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Brigitte Allain-Dupré
2004/2 - no 14
pages 103 à 122
ISSN 1628-9676
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De l’autre côté du miroir,
la face cachée du complexe
Brigitte Allain-Dupré
transfert pour nous permettre d’ouvrir cette réflexion sur une courte vignette
clinique.
À la recherche d’une spécialisation dans ses études médicales, Jung jeune
étudiant, tombe sur le manuel de psychiatrie de Krafft-Ebing dans lequel il
lit que la maladie mentale est une maladie « de la personne » face à laquelle
le médecin s’engage « avec la totalité de son être ». Cette révélation, au sens
propre du terme qui lui permet de connaître par une voie surnaturelle quelque
chose d’inconnu, va donner une orientation tout à fait spécifique à ses
premiers travaux scientifiques.
À partir des observations et réflexions cliniques de sa thèse de médecine
Psychologie et pathologie des phénomènes dits occultes 2, il pose les bases
de sa compréhension du fonctionnement psychique dans lequel s’animent des
instances qu’il nommera « complexes » et qu’il décrira comme des éléments
personnels autonomes appartenant au fonctionnement du moi mais n’y étant
pas encore intégrés, ou tout au moins qui ne sont pas reconnus ni assumés
par lui 3. Jung construit alors les prémices d’une conception d’un inconscient
organique, vivant et dynamique. Il va jusqu’à suggérer que la manifestation
du complexe peut être porteuse d’un avenir si on accepte de le décrypter
de manière prospective, c’est-à-dire en inscrivant le message dont il est
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Mais ce qui intéresse Jung au premier chef est de repérer les effets de
La dissociabilité de la psyché
La notion de dissociabilité de la psyché qui découle de la théorie
jungienne des complexes « signifie que ces parts de la psyché se détachent
elles-mêmes de la conscience jusqu’à un tel point que non seulement elles
106 IMAGINAIRE & INCONSCIENT
paraissent étrangères mais mènent une vie autonome de leur côté. » 10 Jung,
dans une attitude de clinicien moderne, va se mettre alors à écouter les
histoires que ses malades de l’hôpital lui racontent ; il accueille de manière
très originale pour l’époque, la voix du complexe comme l’expression d’un
aspect de la vie psychique infigurable autrement que dans ces formes disso-
ciées, à cause des trop faibles ressources symboliques dont dispose le moi
fragile de ces patients.
La position contre-transférentielle qui est alors la sienne et qu’il
développera dans ses travaux à propos de l’identité inconsciente ou parti-
cipation mystique, pourrait s’approcher de ce que César et Sára Botella 11
décrivent comme régression formelle de la pensée de l’analyste : « si l’ana-
lyste n’a pas recours à des solutions défensives : investissement narcissique
de l’analysé en tant que double, convictions toutes faites des théories analy-
tiques « prêtes-à-porter », mémoire, réinvestissement de ses propres traces
mnésiques inconscientes aboutissant à un contre-transfert et donnant un sens
« déjà connu » à la relation, il se trouve confronté à la régression formelle
de sa pensée, à l’inconnu. [...] Au plus près de l’inconnu éveillé par l’analysé,
des interprétations particulièrement intuitives pourront ainsi surgir chez l’ana-
lyste. Par voie régrédiente directe, ces interprétations frayent l’accès à
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Parmi ces archétypes, la persona et l’ombre sont sans doute les deux
modalités psychiques décrites par Jung qui nous rapprochent le plus du thème
du double en nous permettant de l’explorer de manière originale. Bien qu’il
ne lui ait plus apporté de modification après 1928, le concept de persona
est intéressant à plus d’un titre, puisqu’il rend compte, en l’absence d’une
métapsychologie systématisée chez Jung, d’une modalité d’identification et
de constitution du moi, à la charnière entre le monde interne et celui des
investissements d’objet, et des représentations collectives.
La persona
Persona est le nom latin du masque que l’acteur porte sur scène pour
cacher son visage, se désingulariser en quelque sorte, afin d’amplifier la
puissance d’évocation universelle de sa parole. Comme toujours, les accep-
tions que Jung propose à la notion de persona tout au long de son œuvre sont
multiples et ouvrent sur des champs variés de l’expérience : mais toutes
ont à voir avec l’idée d’une identification aux valeurs ou aux figures qui
appartiennent au monde collectif. Aujourd’hui, dans la foulée du dévelop-
pement des travaux sur l’attachement, on pourrait dire que la persona prend
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L’ombre
pas du côté du spéculaire, mais bien de l’autre côté du miroir, sur le versant
qu’on repère dans l’analyse, n’ont pas cette coloration négative mais au
contraire se manifestent sous forme d’inflation, de grandiosité ou de fasci-
nation alors que leur lien avec l’ombre est en relation directe avec la difficulté
du sujet à reconnaître et à assumer les limites de son moi.
On le voit plus clairement maintenant, l’idée d’ombre chez Jung n’est
pas à entendre seulement dans une complémentarité, ni même dans un couple
d’opposés, fussent-ils dynamiquement reliés, mais elle appartient bien à la
personnalité, elle est la personnalité non développée, parfois rejetée par le
moi et projetée à l’extérieur, l’ombre c’est alors l’étranger inquiétant en soi,
cet autre-en-nous. Elle peut aussi prendre les habits d’un étranger mer-
veilleux, fascinant, les limites de notre identité se décentrant vers des valeurs
et des sentiments imaginaires.
L’ombre apparaît alors comme un organisateur qui donne vie à des dimen-
sions qu’aussi bien l’inconscient collectif que l’inconscient personnel
refoulent : dans une société qui promeut toujours plus les valeurs de liberté,
de désir et d’idéal, dans un rapport indifférencié à des imagos parentales
teintées de grandiosité, les images d’ombre nous rappellent cette autre moitié
de notre ciel, faite de vulnérabilité, de fragilité et de réserve, toutes choses
qui n’ont pas cours dans notre monde externe, mais qui, pourtant nous consti-
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enfance. Elle pensait ne rien comprendre à cet enfant qui a eu très tôt
(4 semaines) une allergie au lait, une bronchiolite et des problèmes de peau.
On pourrait dire que le moi de la mère, identifiée à sa persona de
soignante, n’a pas pu être sollicité par les émotions et les représentations
internes et d’ordre inconscient que la maternité déclenche. De plus, la surva-
lorisation du collectif familial l’a contaminée, lui rendant inaccessible sa
tâche modeste et intime de mère suffisamment bonne. D’emblée l’enfant a
manifesté une grande souffrance psychique à laquelle la mère n’a pas su
comment répondre ; ce qui lui confirmait en miroir la réalité de son incom-
pétence. Les premiers mois ont été extrêmement difficiles, à tel point qu’elle
a préféré le donner en nourrice de jour plutôt que de prolonger un possible
congé de maternité dont elle avait rêvé.
Les mois passants et la mère rassurée par la bonne adaptation de l’enfant
chez la nourrice, leur relation s’améliore, mais sur un mode extrêmement
fusionnel : elle se souvient qu’elle lui cédait sur tous ses désirs : « J’avais
besoin qu’il m’accepte... ». À l’âge de deux ans, période de la crise d’oppo-
sition dans l’émergence de la pulsionnalité œdipienne, Raphaël commence
à avoir de très fortes colères : la mère avait alors compris qu’elle ne pouvait
plus lui céder toujours et elle commençait à mettre des limites. Cependant,
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Brigitte ALLAIN-DUPRÉ
Psychanalyste
Société Française de Psychologie Analytique - Institut C.G. Jung
5 rue Beautreillis
75004 Paris
120 IMAGINAIRE & INCONSCIENT
Notes
1. Jung C.G., Ma vie, souvenirs rêves et pensées, recueillis par Aniela Jaffé, trad. R. Cahen,
et Y. Le Lay, Paris, Gallimard, p. 71, 1973.
2. Jung C.G., « Psychologie et pathologie des phénomènes dits occultes », in L’Énergétique
psychique, trad. Y. Le Lay, Genève, Librairie de l’Université Georg, 1981.
BRIGITTE ALLAIN-DUPRÉ • DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR, 121
LA FACE CACHÉE DU COMPLEXE
11. Botella C. & S., « La dynamique du double », in Le double, Revue française de psycha-