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CONVERGENCES ENTRE
EN ROUTE, INFERNO ET LÉGENDES
Mickaëlle Cedergren
p. 5-23.
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récemment, même si fut soulignée au sein des deux œuvres une « évolution
comparable, qui aboutit à une insatisfaction profonde face au matérialisme
de la société contemporaine et à son esthétique » 2, les divergences ont été
de nouveau mises en avant.
Revue 1-2012
de Littérature comparée
Mickaëlle Cedergren
c’est-à-dire religieux. 7
3. Lettre de Strindberg à Axel Herrlin le 22 septembre 1897 : « Skakande var att läsa
Huysmans En Route ! Hvilken bok ! Hvilken bok ! Har Du läst den ! Han slogs ned han som
jag ! » (notre trad.).
4. Trois articles sont parus dans les quotidiens Arbetet, Svenska Dagbladet et Göteborgs-
Handels- och Sjöfarts-Tidning, respectivement le 23, 24 et 26 novembre 1897.
5. August Strindberg avait eu recours au poète Marcel Réja pour corriger son français.
6. Voir Ann-Charlotte Gavel Adams, « Strindberg et Huysmans : un cas de plagiat ? »,
Gunnel Engwall (dir.), Strindberg et la France, Stockholm, Acta universitatis stockhol-
miensis, Romanica Stockholmiensa, vol. 15, 1994, p. 39-51.
7. Lettre de Strindberg à Réja le 20 novembre 1897.
8. Légendes, op. cit., p. 237.
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Strindberg, lecteur de Huysmans
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tids förut mäst originela andar gjort sig skyldig till en — omedveten ? — kompilation af
J.K. Huysmans En route och La Bas, dessa båda arbeten, som väckt en sådan uppmärk-
samhet inom den katolska världen […]. Frånsett Strindbergs privatförhållanden, hvilka här
och där antydas, de alkemistiska funderingarna och några utdrag ur Swedenborgs arbe-
ten möter oss i detta värk Huysmans själf in duplo, ett faktum, som hvarje kännare af
denna författare med undran måste konstatera. Fas efter fas skulle vi kunna uppvisa denna
slående likhet. Eller vill kanske Strindberg förneka, att han läst eller rättare sagt studerat
Huysmans ? »
11. « August Strindberg och “Inferno” », Arbetet, 23 novembre 1897.
12. Ann-Charlotte Gavel Adams, art. cit., p. 40.
13. Lettre de Strindberg à Kerstin Strindberg le 4 mai 1897.
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Strindberg, lecteur de Huysmans
celui-ci le 1er mai 1897, deux jours avant le début de l’écriture de son roman,
à travers la lecture de Comment on devient mage.
Un retour en arrière s’impose ici. Strindberg a, en réalité, fait la connais-
sance de Huysmans une décennie plus tôt en 1889 14. Intrigué par son
confrère, il s’interroge alors sérieusement sur le succès du nouveau genre
littéraire créé par Huysmans tout en étant conscient de sa renommée litté-
raire et de sa place médiatique. Son intérêt pour Huysmans va grandissant
avec le temps. Précisons qu’un des tous premiers livres de l’écrivain fran-
çais, Les Sœurs Vatard (1879) figurait déjà dans les rayons de sa bibliothèque
en 1892 et qu’il fera l’acquisition, plus tard, de deux autres livres du même
auteur, De tout (1902) et L’Oblat (1903). Mais En route ne figure ni dans sa
bibliothèque ni dans sa correspondance malgré son « succès immédiat » 15.
Strindberg, généralement bien informé, n’a curieusement pas acquis une
des œuvres les plus commentées à l’époque.
Toute l’attention de la presse française était tournée vers Huysmans
depuis le scandale de Là-bas 16. Mentionnons ici l’interview, publiée dans Le
Figaro le 5 janvier 1895, dans laquelle Huysmans présente son livre 17. Il y
présente des généralités avant de donner une description plus détaillée de
J’ai repris le personnage principal de Là-bas, Durtal, que j’ai fait se con-
vertir et que j’ai envoyé dans une Trappe ; j’ai essayé, à propos de lui, de
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noter les épisodes d’une âme effarée par la Grâce, et évoluant parmi des
chapelles, dans un accompagnement de littérature mystique, de liturgie,
de plain-chant, dans tout le milieu de cet art admirable qu’a créé l’Église.
La première partie se passe à Paris. Durtal isolé, dégoûté de tout, erre
dans les églises et les couvents de la rive gauche […]. Puis manié par un
vieux prêtre très exceptionnel, il finit, après d’horribles crises d’âme, par
se laisser envoyer dans une Trappe. Et c’est la deuxième partie du livre.
Durtal arrive au monastère de Notre-Dame-de-l’Âtre, […], et là il achève sa
conversion après des crises diaboliques, dont les moines le débarrassent.
Le cadre d’En route est posé et, bien qu’il ne figure pas reproduit in texto dans
Inferno et Légendes, certains traits récurrents vont s’y retrouver tels Paris,
les différentes églises de St Germain, l’isolement et le trouble du narrateur
strindbergien, La Trappe, les crises répétitives. C’est peut-être ce qui fit dire
à Gavel Adams que le manuscrit retrouvé en 1990 dans les archives strind-
bergiennes (Sg NM 15 : 5, 23), document inédit écrit en français et en sué-
dois, intitulé PARIS, qu’elle date d’environ janvier-février 1895, serait une
première ébauche d’Inferno très proche d’En route. Dans ce document, un
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24. Ann-Charlotte Gavel Adams, art. cit., p. 40 sqq. Les documents ont été retrouvés par
Gavel Adams.
25. Lettre de Strindberg à Anders Eliasson le 1er décembre 1896.
26. Chamuel, occultiste et membre de l’ordre martiniste, a fondé la librairie du Merveilleux
qui publia la revue occulte Initiation (Ann-Charlotte Gavel Adams, The Generic Ambiguity
of August Strindbergs Inferno : Occult Novel and Autobiography, Washington, Seattle,
1990, p. 58 sqq.).
27. Consulter la recension de Jollivet sur La Cathédrale de Huysmans dans le numéro
d’avril 1898 (no 4, p. 12) de L’hyperchimie, conservé dans les archives de Strindberg
(SgNM 21:2,3). En route, au même titre que La Cathédrale, sont, selon Jollivet, des
œuvres « monotones ». Selon lui, Huysmans « jouit d’une vogue mondaine » et
« représente le sadique dépravé, quoique catholique peu banal ».
28. Voir lettre de Strindberg à Jollivet le 29 septembre 1897.
29. Pierre Cogny, J.-K. Huysmans à la recherche de l’unité avec de nombreux inédits, Paris,
Nizet, 1953, p. 125.
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30. Voir Silvanus, « Den katolska propagandan och sanningen », [La propagande catholi-
que et la vérité], Göteborgs Handels- och Sjöfarts-tidning, 1er novembre 1895.
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de ses bienfaiteurs.
Alors que Légendes vient d’être achevé, qu’Inferno est en passe d’être
publié en France, Strindberg a dû avoir peur d’être étiqueté comme disciple
de Huysmans alors que ce dernier s’était converti et qu’il n’avait plus bonne
réputation chez les occultistes.
Au début des années 1890, Strindberg est plutôt charmé par la littérature
huysmansienne. Les trois premières des années 90 représentent d’une part le
début de l’influence nordique et d’autre part l’époque glorieuse de Strindberg
à Paris 32. Mais les rapports qu’entretient Strindberg avec Huysmans sont
ambigus. En 1894, Strindberg s’évertue à figurer comme le véritable précur-
seur du satanisme et confirme son ralliement au maître 33 : il ne s’agit peut-
être pas tant d’un plaidoyer contre mais en faveur de Huysmans, au même
titre que le sera sa lettre du 1er décembre 1896 où il présente Huysmans
comme « le plus grand des érudits » [den störste och lärdaste skeptiker] pour
légitimer sa nouvelle orientation littéraire. Reste à saisir pourquoi il passe
sous silence, dans cette même lettre, le livre En route, paru depuis presque
deux ans, et dont il a évidemment eu écho. Les incohérences de Strindberg
(les définitions contradictoires du satanisme, la feinte d’ignorer Péladan, son
retournement contre le catholicisme) mettent soudain en doute ses propres
paroles. Que Strindberg se soit aperçu de nombreuses ressemblances entre
31. Jean Pierrot, L’Imaginaire décadent (1880-1900), Paris, PUF, 1977, p. 139.
32. Stellan Alhström, op. cit.
33. Voir lettre de Strindberg à Leopold Littmansson le 17 juillet 1894.
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Elles sont enviables, se dit-il, ces âmes qui peuvent s’abstraire ainsi
dans l’oraison ; comment font-elles, car enfin ce n’est pas aisé, lorsque
l’on songe aux misères de ce monde, d’aduler la miséricorde si vantée
d’un Dieu ? On a beau croire qu’il existe, être certain qu’il est bon, on ne
le connaît pas, en somme, on l’ignore ; Il est, et en effet, il ne peut être
qu’immanent et permanent, inaccessible. Il est on ne sait quoi et l’on sait
Aux yeux du narrateur strindbergien, Dieu est aussi l’Inconnu manifeste dont
il recherche obstinément à dévoiler le visage complexe et énigmatique. La
diversité des attributs accordés à Dieu résume, de fait, l’incapacité du narra-
teur à cerner l’identité de Dieu 35.
Et pourtant, tous deux sont en quête d’un Dieu personnel, capable
peut-être de nourrir une part de leur égocentrisme humain. Durtal est à la
recherche d’« un Jésus bien à lui donc, qui le guide, le nourrit et l’accueille
au Paradis, un Dieu intime qui ne s’occupe que de lui » 36. Le personnage
strindbergien rêve lui aussi d’une relation intime avec L’Éternel, il veut un
contact proche avec Dieu et exprime son idéal en citant Job 16.21 : « Oh ! s’il
était permis à l’homme de raisonner avec Dieu, comme un homme avec son
ami intime ! » 37 Il recherche un interlocuteur véritable, un Dieu visible avec
lequel il y a possibilité de dialogue et de confrontation. Le narrateur d’Inferno
avoue avoir « découvert l’existence de la main invisible qui dirige [s]es pas
sur le chemin raboteux […]. L’inconnu [lui] est devenu une connaissance per-
sonnelle, auquel [il] parle et rend[] grâce, demand[e] des conseils » 38. Dans
Légendes, le narrateur esseulé parle du Seigneur comme d’un « ami per-
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sonnel » 39. Le texte d’En route nous offre le même tableau : « – En somme,
le but de la Mystique, c’est de rendre visible, sensible, presque palpable, ce
Dieu qui reste muet et caché pour tous » 40.
Le narrateur, dans la trilogie d’Inferno, aboutit à la même conclusion.
Moyennant un intertextexte biblique méthodiquement choisi, Strindberg
dévoile peu à peu l’Éternel. Dieu ne fait que parler, agir et attendre que le
protagoniste comprenne. Exceptées ces paroles, il y a aussi les temps litur-
giques où se font face Durtal ou le protagoniste strindbergien et L’Éternel.
Si Durtal rencontre Dieu dans la communion eucharistique, le personnage
strindbergien quant à lui fera sa première rencontre avec Dieu dans le ton-
nerre 41. À chaque fois, le narrateur est bouleversé, comme dans ce passage
de Jacob lutte au cours duquel il participe à la messe catholique 42 : « Je ne
comprends rien, mais j’éprouve un respect, une crainte inexplicables, et un
sentiment m’envahit : ceci, tu l’as vécu et tu y as participé autrefois. » 43
La recherche de la vérité, de l’authenticité 44, une des caractéristiques du
personnage décadent, est tout aussi flagrante dans Légendes que dans En route.
L’éclat de cette vérité fait frémir le protagoniste strindbergien qui s’écrie : « Ô,
la vérité, cachée pour les mortels, que j’eus l’insolence de croire avoir dévoilée
Certes, la langue n’est pas la même entre les deux écrivains, leur style reste
leur identité propre mais la problématique est bien analogue : il s’agit de trou-
ver la vérité, de faire face à ses fautes, de les expier, de chercher la rédemp-
tion, de faire pénitence et d’errer jusqu’à trouver la paix intérieure qui, pour
chacun des personnages, n’existe qu’en Dieu, le fondement de la Vérité.
Dans Légendes et Jacob lutte, Dieu est proche des préoccupations
humaines, il est un père au cœur attendri qui sait répondre « aux vœux
de ses enfants insensés » 46. Dieu est « une « puissance bienveillante » 47,
un Père attentif aux demandes de l’homme qui sait « écout[er] les objec-
tions des mortels et laiss[e] se défendre les accusés » 48. N’est-il pas aussi
le « Père du Ciel, le débonnaire qui [sait] sourire aux folies des enfants et
pardonner après avoir puni ? » 49. Ici, le parallèle avec Huysmans s’impose,
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dans la postface de Jacob lutte 57. À noter que Strindberg possédait un exem-
plaire de L’ornement des noces spirituelles de Ruysbroek l’admirable dans
lequel le même passage figurait souligné 58. L’un comme l’autre éprouvent
un énorme respect face au surnaturel et se défendent de l’explorer.
Huysmans écrit :
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Cela prouverait que la confusion est au bout de tout essai d’aller à l’assaut
du ciel, comme de rechercher les secrets de la Providence, et que toute
tentative d’approcher la religion par la voie du raisonnement conduit à
des absurdités. Sans doute est-ce parce que la religion, de même que les
sciences, commence par des axiomes dont la qualité vient de n’avoir pas
à être prouvés, et qui ne peuvent pas l’être, en sorte que si on essaie de
formuler les conditions évidentes et nécessaires, on tombe dans le sau-
grenu. […] Credo quia absurdum, je crois parce que l’absurde qui résulte du
raisonnement me fait savoir que j’étais en train de prouver un axiome. 60
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– On ne peut refaire ce qui est fait, on ne peut annihiler une seule action
mauvaise ; de là le désespoir. C’est alors que le Christ se révèle : Lui seul
sait effacer la dette impayable, opérer le miracle et enlever le fardeau
de la conscience et des remords. Credo quia absurdum, et je suis sauvé.
– Mais je ne peux pas moi ; et je préfère de payer mes dettes moi-même
par les souffrances. Il y a des moments où je désire une mort cruelle,
sur le bücher, brûler vif, éprouver la joie maligne de faire du mal à mon
propre corps, la prison d’une âme qui aspire vers les hauteurs. 68
62. « Han har säkert icke lidit för oss […] ty hade han, skulle våra lidanden ju ha mins-
kats. » (Jacob lutte, dans Légendes, « éd. cit. », p. 146). « Il [le Christ] n’a certainement
pas souffert pour nous […] car s’il l’avait fait, nos souffrances auraient diminué » (Jacob
lutte, dans August Strindberg, Œuvres autobiographiques, éd. cit., p. 579).
63. Expression figurant sur plusieurs feuilles manuscrites dans les archives strindber-
giennes (SgNM 9 : 5, 37 ; 9 : 3, 27 ; 3 : 8,4).
64. Nicolas Mulot, op. cit., p. 11-17.
65. Barry Douglas Jacobs, Strindberg and the Problem of Suffering, Cambridge, Massachusetts,
Université de Harvard, 1964, p. 279.
66. Jacob lutte, dans August Strindberg, Œuvres autobiographiques, éd. cit., p. 574.
67. Voir Jacob lutte, dans Légendes, éd. cit., p. 252.
68. Légendes, éd. cit., p. 234 sqq.
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s’était senti touché par la grâce et s’était retiré de la vie pour expier, par des
années d’austérités et de silence, ses propres fautes et celles des autres. » 73
Progressivement, la douleur devient un sacrifice efficace et bienfaiteur
non seulement pour soi mais pour autrui. Dans ce dernier cas, la réversi-
bilité des mérites apparaît comme une conséquence directe de la notion de
souffrance réparatrice dont la rédemption du Christ est le modèle suprême.
Huysmans accepte la souffrance des innocents comme une compensation,
un rachat des fautes d’autrui. Les âmes souffrant pour les autres expient
leurs fautes et sont appelées mystiques. La loi de la substitution a aussi,
chez l’écrivain français, des effets de prévoyance 74 : grâce au pouvoir de la
prière d’intercession, l’homme peut déjouer les tentations dirigées vers une
âme trop faible pour les reporter sur des âmes plus fortes. Pour Huysmans,
il est donc possible de « prévenir, empêcher ces péchés en prenant sur soi
les tentations auxquelles d’autres seraient trop faibles pour résister » 75.
Cette doctrine s’avère aussi nécessaire pour contrebalancer les misères du
69. Voir Barry Douglas Jacobs, op. cit., p. 279-295 et Mickaëlle Cedergren, « L’Héritage
catholique dans le théâtre de Strindberg », Inter-lignes, 2009, p. 101-110.
70. Jacob lutte, dans Légendes, éd. cit., p. 252.
71. Marc Smeets, op. cit., p. 126.
72. Voir Maurice Belval, Des ténèbres à la lumière. Étapes de la pensée mystique de
J.-K. Huysmans, Paris, Maisonneuve et Larose, 1968, p. 181.
73. En route, éd. cit., p. 297.
74. Voir Maurice Belval, op. cit., p. 47.
75. Richard Griffiths, op. cit., p. 168.
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sée et d’action entre les deux écrivains relève, avant tout, de leur confession
et tradition religieuse ainsi que de leur éducation 90. Selon la théologie pro-
testante 91, la loi de substitution n’est valable que pour le Christ et lui seul ;
l’homme ne peut porter les fautes de son frère vu que la communion des
saints n’existe pas. En revanche, le catholique participe aux souffrances du
Christ et peut racheter ses péchés et ceux de ses frères. Le Strindberg pro-
testant n’avait donc pas loisir d’adopter cette pensée catholique avec autant
de facilité que son confrère. Comme Jørgensen le souligne, le personnage
strindbergien s’évertue à trouver Dieu dans la matérialité des choses, alors
que Durtal procède à un examen de conscience intérieur. Pourtant, si l’écri-
vain danois observe avec raison comment la souffrance et la maladie dans
Inferno sont immédiatement rapportées à un plan spirituel et remarque que
par moments, Strindberg parle, à propos de ses péchés et de la souffrance
éprouvée, « comme un chrétien, comme un catholique, oui comme un mys-
tique », il omet alors de préciser que le traitement de la souffrance chez
Strindberg présente de nombreuses affinités avec le développement psycho-
logique et spirituel de Huysmans.
nante lorsque l’on étudie l’espace fictionnel des romans 92 et leur orienta-
tion religieuse. Que Strindberg ait bien connu l’œuvre de Huysmans, cela
va sans dire. Qu’il ait désiré consciemment l’imiter semble plus difficile à
soutenir. Bien que Strindberg ait semblé mal à l’aise en s’apercevant d’une
telle convergence, il ne chercha pas à la nier. Au contraire, il en était même
assez fier.
Légendes, écrit après la lecture d’En route par Strindberg, présente de
nombreux points communs avec le roman de conversion de Huysmans. Les
nombreuses mentions de la lecture d’En route dans les textes de Strindberg,
avant même qu’il soit accusé de plagiat, laissent presque présager chez
l’auteur quelques soupçons du fait qu’il risquait de l’être. Strindberg sem-
blait connaître plus de détails qu’il n’en laissait paraître… Il disposait, à vrai
dire, de tout ce qui est requis à l’époque, pour avoir entendu parler d’En
route : il habitait Paris, lisait les plus grandes revues françaises, lisait déjà
Huysmans depuis 1889 et s’intéressait à la littérature française catholique 93.
90. Voir Johannes Jørgensen, « Strindbergs nye bog », Tilskueren, 1898, p. 166 sqq.
91. Nordisk teologisk uppslagsbok, 1955, article « Kristi trefaldiga ämbete » col. 454.
92. Voir Mickaëlle Cedergren, « L’Idéal monastique chez Huysmans et Strindberg, entre
réalité et fiction », RLC LXXXVI, n° 2, avril-juin 2009, p. 165-182.
93. Voir Mickaëlle Cedergren, « Strindberg et la littérature française de tradition catho-
lique », Igor Tchehoff (éd.), en collaboration avec Camilla Bardel, Jane Nystedt, Cécilia
Schwartz, Maria Walecka-Garbalinska, Omaggio a/ Hommage à Luminiţa Beiu-Paladi,
Stockholm, p. 64-73.
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