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PRÉSENTATION

Jean-Paul Hiltenbrand

ERES | « La revue lacanienne »

2012/2 N° 13 | pages 7 à 15
ISSN 1967-2055
ISBN 9782749234564
Article disponible en ligne à l'adresse :
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http://www.cairn.info/revue-la-revue-lacanienne-2012-2-page-7.htm
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!Pour citer cet article :
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Jean-Paul Hiltenbrand, « Présentation », La revue lacanienne 2012/2 (N° 13), p. 7-15.
DOI 10.3917/lrl.122.007
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L’intelligence de la jalousie
Le dossier
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Présentation

Jean-Paul Hiltenbrand
Psychiatre, psychanalyste

« Vous ai-je jamais donné l’explication analytique de sa fantastique expédition en Égypte ?


Napoléon avait un grand complexe de Joseph.
C’était le nom de son frère aîné et il lui a fallu épouser une femme qui s’appelait Joséphine.
Son immense jalousie du frère aîné s’était transformée en amour chaleureux
sous l’influence d’une identification au père et l’obsession s’étendit ensuite à sa femme. Incorrigible
rêveur qu’il était, il lui fallut jouer le rôle de Joseph en Égypte 1. »

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Un affect normal et universel ou refoulée dans la vie courante ; elle ne
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se manifeste pas toujours de façon appa-


On aimerait prendre la chose légèrement rente : c’est indirectement que nous en
comme appartenant à la comédie humaine découvrons le ravage. De l’autre côté, elle
habituelle. On s’aperçoit vite dans notre cli- ne se livre véritablement sous son aspect
nique de sa pesanteur et du côté inextri- déclaré que dans les éclats de la passion.
cable des tourments. De quoi parle-t-on au Un premier pas serait de distinguer d’em-
fait à propos de la jalousie ? Pour quelle rai- blée la jalousie de l’envie. La première
son revenir sur ce symptôme déjà tant dérive étymologiquement du grec zelos (être
débattu aussi bien par les auteurs clas- zélé, être très attaché à, être très désireux
siques de la psychiatrie que par les psycha- de quelque chose comme dans l’expression
nalystes ? Quelle question spécifique pose du « Dieu jaloux »), alors que le latin invi-
la jalousie ? D’abord, une certaine recru- dia, équivalent du Neid allemand, comme
descence clinique actuelle allant d’une dans le terme freudien de Penisneid, renvoie
modalité quasi muette à un état passion- à la convoitise où l’on sèche de dépit et de
nel. La grande diversité de ses présenta- haine à la vue de la possession par l’autre
tions fait problème avec l’impression que d’un bien ou d’un bonheur que l’on n’a
la terminologie commune paraît abusive et pas. On ne connaît pas d’envieux qui
exige une mise au clair, au moins à partir vienne rencontrer un analyste pour s’en
des référents fondamentaux de la psycha-
nalyse. Diversité qui pousse certains
auteurs à préférer l’usage du terme au plu-
1. E. Jones, « Lettre à Arnold Zweig du 6 novembre
riel : les jalousies. D’un côté elle est un 1934 », dans La vie et l’œuvre de Sigmund Freud,
affect normal et universel, souvent voilée tome III, Paris, PUF, p. 218.

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délivrer ouvertement. En revanche la souf- et que par ailleurs nous reconnaissons que
france jalouse y a volontiers recours. Il faut puisse se tisser un puissant délire, nous ne
croire que l’envie n’est pas vécue comme saurions admettre qu’il ne s’agit là que d’un
un symptôme et qu’elle n’est que l’expres- simple gradient d’intensité de l’un à l’autre,
sion normale de l’homme ou de la femme même si nous considérons que délire
dans sa dimension de concurrence et de n’équivaut pas forcément à psychose. Il
rivalité 2. Pour clore cette distinction, rap- semble que seul l’ordonnancement, selon
pelons cette remarque du moraliste Adam la distinction marquée par Lacan, des
Smith : « Si nous désirons la richesse ce dimensions du Réel, du Symbolique, de
n’est pas pour les satisfactions matérielles l’Imaginaire puisse permettre de dégager
illusoires. C’est parce qu’elle nous apporte une certaine clarification distinctive.
l’admiration des autres, une admiration
teintée d’envie. » La racine imaginaire
La jalousie appartient plus spécifique- et son actualisation
ment à l’expérience de l’amour et du

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désir, car d’une certaine manière aimer est Des vœux de mort souhaitée aux êtres
aussi désirer la possession exclusive de l’ob- chers, repérés dans les rêves par Freud
jet. À ce titre le jaloux vit dramatiquement dans la Traumdeutung, aux tensions bien
dans la crainte d’une perte imminente, connues suscitées chez l’enfant par l’arri-
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pouvant conduire au crime passionnel ou vée d’un « usurpateur » dans la fratrie, nous
à une chute dans la dépression. Signe des sommes là dans les dispositions habi-
temps, les œuvres romanesques se plaisent tuelles de la concurrence faisant partie d’un
à décrire toutes les nuances de ses tour- jeu normal et appartenant aux premiers
ments. Occasion de restituer un sens tra- temps de la genèse du processus de socia-
gique dans une époque qui n’en connaît bilité. Les membres de fratrie nombreuse
plus la dimension : la jalousie proteste ont peu de manifestations de jalousie,
contre l’injure faite au mirage de l’harmo- alors que dans celles de deux à trois sa fré-
nie entre deux êtres, dont l’amour, réputé quence est plus élevée. Cette rivalité pre-
être son véhicule le plus parfait, est censé mière serait-elle déterminante ? Dès son
constituer le remède à toute dissension. article sur Les complexes familiaux, Lacan 4,
La question se pose, entre la jalousie dite tout comme Freud, situe la racine de la
normale et celle de la passion : y a-t-il une jalousie dans le complexe fraternel et le
commune mesure ou un changement de vœu d’élimination du concurrent. Le petit
registre ? Dans ce cas existe-t-il une diffé-
renciation clairement énonçable ? Car
dans les deux situations se dessine un enjeu
2. Voir H. Schoeck, Der Neid, L’envie, une histoire du
de type paranoïaque. Le triple feuilletage mal, Paris, Éd. Les belles lettres, 2006.
proposé par Freud 3 suggère une gradation 3. S. Freud, Sur quelques mécanismes névrotiques dans
entre normal – névrotique et délire. Sa sug- la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité, 1922.
4. J. Lacan, « Les complexes familiaux dans la forma-
gestion pose le problème d’un lien de
tion de l’individu » (1938), dans Autres écrits, Paris,
continuité entre ces états. Si d’une part Le Seuil, 2001. Plus particulièrement le complexe de
nous affirmons que la jalousie est normale l’intrusion, p. 36.

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Présentation

Hans l’explicite sans ambages à la naissance constitue le premier plan d’une identifica-
de sa sœur : « La cigogne doit venir la tion narcissique conférant à la jalousie sa
reprendre. » Non moins remarquable est la dimension homosexuelle, comme le note
politique interne de l’entreprise moderne d’ailleurs Freud dans son article.
qui promeut la concurrence entre ses
employés pour augmenter leur producti- Symbolique et fonction du langage
vité, et dont la direction managériale
exploite ce levier commun pour aviver la Dans la phase du miroir, l’Autre est présent
compétition, la concurrence et la rivalité pour accorder son assentiment à ce
afin de stimuler le travail. moment jubilatoire de la première identi-
Pour revenir aux développements de Freud, fication narcissique, « laquelle impose sa
il est remarquable qu’il ait toujours retenu structure à tous les désirs ultérieurs », pré-
le complexe fraternel à l’origine de la cise Lacan 5. Du même coup le petit est
jalousie (cf. l’exergue). Certains auteurs de élevé à la condition phallique narcissique
ce dossier reprennent la question à nou- imaginaire. En revanche pour le parlêtre la

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veaux frais. La jalousie de l’adulte serait- relation à deux est une situation impro-
elle le produit contingent du retour dans bable : du fait de la fonction signifiante et
le Réel d’inscriptions primitives refoulées ? de son équivoque, il existera toujours un
L’on touche là au fond commun imaginaire Tiers-Autre détenteur privilégié du trésor
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de l’homme. Définir la jalousie exclusive- de tous les signifiants, Autre où s’ébauche


ment en tant que reliquat de la phase du la vérité de la cause, en tant que telle inac-
miroir dans sa dimension paranoïaque cessible. Dans cette opération, la parole
selon l’axe a’-a du schéma Lambda doit être menteuse y trouve son statut. Pour le par-
nuancé. La phase du miroir avec son cor- lêtre, perte, manque, trou sont des événe-
tège de rivalité, de concurrence, d’ambiva- ments forés par le langage. Ils ne résultent
lence jalouse, de haine, de méconnaissance, pas de quelque imperfection concrète du
où le sujet ne se connaît qu’en tant présent dans laquelle justement le jaloux
qu’identifié à cet autre du miroir et où cet s’obnubile à chercher la cause de son
autre lui-même est à la racine de son éro- tourment. Ceci indique que, malgré la
tique, tout ce dispositif décrit par Lacan construction rationnellement argumentée
comme étant au fondement de la subjec- de la relation de causalité, elle est bien
tivité n’est certes pas à exclure : « … cette constituée antérieurement et qu’il n’y a pas
ambiguïté où le sujet s’est assuré dans son lieu de la chercher dans l’actualité récem-
image anticipée, venue à sa rencontre et qui ment troublée. Elle signe bien plutôt le rejet
est le paradigme de toutes les formes de par le jaloux de la primauté du langage dans
ressemblance qui portent sur le monde des son équivocité, dans laquelle se faufile l’ins-
objets une teinte hostile en y projetant tance phallique instituée dans l’Autre.
l’avatar de l’image narcissique qui devient Le jaloux fait ek-sister ce Tiers-Autre, c’est
dans l’affrontement au semblable le déver- là son intelligence, mais en révoquant
soir de la plus intime agressivité ». Ce fait-
là, structural et incontournable, est
aisément reconnu dans la clinique car il 5. J. Lacan, Écrits, Paris, Le Seuil, p. 188.

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l’équivoque et en portant la suspicion sur d’une identification garantie close sur


un tiers imaginaire. Fait clinique remar- elle-même à une identification ouverte sur
quable, la preuve incontestable de son un manque possible, car cette dernière
erreur d’interprétation fournie par des détient un double versant : il s’identifie à
témoignages fiables n’ébranle aucune- la mère primordiale exclusive sur le mode
ment sa certitude. Au mieux, cela laisse imaginaire et à son désir représenté par Φ,
indifférent. Ainsi, des huit coups frappés où Φ ◊ I(a). C’est en ce point qu’a lieu le
dans l’appartement voisin dont le message passage de la rivalité primitive à la fonction
signifie sans ambiguïté « Ma chérie », le symbolique de l’Autre, ce qui n’exclut pas
jaloux privilégie le message télégraphique la superposition de deux chaînes signi-
secret, n’accordant aucun crédit aux déné- fiantes où l’une restée latente puisse
gations de sa femme. Ainsi, paradoxale- refaire surface.
ment, il fait ek-sister cet Autre tout en Non seulement cette identification seconde
réfutant ses effets. institue avec la primitive un écartèlement,
lequel se pérennise en tant que marqué par

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Remaniement identificatoire une perte ou un manque : l’objet perdu.
et manque Mais cet écartèlement est aussi l’occasion
d’un remaniement du rapport fantasma-
Reprenons la célèbre scène rapportée par tique du sujet au regard du désir de
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saint Augustin, citée par Lacan : cette l’Autre. Ce qui amène nécessairement à un
pâleur du petit voyant son frère de lait au repositionnement du sujet face au désir de
sein. Le seul spectacle de la possession, de l’Autre, où le phallus, symbole du désir,
la jouissance pleine et entière de l’objet par conduit à terme au problème de l’appro-
l’autre, de la monstration du plus-de- priation de la fonction phallique dans
jouir du rival n’est pas l’unique enjeu de l’avoir ou l’être pour le petit sujet. Or cette
la situation. Il convient de se souvenir que appropriation ne saurait s’instaurer toute
l’élection d’un objet (Objectwahl) chez seule et de façon stable à partir du désir de
l’enfant, cette élection procède par iden- l’Autre maternel sans la mise en place du
tification à la mère primordiale. Instance Nom-du-Père, qui dans le cas du jaloux
complexe renfermant à la fois son désir à semble faire question. La pâleur équivaut
elle (en tant que désir de l’Autre), son objet à une révision déchirante à l’endroit du
privilégié (le phallus), ainsi que l’image nar- désir de l’Autre maternel, elle s’énonce :
cissique de l’enfant [i(a)], à laquelle il s’est « De tous ses soins et ses chérissements,
identifié secondairement et où il est situé m’en suis-je illusionné, ai-je été trompé ?
comme équivalent du phallus. Dans ce dis- Que suis-je au regard du signifiant qui
positif, le surgissement de la pâleur signe organise son désir à elle ? » Il est trop évi-
un moment de remaniement considérable dent que la plainte du jaloux paraphrase
consistant dans le passage de l’Urbild de la par régression cette demande à l’Autre pri-
phase du miroir à l’identification seconde, mordial. Ce retour à la demande, demande
ici spéculaire, à savoir i(a) qui repose d’être aimé, à la supplique dramatisée de
autant sur la fonction de l’objet que sur une fidélité de l’autre, ces traits qui ne trom-
idéalisation. Autrement dit, l’enfant passe pent pas, font signe d’une stase du désir.

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Présentation

Nous observons, par exemple, combien rentiellement son développement ulté-


souvent l’aîné répugne au partage, qu’il fait rieur, le schéma R 6, la ligne horizontale
sa vie à l’écart en tout indépendance, supérieure de la relation du sujet S au
qu’il s’éloigne au plus vite de sa famille. point marqué (a’-M) s’établit dans une équi-
Sans ressentiment vis-à-vis du puîné ? voque entre petit autre et Mère symbolique.
Cette fuite résulte du positionnement du La mutation devant se faire de l’un à
sujet au regard du désir de l’Autre primor- l’autre (mutation réussie, échouée, refu-
dial et du signifiant désignant un manque, sée ?), dont la pâleur est le signe, elle
à partir duquel il a perçu qu’il n’est pas le s’exerce au point de passage de l’aliénation
préféré. Il n’est que de laisser se dérouler d’une image à une dépendance au désir de
l’anamnèse de son histoire infantile pour l’Autre, du spéculaire au champ de la
s’apercevoir que son historisation obéit aux parole, de la béance vitale réelle au manque
règles de son fantasme : avoir été aban- symbolique, du face-à-face avec l’autre à un
donné dans l’affection, laissé pour compte, système ternaire… tout cela ordonné sous
oublié par ses géniteurs. le Nom-du-Père, en puissance. Cette muta-

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tion identificatoire est un carrefour crucial.
Homologie de l’Imaginaire Le dispositif du schéma R rend compte de
et du Symbolique l’obligation du jaloux, en dépit de sa répu-
gnance, de devoir vivre à trois dans le Réel
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Dans le discours du jaloux on ne peut man- de son actualité. C’est là où nous désignons
quer d’être frappé par l’ambiguïté son intelligence. En effet, il restitue la par-
constante qui règne du côté de l’Autre : il tie à trois, pas sans l’Autre-Tiers, comme
ressemble tellement au petit autre connu lieu indépassable.
dans le dispositif de la rivalité alors qu’en Si comme tel ce Tiers-Autre qu’il maintient
même temps il détient cette obscure auto- envers et contre tout n’est pas l’Autre sym-
rité et ce pouvoir : l’Autre prétendument bolique mis en place par le langage mais
symbolique est une copie conforme de un double du petit autre imaginaire, cela
l’autre imaginaire. Il ne peut être tranché revient à considérer qu’il n’y a pas eu
d’emblée si le Symbolique ultérieur est conversion de l’autre en l’Autre. La perte
porteur des traces de l’inscription imagi- dont il se plaint est un Réel non symbolisé qui
naire, s’il est en continuité (comme l’in- fait retour dans son symptôme. Ainsi,
dique le nœud de trèfle paranoïaque l’absence de mise en place du Nom-du-
proposé par Lacan), ou bien s’il existe un Père a pour conséquence que c’est un petit
Symbolique autonome, indépendant de autre qui lui ravit la jouissance d’une ou
l’Imaginaire dans la jalousie. des femmes et que c’est cet autre qui lui
La clinique indique qu’à peine le sujet inflige une castration qui le féminise.
engagé dans une nouvelle relation, le Pourtant cette homologie Imaginaire-Sym-
tango de la jalousie reprend de plus belle. bolique intéresse l’analyse en ce qu’elle
Quelque chose insiste qui ne désigne pas permettra peut-être ultérieurement une
forcément une structure définie mais plu-
tôt une articulation qui ne s’est pas faite.
À reprendre le schéma Lambda ou préfé- 6. J. Lacan, Écrits, op. cit., p. 552-553.

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bascule au Symbolique, car il est sensible dès lors la fonction du phallus reprend sa
que certains patients opèrent sur les deux préséance d’autant plus vive qu’elle s’ins-
lignes identificatoires, isolées plus haut, taure sur le mode d’une privation momen-
créant par ailleurs une certaine indétermi- tanée pour l’un, alors que l’autre affiche sa
nation subjective. jouissance.

Névrose ou psychose ? Féminisation et Réel spécifique


L’ambiguïté paranoïaque
La jalousie révèle l’instabilité qui règne du
La présence de cette double avenue dans côté de la jouissance phallique. Sa priva-
sa persistance clinique engendre l’ambi- tion induit ce trait si particulier d’une fémi-
guïté de la réponse paranoïaque. P. Sérieux nisation, quel que soit le sexe. D’être à la
et J. Capgras ont-ils eu raison de classer les fois dénonciation d’un petit autre rival et
jaloux dans leur délire d’interprétation imploration de l’autre aimé, c’est-à-dire
parmi les « folies raisonnantes » ? Comme demande sur fond d’un Autre garant, elle

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devant toute passion le partage est parfois signe l’impossible appropriation de cette
difficile à faire. Les dépressions qui surgis- jouissance. La prise en compte de la pri-
sent occasionnellement prenant un tour mauté de ce référent offre cependant une
mélancolique avec des idées d’indignité, interprétation de la jalousie en général car
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pouvant aboutir à un suicide (cf. le cas elle indique que le syndrome de féminisa-
cité 7), ne permettent pas de trancher. Le tion, que celui-ci résulte soit d’une perte
désarroi profond de certains patients momentanée, soit d’une privation durable,
conduit volontiers à des syndromes d’allure est ici un fait capital. C. Melman 8 a plu-
inquiétante. Situation qui devrait plutôt sieurs fois commenté les incidences de
inviter à préciser le statut de la jouissance cette privation, en tant que son défaut
phallique. Car il apparaît clairement qu’il constituerait un Réel. Il a pu proposer que
existe un partage entre un épisode momen- la forclusion n’était pas tant celle du Nom-
tané de perte et la répétition d’un dispo-
sitif continu. Ainsi, dans la clinique
moderne il n’est pas exceptionnel d’en-
tendre des couples qui ont construit leur 7. P. Sérieux et J. Capgras, Les folies raisonnantes – Le
relation sur une modalité de pure élation délire d’interprétation, Éd. Félix Alcan, 1909, p. 110-
115, pour le cas cité. Notons au passage qu’en 1909
narcissique sous un régime d’égalité et de ces excellents cliniciens, en tant qu’aliénistes, ne pou-
liberté réciproque totale à l’égard d’une vaient avoir le souci de distinguer névroses de psy-
liaison extraconjugale. Un tel accord finit choses.
pratiquement toujours par un épisode de 8. Nous renvoyons à son travail considérable sur la
question :
jalousie en raison du surgissement imprévu – Livre compagnon de R S I, Éd. de l’Association freu-
de l’instance phallique dans le désir de l’un dienne, 1991 (hors commerce).
des deux, venant rompre le face-à-face nar- – « La paranoïa : une nouvelle clinique ? » dans Évo-
lution psychiatrique, Toulouse, Privat, Tome 50, Fasci-
cissique exclusif. Ainsi, en convenant de la
cule 3, 1985.
mise à l’écart consciente de sa fonction, – Les paranoïas, Séminaire 1999-2001, Paris, Éd. ALI
une dérive paranoïaque n’est pas exclue où (hors commerce).

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Présentation

du-Père qu’une forclusion du phallus 9. La en outre quelques éléments de la nouvelle


privation accidentelle ou générique de la clinique. Son intérêt réside surtout de nous
jouissance phallique vaut comme syn- porter au cœur de ce carrefour ambigu de
drome d’influence pour celui ou celle qui la constitution paranoïaque du parlêtre en
en est privé. La forclusion du phallus sug- tant qu’elle évoque un îlot psychotique tou-
gérée par C. Melman, organisée ou pas, jours en puissance dans la névrose, îlot très
semble tracer un destin identique. tôt signalé par Lacan à la suite de Freud.
Elle éclaire aussi ce fait remarquable que
Conclusion l’objet d’amour devient si volontiers per-
sécuteur. On en retiendra aussi que l’inva-
La jalousie est d’une grande richesse cli- riant est bien celui du parlêtre, celui-là
nique, c’est là que l’on peut désigner son spécifique, où l’émergence de l’affect
intelligence (comme celle de J.-J. Rousseau jaloux répond d’un trou réel.
et d’autres). Sa dynamique montre que
l’absence de la fonction phallique (exclu-

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sion ou forclusion) ne se traduit pas forcé-
ment par une psychose. L’importance
clinique de la jalousie est aussi contempo- 9. C. Melman, Entretiens à Bogota, Paris, Éd. ALI, 2006,
raine de notre modernité, dont elle illustre p. 87-88.
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