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© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 26/01/2023 sur www.cairn.info via Université de Strasbourg (IP: 88.138.232.215)
ISSN 1150-1944
ISBN 9782724635225
DOI 10.3917/soco.108.0069
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2017-4-page-69.htm
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Lors d’une succession ou d’un divorce, les biens qui composent l’héritage ou le
patrimoine conjugal sont distribués entre héritiers et héritières ou entre ex-épouses
et époux. Rarement tranchés par l’institution judiciaire, ces arrangements patrimo-
niaux qui concernent les fractions possédantes de la société française (proprié-
taires d’un bien immobilier, d’une entreprise ou d’un minimum de capitaux
financiers) se déroulent principalement dans les études et cabinets de professions
libérales du droit (notaires et avocat·e·s), dont les trajectoires sociales sont étroi-
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tement liées à la détention d’un patrimoine. Les discussions à huis clos des arran-
gements patrimoniaux, dans les offices notariaux comme dans les cabinets
d’avocat·e·s, réunissent ainsi des possédant·e·s. Du côté de la clientèle comme
des professionnel·le·s, cette caractéristique commune n’empêche pas une grande
diversité de positions sociales et de trajectoires. Nous montrons que les notaires
et avocat·e·s ne semblent jamais aussi à l’aise pour jouer avec le droit que
lorsqu’il·elle·s travaillent dans l’entre-soi, avec une clientèle choisie, mettant alors
à disposition de leurs client·e·s différents outils juridiques ou marges de
manœuvre, au service d’un intérêt partagé : celui de la reproduction du capital
économique, aux dépens d’une administration fiscale domestiquée. La maîtrise
du droit dont disposent certain·e·s dominant·e·s se joue en grande partie dans
le rapport au capital économique qu’ils partagent avec certaines professions libé-
rales du droit. Ce rapport commun au capital économique s’avère fortement
genré, et les arrangements patrimoniaux qui émergent dans les cabinets
d’avocat·e·s et les offices notariaux se font généralement au détriment des ex-
épouses et des héritières.
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UN ENTRE-SOI DE POSSÉDANT·E·S
INTRODUCTION
Les successions et les divorces constituent deux moments clés de
transferts de biens et de capitaux au sein de la famille (Barthélémy,
2004 ; Delphy, 1998), encadrés par le Code civil et le droit fiscal.
Objet privilégié des juristes (Savatier, 1954 ; Carbonnier, 1964), ce
« droit des biens » a plus récemment attiré l’attention des écono-
mistes et des statisticien·ne·s qui quantifient les transferts patrimo-
niaux entre apparenté·e·s (Masson, 2006 ; Frémeaux et Leturcq
2013). Ce regain d’intérêt est notamment lié à la mise en évidence
du poids croissant du patrimoine et de l’héritage dans les inégalités
socioéconomiques (Piketty, 2013). L’approche sociologique que
nous proposons ici permet un double déplacement. Alors que les
juristes analysent le droit et ses évolutions, nous nous concentrons
sur les modalités concrètes de sa mise en œuvre, depuis la diffusion
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de la connaissance du droit jusqu’au contrôle du respect de la loi.
Alors que les économistes saisissent les inégalités patrimoniales à
partir de données déclaratives agrégées (déclarations au fisc ou dans
des enquêtes statistiques), nous faisons apparaître de nouvelles iné-
galités en nous focalisant sur les processus sociaux qui aboutissent
à ces déclarations. Pour ce faire, nous étudions les pratiques des
professionnel·le·s du droit en interaction avec les justiciables,
hommes et femmes de différents milieux sociaux.
1/ La liquidation du patrimoine conjugal, dès qu’il comporte au moins un immeuble, est officialisée par
un acte notarié. En 2010, seuls 4 753 couples divorcés ont fait appel au tribunal pour trancher un litige en
la matière (à comparer aux 175 261 demandes de divorce la même année). Dans le cas des successions qui
comportent au moins un bien immobilier ou un actif successoral supérieur à 5 000 euros, en présence d’un
testament ou d’une donation, le partage successoral est enregistré par un notaire. Là encore, les litiges portés
devant les magistrat·e·s sont relativement rares : seuls 16 836 actes successoraux ont fait l’objet d’une saisine
du tribunal en 2010, alors que les notaires de France déclarent 320 000 successions par an.
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capitaux financiers) 2. Il s’agit ici plus spécifiquement d’analyser le
rapport au droit des hommes et des femmes issus des fractions des
classes dominantes caractérisées par l’importance de leur capital éco-
nomique, au travers des relations particulières qu’ils et elles entre-
tiennent avec les professions libérales du droit à l’abri du regard de
l’État, dans le cadre d’arrangements matrimoniaux et successoraux
qui mettent en jeu le Code civil et le droit fiscal.
2/ Ainsi, seule la moitié des déclarations de succession sont faites devant notaire (selon le Cahier statistique
2015 de la direction générale des Finances publiques, le nombre de déclarations de succession enregistrées
chaque année par l’administration fiscale est de 763 398, soit plus du double du nombre annuel de décla-
rations enregistrées pas les notaires). Les arrangements patrimoniaux discutés chez les avocat·e·s dans le
cadre des procédures de divorce ne concernent également que les couples qui ont quelque chose à se
partager.
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et soumises à des règles professionnelles et déontologiques, le principe de confi-
dentialité et le secret professionnel notamment. Ces normes professionnelles, qui
permettent à la fois l’exercice efficace du métier et la constitution d’une clientèle
fidèle, rendent difficile la présence de sociologues dans les cabinets lors des inter-
actions avec les client·e·s. Autant il est facile de négocier un entretien avec un·e
avocat·e (n = 48) ou avec un·e notaire (n = 17), autant demander à consulter des
dossiers ou à assister à des rendez-vous client·e·s suscite de fortes résistances :
nous avons d’ailleurs essuyé de nombreux refus. On peut même s’interroger sur les
conditions de possibilité des autorisations que nous avons obtenues d’assister au
travail de certain·e·s auprès de leurs client·e·s. Du côté des avocat·e·s en droit de
la famille, c’est la présence de l’équipe de recherche à la cour d’appel (Dormont
et Paris) qui a sans doute pu lever certaines réticences, ou encore, de façon plus
efficace, la promotion d’une pratique nouvelle (comme le droit collaboratif), qui
incitait à donner à voir cette pratique. Nous avons ainsi pu assister à 48 rendez-
vous client·e·s, avec 14 avocat·e·s différent·e·s. Du côté des notaires, c’est la
participation à un groupe de recherche piloté par des juristes (« Renonciations et
successions : quelles pratiques ? », projet pour la Mission de recherche droit et
justice, sous la direction de Cécile Pérès, laboratoire de Sociologie juridique,
université Paris II Panthéon-Assas), groupe comprenant des représentant·e·s du nota-
riat, qui nous a permis d’accéder non pas à des rendez-vous – nos demandes ont
été refusées au nom du principe de confidentialité ou les occasions n’ont finalement
jamais été trouvées – mais à des dossiers de succession traités dans des études
variées (tant du point de vue de la taille que de la situation géographique). Pour
pallier le manque d’observation directe dans les études, nous avons suivi cer-
tain·e·s avocat·e·s et notaires enquêté·e·s dans leurs arènes professionnelles : réu-
nions interprofessionnelles, conférences, sessions de formation. De cette façon, à
l’extérieur des cabinets, nous sommes parvenues à mieux saisir des pratiques aux
marges de la légalité, pouvant faire l’objet d’une discussion au sein de la profes-
sion. Dans l’ensemble de l’article, les noms de toutes les personnes mentionnées,
professionnel·le·s du droit de la famille et justiciables, ainsi que les noms de lieux
(à l’exception de Paris, trop spécifique du fait de sa concentration de grandes
fortunes) ont été modifiés.
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■ Dans les cabinets d’avocat·e·s : un entre-soi
par la segmentation et le traitement différencié de la clientèle
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« petits dossiers » où tout le monde est d’accord d’emblée ne
viennent pas chez elle. Elle pratique la « négociation raisonnée »
dans 90 % de ses dossiers, mais aussi toute une palette de conseils,
voire « de coaching en sous-marin » dans certaines affaires. Elle offre
à ses client·e·s un service très personnalisé avec une grande dispo-
nibilité. Ainsi, elle reçoit tou·te·s les client·e·s elle-même dans son
cabinet, assure toutes les discussions avec l’avocat·e de la partie
adverse (que ce soit au téléphone ou en vis-à-vis) et accompagne
régulièrement ses client·e·s chez le notaire ou la médiatrice.
3/ Entretien réalisé en novembre 2014 par Céline Bessière, Aurore Koechlin et Camille Phé.
4/ L’aide juridictionnelle est une aide financière ou juridique que l’État accorde aux justiciables sous condi-
tion de ressources. Elle prend en charge, en totalité ou en partie, les frais de procédure et d’expertise, et
les honoraires de l’avocat·e à qui l’aide est versée directement.
5/ En 2014, un divorce par consentement mutuel à l’aide juridictionnelle totale est rémunéré à
l’avocat·e 30 unités de valeur (UV, soit 685 euros HT) ; à partir de 34 UV (776,56 euros HT) pour un divorce
contentieux, avec une possibilité de dépassement de 16 UV supplémentaires (365 euros HT) en cas
d’incident.
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ticulièrement « relevée », selon les propos d’un de ses confrères). Ici,
la clientèle aisée n’a pas grand-chose à voir avec les élites interna-
tionales et nationales qui fréquentent les cabinets parisiens. Il s’agit
plutôt de professions libérales, chef·fe·s d’entreprise, cadres et pro-
fessions intellectuelles supérieures (des enseignant·e·s par exemple)
qui sont proches socialement de ces avocat·e·s, eux·elles-mêmes pro-
fessions libérales et dont les parents, les frères, les sœurs, ou encore
les conjoint·e·s exercent ce même type d’activité professionnelle. Les
tarifs des avocat·e·s en droit de la famille sont d’ailleurs ajustés en
conséquence, puisqu’ils et elles sont rémunéré·e·s au forfait 7 et non
à l’heure travaillée sur le dossier comme à Paris. Au sein de ces
cabinets mixtes, la clientèle aisée – celle qui n’est pas à l’aide juri-
dictionnelle – reçoit cependant davantage de temps et nettement plus
d’attention que les client·e·s de classes populaires.
6/ Entretien réalisé en novembre 2014 par Anaïs Bonnano, Sibylle Gollac et Aurore Koechlin.
7/ Dans le barreau étudié, un divorce par consentement mutuel avec un seul avocat pour les deux parties
est facturé entre 1 400 et 2 000 euros HT ; le tarif de base du divorce contentieux est entre 1 600
et 2 000 euros (ces tarifs pouvant donner lieu à des dépassements en cas d’allongement de la procédure).
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trois ans), pour pouvoir faire une demande de logement social. L’avo-
cate lui consacre quinze minutes. La cliente suivante est enseignante
à l’université, en cours de divorce avec un architecte. L’entretien avec
elle dure quarante-cinq minutes et débute par une longue discussion
sur l’interprétation d’un SMS en provenance de l’époux. « Vous avez
vu la complicité que j’ai avec elle », commente Grâce Dupont-
Bernard après coup, mais « il faut la manager, que je la remette dans
les rails [pour ne pas qu’elle s’engage dans un divorce pour faute] ».
Son dernier client, qui refuse la présence des sociologues, vient pour
son premier rendez-vous dans le cadre d’une procédure de divorce.
Il gagne 3 600 euros par mois, nous expliquera ensuite l’avocate. Elle
reste une heure avec lui, temps qu’elle estime normal pour un pre-
mier rendez-vous, alors même que ses deux premières clientes
venaient également pour la première fois 8.
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Pierre-Yves Rémond est un avocat en fin de carrière, ancien bâton-
nier, qui après avoir été associé dans un des plus grands cabinets de
la ville, a décidé de « réduire la voilure » et de travailler de façon
individuelle. Les affaires familiales représentent un tiers de son acti-
vité. Originaire d’une famille parisienne, fils d’un chef d’entreprise
et d’une assistante sociale qui ont déménagé dans l’ouest de la France,
il fait partie de la notabilité de Dormont, comme l’atteste le nombre
de mains qu’il sert dans la brasserie du centre-ville lors du déjeuner
que nous prenons avec lui. « Désormais, je peux me permettre de
sélectionner mes dossiers. [...] Je peux me permettre de ne pas
prendre les abrutis ». Il assume ne pas accorder la même disponi-
bilité à l’ensemble de sa clientèle : « Moi je ne donne jamais mon
mail perso ni mon numéro perso d’une manière générale, sauf si
c’est un chef d’entreprise, je sais que le type aura l’éducation de ne
s’en servir que si c’est nécessaire 9. »
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droit collaboratif est tarifé 2 500 euros et, en pratique, donne lieu à
de nombreux dépassements. Ce service se révèle ainsi accessible aux
seul·e·s justiciables doté·e·s d’un capital économique suffisant. En
entretien, Arnaud Thiercelin, qui lui-même pratique le droit colla-
boratif, confie : « Les confrères le nient, mais il y a aussi un problème
de capacité financière. Parce que vous l’avez vu, ça prend beaucoup
de temps. Beaucoup, beaucoup de temps. [...] Donc la limite, c’est
la capacité financière [des justiciables], et à mon sens, l’aide juridic-
tionnelle 11 ». Au-delà de ces enjeux financiers, les avocat·e·s qui pra-
tiquent le droit collaboratif insistent sur les compétences culturelles
qu’il requiert, selon eux, de la part des justiciables. Grâce Dupont-
Bernard répète en plusieurs circonstances que les « rendez-vous à
quatre » (les deux parties accompagnées de leurs avocat·e·s res-
pectif·ve·s) durent en moyenne deux heures trente et que seul·e·s
celles et ceux qui ont un certain « niveau de culture » sont capables
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de « se concentrer suffisamment », « savent faire l’effort ». De son
côté, Arnaud Thiercelin évoque à propos d’un client « une capacité
intellectuelle un peu limite » pour ce type de démarche. Cette der-
nière reste donc réservée, dans les faits, à une élite locale de chef·fe·s
d’entreprise, professions libérales, cadres et enseignant·e·s ayant suf-
fisamment de ressources économiques et culturelles pour s’y
conformer. Elle permet aux avocat·e·s de recruter au moins une
partie de leur clientèle au sein de groupes sociaux qui leur sont
proches, solvables, avec lesquels peut se constituer un entre-soi pro-
pice à la mise en œuvre de comptabilités qui jouent avec le droit.
Dans les deux barreaux étudiés, le travail que les avocat·e·s pro- Ces avocat·e·s
offrent davantage
posent en amont du passage devant le juge, dans le secret du cabinet, de possibilités de
fluctue donc considérablement selon le segment du marché sur jouer avec le droit,
à l’abri du regard
lequel ils et elles se situent et la position sociale de leurs client·e·s. des juges,
En pratique, ces avocat·e·s offrent davantage de possibilités de jouer aux fractions
élevées de l’espace
avec le droit, à l’abri du regard des juges, aux fractions élevées de social.
l’espace social.
11/ Entretien réalisé en février 2014 par Anaïs Bonanno, Sibylle Gollac et Aurore Koechlin.
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être traité sur le fond par un notaire différent selon le type de conseil
ou d’acte sollicité (immobilier neuf, immobilier ancien, droit de la
famille, transmissions d’entreprises...). Arnaud Portier (45 ans), fils
de médecin et d’enseignante, est notaire associé dans une étude qui
comporte six associés et 45 « collaborateurs » dans une grande ville
de l’ouest de la France. Il est le spécialiste des transmissions d’entre-
prises et des stratégies patrimoniales dans l’office. Ses « apporteurs
d’affaires » sont souvent des conseillers en gestion du patrimoine :
« ceux qui font du conseil en stratégie patrimoniale haut de
gamme », qu’il différencie « des conseillers clientèles de banque qui
ne font que des propositions de placement ». Sa clientèle privilégiée
est donc composée de chef·fe·s d’entreprise, particulièrement
actif·ve·s dans le travail de leur capital. Mais son office traite aussi
les affaires d’autres types de client·e·s :
12/ Entretien réalisé en janvier 2015 par Céline Bessière et Sibylle Gollac.
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donc essentiellement des dettes, sa clientèle privilégiée est celle des
agriculteurs, « des gens carrés, avec qui c’est facile de travailler ».
Mais il regrette : « Le nombre d’agriculteurs se réduit drastiquement,
on ne peut plus travailler seulement avec eux 13. »
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« Vous travaillez, vous sortez tous les soirs pour rencontrer du monde,
donc des gens qui vous amènent des clients... Donc voilà, c’est se faire
un réseau, à droite, à gauche. Moi j’ai intégré... C’est des détails mais j’ai
intégré la Table ronde. Vous ne connaissez pas parce que c’est pour les
hommes ! C’est un club, type le Lions, ça n’a rien à voir avec le Lions,
mais c’est pour les moins de 40 ans, on m’a proposé j’ai dit oui. Vous
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vous faites 15 copains qui vous font bosser, sur une ville comme ici, ça
va vite. Vous intégrez des réseaux à droite, à gauche, vous écrivez des
articles, alors il y en a un qui vient, vous faites de la formation à la CCI
[Chambre de commerce et d’industrie]. Voilà, et après... J’ose croire que
si vous ne travaillez pas trop mal, les gens ils parlent de vous en bien, ils
sont contents, ils reviennent. Et puis c’est un qui vous amène un autre.
[...] Mais voilà, c’est un coup à droite, un coup à gauche, vous avez le
match de rugby le samedi, bon voilà... C’est comme ça 14. »
14/ Entretien réalisé en octobre 2015 par Céline Bessière et Sibylle Gollac.
15/ Voir la présentation du rôle du notaire sur le site des notaires de France : https://www.notaires.fr/fr/
le-rôle-du-notaire (page consultée le 28 octobre 2017).
16/ Les matériaux sur lesquels s’appuie cet article ont été recueillis avant l’entrée en vigueur de la loi
du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Depuis le 1er janvier 2017, les conven-
tions de divorce par consentement mutuel doivent simplement être déposées chez un·e notaire. Les justi-
ciables ne sont plus entendu·e·s séparément par un·e juge avant la prononciation du divorce pour vérifier
leur consentement, et la convention n’est plus examinée par un·e magistrat·e.
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généralement à sous-estimer la valeur de certains transferts. Il s’agit
de jouer à la fois sur la règle d’équipartition des biens entre les
héritier·e·s et de minimiser le coût fiscal de la succession. Lorsqu’il
y a conflit entre les héritier·e·s – qui mettent en cause l’équité des
partages prévus dans le bureau du notaire et envisagent une judi-
ciarisation du règlement de la succession – la mise à plat pour le
juge, dans un cadre contradictoire, de l’ensemble des avantages reçus
par les un·e·s et les autres a pour première conséquence l’augmen-
tation des droits de succession dus au fisc par certain·e·s 18. En accord
avec leurs client·e·s, les notaires peuvent au contraire omettre cer-
tains biens dans les opérations de partage successoral. Ils ou elles
acceptent alors tout simplement de ne pas tenir compte du transfert
d’un bien ou de sommes dont un des héritier·e·s a précédemment
bénéficié. Un notaire parisien, associé dans une étude à la clientèle
fortunée, Jean-Pierre Chartrain, explique dans quel contexte il a été
amené à enregistrer une renonciation anticipée à l’action en réduc-
tion (RAAR) 19 :
17/ « La donation-partage », Les mémos conseils par des notaires, Paris, 2004, p. 6-7. Voir la liste des mémos
conseils en droit de la famille sur le site des notaires de France (https://www.notaires.fr/fr/kiosque?famille=0,
consulté le 25 octobre 2017).
18/ C’est ce que montre un cas de conflit successoral traité dans la thèse de Sibylle Gollac (2011,
p. 602-603).
19/ La renonciation anticipée à l’action en réduction (RAAR) consiste, pour des héritier·e·s, à renoncer à
réclamer la prise en compte, dans les partages successoraux finaux, de donations dont un·e de leurs cohé-
ritier·e·s a été bénéficiaire. C’est l’une des principales innovations de la loi du 23 juin 2006 portant réforme
des successions et des libéralités.
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L’argument fiscal est également fortement mobilisé par les avo-
cates promotrices des modes de règlement à l’amiable des sépara-
tions conjugales 21. « L’argent, c’est le nerf de la guerre », affirme
Cécile Martin-Dubois lorsqu’elle anime, avec des médiatrices et des
notaires, une série de formations au barreau de Paris sur le sujet. La
deuxième session est consacrée aux « enjeux patrimoniaux et fiscaux
des négociations en droit de la famille ». L’assistance est composée
d’une centaine d’avocat·e·s, dont un tiers de fiscalistes. La première
partie de la réunion (près d’une heure sur les deux heures de for-
mation) est présentée par Christelle Andreux, notaire à Paris, et porte
sur l’optimisation du partage des biens immobiliers communs et
indivis. Il s’agit d’informer les avocat·e·s sur les possibilités qu’offre
le divorce par consentement mutuel d’éviter les droits de partage sur
les biens immobiliers 22, pour peu que les immeubles soient vendus
avant le divorce à proprement parler.
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– Votre pratique c’est de le formaliser entre confrères, c’est ça ?
Christelle Andreux précise :
– On parle de quelque chose de spécifique, un divorce. J’ai eu un
redressement injustifié il n’y a pas longtemps dans un dossier. Un bien
a été vendu en cours de procédure, on a fait une répartition de prix, un
petit compte de répartition, pas de droit de partage. J’ai rappelé la doc-
trine à l’administration [fiscale] qui demandait un droit de partage. Je
rejoins Cécile Martin-Dubois [sur le fait qu’il vaut mieux ne pas faire
d’écrits].
[...]
Quelqu’un dans l’assistance, interrogatif, fait remarquer à la notaire :
– Mais vous gagnez moins. [Il veut dire que la notaire ne touche alors
que les honoraires liés à la mutation et non au partage.]
Christelle Andreux répond :
– Mais je gagne des clients !
Une femme fait remarquer dans l’assistance :
– Mais vous avez des notaires qui ne sont pas du tout d’accord.
Cécile Martin-Dubois réplique :
– Oui, mais il faut choisir son notaire !
Plus tard, une autre avocate dans l’assistance raconte :
– J’ai déjà eu des cas de rattrapage. Moi, je ne l’écris pas, même sur
une petite communauté, une petite indivision. Ça pose des problèmes
de responsabilité. On sait qu’à Paris, les JAF [juges aux affaires familiales]
ont de grandes tendances, quand ils ont un petit doute, à transmettre à
l’administration fiscale qui a besoin d’argent. Je le fais, mais je suis super
circonspecte et super embêtée. Je ne sais pas comment dealer avec ça.
Cécile Martin-Dubois explique :
– Il faut laisser passer quelques mois [pour être sûre que l’adminis-
tration fiscale ne proteste pas, il faut laisser passer un peu de temps
entre la vente du bien immobilier et le démarrage de la procédure de
divorce].
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Un homme intervient :
– J’en fais tous les mois des opérations comme ça. Le client, je
l’informe. Pour moi c’est une position pas très sûre, borderline. Je lui fais
signer un papier disant que je l’ai informé de la position de l’adminis-
tration fiscale. Le papier, je le garde 23. »
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ils et elles disposent de la même façon. Comme l’indiquent ces dis-
cussions, certain·e·s notaires pourront préférer, à l’entretien d’une
clientèle fidèle, le gain immédiat des frais liés au partage. Des
avocat·e·s pourront refuser de prendre le risque d’un redressement
fiscal de leur client·e. Ces choix dépendent sans doute à la fois des
dispositions sociales des avocat·e·s et des notaires, du patrimoine de
leur clientèle et des gains que les professionnel·le·s peuvent attendre
de la fidélisation de cette clientèle.
23/ Observation réalisée en janvier 2015 par Gabrielle Schütz et Hélène Steinmetz.
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Les notaires entretiennent des relations privilégiées avec une
clientèle à fort capital économique, constituée d’indépendant·e·s et
d’héritier·e·s de patrimoines importants. Ces relations privilégiées
sont liées à la fois au recours plus fréquent de ces client·e·s aux
notaires, aux revenus que cette clientèle génèrent (la rémunération
du notaire dépend du montant du patrimoine traité), mais aussi à
une proximité sociale entre ces client·e·s et les notaires.
24/ Bien que ne visant aucune représentativité, le corpus de notaires que nous avons interviewé est varié.
Il est composé de 13 hommes et 4 femmes, âgé·e·s de 30 à plus de 60 ans. Ils et elles appartiennent à des
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la nature du bien pour faire le partage », on leur enseigne tout de
même toutes les solutions qui permettent la transmission d’une
entreprise familiale à un héritier unique 26. Dans le mémo cité pré-
cédemment consacré à la donation-partage, on donne aussi – pour
illustrer la « transmission d’une entreprise individuelle à un tiers,
parent ou non, par le biais d’une donation-partage » – l’exemple
Le souci
de transmettre suivant : « une donation-partage est consentie par un descendant à
un patrimoine ses sept enfants et à un de ses petits-enfants qui a les qualités néces-
professionnel
dans son intégrité saires pour reprendre l’entreprise ». Le souci de transmettre un patri-
à un héritier moine professionnel dans son intégrité à un héritier « capable »
« capable »
structure structure un certain nombre de pratiques des notaires en matière
les pratiques successorale. Or, on sait que les garçons, et en particulier les aînés,
des notaires
en matière sont les premiers bénéficiaires de ces biens que les familles d’indé-
successorale. pendant·e·s cherchent à préserver dans la lignée (Bessière, 2010 ;
Gollac, 2013).
études constituées d’un notaire individuel à six associés, situées dans zones géographiques diverses : études
rurales de l’ouest ou du sud-ouest de la France ; études de grandes agglomérations de l’ouest, du sud-ouest
et de l’est de la France ; études de l’agglomération parisienne.
25/ L’exception est une femme notaire âgée d’une quarantaine d’années dont le père était cadre dans une
usine dans l’est de la France et la mère secrétaire dans le secteur hospitalier. Fille unique, elle se décrit
comme bénéficiaire des aspirations sociales de ses parents : « Ils m’ont donné toute leur affection et tout ce
qu’ils pouvaient pour que je réussisse. » Clerc de notaire jusqu’en 2005, elle a été associée dans une étude
de sa région d’origine pendant deux ans, avant de s’associer dans un office qui comprend quatre notaires
dans une agglomération de taille moyenne de l’ouest de la France.
26/ Observation des Journées notariales de la porte Maillot réalisée par Sibylle Gollac en décembre 2004.
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en cas de besoin. Il compare même cette pratique aux pays de droit
musulman où « les femmes n’ont droit qu’à une demi-part, mais ne
sont jamais abandonnées par leur famille ». En réunion de travail,
devant une dizaine de juristes et de sociologues 29, il explicite les
techniques utilisées : « Comment on faisait, c’est très simple : en
sous-estimant les biens, en fixant des salaires différés 30 tirés par les
cheveux, et en utilisant la quotité disponible 31 bien sûr. En pratique,
on regarde combien le repreneur peut donner et on fait cadrer la
succession. Et on a très peu de contentieux, parce que c’est accepté
par tout le monde, c’est la tradition. [...] Avec la RAAR on sécurise
quelque chose qui était déjà librement accepté. Mais faut pas croire
non plus qu’on en fera des centaines ! » De fait, les RAAR sont excep-
tionnelles 32 et la première explication donnée à ce faible usage est
précisément l’existence antérieure d’autres outils pour avantager un
héritier. Par rapport à ces outils négociés à l’ombre du droit dans les
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tive à leur clientèle qu’elle participe de leur domestication du fisc et
repose sur une vision genrée des rôles des héritier·e·s dans la trans-
mission familiale du patrimoine.
33/ Le traitement salarié des JAF ne dépend pas du revenu des justiciables dont il·elle·s traitent le dossier.
Il est d’ailleurs vraisemblable qu’en tant que salarié·e·s de l’État, les juges aient eux-mêmes moins souvent
l’occasion de mettre en œuvre ces stratégies de contournement que les avocat·e·s, professions libérales.
34/ Rappelons que les femmes en couple gagnent en moyenne 42 % de moins que leur conjoint selon
l’Insee (Morin, 2014).
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combien gagne son mari. Il était directeur financier d’une entreprise
internationale, avec un revenu qu’elle estime autour de 20 000
à 30 000 euros par mois, et est aujourd’hui au chômage avec l’indem-
nité maximale (soit environ 7 000 euros par mois). Elle ne sait pas
quelle indemnité de licenciement il a négocié avec son entreprise.
Elle-même, depuis la séparation, a repris une activité de journaliste
beauté freelance qui lui rapporte 1 500 euros par mois (« J’ai pas de
revenu ! » conclut-elle). Son époux lui demande d’attendre pour
lancer la procédure de divorce, pour des raisons fiscales. Il lui a parlé
des droits de partage que le couple devrait verser au fisc s’il divorçait
avant d’avoir liquidé leur indivision. Elle-même s’insurge contre cet
impôt : « Moi, je récupère 500 000 euros [de la vente de leur maison
qui vaut 1 500 000 euros mais dont seulement 1 million est d’ores
et déjà remboursé], ce qui me permet de me reloger. Est-ce que je
vais devoir payer 2,5 % ? Du coup, ça va être juste pour me
reloger ! » L’avocate lui explique pourquoi le passage en SCI avant
le divorce n’est pas à son avantage : tant que le couple est marié et
en indivision, la prise en charge du prêt par l’homme relève de la
contribution aux charges du mariage (qui s’élève, du point de vue
du droit, à hauteur des facultés respectives des époux) ; dans le cadre
d’une SCI, c’est simplement le capital de l’homme qui va augmenter
au détriment de celui de son épouse au gré des remboursements. La
cliente indique que son époux a également proposé, à l’occasion du
passage en SCI, de faire donation de parts de la SCI à leurs filles, à
hauteur de 100 000 euros chacune. Il a à nouveau souligné les avan-
tages fiscaux de l’opération. L’avocate la prévient : « Oui, mais après,
madame n’a plus rien. Les filles, elles se feront [elles ont l’avenir
devant elles pour faire carrière et accumuler un patrimoine]. Oui,
les hommes pensent souvent comme ça, surtout ceux qui doivent
payer une prestation compensatoire. » Elle prévient sa cliente sur les
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sur une potentielle communauté de genre, rassemblant difficilement
des femmes professions libérales investies dans leur carrière et des
épouses dépendantes économiquement de leur conjoint. Il l’emporte
d’autant plus facilement que ces épouses ont peu de ressources finan-
cières et informationnelles pour percevoir et défendre leurs intérêts.
Souvent, elles méconnaissent la situation économique de leur couple
comme de leur époux, à qui elles s’en remettent largement pour
l’essentiel des tâches administratives comptables 37. Les inégalités
économiques entre hommes et femmes au sein des couples sont
donc redoublées par le consensus entre les avocat·e·s et les parties
sur la nécessité de minimiser le coût fiscal de la séparation. Ce
consensus est d’autant plus efficace qu’il n’a pas toujours besoin
d’être explicité. Il est parfois naturalisé dans les opérations de
comptabilité mises en œuvre par les avocat·e·s et leurs client·e·s.
35/ Observation réalisée par Anna Chamfrault et Sibylle Gollac, en novembre 2014.
36/ Selon l’Observatoire du Conseil nationale des barreaux, les femmes représentent 54 % de la profession.
D’après nos observations menées dans différents barreaux, elles sont largement majoritaires en droit de la
famille. En comparaison, seules 36 % des notaires sont des femmes d’après le Conseil supérieur du notariat,
même si au sein des études elles sont plus souvent chargées du droit de la famille. Mais elles sont aussi
plus souvent simples salariées et rencontrent moins fréquemment les client·e·s, en particulier la clientèle
régulière et privilégiée des offices.
37/ Ce type de configuration, également notée par Camille Herlin-Giret pour les assujetti·e·s à l’ISF (2016,
p. 201), se retrouve dans nos matériaux ethnographiques pour la plupart des couples au sein desquels
l’homme est chef d’entreprise et la femme ne participe pas à l’activité de cette entreprise. C’est essentiellement
lorsque l’épouse dispose de ressources propres suffisantes (financières et informationnelles, par exemple
parce qu’elle participe à l’activité de l’entreprise à un poste à responsabilité) qu’elle peut s’engager dans une
procédure contentieuse (pour un exemple dans l’agriculture, voir Bessière et Gollac, 2014).
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Monsieur Madame
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Revenu locatif sur un bien propre : 400 e/mois
Fermage sur des biens propres : 50 e/mois
Ressources mensuelles totales = 6 050 e
Charges Impôt sur le revenu : 1 586 e/mois Assurances : 62,50 e/mois
Taxe d’habitation résidence secondaire : Mutuelle : 50 e/mois
53 e/mois Taxe d’habitation : 1 896 e/an
Taxe foncière résidence secondaire : 55 e/mois Taxe foncière : 183 e/mois
Prêt immobilier résidence secondaire : 834 e/mois Gaz : 39 e/mois
Charges résidence secondaire : 90 e/mois Électricité : 138 e/mois
Assurances (bateau, voiture, habitations) : Redevance TV : 133 e /an
44 e/mois Téléphone : 50 e/mois
Loyer de l’appartement : 700 e/mois Eau : 19 e/mois
Électricité : 61 e/mois Crédit voiture : 170 e/mois
Téléphone : 30 e/mois Chaudière : 110 e/an
Charges mensuelles totales = 3 453 e Charges mensuelles totales = 889,50 e
Disponible 2 597 e/mois 305,50 e/mois
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taxes sur une maison qui ne m’appartient en rien et, en plus, dont
je n’ai pas la jouissance. » Finalement, la femme propose de revenir
à la répartition initiale des dépenses avec une pension de 1 000 euros
par mois. Les avocat·e·s, qui peinent à trouver un accord entre leurs
client·e·s dans un climat très tendu, trouvent alors l’argument décisif,
avancé par Grâce Dupont-Bernard : « Monsieur X, vous avez
conscience que c’est fiscalisé ; fiscalement, c’est avantageux pour
vous [la pension est déduite fiscalement des revenus du débiteur].
Madame, vous devez déclarer 1 000 euros : ce sera fiscalisé [la pen-
sion doit être déclarée aux impôts par la créditrice]. Pour vous mon-
sieur, ça fait un disponible de 1 597 euros et même un peu plus
avec la fiscalisation. Et pour vous madame, 1 305 euros de dispo-
nible, c’est acceptable ? » Les époux tombent alors d’accord 38.
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sion « juste » est remarquable : il consiste à équilibrer un disponible
obtenu en déduisant des revenus des deux ex-conjoint·e·s des
charges qui correspondent en fait à des niveaux de vie très différents.
Ainsi, l’homme déduit non seulement les frais de location d’une
résidence principale distincte, mais aussi des frais liés à une rési-
dence secondaire dont il a désormais la jouissance exclusive. Le
calcul effectué reprend tout à fait la logique d’une optimisation fiscale
classique en matière d’impôt sur le revenu, en particulier chez les
indépendant·e·s et professions libérales : il s’agit de déduire du
revenu le maximum de charges pour réduire le disponible qui est le
montant sur lequel sont ensuite focalisées l’ensemble des discus-
sions. Seule la femme remet en cause, encore que marginalement,
la légitimité de ces charges : elle affirme qu’étant donné la taille et
l’agencement de leur maison commune, l’homme pourrait continuer
à y habiter (ce qu’il refuse), mais elle ne demande pas la vente de
la résidence secondaire, ni ne propose de la prendre à sa charge (elle
considère qu’elle n’en a pas les moyens). L’argument de la fiscalité
revient, plus explicitement, de façon récurrente : il est à l’origine du
travail à temps partiel de la femme et il emporte l’accord de l’homme
sur une pension plus importante en échange du maintien à la charge
de la femme de frais qui sont précisément impossibles à déduire
L’application
d’un mode fiscalement puisqu’il s’agit d’impôts. La femme y perd, puisqu’elle
de comptabilité parvenait, avec le premier arrangement envisagé, à un disponible
forgé par
la domestication de 1 446 euros par mois avec moins de revenus à déclarer. On per-
du fisc aboutit çoit donc à nouveau, au travers de cet exemple, comment l’applica-
à un résultat
plus favorable
tion d’un mode de comptabilité forgé par la domestication du fisc
aux hommes. aboutit à un résultat plus favorable aux hommes. Là encore, la
38/ Observation réalisée par Céline Bessière et Aurore Koechlin en février 2014.
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CONCLUSION
En matière d’arrangements patrimoniaux, dans le cadre de pro-
cédures de divorces ou de successions, notaires et avocat·e·s ne
semblent jamais aussi à l’aise pour jouer avec le droit que
lorsqu’il·elle·s travaillent dans l’entre-soi, avec une clientèle choisie.
Si cet entre-soi peut se situer plus ou moins haut au sein de la
bourgeoisie, il rassemble des personnes dont la position sociale
dépend étroitement de l’accumulation et de la transmission d’un
patrimoine économique. Ces professions libérales du droit mettent
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alors à disposition de leurs client·e·s différents outils juridiques ou
marges de manœuvre, au service d’un intérêt qu’il·elle·s partagent :
celui de la reproduction du capital économique, aux dépens
d’une administration fiscale domestiquée. La maîtrise du droit dont
disposent certain·e·s dominant·e·s se joue ainsi en grande partie dans
le rapport au capital économique qu’ils partagent avec certaines pro-
fessions libérales du droit. Ce rapport commun au capital écono-
mique s’avère fortement genré, et les arrangements patrimoniaux qui
émergent dans les cabinets d’avocat·e·s et les offices notariaux se font
généralement au détriment des ex-épouses et des héritières. Lorsque
le législateur s’en remet au huis clos des cabinets des professions
libérales du droit pour régler des affaires familiales – comme lorsqu’il
confie, par la loi du 18 novembre 2016, le règlement et l’enregistre-
ment des divorces par consentement mutuel aux seul·e·s avocat·e·s
et notaires sans plus aucun passage devant le juge – c’est au jeu des
rapports sociaux de classe et de sexe qu’il renvoie les justiciables.
Céline Bessière
PSL University
Paris-Dauphine/IRISSO & Institute for Advanced Study
celine.bessiere@dauphine.fr
Sibylle Gollac
CNRS, CRESPPA-CSU
sibylle.gollac@cnrs.fr
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