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L'INCONSCIENT
Dominique Fessaguet
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2. Ibid., p. 24.
3. Ibid., p36
4. Centre Georges Pompidou, Dossier sur les collections du musée national d’art moderne.
5. Ibid.
6. Le Courrier littéraire, 1930.
7. Breton A, (1924), op. cit. p. 36.
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ET SES RAPPORTS AVEC L’INCONSCIENT
et de ceux de tous les autres. Dites-vous bien que la littérature est un des plus
tristes chemins qui mènent à tout. Écrivez vite sans sujet préconçu, assez vite
pour ne pas retenir et ne pas être tenté de vous relire. La première phrase viendra
toute seule, tant il est vrai qu’à chaque seconde il est une phrase étrangère qui
ne demande qu’à s’extérioriser [..] continuez autant qu’il vous plaira. Fiez-vous
au caractère inépuisable du murmure. »10
Libérer les mots, les extraire de leur contexte utilitaire, désarrimer la distinc-
tion entre signifiant et signifié est un des objectifs. Considérer les mots en soi,
examiner les réactions/interactions des uns par rapport aux autres : « Ce n’est
qu’à ce prix qu’on pouvait rendre au langage sa destination pleine, ce qui, pour
quelques-uns dont j’étais, devait faire un grand pas à la connaissance, exalter
d’autant la vie » écrit Breton dans « Les Pas perdus »11 Pour André Breton, la
production d’œuvre d’art n’est pas une fin en soi, l’écriture automatique
synonyme d’écriture surréaliste, doit « éclairer la partie non révélée et pourtant
révélatrice de notre être où toute beauté, tout amour, toute vertu que nous
connaissons à peine luit d’une matière intense »12
Le Manifeste affirme l’existence d’une région « surréelle » dont chacun
possède la clé en soi, un territoire non révélé où beauté et amour brillent.
L’Inconscient ? L’écriture automatique semble une révélation de lui-même pour
le traceur d’écriture, comme le rêve peut surprendre le rêveur.
8. Ibid., p. 41.
9. Ibid., p. 41.
10. Ibid., p. 41.
11. Breton A., (1924), Les pas perdus, Paris, NRF, (Recueil d’articles).
12. Breton A., (1924), Op. cit. p. 25.
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L’hypothèse d’un lieu en soi où l’or pur de la pensée, minerai brut, serait
découvert grâce à l’exploration qu’offre l’écriture automatique, pour une écriture
sans sujet, conduit à l’hypothèse d’un non travail de la pensée, d’une donnée à
l’état premier, sans travail de transformation. Peut-être, est-ce dans cet esprit que
Breton proposait à Freud en 1937, un livre auquel il pensait, un livre de récits
de rêves qui se serait appelé Trajectoire du rêve. La vérité du rêve révélée par le
récit ? Le récit du rêve dans une identité avec le rêve, une identité entre l’image
de chose et l’image de mot ? La réponse de Freud a été sans appel : « Un recueil
de rêves sans les associations qui y sont ajoutées, sans la connaissance des
circonstances dans laquelle un rêve a eu lieu – un tel recueil pour moi ne veut
rien dire et je ne peux guère imaginer ce qu’il peut vouloir dire pour d’autres. »13
Si la découverte de l’Inconscient suppose la découverte de territoires
corps, de la main qui trace ? Fantasme tout puissant d’un accès aux mystères de
la création ? Fantasme d’une écriture sans travail du langage ?
E. Jaques nous rappelle que la création entre vingt et trente ans est brûlante.
« Elle est intense, spontanée, l’œuvre est d’emblée définitive. Les effusions
spontanées de Mozart, Keats, Shelley et Rimbaud en sont le prototype. La plus
grande partie du travail semble se faire inconsciemment. La production
consciente est rapide, la vitesse de création n’étant souvent limitée que par la
capacité de l’artiste d’enregistrer matériellement les mots ou la musique qui lui
servent d’expression »14 dit-il.
En cela le Manifeste renvoie au plus près à ce type de création. Cependant, ce
qu’E. Jaques avance, est une sorte de raccourci temporel d’un processus bel et
bien à l’œuvre. Je veux parler d’un processus de création littéraire et plus parti-
culièrement poétique que Freud et beaucoup plus tard D. Anzieu, M de M’Uzan
et J. Guillaumin, ont décrit. Tous décrivent un processus, alors, comment inscrire
le projet d’un accès direct à l’Inconscient pour une création poétique ? Un
leurre ? Une intuition ?
Les théories psychanalytiques décrivent toutes le travail du créateur en un
travail en plusieurs phases, mais, des phases avec un processus de transforma-
tion. Je les rappelle brièvement, un moment de saisissement ou d’inspiration qui
est un moment de désorganisation pour le sujet et lui permet la prise de
conscience d’un représentant psychique inconscient, qu’il érigera en code
organisateur de l’œuvre et choisira un matériau apte à doter ce code d’un corps,
13. Freud S., cité in Roudinesco E. (1982) La bataille de cent ans. Histoire de la psychana-
lyse en France, Paris, Ramsay, vol II, p 49.
14. Jaques E., (1963), « Mort et crise du milieu de la vie » in Psychanalyse du génie créateur,
Paris, Bordas, (1984) p. 241.
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ET SES RAPPORTS AVEC L’INCONSCIENT
puis composera l’œuvre dans ses détails, la produira au dehors. Autrement dit, le
créateur va se saisir du langage dans les rapports personnels et intimes qu’il a
avec celui-ci et engager son travail d’écriture. Le poème demande des agence-
ments particuliers.
La poésie a souvent été donnée pour paradigmatique de la création littéraire.
Le travail du poète concerne de près la substance corporelle des mots. Dans cet
agencement minutieux, syllabe par syllabe, mot par mot, produisant un son, une
« trouvaille » déclenche un effet émotionnel d’élation esthétique, de saisissement
chez le lecteur.
Breton, en parlant de « premier et dernier jet »15 dans l’écriture automatique
nous offre-t-il un raccourci ? C’est-à-dire la proposition d’un court-circuit de ce
travail d’élaboration cher à certains littérateurs et poètes : le travail sur le
poétique.
En analogie avec le rêve, Freud remarque dans L’interprétation des rêves17
que la condensation opère de façon identique dans la poésie, une pensée venant
d’autres horizons viendra sur la possibilité d’expression d’un autre, différencier,
faire un choix, comme dans le travail poétique. Plusieurs pensées peuvent être
exprimées, comme dans le rêve, dans une « syntaxe équivoque »18 et les jeux de
mots servent le travail du poète comme du rêveur.
Lorsque Breton préconise dans l’écoute du « murmure »19, la captation
d’images insolites, bizarres, incongrues, il nous ramène à la traversée solitaire, le
flot énergétique dégagé par le saisissement du premier moment créateur :
« Le contenu du drame, en effet c’est le chaos »20
Ce chaos peut devenir création du moment qu’il peut être traduit en repré-
sentations, fantasmes, même les plus effrayants, les plus terrifiants et archaïques.
Ceux-ci constituent un début d’aménagement-réaménagement. Le travail de
l’écriture automatique va favoriser la stase de ces matériaux, qui vont se mettre
en mots. Le principe de l’écriture automatique, qui a été expérimenté de
conserve avec les expériences d’hypnose, travail sur les rêves, a permis une
porosité des frontières du soi, donné accès à des réalités psychiques où moi et
non-moi ont droit de cité. Ce travail engage à prendre, comme dans toute
Dominique FESSAGUET
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DOMINIQUE FESSAGUET – LE MANIFESTE SURRÉALISTE 119
ET SES RAPPORTS AVEC L’INCONSCIENT
Résumé : Par la pratique de l’écriture automatique, les surréalistes ont voulu attester
d’un sur-réel issu en droite ligne de l’inconscient freudien, inconscient qu’A. Breton avait
découvert à la lecture de S. Freud. Le malentendu entre les deux hommes a été certain, his-
torique pourrait-on dire. Cependant, si l’on considère les processus psychiques à l’œuvre
lors de la création littéraire, on peut penser que ce malentendu est en fait un malentendu
et que surréalisme et inconscient freudien peuvent se rejoindre.
Mots-clés : Surréalisme – Écriture automatique – Rêve – Inconscient.
Dominique Fessaguet – The Surrealist Manifesto and its Relation with the Unconscious.
indeed just that, as Surrealism and the Freudian unconscious have much in common.
Key-words : Surrealism – Automatic Writing – Dream – Unconscious.