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L'ENFANT ET L'ANIMAL

Jean-Yves Le Fourn et Ginette Francequin

ERES | « Enfances & Psy »

2007/2 n° 35 | pages 6 à 7
ISSN 1286-5559
ISBN 9782749207339
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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:15 Page 6

INTRODUCTION
Jean-Yves Le Fourn
Ginette Francequin
L’enfant et l’animal

Jean-Yves Le Fourn est Quand Enfances&PSY a décidé de lancer un numéro


sur « L’enfant et l’animal », de nombreuses têtes se sont
pédopsychiatre, psychanalyste tournées car, quand même, était-ce bien un sujet sérieux ?
au Centre ORESTE ( EPS Tours). Nous les adultes, n’avons-nous pas été bercés par des
mots d’amour, par des noms d’animaux tels que « ma
Ginette Francequin est maître puce, ma biche, mon lion… » ? Il arrive aussi qu’on
entende des mots de haine devenus « génériquement »
de conférences en psychologie noms d’oiseaux : « T’es une larve, un escargot, une vipère,
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un loup… », ou bien des mots de mort : « Il a le crabe ! »
au CNAM et membre
Dans Totem et tabou, Sigmund Freud écrivait déjà
du laboratoire LISE - UMR - CNRS . que : « La relation de l’enfant à l’animal ressemble beau-
coup à celle du primitif à l’animal. L’enfant ne présente
pas encore la moindre trace de l’orgueil qui, par la suite,
pousse l’Homme civilisé adulte à séparer sa propre nature
de tout le règne animal par une ligne de démarcation tran-
chée. Sans hésiter, il accorde à l’animal d’être pleinement
un égal, reconnaissant sans inhibition ses besoins ; il se
sent sans doute davantage parent de l’animal que de l’ob-
jet, qui est vraisemblablement énigmatique pour lui. »
En contre-pied ou en dialectisant du singulier au col-
lectif, Claude Lévi-Strauss écrivait : « C’est parce que
l’homme s’éprouve primitivement identique à tous ses
semblables (au nombre desquels il faut ranger les ani-
maux) qu’il acquerra la capacité de se distinguer, c’est-à-
dire de prendre la diversité des espèces pour support
conceptuel de la diversité sociale. »
Nous avons donc posé la question du rapport pluriel
de l’enfant avec l’animal, tant sur le plan développemen-
tal que thérapeutique, et avons, sans prétention exhaus-
tive, construit ce numéro autour de quatre axes :

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L’enfant et l’animal

– l’animal et le développement psychique de l’enfant ;


– l’animal utilisé dans différentes thérapies ;
– le rôle de l’animal dans la famille de l’enfant ;
– l’animal et l’imaginaire des enfants.
L’animal participe au développement psychique de l’enfant
car « les interactions avec l’animal familier contribuent à façon-
ner leur monde émotionnel, affectif, relationnel et social »,
comme l’écrit Hubert Montagner.
D’autres auteurs vont également aborder avec audace, comme
Fabienne Delfour, cette question de « Penser le dauphin et son
monde ». Annie Birraux, psychanalyste, va, autour de la question
des phobies infantiles, nous interroger : « Pourquoi le persécuteur
phobique de la petite enfance est-il souvent un animal ? »
Véronique Servais, au regard de la relation homme/animal, va
aussi nous questionner sur notre relation avec l’animal : « Celle-
ci peut-elle devenir significative et donc thérapeutique ? »
L’animal a sa place dans les processus thérapeutiques comme
la psychothérapie de l’enfant, car « L’animal occupe une place
importante tant dans la vie réelle que dans la vie fantastique »
(Karin Tassin). L’animal a également une place thérapeutique
chez des enfants présentant un déficit sensoriel visuel (Agnès Le
Van) ou ayant des troubles de la personnalité (l’association
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OSCARE) et permet à l’enfant d’avoir un « outil » dans ses appren-
tissages sociaux, affectifs…
L’animal de compagnie a-t-il un rôle éducatif et affectif pour
le nouveau-né ou l’enfant… au sein de la famille ? Les articles de
Sophie Durand et Nathalie Simon nous éclaireront, ainsi que les
conseils de la Fondation Sommer, sur cette question.
L’animal existe ainsi pour l’enfant, l’adolescent, et, souhai-
tons-le, pour l’adulte, parent ou soignant, au travers des contes et
légendes (Claude de la Génardière), de ce loup de la maternelle
(Guy Chamoux), jusqu’aux animaux dans la musique (Pierre
Bonafos et Alexandra Bruet) ou dans les livres illustrés pour
enfants (Françoise Armengaud et Martine Bourre).
Ce numéro a pour but d’ouvrir un champ de réflexion, tant au
plan thérapeutique qu’éducatif, et nous permet humblement de
jeter un regard sur cette condition humaine où l’ennemi, comme
le soulignait Jacques Lacan : « Pour le troupeau humain, c’est
l’homme lui-même »…
Bonne lecture ! Beaux rêves !… Évitez les cauchemars d’an-
tan et d’aujourd’hui !
Merci aux auteurs, venus d’horizons très différents qui ont
contribué à la réflexion de ce numéro.

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LES ANIMAUX DANS LES PHOBIES D'ENFANT

Annie Birraux

ERES | « Enfances & Psy »

2007/2 n° 35 | pages 8 à 14
ISSN 1286-5559
ISBN 9782749207339
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L’ANIMAL ET LE DÉVELOPPEMENT PSYCHIQUE


DE L’ENFANT
Annie Birraux
Les animaux
dans les phobies d’enfant

Annie Birraux est psychiatre, Toutes les cultures et toutes les civilisations ont eu
affaire avec la peur. Sans elle « l’homme n’aurait pas sur-
psychanalyste, professeur vécu » (Delumeau, 1978). C’est la peur qui a présidé aux
grands travaux de domestication de la nature ; c’est grâce
honoraire des Universités à elle que nous nous sommes protégés contre ses agres-
(Paris VII). sions et ses colères. La peur est peut-être l’émotion la
plus ordinaire de l’homme, la « passion », selon
Descartes, la plus « vulgaire », la plus triviale ; c’est
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néanmoins celle qui donne en contrepoint à la hardiesse
et au courage les couleurs de la vertu !
Toutes les cultures et toutes les civilisations se sont
aussi créé des peurs imaginaires, afin de légitimer des
rituels de groupe, des superstitions protectrices, des
tabous, et ce pour deux raisons : d’abord, pour anticiper
l’angoisse humaine, la projeter et la faire advenir dans la
réalité extérieure, mieux la circonscrire et la maîtriser, et
ainsi s’assurer de son propre sentiment d’existence
(Birraux, 1992) ; ensuite pour « éduquer » les enfants à
la prudence et leur signifier que l’environnement n’est
pas naturellement hospitalier et protecteur.
Quelles que soient les théories freudiennes de l’an-
goisse – phénomène automatique ou signal d’alarme
pour le moi –, l’angoisse est l’éprouvé de l’état d’im-
puissance du sujet humain, conséquence de sa prématu-
rité et de son incapacité « à s’aider lui-même ». Au cours
de son développement et de sa maturation, l’enfant
acquerra progressivement des outils moteurs et psy-
chiques pour l’éviter, pour se la représenter et l’élaborer,
mais aux origines, c’est la mère qui éponge les déborde-
ments d’angoisse de son nourrisson. Et, bien que « la
peur soit lourde d’angoisse et que l’angoisse se lie à la

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Les animaux dans les phobies d’enfant

peur » (Laplanche, 1980), c’est grâce au mécanisme psychique « Hans fait même un rêve
de la projection que l’enfant se débarrassera de ses « mauvaise- d’angoisse dont le contenu
tés internes ». Ceci a été très tôt repéré par Freud dans la phobie est le suivant : il perd sa
du petit Hans (Freud, 1909) et a contribué à la modélisation de la mère, ce qui fait qu’il ne
psychodynamique des phobies infantiles. peut plus faire câlin avec
elle. La tendresse de Hans
Mais pourquoi le persécuteur phobique de la petite enfance pour sa mère s’accroît
est-il souvent un animal ? immensément. »
« Hans ne peut dire de quoi
DE LA PHOBIE DU PETIT HANS il a peur mais il trahit, par
des paroles à son père, le
Hans a 3 ans quand, au moment de la naissance d’une petite
motif qu’il a d’être malade
sœur, il manifeste la peur de voir tomber les chevaux sur la rampe et le bénéfice de sa maladie.
de chargement de la gare de marchandises de Vienne. Cette inquié- Il veut rester près de sa
tude se complique de tentatives d’évitement des promenades qui mère, il veut faire câlin avec
pourraient l’amener dans ce secteur et d’une restriction de ses jeux elle ; le souvenir d’avoir été
dans le périmètre domestique. Il exprime fréquemment l’idée que séparé d’elle quand est
le cheval pourrait tomber ou qu’il aurait envie de faire tomber le arrivé l’autre enfant peut,
cheval. Dans le même temps, Hans déprime un peu. ainsi que pense le père,
contribuer à créer cette
La phobie succèdera à une crise d’angoisse morbide,
nostalgie. »
« angoisse et pas encore peur », qui le saisit peu de temps après, S. Freud, Cinq psychanalyses.
dans la rue. Chez cet enfant, au début, il n’y a ni phobie de la rue,
ni de la promenade, ni même des chevaux, mais un état d’an-
goisse diffuse auquel mettra fin l’apparition de la phobie. De
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même cesseront à ce moment-là ses préoccupations inquiètes au
sujet de la naissance de la sœur. L’origine de la phobie est la dan-
gerosité des vœux œdipiens incestueux et la tension interne que
suscitent ceux-ci chez un petit qui se sent menacé de ne plus être
aimé. Progressivement, Hans est dévoré par l’angoisse, même
quand sa mère l’accompagne. Sa libido se fixe peu à peu sur le
cheval et Hans manifeste la peur tout à fait particulière d’être
mordu par ce cheval blanc.
« Peur particulière » en effet, car, si le cheval n’est pas, pour
chacun, un animal de compagnie, il n’a généralement pas mauvaise
réputation : au contraire. Crin blanc ou L’étalon noir sont des
icônes d’idéalisation adolescente, mais le dada ou le cheval de
manège sont familiers de l’enfance. Ici, Freud met en évidence que
le cheval « et son fait-pipi » sont des représentants de la figure
paternelle, et que Hans craint un châtiment de son père en raison
des vœux trop tendres qu’il porte à sa mère et de ses désirs d’être
seul avec elle. La condensation et le déplacement, puis la projec-
tion, mécanismes inconscients, ont fait, pour cela, le nécessaire. Le
pauvre cheval n’y est pour rien !

L’ANIMAL DANS LA PHOBIE

Qu’est-ce qu’une phobie ? « Une névrose dont le trait central est


la systématisation de l’angoisse sur des personnes, des choses, des

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

situations, des actes qui deviennent l’objet d’une terreur paraly-


sante » (Ey, 1974) ou « un mécanisme de défense qui provoque le
déplacement de l’angoisse en vue de son apaisement »
(Ajuriaguerra, 1974). Assurément les deux, sauf qu’avant de parti-
ciper d’une organisation névrotique, la projection contribue à main-
tenir une homéostasie interne, psychique et somatique, lorsque la
vie pulsionnelle concourt à nourrir des représentations dangereuses.
L’animal est, le plus souvent, l’objet sur lequel tombe ce délestage,
en raison vraisemblablement de sa proximité avec l’homme.
Les phobies sont donc des peurs injustifiées d’animaux ou
d’objets inoffensifs. À la différence des phobies de situation (de
transport, d’espace, etc.) qui invalident bien des adultes, les pho-
bies d’animaux ne sont pas pathologiques chez l’enfant. Elles sur-
gissent même normalement au cours du développement du petit
d’homme autour de 3 ans ou plus, et disparaissent « normalement »
avec le refoulement de l’entrée dans la latence, c’est-à-dire vers
7-8 ans. Elles signent « la névrose infantile ». Elles font entrer
« l’animal de peur » dans la vie de l’enfant alors que rien ne le lais-
sait pressentir, sauf qu’elles coïncident avec la mise en place, par
l’enfant, d’un système de valeurs, de limites et d’interdits qui tra-
duisent la conscience qu’il acquiert de la différence des sexes et
des générations. L’apparition des phobies infantiles atteste donc
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d’un véritable travail de maturation interne. À la peur des gros ani-
maux succèdera théoriquement la peur des petits animaux : les
souris, les serpents, les vipères, les araignées, les moustiques, etc.
À la peur d’être mordu, succède celle d’être piqué.
Ce mécanisme de substitution de la peur à l’angoisse permet
d’éviter un « danger réel interne », c’est-à-dire l’impact de scé-
narios menaçants, de représentations qui touchent à des interdits
– meurtre, inceste, coït parental – et qui font craindre une répres-
sion punitive. L’animal de peur a donc toujours à voir avec les
images parentales intériorisées.

DÉPLACEMENTS ŒDIPIENS

Les phobies normales de développement, celles qui surgissent


autour de la troisième année et qui s’évanouissent, comme elles
avaient commencé, autour de la cinquième ou sixième année, dési-
gnent donc, dans l’animal qui fait peur, une figure de l’autorité,
celle qui a droit sur l’enfant et surtout sur la mère, celle qui prive
l’enfant de la présence maternelle, celle qui porte atteinte à l’idée
qu’il se fait de son omnipotence. « Ce qui angoisse l’enfant », dit
Freud, « n’est, à l’origine, pas autre chose que l’absence de la per-
sonne aimée », ce dont il a peur, c’est d’être privé de la présence
tutélaire de la mère. Si on adhère au schéma psychanalytique de la

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Les animaux dans les phobies d’enfant

structure de la névrose infantile, l’animal de peur est un avatar


« paternel ». L’enfant, impuissant « à s’aider lui-même », dans le
désarroi où le laisse la supposée tromperie maternelle, est débordé
par une angoisse qu’il ne peut figurer qu’en la projetant sur un
objet qui viendra, de l’extérieur, justifier ses craintes, mais qui
simultanément confortera en lui l’objet subjectif et son sentiment
d’existence. Son rival, c’est ce tiers pour lequel sa mère l’aban-
donne, et dont il peut craindre les foudres en retour s’il lui exprime
directement son hostilité (mais ce n’est pas lui qu’il affronte direc-
tement : voyez comme j’ai raison d’avoir peur de ce cheval
méchant qui me mordrait !). Le mécanisme projectif est, dans ce
conflit, une manière diplomatique de ménager les susceptibilités
des parties, en déplaçant l’objet du conflit sur un autre terrain. Si
l’enfant a peur d’un animal et le couvre d’injures ou d’opprobres,
il peut conserver à son père, sans conscience de son ambivalence,
sa tendresse et sa demande de protection.
Dans certains cas, l’affaire peut sembler plus complexe. Les
animaux-cibles de la projection phobique qui ont donné lieu à des
modélisations théoriques (du coq d’Arpad 1 de Ferenczi au cheval
de Hans de Freud) sont largement coiffés au poteau de la popula-
rité par l’image du loup-garou, qui, malgré l’évolution de la
pédagogie parentale de la peur, continue de hanter les nurseries.
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Or le loup a cette particularité de renvoyer d’abord à l’obscurité,
au noir, à l’isolement et ensuite seulement à l’animal, lequel
évoque des angoisses de dévoration ou d’inexistence qui sont
plus archaïques que celles que nous évoquions avec Hans.
Le loup-garou est le travesti d’une mère archaïque prégéni-
tale, d’une mère dangereuse qui détient, sur le nourrisson, les
pouvoirs de vie et de mort. Les baleines et autres « dents de la
mer » en sont les équivalents contemporains 2. Lilith, la mère
obscure, en était la représentation antérieure. Cette peur précède
toutes les autres, et leur survivra probablement quel que soit le
destin de la réintroduction du loup dans nos montagnes.
C’est dans cet espace que l’objet transitionnel joue son
meilleur rôle. Animal ou non, nounours chiffon, objet de réassu-
rance dont on ne peut se séparer mais que l’on jette, maltraite
sans crainte de représailles, qui garantit contre la peur de l’obs-
curité, l’angoisse de la dévoration ou celle de la séparation. Qui 1. Cité par T. Ferenczi
garantit surtout contre toutes les menaces externes puisqu’il est la dans « Un petit homme-
preuve tangible que la mère est là, moi et non-moi, et que tout se coq », article publié en
passe comme si elle donnait la main. 1913.
2. Les histoires de loup
L’hypermédiatisation des affaires de psychologie voudrait cependant se vendent
que l’on puisse décrypter les conflits internes du sujet humain à toujours bien aux tout-
la lumière des caractéristiques de ses conduites. Il n’en est, hélas, petits.

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

rien. Chaque histoire est singulière et la peur du père rival et cas-


trateur, si elle s’affiche incontestablement dans l’émergence
d’une phobie d’animal, ne dit pas, à travers cet animal, la qua-
lité du père. La réalité de celui-ci est filtrée par les fantasmes de
l’enfant au point qu’un lion peut renvoyer à un père socialement
falot, et qu’une figure extérieurement prestigieuse peut engen-
drer une phobie d’oiseau, et pas nécessairement celle d’un paon
ou d’un oiseau de paradis. Si la nature de l’objet phobogène
détient un peu de sens, c’est dans une histoire intime qui n’est
pas décryptable sur catalogue. De même, la peur du loup dira
l’angoisse archaïque de l’enfant, ses fantasmes probablement
terrifiants et qu’il ne peut maîtriser seul, mais ne permet pas de
dire ce qu’est la mère ! La causalité psychique est d’un autre
registre.
Il semble que les phobies d’animaux que nous voyions dans
la clinique actuelle se fassent plus rares et laissent place à des
angoisses plus informes, souvent plus crues, moins organisées.
Ceci mériterait un débat dans la mesure où les inhibitions, les
phobies sociales et scolaires, dont les objets sont vagues, ne sem-
blent pas en diminution.

LES ANIMAUX DE PEUR ET LA MODERNITÉ


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Indépendamment de ce constat, l’ambivalence des enfants,
face « aux animaux de peur » que l’on fuit, qui font hurler, mais
que l’on essaie de surprendre de mille manières, pose la question
de la peur « qu’on aime » dans le fonctionnement psychique. Au
moment où, chez les enfants, se mettent en place des éloigne-
ments, des évitements de situations qu’ils imaginent dangereuses,
la peur, partagée, semble excitante. La littérature enfantine nous
donne, sur ce sujet, un aperçu intéressant.
D’abord, toutes les peurs qu’éprouve l’enfant envers les ani-
maux ne sont pas des phobies. Certaines peurs sont raisonnables.
Les adultes ont utilisé pédagogiquement la peur pour sensibiliser
au risque les bébés et les jeunes enfants qui ne connaissent pas la
peur et ne sont pas en mesure d’apprécier le risque encouru dans
certaines situations. Dans les folklores, on rencontre ainsi des
personnages – sorciers, croquemitaines, ogres ou animaux – ima-
ginés par les parents pour se faire obéir et pour préserver les
gamins que personne n’avait le temps de surveiller des dangers
de leur environnement. « Le croquemitaine de l’eau, le tire-gosse,
l’attrape-vaurien », par exemple, cachés dans les puits, les grottes
ou les chutes d’eau, ont été inventés pour protéger les enfants de
la noyade ou du risque de se perdre, en les dissuadant de s’ap-
procher des espaces dangereux.

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Les animaux dans les phobies d’enfant

Si ces personnages inspirent moins la littérature enfantine


moderne, c’est en raison d’une évolution de la pédagogie parentale
de la peur. Aujourd’hui, l’enfant ne grandit plus seul. On lui
accorde, en outre, une intelligence susceptible d’estimer les dan-
gers de son environnement et de les éviter. La littérature enfantine
pour les tout-petits fait cependant toujours appel à ces schémas
phobiques, archaïques ou névrotiques, mais pour mettre des mots
sur les angoisses du petit d’homme, pour les accompagner : ainsi
la peur des transformations corporelles (La Belle et la Bête ou Les
Animorphs), les peurs archaïques et les angoisses de dévoration (Le
petit Chaperon Rouge ou Baba Yaga), les angoisses d’abandon
(Léon a peur et Une histoire à dormir debout). Si l’on invente des
histoires qui font peur avec des monstres, des ogres, des loups,
c’est pour démystifier les figures du folklore en s’arrangeant pour
les rendre sympathiques et dénuées de mauvaises intentions. Les
parents, les éducateurs et les auteurs de livres pour enfants s’adres-
sent à eux en se dispensant de mentir sur des sujets aussi graves
mais en les rendant ludiques. Il s’agit de montrer que la peur
concerne tout le monde mais peut être dépassée. Il s’agit aussi de
faire surgir l’idée qu’il y a des limites à ne pas franchir, des
contraintes auxquelles nous sommes tenus, et que, dans un monde
relativement désordonné, violent, injuste, celles-ci nous protègent
et nous évitent de sérieux déboires.
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La littérature pour les plus jeunes joue donc aujourd’hui un rôle
éducatif anti-angoisse à plusieurs niveaux ; d’abord, parce qu’il
semble exister un certain consensus éditorial autour des peurs dont
on peut parler aux enfants ; ensuite, parce que les auteurs démon-
trent que la peur vécue par le héros n’est qu’imaginaire ; enfin,
parce que les thèmes actuels abandonnent le ressassement des
thèmes œdipiens pour stimuler au contraire les thèmes culturels et
leurs investissements. Tout se passe comme si la littérature enfan-
tine voulait contribuer au refoulement de la latence et participer de
l’émergence de valeurs organisatrices, sociales et culturelles. Il ne
s’agit pas, en effet, de dénier l’existence de l’angoisse et de la peur
mais de montrer qu’elles sont liées à nos pensées et qu’il existe
mille manières de les dépasser.
La tendance, pourtant, n’est pas aussi optimiste pour les enfants
plus âgés. On a ici l’impression que les éditeurs jouent sur un
thème à risque qui consiste à proposer des choses effrayantes
(séries ou petites fictions) pour contraindre le public à jouer avec
sa peur. Les romans d’aventure ont laissé la place à des textes qui
parlent d’exploration de mondes fictifs où la survie devient le
thème du récit : survie qui déclenche des situations parfaitement
horribles ! Pour cette catégorie de jeunes, les romans sentimentaux,
les contes philosophiques ne font plus recette.

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

Pourtant Blanchette n’a rien perdu de sa capacité d’émouvoir et


son long combat contre le loup pour une vie libre demeure un bon
sujet de traitement de l’angoisse. La solution serait peut-être de
transformer monsieur Seguin en D.J., Blanchette en élève de la
« Starac », et le loup en sirène du showbiz. Méfions-nous : les « ani-
maux de peur » de notre modernité sont sans doute des mutants.
Il semble aussi que les robots prédateurs ou les personnages
animalomorphiques prennent progressivement la place du persé-
cuteur externe, comme si le déplacement de la figure paternelle
hostile se réduisait dans une oscillation métaphoro-métonymique
moins ample qui ainsi travestirait moins et ferait plus de place à
une certaine réalité.

BIBLIOGRAPHIE
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FREUD, S. 1954. Cinq psychanalyses, Paris, PUF.
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RÉSUMÉ
Mots-clés :
Pourquoi le persécuteur phobique de la petite enfance est-il souvent un
Peur, phobies
animal ? En s’appuyant sur la phobie du « petit Hans », citée par Freud,
d’animaux, angoisse,
l’auteur explique que c’est en raison de sa proximité avec l’homme que
latence, refoulement.
l’animal est le plus souvent l’objet vers lequel se déplace l’angoisse. Le
mécanisme de substitution de la peur à l’angoisse permet à l’enfant
d’éviter un « danger réel interne » : l’animal de peur a donc toujours à
voir avec les images parentales intériorisées. Dans le monde moderne, la
littérature enfantine joue un rôle éducatif anti-angoisse à plusieurs
niveaux : tout se passe comme si elle voulait contribuer au refoulement
de la latence et participer de l’émergence de valeurs organisatrices
sociales et culturelles.

Key words : SUMMARY


Fear, animal phobia, Why is the phobic persecutor during childhood so often an animal?
anxiety, latency, Based on “Little Hans” phobia, named by Freud, the author explains
repression. that it is because of its proximity to human kind that the animal is often
the item on which anxiety is transferred. The mechanism which substi-
tutes fear to anxiety enables a child to avoid a “true internal danger” :
the animal feared by the child always refers to internal parental refe-
rences. In modern world, child literature plays at different levels an
important educational role against anxiety : it acts as if literature would
strive for repressing the latency as well as the emergence of social and
cultural values.

14
L'ENFANT ET LES ANIMAUX FAMILIERS
Un exemple de rencontre et de partage des compétences spécifiques et individuelles

Hubert Montagner

ERES | « Enfances & Psy »

2007/2 n° 35 | pages 15 à 34
ISSN 1286-5559
ISBN 9782749207339
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2007-2-page-15.htm
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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:15 Page 15

L’ANIMAL ET LE DÉVELOPPEMENT PSYCHIQUE


DE L’ENFANT
Hubert Montagner
L’enfant
et les animaux familiers
Un exemple de rencontre et de partage
des compétences spécifiques
et individuelles

Les rôles et fonctions des animaux familiers dans la vie Hubert Montagner est docteur
émotionnelle, affective, relationnelle, sociale et intellec-
tuelle des humains sont particulièrement clairs dès lors que ès sciences, professeur
l’on considère leurs interactions avec l’enfant. En effet, si
des universités et directeur
on examine celles-ci à la lumière des recherches expéri-
mentales, des études longitudinales et des « observations de recherche à l’ INSERM .
cliniques », elles apportent un éclairage incomparable sur
les mécanismes et processus qui façonnent le développe-
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ment individuel, les phénomènes d’attachement, les
conduites et les processus cognitifs chez l’Homme. Si on
se fonde sur les propos des enfants, en partageant l’habitat,
la « niche écologique » et l’intimité des humains, l’animal
familier est considéré à la fois comme un ami qui fait
partie de la famille, un confident qui peut tout voir et
entendre, un complice qui ne trahit pas et auquel on peut
accorder une confiance aveugle. Il ne parle pas et donc ne
juge pas, et ne renvoie pas aux difficultés personnelles et
familiales : sans compter les « services » qu’il peut rendre
aux personnes et à la société.
Dans la vie quotidienne, les animaux familiers ont la
possibilité et la capacité de manifester spontanément des
comportements nouveaux, nuancés, étranges, complexes
et diversifiés, à la fois dans leur registre spécifique et
dans les registres appris et façonnés au contact des
humains. Leur capacité à décoder les signaux des
humains et à s’ajuster à leurs conduites ainsi que leur
flexibilité génèrent le sentiment, ou la certitude, qu’ils
s’accordent aux émotions et aux affects (pour la défini-
tion précise de l’accordage ou « attunement», voir Stern,
1985). Les enfants de tous âges peuvent ainsi former les

35 15
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L’animal et le développement psychique de l’enfant

représentations et les idées les plus surprenantes, effectuer les


transferts les plus délirants, reconstruire leurs raisonnements, éla-
borer de nouveaux projets. Les interactions avec l’animal fami-
lier contribuent donc à façonner leur monde émotionnel, affectif,
relationnel, social et cognitif.

LES CINQ GROUPES D’ANIMAUX FAMILIERS

Les animaux familiers appartiennent essentiellement à cinq


groupes (les chiens, les chats, les chevaux, les dauphins et les
perroquets), même si d’autres espèces peuvent remplir occasion-
nellement des fonctions ou des rôles d’animal familier
(Montagner, 2002b).

Les chiens
Très attentifs à ce que fait et dit leur maître, en quête perma-
nente d’interactions affiliatives (voir plus loin), les chiens se mon-
trent capables de décoder un large éventail des comportements de
ce maître, de ses odeurs (Millot et coll., 1988, 1989 ; Filiatre et
coll., 1986, 1988 ; Montagner, 2002b), de ses vocalisations et ono-
matopées, et aussi de ses productions langagières. Ils peuvent ajus-
ter leurs réponses à ses attentes, ses intentions et ses projets, tout
en lui donnant l’impression (ou en renforçant sa certitude) qu’ils
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adhèrent à ses émotions et ses affects. Ceci, indépendamment d’un
conditionnement explicite, d’un dressage formel ou d’une autre
forme d’instrumentalisation. Ils sont des coacteurs exceptionnels
dans de multiples activités ou tâches humaines : chasse, transport
des personnes et des marchandises (chiens de traîneau), « encadre-
ment » des troupeaux d’animaux de ferme, garde et protection des
habitats, recherche et découverte des ressources cachées, assis-
tance aux personnes handicapées, opérations de sauvetage… Dans
toutes ces coactions, les chiens peuvent et savent moduler leur
comportement en tenant compte du contexte, de la situation et du
milieu, et en se fondant sur leurs expériences individuelles et leur
« vécu ». Plus généralement, ils sont flexibles par rapport aux évé-
nements et à l’environnement. Certains sont capables d’anticiper le
comportement du maître. C’est probablement aux chiens que
l’homme, quelles que soient sa culture et son appartenance eth-
nique, attribue les capacités d’attachement et de fidélité les plus
développées, tout en leur reconnaissant des « qualités » affectives
et cognitives hors pair (Vernay, 2003).

Les chats
Les chats ont, eux aussi, un éventail de comportements qui don-
nent à leur maître l’impression ou la certitude qu’ils partagent ses

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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:15 Page 17

L’enfant et les animaux familiers

émotions et ses affects. Cependant, ils sont des êtres indépendants


qui alternent les temps « égoïstes », quelles que soient la volonté et
les décisions des humains, et les temps de forte dépendance et d’in-
timité pendant lesquels « ils ne peuvent se passer » de relations
avec les personnes. Leur « esprit d’indépendance », ancré dans la
dépendance à l’égard de l’homme, en fait des partenaires « natu-
rellement prédisposés » à sa vie familiale puisque les personnes
alternent, elles aussi, les moments égoïstes et les moments d’inter-
dépendance affective et relationnelle. En outre, si on les compare
aux autres espèces, en particulier aux autres félidés, les chats fami-
liers ont la particularité de déployer un registre unique de compor-
tements que les humains interprètent comme des débordements
« personnalisés » d’attachement, de tendresse ou d’amour. Ils com-
binent, en effet, les ronronnements, les léchages, les frottements
appuyés de la tête sur les jambes, les bras ou les mains, les
recherches permanentes du corps à corps, les « œillades » (voir
plus loin), les miaulements modulés, les écoulements nasaux dans
les interactions proximales, les comportements infantiles ou juvé-
niles… Ils ont en même temps la capacité d’indiquer clairement
leurs besoins, leurs états de bien-être ou de « mal-être », leurs souf-
frances (même si on affirme communément qu’ils souffrent en
silence), leurs « motivations » et leurs intentions. L’ensemble de
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leurs registres en fait des générateurs et des amplificateurs incom-
parables des émotions, des affects et des phantasmes des humains,
en particulier les enfants.

Les chevaux
Les chevaux sont également des partenaires auxquels les
humains attribuent la capacité de partager leurs émotions et leurs
affects. En outre, hors conditionnement, dressage ou autre forme
d’instrumentalisation, ils ont la capacité de s’ajuster en perma-
nence, et au « quart de tour », aux contacts manuels, pressions des
jambes, vocalisations, onomatopées et paroles de leur(s) cava-
lier(s) (voir plus loin). Ainsi se trouve généré, au cours du che-
vauchement, une sorte de « dialogue tonico-postural » (Wallon,
1959), c’est-à-dire d’accordage tonique, postural, émotionnel,
affectif et rythmique entre le cheval et le cavalier. Ceci, à partir
des informations qu’ils recueillent mutuellement sur leurs ajuste-
ments corporels grâce à leurs récepteurs somesthésiques (organes
tactiles, de pression et de sensibilité thermique de la peau), leurs
propriocepteurs (organes intramusculaires, intra-articulaires et
intratendineux sensibles à l’étirement des muscles, articulations
ou tendons) et leurs récepteurs vestibulaires (organes de l’équi-
libre situés dans l’oreille interne). Cavalier et cheval paraissent
alors « faire corps » et adhérer l’un à l’autre.

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

Les dauphins
Même si cela peut paraître mythique, le dauphin nourrit, chez
les humains, l’idée ou la certitude qu’il comprend leurs signaux
et leurs attentes, qu’il établit des relations entre, d’une part, des
situations ou contextes bien définis et, d’autre part, les émissions
sonores ou ultrasonores de ses congénères, mais aussi celles que
produisent les personnes, puisqu’il s’organise en fonction de ce
qu’il décode. En outre, son apparence « rigolarde » et amicale,
son comportement dépourvu d’agressivité, sa sensibilité à la dou-
leur et au plaisir, et sa capacité réelle ou supposée d’accompa-
gnement, de « pilotage » et d’assistance des humains en difficulté
dans le milieu aquatique conduisent la plupart des personnes à
penser que cet animal a pour eux un véritable attachement et une
véritable amitié, voire de l’amour. Enfin, le répertoire de signaux
et de « phrases » acoustiques de certaines espèces de dauphins est
tellement diversifié, sophistiqué et approprié aux contextes et
situations qu’on leur prête souvent un langage comparable à celui
de l’homme.

Les perroquets
1. Les relations avec les
singes ne seront pas abor- Les perroquets peuvent être admis comme partenaires fami-
liers et familiaux quand ils sont capables de reproduire les bruits
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dées dans le présent article.
En effet, si les singes sont de l’environnement, les airs musicaux, les vocalisations, les ono-
bien évidemment les ani- matopées et les paroles des humains, et surtout quand ils parais-
maux les plus proches de sent les imiter, c’est-à-dire leur donner le même sens et la même
l’espèce humaine au plan signification dans les mêmes contextes et situations.
phylogénétique par leur
organisation cérébrale et COMMENT L’ANIMAL PARTICIPE
corporelle, et si leurs capa- À LA SÉCURITÉ AFFECTIVE DE L’ENFANT
cités cognitives et leurs
conduites sociales sont L’analyse des relations de l’enfant avec les animaux apparte-
incontestablement parmi nant aux cinq groupes décrits ci-dessus 1 contribue à révéler com-
les plus élaborées, les ment différents niveaux du fonctionnement cérébral de l’enfant
contacts et les échanges peuvent être débridés, activés, organisés et régulés. (Pour les
affiliatifs des « adoles-
autres animaux dont certains peuvent devenir familiers, par
cents » et des adultes
avec les humains sont
exemple les chèvres et les lapins, voir Montagner, 2002b).
difficiles ou impossibles Combinée aux recherches sur les systèmes de relation de l’enfant
à établir et à maintenir avec la mère et les autres partenaires familiaux, avec les pairs et
avec le développement les personnes « extérieures », elle contribue à donner tout leur
des comportements agres- sens à son développement individuel, à ses processus d’attache-
sifs à la prépuberté ou à la ment, à ses conduites et à son fonctionnement intellectuel, et
puberté selon l’espèce. ainsi, paradoxalement, à réconcilier différentes théories du déve-
C’est notamment le cas loppement de l’être humain.
des chimpanzés (Goodall,
1986 ; Gardner et Gardner, De nombreuses situations vécues avec les animaux ont des
1989, 1994). effets anxiolytiques et apaisants sur les humains. Par exemple, on

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L’enfant et les animaux familiers

enregistre une baisse significative du rythme cardiaque et de la


pression artérielle chez un enfant qui caresse un chien (et aussi,
chez les humains de tous âges qui contemplent les évolutions de
poissons dans un aquarium : Friedman et coll., 1983 ; Katcher et
coll., 1983). En outre, si on mesure les indicateurs comporte-
mentaux au cours des interactions entre un enfant et son chien
familier, les comportements rugueux ou agressifs de l’enfant ont
une faible probabilité d’entraîner, chez l’animal, des menaces ou
des agressions, et ainsi d’induire ou de renforcer l’insécurité
affective de l’enfant lui-même et des partenaires humains : dans
la très grande majorité des cas, le chien réagit par l’évitement
corporel ou la fuite (Filiatre et coll., 1986, 1988 ; Millot et coll.,
1988, 1989).
Plus fondamentalement, la mesure des indicateurs comporte-
mentaux à partir de films montre que les interactions avec un
chien familier contribuent à réduire l’insécurité affective chez la
plupart des enfants, en particulier ceux qui sont insécurisés (pour
les indicateurs d’insécurité affective, voir Montagner, 2006).
C’est ce qu’on observe de façon caricaturale chez les enfants
inquiets, anxieux ou angoissés qui ne peuvent dépasser ou relati-
viser leurs peurs quand ils ont vécu ou vivent des situations ou
événements déstabilisants, surtout si leurs partenaires humains
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sont insécurisants ou si l’environnement est menaçant. La sécu-
rité affective qui s’installe et se développe au cours des relations
avec le chien se traduit principalement par l’apaisement et la
réassurance (les pleurs, gémissements ou tremblements s’atté-
nuent), l’atténuation ou l’extinction des comportements d’évite-
ment, de crainte et de fuite, l’accroissement de la fréquence des
comportements affiliatifs (sourires, rires, caresses, jubilations,
offrandes et sollicitations). Mais on constate aussi l’atténuation
ou la non-manifestation des comportements dits hyperactifs
(Bouvard, 2002) et des comportements d’agression. L’enfant
déverrouille en même temps son « monde intérieur » (il parle et
se confie à l’animal : le langage joue alors tout son rôle dans l’ex-
pression des émotions et de la pensée, et dans la communication).
C’est aussi ce qu’on observe chez les enfants handicapés ou
encore chez les psychotiques, autistes ou « infirmes moteurs
cérébraux » qui retrouvent régulièrement un chien, même si les
effets sécurisants sont moins lisibles (Condorcet, 1973 ;
Levinson, 1969, 1985 ; Vernay, 2003).
Les enfants ont aussi une forte probabilité de déverrouiller
leur monde intérieur et de s’installer sur le versant de la sécurité
affective dès lors qu’ils perçoivent une possibilité d’accordage
avec un chat, un cheval (Pelletier-Milet, 2004), un dauphin ou un
perroquet qui parle (c’est évidemment plus rare), mais également

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

avec d’autres animaux – lapins, cobayes, chèvres (Montagner,


2002b). La réduction de l’insécurité affective au cours des inter-
actions avec un animal familier est particulièrement évidente
chez les enfants qui n’ont pas noué un attachement (Bowlby,
1969-1980) « sécure » avec leur mère, leur père ou un autre par-
tenaire humain (Ainsworth 1974, 1978 ; Pierrehumbert, 2003,
Montagner, 2002a, 2006).
Par conséquent, la relation quotidienne avec un partenaire qui
ne juge pas, qui ne renvoie pas aux difficultés personnelles ou
familiales, qui ne trahit pas, et dont les manifestations comporte-
mentales sont apaisantes et rassurantes (voir plus loin), peut ins-
taller ou conforter les enfants sur le versant de la sécurité
affective. Surtout lorsque ce processus est freiné, empêché ou
contrarié par un attachement « non sécure » avec le ou les parte-
naires familiaux (enfant maltraité ; enfant dont la mère est
angoissée ou dépressive ; parent(s) souffrant de troubles de la
personnalité ; ruptures au sein de la famille ; parent(s) au chô-
mage…).

COMMENT L’ANIMAL STIMULE LE DÉVELOPPEMENT AFFECTIF,


RELATIONNEL DE L’ENFANT

Une fois la sécurité affective installée et son monde intérieur


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déverrouillé, l’enfant peut sortir de ses blocages et inhibitions. Il
peut libérer toute la gamme de ses émotions et compétences.
S’agissant des émotions, il les révèle sans retenue en même
temps qu’il les structure : il dit à l’animal ses joies, ses peurs, ses
colères, ses tristesses, ses surprises ou ses dégoûts (les six émo-
tions considérées comme innées et universelles). Il dévoile éga-
lement ses affects (inquiétudes, angoisses, frustrations, jalousies,
amitiés…). Parallèlement, au cours des interactions proximales,
il perçoit chez l’animal des états intérieurs qu’il interprète
comme des émotions ou des affects comparables à ce qu’il res-
sent. La libération des émotions et des affects s’accompagne
d’une libération de compétences « basiques » qui fondent le
développement affectif, relationnel et social de l’enfant, mais
aussi son développement cognitif (voir plus loin). Cinq compé-
tences majeures (ou compétences-socles) ont été définies et for-
malisées (Montagner, 1995-2006).

L’attention visuelle soutenue


Cette compétence-socle définit la capacité du bébé, plus géné-
ralement des enfants de tous âges, à poser le regard de façon sou-
tenue sur une « cible », c’est-à-dire de façon non fugitive, non
limitée à des balayages visuels, et non interrompue par les événe-

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L’enfant et les animaux familiers

ments extérieurs. Elle est manifeste chez les bébés âgés de


quelques jours ou semaines (selon les enfants) au cours des inter-
actions œil à œil avec leur mère. Elle est de plus en plus marquée
et durable à mesure que la mère ancre sa relation avec le bébé dans
la « capture » et le pilotage de son regard (voir Montagner, 2006).
La plupart des enfants sont fascinés ou troublés par ce qu’ils
croient lire dans le regard de l’animal. À plat ventre, assis, à
genoux, ils recherchent les interactions proximales « les yeux
dans les yeux ». L’installation, le développement et le renforce-
ment de leur attention visuelle soutenue sont facilités par la « ren-
contre » avec l’attention visuelle soutenue que présentent aussi
les animaux familiers.
Les chiens sont en quête permanente du regard des humains.
Ils initient et acceptent sans interruption des interactions « les
yeux dans les yeux » renouvelées et de longue durée. Les chiens
familiers fournissent ainsi à l’enfant un cadre de repères a priori
sécurisants et structurants : l’enfant ne présente pas alors de com-
portements et ne tient pas de propos qui puissent être interprétés
comme l’expression d’une insécurité ou d’un mal-être. Disposant
d’une longue durée d’interaction « les yeux dans les yeux » avec
son chien familier, il a le temps de donner sens et signification
aux comportements de celui-ci et de s’y ajuster, d’interpréter ses
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états émotionnels et affectifs, et de s’y accorder (s’il forme l’idée
que l’animal a des émotions et des affects comparables ou iden-
tiques à ce qu’il ressent). L’enfant libère en même temps ses
autres compétences-socles (voir plus loin) et ses productions lan-
gagières. Les observations dans les classes d’école maternelle et
d’école élémentaire montrent que lorsque les enfants dits en
échec scolaire ont la possibilité de vivre des interactions œil à œil
avec le chien de l’enseignant(e), la fréquence et la durée de leurs
conduites autocentrées, de crainte, d’évitement, « d’hyperacti-
vité » et d’agression sont ensuite significativement diminuées
(Montagner, 1995b, 2002b). Les chiens familiers ou devenant
familiers peuvent être ainsi des « agents » susceptibles de jouer
un rôle non négligeable dans le développement des processus liés
à l’attention visuelle soutenue et qui n’ont pu se structurer chez
un enfant à la maison, à l’école ou ailleurs, dans le cadre de ses
relations avec les humains. En particulier : la communication
multi-canaux, la lecture des émotions et des affects d’un parte-
naire qui accepte les interactions proximales, l’attention visuelle
conjointe, l’accordage des émotions et l’attachement « sécure ».
Les chats ont aussi, à l’évidence, une capacité d’attention
visuelle soutenue, mais seulement à certains moments, dans cer-
tains contextes et dans certaines situations (Montagner, 2002b).

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

De même, les chevaux ont une capacité d’attention visuelle sou-


tenue, en particulier quand ils sont « les yeux dans les yeux »
avec un humain, mais la latéralisation des yeux, la taille, la masse
corporelle, les particularités anatomiques (naseaux et gueule
impressionnants, sabots) et l’ampleur de leurs comportements
limitent les contacts œil à œil et les interactions proximales, en
particulier quand il s’agit d’enfants. Les dauphins paraissent éga-
lement avoir une capacité inépuisable à initier et accepter les
interactions « les yeux dans les yeux » avec les humains (c’est
ainsi interprété), puis à développer une attention visuelle soute-
nue. En outre, les particularités et la richesse de leur répertoire
« vocal » donnent le sentiment qu’ils dialoguent. Cet animal peut
donc, lui aussi, jouer un rôle dans certaines des constructions pré-
cédemment rapportées et liées à l’attention visuelle soutenue.
Quant aux perroquets, certaines espèces créent des situations
qui conduisent à des contacts œil à œil renouvelés et durables
avec les humains, et ainsi à une attention visuelle soutenue. Mais,
comme chez les chats, ces comportements sont épisodiques et
variables selon le contexte et la situation. L’attention visuelle
soutenue des perroquets est étroitement liée à des compétences
que n’ont pas la plupart des autres animaux : la capacité de repro-
duire les bruits, sons, thèmes musicaux, vocalisations d’animaux
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et productions langagières, celle d’avoir l’air de leur donner le
même sens et la même signification que les humains, c’est-à-dire
de les imiter (c’est ainsi interprété : voir plus loin). Par leurs pro-
ductions « vocales » et « langagières », leur regard à la fois
mobile et immobile qui paraît « disséquer » l’environnement et
les personnes, et l’attention visuelle soutenue qu’ils leur portent,
les perroquets rassemblent autour d’eux les différentes personnes
du milieu familial et les visiteurs. En créant par leurs « imita-
tions » des situations d’attention visuelle conjointe et en faisant
parler « leur entourage », ils stimulent les comportements affilia-
tifs (voir plus loin), la communication et le dialogue.

L’élan à l’interaction
On rassemble, sous ce terme, les manifestations de l’enfant
qui entraînent une réduction de la distance interpersonnelle avec
le partenaire, en particulier la mère, une proximité corporelle et
des contacts apaisés et apaisants (Montagner, 1993-2006).
L’animal familier a aussi des élans à l’interaction marqués, fré-
quents et durables qui stimulent et réactivent ceux des enfants.
Les chiens sont, à tout moment, à l’écoute des humains familiers,
réceptifs à leurs manifestations, prêts à mobiliser leurs élans à
l’interaction et disponibles pour les interactions proximales. Ils
déploient en permanence des comportements qui les rapprochent

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L’enfant et les animaux familiers

des humains et qui conduisent ceux-ci à s’approcher d’eux. Dès


qu’ils voient, entendent, sentent une personne familière, ils se
ruent dans sa direction. Aucun obstacle ne peut les arrêter. C’est
ce qu’on observe, par exemple, quand l’enfant familier rentre à la
maison. Sans cesse stimulés par les comportements affiliatifs
(voir plus loin) et les activités ludiques des enfants, les chiens
sont toujours disponibles pour les rejoindre et pour participer à
leurs jeux. À tout moment et dans tous les contextes, ils accep-
tent, créent et renforcent des interactions où leur comportement
est tellement ajusté à celui de l’enfant familier qu’on les inter-
prète comme des accordages émotionnels et affectifs. Ainsi peu-
vent s’installer et se développer des liens étroits entre les deux
partenaires. Les liens privilégiés avec un chien aident l’enfant à
libérer sans retenue l’ensemble de ses émotions et affects, mais
aussi ses processus cognitifs et ses ressources intellectuelles (voir
plus loin).
Chez les chats, les élans à l’interaction sont à l’image de leurs
recherches de contacts œil à œil : alternatifs, variables et modu-
lés selon le moment, le contexte et la situation. Mais, quand ils
sont manifestés, ils sont souvent « massifs », intrusifs et posses-
sifs. Les chats recherchent alors le corps à corps sans retenue et
envahissent les émotions et l’affectivité des humains. Ils donnent
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en effet l’impression ou nourrissent la certitude qu’ils compren-
nent et partagent leurs émotions, affects et pensées. C’est en par-
ticulier ce que disent, dessinent et écrivent les enfants (Duboscq,
1995). Le chat est ainsi un réceptacle et un exutoire qui peut les
aider à dépasser leurs difficultés psychiques et relationnelles.
Par leurs élans à l’interaction, les chevaux familiers peuvent
aussi être des réceptacles uniques des émotions de l’enfant
(Pelletier-Milet, 2004). Ils accourent au trot ou au galop dès
qu’ils perçoivent son arrivée ou ses « signaux » sonores. Par leur
mode d’approche, leur comportement d’accueil, leur façon de
solliciter le contact corporel et leurs comportements affiliatifs
(voir plus loin), ils ont l’air d’écouter attentivement et de com-
prendre leur partenaire humain. Là encore, les interactions sont
perçues comme accordées, non seulement par l’enfant lui-même,
mais aussi par les observateurs. En outre, les élans à l’interaction,
réciproques, conduisent à des chevauchements au cours desquels
un « dialogue tonico-postural » (Wallon, 1957-1963), à nul autre
pareil, peut s’installer et se développer, y compris avec les
enfants qui ne « sont pas comme les autres » (psychotiques,
autistes, « infirmes moteurs cérébraux »…), et qui peuvent alors
déverrouiller leur monde intérieur, dépasser leur insécurité affec-
tive et développer peu ou prou une certaine sécurité affective. Les
interactions de ces enfants avec un cheval ouvrent donc une autre

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

voie qui facilite, crée ou renforce les accordages émotionnels et


affectifs, et qui peut conduire à un attachement « sécure ».
De même, les dauphins montrent à l’égard des humains des
élans à l’interaction irrépressibles, que ceux-ci soient dans l’eau,
sur le bord d’un bassin ou sur un bateau. Par leurs modes d’ap-
proche (cabrioles, sauts), leur comportement d’accueil
(« saluts ») et la qualité des contacts corporels qu’ils initient ou
acceptent (leur peau est satinée), ils peuvent, eux aussi, déver-
rouiller le monde intérieur et installer la sécurité affective non
seulement chez les enfants « ordinaires », mais aussi chez les
enfants psychotiques ou autistes. Un attachement particulier peut
alors se développer.
Chez les perroquets, les élans à l’interaction sont moins évi-
dents. Mais ils sont réels puisque ces oiseaux peuvent se percher
sur le bras ou l’épaule d’une personne familière. En outre, par leurs
productions « vocales » et « langagières », ils induisent l’approche
à tout moment. Le « dialogue » proximal et les « paroles » qui sont
échangées donnent souvent aux enfants (et aux adultes) le senti-
ment que les mots ont, pour le perroquet, le même sens et la même
signification que pour eux-mêmes. Il n’est donc pas étonnant
qu’un attachement particulier puisse se tisser entre eux.
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Les comportements affiliatifs
Les comportements affiliatifs sont des comportements
sociaux parfois qualifiés de positifs, c’est-à-dire qu’ils ont une
forte probabilité d’entraîner des interactions ajustées et accordées
de longue durée. Ils fondent les processus dits de socialisation qui
régulent notamment les interactions au sein des groupes de pairs
(pour plus de précisions, voir Montagner, 2006).
S’agissant des relations entre l’homme et l’animal, deux
aspects sont à distinguer : d’une part, les comportements des ani-
maux que les humains de tous âges interprètent comme des adhé-
sions à leurs actes, paroles, émotions, affects et pensées ; d’autre
part, les comportements des enfants dans les interactions intrafa-
miliales, avec les pairs, les éducateurs, les enseignants…
Les enfants développent des représentations sans limite à
propos de la capacité des chiens et des dauphins à s’ajuster à leurs
comportements et à s’accorder à leurs émotions, affects et pen-
sées. Plus de 80% des enfants entre 6 et 11 ans les perçoivent
comme des partenaires réels (chiens) ou potentiels (dauphins)
dont les manifestations indiquent qu’ils sont contents, joyeux,
heureux ou amicaux (Montagner, 1995b, 2002b). Ils se disent
eux-mêmes « contents », « joyeux » ou « heureux » de les ren-

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L’enfant et les animaux familiers

contrer (chiens), ou à la perspective de les rencontrer (dauphins).


Certains patterns comportementaux des animaux sont clairement
décodés comme affiliatifs. Chez les chiens, il s’agit du regard
direct et « franc », de la gueule ouverte sans plissements du
museau, des oreilles dressées, des halètements et des écoule-
ments salivaires, des léchages « massifs », de la ou des pattes
posées sur le bras ou la cuisse, des balayages amples de la queue
dressée, des piaulements, des comportements juvéniles, des
« offrandes » d’objets. Chez les dauphins, il s’agit du regard
direct, du bec entrouvert donnant une apparence de « rigolade »,
des « salutations » (hochements de tête), des contacts avec une
peau « satinée », des cabrioles et « spectacles de ballet », des clics
vocaux qui « invitent au jeu ».
Ces patterns spécifiques des chiens ou des dauphins stimu-
lent, réactivent, structurent et organisent les comportements affi-
liatifs et le discours des enfants non seulement à l’égard de
l’animal, mais aussi avec les humains qu’ils retrouvent ensuite
dans le milieu familial, à l’école ou ailleurs (c’est particulière-
ment évident quand on suit régulièrement l’enfant en classe à
partir de ses premières rencontres avec un chien.) Parallèlement,
ils « sortent » de leurs comportements autocentrés, de crainte et
de fuite, ils n’évitent plus la rencontre et l’interaction, ils canali-
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sent leur trop-plein de mouvement (leur « hyperactivité ») et leur
agressivité. Ils dévoilent, au fil des semaines, des capacités inat-
tendues dans les processus de communication, les participations
ludiques, les activités de coopération, les ajustements comporte-
mentaux, les interactions accordées et les « conduites » de média-
tion. C’est aussi ce que suggèrent quelques observations
effectuées sur les relations entre un dauphin et un enfant dans un
delphinarium, puis au retour à la maison et à l’école.
Comme nous l’avons souligné précédemment, les chats
déploient un registre de comportements affiliatifs qui n’est
observé chez aucune autre espèce. Les ronronnements, les frôle-
ments et frottements, les léchages, les écoulements nasaux, les
aplatissements sur la poitrine, les miaulements, etc. ont un tel
pouvoir évocateur et « démonstratif » des émotions et des élans
affectifs supposés du chat (amitié, tendresse, amour, jalousie),
qu’on les considère communément comme des manifestations de
séduction. Cette interprétation (pour beaucoup, c’est une certi-
tude) est confortée par l’absence d’une « finalité » ou d’une fonc-
tion clairement ou uniquement spécifique de la plupart de ces
comportements. En conséquence, de nombreux humains, en par-
ticulier des enfants, attribuent à ces manifestations la même fonc-
tion et la même signification qu’à leurs propres comportements
affiliatifs : ils sont interprétés comme des adhésions de l’animal

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

à leurs actes, vocalisations et paroles, à leurs émotions, affects et


pensées. En réponse, ils libèrent sans retenue leurs propres com-
portements, l’ensemble de leurs compétences-socles… et leurs
phantasmes. Les chevaux ont aussi, nous l’avons vu, tout un
registre de comportements interprétés comme des manifestations
affiliatives. Mais, c’est surtout pendant le chevauchement que
peuvent être révélées des potentialités cachées, enfouies ou inhi-
bées, notamment chez les enfants qui ont des troubles du déve-
loppement ou du comportement, et que des constructions ou
reconstructions comportementales, émotionnelles et affectives
peuvent être stimulées (Pelletier-Milet, 2004). En effet, au cours
de ce corps à corps, l’enfant doit tenir compte des mouvements
du cheval pour ajuster à tout moment son équilibre corporel et ses
gestes grâce aux informations qu’il recueille par ses récepteurs
somesthésiques, ses propriocepteurs et ses organes vestibulaires,
en combinaison avec les informations visuelles et auditives. Il vit
alors des sensations et perceptions nouvelles en même temps
qu’il se découvre et montre à autrui des capacités de régulation
inattendues. Les interactions tonico-posturales et affiliatives au
cours du chevauchement avec un cheval familier peuvent ainsi
constituer un révélateur structurant de capacités jusqu’alors non
lisibles, brouillées ou inhibées chez des enfants non structurés,
déstructurés ou polyhandicapés dont l’état nécessite des soins
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médicaux très lourds (psychotiques, autistes, « infirmes moteurs
cérébraux »).
Bien évidemment, les perroquets n’ont pas de registre affilia-
tif aussi clair et fonctionnel. Cependant, leurs « capacités langa-
gières » peuvent créer chez les humains familiers le sentiment ou
la certitude qu’ils adhèrent à leurs émotions, affects et pensées,
en tout cas lorsque les « paroles » de l’oiseau sont pertinentes par
rapport à la situation ou au contexte, ou lorsqu’elles correspon-
dent à des événements ou dialogues vécus par l’une ou l’autre des
personnes.

La capacité de reproduire et d’imiter


Dès qu’ils en ont la possibilité, les enfants cherchent à repro-
duire les patterns moteurs et les vocalisations des animaux fami-
liers, et aussi à les imiter. Par exemple, ils se mettent à quatre
pattes, rampent, sautent au-dessus d’un obstacle, halètent avec la
langue sortie, aboient, jappent, miaulent, « ronronnent », hennis-
sent, émettent des clics comme un dauphin ou parlent comme un
perroquet. « Réciproquement », les animaux familiers faciles à
conditionner, ou plus généralement à instrumentaliser, se mon-
trent également capables de reproduire et d’imiter (c’est ainsi
interprété) de nombreux comportements humains. Cependant, en

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L’enfant et les animaux familiers

dehors du conditionnement ou de toute autre forme d’instrumen-


talisation, les animaux familiers paraissent avoir une capacité
d’imitation « spontanée ». Par exemple, des chiens non dressés
rapportent à leur maître un bâton, une balle, une casquette…
comme s’ils lui offraient l’objet en « réplique » des offrandes
qu’ils ont reçues ou qu’ils ont vu faire à un tiers. Il arrive aussi
qu’un chien « cache » un jouet derrière ou sous un meuble après
avoir observé un parent qui a pris cet objet à l’enfant familier puis
l’a dissimulé derrière une porte ou sur une étagère. On observe
parfois que, si le parent s’éloigne, l’animal va reprendre l’objet
dans la gueule pour « l’offrir » à l’enfant. Le chien peut aussi
« cacher » l’un des jouets de l’enfant comme « s’il lui faisait une
farce ». Même si ces comportements peuvent s’expliquer par des
conditionnements « implicites » ou par une succession d’appren-
tissages par essais et par erreurs, les enfants (et les témoins
adultes) pensent et disent que ce sont des imitations : « Il fait
comme nous, il nous a vus faire et il a compris pourquoi et com-
ment nous avons eu ce comportement ». Les enfants perçoivent
alors le chien comme un complice. Un chien peut aussi ouvrir
une porte en se dressant sur les pattes et en exerçant un appui sur
la poignée, faire tinter une cloche en tirant avec les crocs sur la
corde qui la met en branle, faire couler l’eau d’un robinet par une
pression exercée sur un levier, etc. Là encore, il peut s’agir du
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résultat de conditionnements « implicites » ou de comportements
acquis par essais et par erreurs. Mais, les humains, en particulier
les enfants, pensent que leur animal familier les imite et com-
prend le sens de ce qu’il fait, manifestant ainsi son intelligence.
Le même type de comportement peut être observé chez les dau-
phins maintenus en bassin ou évoluant en « eau libre » et, dans
une moindre mesure, chez les chevaux (Montagner, 2002b).
Rebelle au conditionnement, même si c’est possible, le chat
paraît limité dans sa capacité de reproduire les comportements
des humains ainsi que ceux qu’ils imposent. Cependant, il peut
générer l’idée ou nourrir la certitude qu’il imite les personnes
familières. Par exemple, quand il emprunte la même « piste » que
son maître dans l’environnement extérieur, s’assoit sur la même
chaise, dépose sur le paillasson le mulot qu’il vient de capturer
comme s’il l’offrait, surtout quand une personne lui « offre »
habituellement des objets qui déclenchent une « prédation
ludique » (souris en plastique, bouchon…). Nous ne reviendrons
pas sur les perroquets sauf pour souligner l’intérêt que représen-
terait l’étude scientifique des mécanismes de reproduction des
mots et phrases de telle ou telle langue, et des capacités réelles de
ces oiseaux à tenir compte dans leurs « émissions verbales » du
contexte, des différents partenaires et des situations vécues.

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

L’organisation structurée et ciblée du geste


Il s’agit de la capacité de l’enfant à structurer et organiser ses
gestes (dès le premier ou le deuxième mois selon les enfants) en
direction des objets qui ont retenu son attention visuelle, puis
dans leur préhension et leur manipulation (Bower, 1979). Si, bien
évidemment, les animaux familiers n’ont pas d’organisation ges-
tuelle (pour les singes, voir précédemment), la plupart ont une
organisation corporelle, des façons de se mouvoir et des habile-
tés motrices qui stimulent les émotions et les compétences-socles
des personnes, surtout quand elles sont combinées à une effica-
cité qui compense ou supplée les insuffisances des humains, ou
encore à une élégance et une apparence esthétique qui les sédui-
sent. C’est le cas des chiens, des chats, des chevaux et des dau-
phins. L’organisation structurée et ciblée du geste de l’enfant et
ainsi les habiletés motrices qu’elle sous-tend sont particulière-
ment bien révélées, stimulées et fonctionnelles lorsqu’ils vivent
au quotidien avec ces animaux (chiens, chats, chevaux). Mais
l’animal envahit également leur imaginaire au point qu’ils s’iden-
tifient à lui (par exemple, les modes de natation et les cabrioles
en milieu aquatique qui simulent les évolutions des dauphins, ou
encore le chevauchement d’un tronc d’arbre ou d’une chaise
comme si l’enfant était sur le dos d’un cheval). Les perroquets
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qui parlent ne sont pas aussi inducteurs, même s’ils peuvent se
percher et conserver leur équilibre sur des supports mouvants et
faire preuve d’une certaine habileté en utilisant leur bec et leurs
pattes pour « manipuler » une ficelle ou d’autres objets.

COMMENT L’ANIMAL LIBÈRE LES PROCESSUS COGNITIFS


ET LES RESSOURCES INTELLECTUELLES DE L’ENFANT

Lorsqu’un enfant libère ses émotions et ses compétences-


socles, il peut rendre tout à fait lisibles et fonctionnels ses pro-
cessus cognitifs et ses ressources intellectuelles (décryptage de la
signification des événements et des différents messages de l’en-
vironnement, induction et déduction, raisonnement, pensée abs-
traite, esprit critique, humour…) en alliance avec son imaginaire
(Montagner, 1995a, 2002a, 2006).
Les relations avec un chien conduisent les enfants à mieux
décrypter l’environnement. En effet, quand ils vivent au quotidien
avec l’animal, ils découvrent que ses comportements d’explora-
tion et « d’exploitation » du milieu naturel sont organisés et quasi
méthodiques. Ils voient notamment comment le chien découvre
des traces olfactives ou visuelles laissées par les autres animaux
ou par les humains, localise les oiseaux en se fondant sur leurs
chants et leurs bruits, développe des « techniques » d’approche, de

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L’enfant et les animaux familiers

contournement, d’affût, de « leurre » adaptées à la « cible ».


Témoins des évolutions d’un chien de décombres, d’avalanche ou
d’assistance, les enfants peuvent observer comment il procède
pour réussir ce qu’un humain ne sait pas ou ne peut pas faire. Ils
sont objectivement dans des situations où ils peuvent analyser
comment le chien prend en compte les particularités de l’environ-
nement et des partenaires humains, depuis la « phase » de
recherche et de localisation d’une personne ensevelie ou perdue
de vue jusqu’à ses réactions et ajustements au moment de la
« phase » de découverte. C’est ce que montrent leurs comporte-
ments, questionnements et remarques, lorsqu’ils sont spectateurs
de séances de simulation au cours desquelles l’animal est entraîné
et éduqué à rechercher, découvrir et « aider » un mannequin ou
tout autre substitut (leurs écrits, dessins ou peintures confirment
cette attitude réflexive.) La plupart sont très attentifs aux évolu-
tions du chien, même quand ils sont habituellement autocentrés,
rêveurs, « évitants », « hyperactifs », agressifs ou en échec sco-
laire. Ils doivent alors traiter des informations diversifiées et com-
plexes, dégager celles qui ont un sens et une signification pour
l’animal et « l’éducateur-dresseur », et en tirer des conclusions par
rapport à leurs perceptions et à leur vécu, surtout quand ils sont en
contact quotidien avec un chien. Engagés dans des activités
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ludiques, les enfants apprennent à anticiper le comportement du
chien tout en découvrant qu’il est, lui aussi, capable d’anticiper
leurs actes. En conséquence, ils réorientent et réorganisent leur
comportement en permanence, recomposent leur raisonnement,
élaborent de nouvelles tactiques, stratégies ou règles, surtout au
cours des jeux collectifs avec les pairs (jeux de foulards, de bal-
lons, de cache-cache…) Les chiens sont des partenaires qui sti-
mulent et structurent les processus cognitifs, des catalyseurs des
ressources intellectuelles, des inducteurs de projections et de
transferts, et des activateurs de l’imaginaire.
Il en est de même pour les chats. L’enchaînement de leurs
comportements d’exploration de l’environnement, de détection
des proies et des intrus, d’approche, de « leurre », de prédation
puis de « jeu » avec « la proie », est un modèle caricatural de
conduite méthodique et intelligente. En s’ajustant aux informa-
tions qu’ils recueillent, les chats « enseignent » aux enfants qu’on
ne peut faire n’importe quoi, n’importe comment et n’importe
quand, selon « la nature » et le rythme d’activité de la proie, selon
leurs propres rythmes et selon les particularités du milieu. Ils
montrent leur capacité à traiter l’information en fonction des dif-
férentes formes de vie détectées, de leurs modes de « relation »
intraspécifiques et interspécifiques, des espaces et du temps. Ils
sont des intégrateurs de nombreux messages émis par les diffé-

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

rents cohabitants du milieu familial (les personnes et les autres


animaux) : ils montrent et démontrent, à tout moment, leur capa-
cité à tenir compte des particularités comportementales et vocales
de chacun, et à se faire comprendre. En déployant des comporte-
ments de prédation fictifs à l’égard de balles, bouchons, ficelles
qu’ils poursuivent, capturent, laissent s’échapper, ils sont des
acteurs ludiques de spectacles « désopilants » qui stimulent chez
les enfants de nouveaux comportements, des tactiques ou straté-
gies renouvelées, des échanges comportementaux et langagiers
qui créent ou facilitent la communication intrafamiliale et les
interprétations cognitives. D’une façon générale, les chats
démontrent une flexibilité comportementale et une capacité
d’adaptation hors du commun par rapport aux variations du
milieu. Ils sont, pour les enfants, une source inépuisable d’inter-
rogations, de remarques, de projections, de transferts et de pro-
jets, et par là même des sources de stimulation intellectuelle
ancrée dans les émotions et l’imaginaire.
Par leurs capacités d’ajustement comportemental, d’accor-
dage émotionnel, de complicité et de fidélité (voir précédem-
ment), les chevaux donnent aux enfants le sentiment ou la
certitude qu’ils ont non seulement trouvé un ami qui les « sent »,
les entend et les écoute, mais qu’ils ont aussi le pouvoir d’être des
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« acteurs décideurs » libres de leurs mouvements et aptes à
prendre des initiatives. Ils se découvrent capables de contrôler
l’allure du cheval, de franchir des obstacles, d’investir des
milieux auparavant inaccessibles ou insécurisants, et de vaincre
des peurs ou des inhibitions. Les « enfants cavaliers » sont en
situation de libérer et de tester leurs capacités de traitement de
l’information, de raisonnement et de prise de décision dans la
troisième dimension de l’espace, en étant portés à tout moment
par les compétences, connaissances, appréciations et ressources
cognitives d’un partenaire « équilibré » et « équilibrant ». Certes,
ils guident les chevaux avec les rênes mais, en même temps, ils
sont guidés par un partenaire qui se trompe rarement et qui, par
ses capacités rassurantes d’ajustement corporel, leur fait com-
prendre ce qu’il faut faire ou ne pas faire, en souplesse et en dou-
ceur, sans agressivité, jugement et sanction. Au fond, le cheval
familier a une façon d’être et une façon de faire qui donnent aux
cavaliers le sentiment qu’il est flexible et intelligent. Il stimule et
structure ainsi des processus et fonctions du cerveau humain
comparables à ceux que le chien et le chat révèlent.
Les dauphins sont capables de contourner, écarter ou éliminer
les obstacles qui les empêchent d’accéder à un lieu de chasse ou
à un lieu de rencontre avec des humains (bateau, jetée, bassin…).
Ils les détectent avec précision au moyen de leur sonar. Ils sont

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L’enfant et les animaux familiers

également à même de s’ajuster aux comportements et produc-


tions langagières des humains hors de l’eau et en milieu aqua-
tique. Et aussi, de communiquer au moyen de « trains »
d’émissions sonores et ultrasonores qui « s’apparentent » aux
phrases du langage humain et qui permettent en tout cas des
échanges « vocaux langagiers » organisés avec des dresseurs
dans les delphinariums (des sifflets à ultrasons sont aussi utili-
sés), et plus « naturellement » en mer avec des pêcheurs et
d’autres pratiquants du milieu aquatique. Les dauphins peuvent
rechercher et rapporter des objets nommés par le dresseur, puis
les utiliser conformément aux apprentissages (« se mettre » un
chapeau sur la tête, enfiler une bouée autour du corps…), voire
accompagner et soutenir un humain en difficulté. Plus encore que
les chiens, chats ou chevaux, les dauphins peuvent être des par-
tenaires qui stimulent et structurent chez les enfants un large
éventail de processus cognitifs, « catalysent » les ressources
intellectuelles, induisent les projections, transferts et projets, acti-
vent l’imaginaire. En effet, l’enfant a l’impression d’être encore
mieux entendu et compris puisque l’animal a l’air de lui parler et
de « rigoler » quand il l’écoute ou lui répond, en particulier pour
l’inviter à nager ensemble ou à le « chevaucher ». Il serait inté-
ressant d’étudier quels sont les mécanismes et processus du fonc-
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tionnement cérébral qui peuvent se structurer au cours de cette
relation avec des enfants psychotiques, autistes ou polyhandica-
pés, plus généralement ceux qui ont des « troubles » plus ou
moins profonds du comportement (autocentrés, évitants, hyper-
actifs, agresseurs-destructeurs, étranges, etc.)

CONCLUSION
Les animaux familiers jouent un rôle non négligeable, parfois
essentiel, dans le déverrouillage du monde intérieur de l’enfant,
et ainsi dans la levée de ses blocages ou inhibitions. En inter-
action avec un partenaire animal qui ne juge pas, ne trahit pas et
ne renvoie pas aux difficultés personnelles ou familiales, et qui
déploie un registre de comportements interprétés comme des
signes d’adhésion, les enfants peuvent exprimer ce qu’ils ressen-
tent, perçoivent et pensent. Toutes proportions gardées, et évi-
demment sans confusion, l’animal familier remplit alors un rôle
qui s’apparente à celui d’un psychanalyste, sauf qu’il donne l’im-
pression ou la certitude de prendre délibérément parti pour les
êtres dont il partage au quotidien les activités. Par son attitude
d’écoute apparente, l’animal familier a le pouvoir d’apaiser et de
rassurer l’enfant qui lui parle et le regarde, de lui donner ou
redonner confiance, et de lui permettre de dépasser ou relativiser
ses peurs.

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

La présence des animaux Les relations avec les animaux familiers permettent à l’enfant
familiers de libérer sans retenue toute la gamme de ses émotions (joie,
peut atténuer les peur, colère, tristesse, surprise, dégoût) et de ses autres états
souffrances et les peurs affectifs (amitié, jalousie…) Parallèlement, elles structurent les
Chez les enfants qui capacités de base (ou compétences-socles) de l’enfant qui sous-
relèvent de la psychiatrie tendent son développement, et jouent un rôle essentiel dans le
et les polyhandicapés, renforcement de son attachement initial, l’établissement de nou-
l’établissement d’une
veaux attachements, la régulation de ses comportements et de ses
relation avec un animal
conduites sociales, et ses processus de socialisation.
familier s’accompagne d’une
atténuation ou d’une non- Le contact avec des animaux familiers exerce également une
manifestation des signes fonction primordiale dans la structuration des processus cognitifs
habituels d’insécurité de l’enfant et dans le développement de ses ressources intellec-
affective. Parallèlement, tuelles. Lorsqu’ils sont des partenaires, les comportements des
on voit se développer des animaux familiers stimulent en effet le fonctionnement cérébral
signes de sécurité affective,
de l’enfant (traitement des informations du monde extérieur, rai-
c’est-à-dire l’orientation
sonnements structurés et organisation de la pensée). La curiosité,
du regard et du corps en
direction du partenaire
l’observation soutenue et sélective, la concentration intellectuelle
animal, l’acceptation et et l’imagination activent les processus déductifs et inductifs dans
l’initiation d’interactions une pensée en mouvement. En toute sécurité affective, les ani-
proximales et de contacts maux familiers donnent ainsi à l’enfant des clés essentielles du
corporels, le sourire et savoir et de la connaissance. Ils lui apprennent à apprendre.
les autres comportements
L’analyse comportementale des relations entre les enfants et leur
affiliatifs. Il faut donc
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animal familier est donc particulièrement pertinente pour mettre en
envisager la présence
d’animaux familiers dans
évidence et étudier le pouvoir révélateur et structurant des animaux
les différents lieux de vie, sur le développement affectif et cognitif de l’enfant. Elle montre
d’éducation et de soins des que, à côté des engagements formels dans les apprentissages expli-
êtres humains qui sont cites à la maison, à l’école ou ailleurs, les interactions avec les ani-
enfermés dans leurs maux familiers sollicitent chez les enfants des processus déductifs
souffrances, leurs peurs et inductifs qui organisent leur raisonnement et leur pensée.
ou leurs difficultés
relationnelles et psychiques,
ou qui ne parviennent pas à BIBLIOGRAPHIE
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L’animal et le développement psychique de l’enfant

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Mots-clés : RÉSUMÉ
Sécurité affective, À partir de cinq groupes d’animaux familiers (chien, chat, cheval, dauphin
compétences-socles, et perroquet), cet article explique comment le contact avec ces animaux
interactions, contribue à la sécurité affective de l’enfant, stimule son développement
communication, affectif, relationnel et social, en particulier ses compétences-socles (l’at-
comportements sociaux. tention visuelle soutenue, l’élan à l’interaction, les comportements affilia-
tifs, la capacité de reproduire et d’imiter, l’organisation structurée du
geste). Enfin, l’auteur s’attache à montrer que l’animal libère aussi les
processus cognitifs et les ressources intellectuelles de l’enfant.

Key words : SUMMARY


Affective security, The author explains the importance of pets (dogs, cats, horses, dolphins
core-competencies, and parrots) in the affective security of a child. They stimulate its affective,
interactions, relational and social development, and especially its core-competencies
communication, (sustained visual attention, impulse to interaction, affiliative behaviours,
social behaviours. capacity to reproduce and imitate, structured organisation of gestures).
They may even free its cognitive processes and intellectual resources.

34
PENSER LE DAUPHIN ET SON MONDE
Entre croyances anthropocentriques et démarche scientifique

Fabienne Delfour

ERES | « Enfances & Psy »

2007/2 n° 35 | pages 35 à 45
ISSN 1286-5559
ISBN 9782749207339
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2007-2-page-35.htm
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L’ANIMAL ET LE DÉVELOPPEMENT PSYCHIQUE


DE L’ENFANT
Fabienne Delfour
Penser le dauphin
et son monde
Entre croyances anthropocentriques
et démarche scientifique

L’homme utilise les dauphins, sauvages et captifs, Fabienne Delfour est docteur
pour se soigner ou pour se procurer un mieux-être au
cours de séances de delphinothérapie, de programmes de ès éthologie cognitive, spécialisée
développement personnel ou de sessions récréatives inter-
en cétologie. Elle dirige une
actives. Dans notre culture occidentale, certaines
croyances, empreintes de romantisme ou de mysticisme, formation appliquée à l’éthologie
désignent cet animal comme un messager, un télépathe ou
un guide spirituel. Elles lui attribuent des qualités posi- et poursuit des recherches dans
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tives reconnues chez l’homme et le divinisent, contri-
buant à le rendre merveilleux. D’autres croyances le le domaine de la cognition
présentent comme un médiateur dans certaines thérapies : animale sur les cétacés dans
il est alors doté d’un pouvoir de guérison difficilement
saisissable par la rationalité et l’objectivité de la un environnement international.
démarche scientifique. Les fondements de ces croyances
occidentales sont variés et mélangent méconnaissance
scientifique, perception anthropomorphisée/centrisée et
construction psychique fantasmatique. Malheureusement,
elles peuvent affecter l’animal et son environnement.

LE MONDE DES DAUPHINS

Les séances récréatives ou thérapeutiques utilisent


des grands dauphins (Tursiops truncatus), appelés aussi
« dauphins souffleurs ou à nez en bouteille ». Ces céta-
cés vivent en milieu tropical ou tempéré : préférant les
environnements côtiers, ils occupent parfois la zone péla-
gique. Les sessions de développement personnel se
déroulent en présence de « dauphins souffleurs ou de
dauphins à long bec » (Stenella longirostris). Ceux-ci
chassent la nuit dans des zones profondes et se reposent
au petit matin dans des baies protégées peu profondes.

35 35
00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 36

L’animal et le développement psychique de l’enfant

Les dauphins sont des La littérature scientifique est riche de travaux examinant les
mammifères marins, capacités cognitives des dauphins. Il a ainsi été démontré que ces
placentaires, qui cétacés maîtrisent l’imitation vocale et motrice, la compréhen-
appartiennent à l’ordre des
sion référentielle (pointage et regard), les processus conceptuels,
cétacés et descendent de
mammifères terrestres, il y a
la représentation mentale, l’apprentissage par observation et la
environ 55 millions multimodalité sensorielle (apprentissage de tâches complexes
d’années. En conséquence, sollicitant plusieurs canaux sensoriels). Ils possèdent des capaci-
ces animaux homéothermes tés sémantiques étendues et les prérequis nécessaires à la
possèdent deux poumons et construction d’une conscience de soi (Delfour et Marten, 2001 ;
respirent grâce à un évent Delfour et Carlier, 2004). En référence à leurs aptitudes cogni-
situé au sommet de leur tives, ils sont souvent comparés à certains primates non-humains
crâne. Au terme d’une comme les grands singes.
gestation d’environ 12 mois,
les femelles allaitent leur Tout ceci aide à entrevoir le monde du dauphin et à mieux
progéniture. Les dauphins comprendre les manipulations cognitives que cet animal est en
se nourrissent de poissons, mesure de réaliser sur les informations sensori-motrices qu’il col-
de mollusques et de lecte dans son environnement. Il s’agit de son monde, subjectif et
crustacés. Ils sont grégaires
construit, encore nommé Umwelt par le biologiste et philosophe
et vivent en groupe
organisé et hiérarchisé.
allemand Jakob von Uexküll (1864-1944). En prenant connais-
Ces animaux possèdent un sance de son environnement au travers de ses expériences corpo-
corps fuselé et une relles, le dauphin construit un monde qui lui est propre.
musculature puissante : leur
nageoire caudale leur sert LA DELPHINOTHÉRAPIE
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de propulseur. Leur peau
Cette forme de thérapie utilisant les dauphins est apparue il y
richement innervée est très
sensible au toucher, en
a environ une trentaine d’années. Avant de décrire plus en détail
particulier sur la partie ses fondements et ses pratiques, il est nécessaire de préciser
avant du corps (yeux, quelques notions d’ordre général concernant les thérapies assis-
bouche et évent). Les tées par l’animal, ou facilitées par l’animal, appelées aussi par-
contacts tactiles sont fois, plus simplement, thérapies animales ou zoothérapies. La
fréquents dans leurs diversité de la terminologie employée témoigne d’un manque de
activités (jeu, affiliation, consensus quant au rôle exact tenu par l’animal dans ces pra-
reproduction). Leur sens de tiques qui impliquent surtout des animaux domestiques et de
l’odorat est quasi inexistant.
compagnie. On comprend qu’ils sont utilisés comme médiateurs
En revanche, le goût leur
permet de discriminer les
par le thérapeute. En revanche, on comprend moins bien com-
quatre saveurs de base et de ment un chien, un chat, un cheval, un lapin ou un oiseau peuvent
détecter des traces indifféremment participer au traitement de personnes âgées,
chimiques émises par des d’adolescents en rupture avec la société, de détenus, d’enfants
congénères (excrétats et hospitalisés, de personnes souffrant d’un déficit moteur ou
phéromones). Les dauphins mental et d’enfants autistes. La variété des espèces animales
peuvent voir dans l’eau et choisies, combinée à la pluralité des troubles et de leurs symp-
dans l’air, grâce à une tômes, requiert d’analyser sérieusement les thérapeutiques
déformation du cristallin
employées, les objectifs attendus, les moyens mis en œuvre pour
sous l’action de muscles
intraoculaires. Les yeux, en les atteindre, et d’expliquer clairement la motivation du choix de
position latérale, couvrent l’animal. Les critères sélectifs déterminant le choix d’utiliser un
un champ visuel de 360° animal en particulier et les « spécialités animales » demeurent
…/… toujours flous.

36
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Penser le dauphin et son monde

Le chien (animal le plus utilisé) participe dans le traitement …/…


des psychoses, des dépressions, des aphasies, des désordres émo- dans la région naso-
tionnels et des problèmes liés au vieillissement. Le cheval inter- ventrale. Le sens le plus
vient dans des cas de psychoses, dépressions, désordres développé est l’ouïe, qui
émotionnels, paralysies cérébrales et retards mentaux combinés à leur permet de percevoir
des difficultés d’apprentissage. Un animal unique peut donc être des sons au-delà des
employé comme médiateur dans le traitement de divers troubles. 200 kHz (20 Hz < oreille
humaine < 20 kHz). Les sons,
De plus, les « spécialités » de chaque espèce sont redondantes.
collectés par la mâchoire
Selon la littérature concernée, le dauphin est utilisé dans des inférieure et les os crâniens
cas d’autisme, de dépression, de retard mental, de difficultés latéraux, transitent vers
motrices et langagières et, plus rarement, en cas de lésions cuta- l’oreille interne en lien avec
nées ou de déficiences immunitaires. Des articles décrivent l’in- le nerf auditif, lui-même
tervention bénéfique du dauphin dans le traitement de cas relié aux lobes auditifs
d’anorexie, de cécité, de surdité, de phobies, de cancer, d’une hypertrophiés. Les dauphins
utilisent l’écholocation. Ils
mauvaise estime de soi… Il n’existe donc pas, a priori, de profil
produisent des clics grâce à
type du patient nécessitant une delphinothérapie, patient qui par
la circulation d’air dans les
ailleurs associe fréquemment plusieurs de ces troubles. À titre différents sacs aériens situés
illustratif, je présenterai très brièvement le déroulement général à la base de leur évent. Ces
de certaines séances de delphinothérapie. Le soigneur-animalier clics, amplifiés et focalisés à
renforce les comportements des dauphins tels que : se tenir à la suite de leur trajet au
proximité, se laisser caresser, rester en surface, etc. D’après les travers du melon, se
interprétations qu’il donne aux personnes en souffrance, ces pos- propagent dans l’eau et
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tures sont les manifestations d’un intérêt du dauphin à leur égard atteignent la cible visée.
et témoignent de la réussite de l’interaction. Avec le thérapeute Celle-ci renvoie, par écho,
(resté sur le bord du bassin), il aide ces personnes à penser les sons qui seront captés
qu’elles peuvent parvenir à être en relation avec l’autre (ici un par la mâchoire inférieure
animal « intelligent ») et établir, avec succès, une communica- des dauphins. Grâce à ce
tion. Les comportements de l’animal sont utilisés par le théra- phénomène physico-
peute comme renforçateur positif des actions du patient et lui biologique complexe, ils
sont renseignés sur la
garantissent une amélioration dans la qualité de sa communica-
distance à laquelle se trouve
tion. Il est à noter que le « sourire » de l’animal accentue cette
la cible, sa forme, son
impression de réussite dans l’échange. volume et sa densité.
Ce type de thérapie est né, conjointement, aux États-Unis et Le cerveau analyse
en Angleterre, dans les années 1970, mais s’est réellement déve- l’ensemble de ces
loppé dans les années 1980. Ses précurseurs sont Bettsy Smith afférences. Cet organe est
(anthropologue) et David Nathanson (psychologue) aux États- plus volumineux et plus
lourd que chez l’homme
Unis, et Horace Dobbs (neurophysiologiste) en Grande-Bretagne.
(25% de plus). Son
Son principe consiste à placer des enfants au contact d’un dau-
coefficient d’encéphalisation
phin (un « dauphin souffleur » en général) en présence d’un thé- (taille et volume de
rapeute ou/et d’un psychologue. Ce contact peut se faire lorsque l’encéphale par rapport
l’enfant est dans l’eau ou sur le bord du bassin. Smith a travaillé à la croissance corporelle)
essentiellement avec des enfants et des adolescents autistes en avoisinant les 4-5 est
employant une thérapie par le jeu. Ses résultats montrent une inférieur à celui de l’homme
augmentation du temps de concentration de ses jeunes patients et (7), mais supérieur à celui
l’émergence de réponses sociales. Cependant, comme elle le pré- des autres mammifères.

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

cise elle-même, ses études n’apportent pas de preuves scientifiques


quant à un effet spécifique du dauphin dans le traitement de l’au-
tisme. Le premier programme régulier de delphinothérapie a été
initié en 1988 au Dolphin Research Center (Étas-Unis).
Nathanson a systématisé ces séances d’un type particulier avec
des dauphins. Il avance que ces animaux, mis en présence de per-
sonnes souffrant de sévères handicaps mentaux, augmentent leur
niveau d’attention et leur motivation, et, en conséquence, facili-
tent les capacités motrices et langagières de ces personnes. La
démarche de Nathanson est un peu plus scientifique que celle de
Smith. Alors que Smith met l’accent sur le côté relationnel, ana-
lysant ses résultats en termes de communication, de relation, de
jeu et d’émotion, les séances de Nathanson apparaissent plus
structurées, les interactions avec les dauphins sont plus contrô-
lées et les résultats sont interprétés dans une perspective cogni-
tive (attention, motivation, apprentissage). Cependant, une étude
a mis en évidence un manque de rigueur et de sérieux dans la
méthodologie employée, l’analyse et l’interprétation des résultats
(Marino et Lilienfield, 1998). Trop peu de travaux emploient une
démarche scientifique et élaborent des protocoles de recherche.
Avec un souci d’objectivation scientifique, la psychologue
V. Servais a étudié les effets de séances de delphinothérapie sur
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douze enfants diagnostiqués autistes (Servais, 1999)1. Cette étude
s’est déroulée en Belgique et a duré quatre ans. De nombreux
problèmes sont survenus dans sa réalisation qui peuvent avoir
détourné le but premier de celle-ci. En effet, pour lutter contre
« l’univers merveilleux du dauphin » et par souci de scientificité,
peu de place a été laissée à la communication et à l’interaction.
Les résultats obtenus ne permettent pas de conclure de façon
définitive quant à l’existence d’un effet positif des dauphins sur
l’apprentissage et sur le niveau attentionnel et communicationnel
de ces enfants. Cependant, ce projet a montré que cela pouvait
marcher dans certaines circonstances et que le dauphin n’a pas
d’effet thérapeutique : c’est « ce qu’en fait » le thérapeute dans
sa relation au patient qui contribue à la thérapeutique. De tels tra-
vaux sont nécessaires et ils mériteraient d’être réalisés et analy-
sés dans la perspective d’une cognition sociale située. Cette
approche reconnaît l’existence d’états mentaux et d’une inten-
tionnalité subjective et elle prend en compte la prégnance du
contexte de réalisation de toute action. Il est dommage que ces
résultats préliminaires aient été, et soient encore, exploités
1. Voir, dans ce numéro, comme une preuve que la démarche scientifique et l’élaboration
« La relation homme/ d’un protocole de recherche sont inutiles ou néfastes. Le projet
animal » de Véronique belge s’est achevé en 1996, il est fort regrettable qu’en dix ans
Servais. aucun autre paradigme scientifique n’ait été développé.

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Penser le dauphin et son monde

Pour justifier de l’utilisation du dauphin, une particularité per-


ceptive de l’animal (son sonar) est mise en avant. Le fait que
cette capacité à générer des ultrasons soit quantifiable apporte un
aspect scientifique à la pratique. Malheureusement, en dépit de
quelques suppositions hasardeuses sur la véracité du bienfait thé-
rapeutique des ondes delphiniennes sur l’homme (Cole, 1996),
aucune analyse scientifique sérieuse n’a pu prouver que tel était
bien le cas. Au contraire, les études réalisées montrent que les
séances de delphinothérapie ne répondent aucunement aux cri-
tères retenus dans les traitements médicaux utilisant les ultrasons
(c’est-à-dire fréquence et durée d’exposition, niveaux d’inten-
sité) (Brensing, 2005). Dans un article récent, Antonioli et
Reveley (2005), se plaçant dans une approche holistique, ont
montré que les interactions avec des dauphins pouvaient atténuer
les symptômes d’une dépression modérée. Comme pour l’étude
belge, ces auteurs suggèrent que l’amélioration de l’état des
patients n’est pas uniquement due au dauphin. Il n’est qu’un
médiateur, ce n’est pas lui qui fait le travail thérapeutique. On se
demande alors s’il ne serait pas possible d’obtenir des résultats
similaires sans le dauphin et l’on déplore le manque d’informa-
tion concernant le travail du thérapeute, la nature et la forme de
la thérapeutique et le contenu des sessions.
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L’HOMME CROIT EN UN DAUPHIN MERVEILLEUX

Dans notre culture occidentale, la littérature foisonne d’his-


toires, de contes, de mythes, d’anecdotes et de témoignages sur
les actes bienveillants du dauphin à l’égard de l’homme. Celui-ci
croit que cet animal peut le sauver de la noyade, le protéger
contre les attaques de requins, le guider vers un lieu sécurisé, lui
transmettre un message (parfois un signe de l’au-delà), lui confier
sa propre détresse (s’il est captif), l’apaiser, le réconforter, l’aider
à « s’ouvrir vers les autres », le soigner, etc. Les processus
construisant ces croyances méritent d’être approfondis.
Il faut d’abord remarquer que très peu de personnes sont
capables « d’entendre » les messages des dauphins. Ces « élus »,
souvent des personnes charismatiques et/ou manipulatrices, se
sont autoproclamés guides pour les autres humains sourds ou
aveugles, aux signaux delphiniens. Ils ont, tous, rencontré cet
animal dans des conditions extraordinairement romantiques ou
mystiques. En général, ils ont été « sauvés » (physiquement ou
psychologiquement) par un dauphin, ils l’ont « compris avec leur
cœur » et, depuis lors, leur vie n’est que joie ou amour, car ils
entretiennent un rapport privilégié à cet animal. Les processus
qui engendrent chez eux de telles croyances ainsi que l’élabora-
tion fantasmatique de leurs relations personnelles à ce mammi-

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

fère, sont peu étudiés. Des pistes de réflexion peuvent être trou-
vées dans un article récent de Véronique Servais où elle amorce
une objectivation des éléments de communication mis en jeu lors
de la rencontre avec cet animal (Servais, 2005). La construction
de l’esprit du dauphin est empreinte d’une dimension culturelle,
d’une vision anthropocentrique et d’une interprétation émotion-
nelle et spirituelle de perceptions et d’évènements survenant lors
de la rencontre. Elle conduit, dans bien des cas, à une humanisa-
tion ou à une divinisation de l’animal. Ce processus est issu d’un
mélange de faits réels, de croyances et de spiritualité tel que « le
dauphin soigne avec son sonar » ou « le dauphin est capable de
nous sauver. » S’il est vrai que cet animal possède un sonar, cela
ne signifie pas que l’émission de ses ultrasons soigne l’homme.
De même, le fait qu’il soit empathique ne veut pas dire qu’il va
sauver une personne en détresse. J’ai vu des personnes souffrir de
crampes (criant, pleurant et paniquant – ce n’est pas très rassurant
de se retrouver seul, loin de la plage, tétanisé par une douleur
aiguë) alors qu’elles essayaient de suivre un groupe de dauphins
progressant à vive allure, mais je n’ai jamais assisté à leur sauve-
tage par un dauphin. Comme j’ai vu des dauphins disparaître à
l’arrivée d’un requin-tigre, abandonnant sur place des nageurs
incrédules et apeurés ou encore des nageurs suivant des dauphins,
qui eux-mêmes étaient suivis par un requin.
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Les croyances concernant les dauphins sauvages et captifs
sont de nature différente. On pense qu’en captivité ces animaux
sont malheureux donc qu’ils délivrent des messages de souf-
france et de détresse, à moins qu’ils ne se soient sacrifiés afin de
nous faire comprendre que la planète est menacée par un danger
écologique, politique ou spirituel. Au contraire, en milieu naturel,
les dauphins doivent être heureux, donc on les croit porteurs de
messages d’amour, d’harmonie et de paix. En réalité, on nous fait
croire qu’ils en sont capables. En effet, ce sont les interprétations
des guides qui orientent les constructions psychiques de chacun
au moment de la rencontre. Leurs élaborations sont dirigées et
renforcées, a posteriori, au cours de discussions en groupe où la
réalité est fantasmée par des propos très fortement connotés et où
le guide explique son rôle crucial dans l’établissement de la rela-
tion entre l’individu et l’animal.
Le fait que ces animaux soient des mammifères, comme nous,
contribue à la croyance que nous devons « partager quelque
chose » avec eux et cela même si la nature de ce « quelque
chose » est très floue. Nos univers écologiques et nos anatomies
respectives étant trop distants, le partage se situe au niveau d’une
proximité émotionnelle. Les dauphins ressentiraient des émo-
tions : les rencontres humain-dauphin seraient donc un partage de

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Penser le dauphin et son monde

joie et d’amour. D’autres personnes utilisent des données biolo-


giques pour justifier que les cétacés seraient l’échelon ultime
dans l’évolution : les dauphins représenteraient alors la finalité
évolutive de l’espèce humaine.
L’homme ne désire voir en cet animal que des qualités (posi-
tives) humaines, qui valorisent donc sa personne et ses actes. Il
nie que cet animal soit capable de comportements agonistiques et
agressifs (même à l’égard des humains) ou qu’au sein de leurs
sociétés hiérarchisées, des mâles puissent s’allier pour éloigner
une femelle du groupe et lui faire subir des actes sexuels de façon
répétée et intense (ce comportement ayant été qualifié de viol).
Les croyances se construisent en faveur et au bénéfice de
l’homme, cependant la signification et les conséquences de ces
interactions pour le dauphin sont trop vite évacuées.

LE DAUPHIN RENCONTRE L’HOMME

Betty Smith déplorait le fait que les séances de delphino-


thérapie faisaient intervenir des dauphins (semi-) captifs dressés
à exécuter des numéros et maintenus dans des bassins artificiels,
et constatait par conséquent que ces séances étaient dépourvues
de sens : le potentiel thérapeutique de ces animaux en serait en
quelque sorte affaibli. Or, il est bien entendu qu’ils ne sont que
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des médiateurs dans la thérapeutique. On peut alors s’interroger
sur ce que le thérapeute utilise dans/chez les dauphins pour éla-
borer sa thérapeutique et pour traiter les troubles. S’il s’agit du
sonar, tous ces animaux, sauvages ou captifs, en possèdent un.
Par ailleurs, leurs émissions ultrasoniques ne disposent pas des
qualités nécessaires pour les rendre efficaces (c’est-à-dire fré-
quence, durée d’exposition et niveaux d’intensité ne répondent
pas aux standards des soins médicaux utilisant les ultrasons ;
Brensing, 2005). Néanmoins, d’après Smith, il manque quelque
chose aux dauphins captifs par rapport à leurs congénères sau-
vages. Ont-ils perdu de leur « delphinitude » ? Il serait alors inté-
ressant de connaître précisément les qualités qui définissent la
nature du dauphin. L’environnement captif est-il inapproprié ?
Pourtant les conditions de la captivité répondent plus justement
aux critères de rigueur et de contrôle nécessaires à la réalisation
de ces pratiques. Cependant, au regard de la littérature concernée,
les contraintes imposées par la captivité semblent empêcher le
dauphin d’exercer son pouvoir alors que la rencontre entre cet
animal et l’homme en milieu naturel est qualifiée de merveilleuse
ou magique. Nager dans une baie fréquentée, depuis des décen-
nies, par des dauphins venant s’y reposer et s’y reproduire serait
magique (bien que la rencontre soit planifiée, non fortuite) ;
suivre en bateau (ou en kayak) des dauphins et se mettre promp-

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

tement à l’eau pour les rejoindre serait là encore magique… pour


l’homme. On peut se demander ce qu’il en est pour le dauphin et
si cet animal a réellement le choix de rencontrer (ou d’éviter)
cette présence humaine.
Par ailleurs, les conséquences de telles actions sur le bien-être
de l’animal, sur son écologie et son éthologie doivent être consi-
dérées. Contrairement à Antonioli et Reveley (2005) qui propo-
sent de promouvoir les interactions homme-animal en milieu
naturel, la communauté scientifique est plus prudente. De nom-
breux cétologues mettent en garde contre le fait que ces contacts
provoqués avec les dauphins contribuent à modifier leurs com-
portements de locomotion (ces cétacés ne sont pas libres dans
leurs déplacements quand ils sont entourés par des nageurs assi-
dus ou par une cohorte de bateaux et de kayaks), à accélérer leurs
comportements respiratoires et à accroître les mouvements d’évi-
tement. Pire, plusieurs études suspectent que ces activités
humaines de nage-avec-les-dauphins, écotourisme et delphino-
thérapie, puissent aussi avoir un impact sur la fréquentation de
certains sites, la reproduction, le comportement d’allaitement,
etc. (Delfour, 2006a). En effet, il est fréquent que les nageurs,
voyant un jeune avec sa mère, soient attirés par cette dyade facile
à approcher car progressant moins vite qu’un mâle solitaire plus
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prompt à s’éloigner. Ce comportement (volontaire ou non) isole
la mère et son jeune du reste du groupe, perturbe le déroulement
séquentiel de l’allaitement et diminue les chances de survie du
jeune.
Les études analysant les utilisations de dauphins captifs sont
peu nombreuses mais voici cependant quelques éléments de
réflexion. On peut s’interroger sur la liberté laissée aux animaux
de participer ou non à ces activités, sur la fréquence des séances
et sur leur impact au niveau du comportement des dauphins. Six
études ont été réalisées aux États-Unis : elles sont échelonnées
entre 1995 et 2005 et ont toutes porté sur des programmes inter-
actifs avec les humains (il ne s’agit pas de thérapie). Elles ont
montré que ces interactions ne semblaient pas affecter le bien-
être des animaux. La plus récente a analysé plusieurs catégories
comportementales (jeu, orientation, actes sexuels, actes agressifs,
etc.) de trois dauphins souffleurs (Trone et coll., 2005). Cette
étude a mis en évidence qu’aucun changement comportemental
notable n’est survenu suite à des sessions interactives avec des
nageurs. Cependant, ce travail a été réalisé sur trois dauphins uni-
quement : sa généralisation doit donc être prudente. Par ailleurs,
les observations ont été faites à court et moyen termes (1,5 à
2 mois après la fin des séances) et demanderaient à être poursui-
vies sur le long terme. Il serait bénéfique également d’analyser

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Penser le dauphin et son monde

les critères qui déterminent pourquoi on a choisi ce dauphin


plutôt qu’un congénère ou un autre animal. Par ailleurs, ces inter-
actions homme-animal sont aussi des moments d’échanges infec-
tieux. Pour y remédier, les delphinariums augmentent la
concentration en chlore de l’eau, provoquant des irritations cuta-
nées et ophtalmiques chez les cétacés (Brensing, 2005).
Enfin, le comportement des dauphins ambassadeurs est plus
intrigant. Ces animaux, isolés (volontairement ?) de leurs congé-
nères, semblent tolérer le contact humain. Cependant, des déra-
pages de plus en plus nombreux se produisent avec une
surenchère dans les comportements humains visant à attirer l’ani-
mal à soi (tentatives de nourrissage, objets faisant du bruit, etc.)
qui accroît la réalisation et la fréquence d’émission de comporte-
ments agressifs de la part des animaux.

VERS DE NOUVELLES CROYANCES… DELPHINOCENTRÉES

Le dauphin ne détient pas un pouvoir magique de guérison. Il


s’agit d’un animal sauvage utilisé comme médiateur dans des
thérapies dont le déroulement est encore trop vague et les résul-
tats discutables, dans des sessions de développement personnel
peu rigoureuses ou au cours de séances récréatives où un soi-
gneur a appris au dauphin à interagir. Parmi les personnes qui
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dirigent ces programmes de thérapies et de développement per-
sonnel, certaines sont sincères, comme il est possible de l’être
quand on construit ses croyances sur une vision fantasmée, voire
spiritualisée, et sur une perception anthropocentrique de cet
animal. Le polymorphisme des croyances, combiné d’une part à
la diversité des troubles et des pathologies à traiter, et d’autre
part, à la pluralité des pratiques, rend l’ensemble opaque et diffi-
cile à saisir par la démarche scientifique. Ces activités humaines
orientées vers le dauphin sont en plein essor : elles sont très lucra-
tives pour ceux qui les réalisent. Cependant, il est malvenu de
parler d’argent dans cet univers merveilleux du dauphin. Comme
il est difficile d’aller à l’encontre des guides qui prônent des mes-
sages d’amour et de paix sans passer pour une personne insen-
sible ou « qui n’y comprend rien ».
Malentendus, méconnaissances et relations affectives compli-
quent la discussion entre l’univers du dauphin merveilleux et
celui de la science. Il est toutefois nécessaire d’étudier ces pra-
tiques en adoptant une démarche scientifique. Le bien-être du
dauphin, le bien-fondé (thérapeutique et éthique) de son utilisa-
tion dans des programmes de thérapie ou de développement per-
sonnel, l’efficience thérapeutique du médiateur (dauphin, chien,
cheval, etc.), et enfin la nature et la valeur des contextes de réali-

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

sation de ces programmes devraient être analysés dans une pers-


pective cognitive et située. Cette approche permet, d’une part
d’attribuer et d’inférer des états mentaux et une intentionnalité, et
d’autre part de revaloriser la dimension dynamique et temporelle
de l’action (Delfour, 2006b).
Il existe une autre raison, moins louable et avouable, à pro-
mouvoir les nages avec les dauphins sauvages. Profitant d’un
vide juridique, quiconque peut s’autoproclamer « guide delphi-
nien » et amener des personnes à nager avec les dauphins pour se
faire soigner, améliorer son estime de soi, etc., alors qu’en del-
phinarium, l’entreprise est impossible. La législation est fort heu-
reusement en train de changer car scientifiques et politiques ont
pris conscience des conséquences de ces rencontres sur l’écolo-
gie et l’éthologie de ces animaux sauvages. Cependant, le débat
devrait s’élargir à une réflexion pluridisciplinaire. Les philo-
sophes, par exemple, ont un rôle à jouer dans ces discussions qui
débordent du cadre du développement durable et requièrent une
démarche éthique.
Il ne faut pas oublier, enfin, que, contrairement aux hommes,
les dauphins sauvages ne viennent pas dans ces endroits spéci-
fiques pour rencontrer l’espèce humaine ; ils y viennent pour se
reposer, socialiser et se reproduire depuis des décennies. Il est
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urgent de croire à la responsabilité et à la conséquence de nos
actes sur ces animaux.

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Penser le dauphin et son monde

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action programs affect bottlenose dolphin behaviour ? », Applied Animal Behaviour
Science, 93, 363-374.

RÉSUMÉ
Mots-clés :
Le dauphin fascine. Son « sourire » et sa « liberté » attirent et intriguent.
Dauphin,
Selon certaines croyances humaines issues de notre culture occidentale,
delphinothérapie,
cet animal merveilleux est un messager, un télépathe ou un guide spiri-
croyances, approche
tuel, révélant à un petit nombre d’élus les clés d’un mieux-être pour l’es-
cognitive située.
pèce humaine. Depuis déjà une vingtaine d’années, il est aussi médiateur
dans des thérapies traitant des enfants souffrant de handicaps moteurs ou
psychologiques et dans des programmes de développement personnel
destinés à des adultes malmenés par le stress de la vie. Le monde sensori-
moteur et cognitif du dauphin, les fondements de ces croyances et les
arguments (pseudo) scientifiques justifiant le pouvoir du dauphin, mais
aussi les conséquences de certains comportements humains sur la survie
de l’animal sauvage, méritent d’être examinés attentivement.
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SUMMARY
Key words :
Dolphin fascinates. Its “smile” and its “freedom” attract and intrigue.
Dolphin,
According to some occidental common beliefs, this animal is a messen-
delphinotherapy, beliefs,
ger, a telepath or a spiritual guide, who reveals to some “chosen ones”
situated cognitive
the keys for a well-being in the human species. For twenty years, it has
approach.
also been a mediator in therapies for children who suffer from autism
and in programs for adults who are stressed by modern life. The dol-
phin’s sensory-motor and cognitive world, the foundations of these
beliefs and the pseudo-scientific arguments to justify the dolphin’s power,
but also the consequences of some human’s behaviours on the survival of
these wild animals deserve to be carefully examined.

45
LA RELATION HOMME-ANIMAL
La relation à l'animal peut-elle devenir significative, donc thérapeutique, dans le
traitement des maladies psychiques ?

Véronique Servais

ERES | « Enfances & Psy »

2007/2 n° 35 | pages 46 à 57
ISSN 1286-5559
ISBN 9782749207339
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2007-2-page-46.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
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L’ANIMAL ET LE DÉVELOPPEMENT PSYCHIQUE


DE L’ENFANT
Véronique Servais
La relation homme-animal
La relation à l’animal peut-elle devenir
significative, donc thérapeutique,
dans le traitement
des maladies psychiques ?

Véronique Servais est maître Dans bien des endroits du monde, la distinction entre
les humains et les animaux n’est pas conçue de la même
de conférences en théories de la manière que chez nous. En Amérique du Sud par
exemple, il est commun de doter certaines espèces ani-
communication à l’université
males de propriétés sociales ou mentales que nous réser-
de Liège (Belgique) et étudie vons à l’espèce humaine. Là-bas, se demander si la
relation à l’animal « peut être » significative apparaîtrait
les systèmes de communication tout à fait incongru : les animaux sont des partenaires
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sociaux à part entière. Nous vivons pour notre part dans
formés par des humains une culture que l’anthropologue P. Descola appelle
et des animaux. « naturaliste », ce qui signifie que notre mode principal
de rapport à la nature est structuré par la croyance en une
continuité animal-homme pour ce qui concerne l’extério-
rité, c’est-à-dire ici la matière (en gros l’anatomie et la
physiologie), tandis que, pour ce qui concerne l’intério-
rité, les « qualités mentales », nous adhérons à la
croyance en une coupure radicale. Une position que le
naturaliste français Georges Buffon résume à la perfec-
tion par ces mots, en 1770 : le singe « n’est, dans la
vérité, qu’un pur animal, portant à l’extérieur un masque
de figure humaine, mais dénué à l’intérieur de la pensée
et de tout ce qui fait l’homme ».
Dans la culture scientifique dominante, les animaux
n’ont pas d’idées, ni de croyances – on se demande
d’ailleurs s’ils souffrent « vraiment » – et il faut être un
auteur aussi dissident que M. Bekoff pour affirmer qu’ils
ont une vie émotionnelle. Dans notre culture, ceux pour
qui les animaux sont des autres signifiants, qui dévelop-
pent avec eux des interactions qu’ils ressentent comme
réellement réciproques, et qui leur imputent diverses

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La relation homme-animal

qualités mentales, sont tenus de se justifier. Voilà pourquoi nous


sommes amenés à expliquer pourquoi le rapport à l’animal peut
être significatif, donc thérapeutique. C’est que, culturellement,
un rapport significatif avec un animal est perçu comme « anor-
mal ». Personnellement, je pense que c’est plutôt l’inverse qui est
« anormal » et qui devrait être expliqué : comment il est possible
de ne pas avoir de relations significatives avec le monde
animal… Je pense donc que la base culturelle, à partir de laquelle
nous entrevoyons ces questions, est fausse. Mais, si le natura-
lisme est une cosmologie probablement fausse, il articule néan-
moins l’ensemble de nos rapports au monde animal 1.
Cette introduction est certainement un peu longue, cependant
il est important de reconnaître le point de vue très général qui
cadre et organise notre rapport au monde animal. Ce n’est qu’en-
suite que nous pouvons tenter de comprendre quelles sont les
dimensions de la relation et de l’interaction avec un animal qui
permettront de l’introduire dans un cadre thérapeutique.

NOUS SOMMES DES ÊTRES DE COMMUNICATION

Nous, les êtres humains, sommes des êtres de communication.


Le nouveau-né est introduit dans un monde d’interactions et de sti-
mulations qu’il sera très tôt capable d’organiser. Les études de
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Terry Brazelton par exemple montrent que les interactions d’un
bébé de quelques semaines avec sa mère (ou son substitut) sont 1. Comme le montre le cas
organisées et agencées selon une structure temporelle et rythmique, des chimpanzés de labora-
toire, qui sont étudiés pour
et que celle-ci est propre à chaque dyade. Cette « matrice » de com-
leur grande ressemblance
munication et de langage est indispensable au développement du avec l’homme, mais qui
nourrisson, comme les observations de Spitz sur le syndrome en même temps sont
d’hospitalisme l’ont montré, il y a longtemps déjà. Ainsi que l’at- utilisés comme de la
testent les graves troubles du développement des enfants qui ont « simple » matière…
grandi dans l’isolement, être en relation est une nécessité biolo- C’est ainsi qu’on en
gique pour les petits de notre espèce. À ce propos, signalons le cas arrive à des situations
des « enfants sauvages », qui sont des enfants abandonnés ou absurdes où l’on va tester
perdus qui trouvent refuge et sont adoptés par une mère animale l’efficacité d’un antidé-
presseur chez un chim-
(ours, loup, mouton, singe…). Ces enfants-là, apparemment, se
panzé sans reconnaître
développent et ne souffrent pas du syndrome d’hospitalisme. Déjà, la dimension mentale de
il nous faut en conclure que les interactions avec une mère animale son affection, et sans
adoptive apportent à l’enfant cette dimension de communication et réellement prendre en
d’interaction suffisante pour supporter une vie affective dont il a compte sa souffrance…
besoin pour se développer et être en bonne santé. Il est donc traité comme
pareil à nous pour ce qui
Étant devenus des êtres de langage, nous oublions trop sou- concerne la matière, mais
vent que notre communication est d’abord multicanal et perma- irréductiblement diffé-
nente, et que le langage vient s’y insérer secondairement. Tant sur rent pour ce qui concerne
le plan du développement de l’enfant que sur celui de l’homini- son intériorité.

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

sation, c’est la communication qui est première ; le langage vient


s’inscrire dans des structures « primatiques » (c’est-à-dire spéci-
fiques aux primates) qui lui préexistent et qu’il ne modifie pas
fondamentalement.

QUELQUES ÉLÉMENTS D’INTERACTION HOMME-ANIMAL

Le contact
L’un des éléments de cette communication multicanale est le
toucher. Dans les cliniques vétérinaires, le psychiatre Aaron
Katcher a observé une forme de toucher particulière, un jeu dis-
trait de la main (idle play) dans la fourrure de l’animal qui
consiste à gratter, chatouiller, jouer dans les poils. Demaret l’a
rapproché du grooming (épouillage ou toilettage social) des pri-
mates à fourrure, conduite instinctive réciproque qui a notam-
ment pour fonction de créer des liens et d’apaiser les tensions
dans un groupe de singes. Quand un animal en épouille un autre
(à la recherche de parasites), il se détend, tout comme son parte-
naire. S’il doit par exemple accéder à des zones cachées, le groo-
meur soulève les membres du groomé sans entraîner aucune
résistance de sa part. Quand les conflits sont fréquents dans un
groupe de primates, notamment en cas de changements dans la
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hiérarchie, la fréquence du toilettage social augmente également,
car les animaux éprouvent le besoin de se rassurer et de s’apaiser
en toilettant leurs amis, alliés, parents. Si l’on en croit Demaret,
le contact avec la fourrure d’un animal de compagnie a proba-
blement chez nous ce même effet apaisant, rassurant et relaxant
qu’a le toilettage social chez nos cousins primates.
Nous avons, en effet, conservé le besoin de contact et de cha-
leur des primates (rappelons-nous les expériences de Harry
Harlow, qui montrent qu’un bébé singe élevé sans sa mère pré-
fère rester accroché à un mannequin doux et chaud qui ne dis-
pense pas de lait plutôt qu’à un mannequin en fil de fer qui
dispense du lait) et nous aurions également conservé une ten-
dance au grooming, héritée elle aussi des primates, mais forte-
ment réprimée dans nos sociétés. Pouvoir toucher la fourrure
d’un animal permet donc la satisfaction de ce besoin. Beaucoup
de personnes, à la vue d’un animal à fourrure, éprouvent le vif
désir de le toucher – ce qui est d’ailleurs l’une des principales
sources d’accident dans les zoos. « L’idle play décrit par Katcher
est sans doute une forme d’épouillage spécifique déplacé sur
l’animal », écrit Demaret. Cette fonction relaxante ou apaisante
du toucher est celle-là même que met à son profit Bibi Degn dans
son travail avec les chiens et les chevaux ; notons que les effets
apaisants concernent tout autant l’animal que l’humain. Peu

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La relation homme-animal

importe ici « qui commence » : animal et humain « font sys-


tème », il y a contagion ou partage des émotions 2.
Enfin, le toucher est aussi un indicateur de relation. Comme
tous les modes de communication, le toucher fait l’objet d’inter-
dits et de recommandations socialement codifiés. Toucher un
inconnu est une violation de l’espace personnel (d’où le fait
qu’un tel acte, même accidentel, est suivi d’excuses ou
d’échanges réparateurs), en même temps qu’accepter de se lais-
ser toucher, c’est accepter la pénétration d’un autre dans sa
sphère intime. Le toucher indique une relation intime en même
temps qu’il l’instaure. Les tabous sociaux liés au toucher ne sont
pas mis en œuvre quand il s’agit d’animaux, car ceux-ci n’ont pas
le statut de personnes sociales compétentes (c’est le cas aussi des
enfants). Nous nous sentons donc autorisés à les toucher.

Le regard
Le regard joue un rôle très considérable dans la régulation de
l’interaction sociale. C’est un régulateur des tours de parole, mais
c’est aussi le signal le plus puissant de tout notre répertoire de
communication non verbale. Si un regard à lui seul peut déclen-
cher une bagarre dans un bar, c’est aussi un des signaux les plus
importants de la cour amoureuse. Le regard mutuel mais aussi le
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fait de regarder et d’être regardé sont des éléments essentiels de
la communication interespèces. Le regard est une forme de
contact et il offre la possibilité de créer une sphère de communi-
cation intime sans trop de complication relationnelle.

L’effet relaxant de la présence d’un animal de compagnie


Dans une expérience maintes fois citée, Aaron Katcher et ses
collaborateurs ont montré que la présence d’un animal de com-
pagnie (en l’occurrence un chien) a pour effet de diminuer les
indicateurs physiologiques du stress chez des enfants à qui on 2. La contagion des émo-
demande de lire un texte à haute voix. Cet effet apaisant ou « dé- tions concerne bien sûr
tout autant les émotions
stressant » de la présence d’un animal 3 a également été observé
négatives, comme le
par Hansen et coll. (1999) : les comportements révélateurs de montre l’escalade dans la
l’anxiété chez des enfants en visite chez le pédiatre diminuent peur, qui peut survenir
quand un chien paisible est présent. Dans le même ordre d’idées, très vite.
Fox avait observé, dès 1981, que la présence d’un chien à la 3. Évidemment, il faut
maison était l’indice le plus fiable d’une survie à un an, après sa que l’animal lui-même
sortie d’hôpital, d’un patient souffrant de problèmes coronariens. soit tranquille (un chien
qui gronde, qui aboie, qui
Si, par la suite, un nombre incalculable d’études ont cherché a peur ou est agité n’a pas
à mettre en évidence l’influence bénéfique de la possession d’un le même effet !) et que
animal de compagnie sur divers aspects de la santé (physique l’enfant n’ait pas peur
comme mentale), avec des résultats instables, on doit néanmoins des chiens.

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

s’interroger sur la manière dont fonctionne cet effet apaisant ou


relaxant de l’animal quand le toucher n’entre pas en jeu.
Un des éléments de réponse à cette question est, selon nous,
qu’un animal de compagnie, comme un chien ou un chat pai-
sible, offre peu de signaux à l’interprétation, et cela évite de
surcharger nos systèmes perceptifs et interprétatifs. Nous
n’avons pas idée de la quantité de signaux que notre cerveau
doit sans arrêt traiter de manière quasi simultanée, dans la plu-
part des situations sociales humaines. D’un côté, nous avons
besoin d’être en relation avec les autres, mais, d’un autre côté,
cela peut s’avérer très fatigant et stressant. Or l’animal, parce
qu’il renvoie assez peu de signaux et n’exige aucun traitement
d’information verbale, favorise la concentration, l’observation,
la tranquillité. Un second élément de réponse se trouve dans le
fait qu’un animal paisible signale l’absence de danger, au
contraire d’un animal stressé ou apeuré.

L’animal comme « facilitateur » de la communication sociale


Les hommes politiques qui se font photographier avec leur
chien savent bien que, dans notre société, un homme sera perçu de
façon plus positive s’il est accompagné d’un animal de compagnie,
chien ou chat. Mais la présence d’un animal permet, aussi, comme
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l’a montré une très belle étude de Messent au début des années
1980, d’augmenter les contacts sociaux : quelqu’un qui se promène
dans Hyde Park avec un chien interagit plus souvent avec des
étrangers que s’il se promène seul ou accompagné d’un enfant
(Messent, 1983). L’animal joue ici le rôle de « catalyseur » ou de
« lubrifiant » social : il facilite les interactions entre étrangers.
Les interactions sociales, même les plus simples en appa-
rence, sont en fait gouvernées par des règles et des rituels qui
doivent être respectés sous peine de mettre en danger l’ordre
social et d’inspirer la crainte. Ainsi, un homme qui adresse la
parole à des étrangers sans respecter l’ordre rituel sera perçu
comme menaçant. La présence d’un animal permet d’outrepas-
ser la rigidité des rituels de salutation en provoquant une atten-
tion conjointe non menaçante. Cette attention conjointe est
alors le socle de regards, de salutations ou parfois de conversa-
tions qui seront perçus comme anodins. Cet effet de « facilita-
teur social » va toutefois plus loin puisque Demaret a observé,
dans son travail clinique, que la mention d’un animal de com-
pagnie (par exemple en demandant au patient s’il en possède
un) déclenche souvent un discours riche chez un patient par
ailleurs assez inhibé.

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La relation homme-animal

Une structure interactionnelle simplifiée


Avec les animaux, on se trouve au niveau des structures élé-
mentaires des relations : peur, approche, retrait, confiance, stress,
détente… Grâce à cette simplicité de l’interaction, je peux aussi
voir l’effet que mon comportement a sur l’animal, ce qui est à la
base du lien social (le lien social peut en effet être défini comme
la réponse de A au comportement de B à son égard). Ces struc-
tures élémentaires de la relation qui sont mises en œuvre dans les
relations avec les animaux se trouvent bien sûr aussi dans les
relations avec les êtres humains. Mais elles sont là obscurcies par
le langage, et par une quantité d’autres informations qui ne sont
pas nécessairement significatives sur le plan de la relation,
d’ailleurs.
Comme Bibi Degn l’a dit, on peut, en travaillant avec des che-
vaux, apprendre à aller vers l’animal, à observer les réactions
qu’il a à notre égard, à lire les signaux de son corps et ressentir,
éprouver le lien (il a peur, il attend, il se méfie, il prend
confiance…). Cela aussi favorise la concentration sur « ce qui
compte » dans une relation. C’est un apprentissage important, qui
nous aiderait certainement dans la gestion de nos relations quoti-
diennes. Il peut être difficile de faire ces choses simples, mais
cela donne un ancrage solide, une position claire dans la relation
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(je sais qui je suis pour l’animal dans cette relation).
Smith estime qu’une autre dimension de l’interaction sociale
est simplifiée dans les interactions avec les animaux : sa structure
temporelle et spatiale (Smith, 1983). Celle-ci est en réalité assez
complexe, même si nous l’avons tellement bien intériorisée que
nous n’en avons pas conscience. Une simple conversation, par
exemple, exige de la part de tous les participants une collabora-
tion étroite pour maintenir l’organisation spatiale, les tours de
parole, la gestion de l’attention et de l’engagement. Or il se peut
que certaines personnes éprouvent des difficultés à s’insérer dans
une interaction comme une conversation, en raison de sa struc-
ture temporelle et spatiale trop compliquée. Avec un animal, c’est
beaucoup plus simple. On peut être déficient sur le plan de l’or-
ganisation d’une conversation humaine et être capable de déve-
lopper une interaction bien structurée avec un animal. En
favorisant l’attention et la concentration, l’animal peut aussi aider
à structurer une interaction. Il est sensible mais peu exigeant
quant au respect de normes sociales humaines.

Le lien, l’attachement
Nous avons parlé jusqu’à présent d’interaction, de regard, de
contact, d’émotion et de communication. Il nous faut revenir à la

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

question de « l’autre signifiant » qui nous était posée. Peut-on


parler de « véritable lien » quand il est question d’un lien avec un
animal non humain ? Cette question n’est pas pure rhétorique, car
les sociologues, par exemple, considèrent que, l’animal n’étant
pas un vrai sujet, il ne peut y avoir dans la relation avec lui cette
intersubjectivité indispensable à tout véritable lien social. Pour
eux, donc, la relation à l’animal s’apparente à une relation avec
un objet, et c’est sur cette base que l’on qualifiera d’anthropo-
morphique toute imputation de qualités mentales à un animal.
Pourtant, bien sûr, tous les propriétaires d’animaux savent que
l’animal leur répond, et que ce n’est pas là pure illusion de leur
part. Le sociologue Clinton Sanders s’est interrogé sur la manière
dont les propriétaires d’animaux « font », de leurs animaux, des
personnes (Sanders, 1993). Après avoir rappelé que le statut de
personne est quelque chose d’éminemment social, qui n’est abso-
lument pas automatique, il identifie quatre conditions permettant
de considérer son animal comme une personne. Le propriétaire
doit pouvoir lui attribuer :
– des processus de pensée (il se souvient, il déduit, il comprend,
il croit…) ;
– une personnalité (il a une histoire particulière, des goûts, des
préférences, etc.) ;
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– la réciprocité (l’animal contribue à la relation autant que le
maître y contribue, il joue sa partie) ;
– une place dans la famille, dans le groupe.
Ceci montre que le lien à l’animal est à la fois semblable et
différent du lien avec d’autres êtres humains. Il est semblable
parce que ce sont les mêmes processus de construction de la per-
sonne que nous utilisons pour des êtres humains 4, mais différent
parce que nous savons bien, aussi, que les animaux ne sont pas
vraiment comme les humains. Ce flottement et cette liberté dans
l’interprétation du comportement animal, entre analogie et alté-
rité, constituent, selon moi, un élément nécessaire à une bonne
relation avec un animal non humain.
Tous les éléments de communication dont nous avons parlé
4. Évidemment, l’inverse permettent de former avec un animal des interactions qui ont une
est vrai aussi : si on ne structure significative pour les êtres humains, c’est-à-dire dans
peut plus attribuer à un lesquelles ils peuvent entrer sans nécessairement perdre leurs
humain ces traits, il ne repères. Ces interactions ont cependant suffisamment d’altérité
sera pas, ou sera difficile- ou d’étrangeté pour permettre à l’humain de faire l’expérience de
ment, traité comme une modalités relationnelles nouvelles, et donc d’apprendre des
personne. choses sur lui-même.

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La relation homme-animal

COMMENT LA RELATION À L’ANIMAL


PEUT-ELLE DEVENIR THÉRAPEUTIQUE ?

Depuis une quarantaine d’années, de nombreuses études ont


fait état de programmes thérapeutiques utilisant des animaux
pour une grande variété de patients. Les psychiatres Corson et
Corson ont été, dans ce domaine, des précurseurs, auteurs notam-
ment d’une étude pilote menée en hôpital psychiatrique, dont les
résultats ont été publiés en 1975. Dans cette étude, les auteurs
montraient l’impact considérable qu’avait eu l’introduction
d’animaux de compagnie (des chiens) sur cinq patients, diagnos-
tiqués schizophrènes, et chez lesquels aucun des traitements
tentés n’avait été efficace. Tous les patients quittèrent leur posi-
tion de repli et leur comportement social s’améliora considéra-
blement. Dans le même ordre d’idées, Levinson avait, dès 1961,
observé des résultats très similaires lorsqu’il avait laissé son
chien jouer avec un enfant très en retrait, replié sur lui-même,
qu’on lui amenait en urgence en consultation. À partir de ces
deux études pilotes, et de quelques autres, dont les résultats
étaient spectaculaires, un nombre incalculable de travaux ont
tenté de mesurer, évaluer, tester, etc., les « effets thérapeutiques »
d’animaux sur une variété de troubles. L’honnêteté scientifique
nous oblige néanmoins à mentionner que les résultats de ces tra-
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vaux sont extrêmement variables, et leurs méthodologies pas tou-
jours très rigoureuses (Beck et Katcher, 1984). C’est comme si
l’effet thérapeutique des animaux, observé et mis en évidence par 5. Il convient alors de
des cliniciens dans le cadre de leur pratique, était très difficile à définir le terme « théra-
démontrer scientifiquement. peutique » et de le distin-
guer du récréationnel.
On peut toutefois, et en dépit de l’incertitude quant à la « réa- Pour ce qui concerne la
lité » des effets thérapeutiques des animaux sur les humains, « thérapie facilitée par
réfléchir à « ce qui », dans la communication et l’interaction avec l’animal », nous pro-
des animaux non humains, pourra être une base pour construire posons de considérer
une relation thérapeutique 5. comme thérapeutique ce
qui engendre des appren-
Dans l’entretien thérapeutique ou dans un lien de vie théra- tissages (des change-
peutique, l’animal peut jouer un rôle à quantité de niveaux. Je ne ments) permettant à la
citerai ici que les plus élémentaires. personne de mieux sur-
monter les problèmes
1. Interagir avec un animal apporte au patient la satisfaction (quels qu’ils soient) que
de besoins émotionnels fondamentaux comme le toucher et l’in- lui pose l’existence. Si la
timité d’une relation « enveloppante », dans un lieu qui est sans présence de l’animal,
danger sur le plan des complications émotionnelles (par exemple, pour gratifiante qu’elle
l’animal n’a pas, sauf exception, la possibilité d’abandonner ou soit, n’entraîne aucun
de quitter le patient). changement dans la
manière dont la personne
2. Présent (ou parfois seulement évoqué) dans une salle de gère ses difficultés, on ne
thérapie, l’animal favorise le développement d’une relation thé- peut parler de thérapie.

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L’animal et le développement psychique de l’enfant

rapeutique, comme dans les études des époux Corson et de


Levinson. Plusieurs facteurs jouent ici : un animal paisible va ras-
surer et apaiser le patient (effet relaxant) ; il va également favo-
riser le contact et la conversation (facilitation sociale) ; mais il y
a plus : il est un véritable médiateur entre un patient très retiré,
voire hostile, et un thérapeute parfois désemparé.
3. L’animal apporte aussi une aide au thérapeute, ce qui est
moins souvent reconnu. Il lui permet, dans les moments de ten-
sion ou de difficulté, de ne pas mettre trop de pression sur le
patient. En se tournant vers l’animal, le thérapeute se détend,
patiente, se remet à l’écoute et se « recalibre » pour revenir
ensuite vers le patient avec un esprit plus ouvert.
4. La présence d’un animal aide à structurer l’interaction thé-
rapeute-patient sur le plan spatial et temporel, en orientant l’at-
tention et favorisant tout naturellement le développement d’une
attention conjointe.
5. La présence d’un animal favorise la concentration en tem-
porisant l’interaction et en diminuant les parasites : centré sur un
animal, sur l’observation de son comportement, de ses expres-
sions, etc., un échange qui n’est pas trop saturé en éléments ver-
baux va comporter moins d’informations à traiter et prêtera
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moins à la distraction et à l’hyperactivité.
6. La présence d’un animal permet au patient d’évoluer selon
des modalités de communication dans lesquelles il est aussi com-
pétent (et parfois plus) que le thérapeute. En effet, tout le monde
se met au niveau de fonctionnement de la communication non
verbale (comportement, émotion). C’est la base de l’interaction
avec un animal. Ici le patient n’est pas déficient, et la relation
reste significative pour chacun.
7. La présence d’un animal va permettre de travailler à partir
des relations « élémentaires » (la peur, la confiance, la récipro-
cité, etc.) et de construire du sens à partir de cela. Les possibili-
tés de construction de sens, à partir des réactions de l’animal aux
comportements du patient à son égard par exemple, sont infinies.
Tout dépend alors des qualités du thérapeute.
8. Enfin, l’animal introduit de l’humour et de la souplesse
dans des interactions parfois rigides et sérieuses.
D’une manière générale, la présence d’un animal permet, en
favorisant la créativité du thérapeute, de construire de « nouvelles
réalités » pour le patient, par exemple des réalités où son déficit
de langage n’est pas un obstacle au développement de relations
gratifiantes. L’animal apporte un potentiel de changement impor-

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La relation homme-animal

tant dans une relation thérapeutique. Il ouvre de nouvelles pers-


pectives, sur la base de modalités de communication différentes.
Revenons à présent, un instant, à la question sur « l’effet thé-
rapeutique » des animaux, et au conflit entre chercheurs et prati-
ciens. D’après ma propre expérience, il apparaît que les animaux
en eux-mêmes n’ont pas d’« effet thérapeutique » sur les patients.
Tout dépend de ce que va faire le thérapeute du potentiel de chan-
gement apporté par l’animal. On peut mettre un enfant sur un
cheval et lui dire « tiens-toi droit »… Cela ne sera probablement
pas très différent de son expérience quotidienne. On peut, aussi,
lui faire découvrir un autre monde, dans lequel il se sentira
capable, en confiance, bien. Il est donc finalement compréhen-
sible que les chercheurs n’arrivent pas à reproduire les résultats
des praticiens. Non pas parce que les praticiens ne sont pas assez
rigoureux ou parce qu’ils « croient » que cela va marcher, mais
tout simplement parce que les chercheurs mettent en place des
procédures expérimentales qui, en exigeant que « toutes choses
soient égales par ailleurs », empêchent précisément les théra-
peutes de construire de nouvelles réalités avec leurs patients. Si
je compare une situation avec animal et une situation sans animal
et que tout, hormis la simple présence de l’animal, doit être pareil
(ce qui est la base de l’expérimentation rigoureuse), j’interdis au
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praticien de développer, d’utiliser le potentiel de changement
apporté par la présence de l’animal, et je neutralise l’« effet thé-
rapeutique ». Si on veut agir avec un animal comme s’il n’était
pas là, on limite grandement le champ des possibles. On peut
donc en conclure que les procédures expérimentales en elles-
mêmes « font disparaître » les effets bénéfiques des animaux,
mais que ceux-ci ne sont pas illusoires pour autant.
Enfin, je voudrais, pour conclure, insister sur le fait qu’il est
important, dans les « usages » (quel vilain mot !) thérapeutiques
des animaux, de ne pas déconnecter l’animal de la nature plus
vaste à laquelle il appartient, ni du réseau de relations qui l’unit,
et qui nous unit aussi, au monde naturel. Sinon, l’animal ne sera
qu’un simple outil et on perdra une grande partie du potentiel de
bienfait qu’il peut apporter. Le champ des possibles et la créati-
vité qu’apporte la présence d’un animal en seront considérable-
ment rétrécis alors qu’on augmentera les risques de mésusages de
l’animal, c’est-à-dire d’usages non éthiquement corrects.

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perspectives on our lives with companion animals, Philadelphie, University of
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Mots-clés : RÉSUMÉ
Animal, langage, Nous sommes des êtres de relation et de communication. S’il ne peut
communication, lien, s’inscrire dans des relations sociales significatives, l’enfant souffre de
attachement, graves troubles du développement. Chez l’homme, la communication est
effet thérapeutique. d’abord multicanal et permanente, et le langage ne vient s’y insérer que
secondairement. C’est pourquoi, bien qu’il ne soit pas un être de langage,
l’animal a sa place dans une relation avec l’homme. Les interactions
homme-animal se font d’abord par le toucher et le regard, ce qui place
très vite la relation dans le registre de l’intime. La présence d’un animal
peut aussi faciliter la communication sociale. Mais, pour l’auteur, les
modalités particulières de la communication homme-animal, et notam-
ment le fait qu’elle est non verbale et relationnelle, vont donner à la rela-
tion homme-animal un potentiel thérapeutique qui peut être développé et
utilisé, selon les besoins des patients et la sensibilité des thérapeutes, à
plusieurs niveaux.

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La relation homme-animal

SUMMARY Key words :


Human beings are communication beings. When a child is deprived of Animal, language,
sound social relationships he suffers of serious development impair- communication, bond,
ments. In humans, communication is firstly multi-canal and permanent. attachment,
Language comes second. This is why animals may have true relation- therapeutic effect.
ships with humans, although they are not language creatures.
Human/animal interactions and communication rely first on touch and
gaze, and this tunes the relationship at once in the intimate mode. The
mere presence of an animal might also facilitate social communication.
Most importantly, the human/animal relationship has some characteris-
tics that give a real therapeutic potential to it. Because the communica-
tion is mostly nonverbal and relational, many patients are able to
efficiently relate to animals although they are very deficient in their
contacts with other human beings. According to the specific difficulties
of the patient and to the therapist’s choices, several aspects of the
human/animal interaction may be used in a therapeutic setting.
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LA PLACE DE L'ANIMAL DANS LA PSYCHOTHÉRAPIE DE L'ENFANT

Karin Tassin

ERES | « Enfances & Psy »

2007/2 n° 35 | pages 58 à 68
ISSN 1286-5559
ISBN 9782749207339
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2007-2-page-58.htm
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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 58

L’ANIMAL UTILISÉ
EN THÉRAPIE
Karin Tassin
La place de l’animal
dans la psychothérapie
de l’enfant

Karin Tassin est psychologue- Chez l’enfant, l’animal occupe une place importance
tant dans la vie réelle que dans la vie fantasmatique.
psychanalyste et membre affilié L’animal n’est pas doué de parole et cette caractéristique
le rend à la fois proche des premières années de l’enfance
à la Société de psychanalyse
et plus facilement malléable que l’être humain. Il peut
de Paris ( SPP ). Après avoir été alors devenir, pour l’enfant, un support d’identification et
un support de projection de ses fantasmes et de ses pul-
analyste pendant dix ans à sions. Ce sont telles ou telles caractéristiques physiques
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de l’animal qui, symbolisées, permettent à l’enfant de
l’hôpital de jour pour enfants projeter ses pulsions partielles. Ce processus de projec-
tion est un moyen de défense originaire contre la part des
de Saint-Cyr-l’École et douze ans
excitations internes qui atteint une intensité dépassant le
à l’institut Édouard Claparède seuil du supportable. Il permet d’avoir un persécuteur
substitutif, l’animal, sur lequel les enfants projettent leur
à Neuilly-sur-Seine, elle est partie agressive. Devant une boîte de jouets contenant
des animaux, un enfant (âgé de 2 à 10 ans) va se saisir de
maintenant analyste d’enfants ces animaux dès les premières séances et s’approprier
immédiatement certains d’entre eux, comme objet
et d’adultes en libéral
d’identification ou de projection.
à Clamart (92). Je vais essayer, ici, de démontrer comment le choix
des animaux auxquels l’enfant fait appel dans ses dessins
ou ses jeux, au cours d’une psychothérapie, s’est trans-
formé durant ces trente dernières années. Ces modifica-
tions me semblent liées à l’évolution de la société tant
dans le registre culturel que dans le changement de struc-
tures de personnalité des enfants que nous recevons.
Je vais reprendre deux cures très célèbres de Freud :
Analyse d’une phobie chez un petit garçon de cinq ans et
L’homme aux loups, publiées entre 1905 et 1915.
J’évoquerai ensuite celle très connue de Carine, petite

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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 59

La place de l’animal dans la psychothérapie de l’enfant

patiente dont le traitement a été publié en 1972 par R. Diatkine et


J. Simon sous le titre : La psychanalyse précoce. Puis je parlerai
des psychothérapies de ce début de XXIe siècle pour montrer
l’évolution non seulement dans les animaux évoqués par les
enfants mais aussi dans les pathologies rencontrées.

LE PETIT HANS
Dans la cure du petit Hans, Freud est le premier à avoir parlé
des animaux phobogènes. Il nous montre la façon dont les ani-
maux ont servi à Hans de lieu de déplacement et de projection de
ses désirs et de ses craintes. Le cheval occupe une place prépon-
dérante dans ses phobies, mais il est aussi question de la girafe.
La cigogne sera aussi présente mais uniquement parce qu’elle est
liée à la représentation de la naissance chez cet enfant et n’est,
dans ce cas, qu’une reprise du récit des adultes.
Hans va construire sa phobie à partir de l’observation de ce
qui se passe dans un hangar à chevaux en face de chez lui. Il va
utiliser ce qui est mis à sa disposition visuelle et auditive pour
projeter sur ces animaux à la fois ses désirs, qui se transforment
par retournement en angoisse, et également pour en faire, par
déplacement, des supports identificatoires des imagos parentales.
Il va donner au cheval et à la girafe une polysémie de sens :
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le cheval est initialement un support de projection de l’imago
paternelle qui évoluera vers un animal méchant qui le punit du
plaisir qu’il prend à se masturber le soir. Il va dire : « Le cheval
mord et j’ai peur qu’il rentre dans ma chambre », exprimant, par
là, sa peur d’être castré par son père. Il identifie tellement le père
au cheval qu’il dira, un jour, alors que son père se lève de
table : « Papa reste ! Ne t’en va pas au galop ! »
Puis le cheval devient un objet partiel (un cheval blanc qui
symbolise son pénis) avant de devenir une imago maternelle au
moment où il parle de sa peur que des chevaux lourdement char-
gés tombent, faisant référence à sa mère enceinte qu’il semble
avoir eu envie d’attaquer.
La girafe, avec son grand cou, intéresse Hans et lui fait peur
en tant que symbole phallique, mais Hans évoque aussi, un peu
plus tard, une girafe chiffonnée, symbole du sexe féminin.
Ce qu’il faut retenir dans cet exemple est que Hans apporte
dans sa cure un matériel essentiellement œdipien. Le bestiaire
qu’il a choisi est celui de son environnement et n’évoque en
aucun cas des animaux à connotation archaïque ou terrifiante
comme nous le voyons dans les cures contemporaines.

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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 60

L’animal utilisé en thérapie

L’HOMME AUX LOUPS

Ici, le patient est un adulte qui rapporte un rêve où il est ques-


tion de loups. Freud considère que ce rêve a eu lieu lorsque le
patient avait 3 ans et demi. Le rêve peut se résumer ainsi : « Tout
à coup, la fenêtre s’ouvre d’elle-même et, à ma grande terreur, je
vois que, sur le grand noyer en face de la fenêtre, plusieurs loups
blancs sont assis. Il y en avait six ou sept. Les loups étaient tout
blancs et ressemblaient plutôt à des renards ou à des chiens de
berger, car ils avaient de grandes queues comme les renards et leurs
oreilles étaient dressées comme chez les chiens quand ceux-ci sont
attentifs à quelque chose. En proie à une grande terreur, évidem-
ment celle d’être mangé par les loups, je criais et m’éveillais. »
Le patient associe sa terreur des loups au conte du Petit
Chaperon rouge, mais les chiffres de six ou sept loups vont le
faire associer aussi à celui du Loup et des 7 chevreaux.
Freud commente alors ce rêve : « Nous nous bornerons à la
relation de ce rêve avec deux contes qui ont tant de points com-
muns, Le petit Chaperon rouge et Le loup et les 7 chevreaux ;
dans les deux contes, on retrouve le fait d’être mangé, le ventre
que l’on ouvre, l’acte de faire ressortir les personnes mangées et
enfin, dans les deux cas, le méchant loup périt ». L’impression
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produite par ces contes sur celui qui n’était alors qu’un petit
enfant se manifesta par une phobie classique d’animaux.
Ici, Freud parle du loup comme substitut du père mais se
demande si les deux contes n’ont pas un contenu occulte autre
que la peur infantile du père. D’autres fantasmes liés à la dévora-
tion pourraient évoquer des attaques contre le corps maternel et
la scène primitive.

LE CAS Carine
Carine est une petite fille de 4 ans qui a fait un long traitement
psychanalytique avec J. Simon. Dès la sixième séance, elle dit :
« Je vais te raconter mes mauvais rêves ; cette nuit, j’ai eu peur.
J’ai vu un loup, il voulait me griffer et me manger », et elle passe
du récit au jeu en essayant de griffer et mordre l’analyste. Mais,
un peu plus tard dans le jeu, elle explique : « Une autre fois, le
loup n’était pas trop méchant, mais j’avais peur que sa grande
queue me fasse guili-guili sur la figure et sur les fesses. » Là
aussi, on peut voir que le loup a plusieurs fonctions : imago pater-
nelle qui fait peur, mais aussi imago paternelle plus sexuelle qui
fait guili-guili.
À propos du loup, les auteurs font le commentaire suivant :
« Le symbole du loup se retrouve fréquemment en psychanalyse

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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 61

La place de l’animal dans la psychothérapie de l’enfant

d’enfant. Il n’est pas indispensable d’évoquer une trace phylogé-


nétique pour expliquer cette fréquence ; il suffit de tenir compte
de l’importance de cet animal dans la culture infantile contempo-
raine, encore très influencée par l’héritage médiéval transmis par
Perrault et par Grimm, et récemment amplifié par Walt Disney et
les comics contemporains. Il n’est pas nécessaire d’être un enfant
russe, comme le patient de Freud, pour que cette image soit fami-
lière, d’autant plus que l’homme aux loups n’en avait, lui aussi,
qu’une expérience purement livresque. Son aspect et ses mœurs,
décrits dans les histoires enfantines, lui confèrent des caractéris-
tiques parfaitement adaptées pour être utilisé comme symbole. Il
est, en effet, pourvu d’appendices terrifiants (son museau, ses
griffes et ses dents) ou au contraire séduisants et même fragiles
(sa queue, si souvent prise comme dans Pierre et le loup, ou
coupée comme dans l’histoire du tailleur racontée par le grand-
père de l’homme aux loups). Mais c’est aussi un animal à la
gueule effrayante pouvant avaler la grand-mère dans le Petit
Chaperon rouge, six des sept chevreaux ou le canard de Pierre,
tout en les gardant vivants dans son ventre, à la façon d’une mère
enceinte. Animal phallique et dévorant dont la couleur, plus sou-
vent noire que grise, évoque l’analité, le loup est un support par-
fait pour représenter à la fois les imagos paternelle et maternelle,
dans toutes leurs versions sadiques. Cette dualité virtuelle de
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significations favorise l’organisation défensive liée tant aux
déplacements et à la condensation, sous l’effet des processus pri-
maires, qu’à l’élaboration cohérente produite par les processus
secondaires » (Diatkine et Simon, 1972).
Ce commentaire très fin et convaincant, écrit il y a plus de
trente ans, ne me semble plus tout à fait d’actualité ; en effet, si
les trois exemples de petits patients que je viens de citer présen-
tent indéniablement des points communs, la population d’enfants
que nous recevons actuellement ne correspond plus que rarement
à ces schémas. Dans les trois exemples cités, les enfants avaient
entre 4 et 5 ans, étaient en pleine période œdipienne et possé-
daient tous les trois, d’après les discours qu’ils tenaient, de
bonnes capacités d’élaboration secondaire. Dès le début de la
cure, ils avaient déjà des possibilités de conflictualisation et les
animaux qu’ils ont choisis étaient polysémiques.
Comme le disent Freud puis Diatkine et Simon, l’enfant peut
projeter, sur le loup comme sur le cheval, à la fois ses pulsions
orales agressives et les imagos parentales, et construire des scé-
narios autour de la scène primitive. Dans son ouvrage L’animal
d’angoisse, C. Rigaud montre bien l’aspect polysémique du loup
quand on le compare aux autres animaux : « Parmi les différents
animaux du bestiaire enfantin, le loup semble le seul à offrir […]

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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 62

L’animal utilisé en thérapie

une riche polyvalence projective. Les autres animaux n’ont


qu’une seule valence pulsionnelle : le lion et le crocodile ont leur
gueule et leurs dents, l’éléphant a la trompe, le rhinocéros a sa
corne et la girafe a un cou exprimant le triomphalisme phallique.
Le loup a la gueule, les dents, les pattes griffues, les longues
oreilles, les yeux menaçants, la queue touffue, le pelage
sombre… » (Rigaud, 1998).

LA PROBLÉMATIQUE ACTUELLE

Depuis une trentaine d’années, les enfants baignent dans une


culture qui s’est modifiée de façon notable. Les enfants petits, qui
autrefois entendaient beaucoup de récits de contes, se nourrissent
actuellement fréquemment de dessins animés dans lesquels les
robots et les monstres ont supplanté les animaux. Les person-
nages tout-puissants et pourvus de pouvoirs magiques ont rem-
placé les héros de naguère et les loups ont disparu des forêts
d’Europe. Qui plus est, il est vraisemblable que les adultes n’ont
plus ces craintes ancestrales et que cette sorte de peur n’est plus
transmise de la même manière aux enfants. La conséquence est
que l’on rencontre plus rarement des loups dans le matériel de
psychothérapie, que ce soit dans les dessins ou dans les jeux. En
revanche, nous entendons beaucoup parler de serpents, de
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requins, de crocodiles, de dinosaures et de monstres en tous
genres. Il est, d’autre part, très peu question d’animaux de ferme,
de vaches, de cochons, de dindons ou d’animaux apprivoisés
comme des chats ou des chiens qui ne peuvent être le support de
projection des pulsions partielles agressives.
Le changement dans le choix des animaux est-il dû à cette
évolution du milieu ambiant, de la société en général, ou faut-il y
voir, comme je le disais dans mon introduction, un changement
de structure mentale des enfants à l’instar de ce qui est observé
chez l’adulte ?
Il semble que les deux hypothèses méritent d’être retenues et
ce d’autant plus qu’elles sont en lien. La société évolue vers une
diminution de la symbolisation au profit de l’acte ; le surmoi
culturel s’est affaibli et les enfants montreraient une probléma-
tique où la structure de leur moi est plus fragile, le surmoi ne
jouant plus son rôle de canalisateur des pulsions. Les analystes
d’enfants font le constat qu’ils reçoivent de moins en moins d’en-
fants sur un registre œdipien et objectal, et que ceux-ci ont été
remplacés par des enfants « états limites » qui présentent des pro-
blématiques narcissiques souvent dans un registre très archaïque.
On a vu apparaître, ces dernières années, une problématique où le
prégénital est dominant, où les pulsions partielles orales et anales

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La place de l’animal dans la psychothérapie de l’enfant

ne sont pas intriquées à un Œdipe génital comme on peut le voir


chez les trois petits patients que nous avons évoqués au début de
ce chapitre. Les enfants actuels sont très souvent fascinés par les
monstres et les dinosaures, animaux eux aussi plus archaïques
que le cheval ou la girafe. Il semble que ces monstres et ces dino-
saures aient pris la place qu’occupait le loup. N’oublions pas non
plus que, du temps de Freud, les enfants n’entendaient vraisem-
blablement pas parler de dinosaures, de monstres ou même de
crocodiles.
Lorsque l’enfant se trouve dans un registre narcissique, l’an-
goisse ne se situe pas, comme l’indique la qualification du
registre, au niveau d’une castration œdipienne mais plutôt au
niveau d’une atteinte narcissique. Les enfants sont alors dans une
problématique de survie où la castration ne correspond pas au
risque de perdre une partie d’eux-mêmes mais à celui de perdre
la vie. Leur problème d’exister aux yeux de la mère, mais aussi à
ceux du père, est crucial et le tiers est vécu comme une menace
d’annihilation. Les mécanismes envieux et destructeurs sont au
premier plan et les animaux prédateurs sont un bon support de
projection de cette partie prédatrice qui est en eux. Au niveau de
la projection, Freud a parlé de projection et d’identification à
l’agresseur ; néanmoins, dans les pathologies limites et la phobie,
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on parlerait actuellement, après Melanie Klein, d’identification
projective. Par exemple, l’enfant projette sa partie sadique orale
sur l’animal et imagine que l’animal va ensuite l’attaquer en
retour avec ses attributs sadiques. C’est ce que l’on rencontre
dans la phobie.
Il n’est pas possible de parler de tous les animaux. Certains,
comme les animaux de basse-cour et quelques insectes, n’appa-
raissent que rarement dans les cures comme je l’ai déjà men-
tionné. L’éléphant, animal phallique et protecteur, est assez
délaissé chez les enfants « états limites ». C’est d’ailleurs, en
général, le cas de tous les gros animaux du zoo, à l’exception des
félins. J’ai donc choisi d’évoquer ceux dont on entend parler le
plus fréquemment, comme le crocodile, le requin, les dinosaures
et les monstres.

Le crocodile
Très souvent présent dans les représentations des enfants
« états limites » et des enfants phobiques, c’est l’animal carnas-
sier prédateur par excellence, investi uniquement pour ses dents.
Support des pulsions sadiques orales et de l’avidité, il est très
recherché comme prédateur de tous les rivaux avec l’attaque du
sein, de la scène primitive orale et des bébés qui en découlent. En

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L’animal utilisé en thérapie

cela, il a une des fonctions du loup mais n’en a pas la dimension


libidinale.
J’en donnerai un exemple clinique : Christophe est un enfant
de 8 ans qui a eu un arrêt de développement, à l’âge de 1 an et
demi, quand son père est parti vivre avec une autre femme. Il
refuse de manger autre chose que de la viande moulinée depuis
cet âge-là et présente par ailleurs une structure prépsychotique.
Au bout d’un certain temps de traitement et à chaque début de
séance, Christophe sort trois crocodiles. Ces derniers dévorent tous
les bébés (une dizaine de petits jouets Playmobil qu’il aligne sur la
table) qu’il imagine avoir été faits par l’analyste entre les séances
(en tant qu’imago maternelle). Christophe commente : « Le croco-
dile mange tous les bébés, il ne recrache que les os. » Plus tard, la
mère sera aussi dévorée. Il ne manifeste aucune angoisse pendant
ce jeu, n’a pas peur d’une quelconque rétorsion par le père. Il va
attaquer également le couple de façon répétitive avec des crottes
brûlantes, mais, là aussi, on ne sent pas une réelle conflictualité
œdipienne. On ressent plutôt une jouissance, un sadisme primaire
froid sans aucune culpabilité, qui évoque une toute-puissance orale
et anale destructrice, liée à une envie pour les richesses parentales
que les parents se donnent dans une scène primitive orale. Il me
dira d’ailleurs à cette époque : « Avant, j’étais un bébé impuissant,
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maintenant, je suis un chevalier tout-puissant. » Le père castrateur
n’est pas figuré car non reconnu ; l’animal choisi n’est pas polysé-
mique. Chez Christophe, le risque de castration narcissique (la
mort psychique l’ayant menacé) empêche toute élaboration de la
castration œdipienne et la possibilité de jouer de façon réellement
libidinale avec les animaux.

Le requin
Cet animal est plus œdipien que le crocodile ; il est souvent
entouré d’une multitude de petits poissons et il est fréquent qu’il
y ait un trésor gisant au fond de la mer. Le requin représente soit
un animal prédateur voulant attaquer le ventre maternel et tout ce
qu’il contient, soit, en tant qu’imago paternelle, le gardien d’un
trésor qu’un plongeur veut récupérer. On retrouve très souvent
des requins dans les cures d’enfants phobiques qui sont plus œdi-
piens que les enfants « états limites ».

Les dinosaures
Les dinosaures sont liés à la préhistoire. Au fil du temps et des
cures que j’ai conduites ou qui m’ont été communiquées en tant
que superviseur, il m’a semblé que l’on pouvait faire référence à
deux types de préhistoire : soit, tout d’abord, à une préhistoire

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La place de l’animal dans la psychothérapie de l’enfant

transgénérationnelle si elle est omniprésente dans le psychisme


de l’enfant. Souvent, dans ce cas-là, le petit patient est passionné,
voire enfermé dans ce monde de dinosaures ; il connaît tous leurs
noms, leurs attributs et leurs caractéristiques, qu’ils soient herbi-
vores ou carnivores.
Soit il s’agit de la préhistoire de l’enfant, c’est-à-dire de
l’époque où, comme les animaux, il était lui-même sans langage
et a vécu des traumatismes qu’il n’a pas pu dépasser. Il n’avait à
cette période, pour se défendre et pour attaquer, que ses dents, ses
ongles et ses matières corporelles.
Il me semble que le dinosaure est tout à la fois une partie de
l’enfant avec ses attributs dangereux et un animal gigantesque
identifié au parent que le bébé perçoit comme un géant.
Contrairement au loup ou au cheval du petit Hans, le dinosaure
n’est pas un animal qui semble leur faire peur mais plutôt qui les
attire.
Nous l’avons déjà mentionné, le dinosaure peut être herbivore
ou carnivore. Herbivore, il est associé au stade oral de succion,
c’est-à-dire à un animal gentil. Carnivore, il devient un carnassier
aux dents tranchantes en lien avec un sadisme oral, période de
découverte de la morsure et de la mastication. Très souvent, le
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dinosaure préféré est le tyrannosaure, qui porte bien son nom, car
il évoque la partie tyrannique du bébé. J’ai constaté que la plupart
du temps, quand un enfant s’intéresse au tyrannosaure, il exprime
l’emprise et la tyrannie qu’il aurait souhaité exercer sur une mère
déprimée ou mentalement absente, telles que certaines mères
peuvent l’être dans les premiers mois après l’accouchement,
durant la période d’allaitement.
Là encore, je vous propose un exemple clinique : Hugo, âgé
de 8 ans, consulte pour un repli sur lui-même et des difficultés
scolaires. Il m’apparaît comme un enfant très phobique, allant
jusqu’à avoir des retraits autistiques où il parle tout seul en déam-
bulant de long en large. Dans son histoire, on retrouve à la fois un
problème transgénérationnel – un de ses grands-pères a été assas-
siné – et un problème dû à une séparation difficile d’avec sa mère
quand il a été mis en crèche à 9 mois, ce qui a entraîné probable-
ment une dépression et un retrait libidinal. Une psychothérapie
est mise en place au rythme de deux fois par semaine.
Après avoir exprimé au travers de jeux ce qu’il savait de la
mort de son grand-père, il s’est mis à dessiner des animaux à
chaque séance. Son graphisme de très bonne facture montrait un
bon niveau intellectuel, mais il ne dessinait qu’un animal par
feuille, ne faisait aucun commentaire et ne racontait aucune his-

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L’animal utilisé en thérapie

toire. Dessinés d’abord au feutre noir sans être coloriés, ses ani-
maux représentaient soit des félins, soit des dinosaures. Les dino-
saures étaient gentils et n’avaient pas de dents apparentes. Dans
la vie réelle, il connaissait en détail tout ce qui concernait les
dinosaures et les grands animaux sauvages, avec une prédilection
pour les félins qui vivent isolés dans le froid ou les montagnes. Il
lisait fréquemment des livres à ce sujet. Ces animaux solitaires
semblaient être une représentation de lui-même. Au fil du temps,
les dinosaures qui revenaient de façon récurrente avaient des
griffes et des dents de plus en plus importantes. L’agressivité
orale dans ses dessins contrastait avec son comportement à mon
égard qui restait partiellement phobique. Mes interprétations aux
deux niveaux de sa préhistoire, transgénérationnelle et person-
nelle, ont alors amené un changement dans ses dessins et dans
son comportement. J’ai tour à tour évoqué les imagos parentales
et grand-parentales et les mécanismes d’identification projective
où, ces animaux dangereux attaquant les imagos, il risquait d’être
attaqué par elles en retour. Les dessins se firent plus colorés et les
attributs (les griffes et les dents) de plus en plus terrifiants : un
jour, Hugo a même dessiné un énorme dragon qui crachait du feu.
Ce dragon était rempli de couleurs vives laissant apparaître ainsi
une émergence pulsionnelle vraisemblablement dirigée contre
moi dans le transfert, mais aucun ennemi n’apparaissait sur le
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dessin.
En séance, les pulsions agressives de Hugo émergeaient de
plus en plus et modifiaient notre relation, car il devenait beau-
coup plus proche de moi, souhaitait faire des combats de coussins
où il était capable de m’attaquer sans être débordé par l’angoisse
tout en parlant de faire semblant. Parallèlement, dans la réalité, il
s’est ouvert aux autres, à d’autres choses que les animaux et a fait
de gros progrès scolaires.
Au bout de deux ans de traitement, est apparu le premier
dessin de personnage et, au travers de ce personnage, l’enfant a
commencé à montrer un intérêt pour la sexualité accompagné
cette fois-ci d’attaques contre la scène primitive. Les pets, les
envies d’aller aux toilettes, de déféquer ont été accompagnés
d’un dessin de phacochère qui, d’après ses dires, empuantissait
mon bureau. Récemment, alors qu’à chaque séance précédant des
vacances scolaires il partait quinze minutes avant comme pour
me protéger de ses attaques orales (ne pas détruire le sein pour ne
pas être détruit en retour), il me dit cette fois-ci à deux reprises :
« Tu vas me manquer pendant les vacances. » Cette remarque
m’a semblé une évolution positive où l’on peut voir apparaître
une préoccupation pour l’objet et l’amorce de la position dépres-
sive qui va permettre une évolution vers l’Œdipe.

66
00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 67

La place de l’animal dans la psychothérapie de l’enfant

Les monstres
Ils sont, eux aussi, porteurs d’une agressivité d’origine pré-
génitale et d’une toute-puissance entretenue par les jouets et les
jeux de cartes, le plus souvent d’origine japonaise. Soit ils fasci-
nent (le plus souvent les enfants « états limites » ou psycho-
tiques), soit ils apparaissent dans les cauchemars chez les enfants
névrosés. Chez ces derniers, le monstre me semble avoir le même
rôle que le loup. C’est un animal polysémique porteur d’an-
goisse, et son choix est motivé par les supports culturels du
moment. Il a une fonction différente chez l’enfant psychotique ou
« état limite » chez qui, comme je l’ai déjà dit pour le crocodile,
il est essentiellement porteur de la toute-puissance archaïque de
l’enfant. Plus l’enfant aura des fixations archaïques et plus les
monstres seront présents dans le traitement.

Et les serpents, les araignées et les pieuvres ?


Les serpents sont évidemment porteurs d’un symbole phal-
lique mais ils peuvent aussi attaquer grâce à leur venin. On peut
se poser la question de l’attirance des enfants passionnés de rep-
tiles et de batraciens pour ces animaux à sang froid. L’un de ces
enfants avait un père violent et je me suis demandé si son intérêt
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pour ces animaux ne venait pas d’une volonté de se protéger du
sang chaud de son père. Ce même enfant s’est mis à dessiner des
ours et des autruches au début de son adolescence, des animaux
qui se caractérisent par leurs plumes et leurs poils… Notons que
les serpents sont beaucoup plus fréquents chez les garçons que
chez les filles, contrairement à l’araignée. En fait, l’araignée,
souvent considérée comme une expression d’imago maternelle
dangereuse car captatrice, pourrait bien être un exemple illustrant
l’identification projective : la partie captatrice de l’enfant, proje-
tée dans l’araignée, va l’attaquer en retour. Par exemple, une
enfant autiste adoptée, dont l’autisme était lié à une très impor-
tante carence précoce, dessinait et évoquait, après les séparations,
soit des araignées, soit des pieuvres, comme si elle avait voulu
me garder dans sa toile ou dans ses tentacules….

LE LOUP AURAIT PERDU SA PLACE PRÉPONDÉRANTE ?


L’analogie entre les caractéristiques physiques des animaux
et celles de l’homme les rend particulièrement propres à devenir
des supports de projection et d’identification. Les poils, les
dents, les griffes, la queue, les oreilles et les yeux du loup l’ont
longtemps mis en situation de chef de file. Il occupait ainsi une
place prépondérante dans les représentations du scénario œdi-
pien et des imagos parentales. Ces dernières années, une évolu-

67
00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 68

L’animal utilisé en thérapie

tion tant culturelle et psychique que sociétale a fait apparaître de


nouveaux médiateurs tels que les dinosaures, les robots et les
monstres, qui se partagent maintenant les éléments polysémiques
que le loup véhiculait. L’utilisation qui est faite de leurs caracté-
ristiques, moins contraignantes mais aussi moins humaines, est
peut-être le reflet de l’évolution de notre société.

BIBLIOGRAPHIE
DIATKINE, R. ; SIMON, J. 1972. La psychanalyse précoce, Paris, PUF, coll. « Le fil rouge »,
p. 37-38.
FREUD, S. 1909. « Analyse d’une phobie chez un petit garçon de cinq ans (le petit
Hans) », dans Les cinq psychanalyses, Paris, PUF.
FREUD, S. 1915. « Extrait de l’histoire d’une névrose infantile (l’homme aux loups) »,
dans Les cinq psychanalyses, Paris, PUF, p. 342-343.
RIGAUD, C. 1998. L’animal d’angoisse : aux origines de la phobie infantile, Toulouse,
érès, coll. « Actualité de la psychanalyse ».
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RÉSUMÉ
Mots-clés :
Les analogies physiques entre l’homme qui parle et l’animal qui ne parle
Projection,
pas font de ce dernier un support de projection et d’identification idéal
identification,
chez l’enfant. Il est donc normal qu’on retrouve des animaux dans les
imagos parentales,
psychothérapies. C’est sans doute par ses caractéristiques physiques et
registre œdipien,
parce qu’il vivait à l’état sauvage que le loup est devenu l’archétype des
registre narcissique,
animaux des contes, le rendant ainsi fréquemment cité au cours des trai-
surmoi affaibli,
tements cliniques. Cet article montre que, depuis quelques années, les
loup, dinosaure,
dinosaures, les robots et les monstres auraient remplacé le loup dans les
monstre.
cures, suggérant une évolution non seulement culturelle et psychique
mais aussi sociétale.

Key words : SUMMARY


Projection, Physical analogies between “Man who talks” and “animals which do
identification, not” make the latter particularly suitable as a basis for projection and
parental imagos, identification by children. Presence of animals in psychotherapies is the-
œdipian type, refore logical. The wolf has become an archetype in children’s tales pro-
narcissic type, bably because of its physical characteristics and also because it was a
weakened superego, wild animal. Thus, the wolf frequently appeared in earlier clinical treat-
wolf, dinosaur, ments. This article indicates that, nowadays, dinosaurs, robots and
monster. monsters are more frequently present in the cures and suggests that
these may have taken the wolf ’s place. Such an evolution may arise not
only because of cultural and psychic changes but also because of
society alterations.

68
LE CHIEN, PARTENAIRE DANS UN ÉTABLISSEMENT SPÉCIALISÉ POUR
ENFANTS DÉFICIENTS VISUELS

Agnès Le Van

ERES | « Enfances & Psy »

2007/2 n° 35 | pages 69 à 75
ISSN 1286-5559
ISBN 9782749207339
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2007-2-page-69.htm
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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 69

L’ANIMAL UTILISÉ EN THÉRAPIE


Agnès Le Van
Le chien, partenaire
dans un établissement
spécialisé pour enfants
déficients visuels

Uztail est un chien golden retriever de 3 ans. Il a de Agnès Le Van est éducatrice
longs poils dorés, est joueur et possède bien d’autres qua-
lités encore. Il succède à Ninon, une autre chienne golden de jeunes enfants :
retriever qui a dû cesser son activité pour des raisons de
elle intervient à l’ IDES 1,
santé. Lorsqu’un visiteur pénètre à l’IDES, il ne s’étonne
pas de croiser un enfant accompagné d’un chien. Et pour- un institut spécialisé
tant ce n’est pas un chien guide d’aveugle.
pour déficients visuels
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C’est en qualité d’éducatrice que je travaille à l’IDES
depuis 1982, sur un des groupes du jardin d’enfants.
L’autonomie psychique de ces enfants déficients visuels
est souvent difficile et provoque des angoisses, des
retards de développement affectif, cognitif, psychomo-
teur ou des troubles du langage. La vie collective est
parfois mal supportée par l’enfant et cela se traduit par
un repli sur soi, une incapacité de se concentrer, une
hyperactivité, de l’agressivité et des difficultés à vivre 1. L’IDES (Institut d’éducation sensorielle),
des expériences stimulantes. Certaines maladies entraî- spécialisé pour déficients visuels, accueille
des jeunes de 3 à 20 ans atteints de cécité
nent des handicaps moteurs, des soins très lourds, des
(totale ou partielle) dont les deux tiers
hospitalisations, des souffrances physiques ou des souffrent de troubles psychologiques ou
angoisses dues au pronostic vital incertain. psychiatriques (troubles du comportement,
Le projet Activités associant l’animal (AAA) est né de la personnalité, de la communication et
du langage, autisme ou déficits mentaux).
dans le cadre du groupe d’un jardin d’enfants, d’abord D’autres souffrent de handicaps associés :
avec Ninon dès 1999, puis avec Uztail depuis 2005. Ce surdité, troubles moteurs, maladies rares ou
projet éducatif, pédagogique autant que thérapeutique, orphelines. L’IDES offre un enseignement
s’inscrit dans le projet global de l’IDES. scolaire adapté à chaque enfant avec des
activités éducatives, des rééducations per-
Le rôle et la place de l’animal sont au centre des sonnalisées, un suivi psychologique ou thé-
objectifs éducatifs. Le chien fait partie intégrante du rapeutique, un suivi médical et un service
groupe et partage la vie quotidienne des enfants quatre social.
jours par semaine. …/…

35 69
00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 70

L’animal utilisé en thérapie

…/… Il était indispensable d’obtenir les garanties maximum pour


Trois sections sont propo- proposer un tel projet : accord et soutien de la direction, présen-
sées à l’IDES : tation du projet aux tutelles et organismes financiers, information
– pôle petite enfance
au personnel et aux familles, éducation spécifique du chien, for-
(deux groupes de jardin
mation du maître référent de l’animal.
d’enfants âgés de 3 à
8 ans) ; Ce projet a été suivi et validé par l’association Handi’chiens
– section d’enseignement (ex ANECAH). Ninon et Uztail ont reçu, par cette association,
scolaire (primaire et deux années d’éducation spécifique de chiens d’assistance 2 pour
collège) ;
personnes souffrant de handicaps moteurs.
– section éducative pour
handicaps associés (trois
LES ENFANTS
groupes d’âge).
La psychiatre responsable Depuis juin 1999, vingt-quatre enfants ont pu bénéficier de
du pôle petite enfance l’AAA avec Ninon. Depuis 2005, sept enfants travaillent avec
anime l’équipe pluri- Uztail. Voici deux exemples (les prénoms des enfants ont été
disciplinaire composée
modifiés).
d’éducateurs, de rééduca-
teurs, de psychologues,
de médecins, d’infir- Marion
mières et d’enseignantes Marion est la cadette de quatre enfants. Elle est aveugle de
spécialisées. Chaque naissance et a aujourd’hui 8 ans. Elle a été admise à l’IDES à l’âge
enfant bénéficie d’un
de 4 ans. C’est par le centre d’aide aux familles de son départe-
projet individuel élaboré
ment qu’elle a été adressée à l’établissement. La famille est
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par les professionnels en
accord avec sa famille. suivie depuis longtemps par ce centre médico-pédagogique qui
connaît bien la problématique familiale (deux autres enfants sont
en grande difficulté). Les deux premières années, elle ne fré-
2. Les chiens ont été
quentait le jardin d’enfants que deux jours par semaine. Ce temps
sélectionnés pour le
projet sur des critères très partiel était nécessaire pour permettre à Marion et à sa maman de
précis : cheminer vers une relation moins symbiotique. Il était important
– capacité à vivre avec de maintenir le travail psychologique entamé au CMP.
des enfants ;
La séparation, l’éloignement quotidien, la vie collective
– pas de signe d’agressi-
vité (autocontrôle) ;
étaient vécus comme une agression. Marion était passive, repliée
– souple et docile, obéis- sur elle-même. Elle ne parlait pas, ne mangeait pas, refusait le
sant ; contact. Son corps se crispait et exprimait une grande détresse.
– sociable (contrôle des Surprotégée à la maison, Marion n’avait jamais la possibilité de
aboiements) ; faire quoi que ce soit seule. Elle avait une place de bébé et toute
– supporte le bruit et les la famille l’appelait « ma poupée ». Marion était en écholalie per-
cris des enfants ; manente. Il ne semblait pas qu’elle ait la faculté de penser, ni
– adaptable et accepte d’avoir de désirs, excepté pour les friandises dont elle était gavée.
d’être manipulé ;
Elle n’était attirée que par les petits objets ronds, durs et lisses
– bonne maîtrise des
ordres (éducation de
(cailloux, marrons, perles ou balles), qu’elle tenait serrés au
base, rapport d’objets et creux de ses paumes, poings fermés, recroquevillée sur elle-
commandes spécifiques même. Les relations avec les autres étaient impossibles. Être tou-
au handicap) ; chée, se déplacer, saisir des objets, répondre aux sollicitations,
…/… tout cela la terrorisait.

70
00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 71

Le chien, partenaire dans un établissement spécialisé pour enfants

Seule la chienne Ninon attirait l’attention de Marion, qui …/…


s’apaisait, un bref instant, à son contact. Le toucher des poils de – marche en laisse sans
la chienne ne lui provoquait pas de rejet. Elle se caressait même tirer ;
le visage avec la queue de l’animal. J’étais à proximité, j’accom- – excellent rappel ;
– obéissance parfaite au
pagnais ses gestes et mettais des mots sur les sensations qu’elle
« non » pour être stoppé
pouvait ressentir. dans son action ;
Marion s’est ensuite « aventurée » sur le reste du corps de – grande taille au garrot
l’animal. Elle découvrait la sensation chaude du ventre de la pour être un support à la
chienne. Durant quelque temps, Marion ne voulait plus sortir et marche des enfants ;
– aucune malformation
restait blottie ainsi, lissant la longue queue. Elle n’était pas solli-
des hanches.
citée, bien à l’abri des autres. Bien que passive, elle était atten-
tive aux réactions de Ninon. La chienne ne lui demandait rien et
lui offrait un refuge.
Progressivement, Marion élargissait son exploration. Elle
acceptait que j’accompagne ses gestes pour découvrir des sensa-
tions tactiles surprenantes : les coussinets, la truffe, puis la
langue, les dents, les oreilles, les narines. Son toucher devenait
plus précis, délicat, efficace.
Elle verbalisait ses émotions, exprimait ses répulsions, ses
refus, le plaisir du poil doux des oreilles. Elle devenait actrice de
ses explorations.
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D’autres activités devenaient possibles. Elle pouvait partici-
per aux repas de Ninon. Elle préparait les croquettes et les lui
donnait une par une. Marion exerçait un pouvoir sur l’animal qui
attendait sa nourriture avec envie. Elle devenait responsable de
l’animal pour un besoin vital. Cela la renvoyait à sa propre rela-
tion à la nourriture, à ce pouvoir qu’elle exerçait sur sa mère, si
angoissée face au refus de sa fille de se nourrir.
Le travail d’analyse basé sur mes observations était partagé
avec la psychiatre et la psychologue. Je parvenais à établir une
relation proximale avec Marion. La communication émergeait.
Marion s’ouvrait, posait des questions, l’écholalie s’estompait.
Des mots enrichissaient ses explorations et leur donnaient un
sens. Elle avait un centre d’intérêt. La chienne, qui s’endormait
fréquemment contre elle, lui procurait une grande satisfaction.
Elle disait qu’elle avait un bébé. Elle commençait à jouer et la
séparation psychique d’avec sa mère devenait possible.
C’est à cette période que les entretiens avec les parents ont
débuté. La psychiatre recevait régulièrement la mère, le père ne
venant qu’occasionnellement. C’est ainsi que la mère commença
à prendre conscience des progrès de sa fille, se plaignant que
Marion devenait difficile à la maison. Elle s’opposait et devenait
agressive.

71
00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 72

L’animal utilisé en thérapie

La troisième année, Marion venait à temps plein au jardin


d’enfants. À cette période, la chienne Ninon tomba malade et dut
cesser son activité. Cette rupture fut préparée avec beaucoup de
soin afin que Marion puisse la vivre le mieux possible. Marion a
pu exprimer sa tristesse. Elle a eu beaucoup de questions concer-
nant la maladie, le départ, la mort. Marion vit dans un environ-
nement familial où la maladie et la mort sont omniprésentes. Elle
a pu exprimer ses inquiétudes en s’appuyant sur la réalité vécue
à l’IDES. Toute sa famille est préoccupée par la santé de sa sœur
aînée gravement malade.
Marion a participé ensuite activement aux préparatifs en vue
d’accueillir le nouveau chien, Uztail (panier, gamelle, jouet).
Après un temps d’adaptation, Marion a découvert un nouveau
copain. Elle faisait beaucoup référence à Ninon, comparait, et
cherchait à reproduire des échanges vécus avec la chienne.
Uztail est moins câlin mais plus joueur. Un autre mode de rela-
tion a dû être trouvé : l’activité est basée sur le dynamisme, les
déplacements, l’orientation dans l’espace, l’éveil sensoriel et le
jeu. Le chien participe aux séances de rééducation en locomo-
tion. Marion est stimulée dans ses déplacements tout en restant
en sécurité. Elle apprend à utiliser des repères, construit des
images mentales de son environnement et peut élaborer un trajet
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sans le vivre dans un « vide sidéral ». Le chien l’accompagne
dans sa rééducation d’ergothérapie : elle devient très habile de
ses mains ; ses gestes s’organisent. Les objets ont un sens, une
utilité.
Elle prend des initiatives pour le confort du chien. Elle aime
en prendre soin. Elle exerce son autorité sur l’animal et découvre
qu’elle peut exprimer sa volonté en donnant des ordres au chien.
Il fait partie intégrante de ses activités.
Cependant, la relation affective avec Uztail n’est pas sem-
blable à celle qu’elle avait avec Ninon. Marion l’exprime très
bien lorsque la chienne nous rend visite. C’est l’occasion pour
Marion de se souvenir, de mesurer le temps écoulé, et d’évoquer
les progrès effectués en quatre ans.
Ces derniers temps, Marion se détache du chien. Elle le
délaisse un peu et se tourne vers un autre enfant du groupe. Elle
commence à partager des jeux avec d’autres enfants. Ses centres
d’intérêt se déplacent vers une vie sociale. Marion progresse très
vite. Elle prend plaisir à découvrir et des apprentissages cogni-
tifs sont envisagés. À 8 ans, Marion participe aux activités
diverses au sein du groupe. Le travail individuel laisse place au
collectif.

72
00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 73

Le chien, partenaire dans un établissement spécialisé pour enfants

Elle devient autonome et s’intéresse aux autres. Elle débute Les activités associant
l’apprentissage du braille cette année. Le chien fait toujours l’animal
partie de son quotidien. Elle aime le caresser mais elle préfère Conçues pour atteindre des
jouer avec ses camarades. Il reste le soutien durant les séances de objectifs éducatifs et
thérapeutiques, elles sont
rééducation. Il sera certainement encore d’un grand soutien affec-
basées sur quatre modalités
tif lorsque Marion devra quitter le groupe des petits. de fonctionnement.
1. Au quotidien
Caroline (socialisation) : le chien est
présent sur le groupe du
Caroline a aujourd’hui 5 ans. Elle a été admise à l’IDES en mai
jardin d’enfants toute la
2006. Elle souffre d’une maladie neurologique associée à un han-
semaine et partage la vie
dicap visuel profond et présente des difficultés de langage impor- des enfants. Des instants
tantes. L’articulation est pénible et lente. Caroline a de gros privilégiés sont également
troubles de l’équilibre. La marche est lente et difficile. Les chutes possibles selon les besoins
sont nombreuses et souvent dangereuses. Les gestes des membres des enfants.
supérieurs sont très saccadés et la préhension fine est pratique- 2. Un atelier hebdomadaire
ment impossible sans efforts démesurés. en groupe (pédagogie) : il
s’adresse aux enfants des
Caroline développe une énergie considérable pour se tenir classes primaires CP et CE1.
debout, parler, saisir un objet, effectuer des gestes de la vie quo- Outre l’objectif
tidienne, jouer. Elle a une grande volonté pour faire seule mais pédagogique, cette activité
elle s’épuise face à l’inefficacité de ses efforts. Elle trouve des permet aux enfants de
stratégies compensatoires et refuse l’aide de l’adulte. maintenir un lien avec le
chien une heure par
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Depuis septembre 2006, Caroline accepte l’aide d’Uztail. Elle semaine.
lui demande de ramasser ses jouets par mon intermédiaire car sa 3. En relation individuelle
prononciation n’est pas comprise par le chien pour le moment. Je (accompagnement
peux ainsi soutenir Caroline dans ses activités. Le chien l’aide relationnel) : selon les
dans ses déplacements, elle l’utilise comme un déambulateur. Il besoins de l’enfant, des
indications peuvent être
la soutient dans sa marche, qui s’est améliorée : il la sécurise face
posées pour l’accompagner
à un obstacle qu’elle ne perçoit pas visuellement. dans des séances de
Uztail est depuis peu intégré aux séances de psychomotricité relaxation, de jeux, ou
de Caroline. Elle prend beaucoup de plaisir à jouer avec le chien d’apprentissages, en lien
avec son éducatrice.
et lui donne de plus en plus d’ordres pour le faire obéir. Des pro-
4. En séances de
grès ont déjà été observés dans l’articulation des mots. Caroline rééducation individuelle
est devenue très bavarde et accepte un peu mieux qu’on lui fasse (thérapeutique) : elles font
répéter ses paroles lorsque la compréhension reste difficile. Au- l’objet d’une réflexion
delà de cette aide particulière, le chien est un compagnon de jeu, particulière en équipe
fidèle, toujours disponible et attentif. Il ne demande rien d’im- autour du rôle du chien en
possible et n’émet aucun jugement ni rejet. Par comparaison, les rééducation selon le projet
autres enfants du groupe ne comprennent pas les difficultés de individuel de l’enfant. Ceci
Caroline et ne l’intègrent pas à leurs jeux. concerne les activités en
psychomotricité, en
ergothérapie, en orthoptie,
UN ACCOMPAGNEMENT ÉDUCATIF ET THÉRAPEUTIQUE
en locomotion.
Le handicap visuel de ces jeunes enfants associé à d’autres
troubles demande un accompagnement éducatif et thérapeutique

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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 74

L’animal utilisé en thérapie

3. Activités tournées spécifique. L’observation, l’adaptation et la créativité sont indis-


exclusivement sur le pensables. Le chien est un allié important dans ce travail rela-
chien : tionnel. Par son éducation Handi’chiens, sa propension à jouer et
– Toilettage, repas, obser-
sa douceur, il permet à l’enfant d’explorer un grand champ d’ex-
vation du vivant .
– Connaissance de ses
périences. L’adulte est toujours en lien direct avec l’enfant. Le
besoins, respect de son chien est le tiers dans la relation. Il permet d’entrer en relation
bien-être, respect de l’être avec l’enfant. C’est un moyen différent à la disposition de l’en-
vivant. fant et les activités qui en découlent sont multiples 3.
– Activités touchant le
relationnel : accueil du La présence du chien a apporté un plus dans le quotidien des
matin, travail sur la sépara- enfants. Des effets positifs importants ont été observés. Des pro-
tion, l’absence, le départ, grès notables ont été constatés dans le comportement des enfants,
lien avec les médecins de notamment une diminution de l’anxiété et des troubles de l’hy-
l’IDES, avec le vétérinaire peractivité, une ouverture vers la communication et une baisse
du chien, travail sur la des troubles obsessionnels. Le chien sert de prétexte aux enfants
mort, la maladie, la souf- pour leur permettre d’être dynamiques et acteurs de leur éveil et
france, les soins, l’hospita-
leurs apprentissages. Nous avons constaté une plus grande appé-
lisation, la perte…
– Activités autour des jeux
tence à la découverte, une meilleure participation à la vie de
dynamiques : jeux libres et groupe : l’accès à l’autonomie s’intensifie. Quelle que soit la
spontanés à l’initiative de relation établie avec l’enfant, le chien est acteur de la démarche
l’enfant, du chien. Jeux thérapeutique en tant qu’être vivant, avec ses ressentis et ses
collectifs. Travail au sol. réactions aux situations rencontrées avec l’enfant.
Expériences et contrôles
Cependant, la formation du professionnel est indispensable,
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gestuels…
– Activités autour des car il doit savoir lire, décrypter les enjeux et la relation enfant-
déplacements et locomo- animal durant la séance. Le travail d’équipe est primordial. Les
tion : notions spatiales, temps d’échange et de réflexion sont nécessaires afin de répondre
jeux de parcours, représen- au mieux au projet individuel de l’enfant. D’autre part, il est
tation mentale de l’envi- important d’être imaginatif, créatif, pour trouver des activités
ronnement, découverte de ludiques et développer le talent du chien.
la rue…
– Activités autour du lan- L’animal est un « outil » dans les apprentissages et l’éveil des
gage et de la communica- enfants. Il apporte une aide technique à la rééducation en termes
tion : jeux de langage et de de soutien psychologique et de support à la relation.
vocabulaire, jeux de rôle,
verbalisation, expression Le chien remplit également son rôle de chien d’assistance
des émotions, des senti- (éducation initiale de Handi’chiens) auprès des enfants handica-
ments… pés moteurs.
– Activités autour de
l’éveil sensoriel : stimula- C’est avec beaucoup de prudence que ce projet a vu le jour.
tions visuelles, auditives et Depuis 1999, l’AAA s’est développé avec toute l’attention de la
tactiles ; direction. Handi’chiens (ANECAH), toujours propriétaire du
– Activités pédagogiques : chien, s’attache au respect de l’animal, ainsi qu’à sa juste place
observations thématiques dans la mission définie dans le projet initial. Après sept ans de
(hygiène, reproduction,
collaboration avec le chien, il apparaît aujourd’hui impensable de
alimentation), mémorisa-
tion, travail sur la notion de
travailler sans ce « monsieur poilu ».
temps (passé, présent et
futur)…

74
00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 75

Le chien, partenaire dans un établissement spécialisé pour enfants

BIBLIOGRAPHIE
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VUILLEMENOT, J.-L. 2004. « L’enfant et l’animal, une relation pas bête », Le journal
des professionnels de l’enfance, 26.

RÉSUMÉ Mots-clés :
L’auteur, une éducatrice spécialisée de jeunes enfants, participe, depuis Thérapie facilitée par
plusieurs années, au projet Activités associant l’animal (AAA), au sein de l’animal, éveil, relation,
l’IDES (l’Institut d’éducation sensorielle), qui accueille des jeunes de 3 à communication,
20 ans atteints de cécité et dont les deux tiers souffrent de troubles psy- handicap
chologiques ou psychiatriques. Des chiens, sélectionnés par l’association
Handi’chiens (ex ANECAH) partagent la vie quotidienne des enfants : des
progrès notables sont constatés dans le comportement des enfants. Grâce
à deux exemples précis, on constate que le chien est un « outil » dans les
apprentissages et l’éveil : il remplit parfaitement son rôle de chien d’as-
sistance.
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SUMMARY
Key words :
The author, a teacher for special needs, has been partaking in the project
Pet therapy, awakening,
« Activities Associating Animal (AAA) » for several years, within the IDES
relationship,
(Institution Specialized in Visually Defective People) which accommo-
communication,
dates young people, from 3 to 20 years old, affected by blindness and, for
handicap.
two thirds of them, suffering from psychological or psychiatric disorders.
Dogs, selected by the association Handi’chiens (the former association
ANECAH) share the everyday life of the children: real progress are noted
in children behaviour. Thanks to two precise examples, we can note that
the dog is a «tool» in the trainings and the awakening of a child: it car-
ries out perfectly its role of assistance dog.

75
NOUVEAU-NÉ ET ANIMAL DE COMPAGNIE : CHACUN A SA PLACE

Sophie Durand

ERES | « Enfances & Psy »

2007/2 n° 35 | pages 76 à 83
ISSN 1286-5559
ISBN 9782749207339
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2007-2-page-76.htm
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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 76

L’ANIMAL DANS
LA FAMILLE
Sophie Durand
Nouveau-né
et animal de compagnie :
chacun a sa place

Sophie Durand est sage-femme en Les animaux de compagnie font désormais partie
intégrante de la société occidentale : aujourd’hui, plus
Moselle. Elle a soutenu, en 2006, d’un foyer français sur deux en possède un, et ce généra-
lement dans une grande promiscuité. La France est ainsi
un mémoire de fin d’études
au premier rang européen pour la possession des ani-
sur ce sujet. maux de compagnie : elle n’en compte pas moins de 65
millions.
Certains considèrent l’animal de compagnie, notam-
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ment le chien et le chat, davantage comme un membre de
la famille, un ami, voire un enfant. La tendance est à l’an-
thropomorphisme : on prête à ces animaux des compor-
tements et des sentiments humains. Ils sont traités
comme des enfants : ils partagent le dîner et la chambre
à coucher de leurs maîtres, ils sont pris dans les bras
comme des bébés, ils sont habillés, embrassés, emmenés
chez un psychanalyste… A contrario, certains animaux
sont malnutris, laissés à l’abandon, quelquefois victimes
de coups.
Des sociologues et des anthropologues pointent les
dérives auxquelles donne lieu cette nouvelle place de
l’animal de compagnie dans la société. Dans certains
foyers, il représente le seul élément stable et constant :
toujours présent et dépendant de l’homme. Pour
reprendre Jean-Pierre Digard (1999), ces indifférencia-
tions et ces confusions au sein de nombreuses familles
font « la litière de l’animal familier fusionnel et abusif,
en lequel pères fragilisés, mères cumulantes et enfants
flottants trouvent un délégué narcissique et un substitut
cathartique d’enfant, de conjoint ou de parent ». De son
côté, le sociologue Paul Yonnet voit également dans les

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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 77

Nouveau-né et animal de compagnie : chacun a sa place

animaux de compagnie des substituts d’enfants : « Dans l’éle-


vage d’un animal familier, l’homme teste sa capacité éducative
de façon analogue à la manière dont il interroge son statut d’édu-
cateur parental au travers des réactions d’un enfant à son égard. »
L’animal de compagnie sert aussi, parfois, de faire-valoir aux
yeux des autres : c’est un « animal miroir » grâce auquel l’indi-
vidu détermine sa place et son identité dans la société.
L’éthologue autrichien Konrad Lorenz écrit d’ailleurs que : « Le
fait de posséder un animal procure à celui qui le possède une sen-
sation d’équilibre, voire d’autosatisfaction. »
La place de l’animal demeure difficile à définir car l’homme
s’adresse souvent à l’animal comme il le ferait à un être humain.
Or une juste distance permet à l’animal de conserver son vrai
statut d’animal : il faut respecter son caractère, ses besoins et son
mode de vie, différents de ceux de l’homme. K. Lorenz ajoute
que : « Mieux connaître l’animal, c’est mieux connaître l’homme,
et l’harmonie du comportement animal et humain dépend de son
espace vital et de ses rapports avec ses congénères. »

QUELS RISQUES POUR UN NOUVEAU-NÉ ?


Les avantages psychoaffectifs de la relation entre le nouveau-
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né et l’animal de compagnie sont nombreux. Néanmoins, il ne
faut pas perdre de vue la vulnérabilité du nourrisson face à un
animal familier quel qu’il soit, de par son immaturité immuni-
taire, sa sensibilité aux infections, ses faibles défenses physiques,
ainsi que sa dépendance totale à l’égard des adultes. Les princi-
paux risques médicaux encourus par un nouveau-né aux côtés
d’un animal de compagnie sont de trois types :
– les infections, précisément les « zoonoses familiales non ali-
mentaires » telles que la teigne, la toxoplasmose, la pasteurellose,
la maladie des griffes du chat ;
– les allergies aux animaux, traduites par l’asthme du nourrisson
(d’une prévalence de 2 à 5 % !) ;
– les accidents tels que les morsures, les griffures, l’asphyxie
(45 % de ces traumatismes concernent les enfants âgés de 0 à
5 ans).
Le manque de données épidémiologiques ne permet pas d’ap-
précier la réelle fréquence de ces affections chez les nouveau-nés.
Mais, devant le danger pour un nourrisson, et, face à un suivi
vétérinaire des animaux de compagnie encore insuffisant, la vigi-
lance et la prévention sont largement justifiées.
Ces dangers et leur impact demeurent insuffisamment connus
de leurs propriétaires. Il faut néanmoins souligner la prise de

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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 78

L’animal dans la famille

conscience grandissante de certaines femmes enceintes. En tant


que sage-femme, je suis régulièrement sollicitée par des futures
mères inquiètes de l’arrivée du nouveau-né au domicile et de
ses futures interactions avec les animaux de compagnie déjà
présents.
À la fin de l’année 2005, dans le cadre de ma formation, j’ai
réalisé une enquête, sous la forme d’entretiens, auprès de cin-
quante femmes propriétaires d’animaux familiers lors de leur
séjour en maternité. Voici les principaux constats faits au cours de
cette étude.

L’ANIMAL DE COMPAGNIE : PLUS QU’UN SIMPLE COMPAGNON

Évoquer le retour au domicile du nouveau-né dans un foyer


possesseur d’un animal de compagnie implique de se référer à la
cellule familiale et au statut de l’animal au sein du foyer. Il sem-
blerait que l’animal ait un rôle fédérateur de l’image de la
famille : 60 % des femmes déclarent avoir toujours partagé leur
existence, depuis leur enfance, avec un animal de compagnie,
comme une sorte de tradition. Ainsi, chiens et chats ont majori-
tairement accès à toutes les pièces du logement. Par exemple,
plus de la moitié des couples sans enfant partagent leur chambre
à coucher ou leur lit avec l’animal. Seuls les « NAC » (les nou-
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veaux animaux de compagnie tels que rongeurs, lagomorphes,
oiseaux, carnivores sauvages comme le furet, poissons d’aqua-
rium, reptiles…) disposent d’un accès limité à certaines pièces.
L’animal de compagnie, malgré sa réalité biologique et ses
besoins spécifiques, acquiert souvent une place humanisée, en
vivant selon le même rythme familial que ses maîtres et en par-
tageant en permanence leur foyer.
Quant à la position hiérarchique du chien et du chat, elle est
souvent au même niveau que celles des membres de la famille
quant à l’accès à l’alimentation, à la gestion des espaces et des
contacts. Cette place importante s’explique par le statut donné à
l’animal : il est considéré comme un membre de la famille, un
ami, un bébé, voire comme « un fils ». Il est un acteur familial à
part entière, complètement intégré à la famille, avec toute la
charge affective que cela représente. Les responsabilités induites
par la possession d’un animal sont alors souvent ressenties
comme celles qu’impose un « enfant ».
Les femmes interrogées pensent offrir un cadre de vie épa-
nouissant à leur compagnon animal. Mais les rythmes de vie, les
espaces partagés, la promiscuité au sein du logement et la gestion
de l’alimentation ne sont sûrement pas adaptés à la réalité ani-
male. La place ambiguë cédée à l’animal peut devenir dange-

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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 79

Nouveau-né et animal de compagnie : chacun a sa place

reuse : l’arrivée d’un nouvel individu, un nouveau-né, si elle


n’est pas préparée et réalisée correctement, perturbe alors les
habitudes humanisées de l’animal et peut être source de pro-
blèmes. Ces perturbations ne sont pas sans conséquence pour
l’animal et un risque non négligeable pour le nouveau-né existe.
De plus, il ne faut pas oublier qu’elles sont vectrices d’anxiété
pour les parents.

NOUVEAU-NÉ ET ANIMAL DE COMPAGNIE :


UNE COHABITATION SANS DANGERS ?

La naissance d’un enfant est, pour les parents, source de nom-


breux bouleversements, qu’ils soient d’ordre physique, psy-
chique, générationnel ou affectif. C’est aussi un moment de crise
potentielle où un nouvel équilibre au sein du foyer doit être
inventé, où chacun doit trouver son rôle et sa place. D’après les
entretiens réalisés, bon nombre de foyers considèrent leur animal
de compagnie comme un membre de la famille à part entière : les
responsabilités à l’égard de l’animal deviennent donc plus impor-
tantes lorsqu’un nouveau-né agrandit le foyer. L’adulte est à la
fois responsable d’un animal mais aussi maintenant de son
enfant. L’animal, perçu auparavant comme un bébé, un enfant,
est alors une menace potentielle pour le nouveau-né. Dans cer-
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tains foyers, lorsque la position hiérarchique de l’animal de com-
pagnie est au même niveau que celle des humains qui le
composent, ce nouvel équilibre est d’autant plus difficile à défi-
nir lors de la naissance d’un enfant.
Les mères appréhendent les réactions de leur animal à l’égard
du nourrisson. Pourtant, lorsqu’il a été demandé aux femmes si
elles avaient connaissance des risques potentiels pour le nou-
veau-né liés à leur animal, aucune n’avait pu répondre avant que
la nature de ces risques ne soit énoncée. Pour ces femmes, les
dangers liés à l’animal ne sont pas identifiables spontanément et
sont impossibles à nommer. Puis, lorsque les risques potentiels
étaient qualifiés, les femmes ont rencontré des difficultés à les
évaluer.
Les femmes semblent conscientes des risques potentiels d’ac-
cidents, à défaut des risques d’infections et d’allergies. Souvent,
elles ont avancé que leur animal est « propre » puisqu’il vit sur-
tout à l’intérieur du domicile. Elles n’ont pas conscience qu’il est
porteur de germes différents de ceux de l’homme, susceptibles
d’être pathogènes, notamment pour un nouveau-né. Ceci pourrait
également expliquer que le suivi vétérinaire des animaux est
quasi inexistant. Et chiens, chats, quelquefois NAC se promènent
dans toutes les pièces du foyer, en alternance avec des sorties à

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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 80

L’animal dans la famille

l’extérieur, avant de rejoindre le canapé, le lit de leurs maîtres,


voire le mobilier de bébé ! Selon l’étude, la majorité des mères
vont éviter des contacts étroits entre l’animal et le nourrisson.
Pourtant, d’après elles, il y a peu de danger à prodiguer des soins
ou à donner à manger à l’enfant tout en manipulant l’animal. Cet
exemple montre que toutes les précautions mises en place
deviennent inutiles si les adultes, les parents, n’ont pas
conscience, ou s’ils ne sont pas informés qu’ils peuvent trans-
mettre indirectement des germes de l’animal à leur nourrisson.
Des règles simples d’hygiène sont à respecter afin de conserver
la relative rareté des infections.
Cependant, au-delà des dangers potentiels pour le nourrisson
liés à la présence animale, une autre préoccupation demeure :
celle de favoriser l’acceptation et la reconnaissance du nouveau-
né par l’animal (et non l’inverse !). Dans les foyers où l’animal
est considéré comme un être humain, à l’égal d’un membre de la
famille, les préoccupations et les anxiétés concernent surtout
l’animal : « J’ai peur que mon animal se sente rejeté »,
« Comment va-t-il vivre l’arrivée du bébé ? ».

QUELQUES RÈGLES DE VIE

Il faut bien tenir compte de tout l’environnement pour favori-


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ser une prise en charge globale et adéquate de la femme enceinte
et du nouveau-né. Écouter, informer de manière claire et juste, et
conseiller les femmes ou les couples propriétaires d’animaux per-
mettraient d’améliorer les rapports qu’ils ont avec leur animal, de
diminuer leur anxiété et leurs appréhensions, et de limiter les
risques pour le nouveau-né.
En connaissant les dangers liés à une cohabitation exiguë ou
inadaptée avec un animal de compagnie, il semble nécessaire de
rappeler à ces couples les conseils élémentaires d’hygiène de vie
afin que le foyer soit sans danger pour l’arrivée du nouveau-né.
L’animal transporte des germes différents de ceux des
hommes, qui peuvent s’avérer pathogènes. Par conséquent, il
faut :
– se laver systématiquement les mains avec du savon après avoir
touché ou caressé l’animal, pour éliminer tous les germes qui
auraient pu s’y réfugier, d’autant plus avant tout contact avec le
nouveau-né ou tout autre élément de sa vie (langes, peluches,
berceau…) ;
– éviter de dormir avec l’animal dans sa chambre à coucher ou
dans son lit ;
– interdire à l’animal l’accès à la cuisine et éviter d’y installer son
panier, sa cage, sa litière, ses gamelles ;

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Nouveau-né et animal de compagnie : chacun a sa place

– ne pas faire manger son animal à sa table, ni dans son assiette, ni


le laisser lécher la vaisselle, ni le caresser pendant que l’on mange ;
– ne pas se faire lécher par l’animal ;
– mettre des gants pour nettoyer la litière du chat, la cage de l’oi-
seau, le terrarium des reptiles, changer l’eau de l’aquarium.
L’hygiène et la santé de l’animal de compagnie doivent aussi
être assurées. Des règles élémentaires s’appliquent à tous, quelle
que soit l’espèce animale, et permettent également de préserver
la santé des membres du foyer :
– la toilette ou le brossage de l’animal doivent être faits réguliè-
rement ;
– l’animal doit être suivi correctement par un vétérinaire : son
état de santé doit être contrôlé et il doit être vacciné contre les
principales maladies connues, avec des rappels réguliers ;
– lorsque l’animal est malade ou présente des troubles du com-
portement, il faut consulter un vétérinaire ;
– chiens et chats doivent être vermifugés régulièrement pour les
débarrasser d’éventuels parasites intestinaux et ils doivent être
traités par des antiparasitaires en prévention des puces et des
tiques ;
– il faut respecter les besoins spécifiques de chaque animal, afin
d’éviter tout problème de santé et tout trouble du comportement
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pouvant nuire aux membres de la famille.
Comme l’animal est porteur de micro-organismes susceptibles
de nuire aux hommes, tout ce qu’il touche ou utilise doit être régu-
lièrement nettoyé : récipient pour sa nourriture, cage, litière, jouets,
textiles… Ses objets ou son linge ne doivent pas être lavés avec
ceux des propriétaires afin d’éviter toute contamination croisée.
Les sols des zones où l’animal de compagnie a accès doivent être
nettoyés régulièrement, avec une attention toute particulière pour
les moquettes et autres textiles, réservoirs d’allergènes.

Avant la naissance de l’enfant


Il faut modifier progressivement des éléments qui pourraient
s’avérer gênants par la suite : par exemple, changer le lieu de
couchage de l’animal ou sa place dans la voiture. Il faut aussi
faire peu à peu évoluer le mode de contact avec l’animal (inter-
dire le léchage, le couchage dans le lit…) En cas de terrain fami-
lial allergique, il serait souhaitable de renforcer les mesures
d’hygiène (nettoyer régulièrement la maison avec un aspirateur
muni de filtres spéciaux), éviter moquettes, tapis, coussins et
peluches, humidifier à l’eau tiède le pelage de l’animal une fois
par semaine et laisser à l’animal une place où le risque de réac-
tion allergique est minime pour les membres du foyer.

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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 82

L’animal dans la famille

Faire Bien sûr, il faut éviter de :


– Pendant que le bébé est – changer brutalement les habitudes de l’animal ;
encore à la maternité, faire – tenir l’animal complètement à l’écart des membres du foyer
sentir quotidiennement un pour des raisons de sécurité et/ou d’hygiène ;
lange du nouveau-né à – se séparer de l’animal provisoirement en attendant une période
l’animal pour un premier
moins à risque ;
contact et pour le
familiariser à cette odeur.
– accepter des comportements inadaptés de l’animal, même lors
– Laisser la maman rentrer de jeux (mordillements, grognements…).
en premier au domicile pour
y être accueillie par Après la naissance de l’enfant
l’animal : le nouveau-né
Les nourrissons et les enfants au contact d’animaux de com-
arrive par la suite avec le
père ou une autre personne.
pagnie peuvent être victimes d’une agression par l’animal, d’une
– Surveiller attentivement le allergie ou d’une maladie provenant de lui. Des précautions
premier contact visuel et simples et une attitude préventive réfléchie des parents en limi-
olfactif entre le nourrisson tent l’apparition. Certaines attitudes (voir en marge) peuvent être
et l’animal, et maintenir adoptées à la maternité et au retour au domicile : elles favorise-
quelque temps cette ront cette première prise de contact entre l’animal de compagnie
surveillance. et l’enfant.
– S’occuper de l’animal en
présence du nourrisson pour CONCLUSION
éviter toute sensation de
rejet de la part des maîtres. Depuis une décennie, des craintes justifiées apparaissent à
l’égard des animaux domestiques ou d’élevage, en France, en
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Ne pas faire Europe et dans le monde : les bovins ont la maladie de
– Autoriser les contacts Creutzfeld-Jacob, les oiseaux la grippe aviaire, et le moustique
directs entre l’animal et le dissémine le Chikungunya. Tous ces risques inquiètent les scien-
bébé (jusqu’à ce que le tifiques, les éleveurs et chacun d’entre nous. Aussi assiste-t-on à
nourrisson ait au minimum
une multiplication des mesures et moyens de protection à l’égard
3 mois).
– Laisser le bébé seul avec
de ces animaux. Mais il en va autrement dans les familles fran-
l’animal (même si ce dernier çaises qui entretiennent une relation de grande promiscuité avec
est calme, gentil et supposé leurs animaux de compagnie.
ne jamais faire de mal). Pourtant, les risques de transmission de zoonoses, de sensibi-
– Laisser l’animal lécher le
lisation allergisante et d’accidents sont bien réels, notamment
nourrisson, s’installer à côté
du bébé ou accéder au
pour un nouveau-né aux faibles défenses immunitaires et phy-
mobilier de l’enfant. siques. Devant un suivi vétérinaire insuffisant des animaux fami-
liers, la prévention des risques médicaux et l’éducation à la santé
sont nécessaires, notamment pour permettre la prise en charge
globale de la femme enceinte et du nouveau-né.
Dans les foyers tiraillés entre l’arrivée du nouveau-né et la
sauvegarde de la relation à l’animal, un soutien par un profes-
sionnel de santé devient primordial afin de recadrer la place de
l’animal en tant que membre « particulier » de la famille et non
humanisé, de diminuer les dangers liés à une relation inadaptée
avec l’animal et de préserver la santé du nouveau-né. Des inter-
rogations demeurent cependant : lorsque les adultes n’ont pas

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Nouveau-né et animal de compagnie : chacun a sa place

préservé leur « territoire » à l’égard de l’animal de compagnie,


que ce dernier est « tout-puissant », quels seront les limites et les
repères de l’enfant nouveau-né ?

BIBLIOGRAPHIE
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RÉSUMÉ
Mots-clés :
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La cohabitation d’un animal de compagnie avec l’homme est une carac-
Animal de compagnie,
téristique importante de notre société occidentale : plus d’un foyer fran-
nouveau-né, mères,
çais sur deux en héberge un. Mais l’animal de compagnie peut provoquer
prévention, dangers,
des traumatismes et être le vecteur de zoonoses et d’agents allergènes :
zoonoses, traumatismes
ces risques sont décuplés pour les nouveau-nés en raison de leur imma-
turité immunitaire et de leur incapacité à se défendre.
L’intégration de tous les éléments de l’environnement est nécessaire pour
assurer la prise en charge globale et adéquate de la femme enceinte et du
nouveau-né. Par la connaissance des risques liés à la présence animale et
des moyens de les éviter en réajustant la place de l’animal de compagnie,
l’arrivée du nouveau-né est alors facilitée et sécurisée au sein des
familles.

SUMMARY
Key words :
Cohabitation between pets and humans is an important characteristic of
Pet, infant, mother,
the western civilization: more than one family out of two has a pet. But
danger, zoological
sometimes a pet may cause traumas and can be considered as a vector of
disease, trauma.
zoological diseases or allergen agents: for infants such risks are increa-
sed because of their immune immaturity and their incapability to fight
diseases. Integration of the environmental features is necessary to secure
the global and adequate caring of the pregnant mother and her child.
The birth of a new child will be facilitated and secured through a sound
awareness of the hazards related to the presence of an animal, the know-
ledge of the means to avoid them and also the defining of the pet’s posi-
tion in the family.

83
LE CHIEN DANS L'ÉDUCATION FAMILIALE : ORDRES ET DÉSORDRES

Nathalie Simon

ERES | « Enfances & Psy »

2007/2 n° 35 | pages 84 à 89
ISSN 1286-5559
ISBN 9782749207339
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2007-2-page-84.htm
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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 84

L’ANIMAL DANS
LA FAMILLE
Nathalie Simon
Le chien
dans l’éducation familiale :
ordres et désordres

Nathalie Simon est vétérinaire LE CHIEN DE COMPAGNIE


FAIT DÉSORMAIS PARTIE DE LA FAMILLE
comportementaliste, éducateur
Cet animal de compagnie a pris une place importante
canin, doctorante en sciences dans nos familles occidentales : il est présent dans un
tiers environ d’entre elles. Jusqu’à ces dernières années,
humaines de l’éducation les familles qui faisaient l’acquisition d’un chien souhai-
taient surtout un animal de compagnie ou d’agrément.
(université catholique de l’Ouest L’objectif et le mode de vie avec le chien étaient relati-
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à Angers et université de vement simplifiés par rapport à ce que l’on voit appa-
raître depuis peu. Mais le chien de compagnie est petit à
Sherbrooke au Québec). petit devenu un véritable compagnon : partageant le
même habitat, la famille et le chien vivent dans une
proximité d’autant plus étroite que l’animal participe aux
différentes activités de la famille et en vient à être consi-
déré comme un membre à part entière de cette famille.
Le chien est un relais affectif pour les enfants. La
notion d’attachement ressort d’ailleurs souvent dans les
études scientifiques sans qu’il y ait une véritable cohé-
rence entre la vision psychologique humaine et la vision
éthologique animale. Le plus souvent, « l’attachement
affectif » est considéré en fonction de l’intérêt que l’en-
fant porte à son animal et du partage émotionnel qu’il
déclare ou que l’on observe. Les « comportements d’at-
tachement » sont aussi envisagés, sous-entendant que le
lien affectif est associé à l’implication de l’enfant à
l’égard du chien : état de préoccupation (caregiver, en
anglais) pour le chien ou mise en œuvre de différentes
occupations avec le chien. Ainsi, la proximité avec le
chien, le temps passé avec lui, le partage d’expériences
émotionnelles positives, la communication tactile et

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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 85

Le chien dans l’éducation familiale : ordres et désordres

visuelle, la réciprocité des interactions sont autant d’éléments


significatifs. Le chien peut être une « figure d’attachement » qui
fournit à l’enfant le sentiment de sécurité, de protection, de
confort rassurant. Il participe à l’équilibre du développement de
l’enfant allant de la sécurité à l’autonomie, vers l’indépen-
dance. Le développement de l’estime de soi chez l’enfant a été
nettement reconnu à partir du degré d’attachement avec le
chien.
Le chien est un copain de jeu pour les enfants. Les inter-
actions de jeu ont été assez peu prises en compte dans les
recherches et sont pourtant très caractéristiques dans le compor-
tement social du chien. La plupart des enfants font part de leur
attirance vers l’animal en tant que camarade de jeu. On trouve
fréquemment des situations de jeu communes, par exemple le fait
de rapporter des objets, la poursuite, le « chamaillage » ou encore
des activités à la fois sportives et ludiques (agility).
À partir de tous ces éléments, la présence du chien est souvent
considérée comme favorable dans une famille. Or, le chien étant
devenu un membre de la famille, les exigences à son égard se
sont multipliées. Par exemple, les parents demandent au chien
d’être à la fois de bonne compagnie pour eux-mêmes et pour
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leurs enfants, mais il doit aussi être capable d’accepter leurs
absences prolongées. Ils lui demandent d’être gentil, agréable et
enjoué, mais aussi d’être respectueux dans les contacts, d’être
assez calme pour ne pas gêner le voisinage, et assez obéissant
pour ne pas trop déranger la famille et l’habitat. Ils attendent plus
particulièrement du chien qu’il comprenne rapidement les codes
de leur famille… C’est en quelque sorte un « polytechni’chien »
qui est censé satisfaire à toutes ces missions.

LE CONTRÔLE DU CHIEN EST SOURCE DE DIFFICULTÉS


DANS L’ÉDUCATION FAMILIALE

Les familles qui possèdent un chien de compagnie souhaitent


pouvoir le contrôler à la maison et pendant les sorties. Les
notions d’obéissance et de désobéissance sont récurrentes dans
leur discours : les exigences sociales et les contraintes de la vie
urbaine ont créé de nouvelles nécessités. De manière générale, le
regard de la société sur celui qui ne se fait pas obéir est très défa-
vorable, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un chien. Cela devient un
enjeu important, même dans le cas d’un animal de compagnie.
On assiste parfois à la mise en place de véritables pratiques édu-
catives ; on entend souvent les maîtres dire de leur chien : « Il est
têtu », « Il ne veut pas m’obéir », « Il souhaite me dominer ». La
notion de contrôle est souvent confondue avec celle d’obéissance

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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 86

L’animal dans la famille

et de soumission, ce qui est à l’origine de toutes sortes de malen-


tendus dans l’éducation qu’on souhaite donner à son chien.
Quand des difficultés se présentent, elles peuvent avoir plu-
sieurs causes, plus ou moins reliées au chien : des comportements
pathologiques du chien lui-même, des comportements inappro-
priés du chien en tant qu’animal dans une société d’humains,
l’inadéquation de l’environnement de vie du chien mais il peut
s’agir aussi de désaccords survenus à la suite de l’arrivée du
chien dans la famille ou même de dysfonctionnements familiaux
indépendants du chien. Bon nombre de facteurs différents expli-
quent donc ces difficultés. Ils influenceront évidemment l’évolu-
tion du chien lui-même, l’organisation familiale, mais aussi la
relation famille-chien passée, présente et à venir.
Lorsqu’il s’agit d’éduquer le chien, la famille peut utiliser des
pratiques éducatives spécialement destinées au chien ou appli-
quer ses propres habitudes de manière implicite, ou encore réali-
ser un amalgame à sa manière.
Actuellement, il y a deux modèles d’éducation canine. Le plus
ancien, le dressage, nous vient des pays anglo-saxons. Il s’inspire
des lois behavioristes et décompose les comportements en
séquences, selon un schéma simplifié stimulus-réponse. Si la
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réponse obtenue à l’ordre donné est considérée comme incor-
recte, elle est suivie d’une punition ou d’une absence de récom-
pense. À l’inverse, si elle est correcte, il y a absence de punition
ou distribution de récompense. L’obéissance du chien est obtenue
grâce à une certaine automatisation des comportements à partir
de codes gestuels ou verbaux. Plus récemment, un autre modèle
d’éducation a considéré que le duo famille-chien pouvait être
comparé à une meute. L’organisation du groupe ainsi reconstitué
est nommée « famille-meute » et est considérée comme un sys-
tème hiérarchisé. Cela induit un rapport de dominance et de sou-
mission dans les interactions quotidiennes entre les humains qui
composent la famille et le chien. Le contrôle est obtenu alors,
principalement, par la surveillance, l’utilisation de postures
dominantes par les humains et la vigilance pour empêcher le
chien de dominer lui-même la famille. Dans ce dernier modèle,
les notions essentielles de contrôle, de surveillance et de domi-
nance du propriétaire lui permettent de devenir le « chef de
meute ». Une mauvaise organisation de la famille ou une instabi-
lité du modèle hiérarchique est aussitôt considérée comme patho-
logique et porte le nom de « sociopathie ».
Ces deux modèles éducatifs pour les chiens sont largement
prédominants dans les discours et les consignes données par
toutes sortes de personnes (professionnels ou amateurs) appar-

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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 87

Le chien dans l’éducation familiale : ordres et désordres

tenant au monde du chien. On assiste même, de plus en plus fré-


quemment, à un mélange des deux modèles qui peut aboutir, par
exemple, à tenter de soumettre hiérarchiquement un chien par
une exigence d’obéissance mécanisée, répétitive et en force.
Les effets obtenus pendant ces séances de « dressage » peuvent
laisser penser que la soumission du chien a été acquise. Or, on
se rend compte que rien ne va plus lorsque l’animal revient
dans la famille. Dans d’autres cas, des chiens peuvent avoir été
mis en soumission quasi permanente et obéir par perte de
choix : ils auront probablement perdu toute aptitude sociale
ainsi qu’une grande partie de leurs capacités d’apprentissage,
ce qui n’était évidemment pas l’objectif de la famille ! Obtenir
le contrôle d’un chien par la contrainte ou l’obéissance par la
force amène le plus souvent l’animal à se rebeller et à devenir
agressif tôt ou tard.
Quoi qu’il en soit, dans la réalité, ces modèles sont loin d’être
appliqués à la lettre dans les familles. Les confusions ou les rac-
courcis sont fréquents ; les gens ne conservent souvent que cer-
taines idées ou certaines applications et les appliquent de manière
plus ou moins hasardeuse, et selon leur propre tempérament. Les
mots et les notions utilisés dans l’éducation familiale et l’éduca-
tion du chien créent une sorte de puzzle très complexe, doté de
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nombreux sens cachés.

DES DÉSORDRES À LA MALTRAITANCE

Dans l’éducation familiale, une fois les règles établies, l’auto-


rité définie, qu’en est-il de celui qui a désobéi ? Toutes sortes de
questions devraient être posées à ce stade de la réflexion. Par
exemple, est-ce que les ordres étaient clairs et compréhensibles
pour celui qui était censé les recevoir ? La demande était-elle une
attente ou une exigence ? Était-elle réalisable ? Dans quels
contextes pouvait-elle l’être ou ne pas l’être ? Quel est l’histo-
rique des apprentissages de l’individu considéré ? Quelles peu-
vent être les conséquences des solutions envisagées pour
résoudre le problème de la désobéissance ? Le comportement
correspondant à ce problème est-il régulier ou ponctuel ? Est-il
véritablement répréhensible ? Est-ce l’individu ou le comporte-
ment que l’on veut réprimander ? Quel type de bénéfice attend-
on ? Quels sont les objectifs à long terme ? Qu’est-ce qu’on veut
véritablement obtenir ou éviter ?
La plupart du temps, aucune question n’est véritablement
posée. Les solutions sont abordées sur un mode raccourci et
direct, d’après des jugements de valeur et des interprétations per-
sonnelles. Dans ce cadre, les solutions punitives étant les plus

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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 88

L’animal dans la famille

faciles à mettre en œuvre, elles deviennent vite prioritaires et se


déclinent sous des formes très variées.
On constate qu’à partir du besoin ou de la volonté de contrô-
ler le chien, l’application des modèles éducatifs associée aux
ambiguïtés issues du sens implicite des mots dérive aisément vers
un registre nettement opposé à la bienveillance. Pour atteindre
plus rapidement l’obéissance, les principes de dominance comme
de punition et les moyens susceptibles d’être mis en œuvre à cet
effet (recherche de soumission, autoritarisme, punition, correc-
tion, châtiment) favorisent l’usage de gestes violents ou mena-
çants. C’est à partir de tels principes et suite à la répétition de tels
gestes que peut s’installer un processus de maltraitance, surtout
lorsque le chien n’apporte pas la réponse souhaitée.
Les modèles éducatifs destinés au chien n’ont pas été évalués
en rapport avec la complexité des situations familiales et, à aucun
moment, on n’envisage les répercussions des conduites semi-vio-
lentes ou violentes. L’usage de la discipline physique et des dif-
férents types de rapports de force (punitions, violence, secouage,
menaces…) comme moyens éducatifs au sein de la famille est
par ailleurs reconnu comme facteur de risque de maltraitance. Il
arrive que seul le chien soit concerné par ces méthodes.
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Dans le cas où les parents utilisent les mêmes principes pour
leurs enfants, ceux-ci peuvent aussi être concernés directement.
Quoi qu’il en soit, les enfants sont toujours concernés en tant que
témoins. Tous ces différents types de violence ont un impact
négatif sur les enfants. Décoder les sources et les liens de telles
conduites, au sein des familles, même lorsqu’elles ne sont desti-
nées qu’au chien, peut donc présenter un intérêt majeur et aider
dans l’évaluation précoce de la maltraitance familiale violente
sur les enfants. Or, plusieurs éléments inquiétants peuvent se
retrouver dans les attitudes des familles à l’égard du chien : esca-
lades punitives, processus abusifs issus de l’usage de châtiments
corporels, utilisation de pratiques disciplinaires inappropriées
considérées comme facteurs de risque de maltraitance. Les
formes d’enchaînements défavorables dans les interactions fami-
liales avec le chien ou par rapport à lui ne manquent pas. C’est
pourquoi une collaboration interdisciplinaire pourrait nous aider
à mieux comprendre les abus, les malentendus, les ratages édu-
catifs et les évolutions de la maltraitance au sein des familles.

BIBLIOGRAPHIE
CAMPAN, R. ; SCAPANI, F. 2002. Éthologie, Bruxelles, De Boeck.
DEHASSE, J. 2000. Mon chien est-il dominant ?, Montréal, Éditions du Jour.
DE VINEY, E. ; DICKERT, J. et LOCKOOD, R. 1983. « The care of pets within child abusing
families », International Journal for Study of Animal Problems, 4, p. 321-329.

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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 89

Le chien dans l’éducation familiale : ordres et désordres

DURNING, P. 2002. « L’évaluation des situations d’enfants maltraités : définitions,


enjeux, méthodes », dans M. Gabel, P. Durning, Évaluations des maltraitances, Paris,
Fleurus.
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MENDEL, G. 2002. Une histoire de l’autorité, permanence et variations, Paris, La
Découverte, Édition de poche.
PAGEAT, P. 1998. Pathologie du comportement du chien, Maisons-Alfort, Éditions du
Point Vétérinaire.
PALACIO-QUINTIN, E. ; BOUCHARD, J.-M. ; TERRISSE, B. 2004. Questions d’éducation
familiale, Québec, Les éditions Logiques.
PRAIRAT, E. 1999. Penser la sanction, les grands textes, Paris, Montréal, L’Harmattan.
VOITH, V.-L.; WRIGHT, J.-C. ; DANNEMAN, P.-J. 1992. « Is there a relationship between
canine behaviour problems and spoiling activities, anthropomorphism and obedience
training », Applied Animal Behaviour Science, 34, p. 263-272.
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RÉSUMÉ
Mots-clés :
Le chien de compagnie fait désormais partie de la famille. L’éducation
Chien, éducation,
familiale tient compte de sa présence et de sa participation à différentes
famille, maltraitance,
activités, notamment avec les enfants. Obtenir le contrôle et l’obéissance
obéissance, dressage,
du chien est une préoccupation de la famille, une nécessité, voire un
autorité, dominance,
enjeu. Or les difficultés sont nombreuses, à ce sujet, dans la vie quoti-
soumission, punition,
dienne. En voulant éduquer son chien, la famille met en œuvre différents
maître.
principes issus des modèles éducatifs destinés au chien, de ses propres
habitudes et le plus souvent d’un amalgame réalisé à partir du sens caché
des mots du langage courant. Les conséquences sont sérieuses car de
nombreuses ambiguïtés et applications confuses s’inscrivent entre domi-
nance et punition, et évoluent vers un processus de maltraitance.

SUMMARY
The pet dog has become a member of the family. Family education takes Key words :
into account its presence and its participation in various activities, in Dog, education, family,
particular with the children. To obtain the control and the obedience of ill-treatment, obedience,
the dog is a concern of the family, a need, even a stake. However, the dif- training, authority,
ficulties are numerous in everyday life. While wanting to educate her predominance, tender,
dog, the family implements various principles resulting from the educa- punishment, master,
tional models intended for the dog, her own practices and generally from chief.
an amalgam carried out starting from hidden meanings of the current
words. The consequences are serious because many ambiguities and
confused applications are registered between predominance and punish-
ment and may evolve towards ill-treatment.

89
L'ENFANT, L'ANIMAL, LE CONTE : VOIES ROYALES DE L'INFANTILE

Claude de la Genardière

ERES | « Enfances & Psy »

2007/2 n° 35 | pages 90 à 101


ISSN 1286-5559
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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 90

L’ANIMAL ET L’IMAGINAIRE
DES ENFANTS
Claude de la Genardière
L’enfant, l’animal, le conte :
voies royales de l’infantile

Claude de la Genardière est L’univers de l’enfant semble nécessairement lié à


celui de l’animal, réel ou métaphorique. Quelle est notre
psychanalyste, psychologue part d’adulte, de parent, dans cette nécessité ? En effet,
nous confions volontiers les enfants, dès leur naissance,
clinicienne et docteur en sciences
aux pattes d’une cigogne… Nous pouvons les qualifier
de l’éducation. Elle a été chargée de « crevette », de « puce », de « chat » ou de
« biquette ». Par ailleurs, nous nous adressons souvent à
de cours à l’université de Paris 8 nos animaux domestiques comme à des petits enfants.
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Alors, que transmettons-nous aux enfants de notre propre
puis à l’Institut supérieur de rapport aux animaux ? Que reste-t-il en nous de nos
expériences d’enfant avec les animaux ou plus symboli-
pédagogie de Paris. Elle anime
quement avec l’animal ?
des groupes de parole et de Ces questions prennent toute la dimension de la trans-
mission psychique inconsciente, impliquée dès que nous
supervision auprès d’équipes abordons le domaine de l’enfance. Nous avons, avec
soignantes, notamment en soins l’enfant, une expérience commune, celle de la construc-
tion infantile de la vie psychique. Et notre vie d’adulte en
palliatifs. est tributaire. Sur ce plan, les contes, comme les rêves,
sont une voie royale pour accéder à l’infantile. Et, de fait,
les animaux s’y taillent une place importante.
Mais les contes sont œuvres de transmission,
consciente et inconsciente. Même lorsque nous les adap-
tons à l’intention des enfants, nous y mettons le meilleur
et le pire de nous-même, jeunes, moins jeunes, vieux.
Regardons un peu les traces qu’ils ont laissées en nous,
en lien avec l’animal. Immanquablement, saute à nos
yeux ce bon vieux loup, aussi présent dans nos fantasmes
qu’il est absent de nos contrées. Le Petit Chaperon rouge
et son loup ne nous lâcheront-ils donc jamais? Non, car
si nous racontons cette histoire à un enfant, nous trans-

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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:16 Page 91

L’enfant, l’animal, le conte : voies royales de l’infantile

mettons ce qu’elle a été pour nous autrefois et les traces incons-


cientes qu’elle a laissées en nous. C’est pourquoi, d’un point de
vue psychanalytique, il est délicat de parler du rapport de l’enfant
à l’animal à travers les contes, car nous parlons toujours de nous-
mêmes à notre insu, en croyant parler de l’enfant.

DU LOUP AUX LOUVES

Suivons donc encore une fois pour nous-mêmes quelques-


unes des traces de l’un des animaux les plus célèbres de nos
contes : le loup (De la Genardière, 1996). La rencontre du loup et
du Chaperon rouge a toujours des choses à nous apprendre.
Prenons le titre du conte de Perrault, par exemple, Le Petit
Chaperon rouge : il est devenu incontournable mais ne nomme
pas le loup. Cependant, dans les collectes de tradition orale, ce
titre n’est pas retenu. Il peut s’agir de La petite et le loup, La fille
et le loup, Le loup et la petite fille, Le loup et l’enfant, Jeannette
ou Fillon-Fillette (Delarue et Tenèze, 1976). En revanche, ce
conte résonne peut-être à nos oreilles avec d’autres titres comme
Le loup et l’agneau, La chèvre de Monsieur Seguin, et bien
d’autres histoires racontées depuis avec le loup. Ce dont l’animal
est porteur imaginairement apparaît ainsi à travers le souvenir de
récits multiples et entrecroisés dans notre mémoire.
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Et cette fille, quel âge a-t-elle ? Si l’on a gardé le souvenir des
illustrations de Gustave Doré, elle n’apparaît pas si petite à côté
de son loup et elle a les yeux si grands ! Et puis les moralités de
Perrault ne s’adressent-elles pas à des gens de cour ? Essayons de
prendre conscience de l’âge que nous lui donnons, intérieure-
ment. Peut-être nous sera-t-il difficile de le préciser. La figure de
l’enfant dans les contes merveilleux est toujours en mouvement ;
l’enfant grandit au fil des étapes qu’il traverse et au fil du récit.
Et même dans les versions orales, on constate que l’indétermina-
tion de l’âge de la fille se prête tout à fait à cette mobilité.
La confrontation du loup et de la fille est bien le moment
phare de cette histoire et pourtant ces deux-là ne sont pas les seuls
personnages du conte. D’autres se rencontrent à travers eux : la
mère et la grand-mère. Alors, au-delà d’une mère qui met son
enfant en danger en lui faisant traverser la forêt du loup et au-delà
d’une enfant stupide qui ne voit pas la ruse de celui-ci déguisé en
grand-mère, racontons l’histoire autrement. Par exemple : la
curiosité du Petit Chaperon rouge pour le loup se serait peut-être
éveillée malgré sa peur, elle aurait voulu en savoir plus sur ce
curieux animal. La romancière Pierrette Fleutiaux nous en a
donné une très belle interprétation avec sa nouvelle intitulée La
femme de l’ogre (Fleutiaux, 1984). Mais oui, ce loup intriguant

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L’animal et l’imaginaire des enfants

était peut-être autre chose qu’un simple animal. Par exemple, un


séducteur mâle dont la petite fille aurait dû se méfier ?
Sans doute, ce loup fait-il écho aujourd’hui à ces personnages
qui remplissent les colonnes des faits divers et les émissions télé-
visées : pervers divers et notamment pédophiles. Ce Petit
Chaperon rouge venu jusqu’à nous depuis la nuit des temps
semble avoir la capacité de nous parler ainsi d’une des questions
cruciales de notre société contemporaine : celle qui concerne les
jeux de séduction entre adultes et enfants, et les violations d’in-
terdits qu’ils provoquent parfois. Et pourtant, ce n’était certaine-
ment pas une préoccupation de nos ancêtres. Le monde de
l’enfance y était perçu si différemment ! Et la vie sexuelle…
Cependant, l’intermédiaire du loup permet de superposer dif-
férentes figures sur chaque personnage. Alors, allons au-delà de
celle du séducteur, de l’homme face à la fillette, et rappelons-
nous : chez la grand-mère, le conte met en présence non pas le
loup et l’enfant mais une sorte de loup-grand-mère qu’interroge
l’enfant : « Que tu as de grands yeux, grand-mère… » En fait, elle
voit en ce personnage à la fois le loup et la grand-mère. Au fond,
elle n’a aucun mal à voir sa grand-mère sous les traits du loup,
même si elle en est troublée. Et juste avant, quand le loup est
arrivé auprès de la grand-mère, c’est cette dernière qui n’a pas su
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voir en lui un loup au lieu de sa petite fille… Que de confusions
générées par cet animal ! Confusions révélatrices de la vie fan-
tasmatique des mères et des filles plutôt que de leur stupidité…
Ce drôle de loup nous fait entendre à demi mots une histoire
inquiétante entre une mère, sa fille et sa mère, livrées à des envies
dévorantes dans un univers sans hommes. En effet, les chasseurs
introduits par les frères Grimm n’interviennent qu’après coup,
après que tout est consommé. Et, dans les versions orales, il n’est
pas question d’hommes. La figure du séducteur s’efface ainsi à
l’horizon fantasmatique maternel incestueux, dévorant-dévoré.
Nous voici livrés, là, au sentiment d’inquiétante étrangeté dont
Freud a parlé, dans lequel l’intime se retourne en étranger, le
familier en menaçant, et qui fait vaciller le sentiment d’une sécu-
rité et d’une intégrité psychiques (Freud, 1919).
Dans ce texte, Freud dénie au conte merveilleux la capacité de
nous soumettre à de tels éprouvés, contrairement, selon lui, au
conte fantastique. En effet, ce dernier joue à l’intérieur du récit
sur les glissements entre fiction et réalité pour troubler le lecteur,
alors que le parti pris de fiction est énoncé clairement dans le
conte merveilleux. Précisément, c’est là tout le paradoxe de
celui-ci. Si, dans sa structure, tout semble fait pour rétablir par le
dénouement les ordres perturbés, punir les méchants et permettre

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L’enfant, l’animal, le conte : voies royales de l’infantile

des mariages heureux, il n’en reste pas moins que le cours du


récit livre les personnages, et donc les récepteurs du conte, à d’in-
cessants va-et-vient entre le meilleur et le pire, au point de pou-
voir ébranler bien des repères (sur les lois, les limites des
capacités humaines, les places dans les générations, le monde).
Sans doute s’agit-il, dans la remarque de Freud, d’une déné-
gation, d’une défense de sa part contre les traces laissées en lui
par cet univers maternel infantile, processus défensif auquel nous
convie largement le conte merveilleux en recouvrant sans cesse
ce qu’il découvre des capacités fantasmatiques et pulsionnelles
humaines. Cependant, la nécessité défensive de Freud ne l’a pas,
pour autant, empêché de nous ouvrir certains accès à cet univers
maternel infantile. Elle l’a même sans doute mis sur une voie que
d’autres ont pu emprunter après lui.

DES INTÉRIEURS ANIMAUX

Pour ma part, je me rappelle une expérience d’inquiétante


étrangeté vécue grâce au conte merveilleux, alors que j’étais étu-
diante. Une enseignante s’était mise à nous raconter ces person-
nages qui crachent, en parlant, des serpents et des crapauds ou qui
déversent, au contraire, des rivières de diamants et de perles. Ces
« filles cracheuses » m’apparurent à la fois étranges et familières.
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Et de ce malaise mêlé de fascination naquit en moi le désir d’ex-
plorer les contes. Depuis, je ne les ai plus quittés.
Je découvris bientôt le conte de Perrault Les fées (Perrault,
1697), qui nous parle singulièrement des frontières entre le
monde humain et le monde minéral (diamants), le monde végétal
(fleurs) et le monde animal (crapauds, serpents, etc.). Ses deux
héroïnes, la belle et la laide, sont les filles d’une drôle de mère,
telle que les contes en regorgent, qui aime l’une au détriment de
l’autre. L’une après l’autre, les filles sont envoyées par la mère
chercher de l’eau. Et la fée rencontrée au bord du puits va révé-
ler, en quelque sorte, l’intimité de leur âme à travers celle de leur
corps. En leur demandant de l’eau, la fée les amène à révéler,
l’une après l’autre, leur nature profonde : l’une lui offre à boire,
en réponse à sa demande, l’autre le lui refuse. La fée fait alors, à
chacune, un don en conséquence. Les filles, à leur retour, ne peu-
vent plus cacher ce qu’elles sont : elles le crachent ! La bonne
conduite de l’une et la mauvaise conduite de l’autre sont littéra-
lement exposées à la vue de tous par ce que leurs paroles répan-
dent successivement : des diamants ou des fleurs, pour l’une, des
crapauds ou des vipères, pour l’autre, selon les versions.
Le conte nous parle ainsi d’un dévoilement métaphorique de
l’intérieur des corps, de l’intime, grâce au pouvoir d’une fée. Et

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L’animal et l’imaginaire des enfants

dans ce dévoilement, cette « monstration », l’animalité est asso-


ciée à la mauvaise fille. Animalité repoussante, suscitant l’effroi,
et même animalité obscène, par opposition au monde végétal ou
minéral, plutôt associé ici à la pureté et aux bienfaits de la nature.
Du coup, les frontières entre le dedans et le dehors sont vio-
lées. Et les lecteurs de Perrault sont mis quasiment en position de
voyeurs : nous voyons quelque chose que nous ne devrions pas
voir ; nous sommes invités à transgresser un interdit. Nous pou-
vons alors penser cet interdit en référence à l’histoire sociale et
culturelle, en particulier à celle de la médecine et de l’interdit
d’ouverture des corps qui a longtemps prévalu ; ou encore à
l’évolution de la notion de viol (Vigarello, 1998). On peut aussi
l’envisager aujourd’hui d’un point de vue anthropologique, avec
la question des limites nécessaires entre les corps pour qu’une vie
en société soit possible ; ou bien d’un point de vue psychique, par
rapport aux effets de toute effraction précoce dans l’intimité du
sujet qui laisse chez lui des traces indélébiles et inconscientes.
Ces associations auxquelles ouvre le conte ne sont pas tant
interprétatives qu’indicatives de registres sur lesquels il travaille
plus ou moins allusivement. Du coup, à la relecture, les effets de
certaines images se renversent : les fleurs ou les diamants que
crache la bonne fille deviennent tout aussi obscènes que les cra-
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pauds ou les serpents de l’autre. Il y aurait donc de l’obscénité
dans les contes merveilleux ? Oui. Rappelons-nous l’étymologie
de la « Merveille ». Le Dictionnaire historique de la langue fran-
çaise (Le Robert, 1995) nous révèle ses profondeurs insoupçon-
nées : « merveilleux » vient en effet du latin mirabilia (choses
admirables, étonnantes, miracles). C’est un dérivé de mirus
(étonnant, étrange, merveilleux). Le sentiment d’inquiétante
étrangeté de Freud n’est pas si loin… Mais l’étonnement contenu
dans mirus pouvait même être lié à l’horreur au cours des XIIe et
XIIIe siècles.

Les fées de Perrault expose, comme savent le faire avec


audace et subtilité bien des contes merveilleux, certaines de nos
peurs venues du monde infantile qui concernent notamment notre
intégrité corporelle, et sur la base de laquelle se constituent notre
intégrité psychique et notre identité. Derrière une histoire de
bonne ou de mauvaise conduite, est interrogé le statut du corps
(entre animalité, végétalité, minéralité et humanité), sa constitu-
tion avec un dehors, un dedans et une peau-frontière (Anzieu,
1985), et avec la possibilité du dévoilement de son intimité, voire
de son viol. Tout un jeu avec l’apparence est proposé à travers ces
renversements d’images qui ne sont pas sans faire écho avec
d’autres trouvailles des contes merveilleux dans le registre

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L’enfant, l’animal, le conte : voies royales de l’infantile

animal, passant de la peau de bête sous laquelle se cache Peau


d’Âne aux métamorphoses de la Bête en un prince, aussitôt
dérobé à la vue de sa Belle.

ANIMALITÉ INFANTILE OU FÉMININE ?


Le fait qu’il s’agisse, dans Les fées, de figures féminines
donne à cette interrogation une autre portée, concernant le fémi-
nin maternel : « Qu’est-ce qui peut donc sortir du corps d’une
femme ? », semble demander le conte. Le pouvoir des femmes de
mettre des enfants au monde suscite, en effet, toutes sortes de
projections, d’angoisses devant ce qui apparaît étranger et pour-
tant intime, dans un corps de mère, qui est un corps de femme à
la fois. Celui-ci peut prendre en chacun de nous une vie fantas-
matique foisonnante, même à notre insu. C’est tout le registre des
fantasmes originaires qui est sollicité ici, avec les capacités
déployées dans l’enfance pour élaborer des constructions « roma-
nesques 1 » et aborder avec elles ces questions récurrentes, sans
réponses satisfaisantes : « D’où viennent les enfants ? »,
« Qu’est-ce-que la différence des sexes ? », « Pourquoi meurt-
on ? »
Les contes ne tarissent pas de métaphores à ce sujet, en parti-
culier des métaphores animales. On peut rappeler ici ces nom-
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breuses situations où de jeunes femmes, reines, mal aimées de
leur belle-mère et mal protégées par leur mari, se trouvent accu-
sées en l’absence de celui-ci d’accoucher d’animaux ou de
monstres, et suscitent ainsi une réaction d’horreur chez leur mari
à son retour. Perrault, par exemple, raconte cela avec délices dans
la Belle au bois dormant.
Frayeur devant le corps féminin maternel, donc. Frayeur
infantile qui reste tenace dans les fantasmes des adultes. On le
sait par la psychanalyse, mais tout autant par les représentations
proposées dans les mythes et les contes ou encore dans certaines
créations individuelles. On peut se demander si la récurrence de
cette mise en scène des déjections potentielles des femmes par les
différents orifices de leur corps ne serait pas aussi une figuration
fantasmatique de notre état de nouveau-né mis bas, expulsé hors
du corps maternel à la naissance, dans un univers humide et
chaud de déjections liquides diverses, de substances mêlées, où la
sensation du merveilleux peut côtoyer celle du dégoûtant, où la
1. Au sens où Freud parle
vie peut apparaître d’abord rejetée d’un corps, comme un déchet
du roman familial dans
(Delarue et Tenèze, 1976). Nous nous projetterions ainsi dans ces « Le roman familial des
images en vipères et en pierres précieuses, oscillant entre une névrosés », dans Névrose,
vision idyllique de notre être originel et une vision dégoûtante, psychose et perversion,
dans laquelle certains animaux peuvent nous servir de miroir. traduction française.

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L’animal et l’imaginaire des enfants

Ce type d’exemple offert par les contes, et la réceptivité que


nous pouvons avoir à leur égard, nous invite encore à ne pas
séparer le rapport des enfants à l’animal de celui que nous leur
transmettons, en tant qu’aînés, à travers nos façons de les
accueillir depuis leur naissance et tout au long de leur dévelop-
pement : ces façons sont imprégnées d’images et de fantasmes
issus de représentations collectives tout autant que d’élaborations
subjectives (De la Genardière, 2005).

DE L’EFFRAYANT AU DÉGOÛTANT OU DU GRAND AU PETIT

J’ai choisi ici de parler de contes où l’animalité se conjugue


avec le féminin ou le maternel. Bien sûr, bien d’autres registres
sont abordés dans ces récits : la force du dragon qu’il faut vaincre
pour être un homme, la capacité du héros à supporter une méta-
morphose animale pour parvenir à un mariage heureux, sans
compter cette ménagerie d’animaux secourables que nous font
rencontrer les contes merveilleux ou ces combats éternels racon-
tés dans les « contes d’animaux 2 ». J’ai voulu suivre plus parti-
culièrement les traces du maternel infantile, du sexuel
fantasmatique pour lequel le conte excelle à donner des méta-
phores partageables entre générations.
En écho au conte Les fées, prenons un exemple de cette ten-
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dance, que nous avons dès l’enfance, à éprouver des sensations
de dégoût pour certains petits animaux. Chacun peut avoir le sou-
venir de ses réactions devant tels escargots, crapauds, serpents ou
araignées. Elles laissent parfois des traces vives dans nos sensa-
tions d’adultes. Et, dans un cabinet d’analyste, elles sont souvent
évoquées à travers des souvenirs et des rêves.
J’évoquerai juste une analysante qui, un jour, en évoquant en
séance une situation désagréable vécue la veille, chercha tout à
coup un mot pour qualifier le sentiment d’être soumis à l’autre,
acculé, mis en danger par lui. Ce mot lui échappait. Elle raconta
quand même son histoire et souligna le contraste entre l’am-
pleur des affects ressentis par elle et le caractère relativement
banal de la situation racontée. Ce récit lui laissa une insatisfac-
tion, un agacement qui lui semblait bizarre. À la séance sui-
vante, elle dit combien ce mot manquant l’avait préoccupée : en
effet, en continuant à le chercher après la séance, elle avait été
2. Selon la terminologie dérangée par un autre mot venu à son esprit, « sans aucun rap-
des ethnologues, c’est-à-
port avec celui qu’elle cherchait ». Il est maintenant difficile à
dire que nous connais-
sons le plus souvent par lâcher sur le divan : « C’est limace, c’est ridicule ! », dit-elle
l’intermédiaire des fables finalement en riant, un peu gênée. « En tout cas, cela m’a
qui en sont la forme permis de retrouver le mot que je cherchais l’autre jour : c’était
écrite. menace ! »

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L’enfant, l’animal, le conte : voies royales de l’infantile

Qu’est-ce que cette limace venait donc faire là ? L’analysante


ne voyait pas du tout. Je lui proposai de laisser venir ses associa-
tions d’idées sur la limace, sans chercher à expliquer. Cela la trans-
porta dans sa petite enfance, sur un passage en sous-bois qu’elle
devait prendre souvent seule, plein de limaces… Elle eut du mal à
en parler : « C’était l’horreur pour moi ! Mais il n’y avait personne
à qui confier cette horreur. L’horreur de cette chose dégoûtante et
rampante… J’en suis encore toute tremblante… » Ce souvenir, elle
l’avait complètement oublié jusque-là. Et son irruption ouvrit
alors, dans l’analyse, de nouveaux chemins fantasmatiques à
explorer en lien avec la menace, et avec son rapport d’enfant à la
sexualité et à la vie des corps en famille.
Ce type d’animal suscite fréquemment, chez tout un chacun,
des réactions mêlées de dégoût, d’effroi et de rires, plutôt
« jaunes ». Bettelheim a attiré notre attention sur les éléments
sexuels appelés par les affects éprouvés avec de tels animaux et
racontés par les contes (Bettelheim, 1976). Mais, avant lui, Otto
Rank a exploré le registre des angoisses infantiles liées notam-
ment à la peur d’être pénétré par les petits animaux et ce que cette
angoisse dit du fantasme de retour dans le ventre maternel (Rank,
1976). Petits animaux gluants qui pénètrent, contrairement à ceux
du conte Les fées…
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Tout ce registre de l’infantile est présent dans les contes aussi
bien que dans les rêves et les fantasmes des adultes. Dans l’exemple
évoqué, c’est bien une adulte qui parle et se remémore, mais la psy-
chanalyse la porte aux confins de l’infantile : à l’occasion d’une
limace ressurgie dans l’oubli d’un mot, elle peut saisir de nouveaux
liens entre des malaises actuels et des frayeurs passées.
De l’horrible au dégoûtant, nous sommes passés, avec ces
exemples, des animaux plutôt grands pour un enfant aux animaux
petits, pas moins effrayants pour autant. Peut-être y a-t-il là aussi
un élément important de notre rapport humain aux animaux : la
possibilité de nous confronter, à travers eux, au grand et au petit,
à l’inéluctablement grand et l’inéluctablement petit, tout autant
qu’à ce qui peut grandir ou se rétrécir 3. Et, avec eux, s’offre la
possibilité de mesurer notre capacité de grandir avec des éprou-
vés parfois disproportionnés face à la taille de l’animal. Grâce
aux contes, la frayeur peut se moduler depuis les figures de
monstres les plus écrasants jusqu’aux vers de terre dérisoires, et
la douceur prend aussi bien le pelage d’un ours enveloppant que
la soie d’une délicate chenille. Les animaux racontés nous offrent 3. On peut penser en par-
ainsi la possibilité d’explorer dès l’enfance une gamme d’affects ticulier à Alice au pays
très diversifiée et de tisser des fantasmes qui font le lit de notre des merveilles de Lewis
vie psychique ultérieure. Carroll.

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L’animal et l’imaginaire des enfants

DES PETITS ANIMAUX-VÉRITÉ

Il est une forme d’animalité très présente aussi dans les


contes, celle des animaux de vérité, parfois fruits d’une méta-
morphose. Dans Le Petit Chaperon rouge, par exemple, les ver-
sions orales racontent la présence d’un animal, souvent chatte ou
oiseau, qui révèle l’horreur du conte au cœur du récit, laissée
sous-jacente par l’écriture de Perrault : celle de la dévoration de
la grand-mère par l’enfant. Horreur fantasmatique qui a demandé
la médiation de la figure du loup pour être abordée. Mais l’ani-
mal de vérité apporte une deuxième médiation : l’animal sait et
dit ce que l’autre, mi-humain mi-animal, cache : « Pue !…
Salope !… qui mange la chair, qui boit le sang de sa grand ! » Le
loup, hybride, ment à l’enfant sur ce que dit cette voix. Mais
celle-ci se fait de nouveau entendre et la petite se sauve…
Ici, deux animaux s’affrontent : l’un, sauvage, dévorateur,
livré à ses instincts mais tout de même parlant et habité par la
grand-mère ; l’autre, domestique et parlant, réintroduisant, par la
crudité de sa parole et non plus de ses instincts, un interdit. Un
grand face à un petit. Avec eux, la fille aura eu l’occasion de
suivre d’abord la piste sauvage du loup puis de s’en dégager,
grâce à la chatte, sur le dos de la grand-mère, en quelque sorte…
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Dans bien des contes merveilleux, des personnages d’adultes,
des parents, vivent aussi aux limites de l’animalité, au sens où ils
sont la proie de leurs propres pulsions. Ce ne sont pas seulement
les frontières psychiques qui vacillent alors, mais celles de l’hu-
manité et de ses lois sociales. Les enfants en payent souvent le
prix. Dans le conte Ma mère m’a tué, mon père m’a mangé, la
mère, belle-mère criminelle et infanticide, a réussi à rendre le
père cannibale, mais ce sont les enfants qui sauveront l’ordre
humain et ses lois 4. La petite sœur, qui a récupéré et enterré les
os de son demi-frère sous l’arbre de la mère morte, permet à
celui-ci de revivre sous forme d’oiseau, et de propager sa vérité à
travers tout le village. L’oiseau se fait entendre ainsi de chacun
jusqu’à la belle-mère elle-même, qui meurt littéralement du
dévoilement de cette vérité. Ici, l’animal a partie liée avec l’en-
fant et les morts. Devant le risque qu’explosent les lois qui régis-
sent les relations familiales et les liens entre générations, un
animal est convoqué, l’oiseau, pas vraiment domestique mais
plutôt associé dans l’imaginaire collectif à la pureté du ciel et à
son élévation, comme dans les faire-part de naissance (De la
4. Il en existe une ver- Genardière, 2005).
sion dans les Contes des
frères Grimm, intitulée Rappelons-nous alors les héros mythologiques, dieux et demi-
« Le conte du gené- dieux, qui se livrent aux excès du cannibalisme et de l’inceste, et
vrier ». que la tradition écrite a peu à peu transformés. Ouranos, par

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L’enfant, l’animal, le conte : voies royales de l’infantile

exemple, dans la tradition grecque, ne voulait pas laisser ses


enfants sortir de la mère, Gaia. Il fallut que son fils Kronos lui
coupât les testicules pour que la séparation se fît. Mais Kronos ne
sut pas non plus laisser vivre ses enfants : il les mangeait l’un
après l’autre. Rhéa réussit pourtant à sauver son dernier fils,
Zeus, grâce à une ruse que l’on retrouve dans les contes et parti-
culièrement dans certaines variantes du Petit Chaperon rouge : au
lieu de le livrer à Kronos, comme les enfants précédents, elle le
remplaça par une pierre emmaillotée et le dévorateur fut berné…
Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Quelque chose comme un loup
berné ? Quand on sait qu’ensuite, Zeus fit rendre à son père tous
les enfants mangés ! Voilà que la version Grimm du Petit
Chaperon rouge revient à la mémoire, ou encore le conte Le loup
et les sept chevreaux dans lequel ce que le loup a mangé doit être
rendu… Et la pierre introduite dans le ventre du loup à la place des
héroïnes mangées – la grand-mère et la petite fille – offre alors de
nouvelles figures fantasmatiques de mères monstrueuses, louve
cannibale transformée en louve porteuse de pierres…
L’animal de vérité semble ainsi venir nous dire la leçon rete-
nue de nos anciens, ce long et douloureux apprentissage de l’hu-
manité, raconté déjà dans des récits mythiques, et toujours prêt à
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disparaître derrière des pulsions humaines destructrices. Il y
aurait donc une continuité entre les personnages mythologiques
et les animaux des contes : porteurs des pulsions destructrices,
entre autres, à partir desquelles les humains ont à faire exister des
lois, mais porteurs aussi de vérité. Les humains semblent interro-
ger leur monde et leur propre évolution à travers ces récits où
s’entrecroisent des figures humaines de fiction, des animaux de
fiction, des personnages hybrides mi-dieux mi-hommes, mi-
hommes mi-animaux, mi-dieux mi-animaux. Comme une façon
de mettre en forme narrative ce qui nous échappe de la destinée
humaine, et avec quoi il faut cependant vivre.

UNE CONTINUITÉ DEPUIS LA NUIT DES TEMPS

Au plan de l’inconscient, l’infantile traverse les temps et


s’inscrit aussi bien dans les productions psychiques subjectives
que dans les contes et les mythes, transmis et traduits depuis tou-
jours. En termes psychanalytiques nous pouvons parler de
« matière fantasmo-mythique » pour évoquer ce fonds commun
de représentations et de questions fondatrices de l’humanité, pas-
sant des mythes aux fantasmes et des fantasmes aux mythes
(Valabrega, 2001). Celles-ci concernent les origines, la différence
des sexes, la procréation, la succession des générations, la mort,
l’interdit, et n’appellent pas de réponses closes.

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L’animal et l’imaginaire des enfants

Interroger les rapports de l’enfant et de l’animal du point de


vue de l’inconscient, c’est nécessairement rétablir une continuité
entre les éprouvés d’enfant, les constructions psychiques infan-
tiles faites à partir des pulsions et la vie psychique des adultes.
Dans ce tissage, la part des représentations transmises à travers
les récits collectifs reste fondamentale. Si nous n’en sommes plus
à parler des « sauvages » ni à prendre les enfants pour des êtres
intermédiaires venus du monde des morts ou d’un monde non
humain, nous avons pourtant toujours et encore à travailler psy-
chiquement avec ces représentations, à les mettre en mots, à les
partager et à les transmettre (De la Genardière, 2005).
Cette interrogation à la frontière de la phylogenèse et de l’onto-
genèse a beaucoup préoccupé Freud (1929). Il a mis en parallèle
l’enfant, le sauvage et l’adulte névrosé pour les relier à l’adulte
normal et à l’homme civilisé. Il a mis en relief les origines de l’hu-
manité et le processus civilisateur qu’on peut lire au fil de son évo-
lution. Mais ce processus s’avère mis à mal par ce que l’histoire
nous révèle de la barbarie humaine. D’un autre côté, la psychana-
lyse a bouleversé notre représentation de l’enfant et nous interdit
désormais de nous en tenir à une vision linéaire de son développe-
ment vers une maturité supposée d’adulte.
Les mythes et les contes en parlaient déjà, en particulier par
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l’intermédiaire des personnages animaux et des métamorphoses.
Des processus défensifs mais aussi créateurs nous conduisent
ainsi, depuis toujours, à donner tour à tour à nos débordements
pulsionnels ou fantasmatiques les figures de l’enfant, de l’animal,
du sauvage ou du névrosé, parfois se transformant l’une en
l’autre. Ces figures sont exemplaires d’un parcours non linéaire à
l’échelle aussi bien de l’humanité que du sujet, et nous pouvons
cependant y lire des unes aux autres la continuité d’un processus
jamais accompli.

BIBLIOGRAPHIE
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BETTELHEIM, B. 1976. Psychanalyse des contes de fées, Paris, Hachette pluriel.
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100
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L’enfant, l’animal, le conte : voies royales de l’infantile

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RÉSUMÉ
Mots-clés :
Interroger les rapports de l’enfant à l’animal suppose, du point de vue de Animal, cannibalisme,
l’inconscient, de tenir compte de la transmission. L’univers infantile se conte merveilleux,
transmet de génération en génération, avec ses figures fantasmatiques d’ani- inconscient, infantile,
maux et les traces des affects éprouvés dans l’enfance au contact des ani- matière fantasmo-
maux réels. La matière fantasmo-mythique est ainsi chargée de métaphores mythique.
animales auxquelles vibrent tout autant les adultes que les enfants. Et, du
loup aux limaces, chacun peut trouver de quoi partager entre générations des
préoccupations et des questions fondatrices sur les limites de l’humain et ses
capacités civilisatrices.

SUMMARY
Key words :
According to the unconscious, it is necessary to take transmission into Animal, cannibalism,
account in order to question the child’s relationship with the animal element. fairy-tale, unconscious,
Child world is passing from one generation to another with animal fantasies child world, fantasmatic
and emotional child marks received from real animals. Fantasmatic and and mythical material.
mythical material is thus overloaded with animal metaphors wich touch
both adults and children. Besides, from the wolf to slug, everyone can find
a vast range of preoccupations and founding questions about the limits of
the human element and its civilizing capacity, to share between generations.

101
COMMENT ILLUSTRATRICE ET POÈTE TRAVAILLENT ENSEMBLE POUR
LES ENFANTS

Françoise Armengaud et Martine Bourre

ERES | « Enfances & Psy »

2007/2 n° 35 | pages 102 à 114


ISSN 1286-5559
ISBN 9782749207339
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2007-2-page-102.htm
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00 Enf&Psy n°35 30/05/07 11:17 Page 102

L’ANIMAL ET L’IMAGINAIRE
DES ENFANTS
Françoise Armengaud
Martine Bourre
Comment illustratrice
et poète travaillent ensemble
pour les enfants 1

Françoise Armengaud, ancienne


élève de l’École normale
supérieure, est agrégée et docteur
en philosophie : elle a enseigné
les sciences humaines et
l’esthétique à l’université de
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Paris X-Nanterre. Actuellement,
elle intervient chez ARPPE
(Association pour la recherche
sur la petite enfance). Elle est
membre de la Charte des auteurs
et illustrateurs jeunesse.

Martine Bourre est ancienne élève


de l’école des arts appliqués Martine Bourre : Pour moi, dessiner, c’est d’abord
Duperré et membre de la Charte dessiner un animal. Du plus loin que je me souvienne,
disons depuis l’âge de 5 ou 6 ans, il y a « naturellement »
des auteurs et illustrateurs au bout de mon pinceau un cheval qui galope. Sans réflé-
jeunesse. Depuis 1973, chir, c’est le premier dessin que je commence, sans autre
elle illustre et écrit des livres motivation que le plaisir de montrer, d’essayer de mon-
trer la vie bondissante. L’instant, le frémissement, la
pour les enfants.
fuite… Rendre vivant, donner à voir, donner vie, c’est
1. Les illustrations proviennent toutes de
une démarche très excitante. Faire des livres pour les
l’ouvrage de Françoise Armengaud et enfants, plaisir de créer des images, et que ces images
Martine Bourre, Bêtes de longue mémoire, soient des images d’animaux, c’est un trio intimement
collection « Lo Païs d’enfance », Éditions lié, la base de tout mon être. Vois-tu, Françoise, je crois
du Rocher, Paris, 2005. À partir de 8 ans. que je n’aurais pas pu dessiner si je n’avais eu le monde

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Comment illustratrice et poète travaillent ensemble pour les enfants

des animaux à montrer aux enfants. Sans cette référence, je n’au-


rais pas pu faire mon travail !
Françoise Armengaud : Ce que tu viens de dire me fait penser
à Victor Hugo, qui au cours de son Poème du Jardin des plantes 2
écrit cette chose étonnante et peut-être si judicieuse :
Le nouveau-né qui sort de l’ombre et du mystère
Ne serait pas content de ne rien voir sur terre.
Selon le poète, il y a une appétence du regard enfantin pour
les animaux et l’animal doit donner à voir au petit d’homme.
Toujours dans ce même poème il affirme :
L’œil bleu des innocents veut des bêtes énormes.
Or le monde des animaux est vaste à montrer aux enfants !
Mais plus particulièrement, et plus modestement, je voudrais te
demander comment te sont venues les images pour mes Bêtes de
longue mémoire (Armengaud, 2005), des textes que j’ai écrits
pour inciter et aider les enfants à ressentir en profondeur quelque
chose de « l’être animal », et que tu as illustrés en leur donnant
plénitude et souffle ?
M.B. : Le premier texte de tes Bêtes… qui m’a séduite et déci-
dée à illustrer ces poèmes fut :
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Ni vu ni connu
Elle vient de retourner sa peau
À l’intérieur se cache le côté usé
Désormais resplendit
L’intime.
Ce sont cinq lignes fulgurantes, impossible de passer à côté…
Immédiatement a surgi la vision d’une bête noire et carrée, figée,
solide, avec deux prunelles enfouies dans sa fourrure et une truffe
bien apparente. À l’opposé, le Petit Lémurien a sauté d’un bond
sur la page, couleur claire, tout en mouvement et en légèreté.
Petit Lémurien
Sous ton pelage chamarré
Comme moi
Tu ne sais rien
On te dit bon à rien
Ton enfance effarée
Ouvre des yeux ronds
En quatre bonds
Tu t’es barré
Loin de l’effroi
2. Dans L’art d’être grand-
Tant mieux pour toi. père, Victor Hugo, 1877.

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L’animal et l’imaginaire des enfants

Et puis une « Bête » est venue d’elle-même s’insérer entre les


dessins déjà réalisés : celle des « Bêtes que j’ai vues en songe ».
Cette Bête « qu’en secret je porte / Dans les palais de ma
mémoire », ne pouvait se matérialiser autrement que par ce
curieux hasard : un bout de carton taché de noir, tombé là, et voici
le grand corps, la tête aux yeux clos, les cornes… Ce n’est
d’ailleurs pas ce qu’on appelle traditionnellement une illustra-
tion. C’est à la fois une vision, et la coïncidence de tellement de
hasards, des bouts de carton découpés qui sont devenus cet
animal. C’est bien sûr la page que je préfère. Oui, pour moi, c’est
la meilleure page.

Les Bêtes que j’ai vues en songe


Ne font pas figure d’ombre
Sur les draps blancs
Les Bêtes qu’en secret je porte
Dans les palais de ma mémoire
Illuminent l’obscur
Leur lumière s’irradie
Dans des duvets de silence.
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F.A. : Et j’imagine, te connaissant, que ce n’est pas un hasard
si c’est un collage ?
M.B. : En effet, c’est un des plus vifs plaisirs offerts par la pra-
tique du collage : ce qui n’est pas prévu arrive, par le biais d’une
maladresse ou même d’un courant d’air ! Cette disponibilité,
cette possibilité d’accueillir l’inattendu, les enfants la connais-
sent et l’utilisent dans le jeu, dans l’invention des histoires. C’est
un des leviers qui actionnent l’imaginaire. Et toi, avant de me
proposer ces poèmes, avais-tu en tête des images de tes
« Bêtes » ? Je sais que tu ne pensais pas à la Licorne pour
« Émaillée de ciel et mer… ». Ce qui, pour moi, a été une repré-
sentation immédiate à la lecture de ton texte était pour toi « la
Bête », sans identité particulière.
F.A. : Je n’avais que ces sortes d’images fugaces que suscitent
les mots, et qui en même temps orientent le surgissement des
mots, des mots simples, accessibles aux enfants. J’ai découvert
avec émerveillement, dans ton atelier, l’ampleur et la force, la
stupéfiante « concrétude » donnée à mes textes par tes images.
Moment inoubliable, révélateur d’une plaisante coïncidence.

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Comment illustratrice et poète travaillent ensemble pour les enfants

Sans tes images, Martine, je crois que ces textes ne toucheraient


pas autant les enfants, pas si fortement. L’image vient immédia-
tement aux yeux et au cœur des enfants, d’emblée, on peut dire
qu’elle leur appartient de droit. C’est elle qui leur donne envie
d’entendre le texte que va lire l’adulte ou l’enfant plus âgé.
M.B. : Sais-tu pourquoi nos deux mondes sont si proches ? Tes
textes et mes dessins se sont parfaitement accordés, cette compli-
cité viendrait-elle d’un relent d’enfance ?
F.A. : C’est bien probable. Nous mettons des moyens « tech-
niques » d’adulte – pas seulement des techniques mais aussi une
certaine éthique – au service de l’expression d’une part d’enfance
en nous qui s’adresse à l’enfance en l’autre : il peut cependant
s’agir d’un enfant, au sens propre, ou d’un autre adulte. Sinon,
notre expression ne toucherait pas juste. Et c’est sans doute ce qui
nous permet de travailler ensemble sans avoir besoin d’une
concertation laborieuse ! Maurice Sendak 3 dit que certains livres
pour enfants donnent le sentiment que le travail ne vient pas « du
souvenir d’une expérience vécue » mais d’une « idée préconçue
de ce que doit être un livre pour enfant », et alors, l’émotion ne
passe pas. Et de ton côté, pourquoi préfères-tu presque toujours
dessiner un animal plutôt qu’un humain ?
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M.B. : Peut-être parce que le monde des animaux m’offre infi-
niment plus de diversité : formes, couleurs, matières, mouve-
ments. Comment ne pas rêver devant une telle variété, insectes,
mammifères, oiseaux, reptiles, tout un répertoire fantastique à
portée d’œil, donc de main ? Peut-être aussi que montrer ce
monde-là est pour moi le meilleur moyen de toucher le jeune lec-
teur. C’est ce que font les illustrateurs (et les auteurs) depuis
longtemps. Nous avons pris en otage tout le monde animal pour
enseigner à nos petits comment bien grandir, en leur faisant un
peu peur, en les faisant rêver, en les mettant en garde, en les amu-
sant. Pourquoi ? Je pense que les animaux ont une identité, une
authenticité : ils incarnent le vrai, l’exact. Pas de triche. Un ours
3. Maurice Sendak est un
est un ours, même quand on le transforme au fil des histoires, il
célèbre auteur-illustra-
est ours. Cette simplicité d’être leur permet d’endosser tous nos teur américain, né en
désirs, de véhiculer nos paroles, d’illustrer nos fables. Ces ani- 1928 à New York et
maux-mannequins, nous mangeons leur viande, nous utilisons connu dans le monde
leur peau, leur graisse, leurs os, mais nous confisquons aussi leur entier pour ses ouvrages
image. pour les enfants : parmi
eux, Max et les Maxi-
F.A. : C’est ce que j’appelle l’exploitation idéologique ou monstres, Cuisine de
symbolique des animaux, qui n’a évidemment pas la portée de nuit, et la série des Petit
l’exploitation matérielle. Il y a une duplicité de l’adulte qui tue ou Ours (tous publiés en
laisse tuer l’animal, difficile à supporter pour l’enfant. L’écrivain France par l’ École des
ukrainien, Vassili Grossman raconte comment un enfant peut être Loisirs).

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L’animal et l’imaginaire des enfants

bouleversé de voir sa gentille grand-mère traiter avec une rude


indifférence la poule qu’elle porte à égorger… « David marchait
à côté et s’efforçait d’aider la poule à lever sa tête qui pendait
sans force ; il s’étonnait de voir sa grand-mère faire preuve sou-
dain d’une cruauté inhumaine » (Grossman, 2002). Elisabeth de
Fontenay commente en ces termes le passage qu’elle vient de
citer : « L’expérience solitaire et secrète de la parenté des dou-
leurs submerge l’enfant, façonne la sensibilité d’un écrivain qui
témoignera des plus grandes abominations de l’histoire »
(De Fontenay, 1998). On trouve chez Camus le même exemple
de la grand-mère et la poule : « L’enfant regarde couler le sang,
les jambes flageolantes, comme s’il s’agissait de son propre sang
dont il se sentait vidé » (Le premier homme, 1994). Aujourd’hui,
il est rare que les enfants voient tuer des poules… Mais ils peu-
vent voir, si on le leur montre – à partir de quel âge ? Peut-être
8 ans ? –, le film de Franju, Le sang des bêtes, documentaire à la
fois poétique et engagé, terriblement accusateur, sur les abattoirs
de Vaugirard et de la Villette, tourné en 1947. Cela pose la ques-
tion de notre attitude, de celle des sociétés et des civilisations à
l’égard des animaux. Et de ce à quoi sont, tôt ou tard, confrontés
les enfants, et qui les surprend et les choque. Ainsi, lors d’un
repas de réunion de famille, ma petite voisine de 6 ans me
demande : « Tu dis que tu es végétarienne. Pourquoi tu ne
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manges pas de viande ? » Après que je lui ai expliqué mon refus
de ce que des animaux soient tués en boucherie, elle s’exclama,
horrifiée : « Comment ! Ils ne sont pas déjà morts ? » Lorsqu’un
enfant refuse de manger de la viande, on traite souvent son atti-
tude de « dégoût alimentaire », voire de phobie. On pourrait peut-
être s’interroger plus avant ! Qu’en penses-tu ?
M.B. : Personnellement, je suis surtout choquée par la
manière dont sont élevés les animaux dits « de consommation ».
Cela dit, l’animal représenté, quel qu’il soit, pose toujours pour
moi le problème de la liberté.
F.A. : C’est vrai que des livres comme Le Palefroi ou La
licorne, dont tu es à la fois l’auteur du texte et des images, ont
pour thème explicite cette question de la liberté. Un cheval
d’abord libre et sauvage, pour qui la rencontre avec l’homme est
synonyme de contrainte et de violence, qui s’échappe, jusqu’à ce
que peut-être une nouvelle rencontre… ta dernière page laisse
ouverts les possibles ! La licorne, accueillie et choyée dans le
palais royal, s’étiole et ne recouvre santé et beauté que libérée
dans la forêt… Une certaine attitude éthique envers les animaux
est aussi ce que tu cherches à transmettre, par exemple dans
Le grand cerf où le chasseur se retrouve métamorphosé en lapin
par la sorcière.

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Comment illustratrice et poète travaillent ensemble pour les enfants

Dans le poème où je dis :


Hardies et foisonnantes
Les traces de tes pas
Blasonnent de liberté la terre
tu as vu une licorne… Chevaux et licornes sont des animaux
emblématiques de liberté. Plus généralement, quels sont tes ani-
maux préférés ?
M.B. : Ce sont sans doute les mammifères, je suis plus
« poils » que plumes ou écailles. Le cheval d’abord, ensuite les
félins – les souples, les fauves –, et l’ours qui m’intéresse beau-
coup. C’est même une proximité troublante que je pense partager
avec les jeunes enfants. Et toi, Françoise, dans tes Bêtes, je me
suis étonnée de ne pas trouver le loup. Pourquoi ?
F.A. : Parce que le loup est un animal tellement conté,
« légendé », glosé, qu’il en est complètement surdéterminé, et
l’imaginaire (je parle du mien) n’est plus libre. Actuellement,
chez nous, je parle des fictions pour enfants, il n’échappe guère à
son enrôlement dans l’une ou l’autre des versions du conte du
Petit Chaperon rouge… et ses très intéressantes interprétations.
J’avais beaucoup aimé la lecture anthropologique d’Yvonne
Verdier 4, qui y voit un conte à portée initiatique traditionnelle.
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Celle d’Anne-Marie Garat (2004), qui signale l’inquiétante ubi-
quité du loup, et qui explore ce que Claude de la Genardière
(1996) désigne comme « la folie des mères qui livrent l’enfant à
la mort ». Claude de la Genardière voit, dans le conte et dans le
loup, le « prototype des questions que l’Autre nous pose depuis
toujours ». Pour l’instant, je suis trop passionnée par ces exégèses
sur le loup, animal des contes… Sans parler du loup de Vigny, de
Byron, de Verdet. Maintenant, je voudrais te poser une ques-
tion dont je te livre ainsi l’argument. Les Bêtes de longue
mémoire et Ours qui lit correspondent à deux « leçons » (si on
peut utiliser ce mot) politiques différentes : Ours qui lit peut être
compris comme une fable, c’est-à-dire que la transposition à
l’humain est immédiate (cela m’a fait penser au Matin Brun
publié par Franck Pavlov aux Éditions du Cheyne, en 2002).
L’animal le plus petit et le plus vulnérable échappe à la dévora-
tion de l’ours. Il est sauvé par sa parole, et, ajoutons-le, par une
certaine foi en l’écrit, puisqu’il lui suffit de demander à être
« rayé de la liste » (on pourrait d’ailleurs poser la question de la
4. Ethnologue et socio-
proximité du lire et du dévorer…). Dans mes poèmes des Bêtes, logue française, Yvonne
je tiens à suggérer l’animalité pour elle-même, tout au moins telle Verdier a publié plusieurs
que nous pouvons tenter de la ressentir. Je m’adresse directement articles sur le conte popu-
aux animaux pour les célébrer, en sachant évidemment que ce laire et en particulier sur
discours sera « intercepté » par les enfants. Le Petit Chaperon rouge.

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L’animal et l’imaginaire des enfants

Vois-tu les choses ainsi ?


M.B. : Tout à fait d’accord. Ours qui lit est bien sûr une fable,
une malicieuse histoire de résistance qui utilise ce personnage
d’ours pour incarner un comportement humain, une image du
pouvoir. Les Bêtes de longue mémoire sont au contraire de vraies
bêtes, exprimées dans leur identité animale. Même si dans Bêtes
de longue mémoire, il y a aussi inévitablement des fantasmes, tes
fantasmes…
F.A. : Oui, c’est sûr, il y a beaucoup de projections, par
exemple lorsque je dis :
Chevaux, est-ce vous qui portez loin
Nos chagrins en encolure
Et nos remords dans vos prunelles ?
De même à propos du chat, lorsque je l’interroge :
Nos cœurs blessés sauras-tu reverdir
Au chant de source où tes ronrons tu puises…
Mais je voudrais revenir à ton Ours qui lit pour te poser une
autre question : tu as créé un ours très lesté du côté de son ani-
malité, pas affublé de vêtements ni d’insignes, un ours un peu
« nounours », apparemment doux au toucher et bonasse, et il est
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quand même dévorateur… Comment concilies-tu ces deux
aspects dans ton dessin/peinture/collage ?
M.B. : Bien sûr que l’ours à la fourrure « peluche » qu’on a
envie de caresser est une image trompeuse. C’est plus intéressant
de le montrer ainsi, comme quelqu’un dont on ne se méfie pas au
premier coup d’œil. J’aime voir les enfants (et parfois les grands)
passer le bout de leurs doigts sur la page comme s’ils allaient
sentir le chaud et le touffu des poils de l’ours.
F.A. : Cela évoque le sens tactile si important dans la petite
enfance. Selon toi, qu’y a-t-il de particulier dans l’illustration
pour les tout-petits ?
M.B. : J’aime associer les formes rondes, douces, souples, et
les couleurs toniques, les oranges, les jaunes d’or, les vermillons.
Montrer un gros chat de feutrine rouge rayée de laines multi-
colores, c’est fabriquer, pour les petits, une image forte qu’ils
peuvent déchiffrer tout de suite, c’est utiliser un langage direct,
sans trop de manières. Les comptines se prêtent bien à ces mises
en images évidentes et simples. Pour le Grand cerf, j’ai joué avec
les courbes et les rondeurs pour rendre perceptibles la tendresse
et la chaleur d’une relation accueillante. Pour le conte de Muriel
Bloch, Le loup et la mésange, j’ai utilisé des écorces d’arbre pour

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Comment illustratrice et poète travaillent ensemble pour les enfants

le pelage du loup, et un tricot jaune et bleu pour l’oiseau.


Associer ces matières, c’est tenter de faire ressentir au jeune lec-
teur la sensation de l’agressif, du rude ou bien du doux.
F.A. : Je reviens à la fable, à l’animal comme détour. Pour
pouvoir se reconnaître, reconnaître les autres, que ce soit dans
des situations quotidiennes ou insolites, paisibles ou conflic-
tuelles, il faut, je crois, une échappée à l’affrontement direct, une
voie oblique, ou plutôt une voie qui passe par un détour, offrant
à la fois une décharge à l’identification (ce n’est pas de moi qu’il
s’agit, pourra penser l’enfant) et une prime de plaisir liée à la per-
ception des animaux eux-mêmes. Un exemple parmi d’autres,
destiné aux moins de 3 ans : Jean a deux mamans, d’Ophélie
Texier (2004). On voit un « petit loup » en salopette qui marche
sur ses deux pattes arrière, et deux « mamans-louves » pareille-
ment habillées. Ce qu’on peut estimer l’essentiel se trouve dit
avec du texte : ses deux mamans « s’aiment comme un papa et
une maman ». Mais ce qui est tout à fait extraordinaire, c’est la
rapidité (pas plus de quelques pages) avec laquelle, grâce aux
loups, est simultanément imagé et affirmé un fait de société,
l’homoparentalité, sur laquelle il y a eu pas mal de débats. Si,
avec la même brève présentation simplifiée, il y avait eu des
humains, quelque chose fonctionnerait moins bien, mais ce n’est
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pas si facile de dire quoi ! Dans les contes, on a toujours eu la dis-
tanciation à l’égard du temps : il était une fois ; la distanciation
dans l’espace : un château, un lointain royaume ; enfin une sorte
de distanciation à l’égard des habitudes spécifiques (au sens lit-
téral) : des animaux secourables qui parlent. Tout cela opère un
déplacement poétique qui rassure (il ne s’agit pas d’ici et de
maintenant) et qui ouvre à la salutaire rêverie, à la pluralité des
niveaux de lecture. On dit qu’il faut mettre des mots sur les peurs,
les angoisses, les énigmes, les émotions. Je dirais laissons les
enfants y mettre… des animaux ! Il y a avec eux une bonne dis-
tance, qui permet une bonne proximité.
M.B. : Tu me parlais l’autre jour d’anthropomorphisme…
F.A. : Oui, l’animal peut se trouver ouvertement humanisé.
Prenons l’exemple de Franklin la tortue 5, un animal-enfant qui
appartient à une espèce qu’on aurait pu croire difficilement
anthropomorphisable : une tortue. Eh bien, ça marche ! Mais
Franklin ne vit pas uniquement dans le peuple « tortue », il vit
5. Franklin la tortue est
avec d’autres animaux, qui sont des caractères humains comme le héros de multiples
chez La Fontaine : un renard, une marmotte, un ours, un escargot, logiciels ludo-éducatifs
etc. Ce sont des déguisements parfaitement transparents, et qui, pour les tout-petits. Les
bien qu’immédiatement et aisément démasqués, continuent à albums sont lus jusqu’à
jouer leur rôle psychique de masques. Il faut signaler l’impor- 5-6 ans.

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L’animal et l’imaginaire des enfants

tance, à ce propos, de la « simplicité animale » : j’ai travaillé avec


des psychologues et des éducateurs spécialisés qui montaient des
ateliers-contes à visée thérapeutique. Ils me disaient combien
c’était plus facile et plus fécond pour les enfants, quand il s’agis-
sait de se mettre à jouer le conte, de prendre les rôles d’animaux
plutôt que d’humains. Le détour ouvre la vue, libère les affects et
élargit l’esprit…
M.B. : Je suis d’accord avec cette idée de détour. Mais n’y a-
t-il pas aussi quelque chose comme un retour ? J’aime beaucoup
le retour aux sources de ton poème Noir de cible. Je citerai la der-
nière strophe :
Vois-tu passer
À même
La Bête
De part et d’autre du miroir
Gueules et mufles qui furent tiens ?
Penses-tu que l’enfant comprenne cette parenté évoquée ici ?
est-ce qu’il la connaît d’avance, avant qu’on la lui explique ?
F.A. : Il la connaît et la vit. Ce qu’on lui explique, c’est la
parenté « scientifique », la génétique, l’évolution, etc., mais
généralement, on ne lui inculque que trop, à la cartésienne, si je
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puis dire, que l’humain « n’est pas un animal », qu’il tirerait sa
dignité de cette différence-là. À ce propos, je pense au célèbre
tableau de Véronèse qui est au Louvre, Les Pèlerins d’Emmaüs.
L’événement principal, qui occupe la partie supérieure du
tableau, la reconnaissance du Christ par les disciples, c’est
quelque chose qu’ignorent, dans une joyeuse insouciance, les
enfants et leurs chiens enrubannés, embrassés tendrement, que
l’artiste a peints dans la partie inférieure de la scène. Il y a, là
aussi pour moi, avec le plaisir évident du peintre, une sorte d’ana-
logie, avec la reconnaissance des animaux par les enfants comme
des partenaires égaux de câlins et de jeux. Crois-tu que je délire ?
M.B. : Pas du tout ! Il y a les bêtes totems, protectrices, qui
dans d’autres civilisations – par exemple chez les Inuits, chez les
Amérindiens – jouent un rôle dans l’éducation des enfants. Cela
me fait penser à la découverte que j’ai faite, il y a quelques
années, de ce vase chinois en bronze du XIIe siècle avant J.-C.,
nommé La tigresse et qui m’a bouleversée. La « Bête » tient,
entre ses pattes, un enfant. Il est placide, mais il pose sa tête dans
la gueule ouverte de l’animal, entre les dents pointues. Il n’est pas
dévoré, il est protégé. C’est pour moi la représentation intense du
lien possible entre la nature-mère et l’humain, non pas combat,
domination et destruction, mais entente, échange et réconfort.

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Comment illustratrice et poète travaillent ensemble pour les enfants

C’est une merveilleuse leçon de vie. L’album composé et illustré


par Jiang Hong Chen, intitulé Le prince tigre (2005), raconte
cette très ancienne histoire : il parle d’un petit enfant, le fils d’un
empereur chinois, offert en sacrifice pour calmer la vengeance
destructrice d’une tigresse dont les petits avaient été tués par des
chasseurs. Épargné puis élevé par elle, dans le meilleur sens du
mot, il deviendra un souverain sage et bienveillant. Le moment
venu, il ira même jusqu’à confier l’éducation de son propre
enfant à la mère tigre.
F.A. : Quelle sagesse, en effet ! Alors qu’en Occident, comme
le note Florence Burgat (2001), « tout se passe comme si, pour
entrer dans le monde adulte, il fallait se résoudre à opérer une
violente coupure avec les animaux ». Comment les enfants
réagissent-ils aux images d’animaux lors de tes interventions/ani-
mations dans les salons du livre jeunesse, dans les bibliothèques
municipales ou autres, dans les écoles ? Et d’abord, comment
procèdes-tu ? Tu dessines sur de grandes feuilles blanches…
Quelles questions les enfants te posent-ils ?
M.B. : Quand je dessine, il y a en fait un grand silence, jus-
qu’au dernier trait de pinceau. Les enfants sont dans la fascina-
tion du « voir faire » dans l’immédiat, il n’y a pas de questions
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sur ce dessin. Avant, oui, il y a des questions. Elles portent sur la
technique utilisée, sur l’opportunité du collage pour illustrer telle
ou telle comptine… « Ça c’est quoi ? » demandent les enfants. Ils
essaient de reconnaître le matériau ou bien la chose qui a été
détournée de son usage propre ou de son lieu initial. Et puis, il y
a la question bateau : combien de temps tu mets pour faire ça ?
Les adultes posent exactement les mêmes questions. Ce qui m’in-
téresse, c’est le déclic pour qu’ils continuent. C’est quelque
chose de familier pour eux, de ramasser des bricoles, des
« cochonneries », des feuilles, des bouts de carton, des bouts de
bois ou de plastique… Dans le travail d’atelier-collage pour les
enfants de 4 à 5 ans, où on se sert de papiers déchirés puis collés,
je leur demande de réaliser un dinosaure, c’est l’animal le plus
simple et le plus évident à faire en papier déchiré. Il est gros, les
enfants le « voient » bien. J’essaie ensuite qu’ils le mettent en
mouvement, de faire bouger les pattes. C’est le début de l’ani-
mation : donner vie à quelque chose, et aider à donner vie à
quelque chose, c’est ça qui me passionne… J’ai incorporé des
feuilles aux dessins des Bêtes de longue mémoire. L’alliance du
végétal et de l’animal me semble évidente. Elle existe dans tes
textes et je l’ai montrée presque à chaque page. Quant aux pages
de garde, pleines de bestioles, elles sont là pour amuser le lecteur
et lui proposer de fabriquer aussi ses bêtes-feuilles.

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L’animal et l’imaginaire des enfants

F.A. : Constates-tu une évolution, disons depuis une vingtaine


d’années, dans ta manière de travailler ?
M.B. : La technique du collage est venue, il y a une dizaine
d’années, comme une libération par rapport au dessin.
F.A. : Est-ce que cela se rapproche de Matisse et de ses papiers
découpés ?
M.B. : Non, ce n’est pas découpé, comme Matisse qui cher-
chait des formes précises, même s’il disait laisser les ciseaux
guider sa main. Avec le papier déchiré, tu as une tache, c’est
moins précis.
F.A. : Et c’est quelque chose qui se laisse interpréter…
M.B. : Oui, et le hasard s’en mêle… Et maintenant, une ques-
tion plus personnelle : qu’est-ce qui te fait considérer les animaux
avec tant de respect et de reconnaissance ? Penses-tu qu’il serait
temps d’apprendre aux petits d’homme tout ce que nous leur
devons ?
F.A. : Tu touches là à ma conviction la plus intime, la plus pro-
fonde. Reconnaissance aux animaux d’être ce qu’ils sont et de
persévérer dans leur être, malgré les nuisances humaines. As-tu
vu le documentaire original et attachant de Catherine Garanger,
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Petits oiseaux et grands savants ? Il a été tourné en 2004. Cela se
passe sur la grande dune de Courlande, sur la côte de la mer
Baltique. C’est le « roitelet » qui conte l’histoire : celle des
savants qui baguent les passereaux pour comprendre leurs migra-
tions, et celle des petits oiseaux, fragiles, vulnérables, et coura-
geux. Catherine Garanger nous dit : « Les savants inscrivent des
chiffres sur leur pense-bête ; le pense-bête peut penser, il ne com-
prend pas. Peut-être faut-il, pour penser, être à l’intérieur de la
bête ? » Et elle s’interroge par la voix du « roitelet » : « Et si les
hommes avaient trahi la terre qui nous nourrit… il n’y aurait plus
de place pour les poètes et les enfants, ni pour les petits oiseaux,
ni pour les grands savants… »

RÉFÉRENCES
ARMENGAUD, F. 2005. Bêtes de longue mémoire, III, Paris, Éditions du Rocher.
BOURRE, M. 1993. Le Palefroi, Paris, Éditions du Père Castor.
BOURRE, M. 1998. Un grand cerf, Paris, Didier Jeunesse.
BOURRE, M. 1999. Le loup et la mésange, texte de Muriel Bloch, Paris, Didier Jeunesse.
BOURRE, M. 2006. La licorne, Paris, École des Loisirs.
BOURRE, M. 2006. Ours qui lit, texte de E. Pintus, Paris, Didier Jeunesse.
BURGAT, F. 1996. Animal mon prochain, Paris, Odile Jacob.
BURGAT, F. 2001. « Animaux des contes, animaux de l’histoire », dans B. Lechevalier,
G. Poulouin et H. Sybertz (sous la direction de), Les contes et la psychanalyse, Paris, In
Press, p. 57-69.

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Comment illustratrice et poète travaillent ensemble pour les enfants

BURGAT, F. 2004. « L’animal dans nos sociétés », La documentation française, 896.


CYRULNIK, B. (sous la direction de). 1998. Si les lions pouvaient parler. Essais sur la
condition animale, Paris, Quarto Gallimard.
DE FONTENAY, E. 1998. Le silence des bêtes, Paris, Fayard.
DE LA GENARDIÈRE, C. 1996. Encore un conte. Le Petit Chaperon rouge à l’usage des
adultes, Paris, L’Harmattan.
GARAT, A.-M., 2004. Une faim de loup. Lecture du Petit Chaperon rouge, Paris, Actes
Sud.
GROSSMAN, V. 2002. Vie et destin. Tout passe et autres nouvelles, Paris, Pocket.
HUGO, V. 1877-2002. L’art d’être grand-père, Paris, Gallimard-Poésie.
JIANG HONG CHEN. 2005. Le prince tigre, Paris, École des Loisirs.
SENDAK, M. 1967. Max et les Maximonstres, Paris, École des Loisirs.
SENDAK, M. 2000. Cuisine de nuit, Paris, École des Loisirs.
TERXIER, O. 2005. Jean a deux mamans, Paris, École des Loisirs.
VERDIER, Y. 1979. Façons de dire, façons de faire, Paris, Gallimard.

AUTRES PUBLICATIONS DE FRANÇOISE ARMENGAUD


La pragmatique, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 4e éd. 1999.
Bestiaire Cobra. Une zoo-anthropologie picturale, Paris, Éditions de la Différence,
1992.
De l’oblitération – Conversation avec Emmanuel Levinas sur l’œuvre de Sosno,
Paris, Éditions de La Différence, 1992.
« Les figures politiques de l’animalité dans l’Antiquité grecque »,
Champ psychosomatique, n° 4, déc. 1995, p. 53-60.
« Le nom à l’œuvre et l’œuvre du nom. Fonction du titre dans les Beaux-Arts »,
dans J. Clerget, Le nom et la nomination, Toulouse, érès, 1998.
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« Lacan avec/sans Popper ? “Quête inachevée” et “Moment de conclure” »,
dans Interfaces Psy, 1998, p. 31-46.