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INDICATIONS EN PSYCHIATRIE
Patrick Ayoun
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© John Libbey Eurotext | Téléchargé le 10/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 194.3.29.27)
Malgré toutes ces limites, il est néanmoins possible de modification de son comportement.
dégager des repères utiles à la pratique. Philippe GUTTON appelle « pubertaire » la transforma-
tion concomitante de l’appareil psychique. Les fantasmes
pubertaires sont marqués par la reprise actualisée des
* Praticien hospitalier, pédopsychiatre, médecin responsable du Centre
de crise et de soins spécialisés pour adolescents du CH Charles-Perrens, thèmes infantiles et œdipiens (incestes et meurtres), mais
Bordeaux, analyste praticien (espace analytique). avec une différence de taille : ils deviennent soudain
possibles à réaliser, d’où la nécessité accrue de leur refou- Inadéquation des réponses
lement et d’un travail psychique intense.
Du pubertaire psychique, il faut retenir que, pour le hospitalières habituelles
sujet, ces transformations (et par projection le monde qui La crainte légitime de nuire aux adolescents par la créa-
l’entoure) sont marquées par un caractère imposé, obliga- tion d’une dépendance aliénante doit amener à penser à
toire et sans espace de choix. leur hospitalisation à temps complet dans le cadre général
Sur un autre plan, l’adolescent est pris dans un conflit des filières, des dispositifs de soin et d’hébergement exis-
oscillant entre la contradiction et le paradoxe. Conflit qui tants. Et non d’éviter toute hospitalisation. Son objectif
colore son rapport à lui-même et aux autres. doit demeurer la restauration des capacités physiques et
Car il est tiraillé par deux contraintes aussi impérieuses psychiques pour amener une meilleure autonomie et son
l’une que l’autre : son besoin de liberté, d’indépendance et appropriation subjective.
son besoin d’attachement, de limites et de dépendance. Ce Or, pour réaliser cet objectif, il y a un problème, celui
conflit s’exprime souvent par l’opposition : sortir avec les d’une inadéquation entre la demande de soins et la réalité
ami(e)s/rester avec les parents. fonctionnelle et culturelle hospitalière.
Soulignons ici l’importance de la crise parentale coïnci- Pour la pathologie psychique et psychiatrique s’exprimant
dant avec la crise de l’adolescent. par la conduite et le corps (tentative de suicide, fatigue,
Chacun des parents peut vivre « une crise du milieu de violences, etc.) 40 % des adolescents sont dirigés vers des
vie », réactivation de sa propre adolescence L’alliance services non psychiatriques.
du couple parental peut être remise en question, et cela Ajoutons qu’une étude a montré à propos des adolescents
entraîne des alliances, des couplages nouveaux et risqués suicidants que :
père-fille, mère-fils par exemple. Cette crise fragilise la - 10 % passent aux urgences pédiatriques ;
différence des générations et compromet l’exercice des - 25 % sont gardés moins de 24 heures ;
fonctions parentales de soutien et d’interdit. - dans 1/3 des cas, aucune évaluation n’a eu lieu ;
La rigidité autoritariste et le copinage laxiste sont les deux - 50 % jugent l’hospitalisation pénible ;
dérives possibles des attitudes parentales à l’adolescence. - 85 % ne rencontrent aucun sujet du même âge ;
Pourtant, il est nécessaire de rester adulte sans rejet face - 1 adolescent sur 10 est hospitalisé plus de 24 heures en
aux adolescents. bénéficiant d’activités organisées.
Il y a donc une vulnérabilité spécifique à cet âge, réclamant Il y a, de fait, de nouveaux enjeux à repérer pour atténuer
une attention des adultes référents. Il s’agira de rendre tolé- l’inadéquation des réponses soignantes. On en compte
rables, parlables et psychiquement élaborables d’intenses quatre :
besoins contradictoires. Ainsi s’engendrent les distances 1) La conscience des exigences spécifiques de l’adoles-
affectives paradoxales, les doutes sur la confiance de base, cence impose une modification de l’accueil et de l’orga-
les révoltes contre les contraintes, les changements et les nisation hospitalière existante, jusque-là construite sur la
expressions étranges de besoins simultanés d’appartenance césure enfant/adulte.
et de distinction. 2) Les morbidités adolescentes sont plus visibles sur la
Aucune dimension du sujet (famille, sorties, scolarité, scène hospitalière qu’ailleurs.
formation professionnelle) n’échappe à ces conflits.
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Certains symptômes (les tentatives de suicide, les trou- Réaliser un accueil adapté
bles graves des conduites alimentaires, la non-observance
des maladies somatiques chroniques) peuvent être à eux
seuls des indications d’hospitalisation quand ils mettent en
Modalités de fonctionnement de l’équipe
danger immédiat la vie de l’adolescent. dans un lieu adapté
À propos des conduites à risque, il faut souligner le cas L’approche spécifique de l’adolescent nécessite une archi-
des indications d’hospitalisations psychiatriques qui se tecture particulière et une organisation des services et des
cachent derrière une ivresse pathologique, des accidents à équipes en tenant compte de sa spécificité :
répétition, des automutilations et des scarifications diffici- - centration sur le corps ;
lement avouées. - prépondérance de l’agir sur la pensée ;
Enfin, il faut différencier : - émergence des troubles des conduites ;
1) L’hospitalisation de première intention qui permet - contraintes pour s’essayer à des expériences risquées
d’inaugurer les soins, souvent après un passage aux mais nécessaire pour l’acquisition d’une autonomie ;
urgences. - la maladie psychiatrique ou psychologique entrave le
2) L’hospitalisation au cours d’une prise en charge déjà processus d’autonomisation à protéger et à accompagner.
entreprise qui est négociée la plupart du temps avec Pour réaliser ce fonctionnement, il faut des équipes pluri-
l’équipe, la famille et le sujet lui-même. disciplinaires, motivées et formées de professionnels ayant
des pratiques différentes et complémentaires.
Les objectifs d’une hospitalisation Chacun doit éviter de confondre les rôles dans leurs
pratiques.
1) Permettre une double approche concernant l’adolescent
Dans les équipes psychiatriques, la présence d’un soma-
et son environnement, surtout dans les situations où les
ticien est indispensable.
effets négatifs mutuels s’auto-entretiennent et se renfor-
Le service doit s’inscrire au sein d’un réseau de soin en y
cent, vouant à l’échec les tentatives de changement.
favorisant les articulations transdisciplinaires et interinsti-
2) Permettre à l’adolescent de parvenir à prendre soin de
tutionnelles.
lui par le biais de cette immersion en milieu psychiatrique
hospitalier dans lequel il reçoit des soins. Cette orienta-
tion suppose une possibilité d’intériorisation du modèle Qualités de l’équipe
proposé. Elle constitue un des points critiques pour que L’équipe doit être disponible à l’autre et faire preuve de
l’effet d’une hospitalisation aille au-delà du seul apai- tolérance sans complaisance.
sement des symptômes aigus, variable existentielle en Ainsi il ne faut pas hésiter à faire preuve d’autorité
psychiatrie. sécurisante.
3) Permettre à l’adolescent de devenir porteur d’un projet La recherche de limites est caractéristique de la quête
de soins qui le concerne. adolescente. Il faut s’en souvenir, car la maladie les rend
confuses.
La place des familles Les rôles et les fonctions doivent être différenciés, la pluri-
disciplinarité n’est tenable qu’à cette condition.
La place des familles est capitale à reconnaître dans les
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