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L’ANALYSE DE
DISCOURS
dridimoh@outlook.fr
La situation énonciative
Dans les échanges verbaux, il est fréquent que la signification des phrases
soit au moins partiellement déterminée par la situation dans laquelle elles sont
postiche "il" désigne un prisonnier qui a livré des secrets sous la torture, un
miraculé de Lourdes qui a subitement retrouvé l'usage de la parole, ou encore un
automate qui a exécuté un programme de parole synthétique, ou même un moine
désobéissant.
exercent une fonction communicative d'une importance telle qu'il semble exclu
de les négliger "provisoirement" pour des convenances méthodologiques. Ensuite,
il faut se demander si les situations énonciatives, effectivement indénombrables,
ne se laissent pas, dans l'évaluation intuitive du locuteur, classer et réduire à un
nombre fini de types représentatifs, et cela grâce à un mécanisme d'abstraction
comparable à celui qui définit les unités phonologiques. Il est bien évident que
toutes les composantes concrètes des situations n'ont pas la même incidence sur
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qu'ils poursuivent à travers l'énonciation. Bien entendu, le contexte proprement
linguistique, à savoir l'ensemble des phrases où baigne l'énoncé pris en
considération doit également être compris comme faisant partie de la situation,
ne fût-ce qu'à cause des informations qu'il recèle et qui pourront désormais être
Une typologie des phrases bien formées d'une langue naturelle doit
permettre de distinguer, par l'analyse de leurs propriétés syntaxiques, des
question que la forme. Il faut donc compléter l'analyse en se demandant "ce que
l'énonciateur fait" en produisant tel ou tel énoncé. Ainsi la phrase (9), qui a une
forme interrogative, sera le plus souvent interprétée comme un souhait, ou même
comme un ordre.
La phrase (5), qui présente une forme déclarative, peut également exprimer le
même souhait ou le même ordre. Pareillement, on n’a aucune peine à imaginer une
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également signifier un ordre du type “ Tire-toi de là ”. La phrase (8) n'est pas,
commet au même moment, mais elle est elle-même cet acte en ce qu'elle exerce
phrase (9) enfin exprime une vérité socio-culturelle devenue proverbiale ; mais
son énonciation peut acquérir la valeur d'une justification de fait (par exemple,
quitté une place, désire la réoccuper mais la trouve prise). A ce propos, il y aurait
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caractérisations proposées. Disons d'emblée cependant qu'une définition d'une
telle généralité n'a vraisemblablement comme avantage (?) que celui de masquer
la diversité des conceptions - parfois très divergentes - de la Pragmatique. Ces
divergences ont au moins deux origines. A la source directe des écarts se trouve
on lorsqu'on parle? Quel est l'effet du langage ou son utilité? Que vise un
locuteur lorsqu'il s'adresse à son interlocuteur? Comment agissent-ils l'un avec
ou sur l'autre en parlant? etc.), la Pragmatique relève en fait non seulement de la
Linguistique, mais aussi de la Sociologie, de la Psychologie, de la Philosophie du
langage, de l'Ethique, etc. Or, il faut bien admettre qu’on ne dispose pas du cadre
théorique et méthodologique capable de dominer une telle interdisciplinarité. A
cela s'ajoute une deuxième raison qui tient aux origines diverses de la
Pragmatique. On distingue en effet au moins trois branches généalogiques dans
le développement de la Pragmatique: (1) la branche des logiciens, préoccupés de
déterminer la valeur de vérité de phrases comme "Je chante" comportant des
déictiques, (2) la branche des philosophes, particulièrement intéressés à cerner
la notion d’acte de langage, (3) la branche des linguistes. Ces différents foyers
things with words, tr. fr. 1970 Quand dire c'est faire) et de SEARLE (1969
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Speech acts, tr. fr. 1972 Les actes de langage), renouvellera profondément la
Pragmatique.
sans être vraie ou fausse ” (Austin, 1970, p.37). Austin s’oppose ainsi à ce qu’il
Ce que ces phrases ont de particulier, remarque Austin, c'est qu'elles ne sont pas
simplement utilisées pour dire certaines choses (i.e. pour décrire certains états
de choses, rapporter quelque information sur un fait) mais plus exactement pour
faire des choses: après l'énonciation de ces énoncés, le monde n'est plus comme
avant; il a changé de manière substantielle. (Voir plus loin chapitre sur les actes
du langage).
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locuteur accomplit un certain type d'acte social, défini par la relation qui
les choses sous cet angle qu’il distingue cinq catégories d’actes, illustrant chacune
Cette notion d’acte de langage proposée par Austin en 1962 ouvre un champ
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7.3. Les actes de langage
Ce n'est pas une idée bien nouvelle que de prétendre que l'on parle pour
'faire' quelque chose, que parler est une façon d'agir et particulièrement d'agir
sur les autres, que le langage 'sert' à diverses fins dans l'économie générale du
comportement humain. Il y a, bien entendu, la dichotomie fondamentale entre les
fonctions de représentation et de communication. Mais dans le cadre même de la
communication verbale, divers auteurs ont, de longue date, proposé de distinguer
divers types d'échanges; ce fut le cas du psychologue Skinner (1957) dans le
Comme point de départ, nous pouvons prendre la mise en évidence par Austin,
en 1962, des énoncés "performatifs", qu'il oppose aux énoncés constatifs. Les
constatifs sont des énoncés qui “ représentent des faits différents d'eux-mêmes
”, tandis que les performatifs “ sont les faits dont ils parlent, mais qu'ils ne
une action présente de son locuteur; et il faut, d'autre part, que son énonciation
même ait pour fonction d'accomplir cette action. Ainsi, les phrases suivantes
sont, par excellence, des énoncés performatifs, pour autant qu'elles soient
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Je vous condamne à une amende de 3.500 euro car les actes d'énonciation, par
le fait même qu'on les pose, réalisent ce qui y est déclaré: la séance est
réellement ouverte, les époux sont réellement mariés, le prévenu doit réellement
payer une amende. Comme le souligne Ducrot (1978), un tel acte d'énonciation
De tels énoncés ne sont pas des performatifs, si l'on entend par là que leur seule
énonciation aurait pour effet que je passerai ce soir, que vous viendrez, ou que
vous me donnerez l'adresse que je convoite. Et pourtant, ce sont des
performatifs si l'on considère que, par cette énonciation, je vous fais une
promesse, je vous donne un ordre, je vous quémande une information. Dans de
tels énoncés, il y a donc lieu de distinguer l'acte que pose le locuteur (la promesse,
l'ordre, la supplique), qui en serait en quelque sorte la composante performative,
et l'objet sur lequel cet acte porte, qui en serait la composante constative. Il
n'est cependant pas indispensable que la composante performative soit explicite,
car il en irait exactement de même si les énoncés étaient les suivants:
Mais alors, rien n'empêche d'appliquer la même analyse à tout énoncé, quel qu'il
soit, et une simple déclarative, telle que "Il y avait pas mal de monde hier soir"
avait pas mal de monde hier soir ”. C'est ainsi que tout énoncé, dès lors qu'il est
placé dans une situation énonciative, constitue un acte qui modifie les rapports
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entre les interlocuteurs. “ Dès qu’on a saisi que l’objet à étudier, ce n’est pas la
Austin insiste sur l'idée que l'acte illocutoire n'existe véritablement qu'en
tant qu'il est reconnu comme tel par l'auditeur. Le marteau sert à enfoncer des
clous, et je puis parfaitement l'utiliser à cette fin, indépendamment de la
reconnaissance d'autrui; je puis d'ailleurs enfoncer un clou en utilisant quelque
autre objet contondant. Mais je ne puis accomplir une requête ou une promesse
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qu'en utilisant une forme dont mon interlocuteur sait et reconnaît qu'elle a pour
fonction d'accomplir cet acte. Les actes illocutoires sont des types
d'interactions sociales, et n'existent pas en dehors de telles interactions.
Searle (Les actes de langage, 1972) prolongera la théorie de Austin dans ses
deux dimensions que sont l’analyse des intentions et l’analyse des conventions. On
peut en effet voir les phrases par lesquelles s’accomplissent des actes de langage
comme un moyen conventionnel pour exprimer et réaliser des intentions. La
contribution de Searle sera d’instituer une distinction entre ce qui relève de
l’acte illocutoire lui-même (que Searle appelle le marqueur de force illocutoire) et
ce qui relève du contenu de l’acte (que Searle appelle le marqueur de contenu
examens, Janine corrige-t-elle les examens ?, Plût au ciel que Janine corrigeât
les examens, Janine, corrige les examens !, c’est la même proposition (prédicat
et arguments) qui est exprimée, mais elle est présentée avec divers marqueurs de
force illocutoire qui indiquent l’acte illocutoire qui est accompli par le locuteur.
commune.
accomplir par son énonciation, il serait intéressant que des recherches nous
informent sur les diverses classes d'actes de langage que l'on peut rencontrer,
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A commencer par Austin (1962, voir ci-dessus), divers auteurs (p.ex. Fraser,
1974; Searle, 1976 ; Costermans et Hupet, 1987), ont proposé des classifications
pour les actes de langage. Il serait fastidieux de les reproduire ici et de comparer
l'intérieur desquelles diverses classes s'articulent les unes par rapport aux
autres. Nous laisserons ici de côté ce qui relève proprement des performatifs et
s'exprime par des formules légales ou ritualisées, telles qu'on les trouve en
particulier dans les actes juridiques (le prévenu est acquitté, la séance est
permet de dégager les 5 principes suivants (que l’on devrait retrouver, d’une façon
(1) Certains actes de langage peuvent être considérés comme des offres
susceptibles de fonctionner comme des réponses à d’autres actes
constituant des demandes. Par ex. “ Promettre ” peut être considéré
comme une réponse positive à une requête (ou, en l’absence de requête
explicitement formulée, à une requête attribuée à l’interlocuteur dans le
modèle que le locuteur s’en fait). Ce principe a le mérite particulier
d’inscrire la nomenclature des actes de langage dans un schéma dialogique.
(3) Certains actes peuvent être considérés comme des variantes plus ou
moins fortes d’une même classe d’actes ; par exemple, parmi les requêtes,
on distinguera la requête forte (Je vous ordonne de vous taire) de la
requête faible (Je vous conseille de vous taire)
(4) Certains actes sont des variantes d’un même acte qui s’expliquent par
l’adaptation à des contextes pragmatiques différents (notamment
adaptation à la relation hiérarchique existant entre les interlocuteurs).
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Par exemple, “ Supplier ” (Je vous supplie de me donner son nom) peut
être considéré comme une variante de “ Ordonner ” (Je vous ordonne de
me donner son nom) : il s’agit dans les deux cas d’une requête forte, mais
variant selon qu’un inférieur s’adresse à un supérieur (supplier), ou qu’un
supérieur s’adresse à un inférieur (ordonner).
Le jeu de ces divers axes de relation permet de grouper l’ensemble des actes
de langage en quatre classes principales. Et la classification apparaît alors comme
hiérarchiquement organisée. Ainsi, les engagements dans l’action comprennent
des demandes et des offres, les demandes comprennent des requêtes et des
interdictions, les requêtes comprennent des requêtes fortes et des requêtes
faibles, les requêtes fortes comprennent des ordres et des supplications.
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d’inscrire la nomenclature des actes de langage dans un schéma dialogique.
(3) Certains actes peuvent être considérés comme des variantes plus ou
moins fortes d’une même classe d’actes ; par exemple, parmi les requêtes,
on distinguera la requête forte (Je vous ordonne de vous taire) de la
requête faible (Je vous conseille de vous taire)
(4) Certains actes sont des variantes d’un même acte qui s’expliquent par
l’adaptation à des contextes pragmatiques différents (notamment
adaptation à la relation hiérarchique existant entre les interlocuteurs).
Par exemple, “ Supplier ” (Je vous supplie de me donner son nom) peut
être considéré comme une variante de “ Ordonner ” (Je vous ordonne de
me donner son nom) : il s’agit dans les deux cas d’une requête forte, mais
variant selon qu’un inférieur s’adresse à un supérieur (supplier), ou qu’un
supérieur s’adresse à un inférieur (ordonner).
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Le jeu de ces divers axes de relation permet de grouper l’ensemble des actes
de langage en quatre classes principales. Et la classification apparaît alors comme
hiérarchiquement organisée. Ainsi, les engagements dans l’action comprennent
des demandes et des offres, les demandes comprennent des requêtes et des
interdictions, les requêtes comprennent des requêtes fortes et des requêtes
faibles, les requêtes fortes comprennent des ordres et des supplications.
langage (ex. “ As-tu vu l’heure qu’il est ? ” pour dire “ Dépêche toi ! ”).
dans un énoncé, qui sont construites ou activées à partir des connaissances que
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mémorisation d’énoncés. Par exemple, “ Le professeur distrait n’avait pas ses
clefs ” est rappelé comme “ Le professeur distrait avait oublié ses clefs ” ; ou
encore, des sujets à qui on a présenté une phrase où il est question de “ enfoncer
marteau ”.
Deux points doivent être soulignés à propos de ces inférences. Tout d’abord,
un auditeur n’effectue pas n’importe quelles inférences, mais seulement celles qui
sont déterminées par le contexte ; la même phrase, énoncée dans des contextes
différents donne lieu à des inférences différentes (voir par ex. en français Plas
et al., 1981). Comme le souligne très justement Caron les inférences “ obéissent
sont tour à tour locuteurs et auditeurs. C’est en vertu de ce contrat tacite que le
connaît déjà ; c’est en vertu de ce contrat également que l’auditeur présume que
ce qui lui est dit de la façon dont ça lui est dit suffit normalement à sa bonne
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de “ maximes conversationnelles ”) que, par référence aux catégories kantiennes,
suivante :
- Qualité : N’asserter que ce que l’on croit vrai ; ne pas affirmer ce pour quoi
on manque d’informations.
elle figure dans l’énoncé du problème, c’est qu’elle est pertinente. Grice lui-même
attire l’attention sur l’intérêt qu’il peut y avoir à commettre des infractions
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Monsieur X a une maîtrise remarquable de l’anglais, et il a été assidu à
mes cours.
Parmi les autres domaines d’application des stratégies inférentielles sur base
cela est fort bien ; cependant, c’est du point de vue du destinataire qu’il y a lieu
de juger dans quelle mesure ces impératifs sont rencontrés. Comment le locuteur
saura-t-il ce qu’il en est, sinon par des échanges constants entre les partenaires
ont appelé leur “ common ground ” (terrain commun), c’est-à-dire l’ensemble des
Il est important de noter le sens que l’on donne ici au terme “ partager ”. Pour
qu’on puisse dire d’un locuteur L et d’un auditeur A qu’ils partagent une proposition
p:
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L et A partagent p
son conseiller Stockman. On avait établi au préalable que Reagan était bien connu
de tous et Stockman non. On posa aux étudiants une des deux questions suivantes
A la question Q1, tous les sujets donnèrent des réponses du type “ Oui, c’est
Reagan ” ; à la question Q2, 90% des étudiants pensèrent qu’on parlait de l’autre
personnage. En fait, la Q1 fait croire qu’on présuppose que la personne à laquelle
on s’adresse connaît la réponse, alors que c’est l’inverse pour la Q2, et c’est
précisément cela qui a amené les étudiants à déterminer lequel des deux
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Dans une autre recherche, on montrait une photographie avec quatre fleurs,
dont une était soit légèrement, soit nettement mise en évidence. On posait la
question suivante :
cette fleur-là.
énoncés. Cette théorie s’appuie d’une part sur les propositions de la linguistique
J. Fodor.
Nous nous contenterons ici de rappeler que, selon Fodor et plus généralement
selon les tenants d’une approche modulaire, il faut distinguer deux stades dans
par Grice. Zemmour en précise l’usage en ces termes (p.133) : “ Parmi la masse de
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l’effort de sélectionner et d’organiser l’information en fonction du fait qu’il sait
que nul ne communiquerait ostensivement s’il ne voulait pas que ses intentions
soient reconnues. ”
vers elle. Dans la mesure où le mouvement de Pierre est délibéré, il s’agit d’un
entendre que Marie obtiendra des informations pertinentes pour elle si elle fait
informer.
7.7 Conclusions
Après avoir vécu pendant plus d’un demi siècle confortablement installée dans
ce qu’on pourrait appeler l’immanentisme saussurien (où la langue est
essentiellement vue comme un code), la linguistique a fini par s’aventurer dans
l’univers de l’énonciation, et même de la co-énonciation. Avec la pragmatique en
effet, la linguistique se soucie de phénomènes qui supposent, non seulement une
analyse de la langue comme système de signes, mais encore une mise en relation
de ce système avec ses conditions d’emploi.
La variété des approches risque sans doute de faire passer la discipline pour
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used to throw out when we analyzed language ”. Depuis ses débuts, force est
formelles étaient en peine de nous éclairer sur ce qu’il faut entendre par “ le sens
de façon nouvelle la question :Quel est le sens de cet énoncé ?. Les réponses, nous
comme Zemmour (p.134), qu’on peut les synthétiser comme ceci. Un énoncé veut
dire :
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