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DE L'AUTRE CÔTÉ DU MIROIR, LA FACE CACHÉE DU COMPLEXE

Brigitte Allain-Dupré

L'Esprit du temps | Imaginaire & Inconscient

2004/2 - no 14
pages 103 à 122

ISSN 1628-9676

Article disponible en ligne à l'adresse:


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http://www.cairn.info/revue-imaginaire-et-inconscient-2004-2-page-103.htm
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Pour citer cet article :
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Allain-Dupré Brigitte, « De l'autre côté du miroir, la face cachée du complexe »,
Imaginaire & Inconscient, 2004/2 no 14, p. 103-122. DOI : 10.3917/imin.014.0103
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De l’autre côté du miroir,
la face cachée du complexe

Brigitte Allain-Dupré

« Il y avait une grande différence entre les deux personnalités


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de ma mère. Il est arrivé, lorsque j’étais enfant que j’eusse

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à son sujet des rêves d’angoisse. Le jour, elle était une mère aimante,
mais la nuit, elle me paraissait redoutable. Elle me semblait être
comme une voyante, et en même temps un étrange animal,
comme une prêtresse dans l’antre d’un ours, archaïque et scélérate. » 1

Carl Gustav JUNG

Aux origines de l’idée de complexe

À partir de cette notation de la main même de Jung dans ses mémoires,


on pourrait introduire le sujet du double par l’amplification du thème des
deux mères, comme le fit Freud quand il élaborait la psychogenèse d’un
souvenir d’enfance de Léonard de Vinci ; texte qui, rappelons-le, emporta la
totale adhésion de Jung quand il le reçu des mains de son auteur. Mais l’expli-
cation psycho biographique serait un peu courte pour rendre compte de la
richesse des ouvertures que la question du double propose à la pensée analy-
tique jungienne. Nous serons pourtant bien obligé d’en passer par quelques
éléments d’histoire des idées pour donner un cadre à l’articulation que nous
proposons entre complexe et double que nous développerons à travers les
notions jungiennes de persona et d’ombre. Nous évoquerons également la
spécificité de l’aspect de mutualité qui habite la conception jungienne du

Imaginaire & Inconscient, 2004/14, 103-121.


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transfert pour nous permettre d’ouvrir cette réflexion sur une courte vignette
clinique.
À la recherche d’une spécialisation dans ses études médicales, Jung jeune
étudiant, tombe sur le manuel de psychiatrie de Krafft-Ebing dans lequel il
lit que la maladie mentale est une maladie « de la personne » face à laquelle
le médecin s’engage « avec la totalité de son être ». Cette révélation, au sens
propre du terme qui lui permet de connaître par une voie surnaturelle quelque
chose d’inconnu, va donner une orientation tout à fait spécifique à ses
premiers travaux scientifiques.
À partir des observations et réflexions cliniques de sa thèse de médecine
Psychologie et pathologie des phénomènes dits occultes 2, il pose les bases
de sa compréhension du fonctionnement psychique dans lequel s’animent des
instances qu’il nommera « complexes » et qu’il décrira comme des éléments
personnels autonomes appartenant au fonctionnement du moi mais n’y étant
pas encore intégrés, ou tout au moins qui ne sont pas reconnus ni assumés
par lui 3. Jung construit alors les prémices d’une conception d’un inconscient
organique, vivant et dynamique. Il va jusqu’à suggérer que la manifestation
du complexe peut être porteuse d’un avenir si on accepte de le décrypter
de manière prospective, c’est-à-dire en inscrivant le message dont il est
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porteur dans le besoin de croissance et de réalisation soutenue par l’énergie
de ce qu’il décrira dans la suite de ses recherches comme le soi 4 du sujet.
On peut dans cette étude lire les expériences menées par Jung comme
une sorte de déclinaison des rêveries d’une jeune adolescente aux prises avec
les aspects conflictuels d’un projet féminin inconscient. Jung fait 5 en effet
l’hypothèse qu’il ne s’agit « pas d’autre chose que de nouvelles formations
de caractère ou des tentatives de percée de la personnalité future qui, par
suite de difficultés particulières se trouvent liées à certains troubles de la
conscience. »
Son travail à l’hôpital psychiatrique du Burghölzli, alors dirigé par Eugen
Bleuler, le met en contact quotidien avec des malades psychotiques et lui
permet de conforter ses intuitions sur le rôle à donner aux phénomènes de
dissociation à l’origine de la formation des complexes, et cela non pas dans la
seule acception pathologique classique, mais également dans l’approche dyna-
mique des fonctionnements psychiques, c’est-à-dire comme une forme de pro-
position de la résolution d’un conflit qui aura à être pris en compte par le moi.
Pour la jeune psychiatrie de la fin du XIXe siècle, si l’existence de l’incons-
cient était acquise, les expériences médiumniques, le somnambulisme, l’hyp-
nose, sans parler de l’observation des hystériques sont le champ d’exploration
privilégié au sein duquel la question de la discontinuité entre la conscience
et l’inconscient est activement explorée et dont les manifestations sont
décrites en termes de « personnalités multiples ». Un des exemples les plus
marquants de ces travaux est fourni par Théodore Flournoy, qui a inspiré
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LA FACE CACHÉE DU COMPLEXE

quant à la méthode employée, la première publication de Jung sur les délires


de Miss Miller dans Métamorphoses et symboles de l’inconscient 6, ouvrage
qui scellera sa séparation d’avec Freud en 1912.
Le chercheur reste alors, comme aujourd’hui, face à la question essen-
tielle du lien unissant la personnalité consciente à l’inconsciente et de leurs
rapports réciproques. Pour mémoire, rappelons que Pierre Janet développe
ses travaux à la Salpêtrière à propos de l’hystérie et que Jung y fait un stage
d’étude au cours de l’hiver 1902. L’abaissement du niveau mental, la
faiblesse du moi sont des notions qui permettront à ce dernier de comprendre
des affections dans lesquelles le manque, le manque de symbolisation ou
encore la mise en représentation dans le corps, sont liés à une restriction
du champ de conscience, ce qui évidemment diffère profondément de la
notion freudienne de refoulement.
L’application de ces intuitions trouvera pour Jung un premier champ
d’expérimentation clinique dans les expériences d’association 7 qu’il mène
à l’hôpital, à la fois comme recherche mais aussi comme conduite théra-
peutique. On sait qu’il a soumis ces tests à Sabina Spielrein 8 qui réagit, par
exemple, au mot « battre » en étant incapable de se le remémorer.
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Mais ce qui intéresse Jung au premier chef est de repérer les effets de

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compensation de l’abaissement du niveau mental qui laisse apparaître sur la
scène inconsciente du sujet les voies de dégagement d’une psyché qui figure,
personnifie et donne vie à ces contenus complexuels qu’on a longtemps crus
être de purs délires quand ce n’était pas l’expression immorale d’une
quelconque possession démoniaque, et donc coupable.
Jung qualifie ces complexes par leur « tonalité affective » signifiant par
là même leur forte composante personnelle et précisant en même temps leur
autonomie qui les rend parfois difficilement identifiables à la personnalité
consciente, telle qu’on croit la connaître. Ces complexes permettent donc de
rendre compte de l’idée d’une psyché qui n’est pas une unité, mais une multi-
plicité contradictoire de complexes qui interagissent entre eux : « Tout
complexe autonome, et ne fut-il que relativement autonome, présente la parti-
cularité de surgir sous forme d’une personnalité, c’est-à-dire de surgir, sur
l’écran du fond mental, personnifié. » 9 Cette figurabilité du complexe, dans
ses aspects les plus personnifiés, nous met d’emblée en contact avec une
acception jungienne tout à fait typique des multiples facettes de la vie
psychique, dans l’entre deux du double, à la fois ce qui est moi et non-moi.

La dissociabilité de la psyché
La notion de dissociabilité de la psyché qui découle de la théorie
jungienne des complexes « signifie que ces parts de la psyché se détachent
elles-mêmes de la conscience jusqu’à un tel point que non seulement elles
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paraissent étrangères mais mènent une vie autonome de leur côté. » 10 Jung,
dans une attitude de clinicien moderne, va se mettre alors à écouter les
histoires que ses malades de l’hôpital lui racontent ; il accueille de manière
très originale pour l’époque, la voix du complexe comme l’expression d’un
aspect de la vie psychique infigurable autrement que dans ces formes disso-
ciées, à cause des trop faibles ressources symboliques dont dispose le moi
fragile de ces patients.
La position contre-transférentielle qui est alors la sienne et qu’il
développera dans ses travaux à propos de l’identité inconsciente ou parti-
cipation mystique, pourrait s’approcher de ce que César et Sára Botella 11
décrivent comme régression formelle de la pensée de l’analyste : « si l’ana-
lyste n’a pas recours à des solutions défensives : investissement narcissique
de l’analysé en tant que double, convictions toutes faites des théories analy-
tiques « prêtes-à-porter », mémoire, réinvestissement de ses propres traces
mnésiques inconscientes aboutissant à un contre-transfert et donnant un sens
« déjà connu » à la relation, il se trouve confronté à la régression formelle
de sa pensée, à l’inconnu. [...] Au plus près de l’inconnu éveillé par l’analysé,
des interprétations particulièrement intuitives pourront ainsi surgir chez l’ana-
lyste. Par voie régrédiente directe, ces interprétations frayent l’accès à
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l’irreprésentable, autrement inaccessible, de l’analysé. »12
Au-delà des expériences d’associations, les recherches de Jung à propos
du contenu des délires de ses patients l’amènent à identifier le fond culturel
et religieux lié aux grands mythes de l’humanité et qu’il reconnaît dans les
productions des schizophrènes. L’émergence et le contenu de ces produc-
tions lui paraissent pouvoir remplir la même fonction de sens et donc, de
résolution des conflits, que l’usage culturel et religieux en fait dans toutes
les civilisations et de tout temps.
Déjà, dans sa thèse de médecine, la question du rapport au mythe était
posée dans les dédoublements de personnalité de la jeune fille, sujet de son
étude clinique, mais exclusivement sous l’angle de la pathologie de la mytho-
manie. À partir de 1906, les échanges épistolaires avec Freud le conduisent
à poursuivre sa réflexion sur les productions de l’inconscient dans la voie
d’une différenciation de plus en plus précise vis-à-vis de la suprématie du
refoulé sexuel freudien. C’est le rêve, qu’il fait à bord du paquebot qui les
ramenait des États-Unis 13 avec Freud et Ferenczi qui lui permet de préciser
son idée de l’inconscient collectif : il y voyait une maison pourvue, au-
dessous de sa cave ordinaire, d’une cave supplémentaire sous laquelle se
trouvait encore un agrégat de poteries, d’ossements et de crânes préhisto-
riques. Freud lui interpréta qu’il s’agissait de désirs de mort à propos d’une
personne de son entourage et Jung de son côté se mit à approfondir ses
connaissances à propos des mythes et du symbolisme pour mettre en
évidence leur accointance avec les contenus des délires des patients psycho-
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LA FACE CACHÉE DU COMPLEXE

tiques. On peut voir dans cette simple anecdote un Jung phénoménologue,


empiriste, d’abord attentif à l’observation de son propre inconscient.
La notion jungienne de complexe introduit donc particulièrement bien
cette formation du double, dans une acception qui ne renvoie pas exclusi-
vement au même comme un certain niveau d’usage lexical peut nous le faire
penser, mais avant tout à une dimension du monde interne intimement et
émotionnellement vécue comme partie de soi et en même temps séparée,
parce qu’étant projetée sur l’autre, dans le monde externe ; elle peut alors
être perçue comme négative, insupportable, et donc étrangère, ou encore
comme fascinante et activant une forme de possession dans la psyché incons-
ciente de celui qui en est habité. Cette notion de complexe introduit la
dimension subtile de la reconnaissance de l’altérité sur la scène intérieure,
réverbérée dans et par la relation à l’autre, et elle conduit à reconnaître la
difficile, sinon impensable, altérité de l’autre.
On s’étonne parfois des appellations étranges données par Jung à ses
concepts : anima, animus, ombre, persona, etc. En fait, à travers l’approche
complexuelle, on comprend qu’elles répondent à l’idée de personnification
d’instances vivantes par lesquelles la dialectique du moi et de l’inconscient
établit un dialogue actif et créatif. En les nommant complexes autonomes,
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Jung indique aussi le statut qu’il leur attribue : dotés d’une énergie spéci-
fique, les complexes vivent leur vie faite de rencontres, de recompositions,
de décompositions dans les mouvements profonds de la vie psychique
inconsciente confrontée aux aventures du monde externe. Par sa puissance,
la vitalité de la vie complexuelle dans la psyché de l’individu évoque les
entités spirituelles, âmes errantes, esprits malins ou bénéfiques, quand il
ne s’agit pas d’animaux fantastiques ou de phénomènes naturels incontrô-
lables, qui, de tout temps ont habité la croyance humaine.
« Non seulement les processus psychiques témoignent souvent d’une
remarquable indépendance par rapport aux faits vécus par la conscience,
mais on peut aussi discerner un net relâchement ou une séparation dans les
processus conscients, [...] il existe des cas où ce n’est pas à proprement parler
la personnalité tout entière qui est scindée en deux, mais où seules de petites
parties s’isolent. Il s’agit même de très antiques expériences de l’humanité,
que reflète l’hypothèse universellement répandue d’une pluralité d’âmes
en un seul et même individu. »14
« On le sait, ajoute Jung, l’expérience psychiatrique montre qu’il suffit de
bien peu de choses pour faire éclater le semblant d’unité de la conscience « pour
la désagréger en ses éléments premiers. » 15 On pense aux notions de cryptes
et de fantômes décrites par Nicolas Abraham et Maria Torok. L’importance
donnée à la phénoménologie, qui permet à Jung de ne pas douter de la réalité
des phénomènes psychiques issus de la dissociabilité de la psyché, l’autorise
à relier ces phénomènes à l’expression d’une autre réalité, mythologique,
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préhistorique ou historique, celle-là : « Ces figures psychiques dotées d’une


énergie considérable, souvent destructrice, symbolisent une libido surhu-
maine, aux multiples visages par laquelle s’actualisent, dans l’état profon-
dément régressé de ces patients, des problématiques plus « primitives »
qu’infantiles, plus impersonnelles que propres au sujet et à son histoire. »16
Jung donne un statut psychologique à part entière à ces instances
psychiques primitives agissant dans l’inconscient de l’homme ; il en fait des
« figures de l’autre », selon l’heureuse expression d’Élie G. Humbert 17, qui
ne peuvent se réduire à des manifestations du déjà connu – fut-il mytholo-
gique ou culturel –, mais inscrivent leur figuration dans l’histoire et
l’expérience singulière du sujet, et le complexe d’Œdipe en serait une parmi
d’autres. Contrairement à ce qu’une lecture superficielle de Jung a pu laisser
penser à certains, son interrogation sur le sens de la vie n’évince pas la
question de la singularité et de l’unicité du rapport à l’autre. Ce rapport
s’inscrit d’abord dans la psyché collective, dans les figurations archétypiques
– l’humain ne se fait que dans la relation à l’autre –, dont le moi aura à se
différencier en se mettant au contact avec les aspects conscients et incons-
cients les plus personnels de son appartenance individuelle.
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Ces catégories de la rencontre que propose l’expérience de l’inconscient

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archétypique correspondent aux formes que prennent les dynamismes incons-
cients pour intervenir dans la vie physique et psychique, c’est pourquoi leurs
relations au conscient ne peuvent être dessinées à l’avance ; elles ne sont
en rien mécaniques. Ces catégories proposées par Jung sont « comme la figure
de l’autre, des médiatrices de la relation. »18 Leur fonction médiatrice les place
à la charnière du moi et du non-moi, caractéristique de la figure du double.
Elles sont à la base de la constitution de l’identité du sujet 19, en même temps
qu’elles autorisent, comme en tout premier lieu dans la relation primaire
entre la mère et le bébé, la différenciation des composantes du même (l’éloi-
gnement de celle qui est vécue comme même, la mère) et la reconnaissance
de l’altérité de l’autre, grâce à l’élaboration symbolique de l’absence.
Ces instances psychiques dotées d’une puissante énergie archaïque s’acti-
vent dans des manifestations d’ordre complexuel, donc personnel, ce qui
permet au moi de prendre en compte les désordres qu’elles provoquent, les
besoins qu’elles expriment et de remonter ainsi jusqu’aux conflits incons-
cients dont elles exigent la résolution, ce qu’au mieux, on voit apparaître
dans le travail d’analyse. La persona, l’anima, l’animus, l’ombre en sont les
figures les plus communes. Elles se retrouvent sous des formes différentes,
mais dans la même ligne thématique dans l’imaginaire de l’homme comme
dans la culture et la mythologie des peuples. Leur élaboration au cours du
travail d’analyse relie le sujet à son histoire personnelle et à ses avatars, tout
en lui permettant de reconstituer les repères qui donnent sens à son existence
au sein de la collectivité humaine.
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LA FACE CACHÉE DU COMPLEXE

Parmi ces archétypes, la persona et l’ombre sont sans doute les deux
modalités psychiques décrites par Jung qui nous rapprochent le plus du thème
du double en nous permettant de l’explorer de manière originale. Bien qu’il
ne lui ait plus apporté de modification après 1928, le concept de persona
est intéressant à plus d’un titre, puisqu’il rend compte, en l’absence d’une
métapsychologie systématisée chez Jung, d’une modalité d’identification et
de constitution du moi, à la charnière entre le monde interne et celui des
investissements d’objet, et des représentations collectives.

La persona
Persona est le nom latin du masque que l’acteur porte sur scène pour
cacher son visage, se désingulariser en quelque sorte, afin d’amplifier la
puissance d’évocation universelle de sa parole. Comme toujours, les accep-
tions que Jung propose à la notion de persona tout au long de son œuvre sont
multiples et ouvrent sur des champs variés de l’expérience : mais toutes
ont à voir avec l’idée d’une identification aux valeurs ou aux figures qui
appartiennent au monde collectif. Aujourd’hui, dans la foulée du dévelop-
pement des travaux sur l’attachement, on pourrait dire que la persona prend
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son origine dans le processus d’identification propre à la naissance et à la
constitution de l’identité du sujet. La persona assure ensuite le sentiment
de continuité narcissique dans la relation à l’autre et au monde. Dans ses
expressions pathologiques, l’identification à la persona serait une forme de
quête narcissique interminable, pouvant aller jusqu’aux limites de l’expé-
rience de dépersonnalisation...
Jung reconnaît à la persona la fonction psychique d’interface, intermé-
diaire pour le moi du sujet entre son monde interne et le monde externe : elle
serait « la fonction qui permettrait aux moi de se présenter aux objets externes
et d’entrer en relation avec eux, tout en tenant compte des objets internes. »20
Dans cette acception, on pourrait y voir l’entre-deux de la double compo-
sante narcissique et objectale, naturelle dans les processus d’identification
primaire. On verra, dans la vignette clinique présentée plus loin, une illus-
tration de cet aspect. Mais Jung insiste aussi sur la dimension d’illusion,
de mise en scène que la persona secrète de manière souvent défensive en
provoquant des effets d’adhésivité aux valeurs et aux idéaux ; elle est alors
« une formation de compromis entre l’individu et la société ».
L’analyste winnicottien Jan Abram, dans Le langage de Winnicott,
souligne la proximité qui existe entre les notions de faux self et de persona.
Il écrit : « Cela me rappelle, dans la théorie de Jung, la persona qu’il définit
comme étant un self qui se présente en société sous un aspect poli et socialisé.
Cela ressemble au self sain de la théorie de Winnicott, qui constitue un inter-
médiaire entre le self privé et le monde extérieur au sens large. Une trop
110 IMAGINAIRE & INCONSCIENT

grande identification avec sa persona cependant est considérée par Jung


comme relevant d’une organisation pathologique – tout comme le faux self
présenté dans l’échelle d’évaluation par Winnicott. » 21
Dans la notion de persona telle qu’elle est décrite par Jung dans son aspect
pathologique, ce qui est intéressant est bien qu’il la conçoive comme l’iden-
tification du moi à une image de lui-même, mais doublé des qualités puisées
dans l’imaginaire collectif qui lui seraient nécessaires pour exister, survivre,
en l’absence d’un sentiment de valeur suffisant. Pour illustrer cette idée,
prenons l’exemple d’un événement récent qui a fait les titres des journaux.
Une jeune femme se glisse dans les habits d’une victime de l’antisémitisme
et met en scène sa propre attaque par des adolescents maghrébins et noirs.
Tout se passe comme si son moi en quête de valeur était informé de la
réponse exacte que cet acte va automatiquement provoquer dans le collectif.
La réponse est donnée en termes de reconnaissance et d’empathie, qui sont
en fait les sentiments dont, par la suite, la jeune femme avouera manquer
personnellement de la part de son compagnon et plus généralement dans son
histoire familiale. On pourrait dire qu’elle crée de toutes pièces le personnage
provoquant une forte identification de la part des autres, capital d’identifi-
cation nécessaire aux besoins profonds de son moi.
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Juliette Vieljeux montre clairement le fonctionnement en double qui existe
entre le moi et la persona. Elle écrit : « Dans l’identification du moi à la
persona, il n’y a plus de distance symbolique entre la représentation et la
chose. La persona tient lieu de représentation : une de ses faces est faite de
l’adaptation au monde externe, l’autre face est plaquée au moi. »22 Dans
l’exemple considéré, on pourrait dire que les antennes de l’inconscient de
la jeune femme, branchées sur l’air du temps du collectif, lui dictent le thème
de sa mise en scène, tandis que son moi fragile ne peut pas prendre la juste
distance, c’est-à-dire un point de vue éthique, par rapport au fantasme qui
surgit en elle. Sa mise en acte est immédiate, avec les réactions en cascade
de la presse et du monde politique, pris à leur tour dans les mêmes effets
de persona, c’est-à-dire, eux aussi dans le besoin de promouvoir une image
collective de valeur, sous forme de rapidité à réagir et d’efficacité dans la
condamnation publique – qui viennent se substituer à la réalité d’un acte
salvateur. Le fantasme sous-jacent est bien celui d’espérer récolter, comme
la jeune femme, reconnaissance et adhésion, non plus dans l’image de la
victime, mais dans celle de la généreuse compassion.
« Ici, au contraire, il s’agit d’une mise en scène qui, bien au-delà d’une
vérité psychologique de souffrance, est parvenue à habiter « une névrose
collective » à travers l’inquiétante familiarité d’un scénario où les désirs et
les pulsions d’une société ont pu se délivrer une fois de plus. »23
L’effet miroir est provoqué par le fait de « prendre la représentation
du sujet pour le sujet lui-même. »24 On pourrait alors décrire la persona
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LA FACE CACHÉE DU COMPLEXE

pathologique comme un double du moi, éphémère « refuge narcissique »


investi d’une image idéale qui viendrait masquer les arrières-plans de fragilité
identitaire et les aspects d’ombre personnelle qui l’envahissent. Comment
cette jeune femme croyait-elle – aujourd’hui – mieux faire entendre sa
blessure d’identité que par ce scénario macabre ?
Dans la clinique, souvent les patients apportent d’emblée l’expression
d’une souffrance qu’ils repèrent dans l’écart qui s’installe entre celui ou celle
qu’ils donnent à voir aux autres et celui qu’ils se sentent être réellement,
au plus intime d’eux-mêmes. Les débuts de l’analyse s’amorcent alors par
un travail sur la dissolution de la persona dont les effets sont saisissants pour
le patient : son moi, déshabillé du leurre de son double idéal se défait de
ses attitudes de sur-adaptation à l’environnement extérieur. On peut alors
parfois voir la charge de l’idéal se déplacer et se réinvestir dans l’analyse
elle-même, dans la relation de transfert qui anime un mouvement de
régression teintée d’infantilisme qui permet, dans un premier temps, de
supporter de passer ce premier cap de transformation et qui rapproche de
la construction d’un vrai moi-peau.
C’est dans les termes de la différenciation que le travail d’analyse
jungienne se décrit le plus explicitement. L’exemple de la persona montre
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bien combien le moi a besoin de se différencier de la psyché collective pour
que la place qu’il doit nécessairement prendre dans la vie sociale et relation-
nelle lui appartienne en propre et ne fonctionne dorénavant plus comme une
sorte de moi parasite, clivée de ses fondements et de ses limites.
Le travail sur le retrait des projections de la persona dans le monde
externe ouvre au patient un nouvel espace de projection à l’intérieur même
du cadre analytique, et la conception jungienne du transfert y explicite un
éclairage particulier de la question du double. En effet, pour Jung, les projec-
tions de transfert s’activent dans la réciprocité des échanges conscients et
inconscients entre l’analyste et l’analysant – chacun pour ainsi dire étant à
la fois miroir et glace sans tain. Miroir, car « l’autre n’est vu qu’à travers le
filtre d’une image inconsciente de soi-même » 25, et glace sans tain, car la
rencontre avec la radicale altérité de son analyste imposera au patient de
faire le sacrifice d’une image idéale de lui-même. C’est en entrant plus avant
dans le travail sur la dimension négative refoulée du moi, qu’il aura à se
confronter à son ombre. Mais pour l’analyste également, l’élaboration sans
cesse renouvelée des manifestations complexuelles provoquées par la relation
au patient impose qu’il poursuive son propre travail d’analyse et accepte
de reconnaître les transformations que celles-ci provoquent en lui.
Jung a en effet décrit à l’aide de l’imagerie et des métaphores des alchi-
mistes la relation de transfert dans la double composante, celle de la
combinaison de deux corps chimiques qui transforme intimement les deux
protagonistes de la relation. C’est pourquoi, le plus souvent, le vocabulaire
112 IMAGINAIRE & INCONSCIENT

jungien ne donne pas un poids spécifique à la différence entre transfert et


contre-transfert, mais les élabore ensemble dans la relation transférentielle,
indiquant par là même que l’analyste est lui-même pris dans un réseau de
projections et de représentations inconscientes suscitées par son analysant :
c’est la commune inconscience dont la richesse symbolique pourra être
exploitée par l’analyste, à condition qu’il l’entende dans ses formulations
silencieuses, sans images, et au plus près de ses sensations. C’est d’elle qu’il
pourra tenir des indications sur les composantes peu ou non représentables
de la relation, en particulier sur sa dimension incestueuse, au sens large et
symbolique du transfert érotique, qui œuvre au dénouage du transfert
idéalisant du patient. Dans ce travail en double, diraient encore les Botella,
l’analyste avance avec le patient dans l’exploration sans fin de la vie de
l’inconscient partagée entre patient et analyste.

L’ombre

Plus encore que la persona, l’ombre dans l’acception jungienne, évoque


le jeu de conjonction qui anime l’idée même de double, encore une fois, non
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pas du côté du spéculaire, mais bien de l’autre côté du miroir, sur le versant

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où les aspects refoulés du moi ne sont ni reconnus ni intégrés, ou encore
sur le versant où ils exercent une puissante fascination et peuvent donner
lieu à des effets de possession. L’origine de l’ombre s’explique pour Jung
comme corollaire de l’accès à la vie symbolique ; l’ombre serait alors le
pendant et la conséquence du travail d’élaboration opéré par le moi conscient,
elle naîtrait dans sa lumière. Elle est marquée par le poids des interdits venant
du collectif et par le poids du refoulé issu de la vie pulsionnelle personnelle,
mais plus généralement, elle « apparaît dans le rapport du sujet, qui se doit
d’affirmer sa cohésion et son choix, avec l’ambiguïté générale. » 26 Jung a
d’abord vu dans l’ombre la queue de saurien de l’homme civilisé. Mais par
la suite, il développe l’idée que l’ombre est beaucoup plus que la répression
de la vie instinctive.
La résistance au changement, la peur de l’inconnu nous font penser que
la conscience se développe également en opposition aux formes qu’elle ne
parvient pas à intégrer parce qu’elle les appréhende comme des valeurs qui
la dépassent : l’ombre vient alors interroger les valeurs qui circonscrivent
le moi au sein du projet d’individuation : « Le moi existe dans son jugement
personnel de valeur. Ce jugement est de l’ordre du sentiment et il est per-
sonnel parce qu’il ne se réfère à aucun code axiologique. Or c’est précisément
ce sentiment de valeur qui est atteint, corrodé, éprouvé par la nécessité de
prendre en compte ce qu’on avait rejeté et, plus encore, par l’expérience des
lois naturelles de la réversibilité et par la découverte du caractère relatif de
la personnalité. » 27 Mais il faut aussi considérer que certains effets de l’ombre,
BRIGITTE ALLAIN-DUPRÉ • DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR, 113
LA FACE CACHÉE DU COMPLEXE

qu’on repère dans l’analyse, n’ont pas cette coloration négative mais au
contraire se manifestent sous forme d’inflation, de grandiosité ou de fasci-
nation alors que leur lien avec l’ombre est en relation directe avec la difficulté
du sujet à reconnaître et à assumer les limites de son moi.
On le voit plus clairement maintenant, l’idée d’ombre chez Jung n’est
pas à entendre seulement dans une complémentarité, ni même dans un couple
d’opposés, fussent-ils dynamiquement reliés, mais elle appartient bien à la
personnalité, elle est la personnalité non développée, parfois rejetée par le
moi et projetée à l’extérieur, l’ombre c’est alors l’étranger inquiétant en soi,
cet autre-en-nous. Elle peut aussi prendre les habits d’un étranger mer-
veilleux, fascinant, les limites de notre identité se décentrant vers des valeurs
et des sentiments imaginaires.
L’ombre apparaît alors comme un organisateur qui donne vie à des dimen-
sions qu’aussi bien l’inconscient collectif que l’inconscient personnel
refoulent : dans une société qui promeut toujours plus les valeurs de liberté,
de désir et d’idéal, dans un rapport indifférencié à des imagos parentales
teintées de grandiosité, les images d’ombre nous rappellent cette autre moitié
de notre ciel, faite de vulnérabilité, de fragilité et de réserve, toutes choses
qui n’ont pas cours dans notre monde externe, mais qui, pourtant nous consti-
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tuent intimement et participent de notre entièreté. « L’ombre met en cause
les achèvements conscients et en relativise la valeur 28 » écrit encore Élie
Humbert ; elle n’est pas une castration, au sens où les contours et les limites
du moi qu’elle dessine sont bien réels.
Pour tenter de donner une présence clinique à l’usage de ces notions dans
la pratique jungienne, j’ai choisi de décrire une courte aventure transféren-
tielle avec un enfant et sa mère. Si ces quelques séances se sont passées voilà
de nombreuses années, elles ont laissé en moi un souvenir très vif qui a certai-
nement orienté ma recherche sur la question du double.

Raphaël, un enfant sans persona aux prises


avec l'ombre maternelle
Raphaël a 8 ans quand sa mère demande à me consulter. Contrairement
à ce qui se passe généralement, elle a préféré venir seule avant que je ne
les reçoive ensemble.
Avec beaucoup d’émotion, elle évoque pour moi leur « accordage raté »
au moment de sa naissance. Il est le premier enfant de sa génération, aussi
bien du côté de la mère que du côté du père ; les deux familles se sont
emparées de cette naissance, sans que la mère ait pu résister pour faire elle-
même connaissance avec son enfant. Immédiatement après sa naissance, elle
a été envahie par l’impression de ne pas être à la hauteur, surprise d’autant
plus grande et insupportable qu’elle était une professionnelle de la première
114 IMAGINAIRE & INCONSCIENT

enfance. Elle pensait ne rien comprendre à cet enfant qui a eu très tôt
(4 semaines) une allergie au lait, une bronchiolite et des problèmes de peau.
On pourrait dire que le moi de la mère, identifiée à sa persona de
soignante, n’a pas pu être sollicité par les émotions et les représentations
internes et d’ordre inconscient que la maternité déclenche. De plus, la surva-
lorisation du collectif familial l’a contaminée, lui rendant inaccessible sa
tâche modeste et intime de mère suffisamment bonne. D’emblée l’enfant a
manifesté une grande souffrance psychique à laquelle la mère n’a pas su
comment répondre ; ce qui lui confirmait en miroir la réalité de son incom-
pétence. Les premiers mois ont été extrêmement difficiles, à tel point qu’elle
a préféré le donner en nourrice de jour plutôt que de prolonger un possible
congé de maternité dont elle avait rêvé.
Les mois passants et la mère rassurée par la bonne adaptation de l’enfant
chez la nourrice, leur relation s’améliore, mais sur un mode extrêmement
fusionnel : elle se souvient qu’elle lui cédait sur tous ses désirs : « J’avais
besoin qu’il m’accepte... ». À l’âge de deux ans, période de la crise d’oppo-
sition dans l’émergence de la pulsionnalité œdipienne, Raphaël commence
à avoir de très fortes colères : la mère avait alors compris qu’elle ne pouvait
plus lui céder toujours et elle commençait à mettre des limites. Cependant,
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les colères de l’enfant la perturbaient profondément, à tel point qu’elle se
mettait en colère à son tour et elle se souvient de s’être souvent trouvée dans
le même état que lui, pour sa plus grande honte. À quatre ans, Raphaël a
un petit frère qui conforte la mère et la rassure dans son rôle et sa fonction
maternelle, alors que pour Raphaël les problèmes ne font qu’empirer et
durent jusqu’à ce jour : tics, difficultés d’endormissement, énurésie, mais
surtout, ce qui reste aujourd’hui le symptôme majeur, les énormes colères.
Le tableau est finement décrit par la mère qui, à partir de l’analyse qu’elle
a entreprise, voudrait soutenir et aider son enfant envers qui elle éprouve
une grande culpabilité, parfois encore haineuse, en même temps qu’une
grande tendresse.
La rencontre avec Raphaël seul est impressionnante : il dresse un inven-
taire extrêmement précis et détaillé de tous ses maux. Les tics concernent
une petite chanson, toujours la même, qu’il ne peut s’empêcher de répéter
à l’infini dont les paroles évoquent un petit bonhomme et qui, à la fin, se
clôt sur un raclement de gorge. Cela horripile sa mère, mais il a remarqué
qu’il a recours à ce rituel dans de nombreuses situations, hors de sa présence.
Raphaël n’a aucune difficulté scolaire, mais son comportement bagarreur,
si ce n’est violent dans la cour de récréation, a plusieurs fois provoqué les
plaintes des parents des enfants. Raphaël rapporte ses difficultés sur le mode
de l’aveu. Il est le seul coupable et, à l’entendre, jamais il ne s’exonère sur
quelqu’un d’autre de ses problèmes. Comme s’il ne pouvait pas projeter le
négatif hors de lui et qu’il avait à l’endosser totalement.
BRIGITTE ALLAIN-DUPRÉ • DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR, 115
LA FACE CACHÉE DU COMPLEXE

L’échange avec lui est cependant facile, Raphaël parle volontiers et il


s’investit d’emblée dans les projections sur moi d’un transfert à coloration
magique, omnipotent, auquel il veut donner toutes ses chances pour être
« guéri », selon sa propre expression. De mon côté, je sens mon empathie
sollicitée par la souffrance de cet enfant. Je lui propose de dessiner sa famille
et je peux constater une organisation de la différence des sexes et des généra-
tions suffisamment claire pour un enfant de cet âge. Le non-usage de la
couleur dans le dessin donne cependant une idée d’un retrait de la vie
pulsionnelle, de la rétention de la vitalité et de la créativité comme de l’agres-
sivité : même si le dessin est structuré, son atmosphère reste triste.
Je lui propose ensuite de dessiner une scène selon son désir et sa fantaisie.
Il s’applique à représenter un retour à Paris, « quand on quitte la maison de
campagne ». La première partie de l’exécution du dessin consiste à partager
une feuille orientée horizontalement en deux dans le sens transversal et de
ne dessiner que dans sa partie supérieure. Là encore, Raphaël ne fait pas
usage de couleurs. La moitié inférieure de la page, celle que les enfants de
son âge utilisent généralement comme plancher, sol, terre, herbe etc. pour
donner une limite vers le bas, sur le dessin de Raphaël reste absolument vide,
il n’y a rien, qu’un blanc qui éveille en moi une certaine angoisse...
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Raphaël est absorbé, concentré. Il me tend fièrement son dessin et
m’explique que c’est un moment qu’il n’aime pas, quand il faut quitter la
campagne pour rentrer à Paris où il n’y a pas d’espace pour jouer dehors,
ni de liberté car il faut aller à l’école. Il représente une maison, un arbre, une
voiture conduite par son père qui, de profil, cache sa mère. Son frère et lui
sont à l’arrière, on les distingue tous les deux.
Je suis sollicitée par le thème de la séparation qui habite le dessin et par
le blanc, ce vide de représentation auquel elle semble a priori renvoyer. La posi-
tion transférentielle induite par le dessin n’est plus dans l’aveu, mais dans
l’expression d’un affect douloureux. Je propose à Raphaël l’idée que les
séparations doivent être bien douloureuses parce que son dessin nous montre
qu’elles ouvrent sur du vide... Il reste un instant rêveur, puis reprend son
dessin, le retourne et dessine l’exact symétrique du premier dessin... en miroir.
Je suis assez déconcertée par la rapidité et l’efficacité de sa réaction visant
à combler le vide de la séparation... Il m’explique fort intelligemment, que
devant la maison, « il y a un lac, et la scène se reflète dans l’eau ». Je ne regrette
pas mon intervention peut-être trop rapide, car elle m’a montré sa mobilité
défensive et le travail du déni par le retour dans l’indifférencié du même.
Dans la poursuite des entretiens préliminaires, en vue de ce que j’envisa-
geais déjà comme une probable demande de psychothérapie pour Raphaël,
quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que le père n’avait pas été informé
de la démarche entreprise par la mère, qu’il était tout à fait opposé à ce que son
fils soit confié à une personne extérieure à la famille, et qu’il allait s’en occuper
116 IMAGINAIRE & INCONSCIENT

lui-même, en faisant le projet de travailler un peu moins... Les entretiens ont


donc pris fin sur ce refus paternel sur lequel il n’a pas été possible de revenir.
Que dire de cette séquence et en quoi illustre-t-elle la question du double
telle que j’ai essayé de la développer ?
Du point de vue de son développement psychique, Raphaël apparaît
comme un grand blessé narcissique : la matrice relationnelle précoce n’a pas
été suffisamment nourrissante et étayante pour permettre au moi de se
constituer des limites différenciées, une identité autonome et solide dans
sa confrontation aux remises en question que sont les épreuves de différen-
ciation de son altérité dans les conflits avec les autres et sa mère en
particulier. Entre sa mère et lui, on dirait que la folie à deux de la relation
primaire, qui avait pour fonction d’assurer les conditions symboliques d’un
inceste érotique structurant, est encore présente dans un processus de
répétition sans fin : la dualité en boucle n’ouvre sur aucune dimension
d’inconnu, comme dans l’image du serpent qui se mord la queue, tout se
répète à l’identique. L’énergie en jeu est énorme, d’une violence inouïe, et
pourtant elle s’absorbe et s’annule. On pourrait dire que tout se passe entre
eux comme si l’inceste des origines se représentait, toujours revécu dans cet
équivalent de « scène de ménage » pour qu’enfin une issue inattendue
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surgisse. L’issue serait la sortie du miroir mortifère c’est-à-dire la différen-
ciation entre l’inconscient maternel et celui de l’enfant : pour la mère, ce
serait que son enfant devienne un autre, un étranger familier, qui pourrait
vivre et intégrer cette part d’étrangeté en lui-même, non comme une
séparation qui débouche sur le vide, mais comme une part d’inconnu qui lui
ouvre l’accès à sa position de sujet. La réaction de Raphaël à la séparation
indique que sa position de sujet n’est pas établie : la séparation entre soi et
l’autre n’enclenche pas la créativité du symbolique, mais elle appelle la
froideur glacée du symétrique.
Le moi de l’enfant n’a pas trouvé le recours d’une organisation défensive
de type persona. On rencontre parfois en effet, dans nos cabinets ces enfants
metteurs en scène de réassurance, ces enfants trop sages qui soignent leur
mère en s’adaptant admirablement à sa pathologie, comme dans le complexe
de la mère morte d’André Green.
Ici, le moi de l’enfant est si peu différencié qu’il n’a, en fait, pas pu mettre
en place de défenses efficaces : Raphaël ne trouve pas sa place dans la
communauté de ses pairs ni avec ses parents. Dans ces conditions, le recours
à l’archaïcité nous amène à parler plus volontiers de défenses du soi ; elles
sont peu adaptées à la réalité externe et leurs importants effets de déper-
sonnalisation touchent au registre psychotique. Elles ont pour fonction de
construire une carapace rigide autour du projet d’individuation du soi –
promoteur du moi. Ces défenses ne permettent que peu de contacts avec
l’autre, si ce n’est sur un mode stéréotypé, répétitif, ou agressif. La
BRIGITTE ALLAIN-DUPRÉ • DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR, 117
LA FACE CACHÉE DU COMPLEXE

maturation affective du sujet est comme arrêtée. La psyché de l’enfant est


possédée par l’ombre de sa mère : il se comporte comme elle, lui renvoie
en miroir sa propre ombre, sous forme d’échec, de violence, d’incompré-
hension et elle sent qu’elle risque de rejeter son fils de plus en plus fortement.
Du point de vue de la mère, on pourrait dire que pour des raisons que
nous ignorons, la relation à son enfant n’a pas pu se mettre en route selon
ce processus très particulier de l’attachement. Il implique une forte dimension
instinctuelle, c’est-à-dire une régrédience des limites et du contrôle du moi
(la folie à deux), afin d’assurer l’activation des schèmes de comportement
universels liés à la fonction maternelle qui permet au moi et à l’inconscient
d’être possédés par l’archétype, dans sa dimension constructive. L’archétype
du maternel, quand il s’active naturellement met la mère dans la situation
de jouer le jeu, en quelque sorte. Ici, une persona de mère fait défaut, persona
au sens positif d’intermédiaire entre sa psyché et la vie physico-psychique
de son enfant, et ce d’autant plus lourdement que le métier de cette femme
en relation avec la petite enfance lui avait toujours fait penser qu’elle saurait
être une bonne mère pour ses enfants à venir et qu’elle s’était vue confortée
dans cette image par l’investissement unanime des deux familles.
Mais ce qu’elle a donné à sentir et à connaître à son enfant a été un mode
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de communication et de relation basé sur la détresse, la culpabilité, l’insa-
tisfaction et sans doute une rage secrète contre celui qui l’empêchait d’être
une mère selon ses attentes idéales. Face à ce complexe maternel destructeur,
la vie précoce du bébé Raphaël va rencontrer une mère sans persona,
incapable d’offrir une scène à son bébé sur laquelle déployer les affects
mutuels et narcissisant dont ils ont tous les deux besoins.
L’enfant est violemment exposé aux contenus d’ombre qui habitent la
psyché maternelle en deçà des attentes idéales du collectif auxquelles elle est
identifiée. Elle est obligée de l’éloigner d’elle pour le protéger. L’identité de
l’enfant va se construire sur le socle d’une identification négative et se nour-
rir d’un continuel partage d’expériences de déplaisir, ce qui va orienter la
construction de son moi et de ses défenses. Il s’agit d’un rapport en double
miroir, dans lequel il n’y a pas d’espace pour que la mère signifie à l’enfant
sa position valorisante de sujet, à la fois comme elle et différent d’elle, sauf
à l’éloigner d’elle. La mutualité, dont parle Winnicott, n’existe pas suffisam-
ment dans leur relation ; la réciprocité sur le versant du plaisir et de la gratifi-
cation n’est pas suffisante, et par conséquent, elle ne pourra pas les transformer
progressivement en deux individualités – séparées et cependant en relation.
On pourrait dire que les conditions banales de la relation primaire
lorsqu’elles imposent si peu de différenciation entre la mère et son bébé, la
construction du moi de l’enfant absorbe par identification et de manière
massive, les contenus de la psyché inconsciente maternelle. Dans le cas de
Raphaël et de sa mère, ces contenus nous semblent renvoyer de manière
118 IMAGINAIRE & INCONSCIENT

dominante à des représentations d’insécurité et de détresse, qui sont


renvoyées en miroir à la mère par son enfant, sans qu’elle puisse les
« détoxiquer », mais qui, au contraire, l’angoissent un peu plus... Il n’est pas
indifférent de constater que dès qu’elle a entamé un travail d’analyse pour
elle-même, c’est-à-dire qu’un tiers est entré en jeu, la mère peut alors faire
exister son enfant en tant que sujet et souhaiter qu’il puisse élaborer, comme
elle, avec un tiers analyste, sa part d’enfant de leur problématique mutuelle.
Comment comprendre maintenant la symptomatologie de l’enfant et son
dessin ? Étant donné que ces entretiens préliminaires n’ont pas eu la suite
prévue d’une thérapie, les réflexions qui vont suivre n’ont pas d’autre statut
que celui d’hypothèses diagnostiques.
Raphaël m’a frappée d’emblée par sa capacité à prendre ses difficultés
à son propre compte, culpabilité qui pour ses 8 ans m’a paru tout à fait
suspecte. La bulle fusionnelle d’indifférenciation, fortement teintée de
négativité, dans laquelle il a grandi n’a sans doute pas permis à son jeune
moi d’expérimenter la sortie de la dimension du double régnant naturel-
lement dans la relation primaire, au profit d’un moi je valorisé et valorisant,
qui aurait dû s’ériger dans la différenciation, donnant ainsi forme et contenu
aux besoins du projet de croissance du soi...
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Ce n’était pas tant la culpabilité du bouc émissaire dans laquelle il se
représentait, mais bien l’absence d’autre qui était troublante dans son système
de représentation de lui-même et de son monde. Pourtant, tous les ingré-
dients pour une juste projection phobique sur l’autre étaient à sa disposition,
depuis le petit frère casse-pieds, en passant par les copains bagarreurs, ou
les parents trop sévères, etc. Pas de projection, pas de tiers, pas d’échappa-
toire névrotique dans ce face à face psychique avec et dans l’ombre de la
mère. On pense immanquablement au regard captateur de Méduse.
Il me paraît tout à fait intéressant de considérer les modalités défen-
sives mises en place par l’inconscient de l’enfant comme tentatives pour
se protéger dans cette fusion meurtrière. L’expérience du complexe maternel
négatif invente des solutions, à la fois pour exprimer le conflit interne et
pour le solutionner.
D’emblée, j’ai été frappée par l’équivalent symbolique entre l’altérité
manquante dans la relation entre la mère et son fils et la thématique du tic.
Il s’agit d’une chansonnette, une ritournelle, comme ces berceuses répéti-
tives et rassurantes qui se chantonnent autour des berceaux, mais qui
racontent souvent des histoires terribles, pour exorciser la peur. Celle-ci met
en scène un petit bonhomme sans nom qui habite dans la tête de Raphaël.
Si l’on considère l’aspect prospectif du complexe, on voit que le petit
bonhomme en question pourrait bien être absolument nécessaire pour
échapper aux dangers de l’emprise maternelle ; dans la réalité, la mère est
horripilée. Inconsciemment, quelque chose s’impose à Raphaël sur le mode
BRIGITTE ALLAIN-DUPRÉ • DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR, 119
LA FACE CACHÉE DU COMPLEXE

du tic, et cela marque une distance, conflictuelle, certes, avec sa mère. On


pourrait dire que le tic fabrique de la différenciation là où le fantasme
maternel semble demander toujours plus de ressemblance... Mais sur le plan
symbolique, le tic est bonhomme, c’est-à-dire à la fois homme bon, mais
également un masculin toujours présent, toujours disponible, dans son
habillage mythologique. Quand Raphaël m’en a parlé, l’image du petit
bonhomme sculpté dans sa règle par le jeune Jung et caché dans le grenier
s’est imposée à moi.
Mais évidemment, on ne peut pas éluder la question du père, face à ce
petit bonhomme. On pourrait l’entendre comme un appel au père, singuliè-
rement manquant dans le couple mère-fils. Je l’ai également entendu comme
une chanson magique pour ne pas désespérer de faire venir un secours
masculin paternel. Et ce complexe paternel fragile était resté disponible au
moi, à tel point qu’il pouvait être projeté dans le transfert sur la proposition
thérapeutique que je représentais pour Raphaël. Il voulait que je le guérisse...
À propos des colères, comme du raclement de gorge qui ponctue la
chansonnette du petit bonhomme, dans le travail avec les enfants aussi bien
qu’avec les adultes, on constate souvent que l’explosion de colère est la
parade défensive pour se protéger d’une expérience de dépersonnalisation.
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Les sentiments de frustration ou d’impuissance qui déclenchent la crise vien-
nent rencontrer la fragilité identitaire, là où la différence entre soi et l’autre
est insuffisamment arrimée au sentiment de valeur. La colère vient alors
relancer le sentiment d’exister grâce à l’expression dans le corps et tient à dis-
tance les affects de dépersonnalisation. « Mes colères m’ont sauvé, elle me don-
naient la certitude que je n’étais pas mort » se souvient un homme en analyse.
Raphaël est en effet habité par une violence qui ne concerne pas tant une
saine rivalité avec ses pairs, qui le rendrait bagarreur dans les cours de
récréation ; non, c’est plutôt la violence du lien incestueux à la mère qui
l’anime, ce double qui le fait disparaître dans l’indifférencié et qu’il tente
désespérément de nous faire entendre. Assigné à une place doublement
symétrique de sa mère, le projet du sujet masculin en Raphaël était encore
inhabité, irreprésentable, vide. Son père n’était pas prêt à ce que son fils
rencontre et se confronte à cet autre double, à la fois proche et inconnu qu’est
l’analyste. Mais peut-être le refus du père était-il lié à une nouvelle compré-
hension de cette dimension d’identification entre père et fils, dont sans doute,
lui aussi avait manqué...

Brigitte ALLAIN-DUPRÉ
Psychanalyste
Société Française de Psychologie Analytique - Institut C.G. Jung
5 rue Beautreillis
75004 Paris
120 IMAGINAIRE & INCONSCIENT

Brigitte Allain-Dupré – De l’autre côté du miroir,


la face cachée du complexe

Résumé : L’idée jungienne du double s’appuie sur la notion


de complexe qui procède de la capacité de la psyché à se
dissocier pour donner forme et figure à ses multiples aspects
inconscients. Le double, loin d’être une représentation du
même, doit être entendu comme élément de la personnalité
inconsciente qui devra être reconnu pour que se construise
l’unité du moi : la persona, identification aux aspects collectifs
et l’ombre, figure de l’inconnu, inquiétant ou fascinant, sont
les deux modalités de la dualité psychique caractéristiques
dans la pensée jungienne. La conception spécifique du transfert
amplifie l’idée d’une transformation en double, c’est-à-dire
des deux inconscients, celui du patient comme de l’analyste.
Mots-clés : C.G. Jung – Complexe – Persona – Ombre –
Participation mystique.
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Brigitte Allain-Dupré – The other side of the mirror.
The hidden side of the complex

Summary : The Jungian idea of the Double rests on the notion


of complex which originates from the psyche’s ability to disso-
ciate itself to shape and form its many unconscious aspects.
The Double, far from being a representation of the same, must
be understood as a constitutive part of the unconscious perso-
nality which will need to be acknowledged in order for the
Ego’s unity to be built : the persona, identification with the
collective, and the shadow, figure of the alarming or fasci-
nating unknown, are the two modes of psychic duality, a
characteristic in Jungian thought. The specific conception of
transference amplifies the idea of transforming into a Double,
that is to say two unconscious, the patient’s as much as the
analyst’s.
Key-words : C.G. Jung – Complex – Persona – Shadow –
Mystic participation.

Notes
1. Jung C.G., Ma vie, souvenirs rêves et pensées, recueillis par Aniela Jaffé, trad. R. Cahen,
et Y. Le Lay, Paris, Gallimard, p. 71, 1973.
2. Jung C.G., « Psychologie et pathologie des phénomènes dits occultes », in L’Énergétique
psychique, trad. Y. Le Lay, Genève, Librairie de l’Université Georg, 1981.
BRIGITTE ALLAIN-DUPRÉ • DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR, 121
LA FACE CACHÉE DU COMPLEXE

3. Le contenu complexuel demeure en quelque sorte entre l’inconscient et le conscient


comme en clair obscur ; il est ressenti, certes par le sujet, d’une part comme appartenant à sa
conscience ou ayant des affinités avec elle ; mais d’autre part il reste une existence autonome
[...] qui en tout cas, n’obéit pas nécessairement aux intentions subjectives ». Jung C.G. (1964).
Dialectique du moi et de l’inconscient, trad. R. Cahen, Paris, Gallimard, p. 135.
4. Sur le sens spécifique de ce concept, voir le glossaire dans : Agnel A., Jung, la passion
de l’autre, Toulouse, Milan, 2004.
5. Jung C.G., « Psychologie et pathologie des phénomènes dits occultes », L’Énergétique
psychique, op. cit., p. 207.
6. Jung C.G., Métamorphoses et symboles de l’inconscient revu et reédité sous le titre
Métamorphoses de l’âme et ses symboles, trad.Y. Le Lay, Genève, Librairie de l’Université
Georg, 1953.
7. Jung C.G. & Riklin F., « Experimentelle Untersuchung über Assoziationen Gesunder »,
Gesammelte Werke, 2, Olten & Freiburg im Breisgau, Walter Verlag.
8. Burghölzli hospital records of Sabina Spielrein, première publication « Sabina Spielrein,
Jung’s patient at the Burghölzli », MINDER B. (1994), in Luzifer-Amor, Zeitschrift zur
Geschichte der Psychoanalyse, Vol 7, n°14, puis Journal of analytical psychology, Vol. 46,
n° 1, January 2001, p. 27.
9. Jung C.G., 1933, Die Beziehungen zwischen dem Ich und dem Unbewussten, Dialectique
du moi et de l’inconscient, trad. R. Cahen, Paris, Gallimard, 1964, pp. 157-158.
10. Jung C.G., Collected Works 8, § 253, cité par P.F. Pieri, Dizionario junghiano, Torino,
Bollatti Boringhieri, entrée Scissione (clivage, dissociation), 1998.
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11. Botella C. & S., « La dynamique du double », in Le double, Revue française de psycha-

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nalyse, monographie sous la direction de C. Couvreur, Paris, P.U.F., 1995.
12. Ibid., p. 80.
13. McGuire W., Analytical psychology. Notes on the seminar given in 1925 by C.G. Jung,
Princeton, Princeton University Press, 1989, pp. 22-23.
14. Jung C.G., (1971) « La dissociabilité de la psyché », Les racines de la conscience, trad.
Y. Le Lay, Paris, Buchet/Chastel, p. 486.
15. Ibid.
16. Agnel A., Jung, la passion de l’autre, op. cit., p. 21.
17. Humbert E.G., (1983) Jung, Paris, Éditions universitaires, p. 54, réédition Hachette,
2004.
18. Ibid., p. 54.
19. Allain-Dupré B. et Maffei G., « Il doppio e l’estraneo nella costituzione dell’identità »,
Psicoanalisi e Metodo, L’incontro con l’altro, N° 1, Pisa, Edizioni ETS, 2001.
20. Vieljeux J., « La persona, étude théorique du concept », in Cahiers jungiens de psycha-
nalyse, La persona, n° 58, 1988, p. 4.
21. Abram J., Le langage de Winnicott. Dictionnaire explicatif des termes winnicottiens,
trad. C. Athanassiou-Popesco, Paris, Éditions Popesco, 2001, p. 304.
22. Vieljeux J., op. cit., p. 6.
23. Mattei B., Chronique Rebonds, « Un miroir tendu à la République », in Libération,
20 juillet 2004.
24. Ibid.,
25. Agnel A., op. cit., p. 55.
26. Humbert E.G., L’homme aux prises avec l’inconscient. Réflexions sur l’approche
jungienne, Paris, Retz, 1992, p. 27.
27. Ibid., p. 29.
28. Ibid., p. 25.
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Etsouko Kobayashi, Japonaise, peintre, vit à Paris.
Voie lactée
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