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Modalités (d’énonciation, de message) et types de phrase : problèmes de classement.

En principe, c’est le noyau de la phrase qui est porteur de sens descriptif (sémantique
représentationnelle). Les modalités d’énonciation et de message expriment des composantes
non descriptives de l’intention de communication du locuteur. Le classement de la négation
comme type de phrase non essentiel, en GGT standard est à cet égard de nature à brouiller le
parallélisme entre analyse des modalités en linguistique française et analyse de la phrase en
grammaire générative-transformationnelle.

Types de phrase obligatoires (= types de phrase1):


- constituants de phrase fondamentaux (→toute phrase est assignée à l’un
de ces types),
- mutuellement exclusifs (→toute phrase est assignée à l’un et seulement
un de ces types),
- à import sémantique fonctionnel-actionnel (« acte de langage »),
- à structure syntaxique, morphologie et intonation spécifiques.

Types de phrase facultatifs (= formes de phrase) :


- constituants de phrase optionnels,
- par hypothèse non exclusifs des types obligatoires, ni entre eux (→se
combinent entre eux et/ou avec les types obligatoires) ;
- à effet de sens surtout fonctionnel-communicatif (répartition de
l’information en thème-propos : passif, emphase, impersonnel) –
excepté la négation, à import sémantique descriptif (représentationnel2),
voire, accessoirement, actionnel3 ;
- à structure syntaxique et morphologie spécifiques, mais dépourvus
d’intonation propre – encore que non dépourvus d’effet sur l’intonation
spécifique du type obligatoire avec lequel ils se combinent (phénomènes
d’accentuation).

(cf. Riegel et al. 2004 (1994) : 386-387).

1
Souvent, dans la littérature, il y a hésitation sur la marque du pluriel, vu la variante phrase(s)-type(s) : types/ formes de
phrase ou : phrases ?
2
Négation descriptive : assertion d’un contenu propositionnel négatif (ex. Paul n’est pas là pour l’instant, à ce que je vois).
3
L’interprétation des types facultatifs ne devrait pouvoir être actionnelle que de manière marginale, à l’encontre de celle des
types obligatoires : le type facultatif qui illustre ce cas de figure est encore la négation, quand elle réalise, dans l’énonciation,
un acte de dénégation (ou de refus) plutôt que la simple assertion d’un contenu négatif – ex. Tu viens ?/ -Je ne peux pas.
Toujours dans un contexte d’offre/ invitation : Un peu de rôti?/ -Je ne mange pas de viande.
Problèmes résiduels :
1. L’exclamatif, doué d’intonation particulière, mais non exclusif d’autres types obligatoires
(cf. interro-exclamatif : moi, partir pour Londres ?!), et à spécificité syntaxique douteuse
(car partageant les structures des phrases déclaratives (Vous ne songez point à elle !) et
interrogatives (Qu’est-ce qu’elle mangeait ! Est-il bête !)) peut-il être envisagé comme type
obligatoire, d’autant que, du moins selon certains auteurs, il n’exprimerait pas d’« acte de
langage spécifique », fondé sur des rapports entre le locuteur et son destinataire ?
2. Le négatif, qui, seul, parmi les types optionnels, n’a pas d’apport sémantique strictement
fonctionnel, non descriptif (hiérarchie informationnelle, structuration du message), mais
représentationnel, descriptif (contribution à la proposition assertée/ interrogée/ faisant
l’objet de l’injonction), tout en semblant être pour le moins susceptible, par ailleurs, de
réaliser un « acte de langage spécifique » (dénégation, réfutation) peut-il être envisagé
comme type optionnel ?4

La solution serait de reclasser les types de phrases obligatoires/ facultatifs en quatre catégories,
quitte à ce que l’exclamatif soit envisagé comme seul représentant de sa catégorie  :
 types énonciatifs (assertif, interrogatif, impératif) ;
 types logiques (négatif/ positif) ;
 types de réagencement communicatif (passif, emphase, impersonnel) ;
 type exclamatif (manifestant seulement la subjectivité du locuteur et réalisant la fonction
expressive du langage).
(Riegel et al. 2004 (1994) : 388-390)

Cette solution ne fait que reformuler les problèmes soulevés, sans y apporter de réelle explication.

Remarques concernant les « types logiques » :

L’analyse de la négation dans la GM tantôt fait l’impasse sur les emplois « illocutionnaires »5, pour
ne rendre compte que de ce qui est appelé, dans la littérature, négation descriptive 6 (avec la notion
de « type logique »), tantôt délite la frontière entre emplois descriptifs et emplois
« illocutionnaires » – voir note 4 supra.
Dans la mesure donc où la négation purement descriptive a une existence réelle en discours – et la
chose est moins assurée qu’il ne paraît à première vue, dès que « tout énoncé négatif peut être
compris à deux niveaux : simple négation du contenu ou réfutation de l’affirmation d’autrui » (p.
425) – elle est déjà envisagée comme acte de langage, du fait même qu’elle porte sur ce contenu.

La distinction pertinente est pour nous, en l’occurrence : modalisation/ sur-modalisation.


Négation descriptive : modalisation/ assertion : sur-modalisation.
Assertion : modalisation/ négation illocutionnaire : sur-modalisation.

Tant les actes de dénégation illocutoire (par exemple le refus de promettre, le rejet d’une

4
De fait, les auteurs de la GM semblent assigner l’aptitude à réaliser un acte de langage à la négation descriptive même, dans
la mesure où selon eux, « nier un contenu propositionnel constitue un acte de langage » (p. 388, n.s.), et la négation
descriptive (expression du rejet de l’état de chose dénoté comme contraire à la réalité) est censée « porte[r] seulement sur le
contenu de l’énoncé » – c’est-à-dire, nier ce contenu (p. 424).
5
La négation dite « illocutionnaire » (notion introduite en théorie des actes de langage) porte sur le marqueur de l’acte (un
verbe performatif explicite) : Je ne te promets pas que je resterai à la maison ce soir.
6
Rappelons que la négation dite descriptive (notion symétrique à la notion de négation illocutionnaire, dans le même cadre
théorique) affecte le contenu propositionnel, plutôt que le marqueur de l’acte de parole : Je te promets que je n’irai pas à
cette fête. Par analogie, une négation portant sur le dictum plutôt que sur le modus, dans les phrases complexes à modalité
d’énoncé explicite, sera envisagée comme un cas de négation descriptive : Il faut que (+Je veux que) tu n’ailles pas à cette
fête. Je sais que tu ne vas pas aller à cette fête.

.
assertion préalable – réelle ou virtuelle...), analysés comme actes de langage complexes en
théorie logique de l’illocutoire, que la négation dans le modus d’une phrase à modalité de
dicto (par exemple nier l’obligation ou la nécessité) sont, pour nous, des formes de sur-
modalisation.

Cela dit, l’analyse de la négation dans la GM souligne un aspect essentiel : la négation constitue,
avec l’affirmation, « une alternative logique », toute phrase « p[ouvant] être conçue positivement ou
négativement ». De fait, il nous semble qu’il n’y a pas de phrase qui ne soit ni affirmative ni
négative : peut-être, en réponse à une question est-ce que p ? sur-modalise de fait ou bien p (Oui,
peut-être/ Peut-être bien que oui) ou bien non-p (Peut-être bien que non). Nous dirons donc que
toute phrase doit être conçue ou bien positivement ou bien négativement. Une fois prise en compte
aussi la valeur non marquée (valeur par défaut : l’affirmatif ou : positif), le type négatif ne peut plus
guère être envisagé comme non essentiel, bien que par hypothèse cumulatif (au moins) d’un type
énonciatif…

Ce qui suggère que l’opposition type essentiel/ type non-essentiel n’est pas en soi superfétatoire, à
l’encontre de ce que suggèrent les auteurs de la GM, avant de proposer leur classement, mais que
les critères de définition des deux catégories, et par voie de conséquence l’extension des classes
concernées doivent être revus.

Remarques sur le type exclamatif :

La distinction alléguée entre types énonciatifs et exclamatif, selon le critère pragmatique de « l’acte
de langage spécifique », est elle-même sujette à caution, dans la mesure où :

(1) les types énonciatifs sont censés être définis en termes d’énonciation plutôt qu’en termes
d’actes illocutionnaires – or, l’énonciation est le fait du sujet énonciateur, donc le fonction
expressive du langage ne devrait pas être minorée/ marginalisée, par rapport aux fonctions
référentielle et directive (les trois fonctions essentielles du langage au sens de Karl Bühler) ;
(2) les types énonciatifs restants eux-mêmes ne font pas l’objet d’analyses uniformes, dans le
paradigme théorique dont procède la notion distinctive invoquée (Théorie des actes de
langage) : les types assertif et impératif correspondent aux forces primitives assertive et
directive, tandis que le type interrogatif procède des forces dérivées (instanciant un sous-
type directif : demander de répondre)7 ;
(3) le lien entre types de phrases et « acte de langage spécifique » n’est pas aussi direct, ni aussi
naturel, que cette analyse8 le suppose, ne laissant pas d’être tributaire d’un certain horizon
théorique. En pragmatique inférentielle9, par exemple, les trois types de phrases en question
sont censés correspondre non pas à des « actes spécifiques », mais à des « actes génériques
dire que/ dire de/ demander (si /qu-) » – entendus par Sperber et Wilson comme des
« schémas d’hypothèse » (ou « schémas descriptifs ») dans lesquels sont incorporées les
formes propositionnelles pleines des énoncés concernés, mais qui restent typiquement sous-
déterminés quant à ce qu’il est convenu d’appeler « intention (ou : but) illocutoire »10. Et,
7
Cf. Ghiglione & Trognon 1993.
8
Qui traite les (marqueurs de) types de phrases obligatoires comme des « indicateurs de force illocutionnaire ».
9
Cf. Sperber Dan et Deirdre Wilson, La pertinence. Communication et cognition, Paris : Minuit, 1989 (original en anglais
1986).
10
Par contre, les « forces primitives » assertive et directive (cela vaut d’ailleurs de toutes les cinq « forces primitives »
distinguées dans la théorie logique de l’illocutoire), tout en étant sous-déterminées quant aux autres « composants », ce qui
en fait justement « les forces illocutoires les plus simples possibles », sont bien déterminées, elles, quant au but. Le but
assertif (primitif) est de représenter quelque chose qui est le cas, et le but directif (primitif), de faire une tentative
linguistique pour que le destinataire réalise une action future (cf. Ghiglione & Trognon 1993). Par contre, dire que P et dire
de P (où P est la forme propositionnelle de l’énoncé noté p), en tant qu’actes génériques, ne « rendent manifeste qu’une
propriété assez abstraite de l’intention du locuteur : la direction dans laquelle la pertinence de l’énoncé est à rechercher  »
(Sperber et Wilson 1989 : 381). Dire que rendrait manifeste l’existence d’une relation descriptive (vs interprétative) entre la
pensée du locuteur et un état de choses réel ; dire de, l’existence d’une relation descriptive entre la pensée du locuteur et un
pour le moins les exclamatives à mot QU- (Quel désastre ! Comme tu as de grandes
oreilles, grand-mère !) y sont décrites dans les mêmes termes que les phrases
interrogatives, impératives ou déclaratives. Nous reviendrons sur ces aspects au chapitre
dédié aux modalités d’énonciation.

À l’instar de la grammaire scolaire en France (depuis 2018), nous traiterons ici l’exclamatif
comme type énonciatif optionnel (forme de phrase), mais comme type énonciatif quand même,
puisque nanti d’un contour mélodique spécifique (critère de l’intonation en phrase racine). Ce
faisant, nous enlèverons le critère du contour mélodique, des caractères distinctifs de la notion
de type de phrase essentiel, et reverrons à la baisse la portée de l’aptitude au cumul.

Pour ne préserver que le critère de l’effacement : y a-t-il des phrases qui n’instancient pas le
type en question ? Alors et alors seulement ce type sera envisagé comme non essentiel =
optionnel = facultatif

Si le critère distinctif pour les types de phrase essentiels est de fait l’impossibilité de les effacer (il
n’y a pas de phrase qui n’en instancie pas un – valeurs par défaut comprises), alors il ne reste de
vraiment non essentielles (= optionnelles) que les formes exclamative et l’emphase.

état de choses (non pas réel, mais) désirable.

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