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ENTRE DIALOGISME ET ANTAGONISME : LE PARLEMENT COMME

ESPACE DE RÉSOLUTION DES CONTROVERSES

Clément Viktorovitch

Presses de Sciences Po | « Raisons politiques »

2012/3 n° 47 | pages 57 à 82
ISSN 1291-1941
ISBN 9782724632651
DOI 10.3917/rai.047.0057
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dossier
CLÉMENT VIKTOROVITCH

Entre dialogisme et antagonisme :


le Parlement comme espace
de résolution des controverses
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L EN VA DES CONTROVERSES comme des rivalités entre

Ivillages ou supporters sportifs : rarement les voit-on


se « clore » définitivement et d’un commun accord.
La frénésie du désaccord se tarit peu à peu sans hâte ni éclat, par
épuisement des deux camps ou renouvellement des générations 1.
Mais si les controverses peuvent perdurer ad libitim et nauseam, une
partie d’entre-elles appellent néanmoins une prise de décision. Il
revient alors à une autorité institutionnelle de « trancher 2 ».
En fonction de l’enjeu, la prise de décision peut échouer à diffé-
rentes instances, parmi lesquelles des institutions politiques : les
différentes agences de l’État, les collectivités locales, le gouverne-
ment, voire même le peuple rassemblé – par voie de referendum.
À ce titre, le cas du Parlement apparaît singulier. Tout d’abord

1. Marc Angenot, Dialogues de sourds. Traité de rhétorique antilogique, Paris, Mille et une
nuits, 2008, p. 9-15 ; Dominique Pestre, « Pour une histoire sociale et culturelle des
sciences. Nouvelles définitions, nouveaux objets, nouvelles pratiques », Annales HSS,
L, 3, 1995, p. 487-522.
2. Pierre Lascoumes parle à ce propos d’une « clôture politique » ; Cyril Lemieux évoque
quant à lui un « recours à la puissance publique pour trancher autoritairement le
différend ». Voir Pierre Lascoumes, « Controverse », in Laurie Boussaguet, Sophie
Jacquot, Pauline Ravinet, Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences
Po, 2010, p. 126, et Cyril Lemieux, « À quoi sert l’analyse des controverses ? », Mil
neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, vol. 25, no 1, 2007, p. 197.

Raisons politiques, no 47, août 2012, p. 57-82.


© 2012 Presses de Sciences Po.
58 – Clément Viktorovitch

parce que, en tant que législateur, il lui revient de se prononcer


sur des questions essentielles, engageant l’ensemble de la Nation.
Mais surtout, les assemblées parlementaires se distinguent par la
publicité de leurs débats, qui rend visible la confrontation des
points de vue avant la prise de décision. En d’autres termes, les
parlementaires ne se contentent pas de trancher la controverse, ils
contribuent à la publiciser.
Pourtant, malgré cette spécificité, les travaux ayant interrogé
le rôle du Parlement dans la résolution des controverses demeu-
rent jusqu’à présent peu nombreux, et centrés sur des cas d’étude
précis – qu’il s’agisse de la création du PACS 3, de la réforme du
code pénal 4, des lois de bioéthique 5, du traitement des déchets
nucléaires 6 ou des dangers de la téléphonie mobile 7. J’aimerais
ici dessiner les premiers contours d’une réflexion analytique sur
ce sujet.
Dans cette perspective, le cadre conceptuel proposé par Cyril
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Lemieux se révèle particulièrement adapté 8. Il définit la contro-
verse comme un « conflit triadique », c’est-à-dire un affrontement
entre deux parties se déroulant initialement devant le public des
pairs, dans lequel les acteurs peuvent être amenés à chercher du
soutien auprès des profanes, et où la prise de décision éventuelle
peut finalement être confiée à – ou captée par – la puissance
publique. Cette structure triadique permet de mettre en lumière
la complexité du rôle du Parlement à l’égard des controverses. Il
est pour cela nécessaire d’effectuer un détour par la littérature
consacrée à l’analyse des « fonctions » de l’institution parlementaire
au sein du système politique. Celle-ci met notamment en avant
une « fonction informative » : les assemblées doivent être des
espaces de synthèse, vers lequel convergent l’ensemble des infor-
mations et des points de vue disponibles sur un problème donné

3. Daniel Borrillo et Pierre Lascoumes, Amours égales ? Le Pacs, les homosexuels et la gauche,
Paris, La Découverte, 2002, chap. « L’arène parlementaire », p. 77-91 ; et Marc Abélès,
Un ethnologue à l’Assemblée, Paris, Odile Jacob, 2000.
4. Pierrette Poncela et Pierre Lascoumes, Réformer le Code pénal, où est passé l’architecte ?,
Paris, PUF, 1998, chap. « Les compromis politiques : délibérations et tensions parle-
mentaires », p. 203-274.
5. David Smadja, Bioéthique. Au cœur des controverses sur l’embryon, Paris, Dalloz, 2009.
6. Yannick Barthe, Le pouvoir d’indécision. La mise en politique des déchets nucléaires, Paris,
Economica, 2006.
7. Yannick Barthe et Olivier Borraz, « Les controverses sociotechniques au prisme du
Parlement », Quaderni. Communication, technologies, pouvoir, vol. 75, 2011, p. 63-71.
8. C. Lemieux, « À quoi sert l’analyse des controverses ? », op. cit.
Entre dialogisme et antagonisme : le Parlement comme espace de résolution... – 59

en vue de sa résolution 9. Mais le Parlement occupe également une


« fonction pédagogique » : il donne la possibilité aux citoyens de
se forger leur propre opinion sur les principaux enjeux politiques,
en assistant à un débat contradictoire dans lequel les arguments
pro et contra sont longuement débattus 10. Dès lors, il semble que
le Parlement soit susceptible d’occuper deux places différentes au
sein de la structure triadique propre aux controverses. Dans le pre-
mier cas, il serait un auditoire tiers chargé d’arbitrer un affronte-
ment extérieur lui ayant été soumise. Dans le second, il serait
l’arène de la controverse elle-même, placée sous le regard du public
des citoyens.
Sur la question plus spécifique de la prise de décision au
sein d’une controverse, Cyril Lemieux met en évidence une ten-
sion intrinsèque entre deux dynamiques 11. La première, « dialo-
gique-argumentative », est orientée vers la recherche commune
du consensus, qui clôt la controverse. La seconde, « antagoniste-
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stratégique », recouvre un rapport de force où le seul objectif est
la victoire. Elle implique donc le verdict d’une autorité reconnue
comme arbitre qui tranche la controverse – tout en laissant sub-
sister le désaccord. Or, on retrouve précisément là les conclu-
sions des travaux sur les modalités de discussion au Parlement,
qui mettent en avant l’existence de deux dynamiques similaires.
Jean-Philippe Heurtin parle ainsi de « grammaire de la discus-
sion » et de « grammaire critique » 12 ; Éric Landowski identifie
une « lecture paradigmatique » et une « lecture syntagma-
tique » 13 ; quant à Pierre Lascoumes, il évoque une « souspoli-
tisation » et une « surpolitisation » 14.

9. Walter Bagehot, The English Constitution, Cambridge, Cambridge University Press,


2001 [1867], p. 96-97 ; Pierre Avril, Les Français et leur Parlement, Paris, Casterman,
1972, p. 52.
10. W. Bagehot, The English Constitution, op. cit., p. 95 ; P. Avril, Les Français et leur
Parlement, op. cit., p. 43.
11. Il élabore ici son propos sur une distinction proposée originellement par Antoine
Lilti, « Querelles et controverses. Les formes du désaccord intellectuel à l’époque
moderne », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, vol. 25, no 1, 2007, p. 25.
12. Jean-Philippe Heurtin, L’espace public parlementaire, Paris, PUF, 1999.
13. Éric Landowski, « Le débat parlementaire et l’écriture de la loi », Revue française de
science politique, vol. 27, no 3, 1977, p. 428-441.
14. P. Lascoumes, « Les compromis parlementaires, combinaisons de surpolitisation et
de sous-politisation. L’adoption des lois de réforme du Code pénal (décembre 1992)
et de création du Pacs (novembre 1999) », Revue française de science politique, vol. 59,
no 3, 2009, p. 455-478.
60 – Clément Viktorovitch

Entre décision et publicisation, dialogisme et antagonisme,


quelles sont les modalités de l’examen parlementaire d’un sujet
controversé ? Pour envisager cette interrogation, je m’appuierai sur
l’exemple du premier projet de loi de finances rectificative pour
2011 15. Composé de dispositions législatives hétérogènes, celui-ci
comprenait en effet des mesures liées à deux sujets controversés : la
réforme de la fiscalité du patrimoine d’une part, la création d’un
fond d’indemnisation des victimes du Mediator d’autre part. J’exa-
minerai successivement ces deux dispositions, en me fondant sur
l’analyse des débats parlementaires en séance publique dans les deux
assemblées, ainsi que – de manière plus marginale – sur l’étude
d’un corpus de presse 16. Je conclurai mon propos en proposant
trois précisions à apporter au modèle de Cyril Lemieux, à l’aune
des observations empiriques qui auront été dégagées.
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Trancher la controverse dans l’antagonisme : la réforme de la fiscalité
du patrimoine

Qualifier les débats existant autour de l’impôt de solidarité sur


la fortune (ISF) de « controversés » ne va pas de soi. Au sein du
corpus de presse retenu, seuls 2 % des articles consacrés à la fiscalité
du patrimoine emploient un tel qualificatif 17 – au contraire des
articles et ouvrages universitaires, qui utilisent massivement le terme
« controverse 18 ». Cet écart semble du au fait que les débats sur
l’ISF engagent de très nombreuses dimensions, à la fois « politiques,
économiques, philosophiques et techniques, les unes masquant fré-
quemment les autres 19 ». Il est donc nécessaire, au préalable, de
rappeler brièvement les enjeux de cette question.

15. Abrégé ci-après PLFR2011, il a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le
11 mai 2011, adopté définitivement par le Sénat le 6 juillet 2011 et promulgué le
29 juillet 2011.
16. Analyse statistique descriptive conduite sur les archives depuis 1988 de trois quoti-
diens français : Le Monde, Le Figaro et Libération.
17. Sur les 1 841 articles dont le titre fait référence à la fiscalité du patrimoine, seuls 32
comprennent un dérivé du terme « controverse » dans le corps du texte.
18. Pour prendre un seul exemple : « Vingt-cinq ans après son instauration, l’impôt sur
la fortune continue de soulever, dans notre pays, polémiques et controverses » : Marie
Chenevoy-Gueriaud, « L’impôt de solidarité sur la fortune : une évolution ina-
chevée », Droit prospectif, vol. 114, no 3, 2006, p. 1543.
19. Emmanuel de Crouy-Chanel, « Impôt sur la fortune, le mal-aimé du système fiscal
français », Revue politique et parlementaire, no 1037, 2005, p. 21.
Entre dialogisme et antagonisme : le Parlement comme espace de résolution... – 61

De la controverse économique à la controverse politique

En 1981, la création d’un impôt sur les grandes fortunes (IGF)


est l’une des mesures phares parmi les « 110 propositions » du can-
didat Mitterrand. Elle fait l’objet d’un projet de loi déposé à
l’Assemblée nationale dès septembre 1981, et définitivement adopté
le 19 décembre suivant 20.
À cette époque, l’impôt sur le patrimoine fait l’objet d’une
double controverse. La première est universitaire, et oppose prin-
cipalement les économistes Pierre Uri et Pascal Salin. À la fin des
années 1970, ils engagent un débat au sein de la revue Commen-
taire 21. Leurs positions se cristallisent quelques années plus tard,
dans deux livres aux thèses inconciliables :
Devant des inégalités aussi éclatantes, un luxe aussi ostenta-
toire, et le pouvoir de l’argent, [l’imposition des grandes fortunes],
c’est le bon sens 22.
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Il n’y a qu’une attitude possible à l’égard de l’impôt sur le
capital, à savoir le refus de principe de cet impôt pour toutes les
formes de capital 23.

Ce débat devient vite l’une des pierres d’achoppement irré-


ductibles entre la majorité socialiste et l’opposition, et la controverse
prend alors une tournure politique – au sens le plus étroit du terme.
Entre septembre et décembre 1981, l’affrontement parlementaire
se révèle particulièrement long et violent. Cinq ans plus tard, quand
Jacques Chirac devient chef du gouvernement à la faveur de la
première cohabitation, l’une de ses premières mesures consiste à
supprimer l’IGF – dès l’été 1986.
Revenue au pouvoir en 1988, la majorité socialiste réintroduit
une fiscalité sur le patrimoine, renommée pour l’occasion « impôt
de solidarité sur la fortune » (ISF). Celui-ci comporte deux

20. Pour un historique précis – bien que de parti pris –, voir Éric Pichet, L’ISF 2009 :
théorie et pratiques, Paris, Éditions du Siècle, 2009, p. 27-58.
21. Pascal Salin, « Impôt sur le capital et équité fiscale », Commentaire, vol. 1, no 3, 1978,
p. 179-186 ; Pierre Uri, « Sur l’imposition des patrimoines. Réponse à Pascal Salin »,
Commentaire, vol. 1, no 4, 1978, p. 501-508 ; P. Salin, « Impôt sur la dépense :
réponse à Pierre Uri », Commentaire, vol. 2, no 5, 1979, p. 78-84 ; P. Uri, « Dernière
réplique », Commentaire, vol. 2, no 6, 1979, p. 331.
22. P. Uri, Changer l’impôt (pour changer la France), Paris, Éditions Ramsay, 1981, p. 144.
23. P. Salin, L’arbitraire fiscal, Paris, Robert Laffont, 1985, p. 84 (il souligne).
62 – Clément Viktorovitch

innovations majeures à l’égard de l’IGF. Tout d’abord, il n’est plus


présenté comme assis sur la volonté de « changer l’impôt pour
changer la France 24 », mais plus modestement comme un geste de
solidarité permettant le financement du RMI 25. Surtout, il s’accom-
pagne d’un « plafonnement » garantissant que le total de l’impôt
sur le revenu et de l’impôt sur la fortune ne puisse excéder 70 %
des revenus d’un ménage. Ainsi amendé, et au terme d’une décennie
de polémiques, il est frappant de constater que le principe d’un
impôt sur la fortune a cessé de faire controverse. Lors de l’examen
du projet de loi à l’Assemblée nationale, le député Philippe Auberger
(RPR) en vient à se féliciter que le débat ait été « intéressant, fair-
play, complet et instructif 26 ». De surcroît, en 1995, c’est Alain
Juppé lui-même – Premier Ministre de la majorité RPR nouvelle-
ment élue – qui fait voter un alourdissement considérable de l’ISF,
en « plafonnant le plafonnement ». Preuve, s’il en est, que la mesure
fait désormais consensus.
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La controverse est néanmoins réactivée à partir de 2004, pour
deux raisons parallèles. D’une part, l’inflation des prix de l’immobi-
lier contraint de nombreux contribuables à s’acquitter d’un impôt sur
la fortune qu’ils n’avaient jamais eu à payer. D’autre part, le contexte
international a également évolué depuis 1981 : la France est l’un des
derniers pays d’Europe à maintenir une fiscalité sur le patrimoine, qui
est dès lors accusée de provoquer délocalisations et exils fiscaux 27.
Certains économistes en viennent même à estimer qu’en raison de ces
conséquences néfastes, l’ISF coûte plus cher à l’État qu’elle ne lui
rapporte 28 – des chiffres contestés par le Conseil des Impôts 29.
D’une controverse économique et partiellement universitaire,
ce débat se transforme à nouveau en controverse politique à l’occasion

24. Selon le titre du livre de P. Uri, Changer l’impôt..., op. cit.


25. « Il frappera les quelques 100 000 personnes les plus riches, son produit servant à
financer une large part du revenu minimum d’insertion que recevrons les “nouveaux
pauvres” » : François Mitterrand, Lettre à tous les français, avril 1988.
26. Cité par E. Pichet, L’ISF 2009..., op. cit., p. 38.
27. Philippe Marini, Impôt sur la fortune : éléments d’analyse économique pour une réforme
de la fiscalité patrimoniale, Rapport d’information no 351 fait au nom de la commis-
sion des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation,
Sénat, 2004.
28. E. Pichet, « Les conséquences économiques de l’impôt sur la fortune », Revue de droit
fiscal, no 14, avril 2007, p. 10-20.
29. Conseil des Impôts, La concurrence fiscale et l’entreprise, 22e rapport au Président de
la République, 2004, p. 16-17.
Entre dialogisme et antagonisme : le Parlement comme espace de résolution... – 63

de la loi de finances pour 2006. Le Premier ministre Dominique de


Villepin revient à cette occasion sur le déplafonnement Juppé, en
instaurant un « bouclier fiscal » à 60 % des revenus. La mesure fait
grand bruit 30, et provoque l’ire des parlementaires de l’opposition.
Surtout, la controverse s’amplifie durant l’année 2007, quand Nicolas
Sarkozy fait de l’abaissement du bouclier fiscal à 50 % des revenus
l’un des thèmes majeurs de sa campagne présidentielle 31. La traduc-
tion législative de cette proposition intervient dès l’été suivant son
élection, au sein de la désormais célèbre loi TEPA. Le bouclier fiscal
renforcé devient alors, pour l’opposition, le porte-drapeau de la lutte
contre une présidence accusée de « faire des cadeaux aux riches 32 ».
Avec le surgissement puis l’aggravation de la crise économique et
financière, un tel symbole devient de plus en plus délicat à assumer
pour le gouvernement : sa visibilité médiatique ne cesse de croître 33,
et les parlementaires de la majorité eux-mêmes finissent par le qua-
lifier de « boulet 34 ».
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Dans un tel contexte, l’objectif du projet de loi de finances
rectificatif (PLFR) 2011 est limpide : supprimer le bouclier fiscal,
tout en abaissant la fiscalité du patrimoine afin de conserver un
poids constant de l’impôt sur les contribuables fortunés. C’est dans
ce cadre que l’ISF se voit notablement allégé.

L’examen parlementaire : une épreuve de force

Parvenue dans l’enceinte du Parlement, la controverse sur la


fiscalité du patrimoine donne lieu à une dynamique nettement anta-
goniste. À l’Assemblée nationale, cela est avéré dès les premières
minutes de discussion en séance publique, le 6 juin 2011. Quatorze
orateurs appartenant aux groupes Socialiste ou Gauche Démocrate
et Républicaine (GDR) se succèdent à la tribune lors de la discus-
sion générale, puis à nouveau quatre-vingt d’entre eux lors de la
discussion générale de l’article 1. Au fil de cette centaine d’inter-
ventions, ils manifestent leur refus inconditionnel d’un allègement
de l’ISF, à travers une série d’arguments largement redondants et

30. Au sein du corpus retenu, 336 articles sur l’imposition du patrimoine furent publiés
en 2004 et 2005, soit deux fois plus que sur les deux années précédentes (166).
31. 250 articles publiés en 2007 – le maximum sur la série étudiée.
32. « À l’Assemblée, il y a tout ce qu’il faut pour les cadeaux fiscaux », Libération, 14 juillet
2007.
33. 118 articles publiés en 2009, 194 en 2010, 221 en 2011.
34. « À bras raccourcis sur le bouclier fiscal », Libération, 5 octobre 2010.
64 – Clément Viktorovitch

particulièrement agonistiques. Cette stratégie consistant à miser sur


la répétition transparaît d’ailleurs à la simple lecture de la liste des
amendements déposés par les députés de l’opposition. Plutôt que
de cosigner toutes leurs propositions, ils ont préféré déposer des
séries d’amendements identiques – parfois près d’une centaine –,
signés chaque fois par un seul d’entre eux. Ils sont ainsi en mesure
de multiplier le nombre d’interventions en séance publique, chaque
amendement déposé pouvant être défendu pendant deux minutes.
Il s’agit là sans nul doute d’un comportement s’apparentant à de
l’obstruction parlementaire : n’ayant pas les moyens d’empêcher le
vote d’une mesure qu’elle rejette, tout ce que l’opposition peut faire,
c’est en retarder l’adoption. En d’autres termes, la dynamique anta-
goniste mise en place possède bien ici une visée stratégique : on
retrouve la cohérence de la catégorie proposée par Cyril Lemieux.
Or, il me semble qu’un tel comportement traduit également
une intention argumentative. Il serait tentant de considérer qu’en
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assénant sans répit à leurs interlocuteurs des assertions identiques,
mises en forme de manière agressive, les députés de l’opposition se
placent dans une perspective d’affrontement plutôt que de convic-
tion. On assisterait précisément au parangon de la situation non-
argumentative : le rapport de force et la libération de la violence.
Mais l’obstruction parlementaire peut également être lue comme
la volonté de prolonger le plus longtemps possible ce qui apparaît
comme un moment de publicisation de la controverse. L’Assem-
blée nationale offre une tribune publique aux représentants de
l’opposition, par laquelle ils peuvent s’adresser directement à
l’ensemble de leurs concitoyens. Dans cette perspective, la répéti-
tion d’arguments similaires change de signification. Ce n’est plus
(seulement) une manière de rendre le débat pénible pour les inter-
locuteurs. C’est également le moyen de s’assurer que tous les
citoyens qui assisteront au débat, fut-ce pendant quelques minutes,
seront effectivement exposés aux arguments principaux. La dyna-
mique antagoniste se révèle ainsi pleinement argumentative : deux
groupes d’orateurs s’affrontent pour emporter la conviction d’un
auditoire tiers 35.

35. Il s’agit du reste d’une configuration argumentative qui avait déjà été envisagée par
Chaïm Perelman sous le nom d’« argumentation éristique ». Chaïm Perelman et Lucie
Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation, Bruxelles, Éditions de l’Université de
Bruxelles, 2008 [1958], p. 49.
Entre dialogisme et antagonisme : le Parlement comme espace de résolution... – 65

Partant de là, les structures argumentatives déployées par les


orateurs ne peuvent qu’être directement déterminées par cette confi-
guration antagoniste. Dans la mesure où les positions des deux par-
ties sont strictement contradictoires – elles opposent deux points de
vue pro et contra –, elles sont également dichotomiques : prouver que
l’on a raison c’est démontrer que l’autre a tort... et inversement,
montrer que l’autre a tort c’est faire admettre que l’on a raison. Or,
dans une telle situation, il est bien plus ardu de faire triompher son
propre point de vue que d’attaquer les positions adverses 36. Dans le
premier cas, les orateurs sont contraints de se situer sur le plan de
la réfutation, afin de démontrer ad rem la supériorité de leurs pro-
positions. Au contraire, dans le second cas, il est possible d’utiliser
également des procédés de disqualification, par lesquels on cherche à
saper ad hominem, voire ad personam, la crédibilité des adversaires 37.
Il n’est ainsi guère surprenant que l’on trouve dans ces débats
des séquences hautement agonistiques, autant chez les députés de
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l’opposition que parmi les membres de la majorité ou du
gouvernement :
– M. Jérôme Chartier (UMP) : En réalité, ce que l’opposition
reproche au gouvernement, ce qu’elle reproche à la majorité, c’est
de réussir là où elle a toujours échoué. Elle a échoué à instaurer en
son temps une fiscalité moderne. (...) Elle continue à échouer en se
déjugeant, faute de colonne vertébrale politique, lorsqu’elle soutient
aujourd’hui la taxation des œuvres d’art au titre de l’ISF, alors qu’elle
a toujours, lorsqu’elle était au pouvoir, fait de leur exonération une
pierre angulaire de cet impôt. (...) Bref, l’opposition a perdu le sens
des responsabilités, et c’est bien ce que les Français observent
aujourd’hui. (...) À un an de l’élection présidentielle, voilà un cruel
aveu d’impuissance, d’impuissance à faire face à la majorité avec des
arguments solides, d’impuissance à s’opposer au gouvernement en
avançant des propositions incontestables 38.

36. Il s’agit d’un résultat mis en avant par Wiliam Riker sous le nom de « principle of
negativity ». William H. Riker, The Strategy of Rhetoric. Campaigning for the American
Constitution, New Haven, Yale University Press, 1996.
37. Pour ce dernier point, ainsi que pour la typologie entre arguments ad rem, ad hominem
et ad personam, voir Arthur Schopenhauer, Dialectique éristique, ou l’art d’avoir tou-
jours raison, trad. de l’all. par Henri Plard, Paris, Circé, 1990 [1830], p. 17-19 et
p. 59-62. Voir également Gilles Gauthier, « L’argument périphérique dans la commu-
nication politique : le cas de l’argument ad hominem », Hermès, vol. 16, 1995,
p. 149-152.
38. Journal Officiel de la République Française (JORF), année 2011, no 55/2 AN (CR),
p. 3695.
66 – Clément Viktorovitch

– M. Christian Eckert (Soc.) : Monsieur le Ministre, monsieur


le Rapporteur général, on atteint vraiment des sommets : ce que
vous proposez est véritablement indécent ! Monsieur le Rapporteur
général, vous voulez accorder 150 euros de réduction d’ISF supplé-
mentaire à des personnes dont le patrimoine est au bas mot
d’1,5 million d’euros et vous prétendez qu’il s’agit d’un élément de
politique familiale ! Mais vous n’avez décidément honte de rien !
– M. Gilles Carrez, Rapporteur général de la commission des
finances : Gardez pour vous les leçons de morale !
– M. Christian Eckert (Soc.) : (...) Monsieur le rapporteur
général, je maintiens mes propos : vous n’avez honte de rien. Il n’y
a décidément pas de petits profits. (...) Nous pouvons accepter beau-
coup de choses, mais cette fois, nous atteignons vraiment des
sommets 39 !

Mais ce qui illustre le mieux cette situation d’argumentation


antagoniste, c’est probablement la tactique de harcèlement déployée
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par le député Jean-Pierre Brard (GDR). Le 7 juin, alors que les
débats n’en sont qu’à leurs prémices, il interpelle François Baroin sur
le montant des impôts qui seront acquittés par Liliane Bettencourt
au lendemain de la réforme :
– M. Jean-Pierre Brard (GDR) : Monsieur le Ministre, vous
n’avez toujours pas répondu à ma question ! (...) Oui ou non,
madame Bettencourt a-t-elle payé jusqu’à présent 40 millions
d’euros d’impôt, et va-t-elle payer seulement 10 millions d’euros à
partir de maintenant ? (...) C’est simple, c’est de la pédagogie poli-
tique ! J’attends une réponse de votre part, monsieur le Ministre,
pour que le masque soit arraché et que, derrière votre perpétuel
sourire, nos compatriotes voient la réalité de votre politique !
– M. François Baroin (Ministre du Budget) : Monsieur Brard
(...), n’attendez pas du ministre qu’il lève le secret fiscal pour
quiconque...
– M. Jean-Pierre Brard : Ah ! Le début de la vérité !
– M. François Baroin : Non, je pense que vous n’aimeriez pas
que le détenteur d’une autorité publique dévoile des informations
au mépris de la protection d’une liberté publique individuelle essen-
tielle. Pour le reste, il est vrai qu’une fausse information, que vous
vous employez à relayer, a été diffusée. Selon cette rumeur, ce serait
« fromage et dessert » la même année, c’est-à-dire l’application des
taux réduits, mais la mise en œuvre intégrale du bouclier sur les
revenus avec le taux de l’année suivante. C’est faux : la seule mesure

39. JORF, année 2011, no 59 AN (CR), p. 3973.


Entre dialogisme et antagonisme : le Parlement comme espace de résolution... – 67

qui s’applique pour cette année est la suppression de la première


tranche, tout le reste, notamment la suppression du bouclier, ayant
vocation à s’appliquer avec les nouveaux taux. Ne colportez donc
pas de contrevérités, monsieur Brard 40 !

De la part de Jean-Pierre Brard, la mise en forme argumen-


tative est habile. L’exemplification du propos augmente son
potentiel émotionnel, et facilite l’adhésion de l’auditoire en sus-
citant identification ou répulsion 41. C’est d’autant plus vrai qu’ici,
la référence à Liliane Bettencourt joue comme un triple symbole
préconstitué : celui de la politique fiscale conduite sous la prési-
dence Sarkozy, celui de la collusion entre le milieu des affaires
et les responsables politiques, et celui de l’argent destructeur des
valeurs familiales. Pour François Baroin, cette assertion est un
piège argumentatif. Lié par le secret fiscal, il ne peut formelle-
ment infirmer l’exemple mis en avant par Jean-Pierre Brard. Il
est donc contraint de se borner à rappeler le fonctionnement
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général du dispositif – donnant du même coup l’impression
d’éluder la question très précise qui lui a été posée. Quand il
comprend que son piège a fonctionné, le député communiste
n’hésite pas à pousser son avantage. En cinq jours de débat, il
repose la même question à seize reprises, provoquant la protes-
tation du ministre, puis celle de Jérôme Cahuzac, président socia-
liste de la commission des finances :
– M. Jean-Pierre Brard (GDR) : Monsieur le président, je tiens
à reprendre la parole après la réponse laconique du rapporteur
général et le silence assourdissant du ministre. Je n’ai toujours pas
de réponse à ma question concernant mamie Liliane, qui a des dif-
ficultés, même si elle a pu payer 10 millions d’honoraires pour
débrouiller ses affaires avec sa fille.
– M. François Baroin (Ministre du Budget) : Mais je vous ai
répondu trois fois !
– M. Jean-Pierre Brard : Vous voyez, le ministre réagit tout
de suite ! Savez-vous à quoi l’on mesure la pertinence des questions ?
À la physionomie du ministre ! Je dis tout cela parce que nous
faisons de la pédagogie politique 42.

40. JORF, année 2011, no 56/2 AN (CR), p. 3770-3771.


41. Perelman Chaïm et Olbrechts-Tyteca Lucie, Traité de l’argumentation, op. cit.,
p. 481-488.
42. JORF, année 2011, no 59 AN (CR), p. 3978.
68 – Clément Viktorovitch

– M. Jean-Pierre Brard : Le président de la commission des


finances évoquait, à fort juste titre, les chèques que le ministère
faisait aux gens très riches. Rappelez-vous – et pour une fois je ne
vais plus parler de Mamie Liliane, bien que le ministre ne m’ait
toujours pas répondu – ... (Rires)
– M. Jérôme Cahuzac (président de la commission des finances) :
Arrêtez, il vous a répondu trois fois !
– M. Jean-Pierre Brard : Non, non, il n’a pas dit d’une façon
claire s’il est vrai qu’elle paye 40 millions d’euros cette année et
qu’elle n’en paiera plus que 10 millions 43.

Les références répétées de Jean-Pierre Brard à la « pédagogie »


et aux « masques arrachés » confirment que ces séquences argumen-
tatives sont destinées directement aux citoyens. Le député commu-
niste finit d’ailleurs par clarifier sa démarche, énonçant
explicitement l’idée d’un auditoire extérieur aux hémicycles
parlementaires :
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– M. Jean-Pierre Brard (GDR) : Je vous rappelle, monsieur le
ministre, que vous ne m’avez toujours pas répondu : est-il vrai que
Mme Bettencourt paie cette année 40 millions d’euros et que, grâce
à votre système – et l’on peut soupçonner la niche Copé d’y être
pour quelque chose – elle ne paiera plus que 10 millions d’euros ?
Je ne dis pas cela pour vous, monsieur le ministre, dont je sens les
oreilles un peu fatiguées de m’entendre répéter la même chose depuis
quatre jours déjà. (...) Si je dis cela, donc, c’est surtout pour les gens
qui nous regardent, car ils ne suivent pas forcément nos débats
depuis lundi et il faut leur rappeler ce qu’est votre politique en
faveur des privilégiés 44.

C’est dans ce climat délétère que le PLFR 2011 est adopté à


l’Assemblée nationale, le 10 juin. Il poursuit alors son parcours
législatif au Sénat, où l’examen se déroule de manière nettement
moins agonistique. Sur le fond, les positions ne changent pas : les
sénateurs appartenant à l’opposition rejettent en bloc la réforme, et
déposent un ensemble d’amendements visant à réécrire purement
l’intégralité du texte. Néanmoins, leur stratégie n’a rien à voir avec
celle de leurs collègues députés : les sénateurs ne déposent que des
amendements uniques, cosignés par l’ensemble du groupe. Parallè-
lement, le Rapporteur général de la commission des finances,

43. Ibid., p. 3983.


44. Ibid., 2 AN (CR), p. 4023.
Entre dialogisme et antagonisme : le Parlement comme espace de résolution... – 69

Philippe Marini, consent à justifier la grande majorité de ses avis


défavorables, fut-ce sommairement 45.
Le débat se fait ainsi nettement plus interactif et collaboratif
qu’à la Chambre Basse ; plus court, également. La dimension anta-
goniste n’est pas pour autant absente des débats, comme le montre
cette intervention de la sénatrice socialiste Nicole Bricq le 23 juin,
au détour de l’examen d’une série d’amendements :
– M. Philippe Marini (rapporteur général de la commission des
finances) : Au travers de cet amendement, le groupe socialiste revient
sur un vieux et considérable sujet que nous ne pouvons assurément
traiter ni comme il est proposé ni dans le présent texte. La commis-
sion rappelle que le même amendement a été rejeté lors de l’examen
du projet de loi de finances rectificative pour 2009. (...)
– Mme Nicole Bricq (Soc.) : (...) Vous faites un choix, nous
en faisons un autre. Si nous avons souhaité défendre ces amen-
dements que vous connaissez déjà – ce n’est en effet pas la pre-
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mière fois qu’ils sont présentés devant le Sénat –, c’est pour
illustrer le choix auquel vous procédez. Vous refusez d’entendre
nos propositions ; ceux qui s’intéressent aux débats parlementaires
comprendront...
– M. Philippe Marini : ... qu’il y a les bons d’un côté et les
méchants de l’autre !
– Mme Nicole Bricq : ... comprendront que notre vision de la
fiscalité, locale ou nationale, est à l’opposée de la vôtre 46 !

Il semble ainsi que l’écart entre les deux assemblées, en ce qui


concerne l’examen de ce dispositif, se situe moins sur le plan de la
dynamique argumentative déployée – antagoniste – que sur celui
des procédés utilisés au sein de cette structure, centrés davantage
sur la disqualification à l’Assemblée nationale, et davantage sur la
réfutation au Sénat 47.

45. Au contraire, le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée


nationale, Gilles Carrez, s’est contenté généralement d’un expéditif « Avis défavo-
rable ! » afin de réduire autant que possible le temps passé en obstruction.
46. JORF, no 64 S. (CR), p. 5233.
47. Ce n’est pas le lieu ici de chercher à expliquer ces différences entre les deux chambres
françaises. Je me bornerai à esquisser l’hypothèse qu’elles sont dues principalement à
deux facteurs : le degré de publicité des débats parlementaires – plus grand pour
l’Assemblée nationale que pour le Sénat –, et ce qu’il convient d’appeler des
« cultures » différentes – favorisant la confrontation au sein de la chambre haute, et
la collaboration au sein de la chambre basse. Pour de plus amples développements,
je me permets de renvoyer à Clément Viktorovitch, « Les commissions parlementaires
70 – Clément Viktorovitch

In fine, par son rôle de législateur, le Parlement a effectivement


tranché la controverse sur la fiscalité du patrimoine, en donnant
raison aux voix selon lesquelles l’attractivité du territoire français
implique la suppression de l’impôt sur la fortune. L’instauration du
bouclier fiscal en 2006, puis son renforcement en 2007 allaient déjà
dans ce sens. La réforme de la fiscalité du patrimoine de 2011, en
diminuant pour la première fois – et de manière significative – les
taux et l’assiette de l’ISF, constitue une étape supplémentaire.
Pour être tranchée, la controverse n’en est pas close pour autant.
Bien au contraire même : l’opposition a mis à profit le passage du
texte en séance publique pour prendre directement les citoyens à
partie, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Pour les parlemen-
taires, l’enjeu est avant tout électoral. Les membres de la majorité et
de l’exécutif cherchent, par leurs argumentations, à assurer l’accep-
tabilité de la réforme ; quant à l’opposition, elle tente d’en faire un
symbole permettant d’écorcher la popularité du gouvernement 48.
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Dans les deux cas, l’objectif est le même : espérer récolter les fruits
de la controverse lors des prochaines élections nationales. Mais ce
faisant, c’est la prise de décision elle-même qui a changé de main.
Comme en 1981, la fiscalité du patrimoine est devenue l’un des
enjeux du débat présidentiel de 2012. La controverse a ainsi été
renvoyée devant le peuple souverain, appelé à se prononcer directe-
ment par son soutien à l’une ou l’autre des plates-formes program-
matiques. L’élection de François Hollande devrait ainsi se traduire
par un rehaussement des taux de l’impôt sur la fortune 49.
On se trouve donc bien en présence de la structure triadique
caractéristique d’une controverse. Celle-ci voit s’affronter la majo-
rité et le gouvernement d’une part, l’opposition d’autre part, dans
un débat où les citoyens sont explicitement destinataires des

à l’Assemblée nationale et au Sénat : un havre de paix ? », Parlement[s], Revue d’histoire


politique, no 14/2, 2010, p. 90-110.
48. Samuel H. Beer, « The British Legislature and the Problem of Mobilizing Consent »,
in Frank Elke (dir.), Lawmakers in a Changing World, Englewood Cliffs, Prentice-
Hall, 1966, p. 30-48.
49. Ce rôle de publicisation des controverses exercé par le Parlement est loin d’être
spécifique à la réforme de l’ISF. En revanche, il ne préjuge pas du devenir de la
controverse après son examen parlementaire. Le cas du PACS est à cet égard éclairant :
conflit de valeurs renvoyant à la définition même de la notion de « famille », il a
donné lieu à une dynamique parlementaire antagoniste particulièrement violente.
Pourtant, revenue au gouvernement en 2002, la droite n’a finalement pas souhaité
– pas pu ? – remettre en cause cette réforme. Voir D. Borrillo et P. Lascoumes, Amours
égales ?..., op. cit. ; et M. Abélès, Un ethnologue à l’Assemblée, op. cit.
Entre dialogisme et antagonisme : le Parlement comme espace de résolution... – 71

argumentations déployées. Mais ils ne sont pas pour autant arbitres


de la controverse, dans la mesure où la prise de décision reste du
ressort des parlementaires. Tout au plus les citoyens apparaissent-ils,
sur le moment, comme un soutien précieux pour l’opposition,
contribuant à limiter les options du gouvernement 50. En revanche,
dès lors que l’on replace la controverse sur l’ISF dans le cadre plus
général de la compétition politique, le Parlement n’apparaît plus
que comme l’une des arènes où les deux parties confrontent leurs
arguments afin de conquérir les suffrages d’un peuple souverain,
devenu dernier recours institutionnel. Dans les deux cas, la dyna-
mique déployée au sein des hémicycles parlementaires est antago-
niste : les parlementaires savent qu’ils ne réduiront en rien leurs
désaccords, mais ils débattent pour emporter la conviction d’un
auditoire tiers.
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Clore la controverse dans le dialogisme : la création d’un fond
d’indemnisation pour les victimes du Mediator

Si la réforme de la fiscalité du patrimoine est la principale


raison d’être de la loi de finances rectificative de juillet 2011, celle-ci
sert également de support législatif à une autre disposition essen-
tielle : la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes du
Mediator.

De la controverse médicale à la controverse judiciaire

Avant toute chose, il est nécessaire de s’arrêter un instant sur


le déroulement de ce qui est aujourd’hui décrit comme un scandale
sanitaire. Le Mediator, commercialisé par le laboratoire Servier, est
une spécialité pharmaceutique à base de Benfluorex. Il était indiqué
dans le traitement d’un type de diabète, et prescrit de manière
détournée comme coupe-faim aux patients en surcharge pondérale
– jusqu’à l’arrêt de sa commercialisation en 2009, principalement
en raison de son implication dans de multiples cas de valvulopathie.

50. De nombreux parlementaires de la majorité ont plaidé, lors de ces débats, pour la
suppression pure et simple de l’ISF et son remplacement par une tranche supplé-
mentaire de l’impôt sur le revenu. Mais le gouvernement a toujours refusé que cette
option soit mise sur la table, en arguant explicitement que son effet sur l’opinion
serait désastreux.
72 – Clément Viktorovitch

Les débats autour de la dangerosité du Mediator sont presque


aussi anciens que son autorisation de mise sur le marché (AMM),
obtenue en 1974 51. Quatre ans plus tard, en effet, le Benfluorex
était déjà sanctionné d’un avis défavorable de la commission belge
des médicaments. Mais il fallut attendre 1997 pour que les doutes
existants soient confortés par les premières preuves : à la suite d’une
série d’études, tous les médicaments de la famille des fenfluramines
– dont le Mediator – sont interdits aux États-Unis. Dans les années
qui suivent, plusieurs études convergentes concluent à un lien entre
Mediator et valvulopathie. Le médicament est progressivement
retiré de la vente dans tous les pays d’Europe, à l’exception du
Portugal, de Chypre et de la France.
Il est sans doute possible de parler véritablement de « contro-
verse » à partir de septembre 2005, quand la revue Prescrire –
réputée être entièrement indépendante de l’industrie pharmaceu-
tique – devient la première publication à demander explicitement
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le retrait du Mediator en France. L’appel au retrait est renouvelé
l’année suivante, alors que le laboratoire Servier continue de sou-
tenir que son médicament « se distingue radicalement des fenflu-
ramines 52 ». Le débat s’accélère avec l’intervention de la
pneumologue Irène Frachon. Alertée par les articles parus dans Pres-
crire, elle multiplie dès 2007 les appels à l’Agence française de sécu-
rité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), jusqu’à obtenir le
retrait de l’AMM du Benfluorex le 30 novembre 2009. Le groupe
Servier ne fait pas appel de la décision, et conseille aux patients
ayant consommé du Mediator de consulter leur médecin. Jacques
Servier, fondateur du groupe Servier, continue néanmoins de
contester qu’il ait été possible de formuler le moindre doute avant
la publication d’études parues en 2008 53.
Durant toute cette période, il est hors de doute que l’on se
trouve devant une controverse médicale au sens le plus strict du
terme – c’est-à-dire restreint au seul public des pairs. Avant l’année
2010, pas un article de presse parmi les trois quotidiens retenus ne
mentionne le médicament « Mediator ». La polémique est ainsi
restée strictement confinée au milieu médical, depuis son émergence

51. Pour un historique précis, voir notamment « Pourquoi l’affaire du Mediator a-t-elle
mis si longtemps à éclater ? », Le Monde, 7 janvier 2011.
52. Ibid.
53. « L’affaire du Mediator, une “fabrication” selon Servier », Le Figaro, 20 novembre
2010.
Entre dialogisme et antagonisme : le Parlement comme espace de résolution... – 73

jusqu’à la prise de décision d’une agence de l’État. Elle ne sort de


ce cadre restreint qu’à partir de juin 2010, quand Irène Frachon
publie son livre Mediator 150mg : Combien de morts ? À ce moment,
la controverse sur la dangerosité du Mediator n’est pas seulement
tranchée : elle est close, les laboratoires Servier eux-mêmes ayant
fini par reconnaître les effets du médicament 54. Du reste, pas un
des articles publiés depuis 2008 n’associe la notion de « contro-
verse » à l’affaire du Mediator : ils lui préfèrent massivement le
terme de « scandale 55 », prouvant bien que le temps n’est plus à
l’incertitude 56.
Le débat n’a pas pour autant disparu, puisqu’il s’est désormais
déplacé sur la question de l’indemnisation des victimes. C’est là le
début d’un second temps dans cette controverse, que l’on peut
qualifier de médico-judiciaire. Trois points font alors polémique.
Tout d’abord, si le laboratoire Servier accepte rapidement de contri-
buer au financement d’un fond pour les victimes, il exige en retour
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que les personnes indemnisées renoncent à toute poursuite judi-
ciaire – une position refusée fermement par l’ensemble des associa-
tions impliquées 57. Par ailleurs, si le groupe Servier admet la
dangerosité du Mediator, il se défausse de toute responsabilité en
rejetant le tort sur les médecins prescripteurs, qui devraient selon
lui être les « payeurs 58 ». Enfin, il est également impossible
d’atteindre le consensus sur la question du nombre de victimes :
l’AFSSAPS estime que le Mediator est responsable d’au moins
500 décès, un chiffre « fondé sur des extrapolations » d’après le
groupe Servier 59. Faute d’accord trouvé entre les parties, c’est donc
au Parlement qu’il revient de trancher politiquement, à l’occasion
du PLFR 2011.

54. « Servier sort de la stratégie du déni », Libération, 10 janvier 2011.


55. Sur 1 026 articles faisant référence au Mediator, 239 (23 %) comprennent le mot
« scandale ». Pour une réflexion sur cette catégorie d’analyse, voir Damien de Blic et
Cyril Lemieux, « Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique »,
Politix, vol. 71, no 3, 2005, p. 9-38.
56. Pour le lien fort entre les notions d’incertitude et de controverse, voir Michel Callon,
Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démo-
cratie technique, Paris, Seuil, 2001.
57. « Servier propore d’indemniser sous condition les victimes du Mediator », Le Monde,
11 mars 2011.
58. « Mediator : le laboratoire Servier veut se retourner contre les médecins », Le Monde,
26 août 2011.
59. « Le Mediator aurait fait 500 morts en trente ans, selon l’Afssaps », Le Monde,
16 novembre 2010.
74 – Clément Viktorovitch

L’examen parlementaire : une élaboration collective

Dans le cas du Mediator, le gouvernement choisit de se


conformer à une double exigence : indemniser le plus rapidement
possible les victimes, tout en ne faisant pas peser le poids de cette
indemnisation sur la solidarité nationale – ce qui reviendrait à exo-
nérer le laboratoire Servier de ses responsabilités. Xavier Bertrand,
Ministre de la santé, va pour cela utiliser une disposition de la loi
dite « Kouchner » du 4 mars 2002, qui permet de confier à l’Office
national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) une
mission de « facilitateur ». Il lui revient ainsi de favoriser un règle-
ment à l’amiable entre les victimes et le laboratoire. Si cela s’avère
impossible, l’ONIAM indemnise directement les patients, avant de
se retourner contre les responsables pour obtenir remboursement.
L’article 22 du PLFR 2011 se contente d’amender légèrement ce
dispositif, afin de l’adapter au cas du Benfluorex.
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En parallèle, les assemblées parlementaires se saisissent égale-
ment de cette question. Deux missions d’informations sont créées en
janvier 2011 : l’une à l’Assemblée nationale, présidée par Gérard Bapt
(PS) et rapportée par Jean-Pierre Door (UMP) 60, l’autre au Sénat,
présidée par François Autain (CRC) et rapportée par Marie-Thérèse
Hermange (UMP) 61. Conformément à la tradition des rapports
d’information parlementaires, ces missions associent ainsi un parle-
mentaire de la majorité et un de l’opposition. À l’Assemblée natio-
nale, la présidence de Gérard Bapt est de surcroît significative :
cardiologue de profession, rapporteur spécial du budget de la santé, il
a joué pour le Mediator un rôle de lanceur d’alerte, en relayant à
l’Assemblée nationale les conclusions contenues dans le livre d’Irène
Frachon 62. Près de 170 personnes, représentant l’ensemble des
acteurs impliqués dans cette controverse, ont été auditionnées par
chacune des missions. Quand le débat parlementaire s’engage en
séance publique, il prolonge ainsi un travail concerté, impliqué et
informé mené au sein des deux assemblées.

60. Mediator : comprendre pour réagir, rapport d’information no 3552 fait au nom de la
commission des affaires sociales, enregistré le 22 juin 2011.
61. La réforme du système du médicament, enfin, rapport d’information no 675 fait au nom
de la mission commune d’information « Mediator : évaluation et contrôle des médi-
caments », enregistré le 28 juin 2011.
62. « Nouveaux éléments dans l’affaire Mediator, le médicament de Servier retiré de la
vente il y a sept mois », Le Figaro Science, 29 juin 2010. Voir également la Question
d’actualité au gouvernement no 2687 posée par Gérard Bapt le 16 novembre 2010.
Entre dialogisme et antagonisme : le Parlement comme espace de résolution... – 75

Effectivement, lorsque le dispositif gouvernemental entre en


examen dans l’hémicycle du Palais Bourbon le 10 juin 2011, les
débats contrastent vivement avec les discussions sur la fiscalité du
patrimoine. Dès sa première prise de parole, Gérard Bapt précise
ainsi :
– M. Gérard Bapt (Soc.) : Le groupe socialiste apprécie l’ins-
cription dans le PLFR de cet article visant à l’indemnisation la plus
juste et la plus rapide possible des victimes du Mediator 63.

La suite de l’examen se déroule en effet selon une dynamique


nettement dialogique. Tous les amendements adoptés le sont à
l’unanimité. En dépit de l’heure avancée à laquelle cet examen à
lieu – minuit passé –, le ministre et les rapporteurs prennent le
temps de justifier in extenso tous leurs avis. Surtout, symbole même
d’une volonté de bonne entente parlementaire, les amendements
recueillant un avis défavorable du gouvernement et de la commis-
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sion sont retirés par leurs auteurs, y compris lorsqu’ils sont membres
de l’opposition. Tous les codes de la diplomatie parlementaire indi-
quent ainsi une volonté, chez les acteurs présents, de mener ce débat
dans la collaboration.
Mais en l’espèce, la discussion parlementaire ne se contente
pas d’acter un consensus préexistant : elle contribue également à
compléter les insuffisances du dispositif. Jean-Pierre Door présente
ainsi, au nom de la commission des affaires sociales et sous l’inspi-
ration de la mission d’information présidée par Gérard Bapt, sept
amendements notables au projet de loi. Ils sont votés avec le soutien
du gouvernement, et intègrent ainsi le dispositif final. Il faut par
ailleurs faire état d’un autre amendement, proposé par Gérard Bapt
en son nom propre. Son objet précis n’a que peu d’importance ici :
il suffit d’indiquer qu’il s’agit d’un amendement technique, ayant
trait à la coordination entre le dispositif d’indemnisation et le droit
de l’assurance, et visant à rendre la loi plus protectrice pour les
victimes. Jean-Pierre Door, au nom de la commission des affaires
sociales, est plus réservé : il s’agit d’une question particulièrement
complexe sur le plan juridique, si bien qu’il craint que l’amende-
ment aboutisse au contraire à une loi davantage favorable aux
compagnies d’assurance. Xavier Bertrand fait état de doutes
similaires :

63. JORF, année 2011, no 59/3 AN (CR), p. 4065.


76 – Clément Viktorovitch

– M. Xavier Bertrand (Ministre de la Santé) : Ai-je le droit de


vous faire part de mes doutes ?
– M. Jean-Pierre Brard (GDR) : Le ministre est un humain !
– M. Xavier Bertrand : Alors je vais le faire. Monsieur Bapt,
votre amendement est surprenant et nous regardons les choses sur
le plan juridique car il y a plusieurs thèses. (...)
D’ici l’examen au Sénat, nous allons consolider juridiquement
la réponse que je suis en train de vous faire. Il peut y avoir une
expiration de la validité des assurances, voire l’absence totale de
couverture – je l’ai lu, mais je n’en ai pas la confirmation. Voilà
pourquoi, dans ces cas-là, l’amendement tomberait.
Je comprends votre idée. Je m’engage à prolonger la réflexion
jusqu’à la discussion au Sénat parce que votre amendement nous a
interpellés. Ce serait facile de donner un avis défavorable, mais je
pense qu’il faut creuser le sujet. Je ne pense pas que votre amende-
ment apporte davantage de garanties, même si, sur le papier, il peut
rassurer. (...)
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– M. le président : Maintenez-vous votre amendement, mon-
sieur Bapt ?
– M. Gérard Bapt (Soc.) : Je le retire 64.

Le débat se poursuit donc au Sénat, où l’article 22 entre en


discussion le 23 juin. Contrairement à la dynamique relevée pour
le volet fiscalité de la réforme, l’examen du dispositif d’indemnisa-
tion s’y fait plus âpre qu’à l’Assemblée nationale. Les raisons sont
en réalité purement conjoncturelles : les sénateurs de la commission
des affaires sociales n’ayant pu être présents dans l’hémicycle, ce
sont les membres de la commission des finances qui ont conduit
l’examen de l’article 22 consacré au Mediator. N’étant pas spécia-
listes du dispositif, ils comptaient manifestement rester vigilants à
ce que celui-ci soit bien protecteur des victimes. La première inter-
vention de Nicole Bricq précise explicitement cette position :
– Mme Nicole Bricq (Soc.) : Nos collègues de la commission
des affaires sociales ne pouvant être présents, je m’exprime en leur
nom. (...)
La mise en place de ce dispositif, qui remédie à l’impéritie des
laboratoires Servier, relève d’un impératif moral et se justifie par
l’urgence. Nous nous permettons néanmoins, monsieur le ministre,
de vous interroger au sujet de l’architecture du dispositif. (...)

64. Ibid., p. 4070.


Entre dialogisme et antagonisme : le Parlement comme espace de résolution... – 77

Monsieur le ministre, je sais que vous répondrez à toutes ces


interrogations mais, de toute façon, au regard de l’ampleur du pré-
judice – pas moins de cinq millions de nos concitoyens sont
concernés, dont près de la moitié auraient pris un traitement s’étalant
sur une moyenne de trois ans – au regard de l’urgence et des précé-
dents, nous voterons le principe de ce dispositif, si imparfait soit-il.
Néanmoins, nous considérons, et vous devez considérer que
cela n’est pas un blanc-seing. À l’aune des interrogations que je viens
de formuler, nous sommes en droit de demander que ce dispositif
soit amélioré afin d’éviter de nouvelles injustices 65.

Le ministre de la santé est en mesure d’apporter une réponse


aux quatre « interrogations » relayées par Nicole Bricq. Trois d’entre
elles trouvent satisfaction dans le dispositif gouvernemental tel qu’il
a été amendé par les députés. La quatrième correspond à un amen-
dement déjà déposé à l’Assemblée nationale, et retiré à la demande
– argumentée – de Xavier Bertrand. Si bien que la Chambre Haute
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n’apporte pas de contribution majeure à ce débat, à l’exception de
deux amendements déposés par Marie-Thérèse Hermange, rappor-
teure de la mission d’information sénatoriale sur le Mediator. Tout
d’abord, conformément aux conclusions de la mission et avec l’avis
favorable de Xavier Bertrand, elle propose que le gouvernement
remette un rapport au Parlement afin d’aller vers l’élaboration d’un
dispositif unique pour l’indemnisation des victimes. Surtout, elle
réintroduit le débat engagé à l’Assemblée nationale par Gérard Bapt
sur la coordination avec le droit de l’assurance. Cette fois-ci, le
ministre de la santé se prononce favorablement :
– Mme Marie-Thérèse Hermange (UMP) : Cet amendement,
que j’ai déposé en mon nom faute d’avoir pu le présenter en temps
utile devant la Commission des affaires sociales, reprend le débat
qui avait été amorcé à l’Assemblée nationale lors de l’examen d’un
amendement déposé par Gérard Bapt. (...)
Face à la question complexe de l’indemnisation, il me paraît
que le dispositif le plus sûr pour toutes les parties, notamment les
victimes, est celui du droit commun. (...)
M. le président. Quel est donc l’avis du gouvernement ?
– M. Xavier Bertrand, Ministre de la Santé : (...) On est bien
dans le droit commun, mais la précision me semble utile parce que,
dans un certain nombre de cas, elle rassurera. (...)

65. JORF, année 2011, no 64 S. (CR), p. 5335-5336.


78 – Clément Viktorovitch

M. le président. Je mets aux voix l’amendement no 41.


(L’amendement est adopté.) 66

On constate donc, en ce qui concerne le dispositif d’indem-


nisation des victimes du Mediator, que les assemblées n’ont pas été
des arènes d’affrontement, mais au contraire d’élaboration collective
de la loi, dans une dynamique nettement dialogique. Le texte initial
du gouvernement a été considérablement enrichi par les proposi-
tions des deux missions d’information, qui étaient elles-mêmes fon-
dées sur deux longues séries d’auditions. De surcroît, ces discussions
se sont systématiquement déroulées dans une logique argumenta-
tive. Les différents orateurs ne se sont pas bornés à prendre acte du
consensus ou du dissensus existant sur chaque proposition : ils ont
toujours manifesté la volonté de justifier leurs positions in extenso.
De nombreux amendements ont ainsi été retirés après que le
ministre présent ait avancé les raisons de son opposition. Sans parler
de l’amendement Bapt : retiré à l’Assemblée nationale pour laisser
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le temps au gouvernement de parfaire son expertise juridique, puis
adopté au Sénat après que le ministre ait reconnu avoir été amené
à changer d’opinion. Autrement dit, les parlementaires sont par-
venus à transformer des désaccords initiaux en consensus finaux,
par le simple échange d’arguments 67.
Dans le cas du Mediator, cette confrontation des points de
vue a permis de faire émerger un consensus sur la solution adoptée.
Un tel résultat fut probablement atteignable parce que, la contro-
verse médicale étant déjà tranchée, il ne subsistait plus qu’une
controverse judiciaire dans laquelle le groupe Servier était très lar-
gement isolé. Une fois la prise de décision intervenue, le laboratoire
avait tout intérêt à ne pas poursuivre la polémique, pour tenter de
faire oublier au plus vite une bien mauvaise publicité. Si bien que
l’arbitrage parlementaire n’a pas seulement tranché la controverse :
il lui a mis un terme 68.
La structure triadique au sein de laquelle s’insèrent ces discus-
sions parlementaires est ainsi bien différente de la configuration

66. Ibid., p. 5339-5340.


67. Là encore, il s’agit d’une configuration argumentative qui avait déjà été envisagée par
Chaïm Perelman, sous le nom « d’argumentation heuristique ». On ne peut d’ailleurs
que noter sa grande proximité avec le concept de « délibération ». C. Perelman et
L. Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation, op. cit., p. 49.
68. Il en va différemment dans le cas des lois de bioéthique de 1994, étudiées en détail
par David Smadja, et pour lesquelles l’examen parlementaire a permis également de
Entre dialogisme et antagonisme : le Parlement comme espace de résolution... – 79

observée dans le cas de la fiscalité sur le patrimoine. Ici, les hémi-


cycles se sont plus les arènes dans lesquelles les deux parties se sont
affrontées pour conquérir la conviction des électeurs. Au contraire,
le Parlement fait partie de cet auditoire extérieur à la controverse,
qui ne se résume pas à lui – le livre d’Irène Frachon avait au
contraire vocation à alerter l’ensemble des citoyens –, mais dont il
constitue un pan fondamental, puisque c’est lui qui dispose du
pouvoir de décision.

Conclusion

Au terme de cette analyse, l’examen législatif du premier projet


de loi de finances pour 2011 apparaît comme un exemple singulier.
Deux sujets controversés y sont tranchés : la réforme de la fiscalité
du patrimoine et l’indemnisation des victimes du Mediator. Dans
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le premier cas, les débats sont antagonistes : le gouvernement et
l’opposition s’affrontent pour emporter la conviction des citoyens
auditeurs. Dans le second cas, la discussion est dialogique : les par-
lementaires cherchent une solution consensuelle à la controverse
opposant le laboratoire Servier aux associations de victimes 69. Ces
résultats permettent de tirer des conclusions plus générales sur le
rôle de l’institution parlementaire dans la résolution des contro-
verses et, au-delà, sur la compréhension de la notion de controverse
elle-même.
En premier lieu, le rôle de l’arbitrage institutionnel apparaît
plus complexe qu’il ne le paraissait de prime abord. Dans le dérou-
lement d’un débat controversé, la temporalité de la décision poli-
tique se révèle variable. Celle-ci est certes susceptible de clore
définitivement la controverse, en atteignant un consensus si large

dégager un dispositif législatif tranchant de facto la controverse. Celle-ci voyait se


confronter des positions radicalement différentes, fondées sur des systèmes de valeurs
irréductibles. On ne peut pas pour autant parler d’antagonisme. David Smadja emploi
au contraire le terme « hybridation » pour désigner le dispositif final : acceptable par
les différents points de vue pour des raisons différentes, il s’apparente davantage à un
compromis qu’à un consensus. La controverse est ainsi tranchée, mais en aucun cas
elle n’est close, les désaccords initiaux subsistant pour une large part. Voir D. Smadja,
Bioéthique. Au cœur des controverses sur l’embryon, op. cit.
69. On retrouve ici une conclusion déjà dégagée par Pierre Lascoumes, selon qui un
même texte de loi peut susciter, pendant son examen, une juxtaposition de séquences
de « souspolitisation » et de « surpolitisation ». P. Lascoumes, « Les compromis par-
lementaires, combinaisons de surpolitisation et de sous-politisation », op. cit.
80 – Clément Viktorovitch

qu’il contraint l’une des parties au silence. Mais elle peut également
se contenter de trancher la controverse, la laissant se poursuivre dans
le cadre restreint de son public spécialisé – d’où elle peut éventuel-
lement être réactivée ultérieurement. Enfin, la décision politique
apparaît également comme un moment où la controverse est sus-
ceptible de s’élargir à un public plus vaste. La décision se révèle
alors n’avoir été qu’une étape au sein d’un débat devant être arbitré
par une instance supérieure.
En second lieu, il est désormais possible de spécifier avec
davantage de précision la nature de la « structure triadique » iden-
tifiée par Cyril Lemieux. Examinée dans la perspective d’une prise
de décision, elle semble se décliner en deux modalités. Lorsque la
décision est entre les mains des deux parties en conflit, celle-ci a
toutes les chances de se résumer à un enregistrement du rapport de
force, à travers une dynamique antagoniste. Le public tiers n’est
toutefois pas sans influence. Il contribue a minima à réguler le
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spectre des propositions avancées par les acteurs, en les contenant
dans le domaine du dicible publiquement. Éventuellement, il peut
de surcroît constituer un soutien potentiel lors de la décision elle-
même – à condition que le groupe des décideurs soit susceptible
d’être élargi d’une manière ou d’une autre 70. Au contraire, la déci-
sion peut également revenir en propre à l’auditoire extérieur, qui
devient alors également arbitre de la controverse. C’est probable-
ment dans ce cas précis que la controverse a le plus de chance de
trouver une issue dialogique : les décideurs n’étant pas directement
partie-prenante du conflit, ils sont en mesure de chercher une solu-
tion consensuelle. À travers cette double perspective, c’est toute la
spécificité de l’arène parlementaire à l’égard des controverses qui
transparaît : à la fois tribune politique et espace d’arbitrage, il s’agit
d’une instance de décision précisément susceptible de s’insérer dans
chacune de ces deux structures triadiques.
Enfin, cette étude amène également à reposer la question du lien
entre controverse et argumentation. Pour Cyril Lemieux, la dimen-
sion argumentative est le propre du dialogisme, par opposition à

70. Deux cas de figure au moins viennent à l’esprit. Dans le premier, l’auditoire tiers
constitue une instance de décision supérieure, à laquelle les parties peuvent éventuel-
lement avoir recours – c’est le cas du peuple souverain dans le débat sur la fiscalité.
Dans le second, l’instance de décision est ouverte à tous ceux qui désirent y participer.
L’enjeu est alors, pour chacune des parties, de parvenir à recruter le plus de partisans
parmi les décideurs potentiels encore neutres ou indécis – on peut penser aux assem-
blées générales lors d’un mouvement de grève non consensuel.
Entre dialogisme et antagonisme : le Parlement comme espace de résolution... – 81

l’antagonisme, toute entier orienté vers l’agir stratégique. Dans la


mesure où les interactions antagonistes contiennent généralement un
caractère agonistique, elles ne relèvent effectivement en aucune
manière d’un effort de conviction mutuel des interlocuteurs. Pour
autant, lorsqu’on les analyse dans la perspective de l’existence d’un
public extérieur, elles apparaissent clairement comme des situations
d’argumentation éristique, où deux orateurs se disputent l’adhésion
d’un auditoire tiers. Il semblerait ainsi que, loin d’être limitée à la seule
dynamique dialogique, la dimension argumentative soit au contraire
constitutive de la notion même de controverse. ◆

Clément Viktorovitch (clement.viktorovitch@sciences-po.org) pré-


pare une thèse de science politique centrée sur la tension entre délibération
et contradiction dans l’argumentation parlementaire (France, Assemblée
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nationale/Sénat, 2008-2012) à Sciences Po (Paris) et au Centre d’études
européennes. Ses recherches se situent à la confluence des études parlemen-
taires, des théories de la démocratie délibérative et de l’analyse rhétorique
de discours.

RÉSUMÉ

Entre dialogisme et antagonisme : le Parlement comme espace de résolution des


controverses
Cet article interroge le rôle du Parlement dans la résolution des controverses, à
travers l’analyse de l’examen en séance publique de la première loi de finances
rectificative pour 2011. Celle-ci comprend des mesures liées à deux sujets contro-
versés : la réforme de la fiscalité du patrimoine et l’indemnisation des victimes
du Mediator. Dans le premier cas, les débats ont été antagonistes : le gouverne-
ment et l’opposition se sont affrontés pour emporter la conviction des citoyens
auditeurs. Dans le second cas, la discussion s’est révélée dialogique : les parle-
mentaires ont cherché une solution consensuelle à la controverse opposant le
laboratoire Servier aux associations de victimes. Le Parlement apparaît ainsi à la
fois comme un espace de publicisation et comme un lieu d’arbitrage des contro-
verses. Plus généralement, ces résultats amènent à poser la question de la tem-
poralité de la décision politique, qui est susceptible de clore la controverse, de
la trancher en laissant subsister le désaccord, mais également de l’élargir à un
public plus vaste. Cette étude met par ailleurs en lumière la nécessité de repenser
la place de l’argumentation dans la notion de controverse, dont elle semble consti-
tuer une dimension constitutive.
82 – Clément Viktorovitch

Between dialogism and antagonism : Parliament as a space of controversies


resolution
This article examines the role of Parliament in the resolution of controversies, through
the analysis of the floor debates of the “première loi de finances rectificative” for
2011. It includes measures related to two controversial topics : the reform of the
taxation of wealth and the compensation for victims of Mediator. In the first case,
the debates are antagonistic : the government and the opposition battle in order to
persuade the listening citizens. In the second case, the debates are dialogical : parlia-
mentarians seek a consensual solution to the controversy opposing the Servier Labo-
ratory and the victims’ associations. Parliament thus appears as a space where
controversies are both made public and arbitrated. More generally, these results lead
to question the issue of the temporality of the political decision, which may end the
disagreement and/or the controversy, but which may also extend it to a wider audience.
Moreover, this study highlights the need to rethink the place of argumentation in the
notion of controversy, of which it appears to be a constitutive dimension.
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