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Non, il ne suffit pas de faire d’excel- vie courante n’offre guère d’occasions pas tellement d’importance... Mais elle
lentes photos d’un individu en faisant de se mettre en valeur de cette manière, a les larmes aux yeux, ce que bien sûr
preuve de la plus grande gentillesse, et même les gens riches hésitent parfois je ne vois pas, car j’en ignore la raison
pour réussir dans cette technique. Un à se confier à un photographe pour cen- profonde.
photodrame vrai s’inscrit dans un en- tupler leur image. Elle porte un pantalon très large, une
semble d’efforts : L’application des règles sévères du espèce de t-shirt coloré et un pull.
- effort pour inspirer confiance afin que photodrame ne garantit pas la réus- Pendant qu’on bavarde «bêtement» en
le jeune parvienne à communiquer ses site. Mais du moins aura-t-on tenté de tournant autour du pot, j’essaie de me
angoisses. Seule, la sincérité authen- faire «gravure sur marbre» au lieu de faire d’elle une idée plus précise. Son
tique favorise l’efficacité; se contenter d’une belle inscription sur visage est très harmonieux, des grands
du sable. yeux expressifs et intelligents, le corps
- effort pour que naisse le souhait d’une très bien proportionné.
Une dernière mise en garde s’impose :
collaboration en vue de réaliser un rien n’est plus nuisible pour un jeune En un mot, ce qu’on appelle à mon avis
photodrame et que s’établisse une individu que d’être aidé par une per- une fille, même exceptionnellement jo-
solide motivation; sonne maladroite. Cela peut provoquer lie.
- effort pour maîtriser les techniques des dégâts parfois irréparables. Comme moi, son copain lui conseille
photographiques tout en animant un Question-test avant chaque décision de revenir seule me parler de ses préoc-
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restent croisées tout le long de la dis- contrariété visible. Euphorisé par mon sûrement pas l’intention de rester au
cussion. succès facile, je deviens imprudent et Foyer jusqu’à la fin de sa vie. Suit une
Son intelligence est assez vive. gaffeur. Innocemment, j’évoque le dé- dédramatisation par l’absurde, gros
sastre de son «cul d’éléphant»... calibre : j’envisage la façon dont nous
Après que nous ayons échangé les ba-
Réaction dépressive immédiate. Inutile allons la nourrir sur sa chaise, etc.. Elle
nalités d’usage, on frappe à ma porte.
de poser d’autres questions. Solange finit par se lever et fait quelques pas
Un garçon vient demander quelque
s’effondre en larmes et bredouille des maladroits, les yeux rivés au sol malgré
chose et Solange, prête à fuir, propose
excuses pour s’être laissée aller. mes compliments.
aussitôt de partir et de revenir un autre
jour. J’insiste fermement pour qu’elle Lorsqu’elle est à nouveau capable de Pour atténuer la tension, je lui recom-
reste. parler, elle est si convaincante que mande de m’apporter une autorisation
je commence à avoir des doutes et, parentale écrite, car je ne puis faire de
Pendant près d’une heure, elle tourne
pour combattre ses inquiétudes et photos d’elle sans en informer ses pa-
autour du pot, parle de tout et de rien...
mon manque d’assurance, je vocifère rents. Et obtenir leur accord. Je crois
Elle évoque quelque chose «d’affreux»
comme un papa qui gronde sa fille. dans son intérêt de retarder le plus pos-
dans sa personne sans vouloir me don-
sible la séance photodramatique, car
ner la moindre précision. Je lui dis que malgré le pantalon dont
elle est actuellement bien loin d’être
Pressée de questions que je voudrais elle s’est accoutrée, moi, un homme,
disponible et détendue comme il le fau-
délicates, elle paraît prête à parler, puis déjà un peu vieux, je vois en elle une
drait.
se démonte, se tait, ne sait plus... jeune fille d’une beauté exceptionnelle.
J’espère que la communication d’in- Je sais aussi que de nombreux jeunes
Un moment de flottement. Je ressens éprouvent le besoin de parler avec
conscient vienne à mon aide.
une espèce de colère : «Elle vient me quelqu’un qui leur est proche avant de
voir, veut être aidée mais ne fait rien Des milliers de filles donneraient la
se lancer dans cette aventure photogra-
pour me donner un coup de main. Pe- moitié de leur vie pour lui ressembler.
phique. Au Foyer, les garçons eux, peu-
tite garce !». Puis, je regarde de plus Et moi-même je regrette de ne pas avoir vent profiter de la présence des éduca-
près son air triste, ses yeux humides vingt ans de moins en face d’elle... teurs, du médecin et de la psychologue.
d’angoisse et je me traite aussitôt de Sa réponse : «Vous ne pouvez pas com- Grâce à ma banale demande d’autorisa-
vieux salaud inaffectif. prendre». tion parentale, j’apprends que Solange
En effet, je me sens trop coupable de Impossible de l’arracher à son effon- adore son père, un homme très large
ma passagère indisponibilité pour cher- drement sans manifester une certaine d’esprit et affectueux, quoiqu’un peu
cher honnêtement les raisons profondes autorité. Je lui demande donc de se pudique et vieux jeu. Il donnera sûre-
de ma contrariété. Je fonce donc de ma- lever et de faire quelques pas naturels ment à Solange l’autorisation, et ce
nière aussi clownesque que possible en dans la pièce. d’autant plus volontiers qu’il connaît
pratiquant la dédramatisation par l’ab- le Foyer.
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bains qui ferme à clef, pour se changer. sions, l’entretien semble moins crispé Et elle me donne de tels détails sur
Solange demeure sur ses positions : qu’il n’était redouté.. l’énormité de son bassin qu’à nouveau
elle ne s’oppose pas aux changements Elle vient me voir. je me reprends un moment à douter. S’il
de vêtements, mais refuse la minijupe existait réellement une malformation
Très vite Solange sort de sa poche l’au-
et le short. discrète une petite dysmorphie invi-
torisation parentale de faire un pho-
sible sous un pantalon flottant ?
Persuadé que la moindre faiblesse de todrame avec un éducateur du Foyer.
ma part sur ce point ne peut qu’accen- Ses parents y expriment même leurs Je pose délicatement quelques ques-
tuer son blocage, j’adopte une attitude vifs remerciements… anticipés. Ce tions sur les visites médicales au cours
très ferme. Plutôt rompre que mal faire. message me met plus à l’aise. Solange de son enfance, au lycée, mais les ré-
Pas de minijupe, pas de photodrame. semble donc réellement souhaiter que ponses restent vagues.
Notre entretien se termine assez aima- j’insiste...
blement mais un peu comme un échec On ne peut faire boire un âne qui n’a Le refus
définitif. Cependant, à toute fin utile, je pas soif, ni vivre ou penser à la place
demande à Solange d’y réfléchir pen- des autres, me dis-je, et je rends à So- Solange me quitte avec la certi-
dant une semaine ou deux, avant de lange l’autorisation de ses parents; je tude qu’elle ne pourra pas me suivre
prendre une décision définitive. Si d’ici lui précise que l’accord parental est jusqu’au bout. Elle me trouve trop dur,.
une quinzaine de jours, elle ne m’a plus devenue superflu du fait de son refus. trop exigeant. En fin de compte, elle
donné aucune nouvelle, je considére- Mais comme ses parents attendent des dit préférer d’y renoncer. Je n’en suis
rais sa demande comme annulée. photos d’elle, il faut leur dire que nous guère persuadé, mais garde le silence.
Elle me quitte triste et gênée. Je l’en- ne sommes plus tout à fait d’accord. Ce Pendant près de quinze jours, aucune
courage de mon mieux en lui suggérant désaccord est dû entièrement à mes ma- nouvelle de Solange. C’est la période
de ne plus attacher autant d’importance ladresses. des vacances de Pâques et Solange s’est
à ces choses. Très sincèrement, je lui Solange réagit à ces mots par une atti- rendue en province chez ses grands-pa-
demande d’excuser mes maladresses tude très ambivalente. Elle boude, mais rents si j’en crois la carte postale au
en précisant que les torts ne sont jamais me parle quand même. Puis elle évoque texte neutre et laconique que je reçois
entièrement d’un seul côté et que son sa scolarité et de son lycée. Elle sait d’elle.
refus découle aussi de mon insuffi- qu’elle est bonne élève. Bien que l’écriture soit très claire, sa si-
sance. Elle m’apprend aussi qu’elle fait de la gnature est minuscule et assez confuse
«Ce n’est pas en vous que je n’ai pas danse classique... avec un professeur Un garçon du Foyer vient de la rencon-
confiance mais en moi», me lance-t- particulier depuis quelque temps, parce trer dans les rues de Vitry-sur-Seine.
elle en descendant l’escalier en bois qui qu’elle n’ose pas se montrer en collant Elle me transmet le message qu'elle me
mène à mon petit bureau. comme les autres élèves de son cours à téléphonera l’ un de ces jours.
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À mon regret j’en arrive à me poser des À nouveau, elle évoque son immense chers aux adolescentes. Pour la toute
questions quand même pas trop inhu- affection pour son père. Elle lui confie première fois, elle me quitte toute
maines quant à la perception de la réali- beaucoup de choses, mais n’ose abor- contente, le visage vivement coloré.
té chez certains adolescents. Je propose der avec lui ses préoccupations affec- Oh surprise ! Pour la première fois, elle
à Solange mon aide gratuite, je la reçois tives et instinctuelles. Lui n’en parle me fait une bise timide en me quittant.
longuement, en lui consacrant ainsi des jamais.
De mon côté je prépare la rencontre
longues heures de ma propre vie d’hu- À sa mère, Solange reproche un avec un maximum de minutie tech-
main. Elle adopte face à cela une atti- manque de confiance systématique : nique. La qualité des photos ne sera
tude d’enfant devant à ses parents. Tout «Chaque fois que je sors pour aller au qu’une confirmation de la vision moins
lui est dû, puisqu’elle n’a pas demandé cinéma ou chez une copine, ma mère anxieuse de son image corporelle.
de la mettre au monde. me fait comprendre qu’elle craint que
Il sera nécessaire de préparer une pièce
Deux jours plus tard, un nouveau coup je ne revienne enceinte».
plus grande que mon bureau pour avoir
de téléphone. Le ton semble encore Sans cesse, elle revient sur sa crainte de un maximum de recul et d’éclairage. Je
plus déprimé et suicidaire que la fois se dégonfler au cours du photodrame; retire aussi de la salle de bains tout ce
précédente. Solange accepte toutes les elle a littéralement peur d’avoir peur. qui l’encombre, j’y vérifie l’éclairage
conditions et son père l’y encourage Puis, elle parle même de sa grande ti- pour qu’elle puisse s’examiner dans un
vivement. De toute façon, précise- midité, surtout devant les garçons. Elle miroir, etc..
t-elle je n’en ai plus rien à perdre, je ne «avoue» d’avoir parfois des envies de
peux plus vivre comme ça. Sa voix est Je prépare surtout quelques thèmes de
tendresse et même plus…
basse, le ton dramatique. Elle ajoute en discussion.
Nous nous quittons dans les meilleures
pleurant : «Si le photodrame arrive à
conditions en fixant un dernier rendez-
me guérir tout ira bien. Sinon, je n’ai
plus envie de vivre».
vous avant le soir du photodrame. La soirée de
Le dernier entretien est très détendu.
Solange se dit maintenant tout à fait
photodrame (durée :
Le retour à l’aise en ma présence. Elle est sou- environ 3 heures)
riante et pousse quelques petits cris de
Pour la première fois, je n’ose pas du surprise quand je m’exprime de façon Il me faut admettre une certaine
tout plaisanter et lui fixe un autre ren- particulièrement absurde : «Mais vous anxiété une demi-heure avant l’arrivée
dez-vous. êtes fou», lâche-t-elle. Ma réponse la de Solange. Sur la technique, pourtant,
Entretien de deux heures. Toute ces fait sourire : «Que me conseilles-tu je n’ai aucune inquiétude; des prépa-
volte-face, cette lente évolution font pour me guérir de ma folie ?». ratifs savamment calculés limitent les
partie de la photothérapie. La seule Je sens cependant que cette gaieté risques d’échec à un minimum insi-
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Solange semble comprendre sans que Son problème paraît donc moins grave Hamlet prétend que l’être humain pré-
je lui explique le détail de ma pensée : que je ne l’ai redouté. Je pense que fère la mort au doute.
«J’ai peur que vous soyez déçu», me sans doute la violente dysmorphopho- Il faut qu’elle sache toute la vérité...
prévient-elle en retour. bie, ses anxiétés au niveau du bassin ne Qui ne risque ne gagne guère souvent.
Trois appareils dont un en grand format sont que la cristallisation d’autres petits
Enfin elle sort de la salle de bains,
chargés posés sur la petite table. J’en problèmes névrotiques datant sa petite
gauche et récalcitrante comme un ani-
profite pour souligner l’importance que enfance.
mal à l’entrée de l’abattoir.
j’attache à notre travail en commun et Quand elle est encore en minijupe, je
Je prends les premières photos de So-
je sens qu’elle sait combien je la prends lui suggère d’imiter une femme fatale,
lange en collant, en faisant quelques
au sérieux. type vamp, et elle accepte avec amu-
compliments. Crispations et silences
Ensemble nous plaçons des draps sur sement. Cette facilité inattendue me
de son côté; du mien, triomphe et as-
les murs de la pièce Il faut un fond déconcerte. Pour bien confirmer mon
surance. Il me semble que cette ado-
neutre, noir ou blanc pour ne voir que la impression je lui demande de faire : «la
lescente est en toute objectivité d’une
personne photographiée. Les punaises vamp sexy». Mouvement de recul. Je
beauté remarquable et rien dans ses
tombent par terre à cause d’une mala- demande aussi à Solange de relever très
formes ne prête à la critique.
dresse et cela devient assez comique. légèrement sa jupe pour mieux faire ap-
paraître ses genoux; elle hésite bien que Aucune malformation; seulement har-
Pour rire, j’en rajoute. Elle est, de toute
je lui certifie sur la photo on ne verra monie et jeunesse. Je trouve même
façon, plus adroite que moi.
rien du maillot de bain. que la finesse de son bassin pourrait lui
Solange est assez comédienne. Elle poser un petit problème à la naissance
épouse rapidement, presque à la per- Je dois sans cesse parler pour gagner
de son premier enfant. Sûr de mes ar-
fection, les états d’esprit que je lui sug- quelques millimètres de jupe. Pour
guments, j’élève la voix et allume la
gère. Elle me paraît exceptionnelle, sait dédramatiser ma demande, je profite
caméra électronique afin qu’elle puisse
illustrer la vieille dame aigrie ou sa prof pour démontrer à Solange combien nos
se voir sur l’écran. Mon attaque géné-
en colère. C’est aussi un petit entraîne- coutumes exercent sur nos attitudes une
rale est efficace : la décontraction s’ins-
ment du «jeu de soi». influence déterminante.
talle peu à peu. Solange finit par poser
Par moments, surgissent des bouffées Le cas échéant, un tout petit bout de gentiment, fait des pas de danse tout en
d’angoisse : «Tout à l’heure, pourvu maillot de bain resterait dans les limites grognant de temps à autre comme pour
que je ne me dégonfle pas...». de la convenance, mais, s’il s’agissait se livrer à un baroud d’honneur.
d’un bout de slip, certaines personnes
Après toute une série de photos, j’ai Elle me dit combien elle est heureuse
âgées en arriveraient même à parler
recours aux vingt minutes de palabres de se trouver en collant devant un
d’un manque de pudeur. Ce n’est donc
qui s’avèrent nécessaires avant qu’elle homme sans plus en être gênée. De
pas la partie corporelle qui choque,
ne consente à enfiler une minijupe. J’en temps en temps, encore un retour de
mais le vêtement.
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