L'Information Grammaticale

Oswald Ducrot, Jean-Marie Schaeffer, Nouveau Dictionnaire

Encyclopédique des Sciences du Langage, Éd. du Seuil, 1995
Pierre Attal

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Attal Pierre. Oswald Ducrot, Jean-Marie Schaeffer, Nouveau Dictionnaire Encyclopédique des Sciences du Langage, Éd. du
Seuil, 1995. In: L'Information Grammaticale, N. 73, 1997. pp. 65-66.

http://www.persee.fr/doc/igram_0222-9838_1997_num_73_1_2934_t1_0065_0000_3

Document généré le 27/09/2015

conceptions éducatives de la mère sur l'apprentissage des
aspects pragmatiques du langage par l'enfant (Bernicot) ; la
comparaison de l'étayage proposé au cours d'une activité
de lecture chez des mères-enfants français et africains
(Rabain-Jamin & Sabeau-Jouannet) ; les stratégies utilisées
par les deux partenaires dans des situations où un enfant
explique une tâche à l'adulte (Vivier).
Situations de décalage dans les interactions provenant
d'enquêtes : travail de co-construction du sens dans des
entretiens menés par des enquêteurs-linguistes avec des ouvriers
métallurgistes (Boutet) ; analyse des procédés de
vérification et de justification dans les récits conversationnels
produits au cours d'entretiens semi-directifs dans une
entreprise (Brès) ; observation de la façon dont le locuteur construit
son identité à travers ses récit dans des entretiens en
communication exolingue (Giacomi).
Situations asymétriques dans les articles de Borzeix
décrivant les activités langagières des agents EDF dans leurs
interactions avec des clients étrangers, d'Hartog qui étudie
les différents procédés utilisés par les interlocuteurs pour
construire leur rôle (expert ou non expert) dans des
consultations médicales et de de Gaulmyn qui cherche à identifier,
dans des appels téléphoniques d'urgence, sur quoi repose
la confiance ou la méfiance réciproque entre les
interlocuteurs.
Maury-Rouan n'utilise pas une situation à proprement parler
inégalitaire (discussion dans un groupe d'étudiants), mais
soulève cependant cette problématique puisqu'elle cherche
à y mettre au jour les différences homme / femme dans le
comportement interactionnel.
Dans l'ensemble de ces textes, l'inégalité ou la différence
sont choisies d'emblée comme élément constitutif de la
situation. Quatre articles présentent au contraire des situations
a priori « égalitaires » : celui de Jisa & Mariotte relevant les
types des explications produites au cours d'une réunion
d'enfants (interaction enfant/enfant) ; celui de Pouder observant
les transformations dans le fonctionnement de dyades
d'enfants travaillant ensemble sur ordinateur. Dans des
situations de travail, l'article de Faite (interactions dans des ateliers
d'usine) et celui de Lacoste relevant différents types de
paroles sur un chantier, abordent en outre des situation où
l'activité ne peut plus être conçue comme « contexte » du
langage.
Ce rapide panorama montre le caractère foisonnant, qui fait
de la lecture des articles réunis dans ces actes, une mine
d'une grande richesse pour qui s'intéresse au vaste champ
de l'interaction. On relève avec intérêt la présence
d'analyses fines de corpus (pour lesquelles il faut saluer l'effort
fait par beaucoup d'auteurs qui proposent des transcriptions
précises dont les conventions sont données en fin d'article).
Malgré des divergences d'objectifs (visée plus ou moins
généralisante) et de méthodologie (rendre compte de la
spécificité d'un corpus, voire d'une interaction donnée
- analyse de cas - ou au contraire porter son attention sur
la récurrence d'un phénomène), malgré des cadrages plus
ou moins larges des phénomènes observés (internes à
L'Information grammaticale n° 73, mars 1997
teraction ou intégrant largement les données "externes"
sociales, voire socio-politiques), c'est bien la notion
d'hétérogénéité (ou de fluctuation ou encore de négociation ou
d'ajustement) qui émerge, et qui s'exprime à travers les
recherches sur la co-construction du sens, de l'identité, des
places, des rôies et des statuts. Cette notion est celle
développée par Vion dans son article sur la notion « d'espace
interactif » : « image de l'interaction construite par l'activité
des sujets engagés dans la gestion de cette interaction »
(p. 278), où il montre que les fluctuations incessantes des
instances énonciatives et des rapports de place rendent
inadéquates les conceptions statiques et homogènes de
l'interaction. C'est sans doute là le point le plus stimulant du
livre. C'est aussi là que se pose la question - soulevée dans
plusieurs rapports, par exemple Mahmoudian, de Prieto -
de la construction de perspectives englobant tous les niveaux
d'analyse pertinents pour rendre compte des phénomènes
d'interaction. Deux éléments de réponse à cette question
sont contenus dans les actes eux-mêmes. Tout d'abord le
fait que se rencontrent sur ce terrain des approches
orientées vers la construction d'une théorie des interactions et
des approches pour lesquelles l'interaction est un lieu
d'observation pour d'autres elaborations théoriques (par exemple
acquisition/apprentissage, rapports sociaux) ; rencontre qui
fait la richesse du domaine. En second lieu, des
perspectives globalisantes pour la théorie des interactions existent
d'ores et déjà (par exemple celle de Vion dans ce volume,
celle de l'approche modulaire de Roulet, celle de Charaudeau
- dans l'autre volume des actes). La prise en compte de ces
propositions par les chercheurs s'engageant vers la
construction d'une théorie de l'interaction, pourrait pallier le risque
souvent souligné de la prolifération d'études dont les
résultats s'accumulent mais ne s'additionnent pas.
V. TRAVERSO
Oswald DUCROT et Jean-Marie SCHAEFFER, Nouveau
Dictionnaire Encyclopédique des Sciences du Langage,
Le Seuil, 1995,670 p.
C'est, de loin, le dictionnaire des Sciences du Langage le
plus complet et le plus utile ; il est remis à jour (la première
édition date de 1972) et modifié par une direction à moitié
renouvelée, puisque T. Todorov pour la partie littéraire de
l'ouvrage cède la place à J.-M. Schaeffer, chercheur au cnrs
en esthétique générale et en théorie littéraire. Pour la partie
proprement linguistique, O. Ducrot a succédé à lui-même.
Les deux directeurs sont responsables de l'essentiel des
articles : pour O. Ducrot, 31 (dont un en collaboration), pour
J.-M. Schaeffer, 16 (dont un en collaboration) ; Marielle
Abrioux et Ph. Roussin participent à l'ouvrage pour l'aspect
littéraire ; Dominique Bassano, Georges Boulakia et Michel
de Fornel, pour la partie linguistique.
Rappelons ou apprenons à ceux qui ignoreraient encore ce
dictionnaire que les auteurs ne suivent pas un ordre
alphabétique : une première partie présente les écoles, la
deuxième les domaines, la troisième les concepts
transversaux (ex-méthodologiques), par exemple, le signe,
langue/parole, etc. ; en quatrième partie, nous avons les
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concepts particuliers, comme les fonctions grammaticales.
Chaque article se termine par une bibliographie, et un index
alphabétique permet de trouver rapidement le
développement adéquat.
Qu'est-ce qui est nouveau ou profondément remanié ? La
psychomécanique, oubliée en 1972, trouve ici sa place;
l'analyse de conversations fait son entrée dans les domaines ;
parmi les catégories linguistiques apparaissent les
prototypes, la modularité ; à côté de la psycholinguistique, on
trouve la perception de la parole, la compréhension, la
production (concepts particuliers) ; en nouveauté, une combi-
natoire sémantique. Côté littéraire, on voit apparaître la fiction,
la littérature orale, renonciation théâtrale. La stylistique est
séparée de la rhétorique. C'est d'ailleurs la partie qui, du fait
du changement de direction, a été le plus profondément
modifiée. Mais les remaniements, et surtout la mise à jour,
sont importants dans les articles de linguistique : la
phonologie est refondue (par G. Boulakia) ; les fonctions
syntaxiques sont complétées, comme l'anaphore, qui devient
autonome ; c'est particulièrement ce qui touche à GGT qui
est augmenté des dernières formes de la théorie.
Tel qu'il est, le dictionnaire est, répétons-le, un outil
irremplaçable, à recommander à tous, étudiants débutants ou
avancés, spécialistes (pour avoir des renseignements sur
les questions qui ne font pas partie de leurs préoccupations) ;
il est, comme celui de 1972, écrit dans un esprit très
largement cuménique. Aucun point de vue ne l'emporte et les
bibliographies sont suffisantes.
Ce qui me paraît significatif, c'est que dans l'intervalle des
vingt-trois ans qui séparent les deux éditions beaucoup de
choses ont évolué, certes, mais surtout, beaucoup
d'illusions sont tombées. À l'époque des pionniers enthousiastes
et prosélytes a succédé une période de réflexions et
d'évaluations. La linguistique a pris la mesure des difficultés et
des limites de ses investigations. J'ai appris la publication
du nouveau dictionnaire encyclopédique par trois pages du
quotidien Libération du 21-09-95 qui lui sont consacrées.
À cette occasion, le journaliste avait rencontré O. Ducrot.
Les déclarations de celui-ci me parurent du plus haut
intérêt. Je crus pendant un moment que c'était des dations de
la nouvelle introduction. Je ne peux résister au plaisir de
reprendre ici quelques passages : « Il est certain qu'à mes
débuts, notamment il y a 25 ans, où je travaillais dans
l'ambiance du structuralisme triomphant, j'étais absolument
persuadé que ma conception "discursive" de la signification
pouvait être développée de façon aussi scientifique que les
conceptions "informatives". J'ai dû déchanter. C'est-à-dire
que je mets de plus en plus en doute la possibilité que la
linguistique telle que je la développe ait une scientificité
analogue à la scientificité des sciences que l'on considère
comme exemplaires (...): il y a vingt-cinq ans, on
s'imaginait que la linguistique et les sciences humaines en
général pouvaient suivre une méthode que je décrirai ainsi : on
commence par observer des faits, puis on construit des
modèles qui rendent compte de ces faits. Malheureusement,
on s'aperçoit - en tout cas à partir du type d'observation qui
m'intéresse - que l'on ne peut, à proprement parler,
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ver des faits". C'est-à-dire que l'observation des faits est
toujours guidée par des .hypothèses, or ces hypothèses sont
justement celles au moyen desquels on va les expliquer. Ce
qui produit un cercle vicieux. Ce ne serait pas grave si l'on
se contentait de dire que l'on observe les faits à partir de
telle ou telle hypothèse, puis ensuite, en faisant semblant
d'admettre ces hypothèses, si on les expliquait avec telle ou
telle autre hypothèse. Mais le drame pour nous linguistes,
c'est que les faits que l'on observe sont construits avec les
hypothèses qui vont servir à les expliquer (...). En un mot,
la linguistique crée son objet dans le temps même où elle
l'observe ».
J'applaudis à deux mains ce constat d'une rare lucidité. J'en
ai cherché la trace dans le volume, mais je ne l'ai pas
trouvée, à ma grande déception. Je voudrais exprimer ici mes
regrets que ce genre de considérations soit maintenu aux
marges du travail du linguiste, alors que je pense, je l'ai déjà
dit et répété, qu'il faut au contraire le placer au cur de toute
recherche dans notre domaine. Un dictionnaire
encyclopédique des Sciences du Langage ne dérogerait pas à son
rôle et ne se détournerait pas de ses ambitions s'il intégrait
au même titre que l'exposé des différentes grandes
théories ces questions sur la validité du discours linguistique.
À quand une partie sur ce problème ?
Pierre ATTAL
Béatrice OSMONT, Dynamiques cognitives et stratégies
d'utilisateurs, Paris, Masson, 1995, 186 p.
Qui, en France, n'a pas été agacé par la rigidité de
l'interrogation du Minitel (pour ne donner que cet exemple de
dialogue « Homme-Machine » supposé conforme aux
souhaits de l'utilisateur et supposé destiné à lui faciliter sa
tâche de recherche d'un certain type d'information) ? Je ne
suis sans aucun doute pas la première à me rebeller contre
la difficulté qu'il y a à obtenir ne serait-ce qu'une réponse,
dès que l'on s'écarte des « trajets » de questionnement
balisés par le concepteur du programme, et qui - tous les
Français, j'en suis sûre, en ont fait l'expérience - ne
correspondent pas toujours à la façon qu'on a personnellement de
gérer les différentes étapes d'une demande d'information.
Le livre de Béatrice Osmont me semble poser les bonnes
questions ei surtout apporter des éléments de réponses
extrêmement intéressants pour le linguiste, notamment
lorsqu'on s'intéresse, comme je le fais moi-même, à la
structure du dialogue oral spontané. Il ressort, en effet, de l'étude
de B. Osmont que la consultation des banques de données
informatisées par le grand public, qui, se font donc par écrit,
et non pas par oral - présente certes des similitudes non-
contestables avec l'échange oral spontané. Elle n'en présente
pas moins des différences liées à une gestion par clavier,
hors situation d'interlocution directe. Pour comprendre ces
différences, il suffit de penser à la manière dont nous nous
fions - quand nous avons besoin d'un renseignement
administratif ou d'un horaire de train ou autre - aux réactions de
l'interlocuteur 'expert' auquel nous adressons notre demande.
Tel est donc, à mes yeux, l'intérêt du livre de Béatrice
Osmont.