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Négation et performance linguistique

ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES

Connaissance et langage 4

MOUTON • PARIS • LA HAYE


BÉNÉDICTE DE BOYSSON-BARDIES

Négation et performance linguistique

MOUTON • PARIS • LA HAYE


Ouvrage publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique

© 1976, Mouton & Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales


ISBN: 2-7193-0416-6 (Mouton)
2-7132-0026-1 (EHESS)
Couverture de Jurriaan Schrofer
Imprimé en Hollande
Qu'est-ce qu'une chose qui pense ?
C'est une chose qui doute, qui conçoit,
qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne
veut pas.
Descartes, Méditations III.
INTRODUCTION GENERALE

La négation est un "acte de l'esprit qui consiste à nier, à rejeter un


rapport, une proposition, une existence ; expression de cet acte"
(Petit Robert).
La négation est donc une opération intellectuelle. L'esprit après
avoir analysé le domaine auquel se réfère un rapport, une proposi-
tion, une existence, conclut qu'il rejette ce rapport, cette proposi-
tion ou nie cette existence. C'est donc par opposition à une "affir-
mation" réelle ou virtuelle que se pose la négation et toute affirma-
tion réelle ou virtuelle peut donner lieu à une négation.
La définition du Petit Robert laisse entrevoir la pluralité des as-
pects liés à cette opération. En effet, si l'on approfondit cette défi-
nition nous trouvons dans le Larousse au terme "nier" : "Déclarer
que quelque chose est faux ou n'existe pas", et dans le Petit Robert,
au terme "rejeter" : a) jeter en sens inverse (ce qu'on a reçu, ce
qu'on a pris) ; b) ne pas admettre.. .refuser.. .exclure."
Les traductions comportementales de l'opération de négation peu-
vent se réaliser de plusieurs façons. Nous ne retiendrons pas les ex-
pressions par des gestes de refus ou de rejet ni les conduites d'ex-
clusion bien qu'elles jouent un rôle important dans toute communi-
cation et particulièrement au cours de l'acquisition du langage. Nous
nous intéresserons aux traductions verbales de l'opération de néga-
tion et à leur mode de fonctionnement. Plus spécialement, nous étu-
dierons certains aspects de la négation verbale avec des processus
d'acquisition, de mémorisation et de compréhension.
Au niveau de la parole le fait même d'énoncer un fait, une rela-
tion, leur donne un statut formel d'une assertion. La négation lin-
guistique va donc consister en une transformation de ce qui est énon-
cé . Cette transformation va se faire au moyen d'opérateurs marqués
en surface dans la phrase. Il y a dans la langue plusieurs opérateurs
et plusieurs procédures de négation.
Le passage d'une opération à un résultat est du domaine psycho-
logique comme le sont les processus par lesquels les sujets traitent
l'information. Cependant, pour étudier comment les usagers de la
langue perçoivent, comprennent ou produisent des énoncés négatifs,
il est d'abord nécessaire d'étudier les formes que doivent ou peu-
vent prendre les réalisations verbales. Pour cela, l'appui des ana-
lyses linguistiques est indispensable.
En effet, la seule position ou forme de l'élément négatif de la
phrase n'est qu'un indice. Les divers aspects de la signification ne
sont pas liés seulement aux items utilisés mais à la structure de la

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phrase dans laquelle ils se trouvent. Il est donc nécessaire de dis-
poser, pour étudier le comportement des sujets en face d'énoncés
négatifs, d'analyses permettant d'avoir des hypothèses sur le maté-
riel en tant que structure organisée. Le plus souvent, les théories
dont nous disposons ne permettent que d'avoir des modèles incom-
plets. C'est cependant à partir de ces modèles que nous étudierons
le comportement des usagers de la langue.
"Les linguistes proposent des modèles abstraits, généraux et
incomplets, il appartient dans la mesure du possible aux psycholo-
gues d'en dégager les hypothèses permettant d'établir la congruence
des phénomènes observés dans le comportement verbal des locuteurs
avec ces hypothèses" (F. Bresson). Nous poserons dans ce cadre le
problème de l'étude de certains aspects de la négation telle qu'elle
se réalise dans le langage par et pour les usagers de la langue.

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1. LA NEGATION LINGUISTIQUE

1 . 1 . DOMAINE DE LA NEGATION LINGUISTIQUE

Le domaine de la négation est vaste et difficile à cerner. En tant


qu'opération, la négation est marquée (1) dans toutes les langues.
Dans toutes les langues, il existe une ou plusieurs possibilités for-
melles pour exprimer qu'une chose est fausse, qu'elle n'est pas,
qu'elle est autre ou qu'on la rejette.
En français, il existe à côté de la marque spécifique, n e . . .pas
d'autres marques utilisées soit pour traduire la négation dans cer-
taines conditions soit pour traduire certains aspects ou certaines
conditions d'emploi de la négation.
Cependant d'autres types d'énoncés dont l'interprétation doit être
négative n'ont en surface aucune marque négative morpho-syntaxi-
que ou lexicale.
- Certaines formes interrogatives (2) : "Le sais-je ? "
- Les expressions du doute : "Peut-être viendra-t-elle demain"
impliquent des présupposés négatifs, c'est-à-dire, des négations
incluses en constituants dans le contenu de cet énoncé. Ces présup-
posés sont à l'origine de l'indétermination exprimée :
"Le sais-je" signifie :
- Peut-être je le sais,
- Peut-être je ne le sais pas.
L'interrogation ne peut d'ailleurs être étudiée indépendamment de
la négation avec laquelle elle a fondamentalement la même structure.
Avec l'ironie, par exemple, on se trouve en face d'un énoncé af-
firmatif qui est sémantiquement négatif. Il y a d'autres formes où
seule l'intonation exprime l'intention de dire le contraire : "C'est
malin ce que vous avez fait là".
Nous ne développerons pas ces "types" de négation. Mais il faut
poser que le domaine de la négation dans le langage ne recouvre pas
celui des seules phrases syntaxiquement (3) ou "lexicalement" (4)
négatives, elle couvre tous les énoncés qui ont une valeur négative
et/ou une valeur indéterminée.

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1.2. ROLE DES THEORIES LINGUISTIQUES

1.2.1. Les types d'analyses

On peut aborder l'étude de la négation de façon descriptive, distribu-


tionnelle. Dans ce cas, l'objet d'étude sont les marques qui indiquent
la négativité d'une phrase. Ces marques sont étudiées pour et en fonc-
tion de toutes les possibilités grammaticales de leur occurrence.
Cependant les éléments de surface rendent compte par leur fonc-
tion, leur position, leurs relations avec les autres éléments de surfa-
ce de relations sémantiques et logiques sous-jacentes. Il est donc né-
cessaire non seulement de disposer d'un catalogue descriptif du maté-
riel et de sa distribution mais d'avoir des hypothèses sur le fonction-
nement du système en tant que totalité organisée. Ces hypothèses dé-
pendent d'analyses théoriques. Nous suivrons celles des grammaires
génératives car ces grammaires ne restent pas neutres, au contraire
des grammaires distributionnelles ou statistiques, vis-à-vis des struc-
tures sous-jacentes (5). Elles permettent non seulement d'avoir une
description de surface, mais des indications sur ce qui s'est passé
au niveau de la structure de base et dans l'histoire dérivationnelle.

1.2.2. L'intérêt des analyses théoriques et leurs limites

Avant d'étudier le rôle des indices négatifs, il semble indispensable


de présenter les analyses théoriques qui permettent de justifier le
statut et le rôle de ces indices.
L'opérateur de négation linguistique n'est pas, comme pour la
négation logique, un opérateur unaire. Il y a plusieurs types de né-
gateurs. Si l'opérateur n e . . .pas est un opérateur relativement sim-
ple et induisant une négation propositionnelle sans présuppositions
spécifiques, il n'en est pas de même pour les autres opérateurs de
négation tel que : plus, jamais, personne, etc. L'analyse en surfa-
ce des marques négatives doit donc être nécessairement dépendante
de l'analyse de la fonction et de la portée de ces indices. L'étude des
négations non prédicatives, par exemple, est particulièrement liée
à la portée (scope) de la négation. Il faut étudier les marques au ni-
veau de la surface de façon à ce qu'elles puissent indiquer la struc-
ture de base et l'histoire dérivationnelle. Cependant, sous la diver-
sité des relations de surface et sous la diversité des rôles, il faut
rendre compte de l'unité des marques en tant qu'opérateurs de né-
gation.
L'unité fonctionnelle est de rendre négative la phrase. Cette uni-
té doit pouvoir se définir par des critères sémantiques et syntaxiques
et une théorie pertinente doit en rendre compte. Dans cette optique,
le rôle d'une théorie pertinente est d'apparier les structures de sur-
face avec leurs significations pour permettre de dégager la valeur

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et le rôle fonctionnel des marques négatives. Parmi les approches
théoriques, aucune ne donne de réponses satisfaisantes à l'ensem-
ble des problèmes. Les études sont plus ou moins partielles et dé-
terminées par des buts plus ou moins restreints et des critères d'a-
nalyses plus ou moins sélectifs. Ainsi le problème des présupposés
particulièrement pertinents pour rendre compte du choix nécessaire
par le locuteur de certains types de négations lexicales ou non pro-
positionnelles n'a pas encore été systématiquement étudié. Il en est
de même pour le rôle de la portée de la négation, et pour les pro-
blèmes d'aspect liés à certaines négations.
En fait, il n'y a pas actuellement en linguistique de théorie per-
mettant de relier les diverses formes négatives aux conditions d'em-
ploi de la négation. Or, tout modèle proposé qui ne prend pas en con-
sidération la liaison des règles et de la signification au sens le plus
large du terme c'est-à-dire incluant les contextes^ ne peut être qu'in-
complet. Nous nous proposons de présenter d'abord plusieurs appro-
ches qui donnent quelques lumières sur les points que nous venons de
soulever.

1 . 3 . LA TRANSFORMATION NEGATIVE DANS LES GRAMMAIRES


GENERATIVES

1 . 3 . 1 . La transformation négative

Dans le cadre de la grammaire transformationnelle présentée par


Chomsky en 1957, une phrase syntaxiquement négative est considé-
rée comme ayant été transformée par rapport à un énoncé minimal.
Cet énoncé minimal est une phrase simple, active, déclarative,
c'est-à-dire une phrase de la langue, issue d'une phrase noyau sur
laquelle ont été appliquées les seules transformations obligatoires.
Une transformation est alors une "règle qui s'applique à une séquence
ayant une structure syntagmatique donnée pour la convertir en une
nouvelle séquence ayant une structure syntagmatique dérivée" (6).
Une transformation qui peut inclure un nombre considérable de
règles à appliquer dans un ordre déterminé a donc pour fonction de
"spécifier les positions structurelles et les différences entre sym-
boles".

1 . 3 . 2 . La transformation négative dans la théorie non révisée

Dans un premier stade, celui de Syntactic structures, N. Chomsky


(1957) distingue les transformations obligatoires qui s'appliquent
nécessairement aux suites sous-jacentes pour en faire des phrases
de la langue et les transformations facultatives ou particulières qui

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ne s'appliquent que pour obtenir des phrases dérivées. Celles-ci
sont donc des phrases issues de séquences sous-jacentes à une ou
plusieurs phrases noyaux par une ou plusieurs transformations suc-
cessives. Les phrases négatives sont des phrases dérivées. Elles
mettent en jeu une transformation facultative et des transformations
obligatoires. La partie facultative inclut la série de choix possibles
pour produire une phrase négative, la partie obligatoire est la "ma-
chinerie automatique" pour que cette phrase soit un énoncé gramma-
tical.
Dans cette optique le traitement transformationnel de la négation
a pour but d'insérer l'élément négatif dans la structure de surface :
soit, pour l'anglais, d'insérer le morphème "not" en surface.
Etant donnée une séquence ayant une description structurelle de
la forme :
a) SN - C - N ou SN —> syntagme nominal (7)
b) SN - C - + M V —> verbe
c) SN - C + have M —» verbe modal
d) SN - C + be + C —» temps
la transformation négative ajoute "not" après les 2 segments de la
séquence, soit :
X
1 " X2 " X3 Xj - X 2 + n't + X g
Une séquence terminale du type c) :
The boys . 0 + have . en + come (8)
se réécrira :
The boys . 0 + have + n't + en + come
d'où :
The boys haven't come
La transformation négative facultative est donc suivie de transfor-
mations obligatoires qui convertissent la suite en énoncé de la langue.
Parmi les transformations obligatoires la transformation affixe (9),
appliquée aux éléments terminaux en tant qu'affixe de verbe, permet
l'introduction de l'auxiliaire.
Lorsque la transformation affixe est bloquée, des règles supplé-
mentaires obligatoires introduisent la transformation "do" (10).
Ainsi pour :
John - S - come
il y aura transformation obligatoire "do" pour obtenir :
John doesn't come
L'application de ces règles doit permettre d'engendrer toutes les
phrases négatives grammaticales en anglais et rien que celles-là.

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1.3.3. Les objections à cette formulation

Cependant cette formulation a soulevé plusieurs types d'objections.


Premièrement, il s'est avéré que certaines phrases négatives et
particulièrement les négations prédicatives ne pouvaient être engen-
drées par ce type de règle.
Deuxièmement, il a paru qu'il y avait incompatibilité entre cette
formulation et l'idée que les transformations ne modifient pas l'in-
terprétation sémantique de la phrase. En effet, en théorie seules les
relations entre les suites syntagmatiques de la base et le lexique ser-
vent à l'interprétation sémantique de la phrase. L'introduction de la
négation au niveau de la transformation modifie de façon fondamen-
tale le sens des suites syntagmatiques et donc l'interprétation séman-
tique .
O. Jespersen, Z. Harris et la plupart des théoriciens avaient dé-
fendu la conception qui veut que les transformations ne modifient pas
le sens des suites sous-jacentes auxquelles elles s'appliquent. Pour
les psycholinguistes qui ont travaillé à partir des analyses de N.
Chomsky, cette position semblait essentielle pour permettre d'at-
tribuer aux transformations subies et non à la différence de conte-
nu les comportements des sujets en face de phrases noyaux ou de
phrases dérivées.

1.3.4. Deuxième formulation de la transformation négative

Les reformulations de la transformation négative, R. Lees (1960),


E. Klima (1964), J. Katz (1964), N. Chomsky (1965) aboutissent
à ce que les transformations ne contribuent plus à l'interprétation
sémantique des phrases.
Nous suivrons l'analyse faite pour l'anglais par E. Klima, nous
en verrons ensuite l'application en français.
A. Dans cette analyse la négation n'est plus introduite par une trans-
formation facultative mais par un constituant Neg. Ce constituant est
facultativement introduit à la base par des règles syntagmatiques.
Une fois le constituant Neg introduit, une série de transformations
obligatoires va rendre compte des diverses possibilités du placement
de l'élément négatif en surface. La négation est donc marquée par
un constituant Neg à la base, et ce constituant peut figurer dans un
ou plusieurs indicateurs syntagmatiques sous-jacents.
B. E. Klima cherche à rendre compte des différents types de néga-
tions. Les bases de son analyse sont principalement syntaxiques,
c'est-à-dire que la négativité y est définie en fonction de critères
syntaxiques tels que la construction avec either. la tag-question (11),
ou la construction avec des indéfinis comme any, anyone, anything.
Les critères syntaxiques sur lesquels s'appuient E. Klima lui
permettent de traiter le cas des adverbes négatifs, des quantifica-

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teurs négatifs et des termes "adversatifs". En effet, puisque ces
éléments, comme not, demandent des constructions avec either et
non la construction avec neither qui est de règle dans le cas de phra-
ses affirmatives, il peuvent être définis comme négatifs. E. Klima
traite également les adjectifs négativement préfixés en remarquant
que cette préfixation est à l'origine des conséquences syntaxiques
qui les séparent des adjectifs non préfixés . Ainsi dans les phrases
avec des quantificateurs, on trouve un indéfini lorsqu'il y a adjectif
préfixé :
John was not capable of doing any more (12)
John was incapable of doing any more
'John was capable of doing more
John was capable of doing any more
Il en est de même pour des adjectifs marqués qui sont des adver-
satifs :
* He would be stupid to take any more
He would be smart to take any more
He would be smart to take some more (13)
Mais les adjectifs préfixés ne demandent pas de construction avec
either et ne nécessitent pas de tag-question affirmative. Ceci parce
que les adjectifs marqués tels que reluctant (hésitant), stupid (stu-
pide), etc., s'ils contiennent des traits syntactico-sémantiques né-
gatifs, ne produisent pas des négations propositionnelles.
C. Les dérivations : dans tous les cas le constituant Neg est de même
nature mais l'histoire de sa dérivation est différente dans le cas de
négation syntagmatique, de préfixation négative ou de verbe "adver-
satif".
La portée (scope) de la négation ne porte que sur les constituants
qui sont "en construction" avec le constituant Neg. Par "en construc-
tion avec" E.Klima entend "qui est dominé par la branche dominant
le noeud auquel est attaché l'autre constituant".
Soit l'arbre :

Y n'est pas en construction avec Xg puisqu'il n'est pas dominé par


X^ ; Xg et X^ sont en construction avec Xg qui les domine. Pour la
négation, il y a négation propositionnelle lorsque le constituant Neg
est en construction avec le NP et le VP soit

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(Neg) NP Pred

dans ce cas, Neg est aussi indépendant des autres constituants. Une
règle de placement l'amène à sa place, soit en position pré-verbale,
dans la structure de surface. C'est la dérivation pour une phrase
telle que :
Adam n'a pas mangé la pomme.
Dans la négation de terme, le constituant est attaché à un noeud
inférieur et la négation ne porte que sur ce syntagme dominé.

NP Pred

V ^NP
/ \
Neg N

Les seuls constituants "en construction" avec Neg rentrent dans


le champ de la négation :
Cai'n est un non-violent
Dans le cas de verbes adversatifs, l'opérateur de négation est ins-
crit à la base devant le verbe dont il représente une part de la spé-
cification grammaticale et sémantique. Cet opérateur est le même
constituant Neg qui marque à la base les phrases avec ne.. .pas et
les formes préfixées, mais au cours de la dérivation irëst absorbé
et non relocalisé en surface :
Soit une phrase comme :
Noé refusa l'évidence

p^
NP Pred
(Neg + V) ^ N P

Nous n'examinerons pas tous les cas. E. Klima pense ainsi ren-
dre compte de toute la famille des phrases négatives telles que par
exemple :
Les insensés n'ont pas tenu compte de leurs erreurs
Nul insensé ne tient compte de ses erreurs
Jamais les insensés ne tiennent compte de leurs erreurs
Les insensés sont incapables de tenir compte de leurs erreurs
Les insensés omettent de tenir compte de leurs erreurs
Ces phrases ont toutes, à la base, un même constituant Neg mais
la forme et la portée de cet élément dépendent des constituants en
construction avec Neg dans la structure constituante de chacune des
phrases.
Nous aurons l'occasion de revenir sur des points d'analyse parti-
culier en examinant les différentes formes négatives.

1 . 3 . 5 . La transformation négative en français

Avant de présenter les récentes interprétations de la négation ; il


paraît nécessaire de voir quelle serait en français une analyse pro-
che de celles de R. Lees et E. Klima. Nous nous référerons au tra-
vail de N. Ruwet (1968).
N. Ruwet fait remarquer l'inadéquation pour le français de la for-
mulation qui consisterait à insérer en surface le formant n e . . -pas à
l'aide d'une transformation facultative puis à appliquer la Transi or-
mation (Aff) qui engendrerait la phrase négative à partir de la phra-
se noyau. Cette formulation ne peut rendre compte de nombreuses
phrases négatives complexes. Par contre si, comme dans la formu-
lation de E. Klima, la négation est facultativement représentée à la
base par Neg et amenée en surface à l'aide de règles transformation-
nelles obligatoires qui dépendent de la place de Neg à la base, on peut
rendre compte de différences telles que :
Il peut ne pas y croire
Il peut n'y pas croire
Il peut n'y croire pas
Il admet n'y croire pas
11 admet ne pas y croire
et d'un certain nombre d'autres phrases négatives. On maintient
dans ce cas la solidarité des éléments ne.. .pas.
La transformation négative peut être reformulée ainsi ; une fois
Neg choisi on peut avoir :
- soit une suite :
X - (Neg) - TPS - (Adv) - Y - ^ l - n e - 3 - p a s + 4 - 5
1 2 3 4
où X et Y représentent des suites quelconques d'éléments et où TPS
+ inf.
Cette transformation obligatoire permettrait d'engendrer une
phrase telle que :
Adam nie mangera pas la pomme
- soit une suite du type :
X - Neg - Y —» 1 - ne + pas - 3
et des règles permettant d'engendrer des phrases telles que :
Il peut ne pas croire

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1 . 3 . 6 . Evolution actuelle

Il semble cependant que l'analyse de E. Klima ne soit pas suffisante


pour rendre compte de certains problèmes posés par les phrases
négatives avec quantificateurs et par les relations entre le passif et
l'actif de ces phrases.
Cette analyse, où est maintenue l'idée que seules les structures
profondes servent à l'interprétation sémantique de la phrase, rend
difficilement compte des aspects de la signification liés à la portée
de la négation, aux présuppositions et au focus.
Si nous prenons des phrases telles que :
a) Pas une seule flèche n'atteignit la cible
b) Une seule flèche n'atteignit pas la cible
c) Peu de flèches atteignirent la cible
d) Beaucoup de flèches n'atteignirent pas la cible
elles ont un sens différent dont ne peut rendre compte la structure
de base. La relation entre le passif et l'actif de ces phrases montre
que l'ordre de surface des quantificateurs et de la négation joue un
rôle déterminant pour le sens. Le passif change la signification d'u-
ne phrase active négative avec quantificateur :
"La cible ne fut pas atteinte par beaucoup de flèches" a le "même"
sens que c) et non pas que d) dont elle est le passif. L'interférence
du modal et de la négation pose le même type de problèmes.
Jackendoff (1969) en présentant sa "théorie interprétative de la
négation" pense que si l'on veut rendre compte de diverses formes
de la négation sans perdre la valeur informationnelle de celle-ci et
tout particulièrement de celle qui dépend de sa portée (scope), il
est nécessaire d'abandonner l'idée que les transformations ne chan-
gent pas le sens de la phrase. Il maintient que la structure de sur-
face, déterminant en partie la portée des éléments logiques, doit
être pertinente et que beaucoup de phénomènes sémantiques néces-
sitent d'être interprétés en termes de traits dans la structure de
surface. Le rôle de l'intonation par exemple, peut et doit être dé-
cisif.
"Pierre est en train d'aménager l'électricité, j'ai peur que quel-
qu'un d'autre le fasse" signifie lorsque l'accent est mis sur "j'ai
peur" : "j'ai peur que quelqu'un d'autre que moi arrange l'électri-
cité".
Alors que si l'accent est mis sur "quelqu'un d'autre" le locuteur
parle de sa peur que "quelqu'un d'autre que Pierre" n'arrange l'élec-
tricité .
Dans le cas de la négation, lorsque l'élément négatif n'est pas
joint à l'élément verbal, le rôle des pré suppositions et celui du
champ verbal de la négation sont particulièrement importants. Jac-
kendoff propose donc :
a) Que la négation soit engendrée comme un morphème ou comme
un trait d'union lexical dans la structure de surface.
b) Que Neg ainsi engendré sur un NP, un adverbe, un auxiliaire
soit monté au noeud indiquant la portée de cette négation.

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c) Qu'une règle d'interprétation de la portée (scope-rule) indique
la forme logique de la phrase à partir de la structure de surface.
Cette règle qui est une règle sémantique n'a pas pour but de modi-
fier la structure de surface mais de donner à partir des structures
profondes, des structures superficielles et de l'histoire de la déri-
vation, l'interprétation sémantique de la phrase.
La difficulté des doubles et des triples négations peut ainsi s'ex-
pliquer par le nombre de noeuds auxquels la négation est attachée.
Il serait possible de changer la signification d'une phrase en mo-
difiant les syntagmes inclus dans le champ de la négation soit en
"montant" Neg dans l'indicateur syntagmatique, soit en laissant Neg
et en changeant le matériel du constituant. C'est ce qui se passe dans
certains cas de passivation.
R. Jackendoff pense qu'ainsi sa théorie rend mieux compte des né-
gations non prédicatives et des phrases négatives avec quantificateurs
lorsqu'elles sont "passivisées".
N. Chomsky (1970) reconnaît, à la suite de ces analyses, que les
constructions de la base n'expriment pas toutes les propriétés séman-
tiques des phrases. Les aspects de la signification liée aux problèmes
de "portée", de présupposition, de thématisation, de topic-comment
(thème-commentaire) sont déterminés, au moins partiellement, par
des propriétés de la structure de surface et des swallow structures
(structures peu profondes). Il admet donc qu'il faille modifier la
théorie standard pour restreindre la contribution de la base à l'in-
teiprétation sémantique.
Cette nécessité est particulièrement évidente pour la négation.
Pour Chomsky l'élément négatif joue un rôle déterminant vis-à-vis
de ce qui est présupposé au même titre que vis-à-vis de ce qui est
asserté.
Cependant, N. Chomsky n'estime pas nécessaire pour rendre
compte de cela de compliquer les structures de base (14). Une vue
comme celle de Jackendoff lui semble résoudre un certain nombre
de problèmes sans remettre en cause le système. Autrement dit,
les arguments qui mettent en valeur le rôle des champs et des pré-
suppositions laissent inaffectée l'hypothèse que l'interprétation sé-
mantique est principalement donnée par les relations de la struc-
ture profonde, quoique certains aspects de la surface doivent jouer
un rôle dans l'interprétation sémantique.

1.4. LES MARQUES DE LA NEGATION

1.4.1. Les opérateurs de négation

Nous réserverons le nom d'opérateurs de négation aux marques qui


sont l'indice d'une transformation négative. Appliquées à une classe
d'énoncés X ces marques les transforment régulièrement en classe

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d'énoncés Y.
A côté de ces marques explicites, on peut relever des marques
implicites de négation sémantique. Ces marques n'impliquent pas
une transformation telle que nous l'avons définie - elles indiquent
que certains termes sont en relation d'opposition avec d'autres
termes.
Dans l'étude sur l'acquisition de la négation (3e chapitre), nous
nous sommes efforcés de tenir compte de tous les types de négation
explicites ou implicites. Par contre dans les expériences présen-
tées dans le 4e chapitre, nous avons particulièrement étudié le rôle :
a) de la négation syntaxique avec ne^.. .pas,
b) de la négation due à des verbes opérateurs,
c) de la négation implicite donnée par des verbes inverses non
préfixés.
1 . 4 . 1 . 1 . En français, la marque spécifique de la négation est
ne.. .pas. Elle indique que l'état ou la relation présenté par le ver-
be est faux, n'est pas ou n'est pas celui indiqué.
A côté de n e . . .pas, existent ne.. .plus, n e . . .jamais, etc., uti-
lisés pour traduire certains aspects de la négation ou pour rendre
compte de certaines conditions d'emploi de la négation. N e . . .plus
se distingue de n e . . .pas par un trait lié à la durée, il y a obliga-
toirement sous-jacenr à l'emploi de plus la présupposition que ce
qui est nié a été effectivement auparavant. Jamais, guère ont aussi
des présupposés spécifiques liés à la durée, à la quantification.
Avec ne.. .jamais il y a parcours temporel et négation de l'opéra-
tion que recouvre jamais (15).
1 . 4 . 1 . 2 . Les verbes à négation inhérente. Dans la grammaire de
Port-Royal, le verbe marque "le donné pour vrai" en joignant deux
termes qu'il affirme, il est donc défini comme un mot dont le prin-
cipal usage est de "signifier l'affirmation".
Certains verbes ont pour référence d'indiquer qu'une relation
entre les termes qu'ils relient ou introduisent n'est pas ou est fausse.
Ces verbes tels que nier, douter sont des "opérateurs de négation".
Dans la terminologie de E. Klima ils sont classés comme verbes à
négation "inhérente".
Au plan de la réalisation verbale, ces verbes ont, comme tous
les verbes, une valeur d'affirmation mais leur valeur référentielle
contient une négation. La relation posée est l'affirmation d'une né-
gation .
Lorsque nous parlons de verbes à "négation inhérente ', il est
indispensable de délimiter les verbes qui sont en eux-mêmes une
forme négative et les verbes qui indiquent l'inversion d'un proces-
sus ou le contraire d'un état. Les verbes à négation inhérente se-
lon l'analyse transiormationnelle que nous avons présentée sont
marqués à la base comme : (Neg + verbe) et Neg est "absorbé" par
le verbe au cours de la dérivation. Le constituant Neg est alors par-
tie inhérente du verbe dont il représente une part de la spécification
grammaticale et sémantique.
Ces verbes sont des opérateurs qui inversent la valeur de l'énon-

19
cé qu'ils introduisent :
Je dis que vous êtes allé écouter ce discours
Je nie que vous soyez allé écouter ce discours
Les verbes à négation inhérente sont des verbes performatifs
classés par la grammaire classique sous la rubrique de verbe de
volition ou de cognition. On trouve des justifications sémantiques
et syntaxiques à la position qui veut que ces verbes soient de for-
mes négatives.
A) Sur le plan sémantique. On définit généralement la catégorie
d'une expression comme celle de l'ensemble de toutes les expres-
sions auxquelles elle est substituable. Les verbes à négations inhé-
rentes peuvent être substitués soit à des verbes avec préfixes néga-
tifs soit à des verbes syntaxiquement niés (ces deux classes étant
affectées par des marques négatives) soit à des verbes faisant eux
aussi partie de la classe des verbes à négation inhérente (16).
D'autre part, un verbe cognitif à négation inhérente peut équiva-
loir à une négation syntaxique du fait, située dans la subordonnée :
Tous affirmèrent qu'il n'était pas le fils de Zeus
Tous nièrent qu'il soit le fils de Zeus
Tous démentirent qu'il était le fils de Zeus
de même croire que ne.. .pas, ne pas croire, peut se substituer à
douter.
B) Sur le plan syntaxique. Un certain nombre d'arguments vien-
nent appuyer la thèse de "verbes à négation inhérente".
En effet, les traits contextuels - traits syntaxiques - liés aux
traits sémantiques inhérents exigent, pour les verbes performatifs
négatifs, des types de complémentations comparables à celles que
demande la transformation négative.

1 . 4 . 2 . Les marques non transformationnelles

1 . 4 . 2 . 1 . Le statut des termes en opposition. Nous n'avons traité


jusqu'alors que des marques négatives explicites ou inhérentes is-
sues d'un constituant faisant partie en tant que tel de la structure
de base. Selon J . Fodor et J . Katz (1963), les mots ne doivent pas
être traités comme des "tout" mais comme une "composition" de
marques sémantiques et syntaxiques ; les marques sémantiques
spécifient quelque chose à propos de la signification de l'item lexi-
cal. Dans ce cadre, les termes de paires antonymes peuvent être
considérées comme ayant les mêmes entrées, les mêmes marqueurs
dans le dictionnaire subjectif, avec cependant pour le terme "néga-
tif" ou "marqué" un trait supplémentaire indiquant la polarité. La
nature de la relation conceptuelle entre des adjectifs opposés, par
exemple, serait due au trait supplémentaire de l'adjectif négatif (17).
Les énoncés en opposition posent des problèmes nouveaux. Leur
valeur est relationnelle. Il ne s'agit pas de négation introduite trans-
formationnellement mais du rôle de termes dont l'un possède un trait

20
qui l'oppose sur un continuum de valeur ou d'action à un autre terme.
Ces formes ne peuvent donc être traitées au même titre que les au-
tres formes négatives. On peut d'ailleurs discuter sur la "négation"
introduite par ces termes. Le contraire ou l'inversion d'un procès
ne sont pas des négations au même titre que l'annulation. Cependant,
au point de vue sémantique, le contraire et l'inversion ne peuvent
être exclus d'une étude sur la négation. De plus, des critères de
substitution justifient l'étude des adjectifs antonymes et des verbes
inverses ou contraires dans le cadre de la négation. Cependant, la
forme de négation qu'ils introduisent est qualitativement différente
de la négation transformationnelle.
Nous ne traiterons pas le cas des adjectifs sur lesquels ont por-
té un grand nombre d'études théoriques ou expérimentales. Nous al-
lons présenter le cas des verbes que dans la suite de cet ouvrage
nous appellerons "verbes sémantiquement négatifs". Ces verbes
indiquent un état "négatif" ou l'inversion d'un procès. Ce ne sont
pas des opérateurs de négation.
1 . 4 . 2 . 2 . Les verbes inverses et les verbes contraires. Ces verbes
diffèrent des verbes à négation inhérente en ce sens qu'ils ne sont
pas des "opérateurs". Ils n'inversent pas la valeurs de la clause
qu'ils introduisent :
Il sait que Pierre est parti
Il ignore que Pierre est parti
dans les 2 cas : "Pierre est parti". Ils n'introduisent pas de con-
traintes syntaxiques comme la forme subjonctive pour le verbe de
la subordonnée :
Il sait que tu viens
Il ignore que tu viens
La distinction entre les verbes inverses et les verbes contraires
s'appuie sur des problèmes liés à l'état et au procès.
A) Les verbes contraires. La négation d'état donne un autre état
contraire du premier ; elle peut se faire avec un opérateur ou un
lexème :
Il aime - Il n'aime pas - Il hait
Les verbes contraires sont les lexèmes verbaux qui expriment un
état contraire d'un item verbal, état considéré comme négatif par
rapport à l'état opposé. L'analyse des verbes d'état se rapproche
de celle des adjectifs.
Si on applique au verbe contraire V^ la négation on obtient l'état
défini par V :
Il n'ignore pas = Il sait
Il y a cependant des nuances qui justifient l'emploi d'une double né-
gation à la place d'une affirmation simple :
Va, je ne te hais point (Racine)
B) Les verbes inverses. Il y a deux façons de nier un procès :

21
- Premièrement, on peut appliquer, comme dans la négation
d'état, un opérateur de négation. C'est la procédure transforma-
tionnelle.
- Deuxièmement, on peut exprimer l'inverse de ce procès, c'est-
à-dire utiliser un verbe V_ ^ indiquant une action annulant l'action
décrite par un verbe Vj. Ce verbe est un verbe inverse.
L'action ramenant une situation obtenue à une situation de départ
peut être due à des verbes préfixés en dé. Dans ce cas elle se mar-
que par des procédés transformationnels. Mais elle peut également
s'exprimer par des items verbaux n'ayant aucune marque négative
en surface ni aucune des caractéristiques des verbes à négation in-
hérente . Ces items verbaux, que nous appellerons les verbes inver-
ses, indiquent une annulation par procédé de reversion :
ouvrir /fermer
allumer/ éteindre
mettre/ôter, enlever
unir/séparer
donner/retenir
Le type de négation dépendant des verbes inverses est lié à l'aspect.
Lorsque l'action est envisagée dans l'instant ces verbes ont des re-
lations inverses :
J'ai ouvert fait passer de "l'état fermé" à "l'état ouvert"
J'ai fermé fait passer de "l'état ouvert" à "l'état fermé"
Lorsque les verbes inverses sont employés en statifs ils ont entre
eux des rapports contradictoires comme ceux des verbes contraires
ou des adjectifs polaires.
1 . 4 . 2 . 3 . Les relations entre les verbes inverses. Les relations
entre les verbes inverses préfixés sont constantes, cela justifie
leur séparation d'avec les verbes inverses non préfixés. Un verbe
préfixé présuppose toujours l'état résultant de l'action indiquée
par le verbe non préfixé :
Pour décharger X il faut que X ait été chargé
Pour découvrir X il faut que X ait été couvert
L'analyse des verbes inverses non préfixés montre qu'au contraire,
on peut trouver plusieurs types de relations entre les couples. Pre-
mièrement, le verbe "négatif" peut impliquer que soit présupposée
l'action indiquée par le verbe positif. Nous retombons là dans un
cas analogue à celui des verbes préfixés :
Pour enlever X il faut que X ait été mis
Dans un deuxième cas le verbe "négatif" et le verbe "positif" sont
tous deux marqués par rapport à un verbe neutre, ils ont alors les
mêmes présuppositions :
Pour oublier X il faut avoir su X
Pour se rappeler X il faut avoir su X

22
Enfin, dans certains cas le verbe "positif" implique un état résul-
tant du verbe à valeur négative. Ce cas est plus complexe et moins
fréquent (18) :
Pour trouver X il faut que X ait été perdu
Il est donc difficile de suivre C. Fillmore (1968) lorsqu'il avance
que le verbe inverse "négatif" est le verbe "positif" plus une mar-
que supplémentaire. Cette position ne pourrait être soutenue que
pour les verbes préfixés. Pour les autres il n'y a certainement pas
simple addition d'un trait sur un verbe positif mais une composition
de différentes modalités aspectuelles qui vient se surimposer à l'in-
version d'un procès marqué dans l'un des verbes par un trait séman-
tique. Le verbe de référence peut être soit le verbe "positif" soit un
verbe neutre.

NOTES

1. La marque peut n'être qu'une intonation systématique comme dans la


langue peulh.
2. En chinois, l'interrogation alternative s'exprime habituellement par la
répétition du verbe avec une négation, soit V + Neg + V (A. Rygaloff "Néga-
tion et antynomie", Journal de psychologie normale et pathologique, 3, 1958,
p. 135).
3. Par syntaxe, nous entendons l'ensemble des règles qui concernent le
rôle et les relations des mots dans les p h r a s e s .
4. Par lexique nous entendons les unités de signification en tant que com-
posantes internes de la forme linguistique.
5. N. Chomsky distingue deux niveaux de structure de la langue, le pre-
mier niveau ou niveau sous-jacent est celui de la structure profonde des phra-
s e s . Ce niveau est abstrait et sert pour rendre compte de l'interprétation sé-
mantique de la p h r a s e . Le second niveau est celui de la structure de surface
qui rend compte de la structure de la phrase telle qu'elle apparaît comme é -
noncé physiquement décelable. Toutes variations entre la structure de base
et la structure de surface sont dues à des opérations qui sont dites "de t r a n s -
formation".
6. N. Chomsky, Syntactic structures. 1957, traduction française : Struc-
t u r e s syntaxiques, P a r i s , 1969, p. 50.
7. La flèche indique une règle de r é é c r i t u r e .
8. Nous laisserons en anglais les phrases sur lesquelles les analyses ont
été faites au cours des études sur la négation en anglais. Nous en donnerons
la traduction et/ou l'équivalence chaque fois qu'il en s e r a nécessaire pour
l'intelligence du texte.
9. Transformation affixe : analyse structurelle X - Aff - V - Y change-
ment structurel X^ - Xg - Xg - X^ —> X^ - Xg - Xg - X^
10. Transformation adjonction de "do" :
analyse structurelle / Aff
changement structurel X^ - Xg —» X^ - do - Xg
11. L'interrogation du type "n'est-ce pas" en français est au négatif en
anglais quand elle suit une phrase affirmative ou à l'affirmatif quand elle suit
une phrase négative.
12. Les t e r m e s "adversatifs" sont ceux qui contenant un trait syntaxico-
sémantique tel (+ Affect), ont le même effet que les items avec des préfixes
négatifs.

23
13. Chaque fois que cela est possible nous donnerons des exemples de
phrases en français dont la construction suit des règles équivalentes. Nous
laisserons les exemples en anglais lorsque ce sont les phrases sur lesquelles
ont travaillé les auteurs anglais et lorsque les constructions n'ont pas d'équi-
valent en français.
14. Cette position est celle des théoriciens de la sémantique générative.
15. Catherine Fuchs, Contributions préliminaires à la grammaire de re-
connaissance du français, thèse de doctorat de 3e cycle, 1971.
16. On peut signaler dès maintenant que cet argument ne joue pas pour
les verbes "inverses", qui ne sont substituables aux verbes positifs synta-
xiquement négatifs que dans la négation de l'état et non dans celle de procès.
17. Nous appellerons "traits sémantiquement négatifs" les traits qui mar-
quent le verbe ou l'adjectif à valeur négative dans des couples d'inverses ou
de contraires.
18. J . L . Borges, "TlOn U Q barOrbis Tertius", Fictions, "Ils répétèrent
que c'était une duperie verbale fondée sur l'emploi téméraire de deux néolo-
gismes non autorisés par l'usage et étrangers à toute pensée sérieuse : les
verbes trouver et perdre qui comportaient une pétition de principe parce
qu'ils présupposaient l'identité des pièces."

24
2. ETUDES PSYCHOLINGUISTIQUES DE LA NEGATION

2.1. INTRODUCTION

Historiquement, les premières études sur les énoncés négatifs ont


été liées aux travaux effectués sur la formation de concept et sur les
solutions de problèmes. En effet, il est apparu que la présentation
d'exemples négatifs d'un concept rendait plus difficile l'appréhension
de ce concept. A la suite des travaux de K. Smoke (1933), des auteurs
parmi lesquels C. Hovland et W. Weiss (1953), J. Bruner, S. Goodnow
et G. Austin (1956), J. Huttenlocher (1962), ont entrepris des recher-
ches systématiques sur ce problème. Dans ces tâches de solution de
problèmes ou de formation de concepts qui mettent en jeu aussi bien
un codage linguistique, il est apparu qu'à niveau d'information égale,
la tâche des sujets recevant des énoncés positifs est facilitée par rap-
port à celle des sujets recevant des énoncés négatifs. Il semble donc
que le taux d'information fourni ne soit pas en cause mais le mode
sur lequel cette information est fournie. Cela a suggéré à C. Hovland
l'hypothèse que le codage de l'information se ferait sous forme de
"possibilités". Chaque exemple supplémentaire donné permettrait
alors d'éliminer une partie des "possibilités" en jeu. S'il en est ain-
si, un exemple présenté sous forme négative oblige le sujet à une
"traduction" en forme affirmative afin de rendre cet exemple con-
gruent avec les "possibilités" préalablement élaborées sous forme
affirmative.
L'hypothèse de la nécessité d'une conversion de l'énoncé négatif
en une forme affirmative, lors du codage, a été à la base de presque
toutes les recherches effectuées mais cette hypothèse a été posée
dans le cadre de problématiques très diverses. Les chercheurs ont
essayé de déterminer pourquoi le traitement des phrases néga-
tives présentait des problèmes. Les uns se sont intéressés à la na-
ture générique de l'opération de négation et ont cherché à expliquer
par la transformation linguistique elle-même, les conséquences au
niveau du fonctionnement psycholinguistique ; les autres se sont da-
vantage centrés sur les problèmes de la nature de l'opération de né-
gation, et sur les problèmes posés par son fonctionnement au niveau
de la communication. La plupart de ces travaux ont été faits dans
une optique très limitée par rapport aux facteurs en jeu. C'est pour-
quoi une coupure nette entre les diverses tendances de recherche
est largement arbitraire ; elle est cependant nécessaire pour nous

25
permettre de traiter les travaux qui ont eu lieu depuis 1960. Nous
verrons d'abord les études portant sur la nature générique de la né-
gation et sur l'évolution des positions qui, partant de recherches
sur la "réalité psychologique" de la transformation négative, abou-
tissent à l'étude des négations sémantiques. Nous verrons ensuite
les études sur le rôle fonctionnel de la négation, ces études sont ac-
tuellement très restreintes. Entre les deux nous présenterons des
modèles qui procèdent des études sur la vérification des phrases
dans lesquelles les sujets ont à comparer et juger deux situations
successives.

2.2. ETUDES SUR LA "REALITE PSYCHOLOGIQUE" DE LA TRANS-


FORMATION NEGATIVE

Une des approches essentielles pour expliquer les données de per-


formance est liée aux positions théoriques de N. Chomsky. En effet,
les psycholinguistes se sont immédiatement intéressés aux notions
abstraites exposées dans Syntactic structures.
Fondé sur l'idée "qu'une théorie linguistique a une réalité psycho-
logique quand on peut démontrer que la dite grammaire est une par-
tie intégrante de la performance" (J. Mehler, 1967), il s'est déve-
loppé un courant de recherche se proposant de démontrer et de me-
surer l'adéquation des notions introduites par N. Chomsky avec les
données de performance.
Dans Syntactic structures la phrase négative présente, parce
qu'elle a subi des transformations non obligatoires, une complexité
syntaxique plus grande que la phrase affirmative. Les psycholinguis-
tes ont pensé que cette complexité doit nécessairement être co-re-
liée à des variations de comportement lors de la compréhension, la
production et la mémorisation des phrases.
La difficulté des phrases négatives n'est donc, dans cette optique,
plus liée aux implications logiques ou type d'information que ces
phrases véhiculent mais relève de leur dérivation.
Cette problématique a été à l'origine des expériences de G. Miller
(1962), J . Mehler (1963) (1), L . E . McMahon (1963) (2), H. Savin et
E. Perchonock (1965) (3), P. Gough (1965) (4).
A partir des recherches effectuées on a pu avancer que :
1) Lors de la mémorisation de phrases isolées, il y a des effets
systématiques liés à la forme syntaxique des phrases stimulus. Ces
effets concordent avec l'idée que les phrases sont codées sous la for-
me d'une phrase "noyau" à laquelle s'ajoutent les marques syntaxi-
ques pertinentes pour indiquer les transformations facultatives né-
cessaires à la dérivation de la phrase mémorisée (5). Ainsi pour
une phrase négative, le codage se fait sous une forme affirmative
avec une indication supplémentaire qui marque la forme négative.
2) En compréhension, le nombre des transformations facultatives
subies par une phrase influe sur les performances des sujets lors de

26
processus de vérification.
Les données de performances n'infirment pas les grammaires
transformationnelles et certains auteurs, tel que F . Gough ont été
jusqu'à affirmer que la complexité psychologique d'une phrase (me-
surée par le temps mis pour vérifier cette phrase) serait une fonc-
tion linéaire du nombre de transformations appliquées à cette phra-
se. Cependant cette position ne peut être soutenue. En effet :
a) Les ordres prédits par la grammaire transformationnelle ne
coïncident pas toujours avec ceux des données expérimentales. Ain-
si, dans certaines tâches de compréhension, les temps de latence
pour répondre à des phrases négatives sont plus longs que les temps
de latence pour les phrases passives. Selon les analyses transforma-
tionnelles, les phrases passives devraient être plus difficiles.
b) Les règles grammaticales ne sont pas seules en jeu, le lexique
interfère avec la forme syntaxique (L. McMahon 1963).
c) Les données obtenues ne sont pas stables sous toutes les condi-
tions. Il est nécessaire de tenir compte de la nature de la tâche, de
l'âge des sujets, etc.
d) Enfin, les résultats obtenus ne sont valables que dans les limi-
tes étroites d'une utilisation particulière du langage, en fait pour des
phrases isolées.
L'abandon d'une interprétation à un niveau purement syntaxique de
la complexité des phrases négatives s'imposait d'autant plus qu'une
évolution dans le domaine théorique affaiblissait la notion des trans-
formations facultatives. Les principaux auteurs ont donc infléchi leur
ligne de recherche en remarquant que les travaux réalisés avaient ce-
pendant permis de montrer l'importance, dans la mémorisation des
phrases et pour leur vérification, de là forme logique minimale (6)
de ces phrases. En concluant que c'est sous une forme signifiante
minimale que les sujets codent le matériel, on écartait une premiè-
re erreur qui avait été de confondre cette forme logique avec la
"phrase noyau" (phrase envisagée sous un angle purement syntaxique)
sans tenir compte du composant sémantique c'est-à-dire des items
lexicaux, de leurs relations logiques au niveau de la base et des rè-
gles de projections (7).
Une erreur d'un autre niveau a consisté en la généralisation abu-
sive d'un modèle présenté pour rendre compte de la mémorisation
de phrases. La part des processus spécifiques en jeu dans les di-
verses modalités de réalisations linguistiques se trouvait éliminée.

2 . 3 . LE CODAGE DU SENS

Le lexique est un des composants de forme abstraite, c'est dire que


les traits syntaxico-sémantiques qui définissent un terme sont inclus
dans la forme minimale. Ils doivent donc influer, au même titre que
les marques syntaxiques, sur le comportement verbal. La forme lo-
gique minimale codée par les sujets est une forme signifiante.

27
Une des première expériences permettant de voir le rôle du sens
d'une phrase en le libérant de variation sur le seul paramètre synta-
xique est celle de S. Fillembaum (1966). Celui-ci étudie les variables
sémantiques en sélectionnant des phrases qui ont des significations
identiques (ou très proches) avec des réalisations de surface diffé-
rentes. Ainsi une phrase syntaxiquement négative telle que : "le pom-
pier n'est pas mort", a le même sens et une forme différente que la
phrase affirmative : "le pompier est vivant". En variant la forme
syntaxique et en substituant des termes antonymes, on obtient des
phrases qui ont les mêmes significations à travers différentes réa-
lisations. Les résultats indiquent, dans une tâche de reconnaissance,
que les sujets font plus d'erreurs qui préservent la signification que
d'erreurs allant dans le sens d'une simplification syntaxique ; les
phrases affirmatives sont cependant favorisées lorsqu'elles peu-
vent être utilisées à la place de phrases négatives.
La tendance au codage du sens n'est pas un phénomène surprenant,
il permet une réduction rapide et rentable de l'information reçue.
Dans un cadre expérimental où les formes négatives sont "gratuites ",
c'est-à-dire qu'elles sont imposées par le dessin expérimental et non
nécessitées par le contexte linguistique ou situationnel, le sujet a in-
térêt à retenir l'information sous sa forme la moins lourde. Dans cet-
te expérience, il est certain qu'une phrase comme "le pompier est
vivant" est plus simple que la phrase "le pompier n'est pas mort".
Cependant, le codage de la forme, nécessaire au sens, peut être
favorisé dans certaines situations. Les sujets n'utiliseront pas le
même codage pour une phrase doublement négative dans un contexte
expérimental et pour l'énoncé doublement négatif inséré dans une sé-
rie énonciative avec sa modalité nécessaire.
Avec une expérience très semblable à celle de S. Fillembaum,
P . C . Wason et E. Cornish (1970) ont obtenu des résultats moins fa-
vorables à l'idée d'un codage uniquement sémantique ; il est évident
que l'on peut, dans une certaine mesure, induire expérimentalement
certains types de mémorisation.

2.4. ROLE DES ITEMS LEXICAUX

Le rôle de l'item lexical, en tant qu'indice de négativité ou de con-


notation négative, a été peu étudié.
L. McMahon (1963) remarquait, en vérifiant l'effet des transfor-
mations facultatives, qu'un terme comme never (jamais) influait sur
les performances des sujets. Il en concluait que même non transfor-
mationnelle la négation peut accroître les temps de latence. Cepen-
dant E. Klima (1964) rendant compte des adverbes négatifs tels que
never en indique l'origine transformationnelle et montre qu'ils sont
marqués à la base comme les négations syntaxiques. D'autres expé-
rimentateurs se sont proposé d'étudier les effets de termes négatifs
d'origine transformationnelle. H. Olds (1968) (8), S. Jones (1966) (9),

28
A. Sherman (1970) (10) ont relevé des effets comparables pour
des phrases syntaxiquement négatives et des phrases contenant un
terme négatif d'origine transformationnelle.
Cependant, on obtient également des variations dans le compor-
tement lorsqu'on présente des phrases qui contiennent les termes
marqués de couples à relations antonymes. On comprend dans ces
conditions qu'il faille modifier l'approche tendant à rapporter à la
transformation issue d'un opérateur de négation la responsabilité
des effets remarqués avec les phrases négatives.
Les termes antonymes étudiés - qui peuvent s'opposer sur des
continuum de valeur objective ou de valeur subjective - ne semblent
cependant pas donner lieu aux mêmes effets que les négations syn-
taxiques. Il existe une hiérarchie dans les effets (H. Clark 1970).
Le rôle des adjectifs contraires est moindre que celui des adjectifs
préfixés et n'est vraiment significatif que dans les cas où ces adjec-
tifs se trouvent dans des phrases déjà négatives (A. Sherman 1970).
La diversité du statut et des fonctions des négations se reflète au
niveau des performances.
Dans quelle mesure peut-on interpréter ces résultats ? A. Sher-
man propose une analyse en termes "d'incertitude de sens". Cette
notion se rapprocherait de celle de la portée (scope) de la négation.
Plus la portée de la négation serait importante, plus la phrase se-
rait difficile à traiter parce que serait laissé plus indéterminé ce
sur quoi porte la négation. Nous verrons avec les analyses de H.
Clark l'ambiguïté de cette position qui confond la portée syntaxique
de la négation et ses incidences sémantiques.
Nous pouvons rapprocher des études sur les termes sémantique-
ment négatifs la recherche de E. Eifermann (1961). Celle-ci pense
que la difficulté induite par la négation relève plus de la connotation
prohibitive de l'opérateur de négation que de sa fonction logique ou
que de la forme de la phrase. Il semble - d'après la comparaison
des deux opérateurs de négation en hébreu - qu'une connotation pé-
jorative induise à des effets plus importants.

2 . 5 . H. CLARK : LES PROPRIETES PSYCHOLOGIQUES DES


NEGATIONS

Nous présenterons ici la tentative de H. Clark pour traiter la néga-


tion de façon "uniaire". Après avoir tenté d'établir expérimentale-
ment une hiérarchie des différentes négations, H. Clark propose de
séparer les négations explicites dues à des marques négatives et les
négations implicites dues, par exemple, à des termes antonymes.
Pour chacun de ces groupes il distingue, d'autre part, les négations
qui s'appliquent à la proposition toute entière et celles qui "quanti-
fient" cette proposition. H. Clark entend par là les négations qui ne
portent que sur une partie de la proposition.
Pour H. Clark, il y a utilisation de négations explicites lorsque

29
l'on veut dénier des "croyances" positives d'un interlocuteur, alors
qu'il y a utilisation de négations implicites lorsqu'il s'agit de confir-
mer les "croyances" négatives de cet interlocuteur. Ainsi, si je pen-
se que mon interlocuteur croit que "Jean est là", j'indiquerais que
cela n'est pas vrai en disant :
a : "Jean n'est pas là"
que H. Clark analyse :
a' : (il est faux (de supposer (que Jean est là)))
Par contre, si je pense que mon interlocuteur croit que "Jean
n'est pas là" je dirais :
b : Jean est absent
Soit :
b' : (il est vrai (de supposer (qu'il est faux ( que Jean soit là))))
Ainsi les négations explicites nieraient vraiment alors que les néga-
tions implicites ne feraient, en fait, que confirmer des présomptions
négatives. Les résultats expérimentaux de H. Clark montrent que
si les deux types de négations rendent des phrases plus complexes
à vérifier que les phrases affirmatives, les négations explicites sont
nettement plus difficiles que les négations implicites.
Les explications de H. Clark portent sur plusieurs niveaux. Les
négations explicites seraient plus difficiles parce qu'elles seules nie-
raient vraiment et parce que leur portée serait plus "grande". Si
nous reprenons le parenthésage proposé pour les phrases a et b nous
voyons en effet que dans a', il est faux que porte sur (de supposer
que Jean est là), alors que dans b', il est faux que ne porte que sur
(Jean est là).
Avec cette interprétation, H. Clark pose des problèmes séman-
tiques au niveau de la pragmatique et réciproquement sans distin-
guer clairement les niveaux d'étude.
Si on reste au niveau des présomptions subjectives on ne voit pas
ce qui permet de les faire rentrer dans une analyse de la portée de
la négation. Le parenthésage proposé par H. Clark doit être général
puisqu'il doit rendre compte du traitement des négations explicites
et implicites. Or ce parenthésage dépend d'une analyse de "supposi-
tions" dont le statut n'est ni défini ni facilement définissable. Rien
ne permet de confondre avec les présupposés des phrases, les pré-
somptions de ce que l'interlocuteur est censé penser pour que le lo-
cuteur produise un type spécial de phrase. Si les aspects présuppo-
sitionnels d'un énoncé incluent les conditions qui doivent être satis-
faites pour que cet énoncé soit dans sa totalité une déclaration va-
lable, aucune des conditions avancées par Clark n'est de cette na-
ture. Dans cette étude, le problème de la portée de la négation est
lié à un parenthésage arbitraire qui prend en considération les "sup-
positions". Cette question pourrait être plus valablement défendue.
Une autre critique porte sur la problématique expérimentale qui
fonde ces interprétations. Nous en parlerons plus en détail au para-
graphe suivant, en présentant les expériences qui lient l'étude de la

30
compréhension et du traitement des phrases à la vérification de ces
phrases en fonction d'un réfèrent les rendant vraies ou fausses. Ce-
pendant il faut dès maintenant indiquer les limites de cette technique
qui met en jeu les rapports d'une proposition et de son réfèrent et
non pas, comme on a pu le donner à penser, les rapports d'un énon-
cé et de son champ d'existence et de validité.

2 . 6 . ETUDES SUR LA VERIFICATION DES PHRASES NEGATIVES

Les expériences dont nous allons parler ont lié le problème du trai-
tement des phrases négatives à celui du vrai et du faux par des tech-
niques expérimentales où les sujets doivent soit produire, soit véri-
fier des phrases en fonction d'un réfèrent. Dans toutes les situations
que nous allons présenter, les sujets ont à reconnaître, évaluer,
comparer et juger deux situations successives : une phrase et un
"événement" du monde réel. Après comparaison, le processus se
termine par une décision et une réponse. Ces expériences ont tou-
jours porté sur la vérification de phrases isolées. Ce sont ces types
d'expériences qui justifient les modèles de la négation dont nous par-
lerons ensuite.
P . C . Wason (1959) a mesuré le temps mis pour compléter des
phrases affirmatives ou négatives de façon à les rendre vraies ou
fausses en fonction d'une situation objective. Quatre combinaisons
sont possibles : les phrases affirmatives vraies, les phrases néga-
tives vraies, les phrases affirmatives fausses et les phrases néga-
tives fausses. Les phrases affirmatives vraies et négatives fausses
fournissent une inférence valide sur ce qu'est la situation, les phra-
ses affirmatives fausses et négatives vraies sur ce que n'est pas la
situation.
L'auteur obtient les résultats suivants (temps moyen, en secondes,
pour compléter les phrases) :
Phrase affirmative vraie 8.99
Phrase affirmative fausse 11.09
Phrase négative vraie 12. 58
Phrase négative fausse 15.17
Il trouve que la forme et la vérité sont additives dans leurs effets.
En effet, les processus en jeu sont de 2 sortes. Tout d'abord ceux
qui sont liés à la forme syntaxique : lorsque la phrase est négative
le sujet doit la convertir en affirmative pour pouvoir la "comparer"
au réfèrent. Ensuite ceux qui dépendent de l'accord ou du désaccord
avec l'image : si il y a désaccord la réponse devrait être plus lente
(T. Trabasso 1971). Il est nécessaire d'inverser la réponse, que
celle-ci soit ou non en accord avec l'image, lorsque la phrase est
négative puisque la vérification est faite à partir d'un codage posi-
tif.
L'ordre obtenu par P . Wason (1959-1961) et par L. McMahon

31
(1963) n'a pas toujours été retrouvé. P.C. Wason et Jones (1963),
P. Gough, P. Slobin (1964), R. Wales et R. Grieve (1970), H. Clark
(1971), T. Trabasso (1971) remarquent que les phrases négatives
fausses sont plus faciles à vérifier que ne le sont les phrases néga-
tives vraies. La divergence de résultats peut venir soit de la tâche
demandée soit du matériel linguistique utilisé et des processus en
jeu.
A) McMahon (1963) et T. Trabasso (1971) remarquent que si l'on
présente le réfèrent objectif avant de présenter la phrase à vérifier,
les phrases négatives fausses sont vérifiées plus rapidement.
Au niveau de la tâche demandée D. McNeill (1966) fait remarquer
qu'il n'y a pas symétrie dans la valeur de la fausseté et de la vérité
pour les phrases affirmatives et négatives. Lorsqu'une phrase "est"
la description d'une image, la nier implique une négation d'existen-
ce. En revanche quand la tâche consiste à juger de la véracité des
phrases, un jugement de fausseté implique une négation de la véri-
té. Ces deux types de négation sont différents. Les interactions ré-
vèlent la difficulté de combiner l'affirmation avec le déni. Dans ces
conditions, les jugements positifs de vérité doivent être plus faciles
pour les phrases affirmatives vis-à-vis de l'existence tandis que les
jugements négatifs de vérité sont facilités par des phrases négatives
au point de vue de l'existence. Il est possible d'expliquer ainsi que
les phrases fausses négatives soient favorisées vis-à-vis des vraies
négatives.
B) Cependant, il semble surtout que les résultats obtenus dépen-
dent des possibilités de codage des phrases. Lorsqu'il s'agit de phra-
ses négatives avec un terme antonyme, le sujet a la possibilité de les
convertir en phrases affirmatives en substituant au terme nié son an-
tonyme. Ce processus ne peut être utilisé pour toutes les phrases né-
gatives. Les divergences remarquées tiendraient donc au type de co-
dage qu'adoptent les sujets. P.C. Wason et S. Jones (1963) ont re-
marqué que les résultats obtenus dépendent des heuristiques que les
sujets disent avoir suivies. Ainsi, quand la stratégie suivie est l'in-
version du prédicat, les phrases négatives vraies sont plus faciles
à vérifier, lorsque les sujets n'adoptent pas cette stratégie, ces
phrases sont plus difficiles à vérifier que les négatives fausses.
Une expérience de T. Trabasso (1971) où l'auteur a étudié sépa-
rément les temps de codage et ceux de vérification, indique que les
négations affectent particulièrement les temps de codage et influent
peu sur les temps de vérification. Cela appuie les hypothèses qui
posent que les phrases négatives sont codées sous forme affirma-
tive.

2.7. LES REPRESENTATIONS SCHEMATIQUES

Les modèles proposés sont en fait des représentations schématiques


du traitement des phrases négatives. Dans les modèles de P. Wason

32
(1961), H. Clark (1970), T. Trabasso (1971), les deux opérations
de base sont :
- le codage du matériel sous une forme telle qu'il puisse être
comparé,
- la comparaison des représentations codées.
Tous les auteurs proposent un codage sous forme affirmative.
C'est la seule forme qui puisse autoriser une recherche compara-
tive directe avec les événements du monde extérieur.
H. Clark (1970) présente "The true model of négation" (Le vrai
modèle de la négation) qui doit permettre de traiter toutes les phra-
ses négatives. Il le complète cependant en présentant des méthodes
de conversion qui peuvent être uniquement utilisées lorsqu'il y a
possibilité de convertir une phrase négative en une phrase affirma-
tive par inversion du prédicat. L'utilisation alternative de l'une ou
l'autre méthode doit rendre compte de la différence des temps que
l'on remarque dans la vérification des phrases négatives vraies et
des phrases négatives fausses.
"The true model of négation" comprend quatre étapes. Premiè-
rement, on recode la phrase négative dans une structure de base
universelle "la comparaison n'opère ni sur les structures de sur-
face ni sur des représentations ininterprétées, il y a traduction né-
cessaire dans une structure de base universelle qui n'est celle d'au-
cune théorie linguistique mais de toutes" (H.. Clark, 1971).
Cette structure de base est enchâssée dans une suite indiquant
qu'il est faux q u e . . .
Par exemple pour la phrase "A n'est pas au-dessus de B" la re-
présentation serait :
Il est faux que (A au-dessus de B)
où il est faux que est l'enchâssante et A au-dessus de B est l'enchâs-
sée.
Deuxièmement, il y a codage de l'image à vérifier sous une mê-
me forme c'est-à-dire avec les mêmes termes. Les deux imputs
doivent avoir des représentations congruentes. Par exemple l'ima-
ge de référence représentant A au-dessus de B serait codée : (A
au-dessus de B).
Troisièmement, on compare les deux représentations. C'est à
cette étape qu'ont lieu les opérations mentales qui doivent amener
à constater un accord ou un désaccord entre les deux représenta-
tions après comparaison des suites enchâssées et enchâssantes de
ces représentations. Ces opérations incluent les processus suivants :
A) Comparer la proposition enchâssée de la phrase et de l'image.
a) Si elles concordent : aller en 2.
b) Si elles ne concordent pas : aller en 1 a).
1 a) Changer la valeur de l'index de vérité en la valeur opposée et
aller en 2.
B) Comparer la suite enchâssante de la phrase et de l'image.
a) Si elles concordent : arrêter.
b) Si elles ne concordent pas : aller en 2 a.
2 a) Changer la valeur de l'index de vérité en son opposé puis arrê-
ter.

33
A la quatrième étape il y a uniquement traduction de la réponse
trouvée en réponse de forme appropriée
Les quatre étapes se succèdent, elles sont constantes, la troisième
prend d'autant plus de temps qu'il y a plus d'opérations à effectuer.
Les réserves que l'on peut faire sont nombreuses et se situent à des
niveaux différents. H. Clark propose ce schéma sans en donner le
modèle d'utilisation, sans en proposer les règles d'usage. Il ne dit
pas comment, par exemple, on passe à une représentation supérieu-
re à la première étape. De plus il considère ce modèle comme va-
lable pour le traitement de toutes les négations. En effet, si dans
certains cas, les sujets utilisent la méthode de conversion il n'en
reste pas moins vrai pour H. Clark que "The true model" est le mo-
dèle général puisqu'il est utilisable dans tous les cas.
Les justifications expérimentales sur lesquelles H. Clark s'appuie
ne touchent qu'un domaine très étroit. Il est pour le moins hasardeux
de généraliser les processus en jeu dans la vérification de la concor-
dance ou de la non-concordance d'une proposition et de son réfèrent
à un modèle devant rendre compte de la compréhension de tous les é-
noncés négatifs. Le domaine associé pour un énoncé de la langue ne
peut être arbitrairement réduit. Le schéma proposé ne peut rendre
compte des modalités propres à certains énoncés négatifs, pour re-
prendre un exemple typique nous dirons que les doubles négations
ne peuvent être vraiment traitées selon ce schéma.
T. Trabasso, H. Rollins et E. Shaughessy (1971) proposent un mo-
dèle plus approfondi et restent prudents en spécifiant que ce modèle
ne peut rendre compte que des processus en jeu lorsqu'il y a traite-
ment de deux inputs successifs dans des situations de résolution de
problèmes ou des tâches de vérification. En s'appuyant sur toute une
série d'expériences et en particulier sur des expériences avec des
connectifs et des disjonctifs, T. Trabasso avance qu'il y a un proces-
sus séquentiel de l'information. Ce processus consiste en une recher-
che séquentielle de l'adéquation entre l'exemple codé et la représen-
tation codée du concept.
Les phases successives sont les suivantes :
1) Codage du matériel de façon à ce qu'il puisse être comparé. Le
contenu de l'input est représenté sous forme affirmative. Les phra-
ses négatives qui incluent des valeurs binaires peuvent être converties
par inversion du prédicat. Cette transformation a lieu avant le proces-
sus de vérification. Les phrases négatives dont le prédicat ne peut être
inversé sont codées sous forme affirmative avec adjonction d'un indice
qui amènera le changement nécessaire de la réponse. C'est principa-
lement le temps mis pour ce codage qui rend les phrases négatives plus
longues à vérifier que les phrases affirmatives. Le stade du codage et
celui de la vérification sont distincts. Ce n'est que lorsque les données
se présentent sous forme adéquate que commence la vérification.
2) Recherche de l'identité entre les représentations codées des
exemples ou de l'exemple et du concept : le processus est séquen-
tiel. La comparaison se fait en série avec des temps de départ dif-
férents pour les phrases avec connectifs ou avec disjonctifs. Lors-
que la nature logique du matériel à vérifier ne permet pas au suj et
de se donner des règles d'arrêt, celui-ci effectue une recherche

34
exhaustive. Cependant ce type de recherche représente l'exception.
T. Trabasso pense que les sujets adoptent des arbres minimaux pour
tous les connectifs qui permettent une recherche avec règle d'arrêt.
Quand ces sujets doivent faire des recherches exhaustives, comme
dans le cas de règles biconditionnelles ou des disjonctifs exclusifs
par exemple, les temps de réaction augmentent avec le nombre des
différences et des changements.
Les auteurs rejettent l'idée d'un modèle de traitement parallèle ;
ils estiment que les résultats empiriques ne concordent pas avec
les prédictions de ce modèle. Cependant, ils admettent qu'il puisse
y avoir des recouvrements partiels dans les recherches en série.
A partir de ce modèle, T. Trabasso analyse les résultats expé-
rimentaux portant sur la vérification de phrases négatives, et consi-
dère comme prouvé que la recherche des différences entre les re-
présentations codées prend plus de temps que la détection de leur
concordance (11).
L'analyse se présente ainsi :
A) Dans le cas d'alternatives non binaires :
- La phrase affirmative vraie peut être directement codée, et
sa vérification est rapide puisqu'il s'agit de trouver une identité.
- Les phrases affirmatives fausses sont plus longues à vérifier
puisque la non-identité allonge le temps de vérification.
- Les négatives vraies demandent un codage à l'affirmatif plus
une vérification de la non-identité donc une recherche longue enfin
elles exigent une inversion de la réponse.
- Les négatives fausses demandent également un codage à l'affir-
matif mais on peut obtenir plus vite la réponse puisqu'il s'agit de
trouver l'identité. Elles sont donc vérifiées plus rapidement que les
vraies négatives.
B) Dans le cas d'alternatives binaires, si les phrases affirma-
tives restent toujours plus facile à vérifier, la phrase négative faus-
se devient plus difficile que la négative vraie. En effet, pour celle-ci,
seule est nécessaire l'opération de conversion qui précède la véri-
fication. Les phrases négatives fausses exigent, en plus de cette o-
pération, une recherche de non-identité.
Ces modèles ou plutôt ces représentations schématiques présen-
tent un certain intérêt pour rendre compte de la vérification d'hypo-
thèses présentées sous formes d'exemples et se rapportant à des
référents. C'est dans ce cas qu'on a pu parler de modèles pour des
résolutions de problèmes avec exemples négatifs ou de modèles pour
la vérification de représentations successives.

2 . 8 . RECHERCHES SUR LE ROLE FONCTIONNEL DE LA NEGATION

Toutes les analyses montrent des différences de comportements


systématiques face à des énoncés positifs ou négatifs. Si le mode de
transmission par phrases négatives est lourd et complexe quelles

35
sont les situations où l'on a recours à lui ? La nécessité de rejeter,
réfuter, contredire implique la production de phrases négatives. La
compréhenson de ces phrases requiert alors, de la part de l'audi-
teur, une évaluation de ces énoncés en référence à un champ posi-
tif sur lequel joue la négation. Il serait donc intéressant d'étudier
les équivalences ou non-équivalences psychologiques des énoncés
en fonction des contextes cognitifs ou situationnels dans lesquels ils
se produisent. Mais on rejoint là des analyses dans des discours et
aucune approche n'a été vraiment satisfaisante en psycholinguistique
dans ce domaine.
Il a été relevé que, dans les situations expérimentales que nous
avons passées en revue, les phrases négatives n'ont aucune utilité.
Nous entendons par là que la forme négative n'est nécessitée par
aucun contexte, par aucun présupposé. Les sujets peuvent donc en
tirer l'impression que, s'il n'est pas faux dans le cadre de la tâche
proposée, l'énoncé négatif est moins naturel, peut-être inapproprié
et par là même il soulève des difficultés. Ce point est à l'origine de
la plupart des ambiguïtés dans les recherches sur la négation.
En prenant conscience que la négation est une opération ayant un
rôle spécifique dans le langage, P. Wason a voulu étudier les situa-
tions qui facilitent cette opération : "La négation est une opération
sur les phrases et elle est évidemment plus complexe que l'on ne
l'avait d'abord pensé. Il semble que la meilleure stratégie pour re-
chercher la fonction de l'opération de négation est d'explorer les
variables qui ont un effet spécifique sur la capacité des sujets à uti-
liser cette opération..." (J. Greene et P. Wason 1970).
P. Wason (1965) a abordé ce problème en proposant "the excep-
tionality hypothesis" (l'hypothèse de l'exception à la classe). Etant
donné un ensemble homogène servant de réfèrent, un énoncé néga-
tif sera d'autant plus naturel, et donc facile à comprendre, qu'il
aura pour fonction de marquer la non-appartenance d'un élément,
ou d'un nombre restreint d'éléments à l'ensemble. Ainsi les sujets
coderaient d'une façon spéciale l'élément non homogène. P. Wason
vérifie expérimentalement cette hypothèse et trouve, en effet, une
facilitation de la négation lorsque c'est l'item exceptionnel qui est
décrit de façon négative, c'est-à-dire lorsque cet item est décrit
comme ne possédant pas la propriété de la classe.
On doit cependant faire plusieurs réserves. Si il est intéressant
de penser à un codage spécial conduisant à des traitements diffé-
rents pour des items exceptionnels, on aimerait savoir quel type de
codage est utilisé, et cela P. Wason ne le dit pas. Dans ces expé-
riences, P. Wason présente des classes en terme d'extension et
rien ne nous autorise à penser que, dans le langage naturel, les
classes en extension servent de réfèrent habituel. On ne peut ajrtribuer
à l'extension ce qui revient en fait à la compréhension d'un concept.
Si je dis "Jean n'est pas drôle" cela n'indique pas que la classe des
hommes ait la propriété d'être drôle et que Jean soit un sujet ex-
ceptionnel, cela n'indique pas non plus que Jean soit dans un état
exceptionnel par rapport à son état habituel.
On peut aussi critiquer la présentation de P. Wason en arguant
comme H. Clark, que ce n'est pas l'exceptionnalité dans un contexte

36
de référence qui est ici en jeu mais simplement la plausibilité d'une
phrase négative dans un contexte général. Cela ramène à formuler
"the exceptionality hypothesis" sous mie forme anodine "une phrase
négative est plus simple si l'on peut penser qu'il est plus plausible
d'utiliser cette phrase en fonction du contexte".
Dans une même ligne de recherche, J . Greene (1970) (12), a mon-
tré que la présentation de phrases négatives dans un cadre où elles
ont pour rôle effectif de réfuter un argument précédent, facilitait
leur compréhension. Le sens d'une phrase est plus difficile à extrai-
re lorsque la négation est gratuite que lorsqu'elle est utilisée dans
sa fonction naturelle de contradiction. Cependant le dessin expéri-
mental de J . Greene paraît léger par rapport aux problèmes posés.
Quant aux recherches de R. Wales et R. Grieve (1969), elles se rap-
portent plus aux problèmes posés par la détection de différences
qu'à la négation.
La fonction de la négation est, d'autre part, liée au type de néga-
tion utilisée et aux propriétés sémantiques de la phrase. Nous avons
cherché avec Peter Carey (1971) à étudier les fonctions et la portée
de différentes négations. L'expérience a consisté à présenter à des
sujets anglais et français des phrases négatives. Les sujets devaient
demander la première question qui leur venait à l'esprit pour mieux
comprendre la situation exprimée par ces phrases. L'analyse por-
tait sur la distribution des questions posées et sur leur contenu sé-
mantique. Les phrases expérimentales sont composées de deux pro-
positions : la première avec un verbe opérateur (ex. : affirmer que/
nier que) introduit une subordonnée au passé avec un sujet animé,
un objet concret ou abstrait (ces syntagmes nominaux étant introduits

? ar un démonstratif) et un verbe à contenu soit positif, soit négatif


ex. : mettre/enlever). Les subordonnées peuvent être soit affirma-
tives, soit négatives, soit à l'actif, soit au passif.
Dans cette première expérience, nous n'avons pas fait varier le
type de relations entre sujet et objet : l'agent agit sur un objet indé-
pendant . Les données en français comme en anglais montrent que
les négations performatives et syntaxiques conduisent à une remise
en cause du sujet logique, plus exactement à une remise en cause
de l'identité de l'actant. Par contre lorsque le verbe de la subordon-
née est un verbe à trait sémantique négatif c'est le procès qui est
mis en question.
Il apparaît que la seule définition de la portée de la négation en
terme de structure de surface n'est pas pertinente et qu'il faut re-
tenir une interprétation en terme de présupposés. Si l'on exclut les
cas où la forme grammaticale favorise l'appréhension des présup-
posés et les cas où ils sont donnés par le contexte, on peut penser
qu'un rôle essentiel va être joué dans l'interprétation de la phrase
par les relations induites entre sujet/objet à partir du verbe.
Dans une seconde expérience, nous avons fait varier les relations
sémantiques des énoncés dans lesquels opéraient les négatifs. Dans
un cas l'agent est à l'origine d'une relation ou l'objet le qualifie :
Ce directeur a pris cette décision : ce directeur a décidé
Dans un deuxième cas, l'agent est à l'origine d'une action qui le qualifie :

37
Cet homme a écrit ce livre : cet écrivain
Enfin dans le troisième cas, nous avons repris les phrases ou l'a-
gent agit sur un objet indépendant :
Ce bûcheron a abattu cet arbre
Les mêmes trois variables négatives que dans la première expérien-
ce opèrent sur ces formes de bases.
Les résultats, en anglais et en français, montrent que les varia-
tions dues aux relations internes et aux structures syntaxiques sont
concommitantes dans les deux langues. Quand il n'y a pas de rela-
tions spéciales entre SVO, l'identité de l'agent est préférentielle-
ment remise en cause, et il en est de même lorsque l'agent est à
l'origine d'une action qui le qualifie. Par contre lorsque l'objet qua-
lifie l'action effectuée par l'agent, les questions portent plus sur l'ob-
jet logique sous la forme d'une demande de spécification de cet objet.
Cela confirme le rôle, au delà des facteurs syntaxiques.de la représen-
tation des énoncés. La négation n'est pas explicable par un opérateur
unique, mais par des facteurs syntaxico-sémantiques.
Le rôle fonctionnel des différentes négations doit se retrouver dans
les processus de traitement de l'information et non seulement au ni-
veau du codage. Toutes les relations signifiantes de la forme minimale
doivent influer sur les opérations qui suivent. Cependant nous ne som-
mes pas à même de proposer des hypothèses différentielles sur la ma-
nière dont pourraient se faire les calculs et sur quoi ils porteraient sui-
vant à la fois le type de négation utilisée et la nature du contenu à nier.
Le rôle des négations peut également varier de façon génétique.
Quoique nous n'abordions pas ici le domaine génétique nous devons
mentionner une expérience de C. Jakubowicz (1971). L'auteur mon-
tre qu'un même type de négation peut donner lieu à une "compré-
hension" différente suivant l'âge. Elle propose à des enfants des
tâches consistant à mimer des phrases négatives. Les résultats
montrent que la négation porte sur des groupes de syntagmes diffé-
rents en fonction :
a) de l'âge des enfants
b) de la structure des phrases,
c) du type du verbe utilisé.
Les jeunes enfants ont tendance à nier ce qui n'est pas percepti-
vement présent, les enfants plus âgés font porter la négation sur
l'acteur enfin les plus grands enfants "nient" le verbe en lui substi-
tuant un autre verbe.

2 . 9 . LE ROLE DES HEURISTIQUES PERCEPTIVES

Il a été peu tenu compte de facteurs dépendant de processus psycho-


logiques telles les heuristiques perceptives utilisées par les sujets
dans le domaine cognitif comme dans le domaine linguistique. Dans

38
la plupart des expériences présentées, il a été admis qu'il pouvait
y avoir des difficultés lors du codage des négations, particulière-
ment si celles-ci étaient multiples. T. Bever (1969) montre que les
conditions d'appréhension des marques négatives et de leur portée
peuvent poser des problèmes préliminaires aux processus étudiés.
Comprendre une phrase implique un étiquetage de cette phrase avec
sa fonction logique. Les sujets ont des stratégies de projection
(mapping) du donné perceptif et des règles d'usage pour utiliser ces
projections. Lorsque les stimulus sont complexes les stratégies ha-
bituelles se heurtent à des obstacles.
T. Bever analyse une phrase à trois négations et montre que la
double fonction du second opérateur de négation rend très difficile
l'appréhension de sa portée.
Jean n'a pas demandé à Paul de ne pas dire qu'il ne partait pas.
Le second ne.. .pas est à la fois dans le champ de la première né-
gation et opérateur sur la troisième négation. Cette suite est donc
perceptivement complexe comme toutes celles où, dans un système
clos, un stimulus a deux fonctions opposées à la fois. Des appro-
ches de ce type pourraient permettre d'aborder les problèmes des
méthodes d'utilisation des schémas proposés par les linguistes ou
les psychologues.
Mais cette position rend conscient du fait que fort peu a été fait
dans ce domaine.

2.10. CONCLUSION

Ce rapide survol de la partie non génétique des travaux portant sur


la négation n'est pas très encourageant.
La nécessaire réduction exigée par les techniques expérimentales
n'a pas permis d'études qui soient à la fois assez précises et assez
générales pour rendre compte du fonctionnement des différents ty-
pes de négation dans le comportement verbal.
L'analyse des énoncés dans des "faits d'emplois" est éliminée
et une délimitation s'impose qui entraîîie un appauvrissement du ma-
tériel étudié, une exclusion des paramètres de type sémantique ou
pragmatique et finalement une mise entre parenthèses des fonctions
naturelles et spécifiques des négations étudiées.
Le matériel a été appauvri : la plupart des auteurs ont proposé
des phrases isolées de type sujet-verbe-objet. Les thématisations,
les aspects, les modes n'ont pas été examinés, pas plus que les re-
lations entre les sujets-verbes-objets de phrases. Or nous pensons
que le statut des relations sur lesquelles portent les négations in-
terfère avec le choix de celles-ci et leur maniement. Mais le pro-
blème du "choix" n'a pas été non plus abordé.
Les travaux ont donc principalement porté sur les "effets" des
constructions négatives en analysant le rôle des règles et des élé-

39
ments qui les composaient et ont permis de déterminer que les types
de négations étudiés pouvaient influer de diverses façons sur les
processus mnémoniques, sur la compréhension, sur la perception.
Ces études ont également permis de proposer des hypothèses sur
les processus en jeu dans le traitement des phrases négatives. Par
ce biais ont été abordés les problèmes du fonctionnement de l'opé-
ration et de son domaine.
Il reste un champ de recherches très vaste. Mais le domaine de
la négation est lui-même si vaste, ses frontières en sont si peu dé-
limitées que l'on devrait dire qu'il peut presque se confondre avec
celui de la psycholinguistique.
Les travaux que nous avons effectués doivent à ceux qui les ont
précédés des hypothèses et des méthodes.
Dans une optique expérimentale, nous avons essayé d'étudier la
mémorisation et la compréhension de trois types de négation. La
négation syntaxique avec ne.. .pas déjà fort étudié, mais qui sert
de référence. La négation sémantique donnée par des verbes à traits
sémantiques négatifs pour lesquels nous ne connaissons pas d'études
(Expériences n et in) et la négation due à des verbes à négation inhé-
rente qui n'avaient non plus pas fait l'objet d'études expérimentales
(Expérience IV et V). Nous avons cherché à aborder le problème de
la "compréhension" sans le lier à celui de la vérité et de la fausse-
té des phrases pour essayer, dans des situations de choix, de ne
pas réduire la tâche à une simple tâche de vérification (Expérience
IV et V). Le rôle des présupposés a été abordé dans l'étude des
phrases permissives (Expériences IV et V, analyse des phrases
permissives).
Nous avons essayé de tenir compte, particulièrement dans l'étude
de l'acquisition, des contextes dans lequel apparaissaient les formes
négatives de façon à définir leur statut sémantique.
Dans l'Expérience I nous nous sommes efforcée de relier le sta-
tut du fait à nier aux modes de transmissions et nous avons cherché
à déterminer les formes utilisées pour nier la présence, l'apparte-
nance, un état, un procès.

NOTES

1. L'expérience de J . Mehler consiste à faire mémoriser une liste de 8


phrases ayant subi des transformations facultatives. La liste est présentée
5 fois et les sujets donnent un rappel après chaque présentation.
2. L . E . McMahon relève les temps de réponses et le nombre d'erreurs
au cours d'une tâche de vérification de phrases du type :
7 suit toujours 5
7 ne suit jamais 5
7 n'est pas précédé de 5.
3. La technique de H. Savin et E. Perchonock consiste à mesurer la "pla-
ce" prise en mémoire par des phrases. Les auteurs font l'hypothèse que plus
une phrase a subi de transformations plus elle occupera une grande "place"
en mémoire. Cet espace ne sera donc plus disponible pour la mémorisation
d'un autre matériel. Le nombre de mots qu'un sujet peut mémoriser après
les différents types de phrases sert de mesure à l'espace pris en mémoire
pour chaque type de phrases.

40
4. P . Gough utilise une procédure typique dans les expériences sur la vi-
t e s s e de compréhension, il demande au sujet de vérifier sur des images la
véracité des phrases présentées.
5. Avec l'hypothèse du codage J . Mehler (1963-1965) pose que la structu-
r e de base est codée indépendamment des transformations facultatives. "Les
indexations de ces transformations sont indépendantes les unes des autres
et elles ont une vie beaucoup plus courte que celle de la structure de base".
6. Nous reprenons la terminologie de T. Bever (1970).
7. Nous ne discuterons pas ici des problèmes que pose la formulation du
composant sémantique.
8. H. Olds remarque que des instructions données avec unless (à moins
que) sont plus difficiles à comprendre que celles données avec i f . . .not ( s i . . .
ne pas), toutes deux étant plus difficiles que les instructions avec if (si).
9. S. Jones trouve que l'utilisation du t e r m e except (excepté) accroît la
difficulté d'une consigne comme le fait une consigne avec n e . . . p a s .
10. A. Sherman utilise une technique qui consiste à m e s u r e r les vitesses
et l'acuité avec laquelle les sujets déterminent si des p h r a s e s sont "raison-
nables" ou non. Il utilise des négations syntaxiques et lexicales, ces derniè-
r e s d'origine transformationnelle ou non.
11. T. Trabasso pense avoir établi expérimentalement que la recherche
d'une non-identité était plus longue que la recherche d'une identité. La p r e -
mière demande en effet une recherche exhaustive. Cependant il faut faire des
r é s e r v e s . Lorsqu'il y a des quantificateurs, la recherche de la non-identité
peut être plus rapide: Tous les A sont B est vérifié plus rapidement lors-
qu'il y a non- identité.
12. J . Greene (1970) présente aux sujets des p a i r e s de phrases et mesu-
r e le temps mis pour dire si ces phrases ont ou non "le même sens". Soit
des ' ' ;iies q u e :
c ) x dépasse y
d) y ne dépasse pas x
b) est reconnu différent de a) plus rapidement que d) n'est reconnu équivalen-
te à c).
On remarque que d) peut signifier que y est égal à x, la phrase d) n'a
donc pas forcément "le même sens" que c).

41
3. ACQUISITION DE LA NEGATION

3 . 1 . ASPECTS GENERAUX DE L'ACQUISITION DE LA NEGATION

L'acquisition des formes que nous incluons dans les formes négati-
ves, c'est-à-dire les formes syntaxiques et lexicales servant à ex-
primer la non-existence, le refus, le déni, etc., est étroitement
liée à l'acquisition du langage en général.
Les études faites ont toutes fait remarquer :
a) la précocité de l'apparition des éléments négatifs : l'enfant uti-
lise des éléments négatifs très peu après l'émission des premiers
mots ;
b) la généralité et la régularité des formes utilisées pour nier. Il
y a une grande similarité, pour tous les enfants d'une même commu-
nauté linguistique du type d'opérateurs de négation utilisé et des con-
textes dans lesquels ils sont utilisés.
On peut penser qu'il existe pour la négation et à l'intérieur du lan-
gage, un sous-système d'opérations productif. Ce sous-système com-
mencerait à fonctionner dès le début de l'acquisition.

3 . 1 . 1 . Problème de "l'équipement inné"

La précocité et la rapidité avec laquelle les enfants apprennent à


parler, la constance de l'ordre d'acquisition des formes à l'intérieur
du même groupe linguistique, l'uniformité des grammaires obtenues,
ont frappé tous les auteurs qui se sont penchés sur l'acquisition du
langage. Il semble nécessaire de postuler, pour que se fasse cette
acquisition, des structures innées qui permettent la connaissance
acquise et en déterminent la forme.
Le problème de l'acquisition a été abordé de deux manières. Pour
les empiristes, la structure nécessaire se limite à certains méca-
nismes périphériques d'organisation, auquel on doit joindre des prin-
cipes inductifs qui peuvent être très simples. Ce dispositif, selon
eux, permettrait une analyse préliminaire grâce aux mécanismes
périphériques. Aussi, une information de type sensorielle serait
associée par des principes de généralisations inductives aux traits
observables des énoncés et ces associations permettraient de déter-
miner la grammaire d'une langue. Les seules opérations inductives
requises sont élémentaires (du type classification, segmentation,

42
association, etc.)- Pour les empiristes, presque tout est donc à ac-
quérir, seules quelques procédures d'acquisition de la connaissance
sont innées : ce sont les procédures nécessaires pour déterminer
les restrictions sur les grammaires possibles à travers les données
des traits observables. L'acquisition se fait donc à travers une ana-
lyse de l'expérience. En presque complète dualité, les nativistes
postulent un dispositif inné très complet. Pour N. Chomsky, qui se
trouve ainsi dans la tradition rationaliste, ce sont les idées et les
principes innés de divers types qui déterminent la forme nécessaire
du langage et de la représentation des règles de la langue. Les pro-
priétés intrinsèques du système d'acquisition consistent en divers
universaux de forme et de substance qui fournissent le schéma à ap-
pliquer aux données. Celles-ci sont la matière brute d'où, par rai-
sonnement déductif, l'enfant extraira ce qui est nécessaire pour rem-
plir le cadre inné. Il y a, pour le langage, une période critique où
doit se faire cette maturation et ce travail déductif.
On voit l'importance que ces positions théoriques peuvent avoir
sur les problématiques. Cependant, il nous semble difficile à l'heure
actuelle, même si l'on est séduit par la présentation de N. Chomsky,
de déterminer les capacités intrinsèques d'un organisme. Nous nous
sommes donc surtout attachés à relever les systèmes que l'enfant
atteint et à analyser leur émergence. C'est dans cette optique que
nous avons recueilli et étudié le corpus des énoncés négatifs d'un
enfant de 22 mois, et expérimenté avec de jeunes enfants.

3.1.2. Problème du corpus

L'analyse du corpus d'un enfant permet l'étude des énoncés de cet


enfant dans le cadre de sa vie quotidienne, mais cette étude pose
des problèmes de recueil, de transcription, de segmentation et d'a-
nalyse (1). Ceux-ci ne sont pas indépendants des hypothèses faites
sur le développement cognitif de l'enfant et ne sont pas non plus in-
dépendants d'hypothèses que, nous, adultes, faisons sur la façon
dont l'enfant analyse l'environnement. L'étude de l'acquisition sur
corpus dépend également de la formulation des problèmes posés par
cette acquisition.
La méthode génétique se propose d'indiquer les étapes qui doi-
vent nécessairement se retrouver chez tous les enfants pour que le
système linguistique parvienne à son terme. La détermination des
étapes, et leur fonctionnement, peuvent dépendre des critères choi-
sis. Ceux-ci peuvent être purement syntaxiques, s'appuyer sur les
relations entre la syntaxe et le contenu, ou être liés à la constitu-
tion d'opérations cognitives. Il est certain qu'une étude complète
doit inclure tous les aspects, mais on peut choisir dans certaines
optiques méthodologiques de limiter les critères sur lesquels s'ap-
puient les études.

43
3 . 1 . 3 . Quelques méthodes d'analyse des corpus

3 . 1 . 3 . 1 . Méthodes distributionnelles. M. Braine (1963), R. Brown


et C. Fraser (1964), S. Ervin et G. Millier (1964) ont appuyé leur
analyse sur des critères statistiques et distributionnels. La classi-
fication des monèmes se fait en fonction de leur place (par exemple
antéposition ou postposition des éléments), leur ordre, leur fréquen-
ce. Certains choix peuvent privilégier un ou plusieurs de ces critè-
res . Tous ces critères ont pour avantage de réduire au maximum
la subjectivité de l'adulte, en éliminant par exemple la projection
des catégories morphologiques.
En fait, au delà des phrases de deux mots, il s'avère impossible
de ne pas tenir compte des catégories et des règles de la grammaire
adulte. En effet, l'ordre conduit à une trop grande dispersion et, si
l'on veut raffiner on est amené à faire des hypothèses pour classer
les mots en catégories.
Cette méthode a cependant permis à R. Brown et U. Bellugi de
dégager deux classes de mots. Certains mots seraient des mots "pi-
vots" c'est-à-dire des mots fréquemment utilisés et entrant réguliè-
rement en combinaison avec un grand nombre de termes ; ces mots
sont dits "opérateurs". Ils ont un rôle fonctionnel à l'origine de pat-
terns spécifiques pour un stade donné et dans l'évolution. Les autres
mots appartiennent à la classe des mots open (ouverts) ; ils font par-
tie d'une classe ouverte s'accroissant rapidement et comprenant de
nombreux termes qui ne sont pas fonctionnels (2). A partir de cette
classification, les auteurs dégagent deux types d'énoncés dans le
langage enfantin : des constructions - mot pivot + mot de la classe
ouverte - et des constructions - mot de la classe ouverte + mot de
la classe ouverte. Il y aurait donc dès le début du langage un systè-
me de règles résultant d'un processus grammatical.
Cependant, cette analyse s'appuie sur des structures superficiel-
les et, comme nous le verrons, il ne nous semble pas possible de
décrire les structures superficielles sans faire des hypothèses for-
tes sur le sens de l'énoncé. En effet, aux mêmes structures en sur-
face peuvent correspondre différentes relations sous-jacentes et les
règles reliant les structures de base aux structures de surface sont
alors différentes.
3 . 1 . 3 . 2 . Méthodes transformationnelles. La notion de transforma-
tion a également servi pour l'analyse des corpus enfantins (P. Me-
nyuk 1964), R. Brown et C. Hanlon (196 8) ont fait l'hypothèse que
la structuration de la langue croît chez l'enfant à partir de ce qui
est le moins complexe dans la grammaire. La complexité étant -
dans leur optique - directement proportionnelle au nombre des trans-
formations "facultatives" incluses dans la phrase. Ils ont examiné
les données fournies par le corpus de trois enfants en regardant l'or-
dre d'émergence des phrases en fonction de leur complexité dériva-
tionnelle. Nous n'entrerons pas dans le détail de ces analyses qui
tiennent compte du fait qu'on ne peut donner à toutes les règles le

44
même "poids". Les résultats sont intéressants et vont dans le sens
de l'hypothèse faite ; on peut remarquer cependant que les prédic-
tions obtenues avec l'hypothèse de la "derivational theory of comple-
xity" le seraient également avec l'hypothèse que les enfants emploient
d'abord les formes les plus fréquentes dans le discours parental.
Le fait que les formes non grammaticales sont les mêmes pour
un grand nombre d'enfants implique une structure de départ et des
processus assez constants pour justifier ce type de méthode.
Nous nous rapporterons plus spécialement au cours de nos ana-
lyses aux études de U. Bellugi (1967) et de L. Bloom (1970).
L'étude sur la négation entreprise par U. Bellugi s'appuie sur
des facteurs distributionnels. L'auteur cherche à analyser l'évolu-
tion des structures syntaxiques négatives qui doivent conduire à des
phrases négatives grammaticales. Mais la description de U. Bellugi
ne prend en considération que le développement des formes syntaxi-
ques.
L'étude de L. Bloom n'est pas axée seulement sur les formes né-
gatives quoique celles-ci fassent l'objet d'une analyse particulière-
ment détaillée. Les formes syntaxiques sont analysées en fonction
de la catégorie sémantique de l'énoncé. En effet les aspects séman-
tiques et cognitifs de la négation paraissent essentiels à l'auteur
pour décrire la syntaxe.

3.2. ETUDE DU CORPUS D'EMMANUELLE

3.2.1. Principes d'analyse

3.2.1.1. Analyse syntaxique. Les analyses distributionnelles ou sta-


tistiques ne peuvent rendre compte que des seules structures de sur-
face, et cela de façon équivoque. En effet, un énoncé composé de
deux monèmes :
bébé chapeau
peut être la réalisation de surface de structures sous-jacentes dif-
férentes ; il peut "signifier" par exemple :
Bébé a un chapeau
Bébé veut un chapeau
C'est le chapeau de bébé
Où est le chapeau de bébé, etc.
Il est donc indispensable pour décrire et expliquer cette réalisation
d'avoir des hypothèses sur la structure sous-jacente qui en détermi-
ne le sens.
Le rôle des marques supra-segmentales - comme l'intonation -
peut aider mais il n'est pas déterminant (3). Le recours au contexte
est nécessaire, mais il n'est pas toujours suffisant.

45
Si des relations sémantiques différentes peuvent être rendues par
une même combinaison d'éléments de surface, il est nécessaire d'in-
tégrer l'extralinguistique dans l'analyse des énoncés des enfants pour
essayer de déterminer les grammaires enfantines. C'est seulement
lorsqu'on a attribué un "sens" à une phrase que l'on peut en déter-
miner la structure et les règles appliquées. Mais cette méthode ré-
introduit la subjectivité de l'adulte au niveau où les analyses distri-
butionnelles essayaient de l'écarter.
Nous ferons nos analyses en tenant compte :
a) De la structure de surface : distribution, ordre, etc.
b) De la catégorie sémantique de l'énoncé en fonction du contexte
situationnel chaque fois que cela est possible.
3.2.1.2. Le lexique. Pour voir comment se réalisent dans les struc-
tures de surface les structures sous-jacentes avec les relations gram-
maticales et sémantiques qu'elles indiquent, il faut tenir compte des
items (4) et des combinaisons d'items.
Les items - si l'on admet l'analyse de J . Katz et J . Fodor (1963)-
peuventêtre caractérisés par des traits inhérents, c'est-à-dire sé-
mantiques, et des traits contextuels, c'est-à-dire syntaxiques. Ces
traits vont devoir être pris en considération pour rendre compte de
l'absence ou de l'archai'sme de certaines formes par rapport à d'au-
tres. En effet, certains traits inhérents impliquent des relations qui
interfèrent avec des règles syntaxiques. Aussi, il est peut-être in-
téressant de relever les mots avec lesquels un opérateur, de néga-
tion par exemple, n'apparaît pas combiné, selon les stades où se
trouve l'enfant. Nous tiendrons donc compte des possibilités de com-
binaison des opérateurs de négation en relevant, non seulement leur
place dans l'énoncé, mais les catégories avec lesquelles ils sont uti-
lisés, et celles avec lesquelles on ne les trouve pas combinés.

3.2.2. Recueil des données

Les données ont été recueillies au cours de séances de quinze à vingt


minutes, échelonnées sur un mois. Il y a eu quatorze séances. Les
premiers enregistrements ont été effectués quand Emmanuelle a 1 an
9 mois et 20 jours, et les derniers à 1 an 10 mois et 21 jours.
Les séances d'enregistrement ont eu lieu à différentes heures de
la journée de façon à profiter de situations offrant des stimuli variés :
repas, bains, jeux avec des adultes, jeux avec d'autres enfants. Dans
certaines séances, nous avons stimulé l'enfant en lui posant des ques-
tions, en jouant avec elle, dans d'autres nous nous bornions à enregis-
trer les_émissions spontanées. Dans le corpus présenté, nous avons
donné chaque fois qu'il y a lieu, l'énoncé adulte précédant celui de
l'enfant, dans les autres cas nous décrivons la situation.
Emmanuelle a, à l'époque, une soeur de 21 mois plus âgée qu'elle.
C'est la période des vacances elle est à la campagne, entourée de
nombreux enfants et adultes.

46
3 . 2 . 3 . Traitement des données

Les données sont présentées en ordre de recueil (5). Nous n'avons


pas utilisé de notation phonétique pour réécrire les mots non ambi-
gus et de plus nous avons rétabli la prononciation pour les substan-
tifs déformés quand l'interprétation n'en est en aucune façon équivo-
que. Des mots comme :
chandail
musique
yaourt
tortue
sont en effet prononcés de façon déformée ou tronquée :
musique / sic /
tortue / totu /
yaourt / aut /
Par contre, nous utilisons la notation phonétique lorsqu'il y a plu-
sieurs possibilités d'interprétation ou qu'il s'agit de particule au
contenu non différenciable.
La particule pivot (6) / a / qui joue un rôle très important n'est
pas assimilable dans tous les cas à une forme a issue du verbe a.-
voir ou à la préposition à, ou à un article un ou la déformé. Il sem-
ble bien que cette particule, antéposée dans la structure de surface
recouvre au début toutes ces possibilités.
Nous écrirons donc / a / chaque fois que nous trouverons cette par-
ticule même si elle paraît employée de façon productive (7) et non
ambiguë en préposition.
(Emmanuelle pique sa soeur oh, pique / a / Cécile
avec une plume)
Nous ne prendrons donc pas de position a priori sur la fonction du
/ a / pivot que nous trouvons dans :
/ a / peut pas
/ a / tombé
/ a / pas bon
/ a / crayon
/ a / pas là
même si l'évolution postérieure nous permet des hypothèses.
Il en sera de même pour la forme / e / et pour les formes "inter-
rogatives" /u j i/, / a j i / .
Nous avons relevé au cours de ces enregistrements 149 énoncés
différents. Plusieurs de ces énoncés ont été répétés un grand nom-
bre de fois. C'est le cas des formes telles que :
/ a la/
/ e la/
/ a pa la/ (15 fois)

47
Par énoncés différents, il faut entendre les énoncés où change
soit la combinatoire des éléments, soit le lexique. Par exemple :
/ a / pas toto est considéré comme différent de / a / pas là toto
/ a / tombé est considéré comme différent de / e / tombé
/ a / pas toto est considéré comme différent de / a / pas toc toc
Mais les répétitions d'une même forme avec un même lexique n'ont
pas été incluses dans le décompte ci-dessus. La longueur des énon-
cés varie de un monème à cinq monèmes.
Nous avons obtenu vingt-six énoncés syntaxiquement négatifs de
type différent et douze énoncés précédés de "non" - ces énoncés re-
prenant de façon contraire ou contradictoire une phrase précédem-
ment émise par un tiers.
Au cours du mois, il s'est produit une évolution dans le langage
d'Emmanuelle et l'on peut distinguer - sur des critères que nous
allons expliciter en analysant les énoncés - deux niveaux. Nous nous
référons au niveau I et au niveau H, étant bien entendu que ces ni-
veaux n'ont qu'une valeur relative à l'évolution des énoncés d'Em-
manuelle entre 21 et 22 mois.

3 . 2 . 4 . Analyse des données

3 . 2 . 4 . 1 . Niveau I : Définition des critères. Le premier niveau se


caractérise par le fait qu'on ne trouve pas de façon productive, c'est-
à-dire utilisé avec plusieurs monèmes différents :
- de forme c'est /se/
- de forme y a pas
et qu'on ne trouve pas dans le cas d'énoncés négatifs
- de pronoms personnels
- de sujets
- de déterminants
C'est l'émergence de ces formes dans un laps de temps très court
qui indique un niveau II se caractérisant par d'autres acquisitions
que nous examinerons plus en détail.
3 . 2 . 4 . 2 . Forme et contenu des énoncés négatifs du niveau I. On trou-
ve 4 sortes d'énoncés négatifs :
a) P (8) > Neg
b) P » Neg + SN
c) P > Modal + Neg
d) P » Non + (P)
A) Dans P » Neg
non 8 fois
/ a / pas 4 fois
/ a / pas là 8 fois
/ a / plus 1 fois
pas la 1 fois

48
- Non se trouve uniquement en réponse.
- Les éléments négatifs / a pa/, / a p a la/, qui se présentent sous
des formes composées, se trouvent soit isolément soit dans des phra-
ses.
Ces éléments se présentent sous des formes phonétiquement com-
plexes et pourraient être analysés comme des énoncés complexes où
/ a / correspondrait à une forme verbale issue du verbe avoir. Le fait
que pas soit employé seul dans la négation verbale à ce stade nous
permet en effet de dire que cet élément est non équivoque et peut ê-
tre analysé comme élément négatif stable. De même l'élément / l a /
est utilisé en "désignateur" seul ou en combinaison dans des formes
affirmatives ou négatives. Par contre, on retrouve - comme on l'a
déjà mentionné - / a / dans des énoncés qu'on ne peut décrire sans
ambiguïté et cela ne nous permet pas de dire que l'enfant nie avec
un élément complexe composé de (9) : avoir + Neg + (là) ou (Y) avoir.
Dans les énoncés d'Emmanuelle, l'élément négatif le plus produc-
tif est / a / pas. Cet élément est fréquemment combiné avec là. / a /
est toujours en première position. On ne trouve aucune dérogation
dans le corpus d'Emmanuelle.
Contenu : ces éléments sont utilisés isolément pour dire qu'une
chose n'est pas là ou a disparu. Non est utilisé pour rejeter ou dé-
nier.
B) P > Neg + N
Les mêmes éléments négatifs sous les formes
/ a / pas (10)
/ a / pas là
/la/ plus (une fois)
L'élément négatif est toujours en première position dans la struc-
ture de surface. On ne le trouve qu'avec un monème : substantif ou
un nom propre.

/a/ pas chandail

/a/ pas là ours

auto

Mamie

/ l a / plus musique

On ne trouve devant les substantifs aucun article tel que un, le


ni aucune particule telle que / a / , / e / . Le fait que l'on trouve :
/ a pa la/ toto

49
malgré les fortes présomptions pour interpréter / l a / en désignateur,
ne permet pas de dire de façon absolue qu'on ne trouve aucun déter-
minant dans les formes négatives au premier niveau.
On remarque donc une négation directe d'une forme nominale par
un élément négatif incluant pas ou plus.
Contenu : si l'on regarde les contextes dans lesquels sont produi-
tes les formes de surface Neg + N, on voit que ces négations corres-
pondent à l'expression d'une absence. L'enfant signale qu'une per-
sonne ou qu'un objet, qui se trouvait présent quelques instants aupa-
ravant, n'est plus visible (présent). Le "quelques instants" aupara-
vant peut être, surtout s'il s'agit de personnes ou de personnes bien
connues de l'enfant, assez extensible. Par contre, les énoncés obte-
nus à propos d'animaux ou d'objets l'ont été dans des situations où
l'animal venait de partir, où l'objet venait d'être caché.
Il faut analyser de plus près l'énoncé plus complexe que l'on trou-
ve à la fin de ce stade :
/ l a / plus musique
C'est la première fois qu'Emmanuelle emploie plus combiné avec un
autre terme. Cet énoncé indique en fait que le magnétophone ne tour-
ne plus ; mais le magnétophone est toujours là. Il n'y a donc pas né-
gation d'une présence mais négation d'un mouvement. Le magnéto-
phone - servant à enregistrer - ne produisait aucun son, le mot "mu-
sique" sert donc à désigner l'appareil en marche. L'opérateur plus
est bien utilisé pour signaler un arrêt et non pas une disparition sim-
ple.
La structure de surface " / l a / plus musique" peut donc correspon-
dre à une structure profonde différente de celle des énoncés de type
/ a / pas + N. Dès cet âge, il semble que les différents symboles né-
gatifs ne se séparent pas pour Emmanuelle de l'expérience immé-
diate qu'elle a des situations.
C) P » Modal + Neg
Neg > pas
Modal > pouvoir
vouloir

- Dans ce cas, l'élément négatif est toujours : pas.


- Pas est toujours situé après le verbe.
- Le verbe est toujours un verbe modal. (11)
- On ne trouve jamais de sujet exprimé.
- Les particules / a / et / l a / peuvent précéder le verbe :
/ a / peux pas (2 fois)
/la/ peux pas (2 fois)
Contenu : on trouve une fois "veux pas" qui est l'expression d'un
refus, et cinq fois "peux pas" qui exprime une impossibilité. Cette
expression est du même type sémantique que les négations d'exis-
tence.
Le sujet non exprimé est en fait le locuteur. La négation est liée
à l'état d'Emmanuelle.

50
D) P non + (P)
où non a la double fonction :
- de rejeter une éventualité ou un énoncé précédemment émis par
un tiers ;
- d'introduire une phrase affirmative ou négative qui reprend de
façon opposée ou contradictoire l'énoncé précédent ou qui applique
une propriété contraire au sujet de cet énoncé.
Il est particulièrement intéressant de voir que la distinction en-
tre non anaphorique et pas en opérateur de négation de phrase est très
précoce. U. Bellugi et L. Bloom se sont heurtées au problème d'a-
voir à distinguer - sur des bases sémantiques ou syntaxiques - les
no ou not correspondant à non et ceux correspondant à pas ; en effet,
la même forme est utilisée en anglais et au premier stade, on trou-
ve les deux occurrences entête de la phrase. Non n'est jamais utili-
sé par Emmanuelle comme élément négatif modifiant la phrase qu'il
précède. Tous les exemples le prouvent dès le niveau I
Donne-moi tout ? non, veux tout
(On veut lui prendre ses jouets) non, encore joue
Tu as bobo aux cheveux non, au cou
Au premier niveau nous ne trouvons que trois énoncés de ce type.
Tous sont affirmatifs et tous trois sont plus évolués que les énoncés
négatifs correspondants. En effet, on y trouve des déterminants et
un verbe non modal, alors que l'on n'a, à ce niveau, aucun exemple
de l'utilisation de déterminants dans des phrases négatives (12) et au-
cune utilisation d'un verbe non modal nié.
Contenu : les trois phrases ont pour fonction d'expliciter un dé-
ni (13) ou des refus. Elles se distinguent donc des phrases avec les
opérateurs / a / pas, / a / pas là qui signalent la non-existence, et de
/ l a / plus qui signale la non-existence sous forme de cessation d'un
procès.
3 . 2 . 4 . 3 . Comparaison avec les énoncés affirmatifs et interrogatifs
au niveau I. Les productions affirmatives montrent des structures
de surface moins archai'ques.
Niveau I : Comparaison d'énoncés négatifs, affirmatifs et interroga-
tifs émis au cours de mêmes séances
Enoncés négatifs Enoncés affirmatifs Enoncés interrogatifs
/ a / pas / a / là / a le /
/ a / pas là là / i / / e / loulours / a l e / le loulours
/ a / pas loulours / e / la le loulours
/ a / pas là toto / l e / là
veux pas veux un bonbon ma-
mie
/ a / plus musique je vois le chat
/ a / peux pas / i / / a / tombé le ca-
mion
non, gentil donne
regarde

51
Enoncés négatifs Enoncés affirmatifs Enoncés interrogatifs
/ e / gentille/gentille
la tortue
/ e / tousse Bénédicte
/ e / tourne regarde
/e/tourne
ça tourne là
On remarque dans les énoncés affirmatifs :
- la présence de déterminants ;
- l'emploi de la forme / e / à la place de / a / dans des énoncés de-
mandant le verbe être- On ne trouve jamais / e / dans des énoncés
négatifs à ce niveau ;
- l'emploi de pronoms sujets ;
- la présence de formes verbales avec sujets postposés ;
- la présence de verbes sous une forme impérative.
Il semble donc que l'opérateur de négation, ajoutant à la comple-
xité de la phrase, oblige l'enfant à omettre certains constituants.
Cette différence entre les énoncés négatifs et affirmatifs a été re-
marquée par les auteurs qui ont étudié les enfants de langue anglai-
se (U. Bellugi, L. Bloom et D. Slobin). Ces auteurs signalent des
suppressions de sujets par exemple, dans des phrases avec un opé-
rateur de négation.
La longueur moyenne des énoncés négatifs est inférieure à celle
des énoncés affirmatifs. La variété des types d'énoncés est moindre.
Niveau II
1) Forme des énoncés négatifs. Les éléments négatifs sont les
mêmes, mais on trouve en plus :
y a pas la
A) P » Neg + SN (14)
Neg • / a / pas
/ a / pas là
y a pas là
SN > (Det) + N
A') P > Adv + Neg + SN
Adv » encore
Neg > / a / plus
SN » Det + N
L'élément négatif reste, sauf lorsqu'il y a négation d'un verbe
modal, le plus souvent en première position. Il y a une exception,
avec la phrase "encore la plus la beurre", qui appuie l'hypothèse
que nous avions faite selon laquelle / l a / plus correspondrait à une
opération différente. Il y aurait introduction d'une structure plus com-
plexe par des règles différentes de celles qui génèrent à ce stade les
phrases négatives du type / a / pas + N.

52
Les noms peuvent être précédés par un déterminant. On trouve
trois cas indiscutables et il est remarquable de voir que deux d'en-
tre eux se trouvent dans des énoncés évolués :
y a pas là la balle (1 fois)
encore la plus la beurre (1 fois)
Il semble bien qu'il ne s'agisse pas seulement d'un "ajout" de rè
gles pour arriver à une production plus grammaticale au sens de
l'adulte, mais qu'il y ait utilisation différente de l'opérateur de né-
gation et de sa syntaxe. On se trouve devant le problème de la com-
position de règles qui entraîne des modifications non forcément dé-
terminées par l'une ou l'autre règle appliquée seule. La première
phrase montre qu'il semble justifié de traiter / l a / en "désignateur'
lié à / a / ou / a / pas dans le cas des éléments négatifs précédant un
substantif, et non comme un déterminant de ce substantif. On re-
trouve d'autres énoncés de ce type
/ a / pas là le beurre
L'apparition de y a pas - lié au fait que dès le premier stade on
trouve / e / dans les énoncés affirmatifs comparables aux énoncés
négatifs introduits par / a / - permet de reposer les hypothèses sur
le rôle de / a / . Celui-ci semble bien - dans l'élément négatif - être
un élément verbal signalant l'existence ou l'état à nier.
B) P > (Adv) Neg + Adj
Adv > encore
•M™
Neg » /'p¡a¿/ *pas
C'est une forme nouvelle, on y trouve l'opérateur pas utilisé
seul mais antéposé devant l'adjectif à nier. On trouve également
une intégration de l'élément négatif dans la phrase par antéposition
d'un adverbe. C'est la même construction que l'on trouve dans A')
mais ici elle est moins discutable :
Encore pas bon
Cette expression correspond à un déni, au refus de reconnaître
une qualité, une propriété. On peut rapprocher le fait que l'extrac-
tion de propriété soit postérieure à la constitution de l'objet perma
nent de l'émergence plus tardive d'un type de négation syntaxique
plus évolué. Il faut remarquer qu'on trouve une forme lexicale de
déni de propriété au premier niveau chez Emmanuelle.
Il est méchant ? non, gentil (2 fois)
C) P » V + Neg (+ Inf) (15)
Neg » pas
v pouvoir
* vouloir
Il n'y a donc pas, à ce stade, augmentation de la classe des ver
bes utilisés dans des phrases négatives. On trouve cependant une
nouvelle forme :
peux pas (at)traper
c'est-à-dire que le modal est utilisé comme intermédiaire pour nier.
Cette forme est très productive chez tous les enfants aux stades pos-
térieurs.
L'intermédiaire d'un auxilliaire ou d'un modal qui n'est pas néces-
saire en français est la forme grammaticale en anglais. U. Bellugi
a signalé que les modaux apparaissent d'abord sous la forme négati-
ve dans le corpus de très jeunes enfants. Il est intéressant de voir
qu'il semble en être de même chez certains enfants francophones.
Emmanuelle répète, au cours d'un jeu de cache-cache, un énon-
cé adulte :
(re)garde pas Cécile
qu'elle comprend manifestement, mais on ne trouve aucune phrase
avec une négation portant sur un verbe autre que les auxiliaires ou
les modaux.
D) P » non + (P)
A ce stade, on trouve sept énoncés de ce type : six sont affirmatifs,
un est négatif, cinq expriment un fait de même nature mais de sens
contraire à celui proposé par l'expérimentateur. Nous les traiterons
avec les négations lexicales.
Par contre, l'énoncé négatif est particulièrement intéressant, ré-
pondant à un "au revoir" dit par un adulte partant ; Emmanuelle ré-
pond
Non, au revoir pas
Il semble bien qu'au revoir fonctionne comme un verbe. Emma-
nuelle ne nie pas ici "l'existence" d'un "aurevoir", mais exprime
le refus de dire ou que l'on dise au revoir. Pour cela elle utilise
une forme de surface qui est à rapprocher des formes avec vouloir
et pouvoir.
Négations lexicales
Nous pouvons analyser sous cette rubrique :
a) les productions affirmatives qui suivent "non" ;
b) des productions à connotation négative qu'Emmanuelle substi-
tue à des productions avec des éléments négatifs.
Premièrement, nous trouvons des cas où Emmanuelle rétablit
des négations par des termes opposés à valeur positive :
C'est fini ? non, y a encore
Il est méchant ? non, gentil
C'est pas chaud ? non, / e / bon
Les oppositions se font sur différents plans. Il faut remarquer les
adjectifs de paires antonymes : méchant - gentil, où l'adjectif non
marqué est substitué à l'adjectif marqué. L'adjectif non marqué
bon est substitué à un adjectif nié : dans ce dernier cas, on peut pen-
ser que bon est utilisé en norme, c'est-à-dire ici comme signifiant

54
ni chaud ni froid.
La première phrase montre que fini est compris correctement
comme : ne plus y en avoir.
Spontanément, Emmanuelle au cours de jeux ou de répétitions
substitue certains énoncés qui ont, semble-t-il, la même valeur
pour elle.
On note, au cours de jeux de cache-cache... des énoncés qui
s'enchafhent :
là caché, / a / pas là, voilà, là derrière
parti, / a / pas là
/ a / pas là, dehors
Il semble donc que pour Emmanuelle ces formes soient commu-
tables. On trouve des reprises du même genre quand Emmanuelle
répond à des phrases prononcées par des adultes :
La tortue est partie ? / a / pas là tortue
2) Comparaison avec les énoncés affirmatifs et interrogatifs
Enoncés négatifs Enoncés affirmatifs Enoncés interrogatifs
Non, au revoir pas
/ a / pas /la/ tortue loulours /le/ gentil
/ a / pas / l a / loulours il est là loulours
elle pique Cécile / a j e/ loulours ?
elle pique / a / jambe
pas bon / e / bon
/ a / «pas bon / s e / bon le yaourt
mamie
encore pas bon
la plus encore peu plus (pour
redemander de l'eaij)
y a pas la balle y a un bonbon
peux pas attraper je bois
le chat / i / joue la bal-
le
entend elle parle /a j i e/ mamie le
yaourt
encore / l a / plus non, n'y a encore
la beurre
mange ma beurre le
cuiller
On trouve, dans les énoncés déclaratifs, des formes productives
absentes ou rares dans les énoncés négatifs.
- Si il y a utilisation de déterminants dans des phrases négatives,
on ne le trouve que deux fois de façon non équivoque et c'est toujours
la. Alors que dans les phrases affirmatives plusieurs articles et
pronoms sont représentés : le, la, un, ma, mais la marque de gen-
re n'est pas stable.
- On ne trouve pas de sujets pronoms dans les formes négatives

55
alors qu'Emmanuelle emploie : je, il, elle, dans les phrases affir-
matives. A ce stade presque tous les verbes autres que les auxi-
liaires sont précédés d'un pronom ; celui-ci double souvent un syn-
tagme nominal sujet placé en fin d'énoncé (sauf deux fois au début
de l'énoncé).

3 . 2 . 5 . Interprétation des données

Nous allons d'abord regarder quel a été, au cours du mois d'enre-


gistrement, sur le plan syntaxico-sémantique l'évolution des néga-
tions chez Emmanuelle puis présenter un "état" du système négatif
chez un enfant de 22 mois.
3 . 2 . 5.1. Evolution sur le plan syntaxico-sémantique. Sur le plan
syntaxique, l'évolution chez Emmanuelle entre 21 et 22 mois se tra-
duit par la diversification des formes négatives utilisées et par leur
intégration dans les phrases de plus en plus complexes mettant en
jeu un nombre plus important de règles syntaxiques.
Les premières productions sont du type mot pivot + mot de la
classe ouverte ou mot de la classe ouverte + mot pivot. Un élément
négatif est donc juxtaposé soit à un syntagme nominal soit à un syn-
tagme verbal. Le fait que l'élément négatif varie et soit utilisé dif-
féremment suivant qu'il s'agit d'un syntagme nominal ou d'un syn-
tagme verbal, est l'indice d'un sous-système de règles précoce.
On ne peut traduire par une règle du type : opérateur de négation
+ élément à nier, un système où l'ordre de la phrase et le type de
l'opérateur de négation diffèrent d'après la catégorie syntaxique
et/ou d'après la catégorie sémantique des formes à nier. Cela se
confirme par le fait que l'évolution se fait par l'accroissement de
la classe des formes négatives utilisées et des nouvelles possibili-
tés sémantico-cognitives d'utilisation.
Au niveau I nous avons donc trouvé des énoncés :
a) P » Neg + SN SN »N
Neg » / a / pas
/ l a / plus
b) P » SV + Neg SV » pouvoir
vouloir
Neg » pas
c) P > Neg + P Neg » non
où P est une phrase affirmative
ou négative

56
Au niveau II :
a) P » Neg + SN SN » Det + N
Adj
Neg > / a / pas
y a pas
a') P > Adv + neg + SN Adv > encore
Neg » / l a / plus
SN >• Det + N
b) P > (Adv) + Neg + Adj Adv > encore
Neg > / a / pas
pas
Adj » bon
c) P > SV + Neg SV > vouloir
pouvoir
pouvoir + infinitif (en répétition :
regarder)
Neg » pas
d) P > Neg + P où P peut être affirmative ou né-
gative
Neg » non
On ne trouve cette forme qu'une fois.
Nous voyons donc qu'au niveau II il y a progrès.
a) La complexité syntaxique générale de la phrase négative aug-
mente. Certaines phrases ont des sujets grammaticaux et l'on re-
marque la présence de déterminants et d'adverbes que l'on ne trou-
vait au premier niveau, que dans des phrases affirmatives. On ne
trouve cependant pas encore appliquées des règles de dépendance
telles que l'emploi de l'indéfini avec les formes syntaxiquement né-
gatives. On ne relève aucun pronom dans les formes verbales néga-
tives .
b) On trouve la négation d'une nouvelle catégorie : celle des pro-
priétés.
c) La classe des opérateurs de négation se modifie ; aux opéra-
teurs déjà utilisés l'enfant ajoute y a pas qui est une forme adulte.
Cependant il n'y a pas encore disparition des formes non gramma-
ticales telles que / a / p a s / , / a / pas là.
d) Il faut remarquer que les formes négatives qui émergent plus
tardivement plus, y a pas sont employées dans des énoncés plus
complets que les formes primitives.
Lorsqu'Emmanuelle utilise y a pas pour les premières fois, elle
ne supprime pas le déterminant du substantif comme il est de règle
jusqu'ici, lorsqu'elle emploie / a / pas + N. Il nous semble certain
que l'acquisiton ne peut être étudiée en fonction d'un développement
du langage basé sur un simple ajout de règles ; il y a un problème
de composition de règles qui est essentiel. Nous faisons l'hypothèse
générale que la négation rend plus difficile la production des phra-

57
ses parce que l'enfant doit prendre en considération à la fois des re-
lations inhérentes plus complexes et un nombre de règles de trans-
formations plus grand. Mais il est possible que certaines acquisitions
rendent plus facile la génération des phrases parce que ces formes
sont plus aptes à représenter les relations inhérentes entre les cons-
tituants et donc facilitent certaines approches de type cognitif.
Nous avons signalé que la distribution syntaxique des opérateurs
de négations qui sont, dès le premier niveau chez Emmanuelle, mul-
tiples, est liée à la sémantique c'est-à-dire que l'on trouve une ré-
partition non restrictive d'opérateurs différents en fonction des ca-
tégories sémantiques de la négation. Nous allons donc être amenés
à lier l'évolution sur le plan syntaxique et sur le plan sémantique.
La plupart des énoncés négatifs d'Emmanuelle ont pour fonction
d'indiquer qu'une personne ou une chose n'est plus présente. La
constitution de l'objet permanent est antérieur aux premières for-
mes de langage. Lorsque l'enfant commence à parler, il est en pos-
session d'un système ayant trait aux actions et à leurs transforma-
tions. L'expression de ces transformations (présence/absence) va
se faire soit au moyen des formes archaïques correspondant à l'ap-
plication des premières règles apparentes : formes pivot + nucleus,
soit avec un système qui dès le départ a l'avantage d'être le même
que chez l'adulte et qui est le système lexical. Les deux systèmes
coexistent chez les enfants avec prédominance de l'utilisation de
l'un ou de l'autre.
Pour la négation de la présence ("non-existence" selon la termi-
nologie de D. McNeill ou de L . Bloom) on trouve donc des formes
syntaxiquement négatives et des formes lexicalement négatives tel-
les que "parti". Les termes syntaxiquement négatifs ne sont pas
chez Emmanuelle identiques selon qu'il s'agit :
a) de la non-présence d'une personne ou d'une chose qui, peu de
temps auparavant, se trouvait dans le champ visuel de l'enfant ;
b) de la cessation d'un procès en liaison avec une personne ou
une chose encore dans le champ visuel.
Au premier niveau on a trouvé deux formes " / l a / plus" ; dans
ces cas, le substantif nié n'est ni un objet ni une personne physi-
quement stable :
Quel est le bruit là haut ? / a / toc-toc là haut - un - deux
(Le bruit s'arrête) / l a / plus
(Le magnétophone s'arrête / l a / plus musique
de tourner. Le magnéto-
phone enregistrant ne pro-
duit aucun son : Emmanuel-
le l'appelle musique "dans
son action de marcher".)
Au deuxième niveau " / l a / plus" est lié à l'emploi de encore indi-
quant bien qu'il y a un continuum, où encore marque un point de re-
père temporel. On pourrait interpréter ainsi l'énoncé :
encore la plus le beurre

58
où Emmanuelle indique qu'elle a mangé le morceau de beurre flot-
tant sur sa soupe et qui venait d'être rajouté après qu'elle ait déjà
mangé le premier ou qu'il ait fondu.
Dans le second cas l'énoncé suit une interrogation d'Emmanuelle :
/ l a / encore un peu ? / l a / plus
Y a pas de apparaît plus tardivement. On pourrait faire l'hypothèse
u il n'est pas aussi immédiatement lié à l'absence d'un objet que
a / pas là, mais renvoie à la catégorie absente. Rien dans les énon-
ces nous permet cependant d'avancer cela. Emmanuelle n'emploie
y a pas qu'une seule fois et avec la et non de^
3 . 2 . 5 . 2 . La système négatif. L'opérateur de négation n'est postpo-
sé qu'avec des verbes pleins, des verbes modaux et la forme "au
revoir p a s " qui peut être analysée en forme verbale. Au premier
niveau on ne trouve que vouloir et pouvoir dans les syntagmes ver-
baux niés. Ces verbes ont un statut différent mais dans les deux cas,
on remarque que la négation est liée à un état du sujet et non à une
situation extérieure. Vouloir lorsqu'il est nié sert à exprimer le re-
fus.
S// < O (16)
On trouve vouloir dès le niveau I sous la forme affirmative ou
dans des énoncés introduits par non. On ne trouve pas d'exemples
de vouloir au négatif combiné avec un verbe à l'infinitif. L'utilisa-
tion de pouvoir correspond à une catégorie sémantique différente.
Il est utilisé pour une prise en charge subjective par le sujet d'une
non-réalisation, en cela il est comparable áux négations "d'existen-
ce". Il est lié à une finalité : c'est la non-réalisation de ce que le
sujet veut faire :
S// » O
Pouvoir n'est utilisé que sous la forme négative (17) et, dès le
niveau H, on le trouve utilisé en auxiliaire avec un infinitif. Cette
dernière forme sera particulièrement productive. Vers 3 ans (18),
les négations de réalisation d'action vont se faire avec l'intermédiai-
re de l'auxiliaire pouvoir combiné ou non avec faire.
On ne trouve pas de négation spontanée de verbe mais Emmanuelle
répète deux fois, au cours d'un jeu, un énoncé adulte qui correspond
à une interdiction (19) :
S » X // > O
Nous avons donc un système assez complet de négation de rela-
tions avec :
(Je) ne peux pas S // >O
J e ne veux pas S // < O
Ne fait pas S > X // » O
Des formes comme "non, / e / bon", vont se rapprocher à la fois
de la négation prédicative (prédicat existentiel) et des négations de
refus (refus de la propriété) pour donner la catégorie des négations

59
lexicales du type :
c'est mauvais
Le lexique utilisé pour l'affirmation du contraire est trop res-
treint pour que nous puissions le classer. Cependant on trouve des
oppositions de formes verbales :
donner tout/vouloir tout
partir/ être là
être là/partir
et des oppositions d'adjectifs :
méchant/gentil
chaud/bon
L'opposition chaud/bon pose le problème de la norme sur l'échel-
le de valeur chaud/froid ; cette norme est subjective pour Emma-
nuelle. Il en serait de même, dans ce cas, pour nombre d'adultes.
Nous devons signaler que la classe des adjectifs croît beaucoup au
niveau II ainsi que celle des participes, il y a ainsi plus de possibi-
lités d'énoncés contradictoires.
Dès le niveau I sous la forme non + P on trouve le refus d'une
phrase. Sous cette forme le déni est, quoique moins fréquent, con-
temporain de la "non-existence" et du refus. Nous pensons donc qu'il
ya :
Négations directes : consta- X n'est pas là
tations d'état. Je ne peux pas
Non, c'est X
Indirectes : Négation de re- Ce n'est pas X qui
lations entre deux objets X ne fait pas cela
extérieurs. X n'est pas un Y
Mais pour ces dernières, nous trouvons plutôt des indices qu'un sys-
tème réellement productif sous une forme syntaxiquement négative.

3.2.6. Comparaison avec les enfants de langue anglaise

Il est intéressant de comparer l'évolution des formes négatives chez


Emmanuelle avec les données recueillies sur des enfants du même
âge par U. Bellugi et L. Bloom.
U. Bellugi a étudié le développement des formes syntaxiques né-
gatives dans le corpus de trois enfants. Ces enfants sont âgés durant
la période A, c'est-à-dire au premier stade, de 19 à 29 mois. La
longueur des énoncés est de 1.7 à 2.0. L. Bloom a également étu-
dié le corpus de trois enfants, elle a découpé la période d'apprentis-
sage en stades plus fins. D'après la longueur moyenne des énoncés,
les niveaux I, II, ni, IV correspondent à des âges de 19 à 24 mois.
Ces stades recouvrent la période A de Bellugi et les niveaux I et II
d'Emmanuelle. Il faut remarquer que les stades ne sont pas établis
seulement d'après la longueur moyenne des énoncés, qui n'est qu'un

60
indice, mais sont définis en fonction de critères syntaxiques et sé-
mantiques .
U. Bellugi s'est interressée à l'acquisition du système qui sous-
tend la génération des phrases. Pour cela, elle a étudié l'évolution
des structures grammaticales typiques et communes aux enfants.
La négation au stade A se présente comme un élément extérieur,
le plus souvent antéposé devant un nucleus (énoncé à nier) soit :
not + (nucleus)
no
Not et no sont des opérateurs.
U. Bellugi considère cette structure syntaxique comme une struc-
ture spécifiquement enfantine et indépendante du modèle adulte. L'é-
volution va amener à transporter l'opérateur de négation en position
interne et à appliquer progressivement les règles de la transforma-
tion négative. Les deux formes simples invariantes vont être progres-
sivement remplacées par des formes plus complexes avec un plus
grand nombre de règles en jeu jusqu'à ce que le système total soit
acquis. La régularité des types de production et des erreurs à cha-
que stade semble indiquer que le système du langage est acquis par
un même processus pour tous les enfants.
Dès le stade B l'enfant est crédité d'un sous-système grammati-
cal qui, par de nombreux indices, indique la façon et l'ordre dont
sont acquises les solutions transformationnelles du système gram-
matical complet.
L. Bloom critique partiellement le point de vue de U. Bellugi.
Elle avance que l'analyse des productions des jeunes enfants laisse
penser qu'il n'y a pas un seul type de structure et de développement
pour tous les enfants. Elle récuse qu'il y ait au premier stade une
forme non reliée à la grammaire adulte et qui soit spécifique aux
enfants. Elle pense que, dès le départ, le système de la négation
"est plus semblable au modèle adulte qu'il n'en est différent". Seul
le fait que ce système serait plus simple, plus fragmenté et plus
"généralisé, expliquerait les structures de surface semblables.
L. Bloom remarque chez les jeunes enfants la construction, si-
gnalée par U. Bellugi, d'un opérateur de négation antéposé devant
un syntagme nominal ou verbal.
Cependant, il y a chez certains enfants, dès le début, inclusion
de l'opérateur dans la phrase. En effet, l'élément négatif ne précè-
de jamais un sujet si bien que, soit celui-ci est absent dans les
phrases négatives (ce que nous avons remarqué pour Emmanuelle),
soit l'opérateur de négation suit le sujet (ce que nous n'avons jamais
trouvé aux niveaux I et II d'Emmanuelle). En remarquant d'autres
différences dans la construction des énoncés positifs et négatifs, el-
le conclut que les phrases négatives ne peuvent être considérées
comme des phrases affirmatives avec un opérateur de négation an-
téposé .
L.. Bloom pense que l'élément négatif "est intrinsèque à la struc-
ture de la phrase". Le système de négation dans la grammaire de
l'enfant ne diffère donc du système adulte que par son immaturité.
La prise en considération de la sémantique des énoncés permet

61
à L . Bloom de distinguer le not anaphorique de l'opérateur no ou
not antéposé et de montrer que la structure de l'énoncé est alors
différente et justifie l'interprétation précédente d'un opérateur in-
trinsèque .
Le système négatif tel qu'il apparaît chez Emmanuelle entre 21
et 22 mois paraît appuyer cette interprétation. Le fait que le non
anaphorique soit nettement différencié du pas opérateur, lève cer-
taines ambiguïtés qui n'avaient pas échappe a L. Bloom. Les phra-
ses introduites par non, sont différentes des phrases précédées par
un opérateur de négation, confirmant que celui-ci n'est pas simple-
ment juxtaposé à un nucleus mais est intrinsèque à la phrase.
Avec Emmanuelle, nous avons établi que l'utilisation différente
des opérateurs / a / pas, / a / pas là antéposés à des syntagmes no-
minaux et de l'opérateur pas postposé à un syntagme verbal montre
un système grammatical différencié et non pas un système spécifi-
quement enfantin indépendant du système adulte. Un autre point per-
met des rapprochements intéressants. Il s'agit de la forme / a / plus
ou / l a / plus trouvée chez Emmanuelle et de la forme no more parti-
culièrement productive chez un des enfants étudiés par L. Bloom.
Celle-ci relève à côté de no qui est le premier opérateur de néga-
tion un opérateur no more qui apparaît un peu plus tard. Il est inté-
ressant de remarquer que des premier^ emplois pour Eric de no
more sont sous la forme'no more noise (plus de bruit). La premiè-
re forme trouvée chez Emmanuelle est " / l a / plus musique". Les
deux termes niés avec plus étant proches et "abstraits" en compa-
raison des autres substantifs niés. L'interprétation de cet énoncé,
plusieurs fois répété, pose un problème à L. Bloom. Nous l'avons
interprété comme indiquant la cessation d'un procès et non pas la
"non-existence" d'un objet. Au stade suivant, toujours pour Eric,
no more apparaît en construction avec des syntagmes nominaux a-
lors que no se combine avec des formes prédicatives. A ce stade
L. Bloom analyse des énoncés avec no more comme signalant la
"non-existence" (20) d'un réfèrent suivant sa "récurrence" après
"une non-existence".
L. Bloom analyse la négation avec les trois catégories sémanti-
ques fonctionnelles de "non-existence" (avec réfèrent hors du con-
texte), de rejet (avec réfèrent existant dans le contexte) et déni (é-
noncé négatif disant qu'une phrase ifest pas "vraie"). (21) Les énon-
cés les plus précoces expriment la non-existence. Le refus, fré-
quemment exprimé par un non isolé, donne lieu à des énoncés moins
fréquents et les phrases négatives exprimant le déni sont plus tardi-
ves et plus r a r e s .
Il est certain que le déni qui entraîne en principe un énoncé alter-
natif positif, doit être plus difficile à manier. Mais il semble que
sous la forme non + (phrase), le déni soit très précoce dans le cas
d'Emmanuelle etfréquent puisqu'on trouve douzeénoncés de ce type.
Le lexique en possession de l'enfant lui permet, dès les premiers
stades, l'affirmation du contraire. Sous cette forme le déni est con-
temporain de la négation "d'existence". On ne trouve pas chez Em-
manuelle, et on ne trouve que plus tard chez les enfants anglophones,
la forme ce n'est pas un X. La forme c'est un est elle-même tardive

62
(au deuxième niveau seulement chez Emmanuelle).
Il nous semble nécessaire de séparer les énoncés du type non,
c'est / y / o ù " Y " est le contraire du"X" nié, des phrases où l'on nie
une qualité et celles où l'on nie l'appartenance à une classe avec un
énoncé négatif. Ces énoncés n'ont pas le même statut et les derniers
sont en effet plus tardifs. Il en est naturellement de même pour les
formes complètes où l'on trouve la proposition négative et l'alterna-
tive positive.
Chez Emmanuelle nous avons vu qu'on trouve représenté "non",
avec un adjectif contraire ou un procès contraire mais aucun énon-
cé négatif complet avec alternatif positif.

3 . 3 . QUELQUES DONNEES EXPERIMENTALES SUR LA NEGATION


CHEZ L'ENFANT DE 1 AN 10 MOIS A 3 ANS 6 MOIS

3 . 3 . 1 . Présentation de l'Expérience I

L'analyse du corpus d'Emmanuelle nous donnait à penser que dès le


début du langage, les formes syntaxiques utilisées en négation par
l'enfant étaient différenciées en fonction des catégories sémantiques.
L'expérience que nous allons présenter a été faite pour vérifier
ce fait. Nous avons voulu voir :
- Si pour tous les enfants le type de négation en jeu déterminait
des productions syntaxiques différentes ;
- et quelle était dans ce cas l'évolution des différentes formes.
Pour cela nous avons expérimenté auprès de vingt-quatre enfants
de 22 mois à 3 ans et demi. Il est difficile de concilier, avec des
enfants de cet âge, une certaine rigueur expérimentale et la liberté
nécessaire pour que les jeunes enfants ne soient pas inhibés. Nous
avons donc choisi un cadre expérimental mais agi souplement avec
chacun des enfants suivant le contexte immédiat. Dans des situations
contrôlées et relativement contraignantes, on doit obtenir des enfants,
des réponses comparables et dont le champ de variation couvre en
partie le champ des réponses possibles au point de vue syntaxe, le-
xique et sémantique. On peut espérer, en répétant les mêmes stimu-
li - pour un même enfant et pour tous les enfants - obtenir un cer-
tain "type" de réponse c'est-à-dire une classe de réponses stables
en fonction d'une classe de stimuli. Dans ce cas les variations sys-
tématiques et générales des productions, pour les mêmes stimuli,
peuvent être attribuées à une évolution du langage. En revanche les
variations systématiques - que l'on retrouve chez plusieurs enfants
- en liaison avec les variations des stimuli peuvent être attribuées
à la nature des stimuli et aux relations qu'ils impliquent.
La comparaison des énoncés suivant le type de stimuli, l'évolu-
tion de ces énoncés, les résitances et les persévérations peuvent
nous apporter des informations intéressantes.

63
On a choisi une série de jeux devant provoquer plusieurs types
d'énoncés affirmatifs et négatifs (22).
3 . 3 . 1 . 1 . Hypothèses. On peut faire l'hypothèse que :
A) Les négations se rapportant à la présence d'un objet ou d'une
personne seront plus précoces, particulièrement lorsqu'on se trou-
vera dans une situation récurrente. La négation de présence suppo-
se acquise la permanence de l'objet, celle-ci est acquise avant que
l'enfant commence à parler (2 3). Cette négation ne nécessite que
l'application d'un opérateur de négation sur un terme ou une propo-
sition établissant l'existence.
B) La négation de relations, au niveau le plus simple peut être
représentée par la négation d'attribution ou de propriété. Cette né-
gation suppose l'établissement de l'existence de deux termes et de
la relation : x possède y, ou : y est attribué à x. Lorsque l'objet
attribué est détachable - et n'est donc pas une propriété intrinsè-
que de l'objet possédant - la négation d'attribution devrait être lé-
gèrement postérieure à la négation de présence.
C) La négation portant sur un procès ou sur un état implique cel-
le d'une fonction, et devrait être plus tardive.
3 . 3 . 1 . 2 . Matériel et procédure. Les enfants ont passé, en principe
dans le même ordre, cinq épreuves. En fait, si la première épreu-
ve a toujours été passée en premier, la résistance des enfants à
l'un ou l'autre jeu nous a parfois amené à changer l'ordre ou à a-
bandonner l'une des épreuves.
Jeu 1. C'est la répétition de phrases affirmatives et négatives cons-
truites autour de être + pp et avoir + SN. Etre + pp est la forme sta-
tive correspondant à la forme active avoir + cpl. d'objet.
Matériel : nous avons utilisé les deux phrases minimales avec
être et avoir pour exprimer un même signifié.
Sous une forme affirmative ou négative ces phrases servent à
décrire un matériel qui consiste en des jetons avec ou sans trou.
Le choix du matériel a été fait en considérant que certaines notions
topologiques sont acquises plus rapidement que les couleurs ou les
formes.
Procédure : on présente aux enfants les jetons et on leur décrit
le matériel en s'assurant qu'ils comprennent le mot trou et savent
distinguer un jeton troué d'un jeton non troué. Ensuite on leur pas-
se les jetons un à un en leur demandant de "dire la même chose".
Le jeu consiste donc à donner à l'enfant un jeton troué en lui disant
soit :
C'est troué
Il a un trou
Y a un trou
ou un jeton non troué en disant :
Ce n'est pas troué
Il n'a pas de trou
Y a pas de trou

64
On enregistre la répétition de l'enfant. Cette méthode permet de
minimiser le rôle de la mémoire et de se rapprocher de la produc-
tion spontanée. En effet quand, en face d'un jeton non troué, l'en-
fant répète la phrase stimulus en laissant tomber la négation ou en
modifiant l'énoncé, on peut penser que le type de négation à répéter
est peu productif.
Jeu 2 : cache-cache. Pour obtenir des énoncés ayant trait à la pré-
sence ou à l'absence d'objets, nous avons utilisé un jeu de cache-
cache. Le type d'énoncé induit par ce jeu doit être :
Il est là II n'est pas là
C'est là Ce n'est pas là
Y a un X Y a pas de X, etc.
Des petits jouets représentants des jouets "animés" (petit che-
val, poupées) ou "inanimés" (cubes), sont montrés aux enfants,
ceux-ci les nomment et jouent avec.
a) L'expérimentateur fait verbaliser sur la présence en posant
des questions.
Où est le X ?
Qu'est-ce qu'il y a ?
b) L'expérimentateur cache et fait réapparaître les objets (ani-
més et inanimés) plusieurs fois de suite en attendant les productions
spontanées.
Jeu 3. Pour obtenir des négations "d'attribution", on montre à l'en-
fant deux poupées. L'expérimentateur et l'enfant examinent ce que
porte chacune d'elle.
Pour inciter l'enfant à parler, l'expérimentateur peut comparer
les deux poupées et poser des questions.
Celle-là a un chapeau et celui-là ?
Cependant toutes les verbalisations n'ont pas été obtenues par
comparaison, les enfants décrivent spontanément les poupées en
faisant remarquer les particularités de chacune d'elles.
Le jeu doit induire des phrases portant sur l'affirmation ou la né-
gation du verbe avoir par l'enfant. Il permet de voir l'évolution des
dépendances liées à la négation (les articles par exemple).
Jeu 4. Pour essayer d'obtenir des négations portant sur des procès
ou des états, l'expérimentateur présente à l'enfant des petites scè-
nes. L'enfant peut commenter soit en décrivant l'action soit en cons-
tatant le résultat de l'action. Les négations peuvent donc porter pré-
férentiellement sur le verbe d'état ou sur le verbe factitif. Rentrent
aussi en jeu la classe des sujets : (ceux-ci peuvent appartenir à la
classe des animés ou à la classe des inanimés), et les relations a -
vec les catégories de verbes.
Nous avons présenté les scènes suivantes :
- Une poupée fille pousse une poupée garçon et la fait tomber/ne
la fait pas tomber. On mime deux fois chaque scène en inversant le

65
le rôle de la fille et du garçon. )
- Une poupée pousse un cube et le fait tomber/ne le fait pas tom-
ber.
- Un cube pousse la poupée et la fait tomber/ne la fait pas tom-
ber.
- Un cube pousse un autre cube et le fait tomber/et ne le fait pas
tomber.
On commence par mimer les scènes où les objets tombent de fa-
çon à établir, entre ces situations et celles où les objets ne tombent
pas, la relation nécessaire à l'obtention d'énoncés négatifs.
Jeu 5. On présente à l'enfant des objets soit :
a) avec des qualités opposées sur des continuums tels que taille,
température, poids ;
b) présentant une différence portant sur un critère tel que la cou-
leur ;
c) dans des positions différentes. L'expérimentateur montre un
des objets en disant :
Celui-là est grand et celui-là ?
Celui-là est rouge et celui-là ?
Celui-là est couché et celui-là ? etc.
On pose également la question sur l'objet opposé :
Celui-là est petit et celui-là ?, etc.
Sujets : Nous avons vu vingt-quatre enfants d'une crèche (24) des
environs de Paris. Les enfants ont entre 22 et 41 mois.
3 . 3 . 1 . 3 . Critère de l'évolution. Nous avons classé les résultats ob-
tenus en quatre types de productions linguistiques définissant ainsi
quatre niveaux génétiques. Ces quatre niveaux correspondent, com-
me nous le verrons, à une évolution qualitative comme quantitative
dans les énoncés produits. Remarquons cependant que ces évolutions
sont également fonction de la tâche présentée.
A) Evolution quantitative. L'un des critères pour l'évolution géné-
tique est le nombre d'énoncés. On remarque d'abord un accroisse-
ment du nombre des énoncés portant sur la présence et l'absence
d'un objet préalablement dans le champ visuel (cette évolution se fait
entre les niveaux A et B).
Ensuite l'accroissement se produit dans la situation où il s'agit
de constater la présence ou l'absence d'une propriété détachable
d'un objet (il marque le passage du niveau B au niveau C).
Il faut attendre le niveau D pour recueillir de nombreux énoncés
marquant le procès ou le résultat d'un procès (25).
B) Evolution qualitative. Les critères définissant l'évolution qua-
litative sont plus nombreux et variés. On les a regroupés sous qua-
tre rubriques. L'utilisation que nous faisons de ces critères est es-
sentiellement fondée sur le décalage qu'ils introduisent entre les é-
noncés affirmatifs et négatifs.
Ces critères sont :
- le nombre de règles d'expansion à la structure de base,
- le type de règles utilisées,

66
- les propriétés des morphèmes utilisés,
- les omissions et erreurs systématiques.

3 . 3 . 2 . Analyse des résultats

3 . 3 . 2 . 1 . Niveau A
A) Description des données
Jeu 1. Aucune répétition autre que celle du mot trou n'a été obtenue
Jeu 2. Seule l'opposition présence/absence a donné lieu à des pro-
ductions linguistiques chez tous les enfants. Les formes affirmati-
ves et négatives sont du même type que celles trouvées dans le cor-
pus d'Emmanuelle.
Les phrases affirmatives sont de type P + O (mot pivot + mot de
la classe ouverte). Les pivots sont les particules / a / ou / e / / l e /
suivies de là^. / e / représente sans doute est du verbe être mais cet-
te décision ne peut être prise qu'au vu des productions postérieures
Ces particules servent d'opérateurs ; soit elles se combinent avec
un substantif (non introduit par un déterminant) soit elles sont uti-
lisées seules.
/ a / là
/e/là
/ l e / là
a / l e / là
Les formes négatives sont toujours introduites par / a / :
/ a / pas
/ a / pas là
/ a / plus
On trouve un substantif avec pas : "pas dada". Des formes affir-
matives indiquant l'absence ont été utilisées par trois enfants dont
deux ont également utilisé des formes négatives. Les énoncés dans
ce cas sont soit "parti", soit "parti" combiné avec le pivot / a / là
indiquant la présence :
/ a / la parti
Jeu 3. On trouve :
a) des énoncés affirmatifs de type P + O ;
b) des énoncés de type thème-commentaire ;
c) une négation "/a/ pas", qui est plutôt du type "absence".
Dans les autres épreuves les enfants de ce stade ont les compor-
tements suivants : ils ne répètent pas la négation dans les phrases
à répéter et semblent ne pas comprendre certaines demandes néga-
tives :
Donne-moi un qui n'a pas de (l'enfant tend un jeton troué en
trou disant " / l a / t r o u " . )
(Ces enfants peuvent t r i e r les je-
tons troués et non troués en les
nommant. )
B) Analyse des données. Le fait que / e / est soit utilisé au lieu de
/ a / dans les phrases affirmatives semble indiquer une qualité su-
périeure des productions affirmatives mais les enfants n'emploient
pas ici, pour produire des phrases ayant trait à la présence, plus
de règles d'expansion que dans les énoncés négatifs.
Les quatre enfants que l'on trouve à ce niveau sont t r è s jeunes
et l'expérimentation difficile dans ce cas, ne nous permet pas de
t i r e r beaucoup de conclusions. Les enfants de 2.0 sont capables de
produire des énoncés plus complexes dans un contexte familier.
Il est intéressant de voir que des productions ont été obtenues
seulement pour le jeu 1 et le jeu 2 avec uniquement des productions
affirmatives pour le jeu 2. Seule, donc la négation de la présence
paraît ne pas être trop inhabituelle à cet âge.
Les autres données ne nous apprennent rien qui puissent complé-
ter ou infirmer l'analyse du corpus d'Emmanuelle.
3 . 3 . 2 . 2 . Niveau B
A) Description des données
Jeu 1. Les enfants ne répètent pas mot à mot. Ils utilisent des for-
mes spécifiques représentatives de leur niveau génétique linguis-
tique. Dans les phrases affirmatives ils omettent le pronom et gé-
nèrent une forme verbale avec un syntagme nominal. L'article n'est
généralement pas omis.
Par exemple, on obtient en répétition de :
Il a un trou a un trou
Il y a un trou y a un trou
C'est troué troué
Pour les phrases négatives les enfants juxtaposent un opérateur
de négation du type / a / pas avec le nom.
Il n'a pas de trou a pas de trou
Il y a un trou / l a / pas un trou
Ce n'est pas troué pas troué
Tous les enfants (sauf un) répètent au moins une forme négative.
Jeu 2. La présence qui était indiquée au niveau A par l'introducteur
/ a / et le localisateur là donne lieu à des productions régulières qui
se centrent autour de être là :
est là
l'est dedans
est dedans

68
il est là
elle est là dedans
Il y a omission fréquente du pronom. L'absence est indiquée soit
par des formes sémantiquement négatives soit par des phrases syn-
taxiquement négatives. Pour les phrases sémantiquement négatives
l'auxiliaire être se substitue à l'introducteur / a / que l'on trouvait
au niveau A. Il y a fréquemment adjonction d'un sujet, soit sous la
forme d'un pronom soit sous celle d'un syntagme nominal postposé.
Le lexique est limité ; on trouve "parti" et 1 fois "caché" :
l'a parti
l'est parti
est parti le cheval
il est parti
l'est caché là
Dans les phrases syntaxiquement négatives il y a persistance de
l'élément introducteur / a / . On ne trouve, à ce stade, aucune néga-
tion avec être. L'opérateur de négation peut être pas ou plus pres-
que toujours introduit par / a / ou / l a / . On commence à trouver des
formes plus complexes avec sujet (topic) postposé. Il faut parler
plus de phrases thème + modification que de phrases P + O :
/ a / pas là
/ l a / pas là dada
pas le cheval
/ l a / plus poupée
Jeu 3.
a) révolution entre le niveau A et B pour les phrases affirmati-
ves produites au cours du jeu 3 est très nette. Les énoncés sont
plus nombreux et il peut y avoir génération de phrases avec un syn-
tagme nominal et un syntagme verbal :
elle a chapeau là
elle a la pipe
Cependant ces énoncés sont rares et les omissions sont de règle.
Il y a souvent omission d'une catégorie majeure comme celle du
pronom :
a chapeau
met chapeau
ou de l'objet :
il a
On remarque l'omission presque systématique des articles :
elle a pieds
l'a chapeau
Quand l'article est présent, il y a utilisation plus fréquente d'un
indéfini. Un certain nombre de productions posent des problèmes :
l'a un chapeau

69
On ne peut affirmer que JV en tête de la phrase est une contrac-
tion de il ou de elle. On ne trouve ces formes que chez des enfants
qui n'utilisent pas, par ailleurs, de formes complètes.
b) Les énoncés sémantiquement négatifs sont rares :
est tombé
enlevé culotte
la casquette, elle est tombée
c) Les formes syntaxiquement négatives sont, dans ce jeu, aussi
systématiquement plus archai'ques :
- le pronom est omis (1 exception)
- l'article est omis (1 exception)
Deux formes sont particulièrement productives et sont utilisées
par presque tous les enfants.
a pas chapeau
pas chapeau
On a trouvé chez un enfant une forme telle que " / l a / pas met
chaussures" qui ne rentre dans aucune catégorie.
Jeu 4. La production est très pauvre. On ne trouve que des énoncés
déclaratifs. Les variations entre l'action réalisée, l'action "non réa-
lisée" (26) et l'état sont indiquées par des changements lexicaux.
la poupée pousse celui-là
il a renversé
poum / a / le monsieur
l'a fait la poupée là
elle est tombée
Jeu 5. Dans l'épreuve de polarité seul grand/petit est parfois réussi.
B) Analyse des données. D'une manière générale on peut dire qu'à
ce niveau, l'opposition présence-absence donne lieu à des produc-
tions négatives systématiques.
L'analyse des productions affirmatives montre la présence des
deux catégories (sujets et prédicats) avec omission des déterminants.

JEU 1 JEU 2

être là elle

70
On trouve cependant des réductions avec omission d'une des ca-
tégories majeures : le sujet de la phrase. Mais il y a une nette réor-
ganisation vers un type d'énoncé canonique avec sujet et prédicat.
Les formes négatives restent nettement plus archaïques. Elles
paraissent être une juxtaposition de l'opérateur de négation précédé
de l'élément introducteur / a / et, soit d'un syntagme nominal avec
omission du déterminant soit du localisateur là.
On peut proposer deux interprétations,
- Soit 1)

Une transformation amène pas derrière a qui est, dans ce cas,


le verbe avoir.
-Soit 2) On peut considérer / a / comme un simple élément intro-
ducteur. Dans ce cas, on a une phrase de type : "thème-commentaire" :
a pas là
dada
poupée etc.
On ne trouve, à ce niveau, aucune négation du verbe être, que ce
soit sous la forme être là ou sous la forme d'un auxiliaire.
Pour la négation d'appartenance, il pourrait y avoir réduction
linéaire avec omission systématique de la même catégorie majeure :
celle du sujet

Pas est inséré après a. par une transformation. Cette transforma-


tion étant "coûteuse", les formes les plus récemment acquises et
les moins nécessaires, comme par exemple le pronom, tombent.
Cependant le polymorphisme de / a / nous oblige à être prudents
et nous pourrions nous trouver ici aussi devant une phrase "thème

71
commentaire" où / a / serait un simple introducteur.
Au jeu 4 on ne trouve que des phrases déclaratives et les produc-
tions sont trop pauvres pour que l'on puisse analyser leur place
dans le cadre d'une évolution de la syntaxe. On peut remarquer que
les premières indications d'un procès, de son aboutissement ou de
son non-aboutissement se font par des procédés lexicaux.
elle pousse
elle est tombée
Si l'enfant porte son attention sur le sujet, le verbe utilisé est
pousser qui décrit l'action faite par le sujet. Si l'attention se porte
sur l'objet le verbe utilisé est tomber qui décrit l'état. Lorsque l'é-
tat n'est pas réalisé l'enfant ne décrit pas l'action par rapport à l'ob-
jet : on n'a pas trouvé de phrases passives ni de phrases indiquant
l'état non réalisé ou l'action qui n'arrive pas à aboutir ; d'où l'ab-
sence de phrases négatives.
3 . 3 . 2 . 3 . Niveau C
A) Description des données
Jeu 1. Les enfants répètent les phrases négatives. On trouve cepen-
dant des omissions : celle de l'article indéfini plus spécialement,
des substitutions : article défini et des modifications de formes :
"Ce n'est pas troué" est répété "y a pas un trou". La phrase "ce
n'est pas troué" est celle qui pose le plus de problèmes : sur douze
répétitions (deux par enfants) il n'y a qu'une répétition correcte.
Jeu 2. L'évolution des formes affirmatives se marque :
a) par l'utilisation de y a et de c'est ;
b) par la régularisation de l'ordre sujet-verbe-objet. On trouve
également des phrases du type Pro + V + Objet + SN où le SN est le
thème (topic) postposé :
il est là
le cheval est là
y a un cheval
c'est un cheval
l'est là le cheval
Pour les formes sémantiquement négatives il y a accroissement
de la classe des participes employés en négation lexicale d'être là :
il est tombé
il est parti
est caché
il est enlevé
Le fait le plus important est l'apparition de la négation d'être qui
émerge en même temps que les formes y a pas, y a plus :
il est pas là
est pas là dedans ma main
y a plus

72
non, y en a pas
y a plus de poupée
Il y a encore des réductions mais elles ne sont pas plus fréquen-
tes que dans les formes affirmatives. L'article indéfini est assez
souvent employé mais on trouve encore un au lieu de de.
Jeu 3. La situation 3 est particulièrement productive à ce niveau.
Les formes affirmatives sont nombreuses et variées :
il a un tricot
l'a chapeau
en a la bouche
l'en a des chaussons
met son chapeau la petite fille
On remarque encore des réductions : absence de pronom, mais
elles sont rares. Par contre on trouve des redondances : la forme
en a + objet est fréquente :
l'en a une culotte ma poupée
Les phrases négatives ne diffèrent pas au point de vue construc-
tion des phrases affirmatives :
celle-ci l'en a pas des souliers
elle a pas de tricot
l'a pas d'chapeau
celui-là n'en a pas des cheveux
elle a pas de tricot elle a un gilet
elle a pas une pipe
Il n'y a pas de réduction, l'on remarque beaucoup de formes re-
dondantes (en a + objet) et l'emploi d'articles indéfinis.
Jeu 4. Il y a accroissement très net du nombre et de la variété des
expressions affirmatives.
1) Les phrases indiquant l'action faite sont de deux types :
a) Indication d'un procès avec des verbes tels que pousser frap-
per piquer. La classe des verbes utilisés, dans ce cas, augmente.
Il n'y a de différence entre l'action faite par un animé vers un ina-
nimé ou par un inanimé vers un animé que pour le nombre de pro-
ductions obtenues dans chacune des situations.
b) Indication de la participation du sujet à la réalisation d'un état
avec l'intermédiaire du factitif faire : "l'a fait tomber petit garçon"
où petit garçon est l'actant ; "l'a fait tomber le cube" où le cube est
le patient.
2) Les phrases affirmatives indiquant l'état sont du type être + pp
avec souvent sujet postposé. Il faut remarquer à ce niveau une for-
me très fréquente impossible à interpréter :
il a tombé
S'agit-il d'une phrase factitive du type "il a fait tomber" avec omis-
sion de faire ou de l'emploi de l'auxiliaire avoir à la place de être ?
Phrases négatives. Ilyapeu de productions négatives (2 seulement) :

73
elle est pas tombée
non pas tombée
Jeu 5. Les enfants donnent plusieurs polarités :
grand petit
petit gros
chaud froid
froid chaud (ou c'est pas froid)
lourd petit
En général, les enfants ne donnent que très peu de réponses avec
opérateurs, ils utilisent un nouveau lexème qui n'est pas toujours
l'opposé du couple.
Lorsqu'il s'agit de couleur les réponses se répartissent plutôt
sur des couleurs différentes. Pour "nier" qu'un jeton est rouge les
enfants disent bleu, vert, y a pas de rouge ça (1 fois ).
B) Analyse des données. Il y a une évolution très nette dans les pro-
ductions linguistiques entre les niveaux B et C. Au niveau C, il n'y
a pas de différences entre les formes déclaratives et les formes né-
gatives pour les jeux 2 et 3. La négation de la présence et celle de
la propriété n'introduisent pas une complexité cognitive et linguis-
tique telle qu'elle oblige l'enfant à régresser à des formes plus sim-
pies.
La construction, la variété, le nombre des dépendances comme
le nombre des énoncés sont comparables pour les formes affirma-
tives et négatives. On trouve ainsi un énoncé négatif complet avec
alternative. Cet énoncé, quoique unique, montre bien l'équivalence
de la performance pour les deux formes :
elle n'a pas de tricot, elle a un gilet
Jeu 4. Il y a développement de la production affirmative pour l'ex-
pression du procès et de l'état. L'indication d'une action effectuée
devant l'enfant et/ou de l'état obtenu par cette action, est exprimé
avec des formes verbales indiquant un accompli :
elle a tapé
l'a touché
elle a frappé
La forme si fréquente "elle a tombé" pourrait être une générali-
sation des cas précédents.
On ne trouve qu'un verbe au présent. Lorsque l'action n'est pas
suivie d'effet (par exemple lorsqu'une poupée ne fait pas tomber
l'autre) les enfants utilisent des formes telles que : pousser, frap-
per plutôt que des formes négatives. Lorsque l'action est suivie d'ef-
let, l'enfant utilise :
il/elle fait tomber
il/elle est tombée
avec changement d'auxiliaire pour indiquer si l'action est envisagée
du côté de l'actant ou du patient.

74
Le fait qu'il n'y a à peu près pas de productions négatives à ce
niveau peut s'analyser soit comme :
1) les enfants n'établissent pas de relations entre les deux situa-
tions, celle où la poupée tombe et celle où la poupée ne tombe pas ;
2) l'enfant est capable d'exprimer un nouveau type de relations
internes à chacune des situations mais les exprime d'abord avec
des phrases déclaratives plus simples à engendrer et reflétant des
opérations cognitives moins complexes.
La négation est le rejet, le refus, l'énonciation de la non-exis-
tence de relations ou d'états d'un certain type. Il paraît donc néces-
saire que l'enfant soit d'abord apte à extraire ce type de relation et
à verbaliser sur leur présence avant de pouvoir faire sur elles des
transformations cognitives et/ou linguistiques.
3 . 3 . 2 . 4 . Niveau D
Description et analyse des données
Jeu 1. Les enfants répètent correctement les phrases.
Jeu 2. Les productions sont moins nombreuses, les enfants se dés-
intéressent vite de ce jeu. Les formes affirmatives se diversifient :
- c'est dans la boîte
c'est un cheval
y en a des fois. . .
il est dans la main
y a le cube dans la boîte
La localisation est spécifiée : ce n'est plus la présence qui est
indiquée par opposition à l'absence mais la présence à un certain
endroit. On trouve encore des formes avec là, :
il est là, le cheval
mais elles tendent à disparaître.
La classe des termes indiquant l'absence augmente :
elle s'en va
il est sorti
il est perdu
Les formes négatives sont presque toutes construites avec plus.
Il y a donc indication d'une cessation d'état (de présence) et non
plus seulement d'une absence. La récurrence de la situation est
perçue :
y en a plus
y a plus rien du tout
Enfin, il y a utilisation d'indéterminé :
plus de vache
Jeu 3. Les productions affirmatives et négatives sont plus nombreu-
ses. Elles sont la plupart du temps syntaxiquement correctes. On

75
ne remarque pas d'erreur sur le genre et le nombre pour les arti-
cles. Par contre les redondances sont fréquentes comme au niveau
C. Les enfants antéposent un complément d'objet direct sous forme
de pronom personnel et répètent après le verbe, sous forme de SN,
ce complément d'objet direct :
il l'a la pipe
l'en a pas la pipe
de même il y a répétition du sujet :
elle est enlevée la pipe
Plus que des erreurs, il semble que ces formes soient dues à
des mises en valeur systématiques des thèmes :
les chevaux ça a des pattes
c'est la poupée qui l'a eu
On retrouve cela dans le jeu 4 :
la poupée, elle est cognée
Dans les productions négatives on trouve certaines erreurs sur
les déterminants :
ça a pas des robes
l'a plus chapeau
Cependant il y a des phrases tout à fait grammaticales :
Elle n'a pas de pipe
Jeu 4. Le jeu 4 permet mieux de voir l'évolution entre le niveau C
et le niveau D.
Il y a un net accroissement de quantité et de qualité des phrases
produites et il y a des productions syntaxiquement négatives.
Phrases affirmatives indiquant l'action : il y a généralisation de
la forme faire + tomber, le factitif marque la participation du sujet.
Il indique l'action du sujet sur un objet qui sera dans l'état indiqué
par le verbe à la fin de l'action, cette forme est donc la plus com-
plète lorsqu'il s'agit de décrire la scène mimée où l'objet poussé
tombe. Les enfants utilisent aussi faire de façon redondante avec
des verbes indiquant déjà un procès tel que pousser :
il fait pousser
Il y a accroissement de la classe des verbes utilisés pour indi-
quer le procès. L'enfant utilise divers verbes pour indiquer les pro-
cès, les états, et des temps différents pour indiquer l'accompli et
le non-accompli :
elle prend à ses mains
elle pousse le bonhomme
il cogne
il tombe
il est tombé

76
Chaque enfant utilise plusieurs formes différentes pour décrire
l'action. Ces diverses productions sont substituées les unes aux
autres pendant le jeu. Les productions factitives sont plus fréquen-
tes pour décrire l'action d'un animé, alors que les productions in-
diquant l'état sont plus fréquentes lorsqu'il y a objet inanimé. Lors-
que l'actant est un inanimé, il y a très peu de production.
C'est le premier niveau où l'on se trouve des productions néga-
tives systématiques pour ce jeu. Cependant les phrases négatives
sont beaucoup moins nombreuses que les phrases affirmatives. Les
négations du procès sont le plus souvent construites avec pouvoir et
faire :
elle peut pas la pousser
elle peut pas faire tomber
il peut pas
Il n'y a que deux exemples sans intermédiaire de la modalité
parmi les phrases négatives indiquant la négation d'un procès c'est
"il tombe pas" (action vue du point de vue de l'objet). On trouve é-
galement des négations d'état. On remarque l'absence du pronom
dans deux cas sur trois,l'enfant nie la propriété :
pas tombé

3 . 3 . 3 . Conclusion

Les quatre niveaux que l'on a définis à partir des productions d'en-
fants de 1 an 10 mois à 3 ans 6 mois, montrent une évolution de la
négation du point de vue syntaxique et sémantique en relation avec
le développement cognitif. La constitution du contenu est particu-
lièrement mise en valeur par l'évolution des productions pour les
différentes situations proposées. Nous voyons que l'émergence des
formes négatives se fait en fonction de la catégorie sémantique des
énoncés. L'utilisation de certaines formes ou de certains termes
est liée à la possibilité d'extraction des relations ou des propriétés
dont ils doivent rendre compte. Il faut tout d'abord que l'enfant soit
capable d'analyser les relations internes de la situation présentée
pour pouvoir ensuite les verbaliser.
L'indication de l'absence est d'abord exprimée sous une forme
syntaxiquement ou lexicalement négative. La permanence de l'ob-
jet est établie avant les premières verbalisations, il n'y a donc pas
de problèmes pour appréhender la présence ou l'absence d'un objet
dans un champ perceptif.
L'abstraction des propriétés des objets et de leurs relations est
plus tardive. Dans notre expérience la négation d'appartenance
(avoir-n'avoir pas) n'est acquise de façon productive qu'au niveau B.
Lorsque les opérations nécessaires à l'extraction des relations sont
plus complexes, les productions n'apparaissent que plus tard. C'est
ainsi qu'on ne trouve qu'aux niveaux C et D la négation d'états non
réalisés et celle des relations entre procès.
L'évolution syntaxique se manifeste dans la forme des productions

77
à l'intérieur de chaque situation.
Le nombre de règles utilisées par l'enfant et leur diversité aug-
mentent du niveau A au niveau D. Aux productions de type Neg + nu-
cleus, se substituent des formes où les règles engendrent pas à la
place que celui- ci doit occuper dans la structure de surface. Les
phrases produites tendent à être complètes et comportent des indi-
cations du sujet et de l'objet. On trouve des redondances en parti-
culier la répétition du sujet en thème à la fin de la phrase.
L'évolution des formes lexicales consiste en l'accroissement de
la classe des termes que l'enfant substitue aux énoncés négatifs.
Les enfants utilisent tantôt des formes avec opérateurs tantôt des
formes lexicales. Ceci tend à montrer qu'ils tiennent compte de
l'équivalence des systèmes dans des situations données. L'utilisa-
tion des formes lexicales est également liée au statut des faits à
nier. Dans le jeu 4, on trouve un grand nombre de termes différents
pour indiquer l'état non réalisé. Leur utilisation précède la possi-
bilité d'exprimer, avec des phrases syntaxiquement négatives, la
non-réalisation de cet état.
Nous devons signaler que les productions affirmatives exprimant
les différents types de relation ou d'états, sont toujours plus préco-
ces et moins archaïques que les productions négatives.
D'autre part, il semble que l'enfant ne réutilise pas nécessaire-
ment son catalogue de formes lorsqu'il exprime de nouvelles fonc-
tions sémantiques. Les productions qui émergent tard (celles qu'in-
duisent le jeu 4) à cause du statut des relations qu'elles expriment
ne sont pas en général aussi archaïques que les productions du ni-
veau A.
L'acquisition de la négation, comme celle du langage, dépend
du développement d'un système de règles. Ce développement est
lié au développement d'un sous-système de génération des opéra-
teurs. C'est dans des limites fixées par les opérations possibles
sur le monde extérieur que ces systèmes peuvent fonctionner de
façon productive.

NOTES

1. M. Coyaud, "Le problème des grammaires du langage enfantin", La


linguistique, Paris, 1967.
2. Les mots fonctionnels sont les termes relationnels qui dépendent d'au-
tres mots ou du contexte pour faire référence. Les substantifs ont un statut
lexical indépendant car ils font référence indépendamment des autres mots.
3. Le fait que chez de nombreux petits enfants l'intonation se relève sys-
tématiquement en fin de phrase, ne permet pas de dire si il y a phrase inter-
rogative lorsqu'il y a présence de cette marque.
4. Nous emploierons le terme "item" pour ne pas faire d'hypothèses sur
le sens.
5. Les énoncés négatifs du corpus recueilli sont présentés en Annexe I.
6. On appelle cette particule "pivot" parce qu'elle est combinable et com-
binée avec un grand nombre de syntagmes différents.
7. Nous disons qu'une forme utilisée plusieurs fois dans le corpus avec
différents formants est une forme productive.

78
8. P phrase
Neg élément négatif
SN Syntagme nominal
9. Il faut remarquer que la forme négative /a/ pas est très habituelle chez
tous les jeunes enfants comme nous le verrons dans l'Expérience I .
10. seul /a/ sera écrit dorénavant en écriture phonétique puisque pas est
non ambigu.
La sera réécrit /la/ lorsqu'il peut être ambigu, c'est-à-dire lorsqu'il
pourrait être interprété comme un article, comme il a ou comme un désigna-
teur.
11. Cela n'est exact que parce que nous avons décidé de considérer la f o r -
me /a/ pas comme un élément négatif et non comme une négation du verbe
avoir. Dans le cas contraire, la forme de surface serait la même pour les
verbes modaux et avoir - y avoir, mais il y aurait, avec ces derniers, des
énoncés plus complexes avec syntagme nominal postposé.
12. Avec les réserves habituelles sur la forme /a/.
13. Par déni nous entendons refus d'un énoncé ou d'un fait.
14. Det : déterminant
Adv : adverbe
15. V : verbe
Inf : infinitif
Adj : adjectif.
16. La flèche indique la relation entre S (le locuteur-sujet) et O (l'objet).
17. U. Bellugi avait remarqué, qu'en anglais, l'auxiliaire était employé
d'abord à la forme négative, avant d'être utilisé à la forme affirmative.
18. Voir Expérience I.
19. "Ne regarde pas", "Ne regarde pas Cécile", Cécile étant la personne
à laquelle s'adresse l'ordre.
20. Le terme est celui utilisé par L . Bloom, et auparavant par D. McNeill.
Pour nous, nous avons utilisé présence-absence dans l'analyse du corpus
d'Emmanuelle puisque d'une part nous savons acquise la permanence de l'ob-
jet et que la cessation d'un procès ou la non-réalisation d'un procès ne sont
que des sous-catégories de cette classe de négation.
21. On peut se rapporter à une analyse de D. McNeill et McNeill (1966)
mettant en lumière une évolution semblable chez des enfants japonais. En
japonais il y a des opérateurs distincts d'après les catégories sémantiques
et les enfants les acquièrent dans un ordre comparable. Il y a cependant une
inversion dans les résultats de McNeill et ceux de L . Bloom entre l'émer-
gence des formes de déni et des négations du type "je ne veux pas".
22. L'analyse des énoncés négatifs et de leur évolution sera toujours faite
en parallèle avec celles des énoncés affirmatifs. Les relations entre les 2
formes présentent des variations indispensables pour l'étude des énoncés né-
gatifs.
23. J. Piaget, La construction du réel chez l'enfant, Neuchâtel, 1941.
T . Bower "The object in the world of the infant", Scientific American, oc-
tobre 1971, p. 30-38.
24. Nous remercions Madame Lezine qui nous a accueilli pour cette expé-
rience .
25. Il faut remarquer qu'au niveau D le nombre d'énoncés pour le jeu 2
(présence-absence) décroît, les enfants de ce stade se lassant d'une tâche
trop simple et trop répétitive.
26. Dans ce cadre expérimental.

79
4. TRAITEMENT DE NEGATIONS SYNTAXIQUES ET LEXICALES

4.1. PRESENTATION DES EXPERIENCES

Les Expériences H, III, IV, V ont été faites pour déterminer si les
formes de négation liées aux verbes en tant qu'items lexicaux agis-
sent sur la mémorisation et la vitesse de compréhension des phrases
comme le fait la négation avec n e . . .pas.
La signification d'une phrase est donnée par la structure synta-
xique et par la valeur lexicale des mots. Les expériences présentées
au chapitre II ont montré qu'une phrase syntaxique ment négative était
plus complexe à comprendre et à mémoriser que son équivalent à l'af-
firmatif - cela en dehors de contextes fonctionnels spéciaux. Nous
voulons voir si un verbe opérateur et/ou des verbes à trait séman-
tique négatif agissent également sur la vitesse de compréhension et
sur la mémorisation par rapport à des verbes non marqués. Nous
voulons étudier également l'effet de l'interaction de ces négations.
Dans une première expérience (Expérience II), on a utilisé une
technique de mémorisation pour comparer l'effet des verbes à trait
sémantique négatif (verbes TSN) et l'effet de la négation syntaxique.
Cette expérience a été faite avec de jeunes enfants.
Un contrôle chez les adultes (Expérience ni) peut être trouvé
dans l'Expérience ffl dont la problématique s'éloigne toutefois légè-
rement de cette question.
Dans l'Expérience IV, nous avons utilisé une technique de temps
de latence pour tester la compréhension de phrases chez les adultes.
Les phrases sont affirmatives ou négatives. Les types de négation
étudiés sont : la négation avec ne. . .pas, la négation due à un verbe
performatif à négation inhérente^ la négation due à un verbe avec
trait sémantique négatif (TSN). La combinaison de ces négations per-
met d'étudier l'effet du nombre de négations et leur interaction.
Dans l'expérience V, nous avons employé un matériel identique
pour tester la compréhension de phrases négatives chez les enfants
de 6 à 7 ans. Une procédure différente a permis d'étudier plus p a r -
ticulièrement les stratégies de réponse des sujets.
Dans un dernier chapitre, on a analysé les réponses à des phra-
ses permissives (1) présentées lors des Expériences IV et V. La né-
gation syntaxique d'un verbe performatif peut amener l'indétermina-
tion de l'état de fait indiqué par la subordonnée. Lorsque les phrases
présentées comportent plusieurs négations, les réponses des sujets
permettent d'étudier les processus de calcul des phrases.

80
4.2 EXPERIENCE II

4 . 2 . 1 . But de l'expérience et hypothèses

Les données recueillies au cours de l'Expérience I et dans l'analyse


du corpus d'Emmanuelle, nous ont montré que l'usage de la transfor-
mation négative chez les jeunes enfants de 1.10 à 3 • 6 ans est lié à
certains traits du verbe utilisé dans la phrase. Il nous a semblé in-
téressant d'approfondir ce point expérimentalement. En classant les
verbes utilisés par les enfants, on voit que ceux-ci emploient des
verbes qui ont un trait sémantique négatif et des verbes dans lesquels
ce trait est absent. Les premiers sont employés dans des phrases
syntaxiquement affirmatives que les enfants substituent fréquemment
à des phrases syntaxiquement négatives. Ces verbes, que nous avons
appelé verbes à trait sémantique négatif, indiquent, en tant qu'unité
lexicale dans une phrase affirmative, l'inversion d'une action posi-
tive ou le contraire d'un état positif et donc une absence, un manque
ou une disparition.
Nous avons étudié dans cette première expérience deux types
de négation : la négation syntaxique indiquée par ne.. -pas, et le type
de négation lexicale due à la nature du verbe utilisé soit à des verbes
à trait sémantique négatif. Les verbes choisis sont : enlever. Oter.
perdre, oublier.
Nous avons procédé à une épreuve de mémoire avec rappel im-
médiat pour tester/si le rappel diffère lorsqu'on présente des phra-
ses syntaxiquement affirmatives et des phrases syntaxiquement néga-
tives avec des verbes à valeur lexicale positive ou négative.
L'utilisation d'une épreuve de mémoire peut se justifier si l'on
admet - à la suite des résultats obtenus par de nombreux expérimen-
tateurs (J. Mehler 1963, S. Fillembaum 1966, S. de Schonen 1970) -
que la représentation en mémoire d'une phrase est liée aux différents
types de relations de la signification. Dans ce cas, on peut étudier les
problèmes rencontrés par les sujets pour mémoriser un message dont
le contenu a subi une transformation. Le nombre de phrases omises
ou répétées de façon erronée lors du rappel peut être une mesure de
la difficulté rencontrée par les sujets lors du codage et du rappel.
En ce qui concerne les structures sous-jacentes, il est évident
que la distribution des erreurs ou des omissions ne permet pas de ré-
véler les similitudes des structures. Nous ne faisons donc aucune hy-
pothèse supplémentaire sur les propriétés de la négation lexicale par
rapport à celles de la négation syntaxique.
Dans cette expérience, nos hypothèses posent que les phrases af-
firmatives donneront lieu à plus de rappels corrects que les phrases
négatives, et que parmi les phrases négatives celles qui sont à la fois
syntaxiquement et lexicalement négatives seraient plus difficiles que
celles n'incluant qu'un seul type de négation.

81
4 . 2 . 2 . Technique et matériel

Sujets. NDUS avons examiné soixante-huit enfants (trente-sept filles,


trente et un garçon) d'écoles maternelles privées de Paris, dix-sept
enfants par tranches d'âges de 6 mois, depuis 42 mois jusqu'à 67
mois, soit :
de 42 mois à 47 mois
de 48 mois à 53 mois
de 54 mois à 59 mois
de 60 mois à 67 mois
Ces enfants appartiennent à des familles de niveau socio-économique
homogène assez élevé.
Nous avons choisi quatre verbes lexicalement positifs : mettre,
manger, laver, prendre ; et quatre verbes lexicalement négatifs :
oublier, ôter, enlever, perdre.
Avec ces verbes, seize phrases, de neuf syllabes chacune, ont
été construites. Ces phrases sont, du point de vue syntaxique, soit
affirmatives, soit négatives : chaque verbe étant employé une fois
dans une phrase affirmative A et une fois dans une phrase néga-
tive N.
Dans la notation adoptée ici, les types de phrases sont désignés
par un groupe de quatre lettres : la première et la seconde indiquent
la forme syntaxique (syntaxe affirmative ou syntaxe négative), la
troisième et la quatrième lettres caractérisent le trait sémantique
du verbe (verbe positif ou verbe négatif). Ainsi, SAVN désigne les
phrases de forme affirmative avec verbe négatif, SNVP les phrases
de forme négative avec verbe positif, etc.
Afin de ne pas présenter un trop grand nombre de phrases aux
enfants, les seize phrases ont été séparées en quatre groupes de
quatre phrases (voir Annexe II).
Chaque groupe est composé des quatre types de phrases suivan-
tes :
Syntaxe Verbe
1 phrase affirmative avec verbe positif A(ffirmative) P(ositif)
1 phrase affirmative avec verbe négatif A N
1 phrase négative avec verbe positif N P
1 phrase négative avec verbe négatif N N
Exemple :
la dame a lavé le tablier SA VP
le bébé ne prend pas le biscuit SN VP
le garçon a perdu son bonnet SA VN
la fille n'enlève pas son chandail SN VN
Procédure et consigne- On donne comme consigne à l'enfant :
Je vais te raconter une petite histoire, tu vas bien l'écouter et quand
j'aurai fini, je te dirai "à toi" et tu me diras tout ce dont tu te sou-
viens.
Pour être sûr que l'enfant a bien compris on lui fait répéter une

82
phrase proposée comme exemple. On présente alors successivement
à chaque enfant deux groupes de quatre phrases. Immédiatement après
chaque présentation d'un groupe de quatre phrases on demande le rap-
pel. Les phrases sont lues avec le moins d'intonation possible. On
laisse une seconde d'intervalle entre chaque phrase. A la fin on dit
à l'enfant : A toi, dis tout ce dont tu te souviens.
Après la présentation du premier groupe, on dit à l'enfant : Main-
tenant je vais te redire une autre petite histoire, et on procède de mê-
me.

4 . 2 . 3 . Résultats

Le tableau I donne les résultats obtenus. Les figures 1 et 2 montrent


le pourcentage de réponses correctes par groupe d'âge.

Tableau I. Résultats globaux pour l'ensemble des réponses


Phrases Phrases Phrases Total M+ Oublis 0 0 0
présentées correctes correctes erreurs00
avec M + ° sans M +
SAVP 136 115 115 5 0 16
SAVN 136 70 70 7 0 59
SNVP 136 79 91 16 12 29
SNVN 136 40 47 15 7 74
° M + : indique les phrases répétées avec ajout d'un verbe modal. La
forme syntaxique et l'item verbal ne sont pas changés par rapport à
la0 phrase stimulus.
° Les e r r e u r s sont les répétitions où, soit la forme syntaxique soit
l'item
000
verbal a été inversé.
Les oublis indiquent les phrases non évoquées lors du rappel.
Par réponses correctes, nous entendons les réponses où ni la struc-
ture syntaxique, ni la valeur du trait positif/négatif du verbe ne sont
changés. Les substitutions de verbes ou autres mots et les variations
de temps ne sont pas comptées comme des e r r e u r s , lorsqu'elles n'af-
fectent pas ces valeurs. Par exemple, une substitution du type :
Le chien a bu son déjeuner
pour :
Le chien a mangé son déjeuner
n'est pas comptée comme erreur. En revanche :
La fille a mis son chandail
pour :
La fille a Oté son chandail

83
Figure 1. Réponses correctes (modalisations non comprises)

Figure 2. Phrases correctes, y compris les modalisations n'alté-


rant pas le sens de la phrase

84
ou
Le papa a mis sa cravate
pour :
Le papa n'a pas mis sa cravate
sont comptées comme e r r e u r s .
Nous avons d'autre part inventorié les modalisations telles que :
Le chien ne veut pas manger son beefsteak
au lieu de :
Le chien n'a pas mangé son beefsteak
La figure 2 montre le pourcentage de réponses correctes affec-
tées de modalisations qui conservent aux phrases-stimuli leur même
signification. (Nous parlons en ce cas de modalisations correctes.)
L'analyse de ces résultats montre que les phrases SAVP sont
correctement rappelées à tous les âges avec une fréquence égale ou
supérieure à 80 %. La courbe des réponses correctes indique que le
rappel des SAVP, pour tous les groupes d'âge, est supérieur à celui
de tous les autres types de phrases.
Les négations lexicales et les négations syntaxiques rendent plus
difficile le rappel. La courbe pour le rappel SNVP va de 53 % min. à
65 % max. et celle du rappel des SAVN de 41 % à 65 %. Les différen-
ces de performances entre groupes d'âge n'étant pas significatives,
nous commentons désormais les résultats de façon globale.
La combinaison de la négation lexicale et de la négation syntaxi-
que accroît encore les difficultés de rappel. Nous voyons que les
phrases de type SNVN même en comptant parmi les bonnes réponses
les modalisations correctes, ne sont correctement rappelées qu'en-
tre 26 % et 32 %pour les différents groupes.
Si nous comparons le taux de rappel le plus faible pour les SAVP
et le taux de rappel le plus fort pour les SNVN, nous trouvons dans
les performances des enfants, une différence significative :
X 2 = 12 1 dl p<.001
Pour une analyse plus détaillée des résultats, nous avons compa-
ré deux à deux les performances obtenues pour chaque type de phrase,
en procédant de la manière suivante, soit à comparer les performan-
ces obtenues pour les phrases de type SAVP et pour celles de type
SNVN ; nous comptons le nombre n^ de rappels corrects à SAVP et
incorrects à SNVN, et le nombre ng de rappels incorrects à SAVP
et corrects à SNVN. (Ce dénombrement est effectué non sur l'ensem-
ble des sujets, qui reçoivent chacun deux phrases de chaque type,
mais sur l'ensemble des réponses, donc sur 17 x 2 = 34 réponses
par groupe d'âge.) Nous testons alors la différence /n^ - ng/ avec
un X 2 .
En considérant tous les groupes d'âge ensemble, nous voyons
que la différence entre les SAVP et les SNVN, définie comme indi-
qué ci-dessus, est significative :

85
X 2 = 35 ldl p .001
Comparons maintenant le rappel des phrases doublement néga-
tives (SNVN) avec celui des phrases simplement négatives, soit du
point de vue syntaxique (SNVP), soit du point de vue lexical (SAVN).
On voit que la différence est significative dans les deux cas, et plus
fortement entre SNVN et SNVP (X2 = 17 1 dl p < .001) qu'entre
2
SNVN et SAVN (X = 5 1 dl p < .02).
Ces résultats accréditent l'hypothèse que la double négation in-
troduit une difficulté systématique par rapport à la négation simple,
syntaxique ou lexicale.
Si nous comparons le rappel des phrases SAVP avec celui des
phrases comportant une négation, c'est-à-dire des phrases SAVN ou
SNVP, nous voyons que les différences sont significatives (à p < .001)
dans les deux cas. Toute négation, lexicale ou syntaxique, introduit
donc, à elle seule, une difficulté systématique pour le rappel. Entre
les SAVN et les SNVP, la différence en revanche n'est pas significa-
tive. On peut cependant noter que le rappel des SNVP n'est jamais
inférieur à celui des SAVN, quel que soit l'âge des sujets.
Il est intéressant de considérer également le pourcentage des
omissions et la nature des échecs. On remarque que les phrases
SAVN ont été oubliées (2) dans 43 % des cas. Pour les SNVP, il n'y
a que 21 % d'oubli. Cette différence est significative à p < .001.

60 -

50 -

; 40 "

¡30- Erreurs

" 20 "

\ 10 -

0• SNVP SNVN

ligure 3. E r r e u r s et oublis pour chaque type de phrase

86
Si l'on considère la figure 3, on peut voir, par contre, que les er-
reurs sont plus fréquentes sur les phrases SNVP que sur les phrases
SAVN. La différence ici n'est toutefois pas significative. Les erreurs,
qu'elles affectent ou non le sens de la phrase, sont plus fréquentes
pour les phrases syntaxiquement négatives que pour les phrases syn-
taxiquement positives.
Pour les diverses catégories de phrases qui ont donné lieu à un
rappel, la proportion de rappels incorrects est :
pour les SNVP : 16 erreurs sur 107 rappels, soit : . 149
pour les SAVN : 7 erreurs sur 77 rappels, soit : . 094
pour les SNVN : 15 erreurs sur 62 rappels, soit : .241
Supposons que ces fréquences correspondent à une probabilité
d'erreurs. Supposons, d'autre part, que la probabilité des erreurs
dues à la négation syntaxique et celle des erreurs dues à la négation
lexicale sont indépendantes. Dans ce cas, la probabilité attendue pour
la double négation serait de .243 (149 + 094). Or, la fréquence obte-
nue est de 241.
Nous présentons ces résultats, sans cependant nous autoriser à
avancer une hypothèse sur 1' "additivité" des types de négations.

4 . 2 . 4 . Discussion

Les résultats indiquent que la négation quelle que soit sa forme influe
sur le rappel des phrases. Les phrases doublement négatives SNVN
rendent le rappel plus difficile que chaque type de négation pris isolé-
ment. La transformation négative et le trait négativité dans la struc-
ture du verbe rendent le rappel des phrases plus difficile. Ceci n'im-
plique pas que les deux types de négation donnent lieu à la même in-
dexation.
Si l'on regarde en détail les erreurs et oublis, on voit que les
phrases SNVP sont à l'origine de plus d'erreurs, alors que les phra-
ses SAVN sont oubliées de façon significativement plus fréquente. Les
résultats indiqués dans la figure 3 montrent, si l'on compare les
phrases SAVN + SNVN aux phrases SAVP + SNVP, que les oublis sont
plus liés à la nature du verbe qu'à la structure syntaxique. Par con-
tre, si l'on compare les phrases syntaxiquement négatives aux phra-
ses syntaxiquement positives, quelle soit la nature du verbe, nous
voyons que les premières sont à l'origine d'un plus grand nombre de
rappels erronés. Cela laisse à penser que la nature du verbe doit
avoir un effet sur le codage de la phrase et est peu impliquée dans
les variations qui interviennent lors du rappel. On pourrait penser
qu'il y a difficulté à coder des traits qui inversent la valeur syntaxi-
que de la phrase.
Le fait qu'il y a plus d'erreurs et d'oublis dans les phrases syn-
taxiquement négatives que dans les phrases SAVP a déjà été démon-
tré au cours d'expériences menées auprès d'adultes pour vérifier
l'hypothèse du codage proposée par J. Mehler en 1963. Les erreurs
relevées vont plus souvent dans le sens d'une simplification de la
phrase stimulus. Nous disons qu'une phrase est plus simple si, lors

87
du rappel, soit la transformation négative, soit le trait négativité
du verbe, soit les deux sont omis. Il y a 20 e r r e u r s dans ce sens et
7 e r r e u r s où l'on trouve un rappel des phrases plus complexes que
les phrases stimuli.
Il faut aussi signaler les modalisations relativement nombreuses
pour les phrases syntaxiquement négatives. Ce fait rejoint les données
obtenues lors de l'Expérience I sur les productions négatives des jeu-
nes enfants.

4.3. EXPERIENCE IE

4 . 3 . 1 . Hypothèses

Nous présenterons brièvement une expérience faite avec des adultes.


La problématique de cette expérience s'éloigne légèrement de celle
de l'expérience précédente. Nous avions pour but de rechercher si
certains traits ou marques lexicales rendaient la mémorisation des
phrases plus difficile pour les adultes. Le trait négativité du verbe
est étudié en relation avec la syntaxe des phrases. Les données r e -
cueillies nous permettent donc un contrôle sur le rôle des négations
syntaxiques et lexicales dans la mémorisation des phrases chez les
adultes.
A la suite des expériences de S.W. Anderson et W. Beh (1968)
et de D. McNeill (1967) sur les associations de mots chez les enfants
âgés de 6 ans à 10 ans et chez les adultes, on pouvait penser que la
mémorisation de certains traits lexicaux n'auraient pas les mê-
mes effets pour les enfants et pour les adultes. Il se dégageait l'idée
que des réaménagements progressifs auraient lieu dans le diction-
naire des enfants jusqu'à 10 ans. Ces réaménagements seraient des-
tinés à introduire des marques sélectives servant d'indices pertinents
dans les processus d'encodage et de décodage des mots. On peut con-
sidérer le trait négativité d'un verbe comme une marque pertinente.
Dans ce cas le réaménagement du dictionnaire pourrait faciliter ou
rendre plus complexe le rappel des verbes marqués et la négation
lexicale devrait jouer un rôle différent chez les enfants et les adultes.
Les hypothèses émises étaient donc que le rappel des phrases
serait lié à leur complexité et que la nature de l'item verbal peut
être un facteur de complexité. Un verbe à trait sémantique négatif
rendrait la phrase plus complexe à mémoriser, mais on pourrait
envisager que ce facteur joue moins que chez les enfants.
Les autres traits étudiés étaient : la nature cognitive ou factiti-
ve du verbe et son fléchage (3).

4 . 3 . 2 . Technique

Matériel. Seize phrases de dix syllabes avec un agent animé, un verbe

88
transitif et un objet inanimé.
1. un verbe factitif à valeur positive (Ex : donner)
2. un verbe cognitif à valeur positive (Ex : avouer)
3. un verbe factitif à trait sémantique négatif : (Ex : enlever),
4. un verbe cognitif négatif (Ex : nier).
Dans chacune de ces catégories, nous avions deux verbes, l'un
donnant un fléchage normal, l'autre inversant ce fléchage. Les huit
verbes sélectionnés ont été utilisés dans une phrase affirmative et
dans une phrase syntaxiquement négative.
Nous avions donc un matériel expérimental de même type que
celui utilisé pour les enfants avec des phrases :
a) à syntaxe affirmative et verbe positif SAVP :
L'entraîneur avait donné le signal
b) à syntaxe affirmative avec verbe négatif SAVN :
L'étudiant avait refusé l'argent
c) à syntaxe négative avec verbe positif SNVP :
L'accusé n'avait pas avoué le crime
d) à syntaxe négative avec verbe négatif SNVN :
L'agent n'avait pas enlevé l'affiche
Toutes les autres variables étaient balancées sur ce classement.
Procédure : Les seize phrases stimuli ont été divisées en deux séries
dont chacune ne contenait qu'un exemple de chaque item verbal. Dans
chaque série on trouve deux phrases SAVP, deux phrases SNVP, deux
phrases SAVN, deux phrases SNVN. Ces phrases sont enregistrées
dans un ordre différent cinq fois de suite.
On présente aux sujets une première séquence et l'on demande
un rappel immédiat, puis l'on présente la séquence suivante qui est
suivie d'un second rappel et cela cinq fois de suite.
Les quarante sujets ont passé l'expérience par groupe de cinq.
Un groupe de vingt sujets a reçu la première série des huit phrases
tandis que l'autre groupe a passé l'expérience avec la seconde série.
La consigne demandait "d'écrire tout ce dont on se souvenait".
Pour faire cela, chacun des sujets avait à sa disposition un livret
de cinq pages. A chaque rappel il devait disposer d'une page diffé-
rente et tout retour en arrière était interdit.

4 . 3 . 3 . Analyse des résultats

Nous présentons au tableau II le pourcentage des rappels corrects à


chacun des trois premiers rappels. Les données des deux derniers
rappels tendent à s'uniformiser et tendent vers le maximum de rap-
pels corrects.

89
Tableau H. Pourcentage de rappels corrects pour les trois premiers
rappels
Syntaxe Affirmative Syntaxe négative

1er 2e 3e 1er 2e 3e
rappel rappel rappel rappel
rappel rappel
Verbe 22 31 18 32
positif
40 39
Verbe 15 30 40 10 18 31
négatif

Les résultats sont compatibles avec les hypothèses que nous avions
faites.
Pour le premier rappel, l'ordre dans le pourcentage des phrases
correctement redites est le même que celui que nous avions obtenu
avec les enfants. Toutefois la différence entre le rappel des phrases
SAVP et celui des phrases SAVN ou SNVP est minime. Seule la com-
binaison de la négation syntaxique avec un verbe à trait sémantique
négatif influe nettement sur la performance des sujets adultes. Cet
effet est visible durant les trois premiers rappels.
Au cours du deuxième et du troisième rappel, nous avons noté
un certain biaisage dû au fait que six des huit phrases étaient soit
syntaxiquement, soit lexicalement, soit syntaxiquement et lexicale-
ment négatives. Certains sujets ayant pris plus ou moins conscience
de ce fait ont eu tendance à nier presque toutes les phrases en utili-
sant une négation syntaxique. Il est intéressant de voir que ce proces-
sus a surtout porté sur les verbes positifs. Les erreurs sur les phra-
ses SAVP sont toutes de ce type. Les erreurs sur les phrases SAVN
sont le plus souvent une substitution de l'item verbal et non pas des
négativations syntaxiques.

roisieme
roppel rappel

• s

Figure 4. Pourcentage de répétitions erronées pour chaque type de


phrases et pour les trois premiers rappels

90
Le pourcentage moins élevé de rappels pour les phrases SNVN est
dû à des oublis et à des erreurs ( figure 4). Ces sujets tendent à ra-
mener ces phrases doublement négatives à des phrases avec une seule
négation, soit de façon lexicale soit de façon syntaxique. Les deux
processus sont aussi fréquents. Ceci pose des problèmes car il au-
rait semblé plus normal si l'on considère les données recueillies par
les auteurs précédents (J. Mehler 1963) de voir omis la transforma-
tion syntaxique alors que les verbes resteraient inchangés. Dans les
deux cas la signification de la phrase stimulus est changée. L'hypo-
thèse qu'un réaménagement du dictionnaire aurait pu influer sur la
mémorisation des phrases SAVN ne semble pas trouver de support
ici, puisqu'il n'y a pas de différence nette lors du premier rappel
dans les pourcentages de phrases SAVN et SAVP correctement rappe-
lées et que l'ordre obtenu est le même que celui que nous avions trou-
vé chez les enfants. Mais nous pensons que la technique expérimen-
tale n'a pas permis la vérification d'hypothèses fines.

Conclusion

Cette expérience nous permet un contrôle des données de l'Expé-


rience n .
Dans une tâche de mémorisation avec des adultes :
1) les phrases SAVP donnent lieu, lors du premier rappel, à un
pourcentage de rappels corrects supérieur à celui des autres phra-
ses. Cependant on ne trouve pas de différence significative entre le
rappel de ces phrases et des phrases contenant une seule négation,
qu'elle soit syntaxique ou lexicale.
2) par contre les phrases SNVP sont nettement moins bien rappe-
lées que toutes les autres phrases. Cela est dû à la fois au nombre
d'omissions et au nombre des erreurs. Ces erreurs consistent à ra-
mener la phrase doublement négative à une phrase simplement négati-
ve soit en omettant la négation syntaxique soit en substituant un verbe
positif au verbe négatif.
3) on ne trouve pas de différence entre les enfants et les adultes
en ce qui concerne la mémorisation des phrases SNVP et SAVN. La
mémorisation des phrases avec un verbe à trait sémantique négatif
ne parait pas, chez les adultes, favorisée par rapport à la mémori-
sation des phrases syntaxiquement négative. L'ordre dans le pourcen-
tage des rappels corrects obtenus est le même chez les enfants et
chez les adultes au premier rappel.

91
4.4. EXPERIENCE IV

4 . 4 . 1 . Hypothèses

Cette expérience a pour but d'évaluer l'influence des négations dans


la compréhension des phrases.
L. McMahon (1963), P . C . Wason (1959-1961), D. Slobin (1966)
ont montré qu'une phrase négative est généralement plus complexe
à "calculer" qu'une phrase affirmative. La plupart des expériences
réalisées portent sur des phrases syntaxiquement négatives. Nous
avons voulu voir l'effet des verbes opérateurs à négation inhérente
et des verbes à trait sémantique négatif.
Nous avons utilisé comme indice de mesure de la complexité des
phrases, le temps de latence du sujet pour donner une réponse en
fonction de la phrase présentée. Dans une tâche destinée à étudier
la compréhension de phrases, la nature de la tâche à effectuer peut
influer sur le temps de réaction. Nous avons essayé d'égaliser au
maximum les facteurs influant sur les réponses de façon à ce que les
variations des temps de latence puissent être un indice du temps de
calcul des phrases présentées. Cette procédure expérimentale nous
conduit à présenter des phrases ne variant qu'en fonction des varia-
bles à étudier et conduisant au même type de réponse. On peut pen-
ser que des phrases négatives présentées de façon expérimentale et
hors d'un contexte fonctionnel induisent un type de calcul différent de
celui des phrases présentées dans un contexte. Il y a donc ici mesure
de la complexité introduite par des variables ayant pour fonction de
rendre négative une phrase ou une relation, en dehors de tout contexte
pouvant requérir ou non un type spécial d'énoncé.
Nous avons avancé les hypothèses suivantes :
- Une phrase syntaxiquement négative serait plus complexe à
calculer qu'une phrase équivalente à l'affirmatif ;
- Un verbe performatif à négation inhérente rendrait une phrase
plus complexe que la phrase équivalente avec un verbe performatif
positif. Nous étudions ainsi les verbes refuser/interdire comparés
aux verbes demander/exiger.
- Une phrase avec un verbe à trait sémantique négatif serait
plus complexe qu'une phrase où le verbe n'aurait pas cette connota-
tion. Nous étudions les verbes enlever/ôter en face des verbes
mettre/avoir ;
- La combinaison de deux ou plusieurs négations dans une phrase
accroîtrait la complexité de cette phrase ;
- La place et le statut de la négation jouerait un rôle. La négation
d'un fait par un verbe performatif n'aurait pas la même valeur que le
recours à un état de fait négatif :
Je refuse qu'il enlève
Je demande qu'il n'enlève pas

92
4.4.2. Technique

Matériel : on a utilisé douze phrases. Ces phrases sont complexes,


elles sont formées d'une première proposition introduite par je
introduisant un verbe performatif et d'une complétive. La compléti-
ve comprend un sujet animé représenté dans toutes les phrases par
le nom propre Pierre, un verbe transitif et un objet inanimé. Il y
a quatre variables :
a) la syntaxe de la première proposition peut être affirmative ou
négative ;
b) la syntaxe de la complétive peut être affirmative ou négative ;
c) le verbe performatif de la première proposition peut être po-
sitif ou à négation inhérente ;
d) le verbe de la complétive peut être un verbe avec un trait sé-
mantique négatif ou un verbe n'ayant pas ce trait. Les verbes utilisés
sont : mettre, avoir, enlever, ôter.
Le signe + a été utilisé pour indiquer une valeur positive ; le
signe - a été utilisé pour indiquer une valeur négative. Nous nous
référerons à cette notation pour chacune des phrases dans l'expérien-
ce. Ainsi, la phrase + + - - correspond à la phrase avec une première
proposition affirmative et une subordonnée syntaxiquement et lexica-
lement négative :
J'exige que Pierre n'Ôte pas son chapeau.
La phrase + - + - correspond à une première proposition syntaxique-
ment positive et lexicalement négative et il en est de même pour la
subordonnée :
Je refuse que Pierre enlève son chapeau
Nous n'avons pas retenu les phrases avec double négation synta-
xique ni les phrases avec quatre négations, ces phrases n'étant pas
normales dans le langage.
Les phrases ont été présentées selon un ordre tiré au hasard.
La séquence des phrases reste la même pour tous les sujets, mais
le rang de présentation change. En effet, on a effectué une permuta-
tion circulaire pour que chacune des phrases occupent tous les rangs
de présentation. Cette permutation a lieu tous les deux sujets de façon
à ce que chaque phrase soit présentée à droite et à gauche pour cha-
cune de ses places dans la séquence.
Procédure : La tâche consiste à indiquer, entre deux images, celle
qui correspond à une phrase requérant la présence ou l'absence d'un
détail caractéristique.
Chaque sujet est testé individuellement. Le sujet est assis en
face de deux présentoirs sur lesquels sont posés les images, ses in-
dex reposent sur des clefs de Morse placées devant les images. Les
images sont très simples. Elles représentent un homme habillé pou-
vant avoir un chapeau, un manteau, une écharpe et une pipe. Ces
quatre détails sont présents ou absents, deux par deux, sur les six
images qui servent à l'expérience. Le sujet sait qu'il a à mémoriser
la présence ou l'absence de ces détails. Le temps d'exploration des

93
images n'est pas limité. Lorsque le sujet estime qu'il a fini, il dit
"prêt" et entend la phrase à vérifier. Les phrases ont été préalable-
ment enregistrées. Un clic est enregistré sur la deuxième piste, il
est placé sur la dernière syllabe. Ce clic déclenche un chronoscope
que le sujet arrête en donnant sa réponse. Celle-ci consiste à appuyer
sur la clef de Morse située en face de l'image qui correspond à la con-
séquence de la phrase entendue. Par exemple, pour la phrase : "Je
demande que Pierre ne mette pas son chapeau", le sujet doit appuyer
sur la clef de Morse située en face de l'image où Pierre n'a pas son
chapeau. Une lumière s'allume devant la clef de Morse pour permet-
tre à l'expérimentateur de vérifier la clef sur laquelle le sujet a ap-
puyé. A la fin de l'expérience, on pose au sujet deux questions :
Comment avez-vous répondu ?
Avez-vous trouvé un truc ?
Consigne. "L'expérience que nous allons faire consiste à mesurer le
temps de compréhension pour certaines phrases plus ou moins com-
plexes. On va vous montrer deux images, l'une en face de la clef de
Morse à votre droite, l'autre en face de la clef de Morse à votre gau-
che. Ces images représentent un homme, que nous appellerons Pierre.
Sur ces images, il y a des détails qui diffèrent : par exemple, sur une
des images, l'homme a une écharpe, sur l'autre il n'en a pas, il en
est de même pour le manteau, le chapeau, la pipe. Vous devez vous
souvenir de ces détails et de la position de l'image - image de gauche
ou de droite - sur laquelle ils se trouvent. On vous montre ces images
aussi longtemps que vous le voulez. Après cela, vous entendrez une
phrase qui se présente sous la forme d'un ordre, d'une exigence et
vous devez indiquer, en appuyant sur la clef de Morse, quelle image
correspond au résultat de l'ordre : par exemple, si c'est à l'image
de gauche vous appuyez à gauche ; si c'est l'image de droite vous ap-
puyez à droite. Les deux images peuvent être conformes et dans ce
cas vous appuyez sur les deux clefs. Je répète : vous indiquez l'image
qui correspond au résultat de la phrase entendue. Par exemple, si
vous entendiez : 'Je veux que vous marchiez', vous indiquez celle des
deux images qui représente un homme en marche et non un homme
arrêté."
Avant de commencer l'expérience, le sujet reçoit un entraînement
avec cinq phrases. L'expérimentateur le corrige en cas d'erreur. Pour
neutraliser le rôle de la latéralisation, la même image est présentée
soit à droite, soit à gauche pour les sujets recevant la liste de phrases
dans le même ordre.
Sujets. Vingt-quatre sujets adultes étudiants payés pour l'expérience.
Méthode d'analyse. Nous ne présenterons ici que l'analyse des phra-
ses 1 à 8. Les phrases avec une transformation syntaxique dans la
première proposition ne sont pas homogènes aux autres quant à la
tâche à effectuer puisqu'elles autorisent l'une ou l'autre des réponses
ou les deux. L'analyse des résultats sera donc faite dans le complé-
ment aux Expériences IV et V.
L'analyse des résultats porte donc sur les huit phrases (1 à 8)

94
requérant une réponse univoque.
Nous n'avons pas exclu les temps de réaction correspondant à
des réponses erronées. En effet, dans ce type d'expérience où un su-
jet répondant au hasard a une chance sur deux de donner une réponse
correcte, nous ne pouvons éliminer l'hypothèse que parmi les répon-
ses correctes - comme parmi les réponses fausses - il y a des r é -
ponses où sont entrés en jeu des facteurs non pertinents.
D'autre part, il est prévu une analyse du taux des e r r e u r s dont
on fait l'hypothèse qu'il sera correllé à la complexité des phrases.
Ce serait donc biaiser les résultats que de ne pas tenir compte du
temps de calcul des phrases qui ont donné lieu à des réponses non
correctes.
Cependant, on peut indiquer qu'il n'y a pas de différence dans
la hiérarchie des moyennes de temps de réaction pour chacune des
phrases lorsqu'on tient compte des seules réponses correctes et lors-
qu'on prend en considération toutes les réponses.

4 . 4 . 3 . Analyse des résultats

Le tableau m indique le temps mis par les vingt-quatre sujets pour


donner leur réponse aux différents types de phrases. Les temps de
réponses ont également été étudiés sujet par sujet. Ces données ont
été examinées avec des analyses de variances de type F' et F "
Tableau HI. Temps de réponses pour les différents types de phrases
PHRASES
1ère 2e Temps de Moyenne
proposition proposition réaction (en
milliseconde)
Syntaxe Verbe Syntaxe Verbe
+ + + + 17.332 0.713
+ + - + 19.369 0.807
+ + + - 25.529 1.063
+ - + + 29.700 1.237
+ + - - 31.158 1.297
+ - - + 50.010 2.083
+ - + - 52.041 2.168
+ - - - 131.023 5.459

L'analyse de variance globale montre un effet hautement signifi-


catif dû à la nature des phrases présentées :
F (7,161) = 10.50 p < .001

95
Cependant, les variations inter-sujets jouent aussi :
F (23,161) = 1.80 p < .05
Le facteur nombre de négation a un effet déterminant :
F (1,23) = 15,24 p < .001
Si l'on teste la phrase avec 3 négations contre les phrases avec 0,1
ou 2 négations, soit : N 0, N I , N 2 contre N 3, le résultat est hau-
tement significatif :
NO, N I , N 2 - N 3 F (1, 161) = 64, 75 p < .001
La présence d'une ou deux négations rend les phrases plus longues
à calculer :
N 0 - N 1, N 2 F' (1,161) = 5, 98 p < .05
Par contre, les temps de réaction pour l'ensemble des phrases à
une négation ne diffèrent pas significativement du temps mis pour la
phrase sans négation :
N 0 , N 1 = F' (1,161) = 0,99, NS
Cependant, pour toutes les phrases incluant une négation, ces
temps de réaction sont supérieurs à ceux de la phrase sans négation.
Les comparaisons spécifiques ont porté sur les trois facteurs A,
B, C et sur leur interaction :
Le facteur A : la valeur du verbe performatif (quelle que soit la
forme syntaxique et le verbe de la subordonnée) ;
Le facteur B : la forme syntaxique de la subordonnée ;
Le facteur C : la valeur du verbe de la subordonnée.
La méthode des contrastes a été utilisée pour analyser le rôle
des différents facteurs. On a utilisé les contrastes sur groupe avec
bases orthogonales pour chaque comparaison spécifique.
Les groupes sont constitués de façon à n'avoir comme variable
que le seul facteur à étudier. Comme la phrase avec trois négations
est à elle seule responsable d'un temps de latence significativement
plus grand, nous ne l'avons pas introduite dans les groupes de con-
trastes et, pour chaque comparaison spécifique, nous avons éliminé
la phrase qui lui était appareillée.
Facteur A : Lorsque les phrases sont introduites par une propo-
sition dont le verbe est un verbe à négation inhérente, le temps de
latence est significativement plus grand :
F'(1-23) = 33,40 p<.001
Facteur B : La syntaxe négative de la deuxième proposition in-
troduit un effet significatif à un degré moindre :
F ' (1-23) = 6, 51 significatif à p < .05
Facteur C : L'action due à la valeur sémantique du verbe de la
deuxième proposition donne un effet :
F' (1-23) = 15,02 significatif à p <.01
4.4.3.1. Etude des interactions. L'interaction des trois facteurs

96
A x B x C n'est pas significative :
A x B x C = F' (1-23) = 3, 09 NS
L'interaction du verbe à négation inhérente dans la première propo-
sition et d'une syntaxe négative dans la deuxième proposition, soit
l'interaction de A x B est significative :
A x B = F ' ( 1 - 2 3 ) = 15,58 p < .01
L'interaction du verbe de la première proposition et du verbe de la
deuxième proposition est également significative :
A x C = F ' (1-23) = 5, 59 p < .05
L'interaction de la syntaxe négative et d'un verbe négatif dans la
deuxième proposition, soit l'interaction des facteurs n'est pas signi-
ficative :
B x C = F' (1-23) = 4,23 NS
Donc, pour les doubles négations, l'effet des négations interproposi-
tionnelles est plus important que celui des négations intraproposition-
nelles, et la négation due à un verbe performatif négatif est à l'ori-
gine de cet effet.
4.4.3.2. Erreurs. Le tableau IV indique le nombre d'erreurs pour
chaque phrase. L'analyse des erreurs dans une tâche axée sur la me-
sure du temps de latence pour répondre, est toujours complexe. Par
exemple, nous avions compté comme erreurs les réponses fausses
même si après avoir appuyé sur la clef de Morse, le sujet se repre-
nait en disant "je me suis trompé" ; il y a eu 32 erreurs pour un to-
tal de 192 réponses, sur ces 32 erreurs, il y a eu 10 "reprises" de
ce genre. Quatre sujets seulement n'ont commis aucune erreur.

Tableau IV. Nombre de réponses correctes

Type des phrases Nombre de réponses correctes


S V S V

+ + + + 23
+ + - + 21
+ + + 19
+ - + + 24
+ + - - 20

+ - - + 19
+ - + - 18
+ - - - 10

Le nombre des erreurs est particulièrement important pour la


phrase avec trois négations. Pour cette phrase, la répartition des

97
réponses données par les sujets n'est pas différente de celle qu'on
obtiendrait avec un tirage dans une urne équiprobable. Il y a 14 er-
reurs sur 24 réponses.
Les phrases avec deux négations sont à l'origine de plus de ré-
ponses erronées que les phrases à une négation. On remarque que
la phrase + + + - donne lieu à plus d'erreurs que la phrase + + - +.

4 . 4 . 4 . Heuristiques des sujets

Les sujets ont été interrogés après l'expérience. La plupart des su-
jets ont remarqué un problème dû aux négations, et ont estimé que
les doubles négations sont difficiles. Un certain nombre de sujets
fait remarquer que les phrases avec les verbes interdire refuser
sont plus difficiles surtout "lorsqu'il y a une négation après".
Les sujets (20 sur 24) ont dit n'avoir eu aucun "truc" pour cal-
culer les phrases. Certains ajoutent toutefois que deux négations
"font" une affirmation. Un certain nombre donnent des exemples et,
dans ce cas, il est fréquent qu'ils ne tiennent pas compte du trait né-
gatif du verbe de la subordonnée. Par exemple, lorsqu'on demande
au sujet un exemple de phrase avec double négation on obtient aussi
bien :
Je refuse qu'il n'enlève p a s . . .
que
J'interdis qu'il n'ait p a s . . .
Le protocole type est : "C'est assez difficile, j'ai été surpris lorsque
les deux négations vont en sens inverse (4) ; il faut réfléchir. Il faut
transposer".
Nous verrons dans l'Expérience V faite avec des enfants que ceux-ci
aussi "transposent", c'est-à-dire font passer la négation de la premiè-
re proposition sur la deuxième proposition. Ce processus est à l'ori-
gine des difficultés éprouvées lorsque la deuxième proposition est né-
gative. Un sujet explique : "Il faut d'abord comprendre la deuxième
partie et ne répondre qu'après être revenu à la première". Cette heu-
ristique a été indiquée par quelques autres sujets adultes. Deux su-
jets nous ont dit avoir converti en vouloir, ne pas vouloir les verbes
performatifs.
Enfin, un sujet seulement dit avoir adopté la stratégie consistant
à "marquer" le caractère positif du détail de l'image puis à compter
le nombre de négations dans la phrase. Par exemple : refuser : une
négation, n e . . .pas : une négation, enlever : une négation. Puis à ap-
pliquer le nombre de négations sur le signe de l'image et à indiquer
celle où le détail était codé selon le même signe. Ce sujet n'a com-
mis aucune erreur.
L'analyse des temps de réaction des réponses, sujet par sujet,
indique
- qu'aucun sujet n'est aberrant pour le facteur A, c'est-à-dire
qu'aucun sujet, même non compte tenu de la phrase avec trois néga-
tions, n'a répondu plus rapidement à l'ensemble des phrases intro-

98
duites par un verbe performatif positif ;
. - qu'un seul sujet a donné un temps plus rapide pour la phrase
avec trois négations ; le temps des autres étant proche de celui don-
né par l'analyse globale.

4 . 4 . 5 . Discussion

Il y a un lien entre la vitesse de compréhension d'une phrase et sa


structure syntaxique ou lexicale négative. Notre hypothèse que la né-
gation lexicale aurait un effet sur la vitesse de compréhension des
phrases est renforcée par cette expérience. En effet, les trois sor-
tes de négations que nous avons étudiées sont à l'origine d'un accrois-
sement des temps mis pour répondre. Cependant, quoique cet effet
se retrouve pour les trois types de négations, lorsqu'il n'y a qu'une
négation dans la phrase, l'accroissement des temps de réaction n'est
pas significativement différent des temps mis pour répondre à la
phrase affirmative. Les différences de temps sont significatives
lorsqu'on regarde chacun des facteurs combiné avec un autre type
de négation. En effet, la combinaison de négations accroît la diffi-
culté de façon significative quel que soit le type de négation qui entre
en combinaison. Une phrase syntaxiquement négative avec un verbe
à trait sémantique négatif est calculée de façon différente d'une phra-
se syntaxiquement négative avec un verbe positif.
L'introduction d'une troisième négation, qu'elle soit syntaxique
ou lexicale, rend la phrase incalculable : 14 erreurs sur 24. Des ré-
sultats semblables - avec des formes négatives différentes - ont été
obtenus par G. Miller et S. Isard (1964) dans la mémorisation de
phrases négatives enchâssées, et par A. Sherman (1970) pour la
compréhension des phrases.
L'effet du verbe négatif dans la première proposition est le plus
important. Il est supérieur à celui de la négation syntaxique de la su-
bordonnée et à celui d'un verbe TSN dans la subordonnée. Dans la
littérature, on peut trouver un certain nombre d'arguments qui pour-
raient justifier cet effet.
a) La négation de type refus induit à des temps de latence supé-
rieurs (R. Eiffermann 1961).
b) Les verbes performatifs à négation inhérente sont des verbes
complexes. Ils admettent plusieurs complémentations et leur marque
implicite entraîhe des contraintes syntaxiques. Certains auteurs ont
pu montrer que plus un verbe était complexe, plus le temps de recher-
che nécessaire pour calculer la phrase est long (J. Fodor, M. Garret,
T. Bever 1968 ).
c) Plus le champ de la négation est grand, plus le temps mis pour
comprendre et vérifier la phrase est grand. Dans le cas de verbes
performatifs négatifs introduisant des clauses subordonnées, la néga-
tion porte sur "tout ce qui suit". Les temps de réponse induits par
ce type de négation doivent être plus longs que ceux induits par une
négation de constituant.
d) Il y aurait calcul simultané de la structure et de la significa-
tion à l'intérieur d'une proposition alors qu'il y aurait calcul séquen-

99
tiel - avec récurrence - entre deux propositions. Dans le cas où la
première proposition inverse le sens de la deuxième le temps mis
pour ce calcul récurrent serait nettement augmenté. Cette proposi-
tion, qui peut être considérée comme complétant l'hypothèse précé-
dente, permet de rendre compte des différences de temps moyen de
vitesse entre la phrase + + - - d'une part et les phrases + — + et
+ - + - d'autre p a r t . Les sujets ont d'ailleurs fréquemment mention-
né avoir utilisé un type de calcul de ce genre.
Il est probable que plusieurs de ces facteurs restent en jeu et
que le rôle des aspects de la négation est particulièrement important
pour expliquer le traitement de l'information.
On peut opposer d'autres hypothèses liées à la situation expéri-
mentale où une tâche de vérification est liée à la compréhension de
la phrase.
La détermination de la réponse à donner suivant que celle-ci
est indiquée par l'énoncé d'état de fait ou par l'intermédiaire de l'é-
nonciation. H pourrait avoir également un artefact dû à une interfé-
rence avec le codage des indices à vérifier. En effet si le sujet code
les détails des images de façon binaire soit à un X / n ' a pas de X,
l'emploi de verbes tels qu'enlever, Ôter pourrait obliger les sujets
à substituer à ces verbes leurs paradigmes avoir/ne pas avoir. Les
f o r m e s explicites proches de l'encodage seraient plus simples à cal-
culer.

4 . 4 . 6 . Conclusion

Le principal facteur influant sur la vitesse de compréhension des


phrases est le nombre de négations quelle que soit l'origine de la
négation.
L'addition d'une négation à une phrase affirmative a un effet
moindre que l'addition d'une négation à une phrase qui comprend dé-
jà une ou plusieurs négations.
L'addition d'une troisième négation introduit un accroissement
t r è s important du temps mis pour répondre, et du nombre des e r r e u r s .
L'effet de chaque type de négation n'est pas le même. Le trait
négatif inhérent du verbe de la première proposition est à l'origine
des temps de réponse les plus élevés.
La négation de la première proposition combinée avec une néga-
tion de la subordonnée accroît le temps mis pour répondre plus que
ne le font deux négations dans la subordonnée.

100
4.5. EXPERIENCE V

4 . 5 . 1 . Hypothèses

L'Expérience IV a montré que la compréhension de phrases par les


adultes était affectée par le nombre de négations comprises dans une
phrase ; que les négations interpropositionnelles étaient plus difficiles
à calculer que les négations intrapropositionnelles ; que l'addition
d'une troisième négation était à l'origine - malgré des temps de cal-
cul très longs - d'un grand nombre de réponses erronées.
Cependant, cette expérience ne nous a pas permis de savoir si
c'est le verbe à négation inhérente en tant qu'item lexical, ou le fait
qu'il y a modification d'une deuxième proposition qui est à l'origine
des temps de réponses plus élevés pour les phrases avec refuser
ou interdire dans la première proposition.
L'Expérience V a pour but : de vérifier si on retrouve les mêmes
effets chez les enfants ; de comparer l'effet d'une négation syntaxique
et lexicale dans la première proposition ; de déterminer les stratégies
utilisées par les enfants pour calculer des phrases négatives.
Nous utilisons un matériel comparable à celui de l'Expérience IV
en ajoutant le verbe modal vouloir de façon à obtenir des phrases com-
portant une négation syntaxique dans la première proposition et ayant
le même sens que celle avec refuser.
La procédure a été également modifiée de façon à faire produire
aux enfants des énoncés permettant d'étudier comment sont redites
les phrases présentées, et quelles sont les productions les plus natu-
relles.

4 . 5 . 2 . Technique

Sujets. Vingt-six sujets de deux classes de cours préparatoire d'une


école communale de garçons du 15e arrondissement de Paris. Les
enfants sont âgés de 6 ans à 6 ans 10 mois, l'âge moyen est de 6 ans
6 mois. On a dû éliminer quatre sujets (nos. 10 - 15 - 18 - 26) pour
non-compréhension de la consigne, réponses non conformes à la con-
signe ou interruption de l'expérience.
Procédure. On présente aux sujets deux images simples qui diffèrent
par deux détails sur lesquels on attire l'attention de l'enfant. Une des
images représente "le monsieur qui a obéi" à la phrase de l'expéri-
mentateur. L'expérimentateur lit la phrase et l'enfant doit indiquer
l'image qui correspond.
Tous les sujets entendent toutes les phrases mais il y a deux va-
riantes expérimentales. Un groupe d'enfants doit redire la phrase
entendue après avoir indiqué l'image. Dans l'autre groupe, les en-
fants ne redisent pas les phrases mais sont invités à la fin des vingt

101
phrases à prendre la place de l'expérimentateur et à produire des
phrases semblables à celles qu'ils ont entendues durant l'expérience
tandis que l'expérimentateur joue le rôle du sujet.
Avant l'expérience, les enfants sont entraînés avec les quatre
mêmes phrases qui avaient servi à l'entraînement des adultes.
Le matériel a été légèrement modifié : on a employé seulement
un verbe performatif à négation inhérente: refuser, un verbe à trait
sémantique négatif: enlever ; les verbes non marqués sont : deman-
der et mettre ; le verbe vouloir a été employé dans la première
proposition. La première proposition est au passé composé : cela,
pour indiquer un ordre temporel facilitant la compréhension de la
tâche. On a donc utilisé : "j'ai demandé que Pierre mette son cha-
peau" plutôt que : "je demande que Pierre mette son chapeau".
On a donc ainsi seize phrases auxquelles ont été jointes les qua-
tre phrases permissives utilisées avec les adultes. Ces phrases se-
ront analysées avec celles des adultes.
Consigne. "Tu vas faire - avec nous - une sorte de petit jeu. Nous
voulons voir si tu peux répondre vite et bien. Ce n'est pas un examen.
C'est pour voir ce que peuvent comprendre des enfants. On va te mon-
trer des images d'un Monsieur qu'on va appeler Pierre. Sur une ima-
ge, il y a un chapeau, sur l'autre non ; sur une, il a une écharpe, un
manteau, sur l'autre non. Ce sont ces trois choses seulement qui
changent : le chapeau, l'écharpe, le manteau. Après, on va te dire
une phrase qui dit comment le Monsieur doit être. Tu écoutes bien
et tu indiques le plus vite possible quelle est l'image où le Monsieur
est comme il est dit dans la phrase. Si tu veux, on peut dire : l'ima-
ge où le Monsieur a déjà obéi à ce que j'ai dit. Ce peut être les deux
images. On va s'entraftier un peu pour que tu comprennes bien : Tu
vois ces dames. Si je dis :
J'aime qu'une dame ait un collier, laquelle tu me montres ?
Si je dis :
Je n'aime pas du tout voir une dame fumer, laquelle tu me
montres ?
Fais bien attention il y a des phrases très faciles et d'autres un peu
plus difficiles. Alors écoute bien."

4 . 5 . 3 . Analyse des résultats

Par réponses correctes, on entend les réponses où le sujet a désigné


l'image correspondant à la conséquence de la phrase entendue. Par
erreurs, nous entendons les réponses portant sur l'autre image.
Il n'y a pas eu chez les enfants de réponses indiquant les deux
images ou aucune des deux. Les temps de réaction ont été pris au
chronomètre. Ils servent de donnée complémentaire.
Le tableau V indique le nombre de réponses correctes et d'er-
reurs par type de phrases. C'est-à-dire par phrases ayant les mêmes
subordonnées et le même nombre de négations dans la première pro-

102
position, sans tenir compte de la différence de négation entre ne pas
vouloir et refuser •
Pour cette analyse, on a nommé correctes les réponses justes
pour les deux phrases du même type et incorrectes les réponses où
le sujet s'est trompé à l'une et/ou l'autre des deux phrases.
Tableau V. Réponses correctes par type de phrases
1ère 2e Réponses Erreu
proposition proposition correctes
Syntaxe + Verbe Syntaxe Verbe
M (5) + + 21 1
(+) + 22 0
(+) + 21 1
(+) - 18 4
(-) + + 16 6
(-) + 9 13
(-) + 3 19
(-) - 3 19

4 . 5 . 3 . 1 . Rôle du nombre de négations. La différence de compréhen-


sion mesurée, au nombre d'erreurs commises par les sujets, n'est
pas significative entre les phrases sans négation, avec une négation
ou deux négations dans la subordonnée. Le taux de compréhension
pour toutes ces phrases est compris entre 75 % à 100 % de réussite.
On remarque cependant un plus grand nombre d'erreurs pour les
phrases avec deux négations dans la subordonnée et pour les phrases
où la négation est due à la première proposition. Les phrases avec
une négation dans chacune des deux propositions donnent lieu à plus
d'erreurs que les phrases sans négation, avec une négation ou avec
deux négations dans la subordonnée.
Si on compare les phrases avec des négations interproposition-
nelles et les phrases sans ou avec une négation, on trouve une diffé-
rence significative. On trouve, de même, une différence significa-
tive entre les phrases avec deux négations dans la subordonnée et
les phrases avec une négation dans la première proposition et une
négation dans la deuxième proposition.
Pour comparer les résultats de deux phrases, on a compté pour
chaque sujet le nombre de réponses correctes à une phrase et incor-
rectes à l'autre. On a utilisé l'épreuve de signification de la diffé-
rence pour échantillons appareillés de McNemar.
Ainsi, si l'on compare les phrases (+) — et les phrases
(-) + - et (-) - +, on trouve pour :
( + ) - - / (-) - +
X 2 = 15, 1 dl p < .001

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104
Pour les phrases :
( + ) - - / (-) + -
X 2 = 6,87, 1 dl p < . 01
Par contre, il n'y a pas de différence entre les phrases avec deux
négations interpropositionnelles :
(-) - + / ( - ) + -
X 2 = 1,4, 1 dl, NS
Si l'on ajoute une négation, la phrase devient encore plus complexe ;
la phrase avec trois négations est significativement différente de
toutes les phrases avec 0, une ou deux négations excepté la phrase
+ — +.
Pour une analyse plus fine, nous avons analysé les résultats
phrase par phrase en séparant les phrases avec vouloir/ne pas vou-
loir des phrases avec demander/refuser. Le tableau VI donne le
nombre de réponses correctes et le nombre d'erreurs phrase par
phrase. Nous avons comparé toutes les phrases deux par deux par
la méthode déjà utilisée.
4 . 5 . 3 . 2 . Rôle des verbes
Demander / vouloir
Le fait que la première proposition soit construite avec demander
ou vouloir n'amène aucune différence dans le pourcentage de réussite
entre deux phrases ayant la même subordonnée. De même, l'ensem-
ble des phrases introduites par demander n'est pas différent de l'en-
semble des phrases introduites par vouloir.
Refuser / ne pas vouloir
Le fait que la première proposition est "Je ne veux pas" conduit
à plus de réponses correctes que lorsque cette première proposition
est "J'ai refusé".
La différence n'est toutefois significative que si l'on regarde
l'ensemble des phrases introduites par ne pas vouloir et l'ensemble
des phrases introduites par refuser :
X 2 = 3, 40, 1 dl, significatif à p < . 5
Si l'on compare, phrase par phrase, les phrases du même type
(c'est-à-dire : qui ont une subordonnée identique), il n'y a pas de dif-
férence significative :
SVSV S V S V (6)
+ - + + / - + + +
2
X = 2,66, 1 dl, NS
+-+- / +-+-

X 2 = 0, 4 NS, 1 dl, NS
+ — + / + — +
2
X = 3, 57, 1 dl, significatif à p < . 10
+- - - / +- - -

X 2 = 0, 57 NS, 1 dl, NS
105
Ne pas vouloir ou refuser / ne pas mettre ou enlever
' Une négation dans la première proposition, quel que soit son type,
donne lieu à plus d'erreurs que la négation syntaxique de la subordon-
née ou que la présence dans celle-ci d'un verbe à trait sémantique né-
gatif.

4 . 5 . 4 . Heuristiques des sujets

4 . 5 . 4 . 1 . Répétition. Lorsque les enfants répètent ou explicitent la


phrase entendue, il est possible de définir des stratégies très nettes.
Les enfants, en laissant ou non tomber la première partie de la phra-
se, transfèrent - quand il y en a une - la négation de la première pro-
position sur la deuxième proposition. Que la première proposition
soit "je ne veux pas" ou "j'ai refusé" n'influe pas sur la procédure.
Exemples :
E.L. (6 ans).
Phrase stimulus : j'ai refusé que Pierre mette son chapeau
Répétition : Pierre met pas ton chapeau
P.K. (6 ans 6 mois).
Je ne veux pas que Pierre enlève son manteau
Je veux qu'il mette pas
T.V. (6 ans 8 mois)
J'ai refusé que Pierre mette son chapeau
Ça veut dire que Pierre met pas son chapeau.
Lorsqu'il y a une négation syntaxique dans la subordonnée, cette pro-
cédure amène à des erreurs systématiques. En effet, tout se passe
comme si les enfants ne transféraient pas la négation de la première
proposition sur la deuxième car celle-ci contenant déjà un ne. . .pas
les enfants sont incapables de combiner les deux ne.. .pas.
Exemples :
T.V. (6 ans 8 mois).
Je ne veux pas que Pierre ne mette pas son chapeau
Je veux que Pierre ne met pas le chapeau
ou de combiner refuser avec ne. . .pas :
M. C. (6 ans 7 mois)
J'ai refusé que Pierre ne mette pas son chapeau
Pierre met pas son chapeau
Aucun exemple ne donne à penser que l'enfant transfère la négation
de la principale sur la subordonnée et la combine avec une négation
de la subordonnée. Aucun exemple, non plus, n'indique une suppres-
sion des négations lorsqu'elles s'annulent. Il n'y a aucune répétition
de phrase de type a) en phrase de type b).
Les phrases comme :

106
a) Je ne veux pas ne mette pas
que Pierre son chapeau
Je refuse n'enlève pas
ne sont jamais répétées sous la forme :
b) Je demande mette
que Pierre son chapeau
Je veux enlève
L'application de la négation sur un verbe à trait sémantique néga-
tif ne pose pas le même problème.
Sept enfants sur neuf ont répété avec un sens correct des phra-
ses :
Je ne veux pas qu'il enlève
Je refuse qu'il enlève
soit sous la forme mot à mot, soit en transférant :
Pierre n'enlève pas
Je veux que Pierre n'enlève pas
Il faut cependant remarquer qu'il y a un certain nombre d'erreurs
dans les réponses : ce qui montre qu'une répétition correcte n'est
pas forcément représentative de la compréhension. D'autre part,
certains enfants ont répondu correctement tout en répétant incorrec-
tement.
On a trouvé beaucoup de substitutions lexicales, les verbes syn-
taxiquement niés étant remplacés par des verbes à traits sémantiques
négatifs ou par des verbes positifs ; ainsi, C.B. (6 ans 10 mois),
pour la phrase : "J'ai refusé qu'il enlève.", dit : "Pierre garde son
chapeau" et pour la phrase : "Je demande qu'il n'enlève pas", dit :
"Je demande qu'il garde".
Ne pas mettre a été remplacé par enlever dans trois cas. D'autre
part, 'Ue veux" a été substitué fréquemment à "J'ai demandé".
4 . 5 . 4 . 2 . Production. Nous rangeons sous cette rubrique les phrases
dites par les onze enfants qui se sont substitués à l'expérimentateur
à la fin de l'expérience.
Ces enfants n'ont, en général, jamais été capables de faire va-
rier les phrases en changeant à la fois la première et la deuxième
proposition. Le plus souvent, ils gardent une des propositions et font
varier l'autre en changeant le lexique :
Je veux qu'il mette
Je veux qu'il enlève
Un enfant n'a utilisé que des formes affirmatives. Cinq enfants n'ont
utilisé qu'un type de négation, soit le verbe enlever. Deux enfants
n'ont utilisé qu'une négation par phrase mais en la faisant varier.
Dans ce cas, les seules négations utilisées ont été : "enlever", "Je
refuse", "Je ne veux pas". Un enfant a utilisé des phrases avec deux
négations : "Je ne veux pas qu'il enlève". Un enfant a utilisé trois né-
gations, c'est-à-dire a produit des phrases à deux négations lexicales
et une syntaxique : "Je n'ai pas refusé qu'il enlève", "J'ai demandé

107
qu'il enlève pas".
Ainsi, il n'y a eu qu'un enfant produisant des phrases avec une
négation syntaxique dans la subordonnée. Cependant, chaque fois qu'a-
près avoir répondu en indiquant l'image correspondante, l'expérimen-
tateur a demandé : "C'est ça que tu as demandé ?, Qu'est-ce que tu
disais ?". Pour expliquer sa demande, l'enfant produisait une phra-
se où il transférait la négation de la première proposition sur la deu-
xième :
T.G. (6 ans 6 mois).
Je ne veux pas'qu'il enlève son chapeau
L'expérimentateur montre le monsieur avec un chapeau :
C'est bien ça ? C'est ça que tu as demandé ?
T.G. :
Oui, je veux qu'il l'enlève pas.

4 . 5 . 5 . Conclusion

La compréhension des phrases est affectée par le nombre de néga-


tions, particulièrement quand celles-ci sont interpropositionnelles ;
les phrases avec trois négations sont les plus complexes.
L'utilisation de "Je ne veux pas" conduit à des temps de réponses
un peu plus longs que "Je refuse", mais le nombre de bonnes réponses
est supérieur.
On peut avancer que les enfants calculent séquentiellement les
phrases faisant porter, quand il y en a une, la négation de la premiè-
re proposition sur la seconde proposition.
Quand cette deuxième proposition est syntaxiquement négative,
les enfants ne convertissent pas la double négation en une affirmation,
mais négligent une des négations. Il y a donc une erreur systémati-
que.
Quand les enfants doivent produire des phrases, ils produisent
le plus souvent des phrases affirmatives ou avec une seule négation.
Celle-ci est syntaxique ou lexicale dans la première proposition, et
toujours lexicale dans la deuxième proposition.
Dans la production, la négation porte sur l'énonciation tandis
que lorsque l'enfant rëpète ou commente la phrase présentée, il fait
porter la négation sur l'état de fait mentionné.

108
4.6. ANALYSE DES PHRASES PERMISSIVES PRESENTEES LORS
DES EXPERIENCES IV ET V

4 . 6 . 1 . Hypothèses

On a présenté aux vingt-quatre adultes, qui ont été sujets de l'Expé-


rience IV et aux vingt-deux enfants sujets de l'Expérience V, des
phrases où la négation syntaxique porte sur le verbe performatif de
la première proposition (7). Nous avons appelé ces phrases permis-
sives puisque la forme de l'énonciation permet aux sujets de ne pas
être contraints dans la réponse à donner. Dans le cadre expérimen-
tal choisi, cela impliquait que l'on pouvait indiquer les deux images
comme correspondant à la conséquence de la phrase entendue. Par
exemple une phrase comme :
Je ne refuse pas que Pierre mette son chapeau
permet de désigner soit l'homme avec un chapeau soit l'homme sans
chapeau.
On peut donc poser en première hypothèse que les sujets dégageant
le caractère non contraignant de la phrase présentée indiqueraient les
deux images comme valables (8).
Si cette hypothèse se vérifiait, nous devrions obtenir des réponses
où les sujets indiqueraient comme valables les deux images. On pour-
rait également obtenir une répartition à peu près égale des réponses
sur l'une ou l'autre image. Cependant la technique expérimentale choi-
sie implique une tâche de vérification. Nous pensons que cette tâche
peut jouer un rôle et pousser les sujets à indiquer la réponse la plus
probable même si ils réalisent que les deux images sont valables.
Ainsi, tout en ne confirmant ni n'infirmant l'hypothèse que le su-
jet réalise le caractère permissif des phrases, on peut obtenir des
réponses portant sur l'image correspondant à l'interprétation privi-
légiée de la phrase en fonction des présupposés. En effet pour une
phrase telle que :
Je ne demande pas que vous enleviez votre chapeau
il y a pré supposition donnée par l'item verbal (9) "que vous ayiez vo-
tre chapeau". Bien entendu, la conséquence de la phrase présentée
peut être que vous enleviez ou vous gardiez votre chapeau, mais l'in-
sertion normale d'une telle phrase dans un dialogue amènerait plus
naturellement à ce que vous le "gardiez", puisqu'il est présupposé
que vous l'avez et que je vous le permets.
Si l'on adopte cette conception on peut prédire que :
- Dans la phrase 1, la non-obligation de mettre serait interpré-
tée comme la permission (implicitement demandée) de n'avoir pas,
pour un sujet dont on présuppose, qu'il n'a pas. Ce serait donc l'i-
mage de l'homme sans chapeau qui serait indiquée.
- Dans la phrase 2, la non-obligation d'enlever serait interprétée
comme la permission (implicitement demandée) d'avoir, pour un su-
jet dont il est présupposé qu'il a déjà. L'image de l'homme avec un

109
chapeau serait indiquée dans ce cas.
- Pour la phrase 3, la non-interdiction de mettre serait interpré-
tée comme la permission (implicitement demandée) d'avoir, pour un
sujet dont il est présupposé qu'il a déjà. L'image indiquée serait a-
lors celle de l'homme avec chapeau.
- Dans la phrase 4, la non-interdiction d'enlever serait interpré-
tée comme la permission de n'avoir pas, pour un sujet qui, sans
doute, n'a déjà pas. L'image indiquée serait, dans ce cas, celle de
l'homme sans chapeau.
On peut faire également l'hypothèse que les sujets combinent le
nombre de négations et indiquent l'image qui correspond au résultat
de ce "calcul" de type algébrique où sont pris en considération les
négations syntaxiques, les marques inhérentes et les traits séman-
tiques des verbes. Dans ce cas on prédirait pour les phrases :
Syntaxe Verbe Syntaxe Verbe Réponse
1. - + + + - (sans)
2. - + + - +(avec)
3. - + - + + (avec)
4. - - - - - (sans)
Nous obtenons donc les mêmes prédictions qu'avec l'hypothèse pré-
cédente, cependant dans le cas du calcul, ces prédictions sont plus
coercitives.

4 . 6 . 2 . Analyse des résultats et discussion

Le tableau VII indique, pour chaque phrase, le pourcentage des ré-


ponses portant sur chacun des choix possibles.
Les résultats obtenus diffèrent significativement de ceux que l'on
obtiendrait si l'hypothèse que les sujets répondent en marquant la va-
leur permissive de la phrase, était vérifiée. Quand il s'agit de sujets
adultes, on doit repousser cette hypothèse pour toutes les phrases :
1. X 2 = 18, 5, 2 dl sign. à p <.001
2. X 2 = 13 2 dl sign. à p < . 001
2
3. X = 27, 5, 2 dl sign. à p < . 001
4. X 2 = 27, 5 2 dl sign. à p < .001
Il y a donc tendance systématique à indiquer une image en fonction
de la phrase présentée.
Ces résultats sont compatibles avec les hypothèses 2 et 3. Si,
en nous rapportant aux données de l'Expérience IV, nous admettons
qu'un certain nombre de sujets a pu commettre des erreurs, nous
ne pouvons écarter l'hypothèse d'un calcul des phrases.
Cependant, deux remarques peuvent nous amener à préférer l'in-
terprétation donnée par l'hypothèse 2. En effet, nous trouvons pour
la phrase 2, un pourcentage non négligeable de réponses où les su-
jets ont indiqué les deux images comme valables. Nous avions dit
que ce comportement n'était pas incompatible avec un processus gé-

110
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néral de décisions en fonction des présuppositions.
D'autre part, le nombre des erreurs trouvées au cours de l'Expé-
rience IV pour la phrase avec trois négations était de 14 sur 24 ré-
ponses. Ici nous trouvons pour la phrase avec trois négations un ac-
cord de 75 % des sujets, cela peut renforcer l'idée que les sujets
ayant pris conscience de la valeur permissive donnée par la premiè-
re proposition, n'ont pas traité cette phrase comme une phrase com-
plexe à trois négations.
Le résultat le plus intéressant est cependant fourni par la compa-
raison des réponses données par les adultes avec celles des enfants.
Alors que les données des Expériences IV et V étaient comparables,
on voit ici qu'il y a un traitement différent pour les phrases 3 et 4.
Nous pensons que les enfants n'ont pas compris la valeur permis-
sive de la phrase et ont, eux, calculé leur réponse d'après le nom-
bre de négations. Lorsque la phrase présente deux négations, il y a
erreur dans le calcul. Cette erreur est systématique dans le cas de
la phrase avec trois négations.
Le pourcentage des réponses se distribue de façon égale sur les
deux images pour la phrase avec une négation syntaxique, dans cha-
cune des propositions. Si on rapproche cette donnée du résultat ob-
tenu dans l'Expérience V pour les phrases avec deux négations inter-
propositionnelles, on s'aperçoit que pour celles-ci nous obtenions de
8 à 15 erreurs sur 22 réponses (tableau VI). Pour les phrases avec
trois négations, nous obtenions 15 et 17 erreurs sur 22 réponses.
L'hypothèse d'un essai de traitement de ces phrases par un calcul
des négations ne peut être infirmée pour les enfants.
Dans le cas d'un matériel relativement complexe où la négation
n'a pas son rôle fonctionnel usuel, on peut avancer qu'il y a des heu-
ristiques de traitement non pertinentes chez les enfants. Le rôle des
indices syntaxiques paraît être très important et il est possible que
certaines combinaisons du lexique et de la syntaxe ne soient pas com-
prises quand elles annulent la valeur de l'indice syntaxique. Quant à
la possibilité de combiner les négations, nous avons vu qu'elle n'est
pas acquise, dans tous les cas, à 6 ans lorsqu'il s'agit de deux néga-
tions syntaxiques.
Nous pensons qu'un matériel de ce type peut être très utile pour
l'étude des processus par lesquels les usagers de la langue traitent
l'information transmise. Pour les adultes, si l'information trans-
mise est liée à la structure syntaxique et aux caractéristiques des
items utilisés pour le transmettre, ce n'est pas uniquement de façon
"ponctuelle" mais d'une façon qui n'est pas indépendante des possi-
bilités de paraphrases non utilisées pour la transmission de cette in-
formation. Nous rejoignons là le problème du choix de l'énoncé en
liaison avec les pré suppositions nécessaires pour que la phrase choi-
sie transmette l'information. Le problème du comportement linguis-
tique déborde celui de l'analyse des formes syntaxiques et celui de
l'étude des items lexicaux en ce sens que le rôle fonctionnel de cha-
cun d'eux est lié à la classe des énoncés paradigmatiques non choisis.

112
NOTES

1. Nous appelons phrases permissives les phrases pour lesquelles l'énon-


ciation lève toute contrainte au sujet de la conduite à adopter par rapport à
l'état de fait présenté.
2. Les phrases oubliées sont les phrases non redites - même partielle-
ment - lors du rappel.
3. Par là, nous entendons le sens de la relation entre le sujet et l'objet,
donnée par le verbe en tant qu'item lexical. Le fléchage normal d'une phra-
se est sujet—.verbe—»objet où les flèches indiquent le sens de l'action. Le
verbe recevoir par exemple inverse le fléchage normal.
4. Le sujet parle de négation interpropositionnelle.
5. Entre parenthèses nous avons donné la valeur de la première proposi-
tion quel que soit le type de négation. Ainsi, "je veux" et "je demande" sont
indiqués (+) ; "je ne veux pas" et "je refuse" (-). Les signes suivants indi-
quent, le premier la forme syntaxique et le second la valeur du verbe de la
subordonnée.
6. Nous reprenons la notation : syntaxe et verbe de la première proposi-
tion suivie de syntaxe et verbe de la seconde proposition.
7. La technique expérimentale est celle décrite dans les Expériences IV
(adultes) et V (enfants). Les phrases permissives sont :
1. Je ne demande pas que Pierre mette son manteau
2. J e ne demande pas que Pierre enlève son chapeau
3. J e ne refuse pas que Pierre mette son écharpe
4. J e ne refuse pas que Pierre enlève son chapeau.
8. La consigne spécifiait qu'il était possible d'indiquer les deux images si
l'on pensait que toutes deux étaient valables, le sujet n'avait pour cela qu'à
appuyer sur les deux clefs de Morse.
9. Nous pouvons nous référer dans le cas de cette expérience à l'étude
des relations entre verbes inverses pour voir le verbe marqué présupposer
l'état indiqué par le verbe non marqué.

113
CONCLUSION

Je me suis proposé d'étudier certains aspects de l'interaction de la


négation verbale avec les processus d'acquisition, de mémorisation
et de compréhension du langage. Pour ce faire, on a utilisé deux
modes d'approche : d'abord une approche expérimentale en étudiant
l'effet de paramètres syntaxiques et lexicaux dans la mémorisation
et la compréhension d'un certain nombre de phrases ; ensuite une
approche génétique.
Les expériences conduites ont apporté des données de performan-
ce sur la façon dont la connaissance du langage se réalise dans le com-
portement linguistique. En effet, les mécanismes qui se trouvent à l'o-
rigine des performances incluent des heuristiques liées à des proces-
sus psychologiques.
L'approche génétique, elle, permet de voir les liens qui existent
entre les mécanismes générateurs et la compétence. Elle rend possi-
ble l'étude de ce qui peut se réaliser et, au contraire, de ce qui ne
peut pas se réaliser, de ce qui, au cours des étapes de l'acquisition,
peut être exprimé et de ce qui ne peut pas l ' ê t r e .
Les deux modes d'approche entraînent une différence de niveau
dans les conclusions que l'on peut tirer des différentes données obte-
nues. Il convient d'abord de replacer ies données expérimentales
(Expériences II, in, IV, V) dans le cadre d'une problématique plus
générale, qui permettrait de définir les limites des résultats obtenus
mais aussi, ce qu'ils apportent à l'étude de la négation verbale.
Les paramètres étudiés ont été définis à partir de théories linguis-
tiques qui ont permis de spécifier les règles gouvernant la génération
des trois négations choisies.
Deux de ces négations résultent de la présence, à la base, d'un o-
pérateur (Neg). Celui-ci est marqué en surface, soit par un indice
spécifique - n e . . .pas - soit par un verbe à négation inhérente, lequel
indique qu'il "Faut inverser la valeur de la phrase régie par lui. La
troisième négation résulte, non pas d'un opérateur induisant une trans-
formation, mais de la présence d'un verbe qui appartient à un couple
de verbes ayant entre eux des relations d'opposition ou d'inversion.
On a appelé ce verbe, qui est le verbe marqué du couple : verbe à
trait sémantique négatif.
En ce qui concerne les négations transformationnelles (c'est-à-dire
les négations du premier type dues à un opérateur de négation), on est
parti de l'hypothèse que les performances baisseraient lorsque les é -
noncés impliquent des règles supplémentaires. Dans ce cas, le com-
portement serait "expliqué" par les structures linguistiques. Il est

114
clair qu'une telle présentation conduit à assimiler les règles linguis-
tiques à des règles psychologiques. Le comportement verbal est du
domaine de la psychologie et il n'y a aucune raison de le réduire au
seul jeu des règles linguistiques. Il est permis de penser que les
structures de la langue reflètent certains processus cognitifs ou sont
liés à certaines heuristiques perceptives. Mais on ne peut en aucun
cas réduire à ces structures les processus de comportement qui
jouent dans la communication. On reviendra sur ce problème avec
les données génétiques.
C'est donc dans des situations expérimentales qui "réduisent" ou
"ignorent" le rôle de certains paramètres que je pense avoir mis en
évidence les résultats suivants :
A) Les performances des sujets qui mémorisent ou traitent des
informations sont dépendantes des variables syntaxiques et lexicales.
B) Le pourcentage de rappels corrects, dans la mémorisation de
phrases (Expérience II), est moins élevé lorsque celles-ci compor-
tent une négation des deux premiers types : opération ou verbe à trait
sémantique négatif ; par contre le pourcentage est meilleur pour des
phrases affirmatives. L'interaction de négations rend les phrases
encore plus difficiles à mémoriser.
L'Expérience III donne des résultats semblables chez les adultes.
C) La codification en mémoire d'une phrase syntaxiquement néga-
tive se fait avec un indice supplémentaire ; il en est de même, sem-
ble-t-il, lorsque le verbe de la phrase est un verbe à trait sémanti-
que négatif. Les deux types de négations paraissent entraîner une
organisation différente de la mémorisation : en effet, les phrases
syntaxiquement négatives donnent lieu à un pourcentage plus impor-
tant de rappels erronés, les phrases lexicalement négatives à plus
d'omissions.
D) La présence de négations dans une phrase rend le calcul de
cette phrase plus complexe (Expérience III). Il n'y a pas, cependant,
augmentation significative du temps de réponse dans le cas de la pré-
sence d'une seule négation ; qu'elle soit due à un opérateur du type
n e . . .pas ou à un verbe à trait sémantique négatif. Par contre, l'ef-
fet de renonciation négative résultant d'un verbe à négation inhéren-
te, est plus important. L'interaction de deux types de négations rend
les phrases significativement plus difficiles à comprendre. Le temps
de réponse est plus long pour l'interaction d'un verbe performatif que
pour l'interaction d'une négation syntaxique et d'un verbe à trait sé-
mantique .
Bien entendu, lorsqu'une phrase présentée à un sujet comporte
les trois types de négation étudiés ci-dessus, le nombre d ' e r r e u r s
est particulièrement important.
E) Les mêmes résultats sont obtenus pour les expériences faites
avec des enfants de 6 à 7 ans.
F) L'analyse d'une part des résultats, d'autre part des heuristi-
ques des sujets (Expériences III et IV) permet d'émettre l'hypothèse
d'un processus séquentiel. En effet, pour arriver à traiter une phra-
se comportant un verbe performatif négatif qui introduit une complé-
tive affirmative, le sujet doit effectuer cette séquence d'opérations :
- extraire du verbe de la première proposition la négation inhérente ;

115
- coder cette première proposition sous la forme affirmative en y
ajoutant un indice négatif ;
- coder la deuxième proposition ;
- retourner en arrière pour "rechercher" l'indice négatif ;
- ajouter à la deuxième proposition l'indice négatif ;
- vérifier la valeur de l'énoncé affirmatif ;
- inverser cette valeur.
Si le verbe performatif est affirmatif, et par conséquent ne chan-
ge pas la valeur des faits suivants, il n'est pas nécessaire de retour-
ner en arrière pour transférer sa valeur sur la proposition qui suit.
Il en est de même lorsque la négation se trouve dans la subordonnée.
Ce schéma parait expliquer les résultats que nous avons obtenus et
l'ordre de difficultés des phrases. On trouve une séquence semblable
lorsque la phrase comporte des négations interpropositionnelles ; les
opérations sont alors les suivantes :
a) extraire la négation de la première proposition ;
b) coder sous forme affirmative avec l'adjonction d'un indice né-
gatif ;
c) extraire la négation de la deuxième proposition ;
d) coder sous forme affirmative plus un indice négatif ;
e) retourner en arrière pour rechercher l'indice négatif de la pre-
mière proposition ;
f) reporter cet indice négatif sur la deuxième proposition ;
g) vérifier la forme affirmative de la deuxième proposition ;
h) combiner les deux indices négatifs ;
i) appliquer le résultat de h) qui indique qu'il n'y a pas lieu de
changer la valeur obtenue en g).
L'opération exigée en h) pose de nombreux problèmes, particu-
lièrement aux enfants. Ceux-ci, en interprétant les phrases à véri-
fier, redisent la première proposition sous la forme affirmative et
font porter ensuite la négation sur la deuxième proposition. Lors-
que celle-ci est par elle-même négative, il leur est très difficile de
combiner les deux négations et le nombre de leurs réponses erro-
nées est important. Cependant, on pense qu'il faut replacer ces pro-
cessus dans un cadre plus général. La compréhension de phrases
négatives doit poser trois principaux problèmes dont seuls quelques
aspects ont été abordés dans les situations expérimentales.
1) L'extraction de la négation : au delà des problèmes psycholo-
giques et perceptifs qui peuvent se poser (T. Bever 1970), on peut
penser que la forme signifiante codée n'est pas la même suivant les
indices négatifs de la surface.
2) La détermination de la portée de cette négation : cela revient
à spécifier partiellement sa fonction. La portée de la négation n'est
pas la même suivant que cette négation est une négation de terme ou
une négation propositionnelle. Dans un cas, elle porte de façon non
équivoque sur un élément, dans l'autre cas, elle porte sur la propo-
sition et c'est la totalité de la relation exprimée qui est niée. Les
fonctions des divers types de négations varient et diffèrent aussi sui-
vant les relations de contenu des énoncés.
Il semble acquis que l'incidence de la négation est d'autant moins
définie que sa portée est grande. De cela il peut découler que le trai-
tement en sera d'autant plus difficile pour les auditeurs.

116
3) Il y a "recombinaison" de valeurs obtenues et non simplement
"addition" : l'hypothèse d'annulation ou d'additivité de deux négations
par exemple ne peut être soutenue. Une phrase doublement négative
est "plus" ou "autre chose" que la phrase affirmative qui lui corres-
pondrait .
C'est dans cette optique qu'il faudrait reprendre les modèles pour
libérer le jeu des formes d'expressions et analyser les effets sur un
comportement linguistique non indépendant des facteurs pragmatiques
L'analyse génétique présentée complète d'une certaine façon l'étude
expérimentale. Elle permet de rester dans la dimension de langue
naturelle avec, comme limitations, celles que notre subjectivité d'a-
dulte impose sur le "découpage" du monde élaboré par l'enfant. C'est
pourquoi il semble indispensable d'obtenir, même dans le cadre d'u-
ne problématique nécessairement appauvrie, des données expérimen-
tales pour étayer les hypothèses que permet de poser l'étude généti-
que.
Cependant il est aussi nécessaire d'élargir les perspectives expé-
rimentales, non qu'il s'agisse de multiplier les recherches mais plu-
tôt d'accepter de réintroduire les aspects qui sont liés aux modalités
d'utilisation des différentes formes syntaxiques et lexicales ; l'étude
des situations permissives, celle de portée des négations dans diffé-
rents contextes linguistiques doit permettre d'aborder ce domaine.
La conceptualisation par opposition
On peut définir le système négatif comme partie de la classe des re-
lations constitutives de la conceptualisation par opposition. En effet,
le système négatif se détermine toujours en opposition à un réfèrent
positif. Les divers aspects de la négation sont l'expression de diffé-
rents systèmes d'opposition : opposition entre l'existence et la non-
existence, entre le vrai et le faux, entre le refus et l'acceptation.
De plus, certains aspects de la négation expriment des oppositions
entre des propriétés d'objets ou des relations. Ces couples d'oppo-
sitions font tous partie du système négatif avec des statuts et des pro-
priétés combinatoires différentes.
La négation occupe donc une place spéciale dans la conceptualisa-
tion par opposition. Celle-ci joue dans l'histoire de la pensée, un
rôle très important.
Au cours des siècles, de nombreuses civilisations, de nombreuses
théories scientifiques ont basé leur conception du monde sur des op-
positions binaires. Le Yin et Yang des Chinois, la religion des Maz-
déens, la physique d'Aristote en sont quelques exemples particuliè-
rement caractéristiques. C. Lévi-Strauss (1962) a montré le rôle
des structures oppositionnelles dans La pensée sauvage. Si ce type
d'opposition ne fonde plus la science actuelle, on le retrouve néan-
moins dans d'importantes analyses appuyées sur un système général
de dichotomie, par exemple, celui de R. Jakobson et M. Halle en
phonétique.
Dans une perspective génétique, H. Wallon (1945) a mis en relief
la conceptualisation privilégiée par couple de contraires, en insistant
sur le fait que, chez les très jeunes enfants, le couplage est consti-
tutif des éléments qui le composent. On peut donc penser à un sys-

117
tème intrinsèque ou très précoce de mise en relation pour structu-
rer l'acquisition des concepts et du langage. On remarque à la suite
de D. McNeill (1970) et L. Bloom (1970), la rapidité du développe-
ment sémantique lié à la négation à côté du développement sémanti-
que en général.
Au niveau du langage, les marques négatives qui correspondent
à des opérateurs sont des indices spécifiques dont le rôle est d'indi-
quer la nécessité de l'opération de négation. Ce type d'opérateur peut
être considéré comme un universel linguistique qui reflète une loi co-
gnitive générale. En revanche, on peut se poser la question de savoir
quel est le statut des traits sémantiques négatifs. M. Bierwich (1967)
pense que ces traits représentent certaines propriétés innées de l'or-
ganisme humain. L'universalité des traits serait un fait constituant
de la capacité innée au langage au même titre que l'universalité des
règles d'inférence est un fait constituant de cette capacité. Plus spé-
cialement, le concept d'antinomie pour les propriétés sur certaines
dimensions comme celui de l'opposition entre le vrai et le faux, l'être
et le non-être, pourrait alors être envisagé comme partie constituan-
te de l'équipement qui permet l'acquisition du langage. Cela per-
mettrait de mieux comprendre la rapidité du développement séman-
tique de la négation et le jeu des alternatives entre les formes lexi-
cales et syntaxiques.
La sémantique et l'acquisition
La sémantique reflète les correspondances entre le domaine cognitif
et la structure linguistique. Elle n'est pas indépendante du compor-
tement en tant qu'ensemble de processus psychologiques. Comme la
grammaire, elle peut et doit nous servir de "fil conducteur" pour l'a-
nalyse de l'acquisition linguistique.
En regardant l'ordre sémantique d'opposition des énoncés négatifs,
on a vu que le développement syntaxique en est fonction. Jusqu'ici,
les recherches se sont plutôt centrées sur les régularités qui carac-
térisaient l'acquisition. Les travaux de R. Brown, U. Bellugi, qui
ont eu pour but de mettre en évidence l'ordre d'acquisition des rè-
gles syntaxiques caractérisant les grammaires adultes ne peuvent
apporter que des données partielles. Aucun fait n'autorise à penser
que les capacités cognitives innées sont limitées à des capacités gram-
maticales, comme rien n'autorise à réduire les règles psychologiques
à des règles linguistiques. Au contraire, on doit postuler des struc-
tures plus générales dans un cadre général de développement.
Le problème dépasse certes cette étude mais il semble qu'au moins
une prise en considération attentive du développement sémantique par
l'identification des systèmes que l'enfant peut atteindre facilement,
peut permettre d'avancer quelques hypothèses, soit sur certains uni-
versaux qui pourraient faire partie de la capacité cognitive intrinsè-
que, soit sur le développement cognitif avec construction de ces uni-
ver saux.
Que peut-on trouver dans l'acquisition de la négation ?
Si l'on fait l'hypothèse qu'il y a "reflet" dans les structures synta-

118
xiques et dans le comportement linguistique, des structures cogniti-
ves générales intrinsèques et "construites" dans la première année
de la vie, que peut-on trouver dans les premières productions néga-
tives des enfants, pour montrer les liens d'interdépendance de l'ac-
quisition linguistique et du développement cognitif ?
Avant de pouvoir l'exprimer, l'enfant commence à organiser son
expérience du monde. La "construction" de la permanence de l'objet (1),
par exemple, avec le système de relations qui en dépend, pré-
cède la possibilité linguistique d'exprimer la présence ou l'absence
de cet objet.
Quelles sont dans cette optique les constatations que l'on peut avan-
cer à partir des travaux antérieurs et de notre travail, constatations
dont, bien entendu, certaines demandent encore à être systématique-
ment vérifiées et approfondies ?
A) Le développement des formes négatives se fait dans un ordre
sémantique stable dans différentes langues où les systèmes gramma-
ticaux ont des réalisations diverses. On a vu que lorsqu'un enfant est
capable de mettre certaines relations entre les données de l'environ-
nement, il les exprime d'abord sous forme affirmative. Ce n'est qu'a-
près qu'il sera capable d'utiliser la forme négative pour indiquer une
absence de ces relations ou des antinomies.
B) Il y a, dès le très jeune âge, un sous-système fonctionnel pour
la négation. Il ne semble pas qu'il y ait, comme l'avançait U. Bellugi,
un système unique spécifiquement enfantin. On remarque, à 22 mois
chez Emmanuelle, à côté de l'opérateur antéposé devant un syntagme
nominal, pour exprimer la non-présence, un opérateur postposé avec
un verbe modal pour exprimer le refus et un non anaphorique pour
introduire le déni sous une forme lexicalement négative.
Il y a diversité des opérateurs utilisés ; il semble que l'enfant
puisse, par exemple, lier la non-présence à la durée en utilisant
plus. Cette utilisation ne semble pas aléatoire. Elle semble corres-
pondre à une catégorie sémantiquement définissable : la cessation
d'un procès.
C) Lorsqu'un enfant est capable de nier certains états ou certaines
relations, on remarque une simultanéité dans l'apparition de l'utili-
sation d'opérateurs et de l'usage de termes lexicaux qui sont les équi-
valents sémantiques de la négation syntaxique dans ce domaine.
Au même âge, l'enfant est capable de substituer, en face d'une
même situation, à une négation syntaxique un terme sémantiquement
équivalent. Il est donc capable d'alternatives jouant sur des isomor-
phismes entre les formes syntaxiques et les formes lexicales. Mais
il faudrait, pour mieux interpréter ce point essentiel, continuer les
recherches sur les données sémantiques.
D) On trouve deux types de limitations dans les énoncés : les limi-
tations dues à un "non-emploi" des règles nécessaires à la généra-
tion de phrases entièrement grammaticales et les limitations séman-
tiques. Même lorsqu'il est capable d'utiliser un opérateur de néga-
tion, l'enfant ne nie pas dans certaines situations. L'utilisation des
diverses modalités de la négation dépend des propriétés et des rela-
tions de l'objet auquel elles doivent s'appliquer. Il est donc néces-
saire que l'enfant sache préalablement extraire ces propriétés. Or,

119
si l'on a vu que l'identité et la permanence de l'objet étaient établies
avant le début du langage, l'on ne sait presque rien sur l'acquisition
de la capacité à extraire des propriétés, sur celle à établir des rela-
tions entre plusieurs objets ou à déterminer les types de procès que
l'objet peut supporter. Ces capacités ne peuvent se définir sur l'ob-
jet qu'après l'établissement de son existence en tant qu'objet perma-
nent. Dans l'acquisition, on a vu que la négation de l'existence était
la première forme productive rencontrée. La négation de relation
d'appartenance (cf. Expérience II), celle de propriété, celle du pro-
cès n'apparaissent qu'ultérieurement dans la production. Les formes
affirmatives s'acquièrent également dans cet ordre et précèdent tou-
jours les formes négatives.
L'identification des systèmes que l'enfant peut atteindre avant 2
ou 3 ans est indispensable soit pour déterminer la composante innée,
si l'on replace dans une perspective résolument innéiste, soit pour
comprendre la génétique "des activités cognitives et de l'organisa-
tion générale des actions" à leur début, si l'on se place dans une pers-
pective piagetienne (2).
Mais les recherches sur cette étape sont encore trop peu précises
pour que l'on puisse analyser l'articulation du langage et de la pensée
chez de très jeunes enfants. Cependant, il est tentant d'essayer de
mettre en évidence les limitations sémantiques et cognitives à l'opé-
ration de négation.

NOTES

1. J. Piaget, La construction du réel chez l'enfant, Neuchâtel, Delachaux


et Niestlé, 1950.
2. Il est intéressant de voir comme l'indique H. Sinclair de Zwart (1968)
que dans le langage de l'enfant à la fin du stade sensori-moteur, on trouve
présents les noms et les verbes. C'est-à-dire ce qui peut être en relation
avec l'établissement de la permanence des objets physiques et de leurs dé-
placements.

120
ANNEXE I

EXPERIENCE I

Corpus d'Emmanuelle - Enoncés négatifs (suivant l'ordre de recueil)

Description du contexte Productions d'Emmanuelle


Premier niveau
(Jeux de cache-cache : divers / a / pas
objets sont cachés et montrés.) / a / pas
Il n'y a pas de quoi ? / a / pas loulours
L'ours est méchant ? non gentil
/ a / pas / l a / toto
/ a / pas là (quatre fois au cours
de cette séance.)
(Emmanuelle essaie d'empiler / l a / peux pas
des jetons. )
Où as-tu été aujourd'hui ? / a / pas là
Le chat est là / a / p a s . Dehors
Montre-moi ça / a / peux pas, / a / peux pas
C'est Thierry ? non / e / là Mamie
(Emmanuelle cherche son chan- / a / pas / l a / chandail
dail ; c'est un chandail pour le
soir elle ne le met que pour dor-
mir. ) / a / pas / l a / dodo
(Emmanuelle essaie d'attraper oh / l a / peux pas
des jetons.)
(Jeux de cache-cache, on prend / a / pas la loulours / l a / derrière,
l'ours, on le cache et on le fait / l a / caché, / l a / pas. Voilà, / a h /
réapparaître très vite.) oui, / a / là. Derrière, peux pas,
bon, / a / là / a / loulours
(Cache-cache avec sa soeur.) (re) garde pas Cécile / a / coucou
Ne regarde pas Cécile / a / pas / a / coucou / a / pas là
Ne regarde pas Cécile (re) garde pas
(Diverses circonstances.)
C'est pas chaud non / e / bon

121
(Emmanuelle demande qu'on ra- / l a / encore un peu ?
cle le pot de yaourt. ) / l a / plus
Oh, regarde on a oublié de pren- attrape Mamie. Peux pas ( a t t r a -
dre du sucre, il n'y en a plus per
(Emmanuelle joue avec un chat y a pas là le balle
et une balle. )
Il est parti ? / i / joue /ah p a r t i / non /non/ là
(Dîner. Deux séances)
(L'expérimentateur voit que l ' a s -
siette n'est pas vide mais il cher-
che à induire des négations. ) / a / pas là le beurre
Tu as fini ? non / n / v a encore
Tu as fini maintenant ? encore / l a / plus la beurre
C'est fini ? non y a encore
C'est pour moi, ça ? non moi moi veux veux / a / veux
(Il y a un bruit au p r e m i e r . )
Quel est le bruit là-haut ? / a / toc toc là-haut. Un, deux,
/ l a / plus
(Emmanuelle veut descendre / a / peux pas
d'un banc.)
(On lui demande des jetons. )
Donne-moi tout. non, non, veux tout
Encore un. Deux, trois, / a / peux pas
Où est Hélène ? / a / pas là
(Emmanuelle tape sa soeur qui non," veux pas
lui rend doucement. )
(On parle d'un enfant.)
Il est méchant non, gentil
(Le magnétophone s ' a r r ê t e de
tourner.) oh / l a / plus musique
Il y a du bruit là-haut ? non
(On veut lui prendre des jouets.) non, encore joue
Tu m'en donnes ? non
Tu as bobo aux cheveux ? non, au cou
Tu as bobo au cou ? non (elle se met à rire)
Tu veux faire dodo ? non
Deuxième niveau
(Dans le jardin.)
La tortue est partie ? / a / pas / l a / tortue
Au revoir non, au revoir pas
(Emmanuelle mange des mûres bon bon encore
au début elle aime puis elle est p a s b o n / a / pas bon pas
gênée par les graines et fait la bon / a / pas bon pas bon
grimace. )

122
C'est pas bon ? / l a / pas bon / e / bon non / a / pas
bon encore pas bon (incompré-
hensible) encore pas bon (1)
Dis-moi "Au revoir" non, un gâteau / un gâteau un gâ-
teau Mamie
(Au dîner)
C'est de la soupe ? non / a / le le le yaourt
C'est mauvais ça ? non non
C'est bon ? pas bon
Tu veux de la confiture la confiture yaourt / l a / peu peu
Mamie

Corpus d'Emmanuelle. Enoncés précédés par "non"


Description du contexte Productions d'Emmanuelle
Premier niveau
C'est Thierry ? non / e / la Mamie
(On joue avec des jetons. )
Donne-moi tout non veux tout
(Sa soeur veut lui rendre une non, veux pas
tape.)
(On veut lui prendre ses jouets.) non, encore joue
(Emmanuelle touche ses che-
veux et grimace.)
Tu as bobo aux cheveux ? non, au cou
(On parle du chat. )
Il est méchant ? non, gentil
(On parle d'un enfant.)
Il est méchant ? non, gentil
Deuxième niveau
(Emmanuelle dîne. Plusieurs
séances.)
Tu as fini de dîner ? non n'y a encore
Tu as fini non y a encore
C'est de la soupe ? non / a / le le le yaourt
C'est pas chaud ? non / e / bon
(Jeux avec le chat. )
Au revoir non au revoir pas
C'est pour moi, ça ? non moi moi

123
ANNEXE II

EXPERIENCE II

Phrases utilisées pour les expériences II, IV et V


Nous avons présenté les phrases suivantes dans des ordres balancés :
Syntaxe Verbe
La dame a lavé le tablier A P
Le bébé ne prend pas le biscuit N P
Le garçon a perdu son bonnet A N
La fille n'enlève pas son chandail N N
Le chien a mangé son déjeuner A P
Le papa n'a pas mis sa cravate N P
La dame a oublié son chapeau A N
La fille n'a pas ôté ses souliers N N
Le bébé a pris son déjeuner A P
La dame n'a pas lavé la serviette N P
La fille a enlevé son chandail A N
Le garçon n'a pas perdu son gant N N
Le papa a mis son anorak A P
Le chien n'a pas mangé le beefsteak N P
La fille a Ot é son tablier A N
La dame n'a pas oublié son sac N N
Chaque enfant reçoit deux groupes de phrases donc deux exemples
de chaque type de phrases. La moitié des enfants ont reçu les huit
premières phrases du Tableau I et l'autre moitié les huit dernières
phrases.

124
EXPERIENCE IV

1ère proposition 2ème proposition


Synt. Lex. Synt. Lex.
1. Je demande que P i e r r e mette + + +
son chapeau
2. Je demande que P i e r r e ne mette + +
pas son chapeau
3. J'exige que P i e r r e Ote son é- + + +
charpe
4. Je refuse que P i e r r e ait sa + - +
pipe
5. J'exige que P i e r r e n'ôte pas + +
son écharpe
6. J'interdis que P i e r r e n'ait +
pas sa pipe
7. Je refuse que P i e r r e enlève + - +
son chapeau
8. J'interdis que P i e r r e n'enlève + -
pas son manteau
9. Je ne demande pas que P i e r r e + +
mette son chapeau
10. Je n'exige pas que P i e r r e ôte - + +
son écharpe
11. Je n'interdis pas que P i e r r e
ait sa pipe - - +
12. Je ne refuse pas que P i e r r e - - +
enlève son manteau

EXPERIENCE V

J ' a i demandé que P i e r r e mette son chapeau


J ' a i demandé que P i e r r e ne mette pas son écharpe
J ' a i demandé que P i e r r e enlève son manteau
J ' a i demandé que P i e r r e n'enlève pas son manteau
J ' a i refusé que P i e r r e mette son manteau
J ' a i refusé que P i e r r e ne mette pas son chalpeau
J ' a i refusé que P i e r r e enlève son écharpe
J ' a i refusé que P i e r r e n'enlève pas son chapeau
Je veux que P i e r r e mette son manteau
Je veux que P i e r r e ne mette pas son écharpe
Je veux que P i e r r e enlève son chapeau
Je veux que P i e r r e n'enlève pas son écharpe
125
Je ne veux pas que Pierre mette son écharpe
Je ne veux pas que Pierre ne mette pas son manteau
Je ne veux pas que Pierre enlève son écharpe
Je ne veux pas que Pierre n'enlève pas son chapeau

126
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132
TABLE DES MATIERES

Introduction générale 7
1. La négation linguistique 9
1.1. Domaine de la négation linguistique 9
1 . 2 . Rôle des théories linguistiques 10
1 . 2 . 1 . Les types d'analyses 10
1 . 2 . 2 . L'intérêt des analyses théoriques et leurs
limites 10
1.3. La transformation négative dans les grammaires
génératives 11
1 . 3 . 1 . La transformation négative 11
1 . 3 . 2 . La transformation négative dans la théorie non
révisée 11
1 . 3 . 3 . Les objections à cette formulation 13
1 . 3 . 4 . Deuxième formulation de la transformation né-
gative 13
1 . 3 . 5 . La transformation négative en français 16
1 . 3 . 6 . Evolution actuelle 17
1.4. Les marques de la négation 18
1 . 4 . 1 . Les opérateurs de négation 18
1 . 4 . 2 . Les marques non transformationnelles 20
2. Etudes psycholinguistiques de la négation 25
2 . 1 . Introduction 25
2 . 2 . Etudes sur la "réalité psychologique" de la transfor-
mation négative 26
2 . 3 . Le codage du sens 27
2 . 4 . Rôle des items lexicaux 28
2 . 5 . H. Clark : les propriétés psychologiques des néga-
tions 29
2 . 6 . Etudes sur la vérification des phrases négatives 31
2 . 7 . Les représentations schématiques 32
2 . 8 . Recherches sur le rôle fonctionnel de la négation 35
2 . 9 . Le rôle des heuristiques perceptives 38
2 . 1 0 . Conclusion 39
3. Acquisition de la négation 42
3 . 1 . Aspects généraux de l'acquisition de la négation 42
3 . 1 . 1 . Problème de "l'équipement inné" 42
3 . 1 . 2 . Problème du corpus 43

133
3 . 1 . 3 . Quelques méthodes d'analyse des corpus 44
3.2. Etude du corpus d'Emmanuelle 45
3.2.1. Principes d'analyse 45
3 . 2 . 2 . Recueil des données 46
3 . 2 . 3 . Traitement des données 47
3 . 2 . 4 . Analyse des données 48
3 . 2 . 5 . Interprétation des données 56
3 . 2 . 6 . Comparaison avec les enfants de langue anglaise 60
3.3. Quelques données expérimentales sur la négation chez
l'enfant de 1 an 10 mois à 3 ans 6 mois 63
3 . 3 . 1 . Présentation de l'Expérience I 63
3 . 3 . 2 . Analyse des résultats 67
3 . 3 . 3 . Conclusion 77
4. Traitement de négations syntaxiques et lexicales 80
4.1. Présentation des expériences 80
4.2. Expérience II 81
4 . 2 . 1 . But de l'expérience et hypothèses 81
4 . 2 . 2 . Technique et matériel 82
4 . 2 . 3 . Résultats 83
4 . 2 . 4 . Discussion 87
4.3. Expérience m 88
4 . 3 . 1 . Hypothèses 88
4 . 3 . 2 . Technique 88
4.3.3. Analyse des résultats 89
4.4. Expérience IV 92
4 . 4 . 1 . Hypothèses 92
4 . 4 . 2 . Technique 93
4.4.3. Analyse des résultats 95
4 . 4 . 4 . Heuristiques des sujets 98
4 . 4 . 5 . Discussion 99
4 . 4 . 6 . Conclusion 100
4.5. Expérience V 101
4 . 5 . 1 . Hypothèses 101
4 . 5 . 2 . Technique 101
4 . 5 . 3 . Analyse des résultats 102
4.5.4. Heuristiques des sujets 106
4 . 5 . 5 . Conclusion 108
4.6. Analyses des phrases permissives présentées lors
des expériences IV et V 109
4 . 6 . 1 . Hypothèses 109
4 . 6 . 2 . Analyse des résultats et discussion 110
Conclusion 114
Annexe I 121
Annexe II 124
Bibliographie 127

134

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