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Stylistique

Cours : Léon Koffi


Niveaux d’analyse structurale des textes

Définitions

Le mot structure vient du latin struere qui signifie construire. En français, le mot structure
est utilisé dans des domaines divers et variés. Dans la construction (l’architecture) on parle,
par exemple, de la structure d’une charpente ; en géologie, de la structure des sols... Tous ces
usages du mot évoquent, d’une façon générale l’idée d’agencement, d’articulation. On
retrouve parfois, le même mot dans le vocabulaire des arts plastiques pour désigner une
forme ou un profil.

La différence, ou peut-être la nuance, qu’on peut relever entre le mot forme et le mot
structure, c’est qu’avec l’un, nous avons tendance à percevoir l’objet ou la réalité comme
une entité globale, tandis qu’avec l’autre nous saisissons la réalité à partir de ses
composantes.

On peut donc, de façon sommaire, définir la structure comme le résultat de l’agencement


d’unités initialement autonome, mais qui, dans leurs articulations finissent par constituer une
seule entité. Percevoir la structure d’un objet ou d’une réalité suppose qu’on l’observe ou
qu’on la regarde à partir de ses composantes.

Le structuralisme en tant que théorie littéraire est né et s’est surtout affirmé dans le courant
du vingtième siècle. Il a bénéficié des bases théoriques de Ferdinand de Saussure lorsqu’il a
posé les fondements de la linguistique comme discipline scientifique.

Lorsqu’il définit l’objet de la linguistique, Saussure distingue deux entités du langage : la


langue et la parole.

« La langue, distincte de la parole, est un objet qu’on peut étudier séparément… Non
seulement la science de la langue peut se passer des autres éléments du langage, mais elle
n’est possible que si les autres éléments n’y sont pas mêlés »1

Brondal écrit à ce propos que :

1 Cours de Linguistique Générale, Editions Payot, Paris, 1969, P .39


"Dans un état de langue donné, tout est systématique: une langue quelconque est constituée
par des ensembles où tout se tient: système des sons (ou phonèmes), systèmes de formes et de
mots (morphèmes et sémantèmes). Qui dit système, dit ensemble cohérent; si tout se tient,
chaque terme doit dépendre de l'autre".
C’est donc au niveau et à partir de chacun des systèmes que l’on peut observer ou dégager
des structures.

Si, pour l’ efficacité ou la rigueur de l’analyse scientifique, la linguistique exclut de son


champ d’étude les « autres éléments » du langage, tout locuteur, pour rendre la
communication possible entre lui et son auditeur (ou son auditoire) est obligé de recourir à
ces éléments extralinguistiques nécessaires à la production d’un discours.

Pour expliquer simplement les choses, nous allons essayer de définir brièvement des concepts
liés au langage et au discours et relever des nuances susceptibles d’établir une distinction
entre l’un et l’autre afin de bien comprendre le fonctionnement des éléments à partir desquels
nous pouvons établir la structure d’un texte. Il s’agit des concepts suivant : le langage, la
langue et la discours / l’énonciation, l’énoncé et le texte.

Langage, langue et discours.

 Le langage
Une première définition présente le langage comme une faculté humaine. Il désigne cette
capacité de l’homme à associer de son vocaux pour leur donner un sens.
Si je choisis le son (phonétique) m et que je lui associe le son a, tout auditeur qui m’entendra
prononcer cette association des deux sons entendra le son ma. Mais, que signifie ce son ma ?

En dehors de tout contexte, nous pouvons dire que ce n’est qu’un son. Mais si nous
l’intégrons dans l’environnement de la langue française, le même son que nous percevons
peut-être orthographié de façons différentes et donner des sens différents. Nous en relevons
deux, ici :

Ma adjectif possessif (féminin de mon).

ma :

Mât une pièce de bois plantée de façon verticale qui sert à porter un drapeau.
Si nous prospectons dans les différentes langues de Côte d’Ivoire, nous relèverons l’existence
de cette association des sons m + a - (ma), mais avec des sens tout à fait différents.

Ce système d’association est une des bases du langage humain, dans la mesure où toutes les
associations de sons élaborées au sein d’une communauté donnée et auxquelles un sens a été
attribué constituent, dans leur ensemble, le lexique propre à cette communauté (ou
précisément le dictionnaire de cette commuté). Celui de langue française, par exemple,
commence par la voyelle ou le mot a et se termine par le dernier mot de la lettre Z.

Mais un lexique n’est utile et fonctionnel que lorsqu’il est associé à un deuxième système
du langage : celui qui définit le mode d’organisation des éléments lexicaux. C’est la syntaxe.

 La langue

Lorsque ces deux systèmes fonctionnent parfaitement au sein d’une communauté donnée, on
quitte le domaine « presque virtuel » du langage pour parler de langue. Une langue, c’est
avant tout un lexique et une grammaire. Dans un contexte différent on les schématise sur
deux axes que l’on nomme axe paradigmatique et axe syntagmatique.

A Axe paradigmatique

Z Axe syntagmatique

Sujet verbe complément (ou attribut).

Ces deux systèmes ainsi réunis constituent la base de la langue qui, de ce point de vue, se
présente comme un outil de communication à la disposition de chacun des membres de la
communauté.

 Le discours

Lorsqu’on sélectionne des éléments de l’axe paradigmatique et qu’on les combine sur l’axe
syntagmatique, en suivant les normes de la syntaxe (ou de la grammaire), on produit un
discours (qui est aussi appelé une parole). Mais, l’acte de parole dépasse le cadre stricte de la
linguistique dans la mesure où il intègre un autre « système », précisément un environnement
(culturel) qui permet de comprendre les unités articulées pour produire le discours.

Exemple : j’ai vécu la crise.


Pour comprendre cette phrase, il faut la situer par rapport à un environnement : l’histoire du
locuteur ou un contexte d’énonciation, par exemple.

Baylon et Fabre écrivent à ce propos :

« Le discours de la vie privée fait fi de tout formalisme lexical ou grammatical. Très souvent
allusif, il fait la part belle à toutes sortes d’éléments paralinguistiques s’ajoutant aux mots ou
se substituant à eux, sans entrainer de gêne apparente. Il dénote une référence fantaisiste et
parcellaire à la compétence linguistique, d’où la nécessité de remédier à la non
grammaticalité des énoncés, par l’intonation, par exemple ». 2

Cette citation nous amène à examiner les trois autres notions que sont : l’énonciation,
l’énoncé et le texte.

 L’énonciation et l’enoncé.

L’énonciation est « un acte de production linguistique », c’est-à-dire un acte par lequel un


sujet sélectionne des éléments de l’axe paradigmatique pour les combiner sur un axe
syntagmatique selon les critères propre à une langue. C’est le résultat de cette mise en forme
des éléments linguistique qu’on appelle énoncé qui peut être une phrase ou plus d’une
phrase.

Mais la notion de phrase, au sens grammatical du terme, peut paraitre restrictive pour
désigner l’énoncé. Comme processus de mise en forme, l’énonciation actualise la ou les
phrases par rapport à une situation précise, en y intégrant tous les paramètres
extralinguistiques qui permettent de donner un sens à l’énoncé. C’est d’ailleurs dans ce sens
que le mot énoncé et le mot le texte peuvent, parfois, être appréhendés comme des
synonymes.

Exemple : Je fais chanter mon frère.

Cette phrase, en fonction de son environnement peut donner des énoncés ou des textes
complètement différents :

1) - je motive mon frère à produire une chanson.

2) - J’extorque quelque chose à mon frère sous la pression.

2 C.Baylon et P. Fabre : Initiation à la linguistique ; Editions Fernand Nathan, Paris ,


1975, p.48
Car en fait, qu’est-ce qu’un texte ?

 Le texte

Le mot texte tire sa source de deux mots latins : textus, tissu et texte et du mot textere, tisser.
Il partage la même racine que le mot textile qui évoque cette image d’étoffe constitué par une
multitude de fils imperceptibles et qui cependant, forment une seule entité.

Dans l’extrait qui suit, Ducrot et Todorov décrivent ce qu’est un texte.

« La notion de texte ne se situe pas sur le même plan que celle de la phrase (ou de
proposition, syntagme, etc.); en ce sens, le texte doit être distingué du paragraphe, unité
typographique de plusieurs phrases. Le texte peut coïncider avec la phrase comme avec un
livre entier ; il se définit par son autonomie et par sa clôture (même si, en un autre sens,
certains textes ne sont pas « clos ») ; il constitue un système qu’il ne faut pas identifier avec le
système linguistique mais mettre en relation avec lui : relation à la fois de contigüité et de
ressemblance. En terme hjelmsleviens, le texte est un système connotatif, car il est second par
rapport à un autre système de signification. Si l’on distingue dans la phrase verbale ses
composants phonologique, syntaxique et sémantique, on en distinguera autant dans le texte
sans que cependant ces composants soient situés au même plan. Ainsi, à propos du texte on
parlera de l’aspect verbal, qui sera constitué par tous les éléments proprement linguistiques
des phrases qu'ils composent (phonologique, grammaticaux, etc.) ; de l’aspect syntaxique, en
se référant non à la syntaxe des phrases mais aux relations entre unités textuelles (phrases,
groupes de phrases, etc.) ; de l’aspect sémantique, enfin, produit complexe du contenu
sémantique des unités linguistiques. Chacun de ces aspects a sa problématique propre, et
fonde l’un des grands types d’analyse du texte : analyses rhétorique, narrative et
thématique ». 3

Le texte se présente donc comme une entité construite avec des « outils » divers et variés : des
sons, des mots, des images, des phrases, des paragraphes ou des strophes, etc. C’est donc à
ces différents niveaux qu’il faut les moyens de sa structuration.

3 Oswald Ducrot / Tzvetan Todorov : Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage ; Editions du Seuil,
1972, PP 375-376
Théories structuralistes

Lorsque le structuralisme investit l’univers du texte, il y intervient avec des méthodes


spécifiques à chaque genre ou chaque discipline.

La linguistique s’intéresse essentiellement à l’étude de la phrase. Elle l’étudie en tant que


système de signe et la décrit dans toutes ses composantes : le phonème (la plus petite unité
distinctive que l’on eut isoler dans la chaine parlée – p /b) , le morphème (le plus petit
élément significatif que l’on peut isolé à l’intérieur d'un mot), etc.

La grammaire (syntaxe) traite de l’organisation ou de l’articulation de monèmes, des


syntagmes et des phrases dans l’énoncé.

Au début du vingtième siècle, le structuralisme a développé diverses approches de l’étude du


récit. L’une des plus connues elle celle relative à l’étude des récits oraux présentée par
4
Vladimir Propp dans la morphologie du conte où l’auteur montre que les éléments
constants dans ces récits de conte sont les fonctions des personnages. 5

Roland Barthes et A. j. Greimas ont développé d’autres modèles à partir de récits


romanesques. Celle de Barthes est exposée dans une communication qui a pour titre
« l’introduction à l’analyse structurale du récit »6

Modèle théorique de Barthes

Barthes préconise comme préalable à toute étude formelle du récit, la définition des plus
petites unités narratives. Il en identifie deux types : Les fonctions et les indices.

Les fonctions

Le mot fonction désigne l’action d’un personnage dans le déroulement d’une intrigue.

Il distingue deux types de fonction :

Les fonctions cardinales ou noyaux, représentent les unités charnières de la structure


narrative.

4 Editions du Seuil, Paris, 1965


5 Voir aussi l’étude de Denise Paulme dans la Mère dévorante (Essai de morphologie du conte africain) ; Paris
Gallimard, 1976.
6 In Communication N.8, PP. 7-33
Les catalyses, sont des unités complétives qui remplissent l’espace (narratif) entre deux
noyaux.

Les indices

Les indices sont des unités qui renvoient au temps, aux personnages, aux lieux, etc.

Le tableau suivant montre le mode de structuration du récit suivant le modèle proposé par
Roland Barthes.

Fonctions Indices
Acteurs Cardinale Catalyse Indications Temps Lieu Manière
actants

Exemple.
« Un beau matin, les envoyés de Wangrin revinrent de Koumasi chargés de
marchandises… »7
Fonctions Indices
Acteurs Cardinale Catalyse Indications Temps Lieu Manière
actants
les envoyés revinrent de chargés de Un beau - -
de Koumasi marchandises matin
Wangrin

Structuralisme et stylistique

7 Hampaté Bâ : L’étrange destin de Wangrin ;Editions 10/18, P.66


Parmi les théoriciens qui ont proposé la démarche structuraliste à l’étude stylistique, on peut
citer M. Riffaterre auteur d’Essai de stylistique structurale8.

Selon Riffaterre, « ce qui fait la structure stylistique d’un texte, c’est une séquence d’éléments
marqués en contraste avec des éléments non marqués, de dyades, de groupes binaires dont les
pôles … sont indispensables, inexistants indépendamment l’un de l’autre »9

Pour Riffaterre, le mot contexte désigne une unité énonciative par rapport à laquelle
s’apprécie, dans l’articulation des éléments syntaxiques, sémantiques ou grammaticaux du
discours, un fait perceptible comme singulier, imprévisible. Et, c’est cet élément imprévisible
qu’il définit comme unité de « contraste ».

Voilà l’exemple par lequel l’auteur illustre sa théorie : « cette obscure clarté qui tombe des
étoiles ».

L’effet de contraste dans l’association de deux termes qui, dans l’absolu, ont une valeur
sémantique antinomique. En tant que pôle complémentaire d’un même procédé stylistique,
« clarté vient contraster avec le contexte obscure ».

Riffaterre distingue deux types de contextes : un micro-contexte et un macro-contexte .

Micro-contexte et macrocontexte

Le micro contexte

Le micro contexte « est limité dans l’espace par sa relation avec ce pôle (contraste). Il
n’intègre pas d’élément non pertinent par rapport à l’apposition et peut être limité à une
seule unité linguistique. ».
Quand toute les têtes coupées
Quand tous les mains coupées
Quand tous les pieds coupés
Quand toute les rêves coupés.10

Le mot rêve, inattendu dans cet environnement, constitue l’élément de contraste et le mot
coupé, le micro-contexte.

8 Riffaterre M. : Essai de stylistique structurale , Editions Flammarion 1971.


9 Idem : p.10
10 Adiaffi (J.M.) : D’Eclaires et de Foudres, Abidjan, C.E.D.A, 1980. P.43
Le macrocontexte
Le macrocontexte est « la partie du message littéraire qui précède le procédé stylistique et
qui lui est extérieur »

Les notions de contexte et de contraste permettent :


1- De cerner (ou d’isoler), dans un énoncé, les faits d’expression ; notamment dans le
cadre des rapports contraste / micro contexte
2- D’identifier les faits d’expression et de montrer comment ils participent à la
structuration de l’énoncé : dans le cadre des rapports contraste / macrocontexte.

Les niveaux d’analyse structurale


Dans le cadre de l’analyse structurale du texte, il ne s’agit pas de définir des niveaux de
discours (ou de langue), mais d’identifier le les repères à partir desquels nous mettons en
évidence la structure d’un énoncé. Tous les moyens mis en jeu pour la réalisation d’un texte
peuvent servir à élaborer sa structure : les sons, les mots, les images, les propositions, les
phrases, les fonctions du langage, etc.

Textes
Textes 1

LE REPOS

Tibo,
Tu répondras à l’appel !
Tibo,
Tu ne répondras qu’à l’appel,
La tête haute,
Le poing droit, là,
Frappant ta poitrine !
C’est ainsi qu’on quitte la terre de ses pères.
Tibo,
Les larmes
Ne perlent que sur la conscience des pauvres ;
Tibo,
Ces chants du coq
Annoncent le repos des vieillards ;(…)
(Extrait de Refrains sous le Sahel de Pacéré Titinga)

Textes 2

Toi
Ta chevelure
Aux senteurs du premier matin
Ton nom
Au gazouillis de roucoulier.
Ton sourire
A la nudité d’éclair et d’aurore.
Tes mains
Porteuses d’aras et de manakins
Doucement vers mes intimes palmiers.

Qu’ai-je souhaité,
Qu’ai-je donc désiré
Avant toi ?
Or le monde est si riche,
si beau,
Et moi je l’ignorais !
(Extrait de Chaque Aurore est une chance de Fatho Amoy)

Textes 3
Harmonie du soir
Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir :
Valse mélancolique et langoureux vertige !

Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;


Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige,


Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.

Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !


Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige…
Ton souvenir en moi luit comme un ostentoir
(Charles Baudelaire : Les fleurs du mal)
Textes 4
Un crapaud vint,
Je sursautai !
C’est un crapaud,
Il ne fait pas de mal !
Un serpent vint !
Je sursautai !
C’est un serpent,
Il ne fait pas de mal !
Une biche vint !
Ce n’est qu’une biche !
Un lion vint !
Et s’immobilisa
À deux pas de la termitière !
Je tremblais
Comme une feuille sous l’orage !
Ce n’est qu’un lion,
Il ne fait pas de mal !
Il s’immobilisa
À deux pas de la mère !
Et poussa un rugissement
Terrible
Qui fit frémir
La termitière !
Le crapaud sortit
Et disparut,
La biche sortit
Disparut,
Le serpent sortit
Et disparut
La biche passa
Entre la termitière et moi !
Le lion
S’immobilisa,
Me regarda,
Poussa un long rugissement
Qui fit frémir
La termitière !
(Extrait de Quand s’envolent les grues couronnées de Pacéré Titinga)

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