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[Date] INTRODUCTION A

L’ANALYSE DE
DISCOURS

dridimoh@outlook.fr

Master 01 Sciences du langage


Master 01 Sciences du langage
Langage et contexte

La situation énonciative

Dans les échanges verbaux, il est fréquent que la signification des phrases
soit au moins partiellement déterminée par la situation dans laquelle elles sont

employées. Une théorie de la compétence qui se veut exhaustive devrait donc


rendre compte du fait que tout locuteur est à même d'apprécier les variables
significatives d'une situation spatio-temporelle et à même d'évaluer dans quelle
mesure ces variables sont susceptibles d'influer sur le sens des énoncés
concernés. Lorsqu'on compare les phrases (1) et (2), on constate que
l’interprétation de la première semble bien indépendante de la situation

énonciative où elle a pu être utilisée ; on s’accordera d’ailleurs sur le fait qu'on


peut lui assigner une valeur de vérité et une seule ; tel n'est pas le cas dans (2),
énoncé qui peut s'insérer dans un grand nombre de situations différentes. Pour
pouvoir retenir une interprétation unique avec la valeur de vérité y afférente, il
faudra évaluer dans chaque situation particulière les composantes
sémantiquement déterminantes. On peut imaginer, par exemple, que l'élément

postiche "il" désigne un prisonnier qui a livré des secrets sous la torture, un
miraculé de Lourdes qui a subitement retrouvé l'usage de la parole, ou encore un
automate qui a exécuté un programme de parole synthétique, ou même un moine
désobéissant.

1-Seize est le carré de quatre


2-Il a parlé
3- La note est juste

Dans l'énoncé (3), c'est également l'analyse de la situation énonciative qui


permettra aux interlocuteurs de lever l'ambiguïté en choisissant pour le terme

"note" la lecture lexicale qui convient ("note de musique", "facture", "addition de


restaurant", "appréciation chiffrée d'un travail ou d'un examen"). Remarquons

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qu'à l'inverse de (1), l'ambiguïté de (3) ne pourra pas être élucidée par référence
à des dérivations ou à des indicateurs syntagmatiques différents.

En fait, aucun courant linguistique n’a considéré que les variables

situationnelles n’avait aucune importance. Si les linguistes ont hésité à en tenir


compte, c’est parce qu’il leur paraissait difficile de faire intervenir ces variables
sans disposer d’une théorie scientifique achevée du réel. En l'absence de celle-
ci, en effet, le nombre de situations envisageables risque d'offrir du sens une
image anarchique impropre à la structuration. A cette raison s’ajoute, disent
certains, qu'il est d'ores et déjà possible de construire un modèle sémantique

empiriquement adéquat, fût-il partiel, sans faire intervenir les données


physiques, sociales et culturelles de la situation d'emploi. A ces arguments, qui
portent plus sur l'opportunité d'une approche scientifique que sur son bien-
fondé, on peut répondre que chaque langue comporte plusieurs classes d'énoncés
(qu'on songe aux expressions déictiques et performatives) pour lesquels la
situation énonciative est véritablement constitutive de sens. Ces classes

exercent une fonction communicative d'une importance telle qu'il semble exclu
de les négliger "provisoirement" pour des convenances méthodologiques. Ensuite,
il faut se demander si les situations énonciatives, effectivement indénombrables,
ne se laissent pas, dans l'évaluation intuitive du locuteur, classer et réduire à un
nombre fini de types représentatifs, et cela grâce à un mécanisme d'abstraction
comparable à celui qui définit les unités phonologiques. Il est bien évident que
toutes les composantes concrètes des situations n'ont pas la même incidence sur

l'interprétation sémantique des énoncés

Il faut ajouter que la situation énonciative concerne, outre ces aspects


spatio-temporels physiques, la connaissance qu'en ont les locuteurs ou l'idée
qu'ils s'en font, la représentation intersubjective de ceux-ci (ce qu'ils savent ou
pensent savoir de ceux qui participent à l'énonciation), les événements

déterminants qui ont précédé et l'information que les intéressés en retiennent,


les intentions (apparentes ou cachées) de chacun des participants et les buts

3
qu'ils poursuivent à travers l'énonciation. Bien entendu, le contexte proprement
linguistique, à savoir l'ensemble des phrases où baigne l'énoncé pris en
considération doit également être compris comme faisant partie de la situation,
ne fût-ce qu'à cause des informations qu'il recèle et qui pourront désormais être

supposées connues par les interlocuteurs.

Fonctions communicatives et actes linguistiques

Une typologie des phrases bien formées d'une langue naturelle doit
permettre de distinguer, par l'analyse de leurs propriétés syntaxiques, des

phrases traditionnellement appelées "déclaratives", ou "interrogatives",


"impératives" et "optatives". Toutefois, lorsqu'on cherche à savoir "ce qui est
dit" dans chacune de ces phrases-types, on ne retrouve pas nécessairement la
fonction communicative ou sémiotique correspondante. Ainsi une phrase
interrogative n'équivaut pas nécessairement à un acte d'interrogation, ni une
phrase impérative à un ordre, etc. La grammaire traditionnelle mentionnait déjà
le cas de la "question rhétorique" qui est en réalité une assertion et n'a de la

question que la forme. Il faut donc compléter l'analyse en se demandant "ce que
l'énonciateur fait" en produisant tel ou tel énoncé. Ainsi la phrase (9), qui a une
forme interrogative, sera le plus souvent interprétée comme un souhait, ou même
comme un ordre.

4- Pouvez-vous reculer la chaise?


5- On manque de place ici!
6- As-tu vu l’heure qu’il est ?
7- Ta main est sur ma feuille !
8- Je te passe le commandement
9- Qui va à la chasse perd sa place

La phrase (5), qui présente une forme déclarative, peut également exprimer le

même souhait ou le même ordre. Pareillement, on n’a aucune peine à imaginer une

situation dans laquelle la phrase interrogative (6) sera interprétée comme un

ordre du type : “Dépêche-toi ”. Dans un certain contexte, la phrase (7) peut

4
également signifier un ordre du type “ Tire-toi de là ”. La phrase (8) n'est pas,

comme ses propriétés syntactico-sémantiques pourraient le faire croire, une

déclaration contenant la description ou le constat d'un acte que l'énonciateur

commet au même moment, mais elle est elle-même cet acte en ce qu'elle exerce

sur l'allocutaire une influence bien déterminée et inhérente à l'énonciation (dans

le cas présent, elle lui confère le pouvoir et la responsabilité d'une fonction). La

phrase (9) enfin exprime une vérité socio-culturelle devenue proverbiale ; mais

son énonciation peut acquérir la valeur d'une justification de fait (par exemple,

lorsqu'elle est proférée à l'endroit d'une personne qui, ayant provisoirement

quitté une place, désire la réoccuper mais la trouve prise). A ce propos, il y aurait

une étude intéressante à consacrer aux aspects pragmatiques des joutes

rhétoriques où les locuteurs usent et abusent d'idiomatismes et de proverbes

apparemment neutres et parfois tautologiques (Trop c'est trop! Il faut ce qu'il

faut! etc.) pour en fait honorer l'allocutaire, le menacer, l'insulter, le consoler,

l'inciter à des comportements divers, etc.

Le point important est, ici encore, de reconnaître dans la compétence du


locuteur un sous-ensemble d'aptitudes cognitives qu'on ne saurait explorer avec
le seul outillage théorique de l'analyse syntaxique et sémantique. Le locuteur
possède en effet des connaissances lui permettant de juger des conditions

d'adéquation de l'énonciation: la capacité de produire un nombre illimité de


phrases bien formées et de leur associer une interprétation sémantique est
complétée par une aptitude à fixer la fonction communicative de celles-ci et, le

cas échéant comme dans (8), leur valeur d'acte.

Conclusions: le langage en action

Presque tous les linguistes s'accordent pour définir la Pragmatique comme


l'étude de l'utilisation du langage, comme la description du langage en action, du

langage en contexte; les termes d'utilisation, d'usage, d'acte ou d'action, de


contexte ou de discours servant de dénominateurs communs aux diverses

5
caractérisations proposées. Disons d'emblée cependant qu'une définition d'une
telle généralité n'a vraisemblablement comme avantage (?) que celui de masquer
la diversité des conceptions - parfois très divergentes - de la Pragmatique. Ces
divergences ont au moins deux origines. A la source directe des écarts se trouve

la notion centrale d'utilisation du langage, son statut linguistique mal délimité et


l'immensité du domaine qu'elle conduit à explorer. La notion d'utilisation du
langage recouvre en effet un champ d'investigation si large et si varié que l'on
peut s'interroger sérieusement sur la possibilité même d'arriver à décrire un
domaine aussi vaste et complexe. Comme le montrent les questions par lesquelles
on tente habituellement de cerner l'objet d'étude de la Pragmatique (Que fait-

on lorsqu'on parle? Quel est l'effet du langage ou son utilité? Que vise un
locuteur lorsqu'il s'adresse à son interlocuteur? Comment agissent-ils l'un avec
ou sur l'autre en parlant? etc.), la Pragmatique relève en fait non seulement de la
Linguistique, mais aussi de la Sociologie, de la Psychologie, de la Philosophie du
langage, de l'Ethique, etc. Or, il faut bien admettre qu’on ne dispose pas du cadre
théorique et méthodologique capable de dominer une telle interdisciplinarité. A

cela s'ajoute une deuxième raison qui tient aux origines diverses de la
Pragmatique. On distingue en effet au moins trois branches généalogiques dans
le développement de la Pragmatique: (1) la branche des logiciens, préoccupés de
déterminer la valeur de vérité de phrases comme "Je chante" comportant des
déictiques, (2) la branche des philosophes, particulièrement intéressés à cerner
la notion d’acte de langage, (3) la branche des linguistes. Ces différents foyers

historiques expliquent l'émergence de conceptions pragmatiques concurrentes.

Les actes du langage

La véritable Pragmatique naît en fait dans le creuset d'une investigation très


différente: l'analyse de ce qu’un locuteur fait en parlant. Cette investigation, à
laquelle sont principalement attachés les noms de AUSTIN (1962, How to do

things with words, tr. fr. 1970 Quand dire c'est faire) et de SEARLE (1969

6
Speech acts, tr. fr. 1972 Les actes de langage), renouvellera profondément la
Pragmatique.

Dans l'ensemble de leçons publiées en 1962 (il s’agit essentiellement de

conférences données par Austin à l’université de Oxford et de Harvard entre

1952 et 1955), Austin s’en prend à un des fondements de la philosophie analytique

anglo-saxonne qui considère que “ le langage a principalement pour but de décrire

la réalité, le rôle d’une affirmation (statement) ne pouvant être que de décrire

un état de choses, ou d’affirmer un fait quelconque, ce qu’elle ne saurait faire

sans être vraie ou fausse ” (Austin, 1970, p.37). Austin s’oppose ainsi à ce qu’il

appelle l’illusion descriptive, et s'attaque au positivisme logique typique de

l'approche vériconditionnelle qui considère que l'étude des conditions de vérité

constitue la pièce maîtresse de toute étude du langage. Il part, pour ce faire, de

l'observation que certaines phrases déclaratives du langage quotidien (ex. 1 à 6

ci-dessous) ne sont en fait nullement utilisées dans l'intention de produire des

assertions vraies ou fausses.

1. Je te promets d'écrire tous les jours.


2. Je te baptise au nom du Père, du Fils et du St Esprit.
3. Je vous condamne à trois ans de prison.
4. Je déclare ouverte l'année académique 04-05.
5. Je vous déclare unis par les liens du mariage.
6. Je te parie ma place qu'elle ne le fera pas.

Ce que ces phrases ont de particulier, remarque Austin, c'est qu'elles ne sont pas
simplement utilisées pour dire certaines choses (i.e. pour décrire certains états
de choses, rapporter quelque information sur un fait) mais plus exactement pour
faire des choses: après l'énonciation de ces énoncés, le monde n'est plus comme

avant; il a changé de manière substantielle. (Voir plus loin chapitre sur les actes
du langage).

Partant de ces observations, Austin se propose d'expliciter ce que l'on fait

dans l'acte même de parler. En produisant un énoncé, considère Austin, un

7
locuteur accomplit un certain type d'acte social, défini par la relation qui

s'instaure, du fait de l'énonciation, entre les interlocuteurs. C’est en examinant

les choses sous cet angle qu’il distingue cinq catégories d’actes, illustrant chacune

d’elles par une série de verbes :

- Les actes véridictifs sont des actes de jugement : condamner, apprécier,


évaluer, acquitter, accuser, etc.
- Les actes exercitifs sont des actes liés à l’exercice d’un pouvoir, d’un droit,
d’une autorité : nommer, conseiller, autoriser, avertir, interroger, etc.
- Les actes promissifs sont des actes d’engagement à faire quelque chose :
promettre, accepter, refuser, etc.
- Les comportatifs sont des actes liés au fonctionnement social : remercier,
féliciter, s’excuser, etc.
- Les expositifs sont des actes d’exposition : démontrer, nier, répondre, etc.

Dans cette perspective, le langage est loin de n'être qu'un moyen de


représenter la réalité: c'est un dispositif, une "institution" comportant une
panoplie de rôles conventionnels correspondant à la gamme des actes de langage
socialement reconnus. Le langage est un dispositif permettant d'accomplir des
actes qui n'existent que dans et par cette "institution" (comme l'acte de
"marquer un but" n'existe que par et dans l'institution football). Ces actes de

langage obéissent à certaines règles: on ne fait pas n'importe quoi n'importe


comment; ce sont d'ailleurs ces règles qui créent pour ainsi dire la possibilité
même de faire quelque chose en parlant (exactement comme les règles du football
ou du jeu d'échecs ne disent pas seulement comment on joue aux échecs ou au
football, mais créent la possibilité même d'y jouer).

Cette notion d’acte de langage proposée par Austin en 1962 ouvre un champ

de réflexion considérable (initiée seulement par Austin, décédé à l’âge de 48 ans)


et constituera un des thèmes les plus étudiés de la pragmatique linguistique au
cours des 30 années qui suivront.

8
7.3. Les actes de langage

Ce n'est pas une idée bien nouvelle que de prétendre que l'on parle pour

'faire' quelque chose, que parler est une façon d'agir et particulièrement d'agir
sur les autres, que le langage 'sert' à diverses fins dans l'économie générale du
comportement humain. Il y a, bien entendu, la dichotomie fondamentale entre les
fonctions de représentation et de communication. Mais dans le cadre même de la
communication verbale, divers auteurs ont, de longue date, proposé de distinguer
divers types d'échanges; ce fut le cas du psychologue Skinner (1957) dans le

cadre de la théorie de l'apprentissage, et du linguiste Jakobson (1963) dans le


cadre de la théorie de la communication. Des philosophes du langage (Austin,
1962; Searle, 1969) ont cependant conféré à ces questions une dimension
nouvelle, dont Miller (1970) fut l'un des premiers à souligner l'importance en
psychologie du langage.

7.3.1 La notion de force illocutoire

Comme point de départ, nous pouvons prendre la mise en évidence par Austin,

en 1962, des énoncés "performatifs", qu'il oppose aux énoncés constatifs. Les

constatifs sont des énoncés qui “ représentent des faits différents d'eux-mêmes

”, tandis que les performatifs “ sont les faits dont ils parlent, mais qu'ils ne

décrivent pas ” (Récanati, 1979). En d'autres termes, un énoncé est dit

performatif s'il satisfait simultanément à deux conditions: il faut, d'une part,

qu'interprété littéralement, c'est-à-dire dans sa structure sémantique, il décrive

une action présente de son locuteur; et il faut, d'autre part, que son énonciation

même ait pour fonction d'accomplir cette action. Ainsi, les phrases suivantes

sont, par excellence, des énoncés performatifs, pour autant qu'elles soient

prononcées dans les conditions requises:

Je déclare la séance ouverte


Je vous déclare unis par les liens du mariage

9
Je vous condamne à une amende de 3.500 euro car les actes d'énonciation, par

le fait même qu'on les pose, réalisent ce qui y est déclaré: la séance est

réellement ouverte, les époux sont réellement mariés, le prévenu doit réellement

payer une amende. Comme le souligne Ducrot (1978), un tel acte d'énonciation

induit immédiatement une transformation 'juridique' de la situation. Cela étant,

voyons ce qu'il en est pour des phrases comme les suivantes:

Je te promets de passer ce soir


Je t'ordonne de venir ici
Je te supplie de me donner son adresse

De tels énoncés ne sont pas des performatifs, si l'on entend par là que leur seule

énonciation aurait pour effet que je passerai ce soir, que vous viendrez, ou que
vous me donnerez l'adresse que je convoite. Et pourtant, ce sont des
performatifs si l'on considère que, par cette énonciation, je vous fais une
promesse, je vous donne un ordre, je vous quémande une information. Dans de
tels énoncés, il y a donc lieu de distinguer l'acte que pose le locuteur (la promesse,
l'ordre, la supplique), qui en serait en quelque sorte la composante performative,

et l'objet sur lequel cet acte porte, qui en serait la composante constative. Il
n'est cependant pas indispensable que la composante performative soit explicite,
car il en irait exactement de même si les énoncés étaient les suivants:

Je passerai ce soir Viens


ici!
Quelle est son adresse?

Mais alors, rien n'empêche d'appliquer la même analyse à tout énoncé, quel qu'il

soit, et une simple déclarative, telle que "Il y avait pas mal de monde hier soir"

devra être décomposée en une composante constative et une composante

performative consistant en un acte d'assertion: “ J'affirme (je soutiens) qu'il y

avait pas mal de monde hier soir ”. C'est ainsi que tout énoncé, dès lors qu'il est

placé dans une situation énonciative, constitue un acte qui modifie les rapports

10
entre les interlocuteurs. “ Dès qu’on a saisi que l’objet à étudier, ce n’est pas la

phrase mais la production d’une énonciation dans la situation de discours, on ne

peut manquer de remarquer ceci : affirmer, c’est exécuter un acte ” (Austin,

Quand dire c’est faire, p.143).

Ce que l'on vient de dire peut également se comprendre en partant de la


distinction que fait également Austin (1962) entre le locutoire, le perlocutoire,

et l'illocutoire. Le locutoire désigne l'activité cognitive et phonatoire impliquée


par le fait de parler, et nécessaire pour rendre la parole possible. Le perlocutoire
désigne l'ensemble des conséquences qui découlent de cette activité locutoire.
L'illocutoire est ce que l'on fait par le fait même de l'énonciation, c'est-à-dire
les rapports qu'elle institue entre les partenaires en fonction de règles
constitutives de la pragmatique linguistique (Searle, 1969). Ainsi, je mets en

oeuvre un ensemble d'activités locutoires pour émettre l'énoncé "Je te promets


de passer ce soir" et cet énoncé pourra avoir des effets perlocutoires: vous
pourrez croire que je passerai ce soir, dans la mesure où vous avez foi en ma
promesse (et peut-être même m'achèterez-vous quelque chose à boire); je
pourrai, en effet, passer ce soir, pour autant que j'honore mes engagements. Est
illocutoire l'acte même de la promesse, et cet acte seulement. Comme le fait

observer Ducrot (1978), je promets véritablement quand je dis que je promets,


alors que je ne console pas par le simple fait que je dis que je console, et c'est
pourquoi promettre est illocutoire et consoler est perlocutoire. De la même façon,
on voit aisément que l'acte illocutoire de mettre en garde peut avoir l'effet
perlocutoire d'effrayer l'auditeur.

Austin insiste sur l'idée que l'acte illocutoire n'existe véritablement qu'en

tant qu'il est reconnu comme tel par l'auditeur. Le marteau sert à enfoncer des
clous, et je puis parfaitement l'utiliser à cette fin, indépendamment de la
reconnaissance d'autrui; je puis d'ailleurs enfoncer un clou en utilisant quelque
autre objet contondant. Mais je ne puis accomplir une requête ou une promesse

11
qu'en utilisant une forme dont mon interlocuteur sait et reconnaît qu'elle a pour
fonction d'accomplir cet acte. Les actes illocutoires sont des types
d'interactions sociales, et n'existent pas en dehors de telles interactions.

7.3.2 La contribution de Searle

Searle (Les actes de langage, 1972) prolongera la théorie de Austin dans ses
deux dimensions que sont l’analyse des intentions et l’analyse des conventions. On
peut en effet voir les phrases par lesquelles s’accomplissent des actes de langage
comme un moyen conventionnel pour exprimer et réaliser des intentions. La
contribution de Searle sera d’instituer une distinction entre ce qui relève de
l’acte illocutoire lui-même (que Searle appelle le marqueur de force illocutoire) et
ce qui relève du contenu de l’acte (que Searle appelle le marqueur de contenu

propositionnel). Dans les phrases Janine corrige les

examens, Janine corrige-t-elle les examens ?, Plût au ciel que Janine corrigeât

les examens, Janine, corrige les examens !, c’est la même proposition (prédicat
et arguments) qui est exprimée, mais elle est présentée avec divers marqueurs de

force illocutoire qui indiquent l’acte illocutoire qui est accompli par le locuteur.

Selon Searle, le locuteur d’une phrase poursuit un double but: communiquer le

contenu de sa phrase, et faire reconnaître cette intention en vertu des règles

conventionnelles qui gouvernent l’interprétation de cette phrase dans la langue

commune.

7.4 Typologies des actes de langage

Puisqu'il appartient à l'auditeur d'identifier l'acte que le locuteur vise à

accomplir par son énonciation, il serait intéressant que des recherches nous

informent sur les diverses classes d'actes de langage que l'on peut rencontrer,

et sur la nature et le fonctionnement des “ marqueurs illocutoires ”, c'est-àdire

de ces éléments qui indiquent la valeur et la force illocutoires d'un énoncé.

12
A commencer par Austin (1962, voir ci-dessus), divers auteurs (p.ex. Fraser,

1974; Searle, 1976 ; Costermans et Hupet, 1987), ont proposé des classifications

pour les actes de langage. Il serait fastidieux de les reproduire ici et de comparer

ce qui apparaît souvent comme difficilement comparable. Il nous semble

cependant qu'il est possible d'en dégager quelques grandes catégories, à

l'intérieur desquelles diverses classes s'articulent les unes par rapport aux

autres. Nous laisserons ici de côté ce qui relève proprement des performatifs et

s'exprime par des formules légales ou ritualisées, telles qu'on les trouve en

particulier dans les actes juridiques (le prévenu est acquitté, la séance est

ouverte) ou dans les rites religieux (je te baptise, etc.).

La comparaison des différentes typologies ou nomenclatures existantes

permet de dégager les 5 principes suivants (que l’on devrait retrouver, d’une façon

ou d’une autre, dans toute typologie) :

(1) Certains actes de langage peuvent être considérés comme des offres
susceptibles de fonctionner comme des réponses à d’autres actes
constituant des demandes. Par ex. “ Promettre ” peut être considéré
comme une réponse positive à une requête (ou, en l’absence de requête
explicitement formulée, à une requête attribuée à l’interlocuteur dans le
modèle que le locuteur s’en fait). Ce principe a le mérite particulier
d’inscrire la nomenclature des actes de langage dans un schéma dialogique.

(2) Certains actes de langage peuvent être considérés comme la forme


négative d’autres actes ; par exemple, “ Interdire ” (Je vous interdis de
chanter) apparaît comme le versant négatif de “ Ordonner ” (Je vous
ordonne de chanter).

(3) Certains actes peuvent être considérés comme des variantes plus ou
moins fortes d’une même classe d’actes ; par exemple, parmi les requêtes,
on distinguera la requête forte (Je vous ordonne de vous taire) de la
requête faible (Je vous conseille de vous taire)

(4) Certains actes sont des variantes d’un même acte qui s’expliquent par
l’adaptation à des contextes pragmatiques différents (notamment
adaptation à la relation hiérarchique existant entre les interlocuteurs).

13
Par exemple, “ Supplier ” (Je vous supplie de me donner son nom) peut
être considéré comme une variante de “ Ordonner ” (Je vous ordonne de
me donner son nom) : il s’agit dans les deux cas d’une requête forte, mais
variant selon qu’un inférieur s’adresse à un supérieur (supplier), ou qu’un
supérieur s’adresse à un inférieur (ordonner).

Le jeu de ces divers axes de relation permet de grouper l’ensemble des actes
de langage en quatre classes principales. Et la classification apparaît alors comme
hiérarchiquement organisée. Ainsi, les engagements dans l’action comprennent

des demandes et des offres, les demandes comprennent des requêtes et des
interdictions, les requêtes comprennent des requêtes fortes et des requêtes
faibles, les requêtes fortes comprennent des ordres et des supplications.

7.5 Inférence et maximes conversationnelles

Acte de langage indirect, règles conversationnelles, théorie de la pertinence


de Sperber et Wilson. (voir Zemmour, et J. Caron p. 180 et seq.)

-------------
d’inscrire la nomenclature des actes de langage dans un schéma dialogique.

(2) Certains actes de langage peuvent être considérés comme la forme


négative d’autres actes ; par exemple, “ Interdire ” (Je vous interdis de
chanter) apparaît comme le versant négatif de “ Ordonner ” (Je vous
ordonne de chanter).

(3) Certains actes peuvent être considérés comme des variantes plus ou
moins fortes d’une même classe d’actes ; par exemple, parmi les requêtes,
on distinguera la requête forte (Je vous ordonne de vous taire) de la
requête faible (Je vous conseille de vous taire)

(4) Certains actes sont des variantes d’un même acte qui s’expliquent par
l’adaptation à des contextes pragmatiques différents (notamment
adaptation à la relation hiérarchique existant entre les interlocuteurs).
Par exemple, “ Supplier ” (Je vous supplie de me donner son nom) peut
être considéré comme une variante de “ Ordonner ” (Je vous ordonne de
me donner son nom) : il s’agit dans les deux cas d’une requête forte, mais
variant selon qu’un inférieur s’adresse à un supérieur (supplier), ou qu’un
supérieur s’adresse à un inférieur (ordonner).

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Le jeu de ces divers axes de relation permet de grouper l’ensemble des actes
de langage en quatre classes principales. Et la classification apparaît alors comme
hiérarchiquement organisée. Ainsi, les engagements dans l’action comprennent
des demandes et des offres, les demandes comprennent des requêtes et des
interdictions, les requêtes comprennent des requêtes fortes et des requêtes
faibles, les requêtes fortes comprennent des ordres et des supplications.

7.5 La coopération dans le discours


En pointant quelques-unes des faiblesses ou limites des approches
syntaxiques purement formelles, nous avons souligné combien l’utilisation du
langage –en production autant qu’en compréhension- fait appel à tout un
répertoire de connaissances extra-linguistiques . Ce répertoire comprend les
connaissances relatives aussi bien au monde physique en général qu’au petit monde
habituel des interlocuteurs, mais aussi les connaissances particulières relatives
aux interlocuteurs eux-mêmes ou aux situations spécifiques dans lesquelles se
déroule l’échange, ou encore les connaissances relatives aux règles du
fonctionnement social, notamment en ce qui concerne le rôle possible du statut
respectif des interlocuteurs, etc. Comme nous l’avons vu à partir de nombreux
exemples, l’intervention de ces connaissances peut jouer un rôle déterminant dans
l’interprétation d’un énoncé (ex. “ Comment trouvez-vous ma langue de bœuf ? ”);
nous venons même de voir que cette intervention pouvait orienter la
reconnaissance de la visée illocutoire, notamment dans le cas d’actes indirects de

langage (ex. “ As-tu vu l’heure qu’il est ? ” pour dire “ Dépêche toi ! ”).

Pour comprendre comment ces connaissances interviennent dans

l’interprétation d’un énoncé, Plusieurs auteurs se sont intéressés aux “ inférences

pragmatiques ”, c’est-à-dire à ces informations, non explicitement transmises

dans un énoncé, qui sont construites ou activées à partir des connaissances que

possèdent les interlocuteurs. En psycholinguistique, de nombreuses études ont

montré que ces inférences jouent un rôle important dans la compréhension et la

15
mémorisation d’énoncés. Par exemple, “ Le professeur distrait n’avait pas ses

clefs ” est rappelé comme “ Le professeur distrait avait oublié ses clefs ” ; ou

encore, des sujets à qui on a présenté une phrase où il est question de “ enfoncer

un clou ” croiront reconnaître une phrase où on mentionne explicitement un “

marteau ”.
Deux points doivent être soulignés à propos de ces inférences. Tout d’abord,

un auditeur n’effectue pas n’importe quelles inférences, mais seulement celles qui

sont déterminées par le contexte ; la même phrase, énoncée dans des contextes

différents donne lieu à des inférences différentes (voir par ex. en français Plas

et al., 1981). Comme le souligne très justement Caron les inférences “ obéissent

donc à un principe de pertinence, qui subordonne les activités interprétatives à

l’intention du discours ” (2001, p.182).

Par ailleurs, ces inférences supposent un contrat de coopération entre les

interlocuteurs, particulièrement dans la conversation puisque les partenaires y

sont tour à tour locuteurs et auditeurs. C’est en vertu de ce contrat tacite que le

locuteur se dispense de fournir à son interlocuteur des informations que celui-ci

connaît déjà ; c’est en vertu de ce contrat également que l’auditeur présume que

ce qui lui est dit de la façon dont ça lui est dit suffit normalement à sa bonne

compréhension. Les inférences ne renvoient donc pas seulement aux

connaissances générales des interlocuteurs : en réalité, “ elles se fondent sur des

règles de conversation qui assurent la régulation des activités interprétatives ”

(Caron, 2001, p.183). En d’autres termes, ce qui rend l’interprétation possible,

c’est un principe général de coopération d’après lequel les participants d’un

échange coopèrent en vue de son succès.

7.5.1. Les maximes de Grice


Le philosophe Paul Grice (1975) fut un des premiers à vouloir expliciter ce

principe général de coopération appelé à régir les échanges verbaux. Il a proposé

de décliner ce principe général sous la forme de 4 règles spécifiques (Grice parle

16
de “ maximes conversationnelles ”) que, par référence aux catégories kantiennes,

il appelle la maxime de quantité, la maxime de qualité, la maxime de relation et la

maxime de modalité. Elles peuvent se libeller succinctement de la manière

suivante :

- Quantité : Donner autant d’information que nécessaire, ni plus, ni moins.

- Qualité : N’asserter que ce que l’on croit vrai ; ne pas affirmer ce pour quoi
on manque d’informations.

- Relation : Donner des informations qui soient en rapport avec le thème

traité ; parler à propos, être pertinent.

- Modalité : S’exprimer clairement, parler sans ambiguïté.


On pourrait certes penser que ces principes de coopération sont d’une très
grande trivialité (ce qui explique sans doute que plusieurs auteurs ne se sont pas
privés de les compléter, en considérant peut-être que plus compliqué ferait aussi
plus sérieux). L’intérêt de tels principes, toutefois, devient plus manifeste quand
on les examine dans leur fonctionnement ; ce sont ces principes en effet qui
autorisent l’auditeur à faire certaines inférences (“ invited inferences ”) quant
aux intentions qu’avait le locuteur. On ne s’étonnera pas par exemple qu’un écolier
puisse éprouver quelque difficulté à résoudre un problème formulé comme suit :

Un train parcourt la distance Bruxelles-Paris en 2h30. Calculez sa


vitesse horaire moyenne, sachant qu’il parcourt 300 km et qu’il
transporte 600 voyageurs.

Cet écolier pourrait en effet se demander ce qu’il y a lieu de faire de la dernière

information, considérant, à juste titre au regard des principes de Grice, que si

elle figure dans l’énoncé du problème, c’est qu’elle est pertinente. Grice lui-même

attire l’attention sur l’intérêt qu’il peut y avoir à commettre des infractions

volontaires. Il cite l’exemple de ce professeur d’université américain, invité à

rédiger une lettre de recommandation pour un de ses anciens élèves postulant un

poste de prof. en philosophie, et qui la formule en ces termes :

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Monsieur X a une maîtrise remarquable de l’anglais, et il a été assidu à
mes cours.

L’auteur de cette recommandation, en en disant nettement moins que ce qu’on


attend de lui, viole le principe de quantité d’une manière si manifeste que le
destinataire ne pourra manquer d’en conclure que Mr. X ne fera pas un bon prof.

de philosophie. Cet exemple montre combien l’intérêt des principes de Grice


réside précisément dans les effets de leur violation potentielle, car le fait même
de leur violation constitue une information. La violation qui se donne pour telle, et
dans des conditions où elle soit intelligible pour le partenaire, est d’ailleurs à la

source des actes indirects (e.g., “ Pouvez-vous me passer le sel ? ”).

Parmi les autres domaines d’application des stratégies inférentielles sur base

des principes de Grice, citons encore : l’interprétation de la métaphore, de

l’ironie, des allusions et des sous-entendus, etc.

7.5.2. Le terrain commun


Ne donner ni trop, ni trop peu d’information, la donner à propos et clairement,

cela est fort bien ; cependant, c’est du point de vue du destinataire qu’il y a lieu

de juger dans quelle mesure ces impératifs sont rencontrés. Comment le locuteur

saura-t-il ce qu’il en est, sinon par des échanges constants entre les partenaires

? (Cfr en acquisition : enfants qui changent de réponse, et ce faisant passent

d’une réponse correcte à une réponse incorrecte, quand l’expérimentateur leur

posent plusieurs fois la même question). De tels échanges leur permettront

d’acquérir une connaissance mutuelle, et d’établir ce que Clark et Carlson (1981)

ont appelé leur “ common ground ” (terrain commun), c’est-à-dire l’ensemble des

connaissances, croyances et suppositions que les interlocuteurs partagent au

moment où ils se parlent.

Il est important de noter le sens que l’on donne ici au terme “ partager ”. Pour

qu’on puisse dire d’un locuteur L et d’un auditeur A qu’ils partagent une proposition

p:

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L et A partagent p

il n’est pas suffisant que :


L sait que p
A sait que p
Il faut encore que
L sait que A sait que p
A sait que L sait que p
Et même, il faudrait sans doute compléter cela par une série infinie de
propositions du type:
L sait que A sait que L sait que p

A sait que L sait que A sait que p

Trois sources alimentent le terrain commun : la co-présence physique, la


coprésence linguistique, et la co-présence culturelle.
Diverses recherches sur l’utilisation de la référence définie illustrent le rôle

du terrain commun. Dans une de ces recherches (Clark, Schreuder et Buttrick,

1983), on montra à des étudiants américains une photo du président Reagan et de

son conseiller Stockman. On avait établi au préalable que Reagan était bien connu

de tous et Stockman non. On posa aux étudiants une des deux questions suivantes

Q.1 : Vous savez qui est cet homme, n’est-ce pas ?

Q.2 : Avez-vous une idée de qui est cet homme ?

A la question Q1, tous les sujets donnèrent des réponses du type “ Oui, c’est

Reagan ” ; à la question Q2, 90% des étudiants pensèrent qu’on parlait de l’autre
personnage. En fait, la Q1 fait croire qu’on présuppose que la personne à laquelle

on s’adresse connaît la réponse, alors que c’est l’inverse pour la Q2, et c’est

précisément cela qui a amené les étudiants à déterminer lequel des deux

personnages était le référent de “ cet homme ”.

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Dans une autre recherche, on montrait une photographie avec quatre fleurs,

dont une était soit légèrement, soit nettement mise en évidence. On posait la

question suivante :

Comment décririez-vous la couleur de cette fleur ?


Lorsqu’une des fleurs n’était que légèrement mise en évidence, la majorité des

personnes interrogées répondaient : “ laquelle ? ”. Quand elle était nettement

mise en évidence, la majorité des personnes donnaient d’emblée la couleur de

cette fleur-là.

7.6 La théorie de la pertinence


Dans le prolongement de Grice, D. Sperber et D. Wilson (1986) proposent la

théorie dite “ de la pertinence ” pour rendre compte de l’interprétation des

énoncés. Cette théorie s’appuie d’une part sur les propositions de la linguistique

générative chomkyienne et d’autre part sur l’approche cognitiviste modulaire de

J. Fodor.

Nous nous contenterons ici de rappeler que, selon Fodor et plus généralement

selon les tenants d’une approche modulaire, il faut distinguer deux stades dans

l’interprétation d’un énoncé :

(1) Stade 1 : Un module linguistique spécifique (qui traite les


informations phonologiques, syntaxiques et sémantiques) calcule
l’interprétation que détermine le code linguistique. Cette étape de
l’interprétation relève de la linguistique.

(2) Stade 2 : Au niveau central (non spécifique), cette interprétation est


ensuite analysée par inférence en fonction de l’environnement cognitif (cad
tout ce dont on a connaissance ou dont on peut prendre connaissance). Cette
étape de l’interprétation relève de la pragmatique qui, de cette façon, est
séparée de la linguistique.

Dans ce cadre, et selon Sperber et Wilson, l’interprétation d’un énoncé se fait en

vertu du principe de pertinence qu’ils substituent à celui de coopération avancé

par Grice. Zemmour en précise l’usage en ces termes (p.133) : “ Parmi la masse de

stimuli soumis à la réception et à l’interprétation de l’interlocuteur, celui-ci fera

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l’effort de sélectionner et d’organiser l’information en fonction du fait qu’il sait

que nul ne communiquerait ostensivement s’il ne voulait pas que ses intentions

soient reconnues. ”

Sperber et Wilson proposent l’exemple analogique suivant (La Pertience,


p.79). Deux personnages, Pierre et Marie sont assis sur un banc. Pierre se penche

en arrière, modifiant le champ visuel (et donc l’environnement cognitif) de Marie

qui aperçoit alors trois individus : un marchand de glace remarqué auparavant, un

promeneur inconnu, et Jacques, un casse-pieds connu de Marie et se dirigeant

vers elle. Dans la mesure où le mouvement de Pierre est délibéré, il s’agit d’un

comportement ostensif par lequel il cherche à communiquer quelque chose à

Marie. Cette “ ostension ” comporte une garantie tacite de pertinence, laissant

entendre que Marie obtiendra des informations pertinentes pour elle si elle fait

l’effort d’interpréter le mouvement. Dès lors, parmi les modifications de son

environnement cognitif, elle identifie l’arrivée de Jacques comme étant la

motivation du mouvement de Pierre. En fait, l’information est double pour Marie

: il y a non seulement l’arrivée de Jacques, mais aussi l’intention de Pierre de l’en

informer.

7.7 Conclusions
Après avoir vécu pendant plus d’un demi siècle confortablement installée dans
ce qu’on pourrait appeler l’immanentisme saussurien (où la langue est
essentiellement vue comme un code), la linguistique a fini par s’aventurer dans
l’univers de l’énonciation, et même de la co-énonciation. Avec la pragmatique en
effet, la linguistique se soucie de phénomènes qui supposent, non seulement une
analyse de la langue comme système de signes, mais encore une mise en relation
de ce système avec ses conditions d’emploi.
La variété des approches risque sans doute de faire passer la discipline pour

le ventre mou de la linguistique, voire de la faire passer pour un fourre-tout

comme semblait le craindre Ervin-Tripp (1978): “ Pragmatics is everything we

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used to throw out when we analyzed language ”. Depuis ses débuts, force est

toutefois de reconnaître que la Pragmatique fait preuve d’un dynamisme durable

et fécond, qui aura largement contribué au renouvellement des problématiques

abordées dans des disciplines connexes telles que la psycholinguistique, la

neurolinguistique ou la sociolinguistique (voir ci-dessous).

Nous avions ouvert ce chapitre en soulignant combien les grammaires

formelles étaient en peine de nous éclairer sur ce qu’il faut entendre par “ le sens

d’un énoncé ”. Nous avons vu tout au long de ce chapitre que la Pragmatique, en

s’intéressant aux mécanismes de l’interprétation d’un énoncé en contexte, pose

de façon nouvelle la question :Quel est le sens de cet énoncé ?. Les réponses, nous

l’avons entrevu, sont complexes (pcq il y a plusieurs facettes); nous pensons,

comme Zemmour (p.134), qu’on peut les synthétiser comme ceci. Un énoncé veut

dire :

(a) ce que ses récepteurs estiment qu’il veut dire ;


(b) ce que ses récepteurs croient que l’émetteur a voulu dire dans et par
cet énoncé ;
(c) ce que ses récepteurs estiment (à tort ou à raison, de façon réelle
oufeinte, de bonne ou mauvaise foi) être la prétention et l’intention
sémantico-pragmatiques de l’émetteur.

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