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KIERKEGAARD ET LA DIALECTIQUE.

UN POÈTE-DIALECTICIEN
André Clair

Centre Sèvres | « Archives de Philosophie »

2013/4 Tome 76 | pages 611 à 633


ISSN 0003-9632
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Archives de Philosophie 76, 2013, 611-633

Kierkegaard et la dialectique
Un poète-dialecticien

A n d r é C lA I r
Professeur émérite, Université de rennes 1

« Pour moi, tout est dialectique 1. » Cette assertion de Kierkegaard dans


son Point de vue sur mon activité d’auteur est à entendre au sens strict. Elle
situe Kierkegaard dans le sillage de Platon et de Hegel, alors qu’il a marqué

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une opposition cardinale à Platon et à Hegel. Telle est l’ambiguïté de
Kierkegaard. le caractère dialectique – disons : la positivité du négatif, la
nouveauté surgissant du choc des contraires, le tiers unissant les opposés –
imprègne et informe toute l’œuvre. Kierkegaard construit son œuvre sous
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une forme polémique par une critique de la philosophie systématique et spé-


culative (avant tout Hegel) et même de toute la philosophie après Socrate,
en marquant d’ailleurs sa différence d’avec ceux dont il est pourtant proche
(précisément Socrate ou encore Pascal). Or il a beaucoup retenu de ces phi-
losophes, justement de Hegel et de bien d’autres. Ainsi, au sens global, la
dialectique est en acte dans le rapport aux philosophes du passé, et cela vaut
tout autant pour le rapport aux écrivains et aux théologiens. Mais aussi, à
l’autre extrémité, dans le noyau de la pensée kierkegaardienne, la dialectique
est là, spécialement dans l’anthropologie. Un homme est une synthèse, une
unité d’une âme et d’un corps, de fini et d’infini, de temporel et d’éternel,
de possible et de nécessaire. Et dans l’entre-deux, la dialectique est encore
là, comme opposition mais aussi comme composition : entre une partie pseu-
donyme et une partie autonyme, entre une œuvre publiée et une œuvre pos-
thume, entre l’esthétique et l’éthique, entre l’esthétique et le religieux, entre
deux axes dans l’éthique et même entre deux éthiques, entre deux types de
religieux, entre le pathétique et le conceptuel, entre le lyrique et le théo-
rique. En résumé, on dira : la dialectique, à la fois générale et précise, s’ex-
prime par deux formules opposées mais à tenir ensemble : « ou bien – ou
bien » puis inter ou « et – et » ; la seconde formule ne supprime ni ne dépasse
la première, mais elle la précise et la complète.

1. SV XIII 609 / OC XVI 58.


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le rapport à Hegel se concentre sur un mot et tient en un concept, celui


de répétition, substitué à celui de médiation. l’opposition est culturelle : un
bon vieux mot danois prend la place d’un terme commun allemand, celui
d’Aufhebung. Hegel s’émerveillait de découvrir dans ce terme la marque du
génie spéculatif de la langue allemande. Kierkegaard (et bien d’autres avec
lui et après lui) y voit au contraire la source de confusions et même de jon-
gleries verbales. dans cette opposition de langue se tient une opposition phi-
losophique. le premier reproche adressé à Hegel est de méconnaître le prin-
cipe de contradiction. Si le verbe aufheben signifie aussi bien et en même
temps supprimer, conserver et dépasser, on pourra soutenir toute proposi-
tion. Telle est la critique déployée dans le Post-scriptum aux Miettes philo-
sophiques, une critique souvent examinée par les lecteurs de Kierkegaard 2.
Ce qui est en cause, par-delà la critique logique de l’Aufhebung, c’est le pro-
cès de l’histoire du monde et de l’accomplissement de l’esprit, qui parvien-
drait à la pleine compréhension et à la pleine vision de ce qui est dans une

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totalisation du savoir. Ce qui est récusé, c’est surtout l’entreprise de
l’Encyclopédie des sciences philosophiques, mais moins celle de la Phénomé-
nologie de l’esprit. Sans que Kierkegaard se réclame de celle-ci (il s’y
oppose), le lecteur peut toujours se demander s’il n’y a pas des affinités avec
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ce livre ou si certains livres de Kierkegaard ne sont pas des défis lancés à la


Phénoménologie. la question pour Kierkegaard n’est pas de concevoir l’his-
toire de l’esprit se réalisant dans l’histoire du monde ; c’est de penser l’exis-
tence de l’individu singulier (den Enkelte). À la philosophie de l’universel
concret est opposée la pensée de l’homme singulier. On notera que Hegel est
lui aussi un philosophe du singulier.

Une philosophie de l’ambiguïté

Entrons dans le rapport à la philosophie et à Hegel par deux énoncés. le


premier se trouve dans la préface de Crainte et tremblement (1843). « le pré-

2. Voir SV VII 207-208 / OC X 206-207 et SV VII 291-292 / OC XI 4-5. les relations avec
Hegel et les hégéliens danois (le poète philosophe Heiberg, le professeur puis évêque Martensen,
le pasteur Adler) sont complexes. Voir niels THUlSTrUP, Kierkegaards Forhold til Hegel
(Copenhague, Gyldendal, 1967) et Jon STEwArT, Kierkegaard’s relations to Hegel reconside-
red (new York, Cambridge University Press, 2003). À propos de la dialectique chez
Kierkegaard, on se reportera utilement au livre sobre et très empathique de Gregor
MAlAnTSCHUK, Dialektik og Eksistens hos Søren Kierkegaard (Copenhague, reitzel, 1968).
J’ai examiné ailleurs le rapport entre les dialectiques des deux philosophes. Voir Pseudonymie
et paradoxe. La pensée dialectique de Kierkegaard (Paris, Vrin, 1976), chapitre II : Médiation
et répétition, et Kierkegaard. Penser le singulier (Paris, Cerf, 1993), chapitre I : Ironie, dialec-
tique et répétition.
Kierkegaard et la dialectique 613

sent auteur n’est aucunement philosophe, il est, poetice et eleganter, un écri-


vain amateur qui n’écrit ni système ni promesses de système, qui n’est pas
engagé dans le système ni n’est voué au système 3. » On rencontre le second
dans La Neutralité armée (1849). « le poète, ou mieux le poète-dialecticien,
ne se donne pas lui-même pour l’idéal et encore moins il ne se fait le juge
d’un seul homme. Mais il présente l’idéal afin que chacun, si bon lui sem-
ble, puisse dans une solitude silencieuse comparer sa vie à l’idéal 4. » Ces
deux textes sont nettement différents ; déjà ils n’ont pas le même statut ; on
peut même les opposer. C’est pourtant entre eux, dans leurs oppositions mais
aussi dans leurs relations, que se constitue l’œuvre. Il est aisé de remarquer
les différences et les écarts. On note d’abord un écart dans le temps, qui a
une importance plus grande que ne le donne à penser la chronologie. En
1843, l’œuvre est encore à ses débuts. la dissertation doctorale, Le Concept
d’ironie constamment rapporté à Socrate, est de l’automne 1841. Ensuite est
venu l’immense Ou bien – Ou bien, en février 1843, accompagné de discours

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édifiants. Puis paraissent simultanément, le 16 octobre 1843, Crainte et
tremblement et La Répétition, cet ouvrage-ci étant donné comme inaugural
avec justement la catégorie de répétition. En 1849, l’œuvre, sans être ache-
vée (il s’en faut de beaucoup !), est pourtant largement réalisée. Il y a eu le
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« point critique » marqué par le Post-scriptum aux Miettes philosophiques


(1846). Une grande partie des livres importants, pseudonymes et autonymes,
a été publiée ; d’autres ouvrages sont en gestation. On est aussi à l’époque
où, considérant son œuvre comme achevée, Kierkegaard porte un regard sur
l’ensemble de ses écrits dans le Point de vue sur mon activité d’auteur
(1848), en remarquant la diversité des ouvrages, mais surtout en insistant
sur la continuité et la cohérence de toute la production. Or la différence entre
nos deux énoncés est à comprendre en fonction de l’œuvre même. Crainte
et tremblement paraît sous le pseudonyme de Johannes de Silentio, et l’on
pourra toujours invoquer la distance entre l’engagement personnel de l’au-
teur et ce que profère un personnage fictif. Quant à La Neutralité armée,
c’est un opuscule posthume, que l’auteur aurait pu modifier et développer.
Alors précisément, entre un écrit pseudonyme, posé dans le secret, et un
écrit posthume, tenu en attente, il y a une parenté, celle de la distance.
reste que, pseudonyme ou posthume, un texte est assumé par l’auteur
Kierkegaard. la question est moins celle de la position intime d’une per-
sonne déterminée que celle du statut dans l’œuvre. Comment alors com-
prendre que le même auteur puisse être un « poète-dialecticien » et pourtant
n’être pas un philosophe ? C’est que d’abord les deux positions ne sont pas

3. SV III 70 / OC V 102.
4. Pap X 5 B 107 / OC XVII 240. Voir également Pap X 1 A 281 et 316.
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logiquement contradictoires, et là est bien la question. C’est évidemment la


conception du philosophe et de la philosophie qui est en cause. On peut tirer
parti de l’assertion de Crainte et tremblement pour ranger Kierkegaard en
dehors du champ philosophique ; lui-même s’est délibérément exclu de ce
champ, l’abandonnant volontiers aux auteurs de systèmes. Avec son aveu,
Kierkegaard est placé dans la classe assez vague des auteurs de livres hété-
roclites, des écrivains plutôt marginaux, en tout cas hybrides, traités avec
condescendance aussi bien que reçus avec éloge. Kierkegaard serait finale-
ment un non-philosophe, ce terme étant entendu selon les sens les plus
divers. Proposant un bilan en 1846, il rapporte son œuvre uniquement à la
littérature, et il note qu’il a « exposé toutes les déterminations décisives du
domaine existentiel d’une manière si dialectiquement aiguë et si primitive »
qu’il n’y a rien d’équivalent dans aucune littérature 5.
Précisément cet étranger à la philosophie est un poète-dialecticien. dans
ce syntagme étrange, dans cette expression en tension interne, l’un des

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termes ne serait-il pas un attribut de l’autre et même son premier attribut,
mais évidemment subordonné ? S’agit-il d’un poète ayant comme particula-
rité d’être doué de qualités dialectiques, apte à entrer dans des débats et
controverses, capable de procéder à des renversements successifs du pour au
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contre, mais essentiellement poète, c’est-à-dire auteur d’écrits originaux,


inventeur d’un style, novateur en littérature ? Ou bien s’agit-il d’un dialec-
ticien particulièrement soucieux de l’art d’écrire, de renouveler le langage
de la pensée, d’exposer celle-ci par une rhétorique nouvelle, mais essentiel-
lement dialecticien, avant tout attentif à la précision des définitions, exigeant
quant à la rigueur de l’argumentation, en un mot possédant des qualités
requises d’un philosophe ? Kierkegaard est-il un poète qui serait également
dialecticien ou un dialecticien qui serait également poète ? Si les deux hypo-
thèses peuvent être considérées, peut-être d’ailleurs dans une intention polé-
mique, on remarquera que, dans le syntagme « poète-dialecticien », aucun
des termes n’est un prédicat, aucun ne qualifie l’autre. Tous les deux sont
des substantifs et, exactement, c’est un substantif nouveau qui est consti-
tué. Entre le poète et le dialecticien, émerge le poète-dialecticien – un poète
qui n’a pas versifié de poésie et un dialecticien qui n’a pas composé de dia-
logue. Par ce terme double, ce syntagme en forme de chiasme condensé,
l’ambiguïté (Tvetydighed), si typique de Kierkegaard, est inscrite dans sa
nomination.
dans une note de 1850 (X 2 A 375), Kierkegaard précise ce point. Sa sin-
gularité est d’être poète et dialecticien. Il examine deux hypothèses limites :

5. Pap VII 1 A 127 / J II 32.


Kierkegaard et la dialectique 615

s’il n’avait été que poète ou s’il n’avait pas été poète. dans le premier cas, le
risque est de se tenir à l’écart de ce que l’on dit, de scinder sa parole de son
existence et tout simplement de verser dans le galimatias. dans le second
cas, le risque est de prendre tellement au sérieux ce que l’on dit que l’on
devient un illuminé (Sværmer) et même que l’on s’identifie à l’idéal. Or, face
à ces deux excès, le même remède opère, qui est la dialectique. En tant que
qualitative, la dialectique rend attentif à la concrétion de l’existence, mais
aussi, en tant que discriminante, elle marque une distance par rapport à la
vie immédiate et à la prégnance du pathos. En somme, il s’agit de corriger
l’immédiateté (soit imaginative, soit pathétique) par la réflexion en péné-
trant les tonalités affectives par le concept.
Kierkegaard expose aussi ce point dans son Point de vue en se disant à
la fois trop poète et pourtant pas vraiment poète et il se présente comme un
homme des confins. là est précisément le nœud dialectique de sa pensée.
Parlant de soi, il s’exprime ainsi. « Il a eu beaucoup trop à faire avec l’éthique

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pour être un poète ; il se rappelle à cet égard ce mot d’abord énoncé et plus
tard répété par l’esthéticien de Ou bien – Ou bien concernant le fait de ne
pas vouloir être poète ; il se rappelle avec quelle force l’éthicien souligne que
c’est correct parce qu’un homme doit se détourner d’être poète et entrer
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dans l’existentiel, l’éthique ; mais il est pourtant trop poète pour être un
témoin de la vérité. Il est aux confins entre ces positions et il s’est pourtant
rapporté d’une manière catégoriquement correcte à l’avenir de l’histoire 6. »
Qu’est-ce alors qui différencie le philosophe que n’est pas Johannes de
Silentio et le poète-dialecticien qu’est Kierkegaard ? l’étude de Crainte et
tremblement répondrait à cette question. Ce livre avait une importance pri-
mordiale aux yeux de son auteur, selon son propre jugement dans son
Journal en 1849. C’était le livre pour la postérité. « Oh ! une fois mort – le
seul Crainte et tremblement suffira pour immortaliser un nom d’auteur.
Alors on le lira, on le traduira aussi en langues étrangères. On aura presque
le frisson devant le pathos terrifiant qu’il y a dans le livre. Mais quand il fut
écrit, quand celui qu’on regardait comme l’auteur se promenait sous l’in-
cognito d’un flâneur avec l’air d’incarner l’espièglerie, le calembour et la
légèreté, personne alors ne pouvait bien en saisir le sérieux. Oh insensés !
Jamais le livre n’eut autant de sérieux qu’à ce moment-là. Justement il était
l’expression vraie de l’horreur. Si l’auteur avait eu l’air sérieux, l’horreur
en eût été moindre. la réduplication est l’énormité de l’horreur. Mais quand
je serai mort, on fera alors de moi une figure imaginaire, une figure téné-
breuse – et ainsi le livre sera terrible 7. » On discute pour savoir quel est le

6. SV XIII 649-650 / OC XVI 96-97.


7. Pap X 2 A 15 / J III 204.
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livre capital. On dira que La Répétition est l’ouvrage majeur en tant qu’il
invente, dans un récit conceptuel ou un roman théorique, la catégorie nou-
velle de la philosophie. On notera que Le Concept d’angoisse est le livre le
plus nettement philosophique, qu’il est aussi le seul parmi tous les livres
pseudonymes à être dédié, et dédié précisément à un poète-philosophe, Poul
Martin Møller ; par cette tonalité, l’universalité du concept est mise en rap-
port dialectique avec la singularité du dédicataire. On expliquera que, avec
les Œuvres de l’amour, Kierkegaard parvient à son accomplissement. Et
l’on n’oubliera ni le Post-scriptum ni La Maladie à la mort ni bien d’au-
tres écrits. Or l’on peut considérer la question autrement et donner de la
respiration au débat. La Répétition et Crainte et tremblement paraissent
le même jour. Ce sont des livres jumeaux, non seulement par leur date mais
plus encore par leur genre. Tous deux sont narratifs en tant que leur fonds
est une histoire, soit romancée soit empruntée à un récit biblique. Et, avec
des styles bien différents, ils sont également conceptuels, élaborant la caté-

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gorie nouvelle ou s’interrogeant sur le rapport absolu à l’absolu. le concept
est ainsi rapporté à une atmosphère. d’une manière symétrique, deux livres
paraissent simultanément (13 et 17 juin 1844), les Miettes philosophiques
et Le Concept d’angoisse. Il ne s’agit plus de récits (même si les références
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à des récits sont nombreuses), mais avant tout de concepts ; les deux livres
sont dits « algébriques » et le côté théorique est le plus nettement marqué.
Ainsi, en passant des livres jumeaux d’octobre 1843 aux livres jumeaux de
juin 1844, les accents se sont inversés. Il importe alors de comprendre
ensemble les livres « narratifs » et les livres « algébriques » ; ils constituent
un groupe spécifique, ils sont comme un carré d’as. Avançons alors une
thèse. C’est dans le croisement et la tension passionnée entre ces quatre
brefs ouvrages, de pseudonymes distincts et coordonnés par paires, que bat
le cœur philosophique de Kierkegaard. Ces livres sont entre eux dans une
relation de miroirs croisés (un par un ou par paires). Or tous portent la
marque poétique la plus obvie, qui est la pseudonymie, un pseudonyme étant
un individu fictif qui peut lui-même créer d’autres êtres fictifs, et cela en
abîme ou en boîtes chinoises. remarquons encore que ces paires de livres
ont été accompagnées par deux séries de discours édifiants, de sorte qu’il y
a un rapport dialectique entre ces livres et ces discours ; ainsi les je fictifs des
pseudonymes sont-ils en corrélation avec le je personnel de Kierkegaard, et
dans cette corrélation, qui est aussi un redoublement des miroirs, c’est
l’identité de l’œuvre qui s’édifie.
Cela étant, dans ce qu’elle a de vraiment novateur et de plus typique,
l’œuvre tient d’abord aux deux livres du 16 octobre 1843. l’invention de
Kierkegaard se trouve dans cette dualité si singulière d’ouvrages bien diffé-
rents mais corrélatifs, chacun avec sa composition bizarre et sa complexité.
Kierkegaard et la dialectique 617

Pour le dire en raccourci, la pensée de Kierkegaard se constitue surtout entre


Crainte et tremblement et La Répétition, dans leur relation. À s’en tenir à
Crainte et tremblement, on note que le livre est qualifié de « lyrique dialec-
tique ». Or, dans cette nomination, on reconnaît le corrélat d’un poète-dia-
lecticien. Aussi bien, si Johannes de Silentio n’est pas un philosophe, il est
justement un poète-dialecticien. déjà dans la préface, le pseudonyme
annonce qu’il s’exprime « poetice » ; et au cours du livre, précisément dans
la partie dialectique, il se présente comme dialecticien (et alors non plus
comme poète). « Je ne suis pas poète et je procède simplement dialectique-
ment 8. » À la vérité, Johannes de Silentio est bien les deux. Sans revenir sur
la démarche et la composition de ce livre, je rappellerai qu’il comporte deux
côtés ou deux aspects coordonnés. le côté lyrique, où est présenté et affirmé
un pathos de plus en plus aigu à propos de l’histoire d’Abraham et d’Isaac,
est déployé dans trois textes : la préface puis l’atmosphère (ou la tonalité
affective) et enfin l’éloge d’Abraham. Il y aurait à explorer, par une étude de

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la rhétorique du texte, comment le pathos s’accroît et s’accentue pour attein-
dre sa pointe dans l’éloge d’Abraham – Abraham cheminant en silence pen-
dant trois jours vers le Mont Morija. les quatre tableaux de cet éloge mar-
quent les étapes de l’ascension du pathos. Ce pathos est de nouveau repris
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dans l’« effusion préliminaire ». C’est là qu’est expressément noué le lien


entre le lyrique et le dialectique. les trois problèmes ont leur racine dans
une situation pathétique, figurée par plusieurs mises en scène, et ce pathos,
pour être pensé, requiert de multiples détours par des confrontations de
thèses, par l’interrogation des présupposés et par l’analyse des concepts. On
trouve ici en acte un thème capital que l’auteur du Concept d’angoisse expo-
sera comme l’articulation dialectique de l’atmosphère et du concept, une
atmosphère qui, posée comme primitive, doit être pénétrée par le concept
qui en explicitera les significations 9. Si le côté pathétique, lyrique et plus
nettement poétique a bien la primauté sur le côté conceptuel, c’est sous la
condition de se rapporter à ce côté conceptuel, et plus exactement de le por-
ter déjà en soi. Telle est la vraie manière, proprement dialectique, de maîtri-
ser un romantisme effervescent, d’échapper à un délire toujours imminent
et de conjurer le vertige devant l’abîme du pur pathos. Cet enchâssement,
cet emboîtement en chiasme ou cette implication réciproque conduit à dia-
lectiser le particulier et l’universel, à penser le singulier en saisissant l’uni-
versel dans le particulier.

8. SV III 154 / OC V 179.


9. Voir SV IV 318 / OC VII 116.
618 André Clair

La dialectique qualitative ou existentielle

Au terme de La Répétition, l’auteur rappelle, comme une parole


topique, une remarque de Clément d’Alexandrie sur l’art d’écrire dissimulé
afin de se rendre incompréhensible aux hérétiques 10. C’est à la catégorie
nouvelle, celle de répétition, que s’applique la remarque. de nouveau à pro-
pos de la répétition, le pseudonyme, se rangeant sous l’égide de Hamann,
annonce qu’il usera de toute sorte de procédés littéraires et parlera de mul-
tiples langues, notamment celles des Crétois et des Arabes 11. Au même
moment, au terme de Crainte et tremblement, l’auteur note qu’Abraham,
sur le point de sacrifier Isaac, prononce une parole énigmatique ; il ne ment
pas mais « il parle en une langue étrangère 12. » Parler en langues, renouve-
ler le langage, ce thème n’est pas neuf dans l’histoire de la pensée. dans son
Journal de 1841, Kierkegaard note ce point pour sa propre existence. « Après
m’être mis tout nu, ne possédant rien dans le monde, pas la moindre chose,

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et me précipitant ensuite dans l’eau, ce qui est pour moi le plus agréable,
c’est de parler une langue étrangère, surtout une langue vivante, afin de deve-
nir de cette manière étranger à moi-même 13. » l’ambition de Kierkegaard,
c’est bien, en pratiquant une langue étrangère à la philosophie reconnue et
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en ayant recours à des genres rhétoriques inhabituels en philosophie, de


renouveler celle-ci. Cela prendra la forme d’une dialectique qualitative.
Toute dialectique se reconnaît à la fonction positive qu’elle accorde au
débat et à la contradiction. Par la confrontation des thèses et le choc des
opposés, quelque chose de nouveau advient, la réalité se détermine. le mou-
vement dialectique, portant les différences à leur limite, les mettant en rela-
tion et les faisant ainsi agir les unes sur les autres, progresse en vue d’une
réunion et d’un accord des opposés. C’est bien l’unité qui est à l’horizon de
la dialectique, lors même qu’elle accentue d’abord les dualités. Hegel, avec
le concept d’Aufhebung, peut être considéré chez les modernes comme le
paradigme de la dialectique. les opposés, reconnus et maintenus, sont dépas-
sés et élevés à une position tierce, médiatisée et réfléchie.
Avec une virulence insistante, Kierkegaard s’est opposé à Hegel, tout en
demeurant dans un cadre dialectique. On peut alors parler d’un affronte-
ment interne à une même famille. rappelons deux points d’opposition, d’ail-
leurs connexes. lecteur attentif de Hegel dès Le Concept d’ironie,
Kierkegaard insiste, avec une ironie parfois pesante, sur l’équivocité de

10. Voir SV III 287 / OC V 91.


11. Voir SV III 212 / OC V 21.
12. SV III 183 / OC V 204.
13. Pap III A 97 / J I 222.
Kierkegaard et la dialectique 619

l’Aufhebung. Ce terme, signifiant à la fois la suppression et la conservation,


enfreint le principe logique de contradiction ; il permet ainsi de soutenir
n’importe quelle thèse ; il introduit la confusion au cœur d’une philosophie
qui s’affirme comme le chemin de la raison. d’autre part, Kierkegaard, dont
les attaques visent davantage la Science de la logique et l’Encyclopédie que
la Phénoménologie de l’esprit, s’en prend au système – ce qui, bien au-delà
de Hegel, peut aussi viser soit des hégéliens danois soit des philosophes du
passé. Se référant ainsi à la présentation de la philosophie hégélienne comme
un système, il en retient le caractère lié, total et achevé, mais sans prendre
en compte son mouvement de constitution et son caractère organique et
vivant. le système se ramène finalement à un ensemble de paragraphes, dans
lequel chaque philosophe, du passé mais aussi de l’avenir, a sa place assignée.
Ainsi Kierkegaard se voit-il déjà inscrit dans le paragraphe de l’intériorité,
ce qui le classerait quelque part dans la troisième partie de l’Encyclopédie 14.
Si l’on rapproche la critique de l’Aufhebung et celle du système, l’incohé-

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rence devient éclatante puisque la prétendue rationalité du système se
construit par un processus irrationnel. Mais d’abord l’interrogation est à
déplacer ; elle ne portera plus sur le système (comme achevé ou même
comme organique et vivant), mais sur l’existence, rebelle au système. Un sys-
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tème logique peut bien avoir sa cohérence, mais il ne peut caractériser une
existence. C’est une conclusion du Post-scriptum. « Ainsi : a/ Il peut y avoir
un système logique ; b/ mais il ne peut y avoir de système de l’existence 15. »
notons encore que, sur le mode caricatural, Kierkegaard qualifie la dialec-
tique hégélienne de quantitative, donc incapable de concevoir les qualités.
Hegel remplit d’abord une fonction de repoussoir en même temps que de
mise à l’épreuve. Alors, étant un géant et un rival, il est également celui qui,
par ses analyses phénoménologiques, peut constituer un vivier et en tout cas
être un parent fascinant. – On peut évidemment s’interroger sur la critique
kierkegaardienne de Hegel 16.
Tout consiste à établir la différence absolue entre la dialectique quantitative
et la dialectique qualitative. Toute la logique est dialectique quantitative ou

14. Voir Post-scriptum, SV VII 287 / OC X 278.


15. SV VII 97 / OC X 103.
16. Sur le rapport de Kierkegaard aux philosophes, depuis Platon jusqu’à Hegel, on se
reportera au livre méticuleux de Hélène POlITIS, Le Concept de philosophie constamment rap-
porté à Kierkegaard (Paris, Kimé, 2009). Par des recherches érudites, l’auteur met en lumière
la formation philosophique de Kierkegaard et ses rapports complexes avec les philosophes du
passé. l’expression, souvent polémique, de Kierkegaard (sauf à l’égard de Socrate) cache de
multiples affinités. là aussi, il faut distinguer entre l’extérieur et l’intérieur et déceler dans la
polémique des sympathies secondes. la confrontation avec les philosophes participe évidem-
ment à l’acte dialectique.
620 André Clair

dialectique modale, car tout est et le tout est un et le même. dans l’existence,
la dialectique qualitative a son lieu 17.

la question est celle de la nature de la dialectique qualitative, une dia-


lectique qui doit accorder sa place à l’acte poétique, c’est-à-dire à l’inven-
tion et à la pratique d’une écriture appropriée à dire les multiples aspects
de l’existence. Entre dialectique et poésie, le lien est intrinsèque. l’art du
poète-dialecticien est de savoir renouveler l’exploration conceptuelle des
questions en pratiquant des genres littéraires très divers. Être poète, c’est
alors créer une œuvre où s’entrecroisent des genres multiples : romanesque,
descriptif, méditatif, spéculatif, épistolaire, théâtral, etc. – chacun de ces
genres pouvant d’ailleurs être traité d’une manière nouvelle. Cela conduit
à la question du style singulier de Kierkegaard. de ce fait, une recherche
philosophique sur Kierkegaard intègre des investigations littéraires. l’une
des conséquences est d’attirer l’attention sur une marque esthétique de

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l’œuvre entière.
la dialectique qualitative procède par l’affrontement et la relation de
qualités. Ces qualités, ce sont les éléments de l’existence, et c’est d’abord
l’existence même. Peut-être Kierkegaard ne se pose-t-il qu’une question : que
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signifie exister ? le fait d’exister est la qualité première, immédiatement don-


née là et irréductible, le fonds à partir duquel une histoire peut advenir et
s’édifier. C’est là comme une première vérité, ni déduite ni intuitionnée mais
rencontrée comme un fait : j’existe, un individu existe. C’est même (si l’on
ose dire !) une prérogative ou en tout cas une caractéristique de l’homme face
à dieu, comme l’exprime un propos en forme d’aphorisme. « dieu ne pense
pas, il crée. dieu n’existe pas, il est éternel. l’homme pense et existe, et
l’existence sépare la pensée et l’être, les tient disjoints l’un de l’autre dans
la succession 18. » Une qualité est relative à d’autres qualités ; elle est face à
elles, avec ou contre elles. En l’occurrence, ce à quoi s’oppose l’existence,
c’est le système, entendu comme une totalité close. En revanche une exis-
tence est dynamique, vivante et imprévisible. Or, si le fait d’exister ou d’être
là est abrupt et en cela indécomposable, l’existence est analysable. Il y a une
intellection de l’existence par décomposition et explicitation de ses éléments.
Ce n’est pas que l’existence soit transparente à l’intellect, même si le concept
de transparence (Gjennemsigtighed) s’applique à une existence parvenue à
son accomplissement 19 ; mais l’existence se conçoit comme un composé, que
l’on peut donc analyser et déployer. Quant à ces analyses, qui sont multiples

17. Pap VII 1 A 84 / J I 392.


18. SV VII 321 / OC XI 31.
19. Voir La Maladie à la mort, SV XI 145 / OC XVI 172.
Kierkegaard et la dialectique 621

et effectuées de plusieurs points de vue, elles se conviennent entre elles en


ce qu’elles conduisent toujours à des qualités et que ces qualités vont par
paires. À plusieurs reprises, Kierkegaard dit : l’homme est une synthèse (à
réaliser et d’ailleurs toujours en attente de l’être parfaitement), une unité
immédiate ou virtuelle qui, en s’affirmant, deviendra une unité effective. Ces
éléments, compris comme des qualités, s’énoncent ainsi : le corps et l’âme,
le temps et l’éternité, le fini et l’infini, le possible et le nécessaire. Ils peu-
vent être analysés, comme ils l’ont été tout au long de l’histoire. Cette expli-
citation a souvent été effectuée, à partir surtout des Miettes philosophiques,
du Concept d’angoisse et de La Maladie à la mort. dans chaque synthèse,
les éléments sont disjoints et même s’opposent. Précisément, la dialectique
qualitative pratique la méthode de disjonction. On distend les éléments, on
accentue le caractère spécifique de chacun, mais en demeurant fixé sur le
fait existentiel ou l’acte d’exister. le Post-scriptum explicite cette démarche.
la disjonction qualitative est la réplique à la médiation et, en tant qu’elle

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est absolue, elle est apparentée au paradoxe absolu. Elle refuse toute conci-
liation, maintient les opposés face à face et s’exprime par un aut-aut exclu-
sif. Affirmant des différences comme irréductibles, Kierkegaard s’oppose à
tout système et à toute pensée éternitaire, fût-elle apparemment historique.
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Ainsi sont visés les éléates mais aussi Hegel, et ce pourrait être d’autres
encore. dans le chapitre « la vérité subjective, l’intériorité ; la vérité est la
subjectivité », Kierkegaard examine le concept de vérité en fonction de son
objet et de son sujet, en posant le problème à partir de ses limites. Pour la
réflexion objective, mettant la subjectivité entre parenthèses, la vérité est
uniquement objective. Au contraire, pour la réflexion subjective, où l’objet
est neutralisé, la vérité est l’appropriation de soi et l’intériorisation. la dis-
jonction divise ainsi le concept même de vérité. C’est l’aporie. « Mais quoi
alors ? devons-nous nous en tenir à cette disjonction ou bien la médiation
n’offre-t-elle pas ici sa bienveillante assistance, de sorte que la vérité devient
le sujet-objet 20 ? » Alors, si tout est médiatisé, le sujet est lui-même assumé
ou sursumé dans cette médiation et n’est donc plus reconnu comme un
absolu. la disjonction absolue, le aut-aut exclusif, est le seul moyen de
reconnaître l’hétérogénéité entre l’éternité et le temps, de récuser le proces-
sus assimilateur de l’Aufhebung et d’affirmer le caractère irréductible d’une
existence 21.
Or cette question est abordée aussi dans un texte où la disjonction appa-
raît sous une tonalité bien différente et où l’interrogation est déplacée de la

20. SV VII 177 / OC X 179.


21. Voir SV VII 294 / OC XI 7.
622 André Clair

vérité vers le penseur subjectif, c’est-à-dire le sujet de la vérité. Alors le


concept de disjonction se dédouble. Si c’est bien la disjonction absolue qui
constitue l’horizon et le point de discrimination, l’acte de penser l’existence
est tenu de chercher une jonction entre l’existence (sa facticité, sa contin-
gence, sa passion, sa pointe abrupte) et le concept (son acuité d’analyse et sa
capacité de liaison). la disjonction devient ainsi relative ; en somme, elle est
dialectisée. Ce point capital est exposé vers la fin d’un chapitre qui traite de
« la subjectivité réelle » au paragraphe intitulé : « le penseur subjectif ; sa
tâche ; sa forme, c’est-à-dire son style ».

le penseur subjectif est dialecticien en direction de l’existentiel ; il a la pas-


sion de la pensée pour maintenir la disjonction qualitative. Mais d’un autre
côté, si la disjonction qualitative doit être utilisée purement et simplement, si
elle est appliquée tout abstraitement à l’homme singulier, on s’expose alors
au danger ridicule de dire quelque chose d’infiniment décisif et d’avoir rai-
son dans ce que l’on dit et pourtant de ne rien dire du tout. C’est pourquoi,

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d’un point de vue psychologique, il est assez remarquable de voir la disjonc-
tion absolue utilisée frauduleusement, précisément comme faux-fuyant.
Quand la peine de mort est établie pour tous les crimes, cela aboutit à ce qu’au-
cun crime n’est puni. de même pour la disjonction absolue, si elle est appli-
quée purement et simplement, elle devient pour ainsi dire lettre morte ; elle
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ne se laisse pas exprimer, ou bien elle se laisse exprimer mais ne dit rien. la
disjonction absolue, comme appartenant à l’existence, le penseur subjectif l’a
donc avec la passion de la pensée, mais il l’a comme la décision ultime qui
empêche que tout s’étale dans la quantité. Il l’a bien ainsi sous la main, mais
non pas de telle façon que, en y recourant abstraitement, il empêche précisé-
ment l’existence. le penseur subjectif a donc en même temps une passion
esthétique et une passion éthique, par quoi la réalité concrète est obtenue.
Tous les problèmes d’existence sont passionnés, car l’existence, quand on en
devient conscient, donne la passion. Penser ces problèmes en laissant de côté
la passion, c’est ne pas les penser du tout, c’est oublier la pointe, à savoir que
l’on est soi-même un existant. Pourtant le penseur subjectif n’est pas poète
bien qu’il soit en même temps poète, n’est pas éthicien bien qu’il soit en même
temps éthicien, mais en même temps dialecticien et essentiellement lui-même
existant, tandis que l’existence du poète est inessentielle par rapport au poème
et de même celle de l’éthicien par rapport à la doctrine et celle du dialecticien
par rapport à la pensée. le penseur subjectif n’est pas un homme de science,
il est un artiste. Exister est un art. le penseur subjectif est assez esthétique
pour que sa vie reçoive un contenu esthétique, assez éthique pour la régler,
assez dialectique pour la dominer en pensant 22.

Ce texte, dense et aigu, expose toute la dialectique existentielle. Avec la


dialectique comme méthode disjonctive, c’est bien le style qui est en cause,
à la fois comme art d’écrire et art d’exister. En quête d’une définition,

22. SV VII 339-340 / OC XI 50-51.


Kierkegaard et la dialectique 623

Kierkegaard procède en deux moments. le premier moment, traitant de la


disjonction, expose la dialectique qualitative et sa portée. Tout d’abord, la
pensée et l’existence sont disjointes ; ce sont deux réalités hétérogènes. Or
cette disjonction, première et fondamentale, est précisée et délimitée.
disjonction n’est pas toujours coupure. Kierkegaard argumente à la limite :
que s’ensuit-il s’il y a scission entre la pensée et l’existence, c’est-à-dire si la
disjonction est absolue ? Alors, l’existence et la pensée étant étrangères l’une
à l’autre, il n’y a plus de dialectique. d’un côté un homme existe (dans une
mansarde ou un palais) et de l’autre un penseur construit son système (dans
un palais d’idées). Absolutiser les qualités en les séparant, c’est tourner le
dos à la dialectique existentielle. Il n’y a plus que deux abstractions, l’exis-
tence d’un côté, la pensée de l’autre. C’est que la dialectique requiert la rela-
tion et la subtilité. Alors jusqu’à quel point faut-il tendre l’opposition ? Ou
plutôt, s’il y a un mouvement dialectique ou une vie de la dialectique, c’est
que les oppositions ne vont pas à la limite, ne deviennent pas des ruptures,

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et que la dialectique se construit dans le champ très mouvant et ouvert des
rapports entre penser et exister. On peut formuler cette recherche par un
« ou bien – ou bien », en précisant que ce « ou bien – ou bien » n’est pas une
disjonction exclusive, n’est pas un dilemme ; mais dans la disjonction, et
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d’abord dans la différence qu’il faut tenir strictement, il y a un lieu de


conjonction. là est la pointe de la dialectique qualitative, à savoir de trou-
ver, ou plutôt de créer, le lieu où penser l’existence, où l’existence se donne
à penser. C’est bien un lieu et non pas un point unique, car le point de ren-
contre est indéfiniment mobile, ce qui signifie qu’on n’aura jamais fini de
penser l’existence. le penseur ne dispose pas d’une position en surplomb.
Ici le poète et le dialecticien peuvent et même doivent échanger leurs rôles,
sinon se réunir en un seul auteur, et ils travaillent de concert, chacun variant
à sa manière les formes d’écriture et les méthodes d’analyse. Cependant, si
l’on insiste sur la disjonction relative, on risque d’éclipser la disjonction abso-
lue, ce qui conduirait aussi à éclipser le paradoxe absolu au profit des para-
doxes relatifs. C’est bien la structure de la philosophie de Kierkegaard qui
est en cause. Quelle est la place de l’absolu ? la disjonction absolue est non
seulement reconnue mais, étant un point limite, elle est une pierre de
touche ; elle est signifiée par la passion qui peut s’affirmer comme telle. la
réserve ou la mise en garde ne porte pas sur la disjonction absolue elle-même,
mais sur son usage ou son application, qui doit demeurer exceptionnelle
(comme la peine de mort). À la banaliser, on la dissout. C’est l’existence qui,
avec la passion qui la caractérise, est l’absolu le plus commun ; et ce n’est
que dans les situations limites ou par des expériences exceptionnelles,
comme le choix éthique primitif ou le saut de la foi, que l’on pratique la dis-
jonction exclusive.
624 André Clair

dans un second temps, Kierkegaard précise par différence ce qu’est le


penseur subjectif, en explicitant ce qu’il n’est pas. Il est essentiellement un
existant, une subjectivité passionnée ; mais aussi, bien qu’il ne se définisse
ni comme poète ni comme éthicien ni comme dialecticien, il est tout cela en
même temps. Parlera-t-on d’un minimum et d’un maximum, qui serait plu-
tôt un optimum ? disons simplement que le penseur existentiel, l’existant
qui est un penseur, réunit les qualités les plus diverses, dont quelques-unes
sont indiquées et entre lesquelles une connexion ou une composition s’ef-
fectue. En cela, il y a référence à un modèle antique, à la manière grecque et
spécialement socratique. le penseur grec était d’abord un existant qui fai-
sait de son existence une œuvre belle. C’est justement ce point qui est accen-
tué par la formule « exister est un art ». On pourrait se fixer sur l’harmonie
de la kalolagathia. Parlant du philosophe-artiste, nietzsche réactualisera
ce thème.

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Un style singulier

Si Kierkegaard se nomme poète-dialecticien, la question se pose de la


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nature et de la cohérence de ce concept nouveau. dans un passage du Journal


de 1848, Kierkegaard relève l’étrangeté du concept en assumant son carac-
tère paradoxal. « Ce que j’ai dit bien souvent, je ne saurais assez souvent le
répéter : je suis un poète, mais d’un genre tout particulier ; car le dialectique
est la détermination naturelle de mon être, et la dialectique est d’habitude
justement étrangère au poète 23. » la forme du syntagme porte à accentuer
le lien entre les deux termes et elle paraît induire une égalité ou au moins
une symétrie dans l’articulation et la connexion des deux. Or si Kierkegaard
est un penseur des dualités et des dichotomies, il n’est pas un penseur des
symétries. Ainsi, dans l’énoncé des synthèses, s’il énonce toujours une dua-
lité d’éléments opposés (corps – âme, temps – éternité, fini – infini, etc.), il
ne s’agit jamais de symétries. les deux éléments, toujours incommensura-
bles, sont à comprendre comme des qualités hétérogènes, et l’on ne peut
même pas affirmer qu’un élément l’emporte absolument sur l’autre. la tâche
de la synthèse existentielle est précisément de dialectiser les dichotomies.
C’est une tâche toujours ouverte où certes le tiers (l’unité, la synthèse) est
bien la fin visée, mais aussi où la différence n’est pas effacée et où l’écart
demeure sous-jacent. Une question de même ordre se pose à propos du
poète-dialecticien. Ayant un peu lu Kierkegaard, on n’est pas surpris qu’il y

23. Pap IX A 213 / J II 295.


Kierkegaard et la dialectique 625

ait deux termes ou que le terme soit double. Cela est inhérent à l’œuvre et
prend notamment la forme de paradoxes multiples. là encore, la dissymé-
trie est portée à son comble lorsqu’il s’agit de mettre en rapport le paradoxe
absolu et des paradoxes ordinaires ou communs. À propos du poète-dialec-
ticien, on parlera de mouvement oscillatoire, de va-et-vient, de double ren-
voi. Encore faut-il préciser. Kierkegaard s’est reconnu poète, s’est reconnu
dialecticien, s’est reconnu poète-dialecticien, ce dernier syntagme pouvant
être interprété comme une synthèse. Or on notera que les concepts de poète
et de dialecticien ne sont pas simples et que leur complexité respective anime
la relation inhérente au poète-dialecticien. Sans effectuer un relevé systéma-
tique des occurrences des termes, je proposerai quelques indications. le
terme poète semble avoir au moins deux acceptions nettement différentes.
dans le Point de vue, présentant l’histoire de son œuvre et de son esprit,
Kierkegaard note ceci. « Au lieu d’avoir été jeune, je devins poète, ce qui est
une seconde jeunesse 24. » C’est alors être poète par défaut ou par déficience.

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Incapable de se situer dans l’existence et déjà désenchanté – à l’instar du
rené de Chateaubriand, n’ayant encore usé de rien mais déjà désabusé de
tout –, l’auteur trouve un refuge ou même son salut dans l’écriture. Ce trait,
typiquement romantique, se retrouvera à propos du stade esthétique.
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Capable de virtuosité, auteur de compositions éclatantes, le poète est pour-


tant absent de l’existence ; il s’en exempte. Il la décrit, la contemple, la trans-
figure, la fait miroiter dans des jeux de miroirs en abîme ou de miroirs croi-
sés se réfléchissant mutuellement ; il donne une vie littéraire à ses fantasmes,
mais il se dispense de choisir. Il est un brillant écrivain dandy. le poète a sa
fin dans son poème. Or face à cette acception négative, en tout cas restric-
tive, on trouve une acception directement valorisée. Kierkegaard se dit
« poète du religieux ». À la vérité, la qualification peut être étendue à toute
l’existence. l’écriture est l’acte de créer et d’exalter des formes de vie, spé-
cialement religieuse. Se tenant certes à distance du religieux – mais cette dis-
tance peut se réduire au point de devenir imperceptible –, le poète, lui-même
peut-être incapable d’accomplir le saut religieux, sait dire les mots religieux,
rendre sensible et réactualiser le message. l’acte poétique, reprenant des
textes bibliques et les méditant, est au service du religieux. À l’horizon,
asymptotiquement, le poète du religieux ne se distinguerait plus d’un poète
religieux 25.
Quant au concept de dialectique, il est d’une autre complexité. Ici
encore, sans procéder à un inventaire, notons quelques points. la dialectique

24. SV XIII 609 / OC XVI 58.


25. Sur ce point, voir mon Kierkegaard et Lequier. Lectures croisées (Paris, Cerf, 2008),
chapitre II : Kierkegaard comme poète (du) religieux.
626 André Clair

caractérise évidemment l’œuvre comme dialectique qualitative et para-


doxale ; c’est même cela qui constitue le cœur de l’œuvre. d’une manière
subordonnée, elle s’applique aux rapports avec les philosophes du passé, non
seulement les philosophes dialecticiens (avant tout Platon et Hegel) avec qui
elle est justement en rapport dialectique (lutte contre la philosophie spécu-
lative mais aussi héritage et fascination), mais elle s’applique également aux
rapports avec les nombreux philosophes que Kierkegaard met en relation
avec sa dialectique. Et puis la dialectique s’applique aux relations entre poé-
sie et dialectique. le concept de poète-dialecticien est lui-même dialectique
puisqu’il y a interférence et interpénétration ; et on le dira aussi bien poé-
tique puisque la création littéraire y est toujours en acte. la création poé-
tique témoigne certainement d’une marque romantique, de même que l’exa-
men dialectique atteste une marque hégélienne. Fera-t-on alors de
Kierkegaard un auteur (mi) romantique et (mi) hégélien ? Cette hypothèse,
tentante peut-être, aurait assurément l’attrait de la séduction. Si l’on se ris-

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quait à la formuler, ce serait en vue de mieux faire paraître, par différence,
l’originalité de Kierkegaard. Confronter mais aussi réunir la créativité et la
rigueur, l’invention et la réflexion, la virtuosité et la précision, l’individuel
et l’universel, voilà bien ce qui caractérise la subtilité du poète-dialecticien.
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Alors, s’il n’y a pas de symétrie entre les qualités si différentes du poète et
du dialecticien, peut-être y a-t-il un équilibre dynamique. On peut encore
poser la question autrement. S’il y a confrontation, et peut-être équilibre,
c’est surtout qu’une osmose se réalise. le poétique, lieu du pathos, est déjà
lui-même marqué conceptuellement par les interrogations que certes il ne
théorise pas mais qu’il met en scène. Ces présentations scéniques amorcent
l’élaboration théorique qui, loin de neutraliser le pathos, le porte à la lumière
– pour autant que cela est possible pour une réalité rebelle à la transparence
et originairement opaque. là est bien l’effort dialectique. À cet égard, La
Répétition et Crainte et tremblement sont exemplaires. Cela nous conduit
à l’examen du style, ce qu’expose le Post-scriptum 26.

26. dans un livre ingénieux et subtil, marqué aussi du sceau de la postmodernité, Singulière
Philosophie. Essai sur Kierkegaard (Paris, éd. du Félin, 2006), Vincent delecroix a renouvelé
cette question d’une manière brillante et aiguë. Il a vivement marqué l’importance de l’acte lit-
téraire pour la philosophie de Kierkegaard. l’articulation entre littérature et philosophie appa-
raît alors comme le moteur de l’originalité de Kierkegaard, si bien que ce qui est primordial,
pour la philosophie même, c’est le style. « Un portrait donc : Kierkegaard en philosophe et en
écrivain. […] notre approche voudrait ainsi conjuguer philosophie et théorie littéraire – pour
savoir ce que c’est qu’une philosophie singulière, ce que c’est que de singulariser la philoso-
phie. » (p. 37). En cela, c’est la nature proprement conceptuelle de l’œuvre qui est en cause. les
concepts se renouvellent par l’acte littéraire, des concepts qui, par cet acte créateur très diffé-
rencié, s’accordent à la philosophie de l’existence, spécialement pour penser le singulier. Voir
le chapitre V : « Ce que la littérature fait à la philosophie ».
Kierkegaard et la dialectique 627

la forme du penseur subjectif, la forme de sa communication est son style. Sa


forme doit être aussi multiple que les contrastes qu’il rassemble. le systéma-
tique ein, zwei, drei est une forme abstraite qui par conséquent doit tomber
dans l’embarras chaque fois qu’elle doit être appliquée au concret. Au même
degré que le penseur subjectif est concret, au même degré sa forme doit aussi
être concrètement dialectique. Mais comme il n’est lui-même ni poète ni éthi-
cien ni dialecticien, de même sa forme n’est jamais simplement aucune des
leurs. Sa forme doit avant tout se rapporter à l’existence et, à cet égard, il doit
disposer du poétique, de l’éthique, du dialectique, du religieux. Comparée à
celle d’un poète, sa forme sera concise ; comparée à celle d’un dialecticien abs-
trait, sa forme sera prolixe 27.

le style, c’est la forme de la communication, déterminée par les procé-


dés de composition et par la rhétorique, mais signifiant surtout un certain
rapport du texte à son objet. S’il y a un style de Kierkegaard, c’est par une
corrélation entre des styles différents, caractéristiques de genres spécifiques
et de textes atopiques. le terme, lui-même kierkegaardien, qui qualifie ce

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style, c’est la communication indirecte. Si c’est la pseudonymie qui mani-
feste le plus nettement celle-ci, elle tient sa signification de son rapport à son
opposé, la production des discours, mais aussi à l’œuvre entière. Ce qui
importe alors, c’est le rapport, multiple et complexe, à l’objet du discours,
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l’existence, un rapport que Kierkegaard nomme le comment, par opposition


mais aussi par relation au quoi. la communication est dialectique, et cela de
bien des manières. Son cadre, c’est le rapport quoi – comment, entre le
contenu et la manière dont le penseur s’y rapporte. le contenu, l’existence,
n’est jamais appréhendé comme tel ; mais c’est toujours de l’existence qu’il
est question. Elle est saisie à partir de situations particulières et de vies
d’existants, que des récits racontent, que des descriptions exposent, que des
enquêtes explorent, que des méditations intériorisent et que des études théo-
risent – toutes ces approches ou ces points de vue se précisant et constituant
ensemble et pas à pas le concept d’existence. Si l’existence renvoie à des sub-
jectivités, au sens où ce sont des sujets singuliers qui existent comme au sens
où le penseur est lui-même un existant – ce qui singularise aussi bien l’acte
d’exister que l’acte de penser l’existence –, s’il y a donc une prééminence
des singularités, la tâche du penseur subjectif est bien de constituer un
concept d’existence qui vaille pour tous, donc universel, un concept qui dise
aussi exactement que possible l’essence de l’existence, alors même que ce
concept demeure toujours ouvert à l’horizon ; cela signifie que le concept
d’existence est inépuisable. Ce sont alors les pseudonymes les plus concep-
tuels (Vigilius Haufniensis, Johannes Climacus, Anti-Climacus) qui élabo-
rent le mieux le concept d’existence, mais ils ne le font que dans un rapport

27. SV VII 346 / OC XI 56-57.


628 André Clair

avec les pseudonymes les plus narratifs ainsi qu’avec les discours. les pseu-
donymes narratifs sont justement les plus originels et ils s’avancent d’ail-
leurs davantage vers l’originaire. Ce rapport est parfaitement reconnu et
assumé dans l’ingénieuse fiction qu’est le « Coup d’œil » juste au milieu du
Post-scriptum, où Kierkegaard-Climacus se fait le lecteur instruit et brillant
de soi-même et de ses autres, de ses écrits autonymes et pseudonymes. de
ce fait, le croisement des capacités les plus diverses est requis pour penser
l’existence, la condition première étant que le penseur ne s’imagine pas s’ex-
traire du monde pour adopter un point de vue transcendant, qu’il se rap-
pelle qu’il est, selon un autre penseur, un être-au-monde, in-der-Welt-Sein.
C’est précisément un trait de la dialectique qualitative d’affirmer résolument
un ancrage dans le monde commun et de scruter comment un individu peut
y devenir un singulier, soit ordinaire soit exceptionnel – ou peut-être exister
entre les deux, incognito dans leur inter.

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Le concept de subjectivité

À cette conception de la dialectique se rattache la question de la vérité.


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la thèse tient en deux propositions opposées : (1) la subjectivité est la vérité.


(2) la subjectivité est la non-vérité. Que signifie chacune ? Comment passe-
t-on de l’une à l’autre ? d’abord un point les réunit : le rapport à la subjecti-
vité. Il y a ainsi une subversion des définitions classiques de la vérité, défi-
nie soit par la cohérence logique soit par l’adéquation à l’objet. Il ne s’agit
pas non plus de la vérité comme découverte ou dévoilement de l’être. Mais
surtout, les deux propositions sont elles-mêmes précédées par une troisième,
qui marque le lieu de la vérité : la vérité est la subjectivité.

Je vais maintenant, pour rendre claire la différence de chemin entre la


réflexion objective et la réflexion subjective, montrer la recherche de la
réflexion subjective pour aller en arrière vers le dedans de l’intériorité. le
point le plus haut de l’intériorité dans le sujet existant est la passion, passion
à laquelle correspond la vérité comme un paradoxe ; et le fait que la vérité
devient le paradoxe est précisément fondé dans son rapport à un sujet exis-
tant. Ainsi l’un correspond-il à l’autre. En oubliant que l’on est un sujet exis-
tant, la passion se retire, et la vérité ne devient pas en retour quelque para-
doxe, mais le sujet connaissant devient, d’homme qu’il était, quelque chose
de fantastique, et la vérité un objet fantastique pour cette connaissance.
Quand on s’interroge objectivement sur la vérité, on réfléchit objectivement
sur la vérité comme un objet auquel le sujet connaissant se rapporte. On ne
réfléchit pas sur le rapport mais sur le fait que c’est la vérité, le vrai à quoi
on se rapporte. Quand ce à quoi on se rapporte est simplement la vérité, le
vrai, alors le sujet est dans la vérité. Quand on s’interroge subjectivement sur
Kierkegaard et la dialectique 629

la vérité, on réfléchit subjectivement sur le rapport de l’individu ; quand le


comment de ce rapport est en vérité, alors l’individu est en vérité, même s’il
se rapporte ainsi à la non-vérité 28.

Si la vérité n’est plus dans l’objectivité, dans le rapport d’adéquation à


un objet, c’est pourtant en fonction de cette définition, par différence, que
la définition nouvelle est recherchée. Ainsi l’objectivité marque-t-elle encore
la vérité, comme si un détour était nécessaire, comme si un élément d’ob-
jectivité subsistait, comme si même quelque marque d’objectivité devait être
retrouvée au terme. Ce dernier point, s’il ne fait pas l’objet d’une question,
n’est pas étranger à notre texte ; on le conservera en filigrane.
Quant à la thèse, elle consiste en une exploration de la subjectivité. Au
sujet connaissant, qui se porte vers l’objet, qui lui est connaturel, qui tend
à connaître l’objet comme tel, Kierkegaard oppose le sujet existant, c’est-à-
dire passionné. la question est celle du rapport à l’extérieur et à l’intérieur.

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le sujet connaissant tend vers l’extérieur, vers l’autre que soi, vers le monde ;
il est orienté vers l’objet. En termes différents, c’est la conscience intention-
nelle comme conscience des choses. C’est ce processus que Kierkegaard met
en question, nullement pour le nier mais pour lui tourner le dos et pour
exposer un processus d’intériorisation. Aucun lien n’est marqué entre les
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deux processus. Mais c’est bien en fonction du premier que le second est
exposé. Ce que retrouve Kierkegaard, c’est une structure de la conscience.
Celle-ci, spontanément ouverte à l’extérieur, peut aussi et même doit se
retourner vers elle-même, revenir vers soi, se rapporter à soi. En s’intériori-
sant, elle s’explore et s’examine, mais surtout elle s’affirme et s’approprie.
C’est en effet bien moins une affaire de connaissance que d’appropriation,
de sorte que la thèse, que l’on pourrait penser apparentée au « connais-toi
toi-même » et à la réminiscence, s’en éloigne nettement. On pourrait dire :
la conscience de la vérité n’est pas une conscience réflexive mais une
conscience passionnée. la subjectivité est passion (aux deux sens du terme).
Kierkegaard énonce deux propositions, apparemment convertibles : la
vérité est la subjectivité, la subjectivité est la vérité. On pourrait les tenir
pour identiques si l’on comprend la copule comme une relation d’identité
et non pas d’attribution ; mais ce serait revenir à une réflexion objective et
surtout méconnaître comment sont établies ces formules. d’abord elles ne
sont pas présentées en même temps. Formulée la première, la thèse que la
vérité est la subjectivité, dans le titre même du chapitre, a une primauté. la
question est bien celle de la vérité, dont on explore la nature. la subjectivité
(avant tout la passion, seul élément noté) est le premier caractère de la vérité

28. SV VII 184-185 / OC X 185.


630 André Clair

et même le seul reconnu. Cela conduit à préciser cette conception par rap-
port à d’autres, spécialement la définition de la vérité comme objectivité.
Alors l’exploration ne porte sur la subjectivité qu’autant que nécessaire pour
spécifier la nouvelle définition. Celle-ci, élaborée par différence et de manière
polémique, n’est pas exhaustive. – Si maintenant on dit que la subjectivité
est la vérité, la question porte directement sur la subjectivité, qu’il s’agit de
caractériser, et ici encore un seul élément est relevé, ce qui fait que la sub-
jectivité n’est que partiellement définie. Si la subjectivité est la vérité, c’est
au sens où elle est le lieu de la vérité ; c’est là que la vérité se vit, qu’elle
advient, que la subjectivité advient à elle-même. Cette subjectivité, qui n’est
encore rien de précis, qui est simple passion, trouve en elle-même le chemin
de son être singulier. C’est en cela qu’elle est la vérité. Être dans la vérité,
c’est devenir soi-même. la vérité n’est plus un concept théorique mais exis-
tentiel et éthique. le chemin de la vérité bifurque, passant de la voie d’une
approximation toujours plus affinée à celle d’une appropriation passionnée

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de soi fondée sur une décision. Cette différence tient dans une formule.
« Objectivement, on accentue ce qui est dit ; subjectivement, on accentue
comment c’est dit 29. » En radicalisant la différence, cela conduit à définir la
vérité comme un paradoxe. « L’incertitude objective, maintenue dans l’ap-
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propriation de l’intériorité la plus passionnée, est la vérité, la vérité la plus


haute qui soit pour un existant 30. »
la nature de la subjectivité reste à préciser. Kierkegaard avance une nou-
velle proposition, opposée à la précédente sans être contradictoire. « Ainsi
donc la subjectivité, l’intériorité, est la vérité ; y a-t-il maintenant une expres-
sion plus intérieure pour cela ? Oui, si la phrase : “la subjectivité, l’intério-
rité, est la vérité” commence ainsi : la subjectivité est la non-vérité 31. » On
s’arrêtera sur l’acte de la découverte. Celle-ci tient à une intériorisation, à
un mouvement en arrière jusqu’au tréfonds de soi. C’est certes un mouve-
ment dialectique au sens d’une opposition et d’une réorientation, mais non
pas d’une contradiction. l’approfondissement conduit à un retournement,
mais il ne s’agit pas non plus d’un saut ni d’une décision ; c’est, plus simple-
ment, une exploration de soi. C’est à un autre moment que le saut intervien-
dra, le saut de la foi comme adhésion au Christ comme dieu-homme, ce que
Kierkegaard nomme un « passage pathétique » et non pas dialectique. Ici un
élément tout à fait nouveau est découvert par un mouvement de recul en soi.
Après la bifurcation du quoi vers le comment, vient un renversement ou un
mouvement à rebours qui, s’effectuant à l’intérieur du comment, retrouve

29. SV VII 188 / OC X 188.


30. SV VII 189 / OC X 189.
31. SV VII 193 / OC X 193.
Kierkegaard et la dialectique 631

un quoi. Voilà un point capital. C’est le concept de vérité qui est en cause.
Si la subjectivité est à la fois la vérité et la non-vérité, c’est que le concept de
vérité se prend en deux sens. l’approfondissement de la subjectivité amène
à creuser en deçà du socratisme, ce qui conduit au-delà. Il y a une vérité du
socratisme qui est de penser la vérité en termes d’intériorité et de retour vers
soi. Tel est le sens de l’ironie qui met au jour un savoir du non-savoir. Or on
peut aller plus loin que cette nescience. On quitte ainsi le socratisme – mais
en conservant la manière, le comment – pour le christianisme. le point
nodal, c’est le lien entre le comment et le quoi, puisque c’est à la pointe du
comment qu’est découvert un quoi. Socrate avait compris que l’important,
c’est l’acte d’exister. dans la même voie, le christianisme a exploré et
reconnu le fond de la subjectivité comme non-vérité. l’homme est pécheur,
distant et séparé de dieu ; la non-vérité est son état originel. Alors, dire que
l’homme est dans la non-vérité, qu’il naît comme pécheur, c’est énoncer une
proposition théorique ou doctrinale. C’est reconnaître qu’une vérité pour

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moi, découverte en moi, vaut aussi pour tous. Climacus reprend une formule
de Térence : « Unum noris, omnes 32. » l’argument tient en ceci : si l’on che-
mine jusqu’au fond de la subjectivité, on y découvre la nature de tout
homme et sa non-vérité. le penseur subjectif, connaissant un seul existant,
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les connaît tous ; il accède par-là à l’objectivité. dans un passage bien connu
des Papirer (X 2 A 299), Kierkegaard note justement un renversement du
principe de subjectivité qui, à sa limite, conduit à l’objectivité.
Un concept permet de saisir ces analyses d’un seul coup d’œil : le para-
doxe. le concept de vérité est paradoxal, et cela doublement. C’est évidem-
ment un paradoxe de soutenir que la vérité n’est pas objectivité mais sub-
jectivité, qu’elle ne consiste ni dans un accord des esprits, ni dans une
cohérence des propositions, ni dans une adéquation aux choses, mais qu’elle
est subjective et personnelle. le concept classique de vérité se trouve sub-
verti sinon dissous. Alors, en l’absence de critères, comment reconnaîtra-t-
on une vérité, un discours vrai ? replier la vérité sur la subjectivité, la cou-
per de toute extériorité linguistique, sociale ou empirique, cela aboutit à lui

32. SV VII 342 et 562 / OC XI 53 et 252. dans les Papirer (Pap X 2 A 390 / J III 317),
cette formule a une autre connotation, marquant le rapport de l’individu singulier à la commu-
nauté. « Chaque individu singulier dans la communauté est le garant de la communauté ; le
public est une chimère. le singulier dans la communauté est le microcosme qui répète quali-
tativement le macrocosme ; ici vaut dans le bon sens du terme unum noris, omnes. dans le
public il n’y a aucun singulier, le tout n’est rien ; il est ici impossible de dire unum noris, omnes,
car il n’y a ici aucun “un”. » la communauté n’est pas opposée à l’humanité mais à la foule, qui
est inconsistante. la communauté est-elle alors l’intermédiaire entre l’individu et l’espèce ? Elle
est plutôt le point d’ancrage de l’humanité dans un temps et dans un lieu, une concrétisation
singulière de l’humanité.
632 André Clair

ôter toute signification. la vérité ne sera plus qu’un mot à usage privé et
livré au gré du pathos. Au mieux, un tel paradoxe favorisera des discours
brillants et prolixes où le poétique aura sa place – et peut-être toute la place ;
mais le dialectique y sera affaibli et même exténué. Que cette ligne soit vive-
ment marquée dans l’œuvre et que même elle puisse apparaître parfois
comme majeure, nul sans doute ne le niera. Mais ce serait accomplir seule-
ment une partie du chemin, tronquer la démarche et ainsi la dénaturer. Ce
serait aussi s’en tenir à une conception abaissée de la dialectique, restreinte
à la rhétorique. Kierkegaard n’est certainement pas déficient en rhétorique,
mais sa problématique est à un autre niveau. Elle est dialectique et relève
d’une dialectique paradoxale. À l’horizon de sa recherche, il y a le paradoxe
absolu. C’est bien le paradoxe absolu qui, dans les chapitres qui interrogent
sur la vérité, informe toute la réflexion. le paradoxe existentiel a revêtu deux
figures majeures : Socrate et le Christ. la thèse socratique, à savoir que la
vérité éternelle est présente en tout existant, fait de la vérité un paradoxe :

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l’éternité et l’existence singulière sont posées ensemble. Mais il y a un autre
paradoxe, absolu celui-ci et comme tel impensable, selon lequel l’éternel s’est
incarné une fois pour toutes dans un existant singulier. Alors, pour le poète-
dialecticien, la question est bien celle de l’intériorisation puis de la décision
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passionnée face au paradoxe absolu. C’est là que le saut de la foi a sa place,


une place que le poète-dialecticien peut seulement présenter, comme le rap-
pelle une note de mai 1848. « la foi est l’immédiateté après la réflexion.
Comme poète et penseur, j’ai tout exposé dans le médium de l’imagination,
vivant moi-même dans la résignation. Maintenant la vie vient plus près de
moi ou je viens plus près de moi-même, je viens à moi-même 33. » là est la
limite de la dialectique, et tout aussi bien de la poésie. Pourtant les deux
limites demeurent distinctes, le rapport à l’absolu n’étant pas identique. le
dialecticien a sa limite dans le dépassement des distinctions. Au-delà de la
dialectique, qui ne saisit pas l’absolu mais qui seulement l’indique, il y a
l’adoration. Telle est une affirmation capitale du Post-scriptum. « Car la dia-
lectique est dans sa vérité une puissance bienveillante et utile qui découvre
et aide à trouver où est l’objet absolu de la foi et de l’adoration, où est l’ab-
solu – à savoir là où la différence entre le savoir et le non-savoir s’effondre
dans l’adoration absolue qui est celle de l’ignorance, là où l’incertitude objec-
tive proteste pour faire venir par les tourments la certitude passionnée de la
foi, là où le conflit à propos du juste et de l’injuste s’effondre dans l’adora-
tion absolue qui est celle de la soumission absolue. la dialectique ne voit pas
elle-même l’absolu, mais elle conduit en quelque sorte l’individu vers lui et
dit : ce doit être ici, j’en suis garant ; quand tu adores ici, alors tu adores

33. Pap VIII 1 A 650 / J II 227.


Kierkegaard et la dialectique 633

dieu. Mais l’adoration elle-même n’est pas de la dialectique 34. » Si l’adora-


tion n’est pas non plus de la poésie, celle-ci pourrait bien être une prépara-
tion encore mieux appropriée que la dialectique.

résumé : Kierkegaard a un rapport intrinsèque à la dialectique ; il se qualifie de poète-dia-


lecticien. Il occupe un lieu singulier dans la famille dialectique, notamment par rapport
à Platon et à Hegel. De même il se distingue des romantiques, dont il est parfois proche.
Il élabore une dialectique paradoxale qui se réfère finalement au paradoxe absolu, une
dialectique où le paradoxe est à la fois l’objet et le sujet de la pensée.
Mots-clés : Kierkegaard. Dialectique. Existence. Poète. Subjectivité. Singulier.

Abstract : Kierkegaard’s relation to dialectic is intrinsic: he calls himself a « poet-dialecti-


cian ». Kierkegaard holds a special place in the dialectical school, particularly with regard
to Plato and Hegel. Similarly, he is clearly different from the Romantics to whom he is
sometimes close. He develops a paradoxical dialectic finally referring to the absolute para-
dox – when the paradox is in the same time object and subject of the thinking.

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Key words : Kierkegaard. Dialectic. Existence. Poet. Subjectivity. Singular.
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34. SV VII 480-481 / OC XI 178-179. Sur cette question, et d’ailleurs sur toute la pensée
de Kierkegaard, on lira les belles études de Jacques Colette, lui qui a initié un nouveau départ
de la recherche kierkegaardienne en France. Voir surtout Kierkegaard et la non-philosophie
(Paris, Gallimard, 1994).

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