Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Macoumba Diop
2013/4 n° 28 | pages 63 à 77
ISSN 2267-7313
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
ISBN 9782811111052
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-histoire-monde-et-cultures-
religieuses-2013-4-page-63.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
Macoumba Diop
Doctorant en histoire
Université Lumière Lyon 2 - Larhra
1. Cet article s’appuie principalement sur mon mémoire de Master II, « Le chiisme au
Sénégal : le cas de l’institut Mozdahir International », mémoire de master II, soutenu à l’Université
de Strasbourg, sous la direction d’Éric Geoffroy, 2013, et sur un travail de terrain effectué ces
dernières années au Sénégal.
63
Macoumba Diop
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
de l’Imi (Institut Mozdahir international). Selon lui, une partie des
premiers musulmans sénégalais étaient de confession chiite à cause
de l’influence de ces Arabes, même s’ils ne savaient pas à l’époque ce
qu’était le chiisme et sa différence avec le sunnisme qu’ils pratiquent
aujourd’hui. Cependant, il reste difficile de vérifier ces hypothèses
construites à partir de sources orales, tout en admettant une présence
chiite au Sénégal bien avant les années 1950.
Dans la culture islamique sénégalaise, l’imam Ali, personnage
symbolique du chiisme, est souvent perçu comme un héros parmi les
premiers disciples musulmans. Cela peut expliquer la prédilection pour
son prénom dans la société sénégalaise, avec différentes prononciations
selon les ethnies et les régions géographiques. Par exemple, chez les
Wolofs et les Sérères, le prénom est attesté tel quel : Ali ; chez les
Maures il devient Aline, Alé chez les habitants du Saloum, et Alioune
chez les habitants de Louga, etc. Ces appellations démontrent d’une
part un parcours géographique à travers le territoire et, d’autre part,
la place symbolique qu’il occupe dans la société sénégalaise. Il est vrai
que les autres califes ont aussi bonne réputation, mais l’imam Ali,
garde aux yeux des Sénégalais le premier rang. De ce fait, il est possible
d’émettre l’hypothèse que cela serait dû à l’enseignement qu’auraient
reçu les premiers convertis à l’islam au Sénégal ou que les formateurs
qui ont initié ces premiers convertis à l’islam seraient des disciples
chiites. Dans les récits religieux que rapportent souvent les prédicateurs
islamiques, à l’occasion des conférences religieuses qu’organisent la
plupart des associations et « dahira » durant toute l’année, dans les rues
de Dakar et dans les régions du Sénégal, on entend toujours parler
de l’imam Ali, de son combat contre Amr ibn Wadi, à la bataille de
« huneyn », pour démontrer comment il a pu sauver l’honneur de l’islam
2. Dr. Ahmed Lô, président de la faculté islamique de Dakar. Entretiens réalisé à Dakar,
le 20 octobre 2013.
64
L’introduction du chiisme au Sénégal
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
Du mythe à l’histoire : la communauté chiite libanaise de Dakar
3. Parmi les prêcheurs renommés se trouvent Ibrahima Sakho (né le 20 décembre 1911,
décédé en août 1994), un disciple tidjâne, qui pendant des années animait des conférences sur
la vie et œuvre du prophète de l’islam. Ces conférences sont enregistrées et vendues dans tout
le pays. Il compte aujourd’hui des centaines d’enregistrement.
4. Ibrahima Sakho, conférence de 1980 à Mbao. Ce même discours se trouve dans ses
autres enregistrements des années précédentes. Voir, www.afiyahi.org, « Best of El hadj Ibrahima
Sakho », du 07 janvier 2013.
5. Yann Richard, L’islam chi’ite, croyances et idéologies, Paris, Fayard, 1991, p. 11.
6. Ibid.
65
Macoumba Diop
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
monde arabe et porteuse d’un discours de rupture et revendicateur, qui
va plus loin que celui de ses prédécesseurs. Les discours qui prônaient
la tolérance relataient les histoires ayant trait à la vie et l’œuvre du
prophète de l’islam ou bien diffusaient l’hagiographie des anciens
chefs confrériques comme Ahmadou Bamba et El hadji Malick Sy,
qui dominaient dans le pays. Des conférenciers très connus comme
Moustapha Gueye à la télévision nationale, ou Moctar Seck de
Radio Sénégal, jouaient le rôle de modérateurs et de médiateurs sociaux
quand des conflits ou des tensions religieuses se présentaient. Pendant
des années, ce discours a été écouté par les Sénégalais et souvent suivi
à la lettre par une grande masse de la population. Il faut noter que ces
deux conférenciers étaient aussi parmi les rares personnes qui avaient
l’accès à ces organes publics. Il n’y avait pas en parallèle de radios, ni de
télévisions privées au Sénégal avant les années 1980, ce qui permettait à
l’État de contrôler et d’orienter le discours officiel sur la religion8.
La révolution de 1979 a influencé deux générations de Sénégalais.
Premièrement, la génération qui a vécu le temps des discours
réformistes dans les années 1930. Ces mouvements, formés par des
étudiants communément appelés des arabisants, du fait de leurs études
menées en langue arabe, et souvent dans les pays arabophones, créent, à
leur retour au pays, le mouvement islamique pour mener la lutte contre
la colonisation. Par ailleurs, ils dénoncent la participation des chefs
confrériques à la vie politique et leur coopération avec le colonisateur.
Ce mouvement bénéficie d’une grande notoriété dans la société
sénégalaise jusqu’à la fin des années 1950. Leurs revendications visent
surtout à mettre en avant la culture arabo-islamique qu’ils opposent à
celle de l’Occident qui, selon eux, gouverne le pays. C’est à travers ce
mouvement que ces jeunes ont l’idée de fonder, en 1953, le mouvement
islamique connu sous le nom d’Union culturelle musulmane. Mais,
66
L’introduction du chiisme au Sénégal
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
les quartiers de Dakar où ils organisent des débats de rue avec les
populations afin d’essayer d’expliquer ce qu’est le chiisme et propager
son message.
Dans le sillage de la révolution islamique, le mouvement islamique
de 1930 trouve un second souffle, pour participer à la réforme en
cours, avec le mouvement « ibaadou rahman », crée à Thiès en 1979 par
Cheikh Touré. Ce mouvement connaît un certain succès au Sénégal.
Des jeunes, en provenance de toutes les confréries se convertissent à
ce mouvement et sont désignés par le vocable de « ibaadou». Ce terme
signifie celui qui n’adhère pas, ou plus, à une confrérie religieuse.
Plus tard, toujours à l’intérieur de ce mouvement, d’autres tendances
apparaissent, et créent d’autres changements. Aujourd’hui, on distingue
entre les ibaadou, les tabligh, et les salafs. Bien que ces mots aient un autre
sens en arabe, ils sont employés au Sénégal pour désigner l’appartenance
d’un individu à un groupe particulier.
Au moment de la création de ces mouvements de jeunesse, peu de
Sénégalais connaissaient le chiisme, alors qu’il était déjà présent dans le
pays. Pour certains de ces jeunes, qui n’avaient pas adhéré à un groupe
ou n’avaient pas été convaincus par le discours des leaders religieux des
mouvements islamiques, l’imam Khomeiny est alors apparu comme
un modèle, voire le guide à suivre. C’est le cas de Chérif Mbaalo qui
est actuellement le président de l’association pour le développement
humain et durable Ali Yacine. C’est le premier groupe de ce type créé
par un converti au chiisme dans les années 1980 pour la promotion du
chiisme à Dakar :
« Moi je suis devenu chi’ite juste après l’avènement de la révolution islamique en Iran,
parce que bon d’accord y avait un moment au temps des frères libanais qui étaient, qui
9. Ibidem.
67
Macoumba Diop
sont au Sénégal. Mais le prosélytisme religieux ne les intéressait pas. Donc y avait (une
certaine), une sorte de barrière entre eux et la population locale […].
Mais c’est bien après la révolution l’avènement que nous avons constaté à travers
la télévision et à travers la radio, étant jeune (quand même) en ce moment on se
souvient, avec la révolution vous savez que la jeunesse, la fougue de la jeunesse, nous
avons vu comment l’imam Khomeiny défiait l’Occident tout entier, et lui en tant
que religieux musulman, nous avions soif de voir en tant qu’intellectuel parce que
nous étions lycéens, voir quelqu’un qui défie l’Occident de la sorte, vraiment ça nous
a plu. On n’a pas cherché à savoir est, ce que c’est un sunnite ou un chi’ite ou bien
un… mais on avait dit que vraiment ça, si c’est ça, ce qu’il fait au nom de l’islam c’est
vraiment symbolique, donc c’est quelqu’un qui doit être avec la vérité. Donc c’est à
partir de ce moment-là que nous avons commencé à s’intéresser à lui et à la révolution
islamique.
Entre temps on a commencé après la stabilisation de la révolution islamique, on
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
a commencé à recevoir des manuels, des livres, de l’ambassade même iranienne à
Dakar avant sa fermeture.10 C’est à partir de là que nous avons commencé à adopter
le chiisme »11.
Dans les années 2000, Chérif Ali Aïdara a l’idée de créer une
association de soutien aux fidèles chiites de nationalité sénégalaise.
Depuis, il poursuit son travail de sensibilisation de ces derniers à ce
qu’il appelle « l’islam originel ». L’institut Mozdahir représente le
versant social de cette association et sa partie administrative qui a un
statut d’Ong. L’institut est dominé par l’aspect religieux qui contrôle
10. Le Sénégal a rompu toutes ses relations diplomatiques avec l’Iran en février 2011, suite à
des accusations du Sénégal de livraison d’armes aux rebelles de la Casamance par l’État iranien.
Les autorités sénégalaises rendent responsables ces armes de la mort de 16 soldats sénégalais
en Casamance. Les ambassades des deux pays ont été fermées.
11. Interview de Chérif Mbaalo accordé au centre Zahra France, publié le 10 septembre 2013
à Paris. Se reporter au site http://www.centre-zahra.com/temoignages/cherif-abou-djaafar-
mbaloo.html. (Consulté le 12 septembre 2013).
68
L’introduction du chiisme au Sénégal
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
l’attention et l’envie des jeunes Dakarois qui courent derrière le luxe
et la réussite, pensant pouvoir trouver cela dans les mains des riches.
En effet, certains jeunes Sénégalais pensent que pour réussir il faut
avoir « un bras long », ce qui veut dire, dans le langage sénégalais, se
lier à un homme riche et/ou puissant. Le président de la communauté
chiite a donc choisi d’installer son siège dans un endroit très respecté
et rarement touché par d’autres concurrents religieux. Ce choix est
supposé donner une stabilité sociale, ainsi qu’une visibilité sociale qui
lui confère de l’estime aux yeux des autres. Il faut ajouter qu’au Sénégal,
le guide religieux est un gardien de la stabilité sociale, économique et
politique pour ses disciples. De ce fait, il lui faut acquérir une certaine
autonomie financière.
Toutefois, le but de la création de cet institut n’est pas seulement de
promouvoir l’enseignement de la doctrine chiite au Sénégal. En dehors
de son projet spirituel, l’institut Mozdahir intervient parallèlement dans
les domaines de la santé, de l’éducation et de la formation. Il réserve aussi
une partie importante de ses actions à l’aide et à l’accompagnement des
personnes vivant sous le seuil de la pauvreté, notamment les habitants
de la zone sud du Sénégal. Dans cette optique, l’institut construit
des forages et des centres de santé dans les villages les plus éloignés,
notamment à Dara jolof, Vélingara, et à Najaff dans la région de Kolda.
Cela non seulement au Sénégal, mais aussi en Mauritanie, en Guinée
ou en Côte d’Ivoire. À cela, s’ajoute l’élaboration et la mise en œuvre
de programmes couplant l’enseignement général et professionnel à
l’éducation religieuse, en plus des échanges d’expériences avec d’autres
organisations parmi lesquelles Hawza et Zahra. En outre, l’institut
Mozdahir accorde beaucoup d’attention à toutes les compétences
qui pourraient jouer un rôle de représentant et de modèle dans son
69
Macoumba Diop
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
Les premiers convertis, le cas des arabisants
13. Rapport 2012 de l’Imi, publié le 28 août 2013, mozdahir.com, 21 p. voir aussi le rapport
de 2008 publié en 2012, mozdahir.com.
70
L’introduction du chiisme au Sénégal
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
La particularité des convertis au chiisme
71
Macoumba Diop
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
d’Ashûrâ qu’organise chaque année la communauté Mozdahir à Dakar.
Cela lui a permis de répondre à plusieurs reprises à des invitations de la
part des chaînes de télévisions, des radios privées et communautaires.
Il en fut ainsi jusqu’au jour où l’animatrice vedette de l’une des plus
grandes émissions « people » du Sénégal dans les années 2000, « show to
show », l’invite pour réaliser une émission sur la question de l’islam au
Sénégal et la découverte du chiisme15. Dans le courant de l’émission
plusieurs questions ont été soulevées, mais celle que qui a fait couler
le plus d’encre concernait la question du mariage temporaire. Alioune
Badiane affirme qu’il existe en islam un type de mariage, appelé en
arabe le nikah mot’a (mariage de plaisir, ou mariage temporaire), et qui
est pratiqué dans plusieurs régions du monde musulman, notamment
en Iran, et précise que ce type d’union est légal en islam. L’écho est tel
que les leaders religieux sunnites réagissent. Bien avant cette émission,
en 2009, Alioune Badiane avait sur une autre chaîne privée incité à la
légalisation du mariage contractuel. En plus des réactions de certains
chefs religieux, la police nationale est intervenue pour l’entendre sur
ses propos :
« Il [Alioune Badiane] a utilisé un ton tellement fermé que les autres islamologues
invités sont sortis de leurs gonds. Mais il n’en a cure, répliquant que chacun n’a qu’à
croire en ce qu’il veut (…) il ignorait que les propos qu’il ne cessait d’asséner était
suivi avec intérêt par les autorités et par les policiers, au point que la division des
investigations criminelles [Dic] a décidé à intervenir (…) Aliou [Alioune Badiane] a
été cueilli et conduit à la Dic ». 16
15. L’émission a été diffusée en août 2010. À cette occasion, Alioune Badiane m’avait
invité, parmi d’autres, à participer à l’enregistrement de l’émission à la télévision.
16. « Le théoricien du mariage contractuel : Alioune Badiane cueilli par la Dic », Sen24heures.com
du 19 septembre 2009.
72
L’introduction du chiisme au Sénégal
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
les relations entretenues avec des personnalités respectées servent à
calmer les esprits dans certaines situations où le débat sur le chiisme et
ses différences avec le sunnisme menace de troubler la paix publique.
Le maintien de ces liens permet aussi à ses membres de vivre leur foi
sans pour autant se séparer de la société. Néanmoins, l’équilibre est
fragile et les attaques ciblées contre des minorités confrériques sont
fréquentes au Sénégal, même si les dégâts qui s’en suivent sont pour
l’instant matériels et n’ont pas causé de mort. Mais, depuis une dizaine
d’années, le pays semble basculer vers des dérives et des affrontements
au sein de la société. Cela pousse les acteurs politiques à recourir aux
chefs confrériques qui, de leur côté, commencent aussi à perdre petit à
petit leur autorité.
Ces mêmes liens qu’entretient le guide de l’Imi avec des sympathisants
au niveau local se prolongent au niveau international, par la création de
petites associations « non reconnues » ou des rencontres quotidiennes
sans autant avoir un statut administratif particulier, pour ne pas susciter
certaines curiosités ou entraîner la suspicion sur son action. Que ce
soit en France, en Guyane, en Guadeloupe, en Iran ou en Irak, il
existe dans ces pays, des communautés chiites qui adhèrent aux projets
de Mozdahir. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la
fondation d’un nouveau centre à Dakar, le centre Ghadir, inauguré
en 2010 avec l’accord du gouvernement sénégalais, afin de permettre
à la communauté d’avoir un siège administratif à Dakar. Ce siège est
un centre d’accueil pour les visiteurs venant de l’étranger à l’occasion
des grandes manifestations, mais il est aussi un centre de formation qui
dispense des cours dans plusieurs domaines17.
73
Macoumba Diop
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
montée du chiisme. En effet, après 1960, les Sénégalais ont devant
eux deux types d’autorités, et chacune d’entre elle exerce un pouvoir
parallèle sur ce même peuple, sans pour autant essayer de s’unir pour
agir ensemble : il n’y a pas d’échange réel entre le pouvoir spirituel et
le pouvoir politique, sauf quand ce dernier a un besoin qui le pousse à
solliciter l’appui du religieux. L’absence de coopération entre ces deux
autorités donne naissance à un troisième acteur, celui des défavorisés et
des exclus. De fait, le disciple qui ne trouve pas de solution au sein de sa
confrérie cherche cette solution dans un autre groupe. Ces demandes
sociales, qui se multiplient de jour en jour, encouragent la montée des
courants religieux non confrériques, comme c’est le cas de plusieurs
mouvements néo-confrériques et du chiisme.
En outre l’autorité spirituelle et l’autorité politique sont confrontées
à des mutations qui se traduisent dans des phénomènes sociaux comme
la « révolution » pacifique des intellectuels en langue arabe, venus de pays
comme l’Égypte, l’Algérie ou le Maroc. Cette couche de la population
réclame une place au sein de la société et suscite un bouleversement
du système ancien. L’autorité spirituelle ou religieuse traditionnelle
avait déjà été mise en cause dès 1953 par la formation de l’Union
culturelle musulmane18 (Ucm) qui, dans la génération précédente, avait
pour but de réformer l’islam sénégalais, dirigé à l’époque par le biais
des confréries religieuses. En 1979, le jama-at ibaadou rahmane de Thiès
renouvelle la démarche qu’entamait, sans succès, l’Ucm, et dans les
années 1980, c’est au tour du mouvement chiite Ali Yacine de réactiver
cette réforme de l’islam sénégalais, en orientant les gens vers le chiisme.
Ces processus de réforme et ces réformateurs de filiations différentes,
ont joué un rôle majeur dans la mobilité religieuse des Sénégalais. De
ce fait, ces mouvements ont réussi à convertir beaucoup de personnes
74
L’introduction du chiisme au Sénégal
dans toutes les couches sociales du pays. Ceux qui sont les plus touchés
par ces réformes sont les chefs des confréries qui changent d’affiliation.
Pour ce qui est du chiisme, ses adeptes sont pour la plupart issus des
confréries mouride et tidjâne.
Du point de vue politique, l’État du Sénégal est laïc. Cette laïcisation
de l’État permet à toute communauté et à toute croyance religieuse ou
autre de s’intégrer et de pratiquer ses croyances sans gêner le déroulement
de la cohabitation entre les différents groupes qui constituent la société.
Mais la laïcisation de l’État impose d’inventer des modes de régulation
pour prévenir les risques qui pourraient naître de l’activité de certains
groupes minoritaires. C’est le cas pour les wahhabites, les chiites, les
témoins de Jéhovah ou les ibaadou rahman19.
Sous l’angle sociologique, le niveau intellectuel dans le domaine des
sciences islamiques est très faible. Le nombre d’étudiants en sciences
religieuses est largement inférieur aux autres. L’ignorance des sources et
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
des normes, l’attachement aux traditions font du Sénégal un pays où les
pratiques religieuses sont multiples. Il n’est pas fréquent au Sénégal que
les musulmans de confessions différentes s’accordent sur une question
qui touche la religion. Que cela soit pour les jours de fêtes comme îd
al-fitr (une journée qui marque la fin du mois de ramadan chez les
musulmans du monde entier) ou îd al-adhâ (tabaski en wolof, 10e jour
du mois du Muharram, dans le calendrier musulman), depuis longtemps
ils ne se fêtent pas le même jour. Même dans les pratiques rituelles de
l’islam, les fidèles composent avec les traditions anciennes. On peut
citer plusieurs exemples de ce genre. Ainsi pour se convertir à l’islam,
prononcer le shahâda ne suffit pas : on se rase la tête, on se lave avant de
venir devant l’imam, la présence de plusieurs témoins dans la mosquée
est requise, etc. En outre l’intransigeance confrérique de certains
constitue une barrière entre les différentes forces religieuses. Cela offre
un espace à d’autres pour s’intégrer dans le paysage religieux. C’est le
cas des « Yalla Yalla », courant religieux dont on ignore la provenance et
qui prétend posséder le pouvoir de voir Dieu physiquement.
Dans ce contexte où les divergences portent sur les points spirituels,
Mozdahir choisit de porter des projets au-delà de l’aspect religieux. Il
entame des actions de développement rural, d’investissement sur des
secteurs comme l’éducation dans les zones éloignées, la santé pour tous
et bien d’autres enjeux de développement. Il se veut moderne, avec
un islam dit originel et authentique, lavé de toute souillure et de toute
accusation.
19. Ils sont wahhabites mais portent une autre appellation qui les distingue du mouvement
wahhabite tel qu’on le connaît ailleurs.
75
Macoumba Diop
Conclusion
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
marquants dans le processus d’implantation et d’intégration du chiisme
au Sénégal.
Quelle sera l’évolution ? Peut-on envisager un retour du pouvoir
confrérique sous d’autres formes avec la montée des mouvements néo-
confrériques, comme le mouvement Moustarchidine21 ou le mouvement
Yalla-Yalla22 qui dirige son action vers des jeunes souvent situés hors
du système confrérique ? Ces mouvements néo-confrériques, s’ils se
développent, pourraient constituer un obstacle pour un développement
durable du chiisme à Dakar et surtout influencer la recomposition du
paysage religieux.
76
L’introduction du chiisme au Sénégal
Bibliographie :
© Karthala | Téléchargé le 16/02/2021 sur www.cairn.info par Oumar Ka THIAM via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
in Béatrice Bakhouche et Isabelle Fabre (dir.), Dynamiques de conversion :
Modèles et résistances, approche interdisciplinaires, Brepols, 2012, 193 pages.
Ngaïndé Abderrahmane, L’esclave, le colon et le marabout. Le royaume du
Fuladu de 1867 à 1936, L’Harmattan, 2012, 248 pages.
Richard Yann, L’islam chiite, croyances et idéologies, Fayard, 1991, 302
pages.
Seck Abdourahmane, La question musulmane au Sénégal, Karthala,
Paris, 2010, 254 pages.
77