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Centro Internazionale

di Semiotica e di Linguistica

Documents de Travail
et pré-publications

Catherine Kerbrat-Orecchioni

Comprendre l’implicite

/L::[,'i: d | "ll'l" gennaio-febbraio 1982 ‘ serie A


Comprendre l’implicite
document de travail ®

Il se pourrait bien que l’essentiel de ce qui dit un énoncé, il faille aller


le chercher «entre les lignes», dans ces profondeurs ot se dissimulent et
se sous-entendent les arrière-pensées des locuteurs. Quelle que soit la
bizarrerie de leur statut topographique, les contenus implicites méritent
donc que l'analyse s’y attarde. Les pages qui suivent ne donneront qu'un
mince aperçu d'une réflexion qui s'est nourrie de l'analyse d'un abondant
corpus, constitué d'énoncés pour la plupart empruntés à la langue quoti-
dienne, énoncés fort banals en apparence, et pourtant déja si complexes
que pour illustrer plus économiquement notre démarche descriptive
nous devons nous rebattre sur la simplicité canonique d'une phrase telle
que
«Pierre a cessé de fumers,
1l s'agissait pour nous d'identifier le plus précisément possible, dans
chacun des exemples de notre corpus, outre la nature des contenus
implicites véhiculés par l'énoncé,
(1) le support linguistique desdits contenus
@2) leur statut (de présupposé, sous-entendu, etc.)
(3) leur genèse enfin, c'est-à-dire les mécanismes sous-tendant leur
extraction.
Ainsi l'énoncé «Pierre a céssé de fumer» estil susceptible de véhiculer
les informations suivantes:
Co: / Pierre, actuellement, ne fume pas /
Support signifiant: la totalité du matériel lexical, syntaxique, prosodique
ou typographique constitutif de la séquence.
Statut: c'est un contenu explicite (posé).
Genèse: le décodage de C, repose exclusivement sur la compétence
linguistique du récepteur.
Cr:/ Pierre, auparavant, fumait /
comporte
Support signifiant: c'est d'abord I'item lexical «cesser de», qui
lequel va entrer en
un présupposé «il en était autrement auparavant»,
engendrer C *,
composition avec le contenu propositionnel C, pour
Statut: inférence (reposant sur un) présupposé(e).
eur se trouve encore
Genèse: seule la compétence linguistique du récept
impliquée dans l'extraction de cette inférence.
Sur C, et C, peut en outre venir se greffer — éventuellement, et entre
autres:
ferais bien d'en
Cx: / C'est pas comme toi qui continues à fumer, tu
faire autant, prends-en de la graine... !
s ici comme
(proposition complexe que pour simplifier nous traiton
unique).
C,+C, c'est-à-dire l'ensemble des deux contenus
Ancrage signifiant:
(ainsi que vraisemblablement, à l’oral, un signifiant de
hyper-ordonnés
nature intonative).
sous-entendu(e), qui ne
Statut: c'est une inférence (reposant sur un)
énonci atives particulières.
s'actualise que dans certaines circonstances
Genèse: outre la compétence linguistique (nécessaire pour décoder Co
à la compétence «ency-
et Cy), l’extraction de cette inférence fait appel
certaines informa-
clopédique» de l'allocutaire (c'est-à-dire qu'elle exige tabac,
tions contextuelles concernant le locuteur L — ce qu’il pense du
et l’allocutaire À — il fumait, il fume toujours,
sa relation à À, etc, —
compétence «rhétori-
il aimerait bien pouvoir s'arrêter .. .), ainsi qu'à sa
t, peut venir
que» (dans la mesure où cet énoncé, interprété littéralemen
que
enfreindre la «loi d’informativité» — si par exemple À le sait bien,
— si cette inform a-
Pierre a cessé de fumer — ou la «loi de pertinence»
tion sur Pierre n'a guère de chance d'intéresser A).

I. Les supports linguistiques des contenus implicites

sévit à ce qu'il paraît un mal bien étrange: c'est


En Union Soviétique
e existe
la schizophrénie «torpide», dont l'originalité consiste en ce qu'’«ell
Concep t
de manière assurée, en I'absence de tout symptôme observable».
quement:
commode, et rentable assurément — mais aberrant sém(é)iologi
ant; pour nous, foute
pour la sémiologie, pas de signifié sans signifi
nt dans
unité de contenu susceptible d'être décodée possède nécessaireme
tes
l'énoncé un support linguistique quelconque. Et les contenus implici

2
(en dépit de certains qui déclarent ou laissent entendre que 1'énonciation,
que le contexte extra-verbal serait parfois susceptible de créer ex nihilo,
miraculeusement, des significations verbales) n'échappent pas à la règle:
tout au plus peuvent-ils être le résultat d'un caleul compositionnel appli-
quant certaines données extra-énoncives à certaines informations intra-
énoncives.
Il convient cela dit de distinguer deux types d'ancrage des contenus
verbaux:
1) Nous parlerons d’«ancrage énoncif direct» d'une unité de contenu
lorsque celle-ci possède à la surface de l'énoncé un support signifiant
spécifique — simple ou complexe, lexical et/ou syntaxique et/ou proso-
dique et/ou typographique,
Ce mode d'ancrage caractérise tous les contenus explicites, mais aussi
certains types de contenus implicites: présupposés, illocutoire dérivé
«marqué», ainsi que certains sous-entendus à support intonatif, lexical
ou syntaxique.

2) Mais la plupart des sous-entendus relèvent de l'«ancrage énoncif


indirect»: le contenu implicite vient alors se greffer, selon un mécanisme
de «décrochement» analogue à celui qui caractérise certains des contenus
de connotation , sur la totalité ou une partie dun ou plusieurs des
niveaux de contenu hyper-ordonnés dans I'énoncé (ainsi dans I'exemple
de «Pierre a cessé de l'umer» le contenu C; récupère-t-il à son profit les
contenus supérieurs C et C,).
La structure sémantique globale d'un énoncé apparaît ainsi comme un
ensemble de propositions dérivant en cascade les unes des autres, la
description ayant pour but de reconstituer la chaîne interprétative con-
duisant des contenus les plus manifestes aux couches sémantiques les
plus enfouies et aléatoires.
Remarques.
— Les intonations, et plus généralement les faits prosodiques, jouent à
coup sûr un rôle décisif dans l'actualisation des contenus implicites.
Mais l'on ne sait à l'heure actuelle que bien peu de choses sur leur
fonctionnement et leur articulation en unités distinctives, Ainsi: existe-t-il
une intonation spécifique de I'insinuation ou de 1'allusion? de la subor-
dination implicite? En I'absence de réponse à de telles questions, il
demeure dans bien des cas impossible de préciser si tel ou tel contenu
implicite possède ou non dans 1'énoncé un ancrage direct.
— Toute unité de contenu, explicite ou implicite, possède un ancrage
direct ou indirect (donc direct, en dernière instance), sur lequel repose

3
prioritairement I'émergence du contenu en question. Mais cette émer-
gence est en outre le plus souvent sollicitée par des indices ou inducteurs
qui peuvent être de nature cotextuelle vs contextuelle (informations
extraites de l'environnement verbal vs extra-verbal).

I. Le statut des contenus implicites

Au sein du vaste ensemble des contenus implicites, dont nous dirons,


à la suite de Ducrot 1977, qu'à la différence des contenus explicites, ils
ne sont pas «présentés comme étant le véritable objet du dire» ¥, nous
envisagerons les catégories suivantes, qui sans couvrir la totalité du
champ de l’implicite, sont suffisamment générales pour englober la
plupart des faits y afférents.
1) Présupposés vs sous-entendus.

a) Les présupposés sont des informations qui, sans étre ouvertement


posées (c'est-à-dire sans constituer en principe le véritable objet du
message à transmettre), sont cependant automaliquement entraînées par
la formulation de l'énoncé, dans lequel elles se trouvent intrinsèquement
inscrites, quelle que soit la spécificité du cadre énonciatif.
Ainsi définie, la classe des présupposés subsume de nombreuses sous-
classes, que l'on pourrait distinguer sur la base de critères tels que:
— la nature (lexicale, syntaxique...) du support signifiant du contenu
présupposé

— la genèse de ce présupposé (qui peut reposer sur la compétence


linguistique, mais aussi sur celles que nous appelons plus loin «logique»
ou «logico-pratique»)
— la nature du contenu présupposé: cas particulier du présupposé
existentiel (les expressions définies présupposant ainsi l'existence de
l’objet qu’elles dénotent), ou encore de ces «présupposés pragmatiques»
qui portent sur certains éléments, non du contenu propositionnel, mais
de la situation d'énonciation: les propriétés extra-énoncives que l'on
considère, dans une perspective d'encodage, comme des «conditions pré-
liminaires» à la réussite d’un acte de langage peuvent en effet être envi-
sagées, dans une perspective de décodage, comme autant de présupposés
pragmatiques que véhicule l'énoncé prétendant effectuer cet acte. C'est
ainsi que «Cesse de fumer» n'est sémantiquement acceptable qu'à la
condition (qui s’attache au contenu propositionnel de l'énoncé, et vaut
pour toutes ses mises en forme pragmatiques) que À ait été fumeur;
mais il n'est approprié pragmatiquement (et ces conditions concernent

4
cette fois sa seule formulation jussive) que si A n'a pas déjà cessé de
fumer, s'il est en mesure de le faire, si L est en position de lui donner
des ordres, etc.. On dira donc que cet énoncé présuppose pragmatique-
ment (les présupposés pragmatiques pouvant bien sûr, au même litre
que les présupposés sémantiques, être transgressés) que de telles condi-
tions extra-énoncives sont réalisées.
b) Quant à la classe des sous-entendus, elle englobe toutes les valeurs
additionnelles dont l'actualisation reste tributaire de certaines données
co(n) textuelles particulières (ainsi une phrase telle que «Il est 8 heures»
pourra-t-elle sous-entendre, selon les circonstances de son énonciation,
«Dépêche-toi!», aussi bien que «Prends ton temps»); valeurs instables,
fluctuantes, neutralisables , dont le décryptage implique un «calcul
interprétatif» toujours plus ou moins sujet à caution,
Il conviendrait 1a encore, dans cet ensemble plus vaste, plus flou et
plus hétéroclite encore que celui des présupposés, de distinguer diverses
sous-classes selon
— le type d’ancrage du sous-entendu: direct ou indirect, et dans le
premier cas, intonatif, lexical (problème des «implications conceptuelles»,
et du magma des connotations qui viennent graviter autour des sémè-
mes), ou syntaxique (négation, forme temporelle ou modale, structure
hypothétique, structure emphatique de type «moi je», cte.…)
— la genèse du sous-entendu, son extraction mettant souvent en branle,
outre la compétence linguistique de A, ses compétences encyclopédique,
logique ou rhétorique
— la nature du contenu sous-entendu (l’sinsinuation» el l'«allusions
constituant ainsi, de par leur spécificité sémantique, deux cas particuliers
de sous-entendus) ‘
— leur «degré d'évidence» enfin, ou de «force d'actualisation», les sous-
entendus qui s'attachent à une séquence pouvant être en effet plus ou
moins contestables ou incontestables, stables ou instables, timides ou
assurés, comme il apparaît en comparant par exemple:

(i) «Ceux qui prendraient la responsabilité de diviser la gauche au nom


de l'intérêt électoral de leur Parti se condammeraient aux yeux de tous.
Nous, Socialistes, nous n'avons jamais mis de condition à l’union», et
(ii) «Le parti n'est pour les socialistes que l'instrument des luttes, Il
n’est pas une fin en soi».
Dans ces deux déclarations socialistes (mars et juin 1978), il est permis
de voir une allusion au P.C.F. Mais l’allusion est nettement plus «claire»,
plus appuyée dans le premier énoncé — où elle repose sur un certain

5
e en-rais», l'indice typo-
nombre de marqueurs linguistiques: la «form
nt au substantif «parti» une
graphique que constitue la majuscule donna
conjugués permettant
«valeur prégnante» bien précise, ces deux marqueurs
prend la responsabilité de
d'engendrer l'inférence «le parti communiste
intérêt électoral»; et dans la
diviser la gauche au nom de son propre
qui sous-entend «c’est pas comme
seconde phrase, la structure emphatique
de: «les communistes ont
d'autress, donc à la lumière de ce qui précè
— que dans le second, où seule
mis certaines conditions à l'union»
socialistes» tend à véhiculer, en
l'expansion prépositionnelle «pour les du type
té, un sous-entendu
vertu des lois d’informativité et d'exhaustivi
nts», sous-entendu d’ailleurs
«il n'en est pas de même pour d'autres milita les partis poli-
comme pour tous
suspensible («pour les socialistes —
le contenu très général — si ce
tiques»), et dont rien ne vient spécifier
l'on va convoquer de l'extérieur,
n'est, bien sûr, des informations que
«encyclopédique», sa connaissance
c'est-à-dire puiser dans sa compétence
savoir contextuel qui intervient
du contexte en l'occurrence politique;
de manière plus redondante donc
dans le premier cas également, mais
ts les indices linguistiques d'un
accessoire: plus sont ténus et discre
de faire compensatoirement appel,
sous-entendu, et plus il est nécessaire
de nature extralinguistique.
pour le décrypter, à des informations
est ainsi fonction de facteurs à
Le degré d'évidence d'un sous-entendu
faits extralinguistiques pertinents)
la fois externes (degré de notoriété des
e être nul, des supports linguisti-
et internes (nombre, qui peut à la limit qui peuvent
mais aussi statut de ces marqueurs,
ques du sous-entendu;
, certains sollicitant avec insistance
être plus ou moins fortement codés
d'autres, plus timides, se contentent
telle interprétation, cependant que
ux ct aléatoires d'une valeur que
de n’être que les indices flous, capricie
llement — cet axe d’opposition, où
la structure ne comporte qu'accidente
d'«insistance» sémantique dé-
l'on pourra ainsi localiser, par ordre
la manière suivante: indice typo-
croissante, nos exemples précédents de
atique/expansion restrictive,
graphique/forme en -rais/structure emph
s bases qu'il semble au
étant bien entendu graduel). Et c'est sur de telle
le d'implicitation, et
moins partiellement possible d'édifier une échel e
aise foi susceptible d'êtr
corrélativement, de mesurer le degré de mauv
cites .
observé dans le maniement des contenus impli

2) La notion d'inférence.
dans le champ de
Faisant bon marché d’un passé qui inscrit ce terme
façon quelqu e peu métapho-
la logique formelle, et l'utilisant donc de
ite que l’on peut
rique, j'appellerai «inférence» toute proposition implic des
littéral en combinant
extraire d'un énoncé, et déduire de son contenu
es, posées, présuppo-
informations de statut variable: internes ou extern

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sées ou sous-entendues. Dans «Pierre a cessé de fumer», je considérerai
par exemple que le verbe «cesser» comporte un présupposé sur la base
duquel s’édifie l'inférence (présupposée) «Auparavant Pierre fumait»:
la notion d’inférence est donc parfaitement compatible avec les deux
précédentes.
Remarque: pour désigner un objet similaire, certains préfèrent parler
d'eimplication», ou d'«implicitation» (ces deux termes entrant en con-
currence pour traduire l’«implicature» de Grice); et tentent de distin-
guer — le problème, qui sera repris plus loin, étant de savoir dans quelle
mesure une telle distinction est opératoire s'agissant d’énoncés en langue
naturelle — d’une part, des propositions déduites d'opérations s'appa-
rentant à celles de la logique formelle, d’autre part, des propositions
construites selon des procédures spécifiques de la «logique naturelle»
(considérations énonciatives, action des maximes conversationnelles),
les systèmes terminologiques de Wilson et Sperber 1979, et Recanati
1979 a et b se présentant comme suit:

(inférence=) implication (Recanati)


seSE E
(Wilson et Sperber) implication implicitation
(Recanati) implication logique implication conversationnelle

3) Les tropes.
Soit, extraits du même «Booz endormi», les deux vers suivants:
(i) «Sa gerbe n'était point avare ni haineuse» (v. 10).
(i) «Cette faucille d’or dans le champ des étoiles» (v. 88).
En plus de l'hypallage que comporte le premier vers, certains (Caminade,
pour ne pas le nommer) se sont plu à voir dans le mot «gerbe» une
connotation sexuelle ®; connolation quelque peu paradoxale si l’on
n'envisage que le cotexte étroit où il est plutôt question d'impuissance
sexuelle — qu'à cela ne tienne: la connotation est donc ironique, pourra-
ton rétorquer à René Pommier, qui dans un virulent pamphlet eut beau
jeu de dénoncer dans cet exemple «les couillonnades du Docteur Cami-
nade», et plus généralement, l'obsession phallique des descripteurs con-
temporains — mais qui devient beaucoup moins délirante si l'on tient
compte de l'ensemble de ce poème où l'isotopie sexuelle se trouve à
l'évidence en plus d'un lieu connotée.
Mais en tout état de cause, même si l'on admet l’existence d'une telle
connotation, cela n'autorise en aucune façon à parler de métaphore à
propos du mot «gerbe»: c'est son sens propre et littéral qui s'actualise

7
prioritairement et qui assure à lui seul l’isotopie textuelle, cependant
que le contenu sexuel ne constitue tout au plus qu'une valeur ajoutée,
secondaire et marginale par rapport au sens propre: c'est ici de conno-
tation métaphorique (et ironique) qu'il convient (à la rigueur) de parler.
Il en est tout autrement de la «faucille d'or», dont le fonctionnement
sémantique péut être ainsi décrit:

Se_ — /faucille/ —> littéral m connoté


Srt
S,2 = /lune/ — dérivé mais dénoté.

Le sémème; s'actualise d’abord, parce qu'il s’attache au signifiant en


vertu d'une règle lexicale intériorisée en compétence; mais certains
facteurs (d’ordre ici cotextuel: présence, entre autres, de l'anaphorique
«cette») viennent bloquer son fonctionnement dénotatif, et susciter la
quéte d'un sens second. Une fois atteint le Su, le Sx n'est certes pas
totalement oblitéré: il se maintient sous forme de «trace connotative»,
c’est-à-dire que l’«image» de la faucille vient «s'associer» à celle de la
lune pour en enrichir la représentation. Mais c'est bel et bien le Sw
qui assure la cohérence interne et l'adéquation externe de l'énoncé
(puisque c’est précisément le désir de restaurer une adéquation ou une
cohérence perturbées par le sens littéral qui suscite son émergence): il
y à, alors, métaphore proprement dite, c'est-a-dire trope.

La même analyse pourrait être menée à partir de cas d'ironic, de mé


tonymie, de litote, ete.: le trope n'est identifié comme tel qu'à partir
du moment où s'opère, sous la contrainte de certains facteurs co(n)
textuels, ce renversement de la hiérarchie usuelle des niveaux sémanti-
ques: sens littéral dégradé en contenu connoté, sens dérivé promu en
contenu dénoté.
Précisons au passage que pour différencier le statut des différentes unités
de contenu susceptibles d'être véhiculées par une séquence, nous admet-
tons les distinctions suivantes:

(1) Contenus littéraux vs dérivés:


— littéraux = inscrits dans la séquence en vertu d'une règle linguistique
stable; leur décodage fait appel à la seul connaissance du code linguis-
tique; il est donc immédiat, et premier,

N.B. Les signifiants verbaux possèdent en général, au sein même de ce


code linguistique, plusieurs sémèmes le plus souvent hiérarchisés: on
oppose alors au sens «propre» les sens «non-propres» — ou «dérivés»;

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mais le terme est ambigu, puisqu’il peut désigner des dérivés-en-langue
(littéraux donc), ou des dérivés-en-discours (non litteraux);
— dérivés (-de-discours) = se greffent en co(n)iexte, selon des méca-
nismes divers, sur les contenus littéraux; plus ou moins instables et
inédits; décodage médiat, second, plus ou moins aléatoire.

(2) Contenus explicites vs implicites:


— explicites = constituent en principe le véritable objet du dire;
— implicites = ne constituent pas en principe le véritable objet du dire,
mais s'actualisent subrepticement à la faveur des contenus implicites.
Dans la grande majorité des cas, on peut poser:
contenus littéraux = explicites/dérivés — implicites,
mais les présupposés viennent brouiller ce système d’équivalences, qui
sont à la fois littéraux, et implicites (les sous-entendus étant, quant à eux,
dérivés et implicites);

(3) Contenus dénotés vs connotés:


— dénotés = constituent en co(n)texte l'objet véritable du message,
dont ils assurent l'isotopie;
— connotés = valeurs additionnelles, prériphériques, marginales …
On peut en général poser:
contenus dénotés = explicites/connotés = implicites,
mais ces équivalences se trouvent perturbées cette fois dans le cas des
tropes d'invention, qui obligent à dissocier les axes (2) et (3) (le cas des
tropes lexicalisés se ramenant au problème général de la polysémie,
et échappant à la problématique de l'implicite: lorsque je produis une
méthaphore lexicalisée, j'actualise un sémème qui n’est sans doute pas
«propres, mais qui n'en est pas moins littéral et explicite) *.
Revenonsen maintenant aux deux phénomènes précédemment mis en
évidence:
— Les «connotations métaphoriques» ou «ironiques» («Sa gerbe. . .»),
ainsi du reste que toutes les connotations sémantiques, peuvent être
assimilées aux sous-entendus, dont elles partagent toutes les propriétés
(caractère additionnel, périphérique, aléatoire...): ce sont des valeurs
dérivées, implicites, ct connotées, qui viennent se greffer sur des sens
littéraux, explicites, et dénotés.
trope,
— Dans la métaphore («cette faucille . »), l'ironie, ou tout autre
exceptio nnelle-
ces mêmes types de contenus sous-entendus deviennent
ion a
ment, sous la pression du co(n)texte, dénotés. Le trope d'invent
un contenu implicite
donc pour spécificité de convertir en contenu dénoté
(donc normalement connoté).

Remarques.
les critères
— Dans un trope patent (car ils sont loin de l'être tous:
s pour rendre
d'identification du trope sont souvent trop subtils et fragile
le conten u implici te opère en
«décidables» tous les cas empiriques),
e» ‘ qui pourra it inciter à
quelque sorte une «remontée vers la surfac
explici te. 11 garde bien
le considérer comme alors converti en contenu
propos ée, son statul
pourtant, si l'on admet la définition initialement
en principe le véritable
d’élément implicite, puisqu'il ne constitue pas
co(n)texte: le trope est une dé-
objet du dire, même s'il le devient en
(2) et (3) a précisément pour
viance — et la distinction des axes
institue entre la «légalité»
fonction de marquer ce décalage que le trope
codique, et l'«accident de discours» ”.
en contenus dénotés certains types de
— Donc, les tropes convertissent
types seulement, que la rhétorique classique a
sous-entendus; certains
et l'on pourrait se demander pourquoi certains
en partie inventoriés —
sens littéral et sens dérivé
types de relations sémantiques existant entre
trope. Remarquons
d'une séquence peuvent seulement venir fonder un
phori que, métonymique
tout de méme que les connotations métha
ue, etc., ne sont pas vrai-
synecdochique, ironique, litotique, hyperboliq
ue.
ment les seules à pouvoir se prêter à un usage tropiq
Ainsi dans le slogan publicitaire suivant:

«Sans beurre, la vie n'a pas de sels,


naturelle,
qui sous-entend, pour des raisons propres à la logique
«Avec du beurre, la vie a du sel»“”,
le véritable objet
c’est manifestement le contenu implicite qui constitue
n essenti elle d'un message
du message: parce que l'on sait que la fonctio
nguistique),
publicitaire, c'est de promouvoir un produit (indice extrali
cotextu el «hétéro-
et que c'est sur ce produit que focalise l'image (indice
beurrée) qui accom-
sémiotique»: photo d’une fort appétissante tartine
pagne cet énoncé verbal.
ent, et fréquemment,
Le même type de processus se rencontre égalem
présuppositionnel dès
pour les présupposés, et nous parlerons de trope
er d'abord de ce
lors qu’un énoncé est manifestement utilisé pour inform

10
qu’il présuppose, ainsi
(i) «Pierre a cessé de fumer»
(ii) «Pourquoi est-ce que tu ne m'aimes plus?»
(iii) «Jai laissé ma voiture au garage
mon mari à Paris»,

lorsque ces énoncés signifient en fait, en co(n)texte:


«Pierre fumait»
«Tu ne m'aimes plus»
«J'ai une voiture, un mari»,

le fonctionnement sémantique de (i) pouvant en effet être alors décrit


comme suit:
Co: /Pierré ne fume pas actuellement/: contenu explicite, mais
connoté;

C /Pierre auparavant fumait/: contenu implicite mais dénoté.


Les «présupposés pragmatiques» peuvent semblablement faire l’objet
d'un usage tropique: dès lors que l'on a de bonnes raisons de supposer
qu'un énoncé est utilisé essenticllement pour signifier que les conditions
d'emploi qui caractérisent l'acte de langage en question sont effective-
ment réalisées, c'est-à-dire pour informer de ce qu'il présuppose pragma-
tiquement, on peut considérer que l’on a affaire à un trope présuppo-
sitionnel. Ainsi lorsqu'un locuteur, dans une situation de communication
relativement formelle (débat public, question posée à un conférencier),
voulant par là signifier qu'il connaît personnellement celui auquel il
s'adresse, s'arrange pour glisser un «tu» dans son énoncé, qui apparaît
alors comme essentiellement «fait pour ça»; ou lorsqu'un ordre est donné
«avec l'intention principale d'affirmer, sur le mode implicite, qu'on est
en situation d'en donner (...): il suffit de penser à la scène de Ruy Blas
où Don Salluste, pour rappeler à Ruy Blas, devenu duc et ministre, qu’il
reste néanmoins domestique, lui ordonne successivement, et d'une fagon
présentée comme gratuite, de fermer une fenêtre et de ramasser un
mouchoir» (c'est donc ici la «gratuité» de l’ordre, donc une infraction
aux lois de pertinence et de sincérité, qui dénonce le trope); ou bien
lorsqu’«on pose des questions pour ne pas laisser oublier — sans en
faire toutefois I'objet d'une déclaration explicite — qu’on est autorisé
à en poser» ™. Donnant encore d'autres exemples de formulations dé-
tournées de ce type, et signalant leur Fréquence, Ducrot (1972, pp. 9-10)
parle à leur sujet de «figures»: il s'agit méme 13, dirons-nous, d'un cas
particulier de trope.

11
Il en est d’autres encore, on le verra sous peu.

4) L'illocutoire dérivé.
et Searle, il est commun de reconnaître l'existence, au
Depuis Austin
ent
sein de cet ensemble hétérogène d’unités de contenu qui constitu
le «sens global» d'un énoncé, de valeurs particulières que l'on dit «illo-
cutoires», et qui ont pour spécificité de permettre à l'énoncé de fonction-
ner comme un acte de langage déterminé; done d'admettre qu'en pro-
fondeur, ce sens se laisse décomposer en deux constituants:
contenu propositionnel (c.p.) + valeur illocutoire (v.i.).
, dont on peut
Or il arrive souvent — dans le cas des actes de requête
ctemen t, mais aussi
penser que la plupart d'entre eux se formulent indire
doublement,
dans bien d'autres cas — qu'un même énoncé se trouve
sa v.i. primitive
voire n-fois, chargé illocutoirement, c'est-à-dire que sur
v.i. dérivées (Scarle
(directe, littérale) viennent se greffer une ou plusieurs
parlant alors d'«indirect speech act»).
ont été ici précé-
Il s’agit là d'une problématique parallèle à celles qui
compli quer la des-
demment développées, et qui vient singulièrement
qui s’y attache
cription du contenu des énoncés puisque chaque niveau
el et illo-
doit lui-même être décomposé en deux éléments, propositionn
cutoire:
«Pierre a cessé de fumer»:
te) =
C,: /Pierre, actuellement, ne fume pas/ (contenu littéral explici
CPp.…: /Pierre ne pas fumer en Tof +
V.. : constat
Cy: /Pierre, auparavant, fumait/ (inférence de premier niveau,
présupposée) =
» /Pierre fumer en un moment antérieur à To/ +

C;: /C'est pas comme toi, tu ferais bien d’en faire autant.../
(inférence de second niveau, sous-entendue)
cpa: /A fumer toujours en T,, ne devrait pas /
viz: reproche, mise en garde, recommandation . ..
-
L’émergence d'un c.p. et celle d'une v.i. dérivée ne sont donc pas nécessai
rement corrélatives, et trois cas de figure peuvent se rencontrer:

— modification du c.p. sans modification de la v.i: c'est ce qui se passe


de C. à Cy;

12
— modification de v.i. sans modification de c,p.; ex.: «Tu me passes
la confiture?», lorsque cet énoncé en fait signifie: «Passe-moi la confi-
ture»;

— modification simultanée des deux; ex.: le passage de € à C,, ou du


contenu littéral de «Il fait chaud ici» à l'inférence «Ouvre la fenêtre».
1l importe d'autre part de noter que le statut de la v.i. dérivée peut consi-
dérablement varier d'un énoncé à l'autre. Pour simplifier la description
(car on à une fois de plus affaire à un axe graduel), nous distinguerons,
sur la base des enchaînements possibles, deux cas:
(1) La dérivation allusive. Exemples:
«Si, d'un certain ton, on me demande «A quoi sert la linguistique?»,
me signiliant par là qu'elle ne sert à rien, je dois feindre de répondre
naivement: «Elle sert à ceci, à cela», et non, conformément à la vérité
du dialogue: «D'où vient que vous m'agressez?». Ce que je reçois, c'est
la connotation; ce que je dois rendre, c'est la dénotations (Barthes
1971, p. 19); ou plus clairement encore:
«La lampe de la cuisine est cassée», «Il fait chaud ici», assertions dans
lesquelles peuvent se dissimuler les ordres «Répare-la», «Ouvre la fené-
tre», sans qu'il soit possible d'y rétorquer «Je ne peux pass: c'est que la
valeur dérivée reste par rapport à la valeur littérale secondaire et margi-
nale, c’est-à-dire, comme le voit justement Barthes, connotée. Il s'agit
là d’une de ces nombreuses unités de contenu qui sont tout à la fois
dérivées, connotées et implicites: c'est un sous-entendu illocutoire (à
ancrage indirect: «non marqué» en surface).

(2) Tout le monde s'accordera en revanche à juger provocatrice, si elle


ne s'assortit pas d’un comportement corporel approprié, une réponse
de type «oui» à une question telle que

(i) Pourrais-tu ouvrir la fenêtre?»

et il arrive que l'on observe des enchaînements tels que


(ii) «Je viens de faire du café — Volontiers».
Ces deux exemples ont en commun d'illustrer le fait que l'on peut ou
doit, dans certains cas, enchaîner sur la v.i. dérivée d'un énoncé, et traiter
comme une requéte ou une offre un acte primitif de question ou d'asser-
tion. Dans certains cas, la valeur dérivée vient subtiliser à la valeur
primitive sa fonction dénotative: on peut alors parler de trope (illo-
cutoire).
Mais ils s’opposent de la façon suivante:

13
- En (i) l'enchaînement sur la valeur dérivée est quasiment impos¢; par
quoi? par le code linguistique lui-méme, qui spécifie qu'une telle
structure, dans certaines circonstances (car elle est ambiguë), exprime
ouvertement une requête: c'est de l’illocutoire «marqué» (ancrage direct),
et «conventionnel» — en d'autres termes: un trope illocutoire lexicalisé.
La valeur «dérivée» dont il s'agit ici est une valeur dérivée-en-langue:
même si elle n'est pas «propres, elle est donc littérale, et explicite e
- En (ii) au contraire, l’enchaînement sur la v.i. dérivée est exceptionnel:
c'est en effet une valeur dérivée-en-discours, que rien ne «marque»
explicitement dans la séquence signifiante (mais que sollicite un «beha-
viourème» extra-verbal: le comportement corporel de L, qui joint à la
parole le geste de l’offre). Autrement dit: c'est un sous-entendu, occa-
sionnellement promu en contenu dénoté, et fonctionnant de ce fait comme
un trope illocutoire d’invention.

Récapitulons.

— On peut opposer trois types de valeurs illocutoires:

(1) vi. primitives (ex.: la valeur interrogative dans «Pourrais-tu ouvrir


la fenêtre?») = valeurs «propres» que possède en langue une structure
donnée; ancrage direct

@) v.i. dérivées conventionnelles (ex.: la valeur jussive que cette même


phrase reçoit dans la plupart des contextes) — valeurs «non-propres»,
mais néanmoins inscrites en langue‘”; ancrage direct; lorsqu'elles
s'actualisent, constituent un trope illocutoire lexicalisé, dont le décodage,
comme celui de tous les tropes lexicalisés, obéit aux règles générales
de monosémémisation des séquences polysé(mé)miques
(3) v.i. dérivées non conventionelles = valeurs sous-entendues à ancrage
indirect
- qui restent connotées dans la dérivation allusive (ex.: «Il fait chaud
ici» — «Ouvre la fenêtre»),
- mais deviennent dénotées dans le cas du trope illocutoire d'invention
(ex.: «Je viens de faire du café» — «Veux-tu du café?») 90,
— Les tropes d'invention consistent tous en la conversion d'un contenu
implicite en contenu dénoté: une telle définition, qui permet de récupérer
I'ensemble des tropes «classiques», permet aussi d’en élargir, nous l’avons
vu, l’inventaire — inventaire que l'on pourrait typologiser sur la base du
statut du sous-entendu dénoté. C’est ainsi que l’on pourrait distinguer:
(1) les tropes sémantiques: métaphore, métonymie, synecdoque, litote
et hyperbole, et sans doute quelques autres encore (l'ironie relevant

14
simultanément, ainsi que nous l’avons ailleurs montré, des catégories (1)
et (2))
(2) les tropes pragmatiques:
- énallages (de temps, de personne, d'aspect) ™, qui relèvent de la
«pragmatique énonciative» dans la mesure où ils investissent des unités
déictiques
- tropes illocutoires, qui relèvent de la «pragmatique illocutoire»
(3) les tropes présuppositionnels enfin, dont l'ensemble pourrait être
réparti, selon qu'ils mettent en jeu un présupposé «sémantique» ou
«pragmatique», entre les catégories (1) et (2) #.
— Reste le problème des indices du trope, c'est-à-dire des facteurs qui
viennent solliciter et spécifier la lecture tropique: il renvoie au problème
général de la façon dont s'actualisent et son extraits de l'énoncé les
contenus implicites quels qu’ils soient,

I. Genèse et décodage des contenus implicites

Interpréter un énoncé, c'est tout simplement, qu'il s'agisse de ses conte-


nus explicites ou implicites, appliquer ses diverses compétences aux
divers signifiants inscrits dans la séquence: voilà pour le principe géné-
ral — tout simple... Mais les mécanismes interprétatifs apparaissent
dans toute leur effroyable complexité dès lors que l'on admet l’existence,
aux côtés de la compétence strictement linguistique, d’autres compétences
dont les domaines respectifs et les modalités d'intervention sont fort
délicats à préciser.

A. Les compétences des sujets parlants

Pour le moment du moins, nous en distinguons quatre:

1) La compétence linguistique.
Elle prend en charge, pour leur associer des signifiés en vertu des
règles constitutives de la «langue», les signifiants textuels et cotextuels.
Les signifiants textuels sont toujours impliqués, directement ou indi-
rectement, dans l'émergence des valeurs qui s’y attachent. Les signifiants
cotextuels jouent un rôle subsidiaire, mais souvent néanmoins décisif,
dans le décodage des contenus tant explicites (monosémémisation des
unités polysémiques) qu'implicites (sollicitation d'un sous-entendu,
constitution d’un trope). Le contexte pertinent peut être de nature et de
dimension variables: étroit ou large, discret ou contraignant, il peut
avoir l'évidence d'un commentaire métalinguistique — signalant l'ironie,

15
la métaphore, la litote («j'ironise», «je galège», «pour parler par mé-
taphore», «ce n'est qu'une image», «c’est le moins qu'on puisse dire»),
prévenant d'un trope illocutoire («j'ai l'air d'asséner des choses mais
en réalité je m'interroge . .»), conjurant un fait de dérivation illocutoire
(«c'est une vraie question», «ce n'est pas un reproches, «je ne dis pas
ça pour te vexer .. ») etc. —, prendre les formes d'une anomalie combi-
natoire, d'une contradiction interne à l’énoncé, ou plus subtilement,
de certaines connotations ou inférences plus ou moins lointaines qui
viennent infléchir ou enrichir le sens de la séquence observée.
Rappelons enfin que la compétence linguistique n'est pas, au sein d'une
méme «communauté linguistique», homogène: ce qu'on appelle la «langue
française» n'est qu'un «diasystème» abstrait intégrant d'innombrables
variantes dialectales, sociolectales et idiolectales; et que c'est un objet
complexe (un «hypercode», dit Umberto Eco) dans lequel s'articulent
diverses composantes — lexicale, syntaxique, prosodique, pragmatique,
stylistique (connaissance des différents registres de langue), typologique
(ou «discursive»: connaissance des règles spécifiques à tel ou tel type
de discours), etc..

2) Les compétences «culturelle» (ou «encyclopédique») et «idéologiquen.


Si la compétence linguistique permet d’extraire les informations intra-
énoncives (contenues dans le texte et le cotexte), les compétences cultu-
relle et idéologique se présentent commeun vaste réservoir d'informations
extra-énoncives (ou si l'on veut, énonciatives) portant sur le contexte ,
et dont une partie se trouvera éventuellement mobilisée lors des opé-
rations de décodage; ensemble de savoirs sur, et de systèmes interpré-
talifs de, l'univers référentiel (U), que l'on appelle, c'est selon, «infor-
mations préalables», «informations en coulisse» (Zolkovskij), «postulats
silencieux» (Korzybski), «complexe de présupposés» (Schmidt), «système
discursif de base» (Flahault), «background» (Searle), et qui peuvent être

— actifs ou passifs (mobilisés ou non)


— généraux ou spécifiques
— relatifs au monde (en général, ou en particulier — on parle alors
d'informations situationnelles) ou aux actants d’énonciation (en général,
ou en particulier: interviennent ainsi dans le décodage l'ensemble des
images que L se fait de lui-même, se fait de À, imagine que À se fait de
A et de L, et que À se [ait de celles que L se fait de A et de lui-même .… ;
et symétriquement, l'ensemble des images que A se fait de lui-même,
de L, etc.
— «partagés» (par les deux actants d'énonciation) ou non, car ces

16
compétences culturelle et idéologique varient d'un sujet à l'autre dans
des proportions considérablement plus importantes encore que la compé-
tence linguistique ™, et c’est là ce qui fonde sans doute la grande
majorité des cas de dissymétrie entre encodage et décodage
— neutres ou évaluatifs, l'ensemble des informations évaluatives sur
U (jugements de valeur véhiculés par les expressions axiologiques, «lieux»
cristallisés dans les maximes et proverbes, etc.), qui peuvent être plus
ou moins endoxales ou para-doxales, constituant ce que nous appelons
la «compétence idéologique» du sujet parlant.
Cette compétence idéologico-culturelle agit tous azimuts. Elle intervient
déjà dans le décodage des contenus explicites (par exemple, dans l'éta-
blissement des relations de co-référence; et du fait que les propriétés
véritablement sémantiques des items se mélent inextricablement aux
informations encyclopédiques portant sur leur dénotatum); mais de
façon beaucoup plus évidente et massive, dans celui des contenus impli-
cites. Pour décrypter un sous-entendu, une allusion, il faut le plus
souvent faire appel à un savoir extra-énoncif spécifique — les exemples
sont trop innombrables pour qu'il soit besoin d'en mentionner un seul:
la compétence culturelle du lecteur y pourvoira. Il le faut également,
pour identifier certains tropes. Interviendront par exemple: ce que l’on
sail du dénoté réel, dans les métaphores de situation; ce que l'on sait
des savoirs de L, de ses capacités intellectuelles, ses options idéologiques,
ses caractéristiques psychologiques générales, et ses motivations parti-
culières au moment de l'acte de parole, dans le cas des faits d'ironie,
tropes illocutoires, ou présuppositionnels (que dénonce en général le fait
que l'on a de bonnes raisons de supposer que L sait que A connaît déjà
l’information présupposée).
Tous les discours s’échafaudent sur la base de «postulats silencieux»,
engrangés dans la compétence encyclopédique, et qu'il s'agit au décodage
de reconstituer si l'on veut «comprendre» l'énoncé. De tels postulats
peuvent être représentés métalinguistiquement sous la forme de propo-
sition formellement analogues à celles qui représentent les contenus la-
tents # — mais à condition de ne pas oublier qu'elles sont statutairement
hétérogènes: au lieu d’être supportées par la séquence signifiante, de
telles informations sont convoquées de l'extérieur pour permettre son
interprétation. Il importe done d'utiliser, dans la description de cette
«chaîne interprétative» qu'il sagit de mettre au jour, un système de
codage qui différencie clairement ces deux types d'informations, internes
(explicites ou implicites) et externes (implicites donc, toujours), tel que:

17
séquence S, propositions extraîtes
1 de la compétence
propositions inscrites, C encyclopédique:
explicitement ou ; IR Py
implicitement, dans C .
. ;
la séquence
ï P
Cs

Lors des opérations de décodage, les compétences linguistique et cultu-


relle se prétent mutuellement leur concours, et un constant va-et-vient
s'effectuc entre les informations internes et externes: un terme «intrinsè-
quement axiologique» (identifiable donc par la compétenc linguistique)
permettra par exemple de fournir à A une indicalion sur la compétence
idéologique de L, laquelle sera stockée dans la compétence eulturelle
de A, qui pourra par la suite la réutiliser pour interpréter d'autres
productions de L....: le discours est une pratique qui exploite les
savoirs préalables en méme temps qu'elle en constitue sans cesse de
nouveaux.

3) La compétence «logique»,
Soit cet énoncé mentionné par Ducrot (1972, p. 7):

«Un tel est venu me voir, il a donc des ennuis».


On peut considérer qu'il réalise en surface, de manière incomplète, la
struciure syllogistique:
Majeure: Un tel ne vient me voir que lorsqu’il a des ennuis (donc par
intérêt)
Mineure: Or un tel est venu me voir
Conclusion: Donc il a des ennuis #.
Du point de vue de l'encodage, la majeure implicitée, qui fonde le rai-
sonnement, est inscrite dans la compétence encyclopédique de L.
tuée
Du point de vue du décodage, cette proposition va être reconsti
compéte nce encyclo pédique ) à l'aide
par À (et incorporée à sa propre
fait
de ce que nous appellerons sa «compélence logique» (à laquelle
également appel, bien sûr, L lorsqu'il édifie son raisonnement).
d’opé-
Cette compétence logique permet d'effectuer un certain nombre
caté-
rations diverses, qu'un peu arbitrairement je ventilerai en trois
gories:

18
a) Opérations qui s'apparentent à celles de la logique formelle, c'est-à-dire
essentiellement au mode de raisonnement syllogistique,
— Les syllogismes canoniques sont extrêmement rares dans les énoncés
produits en langue «naturelle», où ils produisent justement un effet «non
naturel». Les syllogismes incomplets y sont en revanche constants. Par
exemple (des cas plus complexes apparaissent encore dans nos corpus,
deux des constituants du schème syllogistique pouvant se trouver conjoin-
tement élidés):

- Majeure implicite:
«On a sonné deux fois, ça doit être le facteur»
Majeure: Le facteur sonne en général deux fois, et il est en principe
le seul à le faire
Mineure: (Or) on a sonné deux fois

Conclusion: (Donc) ça doit être le facteur


(caractéristique des argumentations naturelles, qui évoluent dans le
domaine du vraisemblable, est le fait ici attesté de la modalisation
des propositions manipulées).
- Mineure implicite:
«(C’est parce que je t'aime, que tu m'aimes quand même).
Tu m'aimes pour mon amour, donc tu m'aimeras toujours»

(vieille chanson frangaise):

1. Tu m'aimes pour mon amour (qui résume la phrase précédente)


2. Or je t'aimerai toujours

3. Donc tu m'aimeras toujours


- Conclusion implicite:
«Le terrorisme est une forme nouvelle de la violence. À forme
nouvelle de la violence, il faut des moyens nouveaux pour la juguler,
si possible l'écarter. Mais si la lutte contre le terrorisme ne se situait
pas dans la legalité, nous tomberions dans le piège qui nous est tendu»
(Alain Peyrefitte)
1. Le terrorisme est une forme nouvelle de la violence
2. Or à forme nouvelle de la violence. ..
2’, (proposition incidente). Mais la lutte contre le terrorisme doit se
situer dans la légalité

19
3. Donc il faut des moyens nouveaux (mais légaux) pour la juguler
—> il faut changer le code pénal.
— Parmi les cas de syllogismes incomplets qui viennent d'être men-
q»,
tionnés, revenons sur celui-ci: un énoncé se présente comme «p donc
mais ne peut fonctionner «logiquement» qu'a la conditio n de rétablir
une proposition r qui seule autorise la déduction de q.
ifs.
Ce schéma peut être généralisé à d'autres types d'outils conjonct
me, je consi-
Sans qu'il s'agisse encore à proprement parler de syllogis
tous
dérerai comme relevant du raisonnement logique «para-Formel»
me
le cas où une structure de type px q (x étant un élément du paradig
fait en surface une structur e de la
des connecteurs logiques) réalise en
forme
p—>rxq,

dans la mesure où q n'enchaîne pas directement sur p, mais sur une


proposition implicite r que l’on peut et doit inférer de p pour que
l'enchaînement puisse être considéré comme satisfaisant.
La relation exprimée par x peut être de type consécutif, causal, expli-
catif, adversatif, etc. — le cas apparemment le mieux représenté étant
celui où x = «mais»:

«Il n’y a pas d'amour heureux, Mais c'est notre amour à tous deux»

donc le nôtre ne saurait l'être

«Il avait vu Frau Glanternek, mais persistait néanmoins à I'épouser»

or elle n'était guère épousable

(Christopher Isherwood, Adieu à Berlin, éd. fçse Hachette 1979, p. 25)

«Jeanne s'approcha de la fenêtre, mais la pluie ne cessait pas»

car elle espérait que la pluie avait cessé.

Ce dernier exemple (de Maupassant) est emprunté à Ducrot 1980: nous


ne pouvons en effet sur ce point que renvoyer à cet article, qui analyse
avec la plus extrême minutie un certain nombre de structures de ce type,
et démontre de la façon la plus convaincante que bien souvent, «p mais
g» ne peut être interprété qu'a la condition de reconstituer une proposi-
tion r implicite.

20
Remarque.
Nous avons précédemment parlé de «conclusion». Mais le terme est
dangereusement ambigu. Il convient en effet de distinguer trois types
d’ordre des propositions impliquées dans un énoncé:
(1) Ordre de succession linéaire à la surface textuelle
(2) Ordre «logique» abstrait (majeure-mineure-conclusion)

(3) Ordre du point de vue de la chronologie de décodage:


elle s'effectuc en gros selon (1), mais s'achève sur la reconstitution de la
proposition implicite, qui de ce point de vue (que ce soil logiquement
une majeure, une mineure ou une conclusion) va fonctionner comme Ja
conclusion du raisonnement interprétatif, et parfois, comme la véritable
conclusion argumentative de l'énoncé (i comme la proposition qu'il
s'agit essentiellement de laire admettre à A). Ainsi que le remarquent
Ducrot (1972, p. 8) et Flahault (1978, p. 45), l’absence même de l’assertion
implicite lui «confère une présence d'un type particulier», et la «met
fortement en valeur»; sans doute parce qu'ils exigent un travail interpré-
tatif plus grand de la part de A, qui doit les exhumer des profondeurs
textuelles, c'est en effet bien souvent sur leurs contenus implicites que
focalisent les énoncés.

b) Opérations plus spécifiques de la «logique naturelle».


11 n'est plus aujourd’hui nécessaire — grâce aux (ravaux, entre autres,
de Perelman, de Ducrot, de Grize et du Centre de recherches sémiolo-
giques de Neuchâtel — d'insister sur le fait que les opérations «logiques»
auxquelles se livrent les langues naturelles n'ont que peu de rapport avec
celles que règlemente la logique formelle. Et il n'est pas ici question, dans
le cadre de cet article, de décrire avec quelque précision les mécanismes
de la logique naturelle. Tout au plus pouvons-nous souligner, à partir
de l’exemple de quelques-unes des opérations les mieux attestées, l'impor-
tance du rôle que jouent de felles opérations dans la genèse des infé-
rences ,
(1) Inférences qui surgissent à la faveur de l'établissement de relations
d'association ou de dissociation.
— «La chair est triste, hélas, et j'ai lu tous les livres»:
La coordination des deux propositions (technique associative), soulignée
par le balancement rythmique, va solliciter la double inférence
«je me suis livré à tous les plaisirs de la chair»,
«mon esprit est triste»,

21
— «Elle préfère à son mari paisible l'amour cruel de son amant»
(titre de Quid? Police, ler nov. 1980):
mari vs amant
paisible vs cruel
amour vs D
—> «son mari ne l'aime pas».
Principe: lorsque deux objets Oy et O: sont reliés par un connecteur
associatif (ou dissociatil), et affublés explicitement d’un certain nombre
de déterminations prédicatives, on fait implicitement ricocher sur O:
l’ensemble des prédicats de O (ou leurs inverses, dans le cas de la
dissociation), et réciproquement.
(N.B.: l'ensemble prédicatif explicite caractéristique de l'un des deux
objets — voire les deux — peut être nul, comme dans cette déclaration
«Je ne
prononcée à Liège, en mars 1980, par un linguiste célèbre:
c’est un
mets pas du tout Chomsky dans la même classe que Barthes,
grand savant et un homme extrémement sérieux. Mais . ..»).
s
(2) «Post hoc, ergo propter hoc»: lorsque deux faits sont présenté
en relation de succession chronologique (ou même, de
comme étant
relation
coexistence), on a généralement tendance à établir entre eux une
logique de cause à conséquence ou de conséquence à cause — ce principe,
que signale, à la suite de Frege, Ricoeur 1975 (p. 117), étant responsable
du danger sur
de très nombreuses inférences: ««Napoléon, qui s'aperçut
la position ennemie».
son flanc droit, disposa lui-même sa garde contre
La phrase «complexe» pose que Napoléon s’est apergu..., et à dis-
posé...; mais elle «suggères que la manoeuvre s'est produite après
la reconnaissance du danger el à cause de cette reconnaissance, bref
que celle-ci était la raison pour laquelle Napoléon décida la manoeuvre;
la suggestion peut se révéler être fausse.. »: ce n’est là en effet qu’un
sous-entendu présomplif, que Ricoeur traite à juste titre comme une
connotation.
(3) Glissement de la condition suffisante à la condition nécessaire.

Une structure telle que «Si p, alors q» énonce en effet:

explicitement: que p est la condition suffisante de q

implicitement: que p en est aussi la condition nécessaire.


Mais une telle inférence n’est là encore que sous-entendue: si quelqu'un,
à qui l'on aurait dit: «Si tu me netloies ma voilure, je te donnerai cent
franes», venait à réclamer les cent francs sans avoir effectué la tâche,
sans doute serait-il unanimement considéré comme étant de mauvaise foi.

22
Mais il y aurait tout autant de mauvaise foi à extraire de l'énoncé
(avertissement que l’on peut lire dans certains bistrots) «Si vous voulez
téléphoner, consommez d’abord», l'inférence «Si vous ne voulez pas
téléphoner, ne consommez pas»: dans certaines situations énonciatives,
le sous-entendu généralement afférent à la structure conditionnelle peut
se trouver bloqué, et la norme interprétative changer en conséquence.
(4) Inférences qui viennent investir une structure prédicative de type
«x est p» — laquelle peut dans certaines circonstances sous-entendre
(x et y, p et p', faisant partie du méme paradigme défini en co(n)texte),
soit
«y est non-p», soit
«x est non-p’s.
Ainsi une phrase telle que «Tu es bien jolie aujourd’hui» peut-elle dans
certains cas sous-entendre que «ce n’est pas comme d’habitude» — mais
dans certains cas seulement, qu'il est d'ailleurs bien difficile de spécifier:
du fait du flou interprétatif qui les caractérisent, de telles structures
constituent une aubaine pour l'exercice de la mauvaise foi

c) L'implicite logico-pratique.
J'appellerai «inférences logico-pratiques» les informations présupposées
ou sous-entendues par l'énoncé de tel ou tel fait diégétique, qui au nom
d'une certaine «logique des actions» (lesquelles s'organisent en «macro-
structures» ou «frames») implique nécessairement ou éventuellement la
réalisation d’autres actions nécessairement ou éventuellement co-reliées.
L'effectuation d’un acte quelconque étant plus ou moins solidaire d'un
certain nombre de conditions ou conséquences, de la consignation d'un
tel acte on peut en effet déduire au décodage certaines informations
concernant lesdites causes ou conséquences.
Le Niveau-Seuil 7 1976 envisage ainsi:
— les conditions matérielles nécessaires: «Je suis monté à la Tour
Eiffel» — je suis allé à Paris (information présupposée puisqu'elle porte
sur une condition nécessaire);
— lès conséquences matérielles nécessaires: «Je viens de rater le dernier
métro» — je ne peux pas rentrer en métro ce soir;
— les conditions matériclles possibles: tout acte accompli (casser une
assiette, réparer la télé...) peut éventuellement impliquer (donc cette
fois sous-entendre) un savoir faire, un pouvoir faire, un vouloir faire ..
— les conséquences matérielles possibles: le fait d'être allé au cinéma
peut par exemple impliquer la compétence de raconter le film vu.

23
de Flahault 1978 («Un homme, une femme»,
Reprenant un exemple
p. 188):
(1) «Tu trouves ça bien, ce que j'ai mis? ferais
ée comme ça, je lui
(2) Tout à fait; je verrais une fille habill
aussitôt du gringue. à une fille!»,
façon, tu es incapable de faire du gringue
(3) De toute
enchaîne sur (2) en contestant la condition
on peut ainsi dire que (3)
gringue à une fille») impliquée
matérielle («je suis capable de faire du
«je lui ferais du gringue», c'est-
nécessairement par l’expression verbale
-pratique.
à-dire en récusant un présupposé logico
ue permet d'extraire d'un énoncé
Les inférences que la compétence logiq
présupposé si elles reposent sur
peuvent donc avoir le statut, soit d'un
que des informations internes à
un raisonnement qui ne manipule
de a), el certains cas d’implicite
l'énoncé (en gros: exemples relevant
ne s’actualisent que dans cer-
pratique), soit d'un sous-entendu si elles
mples relevant de b), et cerlains des
taines circonstances énonciatives (exe
cas de c)): il peut être extrémem ent variable le degré de codification
celte compétence. La logique
des règles dont l’intériorisation constitue
spécificité, une «logique floues,
naturelle est, dans son ensemble ct sa
ents et glissements: interpréter,
qui procède par suppulations, tâtonnem
c'est en tous sens, dériver ...

4) La compétence «rhétorique».
relativement arbitraire (car le
Selon une convention terminologique
linguistique, bien d'autres objets),
terme de «rhétorique» désigne aussi, en
la connaissance du «code rhéto-
j'appellerai «compétence rhétorique»
ces «principess qui sans être véri-
rique», c'est-à-dire de l'ensemble de
les règles de bonne formation
tablement impératifs au même titre que
par qui veut jouer honnê-
syntactico-sémantique, doivent être observés
l'on appelle selon les cas
tement le jeu de l'échange verbal, et que
(Grice), «postulats de conversation»
«maximes conversationnelles»
urs» (Ducrot).
(Gordon et Lakoff), ou «lois de disco
ces «lois», dont la liste
Il y aurait beaucoup à dire de chacune de
nous ne pouvons guère ici
est encore bien loin d’être close, et dont
e elles:
qu'énumérer les mieux reconnues d'entr
(«maxime de la qualités de Grice) ” énonce
— la «loi de sincérité»
se prétend sincère dans son
qu'en dchors de toute contre- indication L
dire qu'il le soit), et corrélati-
énoncé (ce qui ne veut évidemment pas
sincérité;
vement, que À accorde à L un crédit de
lise que des informations
— la «loi d'informativité» veut que l’on ne verba

24
que À ne tient pas déjà pour acquises (l'informativité d’un énoncé étant
donc entièrement fonction de la compétence encyclopédique de A). Cette
loi entre souvent en conflit avec
— la «régle de pertinence» (smaxime de la relation» selon Grice), qui est
hiérarchiquement supérieure à la précédente puisqu’une séquence infor-
mative peut sembler anormale si elle est non pertinente, et qu'inverse-
ment une séquence non informative mais pertinente passe généralement
pour normale. La loi de pertinence est donc d’une validité très générale,
acquise à la faveur de l’extrême malléabilité du concept de pertience,
laquelle peut s'envisager d'un point de vue «pratique» (sera, au sens
étroit, pertinente toute information dont on peut directement tirer
parti dans la vie pralique immédiate, et en un sens plus large, toute
information susceptible d’«intéressers A), argumentatif (information per-
tinente = qui «tire à conséquence») ou thématique (la règle de pertinence
se formule alors comme un règle d’«adaptation au thème discursif», qui
veut par exemple que les énoncés généraux soient immédiatement appli-
qués à l'objet particulier dont parle le cotexte; ainsi dans:
L; — «Mon fils est charcutier
L; — Il n'y a pas de sot métier»,
ce principe est responsable de l'inférence
«le métier de charcutier, donc celui de votre fils, n'est pas un sot métiers,
(laquelle proposition sous-entend à son tour qu'il pourrait être consi-
déré comme tel . ..);

— la «loi d’exhaustivités («maxime de la quantité» de Grice), qui selon


Ducrot «exige que le locuteur donne, sur le thème dont il parle, les
renseignements les plus forts qu'il possède», rend d'indéniables servic
descriptifs: ainsi explique-t-elle la rareté relative des archilexèmes, et
rend-elle compte de la genèse de nombreux sous-entendus (glissement
de la condition suffisante à la condition nécessaire, inférences qui s’at-
tachent aux expressions à valeur restrictive, etc.), son action étant
d'autant plus efficace qu'elle prend en charge non seulement les signi-
fiants réalisés dans l'énoncé mais aussi les «trous», les lacunes, les
silences «marquéss (exemple: les deux énoncés suivants
(i) «Mention très honorable à la majorité»
(ii) «Mention très honorable»
sont également propres à véhiculer dans certaines circonstances l’infé-
rence sous-entendue, dont l’orientation argumentative est inverse de celle
du contenu explicite, «cette mention n'a pas été décernée à l'unanimité»,
mais le mode d’intervention de la loi d'exhaustivité, et le statut corrélatif
de l'inférence, ne seront pas cxactement les mêmes dans les deux cas).
Cela dit, les conditions d'application d'une telle loi restent encore

25
très régulièrement
bien mystérieuses: s'il est des cas où elle s'applique
de tuer y», «z a
(«j'ai trois enfants» — trois seulement; «x a essayé
en vie), il en est
fait une tentative de suicide» — y et z sont encore
Il est d'autre
d'autres où son action semble beaucoup plus capricieuse.
l'on ne peut ni ne doit «tout» dire sur
part bien évident que jamais
entre ainsi en conflit , nous l’avons
un objet donné: la loi d'exhaustivité
é» # qui veut
montré ailleurs, avec une espèce de «loi d'anti-exhaustivit de
on sélectionne
au contraire qu'au nom du principe de pertinence,
igme des informations
façon plus ou moins draconienne dans le parad
discursive donnée —
susceptibles d'étre verbalisées dans une situation
les qui définissent
sans qu'il semble possible de dégager les rèsles généra
nt de fournir sur
la norme spécifiant le taux d'information qu’il convie compte
-dire de rendre
un objet donné dans une situation donnée, c'est-à
un énoncé donné, qu'il est
de cette intuition qui parfois nous dit, devant
ns superfétatoires.
lacunaire, ou au contraire pourvu d’informatio
problématique de l’implicite
Autre problème (qui montre à quel point la
parler explicitement, c'est être
a partie liée avec la loi d'exhaustivité):
ent. Mais on ne peut ni ne
plus exhaustif que si l'on s'exprime implicitem
informations qui «normale-
doit tout expliciter: quelles sont donc les
ite? D'après Sperber 1974
ment», sont à énoncer sur le mode implic
sition doit être proportionnel
(p. 138), le degré d’explicitation d’une propo
de «controversialité», Certes.
à son degré d’informativité, et en particulier
paramètre bien embarrassant:
Mais il faut en outre tenir compte d'un
question. Car il arrive bien
le degré d'«importance» de l'information en
que l'on sait ignorés de A:
souvent que l'on présuppose des contenus
passe pour parfaitement
s'ils sont suffisamment anodins, l'opération
e/ à mon maris: à degré d'infor-
normale («j'ai laissé ma voiture à mon frèr
un frères / «j'ai un mari»
mativité égal, le Fait que les propositions aj'ai perçu
soient de but en blanc présupposées ne sera pas nécessairement
par À comme au même degré admissible).

dont il est ici question renvoie à une sorte de


En tout cas, le «devoir»
tique ne se
déontologie ou de morale langagière, dont l’efficacité pragma
que modérément. Quand faut-il, se demande de son côté Quinti-
soucie
pas certain
lien , user de l'insinuation? D'abord, lorsque l'on n'est
pas de sûreté suffisante
de Ja vérité du contenu insinué, et qu'«il n’y à
à s'exprimer ouvertement»: les perspectives normative et pragmatique
opposées . . . Ensuite, lorsque la
aboutissent on le voit à des conclusions
contreviendrait aux règles de la bienséance. D'où
formulation directe
de faire intervenir enfin un certain nombre de
la nécessité
la politesse
— lois de convenance, qui sont à incorporer au code social de
té, mais qui relèvent en méme temps de la compétence

26
rhétorique dans la mesure où elles concernent les manifestations langa-
gières de ce code. Utilisant la terminologie de Brown et Levinson %, nous
dirons par exemple que dans nos sociétés il convient
- de ne pas trop menacer la «face négativer de l’autre (d'où le fait que
la plupart des actes de requête, qui toujours constituent des violations
territoriales, sont formulés de façon indirecte et adoucie);
- de ne pas trop menacer sa «face positive» (d'où le fait qu'en général
on ménage la susceptibilité de l'autre, et que l'on évite de lui dire des
choses par trop désobligeantes ou a fortiori injurieuses — sauf si l'on
choisit délibérement le lerrain de l'agression, de la polémique: de la
guerre);

- de ne pas excessivement valoriser non plus la face positive de l'autre


(les propos outrageusement flatteurs étant dans la plupart des situations
jugés incongrus);
- de ne pas enfin exhiber ouvertement sa propre face positive: l'auto-
apologie au premier degré n'est jamais de mise, et il risque de passer
pour fou, mégalomane, ou simplement ridicule cclui qui transgresse
cette loi de discours qui veut que l'on ne se «lance pas de fleurs» trop
ostensiblement.
On pourrait en mentionner bien d'autres encore: leur liste ne cesse
actuellement de s'allonger ®, la prolifération de ces lois de discours
étant d'autant plus aisée qu’est plus incertain leur statut: se situant
à l’intersection du linguistique, du psychologique, du sociologique, du
juridique et du moral, de tels principes remettent d’'une certaine manière
en cause «l’unité épistémologique de ce que l’on appelle la linguistique»
(J. Roggero 1978, p. 143).
L'incertitude est aussi grande en ce qui conceme la validité de ces
règles, et leurs conditions d'application, On peut ainsi remarquer qu'elles
entrent parfois en conflit les unes avec les autres: la règle d'informativité
avec la règle d'exhaustivité, la règle de pertinence avec les règles d'infor-
mativité et d'exhaustivité, la règle d'exhaustivité avec son contraire, la
règle de convenance avec celle de sincérité (L se trouvant alors déchiré
entre son désir de franchise, et son souci de ménager l'autre); et qu'elles
sont aisément transgressibles, cetle transgression pouvant être mise au
service de fins provocatrices (enfreindre de telles règles, c'est souvent
braver l’honnêteté et le code des convenances), polémiques (car leur
codage est si flou qu'il est bien malaisé de convaincre de mauvaise foi
celui qui les transgresse) ou ludiques (le ludisme exploitant volontiers
les marges les plus indécises du code langagier): ce sont des règles
purement tendancielles, dont le degré de «force» varie (ainsi la règle de

27
ou
e que les règles d'informativité
perlinence est-elle plus contraignant par rapp ort à la
érité dominante
d'exhaustivité, et la règle de sinc juri diqu emen t
par commission est
règle d'exhaustivité: le mensonge et l'on
que le mensonge par omission,
plus grave, dans notre culture, que
ure toujours, rester évasif plutôt
préfere en général, dans notre cult ne).
précise mais relativement incertai
de fournir une information plus de
envisager comme des consignes
Ces lois de discours, que I'on peut en
(c'est parce qu'il sait que L est
décodage aussi bien que d'encodage qu'il sait que L
principe sincère que À est en principe crédule, parce à
maximale qu'il aura tendance
lui fournit en principe l’information
tant
et seulement si», etc.), jouent pour
interpréter un «si» comme un «si titutives du «cale ul
les opérations cons
à coup sûr un rôle décisif dans occupe ici, ce
le problème qui nous
interprétatif». En ce qui concerne
rôle est double:
(1) Engendrer des sous-entendus.
luttes»:
alistes que l’instrument des
«Le parti n’est pour les soci el ne serait
de, le syntagme prépositionn
c'était le cas pour tout le mon ve. Les lois
ion ne serait pas exhausti
pas informatif, et la formulat r l'infé-
conjuguées vont donc engendre
l’informativité et d’exhaustivité le monde»,
est pas de même pour tout
rence sous-entendue «il n'en r le con-
culturelle se charge de compléte
inférence dont la compétence
tenu.
q, car s'il im-
donc le suivant: p implique
Lé mécanisme (général) est discours.
eindrait telle ou telle loi de
pliquait non-q, l'énoncé enfr
plus spécifiques
jouer des lois de discours
Clest de même en faisant lle «principes
énoncés ci-dessus (et qu’il appe
que les principes généraux des
1980 rend compte de la totalité
conversationnels») qu'Anscombre mmu niq uer un
une règle telle que «co
valeurs illocutoires dérivées: ainsi le réaliser,
des conditions telle que À a la possibilité de
désir à A, dans ène au
A de le faire», règle qui se ram
c'est indirectement demander à , expl ique-
de la pertinence maximale»
principe général de «recherche tre»
imerais bien que tu ouvres la fenê
ra-telle le fait que la phrase «J'a
une requête.
fonctionne en général comme
r»:
Soit encore «Pierre a cessé de fume
est informatif, mais médiocrement
littéralement l'énoncé
- Si interprété inférence telle
peu au cas de Pierre): une
pertinent (A s’intéressant
viendra éventuellement se surajou-
autant»
que «tu ferais bien d'en faire
augmenter la pertinence.
ter au contenu littéral, pour en
l’inférence
u totalement non pertinent,
- S'il est non informatif, et/o

28
viendra carrément se substituer, dans la fonction de contenu essentiel,
au contenu littéral: on aura affaire à un trope.
Les lois de discours ont donc aussi pour rôle
(2) de susciter une lecture tropique.
Tous les tropes consistent d'une certaine manière en une violation des
lois de discours: maxime de la qualité dans le cas de la métaphore
(Grice 1979, p. 67), loi de sincérité dans l'ironie, loi d’exaustivité dans
la synecdoque du genre ou de la partie ainsi que dans la litote, loi de
pertinence dans le trope illocutoire... En jouant sur les deux sens du
mol: tout fait «rhétorique» constitue une infraction au code «rhétori-
que» — infraction qui sera résolue par la quête d'un sens dérivé,
Le mécanisme est donc le suivant: Interprété littéralement, l’'énoncé
bafoue plus ou moins ouvertement telle ou telle des lois de discours (et
le trope sera d’autant plus évident que la transgression sera plus forte);
pour résoudre cette anomalie, il faudra chercher sous le sens littéral
un sens dérivé en fait dénoté, tel qu'une fois l'opération menée à bien,
tout rentre dans l'ordre «rhétorique» (au niveau du sens dérivé en effet,
un énoncé ironique est sincère, un énoncé litotique exhaustif, et un
tropé pragmatique pertinent),

Mais il faut tout de suite ajouter que le trope est en général transgressif
sur plusieurs plans à la fois: il baloue les lois de discours, mais aussi
les règles de cohérence cotextuelle et d'adéquation contextuelle, C'est
sur la base d'un faisceau d'indices que repose son décodage, qui met
simultanément en branle les compétences linguistique, rhétorique, cultu-
relle, et éventuellement logique *.

B. Le calcul interprétatif

D'une manière générale, le travail interprétatif consiste, en combinant


les informations extraites de l'énoncé (compélence linguistique) el les
informations convoquées de l'extérieur (compétences culturelle et idéo-
logique), et de telle sorte que le résultat se conforme aux lois de discours
(compétence rhétorique) et aux principes de la logique naturelle (compé-
tence logique), à construire de l'énoncé une représentation sémantico-
pragmatique cohérente et vraisemblable: en dehors de toute contre-
indication “ ou impossibilité manifeste, A postule que L a produit un
énoncé à tous égards bien constitué.
Sans doute s'agit-il même là d'une espèce d'«archi-loi de discours»:
produire un énoncé à tous égards bien conformé, pour l'encodeur; et
pour le décodeur: résorber les anomalies en tous genres, résoudre les

29
le «louches ... Interpréter un
contradictions éventuelles, éliminer
des significations qui sont suscep-
énoncé, c'est choisir dans le paradigme
sent à la règle de «pertinence
tibles de venir l'investir celles qui obéis
même, en en «rajoutant» par
maximale» (Sperber 1975) — parfois
rapport au projet d'encodage.
que la machine interprétative, dont
Il ressort des réflexions précédentes
rouages, est d'une complexité
on découvre chaque jour de nouveaux
r de construire un quelconque
telle qu’il semble prématuré de tente
nt mimer même approximative-
«modèle global» ou «intégré» prétenda
s parlants. Plutôt que de se
ment la capacité interprétative des sujet
elles (combien convient-il
laisser obnubiler par des considérations form
ntes» dans chacune
de distinguer de «compétences», et de «composa
règles qui les compo-
d'entre elles “*, quelle forme faut-il accorder aux
le plus
sent, dans quel ordre les laire intervenir, etc.), il nous semb
opportun:
qui entrent en jeu
— de tenter d’isoler tous les paramètres pertinents
et d'expliciter
dans les opérations de décodage, de spécifier leur action,
ences;
petit à petit les règles constitutives des diverses compét
le fonctionnement des
— de tirer quelques conclusions générales sur
mécanismes interprétatifs, Voici les nôtres:

qui interviennent dans le décodage des unités


1) Pluralité des facteurs
s.
de contenu et interaction des différentes compétence
dont il serait naïf de croire
Cela vaut déjà pour les contenus explicites,
compétence linguistique;
que Pextraction repose toujours sur la scule
qui font davantage appel
mais plus encore pour les contenus implicites, s
aux trois autres compétences (plus l'on descend vers les profondeur
de nature spécifiquement lin-
énoncives, moins les règles exploitées sont :
procède en deux temps
quistique). Ainsi l'identification d'un trope (qui quête
evable le contenu littéral,
perception d’une déviance qui'rend irrec
en général sur un faisceau
du contenu dérivé normalisateur) repose-t-elle
simultané à des observa-
d'indices hétérogènes, et exige-t-elle le recours ionnement
à ce que l'on sait du fonct
tions cotextuelles et contextuelles,
qu'à divers raisonnements logiques
des maximes conversationnelles, ainsi
ou para-logiques.
encore dans les fails et exem-
L'interaction des compétences apparaît
ples suivants:
relle: nous avons déjà parlé du
— compétences linguistique el cultu
ions «préalables» et «non préala-
va-el-vient permanent entre informat

30
bles»: les premières vont aider à interpréter un énoncé, dont on va
extraire des informations qui vont venir enrichir la compétence cultu-
relle, et recevoir le statut d’informations préalables qui à leur tour. ..
— compéiences cullurelle et rhétorique: l'informativité d'un énoncé
étant fonction de la compétence encyclopédique de A
— compétences culturelle et logique: les savoirs contextuels pouvant
venir réactiver ou au contraire bloquer (ex.: «Si vous voulez téléphoner,
consommez d'abord») d'éventuels sous-entendus
— compétences culturelle et rhétorique: elles peuvent jouer l'une par
rapport à l'autre des rôles
- redondants: «Sur la place St Sulpice, il y a une mairie, un cinéma … »:
un cinéma seulement, en vertu de la loi d'exhaustivité; une mairie
seulement, pour la méme raison, mais à cause aussi de ce que l’on sait de
l'administration française
- complémentaires: «(restaurant) fermé le dimanche» (— seulement le
dimanche, en vertu de la loi d'exhaustivité), vs «ouvert le dimanche»
(le sous-entendu précédent se trouvant bloqué par l'action de la com-
pétence culturelle, c'est la loi d'informativité qui prend en charge l'ex-
pression: — même le dimanche).

2} Caractère supputatif et aléatoire du caleul interprétatif.


Ricoeur 1975, p. 30: «Le propre d'une suggestion est de pouvoir égarer».
Pasolini 1976, p. 280: «Cette inférence est certainement injuste, comme
toutes les inférences. Mais absolument pas illogique . . .».
Etant donné la multiplicité des facteurs intriqués dans cet écheveau
fort complexe que constitue la compétence interprétative globale, il n'est
pas étonnant que la quête du sens global d'un énoncé soit toujours plus
ou moins laborieuse et hasardeuse.
Le calcul interprétatif se nourrit de conjectures: sur les raisons que L
peut bien avoir d'énoncer ce qu'il énonce, sur la vraisemblance réfé-
rentielle de l’énoncé, sur celle du niveau de langue adopté ™, et du
choix de la formulation implicite: dans une société donnée en effet,
certains types de contenus sont par eux-mêmes plus enclins que d’autres
à être exprimés indirectement, dans la mesure où ce sont des choses
qui «ne se disent pas» (du moins directement), qui sont frappées d'un
interdit plus ou moins fort: contenus politiques dans les sociétés tota-
litaires, contenus sexuels chez nous ... le champ de l’implicite recouvre
celui du tabou. Et ce problème d'encodage se répercute au décodage:

31
interdits que va de préférence
c'est dans la direction de ces secteurs
s’orienter la quête du sens caché.
rétatif. mais point de vrai
Conclusion: il y a du vraisemblable interp
interprétatif.

3) Existence de degrés d'implicitation


sémantiques est un phénomène graduel:
L'actualisation des valeurs
trouvent incontestablement inscrits dans
certains types de conlenu se
fragiles, plus aléatoires,
un énoncé, alors que d'autres, plus timides, plus
inter prétation. À moins
se contentent de l'orienter vers telle ou telle
guer le flou, la linguistique
done de durcir la réalité empirique, et d'éla
à cette question (la ques-
ne peut toujours répondre en termes binares
S se trouve-t-elle, oui
tion): étant donné un énoncé E, la signification
le peut, ni ne le doit: les conlroverses
ou non, iscrite dans E? Elle ne
devant elles.
interprétatives onl encore le beaux jours
tenter, c'est de construire
Ce qu'elle pourrait et devrail en revanche
d'éva luer le degré d'évidence
une échelle d'implicitation ” permettant
trope, compte tenu d’un certain
d'un sous-entendu, et en particulier d'un
nombre de facteurs hétérogènes tels que:
— le nombre (nul dans le cas de marquage direct) des supports signi-
fiants du contenu en ¢ inscrits dans la séquence;
ce qui
— le «degré d'enf ouissement» de ce contenu, c'est-à-dire la distan
le sépare du niveau explicite.
quantitatives concernant le nombre des
Mais ces considérations
impliqués, et des maillons constitutifs de la chaîne
signifiants
ni même les plus
interprélative, ne sont certainemenl pas suffisantes,
immédiatem ent dé-
pertinentes (certains contenus implicites sont ainsi
alors qu’il faut pour
codés, et semblent presque affleurer à la surface,
e d'étapes intermé-
en rendre compte faire intervenir un certain nombr
ent directement
diaires; bien des inférences inversement, qui se branch
connotations très aléatoires).
sur le contenu littéral, demeurent à l'état de
se doubler de considérations qualitatives concernant
Elles doivent
existent), qui peuvent
— le statut du ou des marqueurs (lorsqu’ils
, lorsque l'inférence se
être plus ou moins fortement codés; ou le statut
nus hyper-ordonnés (qui
greffe sur un contenu hyper-ordonné, des conte
ts) ainsi que la nature du
peuvent eux-mêmes être plus ou moins éviden
n-1 au niveau n.
raisonnement qui permet de passer du niveau
Il faut en outre tenir compte

32
— de certains facteurs cotextuels: un contenu implicite
peut être renforcé par d'autres contenus implicites ou explicites plus
ou moins lontains mais «allant dans le même sens»
peut être ou non nécessaire à la cohérence de 1'énoncé: les propositions
indispensables au fonctionnement d’un syllogisme seront dotées d’un
fort degré d'évidence; dans d'autres cas, la nécessité de rétablir la
cohérence isotopique perturbée par le sens liltéral imposera une lecture
tropique, c’est-à-dire une spectaculaire remontée vers la surface du
contenu dérivé;
— de cerlains facteurs contextuels. Notons au passage que dans cette
entreprise de reconstitution de la chaîne interprétative il n’est pas
question d'expliciter toutes les inférences susceptibles de s'accrocher à
l'énoncé envisagé, qu’elles reposent sur des présupposés (car si l’on tient
compte de tous les présupposés existentiels, pragmatiques, ctc., clles
sont fort nombreuses) ou des sous-entendus (car l'ensemble des sous-
entendus qui virtuellement gravitent autour d'un énoncé constitue une
nébuleuse aux contours très flous mais à extension très large): seuls
certains éléments de ce très vaste ensemble virtuel s’actualisent en
cofn)texte, et parmi les contenus implicites nous distinguons ceux qui
sont

exploités vs non exploités vs bloqués en co(n)texte.


— 1l faut enfin tenir compte du degré d’informativité de l’unité de
contenu en question, car on peut admettre avec Sperber 1974 (pp. 136-
140) que la focalisation sur un sous-entendu est proportionnelle à son
degré d'informativité pour A.

4) Qu'est-ce, finalement, que le sens d'un énoncé?


À cetle question aussi épineuse que cruciale, je répondrai par la série
ordonnée (dans le sens d'une précision croissante) des propositions
suivantes:
(1) Un énoncé n’a pas de sens-en-soi: le sens n'existe que par rapport
à, et pour un sujet disposant pour l’extraire de l'énoncé de tel ou tel
ensemble de compétences. Conséquence méthodologique: les règles in-
terprétatives, au lieu d’être «neutres», doivent avoir la forme «Si... (le
sujet dispose de tel savoir linguistique ou encyclopédique, se trouve
dans telle situation. etc.), alors... (il interprétera l'énoncé de la fagon
suivante)».
(2) Un énoncé veut dire ce que ses récepteurs estiment qu'il veut dire,
c'est-à-dire que nous nous situons délibérément dans une perspective de

33
décodage, et que nous considérons que l’entreprise linguistique consiste
essentiellement à «comprendre comment les énoncés sont compris».
Cette focalisation sur le décodage peut sembler excessive. Elle l'est
moins si I'on pense que tout émetteur est en même temps son propre
récepteur, et que l'intention signifiante de l'émetteur, loin d’être à nos
yeux non pertinente, occupe une place centrale dans le modèle interpré-
tatif tel que nous l'envisageons, dans la mesure où elle est l'objet d'une
tentative de reconstruction par A. En effet,
(3) les mécanismes interprétatifs intègrent généralement certaines hypo-
thèses concernant le projet sémantico-pragmatique de l'émetteur: inter-
préter un texte, c'est tenter de reconstruire par conjecture ce projet
d'encodage; ou encore: un énoncé veut dire ce que ses récepteurs croient
que l'émetteur a voulu dire dans/par cet énoncé, sur la base de leur
propres compétences, de celles qu'ils ont de bonnes (ou mauvaises)
raisons d'attribuer à L, et d'estimer que L leur attribue.

La validité d’un tel principe apparait par exemple dans le fait que
l'identification d’un trope implique que l'on suppose délibérée Ja déviance
qu'il constitue ; et qu'il revient à peu près au même de dire «cet
énoncé est ironique», et «L est ironique dans cet énoncé», ou encore:
«cet énoncé sous-entend q», et «L sous-entend q dans cet énoncé».
Notons que ce principe fait pendant à celui-ci, énoncé par Flahault 1979
(p. 77): «Parler, c'est anticiper le calcul interprétatif de l'interlocuteur».
C'’est dire combien sont dialectiques les relations existant entre encodage
et décodage: à l'encodage, L fait par anticipation certaines hypothèses
sur le travail de décodage de A; au décodage, À fait rétrospectivement
certaines hypothèses sur le travail d’encodage de L.
Mais ces hypothèses peuvent être erronées...
(4) Car dès lors que l'on reconnaît la pluralité des compétences des
sujets parlants, ainsi que leur diversité d'un sujet à l'autre. on comprend
que les différents caleuls interprétatifs des différents A puissent sensi-
blement diverger entre eux, et par rapport à l'intention signifiante de
L: en cas de divergence entre le sens S voulu par L, et le sens S’ extrait
par A, on parlera de dissymétrie encodage/décodage, dissymétrie dont
les différences de compétences entre L et À sont loin d'être toujours les
seules responsables:
— Du point de vue du décodeur, je distinguerai:
a) le contresens sincère:
A n'est pas conscient que S’ # S. Donc,

34
À veut faire entendre qu'il a extrait S’.
Clest le malentendu, la méprise naïve, le quiproquo involontaire, qui
naissent d’une divergence de compétence, ou d'une erreur de calcul
interprétatif. Les tropes sont souvent l’objet de telles méprises, soit
que À prenne candidement au pied de la lettre une expression à enten-
dre au second degré, soit qu’au contraire, par une réaction de défiance
cette fois intempestive, il interprète au second ce qui prétend relever
du premier
(ainsi ai-je longtemps cru que le «rideau de fer» existait «pour de vrai»,
avant d’apprendre que ce n'était gu'une métaphore. Edifiée par ce
déboire communicationnel, lorsque j'ai plus tard entendu parler du «mur
de Berlin», je l'ai tout naturellement pris pour une métaphore: on ne
me la ferait pas deux fois!);
b) le contresens de mauvaise foi:
À est conscient que S’ # S. Mais
A veut faire entendre qu’il a extrait S
(pour différentes raisons stratégiques et intérêts argumentatifs).
La mauvaise foi est d’autant plus forte que l’évidence de S' est plus
faible. Elle est donc particulièrement provocante dans le cas de cette
tirade de L dont la fonction stratégique est de lui permettre d'échapper
à cette incursion territoriale que constitue l'acte de requête:
L; — «Ferme la fenêtre, il fait froid dehors.
L; — Ah parce que si je fermais la fenêtre, il ferait moins froid dehors?».
Si cette réplique est énoncée sur le mode de la plaisanterie, l'exemple
relève de
c) le pseudo-contresens à fonction ludique:
A est conscient que S'# S
A veut faire entendre qu'il a extrait S, mais il enchaîne quand
même sur S’, à la faveur d’un sorte de dédoublement énonciatif, et pour
produire certains effets comiques, ex.:
«Ah cette époque de violence! Même le pape qui canonise .… .»:
L feint d'interpréter de travers le verbe «canoniser», mais en fait il sait
bien, et À sait bien que L sait, et L sait que À sait qu'il sait que «cano-
niser» ne veut pas dire «tirer au canon»: le sujet réel (Francis Blanche),
correctement compétent, se dissimule ludiquement derrière un sujet
fictif qui prend en charge l’erreur interprétative.

35
mais il s'agira
(Remarque: le cas a) peut également provoquer le rire,
alors de «comique naif» pur).
du côté de l'encodeur, je distinguerai les
— Me déplaçant maintenant
niveaux suivants:
0 - le dire apparent, ou explicite
ce que L veut faire croire quil a
1 - la prétention signifiante:
effectivement dit
2 - l'intention signifiante: ce que L veut faire ou laisser entendre

3 - la pensée réelle de L.
ces, cela apparaît
Qu'il soit nécessaire de distinguer ces différentes instan
d'autres sont attestés,
au travers des quelques cas de figure suivants (mais
plus complexes):
a) Communication «normale»: O = 1 = 2 = 3.
b) Mensonge:
L dit explicitement p
veut faire croire qu’il a dit p
veut faire entendre p
pense en réalité p' # p.

Le mensonge consiste donc en un décalage entre 3 et 0-1-2.

¢) Ironie et autres tropes:

L dit explicitement p
sens strict,
veut faire croire qu'il à dit p’ (p' étant. dans l’ironie au
le contraire de p)
veut faire entendre p’
pense p’.
entre 0 et 1-23 (entre le dire apparent et le
L'ironie est un décalage
dire réel).
parlerons de mauvaise foi (@à la production: nous avons
d) Nous
de la «mauvaise
dans la rubrique précédente envisagé le cas
foi interprétative») ‘ dans le cas suivant:
L dit explicitement p
veut faire croire qu'il a dit p
veut faire entendre p
pense p.
et 0-1-3, c'est-à-dire sur-
La mauvaise foi consiste en un décalage entre 2

36
tout entre le sens «intendu» et le sens prétendu. Elle vise à suggerer une
interprétation (que L ne peut décemment assumer, mais qui «l'arrange»),
tout en ménageant à L la possibilité de nier l'avoir suggérée. Exemple
(un gynécologue, à une femme enceinte venant lui annoncer son désir
d'avorter):
«Après votre avortement, peut-êlre que vous ne pourrez plus avoir
d'enfant»:
L'énoncé exprime implicitement une relation chronologique (p);
implicitement, en vertu du principe «post hoc, ergo propter hoc»,
une relation causale (p’: les avortements, ça peut rendre stérile), dont
la validité est pour le moins douteuse, mais qu'on ne saurait accuser
L d'avoir véritablement énoncée, même si on peut le soupçonner de
l'avoir insidieusement suggérée.
On pourrait d'autre part montrer que du point de vue qui nous intéresse
ici maintenant (problème de la (dis) symétrie encodage/décodage), seuls
sont pertinents les niveaux 1 et 2: il aura parfaitement compris l'énoncé
de L celui qui en aura ident les prétention et intention signifiantes;
il n'y aura rien compris celui à qui les deux échapperont; et l’on pourra
parler de «dissymétrie particlles lorsque l'un ou l’autre seulement de
ces deux éléments sera perçu par À. En d'autres termes: il y a dissy-
métrie encodage/décodage (partielle: «ou», ou totale: «et») dès lors
que À identifie mal la prétention, et/ou l'intention signifiante de L —
lesquelles le plus souvent coincident, et c'est heureux.
Notre ultime définition du sens d’un énoncé sera donc: Un énoncé veut
dire ce que ses récepteurs estiment (à tort ou à raison, de fagon réelle
ou feinte, de bonne ou de mauvaise foi) être la prétention et l'intention
sémantico-pragmatiques du locuteur dans cet énoncé.
Quant au niveau 3, son statut est différent de celui des deux précédents:
il est bien évident que ne pas identifier la «pensée réelle» d'un menteur,
ce n'est pas intepréter de travers son énoncé: si Pierre m'annonce qu'il
à réussi son examen, si c'est faux, s'il sait que c'est faux, s'il veut que
je croie que c'est vrai (ce n'est pas un énoncé ironique), et si je crois
effectivement que c'est vrai, je ne ferai pas pour autant de «contresens»
sur son énoncé: le niveau 3 est de ce point de vue non pertinent.
Mais selon que A pense que L pense ou non ce qu’il dit, il n'accordera
pas à l'énoncé le méme staut: ce sera un énoncé mensonger (et son
énonciateur sera juge menteur), chargé donc d'une marque particulière
(et infamante), s'il s'avère que le niveau 3 ne coïncide pas avec les
autres.
Nous énoncerons donc pour terminer le principe suivant: les mréca-
nismes interprétatifs intègrent parfois, en plus de la reconnaissance par

37
nes évaluations
A des intention et prétention de L dans son énoncé, certai
supplémentaires de cet énoncé,
ème se posant
— évaluation en termes de sincérité/mensonge — le probl
e (contra-
des indices de l'insincérité, qui peuvent être de nature verbal
erbale (intonation,
diction interne à l’énoncé), extra-verbale, ou para-v
qui bouge» : autant de symptômes
hésitation, rougeur, le fameux «nez
antinomiques de «l’air de la sincérité»).
sseté — mais cela est une
— évaluation aussi en termes de vérité/Fau
autre histoire.
et uné question: mon approche du
Pour terminer, une mise au point
approche linguistique et non psycho-
phénomène interprétatif est une
nullement que la «chaîne
linguistique; c'estirdire que je ne prétends
interprétative» que j'essaie de reconstituer reflèt e les opérations effecti-
de l'énoncé. Mais je ne
vement accomplies par les récepteurs effectifs
pertinence psy-
puis en même temps m’empécher de m'interroger sur la
érer — tout en niant
cholinguistique de ce type de description, et d'esp r ou Vinva-
que de telles considérations soient pertinentes pour la valide
ne manière dans la même
lider, c’est-à-dire que je me trouve d’une certai
de mauvaise foi, que les
position, non exempte d'une certaine dose
«prod uctio n» — que peut-être,
générativistes vis-a-vis des problèmes de
«ça se passe vraiment comme ça...»
aître aux contenus
Ce qu'il y a en tout cas de sûr, clest qu'il faut reconn
lations argumentatives,
implicites, même si leur statut, donc leurs exploi
ption dans l’énoncé est souvent
sont spécifiques 9, méme si leur inscri
des conten us implicites, une
plus douteuse, plus vacillante que celle
Et qu'ils sont méme d'une
existence linguistique pleine et entière ”.
ge [ait appel fonda-
certaine manière exemplaires: parce que leur décoda
celui des contenus expli-
mentalement au même type de procédures que
eux, il permet une
cites, mais qu’étant plus laborieux encore et hasard impé-
saisie plus fine des mécanismes interprétatifs; et qu'il rend plus
que la compétence stricte-
ratif encore le recours à d'autres compétences
de sortir de l’immanence
ment linguistique, et plus urgente la nécessité d'é-
ion et les actants
descriptive, et d'incorporer pour de bon la situat sens
nonciation dans la formul ation des règles explicitant «comment les
sont appariés aux sons».
CATHERINE KERBRAT-ORECCHIONT
Université Lyon II

38
Notes

“ Un résumé de cette recherche a été présenté au colloque «La Compréhension


du Langage» organisé par le GE.L. (Paris XIT) et l'E.S.LT. (Paris XTIT) en septembre
1980 (actes à paraître),
@ On voit donc qu'unc même unité signifiante peut participer, soit avec la même
fonction sémantique («Pierre», sfumers), soit avec des rôles différents («cesser
de»), à la constitution de deux niveaux de contenu différents.
& Le probleme se posant de savoir si dans ces cas de «décrochement», c'est le
Sé hyper-ordonné ou l'ensemble Sa/Sé, qui fonctionne comme le Sa du contenu
connoté ou implicité.
# Nous reviendrons tout à l'heure sur cette définition, Disons dès maintenant
qu'elle est loin d'être évidente la réponse à cette question: où passe la frontière
entre les valeurs explicites et implicites? qu'en tout état de cause on ne saurait
admettre l'affirmation de Grice (1979, p. 60) comme quoi un énoncé tel que «ll
est anglais, il est donc courageuxs établit «implicitement» une relation causale
entre les deux faits: c'est de l'explicite, s'il en est; que l'intuition se rebelle même
parfois à considérer comme relevant de l'implicite certains présupposée, dont l'actua-
lisation est aussi bien assurée que celle des posés; et que l’axe définissant le
caractére explicite ou implicite d'un contenu linguistique étant en fait graduel
{allant des posés aux sousentendus les plus incertains, en passant par les présup-
posés), il ne saurait être binarisé sans arbitraire.
« Exemple: «L'Afghanistan... (hochement de 1ête; ton pénétré); C’était un pays
bien archaïque». Dans la bouche de mon partenaire discursif, à qui je venais de
narrer étourdiment quelques épisodes pittoresques d'une expédition déjà ancienne
en ces contrées, lc sousentendu était plus qu'évident. N'empéche que l’on peut
toujours enchaîner sur un énoncé de ce type avec un «ça l’est toujours du vesie»
—alors qu'il est beaucoup plus scandaleux (linguistiquement) de dire: «Pierre a
«æssé de fumer. D'ailleurs il n'a jamais fumés,
@ En gros, disons que par «allusion» on entend le plus souvent un sous-entendu,
lantôt à contenu grivois ou graveleux (allusion sexuelle), tantôt faisant référence
à un ou plusieurs fails particuliers connus de certains des protagonistes de l'échange
verbal et d'eux seuls, el établissant ainsi entre eux une certaine connivence; et
par «insinuation», généralement, un sousentendu à contenu malveillant (notons
que les présupposés n'ont pas, comme les sous-entendus, vocalion à fonctionner
comme des insinuations: pas d'insinuation, bien que la proposition «Pierre est
un imbéciles y ait statut de présupposé et non de posé, dans une expression telle
que «Cet imbécile de Pierre...»: l'attaque n'y cst pas suffisamment camouflée
— preuve que les présupposée occupent, sur l'axe d'implicitation, une position proche
de celle des contenus explicites).
@ Sur le problème des exploitations stratégiques auxquelles peuvent comparative-
ment prêter les présupposés el Ics sous-entendus, voir notre article «Discours
politique et manipulation: du hon usage des contenus implicitess, à paraître in
Linguistique et Sémiologie, «Le discours politique», Lyon, automne 1981,
$ Tant qu'à faire, histoire de voir réunies dans un même mot les deux isotopies,
sexuelle et textuelle, que Iraque avec le plus de constance la sémiotique contem-
poraine, pourquoi n'y aurait-il pas là en sus une connotation scripturale — si l'on
pense qu’un recueil de poèmes de ce même Victor Hugo s'intitule précisément
«La dernière gerbe.…».
(% Le sens propre venant alors souvent surimpressionner connotativement ce sens
dénoté,

39
« Ainsi qu'il apparaît dans le fait qu’employé de façon manifestement ironique,
un énoncé tel que «Ah c'est intelligent ce que lu as fait làl» ne sera pas pérçu
comme une muation: la malveillance, cessant d'étre connotée, cesse du même
coup d'être «enfouie», donc insinuée,
( Certes, le phénomène lui-même que constitue Ie trope est prévu par la langue,
et son fonctionnement régi par des règles (qu’il s'agit justement pour nous de
dégager). Mais ce que nous voulons dire, c’est que, pour chaque cas particulier, s'il
s'agit d'un Irope d'invention, la règle de correspondance Sa/Sé n'est pas au préalable
inscrile en langue.
U3 «La vie a du sel»: métaphore lexicalisée qui fait ici en outre figure de calem-
bour (intégré à l’isotopie alimentaire, et plus particulièrement à celle du beurre,
le mot «sel» rénoue connotativement avec son sens propre).
@N Sur les exploitations stratégiques possibles de ce type de trope, voir Ducrot
1973 (pp. 219-222), Anscombre 1976 (pp. 20-21), et Kerbrat-Orecchioni 1981 b.
% À l'instar de ces policiers Zaïrois dont J-F. Berniès écrit ainsi le comportement
(Pigeon volant, Laffont 1977, p. 252): «lls se sont remis à m’interroger. Leurs
questions s'entre-croisaient. Ils n'écoutaient pas les réponses, reposant toujours
les mêmes questions. Juste pour gagner du temps et jouer avec leur pouvoirs
(indice du trope: le peu d'intérêt de L pour les réponses, donc le caractère gratuit
des questions; infraction aux règles de pertinence et de sincérité).
((5) Sur ces problèmes d'actes dérivés conventionnels, et de marqueurs de dérivation,
voir le numéro 32 («Les actes de discours», 1980) de Commumications,
06 Parler de valeur «primitive» d'une structure, c’est admettre qu’ellé possède
(en dehors bien sûr de toute considération diachronique) un sens plus «normals
que les autres; hypothèse d'ailleurs inscrite dans la terminologie grammaticale la
plus ancienne et la micux admise: une phrase «interrogaliven, «impératives ou
«assertive», qu'est-ce donc, en grammaire, sinon une structure signifiante qui
«normalements véhicule une v. i d'interrogation, d'ordre ou d'assertion? Mais la
reconnaissance d'un sens comme «proprer, au sein du Sé (ensemble hiérarchisé de
sémèmes) qui s'attache à un Sa (lexical ou syntaxique) peut toujours préter à
controverse, Ainsi considérons-mous comme des interdictions «primitivess celles
qui se formulent
soit par la négation 4 l'impératif (ou que + subjonctif, à la 3ème personnc), soit
à l'aide de l’expression performative «je l'interdis de...» (qui signifie bien
«proprement> l'interdiction).
Or Anscombre 1980 parle dans le second cas d’assertion primitive, mais d'inter-
diction dérivée, puisque oblitérable (mais l'exemple fourni p. 90: «J'interdis de
fumer, mais vous pouvez en griller une en vitesse» ne vaul rien: le verbe étant
au présent de généralité, il n’est pas employé performativement).
‘Tout cela pour dire que la distinction entre illocutoire primitif et dérivé, el leurs
marqueurs respectifs, ne vi pas sans problèmes.
@) A tel point que Zuber note qu'«il arrive souvent, dans les dictionnaires ou
les manuels de langues étrangères, qu'une expression véhiculant indirectement une
certaine signification non littérale soil traduite par une expression véhiculant fitté-
ralement ceite même significations (1980, p. 241. Zuber emploie ici «littéral» au
sens où nous parlons de «propres).
15 Autre exemple de trope illocutoire d'invention:
«Le vieux Nazaire Larouche... demanda brusquement: «Avez-vous cuil?s
Sa belle-soeur, étonnée, le regarda quelques instants et finit par comprendre qu'il
demandait ainsi du pain, Quelques instants plus tard, il interrogea de nouveau:
«Votre pompe, elle marche-ty bien?s,

40
Cela voulail dire qu'il n’y avait pas d'eau sur la table, Azalma se leva pour aller
en chercher, et derrière son dos il adressa à Maria Chapdelaine un clin d'ocil
facétieux:
ale lui conte ça par paraboles, chuchota-lil, c'est plus polis.
Nazaire Larouche continuait à se faire servir par paraboles.
«Votre cochon était-il ben maigre?» demandaitdl; ou bien; «Vous aîmez ça, vous,
le sucre du pays? Moi, j'aime ça sans raisonse (Guy Hémon, Maria Chapdelaine,
Hachette 1951, p. 17).
@ Exemple d'énallage aspectuel: le «pseudo-tératifs, que Genette 1971 identifie
chez Proust,
« Si l’on considère avec Ducrot la présupposition comme un acte de langage,
alors tous les tropes présuppositionnels rentrent dans la catégorie des tropes
pragmatiques.
@N Une dernière remarque, concernant la laçon dont le concept de connotation
s'arlicule avee celui de contenu implicite:
D'une part, un certain nombre d'auteurs ont signalé les affinités existant entre,
et même assimilé parfois, la connotation et les sous-entendus (ex.: Ricoeur 1975,
pp. 117-8), ou I'llocutoire dérivé (ex.: Chabrol 1971, p. 39, et larticle de Buyssens
1970 intitulé «De la connotation ou communication implicite»). Ces associations
sont en général justes, Mais leur validité s'arrête au cas du trope
D'un autre côté, certains (héoriciens mettent l'accent sur les affinités existant
cette fois entre le trope el les conlenus implicites (et en particulier illocutoires).
Ainsi Scarle 1979 lorsqu'il compare à lironic ct à la métaphore les «implications
conversationnelles» les «actes de langage indirects» (p. 35): cest à l'inverse
oublier que le mécanisme de substitution (du sens dérivé au sens littéral) qui
toujours caractérise la métaphore et l'ironie n'affecte qu’exceptionnellement l'îllo-
cutoire dérivé.
Donc: il importe de bien voir que les contenus implicites (et les v.i indirecles)
sont le plus souvent assimilables à des connolations — sauf lorsqu'ils se trouvent
impliqués dans un trope.
@ La frontière entre lexte verbal, ct contexte extra-verbal, n'est pas si simple à
établir, Deux faits la rendent, entre autres, problématique:
— l‘existence de la zone interstitielle du «para-vérbal», qui recouvre
(1) les Taits prosodiques (intonations, pauses, accents Loniques
., ..)
(2) les faits mimo-gestuels (kinèmes, béhaviourèmes…).
Nous considérerons les premiers comme constitutifs du texté (dans la mesure
où l’existence de ces éléments «suprasegmentaux» présuppose celle d'un matériau
phonique) et les seconds comme éléments du contexte (dans la mesure où ils
peuvent se réaliser indépendamment de toute vocalisation), Cela dit, certains types
de signifiants sont tantôt autonomes, tantôt incorporés au tissu phonique: le rire,
el même le sourire (car les enregistrements l'attestent: quand un sujet sourit en
parlant, ça s'entend!);
— le fait que le cotexte soit un objet infiniment extensible, qui au delà de
cortaines limites finit par se confondre avec le contexte: à partir d'une certaine
distance (mais laquelle?) leur support signifiant s’oblitérant, les informations co-
textuelles sont converties en informations contextuelles, c'est-à-dire reversées dans
la compétence encyclopédique. Mais il est en tout état de cause illégitime d’exclure
des données énoncives, comme le font certains, les intonations, et le cotexte au
moins étroit, RE
« Voir là dessur notre Enonciation, pp. 209-10,
« Tel est aussi I'avis de Sperber 1974 (pp. 9-10), qui considère en outre que les

41
nt être, soit «implicites» (= explicitables),
«savoirs culturels non explicités» peuve
soit «inconscie nts» (non explic itable s),
) Ou encore:
Majeure; Un lel est venu me voir
Mineure: Or un tel ne vient me voir quel lorsque...
Conclusion: Done il a des ennuis. où en principe:
on dans la mesure
Mais nous préférons la première présentati
la majeu re est plus génér ale que la mineu re
de la conclusion,
le thème de la mineure coincide avec le thème usion.
la concl
et le prédicat de la majeure avec celui de .
ces critères aux formulations «naturelles»
Mais il n'est pas toujours aisé d’appliquer nt donc, d'aprè s Ducro t
dentes, reléve
@ Inférences qui, à la différence des précé
de l'«ar gumen tatio n», et non du «raisonnement»; qui d'après Sperber,
{1973, p. 12),
des «impl icati ons»; et qui pour Perelman sortent
sont des «implicitations», ¢1 non
e».
du champ de l’argumentation «quasi logiqu
en donno ns quelq ues exemp les dans notre article intitulé «Discours poli-
(| Nous
tique et manipulation».
à Strasbourg par le CREDIF et
@ Quvrage de linguistique appliquée publié
Eddy Roulet. Fnonciation.
216) dans notre
« Nous en parlons un peu (pp. 210 à condition préliminaire aux
à Searle , il traite ce princ ipe en termes de
& Quant
actes de langage... de Georges Perec. (Notons
s du texte
@1 Voir dans l’Enonciation ce que nous dison la forme d'une «deuxième
envis age cette loi d’ant i-exh austi vité sous
que Grice
règle de quantité»).
@ Dans L'institution oratoire, livre 1X.
acts», voir Eddy Roulet 1980 (qui lui-même
( Sur la théorie des «face-lhreatening
l’emprunte à Erving Goffman).
aires que préconisent Roulet 1980 ou
&# Voir par exemple les règles supplément
Anscombre 1980.
le rôle que certains théoriciens octroient
(%) C’est pourquoi l'on peut trouver abusif
les, qui seraient scules responsables de
actuellement aux maximes conversationnel
l’identification de tous les tropes et inférences.
tenance de l’énoncé au corpus des
( L'une d’entre elles pouvant étre: appar
«textes poétiques» .
e de la formulation qui incite à consi-
«n Parfois, c'est le caractère un peu bizarr
(ex.: «Taky, l’agent de peau Tissen).
dérer l'énoncé comme un trope ou un calembour
rhéto rique , on peut se demander s’il ne s'agit
&s Pour les compétences logique ou
de la compétence linguistique. La solu-
pas là plutôt de composantes particulières
opté se fonde sur un certain nombre de
tion pour laquelle nous avons finalement
ulier leur extension géographique: les frontières
considérations, concernant en partic
tences linguistiques, culturelles, rhéto-
du territoire sur lequel s'étendent les compé
on peut le supposer, relativement plus
riques et logiques (les deux dernières étant,
) ne se super posent pas.
universelles que les deux autres
sur «Fran ce-cu lture », je tombe sur la phrase: «Les déclarations
( Me branchant
nnent bien décontractés à France-culture.
de ce type...» Je me dis: tiens, ils devie
premier réflexe interprétatif: c'est d'un
Mais aussitôt, je corrige par feed-back mon
autre type de type qu'il doit sagir...
similaire, de «degré d'indirection»,
% Nef 1980 parle, dans une perspective
article de 1980 sur l’ironie, pp. 113-114.
1) Nous développons cette idée dans notre
nos articles de 1981.
@ Sur ce problème de la mauvaise foi, voir
deux formu latio ns:
@3 Comparons par exemple ces

42
@ «Je remercie x, y et z...»
— je ne remercic pas X', ' et z': mais le paradigme reste flou et ouvert.
(i) (attestée, en exergue à une thèse de troisième cycle) «Je remercie, X, y et z...
Je ne remercie pas x’, ¥, qui n'ont rien fait pour m'aider».
La première est normale, et son inférence assez discrète et imprécise pour que
l'énoncé reste pacifique. La seconde est violemment provocatrice,
@ C'est en effet sur eux que parfois s'effectue l’enchaînement dialogique, et se
fonde la cohérence de l'énoncé (voir là dessus Guy Denhière 1975, qui affirme tests
à l'appui que lorsqu'ils ont à résumer et mémoriser un récit, les sujets traitent
de la méme manière exactement les propositions formulées explicitement et impli-
citement).
D'autre part: dans un fort intéressant article d'Alexis Berelovitch consacré au
problème de la «langue d'Esope» en Union Soviétique, c'est-à-dire aux diverses
manières de «faire passer» indirectement certains contenus tabous, on lit ceci:
«Nombre de procédés évoqués relèvent (...) de ce que j'appelais la langue d’Esope
ponctuelle et, dans le cas de l'ironie par exemple, ils étaient aisément déchiffrables.
Leur utilisation était possible lorsque la censure interdisait surtout des noms ct
des mots et lorsqu'elle «n'avait pas le droit de comprendre». A l'époque actuelle,
alors qu'existe une censure pour sous-entendu, ces procédés sont devenus insuffi-
sants»,

43
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A B C
Semlatica, lInguistica, semantics Semiotica narrativa © discorsiva. Retorics Socio-semietica (soaio- ed etno-linguls
Sémiotique, linguistique, sémantique Sémiotique narrative ot discursive, Socin-sémiotique
Semlotics. Linguistics, Semanties Ahétariaue. lsoélo- ot athno-lingulstique)
Samiotics af narrative and discourse, Soclo-Semlotics (Soclo- and Ethno-
Rhotaric Linguistics)

D E F

Semiotica letterarla; mitologia ¢ foikdore; Semiotiche auditive. Semioticho visive & audio-visive
paetica Sémiotiques auditives. Sémiotiques visuelles et audio-visuoll
Sémlotique litteraire: mythologie et folkiore; Audio Semlotics Visual and audio-visual Semiatics
paétique,
Literary Somiotios:
Mythology and Folkloristics; Pootics

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