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Malik Noël-Ferdinand
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Le corps perdu du créole
chez Aimé Césaire et Derek Walcott
Malik Noël-Ferdinand *
all the complexity of its surrealism, its sometimes invented words, it sounds,
to at least one listener familiar with French Patois, like a poem written tonally in
Creole6”. C’est que le Saint-Lucien sait de quoi il parle puisqu’il incorpore ce
« French Patois » à nombre de ses poèmes. Mais l’originalité de Walcott tient à
la mise en scène de l’oralité créole dans son œuvre. Comme l’explique Marta
Dvorák dans son article « Troping the Voice-print : Derek Walcott’s Rhetoric
of Performance7 », le poète joue d’harmonies imitatives et de représentations
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iconiques pour suggérer intonations et mélodies. Nous proposons donc de
voir comment la réception de Walcott peut éclairer la présence du créole
dans l’œuvre poétique de Césaire. Ainsi, le poème « Corps perdu8 » qui met
en jeu énonciation, oralité, spatialisation sur la page et locutions en créole
constitue un terrain propice à ce type de contrepoints. Dans ce cadre, une
lecture du poème « Sainte-Lucie9 » qui présente ces mêmes caractéristiques
et une analyse d’Omeros, poème qui allie en plus la thématique commune de
la consumation cosmogonique, permettent une meilleure appréhension du
créole à l’œuvre dans le poème de Césaire.
Loin de ces représentations, locuteur martiniquais moi-même, j’ai pu, à son initiative,
converser avec Walcott en créole. C’est aussi à l’initiative de Césaire que nous avons traduit
ensemble une scène du Roi Christophe en créole, expérience relatée plus en détail dans mon
mémoire de maîtrise. Malik Ferdinand, Li Wa Kristof la : expériences d’une traduction en créole
martiniquais de La Tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire, Mémoire de Maîtrise LCR,
Université des Antilles-Guyane, 2004, p. 2.
6. Derek Walcott, « The Muse of History » (1974) in What The Twilight Says, op. cit., p. 49.
7. Marta Dvorák, « Troping the Voice-print : Walcott’s Rhetoric of Performance »,
Commonwealth Essays and Studies 28.2, Spring 2006.
8. Dans cette étude nous considérons la version de « Corps perdu » publiée dans Cadastre
(1961) et rééditée dans La Poésie. Les citations du poème sont extraites de La Poésie, Seuil,
Paris, 1994, p. 228-230.
9. Publié dans Sea-Grapes en 1976, ce poème est particulièrement cher au cœur de Walcott
puisque c’est ce poème qu’il choisit de dire lors de son retour au pays natal pour la présen-
tation du Prix Nobel en 1992. La section en créole est suivie d’une traduction en anglais.
Les citations du poème sont extraites des Collected Poems 1948-1984, Farrar, Straus and
Giroux, New York, 1986, p. 309-323.
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Pomme arac,
otatheite apple,
pomme cythère,
pomme granate,
moubain,
z’anananas
the pineapple’s
Aztec helmet,
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pomme,
I have forgotten
what pomme for
the Irish potato,
cerise,
the cherry
z’aman
sea-almonds
by the crisp
sea-bursts,
au bord de la ‘ouvière
Come back to me,
my language.
Come back,
cacao,
grigri,
solitaire,
ciseau
the scissor-bird
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dans la vivante semoule d’une terre bien ouverte.
11. Salah Stétié, « Moi qui Krakatoa », Europe n° 832-833, août-septembre 1998, p. 10
12. Richard D.E, Burton « Traversée paradoxale d’un texte : Corps perdu d’Aimé Césaire »,
Présence francophone, n° 46, 1995, p. 125.
13. James A. Arnold, Modernism and negritude : the poetry and poetics of Aimé Césaire,
Harvard UP, Cambridge, 1981, p. 235-242.
14. Outre les vers déjà cités, ces occurrences sont tirées des vers : « je siffle oui je siffle des
choses très anciennes/ […] Le vent hélas je l’entendrai encore/ […] et ce fou hurlement
de chiens et de chevaux/ […] je me lèverai un cri et si violent. »
15. « Ille ego qui quondam gracili modulatus auena », Virgile, Enéide, Belles Lettres, Paris,
2002, p. 5.
16. Lambert-Felix Prudent, « Aimé Césaire : contribution à la construction d’une langue
martiniquaise » in Aimé Césaire à l’œuvre, Marc Cheymol et Philippe Ollé-Laprune (eds.),
Archives contemporaines, Paris, 2010, p. 37.
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relève pas d’un même jeu, implicite celui-là, dans « Corps perdu ». Á notre
connaissance, bien que tous les lecteurs aient été troublés par l’étrangeté des
formules de « Corps perdu », seul Burton a, dans son article « Traversée para-
doxale d’un texte : Corps perdu d’Aimé Césaire », franchi le Rubicon créole et
relevé onze « éléments locutifs créoles présents à l’état latent ou virtuel17 ».
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Cinq des éléments relevés par Burton nous semblent déterminants
et nous en avons noté deux autres. Expliquons d’abord pourquoi les
cinq interférences emportent notre adhésion :
1. Burton remarque la présence du phonème « krak » caractéris-
tique du conte créole dans « Krakatoa ». Si nous prenons en compte
la composition du recueil Cadastre et donc l’ajout du poème « De
forlonge18 » avant « Corps perdu », la remarque d’Annie Dyck, pour
qui l’écriture césairienne « tend vers une communication empha-
tique avec la communauté noire américano-caribéenne19 », trouve un
singulier écho :
répondeur sait bien que dame rime avec igname20. Après la découverte
« De forlonge », le lecteur, de connivence avec le narrateur, se prépare à
lire un autre énoncé similaire au conte c’est-à-dire diglossique21.
2. Burton note la présence dans « Krakatoa » de la particule ka. Cette
perception permet d’entendre la verbalisation du substantif Krakatoa à
la fois comme aspect accompli avec l’allusion au passé simple français
(terminaison en a) et comme duratif puisque la particule ka marque l’as-
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pect progressif du procès en créole. Cette hétéroglossique grammatologie
césairienne présente donc l’avantage de lier le premier vers au présent de
l’indicatif explicite (« moi qui bêle ») ou suggéré (« moi qui Zambèze »)22
des vers suivants.
3. D’après Burton, dans l’anaphore « Moi qui », le moi (nasalisé en
moin) correspond au pronom personnel sujet en créole. Nous retrou-
vons, par exemple, cette formule dans le « Grain-sèl » de Sonny Rupaire :
« Et moin qui aille dêïê-lan-mê,/ moin ki ten’-li chanté23».
4. Burton considère aussi que « paix-là » (tais-toi), présent dans le
vers de « Corps perdu », « Je or vent paix-là », constitue la locution créole
la plus flagrante du poème. En jouant de « Bouclez-la », le titre de son
poème, Léon Gontran Damas s’adonne, dans Névralgies, au même exer-
cice que Césaire : « Paix-là/ je dis/ je redis paix-là/ sur ce désir que j’ai
d’Elle/ Elle/ mon Ile/ de rose-Cayenne24 ». De plus, à l’instar du Cahier
où « [une femme] interpelle brusquement une pluie hypothétique et lui
intime l’ordre de ne pas tomber25 », l’adresse aux éléments naturels (ici
le vent) est liée à une personnification qui n’est pas, en créole, figure de
20. « - Madame est dans sa chambre et ses cheveux flottent en dehors./ Silence. Long
silence. Quelques bouffées de sa vieille pipe, et c’est lui-même [Monsieur Médouze] qui
va répondre : - Un pied d’igname. / Cela me parut extraordinaire./ - Mais oui, explique-
t-il : l’igname est dans la terre qui lui sert de chambre, et ses vrilles, comme des boucles de
cheveux, grimpent sur les rames », Joseph Zobel, La Rue Cases-Nègres, Présence Africaine,
Paris, 1974 [1950], p. 53.
21. « Le créole, langue de poétique et de rhétorique orales se trouve exclue du discours
littéraire romanesque par sa faible lexicalité conceptuelle. Ainsi le créole possède le
modèle du conte et du chant, mais non celui du roman », Jacques Coursil, « L’Eloge de la
muette », Espace créole, n° 9, 1999, p. 41.
22. Le ka peut également prendre une valeur itérative, Robert Damoiseau, Eléments de
grammaire comparée Français-Créole, Ibis Rouge, Petit-Bourg, 1999, p. 101.
23. Sonny Rupaire, Cette igname brisée qu’est ma terre natale ou Gran parade ti cou-baton…,
Parabole, Paris, 1973, p. 77.
24. Léon Gontran Damas, Pigments [1937], Névralgies [1966], Présence Africaine, Paris,
2005, p. 97.
25. Césaire, op. cit, p. 11.
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style mais règle de grammaire : on ne dit pas il pleut mais la pluie tombe
(lapli ka tonbé).
5. La dernière remarque de Burton a trait à l’emploi du mot corps dans
le titre. En parlant d’« un sens élargi de ‘corps’ en créole26 », le critique a
une intuition mais s’arrête là. Pourtant, si nous suivons la piste du corps,
deux autres éléments se lisent au révélateur d’un squelette créole et
permettent de comprendre à quoi rime le jeu césairien avec l’autre lecte.
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• Ronnie Scharfman parle à propos de l’expression « je me lèverai un
cri » d’une « structure auto-réflexive27 ». Effectivement, avec le vers de
« Corps perdu », « couché je verrais venir à moi les odeurs enfin libres »,
nous savons que c’est un narrateur couché qui, négritude oblige, se met
debout et profère l’envoi du poème :
relation avec le titre qui fait du créole le corps perdu du poème. La perte
du corps grammatical étant là encore suggérée par la sémantique (perdre/
perdu), l’oreille antillaise peut entendre la traduction de « je me perds » en
créole : moin ka pèd kò moin (je perds mon corps).
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intérieur, d’une rupture infranchissable entre le poète-messie et le mwen
collectif du peuple martiniquais30 ». C’est précisément l’attention au
pronominal corps perdu qui nous éloigne de cette lecture. Au contraire,
nous pensons que Césaire construit à dessein la scène de cette diglossie.
Réfutant « l’hypothèse de l’abandon, conscient ou non, du créole31 »,
Prudent a noté l’indéniable passion de Césaire pour le créole et loué la
modernité de « son discours sociolinguistique32». Pour un Césaire à l’affût
de réminiscences africaines, le thème de la réflexivité et du corps est parti-
culièrement significatif et le poète a sûrement lu la grammaire du créole
haïtien de Suzanne Sylvain publiée en 1936 qui attribue une origine wolof
au « pronom réfléchi » créole33. Plus encore, le corps tient une place capi-
tale dans les langues et cultures créoles. Joby Bernabé y reconnaît « l’es-
sence de la philosophie animiste qui attribue à chaque corps physique
vivant une force34 ». Et si la thèse d’une origine syntaxique africaine est
discutée, l’importance de « l’habitus corporel », de « l’apport cognitif,
affectif et pragmatique des anciens captifs » constitue in fine, pour Gabriel
Manessy35, l’élément indispensable à la créolisation linguistique. En sus
des lectures psychanalytiques, mythologiques, érotiques ou politiques du
poème, le potentiel cognitif de « Corps perdu » est donc tout adapté aux
29. Ronnie Scharfman, « Corps perdu. Moi nègre retrouvé » in, Soleil éclaté : mélanges
offerts à Aimé Césaire à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire par une équipe inter-
nationale d’artistes et de chercheurs, Jacqueline Leiner (éd.), Gunter Narr, Tübingen, 1984,
p. 386. R. Burton, op. cit , p. 125.
30. Ibidem, p. 131.
31. Prudent, op. cit., p. 21.
32. Ibidem, p. 34
33. Suzanne Sylvain, Le Créole haïtien, morphologie et syntaxe, imprimerie de De Meester,
Wetteren, 1936, p. 176.
34. Laurette Célestine, « Tout kò sé kò, entretien avec Joby Bernabé », Gaïac, n°3, mai 2012,
p. 134.
35. Gabriel Manessy, « Réflexion sur les contraintes anthropologiques de la créolisation.
De l’improbabilité d’un métissage linguistique dans les créoles atlantiques exogènes »,
Etudes créoles, Vol. XIX, n°1- 1996, p. 70.
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de décrire le créole corps retrouvé du poème.
with curling tongues, then ash, and their language was lost.
Like barbarians striding columns they have brought down,
the fishermen shouted. The gods were down at last.
Omeros, 6
36. Francis Affergan, Martinique, les identités remarquables : anthropologie d’un terrain
revisité, PUF, Paris, 2006, p. 93.
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tomie du langage. La consumation des feuilles étant mise en relation
avec le génocide amérindien, que le nom de la langue, Aruacs’ patois,
apparaisse précisément au moment où le narrateur signale sa dispari-
tion n’est pas accidentel. Le paradoxe, l’évocation de la disparition de la
langue arawak et l’apparition du nom, se manifeste également dans l’ar-
chitecture du texte. Avec la métaphore, “while the Aruacs’ patois crackled
in the smell/ of a resinous bonfire” où le rapprochement des sons, phrasé
d’une langue et crépitement d’un feu se fonde sur la proximité Aruacs/
crackled et avec la structure dynamique des rimes interstrophiques
(syllable/ babble ; bois-campêche/ flesh ; laurier-cannelle/ smell ; brown/
down) de la terza rima, l’auteur donne l’impression d’évoquer l’arawak
à vif. La relation entre fragrance de la langue et fumée du brasier
apparaît donc comme une déclinaison de la métaphore du brasier de
la création poétique37. Mais le simulacre, la construction d’un langage
poétique sur les cendres d’une langue morte, s’appuie sur le « Babel
génétique38 » walcottien : l’anglais en est la langue principale, l’arawak
est mentionné dans le discours et le créole est incorporé au lexique.
Comme le note Paula Burnett39, lorsque qu’au début de l’extrait, Achille
s’adresse au gommier, “Tree! You can be a canoe! Or else you cannot!”,
le verbe cannot évoquant le kannòt créole, le calembour implicite est
nécessairement aporétique : l’arbre n’a pas le choix, il sera canot et le
texte sera polyglossique. De ce point de vue, choisir le nom patois qui
désigne le créole saint-lucien pour caractériser l’arawak correspond aux
recherches historiques sur les variations dialectales d’une même langue
arawak40. Et le poète de jouer à nouveau du parallèle entre langues créole
37. “He [the poet] burns what he has made the day before by adding new wood to the flame”,
Derek Walcott, « The Figure of Crusoe », Robert D. Hamner (ed.), Critical Perspectives on
Derek Walcott, Three Continents Press, Washington D. C, 1993, p. 36.
38. Joseph Brodsky, op. cit., p. 141.
39. Paula Burnett, Derek Walcott : Politics and Poetics, Gainesville, University Press of
Florida, 2000, p. 150.
40. Jean-Pierre Sainton (dir.), Histoire et civilisation de la Caraïbe : le temps des Genèses,
Maisonneuve & Larose, Paris, 2004, p. 62-64.
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of the climbing flame. Then the ridged beast disappeared.
that burning there like the leaves and pomme is the word
in patois for ‘apple’. This used to be their place.”
Omeros, 163
41. En ajoutant majuscule et trait d’union, le poète change l’ancienne étymologie tahi-
tienne (otaheite) vue dans « Sainte-Lucie » : “Pomme arac,/ otaheite apple”
42. Jacques Derrida, Feu la cendre, Des Femmes, Paris, 1987, p. 33.
43. Georges Voisset, Les Lèvres du monde : littératures comparées de la Caraïbe à l’ar-
chipel malais, Perséides, Bécherel, 2008, p. 309.
44. Jacques Corzani, « Césaire et la Caraïbe oubliée » in Soleil éclaté, op. cit., p. 98.
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En tout cas, la fumée qui s’échappe du brasier walcottien est signe d’un
retour à la voix cendrée de Sesenne, la diva créole de Sainte-Lucie :
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whose cuatros tighten my heartstrings. The shac-shacs45
45. Derek Walcott, « Homecoming », The Bounty, Farrar, Straus and Giroux, New York,
1997, p. 31. Le poème est consacré à Dame Sesenne (1914-2010), chanteuse et officielle
Queen of Culture de Saint-Lucie.
46. Derek Walcott, « The Antilles : Fragments of Epic Memory » (1992) in What The
Twilight Says, op. cit., p. 80.
47. Aimé Césaire, « Discours pour l’inauguration du monument en l’honneur de Gilbert
Gratiant » repris pour la préface de Gilbert Gratiant, Fables creoles et autres écrits, Stock,
Paris, 1996 [1976], p. 8.
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Songe donc
nous savoir
dans la pluie dans les cendres dans le gué
dans la crue
là
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sans chiffres ni rune
rué par monts et vaux
nous savoir ce cœur lourd
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heart ?’” (Omeros, 16), s’aidant de la traduction, le lecteur familiarisé au
ch anglais, comprend que le choix d’écrire chœur et non cœur permet au
diptyque chœur/ campêche de marquer la prononciation tchè de cœur en
créole. Ainsi, le campêche étant un arbre au bois lourd et dur, le chœur
campêche de Walcott donne à entendre le tchè d’un Césaire au cœur de
rocher dans le « nous savoir ce cœur lourd/ grand rocher éboulé infléchi
du dedans » vu plus haut.
C’est donc en lisant Walcott que l’on comprend que les créolismes de
Césaire sont toujours « hors de gamme » c’est-à-dire conformément au sens
créole de ganm51, non dans le frou-frou des affections mais dans la struc-
turation des formes. Et si les corps perdus de Picasso font écho au Cri de
Munch52, les « membres déchiquetés » de l’Icare césairien53, qui « siffle des
choses très anciennes », rappellent les morceaux du Sésé serpent caraïbe
à l’origine de la formation d’un arc que le créole de l’iguane walcottien
continue, entre Iounalao et Iouanacaera 54, de faire exister.
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