rouages. Ainsi, à la différence de Chabert, il ne se révolte pas,
il s’adapte : « Elle est ainsi, mon pauvre colonel », dit-il de la justice,
à la page 88. La transaction qu’il propose en est la preuve. Lorsque le
premier clerc parle de lui à Chabert, il le présente comme un stratège
(p. 60) qui « fai(t) des plans de bataille » ; un homme combatif et ambi-
tieux qui « ne veut pas perdre une seule cause » (p. 60) et qui a réussi :
« aussi gagne-t-il beaucoup d’argent ». Son métier l’oblige à fréquenter
la société (p. 60) : « le soir, il va dans le monde pour y entretenir ses
relations » ; il arrive d’ailleurs à l’étude « en costume de bal ». Avant
de se rendre chez la comtesse, il réfléchit. Ce monologue intérieur nous
révèle encore son caractère qui est aussi celui d’un « grand politique »
(p. 94). Dans le passage suivant, nous voyons à quel point il aime aussi
jouer et notamment avec la comtesse qu’il « tourn(e) et retourn(e) sur le
grill » (p. 103). Il prend plaisir à ce duel (« eh bien donc, à nous deux, se
dit-il « (p. 102), il s’amuse à mener cette conversation et à en maîtriser
le cours, à poser des « pièges », à utiliser les « manœuvre(s) familière(s)
aux avoués », en « s’amusant à aiguillonner la colère » (p. 102), tout en
restant « calme ». De plus, il sait lire au fond des âmes : « La comtesse
fut tout à coup domptée par l’étrange lucidité du regard fixe par lequel
Derville l’interrogeait en paraissant lire au fond de son âme » (p. 101).
Séquence 3 – FR20 93
94 Séquence 3 – FR20
c) U
n homme déçu et dégoûté du monde :
la critique de la justice
L’étude d’avoué est, comme nous l’avons déjà étudié dans le chapitre
sur les lieux, un lieu essentiel, à la fois stratégique et symbolique. C’est
le premier lieu du récit et, par le procédé d’un incipit in medias res, le lec-
teur est aussitôt plongé dans l’atmosphère qui y règne. Il voit les clercs à
l’œuvre en train de rédiger une requête, il écoute leurs conversations et
leurs plaisanteries retransmises au discours direct. En décrivant à nou-
veau l’étude à la page 105, le narrateur dit d’elle qu’elle « offrait alors le
tableau par la description duquel cette histoire a commencé ». Ce lieu,
comme la justice, n’évolue pas. Dans Le Colonel Chabert, les lieux de
justice sont décrits comme étant des égouts, à l ‘image des affaires qui y
sont traitées. L’étude est sombre et sale, voire répugnante, avec l’hyper-
bole : « la puanteur d’un renard n’y aurait pas été sensible ». Y traînent
des « morceaux de pain, des triangles de fromage de Brie, des côtelettes
de porc frais… » (p. 49). Le plancher est « couvert de fange et de neige ».
Le mot « fange » désigne au sens propre une « boue presque liquide et
souillée » et au sens figuré : « ce qui souille moralement » (définition du
Robert). Les vitres sont « sales ». Le mobilier est « crasseux ». L’étude est
« obscure, grasse de poussière ». Elle a « quelque chose de repoussant ».
(p 51). Le narrateur fait une généralité sur « les études parisiennes »
dont celle-ci est visiblement un représentant : « elles sont toutes l’objet
d’une négligence assez convenable » (p 50). Il la compare avec d’autres
« cloaques de la poésie », aussi « horribles » qu’elle. C’est là que vien-
nent mourir « toutes les illusions de la vie » (p. 51). « Les études sont des
Séquence 3 – FR20 95
96 Séquence 3 – FR20
Fiche méthode
Chapitre
1
Fiche méthode
L’épreuve porte sur un texte relevant des divers genres littéraires (poé-
sie, théâtre, récit, littérature et idées...) Ce texte est accompagné de
toutes les références et indications indispensables.
Le commentaire est toujours organisé, composé : il faut donc dégager
du texte deux ou trois points essentiels autour desquels s’ordonneront
les remarques.
Il convient d’étudier simultanément le fond et la forme. Les remarques
relatives au style ou à la versification soulignent toujours l’effet produit
et sont indissociables de l’idée ou du sentiment exposé.
Que faut-il entendre par « forme » ?
E l’étude du vocabulaire ;
E les procédés rhétoriques (ou procédés de style) ;
Attention, commenter n’est pas :
1. Travail préparatoire
Il vaut mieux commencer par regarder à quel genre littéraire et à quel
type de texte on a affaire (voir tableau page suivante).
➠ Ce travail préparatoire permet d’éviter les omissions importantes.
Séquence 3 – FR20 97
2. Élaboration du plan
Votre commentaire doit s’articuler autour de deux ou trois axes qui cor-
respondent à une problématique qui sera indiquée très clairement dans
l’introduction : « Nous voulons montrer que l’auteur ou que le texte... »,
par exemple : « nous voulons montrer que l’auteur transfigure la réalité »,
« nous montrerons que, sous ses apparences réalistes, ce texte est fan-
tastique »...
Il ne suffit pas de trouver deux ou trois grandes parties ; à l’intérieur de
chacune des sous-parties sont indispensables.
Ceci dit, le commentaire comporte toujours :
E une introduction,
E un développement,
E une conclusion.
3. L’introduction
Elle comporte trois parties :
a) la présentation du texte
Quand on présente un texte, on indique :
E le nom de l’auteur,
E le titre de l’œuvre,
E la date de parution,
E le genre littéraire.
98 Séquence 3 – FR20
4. La conclusion
Elle comporte deux parties :
a) récapitulation
Dans la récapitulation, on tente de préciser les qualités propres au
texte en résumant très brièvement le développement.
b) l’« ouverture » sur d’autres textes
Pour ce qui est de l’ouverture, on établira des rapports d’opposition
ou de ressemblance avec d’autres textes, d’autres auteurs ou d’autres
mouvements littéraires. Quand il s’agit d’un sujet de type bac, on fait
une ouverture sur les autres textes du corpus.
Comme l’introduction, elle est isolée du développement par deux
lignes blanches.
5. Rédaction du développement
Les citations Vous devez impérativement vous appuyer sur le texte ; aussi les citations
seront-elles nombreuses. Elles seront relativement courtes et exactes
(toujours entre guillemets).
Elle doivent être bien intégrées à votre devoir. Amenées par une phrase,
elles doivent aussi être parfaitement compréhensibles.
Enfin chaque citation sera commentée, tant pour le fond que pour la
forme (si possible).
Séquence 3 – FR20 99
Proposition de plan :
I. Une actrice de talent
1. Un air de vérité
2. Une séductrice
2. Une séductrice
Dans les deux premières phrases, les verbes employés sont soit des
verbes d’état, « fut », « semblait », soit des verbes dont le champ lexi-
cal est celui de la séduction : « se plaisait à », « elle voulait l’intéres-
ser » et « l’attendrir ». Il n’y a aucun verbe d’action, c’est-à-dire qu’elle
n’a même pas l’air d’agir, elle se contente d’être ou de sembler affec-
tueuse. Tout le champ lexical de ces quelques lignes est aussi celui de
la séduction : « admirable », « tendres soins », « constante douceur »
« effacer le souvenir des souffrances », « mélancolie », « déployer […] les
charmes auxquels elle le savait faible ». Elle connaît son premier mari et
La mort de Grandet
Dans ce roman, Balzac peint l’avarice poussée à son paroxysme à travers
le personnage de Grandet qui réussit, à cause d’elle, à gâcher l’existence
de sa fille Eugénie. Celle-ci est une jeune fille, obéissante, douce et ver-
tueuse. L’avarice sordide de son père transforme la vie d’Eugénie en une
véritable tragédie. Durant son agonie, Grandet est réduit à un seul désir,
celui de contempler une dernière fois tout l’or qu’il a amassé durant sa vie.
Dans cette vaste fresque, Hugo peint, à travers ses personnages, les dif-
férents visages de la misère, qu’elle soit sociale (la pauvreté, le malheur)
ou morale (la méchanceté)… Les Thénardier sont des misérables, au
sens péjoratif du terme : avares et cruels, ils maltraitent la petite Cosette
dont ils ont la garde. Une nuit, après la bataille de Waterloo, Thénardier
rôde au milieu des morts dans l’intention de les détrousser.
C’était une de ces jolies et charmantes filles, nées, comme par une erreur
du destin, dans une famille d’employés. Elle n’avait pas de dot, pas d’es-
pérances, aucun moyen d’être connue, comprise, aimée, épousée par un
homme riche et distingué ; et elle se laissa marier avec un petit commis
du ministère de l’Instruction publique.
Elle fut simple, ne pouvant être parée, mais malheureuse comme une
déclassée ; car les femmes n’ont point de caste ni de race, leur beauté,
leur grâce et leur charme leur servant de naissance et de famille. Leur
finesse native, leur instinct d’élégance, leur souplesse d’esprit sont leur
seule hiérarchie, et font des filles du peuple les égales des plus grandes
dames.
Elle souffrait sans cesse, se sentant née pour toutes les délicatesses et
tous les luxes. Elle souffrait de la pauvreté de son logement, de la misère
des murs, de l’usure des sièges, de la laideur des étoffes. Toutes ces
choses, dont une autre femme de sa caste ne se serait même pas aper-
çue, la torturaient et I’indignaient. La vue de la petite Bretonne qui faisait
son humble ménage éveillait en elle des regrets désolés et des rêves
éperdus. Elle songeait aux antichambres nettes, capitonnées avec des
tentures orientales, éclairées par de hautes torchères de bronze, et aux
deux grands valets en culotte courte qui dorment dans les larges fauteuils,
assoupis par la chaleur lourde du calorifère. Elle songeait aux grands
salons vêtus de soie ancienne, aux meubles fins portant des bibelots
inestimables, et aux petits salons coquets parfumés, faits pour la cau-
serie de cinq heures avec les amis les plus intimes, les hommes connus
et recherchés dont toutes les femmes envient et désirent l’attention.
Quand elle s’asseyait, pour dîner, devant la table ronde couverte d’une
nappe de trois jours, en face de son mari qui découvrait la soupière en
Exercice autocorrectif n° 1
Entraînement à la question sur corpus
4. Broadway est un des principaux axes nord-sud de Manhattan, le quartier central de New York.
5. Le Saint-Esprit (ou Esprit-Saint) est, pour les chrétiens, l’Esprit de Dieu.
6. hostie : il s’agit de la petite pastille de pain sans levain qu’utilise le prêtre dans la consécration de la messe
catholique et qui est donnée à la communion. Elle devient réellement pour les catholiques le corps du Christ.
Questionnaire
1 Dans le premier chapitre, quel est le principal sujet de conversation
lors du dîner chez les Saccard ?
Zola appelle Renée « la nouvelle Phèdre » : qui est Phèdre ? quelle est
la différence fondamentale entre les deux femmes ?
4 Lorsque Sidonie propose à son frère d’épouser une jeune fille dés-
honorée pour gagner facilement de l’argent, la femme de celui-ci,
Angèle, est en train de mourir dans la pièce d’à côté. Elle entend la
conversation entre le frère et sa sœur et elle est terrifiée, car elle craint
que son mari ne l’étrangle si elle ne meurt pas assez vite. Elle finit par
mourir, en ayant l’air de pardonner à Aristide ses intentions.
Saccard ne leur reproche rien parce qu’il a vu que Renée avait signé le
billet lui permettant de vendre son immeuble de la rue de la Pépinière.
L’épouse infidèle comprend alors qu’elle n’est « qu’une valeur dans le
portefeuille de son mari ».
Sommaire
Séquence 4 – FR20 1
Présentation de la séquence
Chapitre 1 Chapitre 2
Chapitre 3 Chapitre 4
2 Séquence 4 – FR20
E
Découvrir l’esthétique de la comédie et de la tragédie au XVIIe siècle ;
E Établir des liens entre le théâtre classique et le théâtre antique ;
(comique et tragique) ;
Séquence 4 – FR20 3
4 Séquence 4 – FR20
Séquence 4 – FR20 5
6 Séquence 4 – FR20
Séquence 4 – FR20 7
nier, etc.).
Ménandre, principal représentant de cette comédie, influencera Cor-
neille et Molière dans leurs propres comédies. La Fontaine le cite à plu-
sieurs reprises dans ses Fables.
À Rome, Plaute et Térence poursuivent la veine de Ménandre. Les pièces
traduites et mises en scène de ces deux auteurs de comédies remportent
un très vif succès auprès des lettrés du XVIIe siècle et Molière imitera
La Marmite de Plaute dans L’Avare. La comédie latine est un genre très
vivant et très varié. On retiendra ses principales orientations.
E les courtes farces : elles sont jouées par des acteurs masqués et com-
giques.
E les fabula : ce terme désigne des pièces de genres différents, notam-
Document :
Plaute, La Marmite (Acte 1, scène 1)
La Marmite (Aulularia) est l’une des pièces les plus célèbres de Plaute.
Euclion possède une marmite pleine d’or et craint qu’on ne la lui dérobe.
Toute l’intrigue est construite autour de cet objet. Il
cherche un endroit pour la cacher, jusqu’à ce qu’on
Objectif la lui dérobe et qu’il entre dans une folie furieuse.
La pièce comporte de nombreuses scènes bouf-
• Découvrir l’origine antique du fonnes et utilise un comique souvent farcesque.
comique farcesque
EUCLION. Allons, sors ; sors donc. Sortiras-tu, espion,
avec tes yeux fureteurs ?
STAPHYLA. Pourquoi me bas-tu, pauvre malheureuse que je suis ?
EUCLION. Je ne veux pas te faire mentir. Il faut qu’une misérable de ton
espèce ait ce qu’elle mérite, un sort misérable.
STAPHYLA. Pourquoi me chasser de la maison ?
EUCLION. Vraiment, j’ai des comptes à te rendre, grenier à coups de
fouet. Éloigne-toi de la porte. Allons, par là (lui montrant le côté opposé
8 Séquence 4 – FR20
E déguisements ;
Séquence 4 – FR20 9
E aristocrates ridicules.
E quiproquos ;
E bouffonneries.
Document :
La Farce de Maître Pathelin, anonyme
Scène 10
Devant le tribunal.
Pathelin, au berger – Dis, l’Agnelet.
Le berger – Bée !
Pathelin – Viens ici, viens. Ton affaire est-elle bien réglée ?
10 Séquence 4 – FR20
Séquence 4 – FR20 11
La farce : provoque le rire par des gestes et des situations triviales, par-
fois grossières.
La comédie de caractère : elle peint un type humain qui a un défaut particu-
lier qu’il fait subir à son entourage. Elle montre les travers et les ridicules.
La comédie de mœurs : dénonce les travers d’une époque, d’une classe
sociale, d’une profession. Elle s’attaque aux valeurs figées et aux idées
toutes faites.
12 Séquence 4 – FR20
Que constatez-vous ?
➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé.
Séquence 4 – FR20 13
Séquence 4 – FR20 15
16 Séquence 4 – FR20
Séquence 4 – FR20 17
18 Séquence 4 – FR20
Fiche méthode
Chapitre
1
Fiche méthode
Séquence 1
4 – FR20 19
Caractéristiques Fonctions
Une comédie se compose d’actes et Selon le nombre d’actes et de scènes,
de scènes. La comédie classique peut on peut identifier le type de comédie.
Structure et type comporter 3 ou 5 actes, parfois elle Les grandes comédies de caractère
de comédie n’en comporte qu’un. sont en 5 actes, tandis que les pièces
proches de la farce n’en comportent
qu’un seul.
Un acte correspond à un épisode de Traditionnellement, dans une pièce
l’action. classique, le premier acte est dévolu
Acte
à l’exposition et le dernier acte au
dénouement.
Chaque acte est découpé en scènes.
Scène Un changement de scène a lieu quand
un personnage entre ou sort de scène.
Elle se situe au début de la pièce, Elle présente le temps et le lieu de l’ac-
occupe les premières scènes, voire le tion, les enjeux de l’intrigue, l’identité
L’exposition
premier acte. et la condition des principaux person-
nages ainsi que leurs relations.
20 Séquence 1
4 – FR20
Récapitulons
Séquence 1
4 – FR20 21
Conclusion Cet extrait de La Marmite de Plaute met donc bien en place des situations
qui deviendront des schémas traditionnels de la comédie au XVIIe siècle.
Il a donc un statut exemplaire.
22 Séquence 1
4 – FR20
Conclusion
Séquence 4 – FR20 23
24 Séquence 4 – FR20
Les Précieuses ridicules est l’une des premières comédies qui a valu à
Molière un succès à la cour, à Paris. La pièce est une satire de la précio-
sité, mouvement littéraire et artistique qui se développe dans les années
1650. La préciosité littéraire se caractérise par la recherche langagière
et par une attention marquée aux convenances et aux situations roma-
nesques. Deux jeunes provinciales, Cathos et Magdelon, passent leurs
journées à lire des romans de style précieux. Elles rêvent de rencontrer
des amoureux qui ressembleraient aux héros de leurs fictions. Mais
leur père, Gorgibus, leur propose un bon mariage bourgeois qu’elles
refusent. Pour se venger d’avoir été éconduits, La Grange et Du Croisy
envoient un faux précieux, leur valet Mascarille, pour les séduire. Elles
tombent sous le charme… Molière signe ici une de ses comédies sati-
riques les plus drôles et les plus cruelles.
Mascarille. Il est vrai qu’il est honteux de n’avoir pas des premiers tout ce
qui se fait ; mais ne vous mettez pas en peine ; je veux établir chez vous
une académie de beaux esprits, et je vous promets qu’il ne se fera pas
un bout de vers dans Paris que vous ne sachiez par cœur avant tous les
autres. Pour moi, tel que vous me voyez, je m’en escrime un peu quand je
veux ; et vous verrez courir de ma façon, dans les belles ruelles de Paris,
deux cents chansons, autant de sonnets, quatre cents épigrammes, et
plus de mille madrigaux1, sans compter les énigmes et les portraits.
1. Sonnets, épigrammes et madrigaux sont des formes poétiques brèves. Le sonnet comporte deux quatrains et
deux tercets. L’épigramme est un petit poème satirique, alors que le madrigal exprime une pensée ingénieuse et
galante.
Séquence 4 – FR20 25
1 Qui sont les personnages présents dans cette scène ? Quel type
de situation scénique cela engendre-t-il aux yeux du spectateur ?
(Conseil : pour répondre à cette question, vous pouvez vous aider
d’une encyclopédie ou d’un dictionnaire des œuvres).
2 Au fil de l’échange, quel est le lien qui se tisse entre les personnages
malgré tout ?
3 Qu’est-ce qu’un « impromptu » ? Que pensez-vous de la qualité littéraire
de celui que prononce Mascarille ? Quel effet produit-il sur les précieuses ?
4 Question d’ensemble : Expliquez comment fonctionne le comique
dans cette scène. Vous vous appuierez sur les différents ressorts de
la comédie.
26 Séquence 4 – FR20
œil en tapinois me dérobe mon cœur » est le plus cocasse des quatre
car outre l’emploi du terme « tapinois » qu’on utilise habituellement
pour désigner l’attitude d’un chat qui surveille une souris, la répé-
tition de la forme possessive « me » et « moi » entraîne une faute
syntaxique, ou du moins une lourdeur dans le style.
E enfin le dernier vers qui répète quatre fois l’exclamation « Au
Séquence 4 – FR20 27
Plan possible
Conclusion
Ainsi, la parodie d’impromptu prononcée par un valet et sa réception
par les deux précieuses en admiration ressortissent du comique de
situation tout en participant de la comédie de mœurs. Cette pièce
de Molière relève en effet de cette catégorie de comédies qui fait la
satire d’une mode ou du comportement d’un groupe social. Rappelez-
vous d’autres comédies de mœurs de Molière : Tartuffe dénonçant
l’hypocrisie religieuse, Le Bourgeois gentihomme qui se moque des
roturiers singeant les aristocrates ou encore Les Femmes savantes qui
ridiculisent les pédants.
28 Séquence 4 – FR20
George Dandin (1668) est l’une des comédies les plus noires de Molière.
Dandin, un paysan enrichi, a épousé Angélique de Sotenville, une jeune aris-
tocrate ruinée. Ce mariage a permis à Dandin d’acquérir la noblesse, il est
devenu Monsieur de la Dandinière. De leur côté, les Sotenville, Angélique et
ses parents, ont pu renflouer leur situation grâce à l’argent de Dandin. Ce
mariage n’est pas heureux, Angélique se refuse à faire un enfant à son mari et
a un amant, Clitandre. Or, Dandin s’en est aperçu. Il s’en plaint à ses beaux-
parents qui refusent de le croire. Malgré le caractère dramatique de cette
situation, les dialogues comportent un certain nombre d’éléments comiques.
Séquence 4 – FR20 29
1 Quels sont les personnages présents dans ce dialogue ? Quel lien les
unit ? Quelle est la situation dramatique ? Quel est son intérêt ?
2 Commentez les noms propres cités dans cet extrait. Quel est l’effet
produit ?
3 Étudiez le langage et l’argumentation des Sotenville. Quelles conclu-
sions pouvez-vous tirer de ces deux personnages ?
4 Quel est l’objet de l’échange ? Comment George Dandin tente-t-il de
faire comprendre ses inquiétudes aux Sotenville ? Y parvient-il ?
5 Question d’ensemble : Comment la satire se met-elle en place dans
la scène ? Proposez un plan bâti en trois parties à partir des réponses
que vous avez élaborées pour les questions précédentes.
Réponses
1 Les personnages présents dans cette scène sont George Dandin, héros
de la pièce, et ses beaux-parents, monsieur et madame de Sotenville.
Dandin est venu se plaindre à eux du comportement de leur fille. La
situation dramatique est intéressante à plusieurs titres :
E elle montre tout d’abord le rapport qui unit Dandin à ses beaux-
parents : le mariage entre les deux familles s’est conçu sur des
bases matérielles et financières.
E l’expression « elle s’est apprivoisée depuis qu’elle est chez moi »
nous renseigne sur le statut d’Angélique. En épousant Dandin,
elle est passée sous sa dépendance. Mais l’autorité des parents
demeure puisque le héros y recourt. C’est donc tout un système
social et familial qu’on peut deviner dans cette scène.
E en outre, on comprend pourquoi Dandin s’adresse aux parents d’An-
gélique. Ces derniers sont très soucieux des convenances sociales,
comme l’indique l’expression « Nous n’entendons point raillerie sur
les matières de l’honneur ». Très sourcilleux sur leur réputation et
celle de leurs filles, les Sotenville semblent a priori des interlocu-
teurs privilégiés face aux accusations de Dandin.
30 Séquence 4 – FR20
Séquence 4 – FR20 31
Plan possible
Conclusion
George Dandin ou le Mari confondu, comédie-ballet de Molière, hésite
pourtant entre tragédie sociale et comédie farcesque, par le fait que
le personnage du mari, accablé non seulement par sa femme, l’est
également par ses beaux-parents. En ayant voulu s’élever au-dessus
de sa condition, il ne s’est attiré que le mépris de sa femme et de la
famille de celle-ci. La pièce finit mal et certains metteurs en scène le
font se suicider, ce qui en fournissant un éclairage tragique, montre
que ce personnage dont on se moque sans arrêt est pathétique.
32 Séquence 4 – FR20
Séquence 4 – FR20 33
1 Quels sont les personnages présents dans cette scène ? Quel est le
but de chacun d’eux ? Qu’est-ce qui fait apparaître le quiproquo ?
2 Quels sont les arguments d’Argan ? Sont-ils rationnels ?
3 Pourquoi Toinette intervient-elle dans cette scène ? Que pensez-vous
de son langage ? Diffère-t-il de celui d’Argan et d’Angélique ?
4 Question d’ensemble sur le texte : Quelles sont les fonctions du qui-
proquo dans une scène de comédie ?
Réponses
1 Cette scène confronte Argan et Angélique, le père et la fille, en pré-
sence d’une domestique, Toinette. Ce schéma scénique est assez
classique dans la comédie moliéresque.
Argan a décidé de donner un mari à sa fille, ce qu’on apprend dans
la plus longue réplique d’Argan qui explique que Purgon est le père
de Thomas Diafoirus, l’homme qu’il destine à sa fille. Le but d’Argan
est de faire épouser le fils de son médecin à sa fille. Tout autre est
l’objectif d’Angélique qui est la victime d’un quiproquo, puisqu’elle
pense que son père lui parle de Cléante, alors qu’il est question d’un
autre. Angélique, de son côté, veut épouser Cléante et abonde dans
le sens de son père.
Le quiproquo apparaît par l’incompréhension des interlocuteurs, qui
se manifeste au moyen des phrases interrogatives (quatre pour Angé-
lique, deux du côté de son père). On voit que le dialogue s’embrouille
dès lors qu’Angélique perçoit des éléments qu’elle ignorait jusqu’alors :
Cléante parlerait « bien latin et grec », qu’il « serait reçu médecin dans
trois jours », qu’il connaîtrait monsieur Purgon, etc. Son but et sa quête
évoluent donc au cours de l’échange. Après s’être rendu compte de la
méprise (« C’est, mon père, que je connais que vous avez parlé d’une
personne, et que j’ai entendu une autre. »), elle ne dit plus un mot, lais-
sant la parole à Toinette dont le but est de faire changer Argan d’idée
en lui montrant le ridicule de son projet. Les termes « burlesque » ou la
question « êtes-vous malade ? » qui referme l’extrait suggèrent que Toi-
nette veut montrer à son maître qu’il fait fausse route et qu’il déraisonne.
2 Les arguments d’Argan sont logiques, mais pas rationnels. Ils sont
surtout égoïstes. Hanté par son corps et par la crainte d’être malade
au point de se voir déjà « infirme et malade comme je le suis », Argan
estime qu’il est judicieux d’avoir un médecin à demeure chez lui. Or le
meilleur moyen de l’obtenir consiste à faire épouser un homme de l’art
à sa fille, moyen le plus rapide de s’assurer un suivi médical comme
le matérialise la conjonction de coordination « et » : « je veux me faire
un gendre et des alliés médecins ». Cette logique est décrite dans la
réplique qui justifie la nécessité de pouvoir bénéficier des secours
de la médecine sous son toit. Les expressions « me voyant infirme
et malade » et « m’appuyer de bons secours contre ma maladie (...),
34 Séquence 4 – FR20
4 Question d’ensemble :
Plan proposé :
I. Le quiproquo crée une situation comique qui rend le public complice
Le public sait qu’Argan ne parle pas de Cléante mais de Thomas Dia-
foirus. Il compatit avec l’enthousiasme naïf de Marianne qui se confie
à son père.
II. Le quiproquo révèle souvent la vérité des personnages
Dans cette scène du Malade imaginaire, le quiproquo permet de révé-
ler la vérité des personnages présents sur scène. Les véritables des-
seins d’Argan se font jour, tandis qu’on apprend que Marianne aime
Cléante et qu’elle a pour elle une alliée de taille, Toinette.
Séquence 4 – FR20 35
Conclusion
Le quiproquo, véritable ressort dramatique, apporte ici toute sa
richesse à la comédie de caractère qu’est Le Malade imaginaire. Argan
incarne une idée fixe – la hantise de la maladie – qui est révélée par
l’intrigue et crée la satire. Dans d’autres circonstances, le quiproquo
permet de dénouer une crise. Ainsi, à la fin du Malade imaginaire,
c’est Argan qui sera l’objet d’un quiproquo car il prendra Cléante
déguisé pour un vrai médecin… et lui accordera la main de sa fille.
36 Séquence 4 – FR20
Conclusion Une agence de graphisme vous demande une synthèse sur trois cou-
vertures d’éditions différentes du Malade imaginaire. Après avoir décrit
rapidement ces couvertures, vous direz laquelle vous semble la plus
pertinente, en tenant compte de vos goûts personnels et du contenu de
la pièce de Molière. Vous veillerez à organiser votre réponse et à vous
appuyer sur la pièce de Molière pour justifier vos choix.
Séquence 4 – FR20 37
Méthodologie
Lisez la pièce dans son intégralité, ou du moins de larges extraits. Observez bien les trois cou-
vertures :
– Quel support visuel les éditeurs choisissent-ils (tableau, dessin, photographie, graphisme
moderne, etc.) ?
– Quel lien explicite apparaît entre l’image et la pièce ?
– À quelle lecture plus symbolique de la pièce les couvertures invitent-elles ?
38 Séquence 4 – FR20
Corpus
Séquence 4 – FR20 39
40 Séquence 4 – FR20
Séquence 4 – FR20 41
42 Séquence 4 – FR20
Séquence 4 – FR20 43
1 Le cliché représente Argan seul, assis dans un fauteuil. Il est vêtu d’un
bonnet de nuit (rouge) et d’une chemise de nuit de coton blanc d’où
dépassent deux espèces de mitaines tricotées. Une couverture cha-
marrée est posée sur ses jambes. La position du personnage sur la
photo est celle d’un malade ou d’un convalescent. Le pompon de son
bonnet suspendu à un long cordon ridiculise quelque peu le person-
nage. Argan semble compter sur ses doigts comme le ferait un enfant.
Son front est plissé et sa bouche entr’ouverte traduit une sorte de peur.
2 Le geste du personnage nous permet de situer vraisemblablement la
photographie à la scène 1 de l’acte I, lorsque Argan fait ses comptes
et établit ce qu’il a dépensé pour ses médecins et ses traitements.
Comme le précisent les didascalies de la scène 1 : « ARGAN, seul dans
sa chambre assis, une table devant lui, compte des parties d’apo-
thicaire avec des jetons, il fait en parlant à lui-même, les dialogues
suivants. ». Son geste est donc réaliste et renvoie à un jeu de scène
précis, indiqué par Molière.
Cependant, le jeu de l’acteur qui incarne le rôle, Michel Bouquet,
dévoile également un personnage inquiet, et même soucieux, per-
ceptible par ses traits tendus et sa bouche entr’ouverte voire grima-
çante. Le cliché montre ainsi la double nature d’Argan. Certes c’est un
personnage comique qui nous amuse par sa crainte constante d’être
malade, mais le metteur en scène a sans doute également voulu expri-
mer l’inquiétude de chaque homme face à la maladie et face à la mort.
44 Séquence 1
4 – FR20
Proposition de rédaction
Plan adopté :
I. Étude comparative des couvertures.
II. Formulation et justification d’un choix personnel.
Les trois couvertures soumises à notre attention sont issues de trois édi-
tions de poche, dont deux sont à destination d’un public scolaire (docu-
Séquence 4 – FR20 45
46 Séquence 4 – FR20
Séquence 4 – FR20 47
« Le théâtre grec, fête à laquelle participe la cité entière, est un spec-
tacle complet dans lequel le chant, la musique, et la danse occu-
pent une part aussi large que la déclamation. Les représentations
théâtrales ont lieu dans la Grèce antique, deux fois par an, pour les
fêtes de Dionysos. Les spectacles se déroulent pendant trois jours,
sous la forme d’un concours où rivalisent trois auteurs dramatiques
qui présentent chacun dans une même journée, trois pièces suivies
d’un drame satirique. Les citoyens rassemblés viennent chercher au
théâtre l’écho des questions politiques ou métaphysiques qu’ils se
posent. Elles sont abordées tantôt par le biais des malheurs qui arri-
vent à des personnages mythiques, comme les tragédies d’Eschyle,
de Sophocle ou d’Euripide, tantôt directement comme le fait Aristo-
phane dans ses comédies. »
M.-C. Hubert, Le Théâtre
48 Séquence 4 – FR20
Recherche préalable
Rendez-vous sur le web pour consulter le site http://www.clioetcallipe.
com. Cliquez dans le menu de droite sur « Articles », puis sur « Le théâtre
à Athènes » et « article complet ».
Séquence 4 – FR20 49
Exercice autocorrectif n° 2
L’inspiration antique et le choix du sujet tragique
Après avoir observé les deux extraits, vous direz ce que Corneille a
conservé de la pièce antique. Pour répondre à cette question, vous cher-
cherez qui est Médée et à quoi correspond son mythe.
50 Séquence 4 – FR20
Séquence 4 – FR20 51
1. Médée s’enfuit pour toujours dans un char emporté par des dragons ailés.
52 Séquence 4 – FR20
de la fiction.
Séquence 4 – FR20 53
3. La règle de vraisemblance
Les règles d’unité, de bienséance et de vraisemblance ont des consé-
quences immédiates sur la composition des pièces, sur le langage et sur
la représentation.
La notion de vraisemblance dans ce système est centrale, c’est-à-dire
qu’elle requiert des actions qui peuvent être admises comme vraies
sans être nécessairement réalistes. Il ne s’agit pas d’imiter la réalité
(historique ou culturelle) mais de créer toutes les conditions pour que
les actions et le comportement des personnages soient crédibles pour
le public. C’est pourquoi de nombreux éléments de la dramaturgie
classique sont des conventions, c’est-à-dire des éléments admis par le
public. Parmi elles, retenons les plus importantes :
le récit ;
le monologue ;
54 Séquence 4 – FR20
daires).
Ces héros sont conduits à leur perte par les dramaturges pour les besoins
de la tragédie. Racine définit ainsi le héros tragique : « Il faut que ce soit
un homme qui par sa faute devienne malheureux, et tombe d’une féli-
cité et d’un rang très considérable dans une grande misère. » (Œuvres
complètes).
Ces personnages se caractérisent donc par leur grandeur, ce qui les
oblige, dans n’importe quelle circonstance, à conserver un langage sou-
tenu et ils se doivent de rester dignes face à l’adversité. Ils sont animés
par de grandes passions qui souvent opposent leurs désirs personnels
(passion amoureuse) à des éléments extérieurs (contrainte politique,
fatalité divine, hérédité monstrueuse).
Face à ces exigences contradictoires, les héros tragiques se trouvent pla-
cés devant ce qu’on appelle un « dilemme » : ils doivent faire un choix
entre deux solutions, souvent extrêmes.
E Dans Cinna de Corneille (1642), Auguste est tiraillé entre sa volonté
de vengeance et la clémence, qualité d’un grand souverain. Il apprend
que tout son entourage, à l’exception de sa femme Livie, souhaite sa
perte. Cinna a été poussé par Émilie qui souhaite tuer Auguste, ce der-
nier ayant fait exécuter son père. Mais Euphorbe révèle tous ces projets
criminels à Auguste qui se trouve alors face à un dilemme : tuera-t-il
ses ennemis ou leur pardonnera-t-il, comme l’y encourage Livie ? Au
moment où l’on pense que l’empereur va faire tuer tous les ennemis
qui en veulent à sa vie, il accorde un pardon général et redonne à cha-
cun ses anciennes prérogatives.
Séquence 4 – FR20 55
56 Séquence 4 – FR20
Séquence 4 – FR20 57
Principales pièces : Les Perses, Les Suppliantes, Les Sept contre Thèbes,
L’Orestie, Prométhée enchaîné (sept pièces ont été conservées sur envi-
ron cent pièces écrites).
Les Perses est une tragédie qui s’inspire d’un fait historique. Eschyle y
relate la célèbre bataille de Salamine ayant opposé les Perses contre les
Athéniens (- 480 av. J.-C.). L’originalité de la tragédie, c’est qu’Eschyle se
place du point de vue des perdants, les Perses.
58 Séquence 4 – FR20
pas sur l’envol de Médée, mais sur un monologue de Jason avant son
suicide, mais aucun regard extérieur ne vient commenter les tragiques
événements qui se déroulent sous les yeux des spectateurs, pour des
raisons de vraisemblance tragique (voir ch.3. B.3. La règle de vraisem-
blance).
Séquence 4 – FR20 59
60 Séquence 4 – FR20
A Cruels dilemmes
Texte n° 1 : Un dilemme moral - Corneille, Le Cid
2. Permettre.
Séquence 4 – FR20 61
3. Amoureux.
4. Ta flamme = métaphore pour « ton amour ».
5. Chercher à faire condamner en justice.
6. Bien que.
7. Danger.
62 Séquence 4 – FR20
Réponses
Séquence 4 – FR20 63
64 Séquence 4 – FR20
5 Question d’ensemble :
Séquence 4 – FR20 65
Pauline, Polyeucte
Pauline
Que dis-tu, malheureux ? Qu’oses-tu souhaiter ?
Polyeucte
Ce que de tout mon sang je voudrais acheter.
Pauline
Que plutôt…
Polyeucte
C’est en vain qu’on se met en défense :
Ce Dieu touche les cœurs lorsque moins on y pense.
Ce bienheureux moment n’est pas encor venu.
Il viendra, mais le temps ne m’en est pas connu.
Pauline
Quittez cette chimère, et m’aimez.
Polyeucte
Je vous aime,
Beaucoup moins que mon Dieu, mais bien plus que moi-même.
Pauline
Au nom de cet amour, ne m’abandonnez pas.
66 Séquence 4 – FR20
Réponses
1 La disposition des répliques rend compte de l’antagonisme qui oppose
Polyeucte et Pauline. On constate en effet que les répliques sont dis-
posées de manière équilibrée (un vers répond à un vers). Cet emploi
de la stichomythie permet de montrer une rivalité ouverte grâce au
Séquence 4 – FR20 67
68 Séquence 4 – FR20
I. Un couple amoureux
II. Un couple en désaccord (le conflit religieux)
III. Une situation tragique ?
B Un dénouement inhabituel
Séquence 4 – FR20 69
Bérénice, se levant.
Arrêtez, arrêtez8. Princes trop généreux,
En quelle extrémité me jetez-vous tous deux !
Soit que je vous regarde, ou que je l’envisage9,
Partout du désespoir je rencontre l’image,
Je ne vois que des pleurs, et je n’entends parler
Que de trouble, d’horreurs, de sang prêt à couler.
(À Titus.)
Mon cœur vous est connu, Seigneur, et je puis dire
Qu’on ne l’a jamais vu soupirer pour l’empire :
La grandeur des Romains, la pourpre des Césars,
N’a point, vous le savez, attiré mes regards.
J’aimais, Seigneur, j’aimais, je voulais être aimée.
Ce jour, je l’avouerai, je me suis alarmée :
J’ai cru que votre amour allait finir son cours.
Je connais10 mon erreur, et vous m’aimez toujours.
Votre cœur s’est troublé, j’ai vu couler vos larmes.
Bérénice, Seigneur, ne vaut point tant d’alarmes,
Ni que par votre amour l’univers malheureux,
Dans le temps que Titus attire tous ses vœux,
Et que de vos vertus il goûte les prémices11,
Se voie en un moment enlever ses délices.
Je crois, depuis cinq ans jusqu’à ce dernier jour,
Vous avoir assuré d’un véritable amour.
Ce n’est pas tout : je veux, en ce moment funeste,
Par un dernier effort couronner tout le reste :
70 Séquence 4 – FR20
Antiochus
Hélas !
Réponses
1 Le dénouement de Bérénice est marqué par les registres pathétique,
lyrique et tragique. La situation est d’abord pathétique puisqu’il
s’agit d’une scène d’adieux (le terme est d’ailleurs répété plusieurs
fois). Bérénice fait ses adieux à Titus qu’elle aime. La scène est donc
émouvante car elle implique le sacrifice d’un amour réciproque :
Séquence 4 – FR20 71
72 Séquence 4 – FR20
Comédie Tragédie
Ce sont souvent des bourgeois, ou bien Rois, reines, empereurs et impéra-
des personnages de basse extraction trices. Uniquement des personnages
Personnages sociale. Leurs préoccupations sont maté- issus des plus hautes castes. Parfois
rielles. Il est question de dot, d’héritage, présence de dieux ou de demi-dieux.
de mariage.
Dans une maison, en ville. Parfois à la cam- Lieu unique. L’antichambre d’un palais,
Lieux de pagne. On observe plusieurs lieux dans le plus souvent. Un lieu « neutre » où
l’action une même pièce. L’unité de lieu n’est pas peuvent se croiser tous les person-
nécessairement respectée. nages.
Plusieurs niveaux de langue : soutenu, Langage soutenu. Pièces en alexan-
courant, familier. Le plus souvent, c’est drins.
le langage courant qui domine dans
Niveau de
l’échange, sauf quand le dramaturge
langue
recourt à des jurons farcesques. Dans la
comédie en vers, le langage est également
soutenu.
Faire rire, divertir le public. Mais aussi, Susciter la terreur et la pitié pour obte-
selon la formule « castigat ridendo mores», nir la purgation des passions. Moraliser
But visé faire prendre conscience au public de la le public en lui montrant l’exemple
satire morale. Finalement, la comédie fait d’une grande souffrance.
évoluer l’esprit critique du spectateur.
Séquence 4 – FR20 73
1. Histoire littéraire
La tragédie ne disparaît pas du paysage théâtral français après Racine
et Corneille. Bien au contraire, on continue d’écrire des pièces sur le
modèle racinien. Ainsi, Voltaire, auteur de Candide, est l’auteur de nom-
breuses tragédies néoclassiques qui puisent leurs thèmes dans l’his-
toire antique. Toutefois, le genre s’épuise à force d’être imité. À l’aube du
XIXe siècle, le public commence à se lasser des tragédies néoclassiques
qui semblent fades à côté des modèles de Racine et de Corneille.
Le romantisme et la tragédie
Le Romantisme naît - comme tout mouvement littéraire et culturel – d’une
rupture, d’une réaction à d’autres mouvements qui l’ont précédé. De ce
point de vue, il est en réaction contre le classicisme et contre le rationa-
lisme des Lumières (XVIIIe siècle). Cette réaction se traduit par la remise
en cause de règles formelles établies. Dans les années 1820-1840, le
romantisme part en guerre contre les tragédies classiques en vers, esti-
mant que la société issue de la Révolution française a désormais besoin
d’autres spectacles, et d’un théâtre nouveau. Le drame romantique se
construit donc en révolte contre la tragédie, tout en conservant certains
de ses aspects. Il est en fait hérité du drame bourgeois, qui s’est déve-
loppé à la fin du XVIIIe siècle, et prend pour modèle Shakespeare (1564-
1616) alors que Racine représente, pour les romantiques, un modèle
qui a fait son temps. C’est ce que traduit Stendhal dans un pamphlet
demeuré célèbre, Racine et Shakespeare (1823-1825), dans lequel il
milite pour un théâtre en prose, idée appliquée par Musset quelques
années plus tard dans Lorenzaccio (1834).
Victor Hugo, qui apparaît comme le chef de file de l’école romantique,
écrit en 1827 une pièce de théâtre, Cromwell, dont la préface fera figure
de Manifeste. Dans la « Préface » de Cromwell, Victor Hugo explique que
le drame est un genre hybride, qui mêle la comédie et la tragédie. Sans
exclure la tragédie, les dramaturges romantiques renouvellent en pro-
fondeur ses structures : certaines pièces abandonnent l’alexandrin ; les
règles d’unité de lieu et de temps ne sont plus respectées, la règle de
bienséance non plus. Ainsi, dans son drame Lucrèce Borgia (voir grou-
pement de textes ci-après) qui est une réécriture du mythe des Atrides,
Hugo fait voyager les spectateurs de Venise à Ferrare dans une pièce en
prose, et montre un matricide sur scène. Bien qu’il ne respecte pas les
règles de la tragédie classique, Victor Hugo donne à sa pièce un souffle
tragique, puisqu’il montre comment l’ironie du sort devient une fatalité
sur le destin des personnages. Ce ne sont plus les Dieux qui gouvernent
le sort des hommes, mais leurs propres erreurs ou leur aveuglement.
74 Séquence 4 – FR20
Document 1 La société, en effet, commence par chanter ce qu’elle rêve, puis raconte
ce qu’elle fait, et enfin se met à peindre ce qu’elle pense. C’est, disons‑le
en passant, pour cette dernière raison que le drame, unissant les quali-
tés les plus opposées, peut être tout à la fois plein de profondeur et plein
de relief, philosophique et pittoresque.
Du jour où le christianisme a dit à l’homme : « Tu es double, tu es com-
posé de deux êtres, l’un périssable, l’autre immortel, l’un charnel, l’autre
éthéré, l’un enchaîné par les appétits, les besoins et les passions, l’autre
emporté sur les ailes de l’enthousiasme et de la rêverie, celui‑ci enfin
toujours courbé vers la terre, sa mère, celui‑là sans cesse élancé vers
le ciel, sa patrie » ; de ce jour le drame a été créé. Est‑ce autre chose en
effet que ce contraste de tous les jours, que cette lutte de tous les ins-
tants entre deux principes opposés qui sont toujours en présence dans
la vie, et qui se disputent l’homme depuis le berceau jusqu’à la tombe?
La poésie née du christianisme, la poésie de notre temps est donc le
drame ; le caractère du drame est le réel ; le réel résulte de la combinaison
toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque, qui se croisent
dans le drame comme ils se croisent dans la vie et dans la création. Car
la poésie vraie, la poésie complète, est dans l’harmonie des contraires.
Victor Hugo, préface de Cromwell, 1827.
Document 2 Si nous avions le droit de dire quel pourrait être, à notre gré, le style du
drame, nous voudrions un vers libre, franc, loyal, osant tout dire sans pru-
derie, tout exprimer sans recherche ; passant d’une naturelle allure de
la comédie à la tragédie, du sublime au grotesque : tour à tour positif
et poétique, tout ensemble artiste et inspiré, profond et soudain, large
et vrai ; sachant briser à propos et déplacer la césure pour déguiser sa
monotonie d’alexandrin ; plus ami de l’enjambement qui l’allonge que
1. Dieu grec capable de l’inversion qui l’embrouille : fidèle de la rime, cette esclave reine,
de prendre mille
formes insaisissables
cette suprême grâce de notre poésie, ce générateur de notre mètre ;
inépuisable dans la variété de ses tours, insaisissable dans ses secrets
d’élégance et de facture ; prenant, comme Protée1, mille formes sans
changer de type et de caractère, fuyant la tirade ; se jouant dans le dialo-
gue ; se cachant toujours derrière le personnage ; s’occupant avant tout
d’être à sa place, et lorsqu’il lui adviendrait d’être beau, n’étant beau
en quelque sorte que par hasard, malgré lui et sans le savoir ; lyrique,
épique, dramatique, selon le besoin ; pouvant parcourir toute la gamme
poétique, aller de haut en bas, des idées les plus élevées aux plus vul-
gaires, des plus bouffonnes aux plus graves, des plus extérieures aux
plus abstraites, sans jamais sortir des limites d’une scène parlée ; en un
Séquence 4 – FR20 75
La tragédie au XXe siècle
76 Séquence 4 – FR20
Séquence 4 – FR20 77
Conclusion
Corpus
Question d’ensemble
78 Séquence 4 – FR20
HERNANI.
Monts d’Aragon ! Galice ! Estramadoure !
Oh ! je porte malheur à tout ce qui m’entoure !
J’ai pris vos meilleurs fils ; pour mes droits, sans remords,
Je les ai fait combattre, et voilà qu’ils sont morts !
C’étaient les plus vaillants de la vaillante Espagne !
Ils sont morts ! ils sont tous tombés dans la montagne,
Tous sur le dos couchés, en justes, devant Dieu,
Et s’ils ouvraient les yeux, ils verraient le ciel bleu !
Voilà ce que je fais de tout ce qui m’épouse !
Est-ce une destinée à te rendre jalouse ?
Dona Sol, prends le duc, prends l’enfer, prends le roi !
C’est bien. Tout ce qui n’est pas moi vaut mieux que moi !
Je n’ai plus un ami qui de moi se souvienne,
Tout me quitte, il est temps qu’à la fin ton tour vienne,
Car je dois être seul. Fuis ma contagion.
Ne te fais pas d’aimer une religion
Oh ! par pitié pour toi, fuis ! Tu me crois peut-être
Un homme comme sont tous les autres, un être
Intelligent, qui court droit au but qu’il rêva.
Détrompe-toi ! je suis une force qui va !
Agent aveugle et sourd de mystères funèbres !
Une âme de malheur faite avec des ténèbres !
Où vais-je ? je ne sais. Mais je me sens poussé
D’un souffle impétueux, d’un destin insensé.
Je descends, je descends, et jamais ne m’arrête.
Si parfois, haletant, j’ose tourner la tête,
Une voix me dit : Marche ! et l’abîme et profond,
Et de flamme et de sang je le vois rouge au fond !
Cependant, à l’entour de ma course farouche,
Tout se brise, tout meurt. Malheur à qui me touche !
Oh ! Fuis ! détourne-toi de mon chemin fatal.
Hélas ! sans le vouloir, je te ferais du mal !
Séquence 4 – FR20 79
Lucrèce Borgia est un des plus gros succès de la scène romantique. Dans
ce drame, Hugo raconte l’histoire d’un jeune homme qui cherche déses-
pérément sa mère. Or le public comprend très vite que cette femme est
Lucrèce Borgia, dont la réputation sanglante fait frémir l’Italie. Lucrèce
a retrouvé ce fils qu’elle cherchait, mais n’ose lui avouer qu’elle est sa
mère, de crainte de susciter sa haine. Après bien des péripéties et des
renversements, la mère et le fils se retrouvent enfin seuls, dans la der-
nière scène du drame.
Gennaro. Vous êtes ma tante. Vous êtes la sœur de mon père. Qu’avez-
vous fait de ma mère, Madame Lucrèce Borgia ?
Dona Lucrezia. Attends, attends ! Mon dieu, je ne puis tout dire. Et puis,
si je te disais tout, je ne ferais peut-être que redoubler ton horreur et ton
mépris pour moi ! écoute-moi encore un instant. Oh ! Que je voudrais
bien que tu me reçusses repentante à tes pieds ! Tu me feras grâce de la
vie, n’est-ce pas ? Eh bien, veux-tu que je prenne le voile ? Veux-tu que
je m’enferme dans un cloître, dis ? Voyons, si l’on te disait : cette mal-
heureuse femme s’est fait raser la tête, elle couche dans la cendre, elle
creuse sa fosse de ses mains, elle prie Dieu nuit et jour, non pour elle,
qui en aurait besoin cependant, mais pour toi, qui peux t’en passer ; elle
fait tout cela, cette femme, pour que tu abaisses un jour sur sa tête un
regard de miséricorde, pour que tu laisses tomber une larme sur toutes
les plaies vives de son cœur et de son âme, pour que tu ne lui dises plus
comme tu viens de le faire avec cette voix plus sévère que celle du juge-
ment dernier : vous êtes Lucrèce Borgia ! Si l’on te disait cela, Gennaro,
est-ce que tu aurais le cœur de la repousser ! Oh ! Grâce ! Ne me tue
pas, mon Gennaro ! Vivons tous les deux, toi pour me pardonner, moi,
pour me repentir ! Aie quelque compassion de moi ! Enfin cela ne sert
à rien de traiter sans miséricorde une pauvre misérable femme qui ne
demande qu’un peu de pitié ! - un peu de pitié ! Grâce de la vie ! - et puis,
vois-tu bien, mon Gennaro, je te le dis pour toi, ce serait vraiment lâche
ce que tu ferais là, ce serait un crime affreux, un assassinat ! Un homme
tuer une femme ! Un homme qui est le plus fort ! Oh ! Tu ne voudras pas !
Tu ne voudras pas !
Gennaro, ébranlé. Madame...
Dona Lucrezia. Oh ! Je le vois bien, j’ai ma grâce. Cela se lit dans tes yeux.
Oh ! Laisse-moi pleurer à tes pieds !
Une voix au-dehors. Gennaro !
Gennaro. Qui m’appelle ?
La voix. Mon frère Gennaro !
Gennaro. C’est Maffio !
La voix. Gennaro ! Je meurs ! Venge-moi !
80 Séquence 4 – FR20
Séquence 4 – FR20 81
Dans l’extrait suivant, Antigone vient d’être arrêtée car elle a osé braver
les ordres de Créon : elle a rendu un hommage funèbre à son frère Poly-
nice en couvrant son corps de terre. Créon veut d’abord étouffer l’affaire,
mais Antigone se révolte et réclame la mort. Créon se sent obligé de faire
appliquer la loi, et Antigone est condamnée à mort. Bien qu’elle exprime
sa douleur dans ce passage, Antigone est face à elle-même et le garde
n’a aucune compassion pour elle.
82 Séquence 4 – FR20
Dans la plupart des cas, les héros de tragédies classiques sont voués à
un destin funeste. On retrouve une thématique similaire dans les extraits
ci-dessus. Chacun des extraits présente en effet un ou plusieurs person-
nages confrontés à la mort. Dans les deux tirades, celle du Sphinx et celle
d’Hernani, la mort est envisagée comme inéluctable, ce qui souligne son
caractère tragique. Hernani, hanté par l’idée qu’il est soumis à un destin
funeste, ressent la certitude d’une mort prochaine. Quant au Sphinx, il
explique la manière dont il tire les fils de la vie de ceux qui viennent l’in-
terroger. Dans le mythe d’Œdipe en effet, le Sphinx décime la jeunesse de
Thèbes, avant qu’Œdipe ne résolve l’énigme. Dans Lucrèce Borgia, la mort
est spectaculaire. Victor Hugo semble retarder le moment du geste fatal où
Séquence 4 – FR20 83
Conclusion
16. Pour vous informer sur ce spectacle : http://culturebox.france3.fr et tapez dans l’onglet « Recherche » « Lorànt
Deutsch sur les planches dans la peau dun trader ».
84 Séquence 4 – FR20
tains sites qui montrent des extraits de la pièce (vous pouvez saisir
« Britannicus, mise en scène » dans la barre de votre moteur de
recherche).
Séquence 4 – FR20 85
Acte II
4 Quand Néron apparaît-il dans la pièce ? Commentez le choix de Racine
Acte III
6 De qui Narcisse est-il le confident ? Que pensez-vous du choix de
Racine ?
7 Comment peut-on définir le caractère d’Agrippine ?
Acte V
8 Pourquoi, à votre avis, Néron ne répond-il pas aux violentes impréca-
tions de sa mère à la scène 3 de l’acte V ?
9 Comment se termine la pièce ? Racine a-t-il voulu faire passer un mes-
sage ?
86 Séquence 4 – FR20
Séquence 4 – FR20 87
88 Séquence 4 – FR20
Acte II
4 Quand Néron apparaît-il dans la pièce ? Commentez le choix de
Racine.
Comme souvent dans les tragédies classiques, le personnage principal
n’intervient pas dans l’acte I de la pièce. Ainsi Néron ne fait son entrée
en scène qu’à la scène 2 de l’acte II. Ce choix est stratégique de la part
de Racine. Tout d’abord, il ménage le suspense autour du principal pro-
tagoniste de l’intrigue. En effet, le titre de la tragédie ne doit pas faire
illusion : Britannicus n’est pas le personnage principal, même s’il est
important. Mais parfois les auteurs choisissent de donner comme titre le
nom d’un personnage de second rang. Néron entre concrètement dans
l’action au second acte, mais sa présence plane sur tout l’acte I qui cor-
Séquence 4 – FR20 89
Acte III
6 De qui Narcisse est-il le confident ? Que pensez-vous du choix de
Racine ?
Au début de la pièce, dans la liste des personnages, Racine précise que
Narcisse est le « confident de Britannicus » (tandis que Burrhus est celui
de Néron). Quand on lit la pièce, ce choix devient particulièrement inté-
ressant car Narcisse n’a que très peu d’échanges avec Britannicus, tan-
dis qu’il apparaît souvent en compagnie de Néron. Ce constat dévoile la
nature et le type de personnage que Racine cherche à créer. Narcisse est
un traître, vendu à la cause de Néron. Dans la plupart des scènes où il
apparaît, le personnage manœuvre en faveur du futur empereur, et même
avec un certain cynisme. Sa duplicité éclate dans la scène qui oppose
Néron et Agrippine et dans laquelle l’impératrice dévoile au grand jour la
trahison du confident : « Poursuis Néron, poursuis avec de tels ministres/
Par des faits glorieux tu te vas signaler. » (V, 3). L’ironie méprisante
d’Agrippine que suggère l’expression « tels ministres » renvoie Narcisse à
ce qu’il est : un traître qui finira par mourir tué par la foule.
Sur le plan dramaturgique, Narcisse est un personnage pivot de l’intri-
gue. Il est d’abord un faire-valoir pour Néron, et c’est grâce à ses ques-
tions que le jeune empereur dévoile ses véritables intentions à l’acte II,
et notamment sa passion pour Junie, aperçue la nuit.
7 Comment peut-on définir le caractère d’Agrippine ?
90 Séquence 4 – FR20
Acte V
8 Pourquoi, à votre avis, Néron ne répond-il pas aux violentes impréca-
tions de sa mère à la scène 3 de l’acte V ?
Dans cette scène, l’attitude de Néron est passionnante à observer. Il est
presque silencieux et toute son attitude est à imaginer ou à construire
par le lecteur. Ce silence énigmatique peut révéler plusieurs éléments
et s’interpréter de différentes façons. Soit Néron prend acte et écoute
ce que sa mère a à lui dire, cette dernière ne lui laissant guère le loisir
de rétorquer. Soit, retenant sa colère et sa haine, il prépare intérieure-
ment sa vengeance. Mais un autre élément intervient : c’est Narcisse qui
brise l’hypocrisie de la situation, après que Néron a feint de ne pas être
informé de la mort de Britannicus ni d’en être le responsable. Une fois
le crime avoué implicitement par Narcisse, Néron ne peut qu’écouter sa
mère fondre sur lui en reproches. La réplique qui referme la scène, « Nar-
cisse, suivez-moi » est une manière indirecte de répondre à Agrippine. Il
lui indique par là qu’il a choisi son camp et qu’il fait fi de la longue tirade
qu’elle vient de prononcer.
9 Comment se termine la pièce ? Racine a-t-il voulu faire passer un mes-
sage ?
Comme souvent dans la tragédie, l’intrigue se termine mal, même si
dans le cas précis de Britannicus, le nombre de morts est relativement
peu élevé par rapport à d’autres pièces de Racine. Tout d’abord Néron
fait assassiner Britannicus. Comme l’exigent les bienséances, ce crime
n’est pas montré mais relaté dans un récit de Burrhus (acte V, scène 5).
Narcisse est ensuite lynché par la foule qui, informée de ses traîtrises et
de ses manigances, lui fait subir l’opprobre collective (acte V, scène 8).
Ces deux actions qui se produisent hors scène dénouent la pièce : Junie
se réfugie dans le temple des Vestales et devient inaccessible à Néron,
alors qu’elle est proche de lui physiquement (les Vestales sont des reli-
gieuses qui se retirent du monde et font vœu de chasteté). C’est donc un
sort cruel pour Néron qui a sous les yeux l’objet de son désir sans pou-
voir l’atteindre. Comme l’indiquent les vers suivants (« Il marche sans
dessein, ses yeux mal assurés /N’osent lever au ciel leurs regards éga-
Séquence 4 – FR20 91
92 Séquence 4 – FR20
Séquence 4 – FR20 93
94 Séquence 4 – FR20
Sommaire
Séquence 5 – FR20 1
Introduction
Chapitre 3
Chapitre 1
Chapitre 3 : Le classicisme
Chapitre 1 : Autour de l’auteur de L’École des femmes : à
l’épreuve du texte
A. Biographie de Molière
B. Contexte historique
A. É tude de l’exposition (acte I,
C. L’esthétique classique en peinture et dans l’art des jardins scène 1)
Fiche méthode : Le classicisme B. A rnolphe : une édifiante satire du
Corrigés des exercices jaloux (acte II, scène 3)
C. D e l’utilité du récit dans la comé-
die (acte III, scène 4)
D. Montrer aux hommes leurs
Chapitre 2
ridicules (acte V, scène 4)
2 Séquence 5 – FR20
B Conseils de méthode
Avant de vous lancer dans l’étude de la pièce, nous vous invitons à la lire dans
l’édition Hatier, Collection Classiques & Cie, numéro 19, parue en avril 2010.
Vous trouverez dans ce livre de poche le texte intégral annoté de L’École des
femmes et d’une autre pièce cruciale pour notre sujet, La Critique de l’École des
femmes, chaque œuvre étant précédée d’une préface et l’ensemble suivi d’un
dossier présentant les thèmes les plus importants. D’autres éditions proposent
des commentaires plus étoffés, mais superflus à votre niveau. Cette édition a le
mérite de vous donner les annotations opportunes, un accès facile et éclairant à
La Critique de l’École des femmes, et des repères synthétiques. Deux précisions
cependant : vous n’êtes pas tenu de consulter les préfaces et le dossier dans la
mesure où les cours et exercices de cette séquence vous fournissent le contenu
pédagogique que vous devez acquérir ; en revanche, nous vous recommandons
vivement la lecture de La Critique.
1. Par commodité, on parle de « genres » bien que le terme de « sous-genres » soit plus adapté, dans
la mesure où l’on emploie déjà le mot « genre » pour désigner l’ensemble des productions théâtrales,
comme on parle de genre poétique ou de genre narratif.
Séquence 5 – FR20 3
C Webographie
Les pièces de Molière ont fait couler beaucoup d’encre chez les critiques
et de nombreux sites sur Internet traitent de son parcours et de son œuvre.
Un site incontournable est celui de la Comédie-Française :
http://www.comedie-francaise.fr
Vous y trouverez de nombreux dossiers concernant notre dramaturge :
E Parcours Molière
Ce dossier de la Comédie-Française fournit des outils pédagogiques et
des éléments sur le contexte historique dans lequel vécut Molière ainsi
que les principales étapes de sa vie, autant de pistes pour préparer les
élèves à l’étude de l’œuvre de Molière.
E Molière et ses personnages : le tableau d’Edmond Geffroy
Ces pages proposent une analyse de Jacqueline Razgonnikoff du tableau
d’Edmond Geffroy «Molière et les caractères de ses comédies». Celui-ci
rend un hommage à Molière et témoigne ainsi de la ferveur avec laquelle
le XIXe siècle redécouvre le dramaturge.
E Molière - éléments biographiques
Ce dossier propose une série d’éléments biographiques sur Molière. Il
comprend une chronologie mais également une sélection d’articles bio-
graphiques dans les publications de la Comédie-Française. – Les parents
de Molière et sa naissance (Sylvie Chevalley)– Années d’apprentissage
(Alain Niderst).
E Molière et le décor de théâtre
Cet article d’André Boll, secrétaire général de l’Association internationale
des Critiques Dramatiques, tiré de la revue de la Comédie-Française, pro-
pose de retracer l’évolution du décor de théâtre dans les représentations
des pièces de Molière, depuis Molière et jusqu’au XXe siècle.
E Les Femmes savantes de Molière
Ce dossier pédagogique de la Comédie-Française présente Les Femmes
savantes de Molière mises en scène par Bruno Bayen.
Un autre site important est celui du théâtre de l’Odéon
http://www.theatre-odeon.fr.
Vous y trouverez aussi de nombreux dossiers sur Molière, l’un d’eux pré-
sente L’École des femmes ainsi que des extraits de mises en scène en
vidéo.
Bonne lecture et bon travail !
4 Séquence 5 – FR20
1 Autour de l’auteur
A Biographie de Molière
Molière est un très grand dramaturge français, vous ne l’ignorez pas et avez
certainement déjà lu plusieurs de ses comédies. Il est bon que vous ayez
quelques connaissances essentielles sur sa vie, qui vous permettront de mieux
comprendre ses œuvres et de les replacer dans leur contexte historique. Pour
cela, je vous invite à faire des recherches sur la biographie du dramaturge
sur Internet, en consultant plusieurs sites – et pas seulement Wikipedia ! –,
et à prendre des notes sur ce qui vous semble important à retenir, avant de
compléter la biographie proposée dans l’exercice autocorrectif suivant.
Document 1
Séquence 5 – FR20 5
En 1645, après des débuts difficiles à Paris, « l’Illustre Théâtre » fait faillite
et Molière est emprisonné pour dettes. Son père l’aide à se tirer d’affaire et
il intègre, avec les Béjart, la « troupe de Dufresne », une troupe itinérante
parcourant les grandes villes de …............................................... où ils interprètent
de nombreuses …..............................................., notamment de Corneille. Cepen-
dant, c’est dans le registre comique que Molière excelle. Il écrit alors ses
premières …..............................................., comme La Jalousie du Barbouillé (1646)
ou Le Médecin volant (1647). En 1655, il écrit sa première véritable …...........
...................................., en cinq actes et en vers, L’Étourdi ou les contretemps, et
s’impose comme auteur comique en 1656 avec Le Dépit amoureux.
1658-1661 : À Paris, sous la protection de « Monsieur », du Théâtre du
Petit-Bourbon au …...............................................
En 1658, la troupe regagne Paris et obtient la protection de Philippe d’Or-
léans ou « Monsieur », …............................................... unique du roi, qui les installe
comme sa troupe personnelle au Théâtre du Petit-Bourbon, où ils jouent en
alternance avec la troupe de …............................................... du célèbre comédien
italien Scaramouche. Dans ce théâtre, Molière est consacré comme auteur
comique avec la représentation des Précieuses …...............................................
(1659). En 1660, ce succès est confirmé par la représentation de Sganarelle
ou le Cocu imaginaire, mais, la même année, la troupe se retrouve sans lieu
de représentation car le Petit-Bourbon est démoli pour bâtir la colonnade
du Louvre. Cependant, grâce à la médiation de Philippe d’Orléans auprès
du Roi, Molière et sa troupe se voient attribuer le …................................................
Dans ce nouveau théâtre où il restera pour le reste de sa vie, Molière
nourrit de grandes ambitions et, en particulier celle de s’illustrer dans la
6 Séquence 5 – FR20
Jean Hégesippe Vetter, Molière reçu par Louis XIV. XIXe siècle.
Huile sur toile. Sénat – Musée d’Orsay, Paris. © Photo RMN /
Hervé Lewandowski.
Séquence 5 – FR20 7
Palais-Royal. Son succès est considérable. Avec elle, Molière fonde la …..
............................................., non sans mal puisqu’elle déclenche aussitôt l’une
des plus grandes polémiques de son temps. Cette pièce satirique écrite
selon la forme des tragédies classiques, soit en cinq actes et en alexan-
drins, soulève les protestations des rigoristes chrétiens, moralistes et gar-
diens des règles du théâtre classique auxquels s’ajoutent les nombreux
auteurs et acteurs envieux de la faveur grandissante de Molière à la Cour
et auprès du public parisien. Cette longue polémique est ravivée par la
représentation de …............................................... (1664) que le Roi, sous la pres-
sion de la cabale des dévots, fait interdire très rapidement. Molière n’ob-
tient l’autorisation de la représenter qu’en 1669, dans une version très
remaniée. De même, son …............................................... (1665) fait l’objet d’une
censure qui durera encore longtemps après sa mort (jusqu’en 1841).
1666-1673 : Comédies de caractères, comédies de mœurs et comédies-
ballets
Dans les dernières années de sa vie, Molière se tourne vers les comé-
dies de caractères et de mœurs, qui le tiennent à l’écart des attaques
des dévots. Citons quelques uns des chefs-d’œuvre écrits durant cette
période : …............................................... (1666), …............................................... (1668),
Le Bourgeois …............................................... (comédie-ballet, 1670), Les …...........
.................................... savantes (1673), Le Malade imaginaire (1673). Conti-
nuant à jouer malgré la maladie pulmonaire dont il souffre depuis 1665,
il s’éteint le 7 février 1673, juste après la quatrième représentation du …..
..............................................
B Contexte historique
Molière a vécu sous les règnes de Louis XIII et Louis XIV, au cours desquels
se sont épanouis les mouvements culturels du baroque puis du classicisme.
Molière est lui-même un représentant du classicisme. Vous trouverez une
présentation détaillée de ce courant dans la fiche méthode en fin de cha-
pitre. La vie culturelle est étroitement liée au contexte historique. Retenez
donc les aspects marquants du XVIIe siècle exposés dans le tableau ci-après.
8 Séquence 5 – FR20
exigences artistiques de peinture, de sculp- art est au service et des Modernes et fin
fondées sur la raison. ture, d’architecture. du pouvoir royal (cf. du classicisme.
les divertissements
Naissance du courant
royaux dans les
de la préciosité
jardins du château de
autour de Mme de
Versailles) ; construc-
Rambouillet et Mlle de
tion du château de
Scudéry.
Versailles.
Séquence 5 – FR20 9
Sites E http://www.port-royal-des-champs.eu
conseillés : E http://www.amisdeportroyal.org
E http://www.lettres-et-arts.net
10 Séquence 5 – FR20
Nicolas Poussin, L’inspiration du poète, 17e siècle, huile sur toile, 182x213cm,
Musée du Louvre, Paris. © RMN/René-Gabriel Ojéda.
Séquence 5 – FR20 11
Étude de la composition
6 Que diriez-vous de la composition du tableau ? Appuyez-vous sur la
façon dont sont disposés les personnages ?
12 Séquence 5 – FR20
Document 5
Questionnaire
a) L a devise latine Nec pluribus impar, de traduction controversée, est
le plus souvent interprétée ainsi : « sans égal » ou « au-dessus de
tous ». Quel est d’après vous le sens de cette comparaison du Roi avec
le Soleil ?
Séquence 5 – FR20 13
14 Séquence 5 – FR20
Fiche méthode
Chapitre
1
Fiche méthode
Séquence 5 – FR20 15
Contexte culturel
Le classicisme se diffuse au sein de la bourgeoisie et des aristocrates
de moindre rang – la haute aristocratie ayant été écartée par Louis XIV –
pétris par la même culture gréco-latine. Laissées sans instruction, mis à
part quelques personnalités d’exception –comme Mlle de Scudéry–, les
femmes, créeront le courant précieux.
16 Séquence 5 – FR20
Séquence 5 – FR20 17
18 Séquence 5 – FR20
Fiche Méthode
méthode
Ah, cruel ! tu m’as trop entendue !
Je t’en ai dit assez pour te tirer d’erreur.
Eh bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur :
J’aime ! Ne pense pas qu’au moment que je t’aime,
Innocente à mes yeux, je m’approuve moi-même ;
Ni que du fol amour qui trouble ma raison
Ma lâche complaisance ait nourri le poison ;
Objet infortuné des vengeances célestes,
Je m’abhorre encor plus que tu ne me détestes.
Les dieux m’en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang ;
Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De séduire le cœur d’une faible mortelle.
Toi-même en ton esprit rappelle le passé :
C’est peu de t’avoir fui, cruel, je t’ai chassé ;
J’ai voulu te paraître odieuse, inhumaine ;
Pour mieux te résister, j’ai recherché ta haine.
De quoi m’ont profité mes inutiles soins ?
Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins ;
Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.
J’ai langui, j’ai séché dans les feux, dans les larmes :
Il suffit de tes yeux pour t’en persuader,
Si tes yeux un moment pouvaient me regarder…
Que dis-je ? cet aveu que je te viens de faire,
Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?
Tremblante pour un fils que je n’osais trahir,
Je te venais prier de ne le point haïr :
Faibles projets d’un cœur trop plein de ce qu’il aime !
Hélas ! je ne t’ai pu parler que de toi-même !
Venge-toi, punis-moi d’un odieux amour :
Digne fils du héros qui t’a donné le jour,
Délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.
La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte !
Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t’échapper ;
Voilà mon cœur : c’est là que ta main doit frapper.
Impatient déjà d’expier son offense,
Au-devant de ton bras je le sens qui s’avance.
Frappe : ou si tu le crois indigne de tes coups,
Si ta haine m’envie un supplice si doux,
Ou si d’un sang trop vil ta main serait trempée,
Au défaut de ton bras prête-moi ton épée ;
Donne.
Racine, Phèdre, 1677, acte II, scène 5.
Séquence 5 – FR20 19
20 Séquence 5 – FR20
Fiche Méthode
méthode
E Sujets nobles tirés de la mythologie, de la Bible, de la vie des saints,
de la poésie bucolique latine.
E Importance du dessin, avec des contours nets, une lumière vive, des
classique :
E la colonnade du Louvre
Séquence 5 – FR20 21
très calculés ;
E une composition de parterres, d'allées, de bassins, de fontaines,
Parterres de broderies du
château de Vaux-le-Vicomte,
Maincy, Seine-et-Marne,
France (48°34’N–2°43’E)
© Roger-Viollet.
22 Séquence 5 – FR20
Fiche Méthode
méthode
E
Séquence 5 – FR20 23
24 Séquence 5 – FR20
Séquence 5 – FR20 25
Le personnage assis au centre est Apollon. C’est une divinité aux mul-
tiples prérogatives : dieu du soleil, de la beauté, des arts, en particulier
de la poésie et de la musique. Ici, il est représenté avec l’un de ses prin-
cipaux attributs : la lyre qui accompagne le poète dans la déclamation
de ses vers. On le voit aussi porter sur la tête une couronne de laurier.
a femme qui se tient debout à gauche est Calliope, la première des
2L
muses, muse de l’éloquence et de la poésie épique. Elle tient dans la
main droite un instrument à vent.
3 I l s’agit de putti. On appelle ainsi, en sculpture et en peinture, le dieu
Amour (Cupidon en latin, Éros en grec) représenté sous les traits d’un
26 Séquence 5 – FR20
a
) Les jardins de Versailles sont l’exemple le plus abouti du « jardin
à la française ». Suivant les canons classiques, leur organisation est
placée sous le signe de la géométrie et de la symétrie. Ils offrent ainsi
de nombreux parterres, bosquets, fontaines et bassins séparés par
Séquence 5 – FR20 27
28 Séquence 5 – FR20
Séquence 5 – FR20 29
30 Séquence 5 – FR20
Séquence 5 – FR20 31
1. L
a comédie en France avant L’École des
femmes
Au moment où Molière donne L’École des femmes, la scène comique est
dominée par la farce et la commedia dell’arte, déjà évoquées dans la
séquence précédente.
La farce, née dans l’Antiquité avec Aristophane et Plaute, et devenue
très populaire au Moyen-Âge, est une pièce bouffonne visant à provo-
quer le rire par les moyens les plus simples, voire les plus grossiers,
sans aucun souci de la morale. Son comique repose sur la déformation
de situations ou de personnages tirés de la trivialité quotidienne. Trom-
peries et ruses sont le lot de couples conventionnels : maris et femmes,
vendeurs et clients, maîtres et serviteurs. Certains types même, tels que
la femme acariâtre, le soldat fanfaron, le vieillard amoureux ou le philo-
sophe pédant, traversent les siècles. L’intrigue, on ne peut plus simple,
repose sur des retournements, sur le schéma de « l’arroseur arrosé » très
souvent. Si ces rebondissements provoquent le rire, les jeux de masque,
de scène et les plaisanteries volontiers grossières l’entretiennent tout au
long de la pièce.
32 Séquence 5 – FR20
2. L
es critiques adressées à L’École des
femmes
Les adversaires de Molière sont nombreux : acteurs et auteurs jaloux,
moralistes dévots, théoriciens de la littérature, mais aussi « précieuses » et
4. lazzi (mot italien) : plaisanteries burlesques en paroles ou en actions, jeux de mots, grimaces, gestes grotesques.
Séquence 5 – FR20 33
E le grès qu’Agnès est censée avoir soulevé : ce « pavé » est trop lourd
3. L
a riposte de Molière et la définition de la
« comédie classique »
Le débat qui s’établit dans La Critique de L’École des femmes entre d’une
part, Célimène « la précieuse », le marquis et le poète Lysidas, pourfen-
deurs de la pièce, et, d’autre part, Uranie et Dorante, ses apologues, nous
renseigne à la fois sur les arguments des détracteurs de la pièce et sur les
conceptions théâtrales de Molière. De fait, celui-ci s’exprime à travers la
voix de Dorante, homme sage et raisonnable, conscient des travers des
34 Séquence 5 – FR20
Il va plus loin, donnant comme « la grande règle de toutes les règles »,
celle de « plaire », et ajoutant : « si les pièces, qui sont selon les règles
ne plaisent pas et que celles qui plaisent ne soient pas selon les règles,
il faudrait de nécessité que les règles eussent été mal faites. » C’est dire
combien la pratique prime sur la théorie pour Molière !
Mais si Dorante condamne l’obsession de certains pour les règles, il n’en
défend pas moins la conformité de la pièce aux préceptes classiques,
déclarant avec aplomb : « et peut-être n’avons-nous point de pièce au
théâtre plus régulière que celle-là. » Voilà ainsi justifiée cette séquence
et les analyses qui vont suivre sur le respect des règles du théâtre et de
l’esthétique classiques dans la pièce !
Sans anticiper sur votre étude, rapportons la réponse de Dorante concer-
nant la prévalence des récits sur l’action : « Premièrement, il n’est pas
vrai de dire que toute la pièce n’est qu’en récits. On y voit beaucoup
d’actions qui se passent sur la scène, et les récits eux-mêmes y sont
des actions », d’autant qu’ils sont faits « innocemment » à la « personne
intéressée ». En assistant à la réaction d’Arnolphe, le spectateur prend
à la fois connaissance des actions qui ont eu lieu hors-scène et voit en
actes la joie ou le désespoir du protagoniste. Dorante justifie également
le comportement inconstant d’Arnolphe au nom du réalisme psycholo-
gique. Un homme jaloux peut bien éprouver un « transport amoureux »
tout autant qu’une désillusion tragique. Ceci n’est pas en désaccord
avec son caractère ridicule et la forme de la comédie.
Séquence 5 – FR20 35
36 Séquence 5 – FR20
2P
our les unités de temps et d’action, faites les recherches nécessaires
dans le livre pour remplir les cases « lieu » et « personnages » du
tableau ci-dessous. Pour identifier le lieu dramatique, reportez-vous
en particulier aux didascalies en tête de la pièce et au début de
chaque scène et, en leur absence, demandez-vous où est censée se
dérouler l’action compte tenu du sujet de la scène.
3L
e tableau une fois rempli, vous vous demanderez si les unités de lieu
et d’action sont remplies. Vous justifierez votre réponse.
Séquence 5 – FR20 37
38 Séquence 5 – FR20
C La structure de la pièce
Séquence 5 – FR20 39
1 2 3 4 1 2 3 4 5 1 2 3 4 5 1 2 3 4 5 6 7 8 9 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Chrysalde
Arnolphe
Séquence 5 – FR20
Alain
Georgette
Agnès
Horace
Un notaire
Enrique
Oronte
L es règles du théâtre
Fiche méthode
Chapitre
1 classique
Fiche méthode
5. Œuvre théorique sur la création littéraire du philosophe grec du IVe siècle av. J-C.
6. Parnasse : dans la mythologie grecque, ce terme désigne le lieu de résidence d’Apollon et des neuf Muses. Par
métonymie, il désigne une assemblée de poètes.
7. ressorts : incidents qui nouent l’action.
8. marqué : déterminé.
9. delà : par-delà. Allusion à un auteur espagnol. Notez le ton méprisant.
Séquence 5 – FR20 41
42 Séquence 5 – FR20
ment des personnages doit être conforme à leur âge, à leur condition
sociale, aux mœurs et aux coutumes de leur pays. C’est à la fois une
question de logique et de vraisemblance. C’est sans doute dans cet
esprit que Racine choisit de ne pas « salir » Phèdre en la rendant direc-
tement responsable de la calomnie d’Hippolyte : c’est Œnone qui en est
coupable.
Séquence 5 – FR20 43
La catharsis
Reprenant un terme utilisé par
« Que dans tous vos discours la
Aristote au livre VI de sa Poétique,
passion émue
les théoriciens classiques ont
Aille chercher le cœur, l’échauffe
assigné à la tragédie – et pas à la
et le remue. »
comédie – une fonction morale, la
catharsis ou « purgation des pas-
sions ». En montrant les consé-
quences ultimes et catastrophiques des passions, la tragédie purgerait
l’âme du spectateur de ces mêmes passions et l’inciterait à ne pas imiter
les héros tragiques. Le théâtre rendrait ainsi les hommes meilleurs. À
noter que le passage de la Poétique aristotélicienne est trop imprécis et
mutilé pour affirmer que cette théorie est reprise d’Aristote.
44 Séquence 5 – FR20
Le vers 1634 permet à lui seul de mesurer la durée du temps dra-
matique. À la scène 6 de l’acte V, Horace, confiant à Arnolphe son
« malheur », déclare en effet : « Cet Enrique, dont hier je m’informais à
vous ». Il s’est donc écoulé une journée depuis la première rencontre
des deux hommes à l’acte I, scène 4. En outre, la révélation de la scène
6 suit de peu le récit d’Horace à la scène 1 de ce même acte V, où deux
indications situent la rencontre de très bon matin (v. 1362 et 1370).
Même si on ignore exactement le moment de la journée auquel com-
mence la pièce, il appert que l’unité de temps est respectée. Selon
toute vraisemblance, l’action se déroule en vingt-quatre heures, d’un
matin à un autre.
2
Séquence 5 – FR20 45
3 La didascalie initiale fournit une indication sur le lieu dramatique : « la
scène est sur une place de ville ». Le relevé des personnages présents
dans chaque scène et des actions qui s’y jouent permet de conclure
que le lieu ne change pas ; seul le décor peut varier selon des choix
de mise en scène. L’action se déroule en effet sur une place de ville,
et plus précisément devant la maison où est séquestrée Agnès. Plus
vraisemblablement, les scènes où celle-ci figure devraient se dérouler
à l’intérieur des murs de la demeure, ainsi que celles avec les domes-
tiques. La scène 2 de l’acte I devrait permettre de voir l’intérieur et
l’extérieur de la maison puisque Alain et Georgette, dedans, ne se
décident pas à ouvrir à Arnolphe qui frappe à la porte. Molière a donc
observé l’unité de lieu, mais dans les choix de mise en scène, l’unité
de décor semble difficile à assurer. Notons, en outre, que le choix
d’une place est à la fois conforme à l’usage et utilisé de façon straté-
gique par Molière : c’est ce qui explique l’ignorance d’Horace quant à
l’identité entre Arnolphe et M. de la Souche.
L’unité d’action est assurée par l’omniprésence scénique d’Arnolphe,
absent dans une seule et courte scène (Acte II, scène 3). Le projet
du barbon d’épouser Agnès est énoncé au tout début de la scène 1
et trouve sa résolution dans la dernière scène de la pièce. L’intrigue
amoureuse menée par Horace – que l’on peut considérer comme une
action secondaire – est, en outre, parfaitement rattachée à l’action
principale par le jeu des récits d’Horace à Arnolphe et trouve, en
même temps qu’elle, son dénouement.
46 Séquence 5 – FR20
Fin de l’acte I
Fin de l’acte II
Séquence 5 – FR20 47
Fin de l’acte IV
48 Séquence 5 – FR20
Séquence 5 – FR20 49
50 Séquence 5 – FR20
1 2 3 4 1 2 3 4 5 1 2 3 4 5 1 2 3 4 5 6 7 8 9 1 2 3 4 5 6 7 8 9 5
Chrysalde 31
Arnolphe 11
Alain 11
Georgette 11
Agnès 8
Horace 9
Un notaire 2
Enrique 3
Oronte 3
Scènes mixtes
Scènes de dialogues Scènes de monologue
(dialogues et monologues)
Séquence 5 – FR20
51
Réponses
1 Cet extrait donne aux spectateurs diverses informations concernant :
E l’intrigue : Arnolphe s’est fait le tuteur d’une petite paysanne, que sa mère,
pressée par la nécessité, lui a abandonnée alors qu’elle avait quatre
ans. L’enfant a été élevée dans un couvent, à l’écart du monde, selon
les principes de son tuteur visant à « la rendre idiote autant qu’il se
pourrait » (v. 138). Cette éducation a donné les résultats escomptés
et Arnolphe s’apprête donc à épouser sa pupille, modelée « au gré
de [son] souhait » (v. 142). C’est dans ce dessein qu’il a « retir[é] »
(v.143) la jeune fille du couvent et la tient dans une « [autre] maison,
où nul ne [le] vient voir » (v. 146).
le lieu :
E Arnolphe affirme qu’il tient sa future femme à l’écart « dans cette autre
maison, où nul ne [le vient] voir » (v.146). On comprend donc que
l’échange entre les deux hommes se déroule à l’extérieur, dans la rue –
52 Séquence 5 – FR20
E les person- les deux personnages principaux sont présentés au cours de ce dia-
nages : logue, Arnolphe et Agnès. Par sa longue tirade, Arnolphe dévoile une
partie de son caractère : il nous apparaît extravagant de se choisir et
même de se fabriquer une femme si ignare ; bien plus âgé qu’elle,
il évoque la figure traditionnelle du barbon de comédie. La richesse
n’est pas ce qui motive Arnolphe dans le choix d’une alliance : « je me
vois assez riche, dit-il, pour pouvoir […] / Choisir une moitié qui tienne
tout de moi. » (v. 126-127). Par la réplique de Chrysalde, le public
apprend enfin qu’Arnolphe est âgé de quarante-deux ans et qu’il s’est
donné « un nom de seigneurie » (v. 172) : dans le monde, il se fait
appeler Monsieur de la Souche.
Quant au portrait de sa future épouse, il se limite à la description
qu’en fait Arnolphe, unique personnage à la connaître, et pour cause :
elle est cloîtrée depuis l’âge de quatre ans, des années durant dans
un couvent et tout récemment dans une maison en ville, où elle ne
côtoie que des domestiques « tout aussi simples qu’elle » (v. 148).
Arnolphe ne fournit aucune précision sur son physique ; il insiste en
revanche sur son caractère, qui, à l’en croire, se limite à un seul trait :
l’innocence, mot qui signifie aussi bien « absence de méchanceté »
qu’« absence de culture ». C’est le champ lexical le plus développé
qu’il utilise à son propos : « idiote » (v. 138), terme à prendre au sens
de « privée de culture », « innocente » (v. 140), « bonté naturelle »
(v.147), « ignorance » (v. 156), « ses simplicités » (v. 159), « inno-
cence à nulle autre pareille » (v. 163). Derrière ce portrait se profile un
personnage-type, celui de l’ingénue.
Reste enfin le personnage de Chrysalde, dont le spectateur ne sait
rien, sinon qu’il est « ami » d’Arnolphe (v. 151) ; il incarne le person-
nage du confident. L’écoute et la franchise dont il fait preuve à l’égard
du fantasque « Seigneur de la Souche » le présentent effectivement
comme tel. Mais il n’est pas seulement cela : il apparaît, dès cette
scène inaugurale, comme la voix de la raison face à l’extravagance du
personnage principal.
Séquence 5 – FR20 53
54 Séquence 5 – FR20
Réponses
Séquence 5 – FR20 55
56 Séquence 5 – FR20
Séquence 5 – FR20 57
58 Séquence 5 – FR20
Réponses
1 a) À la fin de l’acte II, Arnolphe avait ordonné à Agnès de rompre tout
commerce avec Horace et, s’il revenait, de lui jeter un « grès » (v.
635), autrement dit une grosse pierre. Au début de l’acte III, le bar-
bon exulte et félicite Agnès de son « honnêteté » (v. 658) : il l’a vue
jeter une pierre pour détourner Horace. Il décide de hâter les noces,
fait appeler le notaire pour établir le contrat et donne à lire à Agnès
d’austères Maximes du mariage ou les devoirs de la femme mariée. À
la scène suivante, le jaloux célèbre en lui-même son triomphe, se féli-
citant d’avoir élu pour épouse « un morceau de cire » (v. 810) auquel
il peut « donner la forme qui [lui] plaît » (v. 811).
b) Le récit d’Horace bouscule toutes les certitudes d’Arnolphe et
déjoue ses plans. Le spectateur qui l’a vu savourant sa victoire à la fin
de la scène 3, comprend, comme le personnage lui-même, qu’il est
défait : même s’il épouse Agnès, Arnolphe sera cocu ; toutes ses pré-
cautions auront donc été inutiles. En apprenant qu’Agnès a attaché
une lettre à la pierre qu’elle a lancée à Horace, Arnolphe découvre en
effet d’une part, que sa pupille répond à l’amour du galant, d’autre part
que la jeune fille est loin d’être innocente et modelable comme il le
croyait : elle a feint la soumission pour mieux le duper et saurait donc,
autant qu’une autre, tromper son mari. Il prend enfin conscience que
son projet de mariage pourrait être à nouveau contrecarré, si Agnès
parvenait à s’échapper du logis où il la tient séquestrée.
2 Molière aurait pu représenter la scène amoureuse entre les deux
jeunes gens. Les détracteurs de L’École des femmes ont d’ailleurs
critiqué son manque d’action, inhabituel pour une comédie, tout en
jugeant invraisemblable qu’une jeune fille comme Agnès pût soule-
ver un « grès »... Ce dernier argument est fort discutable : nous ne le
retiendrons pas comme un motif justifiant le recours au récit. Il semble
du reste que le respect des règles de bienséance et de vraisemblance
ne soit pas le souci principal de Molière. Ce qui compte, ce n’est pas
tant l’action racontée que les effets du récit sur Arnolphe et le jeu d’in-
terlocution qui s’établit entre le narrateur et le narrataire. On devine
en effet la colère et le désespoir d’Arnolphe rendu spectateur de la
comédie qui le ridiculise. Dans son récit, Horace revient en effet sur
les précautions aussi nombreuses qu’inutiles du jaloux et fait ainsi
apparaître sous les yeux de l’intéressé un portrait satirique de lui-
même : « Cet homme, gendarmé d’abord contre mon feu,/ Qui chez
lui se retranche, et de grès fait parade ... ; Qui, pour me repousser ...
anime du dedans tous ses gens contre moi,/ Et qu’abuse à ses yeux,
par sa machine même ... » (927-932). La mortification d’Arnolphe ne
s’arrête pas là puisque Horace, sans cesse, sollicite son approbation
au récit des exploits de sa bien-aimée et l’invite à rire du ridicule de
Séquence 5 – FR20 59
l’oblige à rire d’un récit qui le ridiculise et face auquel il ne peut rien
répondre (comique de situation) ;
E la situation d’Arnolphe, défait, alors qu’il célébrait sa victoire :
60 Séquence 5 – FR20
Séquence 5 – FR20 61
62 Séquence 5 – FR20
Le terme « pathétique » vient du grec « pathos » qui signifie « la passion ». Le registre pathétique
vise à susciter l’émotion du lecteur, il essaie de le faire réagir devant une situation inhumaine,
de le bouleverser, d’exciter sa pitié, sa souffrance, son horreur voire sa terreur. Il peut se mêler à
une tonalité dramatique ou tragique. Les moyens mis en œuvre sont les suivants :
E champ lexical de la douleur ;
E rythmes syntaxiques chaotiques ;
E exclamations et interjections ;
E antithèses et oxymores ;
E répétitions ;
Réponses
Séquence 5 – FR20 63
64 Séquence 5 – FR20
Séquence 5 – FR20 65
66 Séquence 5 – FR20
Séquence 5 – FR20 67
68 Séquence 5 – FR20
I. Un échange burlesque
1. Un comique farcesque : la grossièreté et la trivialité du langage paysan
2. Un comique de caractère : Georgette, une naïveté enfantine qui fait rire
Séquence 5 – FR20 69
70 Séquence 5 – FR20
Questionnaire
IV. En conclusion…
8 À partir des réponses aux questions précédentes, montrez, dans un
paragraphe de conclusion, que Les Femmes savantes est une comédie
classique.
Séquence 5 – FR20 71
1 La pièce comporte cinq actes, comme dans les tragédies classiques.
Cette composition est considérée comme la meilleure par les théori-
ciens classiques, avec l’exposition dans l’acte I, le nœud à l’acte III et
le dénouement à l’acte V.
2 La comédie est écrite en vers, en alexandrins, comme la tragédie. La
forme poétique est tenue pour plus noble que la prose et apporte à
son auteur plus de considération en ce qu’elle suppose un plus grand
travail littéraire.
3 À travers les dialogues entre les deux sœurs puis entre les deux sœurs
et Clitandre, les scènes 1 et 2 fournissent au spectateur les informa-
tions essentielles pour comprendre l’intrigue. Armande et Henriette
sont sœurs et éprises du même jeune homme, Clitandre. Le cœur de
ce dernier allait initialement à Armande, mais celle-ci ayant repoussé
sa flamme pour se consacrer toute entière aux choses de l’esprit, il
s’est tourné vers Henriette et lui a demandé sa main. Armande pré-
tend trouver honteux que sa sœur dédaigne la philosophie pour se
marier, mais on comprend qu’elle est en fait jalouse d’Henriette. On
devine qu’elle sera un obstacle à cette union et qu’elle ne plaidera
pas le parti d’Henriette auprès de leur mère, qu’on imagine d’après ce
qu’en disent ses filles, vouée, comme Armande, au culte de l’esprit.
Le cœur de l’action sera donc, on le comprend, de savoir si Henriette
et Clitandre pourront se marier comme ils le souhaitent. On prévoit de
multiples péripéties venant entraver cette union.
4 À travers la discussion entre les deux sœurs, Molière aborde les ques-
tions de l’éducation des femmes et de la condition féminine. Les deux
sœurs et leur mère apparaissent émancipées et la figure du père et
du mari non tyrannique. Certes, Armande rappelle à Henriette qu’elle
a besoin du consentement « de ceux qui [lui] ont donné l’être » (v.
164) ; mais, dans le reste de l’échange, il n’est question que de leur
mère. On imagine que c’est d’elle, surtout, que dépend le sort d’Hen-
riette et que le père est plus effacé. La mère est, en outre, présen-
tée comme une femme entièrement dédiée à la culture de l’esprit.
Si le thème abordé est identique à celui de L’École des femmes, la
problématique est donc bien différente : loin de condamner les pères
et maris qui laissent les femmes ignares, Molière critique, par une
présentation ridicule d’Armande, l’aspiration de certaines femmes à
n’être qu’esprit ! Par là, Les femmes savantes se rapprochent davan-
tage des Précieuses ridicules, comédie donnée en 1659, avant L’École
des femmes, où Molière raille le mouvement de la préciosité, ou tout
au moins la recherche excessive d’élégance et de spiritualité de cer-
taines précieuses.
5 Dans ces deux scènes, le comique naît du caractère de Philaminte,
de son extravagance et de ses contradictions : éprise de Clitandre et
aimée en retour, elle a refusé de l’épouser, considérant le mariage
comme une aliénation ; à présent que Clitandre a trouvé une femme
72 Séquence 5 – FR20
Séquence 5 – FR20 73
74 Séquence 5 – FR20
Sommaire
Séquence 6 – FR20 1
Chapitre 1 Chapitre 3
2 Séquence 6 – FR20
Séquence 6 – FR20 3
métrique).
E Identifier et analyser le registre lyrique.
Pour atteindre ces objectifs, nous vous proposons trois types de lecture
de textes poétiques. La lecture cursive et analytique de groupements de
textes, et l’étude plus approfondie d’un recueil, les Poèmes saturniens
de Paul Verlaine. Ces lectures seront accompagnées de fiches méthode
et d’éléments de cours qui vous permettront de circuler dans la séquence
et de vous approprier la poésie des XIXe et XXe siècles.
4 Séquence 6 – FR20
E L’appel du lointain.
Séquence 6 – FR20 5
3. L’appel du Lointain
Cet idéalisme des poètes de la première moitié du XIXe siècle va éga-
lement se manifester dans le thème du voyage et de l’exotisme. On
cherche alors à restituer une atmosphère orientale ou orientalisante.
L’étranger attire les poètes romantiques parce qu’il permet d’explorer de
nouveaux paysages intérieurs.
Victor Hugo, dans l’un de ses plus fameux recueils, Les Orientales, s’in-
génie à associer la forme des vers à celles des minarets orientaux. Ainsi,
les « Djinns » sont des poèmes en forme de tours, comportant des vers
très courts qui imitent cette forme architecturale propre à l’orient. Ce
travail formel s’accompagne d’une véritable curiosité pour les mœurs
exotiques. La poésie décrit les coutumes et des habitudes de vie qui
dépaysent le lecteur. L’appel du lointain correspond donc à un besoin
d’évasion dont s’empare la poésie romantique. Mais cette intrusion
de l’exotisme dans la poésie correspond aussi à un idéal politique.
Ainsi, dans son recueil Les Orientales, Hugo rend hommage à la Grèce
et exprime son philhellénisme (amour de la Grèce et de sa culture). Il
témoigne aussi de sa ferveur pour un grand poète que les romantiques
français admirèrent : Lord Byron (voir exercice autocorrectif n° 2).
Sous un registre légèrement différent, Musset publie Les Contes d’Es-
pagne et d’Italie en 1830. Comme le titre l’indique, le poète situe sa poé-
sie dans le cadre chatoyant de deux pays méditerranéens. Ce choix lui
permet d’exploiter certains clichés esthétiques, c’est-à-dire des images
connues des lecteurs et qui renvoient aux mœurs italiennes ou espa-
gnoles.
6 Séquence 6 – FR20
Séquence 6 – FR20 7
Conseils de méthode
8 Séquence 6 – FR20
Fantaisie
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber2,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.
5 Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,
Puis un château de brique à coins de pierre,
10 Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
15 Que dans une autre existence peut-être3,
J’ai déjà vue... et dont je me souviens4 !
Séquence 6 – FR20 9
Réponses
10 Séquence 6 – FR20
Séquence 6 – FR20 11
Conclusion
Typique de l’art de Nerval, ce poème à l’atmosphère musicale et vapo-
reuse des rêves et des souvenirs distille une douceur subtile et apai-
sante. Dans son poème, Nerval crée un climat propre à la nostalgie
par le jeu de réminiscences qui le fonde. Il part du présent et plonge
le lecteur dans le passé, grâce à des notations auditives et visuelles.
Enfin, la richesse des rimes et la musicalité des vers décasyllabiques
confèrent à ce poème un charme irrésistible.
Fonction du poète
(…)
70 Dieu le veut, dans les temps contraires,
Chacun travaille et chacun sert.
Malheur à qui dit à ses frères :
Je retourne dans le désert !
Malheur à qui prend ses sandales
75 Quand les haines et les scandales
12 Séquence 6 – FR20
5. Au XIXe siècle, on écrit encore poëte. La graphie poète est plus récente.
Séquence 6 – FR20 13
Réponses
1 Le poème de Victor Hugo comporte une apostrophe qu’il adresse
aux « Peuples » (v.276). Ce choix indique que le poète s’adresse à la
multitude, non à un individu particulier. Il veut que son message soit
entendu de tous et revête un caractère universel. Le pluriel du mot
« Peuples ! » suggère également que Victor Hugo ne s’adresse pas à
un peuple en particulier, mais à l’ensemble des Hommes. Cette ma-
nière d’apostropher le peuple rappelle à la fois un discours biblique et
religieux, mais aussi politique.
14 Séquence 6 – FR20
3 Le poème, issu du recueil Les Rayons et les Ombres comporte le réseau
lexical de la lumière. On peut ainsi relever le mot « torche », le verbe
« flamboyer » et l’expression « front éclairé ». La dernière strophe est
structurée autour de la métaphore de la lumière, grâce aux termes
« rayonne », « flamme », « fait resplendir », « clarté », « lumière ».
Tout ce réseau lexical exprime une idée assez évidente, selon laquelle
le poète est porteur de lumière, c’est-à-dire de vérité. En effet, sur le
plan symbolique, la lumière est symbole de vérité : « Car la poésie est
l’étoile ». Hugo assimile donc le poète à un guide qui possède la lu-
mière et peut guider ceux qui sont dans « l’ombre ». Le réseau lexical
des ténèbres (« nuit », « ombres » x 2, « flancs sombres ») s’oppose
ainsi à celui de la lumière. Le poète sort victorieux de ce combat sym-
bolique.
Séquence 6 – FR20 15
Conclusion
Pour Victor Hugo, le poète doit guider les peuples, sans descendre dans
l’arène politique. Prophète, annonciateur de l’avenir, inspiré par « l’éter-
nelle vérité », il ne se limite pas à la poésie pure - ce qui serait trahir
sa mission. Cette conviction propre à Victor Hugo s’amplifiera avec le
temps, et après 1830 deviendra la tendance dominante chez les roman-
tiques.
À 22 ans, Musset écrivait « Je suis venu trop tard dans un monde trop
vieux » (Rolla). Alfred de Musset est né en 1810, il est donc issu d’une
génération d’artistes née pendant l’épopée napoléonienne, il éprouve
donc le sentiment d’être arrivé trop tard pour être un héros. C’est ce
que le poète rappelle aussi dans les premières pages de son roman La
16 Séquence 6 – FR20
Tristesse
J’ai perdu ma force et ma vie,
Et mes amis et ma gaîté ;
J’ai perdu jusqu’à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.
5 Quand j’ai connu la Vérité,
J’ai cru que c’était une amie ;
Quand je l’ai comprise et sentie,
J’en étais déjà dégoûté.
Et pourtant elle est éternelle,
10 Et ceux qui se sont passés d’elle
Ici-bas ont tout ignoré.
Dieu parle, il faut qu’on lui réponde.
— Le seul bien qui me reste au monde
Est d’avoir quelquefois pleuré.
Musset, Poésies (1840)
Séquence 6 – FR20 17
18 Séquence 6 – FR20
Séquence 6 – FR20 19
Chapitre
1 lyrique
Fiche méthode
Comment identifier le registre lyrique ?
Le registre lyrique désigne l’expression personnelle des sentiments. La
poésie romantique est souvent associée au registre lyrique, parce que
les poètes se sont impliqués dans leur poésie. En exprimant leurs regrets
et leurs espoirs, les poètes romantiques ont renouvelé les modalités
d’expression lyrique qu’on rencontre déjà dans d’autres mouvements
culturels et artistiques, notamment au XVIe siècle.
20 Séquence 6 – FR20
Fiche Méthode
méthode
poète et son sentiment d’impuissance face au temps qui passe.
Commentaire : Dans ce poème, la nature entoure les protagonistes désignés par le pro-
nom « nous ». Le réseau lexical dévoile en effet sa très forte présence
dans le poème. Le caractère agité du paysage traduit l’inquiétude des
deux promeneurs et leur isolement aussi. La nature est personnifiée,
semble respirer autour des personnages.
Séquence 6 – FR20 21
Commentaire : Dans ce poème, la poétesse semble plongée dans son passé amoureux,
comme le suggère l’entrelacement des réseaux lexicaux de l’amour et
du regret. L’exclamation qui referme la strophe sur le mot « souvenir »
indique bien toute l’importance des regrets dans l’univers de la femme
et de la poétesse.
8. Lamartine écrivit ce recueil en Italie en 1826-1827 qu’il présentait comme un ensemble d’ « hymnes » ou de
« Psaumes modernes ». Certains poèmes de ce recueil inspirèrent à Frantz Liszt un cycle d’œuvres pour piano sous
le même titre.
22 Séquence 6 – FR20
Séquence 6 – FR20 23
24 Séquence 6 – FR20
1 Plus qu’un rêve, c’est un cauchemar qui est décrit ici. Comme dans
les rêves, les images semblent se succéder sans logique, comme une
série de visions inquiétantes qui n’ont pas vraiment de liens entre elles
(« Ce furent d’abord… », « Ce furent ensuite… », « Ce furent enfin… »),
sinon l’horreur qu’elles décrivent. Ainsi, le poème en prose d’Aloy-
sius Bertrand est-il découpé en couplets (persistance d’une structure
strophique) qui à chaque fois introduisent un nouvel élément dans le
rêve. Le registre fantastique est donc créé par les thèmes gothiques
(bourreau, chapelle, crimes, etc.), mais aussi par le rythme chaotique
de cette vision nocturne. La chute du poème qui évoque « le réveil »
nous prouve enfin qu’il s’agit d’un rêve.
2 Le dessin d’Aloysius Bertrand qui illustre son recueil renvoie à l’uni-
vers du cauchemar et du grotesque. Une gigantesque lune grimaçante
à l’arrière-plan regarde un pendu visible au premier plan, dans un
cadre urbain défini essentiellement par des clochers ou des construc-
tions élevées, à la dominante verticale rappelant la raideur définitive
du corps du pendu. On retrouve ici l’atmosphère d’« Un rêve », avec
des éléments réalistes et fantastiques qui se croisent pour créer un
univers original. On peut associer l’éclairage du poème (une lumière
nocturne) à cette illustration évoquant un clair de lune maléfique.
Séquence 6 – FR20 25
26 Séquence 6 – FR20
3. La poésie symboliste
Les liens entre le Parnasse et le symbolisme sont nombreux, même si
l’on considère que d’un point de vue chronologique, le symbolisme
intervient après le Parnasse, à partir des années 1870. Comme le mot
l’indique, la poésie symboliste puise dans l’imaginaire des symboles
pour construire ses œuvres. Le mouvement symboliste ne concerne pas
seulement la poésie, mais aussi la peinture et le théâtre. C’est un autre
mode de réaction au romantisme.
Séquence 6 – FR20 27
28 Séquence 6 – FR20
La Rose-thé
La plus délicate des roses
Est, à coup sûr, la rose-thé.
Son bouton aux feuilles mi-closes
De carmin à peine est teinté.
5 On dirait une rose blanche
Qu’aurait fait rougir de pudeur,
En la lutinant sur la branche,
Un papillon trop plein d’ardeur.
Son tissu rose et diaphane
10 De la chair a le velouté ;
Auprès, tout incarnat se fane
Ou prend de la vulgarité.
Comme un teint aristocratique
Noircit les fronts bruns de soleil,
15 De ses sœurs elle rend rustique
Le coloris chaud et vermeil.
Mais, si votre main qui s’en joue,
À quelque bal, pour son parfum,
La rapproche de votre joue,
20 Son frais éclat devient commun.
Il n’est pas de rose assez tendre
Sur la palette du printemps,
Madame, pour oser prétendre
Lutter contre vos dix-sept ans.
Séquence 6 – FR20 29
30 Séquence 6 – FR20
Voici une proposition de plan, qui tout en prenant en compte les diffé-
rents niveaux de lecture, répond à la question posée.
I. Portrait d’une rose
Une première lecture du poème laisse supposer que Gautier décrit une
rose dont la teinte si particulière est pour lui source d’inspiration. Il se
situe d’emblée dans la tradition poétique qui fait des motifs floraux un
lieu commun de la poésie sentimentale et lyrique.
II. Portrait d’une femme
Mais ce portrait de la rose sert de contrepoint au portrait d’une femme,
qui se dessine par comparaison avec la fleur. Là encore, Gautier explore
le motif de la femme et de la rose, de la beauté naturelle comme signe
d’élection. Le portrait qui apparaît est louangeur, et l’on relève de nom-
breuses formules mélioratives qui font penser à l’art du blason.
III. Principes du Parnasse
L’on peut finalement lire ce poème dans une perspective métalittéraire
(c’est-à-dire qui dépasse le cadre de la fiction littéraire), et, sous l’appa-
rence d’un poème d’amour, Gautier applique les principes du Parnasse
et en formule les règles implicitement. En effet, Gautier nous fournit des
clés de lecture pour décrypter sa théorie de l’Art pour l’Art : la poésie
n’a pas d’autre but qu’elle-même, elle est conçue pour créer la beauté
musicale et visuelle.
Séquence 6 – FR20 31
La Beauté
Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.
5 Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;
J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
Les poètes, devant mes grandes attitudes,
10 Qu’on dirait que j’emprunte aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d’austères études ;
Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font les étoiles plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !
Baudelaire, Les Fleurs du mal, XVII
1 Quelle est la forme du poème choisi par Baudelaire ? Quel type de vers
emploie-t-il ?
2 Que décrit Baudelaire dans son poème ? Comment procède-t-il pour
rendre vivante sa description ?
3 Comment peut-on interpréter l’allusion au Sphinx ?
4 Qu’est-ce qu’un hymne ? Consultez le dictionnaire. Dites ensuite pour-
quoi on peut parler ici d’hymne à la beauté.
5 Proposez un plan détaillé pour une question d’ensemble : Quelle place
et quelle fonction Baudelaire accorde-t-il à la Beauté dans son poème ?
Réponses
32 Séquence 6 – FR20
Séquence 6 – FR20 33
accèdent à celle-ci.
Conclusion
La Beauté ici s’impose comme la forme privilégiée de l’Idéal ; par
la dévotion à la Beauté, le poète s’échappe de la laideur de l’uni-
vers quotidien, du « spleen ». Pour reprendre les mots mêmes de
Baudelaire, elle suscite chez lui « une extase faite de volupté et de
connaissance ». De fait, cette volupté est purement intellectuelle car
appartenant au domaine de l’esprit. C’est pourquoi le poète lui voue
un véritable culte. Elle apparaît aussi comme fascinante et cruelle,
au point d’inquiéter dans un autre poème intitulé « L’hymne à la
beauté », à la fois ange et démon.
34 Séquence 6 – FR20
Séquence 6 – FR20 35
36 Séquence 6 – FR20
Activité TICE
– Consultez notamment sur la peinture symboliste le site www.cineclub-
decaen.com. Cliquez sur l’onglet « Symbolisme » pour accéder aux
œuvres et à la présentation de ce courant pictural.
– Au croisement de la littérature et de la peinture. Rendez-vous sur le site
consacré depuis 2011 à Théophile Gautier : http://www.theophilegautier.fr.
Prenez connaissance de sa biographie et de son œuvre.
Le Musée Gustave Moreau a accueilli en 2011 une exposition temporaire
consacrée au poète Théophile Gautier. Cette exposition a été organisée
dans une double perspective :
tout d’abord, l’année 2011 a fêté le bicentenaire de la naissance du
E
Analyse d’image
Regardez en page suivante le tableau de Böcklin, L’Île des Morts. Que
représente-t-il ? Quel est l’effet produit sur celui qui le regarde ?
Vous pouvez le regarder plus en détail sur le site www.cineclubdecaen.com.
Séquence 6 – FR20 37
De nombreux auteurs ont écrit des arts poétiques, même s’ils n’ont pas
nécessairement choisi cette appellation pour les désigner. On peut cepen-
dant retenir plusieurs œuvres majeures, à commencer par L’Art poétique
d’Horace, dans lequel le poète latin présente les règles de composition
poétiques et théâtrales. Car souvent, les arts poétiques ne concernent
pas seulement la poésie, mais aussi les autres genres littéraires. C’est le
cas du célèbre Art poétique de Boileau (1674), dans lequel l’homme de
lettres propose un système qui s’applique aux règles de la composition
des vers, mais aussi des pièces de théâtre, des épopées en vers, etc. La
vogue des « arts poétiques » ne disparaît pas après le XVIIe siècle. Elle
perdure durant les XVIIIe et XIXe siècles, à travers les écrits de Diderot
ou de Victor Hugo dont la « Préface » de Cromwell peut être considérée
comme l’art poétique du théâtre romantique. La tradition ne se perd pas
non plus du côté de la poésie, comme le montre l’exemple de Verlaine.
Séquence 6 – FR20 39
L’Île des Morts est un tableau assez envoûtant qui représente une barque
qui accoste sur une île couverte de cyprès, arbre symbole d’éternité qu’on
rencontre souvent dans les cimetières. Une ombre blanche domine sur
la barque, qui évoque Charon, le passeur des enfers. Sa posture montre
qu’il conduit la barque. Ce sujet a été inspiré de la mythologie antique.
Charon en effet était chargé de traverser le Styx en compagnie des morts
et de prendre soin de leur âme.
Le peintre Böcklin, hanté par la mort, rend ici un hommage artistique de
premier ordre au mythe antique qu’il revivifie.
40 Séquence 6 – FR20
Fiche méthode
Chapitre
1
Fiche méthode
La poésie crée un langage original tout en s’appuyant parfois sur cer-
taines règles. On distingue ainsi la poésie régulière de la poésie libre.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la poésie est le plus souvent de forme régu-
lière. Avec le XXe siècle, les formes libres se développent. Les éléments
suivants vous permettront de réviser les principaux éléments relatifs à la
versification française.
A Le vers
À l’origine, le vers est destiné à être chanté et suit la mesure. L’unité de
mesure du vers français est la syllabe. On retiendra trois manières de
rythmer le vers :
E les rimes indiquées par le même son à la fin du vers.
E les accents : ce sont des marques qui accentuent certains mots plutôt
que d’autres, selon la place qu’ils occupent dans le vers.
E les pauses : ce sont des coupes dans le vers qui isolent des groupes
de syllabes.
Notions à retenir
Séquence 6 – FR20 41
E hexasyllabe pour 6.
La poésie classique admet très rarement des vers de moins de sept syl-
labes (heptasyllabes), préférant plutôt les vers de huit (octosyllabes), dix
(décasyllabes) ou douze syllabes (alexandrins).
42 Séquence 6 – FR20
Fiche méthode
Ces termes désignent les différences qui peuvent exister entre la lon-
gueur d’un vers et la phrase. En effet, un vers ne correspond pas néces-
sairement à une phrase.
L’enjambement
Il y a enjambement lorsque la phrase ne s’arrête pas à la fin du vers, mais
déborde jusqu’à la césure ou à la fin du vers suivant. Il marque un mou-
vement qui se développe, un sentiment qui s’amplifie, l’expression d’un
sentiment qui dure. La construction syntaxique (structure de la phrase) a
des incidences poétiques (effet produit sur le lecteur).
Exemple : Nous avons aperçu les grands ongles marqués
Par les loups voyageurs que nous avions traqués.
Alfred de Vigny, Les Destinées, « La mort du loup »
Le rejet
Quand un ou deux mots de la phrase sont placés au début du vers sui-
vant. Les poètes ne s’autorisaient l’expansion sur le vers suivant qu’ex-
ceptionnellement à des fins expressives.
Exemple : Et dès lors, je me suis baigné dans le poème
De la mer, infusé d’astres et lactescent
Rimbaud, Poésies, « Le bateau ivre »
Lorsqu’il est situé à la fin du vers précédent, c’est un contre-rejet.
B Le rythme
La coupe dans un vers est représentée par le signe /, la césure est maté-
rialisée par // car c’est une coupe majeure dans un vers de plus de huit
syllabes. La césure divise le vers en deux hémistiches.
Le rythme binaire scinde le vers en deux.
Exemple : « Ô rage ! Ô désespoir ! // Ô vieillesse ennemie ! 3/ 3 // 3/ 3
N’ai-je donc / tant vécu // que pour cet / te infamie ? » 3/ 3// 3/ 3
Pierre Corneille, Le Cid
Le rythme binaire a souvent une valeur affective, il traduit des émotions
qui n’arrivent pas à se poser, qui sont extériorisées par jets.
Le rythme ternaire découpe le vers en trois mesures égales. Il exprime
l’ordre, l’équilibre. Il est très employé en poésie car il exprime une cer-
taine harmonie, une régularité.
Séquence 6 – FR20 43
C La rime
La rime – répétition d’un son identique en fin de vers- peut être définie
selon sa nature et sa disposition.
La versification française connaît principalement trois types de rimes :
E Les rimes suivies (schéma : AABBCCDD, etc.)
44 Séquence 6 – FR20
46 Séquence 6 – FR20
Séquence 6 – FR20 47
3. À
propos de la lecture d’un recueil poé-
tique : conseils de méthode
On ne lit pas un recueil de poésie comme on lit une pièce de théâtre
ou un roman. Dans le cas des Poèmes saturniens, vous avez affaire à
un recueil scindé en sections qui elles-mêmes comportent un certain
nombre de poèmes. Pour bien maîtriser votre recueil, il faut lire plu-
sieurs fois chaque poème, et de préférence à haute voix. Pourquoi ?
La lecture à haute voix permet d’entendre concrètement la musique de
Verlaine, si particulière. Elle vous permettra aussi de vérifier vos compé-
tences en termes de versification.
Le découpage en sections peut faciliter votre appropriation du recueil.
En effet, vous pouvez retenir les poèmes de chaque section, concentrée
autour d’une thématique spécifiée dans le titre. Conçu comme un vaste
ensemble constitué de sous-ensembles, le recueil obéit à sa logique
propre. Pour comprendre cette « logique » et entrer dans l’univers de
Verlaine, rien ne remplace plusieurs lectures.
48 Séquence 6 – FR20
Poèmes saturniens
Prologue
Mélancholia
Eaux-fortes
Paysages tristes
Caprices (jusqu’à « Monsieur Prudhomme »)
Autres poèmes (de « Initium à « La mort de Philippe II »)
Épilogue
Séquence 6 – FR20 49
1. Le lyrisme verlainien
Introduction
« Mon rêve familier » est l’un des poèmes les plus célèbres de Verlaine.
Le poète utilise la forme traditionnelle de l’alexandrin, tout en lui appor-
tant sa touche personnelle. La présence et l’implication du poète dans
ses vers sont fortes. C’est la raison pour laquelle « Mon rêve familier » se
présente comme le poème de l’intimité dévoilée. Mais en même temps,
ce poème de jeunesse dévoile déjà « l’écriture impressionniste » de
Verlaine, qui s’ingénie à créer un flou autour du « rêve ». Les éléments
relatifs à la perception sont troublés, et Verlaine introduit un climat d’in-
certitude au point de semer le doute sur l’existence de la femme décrite…
50 Séquence 6 – FR20
Séquence 6 – FR20 51
52 Séquence 6 – FR20
2. L’inspiration picturale
Introduction
Dédiée au poète François Coppée, la section « Eaux-Fortes » compte cinq
poèmes parmi lesquels « Effet de nuit ». Le titre nous renvoie d’emblée
à l’inspiration picturale de Verlaine, puisqu’on emploie volontiers cette
expression pour évoquer la peinture flamande du XVIIe siècle, en par-
Séquence 6 – FR20 53
Effet de nuit
Réponses
54 Séquence 6 – FR20
Séquence 6 – FR20 55
Introduction
« Effet de nuit » se trouve dans la section « Eaux fortes ». Le titre du
poème et la section dont il est issu pourraient nous laisser supposer que
Verlaine décrit quelque tableau d’inspiration gothique et fantastique. Il
faut donc ici rappeler les qualités picturales de la poésie de Verlaine, sa
capacité à écrire et à décrire en peintre. Il revisite des thèmes connus
du romantisme : scènes nocturnes, inspiration gothique, ambiance
macabre, etc. Mais il ajoute sa touche personnelle, qu’on a parfois
qualifiée d’impressionniste, en référence au mouvement pictural de la
seconde moitié du XIXe siècle.
Plan d’étude
I. Une scène nocturne et inquiétante
1. Le climat (le froid, la pluie)
2. La nuit (le lexique de la couleur sombre)
3. La nature hostile (végétation piquante, peu agréable)
Conclusion
Le poème est marqué par un climat fantastique et inquiétant. Pour créer
cette atmosphère, Verlaine a recours à trois éléments qu’il combine. Tout
d’abord, il crée un décor nocturne. Au premier plan, se dessine une ville
sous la pluie. Puis, grâce à un élargissement du champ, la description
ouvre sur une plaine où se trouve « un gibet ». Le gibet est connoté de
manière fantastique, puisque, selon la légende, la plante magique de la
mandragore poussait sous les cadavres des pendus. Peut-être Verlaine
se souvient-il ici d’un célèbre poème d’Aloysius Bertrand, intitulé « Le
Gibet » ? Le troisième élément, la marche des prisonniers, déplace le
56 Séquence 6 – FR20
Séquence 6 – FR20 57
Test de lecture
1 À qui est dédié le recueil ? Commentez ce choix.
Le recueil est dédié à Victor Hugo. Quand il paraît, Hugo est sur le point
de rentrer de plus de quinze ans d’exil. C’est le poète le plus célèbre
du siècle. Il est non seulement connu pour ses nombreux recueils, mais
aussi pour ses prises de position politiques. Il s’est en effet opposé de
manière virulente à Napoléon le Petit, c’est-à-dire Napoléon III, le petit
neveu de Bonaparte. Hugo incarne donc la Poésie sous tous ses aspects.
En dédiant son recueil à Hugo, Verlaine fait donc acte d’allégeance, tout
en montrant que Hugo est le précurseur de bien des mouvements litté-
raires de la seconde moitié du XIXe siècle. En effet, Victor Hugo échan-
gera une correspondance avec certains d’entre eux et les fréquentera à
la fin de sa vie.
2 Combien de sections comporte le recueil ?
58 Séquence 6 – FR20
7 Pourquoi, à votre avis, Verlaine a-t-il encadré son recueil d’un « Prolo-
gue » et d’un « Épilogue » ?
« Prologue » et « épilogue » appartiennent normalement à l’univers de la
tragédie grecque. On peut donc, dans un premier temps, y lire un hom-
mage à la littérature ancienne, comme le confirme le premier vers du
recueil « Les sages d’autrefois… ». En se plaçant ainsi sous le signe de la
sagesse antique, Verlaine obéit aux règles des poètes du Parnasse qui
se présentaient comme les successeurs de la beauté antique. Le choix
d’un prologue et d’un épilogue oriente aussi la lecture du recueil grâce
à sa structure.
En général, le prologue ne constitue pas vraiment une « introduction »,
mais plutôt une entrée en matière sous la forme d’une méditation. C’est
bien ce qu’effectue Verlaine en justifiant, dans son prologue, le titre de
son recueil.
À l’inverse, l’épilogue est une manière de conclure indirectement, en se
projetant dans un « au-delà du recueil ». Dans le cas des Poèmes satur-
niens, l’épilogue fait directement écho au prologue, puisqu’il résume les
pensées du Poète et son Idéal.
Séquence 6 – FR20 59
60 Séquence 6 – FR20
A Poésie et modernité
1. Avant le surréalisme
La coupure entre la poésie du XIXe siècle et du XXe siècle n’est cependant
pas si nette. Des poètes comme Gérard de Nerval, Aloysius Bertrand
ou Lautréamont ont exploré les confins du rêve et de la folie dans leur
œuvre poétique. Les avant-gardes poétiques du début du XXe siècle vont
se souvenir de ces poètes hallucinés et suivre la voie de l’onirisme et du
« surréel ». Les découvertes de la psychanalyse, sous l’impulsion de Sig-
mund Freud, vont également libérer les facultés poétiques et permettre
d’explorer d’autres territoires.
Les avancées de la poésie au début du XXe siècle sont à la fois liées à un
climat socioculturel (veille du premier conflit mondial), mais aussi aux
innovations dans le monde des arts en général : naissance du cinéma,
création de nouvelles formes picturales. C’est en effet la peinture qui
donne l’élan de renouvellement des formes. Le cubisme, qui se développe
dans les premières années du XXe siècle, sous l’impulsion des peintres
Georges Braque et Pablo Picasso, propose de représenter autrement le
monde. Les principes du cubisme vont largement influer ceux de la moder-
nité poétique. Apollinaire, ami des peintres et des artistes, va en effet
promouvoir cette nouvelle esthétique qui s’appuie sur les théories de
Paul Cézanne. Or sa défense du cubisme repose sur une idée très neuve
qui va influer sur la notion même d’inspiration poétique. Pour Apollinaire
en effet, il faut détruire la notion de « Dieu » et cesser de vouer un culte
à la Nature (il s’oppose en cela aux principes du romantisme). Il faut être
Séquence 6 – FR20 61
monde nouveau) ;
E négation de Dieu et des grands principes idéalistes ;
62 Séquence 6 – FR20
3. Principes du surréalisme
Le mot « surréalisme » apparaît pour la première fois sous la plume de
Guillaume Apollinaire. Le mouvement surréaliste se développe au len-
demain de la première Guerre mondiale. Il va durablement influencer
la poésie et les arts, au-delà de la seconde Guerre mondiale et jusqu’à
nous.
Séquence 6 – FR20 63
Surréalisme - Définition
Sur le plan formel, les principes surréalistes ont les conséquences sui-
vantes :
E déstructuration du vers ;
E absence de rimes ;
E recours au vers libre ;
64 Séquence 6 – FR20
B Aspects du surréalisme
Voici le dernier groupement de textes de la séquence que vous lirez de
manière cursive :
Lectures cursives - Guillaume Apollinaire, « Il y a », Poèmes à Lou (1914-1915),
- Jean Cocteau, « Rien ne m’effraye plus… », Plain-chant (1923),
- Robert Desnos, « Un jour qu’il faisait nuit », Corps et biens (1930),
- Paul Éluard, « Le miroir d’un moment », Capitale de la douleur (1926).
Ces quatre poèmes sont enregistrés sur le CD audio n°2.
Écoutez chacun d’eux deux fois afin de vous familiariser avec la moder-
nité de leur écriture.
Séquence 6 – FR20 65
66 Séquence 6 – FR20
2. Expériences du surréel
Texte 2 Jean Cocteau, Plain-chant, 1923
Jean Cocteau a fréquenté le groupe des surréalistes dès qu’il s’est formé,
après la première Guerre mondiale. Mais dès le début du siècle, il a participé
au renouveau de la poésie en s’impliquant dans toutes les avant-gardes de
son siècle. Le génie de Cocteau s’exerce dans toutes les formes d’art : célèbre
pour ses dessins d’inspiration antique, il est également le réalisateur de
chefs-d’œuvre cinématographiques, au premier rang desquels, La Belle et la
Bête et L’Éternel retour, inspiré du mythe d’Orphée. Toute l’œuvre de Cocteau
est habitée par le monde du rêve et du sommeil. Dans son recueil Plain-chant
(1923), plusieurs poèmes évoquent cet état intermédiaire où la conscience
s’enfonce dans les songes, des plus beaux rêves aux pires cauchemars…
Séquence 6 – FR20 67
Synthèse :
Quelle fonction poétique Cocteau accorde-t-il au sommeil ?
68 Séquence 6 – FR20
Séquence 6 – FR20 69
70 Séquence 6 – FR20
Fiche méthode
Chapitre
1 et formes libres
Fiche méthode
La poésie suit tantôt des règles, tantôt se montre totalement libre dans
sa versification. On appelle formes fixes les poèmes qui obéissent à
des règles de versification précises, tandis que les formes libres suivent
l’inspiration et l’imagination du poète, sans se soucier de contraintes
formelles.
1. Le sonnet
Inventé par le poète Italien Pétrarque, le sonnet est composé de deux
quatrains et de deux tercets.
Les poètes du XVIe siècle l’ont souvent employé, tels que Ronsard et du
Bellay. C’est l’une des formes poétiques les plus employées, y compris
au XXe siècle.
Le sonnet présente des rimes embrassées dans les deux premiers qua-
trains, mais dans les deux tercets, les rimes deviennent suivies ou croisées.
Le sonnet est composé de vers en alexandrins, décasyllabes ou octosyllabes.
Séquence 6 – FR20 71
2. La ballade
La ballade est née au Moyen-Âge. Elle comporte trois strophes en octosyl-
labes ou décasyllabes puis la moitié d’une strophe (un quatrain) qu’on
appelle envoi. L’envoi désigne le destinataire de la ballade. Chaque
strophe s’achève par un même vers, qui constitue un refrain. La ballade
obéit à la règle rimique suivante : ABABBCBC.
3. Le rondeau
Le rondeau est également issu de la poésie du Moyen-Âge. Il compte
quinze, treize ou douze vers. Il ne comporte que deux rimes, réparties
en strophes fixes : un quatrain, un tercet, un quintil (5 vers). Le premier
vers réapparaît sous la forme d’un refrain à la fin de la deuxième et de la
troisième strophe.
Le schéma de la rime peut suivre deux directions : ABBA+ABA+ABBAA ou
bien CDCD+DCC+DCDCC.
Le rondeau est écrit en octosyllabes.
72 Séquence 6 – FR20
Fiche Méthode
À partir de la fin du XIXe siècle, les poètes explorent de nouvelles formes
poétiques et inventent des formes personnelles qui n’obéissent plus à
de strictes lois formelles. L’émergence du poème en prose, au cours du
XIXe siècle, fait partie des inventions les plus originales de la poésie.
Le travail des formes libres porte principalement sur une recherche de la
disposition des vers sur la page :
E Calligrammes (vers qui forme un dessin) ;
E Vers uniques sur la page ;
E Déconstruction du vers (vers de mètres irréguliers, retraits importants) ;
Le poème en prose
Le poème en prose emprunte ses caractéristiques esthétiques à la poé-
sie comme à la prose. Il ne se présente pas sous une forme versifiée, ne
présente pas de retour à la ligne, mais comporte de nombreux procédés
qui appartiennent à la poésie en vers : anaphores, jeux avec les sono-
rités, travail du rythme. Le poème en prose obéit souvent à une logique
interne, centrée sur une thématique, un élément descriptif ou narratif.
« Écoute ! - Écoute ! - C’est moi, c’est Ondine qui frôle de ces gouttes
d’eau les losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons
de la lune ; et voici, en robe de moire, la dame châtelaine qui contemple
à son balcon la belle nuit étoilée et le beau lac endormi.
Séquence 6 – FR20 73
un sentier qui serpente vers mon palais, et mon palais est bâti fluide, au
fond du lac, dans le triangle du feu, de la terre et de l’air.
« Écoute ! - Écoute ! - Mon père bat l’eau coassante d’une branche d’aulne
verte, et mes sœurs caressent de leurs bras d’écume les fraîches îles
d’herbes, de nénuphars et de glaïeuls, ou se moquent du saule caduc et
barbu qui pêche à la ligne ! »
74 Séquence 6 – FR20
1 Dans son poème, Apollinaire choisit des vers libres dont le mètre est
irrégulier. Les vers ne présentent pas de système de rimes visibles à la
fin des vers. On comprend que le poète laisse libre-cours à son ima-
gination, ce qui ne signifie pas qu’il néglige le rythme et la musica-
lité, bien au contraire. On observe ainsi un jeu sur les assonances et
les allitérations qui accompagnent le mouvement du poème. Ainsi le
vers « Il y a les longues mains souples de mon amour » joue avec les
sonorités douces en [ou-on-ain] qui expriment la tendresse éprouvée,
même de loin, pour la femme aimée.
Séquence 6 – FR20 75
76 Séquence 6 – FR20
Séquence 6 – FR20 77
78 Séquence 6 – FR20
Conseils méthodologiques
A
B Sujet de devoir bilan
Corpus
Texte A. A
lphonse de Lamartine, « Chant d’amour I », Nouvelles méditations
poétiques (1823)
Texte B. Arthur Rimbaud, « Roman », Poésies (1870)
Texte C. André Breton, « L’Union libre », Clair de terre (1931)
Texte D. P
aul Éluard, « Ses yeux sont des tours de lumière... », in L’Amour la
poésie (1929)
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Chant d’amour I
Naples, 1822.
80 Séquence 6 – FR20
Roman
Séquence 6 – FR20 81
L’Union libre
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Séquence 6 – FR20 83
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Questions (8 points)
Lisez attentivement les poésies suivantes et répondez aux questions.
1 Quelle est la thématique commune aux quatre poèmes ? Voyez-vous
des similitudes dans la manière de la traiter ? (2 points)
2 En quoi la forme des vers influe-t-elle sur la représentation des senti-
ments ? (3 points)
3 Quelle est la place du poète dans ces textes ? (3 points)
1. Dissertation
Dans « La Nuit de mai » (1835), Alfred de Musset écrit :
« Les chants désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j’en sais d’éternels qui sont de purs sanglots. »
De nombreux poètes, tels que Baudelaire, Musset, Rimbaud ou Apol-
linaire ont exprimé la douleur dans leurs œuvres. Pensez-vous comme
Musset que seule la poésie née de la douleur soit belle ? La fonction
de la poésie revient-elle à exprimer les sentiments déchirants de l’être
humain ?
Pour répondre à cette question, vous vous appuierez sur les textes du
cours, sur ceux du corpus, ainsi que sur vos connaissances personnelles
dans le domaine de la poésie.
2. Écriture d’invention
Dans une lettre que vous adressez à un(e) ami(e) vous lui expliquez
en quoi la poésie est un support privilégié pour exprimer le sentiment
amoureux. Pour écrire cette lettre, vous utiliserez à la fois les textes du
corpus et vos lectures personnelles. Vous veillerez à respecter la forme
épistolaire et à vous impliquer personnellement dans les appréciations
et les commentaires que vous proposez à votre interlocuteur (-trice).
Des conseils de méthode vous sont fournis entre crochets au fil du devoir
corrigé.
3. Commentaire
Vous ferez le commentaire du poème « Roman » d’Arthur Rimbaud.
Séquence 6 – FR20 85
Proposition de réponses
1 La thématique commune aux quatre poèmes est l’amour, décliné de
manière très différente de Lamartine à Éluard. C’est un lieu commun
de la poésie, et cependant chacun des poètes lui donne un contour
original. On peut néanmoins observer des traits communs dans
la manière d’exprimer ce sentiment universel, commun à tous les
hommes. Le premier concerne la place du lyrisme que chaque poète
accorde à son texte. En s’impliquant dans leurs vers, les poètes four-
nissent une vision subjective de l’amour. Ainsi, Lamartine exprime le
désir de ne faire qu’un avec son aimée, comme en témoigne l’image
de la symbiose :
2 La forme des vers a des implications sur la manière dont les poètes
représentent et mettent en scène les sentiments. Le corpus, qui
86 Séquence 6 – FR20
3 Dans les quatre poèmes, la place du poète est centrale. Il est au cœur
de son univers et des situations qu’il dépeint. On le note tout d’abord
par la présence de pronoms personnels ou d’éléments qui renvoient
au « je » poétique. Alphonse de Lamartine et André Breton emploient
la première personne du singulier, inscrivant explicitement leur pré-
sence dans leurs vers : « Laisse-moi, laisse-moi lire dans ta paupière,
Ma vie et ton amour ! » écrit Lamartine, dévoilant de manière osten-
sible et éloquente sa présence lyrique. On peut parler d’omniprésence
du « je » dans le poème d’André Breton qui rappelle sa présence de
manière récurrente grâce à l’anaphore « Ma femme ». On perçoit éga-
lement la présence de Rimbaud et d’Éluard dans leurs poèmes, même
si le « je » du scripteur n’apparaît pas. C’est que leur poésie est tour-
née vers l’extérieur, vers l’épisode raconté par Rimbaud, vers l’amour
décrit par Éluard. Même s’ils s’effacent derrière leur poème, Rimbaud
et Éluard restent très présents comme le signalent les marques de la
subjectivité qui jalonnent leurs poèmes. Dans le cas de Rimbaud, on
peut même dire que l’emploi du « vous » équivaut à un « je » travesti.
Quant au poème d’Éluard, l’emploi du « vous » dans le vers 34 « Ils
(= les mots) ne vous donnent plus à chanter » procède d’une apprécia-
tion subjective donc exprimée personnellement. Les quatre poèmes,
quatre éloges de l’amour, ne cessent de rappeler, grâce à des procé-
dés différents, l’implication du poète dans l’univers qu’il décrit. Cette
présence subjective ne donne que plus de force au discours lyrique et
aux images qu’il crée.
Séquence 6 – FR20 87
Conseils méthodologiques
Quand vous vous trouvez face à une question qui implique une réponse telle que « oui » ou « non », il
faut être vigilant : la question est trop tranchée pour y répondre sans nuance. Une telle question invite
à un plan plutôt dialectique qui suivrait la logique suivante :
I. Certes la souffrance est une source d’inspiration féconde.
II. Mais la poésie ne se nourrit pas seulement de douleurs.
III. Finalement, le poète ne doit-il pas dépasser ses émotions pour les transcender grâce à un nouveau
langage ?
Comme vous le constatez, il s’agit d’abord d’aller dans le sens de la question posée, pour ensuite la
nuancer, voire la contredire, pour enfin la dépasser en proposant une troisième partie plus ouverte.
Proposition de rédaction
Le plan du devoir est indiqué dans la marge pour vous aider à suivre la
progression logique.
Introduction Depuis son origine, la poésie a souvent été associée à la douleur ou à l’ex-
pression de la peine. Orphée, figure mythologique qui incarne le premier
poète, pleure la mort d’Eurydice, sa bien-aimée, en chantant sur sa lyre.
Une telle représentation de la poésie perdure encore aujourd’hui, nourrie
du souvenir de la poésie romantique. On est même tenté de s’interroger
sur la nature de l’inspiration poétique : faut-il que le poète soit néces-
sairement dans la souffrance pour écrire de manière remarquable, pour
puiser en lui les images les plus fortes et les plus belles ? C’est ce que sug-
gère Musset quand il écrit, dans la « Nuit de mai » : « Les chants désespé-
rés sont les chants les plus beaux, /Et j’en sais d’éternels qui sont de purs
sanglots. » Faut-il s’en tenir à cette vision de la poésie ? D’autres émo-
tions, d’autres événements ne peuvent-ils pas nourrir l’imaginaire des
poètes ? Pour répondre à ces questions, il s’agira dans un premier temps
de constater qu’en effet la souffrance et la douleur figurent parmi les
sources privilégiées de l’inspiration poétique. Mais il conviendra ensuite
de nuancer ces analyses, en montrant que la poésie obéit à d’autres émo-
tions et répond à d’autres fonctions que celle d’exprimer le pathos (mot
grec signifiant souffrance, passion). Ainsi, une troisième et dernière partie
cherchera à montrer que l’essentiel du travail poétique s’élabore autour
du langage, fût-il celui de la souffrance.
I. La poésie, expression Musset a raison de considérer que la douleur crée des vers inoubliables.
d’une douleur Depuis l’Antiquité en effet, la poésie est intrinsèquement associée à la
perte d’un être (ou d’une entité abstraite), ainsi qu’au malheur. Promé-
thée, Orphée, en défiant les dieux ont été frappés d’un destin funeste.
1. Origines mythiques Cette origine de la poésie, entourée de larmes et de souffrances, s’est
pérennisée à travers les siècles. C’est pourquoi les poètes, y compris
ceux du XXe siècle, se sont intéressés au mythe d’Orphée, le premier des
« poètes maudits ». Ainsi, Jean Cocteau a souvent évoqué cette figure
mythique dans sa poésie, et lui a même rendu hommage au cinéma dans
Le Testament d’Orphée. On retrouve ce souffle de l’inspiration antique
88 Séquence 6 – FR20
3. La souffrance stimule Si la désespérance crée les plus beaux chants, c’est qu’elle résulte de la
l’écriture poétique, le nécessité d’une expression personnelle de la douleur. Le poète dispose en
travail du langage effet d’un langage à part pour exprimer ses émotions. Il leur confère une
dimension universelle en quoi chacun peut se reconnaître. Les plus célèbres
poèmes de langue française évoquent un événement douloureux, voire tra-
gique. Le poème de Victor Hugo, « Demain, dès l’aube », exprime ainsi la
douleur d’un père qui se rend sur la tombe de sa fille. Ce poème fait en effet
allusion à un événement tragique de la biographie du poète, la mort par
noyade de sa fille Léopoldine. C’est pourquoi Musset a raison de constater
que les plus belles images poétiques naissent d’un grand chagrin. Lui-même
en a fait l’expérience après sa rupture avec George Sand, quand il écrit « Les
Nuits », cycle de quatre grands poèmes lyriques où le poète exprime sur
le mode élégiaque ses inquiétudes intimes et ses regrets passés. Dans le
poème d’André Breton, « L’union libre » (texte C), on peut lire certaines
images de douleur et d’inquiétude cristallisées autour de la femme dépeinte
dans les vers. Force est donc de constater que l’expérience personnelle de
la douleur est un thème poétique qui inspire tous les poètes et toutes les
époques, permettant ainsi un renouvellement de l’expression lyrique.
Ce serait une erreur de croire que la poésie n’est engendrée que par la douleur
II. La poésie n’a pas et ne produit que des textes à la teneur élégiaque ou tragique. La poésie obéit
pour seule fonction à d’autres souffles et à d’autres nécessités. Elle peut exprimer un engage-
d’exprimer la souf-
ment, ou bien, à l’inverse se suffire à elle-même. Musset réduit donc un peu la
france
poésie quand il considère que seule la poésie désespérée crée de beaux vers.
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90 Séquence 6 – FR20
2. Le pouvoir des mots En outre, le choix des mots, à l’image du travail du rythme, donne son
identité à la poésie et la définit peut-être davantage que la douleur ou la
souffrance. Les mots ont en effet leur secret, dès lors qu’ils entrent dans le
vers, leur signification première est bouleversée, et le sens connoté peut
prendre le pas sur le sens dénoté. La poésie revivifie le sens des mots en
leur ouvrant de nouveaux horizons : un tel travail du lexique est propre à
exprimer douleurs et peines, joies et bonheurs, sous une forme nouvelle.
Par exemple, dans « Le Bateau ivre », Rimbaud utilise des mots connus de
tous, mais leur rencontre crée un sens nouveau qui parfois nous échappe.
La recherche des mots rares fait aussi partie du travail du poète qui utilise
toutes les potentialités de la poésie. C’est pourquoi Stéphane Mallarmé
est considéré comme un poète « difficile » car il fait entrer dans son vers
des mots peu employés ou tombés en obsolescence. Dans le sonnet en
« X », le poète joue avec les sonorités des mots rares, créant un univers
enchanteur et inconnu :
Séquence 6 – FR20 91
3. Accéder à l’invisible Finalement, la poésie permet au poète non seulement d’exprimer ses
sentiments, de retranscrire une expérience douloureuse, comme l’écrivait
Musset, mais aussi de donner accès à un sens nouveau pour comprendre
le monde et le déchiffrer. Comme le rappelle le mythe de Prométhée, la
poésie appartient d’abord aux dieux et non aux hommes. Avoir la capacité
d’accéder à la poésie, c’est posséder le pouvoir de s’exprimer avec un lan-
gage original qui n’est pas la langue banale. Le poète Raymond Queneau
définit avec humour l’instant de l’inspiration, ce que Musset en son temps
appelait « l’inspiration des Muses », et il le désigne par « l’instant fatal » :
c’est le moment unique où le poète, heureux ou malheureux, trouve en lui
une voix qui lui dicte des mots qui ne ressemblent pas aux autres et for-
ment, grâce à un travail de composition, une œuvre poétique. Le poème
de Paul Éluard « L’Amour, la poésie » offre une synthèse de ce lien entre
l’expression de sentiments intimes et l’expression d’une voix musicale,
unique en son genre. La beauté des vers et l’originalité des images inven-
tent un nouveau langage et créent l’enchantement de celui qui les lit et les
déchiffre. Quel sens donner, par exemple, à ce vers : « La terre est bleue
comme une orange » ? À travers ce vers, cette image singulière, Éluard
nous rappelle que la poésie est un langage à part et que parfois son sens
n’est pas littéral, mais dépend de la subjectivité qu’on y projette.
Conclusion Ce serait finalement une erreur de croire que « seuls les chants désespérés
sont les chants les plus beaux ». La poésie est un domaine très riche qui
dépasse la seule expression de sentiments intimes et douloureux. Au vrai, la
poésie est un langage universel qui permet d’exprimer toutes sortes d’émo-
tion et même de jouer avec le langage sans chercher à retranscrire des senti-
ments ou des états d’âme. Cependant, quand Musset écrit cette formule dans
« La Nuit de mai », il fait écho à la poésie de son temps, la poésie romantique.
Chaque période de l’histoire littéraire a en effet défini la poésie en fonction
de ses propres critères et de ses propres aspirations. La poésie du XXe siècle,
en remettant en cause la notion « d’inspiration poétique », a cherché à réin-
venter le lyrisme, quitte à le briser, sans vraiment parvenir à revenir sur ce qui
fait l’essence d’une poésie : le rapport d’un artiste à l’écriture.
2 Écriture d’invention
Ma chère Ophélie,
Tu sais que je poursuis toujours les lectures que tu m’as conseillées il y
a un mois, et j’avoue que je savoure de plus en plus la poésie, notam-
92 Séquence 6 – FR20
Séquence 6 – FR20 93
Je remarque, dans les poésies que j’ai lues, que chaque poète cherche
un langage pour exprimer les sentiments. C’est la raison pour laquelle la
poésie amoureuse est riche sur le plan de l’invention des métaphores, des
comparaisons et des analogies. J’ai été surpris (et charmé) par le poème
d’Apollinaire « Il y a » ; pour exprimer ses sentiments, le poète semble
témoigner de tout ce qu’il voit autour de lui. Le spectacle de la guerre
rencontre ses préoccupations personnelles, et l’on ressent, à la lecture
du poème, comment il parvient à exprimer à la fois son désarroi et son
attachement pour sa destinataire. L’effet de répétition en début de vers
donne l’impression que le poète veut partager son expérience avec celle
qu’il aime. Les images qu’il énumère sont étonnantes, parce qu’elles se
succèdent, comme les images d’un rêve :
« Il y a dans mon porte-cartes plusieurs photos de mon amour
Il y a les prisonniers qui passent la mine inquiète »
Je trouve qu’Apollinaire réussit bien, grâce à ces juxtapositions, à raconter
le sentiment amoureux et à dire la place qu’occupe la femme qu’il aime
dans ses pensées. J’aurais d’ailleurs envie de rapprocher ce poème de
celui d’André Breton, « Ma femme à la chevelure de feu de bois » qui utilise
aussi une énumération pour exprimer ses sentiments envers l’élue de son
cœur. Toutes ces répétitions, que ce soit chez Apollinaire ou chez Breton,
traduisent comme une obsession. C’est un signe de la passion. La poésie,
parce qu’elle invente un langage nouveau qui n’appartient qu’à celui qui
le crée, est vraiment l’espace privilégié de l’expression amoureuse. Sur
ce point, je trouve que les surréalistes sont allés très loin dans la créati-
vité. Ainsi, dans le poème qu’il dédie à Gala (texte D), Éluard trouve des
comparaisons inattendues pour décrire ses sentiments et ses émotions :
« Ses yeux sont des tours de lumière
Sous le front de sa nudité. »
94 Séquence 6 – FR20
Au fond, ce qui est paradoxal avec la poésie amoureuse, c’est que le poète
confie au monde un sentiment intime, que lui seul peut comprendre parce
que chaque histoire d’amour est unique. C’est donc un mélange d’intimité
et d’universalité qui fait que la poésie est vraiment le moyen privilégié
pour exprimer ses sentiments. Tu as remarqué en effet que la poésie
amoureuse implique souvent la présence du « je » dans les poèmes. Le
ton de confidence et parfois même d’autobiographie permet aux poètes,
du moins je le crois, d’exprimer plus intensément leur « état » face aux
sentiments amoureux. Il y a un poème de Musset que j’aime bien, qui
se trouve dans les Poésies complètes que tu m’as prêtées. Il exprime de
manière simple l’implication du poète dans son expérience amoureuse,
soit-elle heureuse ou malheureuse.
« J’ai dit à mon cœur, à mon faible cœur :
N’est-ce point assez d’aimer sa maîtresse ?
Et ne vois-tu pas que changer sans cesse,
C’est perdre en désirs le temps du bonheur ? »
Je trouve que le questionnement, associé à la présence du « je » du poète
donne plus de vérité à l’expression des sentiments. On a l’impression que
Séquence 6 – FR20 95
96 Séquence 6 – FR20
Conseils méthodologiques
Plan :
Introduction
I. La révélation d’un adolescent
1. La jeunesse
2. La nature
3. L’ivresse des sens
II. La rencontre amoureuse
1. Le jeune homme et les jeunes filles
2. L’aventure amoureuse
III. Humour, lucidité et ironie
1. Humour et autodérision
2. La portée satirique
3. Le retour au réel
Conclusion
Introduction « Roman », écrit en 1870 par le jeune Arthur Rimbaud, propose d’emblée
au lecteur un titre provocateur : le poète écrit le « roman » de son adoles-
cence, et il faut comprendre le mot « roman » au sens propre comme au
figuré. Le genre du roman raconte des histoires, peint des personnages,
décrit leurs mœurs et campe une intrigue avec des actions principales et
secondaires. Mais un roman, c’est aussi une histoire qu’on s’invente, et
parfois un mensonge. Quelle orientation et quelle signification donner
dès lors au poème de Rimbaud ? « Roman » présente une structure régu-
lière : huit strophes en alexandrins aux rimes croisées, strophes qui avan-
cent deux à deux, en décrivant des scènes tirées de la vie d’un adolescent.
Séquence 6 – FR20 97
98 Séquence 6 – FR20
Séquence 6 – FR20 99
2. L’aventure amoureuse Cette première vision a pour effet de décupler le désir de séduire et de
plaire. L’image du « baiser qui palpite comme une petite bête » (v.16)
suggère tout ensemble le cœur qui bat la chamade, et un chatouillis, une
envie qui démange et contre laquelle on ne peut pas lutter. C’est pourquoi
la seconde apparition féminine coïncide avec la révélation de l’amour. Le
champ lexical du sentiment amoureux (« Vous êtes amoureux » (v.25),
« charmants » (v.19), « lèvres », « un baiser » (v.15), « l’adorée » (v.28))
confirme la présence d’un jeu de séduction qui s’accomplit dans cette
« nuit de juin ». Ce jeu avec le sexe opposé repose sur des mouvements
rapides et fugaces. Le poète se prend aux filets des « petits airs char-
mants » : un regard ou un sourire transportent le poète extrêmement
réceptif à toute sollicitude extérieure. Aussi brève que rapide, la rencontre
met le poète en émoi, comme le suggère le superbe néologisme « le cœur
fou Robinsonne », le verbe « robinsonner » étant créé à partir du nom
Robinson (Crusoë), héros de Daniel Defoe parti en mer à l’aventure. La
découverte que décrit Rimbaud est en effet une aventure, une véritable
traversée, avec ses péripéties et ses moments forts. Cette impression
d’aventure est confirmée par la construction des strophes ; Rimbaud
recourt aux enjambements et aux rejets pour suggérer un mouvement.
Ainsi, dans la troisième strophe, l’enjambement des vers 11-12
Conclusion Dans ce poème, Rimbaud évoque avec grâce et juvénilité les premiers
émois d’un adolescent qui découvre l’amour. Le choix d’appeler son
poème « Roman » se justifie dès lors par la succession des aventures qui
ramènent le poète à son point initial. S’agit-il d’un poème autobiogra-
phique ? Selon toute évidence, il est issu de l’expérience de Rimbaud,
une expérience poétique qui rappelle l’un de ses principes : « le dérè-
glement des sens ». Ce n’est donc pas un poème de la rencontre unique,
mais une sorte d’expérimentation humaine et poétique. Ici tout est simple
et agréable ; l’amour se résume à un baiser. Point de descriptions longues
comme dans un roman, mais des visions fugitives, des points de suspen-
sion qui laissent au lecteur la possibilité d’imaginer une suite à ces robin-
sonnades adolescentes.