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La fabrique des anglicismes

Valérie Saugera
Dans Travaux de linguistique 2017/2 (n° 75), pages 59 à 79
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 0082-6049
ISBN 9782807391703
DOI 10.3917/tl.075.0059
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LA FABRIQUE DES ANGLICISMES

Valérie Saugera *

1. Introduction
Le Petit Robert définit le sens figuré d’emprunter comme un procédé en
deux phases : « Prendre ailleurs et faire sien ». La première phase, « prendre
ailleurs », est celle qui pose problème à ceux qui mettent en question l’em-
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ploi des anglicismes en français (l’Académie française ; Hagège, 2012) ; la
seconde phase, « faire sien », rend compte des procédés linguistiques utili-
sés dans la fabrique des anglicismes. On se propose d’abord de commenter
brièvement le ‘prendre ailleurs’ en abordant la politisation du phénomène
d’emprunt dans le contexte de l’anglais, langue de la mondialisation ;
ensuite, d’examiner en détail la façon dont le français fait siens les mots de
l’anglais : la démarche consiste à identifier les (nombreux) changements
qui s’opèrent de la langue prêteuse vers la langue emprunteuse et à mettre
en évidence l’application de règles et procédés lexicogéniques internes au
français. L’analyse repose sur l’étude de cas de cinq anglicismes extraits
de la rubrique Dire, ne pas dire du site de l’Académie française, qui publie
périodiquement de courts articles sous forme de critiques d’anglicismes
(ne pas dire), où on leur préfère un équivalent français (dire).
Ce corpus de cinq items – cash, vintage, asap, fashionista et
look – suffit à démontrer l’utilité, la complexité et la créativité sous-
jacentes à la création des anglicismes. Les items ont été symboliquement
choisis pour être critiqués par une figure de proue de l’opposition à l’an-
glicisation, l’Académie, qui considère les anglicismes et leurs équivalents
français commutables – en d’autres termes, ils formeraient des paires de
véritables synonymes. On voudrait confronter cette commutation en iden-
tifiant la construction sémantique, stylistique, étymologique, etc., de ces
mots en français et en observant aussi leur usage en contexte dans la presse

* University of Connecticut, Department of Literatures, Cultures & Languages ;


Oak Hall East SSHB Room 207, 365 Fairfield Way U-1057, Storrs, CT 06269; valerie.
saugera@uconn.edu.

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Valérie Saugera

nationale. Chacun des cinq anglicismes représente des procédés lexicogé-


niques et des innovations lexicales particuliers au français qui ne font que
renforcer leur statut de mots français à part entière. Acteurs d’une dyna-
mique lexicale qui se renouvelle constamment, les anglicismes sont entrés
dans une nouvelle période de contact linguistique dans les années 1990
avec l’essor sans précédent de l’anglais, singulièrement porté par le Web
(Northrup, 2013). Notre étude propose aussi deux caractéristiques de cette
période d’emprunt lexical : les termes empruntés à l’anglais (américain)
peuvent en français porter avec eux des connotations positives ou néga-
tives ; nombreux sont les anglicismes dont l’emploi n’est qu’éphémère,
transitoire.
L’article inscrit d’abord l’anglicisation du lexique français dans le
contexte de l’anglais, pétrole et symbole de la mondialisation. Cette ques-
tion relevant de la sphère économico-politique, est délaissé par l’étude pour
traiter cinq études de cas, cinq anglicismes qui nous amènent au sein de la
fabrique française de nouveaux mots. L’étude place ensuite ces anglicismes
dans un contexte de prosodie sémantique où ces emprunts recevraient des
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connotations affectives liées à ce contexte économico-politique placé sous
le nom de l’hégémonie américaine. Enfin, la question de la fréquence et de
la longévité des anglicismes permet de relativiser somme toute l’impact du
globish.

2. ‘Prendre ailleurs’ ou l’anglais, donneur universel


Nous commençons par un court commentaire sur la phase initiale de l’em-
prunt, ‘prendre ailleurs’, qui, pour les mots venus de l’anglais, s’inscrit
sur un fond politique, en particulier pour ceux qui essaient de contrôler
leur usage. Parmi ceux-ci on recense l’Académie française (Estival et
Pennycock, 2011), les commissions de terminologie1, des législateurs (loi
Toubon, 1994), ainsi que des linguistes (Hagège, 2012) et des journalistes
(Bourges, 2014), pour nommer peut-être les plus en vue sur la scène natio-
nale. Notre propos à venir n’est évidemment pas de récuser la légitimité
du combat que mènent ces défenseurs de la langue française, au premier
rang desquels l’Académie, qui, depuis quatre siècles, joue éminemment
son rôle. Nous nous limiterons à observer l’usage pour y déceler les méca-
nismes linguistiques à l’œuvre. Certes, en aval, nos observations pour-
raient éclairer certains commentaires de l’Académie, dont l’argumentation
linguistique nous a paru perfectible.
À la racine de ce combat, Dubois (2003 : 464) identifie une raison
fortement idéologique : « À partir de la fin des années 1950, ces emprunts
sont de plus en plus dénoncés, comme les vecteurs d’une nouvelle “colo-
nisation” : celle que les États-Unis feraient subir à la France ». L’anglais
est la langue étrangère dont les langues européennes se nourrissent le plus

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 La fabrique des anglicismes

en raison de son statut de langue mondiale, produit de l’hégémonie poli-


tique, économique et culturelle qu’exercent les États-Unis sur le reste du
monde2. L’anglicisme s’apparente alors à un emblème de cette hégémonie
américaine, qui ne manque pas d’inclure l’ascension de la langue anglaise
comme langue commune au détriment de la langue française dont la sta-
ture sur le plan international s’est effritée : « Globalization is also a threat
because it strengthens the role of the English language – in part at the
expense of the French language, a prominent component of French iden-
tity » (Gordon et Meunier, 2001 : 57). Dans un article publié sur le site
de l’Académie le 16 décembre 2014, Hélène Carrère d’Encausse, histo-
rienne et secrétaire perpétuel, rend compte de ce point de vue politico-­
linguistique :
« […] c’est que la révolution scientifique et technique très rapide
qui caractérise notre temps est une révolution qui s’opère essen-
tiellement en langue anglaise ou plutôt en américain. Je ne dirais
même pas en américain, mais dans une langue appauvrie, mais qui
tend à devenir ce que le français a presque été au XVIIIe siècle et
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au XIXe siècle, une langue universelle, la langue dans laquelle tout
le monde s’exprime, et évidemment le français souffre de la com-
pétition avec cette langue. Il est en compétition d’une part parce
que cette langue américaine est utile, elle est un moyen de com-
munication et le français se laisse pénétrer par beaucoup de mots
anglo-américains » (http://www.academie-francaise.fr/la-presence-
de-la-langue-francaise).
H. Carrère d’Encausse qualifie ainsi le global English de « langue
appauvrie » et place le français et l’anglais dans une situation de rivalité
de laquelle l’anglais sortirait vainqueur en raison de son statut de langue
et donneur universels. Sans retracer l’histoire de la montée sans précédent
du global English (Northrup, 2013), on esquissera son territoire. À partir
de recherches de disciplines variées, l’économiste Jacques Melitz (2016)
a identifié les domaines pour lesquels l’anglais sert de lingua franca : la
sécurité internationale, les organisations politiques internationales, les
associations internationales du secteur privé, la presse internationale,
le sport international et les sciences. En conséquence de ce scénario de
contact linguistique intensif, l’anglais laisse une empreinte lexicale notable
sur toutes les langues européennes, une empreinte minutieusement enre-
gistrée dans le Dictionary of European Anglicisms (Görlach, 2001)3.
La dénonciation du ‘prendre ailleurs’ serait donc à la racine plus
idéologique que linguistique. Pourtant, le fait est qu’on utilise ces mots
étrangers. Si notre étude se concentre essentiellement sur le comportement
linguistique des anglicismes, il se pourrait que la communauté linguistique
qui les emprunte leur greffe des valeurs liées à la superpuissance améri-
caine (v. section 4). « [L]e français se laisse pénétrer par beaucoup de mots

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Valérie Saugera

anglo-américains », pour reprendre l’expression de H. Carrère d’Encausse,


mais les pages qui suivent démontrent que le français interprète, manipule,
refait beaucoup de mots anglo-américains pour les ‘faire siens’.

3. ‘Faire sien’ ou fabriquer des anglicismes


Après avoir convenu que certains anglicismes ne servent guère la langue
française – proposer processus ou procédé au lieu de process va de soi –,
on s’intéresse aux mots peut-être hâtivement présentés et bannis par
­l’Académie française dans sa rubrique en ligne, Dire, ne pas dire, et plus
précisément dans la sous-rubrique, Néologismes & anglicismes. Il ne s’agit
pas de discuter de questions de purisme4 ou du français comme une affaire
d’État, mais de démontrer que ces critiques d’anglicismes tendent à mas-
quer les procédés de fabrique des anglicismes : comment le français se
saisit de ressources lexicogéniques internes pour créer de nouveaux mots
à partir de lexèmes d’origine anglaise et revitaliser ainsi son lexique (pour
des besoins à court ou à long terme, v. section 5 ci-dessous).
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Bénéficiant chaque mois de nouvelles entrées, Néologismes & angli-
cismes a répertorié, entre le 6 octobre 2011 et le 5 février 2016, 84 mots
d’origine et de forme anglaises, identifiables par leur orthographe, leur
morphologie et leur prononciation, ce qui exclut les calques5. La moitié
environ de ces mots, 47 au total, n’apparaît pas dans l’édition 2015 du Petit
Robert (checker, corporate, deadline). Le dictionnaire inclut les 37 autres,
pour la plupart des emprunts apparus dans le lexique français entre 1950
et 1995 (buzz 1994, flyer 1995), mais on y relève aussi quelques formes
plus anciennes (challenge 1884, has been 1932). Les billets lexicaux de
­l’Académie présentent des histoires étymologiques mais reposent avant
tout sur des remarques qui défient l’emploi d’un mot emprunté et pro-
posent un équivalent français en conséquence, supposant que ce dernier
remplisse les mêmes fonctions. La figure 1 reproduit le billet pour la forme
vintage qu’on présente en étude de cas ci-contre.
Point de départ de cette étude, l’observation de commentaires jugés
peu linguistiques, voire inexacts, dans les billets lexicaux. Un acadé-
micien décrit, par exemple, le terme smoking, apparu en 1890, comme
une invention francophone peu explicable. Or il ne s’agit pas exacte-
ment d’une invention mais plutôt d’une ‘simple’ troncation du composé
anglais ­smoking jacket (tels FR living < AN living room ; FR dressing
< AN ­dressing room). L’abréviation, un procédé d’économie très produc-
tif dans la langue française, continue de s’appliquer aux mots composés
anglais pour créer des mots simplex en français : FR des running < AN
running shoes ; FR un shorty < AN shorty/shortie panty (ou boy shorts ?).
La troncation de ces composés n’a en revanche pas lieu dans la langue
anglaise, ce qui signale clairement que ces anglicismes – smoking, living,

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 La fabrique des anglicismes

Figure 1 : Billet de l’Académie pour vintage

Vintage
Le 10 juin 2014
Néologismes & anglicismes
In vino veritas, dit le proverbe ; dans le vin aussi l’origine de vintage. Ce nom
anglais est en effet dérivé de vint(ner), lui-même emprunté de l’ancien français
vinetier, « vigneron ». Vintage qualifie d’abord un porto d’une cuvée particulière
ou d’un millésime particulier. Cet emploi, correct quand il désigne un porto, ne
doit pas, par extension, qualifier tel ou tel objet qui, comme les grands crus,
aurait pris de la valeur en vieillissant. C’est en ce sens que cet adjectif tend à
se répandre en français ; on préfèrera le remplacer par la locution adjectivale
d’époque ou, si l’on veut garder la métaphore vinicole, par l’adjectif millésimé.
On dit On ne dit pas
Une voiture d’époque Une voiture vintage
Un sac des années xxxx Un sac vintage
(http://www.academie-francaise.fr/vintage)
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dressing, running, shorty – suivent des procédés morphologiques français.
On notera aussi que smoking (et même smok) s’ancre toujours bien dans
l’usage avec son sens de costume acquis en français (extension séman-
tique) ; smoking ­jacket, en revanche, est désormais peu usité en anglais,
tout simplement parce que le veston de velours qu’il désigne ne fait plus
guère partie du vestiaire masculin. Chaque anglicisme a une forme et un
comportement explicables quand on retrace son étymologie, examine sa
morphologie, etc.
On l’a dit, l’étude repose sur l’analyse de cinq items en particu-
lier – cash, vintage, asap, fashionista et look6, pour privilégier des items
qui permettent de rendre compte de façon univoque des procédés de for-
mation que déploie le français pour ‘faire sien’ un mot venu d’ailleurs. Par
exemple, on revisite la critique de ­l’Académie avec une approche sémique
soulignant des ressemblances et des dissemblances entre les anglicismes
et leurs équivalents français proposés. L’analyse consiste à exploiter le
caractère décomposable des lexèmes en sèmes, éléments minimaux de
sens, pour mettre ces mots en relation et mesurer leur degré de synony-
mie. Le dépouillement de ces cinq anglicismes comprend leur observation
dans la langue de la presse afin de mettre en avant leur usage courant ;
des remarques sur d’autres anglicismes complètent l’étude. Un résumé des
traits greffés sur ces formes anglaises quand elles s’intègrent au français
figure à la fin de la section dans le tableau 3.

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Valérie Saugera

3.1. CASH
L’anglicisme cash a récemment acquis une nouvelle acception (figurée),
quand il comporte le sème ‘qui est franc’. Ce nouveau sens, ajouté dans
l’édition 2008 du Petit Robert, découle d’une interprétation métaphorique
de règlement comptant, le sens premier de ce terme anglais (payer cash),
originellement emprunté en 1916. C’est l’idée d’immédiateté qui relie
les deux valeurs de l’anglicisme cash, paiement comptant et être franc.
Cet emprunt rend compte de la polysémie qui caractérise les emprunts à
l’anglais alors que les emprunts à d’autres langues tendent à être monosé-
miques (Chesley, 2010).
Selon le Petit Robert, le sens métaphorique de cash appartient à un
style « très familier », quand la paraphrase définitionnelle que propose
l’Académie en substitut relève, elle, d’un style soutenu, « être d’une fran-
chise un peu brutale ». L’anglais est la langue étrangère qui fournit le plus
de termes au français familier (Tengour, 2013) ; on notera en particulier
que des termes, neutres en anglais, deviennent informels quand ils s’in-
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tègrent au français, ainsi because, booster et yes (Saugera, 2017 : 49-51).
L’anglais nourrit le français familier et argotique. L’appartenance
(marquée) du mot à un style, un registre peut aussi s’accompagner de l’in-
troduction de nuances et de sèmes nouveaux : une propriété possible des
registres est de transmettre un caractère péjoratif ou mélioratif (Mortureux,
2001 : 111), ainsi cash ne désigne pas n’importe quelle franchise mais une
franchise qui peut blesser. L’extrait ci-dessous illustre en contexte le sens
de cash dans un article de presse qui l’emploie adverbialement pour déter-
miner la manière de parler d’une violoniste. L’occurrence de cash est sui-
vie de paroles de la violoniste rapportées au discours direct qui permettent
de confirmer son franc-parler blessant et provocateur et donc le caractère
péjoratif de l’anglicisme.
[1] Anne Gravoin parle « cash » et ça donne des phrases déjà cultes
comme « je ne veux pas dormir dans l’ancien lit de Claude Guéant »
(à propos de l’installation de son mari place Beauvau), ou « quand
je n’ai pas envie de faire la cuisine, Manuel sait ce qu’il lui reste à
faire ». (Le Monde, 11 avril 2014 ; nous soulignons)

Pour définir cash, il convient de greffer au sens générique de franc un


sème à valeur négative, plus ou moins légère. Par sa différence spéci-
fique, l’anglicisme apporte une précision sémantique et vient combler un
manque du lexique français ou du moins agrandir ce lexique. On peut pla-
cer l’emprunt cash dans une relation sémantique hiérarchique où il sert
d’hyponyme à franc, un terme plus générique. Enfin, ce mot relève d’une
innovation lexicale française puisque cash n’existe pas en anglais avec le
sens adjectival ou adverbial de ‘franc, direct’. Il s’agit donc de la création

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 La fabrique des anglicismes

d’un faux anglicisme, un procédé qui continue à fournir de façon produc-


tive des néologismes au français – par exemple, flashcode ‘code-barres
2D’, people ‘célébrités’, color zoning ‘technique qui consiste à peindre de
petites zones de couleur sur les murs, les sols, etc.’. Cette tendance a pour-
tant de quoi surprendre, étant donné qu’on avait prédit un nombre moindre
de faux anglicismes dans les langues européennes suite au meilleur niveau
d’anglais en Europe (MacKenzie, 2012).
L’étude de cash montre la complexité du procédé de l’emprunt en
révélant les changements qui suivent la simple adoption d’un mot étranger,
réinterprétée dans la langue emprunteuse, ici, aux niveaux grammatical,
sémantique et stylistique (v. tableau 1 pour un résumé).

Tableau 1 : Faux anglicisme cash : changements de la langue source


à la langue cible

Types de changement Anglais Français


Grammatical n. et adv. adj. et adv.
Sémantique espèces franc et blessant
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Stylistique neutre informel

3.2. VINTAGE
Vers 1990, l’emprunt vintage s’est enrichi d’un nouveau sens, ou plutôt
de nouveaux référents, quand il ne qualifie plus les seuls vins de Porto ou
de Champagne, mais aussi un « vêtement, accessoire de mode qui date
réellement de l’époque d’origine, qui n’est pas la copie moderne d’un
ancien modèle », selon le Petit Robert. Dans le billet reproduit figure 1,
­l’Académie réfute ce nouveau sens de vintage : « [c]et emploi, correct
quand il désigne un porto, ne doit pas, par extension, qualifier tel ou tel
objet qui, comme les grands crus, aurait pris de la valeur en vieillissant ».
Étendre le sens d’un mot existant est pourtant un procédé néologique cou-
rant en français que recouvre la néologie sémantique (Sablayrolles, 2000)
et qui alimente de façon productive le français familier7. L’Académie pro-
pose de remplacer vintage par millésimé alors qu’il s’agirait aussi d’une
extension (sens original vin millésimé > sens figuré sac millésimé), pro-
cédé qu’elle déplore pourtant pour vintage lorsqu’il désigne d’autres réfé-
rents que les vins.
L’extension sémantique de l’anglicisme vintage se trouve dans les
extraits suivants, où le mot est utilisé pour caractériser respectivement des
mannequins plus âgés et des quenelles, non sans humour :
[2] a. Et pour ce dernier défilé de prêt-à-porter, il [Gaultier] invitait le
cirque de la mode dans une gigantesque macumba, un concours de
miss où chacune des participantes incarnait sa vision multiple de la

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Valérie Saugera

beauté féminine : il y eut des simili-Madame de Fontenay, des miss


vintage, avec de splendides mannequins seniors, des miss Lucha
Libre dans des tenues masquées de combattantes mexicaines, […].
(Libération, 28 septembre 2014 : nous soulignons)
b. Haché Menu – Chez Marcel, quenelles vintage […] Il faut être
drôlement courageux pour monter au front avec des plats comme
celui-ci. La quenelle appartient à cette étonnante époque où l’on
transformait à tout-va. (Le Figaro, 18 décembre 2012 ; nous souli-
gnons)

Au-delà d’illustrer un usage de vintage avec un référent humain, le contexte


de l’extrait [2a] aide à construire précisément le sens de la forme anglaise.
Le syntagme miss vintage est glosé par le syntagme splendides mannequins
seniors et indique ainsi deux sèmes de vintage, ‘splendide’ (sème spéci-
fique) et ‘senior’ (sème générique). L’Académie propose aussi d’époque
ou des années xxxx pour remplacer vintage, mais ces locutions adjectivales
françaises ne partagent avec vintage que le sème générique d’ancien. Ce
sème d’ancien doit par ailleurs être délimité pour vintage puisqu’il couvre
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une période déterminée, du moins lorsque l’anglicisme désigne des vête-
ments. Une réponse recueillie auprès d’Alexandre Samson, responsable
de la collection contemporaine au Palais Galliera, musée de la Mode de
la Ville de Paris, nous permet de dater cette période (e-mail personnel,
12 novembre 2014) :
« Attention, le vintage ne recouvre pas l’intégralité des vêtements
anciens, mais seulement ceux vecteurs d’une contemporanéité,
c’est-à-dire ceux qui peuvent être portés aujourd’hui sans donner
à son porteur l’effet « costumé ». Selon nous les vêtements vin-
tage incluent uniquement les vêtements anciens à partir de 1920,
moment où la typologie vestimentaire pose les bases de la nôtre ».

L’exemple du Petit Robert pour illustrer l’extension du sens de vin-


tage dans son entrée est aussi révélateur : en faisant suivre vintage par des
années 60, dans « les tailleurs vintage des années 60 », on voit que la locu-
tion adjectivale française des années xxxx ne comporte pas tous les sèmes
de la signification de vintage. Le vintage, avant tout un phénomène de
mode, s’est développé dans les années 20008. Ce sème spécifique se greffe
au sème générique d’‘ancien’. Par mode, il semble ici simultanément
inclure une certaine qualité ou valeur (nostalgique, matérielle, etc.) comme
dans l’exemple [1a] ci-dessus où l’adjectif splendide révèle cette valeur. Le
dictionnaire définit la notion de vintage de façon juste mais incomplète :
l’idée de mode, de relation passé-présent est un sème indispensable à la
définition. Le génie d’une langue ne consiste-t-il pas à proposer de nou-
veaux mots pour nommer de nouveaux objets, concepts, comportements,
etc.? L’anglicisme vintage reflète cette mode actuelle pour l’attachement

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 La fabrique des anglicismes

au passé et la tendance au recyclage, à la réutilisation en termes de vête-


ments, design, musique, mode de vie, etc. Le propriétaire d’une boutique
vintage parisienne vient apporter un indice complémentaire culturel, socié-
tal à l’analyse de cet emprunt : « Des objets [vintage] sont devenus des
fantasmes dans une époque qui depuis 20 ans se nourrit de revival » (e-mail
personnel, 12 novembre 2014). On peut donc aussi prédire que, comme
toute autre mode, elle s’estompera et l’anglicisme avec elle, sauf si l’ac-
ception générique que le terme est en train d’acquérir ne le fasse perdurer.
L’anglicisme vintage poursuit incontestablement une évolution
sémantique, par extension de son sens et de ses référents, résumée dans
le tableau 2. On a utilisé cet emprunt d’abord en tant que terme spécia-
lisé pour désigner les portos et les champagnes (1967), puis les vêtements
et les accessoires de mode (1989), la spécialisation s’atténuant quand le
terme s’applique ensuite aux objets (de design) en général. Enfin, le terme
connaît actuellement un élargissement sémantique quand il désigne ‘le
reste’, souvent pour créer un effet humoristique (quenelles vintage, voix
vintage). Avec la définition étendue de vintage, les référents ne datent
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plus de l’époque d’origine mais ressemblent à ceux de cette époque ou en
reprennent les codes. Par exemple, les quenelles vintage dans l’exemple
[1b] ci-dessus ne désignent évidemment pas de vieilles quenelles, mais
rappellent des plats, des recettes d’antan, comme l’indique son contexte
d’occurrence où les quenelles sont identifiées à « cette étonnante époque
où l’on transformait à tout-va ». Vintage rejoint cash dans la démonstration
de la valeur polysémique qui caractérise les anglicismes (vs. les emprunts
à d’autres langues9).

Tableau 2 : Extension sémantique de l’anglicisme vintage

Référents Caractéristiques
1. Vins de Porto ou de Champagne – sens premier (1967)
– terme spécialisé (viticulture)
2. Vêtements et accessoires de mode – sens élargi à un autre domaine (1989)
– vêtements anciens à partir de 1920
3. Objets (de design) – mobilier, jouets, montres, etc.
– trait sociétal de nostalgie du passé
4. Le ‘reste’ – terme générique
– référents concrets (resto vintage) /
abstraits (habitude vintage)

Le cas de vintage dévoile d’autres caractéristiques d’emprunt à


l’anglais. Au niveau flexionnel, le dictionnaire classifie la forme adjecti-
vale de vintage comme invariable. En tant que mot référant à une mode,
une tendance, son utilisation elliptique explique l’absence de marque du
pluriel (des robes ∅vintage < des robe de style vintage), puisque l’ellipse

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Valérie Saugera

entrave la flexion d’adjectifs anglais qui définissent des styles musicaux,


vestimentaires, littéraires, etc. (cf. Saugera, 2012) – des notes (de style)
grunge, des jeans (de style) boyfriend, des romans (de genre) gore. Même
si l’absence de flexion au pluriel est largement la norme, on trouve des
occurrences fléchies dans la presse. Un échantillon puisé dans Libération
confirme la tendance : la forme adjectivale compte 32 occurrences utilisées
au pluriel en 2014, 29 fois la forme est invariable et 3 fois fléchie (carros-
series vintages, friperies vintages, étiquettes vintages), ce qui porte son
taux d’intégration morphologique à 9,5 %. En 2004, la forme du pluriel
apparaît systématiquement sans flexion. L’usage accru de vintage dans la
presse pourrait justifier ce début de flexion, comme l’indique un compte
d’items dans Libération à dix ans d’intervalle : la forme adjectivale vintage
apparaît 41 fois dans Libération en 2004 et 94 fois en 2014, soit une aug-
mentation qui a plus que doublé en dix ans, en même temps que son sens
et ses référents se sont étendus. Enfin, le Petit Robert enregistre deux pro-
nonciations pour vintage, l’une [vintεdʒ] proche de son original et l’autre
totalement francisée, [v taʒ], mais la forme intégrée semble être marginale.
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3.3. ASAP
Le commentaire de l’Académie sur l’anglicisme asap ou ASAP (as soon as
possible) perd en neutralité scientifique : « Cette abréviation, qui est loin
d’être transparente, semble cumuler la plupart des vices d’une langue qui
cache son caractère méprisant et comminatoire sous les oripeaux d’une
modernité de pacotille »10. Cet acronyme manquerait de transparence, mais
c’est la destinée commune des acronymes de devenir des mots simples
dont on ignore les composés. Qui pourrait citer les mots à l’origine de
l’acronyme français cedex ou l’acronyme russe goulag ? Comme le rap-
pelle Mortureux (2001 : 56), « l’arbitraire est la règle dans le signe lin-
guistique ». Pour remplacer l’anglicisme asap, prononcé /azap/ comme un
acronyme en français (il peut être prononcé comme un sigle en anglais),
l’Académie propose dès que possible et dès que vous pourrez. Ces tra-
ductions littérales, certes de bon aloi, oublient la raison qui a motivé cet
emprunt : gagner du temps par l’abréviation.
Outre la siglaison, le français déploie bien d’autres procédés pour
raccourcir la longueur des mots (mot-valise, mot-forme, etc.) qui s’ap-
pliquent également aux termes empruntés. La troncation des termes anglais
est un procédé courant qui se prête aux contraintes phono-­morphologiques
du français : les formes récentes drag, kite / kitesurf et border, par
exemple, ne circulent pas en anglais comme formes abrégées des com-
posés drag queen, kitesurfing et borderline. En raison de sa fréquence, la
forme abrégée drag figure dans l’entrée du dictionnaire pour drag-queen.
Pour les variantes kite et kitesurf, on notera que la troncation a eu lieu au

68
 La fabrique des anglicismes

moment de l’emprunt puisque la forme kitesurfing ne circule pas en fran-


çais. L’anglicisme borderline est entré dans l’édition 2013 du Petit Robert,
l’attestation de la forme tronquée border restant toutefois officieuse11. Le
français a clairement ‘fait siennes’ de ces formes d’origine anglaise.
Le procédé d’abréviation fait l’objet d’une entrée intitulée D’acc ?
(http://www.academie-francaise.fr/dacc, 7 juin 2012) dans laquelle un aca-
démicien compare les mots abrégés à des déguisements et les raille par la
figure de l’hyperbole :
[3] Bob, c’est Phil ! Bon anniv !!! Je t’appelle dans ton appart’ sur ton
fixe, je n’ai plus ton 06 ! Et dis-moi, quelle est ton actu depuis les
States ? Toujours dans la com ?

Les abréviations participent de la langue orale (ce qui ne les exclut pas de
l’écrit) et des styles plus informels (le continuum stylistique s’échelonnant
du technique au vulgaire), c’est-à-dire qu’elles augmentent le champ d’ex-
pression des locuteurs. On notera que l’Académie utilise aussi l’hyperbole
pour le phénomène de l’emprunt et amplifie ainsi sa représentation actuelle
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(v. section 5). La forme empruntée asap ne peut être critiquée pour son
statut linguistique d’abréviation, une matrice morphologique usuelle ; elle
vient donner une variante acronymique au français dès que possible dans
un contexte d’usage restrictif. Cet acronyme bénéficie en effet d’un emploi
spécialisé : asap s’est intégré au jargon de l’entreprise, où il est surtout
répandu dans la communication électronique :
[4] En cours → Livraison ASAP – Point quotidien avec Marcel (e-mail
professionnel partagé par une société d’ingénierie).

On peut également signaler que l’anglais (autre langue) fournit une sorte
d’euphémisme pour ‘urgent’ ; Loveday (1996) relève l’euphémisme
comme une motivation pour utiliser des termes venus d’ailleurs.
L’anglicisme ASAP fait écho au gallicisme, emprunt fait au français
par une langue étrangère, RSVP ‘répondez s’il vous plaît’, très commun en
anglais dans les invitations écrites, électroniques (cf. Trump’s R.S.V.P. to
Macron: Yes to Bastille Day in Paris, New York Times, 28 juin 2017). La
paire de formes abrégées ASAP / RSVP symbolise le commerce de mots
entre les langues, mais on sait que l’emprunt est un phénomène ordinaire
qui contribue sans cesse à augmenter et renouveler le lexique des langues.

3.4. FASHIONISTA
Les premières occurrences de l’anglicisme fashionista, une femme incon-
ditionnelle de la mode, datent du début des années 2000 ; l’Académie cri-
tique ce terme avant tout pour une raison lexico-morphologique : « une
curieuse hybridation de l’anglais (fashion) et de l’italien ou de l’espagnol

69
Valérie Saugera

(le suffixe -ista) ». L’hybridation en question correspond à la formation de


mots par affixation, l’anglais ayant emprunté le suffixe -ista à l’espagnol
pour l’attacher à une base anglaise. L’Académie classe similairement le
verbe spoiler de « croisement bâtard » et l’adjectif surbooké de « monstre
linguistique mi-anglais mi-français ».
Ces formes sont des formes fléchies ou des formes dérivées pro-
duites à partir d’une base ou d’un affixe étranger et témoignent de l’inté-
gration morphologique des emprunts dans la langue d’adoption, un phé-
nomène des plus réguliers. L’intégration flexionnelle des verbes l’illustre
de manière banale. Par exemple, le verbe to deal, entrée du Dictionary of
European Anglicisms (Görlach, 2001), reçoit les conjugaisons des langues
qui l’empruntent : allemand dealen, espagnol dilear, français dealer, nor-
végien deale, etc. Les formes dérivées permettent de produire de nouveaux
lexèmes par ajout d’affixes français : cakos (< cake ‘personne présomp-
tueuse’ + suffixe informel -os), peoplerie / pipolerie (‘potins sur les célé-
brités’ < people ‘célébrités’ + suffixe légèrement péjoratif -erie), slameur
(slam poet en anglais et non *slammer), etc.
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Le cas de fashionista met en scène un phénomène plus rare rapporté
par Weinreich (1953) : l’emprunt de morphèmes liés, d’affixes étrangers. Il
se pourrait que l’anglais ait quelque peu changé cette norme. En français,
on pense immédiatement au suffixe anglais -ing (bronzing, fooding, color
zoning, coski-ing ‘pratique du ski avec un/e célibataire’) et plus récem-
ment au préfixe e- < electronic (e-billet, e-clope, e-liquide), prononcé /i/
pour imiter une prononciation anglaise. L’emprunt des morphèmes -ing
et e- a lieu dans d’autres langues européennes : Mott (2015) offre une
étude bien documentée de la popularité de -ing pour former des néolo-
gismes en espagnol (puenting ‘saut à l’élastique’ < puente ‘pont’) ; Onysko
(2007) souligne la productivité du préfixe e- en allemand, aussi prononcé
/i/ (E-Demokratie ‘e-démocratie’, E-Notizbuch ‘e-notebook’). L’emprunt
à l’anglais de morphèmes liés au sein des langues européennes peut être
interprété comme indicateur d’une empreinte plus profonde de l’anglais
sur ces langues.
Selon le New Oxford American Dictionary, le suffixe emprunté -ista
transmet souvent une intention péjorative en anglais, ce qui n’est pas le cas
en espagnol, la langue source12. Il s’agit donc d’une innovation sémantique
de la langue anglaise. Pour fashionista, la valeur dépréciative du suffixe
-ista se trouve dans le concept de dévotion, d’addiction à la mode. Le suf-
fixe a produit d’autres termes en anglais : Guardianista désigne un lecteur
stéréotypé du quotidien The Guardian, à l’attitude exagérément libérale
et politiquement correcte ; standardista désigne un développeur web qui
conçoit et promeut des normes du web, et par extension et de manière
péjorative, une personne qui suit des règles à la lettre.

70
 La fabrique des anglicismes

Le terme fashionista ne figure (toujours) pas dans le Petit Robert mais


a fait son entrée dans l’édition 2011 du Petit Larousse avec une définition
qui inclut le sème « parfois péjoratif ». Si le terme pullule dans la presse
féminine, il apparaît très peu dans les quotidiens nationaux : respective-
ment six et deux occurrences dans Libération et Le Monde en 2015. Avec
le terme fashionista, « le bon langage y trouve […] peu de bénéfice », écrit
l’Académie, qui ne propose pas de substitut français cette fois, peut-être
parce qu’il n’y en a pas : la lacune lexicale demeure bien une des raisons
premières qui motive l’emprunt. Enfin, on sait que le jargon de la mode est
un vivier d’anglicismes (v. section 5), ce que confirme le cas de look.

3.5. LOOK
Pour remplacer le mot look, en usage depuis les années 1970, l’Académie
suggère de puiser dans une copieuse liste de termes français équivalents :
« [o]n pourra, en fonction des circonstances, parler d’air, d’allure, d’aspect,
de dehors, d’expression, d’extérieur ou, pour parler plus familièrement, de
gueule, de dégaine, de touche ». Ces mots peuvent certes être mis en rela-
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tion parce qu’ils ont en commun le sème générique d’aspect physique, sauf
qu’ils ne sont pas pour autant commutables sans perte ni ajout de sens.
Comme le souligne Rey-Debove (1997 : 94), il n’existe que rarement de
véritables synonymes : « Il y a des synonymes lexicaux, mais rarement au
sens strict du mot ». Ici se pose avec plus d’acuité encore la question de
la synonymie entre un mot emprunté et son (supposé) équivalent dans la
langue emprunteuse. Voici la définition du Petit Robert pour l’anglicisme
look : « Aspect physique (style vestimentaire, coiffure…) volontairement
étudié, caractéristique d’une mode ». Le sème spécifique qui sépare look
de ses concurrents français est « volontairement étudié ».
Ce sème s’illustre clairement dans la presse féminine qui présente et
conseille à ses lectrices des looks, c’est-à-dire des vêtements assemblés, mis
en scène pour créer un certain effet (look bohème, look baroque). Le mot
dégaine, un candidat pour remplacer look, contient, lui, un sème spécifique
qui caractérise cet aspect physique de manière péjorative, défini par les
adjectifs ‘ridicule, bizarre’ dans l’entrée du Petit Robert. D’où l’on conclut
que l’emprunt look, n’est ni strictement permutable avec ses concurrents
français, ni inutile au lexique français : il apporte une distinction séman-
tique auparavant indisponible et nourrit le français familier puisque look
appartient à un style informel.
Cet anglicisme invite à une discussion sur la durée de vie des
emprunts. Dans son dictionnaire d’argot, Tengour (2013 : 335) qualifie
le terme look de vieilli : « Ce terme des années 80, largement passé dans
le langage familier, est tombé en désuétude ». Pourtant, l’édition digitale
de Elle, qui ne manque pas de marqueurs d’informalité dans son discours

71
Valérie Saugera

(interjections, formes abrégées, etc.), l’emploie de façon habituelle. Sa


haute fréquence dans les quotidiens nationaux est, elle, peut-être plus inat-
tendue, surtout pour une forme quelque peu familière. Par exemple, une
comparaison diachronique de la fréquence de look dans Libération indique
127 occurrences en 1995 et 127 également en 2015, soit une remarquable
stabilité sur une période de vingt ans. Cette forme illustre la difficulté de
prédire la longévité des emprunts dans le lexique.

Tableau 3 : Résumé des procédés et traits de fabrique identifiés


pour les cinq anglicismes étudiés

Changements opérés de la langue source (anglais)


Anglicismes
à la langue cible (français) et autres traits d’emprunt
cash – extension sémantique, interprétation métonymique
– hyponyme de franc
– sème péjoratif
– faux anglicisme
– registre familier
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– forme adjectivale
vintage – extension des référents
– terme spécialisé à terme générique
– emploi humoristique pour certains référents
– début d’intégration flexionnelle
asap – variante acronymique de dès que possible
– emploi spécialisé au jargon de l’entreprise
fashionista – base anglaise et suffixe espagnol
– sème péjoratif
– jargon de la mode
– lacune lexicale
look – sème spécifique
– registre familier
– jargon de la mode
– longévité (inattendue) dans le lexique

4. Anglicismes : faits de métalangue ?


Dans ses billets lexicaux, l’Académie considère que les mots français
qu’elle préfère aux anglicismes forment des paires de synonymes par-
faits. Il y est invariablement question de commutation systématique. Par
exemple, pour le terme emprunté fake news, on trouve la liste de termes
suivants (eux aussi interchangeables ?) : « nombre de commentateurs et
de journalistes semblent avoir des difficultés pour lui trouver un équiva-
lent français. Pourtant, ne serait-il pas possible d’user de termes comme
bobard, boniments, contre-vérité, mensonge, ragot, tromperie, trucage ? »
(http://www.academie-francaise.fr/fake-news)13. La synonymie absolue

72
 La fabrique des anglicismes

n’est pourtant pas un phénomène commun du lexique. Picoche (1977 : 98)


cible l’occurrence de ces paires rares : « On ne les trouve guère que dans
les langues scientifiques qui, au cours de leur élaboration, forgent parfois
deux mots pour un seul et même concept ». Elle propose la paire hypéro-
nyme et superordonné en sémantique comme rare exemple de synonymes
parfaits.
Les cas de cash, vintage, asap, fashionista et look montrent que les
mots étrangers et leurs équivalents nationaux ne peuvent être des syno-
nymes parfaits, en raison de sèmes et autres traits linguistiques distinc-
tifs. On peut aller plus loin et poser un trait supplémentaire, qui démarque
les anglicismes des mots français. Le seul fait qu’un mot soit immédiate-
ment identifiable comme venant de l’anglais (américain) appelle « autre
chose »14. Cette autre chose varie en fonction du mot lui-même, de son
contexte d’emploi, de l’intention de son utilisateur et de la perception de
son récepteur, mais en général on peut nommer une association de valeur
à la culture américaine, éventuellement corrélée à un effet de style ou à un
effet humoristique. L’anglicisme peut donc ne pas être un lexème neutre en
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raison des (fortes) connotations positives ou négatives auxquelles chaque
locuteur l’associe (individuellement).
On peut essayer d’esquisser ces connotations, de façon inévitable-
ment simpliste et subjective : Disneyland, machine à rêve ou Disneyland,
« Tchernobyl culturel »15 ? Les valeurs positives pourraient comprendre la
fascination de la culture pop (musique, blockbusters hollywoodiens,
séries et jeux télévisés), le rêve américain, les avancées technologiques,
les réseaux sociaux, MacDonald’s et Starbucks, la statue de la Liberté,
etc. Les valeurs négatives pourraient, elles, comprendre la superpuissance
américaine (et le rôle subséquemment réduit de la France/du français), la
dictature de l’anglais, l’usage de l’anglais lié à un snobisme linguistique, la
Trump Tower, etc. On propose donc que l’anglicisme inclut dans sa forme
un discours sur son emploi, une sorte de fait de métalangue qui peut éga-
lement l’écarter de ses potentiels équivalents français. En d’autres termes,
on fait le choix d’utiliser ou pas un anglicisme et on s’offusque ou on reste
indifférent à la rencontre d’un anglicisme en fonction des valeurs sociolin-
guistes (sous-jacentes) qu’on accorde à ces anglicismes, américanismes ou
californismes.

5. Anglicismes : des mots pour le vocabulaire éphémère


Le nombre d’anglicismes dans le Petit Larousse et le Petit Robert n’a cessé
d’augmenter (Martinez, 2011). De tous les mots étrangers qui viennent
enrichir le français, les mots anglais l’emportent largement, c’est une évi-
dence, mais peut-on parler d’« invasion » ou de « menace » pour un voca-
bulaire sans doute d’abord éphémère, de passage dans le lexique français ?

73
Valérie Saugera

On trouve toutes sortes d’anglicismes dans la presse, dont la plupart ne


figurent d’ailleurs pas dans les dictionnaires, mais il convient de mesurer
leur effet réel à long terme avec leur taux de fréquence et leur longévité
dans le lexique.
Le phénomène de l’emprunt à l’anglais échappe en grande partie au
dictionnaire. Une base de données composée de termes anglais présents
dans Libération mais absents du Petit Robert montre la faible fréquence
(une, deux ou trois occurrences) d’un grand nombre d’items enregistrés
sur une période d’un an (Saugera, 2017). Et même la haute fréquence d’un
terme n’en garantit pas sa longévité dans le lexique. Ainsi, l’emprunt hedge
fund qui comptait près de cent occurrences dans Libération en 2010, n’en
comptait plus que huit en 2015 – une forte présence en 2010 qui s’explique
par la crise financière mondiale de 2007-2008.
Dans le contexte de l’anglais global fournisseur de ces mots qui
n’entreront pas dans la nomenclature des dictionnaires, il reste à identifier
le statut et les fonctions linguistiques de ces anglicismes en tant que néolo-
gismes et mots de passage. De nombreux mots empruntés à l’anglais après
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1990 correspondent à des besoins de communication ponctuels. Ils peuvent
refléter un emploi synchronique directement lié à l’actualité (hedge fund,
Hollande bashing), un emploi originaire d’une campagne présidentielle
(mentalité ‘yes we can’), un emploi lié à des tendances vestimentaires
ou culinaires (jean boyfriend ‘jean avec une coupe masculine’, tarte raw
aux fraises sans gluten), un emploi issu de la publicité (le what else ? de
Nespresso16 > « La douceur de la crème mêlée à la saveur iodée des œufs
d’esturgeon, what else? », Le Figaro, 9 décembre 2015) ou un emploi
humoristique (Champagne : Yes we kent !, titre un article de Libération, 16
juin 2017, sur un projet viticole insolite dans le Kent) 17.
Un lieu de circulation des anglicismes qui illustre bien ce phéno-
mène lexical passager est le jargon de la mode. La mode se renouvelle
continuellement, et en corollaire, le vocabulaire pour la décrire (et le terme
stacking vient d’apparaître, cette façon étudiée de porter en nombre ses
bijoux). Lapalissade que de désigner la presse féminine comme un vivier
d’anglicismes : pour preuve, cet extrait de Dire, ne pas dire daté du 5 jan-
vier 2012 où Hélène Carrère d’Encausse dénonce de manière délibérément
exagérée, dans un exercice à la Queneau, l’anglicisation du vocabulaire des
magazines de mode :
[5] Conseils d’une coach au top 50 des people. Le dress code dit :
casual chic. Adoptez la touche seventies boostée par le blouson cus-
tomisé, shoppé à la brocante vintage du quartier.

On utilise l’anglais comme un outil rhétorique pour créer un style carac-


téristique de la presse féminine, ou plus exactement des rubriques mode

74
 La fabrique des anglicismes

et beauté. Ailleurs, comme dans l’édito ou la rubrique livres, on ne trouve


pas ou peu d’anglicismes, ce qui confirme un emploi spécialisé propre au
jargon de la mode vestimentaire et de la beauté. On peut vraiment parler
de jargon en raison de l’usage de mots et de mots d’origine anglaise plus
ou moins faciles à déchiffrer, à moins d’être une lectrice initiée au genre,
tel que plat-boy < play-boy pour désigner une chaussure femme plate de
style masculin.
Ces anglicismes au féminin portent avec eux des valeurs extra-lin-
guistiques, des valeurs ici positives. Si l’intégration durable dans la langue
française est loin d’être la destinée majoritaire de ces mots étrangers, il
importe néanmoins de les répertorier et de les étudier : d’abord pour pré-
server leur trace dans la langue, ensuite pour obtenir une photo instantanée
de l’état des anglicismes dans cette nouvelle phase d’emprunt, qui permet-
tra aussi des comparaisons dans le futur.

6. Conclusion
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On vient de détailler les procédés multiples dont la langue française use
pour ‘faire siens’ des termes d’origine anglaise. Ces anglicismes naissent
souvent de matrices internes à la langue emprunteuse et attestent l’inven-
tivité et l’adaptabilité de la langue française pour qui l’anglais ne consti-
tue qu’une matière première qu’elle modèle et remodèle pour créer des
mots nouveaux. Il ne s’agit pas que de ‘prendre ailleurs’ mais surtout de
refaire, de réinterpréter avec ses propres ressources lexicogéniques et pour
ses propres besoins. L’analyse sémique d’anglicismes a aussi révélé de
nombreuses différences, parfois subtiles, entre certains anglicismes et les
équivalents français qu’on leur attribue. Ces différences justifient aussi leur
usage, leur fonction et leur utilité en français. Les anglicismes sont bel et
bien des acteurs à part entière du renouvellement lexical. L’actuelle période
de contact entre le français et l’anglais fournit moins de mots qui resteront
dans la langue que de mots de passage qui répondent à des besoins de com-
munication momentanés.
Est-il indispensable de vouloir traduire de façon quasi systéma-
tique tous les anglicismes qui passent, restent ou disparaissent ? Le terme
anglicisme est sans doute devenu réducteur tant le phénomène est devenu
hétérogène – changements sémantiques, grammaticaux et stylistiques
de la langue de départ vers la langue d’arrivée ; anglicismes en série :
AN serial killer > FR serial entrepreneur, serial-graffeur des catacombes ;
hapax et anglicismes éphémères dans la presse ; nouveaux faux angli-
cismes adj./adv. cash ‘franc et blessant’ et adj. roots ‘authentique, simple
et hippie ; bourlingueur’ ; emprunt direct de locutions et proverbes last
but not least, time is money ; etc. Sans parler qu’il n’est plus un terme

75
Valérie Saugera

linguistique neutre en raison des connotations positives et négatives aux-


quelles sa seule forme contribue.
Au reste, les études sur les anglicismes ne semblent pas prendre
en compte la variation alors que de nombreuses études ont posé la varia-
tion (diastratique, diaphasique, etc.) comme un phénomène fondamen-
tal du français (Gadet, 1989). La presse écrite/digitale, comme lieu pri-
vilégié pour leur circulation et leur diffusion, explique que les travaux
de recherche sur les anglicismes européens reposent presque exclusi-
vement sur des corpus de presse (Onysko, 2007 ; ouvrage collectif The
Anglicization of European Lexis, sous la direction de Furiassi, Pulcini et
Rodríguez González, 2012). Ailleurs, quel statut pour l’anglais ? Dans les
conversations quotidiennes du « français ordinaire » ou du « français tout
court », quelle place occupent réellement les anglicismes ? Seuls de nou-
veaux travaux sur les emprunts menés en dehors de la presse écrite, de la
langue journalistique permettront d’élargir la définition et la représenta-
tion de l’anglicisme en français.
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NOTES
1. La Commission d’enrichissement de la langue française (CELF), par
exemple, publie un rapport annuel de son activité (http://www.culturecommunica-
tion.gouv.fr/Thematiques/Langue-francaise-et-langues-de-France/Politiques-de-
la-langue/Enrichissement-de-la-langue-francaise/Le-dispositif/Rapport-annuel-
de-la-Commission-d-enrichissement-de-la-langue-francaise-2015) et les termes
nouveaux qu’elle y propose augmentent la base de données terminologique
FranceTerme (http://www.culture.fr/franceterme).
2. Debray (2017) propose un essai sur l’imprégnation de la « civilisation »
américaine sur notre « culture » française.
3. Par exemple, la phrase last but not least est attestée dans sept des seize
langues du dictionnaire, alors que la phrase in a nutshell ne l’est qu’en néerlan-
dais. Ce dictionnaire comparatif permet de révéler les similarités et les différences
d’une langue à l’autre au niveau de l’intégration morphologique, sémantique, pho-
nétique et orthographique de ces emprunts.
4. Dire, ne pas dire est une expression de purisme linguistique où on donne
une seule forme pour la forme correcte (Walsh, 2014 : 425).
5. Les calques, un autre résultat du contact linguistique, font partie des
formes critiquées (FR confusant < AN confusing ; FR définitivement dans le sens de
absolument < AN definitely), mais qu’on ne discute pas dans cet essai centré sur les
seuls emprunts dont la forme peut immédiatement être reconnue comme d’origine
anglaise. Les calques laissent entrer ‘invisiblement’ un nombre accru de mots ou
d’expressions traduits littéralement de l’anglais : FR plafond de verre < AN glass
ceiling ; FR être en charge de < AN to be in charge of (Martí Solano, 2012).
6. Les URL pour chaque entrée/anglicisme suivent :
cash http://www.academie-francaise.fr/cash
vintage http://www.academie-francaise.fr/vintage

76
 La fabrique des anglicismes

asap http://www.academie-francaise.fr/asap
fashionista http://www.academie-francaise.fr/fashionista
look http://www.academie-francaise.fr/look-touch
7. Le Dictionnaire de la Zone (Tengour, 2013) qui catalogue l’argot des
banlieues inclut de nombreux mots du français ordinaire auxquels on a ajouté un
nouveau sens : affiche ‘honte de s’être fait remarquer’, aquarium ‘bureau vitré’ et
fumer ‘tuer’ ou ‘battre’.
8. Alexandre Samson précise d’ailleurs que ce phénomène vintage compte
des antécédents dans l’histoire de la mode : « Ce n’est cependant pas la première
fois dans l’histoire de la mode que l’on porte des vêtements anciens. En 1890,
pour fêter le centenaire de la Révolution, les femmes à la mode faisaient par
exemple retailler d’anciennes vestes et gilets masculins du XVIIIe siècle qu’elles
portaient ».
9. Par exemple, les seize termes empruntés à l’espagnol depuis 1945 qui
figurent dans le Petit Robert (2010) ne sont que des noms monosémiques (ceviche,
mariachi).
10. On a parlé du billet pour ASAP jusque dans la presse internationale (Drop
these ugly Anglicisms ASAP, urge French language Policy, article du Guardian, 8
janvier 2014).
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11. J’ai entendu de nombreuses occurrences de border dans une conversation
entre étudiants, p.ex. Mon frère, il est border (1er juin 2017).
12. Se pourrait-il aussi que l’anglais ait calqué fashionista sur l’espagnol
modista ? En espagnol, le terme modista est emprunté au français mode auquel est
attaché le suffixe espagnol -ista, un suffixe qui sert les genres masculin et féminin
(un dentista, una dentista). Pourtant, il est intéressant de relever que la forme
modisto s’est développée en espagnol pour désigner les grands couturiers, une
profession essentiellement masculine.
13. Le terme fake news pourrait faire l’objet d’une étude de cas, mais on relè-
vera seulement qu’il a la particularité de référer surtout au web (réseaux sociaux,
e-mails, etc.) à la différence de ces potentiels équivalents français et que ragot, un
des termes proposés, n’inclut pas l’idée de mensonge mais plutôt celle de malveil-
lance.
14. Cette identification invite nécessairement à une certaine subjectivité.
Certains anglicismes sont en effet moins reconnaissables par leur intégration
orthographique (émoticone) ou ressemblance formelle avec le français (fixie),
mais le locuteur reconnaîtra l’étymon anglais de la majorité des emprunts de cette
nouvelle phase de contact (burnout, low cost, playlist).
15. Appellation de la metteuse en scène Ariane Mnouchkine à l’ouverture du
parc en 1992 à Marne-la-Vallée.
16. Desnica (2016) détermine les étapes de la pénétration du slogan publici-
taire What else ? dans la presse française.
17. L’anglais continue à alimenter les jeux de mots dans le discours journalis-
tique : Do you speak trench ? (Elle, 29 février 2015) ; Rest in PS (France Culture,
3 juillet 2017).

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Valérie Saugera

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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