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ASSISTANCE ÉDUCATIVE

Association jeunesse et droit | « Journal du droit des jeunes »

2013/10 N° 330 | pages 58 à 61


ISSN 2114-2068
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jurisprudence

assistance
éducative

- il se retrouve seul, sans domicile fixe et sans assistance et ne


Faire un sort à l’exécution provisoire bénéficie d’aucune prise en charge;
- l’authenticité de son acte de naissance, selon lequel il est né le
Cour d’appel de Nancy - Ordonnance de référé - 28 21 février 1997, n’est pas remise en cause;
novembre 2013 - RG : 13/2031 - le test osseux sur le fondement duquel son âge a été déterminé
Assistance éducative - Étranger - Mineur isolé - Mesure et en vertu duquel il a été conclu à sa majorité, n’est pas d’une
de protection - Mainlevée - Absence de convocation - fiabilité scientifique absolue;
Absence de débat contradictoire - Exécution provisoire - l’exécution provisoire engendre un risque de conséquences
- Suspension manifestement excessives.
L’exécution provisoire de la décision de mainlevée d’une Le représentant du service social de l’aide à l’enfance du conseil
général de Meurthe-et-Moselle et le ministère public ont conclu
mesure d’assistance éducative a eu pour effet immédiat de
au rejet de la demande d’arrêt de l’exécution provisoire en faisant
priver l’appelant, qui se trouve en situation d’isolement en substance valoir que monsieur S. est susceptible de bénéficier
et n’a pas de domicile fixe, de toute aide et assistance et de la protection due aux personnes majeures, qu’il est soutenu
de lui faire perdre le bénéfice de la prise en charge ins- par un réseau associatif et qu’il ne peut donc se prévaloir d’une
tituée à son profit, sans qu’il soit par ailleurs démontré situation de péril.
qu’il puisse dans le cadre du dispositif d’aide institué au Bien que régulièrement assigné à personne habilitée, le STEMOI
profit des personnes majeures, prétendre à une protection ne s’est pas fait représenter à l’audience.
identique ou comparable. Sur ce :
La décision du juge des enfants crée, au détriment du Attendu que le caractère manifestement excessif des consé-
requérant, une situation dommageable qu’il est, par quences de l’exécution provisoire ordonnée ne peut se déduire
hypothèse, en cas d’infirmation de cette décision, impos- que d’une appréciation portée sur les effets que cette exécution est
sible à faire disparaître rétroactivement; que l’exécution susceptible d’engendrer pour la partie concernée et non de l’exa-
provisoire génère donc un risque de conséquences ma- men de la régularité et du bien-fondé de la décision entreprise,
nifestement excessives; qu’il convient en conséquence lequel échappe à la connaissance du Premier Président statuant
par application de l’article 524 du Code de procédure civile;
de l’arrêter.
Attendu que par ailleurs il résulte des articles 1188 alinéa 2, 1189
Chambre des mineurs : S. (mineur) c/ Service d’aide sociale a l’enfance et 1193 du Code de procédure civile que la convocation, la pré-
du conseil général de Meurthe-et-Moselle (...), STEMOI (...), ministère sence et l’audition des mineurs à l’audience ne sont que faculta-
public de la Cour d’Appel de Nancy tives;
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(...) Attendu en conséquence que le grief tiré par monsieur S. de ce que
le juge des enfants aurait méconnu le principe du contradictoire,
Sur quoi: omis de motiver se décision et rendu une ordonnance entachée de
nullité est, dans le cadre de la présente procédure, sans emport;
(...)
Attendu que l’exécution provisoire dont est assortie une déci-
Par ordonnance du 27 septembre 201 3 assortie de l’exécution sion rendue en matière d’assistance éducative génère un risque
provisoire, le juge des enfants du tribunal de grande instance de de conséquences manifestement excessives au sens de l’article
Nancy a prononcé la mainlevée du placement de monsieur S. à 524-2° du Code de procédure civile, lorsqu’elle est susceptible
I’ASE de Nancy, a déchargé l’ASE du mandat qui lui était confié, de produire au préjudice de la personne concernée des effets qui,
a prononcé la mainlevée de la mesure judiciaire d’investigation eu égard à leur nature et leur gravité, peuvent causer un dommage
éducative dont bénéficiait l’intéressé, déchargé le STEMOI du quasi irréparable ou créer une situation difficilement réversible;
mandat dont il était chargé et dit n’y avoir lieu à assistance édu-
cative. Attendu que par ordonnance du 22 juillet 2013, S., de nationalité
étrangère, sans domicile fixe et considéré comme mineur isolé sur
Après avoir interjeté appel de cette décision par déclaration du le territoire français, a fait l’objet d’une mesure de placement et
14 octobre 2013, monsieur S. a, selon actes des 24 octobre 201 3, été provisoirement confié à l’ASE de Meurthe-et-Moselle;
assigné l’ASE de Meurthe-et-Moselle, le STEMOI et le procureur
général près la Cour d’appel de Nancy pour obtenir le bénéfice de Attendu que par ordonnance du 27 septembre 2013, assortie de
l’aide juridictionnelle provisoire et l’arrêt de l’exécution provi- l’exécution provisoire, le juge des enfants de Nancy a prononcé
soire attachée à la décision du 27 septembre 201 3, en exposant la mainlevée de ce placement et dit n’y avoir lieu à assistance
que: éducative, motif pris de ce que S. serait, au vu d’un examen radio-
graphique, majeur, son âge étant estimé entre 18 et 19 ans;
- mineur isolé de nationalité guinéenne, il est arrivé en France le
7 juillet 2013; Attendu que l’exécution provisoire de cette décision a eu pour
effet immédiat de priver S., qui se. trouve en situation d’isolement
- il n’a pas été convoqué devant le premier juge ce qui rend irrégu- et n’a pas de domicile fixe, de toute aide et assistance et de lui
lière l’ordonnance prise par ce dernier pour violation des droits faire perdre le bénéfice de la prise en charge instituée à son profit;
de la défense et méconnaissance du principe du contradictoire; sans qu’il soit par ailleurs démontré qu’il puisse dans le cadre du
- l’exécution provisoire a été ordonnée en l’absence de toute dispositif d’aide institué au profit des personnes majeures, pré-
motivation; tendre à une protection identique ou comparable;

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Attendu qu’en l’état de ces éléments, force est de constater que en l’occurrence est demandeur de protection - mais la mainlevée
la décision du juge des enfants crée, au détriment du requérant, de la mesure généralement décidée sur base d’une radiographie
une situation dommageable qu’il est, par hypothèse, en cas d’in- osseuse dont il n’est plus besoin de convaincre que ses résultats
firmation de cette décision, impossible à faire disparaître rétroac- sont plus que douteux, d’autant que dans l’espèce commentée,
tivement; que l’exécution provisoire génère donc un risque de l’authenticité de l’acte de naissance du jeune n’était pas remise
conséquences manifestement excessives; qu’il convient en consé- en cause.
quence de l’arrêter; Bien que les conséquences d’une telle décision soient dramatiques
Attendu dès lors qu’en date du 23 octobre 2013, monsieur S. a - le jeune est envoyé à la rue, face à tous les dangers - il est rare
formé une demande d’aide juridictionnelle sur laquelle, il n’a pas qu’elle soit prise après avoir convoqué et entendu la personne sur
encore été statué, il y a lieu de l’admettre à titre provisoire, au les moyens de défense, notamment l’authenticité des documents
bénéfice de cette aide; d’identité établissant son âge.

Par ces motifs L’audition «facultative» ?


Statuant publiquement par ordonnance réputée contradictoire À cet égard, le magistrat de la Cour d’appel de Nancy justifie cette
mise à disposition au greffe; procédure expéditive -et rejette les moyens d’appel sur l’absence
Accordons à monsieur S. le bénéfice de l’aide juridictionnelle de contradiction - en affirmant : «il résulte des articles 1188 ali-
provisoire; néa 2, 1189 et 1193 du Code de procédure civile que la convoca-
tion, la présence et l’audition des mineurs à l’audience ne sont
Arrêtons l’exécution provisoire dont est assortie l’ordonnance du
que facultatives», comme si les règles de procédure en matière
juge des enfants du tribunal de grande instance de Nancy du 27
d’assistance éducative permettaient qu’ils soit fait obstacle à l’ap-
septembre 2013;
plication du principe fondamental selon lequel «Nulle partie ne
(...) peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée» (art. 14 du
Prés. ch. : M. Eugène Schneider; Code de procédure civile).
Subs; gén. : M. Cédric Laumosne; Certes, les dispositions du Code de procédure civile (CPC) pré-
Plaid. : Me Brigitte Jeannot. voient des exceptions à ce principe, et comme toute exception,
elles doivent faire l’objet d’une interprétation restrictive, limitée à
Commentaire de Jean-Luc Rongé l’objet précis pour lequel elles sont établies.
Ainsi, s’agissant des mesures provisoire prévues à l’article 375-
L’exécution provisoire est une constante en matière d’assistance 5 du Code civil (donnant pouvoir au juge par la voie d’une ordon-
éducative. Notre revue a déjà eu l’occasion de publier des déci- nance de placement provisoire (OPP) «soit ordonner la remise
sions sur le sujet. Dans le commentaire de Michel Huyette à un provisoire du mineur à un centre d’accueil ou d’observation, soit
ordonnance du premier président de la Cour d’appel de Rouen (1); prendre l’une des mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4»),
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l’auteur faisait le rappel de l’usage de cette prérogative du juge : le CPC prévoit qu’elles «ne peuvent être prises, hors le cas d’ur-
«- dans la procédure ordinaire, quand le juge des enfants rend un gence spécialement motivée, que s’il a été procédé à l’audition,
jugement auquel s’applique l’effet suspensif de l’appel, il peut, prescrite par l’article 1182, de chacun des parents, du tuteur, de
s’il estime que la situation de danger est telle qu’il est impossible la personne ou du représentant du service à qui l’enfant a été
d’attendre que la cour statue pour assurer la protection d’un mi- confié et du mineur capable de discernement.
neur, décider d’ordonner l’exécution provisoire de son jugement Lorsque le placement a été ordonné en urgence par le juge sans
(art. 514 à 526 du CPC). C’est l’exécution provisoire facultative. audition des parties, le juge les convoque à une date qui ne peut
Si tel est le cas, l’appel perd son effet suspensif et la décision peut être fixée au-delà d’un délai de quinze jours à compter de la dé-
être mise en oeuvre dès la notification du jugement; cision, faute de quoi le mineur est remis, sur leur demande, à ses
- si le juge des enfants prend une mesure provisoire pour confier parents ou tuteur, ou à la personne ou au service à qui il était
un mineur à un tiers (une «OPP»), celle-ci est de plein droit (art. confié» (art. 1184, al. 1 CPC).
514 alinéa 2), c’est-à-dire sans que le juge le décide, assortie On le voit, l’audition est de droit «hors le cas d’urgence spécia-
de l’exécution provisoire. C’est l’exécution provisoire de plein lement motivée» et l’on se demande ce que contiennent «articles
droit. Dans ce cas l’appel n’a pas non plus d’effet suspensif. 1188 alinéa 2, 1189 et 1193 du Code de procédure civile» invo-
Toutefois, les conséquences de l’exécution provisoire sont telles qués par le magistrat de la Cour d’appel de Nancy pour déroger au
qu’il a été instauré un mécanisme spécifique de contrôle. En effet, principe élémentaire de l’audition des parties avant toute décision
il peut être dramatique, et incompréhensible pour les intéressés judiciaire, d’autant qu’en la cause, il n’était pas urgent de se pas-
de voir un mineur conduit chez un tiers en application de la dé- ser de l’audition du mineur sur un élément de son état civil, mais
cision du juge des enfants et de le voir revenir chez lui quelques plutôt nécessaire de l’entendre sur la contradiction supposée.
mois plus tard si la cour infirme cette décision. Et que dire de la L’article 1188, al. 2 prévoit : «Les parents, tuteur ou personne ou
disparition de la confiance envers les professionnels qui appa- service à qui l’enfant a été confié et, le cas échéant, le mineur,
raissent alors totalement incohérents. C’est pourquoi la loi a pré- sont convoqués à l’audience huit jours au moins avant la date de
vu un contrôle de l’exécution des décisions de première instance». celle-ci; les conseils des parties sont également avisés». Rien de
Dans le cas des mineurs isolés étrangers (MIE), ce n’est pas tant «facultatif» dans cette disposition !
l’arrachement de l’enfant à sa famille qui est dramatique - le jeune L’article 1189 prévoit : «À l’audience, le juge entend le mineur,
(1) C.A. Rouen, président statuant en référé, 31 octobre 2007, n° 07/00105; JDJ n° 271,
ses parents, tuteur ou personne ou représentant du service à qui
janvier 2008, p. 58-59. l’enfant a été confié ainsi que toute autre personne dont l’audition

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lui paraît utile. Il peut dispenser le mineur de se présenter ou or- Et pour cause ! Il s’agit d’un jeune qui a fait l’objet d’une mesure
donner qu’il se retire pendant tout ou partie de la suite des débats. le confiant à l’Aide sociale à l’enfance de Meurthe-et-Moselle le
Les conseils des parties sont entendus en leurs observations». 22 juillet 2013, levée le 27 septembre alors que cet enfant était
La dispense au mineur «de se présenter» ou l’ordre «qu’il se re- parvenu à être mis hors de danger et à se stabiliser, notamment
tire» ne peut s’entendre que moyennant une motivation sérieuse en entreprenant une scolarité. Il s’agit d’une décision particuliè-
quant à la délicatesse du dossier, notamment quand il s’agit rement violente que nous définissons comme une «maltraitance
d’évoquer dans le cabinet du juge des éléments particulièrement institutionnelle», dès lors que par l’effet de cette mainlevée, il se
sensibles, susceptibles d’être traumatisants pour l’enfant s’ils retrouve «en situation d’isolement et n’a pas de domicile fixe et
viennent à sa connaissance... ce qui n’est pas le cas s’agissant du de lui faire perdre le bénéfice de la prise en charge instituée à son
retrait d’une mesure de protection pour cause de contestation sur profit», comme l’indique la décision commentée.
l’âge du MIE. La décision fustige également un des moyens de défense du dé-
L’article 1193 concerne la procédure devant la Cour d’appel, sans partement de Meurthe-et-Moselle s’agissant de l’alternative pré-
qu’une dérogation à l’audition des parties soit prévue : «L’ap- sentée dans le cadre de l’aide aux jeunes majeurs, alors que l’on
pel est instruit et jugé par priorité en chambre du conseil par la sait parfaitement que les conseils généraux entreprennent toutes
chambre de la cour d’appel chargée des affaires de mineurs sui- les stratégies pour en accorder de moins en moins le bénéfice aux
vant la procédure applicable devant le juge des enfants». MIE atteignant l’âge de la majorité. Alors, qui eût pu croire qu’un
On ne peut donc conclure, comme le fait le magistrat, que l’audi- jeune «viré de l’ASE» pour une tromperie sur son âge puisse bé-
tion est «facultative». Elle est plutôt «de droit» sauf si un élément, néficier de ce dispositif accordé avec parcimonie ?
tenant notamment à l’intérêt de l’enfant s’y oppose, ce qui n’est C’est à juste titre que l’ordonnance du premier président souligne
pas le cas dans l’espèce commentée.. que, dès lors que la suspension provisoire ne serait pas accordée,
On peut également relever que l’absence d’audition préalable, l’affaire venant à l’examen de la Cour d’appel «en cas d’infir-
contraire à une règle élémentaire des droits de la défense, consti- mation de cette décision, [il est] impossible à faire disparaître
tue un moyen prévu par la loi pour solliciter la suspension de rétroactivement [une situation dommageable]; que l’exécution
l’exécution provisoire attachée de plein droit aux ordonnances provisoire génère donc un risque de conséquences manifestement
prises dans le cadre de l’article 375, al. 1 du Code civil : «Le excessives; qu’il convient en conséquence de l’arrêter».
premier président peut arrêter l’exécution provisoire de droit en
cas de violation manifeste du principe du contradictoire ou de
l’article 12» (art. 524 CPC), la disposition citée prévoyant : «Le OVNI judicaire
juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui
sont applicables».
Parquet du procureur de la République de Paris –
En l’espèce, la décision du juge des enfants ordonnant la main-
2 octobre 2013 - Mainlevée d’ordonnance aux fins de
levée d’une OPP sans avoir entendu l’enfant pourvu de discer-
nement constitue une double violation des règles : l’absence de placement provisoire (assistance éducative)
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contradictoire et la violation des règles du droit de la procédure Assistance éducative - Étranger – Mineur isolé – Pro-
relatives à l’assistance éducative. cureur de la République – Ordonnance de placement
On pourrait même ajouter que, s’agissant de procéder à la mainle- provisoire – Mainlevée – Pouvoir du parquet
vée d’une OPP sur la réception des résultats d’un examen osseux Nous, C. Viguier, substitut du procureur de la République près
- réalisé hors des règles de procédure relatives à l’expertise (2) - le tribunal le grande instance de Paris spécialement chargé des
quand bien même le mineur aurait-il été entendu, constitue un affaires des mineurs.
motif suffisant ouvrant la faculté pour le premier président de la
Cour d’appel de suspendre l’exécution provisoire attachée à cette Vu l’article 375-5 du Code civil.
décision. La décision devient ubuesque lorsqu’elle a été prise, Vu la procédure concernant le mineur ci-après désigné: L.Y. se
comme dans l’espèce commentée, alors que l’authenticité des do- disant né le 5/12/1996 à (...) Sénégal, sans domicile fixe;
cuments d’état civil n’était pas remise en cause. Attendu que, par ordonnance du 25 septembre 2013, le mineur
ci-dessus a été placé à l’Aide sociale à l’enfance (...) 75012 Paris;
La conséquence dommageable Attendu qu’il n’y a pas lieu de prolonger les effets de cette me-
Dans l’arrêt commenté, le magistrat souligne à juste titre que sure; que le jeune a fait l’objet d’un examen d’âge osseux auprès
«l’exécution provisoire dont est assortie une décision rendue en de l’unité médico-judicaire le 1er octobre 2013, que le rapport
matière d’assistance éducative génère un risque de conséquences conclut à un âge physiologique égal ou supérieur à 18 ans,
manifestement excessives au sens de l’article 524-2° du Code de
procédure civile, lorsqu’elle est susceptible de produire au pré- En conséquence :
judice de la personne concernée des effets qui, eu égard à leur
nature et leur gravité, peuvent causer un dommage quasi irrépa- Donnons mainlevée du placement provisoire
rable ou créer une situation difficilement réversible».
C’est l’application de l’article 524 CPC qui vise les «consé-
quences manifestement excessives» que risque d’entraîner l’exé- Commentaire de Jean-Luc Rongé :
cution provisoire. «M. le substitut, retournez à vos études !»
L’article 375-5 du Code civil accorde aux magistrats du parquet le
(2) J.L. RONGÉ, «L’expertise de détermination de l’âge : la vérité tombe toujours sur un
os», JDJ n° 285, mai 2009, p. 33-44. pouvoir exceptionnel de retirer un enfant de sa famille et le placer

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en le confiant à un service d’aide sociale à l’enfance ou à un éta- prérogative ne fait pas partie des dispositions accordant le «même
blissement habilité à accueillir des mineurs d’âge. pouvoir» au procureur. Et pour cause...
La seconde limite : le parquet est tenu de saisir «dans les huit
Art. 375-5 du Code civil : «À titre provisoire mais à charge jours le juge compétent, qui maintiendra, modifiera ou rapportera
d’appel, le juge peut, pendant l’instance, soit ordonner la remise la mesure». Le texte est portant bien clair : seul le juge dispose
provisoire du mineur à un centre d’accueil ou d’observation, soit de la compétence de modifier la mesure prise en urgence par le
prendre l’une des mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4. parquet.
En cas d’urgence, le procureur de la République du lieu où le D’une certaine manière, dès que le parquet a pris la décision de
mineur a été trouvé a le même pouvoir, à charge de saisir dans placer l’enfant, il est dessaisi du dossier, même si la mesure qu’il
les huit jours le juge compétent, qui maintiendra, modifiera ou a prise perdure jusqu’à l’intervention de la décision du juge dans
rapportera la mesure. Si la situation de l’enfant le permet, le pro- la quinzaine de sa saisine : «il convoque les parties et statue dans
cureur de la République fixe la nature et la fréquence du droit de un délai qui ne peut excéder quinze jours à compter de sa saisine,
correspondance, de visite et d’hébergement des parents, sauf à les faute de quoi le mineur est remis, sur leur demande, à ses parents
réserver si l’intérêt de l’enfant l’exige». ou tuteur, ou à la personne ou au service à qui il était confié».
La disposition accordant au parquet l’exercice de ce pouvoir exor- Il est donc tout à fait exclu que le parquet dispose du pouvoir de
bitant repose sur une condition et deux limites. prononcer la mainlevée de la mesure qu’il a prise. S’il se rend
compte qu’il a commis une bourde, en plaçant un enfant qui ne
La condition : l’urgence. C’est un pouvoir dont le parquet ne peut devait pas l’être, en se trompant de personne, en se trompant sur
user à sa guise. L’urgence suppose qu’il convient d’agir immédia- l’âge... il ne peut que se précipiter dans le bureau du juge pour
tement à l’égard d’un enfant en danger alors que le (ou les) juge(s) le convaincre de modifier la mesure. La saisine «dans les huit
des enfants ne sont pas disponibles. La loi ne prévoit pas, comme jours» ne lui interdit nullement de solliciter l’intervention du juge
le voudrait la circulaire du 31 mai 2013 sur la répartition des mi- dans un laps de temps plus court et le juge dispose des moyens de
neurs isolés étrangers (MIE) sur le territoire national, d’accorder statuer avant l’expiration de la quinzaine, puisqu’il dispose en sus
cette prérogative au parquet à n’importe quel moment quand il du pouvoir de modifier la mesure «à tout moment» (art. 375-6).
s’agit de statuer sur le lieu où va être hébergé un MIE (voy. le pro-
tocole et la circulaire du 31/05/13 et notre article «L’État et l’As- Dernière question : le magistrat qui a signé ce document qu’il
semblée des départements de France redessinent le parcours de appelle «mainlevée d’ordonnance aux fins de placement pro-
protection des mineurs isolés étrangers», JDJ n° 326, juin 2013, visoire», est pourtant indiqué comme substitut «spécialement
p. 9-16 et 17-20).. chargé des affaires des mineurs». Où a-t-il suivi sa formation ?
Ou s’agirait-il d’une nouvel OVNI judiciaire comme le parquet
La première limite : le parquet dispose du «même pouvoir» que et la juridiction parisienne ont le loisir d’inventer quand il s’agit
le juge des enfants, pouvoir qui est lui-même limité par la dis- de déroger aux règles à l’égard des mineurs isolés étrangers sans
position du premier alinéa, à savoir que le procureur, comme le être gênés de s’asseoir sur les codes et les principes élémentaires
juge, a la faculté d’«ordonner la remise provisoire du mineur à un
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centre d’accueil ou d’observation, soit prendre l’une des mesures
prévues aux articles 375-3 et 375-4». Et une remarque : on peut supposer que le magistrat du parquet
qui a revêtu de sa signature ce malheureux document – sans ren-
Les deux dispositions citées permettent au magistrat de confier contrer le jeune, bien entendu - a quand même dû imaginer les
l’enfant à l’autre parent, à un autre membre de la famille ou à un conséquences de son geste.
tiers digne de confiance, à un service départemental de l’aide so-
ciale à l’enfance, à un service ou à un établissement habilité pour L’ASE de Paris – pour laquelle tous les moyens sont bons pour se
l’accueil de mineurs à la journée ou suivant toute autre modalité débarrasser des MIE - s’empressa de l’exécuter et de requérir son
de prise en charge, à un service ou à un établissement sanitaire ou éloignement du lieu où il était hébergé, en l’occurrence le DMA
d’éducation, ordinaire ou spécialisé. Stendhal, géré par France Terre d’Asile.
Le magistrat, lorsqu’il ne choisit pas de confier l’enfant à un ser- Informé de la nullité de l’acte – à l’égard duquel aucun recours
vice de l’ASE, «peut charger, soit une personne qualifiée, soit un n’existe, bien sûr – le jeune ne voulait pas migrer et la direction
service d’observation, d’éducation ou de rééducation en milieu du DMA dut faire appel à la police pour le sortir de force. On eût
ouvert d’apporter aide et conseil à la personne ou au service à pu croire qu’une association qui prétend s’ériger en défenseur de
qui l’enfant a été confié ainsi qu’à la famille et de suivre le déve- la cause des exilés prenne la défense du garçon, et à tout le moins
loppement de l’enfant». l’informe des moyens de s’opposer à une telle décision. Que nen-
ni ! En fidèle exécutant de son commanditaire, elle s’empressa de
Il «peut aussi subordonner le maintien de l’enfant dans son milieu requérir la force publique pour l’exécution d’un acte qui n’a d’or-
à des obligations particulières, telles que celle de fréquenter ré- donnance que le nom... et le faire jeter à la rue par trois policiers.
gulièrement un établissement sanitaire ou d’éducation, ordinaire
ou spécialisé, le cas échéant sous régime de l’internat ou d’exer- On rejoindra Claire Neirinck dans son éditorial au numéro de
cer une activité professionnelle». novembre de la revue Droit de la famille lorsqu’elle conclut que
le nouveau dispositif de répartition des MIE «révèle, mieux qu’un
Il «peut aussi décider qu’il lui sera rendu compte périodiquement discours, que les mineurs isolés étrangers sont soumis à un ré-
de la situation de l’enfant». gime dérogatoire assorti d’un vide procédural qui leur interdit de
Rien de plus... bénéficier du droit commun de l’enfance».
Notamment, il ne dispose pas du pouvoir accordé au juge de rap-
porter ou de modifier «à tout moment» les dispositions prises en
matière d’assistance éducative. L’article 375-6 qui prévoit cette

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