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Préface
Introduction
Avertissement
Première partie
La structure interne de la pièce
Chapitre ii — L’exposition
I. — Où est l’exposition ?
I. — Péripétie et péripéties
I. — Noeud et action
I. — Noeud et temps
I. — Dénouement et catastrophe
Deuxième partie
La structure externe de la pièce
V. — La tapisserie et le « travelling »
V. — Histoire du monologue
VI. — L’aparté
I. — Les stances
III. — La stichomythie
IV. — La sentence
V. — Les répétitions
Troisième partie
L’adaptation de la pièce au public
Conclusion
Appendices
Bibliographie
A — Sources
Œuvres complètes
c) Sur Corneille
d) Sur Molière
e) Sur Racine
Index
ISBN : 978-2-200-29262-1
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Les personnages
Paulin s’exclame :
Eh, quoi ! Pour satisfaire à l’ardeur de nos vœux,
Attendriez-vous que l’âge eût blanchi vos cheveux ? I, 11
***
Le héros classique est jeune ; il est beau, cela va sans dire ; les allusions à
la beauté des héroïnes, voire à celle des héros4, sont aussi nombreuses que
banales dans la littérature du xviie siècle. D’autres prestiges S’ajoutent à
ceux-là : comme le courtisan qui l’applaudit, le héros de théâtre doit briller
par son courage et par sa noblesse.
La valeur militaire est aussi nécessaire au héros classique qu’à son
ancêtre, le preux du Moyen Âge. Si la pièce ne comporte ni guerre ni duel,
c’est avant le début de l’action que le héros devra avoir fait la preuve de sa
valeur. Le Menteur de Corneille le sait bien : il prétend venir des « guerres
d’Allemagne » où il s’est « fait quatre ans craindre comme un tonnerre » [I,
3]. L’on ne compte pas les grands coups d’épée par lesquels les héros de
nos tragédies et de nos tragi-comédies, émules de ceux de l’Énéide, du
Roland furieux ou de la Jérusalem délivrée, ont acquis la gloire qui éblouit
le cœur des belles. Les vertus militaires se communiquent même aux
héroïnes : des femmes combattent effectivement, avec autant d’ardeur que
la Clorinde du Tasse ou la Camille de Virgile, dans la Généreuse Allemande
[1re journée, V, 5] de Mareschal, dans la Mort de Mithridate [II, 5] de La
Calprenède, dans la Zénobie [I, 2, II, 2, IV, 2 et 3] de l’abbé d’Aubignac,
dans la Sémiramis [III, 3] de Gilbert, et dans bien d’autres pièces.
Déguisées en hommes, elles se battent plusieurs fois en duel dans la Sœur
valeureuse [I, 6, 7, II, 9, 10, III, 8, IV, 7] de Mareschal, dans la Céliane [I,
2] et la Belle Alphrède [I, 4] de Rotrou, etc. Dans la comédie même, il suffit
qu’un héros refuse de se battre en duel pour cesser d’être un héros : c’est ce
qui arrive à Théante dans la Suivante [IV, 5 et 6] de Corneille.
Le courage est inséparable chez le héros classique de la noblesse du
sang ; le xviie siècle ne conçoit pas l’un sans l’autre. Le héros, s’il se peut,
est roi ou fils de roi ; sinon, il est grand seigneur ; dans la comédie même,
où les personnages sont de rang moins élevé, le jeune premier laisse
volontiers entendre qu’il est de bonne naissance5. Ces faits sont si constants
qu’à peu près n’importe quelle pièce classique en fournira des exemples. Si
la condition sociale du héros n’est pas précisée par le texte, le costume de
l’acteur, qui est un costume de cour, suffit à suggérer au spectateur la
noblesse du personnage. Plus instructifs sont les cas exceptionnels où le
courage ne s’accompagne point de la noblesse dont il est ordinairement
l’apanage ; l’impossibilité de la mésalliance entraînera alors un dénouement
malheureux. Ainsi Corneille ne pourra pas permettre à Rodrigue, qui est
vaillant et noble, mais non fils de roi, d’épouser l’Infante [Le Cid, I, 2, V,
2] ; et du Ryer ne se résoudra pas davantage à conclure le mariage de la
princesse Lydie avec le général triomphant Alcionée, qui n’est pas de sang
royal [Alcionée, II, 3]. Souvent aussi, pour satisfaire tout le monde, la
noblesse du héros se révélera au dénouement : Carlos, cavalier inconnu, se
trouve être, non fils d’un pêcheur, mais roi d’Aragon, et peut donc épouser
Isabelle dans Don Sanche d’Aragon [V, 4, 5] de Corneille ; la bergère
Policrite découvre à la fin de la Policrite [V, 5] de Boyer qu’elle est fille
d’un noble, et épouse le jeune noble Philoxipe.
***
Le charme des héros, pour un spectateur du xviie siècle, est fait d’un
dernier élément : ces héros sont malheureux. Malheureux dans la tragédie,
cela va sans dire. Malheureux aussi dans la tragi-comédie, puisque, si le
dénouement dans ce dernier genre est heureux, le corps de la pièce a
souvent le ton de la tragédie. Malheureux enfin dans la comédie même, où
les obstacles au bonheur des héros déterminent des plaintes souvent
passionnées. La pitié n’est-elle pas un des deux ressorts de l’émotion selon
Aristote ? Les auteurs du xviie siècle en usent, et parfois en abusent. Le ton
de lamentation lyrique, qui vient du xvie siècle, se retrouve en maint
passage de nos pièces classiques, en particulier dans les monologues [Infra,
IIe partie, ch. 4, section III]. Même quand le personnage est actif, il ne se
décide parfois à agir qu’au terme d’une délibération volontiers
attendrissante. Les stances de Rodrigue dans le Cid ont enchanté les
spectateurs du xviie siècle moins par la décision à laquelle elles aboutissent
que par l’harmonieuse indécision qu’elles expriment d’abord, et qui torture
le héros [I, 6]. Les malheurs, réels ou imaginaires, arrachent aux
personnages des larmes abondantes, qui, sur un public déjà « sensible »,
agissent par contagion. Avant que Boileau dans l’Art poétique n’ait
proclamé :
Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez, [chant III, vers 142]
On conçoit le parti que des auteurs moins discrets que Corneille ont pu
tirer de ces « fausses apparences » pour justifier d’inlassables plaintes. Le
héros classique semble même parfois, devançant la mode de près de deux
siècles, jouir de son malheur même et se complaire à l’exaspérer en le
déplorant. Tel est Oreste au cinquième acte d’Andromaque de Racine. Telle
est encore la même Eurydice de Suréna, qui dit à celui qu’elle aime :
Le trépas à vos yeux me semblerait trop doux,
Et je n’ai pas encore assez souffert pour vous.
Je veux qu’un noir chagrin à pas lents me consume,
Qu’il me fasse à longs traits goûter son amertume ;
Je veux, sans que la mort ose me secourir,
Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir. [I, 3]
***
On se lasse de tout, même de voir des héros. Si, dans l’ordre comique,
Molière reste fidèle jusqu’à sa mort à la technique que nous venons
d’étudier, d’autres auteurs de la seconde moitié du xviie siècle
l’abandonnent. De sorte que les règles que nous avons vu se dégager peu à
peu sont, après s’être affirmées avec conviction, négligées ; mais ce n’est
plus, comme au début du siècle, parce qu’on ne sait pas les appliquer, c’est
parce qu’on les juge inutiles.
Est-il un exemple plus convaincant que celui de la Phèdre de Racine ?
Qui ne croirait, à consulter seulement ses souvenirs, que le rôle de Phèdre,
type du rôle de vedette, qui a attiré les plus grandes tragédiennes, occupe la
plus grande partie de la pièce ? En réalité, il n’en est rien. Sur les trente
scènes de Phèdre, la fille de Minos n’a droit qu’à douze, c’est-à-dire
exactement autant qu’Hippolyte et que Thésée, malgré l’introduction
tardive de ce dernier [III, 4]. Dans Britannicus, dans Iphigénie, aucun héros
ne s’astreignait à paraître dans chaque acte.
Même tendance chez Corneille, et cela dès l’époque de ses chefs-
d’œuvre. Nombreuses sont celles de ses tragédies où seul un des héros
consent à se montrer dans tous les actes : dans Horace Sabine, dans
Rodogune Antiochus, dans Héraclius Martian, dans Agésilas Cotys10. Plus
nombreuses encore, surtout dans la vieillesse de Corneille, sont les pièces
où aucun héros ne s’astreint à cette règle. C’est le cas pour Cinna, pour
Sertorius, pour Othon, pour Attila, pour Pulchérie.
Cette façon de procéder doit s’expliquer, non seulement par ce qu’on se
lasse de la technique du héros prodigué, mais aussi par le perfectionnement
même des moyens des auteurs et de ceux des acteurs. Mieux en possession
de leur talent, les auteurs désirent construire des pièces plus complexes,
intéressant le public à plusieurs héros dont aucun ne peut s’effacer devant
les autres. La même rivalité de talents se manifeste chez les acteurs ; ceux-
ci ont formé des troupes brillantes, comme celle de l’Hôtel de Bourgogne,
et il faut bien donner des rôles importants à tous ceux qui briguent
légitimement la première place. L’abus de la vedette, par l’émulation qu’il a
suscité, a tué la vedette.
***
IV – Rois et pères
Le héros doit se heurter à des obstacles, sans quoi il n’y aurait pas de
pièce. Ces obstacles peuvent être de nature très variée. Ceux qui découlent
de l’existence de personnages secondaires seront étudiés plus loin. Parmi
les personnages importants dont les décisions risquent de s’opposer aux
volontés du héros, les principaux sont le roi et le père. Le pouvoir paternel
et le pouvoir royal sont en effet, selon les idées du xviie siècle, absolus et
généralement indiscutés. Il est aussi un autre pouvoir, que l’influence
croissante de la préciosité élève à la hauteur d’un absolu : c’est celui de la
femme aimée sur l’homme qui l’aime. Mais il n’est pas, pour un auteur
dramatique, sur le même plan que les deux autres. Entre les rois et les pères
d’une part et les jeunes héros d’autre part, il y a en effet une différence de
génération : le roi ou le père peut sans doute être lui-même un héros, et
c’est un problème que nous aurons à examiner, mais il n’est souvent qu’une
autorité dont dépend le sort du héros, soit qu’elle se laisse convaincre de
favoriser les desseins de ce dernier, soit qu’elle s’y oppose. Une « amante »
ne peut jouer ce rôle : ayant le même âge que le héros, elle est
nécessairement, elle aussi, une héroïne : ainsi Chimène ou Rodogune. Nous
n’étudierons donc ici que les personnages qui ne sont pas des héros et qui
représentent, face à la volonté du héros, un pouvoir redoutable, dont on peut
gagner la bienveillance, mais qui peut être contraignant. L’idée du pouvoir
contraignant du père, que la psychanalyse a rendue familière de nos jours,
s’explique au xviie siècle par les mœurs du temps aussi bien que par une
longue tradition littéraire, qui remonte au moins à la comédie latine. Le
personnage du roi, traditionnel lui aussi et naturel dans un régime
monarchique, satisfait en outre le goût de la « pompe » des contemporains
de Louis XIII et de Louis XIV.
Le roi est presque partout dans le théâtre classique. Son domaine ne se
limite pas nécessairement au genre sérieux, puisque c’est le pouvoir royal
qui amène le dénouement de la comédie de Tartuffe. Mais il est rare dans la
plupart des comédies, qui n’osent pas mêler la majesté du trône à leurs
divertissements. Il est au contraire constant, sous une forme ou sous une
autre, dans les autres genres. Un coup d’œil sur l’ensemble de l’œuvre de
Corneille nous le montrera. Pas le moindre roi dans les huit comédies de
Corneille. Par contre, son pouvoir de contrainte s’exerce dans de
nombreuses tragédies ou tragi-comédies13. Le roi au sens propre peut aussi
être remplacé par des autorités analogues : ce sont des reines dans
Rodogune et Don Sanche d’Aragon, des empereurs dans Cinna, Pompée,
Héraclius, Othon, Tite et Bérénice, une impératrice dans Pulchérie, des
gouverneurs de province dans Polyeucte et Théodore ; à l’autorité locale
défaillante peut se substituer ou s’ajouter le représentant de la puissance
étrangère qui exerce le pouvoir réel par droit de conquête ou de protectorat,
et ce sera l’ambassadeur romain dans Nicomède ou le général romain dans
Pompée, Sertorius ou Sophonisbe. Si l’on accepte de donner à tous ces
personnages la dénomination générique de « roi », on verra qu’il n’est pas
une pièce de Corneille, en dehors de ses comédies, où ne s’exerce le
pouvoir royal.
L’utilité de ce pouvoir comme ressort dramatique est comprise dès le
début du siècle. Un roi s’oppose à l’union des deux amants dans Pyrame et
Thisbé (1623) de Théophile, dans Sylvie (1628) et dans Chryséide et
Arimand (1630) de Mairet. À l’époque classique, un Valens dans Théodore
de Corneille, une Roxane dans Bajazet de Racine, et bien d’autres,
hériteront en partie de cette fonction.
Le rôle du père est, de façon analogue, conçu essentiellement comme un
obstacle. Il revient au père, selon les usages, au moins littéraires, du
e
xvii siècle, de décider sans appel du mariage de ses enfants. Dès 1608, dans
la première version du Tyr et Sidon de Schelandre, la nourrice Eurydice
proclame ce droit souverain, dont l’exercice contrariera les passions de tant
de héros :
Mais tel est des parents le droit et le pouvoir
Qu’on ne doit rien aimer que suivant leur vouloir.
Nature l’établit et le ciel l’autorise… [III, 2]
Pour plus de clarté, nous n’avons voulu montrer d’abord dans le roi et
dans le père que des obstacles aux désirs des héros. Mais il arrive que le
héros soit lui-même un roi ou un père. La lutte ne cesse pas pour autant
entre les passions du héros et les exigences de la fonction royale ou
paternelle. Mais elle devient intérieure. Au lieu du choc de deux
personnages, on aura le conflit, dans l’âme d’un seul, de deux passions
inconciliables. Le héros de Mariane (1637) de Tristan est le roi Hérode. Il
est déchiré entre son amour pour sa femme Mariane, qu’il soupçonne à tort
d’infidélité, et les dangereuses tentations de la toute-puissance royale, qui
lui permettent de faire mettre à mort cette femme qu’il adore ; il cède à ces
tentations, et c’est là toute la tragédie. Dans Don Sanche d’Aragon,
Corneille peint la reine Isabelle de Castille partagée entre son amour pour
Carlos et le respect de la fonction royale qu’elle assume et qui lui interdit
d’épouser un « cavalier inconnu ». De même l’Amalasonte de Quinault,
l’Attila ou la Pulchérie de Corneille, dans les pièces qui portent ces titres, le
Titus de Racine dans Bérénice, sont à la fois des chefs d’État conscients des
obligations que leur fonction leur impose, et des hommes ou des femmes
qui aiment.
Beaucoup plus rare est la conjonction en un même personnage de la
qualité de héros et de la fonction de père, tout au moins si cette dernière ne
s’accompagne pas de la fonction de roi. La raison de ce fait est aisée à
trouver. Les pères roturiers n’interviennent guère que dans la comédie, et un
personnage déchiré entre ses passions de héros et sa fonction de père ne
serait pas comique. Ainsi l’Avare de Molière nous montre Harpagon et son
fils Cléante aimant la même jeune fille et entrant, à cause de cette rivalité,
en un conflit violent qui sort un peu du ton habituel au genre comique.
Transposons cette situation en tragique, faisons du père un roi, et nous
avons Mithridate de Racine. La tragédie n’hésite pas, en effet, à mettre en
scène des héros qui soient aussi rois et pères, et qui souffrent dans leurs
sentiments, parce qu’ils sont rois et parce qu’ils sont pères ; ainsi, dans
Venceslas de Rotrou, le roi Venceslas, dans Iphigénie de Racine, le roi
Agamemnon17.
V – Évolution des personnages secondaires
Après les héros, les rois et les reines, les pères et les mères, apparaissent
encore dans la liste des « acteurs » d’autres personnages, qui peuvent être
unis aux précédents par des liens de famille ou d’intérêt, ou introduits
simplement par hasard : frères ou sœurs, amants ou maîtresses — s’ils ne
sont pas eux-mêmes des « héros » —, « domestiques » de tout ordre, au
sens où ce mot désigne au xviie siècle toute personne attachée à un titre
quelconque au service d’un roi, d’un seigneur ou d’un bourgeois, ou enfin
personnages épisodiques. Le théâtre du début du siècle est riche en
personnages secondaires de ce genre : le grand nombre des acteurs satisfait
l’inlassable curiosité du public pour le spectacle, et les auteurs, loin d’être
économes dans la création de ces rôles secondaires, les prodiguent parfois
au-delà du nécessaire.
La distribution des pièces de la première moitié du siècle est donc
souvent abondante. Chryséide et Arimand (1630), la première pièce de
Mairet, comporte dix-sept personnages, dont huit ne paraissent que dans
Une scène chacun, et quatre dans deux scènes chacun seulement ; il ne reste
donc que cinq personnages dont le rôle soit assez important pour s’étendre
sur trois scènes ou davantage ; certaines « utilités » n’ont que quelques vers
à dire. Même prodigalité des personnages secondaires dans l’Heureux
naufrage (1637) de Rotrou : la pièce a vingt rôles au moins, en ne comptant
que deux « archers » et deux « trompettes » ; leur nombre n’est pas spécifié
par Rotrou ; ils sont d’ailleurs muets, ainsi que le bourreau ; il reste donc
quinze personnages parlants ; mais six d’entre eux seulement sont
importants ; les autres n’interviennent que dans un petit nombre de scènes.
L’époque préclassique connaît deux façons de multiplier le nombre des
personnages secondaires. La première consiste à ne les montrer que dans un
très petit nombre de scènes, parfois une seulement, où ils peuvent jouer un
rôle assez important avant de retomber dans l’oubli. La seconde, plus
efficace encore, ne leur accorde qu’un nombre infime de vers, ce qui
permet, mais c’est une facilité dont on n’use que rarement, de les faire
revenir en scène plus souvent. Pyrame et Thisbé (1623) de Théophile est un
exemple frappant de la première méthode : huit personnages sur les douze
de la pièce ne paraissent que dans une scène chacun. La Mort de Sénèque
(1645) de Tristan relève encore de cette technique : sur douze personnages,
dont aucun n’a un rôle réduit à quelques vers, la moitié n’est visible que
dans quatre scènes au maximum sur vingt et une. Tout en donnant aux héros
plus de place pour se déployer, on continuera longtemps à ne se faire aucun
scrupule de créer des personnages secondaires pour ne les montrer que dans
un nombre de scènes très restreint. Ainsi la Suivante de Corneille a besoin
de Clarimond pour trois scènes seulement [III, 2, 3, 4], et de Polémon pour
une seule [V, 5]. Rotrou montre dans une unique scène de sa Céliane (1637)
une nourrice qui ne sert qu’à entendre l’héroïne lui dire que Florimant est
tombé amoureux de Nise [III, 1] ; cette information aurait aussi bien pu
nous être donnée par Céliane dans un monologue, ou dans une scène avec
un autre personnage déjà connu. Du Ryer donne la parole pour la première
et unique fois à un « écuyer » dans l’avant-dernière scène de Saül (1642),
puis dans la toute dernière scène à un autre écuyer : un auteur vraiment
classique aurait supprimé ces personnages, ou alors il les aurait fait
intervenir plus tôt, pour mieux les lier à l’action.
La deuxième méthode préclassique de traiter le personnage secondaire
consiste à lui donner un rôle, sinon muet, du moins réduit au strict
minimum. Rotrou dans Hercule mourant (1636) nous montre un Arsidès
qui n’a que quatre vers à dire [II, 3] et un Lychas qui n’en a qu’un demi [III,
1] ; dans sa Belle Alphrède (1639), Olénie a un rôle de six vers [II, 5] et
Éraste de douze vers et demi [III, 5 et 6]. Corneille se souviendra de cette
technique quand il introduira dans Horace un Flavian qui dit sept vers [II,
2] et un Procule qui en dit un et demi [IV, 6]. C’est dans Mariane (1637) de
Tristan qu’on trouve le plus grand nombre de personnages secondaires aussi
peu loquaces ; il n’y en a pas moins de huit : Tharé, capitaine des gardes,
qui, au cours de quatre scènes [I, 2, IV, 5 et 6, V, 3], dit en tout moins de
quatorze vers, le Grand Prévost qui en deux scènes ne trouve moyen de dire
qu’un vers et demi [III, 2 et 3], et six autres « utilités » dont les rôles sont
longs respectivement de quatre vers pour l’huissier [II, 6] et le concierge de
la prison [IV, 3], trois vers pour l’eunuque [III, 4], deux vers pour chacun
des deux juges [III, 2] et un vers pour le « chevalier d’honneur »
d’Alexandra [IV, 4].
Ce goût des contemporains de Louis XIII pour des personnages
secondaires nombreux, et parfois pittoresques, est sans doute contraire à
l’idéal de rigoureuse concentration qu’imposera le classicisme. Mais il nous
permet d’entrevoir, jusque dans les genres les plus nobles, des personnages
exceptionnels qu’on chercherait en vain dans les pièces analogues de la
seconde moitié du siècle. C’est ainsi que la tragi-comédie de Scudéry,
L’Amant libéral (1638) nous montre, dans sa première scène seulement, un
« juif », Isac. La tragédie de Cléomène (1640) de Guérin de Bouscal donne
une place un peu plus importante, encore que très réduite, au « marchand »
Nicagoras [III, 2, 5 et 6]. Les tragédies perdront ensuite en couleur ce
qu’elles gagneront en rigueur.
Mais les progrès du sens de la rigueur sont si lents qu’il faudra de
longues années aux auteurs dramatiques pour apprendre à se contenter d’un
seul personnage là où ils croient nécessaire d’en introduire un second qui
n’ajoute rien au premier. Les cas de personnages doubles remplissant
exactement la même fonction, et par suite pouvant aisément être remplacés
par un personnage unique, sont nombreux jusqu’à l’époque de la Fronde, et
même au-delà. C’est ce qui se produit en particulier pour les parents du
héros ou de l’héroïne : le début du siècle aime beaucoup mettre en scène le
père et la mère à la fois, bien que l’un des 36deux suffise aux besoins de
l’intrigue. Ainsi les deux parents de la jeune fille, Pizarre et Estéfanie,
occupent une place importante dans la Force du sang de Hardy. Dans les
Bergeries (1625) de Racan, le père d’Arténice, Silène, apparaît au premier
acte, puis au troisième, et encore au cinquième ; on pourrait juger son rôle
suffisant, mais Racan croit utile, au cinquième acte, de le faire accompagner
de son épouse, Crisante. Corneille, dès ses premières comédies, évitera
cette erreur : il ne montrera que le père ou la mère, jamais les deux dans une
même pièce18.
Il y a plus grave : dans Silvanire (1631) de Mairet, non seulement le père
et la mère de la bergère Silvanire, Ménandre et Lérice, sont mis en scène
tous les deux, mais ils paraissent toujours ensemble ; leur rôle est long,
puisqu’il comprend dix scènes, et dans aucune de ces dix scènes on ne voit
Lérice sans Ménandre ni Ménandre sans Lérice19. Cette inséparabilité de
personnages de même fonction, parents ou autres, est un signe infaillible de
l’inutilité de l’un d’entre eux. On la retrouvera dans le Don Sanche de
Corneille, où Don Lope et Don Manrique, pendant onze scènes, sont
toujours ensemble, — et toujours du même avis.
Le goût pour les couples de personnages secondaires persistera, mais
apprendra à se nuancer d’un désir de différenciation ; l’un des deux
personnages osera quitter son compagnon et se risquer seul dans une scène.
Les deux premiers actes d’Amalasonte (1658) de Quinault nous montrent,
pendant cinq scènes, deux conspirateurs inséparables, Clodésile et
Arsamon ; mais au troisième acte, Clodésile paraît seul à la scène 1, et
Arsamon seul à la scène 2 ; puis ce dernier est tué, et Clodésile poursuit sa
carrière jusqu’à la fin du quatrième acte. Ce n’est pas autrement que
Corneille différenciera ses deux jumeaux dans Rodogune. Molière inventera
pour l’École des Femmes le couple si amusant d’Alain et de Georgette, qui
apparaissent ensemble pendant dix scènes ; mais il n’oubliera pas de nous
montrer en outre Alain seul une fois [V, 5] et Georgette seule une autre fois
[V, 8]. De même dans l’Avare, au troisième acte, Brindavoine et La
Merluche sont bien ensemble à la scène 1, mais le premier est seul à la
scène 8 et le second à la scène 9. Au lieu d’une réalité indivise, les
personnages secondaires acquièrent ainsi une réalité individuelle.
Une dernière marque de la prodigalité en personnages secondaires chez
les auteurs dramatiques de la première moitié du xviie siècle peut se trouver
dans l’emploi du personnage qu’Aristote appelle protatique, c’est-à-dire qui
ne sert qu’à faire l’exposition. Ainsi Théophile et Mairet nous montrent une
Bersiane et un Bellimard qu’on ne voit plus après la première scène de la
pièce, dans Pyrame et Thisbé et dans Chryséide et Arimand. Corneille se
laissera encore tenter par les facilités qu’offre le personnage protatique dans
Médée, où Pollux, il est vrai, reparaît au quatrième acte, dans l’Illusion
comique, où Dorante ne sert que d’introducteur, et même dans Sophonisbe,
qui est de 1663, où le rôle de Bocchar se limite à la première scène du
premier acte.
***
***
Et Cléarque répond :
Aussi pouvez-vous voir par cette confidence
Que je vous crois fidèle et rempli de prudence.
Telles sont encore les relations du duc d’Ossonne et de celui que la liste
des personnages appelle son « confident », Almedor, dans les Galanteries
du duc d’Ossonne (1636) de Mairet : nous apprendrons au cours de la pièce
qu’Almedor est « marquis » [II, 1]. Dans Héraclius de Corneille, pas un
seul personnage n’est appelé « confident » ; mais Phocas fait ses
confidences à son gendre Crispe, Léontine à sa fille Eudoxe et Exupère à
son « ami » Amintas ; et ces relations d’amitié sont contingentes, puisqu’au
cours de la pièce le patricien Exupère feindra de se rallier au parti du tyran
Phocas, gagnera sa confiance, deviendra donc, pour mieux le renverser, son
véritable confident [III, 4].
Beaucoup plus modeste, le « suivant » n’a pas évolué autant que
l’« ami » ; par contre, sa forme féminine, la « suivante », est promise à une
grande fortune dramatique26. Le titre de la comédie de Corneille, La
Suivante, témoigne de sa vogue, et les auteurs comiques postérieurs, en
particulier Molière, feront une large place à l’emploi qu’on désignera plus
tard par le terme de « soubrette ». De même, le rôle important du « valet »
dans la comédie, qui s’appuie sur une abondante tradition remontant jusqu’à
Plaute, ne s’explique que par les confidences du maître au valet. Une
tragédie du début du xviie siècle, Hercule mourant (1636) de Rotrou, atteste
que le valet est, lui aussi, un des ancêtres du confident tragique : Agis,
désigné comme « Confident d’Hercule » dans la liste des « Acteurs » est
appelé « valet » par Déjanire dans le cours de la pièce [III, 3].
Passons aux personnages secondaires plus âgés que le héros, et qui ont
pris soin de son enfance. On rencontre d’abord la nourrice » Rôle
essentiellement comique au début du siècle, il est joué par un homme dont
le visage est couvert d’un masque, ce qui permet des effets grossiers, mais
sûrs, voire des gestes obscènes, qui soulignent la gaillardise des propos
prêtés au personnage et dont se délecte le public populaire. C’est ainsi que
Corneille entend la nourrice dans ses deux premières comédies, Mélite et la
Veuve27. Mais dans sa troisième comédie, La Galerie du Palais, plus de
nourrice : elle est remplacée par une suivante, c’est-à-dire par une
confidente, et Corneille souligne cette innovation dans l’Examen de la
pièce : « Le personnage de nourrice, qui est de la vieille comédie et que le
manque d’actrices sur nos théâtres y avait conservé jusqu’alors, afin qu’un
homme le pût représenter sous le masque, se trouve ici métamorphosé en
celui de suivante, qu’une femme représente sur son visage ». Ainsi ennoblie
et promue à la dignité de confidente, la nourrice pourra figurer dans la tragi-
comédie, par exemple dans l’Heureux naufrage (1637) de Rotrou, et même
dans la tragédie : dans Sophonisbe (1635) de Mairet, Phénice,
« confidente » de Sophonisbe dans la liste des personnages, est appelée
« nourrice » dans la pièce [I, 3] ; dans Phèdre de Racine, Œnone, dont il est
superflu de souligner la dignité, nous est présentée comme « nourrice et
confidente de Phèdre ».
Pourtant, le mot même de nourrice restera suspect à bien des auteurs de
tragédies. Corneille, qui savait ce qu’était une nourrice de théâtre, s’en
méfiera : dans Médée, Cléone est la « gouvernante » de Creuse : c’est une
nourrice qui n’ose pas dire son nom ; de même, dans le Cid, Léonor est
« gouvernante » de l’Infante ; dans Horace, Julie, qui aurait aussi bien pu
être une gouvernante, cette forme noble de la nourrice, est simplement une
« Dame romaine, confidente de Sabine et de Camille ». À côté de la
gouvernante paraît naturellement le « gouverneur » : il s’appellera
Timagène dans Rodogune de Corneille ou Théramène dans Phèdre de
Racine.
Empruntant les traits de personnages si divers, satisfaisant d’autre part
aux idées régnantes sur la « suite » des grands, le confident occupe une
place importante dans les pièces du début du xviie siècle. Au xvie siècle, des
têtes couronnées ne pouvaient guère se satisfaire d’un seul confident :
Octavien en a trois et Cléopâtre deux dans la Cléopâtre de Jodelle. Le
e
xvii siècle met une borne à ce luxe ; en 1623, Théophile se contentera à peu
près d’un confident par personnage dans Pyrame et Thisbé ; mais chacun de
ses héros devra encore être accompagné d’un confident ; les quatre
premières scènes de la pièce nous présenteront successivement Thisbé, le
père de Pyrame, le roi et Pyrame, flanqués respectivement de Bersiane,
Lidias, Syllar et Disarque. Un « Messager » anonyme qui intervient au
troisième acte doit en outre être considéré comme un second confident du
roi. Enfin la mère de Thisbé a une confidente qui s’appelle tout simplement
« La Confidente » : son emploi est si connu qu’elle n’a pas plus besoin de
nom que « La Nourrice » ou « Le Messager ». Dans les Bergeries (1625) de
Racan, Clorise, « confidente d’Arténice », est seule de son espèce, mais elle
a droit, distinction habituellement réservée aux héros [Infra, IIe partie, ch. 4,
section 3], à un monologue [V, 3]. Chryséide et Arimand (1630) de Mairet
présente, outre Alexandre, déjà signalé, Bellaris, que Chryséide appelle
Unique confident de nos chastes amours, [II, 1]
***
Le type étant ainsi constitué, quelles sont ses fonctions dans le théâtre
classique ? La plupart des critiques pensent que le confident sert à
remplacer le monologue : ce que le héros dit à son confident, il pourrait
aussi bien le dire seul29. Ainsi La Motte estime que « les scènes de
confidence ne sont que des monologues déguisés » et Nisard trouve que les
confidents servent « à épargner aux personnages principaux des
monologues »30. Il est hors de doute que les informations communiquées au
public par des scènes de confidences peuvent lui être données également
par des monologues ; mais le fait qu’elles le puissent ne résout nullement le
problème ; il est en effet impossible de prouver que l’intention des auteurs a
été réellement de remplacer des monologues par des confidents ; cette
intention fût-elle prouvée, il resterait à établir que cette fonction de
remplacement constitue l’utilité essentielle du confident. En fait, le
confident n’a nullement tué le monologue : ce dernier a la vie dure, pendant
tout le cours du xviie siècle [Infra, IIe partie, ch. 4, section 5], et bien des
auteurs semblent rechercher plutôt qu’éviter les occasions de faire
monologuer leurs héros. Mais on ne peut tout dire en monologues, et le
confident a sans doute, dans une mesure qu’il nous est impossible
d’apprécier, déchargé le monologue d’une partie de ses écrasantes
fonctions. Cette réserve toutefois ne nous permettrait pas d’expliquer
pourquoi monologue et confident sont si peu incompatibles qu’ils se
développent concurremment sans paraître se gêner et que les héros
n’hésitent pas à se lancer dans de véritables monologues en présence même
du confident dont on nous affirme qu’il n’est là que pour les en dispenser.
L’existence du « monologue devant le confident », attestée par de nombreux
exemples [Ibid., section 4], nous avertit que ce n’est pas dans des
hypothèses qu’il faut chercher l’explication de ces apparentes anomalies,
mais dans une analyse plus poussée de la conception du confident chez les
auteurs dramatiques.
Jean-Louis Barrault déclare : « En tragédie, le personnage est à son
confident ce que l’homme est à son « double » [cf. son éd. de Racine,
Phèdre : 87]. Le confident, reflet du héros, n’a en effet qu’une existence
assez incertaine. Semblable à ces personnages où s’est complu le
romantisme allemand et qui ne sont ni vraiment vivants ni vraiment morts,
le confident est là et il n’est pas là. Il est là s’il faut écouter, donner la
réplique, poser quelque question, transmettre une information, avertir ou
consoler. Il n’est pas là, si l’on préfère l’oublier. Convention qui lassera,
mais dont il ne faudrait pas méconnaître la nouveauté et l’intérêt à une
époque où il s’agissait de rompre la monotonie des formes fixes que la
poésie dramatique avait héritées de ses devancières et de lutter contre la
tyrannie de la tirade. Au prix d’une fadeur qui n’est pas apparente tout de
suite, le confident introduit de la souplesse dans un dialogue qui en
manquait. Cette souplesse, il la doit à sa constante possibilité d’être
considéré comme présent ou absent, bien que son corps soit toujours là.
Dans une scène de la Mort de Commode (1659) de Thomas Corneille,
l’une des héroïnes, Helvie, est avec sa confidente Julie et avec Flavian qui
vient de lui annoncer que l’empereur a condamné à mort son père. Elle dit à
Flavian :
Allez, de grâce, et me laissez du moins
Dans un sort si cruel soupirer sans témoins. [III, 3]
Flavian sort, et Helvie reste avec Julie, qui lui adresse aussitôt la parole.
« Sans témoins » signifiait donc sans autre témoin que la confidente, qui ne
compte pas. Il importe assez peu à certains auteurs de préciser si la
confidente assiste ou non à telle ou telle scène. Dans Alcméon de Hardy,
Alphésibée, sur le point de tirer vengeance de son mari Alcméon, dit à sa
nourrice :
Réserve-toi sans plus, spectative muette
Du plus tragique objet que verront les neveux,
Mais Corneille, qui a écrit la scène 3 du même acte, n’a pas osé tenir
cette promesse ; il fait assister Zéphire à cette scène, assez hardie pour
l’époque, où Psyché avoue la première son amour à l’Amour.
On est si habitué à voir les confidents figurer à ces sortes de scènes que si
l’auteur veut souligner qu’ils n’y sont pas, il doit indiquer explicitement que
les héros les renvoient ; et les confidents ne sont pas renvoyés sans raison
sérieuse. Une héroïne qui se prépare à être audacieuse préfère être seule ;
ainsi Eriphile, dans Timocrate de Thomas Corneille, voyant venir Cléomène
qu’elle aime, dit à sa confidente :
Cléone, quelle peine !
N’importe, éloigne-toi. Tout parjure qu’il est,
S’il daigne s’excuser, sa présence me plaît. [II, 3]
Pierre Corneille, pas plus que son frère, n’avait fait assister une
confidente à ces élans du cœur ; par contre, dans l’autre grande scène du
Cid où Rodrigue et Chimène sont face à face, celle où ils déplorent leur
destin tout en affirmant qu’ils s’aiment toujours [III, 4], Elvire était là.
On peut aussi, pour utiliser les remarquables facultés d’absence du
confident, pour faire qu’il soit là tout en n’y étant pas, introduire une
distinction entre la confidente et la suivante. Souvent confondus, les deux
personnages sont bien différenciés dans Mirame de Desmaretz de Saint-
Sorlin. La princesse Mirame paraît au début d’une scène avec sa
« suivante » Alcine et avec Almire, qui nous est décrite comme « princesse
confidente de Mirame ». Ses premiers mots sont :
Alcine, laisse-nous. [I, 5]
***
L’emploi du confident dans la dramaturgie classique est, on le voit, un
procédé bien commode ; trop commode même. Car les facilités qu’il
apporte sont si grandes qu’on est tenté d’en abuser, et qu’on en abuse en
effet. De là deux périodes dans l’histoire du confident au xviie siècle : une
période d’engouement pour le confident, qui aboutit à la satiété devant la
monotonie vite perçue de ses effets, et une période de réaction ; après le
confident triomphant, le confident honteux.
C’est vers 1635-1645 que l’enthousiasme pour le confident est à son
comble. C’est pendant cette période que Corneille publie sa Suivante
(1637), qui est proprement le drame — et aussi la comédie — de la
confidence et où l’on peut voir cette curiosité, une confidente élevée à la
dignité d’héroïne. Dans d’autres pièces de cette période, les rôles de
confidents sont longs et nombreux. Le Saül (1642) de du Ryer en présente
quatre, dont aucun ne s’appelle « confident » ; mais Abner, Phalti et les
deux écuyers parlent beaucoup plus que leur importance réelle dans
l’intrigue ne semblerait les autoriser à le faire. Dans Alcionée (1640), du
Ryer avait introduit, outre la « confidente » en titre, Dioclée, une « fille
d’honneur », un « ami » et deux « seigneurs » qui jouent le même rôle.
Rotrou est dans son Bélissaire (1644) l’émule des dramaturges du
xvi
e siècle en ce point, puisqu’il ne lui faut pas moins de cinq
« confidents », ainsi désignés dans la liste des personnages, trois pour César
et deux pour Bélissaire. On n’hésite pas non plus à introduire dans le texte
le mot de « confident », qui est en vogue et ne donne pas encore une
impression d’artifice. Les héros de la Sophonisbe (1635) de Mairet [IV, 4]
ou de la Comédie des Tuileries (1638) des Cinq Auteurs [I, 2] disent
volontiers « cher confident ».
Après la Fronde, les choses ont bien changé. Quand l’abbé d’Aubignac
en 1657 parle des « discours pathétiques » que l’on fait prononcer aux
confidents, il est plein de réticences ; le confident lui apparaît comme un
mal nécessaire, un intrus qui a pris une trop grande place et qu’il faut
ramener à une attitude plus modeste : … « les suivants ou confidents des
princes, et les amis des principaux intéressés au théâtre, quoique dans la
liaison des intrigues ils soient comme des acteurs nécessaires, ne peuvent
pas mener bien loin leurs plaintes et leurs passions ; et… les discours
pathétiques ne peuvent pas être longs dans leur bouche ; il suffit qu’ils
s’expliquent par quelques paroles, laissant le reste aux réflexions naturelles
que chacun peut faire… » - [Pratique du théâtre, L. IV, ch 7 : 337]. Cette
réserve est poussée jusqu’à la méfiance dans la tragi-comédie de Magnon,
Tite, qui est de 1660. La première scène de la pièce montre la reine
Bérénice, déguisée en homme, et accompagnée d’un confident
remarquablement peu loquace, Cléonte, qui n’interrompt d’abord les
discours de la reine que par des répliques d’un vers ou d’un demi-vers. Plus
loin, c’est Bérénice qui joue le rôle de confident vis-à-vis de Tite ; dans
cette scène assez longue, Bérénice, en quatorze répliques, prononce moins
de treize vers [I, 3]. Même laconisme de la part de Flavie, confidente de
Mucie au quatrième acte : cinq répliques, cinq vers au total [IV, 1].
L’emploi de confident semble avoir gêné Magnon dans cette pièce ; il a
visiblement voulu le réduire à sa plus simple expression.
La même gêne se manifeste dans les corrections que d’autres auteurs
apportent au texte de leurs pièces. Corneille avait appelé Elvire « suivante
de Chimène » dans l’édition originale du Cid ; à partir de 1660, Elvire
devient « gouvernante de Chimène ». De même dans Rodogune, Timagène
était en 1647 un « gentilhomme syrien, confident des deux princes » ; en
1660, plus de confident : Timagène sera « gouverneur des deux princes ».
Décidément, le confident n’est plus à la mode.
***
Voilà une confidente qui se sent de plain-pied avec les autres personnages
et vit de la même vie qu’eux.
L’Ariane (1672) de Thomas Corneille présente un autre caractère
intéressant de confidente, moins sympathique, mais bien réel. Nérine,
confidente d’Ariane, est sèche et dure ; elle n’aime pas sa maîtresse, peut-
être la hait-elle. Quand Ariane comprend qu’elle a été trahie par Thésée,
Nérine ne trouve d’abord à dire que « Je vous plains » [II, 6], puis insinue
que Thésée trahissait peut-être Ariane depuis longtemps. L’héroïne alors se
révolte :
Ah ! que me fais-tu voir, trop cruelle Nérine ?
L’exposition
Les personnages que nous venons de passer en revue doivent nous être
présentés dans la pièce avant que l’action proprement dite puisse
commencer. Pour que nous nous intéressions à eux, il faut d’abord que nous
sachions qui ils sont. Cette présentation est faite, en même temps que
d’autres renseignements indispensables nous sont donnés, dans ce qu’on
appelle l’exposition. Une exposition complète, selon l’auteur du manuscrit
559 de la Bibliothèque Nationale1, « doit instruire le spectateur du sujet et
de ses principales circonstances, du lieu de la scène et même de l’heure où
commence l’action, du nom, de l’état, du caractère et des intérêts de tous les
principaux personnages » [Section IV, ch. 1, § 2]. Il convient de se
demander d’abord où nous pourrons trouver tous ces renseignements.
I – Où est l’exposition ?
À prendre les choses très en gros, il est évident que les éléments de
l’exposition doivent nous être donnés, pour la plupart, vers le début de la
pièce. « L’exposition est le premier moment du poème dramatique », écrit
M. Bray [Doctrine classique, : 322]. À y regarder de plus près, on
s’aperçoit qu’il est délicat de définir les limites exactes de l’exposition. On
prend en général pour accordé, de façon implicite, qu’elle commence avec
la pièce elle-même, qu’elle se poursuit continûment pendant un certain
nombre de scènes et qu’elle se termine à un endroit variable, quand elle a
fini d’énumérer tout ce qu’il était utile de faire connaître. Nous allons voir
que chacun de ces points est sujet à discussion. Pour l’établir, il suffit de
relever dans chaque pièce tous les énoncés de faits dont la connaissance est
indispensable à l’intelligence de l’intrigue. C’est l’ensemble de ces faits qui
constitue proprement l’exposition. Leur répartition dans la pièce, c’est-à-
dire la place que leur énoncé occupe dans les différentes scènes, définira les
limites précises de ce « premier moment du poème dramatique ».
Boileau veut
Que dès les premiers vers l’action préparée
Sans peine du sujet aplanisse l’entrée [Art poétique, chant III, vers 27-28]
et proclame encore :
Le sujet n’est jamais assez tôt expliqué. [Ibid. chant III, vers 37]
Pourtant l’exposition, qui commence dans la plupart des cas dès le début
de la pièce, ne s’astreint pas toujours à suivre cet usage. Des éléments non
essentiels à l’intrigue peuvent occuper les premières scènes. Une toile de
fond sera brossée à grands traits avant que les personnages principaux, dont
le heurt déclenchera l’action, nous soient connus. Ainsi la Sémiramis (1647)
de Gilbert commence par deux scènes où l’on apprend seulement qu’une
bataille est engagée entre les Assyriens et les Bactriens, sans que nous
sachions encore à qui nous devons nous intéresser. L’exposition ne débute
qu’à la scène 3, où nous apprenons que la guerrière Sémiramis, femme du
favori Ménon, a sauvé la vie au roi d’Assyrie, Ninus, au cours de la bataille.
Puis l’on s’aperçoit que Sosarme, fille de Ninus, est amoureuse de Ménon,
et que Ninus aime Sémiramis, tandis que cette héroïne veut rester fidèle à
son mari. L’exposé de ces faits, contenu dans la scène 4 et dernière du
premier acte et dans la première scène de l’acte II, constitue l’exposition de
la tragédie. De même la première scène de la Sophonisbe de Corneille
n’apprend rien d’utile à l’action, sinon ce fait accessoire qu’une trêve a été
conclue entre les Numides et les Romains, et rien d’important sur les héros,
sinon que le roi Syphax aime sa femme Sophonisbe. C’est à la scène 2 que
se trouve l’exposition véritable ; elle comprend les faits suivants :
Sophonisbe a aimé le roi Massinisse, qui l’aimait aussi ; Eryxe, reine de
Gétulie, aime de son côté Massinisse, mais Sophonisbe se refuse à
permettre le mariage de Massinisse et d’Eryxe. C’est à partir de ces
éléments que le drame va s’engager.
Dans d’autres cas, si le début de l’exposition ne coïncide pas avec le
début de la pièce, c’est parce que l’auteur se livre, par la bouche de certains
personnages, à des considérations générales d’ordre philosophique ou
moral, avant d’exposer un sujet qui sera l’illustration de ces principes. Cette
technique est évidemment très archaïque. On la trouve par exemple dans
Scédase de Hardy. La première scène de cette tragédie n’a de portée que
générale. Le roi de Sparte y expose ses idées sur la corruption
qu’engendrent les richesses, et craint que l’or ne corrompe la moralité
Spartiate. La scène 2 commence de même par une discussion de trois amis
sur l’amour ; les deux plus jeunes pensent que c’est un penchant auquel il
faut s’abandonner ; le plus âgé essaie en vain de les dissuader d’aimer. Ce
n’est qu’après ces généralités qu’on apprend que ces deux jeunes gens
aiment les deux filles du vieux Scédase, dont ils vont recevoir l’hospitalité.
Au début du deuxième acte, Scédase, habitant d’un petit bourg, chante le
bonheur des paysans et dit qu’il voudrait marier ses deux filles ; il les quitte
après leur avoir recommandé la chasteté. Enfin seulement les deux héros,
corrompus par l’or, rencontrent les deux jolies paysannes, auxquelles ils
feront subir les dernières violences au troisième acte.
Cette façon de faire dépendre l’exposition de principes généraux sera
méprisée par la tragédie classique, mais sera reprise, comme bien des
procédés archaïques, par Molière. Dans l’École des Femmes, une discussion
générale entre Arnolphe et Chrysalde sur le « cocuage » précède l’exposé
du sujet. Le Misanthrope commence par une discussion sur l’amitié et la
sincérité, les Femmes Savantes par des généralités sur le mariage et la vie
intellectuelle des femmes. L’exposition proprement dite ne vient qu’ensuite,
par voie de conséquence.
À ces exceptions près, l’exposition commence à la première scène de la
pièce. Où finit-elle ? Selon Corneille, elle doit se limiter au premier acte.
Son troisième Discours nous parle de la « protase » (c’est ainsi qu’il appelle
l’exposition) « que doit fermer le premier acte » [Marty-Laveaux, t. 1 : 101]
et le premier Discours affirme que cet acte « doit contenir les semences de
tout ce qui doit arriver, tant pour l’action principale que pour les
épisodiques, en sorte qu’il n’entre aucun acteur dans les actes suivants qui
ne soit connu par ce premier, ou du moins appelé par quelqu’un qui y aura
été introduit » [Ibid. : 42]. Cette règle est une des conditions de l’unité
d’action en même temps qu’une définition de l’exposition, comme le
remarque d’ailleurs Corneille à la suite de ce passage. Il donne lui-même
des exemples des cas où elle est observée dans son œuvre et de ceux où elle
ne l’est pas. L’arrivée du vieillard de Corinthe au cinquième acte d’Œdipe
est préparée dans l’exposition quand Œdipe dit au premier acte qu’il attend
la nouvelle de la mort de son père ; dans la Veuve, Célidan, qui ne paraît
qu’à l’acte III, « y est amené par Alcidon, qui est du premier » [Ibid. : 43 et
l’Examen de la Suivante]. Inversement, la possibilité de l’arrivée des
Maures dans le Cid n’est pas prévue dans l’exposition, ni celle du plaideur
de Poitiers dans les éditions du Menteur antérieures à 1660.
Mais quand on examine d’autres pièces de Corneille ou de ses
contemporains, on s’aperçoit que le premier acte est souvent un espace
beaucoup trop vaste pour l’exposition, qui n’a besoin fréquemment que
d’un petit nombre de scènes de cet acte, voire d’une seule. Beaucoup de
pièces classiques condensent leur exposition dans leur première scène. Dès
la première rencontre d’Oreste et de Pylade, Racine nous apprend dans
Andromaque l’amour d’Oreste pour Hermione, celui d’Hermione pour
Pyrrhus, celui de Pyrrhus pour Andromaque, la résistance d’Andromaque à
Pyrrhus et l’ambassade dont Oreste est chargé, c’est-à-dire tous les
éléments nécessaires à l’intrigue. Corneille nous fait savoir dans la première
scène d’Horace qu’il y a une guerre entre Albe et Rome, que Sabine, sœur
des Curiaces albains, est femme du Romain Horace et que Camille, sœur
d’Horace, est fiancée à Curiace et en outre aimée de Valère ; et c’est tout ce
qu’il est indispensable de savoir. Même rapidité dans Cinna et dans Othon.
La première scène de Nicomède est remarquable par le nombre de
renseignements nécessaires et suffisants qu’elle nous apporte : Nicomède,
général victorieux adoré de son armée et du peuple, fils d’un premier
mariage du roi de Bithynie Prusias, aime la reine d’Arménie, Laodice, et est
aimé d’elle. Il est en butte à l’hostilité de sa belle-mère Arsinoé, toute-
puissante sur l’esprit de Prusias. Il vient de quitter son armée, en amenant
avec lui deux individus payés par Arsinoé pour l’assassiner. Son jeune frère
Attale vient d’arriver de Rome, où il a été élevé, et avec l’appui de
l’ambassadeur romain Flaminius brigue la main de Laodice. Tout y est, et il
n’y aura plus rien à ajouter.
Parfois l’exposition a besoin des deux premières scènes du premier acte.
Ainsi dans Alcionée de du Ryer, la scène 1 montre que la princesse Lydie
aime le général Alcionée mais ne veut pas l’épouser, la scène 2 qu’Alcionée
aime Lydie et aspire à sa main. Dans Mithridate de Racine, la scène 1 nous
met au courant de la situation politique et nous apprend que Monime est
aimée à la fois par Mithridate et ses deux fils, mais c’est la scène 2 qui nous
montre l’amour de Monime pour Xipharès. Souvent, les éléments les plus
importants de l’exposition sont contenus dans la scène 1, et les éléments
subordonnés dans la scène 2. La première scène du Cid fait savoir que
Rodrigue et Chimène s’aiment et vont se marier ; la deuxième, que l’Infante
aime Rodrigue : élément utile, mais secondaire. De même, la scène 1 de
Suréna expose les faits suivants : Suréna, général parthe, et Eurydice,
princesse arménienne, s’aiment ; mais Eurydice doit, en vertu d’un traité de
paix, épouser Pacorus, fils du roi des Parthes, et craint que Suréna ne soit
obligé d’épouser Mandane, sœur de Pacorus ; la scène 2 ne concerne pas les
héros principaux, Suréna et Eurydice, mais nous apprend l’amour
réciproque de Pacorus et de Palmis, sœur de Suréna.
Il est rare, sauf dans des pièces archaïques comme Scédase de Hardy, que
l’exposition occupe sans interruption tout le premier acte et déborde sur les
actes suivants. Ce qui est fréquent, au contraire, c’est que l’exposition soit
suspendue, parfois assez longtemps, pour reprendre plus tard. Marmontel
écrit à ce sujet : « L’exposition se fait ou tout d’un coup ou successivement,
selon que le sujet l’exige… C’est ainsi que dans Héraclius le secret de
l’action se développe d’acte en acte, et n’est pleinement éclairci qu’au
moment de la catastrophe ; au lieu que dans le Cid dès la première scène
tout est connu »2. Les exemples de Marmontel sont inexacts3, mais la
distinction qu’il introduit entre exposition continue et exposition
discontinue est essentielle. Toutes les expositions que nous avons étudiées
jusqu’à maintenant sont continues. Essayons de voir pourquoi d’autres
expositions affectent une allure discontinue.
Ce n’est pas nécessairement, comme l’exemple d’Héraclius pourrait le
faire croire, par désir d’exciter la curiosité du spectateur en ne lui dévoilant
que progressivement les véritables données du problème. C’est plus souvent
parce que l’auteur, ne pouvant ou ne voulant charger de trop de faits la
mémoire du public dès le début, préfère espacer l’énoncé de ces faits,
donner d’abord une partie de l’exposition seulement, puis un peu d’action,
puis un renouveau d’exposition, et ainsi de suite s’il y a lieu. Cette méthode
permet d’éviter les trop longs exposés de faits antérieurs à l’action, qui sont
ennuyeux, et de n’indiquer les éléments utiles qu’au moment où ils vont
être utiles, et non avant. On peut ainsi graduer ses effets et mieux répartir
les efforts qu’on demande à la mémoire du spectateur, au risque d’un peu de
lenteur.
De ce genre est l’exposition du Comte d’Essex de La Calprenède.
Elizabeth pense dès la première scène du premier acte qu’Essex l’a trahie et
montre dès la deuxième qu’elle aime toujours Essex. Mais il faut attendre
jusqu’au deuxième acte pour savoir, à la scène 3, que Madame Cécile aime
Essex et à la scène 5 qu’elle est aimée de lui ; c’est pourtant cet amour qui
provoquera le dénouement tragique. Dans Polyeucte, Corneille nous
apprend dans la première scène que Polyeucte et Pauline s’aiment et que
Polyeucte est chrétien ; mais il peut attendre jusqu’à la scène 3 pour nous
dire que Pauline a aimé Sévère, et jusqu’à la scène 1 de l’acte II pour nous
montrer que Sévère aime toujours Pauline. Thomas Corneille consacre bien
la première scène de son Stilicon à nous faire connaître l’amour d’Eucherius
pour la sœur de l’empereur Honorius, Placidie, qui d’ailleurs ne veut pas
l’épouser, et la seconde à nous assurer que l’empereur est favorable à ce
mariage ; mais il attend jusqu’à la scène 7 pour montrer Stilicon, père
d’Eucherius, se décidant à faire tuer Honorius pour mettre son fils sur le
trône, parce que cette décision résulte des refus persistants de Placidie, qui
ne trouve pas Eucherius digne d’elle. Que Placidie aime pourtant Eucherius,
il est nécessaire de le savoir pour que l’exposition soit complète, mais il
suffira que nous le sachions au début du deuxième acte.
Discontinuité plus grande encore dans Tartuffe, où Molière ne livre que
peu à peu, et jamais trop tôt, les éléments nécessaires d’une lente
exposition. Chacun des personnages est vivement crayonné par Madame
Pernelle dans la première scène ; la scène 2 complète le portrait de Tartuffe
et montre combien Orgon est entiché du saint homme ; c’est seulement à la
scène 3 que nous savons que Valère veut épouser Mariane et Damis la sœur
de Valère ; le projet d’Orgon, qui veut donner Mariane à Tartuffe, n’est
connu qu’au début du deuxième acte ; et il faut attendre jusqu’à la scène 3
de l’acte III pour savoir que Tartuffe convoite Elmire. Le Prince déguisé de
Scudéry va plus loin encore : on y trouve des éléments d’exposition
jusqu’au quatrième acte ; c’est en effet à la scène 1 de cet acte qu’une
conversation entre deux personnages secondaires nous explique, un peu
tard, pourquoi le roi père de Cléarque ne l’a pas empêché de se lancer dans
la folle aventure qui semble devoir causer sa perte ; et c’est à la scène 7 du
même acte que le chancelier donne lecture de la loi du royaume sous le
coup de laquelle tombe le crime des deux amants.
Une autre raison peut amener les auteurs à couper leurs expositions en
deux morceaux séparés : c’est l’usage de n’introduire certains héros qu’au
début de l’acte II. « Dans les tragédies à double intrigue, écrit Marmontel,
l’exposition est nécessairement double ; et Racine est assez dans l’usage
d’en réserver une partie pour le second acte »4. La formule n’est pas
toujours exacte, car les héros introduits à l’acte II ne portent pas
nécessairement leur exposition avec eux : ainsi Hermione, qui n’apparaît
qu’au deuxième acte d’Andromaque, est connue dès le début du premier.
Mais l’introduction d’un nouveau héros à l’acte II entraîne souvent un
renouveau d’exposition. Ainsi dans Iphigénie de Racine, la première scène
de l’acte I nous apprend tout ce qui concerne Iphigénie, l’oracle qui
demande sa mort et les efforts d’Agamemnon pour sauver sa fille ; mais ce
n’est qu’à la scène 1 de l’acte II, quand paraît Eriphile, que nous sommes
informés de l’autre oracle qui concerne cette princesse et de son amour pour
Achille. L’exposition du Dépit amoureux de Molière, construite exactement
de la même façon, est contenue également dans les scènes initiales des
actes I et II. La première montre Éraste, amant de Lucile, qui doute de
l’amour de la jeune fille et craint qu’elle n’aime Valère, qui est amoureux
d’elle ; son valet Gros-René est bien plus tranquille au sujet de l’amour de
Marinette, suivante de Lucile, qu’il aime, et ne craint point la rivalité de
Mascarille, valet de Valère. La deuxième introduit un personnage nouveau,
Ascagne, sœur de Lucile, qui aime Valère et l’a épousé secrètement en se
faisant passer, de nuit, pour Lucile.
Il y a enfin des cas où l’exposition est discontinue pour piquer la
curiosité. L’exemple d’Héraclius de Corneille n’est, à cet égard,
caractéristique qu’en apparence. On y apprend dans la première scène la
version de la mort d’Héraclius enfant que le tyran Phocas croit véridique, et
en même temps que Phocas veut forcer Martian et Pulchérie, qui se
détestent, à s’épouser ; la scène 4 du premier acte montre l’amour
d’Héraclius pour Eudoxe, fille de Léontine et celui de Pulchérie pour
Léonce ; la scène 1 du deuxième acte révèle enfin, par une conversation
entre Léontine et Eudoxe, la vérité sur la mort de l’enfant qu’on prenait
pour Héraclius. La discontinuité est certaine. Mais à partir de ce début du
deuxième acte, le public connaît toutes les véritables identités des
personnages, bien que certains de ceux-ci les ignorent et que les méprises
qui en résultent fassent le sujet de la tragédie. Plus savamment graduée est
l’exposition de Rodogune, où chaque scène du premier acte apporte un fait
nouveau : l’aîné des deux jumeaux doit épouser Rodogune (sc. 1),
Antiochus aime Rodogune (sc. 2), Séleucus l’aime aussi (sc. 3), Cléopâtre
déteste Rodogune (sc. 4), Rodogune craint Cléopâtre et aime l’un des deux
frères (sc. 5) ; mais ce n’est qu’au début de l’acte IV que nous saurons que
c’est vers Antiochus que va l’amour de la princesse.
Le Timocrate de Thomas Corneille est sans doute la pièce où cet effet de
surprise est porté le plus loin. Toute l’intrigue repose sur le fait que
Timocrate, qui attaque le royaume d’Argos, et Cléomène, qui le défend,
sont une seule et même personne. Or ce fait n’est révélé aux spectateurs
qu’à la scène 8 de l’acte IV, ce qui ne l’empêche pas d’être un élément
indispensable de l’exposition.
Rien n’est plus difficile que de faire une bonne exposition. Les
théoriciens l’affirment5 et les hésitations des auteurs l’attestent. C’est que
l’exposition doit satisfaire simultanément à de nombreuses conditions.
L’énumération la plus complète de ces conditions se trouve dans le
manuscrit 559 ; nous pouvons la prendre comme point de départ pour
étudier les règles de l’exposition et les écueils sur lesquels on risque de se
précipiter en négligeant ces règles. « L’exposition, affirme l’auteur de ce
manuscrit, doit être entière, courte, claire, intéressante et vraisemblable »
[Section IV, ch. 1, § 1].
Remarquons d’abord que « entière » et « courte » sont des qualités qui
peuvent être rendues complémentaires par le procédé de l’exposition
discontinue : si les données nécessaires à l’exposition sont trop nombreuses,
on peut les disperser en deux ou trois endroits différents, ce qui fera paraître
l’ensemble moins long. Mais une exposition peut être courte sans être
entière, si l’auteur a omis d’« amener », comme dit Corneille dans le
passage cité plus haut, ou, comme il le dit dans le premier Discours,
d’« insinuer » [Marty-Laveaux, t. 1 : 44 et Examen de la Suivante] des
personnages importants au premier acte. L’exposition du Cid est courte,
mais incomplète. Celle de Mélagre de Hardy, comme le souligne Rigal,
« est à la fois démesurée et insuffisante » [Alexandre Hardy : 311] : elle
occupe deux actes, mais des renseignements indispensables ne s’y trouvent
pas. Une exposition courte et complète, comme celle d’Andromaque,
représente un idéal, difficile à atteindre.
L’exposition doit en outre être « claire ». Elle ne le sera pas si elle
contient le récit d’événements antérieurs complexes, tels que guerres,
changements de dynasties, haines de familles, substitutions d’enfants, etc.
Telles sont les expositions de Rodogune et d’Héraclius de Corneille. Une
faute plus grossière encore consiste à donner au spectateur au début de la
pièce des indications dont il s’apercevra ensuite qu’elles sont erronées. Le
public est ainsi entraîné sur des fausses pistes dans la Sœur valeureuse de
Mareschal : on croit au début de cette pièce que Lucidor a refusé un cartel
de Dorame, donc qu’il est un lâche ; mais on comprend beaucoup plus tard
[II, 3] que le cartel a été intercepté par Mélinde qui a répondu à la place de
Lucidor en refusant le combat. L’effet a paru si beau à Mareschal qu’il l’a
répété : Lucidor, croit-on, a envoyé un cartel à Dorame ; en réalité, c’est
Olympe qui l’a fait pour lui, et se bat elle-même contre Dorame [I, 6].
Plus souvent encore, l’exposition oublie d’être « intéressante » et
« vraisemblable ». Elle n’est ni l’un ni l’autre quand un personnage raconte
à un autre des événements que ce dernier ne peut manquer de connaître
déjà. Le cas est malheureusement très fréquent. Dans l’Amour tyrannique
de Scudéry, Ormène raconte à ses confidentes Hécube et Cassandre des
événements militaires désastreux qui sont de notoriété publique et dont ses
confidentes ont souffert aussi bien qu’elle. Elle souligne sa maladresse en
terminant ainsi son récit :
Mais pourquoi vous conter un si triste voyage,
Puisqu’aussi bien que moi vous êtes dans l’orage,
Et que vous avez vu les insignes malheurs
Qui perdent ma patrie et qui causent mes pleurs ? [I, 1]
Antiochus sait bien qui il est, mais le spectateur ne le sait pas encore. De
même Agamemnon, à qui son « domestique » Arcas rappelle longuement,
dans la première scène d’Iphigénie, son état civil, ses espérances et sa gloire
passée. La réplique d’Agamemnon qui suit cet élément d’exposition montre
d’ailleurs que le roi a suivi le cours de ses pensées sans écouter l’officieux
Arcas.
On a trouvé un moyen de pallier le caractère artificiel de Ces scènes
d’exposition. Les personnages « qui ne sont introduits que pour écouter la
narration du sujet », dit Corneille, … « sont d’ordinaire assez difficiles à
imaginer dans la tragédie, parce que les événements publics et éclatants
dont elle est composée sont connus de tout le monde, et que, s’il est aisé de
trouver des gens qui les sachent pour les raconter, il n’est pas aisé d’en
trouver qui les ignorent pour les entendre » [Examen de Médée]. La solution
consiste à justifier l’ignorance de ces auditeurs par un long voyage qu’ils
auraient fait dans un pays étranger, d’où ils ne feraient que revenir, et au
cours duquel ils n’auraient rien su des événements qui ont eu lieu dans le
pays où se passe l’action. Cette solution n’est pas excellente ; elle oblige à
insister lourdement sur les particularités, peu intéressantes en elles-mêmes
et inutiles au sujet, qui expliquent cette ignorance. Ainsi dans le Prince
déguisé de Scudéry, Lisandre doit expliquer à Cléarque pourquoi il ignore
la cause et les péripéties d’une guerre :
Mais nous n’en savons rien que fort confusément,
Et même les exploits qui signalent vos armes
…………
Ne me sont point connus, parce que j’étais lors
Dans ces heureux climats d’où viennent les trésors…
Même insistance sur la primauté de l’action chez Clément dans son traité
De la tragédie (1784) :
Le grand art est d’exposer le sujet en action : je veux dire que les
personnages devraient être mis d’abord en scène par un intérêt pressant
qui détermine l’action, et non pour nous donner froidement des
instructions préparatoires au sujet. Il faut que ces éclaircissements
nécessaires viennent ensuite du motif même qui fait agir les
personnages. [t. 2 : 78-79]
Et dit : Je suis Oreste, ou bien Agamemnon. [Art poétique, ch. III, vers
34]
***
Tous les types qui précèdent ont en effet, le plus souvent, un caractère
commun. Ce sont des expositions faites sur un ton calme, le ton de la
narration, et qui ne visent guère qu’à faire connaître des faits, de la manière
la moins artificielle qu’il est possible. Ces sortes d’expositions, qui sont de
loin les plus fréquentes, s’expliquent sans peine par le fait qu’elles sont les
plus faciles à écrire, au risque d’ennuyer lecteurs et spectateurs, et aussi par
les conditions de la représentation : il n’est pas aisé d’obtenir tout de suite
l’attention d’un public turbulent, et il vaut peut-être mieux ne pas lui
présenter des scènes importantes et passionnées dès le début de la pièce ; en
outre, des acteurs peu expérimentés arrivent difficilement à exprimer
d’emblée la passion ; il faut qu’ils s’échauffent d’abord et, comme
l’expliqué d’Aubignac dans une page curieuse [Pratique du théâtre, L. IV,
ch. 1 : 279-281] il vaut mieux qu’ils commencent par exprimer la « demi-
passion ».
Pourtant, certains auteurs ont senti que l’action était toujours
indispensable au théâtre, même dans l’exposition, et ont cherché à faire
débuter leurs pièces de façon animée, voire passionnée. Rotrou commence
sa Clorinde (1637) par une discussion entre deux amants qui manifestent de
l’indignation et même de l’aigreur, et sa Laure persécutée (1639) par le
spectacle d’un prince mis en état d’arrestation ; les explications viendront
plus tard. La première scène du Misanthrope de Molière ne manque pas non
plus d’animation, ni de chaleur. Corneille se félicite de l’exposition de
Pertharite parce que, dit-il dans l’Examen de la pièce, « la façon dont le
sujet s’explique dans la première scène ne manque pas d’artifice ».
L’artifice consiste en ce que les personnages disent ce qu’ils savent — et ce
qu’il faut que nous sachions — sous l’empire de la colère, non en exposant
calmement les faits, mais en les interprétant au cours d’une aigre
discussion.
D’autres pièces vont plus loin encore. Le Médecin malgré lui de Molière
commence par une querelle entre Sganarelle et Martine, si violente qu’elle
se termine par des coups de bâton. Le Comte d’Essex de La Calprenède
débute par les reproches emportés d’Elizabeth à Essex, que la reine accuse
âprement de trahison. Dans l’œuvre de Rotrou, Agésilan de Colchos
commence par un duel représenté sur la scène, Venceslas par les véhéments
reproches du roi Venceslas à son fils Ladislas, Cosroès enfin par une
terrible explosion de haine qui met aux prises Syroès et sa marâtre Syra. On
ne peut pas se plaindre que l’exposition de ces pièces ne serve, comme
disait Clément, qu’à « nous donner froidement des instructions
préparatoires au sujet ».
Corneille enfin, dans deux tragédies successives, a employé une
technique mixte : la scène 1 appartient au type calme et banal de la
conversation entre le héros et le confident, la scène 2 dresse en un
antagonisme furieux un héros contre un autre. Ainsi sont construites les
expositions de Théodore et d’Héraclius. Elles combinent les avantages de la
technique narrative, la plus apte à exposer des situations complexes, avec
les prestiges scéniques de la violence. Ces derniers types d’exposition, on le
voit, montrent la victoire de l’action sur l’exposition pure, et l’intégration
des éléments intellectuels de la pièce à cet élan vers la passion qui est l’un
des éléments permanents et secrets du vrai classicisme.
Chapitre iii
Les théoriciens présentent en général des idées assez claires sur ce qu’est
et sur ce que doit être l’exposition. Ils parviennent de même à nous donner
des notions assez précises sur le dénouement. Mais la partie centrale de la
pièce, qui est de beaucoup la plus importante, ne serait-ce que par son
étendue, échappe le plus souvent à leur analyse, peut-être parce qu’elle
offre une bien plus grande variété de types. La façon même dont on la
désigne n’est pas fixée avec précision : les termes de nœud, d’intrigue et de
situation sont souvent employés l’un pour l’autre, et, semble-t-il,
indifféremment.
De ces trois termes, celui de nœud paraît le plus commode, parce qu’il
présente un rapport évident avec celui de dénouement : le nœud est ce qui
sera dénoué à la fin de la pièce. Mais en quoi consiste-t-il ? Le manuscrit
559 le définit ainsi : « on doit entendre par le nœud les événements
particuliers qui, en mêlant et en changeant les intérêts et les passions,
prolongent l’action et éloignent l’événement principal » [Section IV, ch. 1,
§ 1]. Tous les événements, ou toutes les situations de la pièce, seront donc
contenus dans le nœud. Mais Marmontel définit l’intrigue exactement de la
même façon : « Dans l’action d’un poème, on entend par l’intrigue une
combinaison de circonstances et d’incidents, d’intérêts et de caractères,
d’où résultent, dans l’attente de l’événement, l’incertitude, la curiosité,
l’impatience, l’inquiétude, etc. »1. On peut donc admettre que nœud et
intrigue sont synonymes. Littré définit d’ailleurs l’intrigue comme
« différents incidents qui forment le nœud d’une pièce dramatique »2.
Le mot situation est parfois employé dans le même sens, mais il est
équivoque. Il pourra désigner l’ensemble des incidents d’une pièce, c’est-à-
dire son intrigue ou son nœud — on parlera, par exemple, de la « situation »
d’Andromaque —, mais il pourra désigner chacun de ces incidents, de sorte
qu’il y aura dans une même pièce plusieurs « situations ». Il nous paraît
donc préférable de nous en tenir au terme de nœud, qui, au demeurant, est
courant chez les théoriciens classiques.
Mais comment introduire un peu de clarté dans un ensemble si complexe
et de forme si variable ? Un ouvrage qui fit sensation en son temps prétend
apporter une solution. Dans Les trente-six situations dramatiques, Georges
Polti affirme que les intrigues de toutes les pièces de théâtre existantes et
possibles dans la littérature universelle peuvent se réduire à trente-six
situations-types, ni plus, ni moins, qu’il étudie successivement, en en
donnant de nombreux exemples. Malheureusement, il ne dégage aucun
principe commun à toutes ces situations et donne pêle-mêle, sous le nom de
situations, des éléments dramatiques bien différents. On trouve en effet dans
sa classification des moments de l’intrigue qu’on peut appeler situations,
comme ceux qu’il désigne par les numéros 9 (« Audacieuse tentative »), 19
(« Tuer un des siens inconnu »), ou 24 (« Rivalité d’inégaux ») ; mais on y
trouve aussi des situations compliquées de leurs dénouements, ce qui amène
des distinctions artificielles entre situations identiques suivies de
dénouements différents, comme celles qui portent les numéros 15 et 25
(« Adultère meurtrier » et « Adultère »), 1 et 12 (« Implorer » et
« Obtenir »), 3 et 4 (« Vengeance poursuivant le crime » et « Venger proche
sur proche ») ; on y trouve encore des idées dramatiques qui sont des
passions, c’est-à-dire des caractères de personnages, et non des situations,
comme les numéros 13 (« Haines de proches »), 26 (« Crimes d’amour »),
30 (« Ambition »), 32 (« Jalousie erronée), — ou même de simples thèmes,
comme les numéros 10 (« Enlèvement ») ou 16 (« Folie »). On ne saurait
donc prendre cette classification comme base d’une étude scientifique du
nœud.
C’est plutôt chez certains critiques du xviiie siècle, aujourd’hui bien
oubliés, que nous trouverons un principe général pour étudier le nœud des
pièces de théâtre. L’abbé Morvan de Bellegarde écrit en 1702 dans ses
Lettres curieuses de littérature et de morale : « Le nœud d’une tragédie
comprend les desseins des principaux personnages et tous les obstacles
propres ou étrangers qui les traversent. Il va ordinairement jusqu’à la fin du
quatrième acte, et dure quelquefois jusqu’à la dernière scène du
cinquième… » [p. 332]. Le mot essentiel est prononcé : celui d’obstacle.
Sans obstacle, pas de nœud, et même pas de pièce du tout : l’homme
heureux n’a pas d’histoire. L’abbé Nadal, dans ses Observations sur la
tragédie ancienne et moderne3 précise cette idée en insistant sur la
nécessité, pour constituer toute intrigue, de heurter à des obstacles les désirs
des héros : « Les causes et les desseins d’une action entrent dans
l’exposition du sujet et en occupent le commencement ; ils ne peuvent
manquer d’être suivis d’obstacles et de traverses, et par conséquent de
former un nœud dans le centre ou milieu de la pièce, et la résolution de ce
nœud est l’achèvement ou la fin de l’action ». Tel est donc le principe qui
va nous guider dans l’étude du nœud. Il s’agira de voir une fois que l’auteur
a fait connaître par son exposition les intentions de ses personnages, quelle
est la nature des obstacles qu’il imagine de leur opposer, et comment il se
sert de ces difficultés pour construire son intrigue.
***
***
Le véritable obstacle n’est pas seulement intérieur. Il est double.
L’obstacle simple est celui auquel on se dérobe, ou contre lequel on lutte
par des moyens purement physiques, par exemple par un duel. Mais pour
que le conflit soit dramatique, il faut que le héros ait à faire face à deux
exigences inconciliables. Le sujet du Cid n’est tragique que parce que les
héros veulent satisfaire à la fois leur « gloire » et leur amour ; si l’on
supprime l’un des deux objectifs, il n’y a plus de problème. Ce conflit
nécessaire est parfois appelé, lui aussi, « situation ». C’est ainsi que le
définit Morvan de Bellegarde, qui donne précisément comme exemple le
cas de Rodrigue dans le Cid : « Situation est cet état violent, où l’on se
trouve entre deux intérêts pressants et opposés, entre deux passions
impérieuses qui nous déchirent et ne nous déterminent pas, ou du moins
qu’avec beaucoup de peine »5. Aussi les auteurs dramatiques qui ont le
souci de proposer à leurs héros de vrais obstacles sont-ils amenés à
imaginer des intrigues impliquant un choix entre deux attitudes également
légitimes, mais inconciliables ; le choix sera d’autant plus dramatique qu’il
sera à la fois urgent, — et impossible. Prenant conscience de cette situation,
le héros l’exprimera en un raisonnement qui pèse tour à tour chacune des
deux possibilités, montre que la réalisation de chacune d’elles conduit à
l’inacceptable sacrifice de l’autre et qu’il est par suite incapable de réaliser
aucune des deux. Un tel raisonnement est connu sous le nom de dilemme.
L’approfondissement de l’idée d’obstacle mène donc à celle de dilemme.
Que le théâtre classique soit plein de dilemmes, c’est ce qu’il est aisé de
prouver par de nombreux textes.
Corneille nous montre dans Horace une Camille incapable de savoir si
elle doit souhaiter la victoire ou la mort de Curiace :
Je verrai mon amant, mon plus unique bien,
Mourir pour son pays ou détruire le mien,
Et cet objet d’amour devenir pour ma peine
Digne de mes soupirs ou digne de ma haine. [I, 2]
La vogue du dilemme est encore attestée par la place qu’on lui donne
dans la pièce : on le met en relief en l’introduisant à la fin d’une scène ou
d’un acte. C’est à la fin d’une scène que, dans Scévole de du Ryer, Junie
résume ainsi le conflit qu’elle ressent :
Hélas, de deux objets que j’aime également,
Dont l’un est ma patrie et l’autre est mon amant,
Il faut exposer l’un, et n’être pas certaine
Que sa perte et sa mort tire l’autre de peine. [III, 3]
Du même ordre, mais plus tragiques et plus longuement exposées sont les
angoisses de Syroès dans Cosroès de Rotrou [I, 3] ou celles d’Hésione dans
Oropaste [I, 3] de Boyer.
***
Deuxième hypothèse :
Que si tout au contraire elle verse des pleurs
Au sentiment cruel de mes justes douleurs,
Conclusion :
Soit qu’en mes déplaisirs je l’éprouve à cette heure
Ou rude ou favorable, il faudra que je meure.9 [III, 5]
Pierre Corneille lui-même prêtera dans Polyeucte ces mots à Félix, qui
parle de son gendre :
Ainsi tantôt pour lui je m’expose au trépas,
Et tantôt je le perds pour ne me perdre pas. [III, 5]
***
***
Le quiproquo affecte, on l’a déjà vu par ces exemples, les formes les plus
variées. Il peut être réduit à sa plus simple expression et se trouver dissipé
aussitôt que formé, ou bien occuper la pièce entière. L’extrême rapidité du
quiproquo ne contribue pas, en général, à le rendre vraisemblable. Il y a
pourtant une notation intéressante dans le Comte d’Essex de La Calprenède
quand, l’huissier annonçant « Le Comte… », Elizabeth, anxieuse et qui
croit que le Comte d’Essex, qu’elle aime, va paraître, lui coupe la parole par
un « Que dis-tu » ; mais il s’agit d’un autre comte, celui de Southampton,
que La Calprenède appelle « Soubtantonne », et l’huissier poursuit :
Le Comte Soubtantonne
Demande le pouvoir avec humilité
De rendre ses devoirs à Votre Majesté. [IV, 2]
Elle veut dire : n’est plus digne de vous ; mais Pauline comprend :
« Il est mort ! » Et Stratonice :
Non, il vit ; mais, ô pleurs superflus !
Ce courage si grand, cette âme si divine,
N’est plus digne du jour, ni digne de Pauline. [III, 2 voir aussi III, 3]
On a ici un quiproquo gratuit, qui n’est justifiable que par le plaisir qu’il
donne ; il devait plaire aux spectateurs, puisque Corneille l’introduit dans
son texte sans aucune nécessité.
Quant à la forme épanouie du quiproquo, celle qui occupe plusieurs
scènes ou plusieurs actes, on la trouve naturellement dans de nombreuses
comédies. Mais il ne faut pas croire qu’elle est l’apanage de ce genre. Le
nœud de bien des tragédies repose sur des quiproquos. Dans l’œuvre de
Corneille, l’exemple le plus net est sans doute Héraclius, où les
personnages se trompent constamment sur leur propre identité et sur celle
des autres : depuis la scène 5 de l’acte II jusqu’à la fin de la pièce, Martian
croit qu’il est Héraclius ; depuis la scène 2 de l’acte III jusqu’à la scène 6 de
l’acte V, Exupère, qui sauve la situation, passe pour un traître. Dans Racine,
le quiproquo causé par les hésitations d’Agamemnon, qui a écrit à sa fille
qu’Achille ne voulait plus l’épouser, occupe les cinq dernières scènes de
l’acte II d’Iphigénie ; la jeune fille n’ayant reçu la lettre qu’après son
arrivée, tous les personnages se trouvent dans des situations fausses, que
Racine exploite avant de dissiper le malentendu par l’explication entre
Achille et Agamemnon qui ouvre l’acte III. Le vaudeville du xixe siècle
reprendra ces situations fertiles en méprises.
Le quiproquo est parfois si obscur que les auteurs du xviie siècle
éprouvent le besoin d’attirer l’attention du lecteur, par des indications de
mise en scène, sur le double sens de certains vers. Dans Silvanire de Mairet,
Silvanire dit :
Tirinte, c’est ainsi que le fardeau d’un autre
Nous paraît volontiers plus léger que le nôtre. [II, 2]
***
C’est Corneille qui a tiré de ce procédé, dans Mélite, les effets les plus
amusants et les mieux rattachés à l’intrigue. Il s’en vantera encore en 1660
dans l’Examen de cette comédie : … « j’affectai volontiers ces grands
égarements, et en tirai un effet que je tiendrais encore admirable en ce
temps : c’est la manière dont Éraste fait connaître à Philandre, en le prenant
pour Minos, la fourbe qu’il lui a faite et l’erreur où il l’a jeté » [Mélite, IV,
8].
Sur quoi, dans une pièce du xviie siècle, ne peut-on pas se tromper ? On
se trompe sur le motif qui pousse un personnage à agir, et ce sera, par
exemple, le quiproquo de Saint Genest de Rotrou, déjà cité. Sur le
sentiment réel d’un personnage, et ce seront les reproches d’Andromaque à
Pyrrhus, dans Andromaque de Racine, quand elle croit qu’il a accepté de
livrer Astyanax aux Grecs [I, 4], ou la fausse joie de Tirinte dans Silvanire
de Mairet quand il pense que Silvanire l’aime, alors que c’est Fossinde qui
l’aime [II, 2], ou celle d’Agnès dans l’École des Femmes de Molière quand
elle a compris qu’Arnolphe veut la marier à Horace, alors qu’il veut
l’épouser lui-même [II, 5]. Ce sera enfin sur l’action même que le
spectateur a vu représenter devant ses yeux, quand il partagera l’erreur des
autres personnages en croyant, au cinquième acte de l’Illusion comique de
Corneille, que Clindor a vraiment été tué, alors qu’il ne faisait que jouer un
rôle dans une tragédie [Sc. 4, 5]. Un type particulièrement fréquent de
quiproquo sur une action passée non représentée sur la scène, est celui qui
porte sur le résultat d’une bataille ou d’un combat singulier ; la méprise du
Vieil Horace sur l’issue du combat que son fils a livré dans Horace, celle de
Chimène sur le duel de Rodrigue avec Don Sanche dans le Cid en sont les
exemples les plus connus dans le théâtre de Corneille. À la méprise de
Chimène font écho celle de la reine dans la Balde de Jobert [History, t. 2,
vol. 2 : 707, n. 7] ou celle de Jocaste dans la Thébaïde de Racine. [I, 3]
Ces quiproquos sont le plus souvent dus au hasard, et plus ou moins
explicables par des coïncidences. Il faut dire un mot, pour terminer, des
quiproquos volontaires, délibérément provoqués, pour tromper, par certains
personnages. Ces quiproquos sont souvent une arme pour les personnages
de Corneille. La méprise de l’Illusion comique, qui vient d’être rappelée, est
imaginée par le magicien Alcandre pour mieux montrer sa puissance et
donner une émotion forte au père du héro ; celles de la Veuve16 servent à
montrer de la finesse et à sortir avec diplomatie d’une situation difficile ;
celle de Nicomède rappelée plus haut sert au héros à mettre à l’épreuve son
jeune frère Attale ; Cléopâtre, dans Rodogune, veut sonder Séleucus quand
elle lui fait croire que Rodogune est morte [IV, 6]. Chez Molière, c’est pour
gagner du temps, et aussi pour mettre en relief la crédulité de ses
interlocuteurs, que Maître Jacques, dans une scène amusante de l’Avare [IV,
4], fait croire à Harpagon et à Cléante que chacun d’eux a renoncé à
Mariane, alors qu’il n’en est rien. C’est enfin par pur amour de la volte-face
que le décevant Hylas, dans Silvanire de Mairet, fait d’abord croire à
Aglante que Silvanire est sensible à son amour [III, 1].
***
I – Péripétie et péripéties
Les remarques des théoriciens sur les péripéties sont, on l’a vu, assez peu
précises, d’abord parce qu’ils distinguent mal la péripétie des péripéties, et
ensuite parce qu’ils éprouvent jusqu’au xviiie siècle une sorte de gêne
devant ce procédé nouveau. Leur imprécision nous engage à essayer de
définir avec plus de rigueur la vraie nature des péripéties.
On doit toutefois commencer par reprendre un élément important des
observations de la critique classique : les péripéties sont des événements
imprévus, créateurs de surprise. Mais il faut préciser cette idée en
remarquant que cette surprise ne peut naître que d’un événement extérieur ;
un simple changement de volonté d’un héros n’est pas une péripétie. Quand
Mithridate, dans Racine, décide de faire mourir Monime, cette décision est
une péripétie pour Monime, parce qu’elle constitue un événement qui ne
dépend pas d’elle, un accident qui modifie sa propre situation ; mais le
héros ne peut pas lui-même changer sa situation par une péripétie. Les
nombreuses pièces qui nous présentent des hésitations de héros ne sont pas
des pièces à péripéties ; ce sont des pièces à dilemmes. Dans Mariane de
Tristan, Hérode se demande pendant toute la pièce s’il doit faire mourir sa
femme Mariane, qu’il aime ; dans la Place Royale de Corneille, Alidor ne
sait pas davantage s’il veut épouser Angélique, que pourtant il aime : « la
même journée le voit changer sept fois d’avis sur la même question, soit
qu’il condamne son amour pour Angélique, soit qu’il y consente »11 ;
mêmes hésitations dans Racine : Néron fera-t-il tuer Britannicus ? Titus se
résoudra-t-il à quitter Bérénice ? Roxane épousera-t-elle Bajazet ? Toutes
ces fluctuations ne sont que des conséquences de l’obstacle, présenté sous
forme de dilemme entre les deux termes duquel on ne peut choisir ; tant
qu’aucun élément extérieur de surprise n’intervient, ce ne sont pas des
péripéties.
Il faut en outre que l’événement imprévu soit un « changement de
fortune », c’est-à-dire qu’il modifie, non pas seulement la situation
matérielle des héros, mais leur situation psychologique ; les sentiments et
même les décisions des héros devront être changés par les péripéties. Il ne
suffit pas qu’un événement imprévu s’accomplisse quelque part, dans les
environs de l’action, pour qu’il constitue nécessairement une péripétie.
Dans Chryséide et Arimand de Mairet, les deux héros, l’un après l’autre,
s’évadent de prison ; c’est un événement imprévu, mais il ne modifie ni
l’amour des deux jeunes gens, ni le danger qu’ils courent, ni les sentiments
de leurs persécuteurs, qui se mettent immédiatement à leur poursuite : ce
n’est pas une péripétie. Il n’y en a pas davantage dans la Virginie du même
auteur, qui regorge d’événements imprévus, mais où les sentiments des
personnages restent immuables. De même dans Cléomédon de du Ryer, on
apprend que la reine Argire est morte [IV, 2], puis, un peu plus tard, qu’elle
est vivante [V, 5] ; ces faits pourraient être le point de départ de péripéties,
comme dans Mithridate de Racine ; mais chez du Ryer, ils ne servent à rien,
n’introduisent pas à des situations nouvelles : ce sont de fausses péripéties.
On ne crée pas davantage de péripéties en entassant des périls successifs sur
la route du héros, si l’obstacle qui se présente à celui-ci reste au fond de
même nature. Dans Athénaïs de Mairet, l’empereur Théodose aime la belle
Athénaïs et veut l’épouser, mais trois obstacles successifs se présentent : la
jeune fille est de petite naissance, et l’empereur doit vaincre ses préjugés ;
elle est païenne, et il faut la convertir au christianisme ; elle est soupçonnée
d’en aimer un autre, et il faut que Théodose se convainque que sa jalousie
est sans fondement ; mais tous ces événements ne sont pas des péripéties,
puisque la situation et les sentiments des personnages restent les mêmes.
En troisième lieu, pour être vraiment un élément du nœud, une péripétie
ne doit figurer ni dans l’exposition ni dans le dénouement. Une exposition
en action peut présenter des événements imprévus qui modifient les
sentiments antérieurs des personnages ; elle ne laisse pas de rester une
exposition. Ainsi chez Corneille la mort du Comte dans le Cid [II, 7] ou la
trêve imprévue entre les deux armées dans Horace [I, 3] sont des éléments
qui constituent et non qui modifient les données de ces deux pièces. Quant
au dénouement, s’il est un changement brusque et imprévu, comme la
clémence d’Auguste dans Cinna de Corneille ou le suicide de Stilicon dans
Stilicon de Thomas Corneille, il est la péripétie au sens d’Aristote, mais non
une péripétie au sens moderne.
Il existe enfin un dernier caractère des péripéties qui n’a été indiqué, à
notre connaissance, par aucun théoricien classique et qui est pourtant
essentiel, et suggéré d’ailleurs par le mot même de péripétie : les péripéties
doivent être réversibles, même si, en fait, la situation ne se retourne pas
toujours. Une péripétie est, étymologiquement, un retournement. Après
s’être tournées en sens inverse, les choses peuvent, sous l’action de
différentes causes, revenir à leur sens primitif. Les situations militaires et
politiques, qui font fréquemment le sujet de la tragédie, sont souvent l’objet
de vicissitudes de ce genre ; ne parle-t-on pas des péripéties d’une bataille ?
Les auteurs dramatiques s’en sont de bonne heure avisés, et qu’il s’agisse
de combats, de conspirations ou d’amours, les péripéties, pour peu qu’elles
soient assez nombreuses, prennent volontiers la forme d’alternatives ; on
pourrait les affecter de signes positifs ou négatifs selon qu’elles orientent le
héros et les spectateurs qui sympathisent avec lui vers l’espoir ou le
désespoir. En voyant Horace de Corneille, le public partage l’abattement
des Romains quand il apprend, par un récit incomplet, la défaite des
Horaces [III, 6] puis se réjouit de la victoire finale du jeune Horace [IV, 2],
puis tombe dans de nouvelles angoisses lorsqu’Horace se rend coupable du
meurtre de sa sœur [IV, 5]. Dans Cosroès de Rotrou, c’est sur le plan
politique que joue cette alternance : Cosroès veut couronner son fils cadet
Mardesane [I, 4] ; c’est une défaite pour son fils aîné Syroès ; mais
Sardarigue, chargé d’arrêter Syroès, se rallie au parti de ce prince, dont il
arrête au contraire la marâtre Syra [II, 4 et III, 3] : victoire de Syroès ; mais
Syra est délivrée [III, 4] : défaite de ce héros ; mais Narsée, aimée de
Syroès et qu’on croyait fille de Syra, n’est pas en réalité la fille de cette
reine, Cosroès et Mardesane sont faits prisonniers, le jeune prince et Syra
sont condamnés à mort [IV, 1 et 2, V, 2 et 3] : série de victoires du héros ;
mais le faible Syroès rend le pouvoir à son père, et c’est une défaite [V, 5] ;
enfin Mardesane, Syra et Cosroès meurent [V, 7 et 8], et le héros voit, bien
malgré lui, sa situation politique affermie : les onze péripéties de cette
tragédie s’opposent comme les signes plus et moins dans une équation.
Dans Timocrate de Thomas Corneille, la guerre entre Argos et la Crète
permet une série de vicissitudes dont les conséquences psychologiques sont
mises en lumière : succès argien [III, 2], succès crétois [III, 4], nouveau
succès argien [III, 5], triomphe momentané des Argiens [III, 6], triomphe
définitif des Crétois, [V, 6] poussent un peu plus à chaque fois, par le
rythme de leur balancement, le héros Timocrate vers son bizarre destin.
Dans Amalasonte, ce sont des péripéties d’amour que nous montre
Quinault : le héros, Théodat, est, à onze reprises [I, 3, II, 4, 7, III, 4, 7, 9, IV,
6, 9, V, 2, 3, 8] par suite de onze événements différents, sur le point d’être
perdu pour la reine Amalasonte qui l’aime, ou sur le point de sauver sa vie
ou son amour.
Cette alternance des péripéties revêt une forme particulière, dont les
auteurs classiques ont souvent usé et souvent abusé, quand le héros passe,
selon les moments du drame, pour vivant ou pour mort. C’est un moyen
constant et facile de passionner la fin d’une action que de faire croire que le
héros a succombé, pour le ressusciter à la dernière scène. Ainsi prétendent
nous émouvoir Argire dans Cléomédon de du Ryer, Rodrigue dans le Cid de
Corneille, Darie dans Rhodogune de Gilbert, Théodat dans Amalasonte de
Quinault, Xipharès dans Mithridate de Racine, et les héros de nombreuses
autres pièces. L’Académie Française aurait même voulu que Corneille
appliquât au Comte dans le Cid cette recette infaillible pour dénouements
heureux : si le Comte n’était pas mort à la suite de son duel, la pièce aurait
peut-être perdu tout intérêt, mais les « bienséances » du moins eussent été
respectées !12.
***
***
Les exemples déjà cités montrent bien que la création de la surprise est la
fonction essentielle de la péripétie. Mais, s’il en est ainsi, la péripétie entre
en concurrence avec le quiproquo, qui est lui aussi créateur de surprise.
Parfois, comme dans Horace de Corneille ou Amalasonte de Quinault, le
quiproquo peut servir de point de départ à la péripétie. Si l’un des deux
procédés peut ainsi servir d’appui à l’autre, l’emploi intensif de l’un des
deux exclut pourtant, le plus souvent, celui de l’autre. Une pièce riche en
quiproquos, comme la Sœur valeureuse de Mareschal ou la Suivante de
Corneille, ne contiendra point de péripéties. Une pièce riche en péripéties,
comme Cosroès de Rotrou, ne fera guère appel au quiproquo. Un passage
de Stilicon de Thomas Corneille montre bien que les deux procédés risquent
de faire double emploi et que les dramaturges expérimentés se limitent à
l’un des deux : à la scène 3 de l’acte V, on croit que l’empereur Honorius
est mort ; mais ce quiproquo n’est pas exploité parce qu’il est aussitôt
remplacé par une péripétie : dès la scène suivante, l’empereur reparaît et la
situation est réellement modifiée par la révélation qu’il apporte : c’est
Eucherius, fils de Stilicon qui conspirait contre lui, qui lui a sauvé la vie. La
superposition de la péripétie au quiproquo redouble l’effet de surprise, mais
y ajoute un rebondissement du drame, qui repart dans une direction
nouvelle.
La péripétie se révèle ainsi un procédé bien plus puissant que le
quiproquo. Elle permet, par les alternatives auxquelles elle donne lieu, de
multiplier presque à l’infini, comme par des miroirs parallèles, l’effet de
surprise que produit un changement de situation. Les pièces que nous avons
citées, Horace, Cosroès, Timocrate, Amalasonte, d’autres encore,
soumettent le spectateur à une sorte de douche écossaise, le faisant passer
alternativement de l’espoir à la crainte.
Dans ce mouvement, la véritable péripétie permet d’introduire un
contenu psychologique. L’Étourdi de Molière, dont le sous-titre est Les
Contre-Temps, n’utilise qu’un cadre de péripétie : il y a dix contretemps [I,
4, 6, 9 ; II, 5, 11 ; III, 4, 7 ; IV, 5 ; V, 1, 6] mais à l’issue de chacun d’eux, le
héros se retrouve exactement dans la même situation et se pose le même
problème. Bien plus intéressantes seront les pièces où la péripétie
demandera au héros un effort supplémentaire et permettra à l’auteur de
creuser davantage la psychologie de ses personnages. Ainsi Horace de
Corneille ou Cosroès de Rotrou, où chaque péripétie est un
approfondissement, et n’existe que pour intensifier la tension du drame, en
en révélant un aspect auquel les héros avaient cru d’abord pouvoir
échapper. Dans Phèdre de Racine, il n’y a que deux péripéties, mais toute la
tragédie repose sur elles : il faut que Thésée soit cru mort [I, 4]13 pour que
Phèdre cède à son amour pour Hippolyte, et il faut que le retour du roi soit
annoncé pour que cet amour aboutisse à un dénouement tragique.
Chapitre v
I – Nœud et action
Nous avons étudié les principales formes du nœud, ou, si l’on préfère, de
l’intrigue. Les analyses que nous avons présentées ne doivent pas nous faire
perdre de vue l’ensemble ; or l’ensemble de l’intrigue constitue l’action de
la pièce. Cette action se définit par les démarches des personnages mis en
présence des obstacles qui forment le nœud et qui ne sont éliminés qu’au
dénouement. Certains théoriciens du xviie siècle marquent fortement cette
liaison étroite entre nœud et action. Ainsi l’Académie Française, dans ses
Sentiments sur le Cid, affirme que « le nœud des pièces de théâtre » est « un
accident inopiné qui arrête le cours de l’action représentée » [Gasté, La
Querelle du Cid : 362] ; Corneille, en insistant de façon significative sur la
notion d’obstacle, décrit la structure de son Andromède, dans l’Examen de
cette pièce, de la façon suivante : « L’action principale est le mariage de
Persée avec Andromède : son nœud consiste en l’obstacle qui s’y rencontre
du côté de Phinée, à qui elle est promise, et son dénouement en la mort de
ce malheureux amant, après laquelle il n’y a plus d’obstacles ».
La seule façon objective d’étudier la technique de l’action consisterait à
partir de déclarations de ce genre. Malheureusement cette étude n’a pas été
faite, ni au xviie siècle, ni plus tard, parce que les fameuses « règles » sont
venues très tôt apporter leurs vagues impératifs et leurs problèmes mal
compris. Au lieu de réfléchir sur l’action comme intrigue, on a discuté sur
l’« unité d’action », sans trop savoir au juste, dans bien des cas, ce qu’on
entendait par action et surtout ce qu’on entendait par unité. Or la formule
« unité d’action » est, comme nous allons le montrer, extrêmement
équivoque et recouvre plusieurs notions bien différentes ; en outre, cette
règle est liée traditionnellement, dès le premier tiers du xviie siècle, à ses
deux sœurs, les unités de temps et de lieu, et cette association ne fait
qu’obscurcir les problèmes parce qu’elle est artificielle : le parallélisme
entre les « trois unités » est illusoire, car l’action, le temps et le lieu sont
pour l’auteur dramatique des sujets de réflexion qui se situent sur des plans
différents et même qui interviennent, selon toute vraisemblance, à des
moments différents de son travail de composition.
Pourtant le bloc des trois unités, qui satisfait à la fois le goût classique de
la symétrie et les exigences mnémotechniques d’une certaine pédagogie, se
rencontre sans trop de fissures depuis l’époque de Louis XIII jusqu’au
romantisme et au-delà, et se survit encore aujourd’hui dans de trop
nombreux manuels scolaires. Desmaretz de Saint-Sorlin dans ses
Visionnaires en 1637 parle de
Cette unité de jour, de scène, d’action [II, 4]
qu’il fait attaquer par son « poète extravagant », Amidor. Et Victor Hugo
fera de cette « unité » une image et un résumé d’un classicisme desséché
quand il s’écriera :
Pirates, nous avons, à la voile, à la rame,
De la triple unité pris l’aride archipel.1
II – Unité et simplicité
Les divers éléments qui composent l’action ne sont pas tous d’égale
importance. Il est nécessaire au contraire, et les théoriciens classiques y
insistent, qu’il y ait une intrigue principale, à laquelle une ou plusieurs
intrigues secondaires seront subordonnées. C’est bien ainsi que l’entendent
Corneille et d’Aubignac dans les passages qui viennent d’être cités. De
même l’abbé Morvan de Bellegarde déclare : « Une tragédie, pour être
bonne, ne doit contenir qu’une action principale, accompagnée de plusieurs
incidents qui y ont du rapport »2. Cette idée d’action principale est assez
claire par elle-même. Sans doute, dans la pratique, on a parfois du mal à
discerner parmi plusieurs intrigues, quelle est celle qui devrait être au
premier plan ; cela prouve simplement que l’auteur n’a pas su ordonner sa
matière en une hiérarchie bien nette.
Mais ce qui est moins clair, c’est la nature des intrigues accessoires, ainsi
que les rapports qu’elles entretiennent avec l’action principale. Ces
intrigues accessoires sont généralement désignées, dans la critique
classique, par le terme d’épisodes. Les théoriciens n’ont pas manqué de
formuler des règles pour les épisodes3 ; ces règles, toutefois, nous sont de
peu de secours pour l’étude de la dramaturgie. En effet l’épisode est
essentiellement conçu par les critiques classiques comme une partie de
l’épopée avant d’être conçu comme une partie d’une pièce de théâtre. Cette
attitude est naturelle chez eux, puisque, dans la hiérarchie des genres,
l’épopée est au sommet et la tragédie ne vient qu’au second rang. Leurs
idées ne sont applicables au théâtre qu’à la condition de rester suffisamment
vagues pour être inutiles à une recherche sur la technique dramatique.
Le terme d’épisode comporte un second inconvénient. Il désigne dans la
tragédie grecque des subdivisions purement quantitatives de la pièce, qui
correspondent à ce que seront plus tard les actes. À cause de cette double
association avec l’épopée et avec la tragédie grecque, le mot d’épisode tend,
dans la pensée française classique, à suggérer moins un élément qu’un
moment de l’intrigue. On dira par exemple que le récit de la chute de Troie
dans l’Énéide ou celui du combat de Rodrigue contre les Mores dans le Cid
sont des épisodes. C’est en ce sens que l’art cinématographique du début du
e
xx siècle parlera du « film à épisodes ». C’est en ce sens aussi que l’art
dramatique du début du xviie siècle aura pour idéal d’entasser dans une
pièce, même quand la limitation de la durée de l’action à vingt-quatre
heures aura été admise, le plus grand nombre possible d’événements
successifs et surprenants. L’auteur anonyme du Traité de la disposition du
poème dramatique dit en 1637 qu’en vingt-quatre heures « on peut réduire
des histoires de plusieurs années pleines d’effets et d’accidents » [Gasté,
Querelle du Cid : 270]. « Restreindre tant de matière en si peu de vers, sans
confusion » [Supra, p. 89], tel était, nous l’avons vu, l’idéal de Mairet
quand il écrivait sa Virginie. C’est aussi l’idéal de la plupart des auteurs
dramatiques du commencement du siècle, en particulier de Corneille
débutant : son Clitandre est empreint, selon l’expression de M. Rivaille,
d’une « agitation frénétique »4, et les épisodes s’y succèdent à une cadence
accélérée : combat de Rosidor contre les assassins, lutte de Dorise et de
Caliste, fuite de Pymante, combat de Pymante et de Dorise, intervention du
prince, arrestation de Pymante, — et nous en passons. Il n’est peut-être pas
impossible, mais il est difficile, d’unifier dans l’action de si nombreux
épisodes. C’est pourquoi les adversaires des règles reprochent aux unités
d’obliger à « perdre » l’« amas de grands événements »5 qui constitue un
riche sujet. En tout cas la notion d’épisode apparaît comme liée à une
esthétique qui, à partir de 1650 environ, est périmée, et elle sort discréditée
de l’emploi et de l’abus qui en ont été faits par le goût préclassique.
Par suite, la critique classique manifeste une certaine méfiance vis-à-vis
de l’épisode au théâtre. Il apparaît souvent comme un ornement qui peut
être agréable, mais qui n’est pas indispensable et qui peut même être
dangereusement inutile ; il est presque toujours frappé de suspicion. L’abbé
Morvan de Bellegarde écrit, en homme qui a goûté la simplicité racinienne,
que les épisodes « marquent la stérilité du génie du poète, qui n’a pas la
force de continuer une seule action jusqu’au bout, et qui emprunte des
sujets étrangers pour remplir le vide de ses scènes »6. Mais comme il a lu
aussi d’Aubignac et Corneille, il ajoute : « Je ne condamne pas absolument
toutes sortes d’épisodes ; ils sont même quelquefois absolument nécessaires
pour conduire au dénouement de l’action principale »7. L’auteur du
manuscrit 559 est encore plus sévère : « L’épisode, affirme-t-il, est la pire
des inutilités… le grand Racine a mis trop d’épisodes dans ses pièces ;
quelque habilement qu’ils soient liés au sujet, ce sont toujours des épisodes,
c’est-à-dire des actions étrangères » [Section IV, ch. 4, § 4].
Il faut pourtant, et même ce critique épris de simplicité le reconnaît, que
l’action ne soit pas une, mais qu’elle soit l’unification de plusieurs actions
accessoires. Il y a peut-être un moyen plus habile de les présenter que la
simple succession dans le temps et un mot plus heureux pour les désigner
que celui d’épisode. Le moyen, c’est encore l’auteur du manuscrit 559 qui
va nous en donner la formule la plus nette, en écrivant : « Deux actions
liées ensemble sont plus supportables que deux actions qui se succèdent »
[Ibid. § 6]. Et le mot, nous le trouvons chez d’autres critiques classiques :
c’est celui de fil, qui peint fort heureusement l’entrelacement possible des
actions accessoires avec la principale, en même temps qu’il implique la
simultanéité des unes avec l’autre.
Qu’on ne croie pas toutefois que le mot épisode désigne exclusivement
des actions secondaires successives et le mot fil des actions secondaires
simultanées. Le vocabulaire de la technique dramatique classique n’est
malheureusement pas si précis, et les deux mots sont souvent pris l’un pour
l’autre. Ainsi l’abbé d’Aubignac intitule un des chapitres de sa Pratique du
Théâtre : « Des histoires à deux fils dont l’une [sic] est nommée épisode par
les Modernes » [L. II, ch. 5]. La définition qu’il y donne de l’épisode et du
fil n’est pas exempte d’une certaine confusion : « Les Modernes entendent
maintenant par épisode une seconde histoire jetée comme à la traverse dans
le principal sujet du poème dramatique, que pour cette raison quelques-uns
appellent une histoire à deux fils » [Ibid. : 95]. Par contre, l’auteur du Traité
de la disposition du poème dramatique, qui recommande les « sujets de
deux ou trois fils [Gasté, Querelle du Cid : 270], définit le fil avec une
précision remarquable : … « j’appelle fil un sujet entier, commencé au
premier acte, continué dans les autres, et conclu au cinquième par quelque
grand et principal effet remarquable sur tous les autres qui ne sont
qu’accidents ou circonstances… » [Ibid. : 273].
Quoi qu’il en soit de cette terminologie, il est indéniable que le passage
de la succession à la simultanéité pour la présentation des actions
secondaires, que nous pouvons désigner par le passage de l’épisode au fil,
constitue un progrès de la dramaturgie. Une pièce comme Clitandre de
Corneille offrait une succession d’épisodes mal liés entre eux et difficiles à
mieux unifier. Une pièce comme Andromaque de Racine n’est sans doute
pas moins complexe, elle met en scène quatre personnages principaux
actifs, qui participent au moins à trois intrigues distinctes, mais elle présente
ces intrigues simultanément, en les liant entre elles, comme des fils selon la
rigoureuse définition de l’auteur du Traité de la disposition du poème
dramatique.
Quant au nombre de ces fils, il ne peut naturellement pas être très
considérable. L’auteur du même Traité déclare : … « les poèmes composés
ne peuvent être faits que de deux ou trois fils, ou de quatre au plus, eu égard
qu’il ne se trouve point assez de bons acteurs pour de plus amples
représentations… » [Ibid.]. La quantité de « bons acteurs » dans une troupe
n’est pas le seul facteur qui limite le nombre des fils. Il faut évidemment
tenir compte aussi des facultés d’attention du spectateur, qui ne peut guère
suivre plus de quatre intrigues simultanées. De sorte que l’action à quatre
fils, représente bien, en fait, un maximum, d’ailleurs rarement atteint. Mais
les « histoires à deux fils » sont fréquentes, ainsi que celles à trois fils. Nous
en donnerons quelques exemples.
Dans Ligdamon et Lidias (1631) de Scudéry, Ligdamon aime Silvie et
Lidias aime Amerine, mais une succession d’incroyables hasards sépare ces
deux couples, qui ne sont réunis qu’au dénouement ; c’est un type facile et
fréquent d’histoire à deux fils. Il se retrouve en particulier dans la Galerie
du Palais de Corneille, dont les quatre principaux personnages sont liés de
façon analogue. Dans Osman de Tristan, le fil principal est la lutte du sultan
Osman pour conserver le pouvoir, le deuxième fil est l’amour qu’éprouve
pour Osman la Fille du Muphti. Dans le Cid de Corneille, l’amour de
Rodrigue et de Chimène et l’amour de l’Infante pour Rodrigue constituent
deux fils présentés continûment du début à la fin de la pièce. La structure de
Polyeucte est analogue, bien que l’intrigue accessoire soit mieux liée à
l’intrigue principale : à l’amour de Pauline et de Polyeucte vient s’ajouter
l’amour de Sévère pour Pauline. L’École des Femmes de Molière n’est pas
construite autrement, si on la considère uniquement au point de vue des
fils : amour d’Agnès et d’Horace, auquel se joint l’amour d’Arnolphe pour
Agnès. La Bérénice de Racine est sans doute un modèle de simplicité ; mais
sous le rapport de l’unité, elle est, comme les précédentes, une pièce à deux
fils : le fil principal est l’amour de Titus et de Bérénice, le fil secondaire
l’amour d’Antiochus pour Bérénice.
Les « histoires à trois fils » sont fréquentes également, surtout dans la
première moitié du xviie siècle. Citons la Sœur valeureuse (1634) de
Mareschal8, avec ses trois couples d’amants, Lucidor et Olympe, Oronte et
Dorame, Gélandre et Mélinde, réunis au dénouement, l’Heureuse constance
(1635) de Rotrou, d’une structure semblable, ou le Clitandre de Corneille,
où il n’y a que deux couples, Rosidor et Caliste, Pymante et Dorise, mais où
le sort de Clitandre constitue un troisième fil. Même complexité dans
Sertorius de Corneille, où l’on trouve à la fois, et tout au long de la
tragédie, la rivalité de Perpenna et de Sertorius, l’amour de Sertorius et de
Viriate et le problème politique qui oppose Sertorius à Pompée. Il est aisé
de reconnaître aussi trois fils dans Andromaque de Racine, avec l’amour de
Pyrrhus pour Andromaque, celui d’Hermione pour Pyrrhus et celui d’Oreste
pour Hermione.
Les sujets de quatre fils sont plus rares. Il faut aller les chercher dans une
tragi-comédie en deux « journées » publiée en 1618, les Heureuses
infortunes de Bernier de Brousse [History, t. 1, : 122-123], ou dans une
tragi-comédie aussi touffue que les Occasions perdues (1635) de Rotrou,
qui se termine par quatre mariages mettant le point final aux quatre
intrigues9. La tragédie d’Héraclius de Corneille est construite, elle aussi,
sur quatre fils, qui sont la lutte de Phocas contre ses ennemis, l’amour
d’Héraclius et d’Eudoxe, celui de Pulchérie et de Martian, et l’amitié qui lie
Martian à Héraclius.
On peut peut-être trouver mieux encore. À y regarder de près, les
Bergeries (1625) de Racan sont une pièce à cinq fils, bien que les fils
n’aient pas toujours la continuité désirable. Comptons pourtant. L’amour
d’Arthénice et d’Alcidor est le fil principal. Il est traversé par l’amour de
Lucidas pour Arthénice et par la passion d’Ydalie pour Alcidor, ce qui fait
trois. En outre, Tisimandre aime Ydalie, et un personnage véritablement
épisodique, le Satyre, se jette sur la même jeune fille. À quelles conditions
l’unité d’action résistera-t-elle à de si nombreuses sollicitations ? C’est ce
qu’il nous faut maintenant examiner.
***
Les idées qui précèdent sont assez simples, et il n’est pas difficile de les
dégager de la théorie et de la pratique des classiques. Il n’en va pas de
même en ce qui concerne le rapport des intrigues accessoires avec l’intrigue
principale. Affirmer la nécessité de l’existence de ce rapport ne nous
renseigne guère sur sa nature. Quand on déclare que ces intrigues doivent
avoir « du rapport », que les accessoires doivent être « subordonnées » à la
principale, que toutes doivent être « liées », on n’emploie que des images
qui ne nous fournissent aucun critère pratique pour discerner les pièces
vraiment unifiées de celles qui ne le sont pas. Et pourtant de nombreuses
définitions classiques ne précisent pas davantage. Voici par exemple celle
de Chapelain dans son Discours de la poésie représentative : « Les bons
anciens n’ont jamais eu dans leurs tragédies et dans leurs comédies qu’une
action principale à laquelle toutes les autres se rapportaient et c’est ce que
l’on nomme unité d’action »13. Il n’y a pas plus d’éclaircissement à espérer
de la définition de Mairet dans sa fameuse Préface de Silvanire : … « il y
doit avoir une maîtresse et principale action à laquelle toutes les autres se
rapportent comme les lignes de la circonférence au centre. Il est vrai qu’on
y peut ajouter quelque chose en forme de l’épisode de la tragédie, afin de
remédier à la nudité de la pièce, pourvu toutefois que cela ne préjudicie en
aucune façon à l’unité de la principale action à laquelle cette-ci est comme
subordonnée »14 (92 bis). Quant à Corneille, il garde sur cette question un
silence prudent.
L’abbé d’Aubignac apporte plus de précision et va nous dire en quoi
consiste, selon lui, la nature de cette mystérieuse « subordination ». « La
seconde histoire, écrit-il, ne doit pas être égale en son sujet non plus qu’en
sa nécessité à celle qui sert de fondement à tout le poème, mais bien lui être
subordonnée et en dépendre de telle sorte que les événements du principal
sujet fassent naître les passions de l’épisode et que la catastrophe du
premier produise naturellement et de soi-même celle du second… » [L. II,
ch. V : 97]. Donc, pour l’auteur de la Pratique du Théâtre, c’est l’intrigue
principale qui doit influencer les intrigues secondaires ; celles-ci seront
véritablement « subordonnées », et l’action par suite sera unifiée, si elles
résultent de l’intrigue principale. Voilà enfin une définition qui définit son
objet, et qui semble avoir fait autorité jusqu’au début du xviiie siècle.
Voyons maintenant comment elle supporte l’épreuve des faits.
L’exemple le plus incontestable et le plus souvent allégué d’intrigue
secondaire qui rompe l’unité d’action est le rôle de l’Infante dans le Cid ; il
est allégué, nous l’avons vu, par d’Aubignac lui-même. Peut-on dire que le
sort de l’Infante ne dépende pas du « principal sujet », qui est l’amour de
Rodrigue et de Chimène ? Tout au contraire, il ne fait qu’en dépendre. Si
l’Infante nous apparaît comme un personnage mal lié à l’essentiel du Cid,
c’est précisément parce qu’elle n’existe qu’en fonction des deux amants,
que son sort dépend exclusivement des événements qui rendront impossible
ou possible le mariage de Chimène et de Rodrigue et que par suite son rôle,
n’intervenant en quelque sorte que par voie de conséquence, peut aisément
être supprimé. La « subordination », telle que l’entendent les théoriciens du
e
xvii siècle, est ici parfaite ; et pourtant, en raison même de cette perfection,
elle détruit l’unité d’action.
Il faudra beaucoup de clairvoyance et un certain courage à la critique
pour prendre le contre-pied de cette théorie ; elle est universellement
admise, bien qu’évidemment contredite par les faits ; ce qui la rend
possible, c’est le vague qui entoure dans tous les esprits la notion d’« unité
d’action » et ce qui la rend même nécessaire, en un siècle d’absolutisme,
c’est l’idée qu’on se faisait de la hiérarchie : comment en effet l’action
principale d’une pièce marquerait-elle sa principauté, sinon en commandant
aux actions accessoires, qui dépendent ainsi d’elle comme des sujets
dépendent d’un roi ? Mais au théâtre, sinon dans le royaume de France, le
pouvoir vient d’en bas : une action secondaire ne sera vraiment « liée » à
une action principale que si cette dernière, en quelque façon, dépend d’elle,
et c’est précisément parce que l’Infante n’a aucune influence sur les héros
du Cid qu’elle se détache d’eux si facilement. Cette inversion de la notion
classique de « subordination », c’est à Marmontel que revient l’honneur de
l’avoir opérée. Il l’a fait dans un passage admirable de pénétration et de
justesse, dont tous les détails sont, à notre sens, valables encore aujourd’hui,
et que pour cette raison, nous reproduisons presque en entier. Voici le
raisonnement de Marmontel :
Corneille, dont les œuvres et les idées ont contribué de façon importante
à l’édification de la théorie classique de l’unité d’action, semble pourtant
avoir, sur ce qui constitue l’essentiel de cette unité, des vues différentes de
celles qui sont communément admises autour de lui. Il identifie de la
manière la plus nette, dans son troisième Discours et dans l’Examen
d’Horace, l’unité d’action à l’unité de péril. Il nous faut donc voir quelle est
la portée de cette idée d’unité de péril et dans quelle mesure elle peut
infirmer ou compléter les analyses précédentes.
Réservant pour un examen ultérieur le cas d’Horace, étudions la
déclaration la plus générale de Corneille, dans son troisième Discours de
1660. En voici le texte : … « l’unité d’action consiste, dans la comédie, en
l’unité d’intrigue, ou d’obstacle aux desseins des principaux acteurs, et en
l’unité de péril dans la tragédie, soit que son héros y succombe, soit qu’il en
sorte » [Dans Marty-Laveaux t. 1 : 98]. Il est aisé de voir ce qu’ont de
commun les deux formes de l’unité d’action dans les deux genres de la
comédie et de la tragédie : les obstacles, dont nous avons reconnu la place
centrale dans l’intrigue, prennent naturellement dans la tragédie une forme
périlleuse. Mais Corneille s’en tiendrait-il à un obstacle unique ? Ce serait
nier une des acquisitions les plus importantes de la dramaturgie classique,
celle des péripéties. Aussi Corneille ajoute-t-il aussitôt qu’on peut
« admettre plusieurs périls dans l’une, et plusieurs intrigues ou obstacles
dans l’autre, pourvu que de l’un on tombe nécessairement dans l’autre »
[Ibid.]. À ce moment le terme d’unité de péril apparaît comme impropre.
C’est plutôt « liaison des périls » qu’il faudrait dire. Pourquoi donc
Corneille insiste-t-il sur cette idée d’unité de péril, qui ne s’adapte qu’à une
minorité d’œuvres dramatiques et qui ne recouvre qu’une petite partie des
exigences classiques relatives à l’unité d’action ?
C’est, croyons-nous, parce qu’il pense ici moins à l’avenir qu’au passé.
L’élaboration de la notion d’unité d’action peut être considérée, en 1660,
comme terminée. Corneille ne se soucie pas d’y ajouter, encore moins d’y
proposer des correctifs, puisqu’il est l’un des artisans de cette élaboration.
Mais les « épisodes » gardent du prestige, et risquent d’apparaître comme
des périls successifs plus ou moins bien liés entre eux. La notion d’unité de
péril sert à lutter contre une tendance que Corneille discernait chez ses
prédécesseurs, ses contemporains, et jusque dans ses propres œuvres : celle
qui, issue des profondeurs du Moyen Âge, poussait à concevoir la pièce de
théâtre comme une sorte de chronique historique, jetant le héros dans des
aventures qui sont des périls successifs et qu’aucune nécessité ne relie. Un
certain nombre de pièces du xviie siècle sont construites sur ce modèle, et
constituent des exemples à ne pas imiter si l’on veut respecter l’« unité de
péril ».
Ainsi le Gésippe de Hardy nous présente, dans ses trois premiers actes, le
sacrifice de l’Athénien Gésippe, qui donne sa fiancée Sophronie à son ami
le Romain Tite. Les deux derniers actes transportent la scène d’Athènes à
Rome et ont lieu beaucoup plus tard. On y voit Gésippe tomber dans de
fâcheuses aventures, se trouver accusé de meurtre, et sauvé enfin par la
générosité de Tite, qui manifeste ainsi sa reconnaissance et son amitié ;
nulle liaison nécessaire entre les deux parties de la pièce. L’Athénaïs de
Mairet, qui est pourtant de 1642, présente, non point deux périls successifs,
mais trois. La question qui se pose au début de la pièce est de savoir si
l’empereur Théodose, qui aime une jeune fille de basse naissance, Athénaïs,
l’épousera. On voit à l’acte I la naissance de l’amour de Théodose, à
l’acte II ses vains efforts pour faire de la jeune fille sa maîtresse, à l’acte III
sa décision de l’épouser, après avoir obtenu l’approbation de son entourage.
Le problème est donc entièrement résolu et le premier péril terminé. Au
début de l’acte IV, il se découvre qu’Athénaïs est païenne, circonstance qui
n’avait pas été mentionnée auparavant ; c’est un deuxième péril ; il faut
convertir la jeune fille au christianisme, et c’est l’objet de cet acte IV. Un
troisième péril, entièrement nouveau et imprévisible, emplit l’acte V :
Théodose croit, sur de faux indices, qu’Athénaïs le trahit avec son favori
Paulin. Il faut le détromper pour que le mariage ait enfin lieu.
Mais l’exemple le plus connu de violation de l’« unité de péril » se
trouve dans l’œuvre de Corneille lui-même : c’est la tragédie d’Horace,
dont le héros risque d’abord d’être tué par les Curiaces, puis condamné à
mort comme assassin de sa sœur Camille. Corneille souligne cette duplicité
avec autant de clarté que de sévérité pour lui-même dans l’Examen de la
pièce. La mort de Camille, dit-il, « fait une action double, par le second
péril où tombe Horace après être sorti du premier. L’unité de péril d’un
héros dans la tragédie fait l’unité d’action ; et quand il en est garanti, la
pièce est finie, si ce n’est que la sortie même de ce péril l’engage si
nécessairement dans un autre que la liaison et la continuité des deux n’en
fassent qu’une action ; ce qui n’arrive point ici, où Horace revient
triomphant, sans aucun besoin de tuer sa sœur, ni même de parler à elle ; et
l’action serait suffisamment terminée à sa victoire ». Si Corneille est tombé
dans un défaut dont il était pourtant si conscient, c’est parce qu’il s’est
appuyé, dans ce cas comme dans d’autres, sur l’autorité de l’histoire : le
récit de Tite-Live lui est à la fois un garant, une séduction et un danger. À la
différence de Boileau et de la plupart de ses contemporains, il était tenté de
préférer parfois le vrai au vraisemblable [Cf. Doctrine classique, IIIe partie,
ch. 1], et quand le vrai comporte plusieurs périls, c’est tant pis pour l’unité
de péril.
Les critiques adressées de ce chef à Horace ont si peu touché Corneille
qu’il a récidivé dans Théodore : après avoir échappé à la prostitution,
l’héroïne de cette pièce recherche le martyre. Corneille le note dans son
Examen, en montrant que c’est l’histoire qui l’a guidé : … « je ne sais s’il
n’y a point une duplicité d’action, en ce que Théodore, échappée d’un péril,
se rejette dans un autre de son propre mouvement. L’histoire le porte ; mais
la tragédie n’est pas obligée de représenter toute la vie de son héros ou de
son héroïne, et doit ne s’attacher qu’à une action propre au théâtre ».
Malgré la concession que la fin de la phrase représente à l’adresse des
tenants de la supériorité du vraisemblable sur le vrai, Corneille n’en avoue
pas moins que les sources historiques l’ont conduit à représenter, sinon
« toute la vie » de son héroïne, comme on le faisait au Moyen Âge, du
moins une partie de cette vie assez étendue pour comprendre deux périls
non liés nécessairement.
L’attachement de Corneille à l’histoire n’est pas la seule raison qui
l’entraîne vers des duplicités de périls que pourtant il condamne. Sa
conception même du héros le pousse dans un sens analogue. Pour affirmer
sa grandeur, le héros ne se contentera souvent pas d’un péril, quelque grand
que soit ce dernier ; il lui en faudra plusieurs. Il y a quelque chose
d’infatigable dans le héros cornélien ; et il ne montrera jamais mieux sa
force qu’en se mesurant avec un nouvel obstacle, qu’il aura de préférence
choisi lui-même, après avoir triomphé d’un premier. Déjà dans la Place
Royale, Alidor, cet adepte de la morale des forts, ce nietzschéen, voudra
d’abord tuer l’amour qu’Angélique éprouve pour lui par le procédé,
romanesque, d’une « fausse lettre » ; ce moyen ayant échoué, il en
imaginera un autre, non moins romanesque : un enlèvement. Ces obstacles
sont banals, mais ils sont deux, et rien ne lie le second au premier, sinon
l’échec du premier. Aussi Corneille remarque-t-il dans l’Examen de la
comédie, avec sa franchise habituelle : … « il y a manifestement une
duplicité d’action. Ces deux desseins, formés ainsi l’un après l’autre, font
deux actions, et donnent deux âmes au poème ». Combien le poème du Cid
a-t-il d’âmes ? Plus de deux, assurément. Le combat de Rodrigue contre le
Comte en est une, celui contre les Mores une autre, celui contre Don Sanche
une troisième, et peut-être y en a-t-il une quatrième dans les moments où
Rodrigue offre à Chimène de se laisser tuer par elle.
Et pourtant Corneille, qui a attaché son nom à la formule de l’« unité de
péril », ne semble pas accorder à cette unité tant d’importance. D’abord
parce qu’il a très évidemment violé cette « règle » dans plusieurs de ses
chefs-d’œuvre. Et parce qu’il accepte avec une certaine désinvolture les
critiques que provoquent ces violations. Nous avons cité quelques lignes de
l’Examen de Théodore. Le passage se poursuit sur un ton étrangement
détaché : « Si les maîtres de l’art veulent consentir que cette nécessité de
faire connaître ce qu’elle devient, dit Corneille de son héroïne, suffise pour
réunir ce nouveau péril à l’autre, et empêcher qu’il n’y ait duplicité
d’action, je ne m’opposerai pas à leur jugement ; mais aussi je n’en
appellerai pas quand ils la voudront condamner ». L’échec de Théodore à
Paris ne suffit pas à expliquer cette indifférence. Si Corneille fait si bon
marché de cette duplicité d’action, c’est que l’essentiel pour lui n’est pas là.
Utile pour lutter contre la tendance, à laquelle Corneille sait bien qu’il est
lui-même enclin, qui pousse à faire de la pièce une chronique formée d’une
succession d’épisodes, la formule « unité de péril » n’est pourtant qu’un
moyen parmi d’autres d’unifier l’action. La pluralité des périls sera
légitime, selon la formule cornélienne, « pourvu que de l’un on tombe
nécessairement dans l’autre », mais cette nécessité n’est pas forcément celle
qui lie logiquement un obstacle à un autre de manière à constituer un « fil ».
Elle peut être la nécessité du caractère d’un personnage. Car enfin, qu’est-
ce qui fait l’unité de la Place Royale, du Cid, d’Horace ou de Théodore ?
Les théoriciens, et Corneille lui-même, répondront que ce n’est pas l’unité
des périls. Mais le spectateur sait bien qu’il s’attache constamment à Alidor,
ou à Rodrigue, ou à Horace, ou à Théodore, parce que ce sont les héros.
C’est sans doute une unité plus digne de l’histoire, ou du roman, que du
théâtre. Mais elle est non moins indispensable que l’autre, et c’est même
d’elle seule que la pièce tire, sinon sa perfection technique, du moins sa
puissance de réalité et sa valeur. La façon dont on a cherché, et cru trouver,
cette sorte d’unité dans Horace est instructive : Faguet, voulant « défendre
Corneille contre lui-même »19 n’en voit d’autre moyen que de considérer le
Vieil Horace comme le personnage principal de la pièce ; ce héros ne courra
ainsi qu’un danger, « c’est que dans cette guerre, par ses coups et ses
contrecoups, sa famille entière ne périsse, fils, fille et bru ».20 Cette solution
paraît inacceptable, ne serait-ce qu’en raison du rôle assez passif du Vieil
Horace, de son introduction tardive dans la pièce et des traditions classiques
sur la jeunesse des héros. Mais il est significatif que Faguet ait voulu
substituer l’intérêt pour un personnage à l’intérêt pour les périls. Il s’est
seulement trompé de personnage ; en nous intéressant au jeune Horace, qui
est le héros de la tragédie, nous retrouvons l’intérêt unique de la pièce à
travers ses deux périls. De sorte que la notion d’unité de péril nous conduit,
par ses limitations mêmes, à la notion d’unité d’intérêt, qui ne sera dégagée
qu’au xviiie siècle.
***
L’unité de temps
I – Nœud et temps
***
Plus tard, « le jour s’augmente » [I, 3, vers 307], mais l’herbe est encore
couverte de rosée :
Le soleil n’a pas bu l’égail de la prairie. [Ibid., vers 317]
Mais Léandre rappelle opportunément ici que les jours sont plus longs à
Chypre, où se passe l’action, qu’à Paris et qu’en outre on est en été, de sorte
qu’une abondante action romanesque pourra paraître s’introduire
légitimement dans cette tragi-comédie qui respecte l’unité de temps. Il
répond à Mahamut :
Rien ne nous presse tant, car ces longues journées
Qui coulent en été sont presque des années. [Ibid.]
Dans Cariste de Baro, qui n’est pourtant publiée qu’en 1651, la nuit est
invoquée à la fois pour souligner que la pièce observe la règle et pour
produire un effet poétique ; l’héroïne s’écrie :
Laisse donc, chère nuit, au travers de tes voiles,
Briller encor un peu l’argent de tes étoiles. [III, 1]
Non seulement les moments du temps sont ainsi mis en valeur par la
poésie du texte, mais ils sont aussi évoqués parfois, au théâtre, par des
artifices de mise en scène qui semblent avoir fait une profonde impression
sur les contemporains. Charles Sorel déclare dans son traité De la
connaissance des bons livres en 1671 : « On rapporte qu’en quelques pièces
pour lesquelles le théâtre était orné de perspectives et de diverses lumières,
ceux qui en donnaient l’ordre furent si ponctuels à garder la loi établie
qu’ils firent paraître le soleil dans son Orient, puis dans son Midi, après
dans son Occident, et enfin ils firent venir la nuit » [P. 209]. En vieil
indépendant, Sorel n’approuve d’ailleurs pas cette minutie et ajoute avec
une ironie un peu lourde : « Nous nous étonnons comment on n’avait point
mis aussi un cadran au théâtre, pour y marquer les heures les unes après les
autres, afin de faire mieux voir aux spectateurs que la pièce était dans les
vingt-quatre heures » [Ibid.]. On peut en tout cas citer une pièce du
e
xvii siècle qui a bénéficié d’une mise en scène telle que l’évoque Sorel,
destinée à attirer constamment l’attention sur le respect de l’unité de temps.
C’est Mirame, tragi-comédie de Desmaretz de Saint-Sorlin, représentée en
grande pompe devant Richelieu et toute la cour, pour l’inauguration de la
salle de théâtre du Palais-Cardinal, le 14 janvier 1641. La Gazette, qui relate
toutes les merveilles de cette représentation, ne manque pas de relever,
comme une grande nouveauté, le jeu de lumières qui montrait le passage du
jour à la nuit et de la nuit au jour suivant : « La nuit sembla arriver ensuite
par l’obscurcissement imperceptible tant du jardin que de la mer et du ciel,
qui se trouva éclairé de la lune. À cette nuit succéda le jour, qui vint aussi
insensiblement avec l’aurore et le soleil qui fit son tour… » [History, t. 2,
vol. 2 : 376].
Nous pouvons suivre de plus près cette mise en scène sur les gravures de
la luxueuse édition in-folio de Mirame donnée par Henry Le Gras en 1641
avec le sous-titre « Ouverture du théâtre de la grande salle du Palais
Cardinal ». La première gravure, souvent reproduite, représente la scène
fermée par un rideau. Les cinq autres donnent l’état de la scène à chacun
des cinq actes. Le décor y est toujours le même ; mais en y regardant de
près, on s’aperçoit que le graveur a porté toute son attention sur la
différence des états du ciel à chacun des actes ; c’est même cette différence
qui justifie la présence de cinq gravures qui par ailleurs se ressemblent
étrangement. À l’acte I, il fait grand jour ; le soleil n’est pas représenté.
L’acte II se passe dans la nuit ; la lune est figurée dans le ciel, par un cercle
où l’on distingue vaguement une figure humaine. L’acte III représente le
soleil levant ; cet astre est très bas, plus petit que la lune et entouré de
rayons ; des brumes assez sombres s’amoncellent dans le haut du ciel. À
l’acte IV, le soleil a disparu ; il fait jour, mais des ombres subsistent dans le
haut de la gravure. Enfin, le grand jour se marque dans l’acte V par le fait
que, le soleil n’étant toujours pas représenté, on ne distingue plus que de
très légères ombres, qui sont peut-être des nuages, dans le haut du ciel. Le
soin apporté à tous ces détails montre bien combien ils avaient frappé les
contemporains et de quel cérémonial était entourée l’unité de temps à ses
débuts.
***
Le dénouement
I – Dénouement et catastrophe
Nous trouvons des idées semblables, sous des mots différents, chez
Marmontel. Voici sa définition de ce qu’il appelle « achèvement » : « Dans
la poésie dramatique, on appelle ainsi la conclusion qui suit l’événement
par lequel l’intrigue est dénouée »6. Or, « l’événement par lequel l’intrigue
est dénouée » n’est autre que le dénouement. La « conclusion » ou
l’« achèvement » qui le suit doit montrer les répercussions de l’événement
qui constitue le dénouement sur les personnages ou les aspects de l’action
qui n’ont pas encore été touchés par l’événement déterminant. Tout n’est
pas toujours fini quand la dernière péripétie ou l’élimination du dernier
obstacle a annoncé l’établissement d’une situation enfin stable. Il faudra
parfois du temps pour que les conséquences de cette dernière situation se
fassent sentir pour tous les personnages et sur tous les problèmes encore en
suspens. L’ensemble de l’événement déterminant et de ses conséquences est
appelé dénouement. Mais les conséquences sont appelées « achèvement »
par Marmontel et « catastrophe » par l’auteur du manuscrit 559. Marmontel
donne deux exemples d’« achèvement » : ce que devient Junie après la mort
de Britannicus dans Racine, et, chez Corneille, la partie d’Horace qui suit le
retour du jeune Horace chez lui. On voit que cette conception, dont
Corneille ne s’était pas avisé, permet de supprimer le « second péril » de
cette tragédie.
Pour prendre un autre exemple, le dénouement de Bajazet de Racine
commence au moment où Roxane prononce son fameux « Sortez » [V, 4] :
c’est la dernière péripétie ; Roxane ne reviendra pas sur sa décision ; mais
cette décision provoque la révolte d’Acomat, annoncée à la scène 7 du
dernier acte, la mort de Bajazet, qu’on apprend à la scène 117 et le suicide
d’Atalide à la dernière scène. Tous ces événements, qui ne sont qu’une
partie du dénouement, constituent la catastrophe, — ou les catastrophes.
Car ici la terminologie devient incertaine. Le mot de catastrophe désigne
pour l’auteur du manuscrit 559, — notre seul guide précis en cette matière,
— tantôt l’ensemble des événements qui résultent de la dernière péripétie,
tantôt chacun de ces événements, et tantôt le dernier d’entre eux. De sorte
que cet auteur peut écrire que les dernières scènes de la pièce doivent
séparer « le dénouement de la catastrophe par des catastrophes apparentes,
c’est-à-dire par des dénouements successifs qui paraissent à chaque moment
finir l’action » [Section IV, ch. 3, § 3]. Notons qu’il ne s’agit pas ici de
péripéties, sans quoi l’on ne pourrait pas dire que le véritable dénouement a
déjà commencé ; le seul élément commun à ces fausses catastrophes et à
une vraie péripétie est l’élément de surprise ; il permet de tenir le spectateur
en haleine jusqu’au bout.
L’effet de surprise sera le plus grand si l’on adopte le procédé que
recommande ensuite l’auteur du manuscrit 559 : « Il faut, autant qu’on peut,
que ces fausses catastrophes soient heureuses, quand la véritable doit être
malheureuse, et malheureuses quand la véritable doit être heureuse » [Ibid.,
§ 4]. On peut illustrer sa pensée par l’exemple d’une pièce comme
Amalasonte de Quinault. On apprend à la scène 2 du dernier acte de cette
tragi-comédie que la reine Amalasonte, après de multiples revirements,
s’est décidée à faire mourir Théodat, qu’elle aime mais dont elle est jalouse,
en lui faisant porter un billet empoisonné ; c’est la dernière péripétie, et elle
inaugure le dénouement. On croit à la scène suivante, par suite d’une
équivoque, que Théodat est mort : catastrophe malheureuse. À la scène 6,
Amalasonte apprend qu’elle était aimée de Théodat ; à la scène 7, elle veut
se tuer, mais s’évanouit seulement : catastrophes malheureuses. À la
scène 8, Théodat apparaît bien vivant : catastrophe heureuse autant
qu’inattendue ; c’est un autre qui a lu le billet empoisonné. Et le
dénouement se termine par le mariage de Théodat et d’Amalasonte.
Telle est la forme la plus complexe du dénouement à catastrophes. Mais,
naturellement, « il y a des pièces où la catastrophe suit de si près le
dénouement qu’on peut dire que l’un est confondu dans l’autre », comme
dit encore l’auteur du même manuscrit [Ibid., § 10], qui ajoute : « Les
catastrophes confondues avec le dénouement sont les plus vives » [Ibid.,
§ 11]. Ce sera le cas lorsque l’action sera tellement simplifiée à la fin de la
pièce que la dernière péripétie, reculée le plus loin possible, suffira à
trancher tous les fils ou à éliminer tous les obstacles. On en peut donner un
exemple relativement ancien, celui du Cosroès (1649) de Rotrou, dont le
héros, Syroès, ne prend sa dernière décision qu’à la dernière scène et où
Rotrou met une certaine coquetterie à ne nous apprendre la mort de Cosroès
qu’au dernier vers.
On peut préciser la terminologie un peu floue du xviiie siècle et résumer
les résultats que nous avons acquis en avançant la définition suivante : Le
dénouement d’une pièce de théâtre comprend l’élimination du dernier
obstacle ou la dernière péripétie et les événements qui peuvent en résulter ;
ces événements sont parfois désignés par le terme de catastrophe.
C’est « le dieu », dit-il, qui lui « explique son oracle » et qui l’« instruit
de son choix ». Racine aurait pu, comme on l’a fait si souvent avant lui,
procéder à la « reconnaissance » en règle de la princesse d’origine
inconnue, par quelque cicatrice ou par le témoignage de quelque vieillard
qui l’aurait élevée. Il ne l’a pas fait. Il a esquissé les moyens d’expliquer
rationnellement le dénouement, mais il a conservé à la conclusion de sa
tragédie le caractère surnaturel que la tradition lui attribue. Il a pris assez de
précautions pour pouvoir affirmer dans sa Préface, avec une apparence
seulement de justification, que « le dénouement de la pièce est tiré du fond
même de la pièce », mais ces précautions, insuffisantes pour les exigences
de la dramaturgie de son temps, ne sont là que pour faire accepter à la fin de
la pièce cette invasion du merveilleux, cette présence de la divinité, dont le
rôle s’épanouira dans Phèdre et, sur un tout autre plan, dans Athalie.
Bien plus rationaliste est l’attitude de Corneille. Attila offre un excellent
exemple d’une pièce dont le dénouement, qui avait les plus grandes chances
de paraître dû au hasard, est rattaché habilement au nœud, dont il devient la
conséquence nécessaire. L’histoire apprenait à Corneille qu’Attila était mort
d’une hémorragie11. Corneille a soin de nous dire dès le début de la pièce
qu’Attila est sujet « chaque jour » [II, 1] à des hémorragies, dont la violence
est proportionnelle à sa colère. Or les événements du drame provoquent au
cinquième acte chez le roi des Huns une colère de plus en plus violente : à
la scène 1, Valamir dit qu’« Attila s’aigrit au dernier point » ; à la scène 3,
où nous le voyons lui-même, il parle de sa « colère », Honorie se révolte
contre sa « fureur » et remarque que son sang commence à couler. On peut
donc dire de cette pièce beaucoup plus justement que d’Iphigénie que « le
dénouement de la pièce est tiré du fond même de la pièce ».
***
La pièce qui montre le mieux, par l’accueil qui lui a été fait, les
inconvénients d’un dénouement trop complet, est sans doute Britannicus de
Racine. On s’accorde en général à reconnaître que l’intérêt faiblit après que
nous apprenons, à la scène 4 du dernier acte, la mort de Britannicus. Mais la
pièce compte encore quatre scènes, et elle en comptait cinq dans l’édition
originale. Racine n’a pas cru pouvoir se dispenser de narrer la douleur de
Burrhus, l’emportement d’Agrippine, la retraite de Junie chez les Vestales,
qui est l’occasion du meurtre de Narcisse et la cause du désespoir de Néron.
Ce sont là, sans doute, des « catastrophes » dont la place est justifiée dans le
dénouement, mais elles amènent une diminution de la tension dramatique.
Dès 1670, Boursault condamne ce cinquième acte14, et l’auteur du
manuscrit 559 dira : « Je ne sais si la fin de cet acte ne peut pas avoir
contribué au mauvais succès qu’eut d’abord Britannicus » [Section IV,
ch. 3, § 8]. Racine essaie de se défendre quand il déclare dans la première
Préface de la pièce : … « la tragédie étant l’imitation d’une action
complète, où plusieurs personnes concourent, cette action n’est point finie
que l’on ne sache en quelle situation elle laisse ces mêmes personnes ». Il
n’a pas empêché le public d’estimer que le dénouement, pour complet qu’il
soit, est trop lent.
L’application trop stricte de la règle conduit donc à une difficulté.
Comment en sortir ? Le P. Lamy en 1668 nous donne une solution. Il écrit
dans ses Nouvelles réflexions sur l’art poétique :
Quand enfin on a poussé sa lecture à bout, que l’on sait ce que l’on
voulait savoir, on se sent pleinement rassasié, ou plutôt vide, et on
tombe en même temps dans le dégoût qui suit nécessairement les
illusions et les faux plaisirs. Aussi les poètes habiles préviennent leurs
lecteurs, et pour les laisser avec quelque appétit, ils ne concluent pas
entièrement leur pièce : ils mettent seulement les choses en tel état que
le lecteur devine facilement le reste. [ : 148-149]
***
Les règles que nous venons d’étudier sont valables pour tous les genres.
Il faut leur ajouter un certain nombre de traditions, qui pourront être
caractéristiques de tel ou tel genre, comme la tragédie, la tragi-comédie ou
la comédie, ou même qui pourront être communes à tout le théâtre
classique, à titre, non d’obligations techniques, mais de modes plus ou
moins répandues. Il est bien certain qu’un dénouement de tragédie ne se
présente pas, en général, comme un dénouement de comédie. Théophile
Gautier exprimera plaisamment, mais approximativement, cette différence,
en écrivant, dans la Préface de « Mademoiselle de Maupin » :
***
***
IV – Le dénouement invisible
***
et atteindra par suite des prix élevés : Floridor achètera pour 20 000 livres
la garde-robe de Bellerose3. Mais ces costumes somptueux et modernes
habilleront au besoin, sans choquer personne, des héros antiques. Le
frontispice de l’édition originale de Polyeucte de Corneille nous montre le
noble arménien coiffé d’un magnifique chapeau à plumes. Voltaire, qui
obtiendra, non sans peine, des comédiens de son temps un costume mieux
adapté aux situations des pièces, ne manque pas d’ironiser sur cette naïveté
de la mise en scène classique : « Polyeucte, avec des gants blancs et un
grand chapeau, ôtait ses gants et son chapeau pour faire sa prière à Dieu »4.
Même naïveté dans le décor. Les palais peints sur les toiles de fond sont
uniformément des palais du xviie siècle. Un moyen infaillible de plaire au
public est de lui représenter des lieux qu’il connaît bien et qu’il aime revoir
au théâtre. La Place Royale, la Comédie des Tuileries sont au xviie siècle
des titres aguichants. Examinant une autre de ses comédies, Corneille
avoue : « J’ai… pris ce titre de la Galerie du Palais parce que la promesse
de ce spectacle extraordinaire et agréable pour sa naïveté5 devait exciter
vraisemblablement la curiosité des auditeurs » [G. du P., Examen]. Calcul
qui n’a pas été déçu, puisque le succès de la pièce a été dû surtout aux
scènes où l’on voit les boutiques du libraire, de la lingère et du mercier
[I, 4, 5, 6, 7, IV, 12, 13, 14]. Pour introduire ces scènes, Corneille n’a pas
hésité, comme il le reconnaît dans l’Examen, à violer l’unité d’action, celle
de lieu et la règle de la liaison des scènes. Torelli sera encore plus hardi en
1645 : mettant en scène la Finta Pazza, il juxtaposera au décor antique de
l’île grecque de Scyros des vues parisiennes aimées du public, la Cité, le
Louvre, le Pont-Neuf. Il s’en explique ainsi, en toute simplicité : « Singulier
anachronisme dont on pourra me blâmer, mais que le désir de plaire à ceux
qui m’ont si bien accueilli me porte à commettre » [cf. Holsboer, Mise en
scène : 141].
Les accessoires, en accord avec la même esthétique, sont souvent des
objets réels. Le Mémoire de Mahelot6 nous en donne de nombreux
exemples. Mahelot, pour mettre en scène une pastorale, demande un décor
« de verdure ou toile peinte » [Ibid. : 65] : la toile peinte peut suffire ; mais
la véritable « verdure » sera mieux. La fontaine qui figure dans le même
décor sera « coulante ou sèche » [Ibid.] ; pour une autre pièce, Mahelot
réclame une « fontaine en grotte, coulante ou de peinture » [Ibid. : 84] :
dans certains cas au moins, on pouvait donc voir de l’eau véritable s’écouler
sur la scène. Les Vendanges de Suresnes de du Ryer doivent représenter les
coteaux de Suresnes où l’on fait les vendanges ; Mahelot note pour cette
pièce : « aux deux côtés du théâtre, il faut planter des vignes, façon de
Bourgogne, peintes sur du carton taillé à jour » [Ibid. : 94]. Mais il ajoute :
« En la saison du raisin, il en faut avoir cinq ou six grappes pour la feinte »
[Ibid.]. Le vrai raisin lui paraît donc, quand on peut en avoir, préférable au
raisin peint sur le décor.
Le sang, indispensable pour les scènes de meurtres ou de blessures, est
mentionné souvent par le Mémoire de Mahelot [ex. : 73, 75, 90, 93] ; il est
contenu dans une petite outre ou une éponge [Ibid. : 71, 90, 93] et jaillit
sous la pression de l’épée ou du poignard. Peut-être, comme le suggère
M. Lancaster, était-il figuré par du vin rouge [History, t. 1, vol. 2 : 724] ;
mais les décorateurs l’appellent bien « sang » dans leur Mémoire ; peut-être
était-ce plutôt du sang de bœuf.
Les animaux sont représentés, quand on ne peut faire autrement, par des
acteurs déguisés ou par des « feintes » de toile ou de bois ; c’est
évidemment le cas quand il s’agit de lions ou de licornes [Mémoire,
op. cit. : 37]. Mais dans un cas au moins, Mahelot exige « un agneau qui
soit en vie » [Ibid. : 85]. Le cheval vivant lui-même s’introduit sur la scène :
lors de la reprise d’Andromède de Corneille en 1682, « on a représenté le
cheval Pégase par un véritable cheval, ce qui n’avait jamais été vu en
France »7. On avait réduit cet animal à un « jeûne austère », et au moment
de le faire entrer en scène, on lui montrait de l’avoine, de sorte que Pégase,
« pressé par la faim, hennissait, trépignait des pieds, et répondait ainsi
parfaitement au dessein qu’on avait »8.
Cette recherche de la réalité dans la mise en scène a beau être poussée
très loin, elle ne suffit pas à résoudre tous les problèmes. Il faut souvent
indiquer, par des procédés symboliques, ce qu’on ne peut pas représenter.
Le décor simultané suppose l’existence d’un certain nombre de
conventions. On sait que ce type de décor, employé notamment à l’Hôtel de
Bourgogne au début du xviie siècle, provient en partie de l’adaptation des
vastes décorations multiples du Moyen Âge aux dimensions restreintes de
la scène classique : plusieurs compartiments, disposés sur le pourtour de la
scène, représentent les différents lieux où se passe l’action. Les acteurs
jouent parfois dans ces compartiments [History, t. 1, vol. 2 : 720] ; mais le
plus souvent, les compartiments étant fort petits et sans doute assez
incommodes, l’acteur ne fait que s’y montrer d’abord pour situer le lieu de
l’action, puis s’avance vers le milieu de la scène pour débiter son rôle ; le
public suppose pourtant qu’il est toujours dans le lieu où on l’a vu d’abord9.
Les compartiments inutiles à l’action sont réputés absents dans toutes les
scènes où l’on n’a pas besoin d’eux. La distance entre les différents lieux
représentés serait même, selon Rigal, suggérée par la marche plus ou moins
rapide de l’acteur ou par le procédé qui consiste à sortir de scène pour y
rentrer aussitôt10.
Les personnages se reconnaissent à un certain nombre d’attributs
conventionnels. Les acteurs de la farce, et à leur suite, pendant quelque
temps, ceux de la comédie, portent le masque ou ont le visage enfariné. Cet
usage est encore attesté en 1637, l’année du Cid, par l’auteur du Traité de la
disposition du poème dramatique [Gasté, Querelle du Cid : 280]. Le
seigneur a généralement un chapeau à plumes, le roi une couronne, le
bourreau une barbe, l’ermite une robe, le berger une houlette11. Des scènes
animées trop difficiles à représenter seront indiquées symboliquement par
un tableau peint sur une toile de fond. Publiant en 1642 sa Pucelle
d’Orléans, l’abbé d’Aubignac se plaint amèrement de ce que les acteurs, au
lieu de faire voir « la Pucelle au milieu d’un feu allumé et environné d’un
grand peuple… firent peindre un méchant tableau sans art, sans raison et
tout contraire au sujet » [Cf. Le libraire au lecteur]. Autre reproche adressé
aux mêmes comédiens : « au lieu d’avoir une douzaine d’acteurs sur le
théâtre pour représenter l’émotion des soldats contre le Conseil au jugement
de son procès, ils y mirent deux simples gardes… » [Ibid.]. L’étroitesse des
scènes et le petit nombre des acteurs ne permettaient guère en effet de faire
voir des mouvements de foules ; il fallait bien admettre que deux soldats
représentent une armée.
Si la mise en scène classique témoigne d’un réalisme et d’un symbolisme
à peu près également naïfs, on comprend sans peine que la recherche de la
couleur locale lui soit à peu près interdite. Tout son effort porte sur la
reproduction de la réalité française de son temps ; quand elle ne parvient
pas à reconstituer cette réalité, elle recourt à des moyens symboliques. Les
autres temps, les autres lieux, sont bien loin de ses préoccupations. Sans
doute objectera-t-on que l’attitude des auteurs dramatiques n’est pas ici
différente de celle des autres écrivains : le classicisme, dans son ensemble,
ne se soucie guère de couleur locale, et les romanciers par exemple, qui ne
sont pas soumis aux limitations de la scène, ne sont pas plus curieux de
véritable dépaysement que les auteurs de pièces. Mais il importait de
signaler que la mise en scène jouait au théâtre le rôle d’un barrage
supplémentaire sur la route du pittoresque. Les auteurs dramatiques
l’eussent-ils voulu, ils n’auraient pas pu créer une véritable couleur locale
parce que les conditions de la représentation s’y opposaient.
Or, dans une mesure faible, mais pourtant discernable, ils l’ont voulu. Ils
n’ont pas pu distinguer les détails des différences entre les temps et les
lieux ; mais ils ont du moins suggéré qu’il y avait plusieurs formes de
civilisation. Il y a une peinture de l’Antiquité dans le théâtre classique ;
alors que les Grecs, les Romains ou les Gaulois des romanciers du
e
xvii siècle ne sont que des Français, le théâtre dégage une figure de héros
antique. Le Romain idéal, esquissé par les dissertations de Balzac, les
réflexions des historiens ou des moralistes, prend sa forme définitive et
acquiert son prestige dans la tragédie. Mairet et du Ryer commencent son
portrait, Corneille le poursuit inlassablement. À la scène, ce Romain est le
seul des héros tragiques à porter un costume qui ne soit pas celui du
e
xvii siècle ; c’est le fameux « habit à la romaine », avec cuirasse, casque
empanaché, petite jupe appelée « tonnelet », et brodequins. Habit de
fantaisie certes, et qui n’est même pas spécifiquement romain, puisque les
héros grecs ou orientaux le portent aussi. Il montre du moins, parallèlement
à la constitution d’une psychologie qui se croit « romaine », un souci de
distinguer l’Antiquité de l’époque moderne.
Dans l’espace comme dans le temps, le théâtre classique sait voir les
grandes différences, à défaut des petites. L’Europe lui apparaît comme une
masse indifférenciée : l’Angleterre du Comte d’Essex de La Calprenède,
l’Espagne de Don Sanche d’Aragon de Corneille, l’Italie du Prince déguisé
de Scudéry, l’Allemagne et la Bohême de la Généreuse Allemande de
Mareschal, la Pologne du Venceslas de Rotrou, ne se distinguent pas de la
France. Mais la civilisation musulmane est sentie comme une réalité
originale, qui appelle, et parfois obtient une couleur particulière. Les scènes
arabes de la Belle Alphrède de Rotrou, la tragédie d’Osman de Tristan,
montrent, bien avant les turqueries du Bourgeois Gentilhomme de Molière
ou les inquiétantes allusions aux mœurs du sérail du Bajazet de Racine, un
souci de mettre en relief la somptuosité barbare de l’Islam ; on ne
retrouvera guère ce souci dans les fades romans pseudo-orientaux de la fin
du siècle. Les décorateurs du temps de Louis XIII tentent de seconder
l’effort des auteurs pour créer cette forme de pittoresque : Mahelot, mettant
en scène la Leucosie de Hardy en 1634, demande « des turbans et des dards
pour les Turcs » [Mémoire, op. cit. : 73]. Mais il n’y a plus de turbans dans
la mise en scène indiquée par Laurent en 1678 pour Bajazet de Racine
[Ibid. : 113], et quand la Comédie-Française jouera en 1680 le Soliman de
La Tuillerie, dont la scène est à Constantinople, elle se contentera comme
décor d’un « palais à volonté » [Ibid. : 126]. La couleur locale, qui n’a
jamais été très vive, va donc en s’effaçant. Dans la première moitié du
siècle, elle obtient quelques succès, isolés, mais méritoires. Sans doute le
chemin est encore bien long qui mène au théâtre de Voltaire, et, plus loin
encore, à celui de Victor Hugo. Il n’est pourtant pas interdit de penser que
certains auteurs dont la vie a été aventureuse et qui ont eu des curiosités
pour l’étranger, un Tristan, un Mairet, un Gilbert, auraient pu entraîner le
théâtre dans la voie du pittoresque. S’ils ne l’ont pas fait, faut-il en accuser
seulement l’universalisme abstrait de la doctrine classique, dont la
contrainte au demeurant semble avoir été légère pour ces auteurs ? Les
conditions de la mise en scène opposaient à leurs aspirations une barrière
bien autrement infranchissable.
***
Il est évident que l’unité de lieu, dont nous allons nous efforcer
maintenant de déterminer la place dans la dramaturgie classique, entretient
elle aussi des rapports étroits avec la mise en scène. Le lieu ou les lieux que
l’auteur imagine pour situer son action seront nécessairement, lors de la
représentation, figurés par un ou plusieurs décors, et l’on s’attend à ce que
l’image de ces décors guide le travail de l’écrivain. Or on constate qu’au
e
xvii siècle cette image est très imprécise, et parfois même qu’elle n’existe
pas du tout. L’auteur dramatique est souvent, en France, un écrivain avant
d’être un homme de théâtre ; parmi ses œuvres, il peut y avoir des pièces,
mais il ne se soucie pas toujours de leur réalisation, qu’il abandonne aux
soins du metteur en scène. En 1933 encore, Émile Fabre déplorait que
« beaucoup d’écrivains ignorent tout… de l’art de la mise en scène »13. La
Mesnardière en 1639 constatait chez les auteurs une carence analogue et
affirmait : « D’abord il faut donc apprendre à nos poètes dramatiques que
cet appareil de la scène dont la plupart de ces Messieurs laissent tout le soin
à l’acteur est une partie de leur art, et qu’il n’est pas moins nécessaire aux
écrivains de théâtre d’en savoir la disposition » 150 bis.
« La plupart de ces Messieurs » méritent en effet, tout au moins pendant
la période préclassique, les reproches du critique, et les détails de
l’influence de la mise en scène sur la dramaturgie que nous avons indiqués
précédemment constituent l’exception, non la règle. Il n’y a pas lieu de s’en
étonner. Vers 1630, il n’y a pas de traditions dramaturgiques, sinon
méprisées ; tout l’art classique est encore à créer. Les jeunes écrivains qui
se dirigent vers le théâtre sont désorientés plutôt que guidés par la mise en
scène qui est alors pratiquée : elle est à la fois simpliste et compliquée,
héritière de traditions dont le sens s’est perdu et à peu près directement
opposée aux principes du classicisme littéraire qui commencent à germer
dans les esprits. Il faudra une trentaine d’années d’efforts pour créer un
théâtre classique en se servant de l’organisation de la scène, aussi peu
classique que possible, léguée par Hardy et ses successeurs. Il est normal
qu’en entrant dans cette carrière les écrivains s’en tiennent de préférence à
la littérature et n’imaginent pas souvent le décor dans lequel leur œuvre,
une fois écrite, sera représentée.
Au début du siècle, la situation exacte des scènes est souvent très difficile
à déterminer, même chez un auteur dramatique professionnel comme Hardy.
Par exemple, sa tragi-comédie de La Force du Sang se passe dans six ou
sept endroits différents et ne comporte aucune indication de mise en scène ;
ces endroits peuvent le plus souvent être définis à l’aide du texte même de
la pièce, mais dans le détail de nombreuses incertitudes subsistent. La
première scène se passe à Tolède, au bord du fleuve ; la scène suivante,
occupée par des personnages différents, est toujours à Tolède, mais le
fleuve n’y est plus nécessaire ; s’agit-il du même lieu, ou d’un autre ? On ne
sait. À la scène 3 de l’acte II apparaît un nouveau personnage, Don Inigue,
qui parle à son fils, Don Alphonse ; or, nous avions déjà vu Don Alphonse,
au début de l’acte, dans sa propre chambre ; après un intervalle qui nous a
transportés chez d’autres personnages, Don Inigue entre en scène ; est-il
venu voir son fils dans la chambre de ce dernier, ou l’entretien a-t-il lieu
dans une autre pièce ? Rien ne l’indique. On pourrait accumuler de tels
exemples. Hardy et ses successeurs multiplient les lieux avec prodigalité,
pour la même raison qu’ils prodiguent, comme nous l’avons montré, les
personnages secondaires. Ils veulent tout faire voir. Leur vision est ample,
mais floue ; ils ne se soucient ni d’économie ni de précision des décors.
Chez un amateur, comme Jean de Schelandre, on verra même des lieux
parfaitement inutiles à l’action : sa tragédie de Tyr et Sidon, dans sa version
de 1608, se passe tout entière à Tyr, dans des endroits de la ville difficiles à
déterminer, mais sans doute différents ; seule une scène, la première du
quatrième acte, est située à Sidon : remplie par les lamentations du roi de
Sidon, elle ne sert à rien, sinon à provoquer la compassion pour ce roi. Ce
résultat pouvait évidemment être atteint sans changement de lieu.
Cette technique s’explique aisément si l’on pense que l’auteur
dramatique écrit son œuvre sans imaginer les problèmes de mise en scène
qu’elle posera. La pièce préclassique est d’abord un récit : l’auteur raconte
une histoire, sa matière lui suggère des épisodes qui exigeront divers lieux,
et l’action se transporte partout où elle doit se passer. L’écrivain qui n’est
encore qu’un écrivain n’a pas à situer avec précision dans l’espace des
épisodes qui ne l’intéressent qu’en raison de leur valeur tragique ou
comique ; il n’a pas davantage à se préoccuper d’utiliser à nouveau des
décors ou des parties de décor qui ont déjà servi. Voyons par exemple
comment Rotrou dramatise la légende d’Antigone. Sa tragédie montre
d’abord le palais de Thèbes, où la famille royale essaie en vain d’arrêter la
lutte entre Polynice et Étéocle. Polynice, qui a décidé de se battre contre son
frère, se prépare au combat, à la fin du premier acte, dans sa tente, qui se
trouve sous les murs de Thèbes. Les préliminaires de ce combat, quelque
part devant les mêmes murs, occupent l’acte II ; Polynice attend Étéocle, ils
se défient, malgré les supplications d’Antigone et de Jocaste. Au cours du
troisième acte, Antigone forme sa résolution ; on la voit dans sa chambre,
puis sur les remparts, où elle cherche le corps de son frère. Créon devient le
personnage principal des actes suivants ; dans son palais, il essaie
d’imposer sa volonté à Antigone et à Hémon. Le cinquième acte exige-t-il
deux salles du palais ou une seule ? Rotrou ne semble pas s’être posé la
question, et pourtant il nous montre Hémon sans son père pendant trois
scènes et Créon sans son fils pendant les quatre suivantes. Enfin, les deux
dernières scènes nous transportent auprès du rocher où Antigone est morte
et où Hémon se tue. Rotrou suit donc ses personnages, bien loin de les
conduire en quelques endroits choisis ; il les suit partout où ils veulent aller.
Surtout occupé de ses héros et de son action, l’auteur préclassique ne sait
même pas au juste, parfois, où se passent les événements qu’il raconte, et il
arrive qu’on le surprenne en flagrant délit d’ignorance sur ce point. Cette
ignorance peut être prudence : l’auteur peut ne pas savoir par quel théâtre,
dans quel décor, sa pièce sera jouée, et rester dans un vague qui permettra
toutes les interprétations. Tel n’est pas le cas, pourtant, pour la Mort de
Sénèque que Tristan a écrite expressément en vue de la faire jouer par
Molière et les Béjart à l’Illustre Théâtre. Or les lieux de cette pièce sont
aussi difficiles à définir que ceux de la plupart des pièces préclassiques.
Deux groupes de personnages s’opposent et se succèdent : Néron et ses
amis d’une part, d’autre part ceux qui conspirent contre lui et qui
compromettent Sénèque. Il est question, au vers 317 du jardin de Mécène
où les deux groupes antagonistes pourraient, bien peu vraisemblablement,
venir discuter tour à tour, à moins que la scène ne représente tantôt le palais
de Néron et tantôt la maison de Sénèque ou de tel des conjurés ; le texte de
Tristan ne permet pas de prendre parti sur ce point.
Une autre tragédie, le Comte d’Essex de La Calprenède, offre une
indication de mise en scène remarquable par son caractère négatif. Madame
Cécile est allée voir le Comte d’Essex dans sa prison ; en en sortant, elle
prononce un monologue, que l’auteur présente ainsi : « Mad. Cécile, seule,
hors de la prison » [IV, 7]. La Calprenède vent que l’on comprenne que
Madame Cécile n’est plus dans le lieu de la scène précédente. Mais où est-
elle au juste ? Elle se rend chez la Reine, dont la chambre est sans doute
assez loin de la prison. L’auteur ne se représente le parcours que de façon
très vague, puisqu’au début de la scène suivante Madame Cécile rencontre
son mari et essaie de lui faire croire qu’elle n’a pas rendu visite à Essex.
Les passages des préfaces qui traitent des lieux de l’action montrent bien
que la détermination de ces lieux est le plus souvent postérieure à la
conception de la pièce. On écrit d’abord la pièce, puis on se demande où
elle se passe. Dans l’Examen du Cid, Corneille parle du « lieu particulier » :
« On le détermine aisément pour les scènes détachées ; mais pour celles qui
ont leur liaison ensemble, comme les quatre dernières du premier acte, il est
malaisé d’en choisir un qui convienne à toutes ». Le choix n’est malaisé que
parce qu’il est fait après coup. Corneille ne s’est visiblement pas posé la
question en écrivant le Cid ; il y a été amené par les critiques que la pièce a
provoquées.
L’insouciance des auteurs en ce qui concerne la détermination des lieux
pose parfois des problèmes de mise en scène à peu près insolubles. Le
cinquième acte de Mirame de Desmaretz de Saint-Sorlin est bien d’un
écrivain qui n’a pas pensé au théâtre. L’héroïne, Mirame, est absente des six
premières scènes de l’acte ; on a cru à la scène 3 qu’elle s’était
empoisonnée, puis on a appris à la scène 6 qu’elle avait seulement absorbé
un somnifère, et qu’elle n’est pas morte ; elle n’est pas en scène et n’a pu à
aucun moment venir sur le lieu de l’action. Or, à la scène 7, les personnages
décident de lui prodiguer leurs soins. Le roi s’écrie :
Allons la secourir.
et Azamor propose :
Courons à son réveil.
Ils n’ont pas besoin de courir. Sans plus de transition, Mirame est là !
Nous allons assister à son réveil. Les soins qu’on lui donne sont d’abord
impuissants, puis
la princesse respire.
Elle s’éveille enfin
***
***
***
IV – Le problème du rideau
V – La tapisserie et le « travelling »
Rideau, tapisserie et toile sont des termes voisins et qui doivent être
soigneusement distingués. Ils désignent en fait deux réalités bien
différentes : le grand rideau qui, lorsqu’il existe, cache l’ensemble de la
scène avant le spectacle, et le petit rideau qui est un élément du décor dont
il ne cache qu’un compartiment et qui peut être tiré à certains moments du
spectacle pour faire voir l’intérieur du compartiment. Le mot « rideau » sert
en général au xviie siècle à désigner le grand rideau de la scène que nous
avons étudié. Le petit rideau apposé devant un compartiment du décor est le
plus souvent appelé « tapisserie » dans les textes classiques, mais il arrive
qu’on le nomme aussi « rideau ». Quant au mot « toile », c’est un terme
générique qui peut désigner l’un ou l’autre. Pour plus de clarté, nous nous
abstiendrons d’employer le mot « toile », et nous appellerons toujours
« rideau » le grand rideau de la scène et « tapisserie » le petit rideau qui est
un élément du décor et dont nous allons maintenant montrer les propriétés
dramaturgiques.
Ce que la mise en scène perd en richesse par l’absence de rideau, elle le
regagne en partie par la présence de la tapisserie. Si la passion du spectacle,
à l’époque préclassique, demande qu’on représente le plus possible de lieux
différents, la tapisserie va permettre d’ajouter un lieu de plus à ceux qui
sont figurés sur le devant de la scène, en étendant le décor en profondeur.
Le décor simultané présente déjà plusieurs lieux distincts, mais leur
nombre, en raison de l’étroitesse de la scène, ne peut pas être considérable.
On plante aisément un décor représentant trois lieux, comme celui de
l’Amélie de Rotrou [Cf. Mémoire… : 95-96]. L’Agarite de Durval, d’après
le Mémoire de Mahelot, exige jusqu’à six lieux qu’on peut encore
distinguer nettement : une chambre, une forteresse, un cimetière, une
maison avec une fenêtre, la boutique d’un peintre et un jardin [Ibid., notice :
80-81 et pl. XXXII]. Il semble difficile de dépasser ce chiffre31. Pourtant le
texte de bien des pièces préclassiques implique que l’action évolue dans
plus de six lieux différents : par exemple, la Virginie de Mairet en demande
au moins sept32. L’emploi de la tapisserie peut, dans ces cas, révéler, le
moment venu, un lieu nouveau et constituer une sorte de réserve d’espace.
La tapisserie peut jouer ce rôle parce que les compartiments ne sont pas
toujours, comme le croyait Rigal [Alexandre Hardy : 187-189], de simples
toiles de fond ou des réduits trop petits pour que l’acteur puisse y jouer.
Certaines indications de mise en scène montrent au contraire qu’une partie
de l’action devait se jouer à l’intérieur des compartiments. Nous avons
mentionné les prisons où l’on doit voir de vrais prisonniers. Ailleurs, les
décorateurs demandent « une maison assez belle avec deux chaires où l’on
s’assied dedans » [Mémoire… : 82], précisent qu’on doit pouvoir tourner
« autour du tombeau » [Ibid. p. 87], « autour de l’autel » [Ibid. : 102], que
s’il y a un bois « il faut qu’il y ait place pour se promener » [Ibid. : 69], etc.
Lorsqu’une tapisserie disparaît, ce peut donc être un nouvel espace, et
comme une nouvelle petite scène qui se découvre.
Le Mémoire de Mahelot et de ses continuateurs offre de nombreux
exemples de cet emploi de la tapisserie. Dans Lisandre et Caliste de du
Ryer, le fond du décor représente une prison et l’étal d’un boucher. Mais « il
faut que cela soit caché durant le premier acte, et l’on ne fait paraître cela
qu’au second acte et se referme au même acte : la fermeture sert de palais »
[Ibid. : 68]. C’est donc qu’un palais est peint sur la tapisserie et constitue le
décor de la plus grande partie de la pièce ; mais quand l’action, à l’acte II,
se transporte dans la prison et dans la boucherie, le palais fait place, pour un
temps, à ces deux lieux nouveaux. Pour Arétaphile du même auteur, « il
faut, au milieu du théâtre, un palais caché où il y ait un tombeau et des
armes… Au-devant de ce palais, un autre palais pour un roi » [Ibid. pp. 77-
78. Cet autre palais, seul représenté par le dessin de Mahelot [Ibid.,
pl. XXVII], était peint sur une tapisserie qui constituait le fond du décor
pendant les quatre premiers actes. À l’acte V, la tapisserie disparaissait, et
l’on voyait plus loin un palais différent, avec le tombeau nécessaire au
dénouement. De même, dans les Travaux d’Ulysse de Durval, l’« enfer » est
« caché » [Ibid. : 83] parce qu’il n’est pas utile tout le temps ; dans trois
pièces de Mairet, des tapisseries ne servent qu’au cinquième acte : le
tombeau de Silvanire doit être auparavant « caché de toile de pastorale »
[Ibid. : 87], le palais enchanté et l’autel de Sylvie « ne paraissent qu’au
cinquième acte » [Ibid. : 90], ainsi que le tombeau et l’autel de Chryséide et
Arimand [Ibid. : 91]. Le temple d’Iphis et Iante de Benserade « est fermé
jusqu’au cinquième acte et s’ouvre au milieu de l’acte » [Ibid. : 107], etc.
La Galerie du Palais de Corneille donne lieu à une mise en scène
analogue : quand le moment est venu, « on tire un rideau, nous dit l’auteur,
et l’on voit le libraire, la lingère et le mercier chacun dans sa boutique » [I,
4].
Dans toutes les pièces de ce genre, le lieu nouveau dévoilé par la
tapisserie est profondément différent des autres lieux représentés par le
décor et n’entretient avec eux aucune relation de contiguïté. Il peut être
aussi loin d’eux que les différents endroits représentés par les
compartiments du décor simultané peuvent être distants les uns des autres.
Les héroïnes de la Galerie du Palais, dont les maisons constituent la partie
fixe du décor de la comédie de Corneille, n’habitent évidemment pas dans
le Palais de Justice ; l’enfer de l’acte III des Travaux d’Ulysse de Durval
n’était pas davantage voisin de l’île de Circé, où se passait l’acte II. On fera
un progrès vers l’unité de lieu lorsqu’on s’apercevra que la tapisserie peut
n’être pas seulement un moyen conventionnel de changer de décor, au
même titre que le rideau de scène qui permettra plus tard l’emploi de décors
successifs, mais qu’on pourrait, avec un certain effort d’imagination, la
considérer comme une véritable tapisserie, ou du moins comme la paroi
d’un bâtiment : en s’effaçant, elle laisserait voir ce qui se trouvait
effectivement derrière le lieu qui s’offrait d’abord à la vue du public. La
tapisserie devient alors une barrière réelle entre deux lieux contigus dont le
rapprochement est un acheminement vers l’unité. C’est ce que l’on observe
dans plusieurs pièces.
La Veuve de Corneille a pour décor une rue [III, début sc. 3] sur laquelle
donnent la maison de Philiste et celle de Clarice. Mais il est nécessaire,
pour quelques scènes seulement, de montrer l’héroïne « dans son jardin »
[III, 8-10]. M. Rivaille conjecture avec vraisemblance que ce jardin était
caché par une tapisserie33 : la maison de Clarice disparaissant laisse voir le
jardin qui était derrière. La mise en scène de la Place Royale du même
Corneille doit se comprendre d’une façon analogue : le décor comporte les
deux maisons contiguës d’Angélique et de Philis, et, pour deux scènes
seulement [III, 5, 6], la chambre d’Angélique ; la tapisserie représentant la
maison de cette héroïne pouvait s’abattre pour faire voir la chambre qui est
à l’intérieur. La Mort de César (1636) de Scudéry représente, entre autres
lieux, la maison de César ; à un certain moment [II, 2], « la chambre de
César s’ouvre, sa femme est sur un lit endormie, il achève de s’habiller ».
De même, Tristan donne les indications suivantes pour sa tragédie d’Osman
(1656) : « La scène est à Constantinople. Le théâtre est la façade du Palais
ou Sérail, où il y a… une fenêtre où l’on pourra tirer un rideau,
lorsqu’Osman reçoit les plaintes des Janissaires ». Effectivement, on voit à
la scène 4 de l’acte IV, le sultan Osman, au balcon de son palais, discuter
avec les Janissaires révoltés.
Devenu ainsi naturel, l’emploi de la tapisserie pour séparer deux endroits
réellement contigus pourra être évoqué dans le texte même des pièces de
théâtre. Dans la Sophonisbe (1635) de Mairet, Massinisse demande qu’on
lui apporte le cadavre de Sophonisbe, qui s’est empoisonnée ; le domestique
Caliodore lui répond :
Si Votre Majesté désire qu’on lui montre
Ce pitoyable objet, il est ici tout contre.
La porte de sa chambre est à deux pas d’ici,
Et vous le pourrez voir de l’endroit que voici,
En levant seulement cette tapisserie. [V, 7]
Plus loin, le Numide Syphax, dans son camp, dit au prince Cléonime :
Regardez ce palais, c’est là qu’est Andromire. [III, 2]
Une autre pièce, Les Galanteries du duc d’Ossonne de Mairet, publiée en
1636 mais jouée sans doute dès 1632, va nous montrer comment la
tapisserie peut servir, non seulement à présenter des lieux voisins, mais
aussi à faire passer les personnages de l’un à l’autre. Les évolutions des
héros de cette pièce sont assez compliquées, mais l’abondance des
indications de mise en scène données par Mairet permet de les suivre
aisément. Le décor représente, entre autres lieux, une maison contenant les
chambres de deux jeunes femmes, Émilie et Flavie, qui feront assaut de
« galanteries » avec le duc d’Ossonne et d’autres personnages. Ces deux
chambres sont séparées l’une de l’autre par une tapisserie et leurs parois
donnant sur la rue sont également représentées par des tapisseries, qui
disparaîtront quand il faudra faire voir l’intérieur de la maison. Le duc,
venant de la rue, monte par une échelle de soie dans la chambre d’Émilie :
« Comme il est entré, la toile se tire qui représente une façade de maison, et
le dedans du cabinet paraît » [II, 2]. À la fin de la scène suivante, « la
montre du duc sonne » intempestivement et réveille Flavie qui dormait dans
la chambre voisine : « Ici la seconde toile se tire, et Flavie paraît sur son lit
qui s’est éveillée au bruit de la montre » [II, 3]. Chacune des deux jeunes
femmes écoute à la « tapisserie » [III, 2] qui constitue la cloison séparant
leurs deux chambres, puis le duc et Émilie redescendent par l’échelle de
soie. Des jeux de scène analogues se présentent encore dans la suite de la
pièce ; Mairet a soin de mentionner le maniement des tapisseries quand des
personnages descendent des chambres dans la rue : « Ici les deux toiles se
ferment et Émilie paraît dans la rue » [III, 2], « Ici la toile du cabinet se tire
et ils paraissent tous deux » [III, 3] ; il précise aussi qu’on peut passer d’une
chambre dans l’autre, en soulevant la tapisserie qui les sépare34 [V, 6].
Une telle pièce apporte à la mise en scène une nouveauté d’importance :
la représentation réaliste du mouvement entre deux lieux différents. Cette
représentation était le plus souvent impossible dans le décor simultané
lorsque ce dernier était conçu comme la juxtaposition sur une scène étroite
de décorations figurant des lieux qui, dans la réalité, étaient séparés les uns
des autres par des espaces parfois considérables ; le mouvement ne pouvait
y être que conventionnel. La question ne se posera plus pour la scène
classique lorsque l’unité de lieu y aura triomphé. Mais pendant une courte
période, qui n’atteint même pas un demi-siècle, la scène préclassique a
découvert le mouvement réel, grâce à la tapisserie. De cette découverte, elle
va tirer des conséquences curieuses.
***
Scédase est donc expulsé de la salle des séances. Pourtant, il ne quitte pas
la scène, et c’est au contraire le tribunal qui disparaît. Les juges ne
prononcent plus un mot jusqu’à la fin de la pièce ; Scédase s’entretient avec
ses compatriotes de l’injustice des Spartiates, et, désespéré, se tue. Là
encore, l’objectif s’est déplacé et a suivi le héros ; quand la salle du tribunal
a cessé d’avoir un intérêt dramatique, elle est sortie du champ de cet
objectif.
Il y a dans ces quelques pièces les linéaments d’une esthétique du
mouvement que le théâtre classique abandonnera et qu’on ne retrouvera
qu’à l’âge du cinéma.
***
***
Étéocle voudrait se rendre chez son frère. Mais Jocaste craint une
traîtrise, et s’écrie :
Mon fils, au nom des dieux,
Attendez-le plutôt, voyez-le dans ces lieux. [Ibid.]
***
***
***
***
et assure qu’il réussira. Nous apprenons donc que sa rigueur pour son fils
était feinte, et nous nous demandons ce qu’elle dissimule. Même duplicité
chez Racine : à la fin de l’acte III de la Thébaïde, Créon explique les
dessous de sa politique ; mais réussira-t-il dans ses ténébreux desseins ? À
la fin de l’acte II de Britannicus, Narcisse révèle aussi la noirceur de son
âme et aboutit à la décision de perdre Britannicus. L’explication, qui serait
plus cornélienne, et la décision qui est plus proprement racinienne, se
rejoignent ici dans la même ambiguïté fondamentale : on sait ce que veut en
réalité le personnage, mais on ne sait s’il parviendra à réaliser ses projets.
Les auteurs comiques se soucient beaucoup moins de préparer leurs
entr’actes. Il leur suffit de bien faire rire pour donner au spectateur l’envie
de voir l’acte suivant. Ils se borneront donc à terminer leurs actes par des
scènes particulièrement amusantes. Nous avons vu que c’était le cas pour la
Suite du Menteur de Corneille. Molière conclut les actes de ses comédies-
ballets par des danses plaisantes, comme pour le Bourgeois Gentilhomme, et
ceux de ses comédies ordinaires par des scènes d’un comique plus vif que
les autres. Ainsi pour les quatre premiers actes du Dépit amoureux : Ergaste
et Gros-René, par une absurde jalousie, chassent les femmes qui les
aiment ; Albert, dans une scène totalement inutile à l’action, s’emporte
contre le pédant bavard Métaphraste ; Mascarille cherche en vain à
échapper à Valère ; et les valets, faisant comiquement écho à leurs maîtres,
jouent à leur tour la scène du dépit et de la réconciliation. Ou encore pour
l’Avare : Valère flatte plaisamment Harpagon à la fin du premier acte ; à la
fin du deuxième, Frosine et Harpagon jouent au plus fin, et c’est l’avare qui
l’emporte ; un gros comique de gestes met le point final à l’acte III quand
Harpagon, bousculé par La Merluche, tombe par terre ; et le quatrième acte
se termine par le fameux monologue de l’avare qui pleure le vol de sa
cassette ; à la fin du monologue, ce véritable « mot de la fin » : « Je veux
faire pendre tout le monde ; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai
moi-même après ».
***
Il nous reste à examiner la règle à laquelle nous avons déjà fait allusion et
qui interdit de placer les mêmes personnages de part et d’autre d’un
entr’acte. D’Aubignac l’exprime très clairement : « le même acteur qui
ferme un acte ne doit pas ouvrir celui qui suit » [Pratique du Théâtre, L. III,
ch. 5 : 231]. Cette règle peut se justifier par deux raisons différentes et
même contradictoires ; on peut en effet la considérer comme un corollaire,
soit de la liaison des scènes, soit de l’unité de temps. Au premier point de
vue, si le même acteur paraît à la fin d’un acte et au début du suivant, il y a
liaison de scènes entre ces deux actes, ce qui est considéré comme une
faute, puisqu’on prive ainsi l’entr’acte de sa fonction de séparation ; pour
éviter cette faute, il faut supposer que l’acteur ne reste pas en scène pendant
l’entr’acte et qu’il agit ailleurs pendant ce temps. Mais au second point de
vue, c’est précisément le temps que l’acteur passerait à cette action invisible
qui interdit de le faire revenir au début de l’acte suivant : il est
invraisemblable qu’il ait le temps, pendant les quelques minutes d’un
entr’acte, de quitter la scène, d’agir ailleurs et de revenir ; ou alors, il
faudrait qu’il se dépêche, ce qui est admissible dans la comédie, mais
contraire à la dignité du héros tragique. Tels sont les arguments de l’abbé
d’Aubignac [Ibid. : 232], plus sensible à la vraisemblance qu’à la nécessité
de séparer les actes. Entre ces deux points de vue, il faut choisir, car ils
s’excluent : quand un personnage reparaît de part et d’autre d’un entr’acte,
ou bien il ne s’est rien passé dans cet entr’acte, et alors les actes ne sont pas
vraiment séparés, ou bien il s’est passé quelque chose, et la vraisemblance
risque d’en souffrir. D’Aubignac ne s’est pas aperçu de cette contradiction,
car il a dit, comme ses contemporains, qu’il devait y avoir de l’action dans
les entr’actes, mais, plus épris de vraisemblance que ses contemporains, il a
regretté que cette action fût invraisemblable.
Les contemporains, eux, ont choisi. Ils ont sacrifié la vraisemblance à la
nécessité de séparer les actes. Dans l’immense majorité des cas, chaque fois
qu’un personnage reparaît après un entr’acte, il a agi pendant cet intervalle.
Schlegel, pour une fois, reproduit les sentiments des auteurs français du
e
xvii siècle lorsqu’il écrit : « la division en actes est certainement
défectueuse lorsqu’il n’est censé se passer aucun événement pendant
l’intervalle qui sépare ces parties de l’action, et que les personnages…
reparaissent sur le théâtre sans qu’il y ait rien de changé à leur situation »16.
Voici quelques exemples de personnages reparaissant, mais dont la situation
a changé pendant l’entr’acte. Dans la Place Royale de Corneille, Cléandre
et Phylis terminent l’acte II et commencent l’acte III. Ils ont occupé
l’entr’acte, comme ils le disent, à aller chercher un portrait de Phylis chez
elle, ce qui ne prend qu’« un moment » et sépare bien les actes. Dans
Timocrate de Thomas Corneille, Nicandre et Arcas encadrent le troisième
entr’acte ; mais Nicandre commence l’acte IV en disant : « Quoi ! », ce qui
suppose une conversation commencée, et en outre Arcas a profité de
l’entr’acte pour aller voir Timocrate dans sa prison. Dans Tite de Magnon, il
y aurait liaison entre les actes I et II par la présence des mêmes personnages
si nous n’apprenions dès le premier vers du deuxième acte que les
personnages ont comparu pendant l’entr’acte devant l’impératrice. Dans
l’École des Femmes de Molière, le premier entr’acte et le troisième sont
encadrés par des monologues d’Arnolphe ; mais ces intervalles ne sont pas
vides : dans le premier, Arnolphe a cherché Horace sans pouvoir le trouver,
dans le second il a vu Agnès. Les actes sont donc bien séparés, de même
que le sont, dans Andromaque de Racine, les actes III et IV par la visite
d’Andromaque au tombeau d’Hector ; il importe alors assez peu que ces
deux actes semblent liés par la présence des mêmes personnages.
Dans d’autres cas, le personnage qui reparaît après l’entr’acte n’a pas agi,
ou du moins on ne peut pas préciser ce qu’il a fait ; mais s’il se trouve,
après sa disparition, en compagnie de personnages autres que ses
interlocuteurs de l’acte précédent, il s’est bien passé quelque chose : à tout
le moins les uns sont-ils sortis, puis d’autres sont entrés ; il n’y a donc pas
liaison de scènes, et l’entr’acte est une séparation réelle. Par exemple,
Antigone paraît à la fin du premier acte et au début du deuxième de la
Thébaïde de Racine ; mais dans la première de ces scènes, elle est
accompagnée de Jocaste et dans la seconde elle est avec Hémon, qui
commence l’acte par un « Quoi ! ». Ces deux scènes ne sont donc pas liées ;
il a fallu que Jocaste sorte, qu’on aille chercher Hémon (Antigone dit à la
fin de l’acte I qu’on va le faire venir), qu’Hémon entre et commence à
parler avec Antigone ; tout cela occupe le temps de l’entr’acte. Il en est de
même pour la pièce suivante de Racine. À la fin de l’acte II d’Alexandre, on
voit Axiane et Porus, au début de l’acte III Axiane et Cléofile : entre la
sortie de Porus et l’entrée de Cléofile il y a place pour un entr’acte, même si
Axiane ne commençait pas l’acte III par le « Quoi » qui renforce
opportunément notre croyance à la réalité de l’entr’acte. De même dans
Corneille : Médée et Égée terminent l’acte IV de Médée, l’acte V
commence avec Médée et Theudas : il est nécessaire de supposer un
intervalle17. Ou encore, dans Don Sanche d’Aragon, Elvire ne lie pas le
deuxième acte au troisième puisqu’elle termine l’un avec Carlos et
commence l’autre avec Alvar.
La pratique des auteurs du xviie siècle nous oblige donc à compléter ainsi
la formule de d’Aubignac : le même acteur qui ferme un acte ne doit pas
ouvrir celui qui suit, à moins qu’on ne sache qu’il a agi ailleurs dans
l’intervalle ou à moins que ses interlocuteurs n’aient changé au cours de
l’entr’acte. Il arrive parfois qu’aucune de ces deux conditions ne soit
observée ; l’entr’acte est alors un faux entr’acte, il est vide. Dans Œdipe de
Corneille, le troisième entr’acte est normal, car si Thésée paraît de part et
d’autre de cet entr’acte, c’est d’abord avec Jocaste et ensuite avec Dircé et
Mégare ; mais le deuxième ne l’est pas, car « Dircé ferme le second acte et
ouvre le troisième » ; elle était avec Thésée, qui s’en va à la fin de l’acte II
et est seule au début de l’acte III. Il a donc pu ne rien se passer, et
l’entr’acte n’est pas nécessaire. C’est l’abbé d’Aubignac qui remarque et
qui critique cette faute19, et il a raison. Il ne dit rien, par contre, du
troisième entr’acte d’Œdipe : c’est qu’il comprenait ce point de dramaturgie
comme ses contemporains et qu’il n’appliquait pas lui-même la formule
trop étroite à laquelle l’avait entraîné son goût de la vraisemblance.
Au problème du retour d’un personnage après l’entr’acte rattachons
celui, beaucoup moins important, du retour d’un personnage, après une
disparition, dans un même acte. Là encore nous nous trouvons en présence
d’une interdiction de l’abbé d’Aubignac. Ces allers et retours, dit-il,
peuvent convenir à la comédie ou aux valets de tragédie, mais non à un
héros tragique ou à une femme, « si quelque raison particulière ne
l’obligeait à courir et précipiter son action, sans pécher contre la
bienséance » [Pratique du Théâtre, L. III, ch. 1 : 276-277] ou encore si le
héros ne va pas loin et peut donc rapidement être de retour. La légitimité de
l’intervalle est toujours subordonnée chez d’Aubignac à la vraisemblance et
à la bienséance. Il déconseille, d’ailleurs, ce procédé du retour d’un
personnage dans le même acte, qui ne se trouve en fait que rarement dans la
tragédie. Nous n’en donnerons qu’un exemple, celui du troisième acte
d’Alcionée de du Ryer. Alcionée, qui est pourtant un personnage important,
un général victorieux, paraît à la scène 3 en compagnie de Lydie, fille du
roi, disparaît à la scène 4 et vient retrouver Lydie à la scène 5. Il cherchait le
roi, sans doute dans une autre salle du palais, et n’a pu le trouver puisque
celui-ci, pendant la scène 4, était avec sa fille. Alcionée, impatient de savoir
s’il pourra épouser Lydie qu’il aime, revient donc dès la scène 5. C’est bien
un jeu de cache-cache, mais il est lent et vraisemblable ; les personnages
peuvent s’y adonner sans perdre leur dignité tragique, ni l’estime des
théoriciens.
Chapitre iii
Toutes les scènes ne peuvent pas être mises sur le même plan ; telle scène
dans Racine, Britannicus a 2 vers [II, 5], telle autre [Corneille, Cinna, II, 1]
en a 292. Plus que leur longueur, c’est leur fonction qui les différencie.
Elles n’ont pas toutes la même utilité dramatique. Certaines, les principales,
sont essentiellement des scènes d’action, et d’autres ne se justifient guère
que par la nécessité d’établir des transitions entre les précédentes. L’abbé
d’Aubignac affirme bien, plusieurs fois, que le théâtre est toujours action
[Pratique du Théâtre, L. IV, ch. 2 : 281 et ch. 4 : 304-305], mais ajoute qu’il
faut parfois faire connaître certains faits à des personnages qui les
ignoraient, ou préparer une action importante ; il est besoin pour cela d’une
scène nouvelle, que d’Aubignac appelle « scène de nécessité quand elle
précède ce qui suit, ou scène d’éclaircissement quand elle ôte quelque
confusion à ce qui précède » [Ibid., L. III, ch. 7 : 247] ; ces scènes
« presque toujours font languir le théâtre » ; il faut s’en servir le moins
possible et chercher à les rehausser par quelque autre source d’intérêt. De
même, l’auteur du manuscrit 559 parle de « scènes de liaison » qui
« servent à rappeler en peu de mots les derniers événements pour en faire
apercevoir la liaison avec la suite de l’action. Elles doivent être fort
courtes… » [Section IV, ch. 6, § 10]. Il serait vain de chercher une structure
dans ces sortes de scènes, qui ne font que se glisser entre les scènes
importantes. Nous en donnerons seulement deux exemples pour montrer
comment elles sont rendues nécessaires par les mouvements des
personnages.
Dans Œdipe de Corneille, c’est à la scène 3 de l’acte V que le héros a,
grâce à la rencontre fortuite d’Iphicrate et de Phorbas en sa présence,
l’horrible révélation de son identité : scène d’action dramatique. Désespéré,
Phorbas sort, et la scène suivante est une scène de transition. Elle n’a que
15 vers. Œdipe y adresse des reproches à Phorbas absent, qu’Iphicrate tente
en vain d’excuser. Ce n’est qu’au début de la scène 5 que nous comprenons
la nécessité de cette scène 4, assez peu intéressante en elle-même ; Dircé
entre en disant :
Phorbas m’a tout dit en deux mots.
Pauline marque nettement qu’elle ne peut plus se tenir sur le terrain des
arguments rationnels et que les reproches vont devenir personnels. Ces
reproches touchent Polyeucte, qui pleure, affirme son amour pour Pauline et
croit en donner la preuve la plus grande en souhaitant que sa femme
devienne chrétienne. Ce souhait provoque un sursaut d’indignation de
Pauline :
Que dis-tu, malheureux ? Qu’oses-tu souhaiter ?
L’évidence de leur amour étant insoutenable dans la situation qui leur est
faite, les deux héros ne peuvent s’en tenir à ce point brûlant et, baissant le
ton, recommencent à discuter :
Crains-tu si peu le blâme et si peu les faux bruits ?
La scène pourrait finir après cette retombée, et Chimène essaie d’y mettre
un terme en disant à Rodrigue, à deux reprises : « Va-t’en ». Rodrigue
esquisse une fausse sortie, mais pose à nouveau l’insoluble problème en
demandant :
À quoi te résous-tu ?
Rodrigue sort pour de bon, et le retour à un état d’âme plus calme, mais
enrichi de toute la poésie qu’ont laissée les deux moments fulgurants de la
scène, se marque dans le dernier vers que prononce ici Chimène :
Je cherche le silence et la nuit pour pleurer.
Comme Don Garcie fait mine d’élever des objections, elle lui rappelle la
règle du jeu :
Ah ! j’ai prêté l’oreille
Autant qu’il vous a plu ; rendez-moi la pareille.
Ce qu’elle fait.
Personne ne se révolte, au xviie siècle, contre cette tyrannie de la tirade.
Ce n’est qu’au siècle suivant qu’apparaissent de timides critiques. Du
Rosoy dira de Corneille : « On a jugé que ses personnages en dialoguant
ressemblaient trop à des dialecticiens ingénieux… ». Et il ajoute : « Racine
lui-même n’aurait-il pas quelquefois mis dans la bouche de ses personnages
des tirades un peu trop longues, même dans les moments où la passion ne
doit pas laisser à ceux qu’elle agite la patience d’entendre un
développement d’idées trop contraires au sentiment qui les met hors d’eux-
mêmes ? »14. M. Mornet a donné quelques exemples frappants de l’« ordre
dans l’expression de la pensée, même celle qui devrait être la plus
tumultueuse »15 chez Racine. Il a raison de conclure que « quelle que soit la
situation du personnage, même s’il est fou, même s’il vient d’apprendre la
nouvelle qui devrait le rendre fou, il parle avec autant de clarté, avec une
logique aussi judicieuse que s’il avait pu préparer à loisir et de sang-froid ce
qu’il va dire »16.
Cette primauté de la rhétorique sur la passion est loin d’être une conquête
de la génération de 1660, et on peut en citer bien des exemples antérieurs.
Dans Cyminde (1642), tragédie en prose de l’abbé d’Aubignac, l’héroïne,
Cyminde, va être sacrifiée à Neptune ; son jeune époux, Arincidas, qui
l’adore, est transporté par le désespoir et la fureur. Il a blasphémé, il tentera
de se percer de son épée et se jettera à la mer. Mais, quand vient son tour de
parole, il déclare : « Nouvelles agitations de ma fureur, donnez-moi le
temps de parler, soutenez un peu les troubles de mon esprit afin que je
réponde » [IV, 2]. Et il répond par un discours impeccablement ordonné.
Dans Alcionée (1640) de du Ryer, le général victorieux Alcionée aime
Lydie, la fille du roi, et a demandé sa main. Elle vient de lui dire, à la
scène 5 de l’acte III, qu’elle refuse de l’épouser. Le désespoir qui accable
Alcionée est si profond que ce héros se suicidera au dernier acte. Mais
quand il apprend cette fatale nouvelle, il répond à Lydie par une tirade de 82
vers qui est un plaidoyer fort bien disposé. Premier point : l’amour. Je suis
ému, certes, dit-il en substance. « Oui, Madame, il est vrai » que j’ai fait la
guerre à votre père. « Mais hélas ! » c’est par amour pour vous que j’ai agi.
« Ainsi reconnaissez » que j’aimais votre personne plus que je
n’ambitionnais la dignité royale ; « donc » mon ambition n’est pas
responsable des malheurs de la guerre. « Enfin », puisque c’est l’amour qui
m’a guidé, vous ne pouvez douter de mon amour. Deuxième point : la
politique. « Mais » peut-être cet amour vous déplaît. Consultez alors votre
mémoire. « Je sais bien » qu’elle vous montrera d’abord les ravages que j’ai
causés. « Mais » elle « vous fera voir » aussi que j’ai fini par renforcer le
pouvoir de votre père. Il faut « donc » que vous m’acceptiez pour époux.
Si la tirade s’impose même dans les moments de passion, elle se trouve à
plus forte raison dans les situations où il est vraisemblable qu’on use
d’éloquence. Aussi triomphera-t-elle dans les scènes de délibération,
comme celles que nous avons étudiées, dans les scènes de procès comme
celles de Venceslas de Rotrou [IV, 5, V, 4 et 6] ou d’Horace de Corneille [V,
2, 3], dans les scènes de réception d’ambassadeurs comme celles
d’Andromire de Scudéry [I, 4] ou d’Andromaque de Racine [I, 2], voire
dans les scènes de discours à des conjurés comme celles de la Mort de
Sénèque de Tristan [II, 2] ou de Cinna de Corneille [I, 3]. Mais en réalité, la
tirade est partout. Que fait-on au théâtre, sinon parler ? Et si l’on ne parle,
dans toutes les situations ou presque, qu’en empruntant la forme de la
tirade, l’action revêtira nécessairement, dans le théâtre classique, l’allure de
l’éloquence. L’abbé d’Aubignac l’a bien vu et n’a pas cru pouvoir échapper
à la nécessité, qu’il souligne avec force, de présenter toute action
dramatique sous forme de discours. Les discours qui se font au théâtre, dit-
il, « doivent être comme des actions de ceux qu’on y fait paraître ; car là,
parler, c’est agir » [Pratique du Théâtre, L. IV, ch. 2 : 282]. C’est pourquoi
« toute tragédie, dans la représentation, ne consiste qu’en discours » [Ibid. :
283]. Ces discours seront d’autant plus éloquents qu’ils viseront davantage
à la poésie. Ce n’est qu’à l’époque symboliste qu’on dressera la poésie
contre l’éloquence. Mais les théoriciens du classicisme identifient les deux
genres. Marmontel, par exemple, dans l’article de ses Éléments de
littérature auquel il donne le titre significatif d’Éloquence poétique, écrit :
« La poésie n’est que l’éloquence dans toute sa force et avec tous ses
charmes… Si l’on m’accuse de confondre ici les genres, que l’on me dise
en quoi diffèrent l’éloquence de Burrhus parlant à Néron dans la tragédie de
Racine et celle de Cicéron parlant à César dans la péroraison pour
Ligarius ». Le « poème dramatique » sera donc nécessairement éloquent
comme les autres poèmes. Il leur ajoutera seulement des exigences
particulières, fondées sur les rapports des différents personnages qui y
figurent. Il suffira, continue Marmontel, de « bien savoir quel est celui qui
parle, quels sont ceux qui l’écoutent, ce qu’on veut que l’un persuade aux
autres, et de régler sur ces rapports le langage qu’on lui fait tenir ». La pièce
classique est donc un plaidoyer perpétuel.
Cette tradition littéraire, remontant à l’Antiquité et entretenue par les
leçons de l’éloquence latine qui constituent jusqu’au xviie siècle le plus clair
de l’instruction dispensée dans les collèges, n’est pas particulière au théâtre.
La tyrannie de la tirade sévit aussi dans les autres genres. La satire est
considérée comme un genre plus libre que les autres, et Mathurin Régnier
comme un auteur indépendant qui ne doit encore à peu près rien au
classicisme. Pourtant la plus célèbre de ses satires, la xiiie, est constituée
presque entièrement par un très long discours de Macette à la jeune fille que
cette entremetteuse voudrait débaucher et qui ne dit pas un mot. L’histoire
est traitée au xviie siècle à la manière oratoire de Tite-Live. Dans le roman
aussi, « les harangues officielles sont fréquentes »17. L’éloquence est un
moyen de plaire à un public classique, et l’auteur dramatique ne peut se
dispenser d’en faire constamment usage.
À ces raisons littéraires s’ajoutent, pour le théâtre, des raisons qui
tiennent aux conditions de la représentation. Le public, nous l’avons vu, est
fort turbulent. La tirade force son attention et le maintient en respect. Il
n’apprécie guère les quelques remarques dépourvues d’éloquence que
l’auteur doit, de temps à autre, prêter aux confidents de sa pièce. Ces
personnages secondaires, dit d’Aubignac, « on ne les écoute « oint ; c’est le
temps que les spectateurs prennent pour s’entretenir de ce qui s’est passé,
pour reposer leur attention ou pour manger leurs confitures »18. Une
supplique manuscrite, conservée dans le Recueil de Tralage19 [Vol. 4 : 171],
montre bien ce qu’on allait chercher au spectacle. Il s’agit d’un « marchand
boucher » qui en 1696 avait été emprisonné pour s’être servi, lors d’un
entr’acte à la Comédie-Française, « d’un instrument avec lequel il éveille
ses garçons le matin », — sans doute une sorte de trompette. Il se défend,
naïvement, en disant : « On ne peut l’accuser d’avoir troublé le spectacle,
parce qu’alors on ne faisait aucun récit ». Le spectacle, pour lui, c’est donc
le récit, c’est-à-dire la tirade ; seule, elle réclame le silence. Elle est
rehaussée par une déclamation pompeuse et chantante. Molière se moque,
dans l’Impromptu de Versailles, de cette « emphase », mais reconnaît
qu’elle « attire l’approbation et fait faire le brouhaha » [Sc. 1]. Dans ses
efforts pour faire goûter une déclamation plus naturelle, il a échoué ; on sait
qu’il n’a été apprécié ni comme acteur tragique ni comme metteur en scène
de tragédies. Le public n’aime que ce qui met en relief « les longues suites
de vers pompeux » dont le succès est attesté par La Bruyère : « Le peuple
écoute avidement, les yeux élevés et la bouche ouverte, croit que cela lui
plaît, et à mesure qu’il y comprend moins, l’admire davantage ; il n’a pas le
temps de respirer, il a à peine celui de se récrier et d’applaudir »20. Ce que
La Bruyère appelle « le peuple » admirera encore longtemps la tirade. Le
17 janvier 1825, un journal déjà romantique, le Globe, écrira : « La tirade,
ou en termes de coulisses, la tartine, voilà ce qu’on va chercher au théâtre ».
Ce ne sont pas les drames de Hugo qui diminueront le prestige de la tirade ;
ils ne font que le renforcer. La tyrannie de la tirade est donc une des formes
de la dramaturgie classique qui ont eu la plus longue postérité, et on en
trouverait encore les traces dans certains aspects du théâtre d’aujourd’hui.
Chapitre iv
Un récit évoque par des mots une action qui n’est point représentée sur la
scène. Or, bien des spectateurs pensent qu’il vaudrait mieux montrer que
dire. On reproche souvent au classicisme, et dès le xviie siècle, de faire
preuve de partialité en faveur du récit, d’aimer mieux raconter que faire voir
la réalité en action. Rien n’est moins exact. Toutes les fois qu’ils pensent
qu’une action peut être mise en scène, les classiques préfèrent la
représentation de cette action à son récit. Malheureusement plusieurs
principes qu’ils tiennent pour essentiels prohibent souvent la représentation
de l’action : le souci de respecter l’unité de lieu, la nécessité d’observer les
bienséances et les vraisemblances écartent de la scène nombre de
spectacles. Les récits seront donc fréquents dans le théâtre classique. Mais
ils ne seront point préférés par principe à la représentation des actions ;
c’est le contraire qui est vrai. Chaque fois qu’on le peut, on doit montrer
l’événement lui-même ; quand c’est impossible, on se résout à le raconter.
Le récit n’est admissible qu’autant qu’il est indispensable, et tous les
théoriciens classiques insistent sur ce caractère restrictif de l’emploi du
récit. L’abbé d’Aubignac avertit les auteurs, dans sa Pratique du Théâtre, de
« ne point faire par récit ce que les principaux acteurs peuvent
vraisemblablement faire eux-mêmes sur la scène, et de ne point cacher
derrière la tapisserie les discours et les passions qui peuvent éclater par leur
bouche » [L. IV, ch. 1 : 278]. Même restriction chez Racine, qui nous
apprend dans la première préface de Britannicus qu’« une des règles du
théâtre est de ne mettre en récit que les choses qui ne se peuvent passer en
action ». Le vers célèbre de Boileau :
Ce qu’on ne doit point voir, qu’un récit nous l’expose, [Art poétique, chant 3,
vers 51]
ne prend sa vraie valeur que si on l’éclaire par les vers qui le suivent
immédiatement ; ils montrent bien que, pour Boileau, le récit n’est qu’un
pis-aller, imposé dans certaines circonstances seulement :
Les yeux en le voyant saisiraient mieux la chose.
Mais il est des objets que l’art judicieux
Doit offrir à l’oreille et reculer des yeux.
***
***
Il peut paraître évident qu’un récit ne doit pas, sous peine d’ennuyer,
exposer longuement des faits déjà connus du spectateur ou du lecteur. Ce
genre de maladresse est pourtant assez fréquent, surtout dans la première
moitié du xviie siècle. M. Magendie note que dans le roman, « les redites
sont innombrables ; sous prétexte de mettre un personnage au courant des
faits survenus, on rapporte Une fois de plus ce que le lecteur connaissait
déjà »1. Il relève par exemple, dans l’Astrée, qu’un même épisode est
raconté à quatre reprises différentes2. Ces fastidieuses répétitions se
trouvent souvent aussi dans les pièces de théâtre préclassiques ; le
déroulement de ces pièces est parfois aussi nonchalant que celui des
interminables romans dont elles sont contemporaines. Hardy est coutumier
de ces redites. Le héros de son Gésippe raconte au Sénat romain, dans le
cinquième acte, des événements dont il avait déjà informé le spectateur
dans deux monologues de l’acte précédent. Dans Cornélie, D. Juan et
D. Antoine se racontent longuement, au début du deuxième acte les scènes
du premier acte auxquelles ils ont pris part et que nous avons vu se dérouler
sous nos yeux ; Hardy récidive dans la même pièce : à l’acte III, la même
conversation entre D. Juan et Bentivole est racontée d’abord par D. Juan à
Cornélie, puis par Bentivole à Francisque. La septième journée de
Théagène et Cariclée se termine par le récit d’un messager et, dit Rigal,
« ce que ce messager raconte, c’est ce que quatre actes mortellement longs
nous ont déjà trop appris » [Alexandre Hardy : 440]. Il y a pis dans
Alcméon : Eudème racontant au cinquième acte la mort du héros compose
son récit de faits que le spectateur connaît depuis l’acte IV ; il y ajoute des
détails nouveaux dont les uns sont vraisemblables et dont les autres
contredisent ce que sait le spectateur : on a vu sur scène Alcméon mourant ;
or Eudème lui prête un discours de huit vers dont on sait pertinemment que
le héros ne l’a pas prononcé. Le récit est ici un enjolivement absurde.
Après Hardy, on continue dans de nombreuses pièces à redire au
spectateur ce qu’il sait déjà. Ainsi fait, à deux reprises, Racan dans ses
Bergeries (1625) [III, 2, cf. II, 4 ; V, 2, cf. IV, 5]. Ainsi fait Mairet dans
Silvanire (1631) [V, 13, cf. 11 et 12]. Ainsi, souvent, Rotrou : dans
l’Hypocondriaque (1631) [V, 3, cf. III, 1 et 2], dans Hercule mourant (1636)
[III, 4, cf. 1], deux fois dans l’Heureux naufrage (1637) [II, 2, cf. 1 ; V, 4,
cf. II, 5 et 6 et IV, 2, 7, 8 et 9]. Un passage de la Sœur valeureuse (1634) de
Mareschal contient une justification naïve de cet usage ; il montre que le
public de ce temps n’avait nulle répugnance à entendre un récit orné lui
rappelant des faits qu’il avait déjà vus, et qu’il mettait la rhétorique au-
dessus de la vraisemblance. Lycanthe dit à Dorame :
Que vous avez de grâce à conter votre peine !
Vous me rendez nouveau ce que j’ai vu passer
Quand votre esprit ainsi me le vient retracer ;
Que mes yeux sont jaloux du bien de mes oreilles ! [I, 2]
Le dernier vers indique bien que le plaisir d’entendre un beau récit était
senti comme essentiellement différent du plaisir d’assister à une action ; peu
importait dès lors que les faits fussent communs à l’action et au récit qui la
racontait ; cette répétition n’ennuyait point un public qui se laissait aller à
son goût du spectacle et à son goût de la tirade.
L’année suivante, en 1635, le cardinal de Richelieu fait jouer à la Cour la
Comédie des Tuileries, dont chaque acte aurait été écrit par un auteur
différent. L’auteur de l’acte IV de cette pièce suit la tradition des récits
répétant des faits déjà connus du spectateur : le jardinier et le « gardeur des
lions » racontent longuement, à la scène 5, comment les héros ont échappé à
la mort, puis les héros rapportent à nouveau les mêmes faits à la scène
suivante. Mais l’auteur de l’acte V, pour la première fois, condamne ce
genre de répétitions et, en faisant proclamer par l’un de ses personnages
qu’il ne faut pas redire ce que l’auditeur sait déjà, il semble adresser une
critique au rédacteur de l’acte précédent. Il met en scène Nérice qui
demande à sa fille Cléonice pourquoi elle est habillée en « jardinière ».
Cléonice répond :
Vous le savez, Madame, et si j’en rends raison,
Je sais que mon discours sera hors de saison.
Vous avez tout appris de la bouche d’Orphise… [V, 3 cf. IV, 4]
Voilà enfin un personnage ne saisissant pas l’occasion qui lui était offerte
de donner une deuxième version d’un événement déjà connu.
Ce point de dramaturgie, comme beaucoup d’autres, n’attirera l’attention
des théoriciens qu’à l’occasion de la querelle du Cid. Scudéry, se référant à
un état de la pièce que Corneille modifiera plus tard, reproche avec raison à
la seconde scène de répéter en partie la première. Elvire, dit-il, « n’y fait
que redire ce que l’auditeur vient à l’heure même d’apprendre »3. Et,
dégageant la règle nouvelle, il commente ainsi : « C’est manquer d’adresse
et faire une faute que les préceptes de l’art nous enseignent d’éviter
toujours : parce que ce n’est qu’ennuyer le spectateur, et qu’il est inutile de
raconter ce qu’il a vu. Si bien que le poète doit prendre des temps derrière
les rideaux pour en instruire les personnages, sans persécuter ainsi ceux qui
les écoutent »4. Corneille mettra bien longtemps à donner satisfaction à
Scudéry : ce n’est que dans l’édition de 1660 qu’il corrigera la scène
incriminée du Cid. Il évoquera bien, dans l’Examen de la Suite du Menteur,
« la maxime qu’il ne faut jamais faire raconter ce que le spectateur a déjà
vu », mais c’est pour dire que sa comédie ne respecte point cette maxime,
puisque, écrit-il dans cet Examen, « au second acte Cléandre raconte à sa
sœur la générosité de Dorante qu’on a vue au premier ». Non qu’il se vante
de ce « défaut », mais il juge inutile de le corriger. En général, pourtant,
cette négligence de la dramaturgie préclassique disparaît dès avant la
Fronde. Tristan, dans son Osman publié en 1656, mais joué en 1646 ou
1647, souligne même discrètement qu’il connaît cette règle du récit : un
musulman vient raconter à la fille du Mouphti les débuts de la lutte
d’Osman contre les soldats révoltés [III, 2] ; il est bientôt remplacé par
Sélim, qui a soin de dire d’abord à la jeune fille qui l’écoute :
Madame, je tairai ce que vous savez bien. [III, 3]
Dix ans plus tôt, on n’aurait pas perdu cette belle occasion de parler ; dix
ans plus tard, on n’aurait pas osé se faire un mérite d’une sobriété devenue
habituelle.
***
Dans son chapitre Des narrations [Pratique du Théâtre, L. IV, ch. 3],
l’abbé d’Aubignac énonce plusieurs autres règles du récit. Celui-ci doit être
clair, intéressant, d’une longueur modérée, il peut être continu ou coupé, il
doit être exempt d’affectation, etc. Nous pouvons négliger ici tous ces
préceptes en tant qu’ils relèvent de la rhétorique. Nous ne retiendrons que
cette double règle, qui intéresse la dramaturgie : il faut que celui qui raconte
une histoire ait « une raison puissante pour la raconter » et que « celui qui
écoute ait juste sujet de savoir ce qu’on lui raconte » [Ibid. : 301-302].
Autrement dit, le récit ne peut être gratuit, ni pour qui le fait ni pour qui
l’entend. Il ne sera justifié par la vraisemblance qu’en raison de la situation
psychologique et dramatique des interlocuteurs. Marmontel dira de même :
« Toutes les fois que des personnages qui sont en scène l’un raconte et les
autres écoutent, ceux-ci doivent être disposés à l’attention et au silence, et
celui-là doit avoir eu quelques raisons de prendre, pour le récit dans lequel
il s’engage, ce lieu, ce moment, ces personnes mêmes »5.
Corneille a été particulièrement soucieux de respecter cette double
exigence. Il semble avoir été très sensible aux critiques qui ont accueilli les
récits du premier acte de Rodogune : on reproche à ces récits de Laonice
d’être ennuyeux, parce qu’ils sont faits et écoutés par des personnages
secondaires qui ne peuvent pas éprouver un intérêt personnel bien profond
pour les événements relatés. Quand Corneille écrit en 1660 ses Examens, il
prend à cœur de justifier ses récits, dans d’assez nombreuses pièces, par la
personnalité de ceux qui les font et de ceux qui les écoutent. Il dit à propos
de Médée que, dans la tragédie, il est difficile d’imaginer des personnages
qui puissent écouter un récit d’exposition, « parce que les événements
publics et éclatants dont elle est composée sont connus de tout le monde, et
que s’il est aisé de trouver des gens qui les sachent pour les raconter, il n’est
pas aisé d’en trouver qui les ignorent pour les entendre ». Le même Examen
nous apprend que l’excès d’intérêt chez un auditeur est aussi nuisible que
l’absence d’intérêt : « quand ceux qui écoutent ont quelque chose
d’important dans l’esprit, ils n’ont pas assez de patience pour écouter le
détail de ce qu’on leur vient raconter, et… c’est assez pour eux d’en
apprendre l’événement en un mot ». Le récit du premier acte de Cinna est
justifié, dans l’Examen, par les mêmes principes : « Émilie a de la joie
d’apprendre de la bouche de son amant avec quelle chaleur il a suivi ses
intentions ; et Cinna n’en a pas moins de lui pouvoir donner de si belles
espérances de l’effet qu’elle en souhaite ; c’est pourquoi, quelque longue
que soit cette narration sans interruption aucune, elle n’ennuie point ». Mais
si le conspirateur avait appris, avant d’avoir fait cette narration, qu’il était
appelé au palais impérial, « Cinna eût été obligé de s’en taire ou de la
conclure en six vers, et Émilie n’en eût pu supporter davantage ». Dans
Polyeucte, ce principe explique l’absence de récit final : « Je n’ai point fait
de narration de la mort de Polyeucte, parce que je n’avais personne pour la
faire ni pour l’écouter… ». À propos des récits de Pompée, Corneille note
que « celui qui les fait et les personnes qui les écoutent ont l’esprit assez
tranquille pour avoir toute la patience qu’il y faut donner ». Héraclius, en ce
qui concerne la technique des récits, est pour Corneille une revanche de
l’échec des froids discours de Laonice dans Rodogune ; comparant les deux
pièces dans l’Examen d’Héraclius, il écrit : « Sa conduite diffère de celle-là
en ce que les narrations qui lui donnent jour sont pratiquées par occasion en
divers lieux avec adresse, et toujours dites et écoutées avec intérêt, sans
qu’il y en ait pas une de sang-froid, comme celle de Laonice ». Un bon récit
doit émouvoir celui qui le fait et celui qui l’entend. C’est pourquoi
Corneille fera dire par Flavie à Plautine, avant le récit qu’elle s’apprête à
faire à celle-ci dans Othon :
Le dangereux récit que vous me commandez
Est un nouveau combat où vous vous hasardez. [II, 1]
Mais si ce combat était trop violent, Plautine ne pourrait plus écouter le
récit. Il y a donc un équilibre à trouver entre l’indifférence et l’excessive
passion. Le goût classique admet plus volontiers, au risque d’ennuyer, la
moindre tension ; il préfère la froideur à l’invraisemblance. Il est fréquent
que l’auditeur d’un récit, surtout dans l’exposition, soit un confident fort
peu passionné. Celui qui fait un récit est souvent aussi un simple confident ;
héritier de l’anonyme Messager des tragédies antiques, il peut être un bien
mince personnage. Dans Andromède de Corneille, le soin de raconter, à la
scène 5 de l’acte V, la mort de Persée est dévolu à Phorbas, qu’on n’a point
encore vu et dont le nom a même été oublié dans la liste des « Acteurs ».
Dans Pertharite, Corneille fait raconter la mort de Garibalde par un simple
Soldat, dont on ne sait rien [V, 4]. Par contre, s’il est vrai que celui qui fait
un récit ne saurait être trop passionné, celui qui l’écoute doit surtout ne pas
l’être trop. Les critiques adressées au récit de Théramène dans Phèdre de
Racine visent, non point Théramène qui parle, mais Thésée qui l’écoute en
silence. Ainsi Marmontel dira : « ce n’est point dans le premier accès de sa
douleur qu’un père qui se reproche la mort de son fils peut entendre la
description du prodige qui l’a causée »6.
***
Toute mention d’un événement non représenté sur scène n’est pas
nécessairement un récit. Le vrai récit doit non seulement remplir toutes les
conditions qui viennent d’être énoncées, mais en outre avoir une certaine
forme ; il faut qu’il attire l’attention par quelque ampleur, qu’il soit un
morceau d’éloquence. Trois vers faisant allusion à un événement qu’on n’a
point vu ne font pas un récit. Le récit est tirade, et n’a garde, en général, de
l’oublier. Dans Timocrate de Thomas Corneille, on rend compte, à douze
reprises différentes [I, 2, III, 2, 3, 4, 5, 6, IV, 1, 2, 4, V, 1, 6, 8]
d’événements qui n’ont pas été montrés sur la scène. Mais la plupart de ces
douze passages ne sont pas des récits, parce qu’ils sont rapides et ne font
guère que transmettre des renseignements sans les élaborer. Il nous faut
donc définir la forme du récit véritable. Cette forme n’est pas rigide, et
présente de nombreuses variations selon les circonstances. Nous nous
bornerons à définir la forme-type, c’est-à-dire la plus nette dans ses
articulations et la plus complète par le nombre des cas particuliers qu’elle
permet d’expliquer : tous les récits qu’on trouve dans les textes classiques
en dérivent par simplification.
Le récit en forme comprend un récit proprement dit, qui en est la partie la
plus longue, et un certain nombre de développements accessoires. Le récit
proprement dit, dont l’ampleur peut varier d’une vingtaine de vers à plus
d’une centaine, est construit selon les règles de la rhétorique : il rassemble,
dans l’ordre le plus habile, les détails les plus colorés et qui peuvent faire la
plus vive impression sur le personnage qui écoute, aussi bien que sur le
spectateur. Le problème dramaturgique consiste à faire de ce morceau
d’éloquence un élément du drame en le rendant vraisemblable et pathétique.
Pour résoudre ce problème, les auteurs ont trouvé une aide efficace dans les
développements accessoires dont ils entourent le récit proprement dit. Les
développements accessoires qu’on rencontre à l’époque classique sont le
préambule, la justification, les questions, l’annonce du fait, les exclamations
et les commentaires.
Le préambule a pour fonction essentielle d’attirer sur le récit qui va
suivre l’attention du personnage qui écoute et surtout, ce qui n’est pas
inutile, l’attention du public. Quand, dans Mariane de Tristan, Hérode dit à
Salomé :
Ne m’interromps donc pas quand j’aurai commencé [I, 3]
Le récit proprement dit peut aussi être précédé d’une justification, sorte
de réponse à une objection préjudicielle, et qui est destinée à calmer des
craintes ou à dissiper des doutes que l’auditeur peut avoir. Dans Iphigénie,
c’est à Ulysse que Racine confie le récit de la cérémonie où Iphigénie
devait être sacrifiée et où elle a été épargnée. Clytemnestre et le spectateur
peuvent s’étonner que l’annonce de cet heureux dénouement soit faite par
un homme qui a toujours paru l’ennemi d’Iphigénie. Aussi Ulysse, avant de
faire son récit, commence-t-il par expliquer pourquoi il le fait : j’ai été, dit-
il en substance à Clytemnestre, partisan du sacrifice de votre fille tant que je
croyais que le Ciel le voulait ; maintenant que les Dieux sont satisfaits par
un autre sacrifice, je répare la douleur que je vous ai causée [V, 6]. Parfois
aussi, l’auteur, pour engager le public à mieux écouter, lui promet que le
récit sera bref. Promesse souvent bien mal tenue. Dans Hercule mourant de
Rotrou, Luscinde demande à Philoctète de lui raconter la mort d’Hercule ;
elle dit :
Mais fais-m’en le récit en deux mots seulement. [V, 1]
Le récit proprement dit peut venir ensuite, aussi orné qu’on voudra.
L’idée de faire précéder le récit par l’annonce du fait essentiel n’est pas
une création de la dramaturgie classique. On la trouve déjà chez Robert
Garnier : à l’acte III d’Antigone, le Messager apprend en quelques mots à
Jocaste et à Antigone qu’Étéocle et Polynice se sont entre-tués ; ce n’est
qu’ensuite qu’il donne, en un long récit, les détails du combat. Hardy en use
de même, par exemple dans le récit de la mort du héros d’Alcméon [V].
Rotrou dans son Antigone [III, 2], du Ryer dans son Alcionée [V, 4], et bien
d’autres, emploient une technique semblable.
L’annonce du fait est provoquée ou suivie par des questions du
personnage qui écoute. Les lamentations ou l’attitude éplorée du messager
amènent tout naturellement ces questions. Par exemple, dans Hercule
mourant de Rotrou, Agis entre en scène en s’écriant :
Ô maison désolée ! ô perte déplorable !
Puis Sémiramis, après s’être lamentée pendant quelques vers, lui répond :
Mais fais-moi le récit d’une mort si funeste. [IV, 3]
Après le récit détaillé de cette mort, fait par Agis, Alcmène commente
encore :
Ainsi, par le pouvoir d’un aveugle destin,
Tous les plaisirs du soir sont détruits le matin… [IV, 3]
Le récit est donc richement encadré. Si l’on voulait rassembler tous les
détails que nous venons d’analyser pour en faire le tableau d’une forme-
type aussi complète que possible, on obtiendrait, dans l’ordre, les éléments
suivants : exclamations du récitant ; questions de l’auditeur ; annonce du
fait ; exclamations, commentaires et nouvelles questions de l’auditeur ;
justification et préambule du récit ; récit proprement dit, coupé
d’exclamations et de commentaires de l’auditeur, qui peut encore, après le
récit, faire de nouveaux commentaires.
***
Ici Tibère interrompt Nerva, qui se lançait, sans en avoir été prié, dans un
récit pathétique. L’empereur ne veut pas de récit, il ne veut que l’annonce
précise du fait. Il demande :
Sont-ils morts ? Tous les deux ?
***
Ce n’est pas sans luttes que le récit a été admis comme un des éléments
de la dramaturgie classique. Les irréguliers de l’époque préclassique lui
reprochent d’être un ennuyeux substitut de l’action ; insoucieux de l’unité
de lieu et passionnés de spectacle, ils voudraient qu’on mette tout en scène
et qu’on ne raconte rien. C’est sans doute dans la Préface de la Généreuse
Allemande (1630) de Mareschal qu’on trouve l’attaque la plus virulente
contre le récit. Y a-t-il, demande Mareschal, « rien de si importun que ces
rapports et ces longues narrations, qui feraient mourir d’ennui la plus ferme
patience, qui nous surchargent la mémoire de paroles sans effets, nous
ravissant par un tissu de longs discours tout le plaisir qu’on recevrait des
actions ? » Mais déjà, dit-il, des novateurs « tiennent pour perdu le temps
que nous employons à agir ; et je tiens pour injurieux et pour trop long
encore le peu qu’ils en prennent pour nous ennuyer, et pour nous rendre
malheureux par les oreilles… La description m’importune en sa longueur,
l’action me recrée ». Tel sera encore le goût de Corneille en 1632, quand il
publiera Clitandre. Il écrit dans la Préface de la pièce : « J’ai mis les
accidents mêmes sur la scène. Cette nouveauté pourra plaire à quelques-
uns ; et quiconque voudra bien peser l’avantage que l’action a sur ces longs
et ennuyeux récits ne trouvera pas étrange que j’aie mieux aimé divertir les
yeux qu’importuner les oreilles ». Pourtant, Corneille adoptera vite la
technique classique et ne se fera pas faute d’orner de récits un grand
nombre de ses pièces. Mais il précisera en 1660 que « les narrations ornées
et pathétiques » doivent toujours s’adapter à « l’âme de celui qui parle et de
celui qui écoute » et qu’elles ne vont « guère sans quelque étalage
ambitieux », de sorte que dans un grand danger ou « dans une passion trop
violente » il faut savoir « se passer de cet ornement » [Médée, Examen].
L’abbé Morvan de Bellegarde dira encore en 1702 qu’il faut « peu de
récits »9.
Malgré ces objections ou ces réserves, l’usage du récit s’impose de bonne
heure. Chapelain s’en déclare partisan dès 163010. Le goût de la rhétorique
et celui de la tirade, en même temps que le souci croissant de l’unité de lieu,
des vraisemblances et des bienséances, amènent les auteurs dramatiques à
généraliser le récit. Ne sévit-il pas à cette époque dans un autre genre, le
roman ? M. Magendie apporte sur la vogue du récit dans les romans d’utiles
précisions. « Pour bien réciter une histoire, déclare un héros de roman, il en
faut dire toutes les circonstances ». Un autre héros proteste ainsi devant
l’annonce toute sèche d’un fait : « Ne précipite pas ainsi mon plaisir, et fais-
moi prendre goutte à goutte un breuvage »… « Aussi, conclut
M. Magendie, les narrateurs qui connaissent leur devoir parlent posément,
lentement, d’après la chronologie ; aucune impatience ne saurait les
contraindre à anticiper »11.
Dans le théâtre classique, le prestige du récit se manifeste par le grand
nombre de ces ornements et par la longueur des plus élaborés. Il y a six
récits dans Pompée [I, 1, 3, II, 2, III, 1, V, 1, 3] et dans la Suite du Menteur
[I, 1 (2 récits), 3, II, 2, III, 4, V, 3] de Corneille ; il y en a sept dans la Belle
Alphrède [I, 1, II, 1, 3, 5 (2 récits), III, 2, 6] de Rotrou et dans l’École des
Femmes [I, 1, 4, II, 5, III, 4, IV, 6, V, 2, 6] de Molière ; il y en a huit dans
Stilicon [III, 3, IV, 1, 2, V, 2, 3, 4, 6, 9] de Thomas Corneille. Quant à la
longueur des récits, il n’est que trop aisé d’en donner des exemples. Dans
Virginie (1635) de Mairet, Périandre et Cléarque se racontent très
longuement leur vie passée. Périandre commence par ce préambule
redoutable :
Il faut donc, ô grand roi, que je vous importune
Du récit de ma race et de mon infortune. [IV, 3]
Le récit proprement dit qui commence ensuite est marqué par une
burlesque précision topographique et menace de durer fort longtemps. Sosie
« marque les lieux sur sa main », montre où étaient la ville, la rivière, « nos
gens », « nos ennemis », « leur infanterie », « la cavalerie », commence
enfin à raconter la bataille, puis éprouve le besoin de préciser où étaient
l’avant-garde, les archers, le corps d’armée, — quand ce beau récit est
interrompu par l’arrivée de Mercure [I, 1]. On ne saurait dire de quels récits
de bataille Molière se moque ici : ils sont trop.
***
Il est probable que dans d’autres cas où les indications de mise en scène
ne nous ont pas été conservées, les acteurs ponctuaient leurs monologues de
mouvements du même genre.
Le caractère lyrique du monologue donne encore naissance à une autre
forme : l’invocation. Procédé lyrique par excellence, l’invocation, qui
s’épanouira surtout dans la poésie romantique, est assez bien représentée
dans les monologues classiques. Les personnages du théâtre du xviie siècle,
quand ils sont seuls, invoquent parfois des objets matériels, mais le plus
souvent des abstractions, et en particulier des sentiments personnifiés. Le
goût de l’abstraction et de la personnification des sentiments est à l’origine
un goût précieux. Tel passage de Nervèze, cité par M. Mornet21, doit surtout
son ridicule à l’entassement des termes désignant des sentiments
systématiquement personnifiés : en quelques lignes, il y est question des
rapports complexes qu’entretiennent « mon désir », « mes langueurs »,
« mes tourments », « ma pauvre âme », « mes espérances », « ma vie »,
« mes inquiétudes », « mon malheur », « mon amour », « mes actions »,
« votre absence », « mes ennuis », « ma disgrâce »… Sans aller si loin, les
héros classiques aimeront ces abstractions et, dans leurs monologues,
s’adresseront à elles à la deuxième personne. Les auteurs obtiennent ainsi
un effet de grandeur poétique, en même temps qu’ils peuvent, par cette
forme d’écriture spéciale au monologue, parvenir à une analyse
psychologique plus précise ; en outre, grâce à cette sorte de dialogue qui
s’établit entre l’abstraction ou le sentiment personnifié et le héros solitaire,
le mouvement s’introduit dans la scène qui risquait d’en manquer. Mairet
fait dire pendant 10 vers à l’Andromire de sa Virginie (1635) qu’elle ne veut
plus connaître les
Pensers, reste honteux d’une honteuse flamme [IV, 1]
Dans ces scènes, le confident a un rôle très effacé, mais du moins il dit
quelques mots, et le héros s’adresse parfois à lui. Il n’en va pas de même
dans un monologue particulièrement passionné auquel nous avons déjà fait
allusion, celui de la scène 3 de l’acte III d’Alcionée (1640) de du Ryer.
L’héroïne, Lydie, y parle comme si elle était seule ; pourtant, sa confidente,
Dioclée, figure à la scène précédente et à la scène suivante, et rien n’indique
qu’elle ait abandonné sa maîtresse à la scène 3 ; c’est uniquement par
négligence que l’éditeur de 1640 a omis d’indiquer que Dioclée est présente
à cette scène ; nous avons affaire à un monologue devant la confidente.
L’éditeur de Mirame (1641) de Desmaretz de Saint-Sorlin a été plus
soigneux, mais la réalité est la même : la scène 5 de l’acte II indique comme
personnages « Mirame, Almire » ; mais Almire, la confidente, ne dit pas un
mot, et toute la scène est occupée par un long monologue de Mirame qui ne
s’adresse pas une fois à Almire.
Nous avons signalé [Ire partie, ch. 1, section VI] la faculté d’absence du
confident ; le héros peut à volonté oublier l’existence de son entourage, et
agir ou parler comme s’il était seul. Ainsi devient possible le monologue
devant le confident. Parfois le héros, comme Attila ou Ariane, s’apercevra,
pour de courts instants, qu’il a quelqu’un à ses côtés. Parfois, comme Lydie
ou Mirame, il ne s’en apercevra pas du tout. Parfois enfin, après avoir
prononcé un véritable monologue, il montrera qu’il était conscient d’une
présence voisine en s’adressant à celui dont il semblait ignorer l’existence :
le héros de Cléomène (1640) de Guérin de Bouscal exhale pendant 26 vers
sa colère contre son ennemi, puis dit à son confident :
Panthée, approchez-vous, je connais votre zèle,
Je vous ai toujours cru généreux et fidèle,
Et c’est pourquoi j’ai fait ce discours devant vous… [IV, 3]
***
V – Histoire du monologue
***
VI – L’aparté
Ce n’est pas par les indications scéniques des éditions du xviie siècle que
nous pourrons distinguer l’aparté du monologue. Ces indications,
lorsqu’elles ne manquent pas totalement, sont parfois trompeuses : tantôt,
comme nous l’avons vu plus haut à propos de La Belle Alphrède de Rotrou
[III, 4, V, 6, section IV], le terme « à part » introduit un monologue ; tantôt,
inversement, un aparté est présenté comme un monologue, par exemple
dans ce passage de Lucrèce de Hardy, où Eryphile parle avec Télémaque :
Eryphile, seule. — Courage, poursuivons, la médecine opère.
Quoi ! vous offensez-vous de chose si légère ? [IV, 3]
Dans tous ces cas, l’aparté est employé isolément. Il arrive aussi que des
séries d’apartés coupent à intervalles de longues scènes ou de grandes
tirades, les éclairant en quelque sorte de profil. Le point culminant de la
Sophonisbe (1635) de Mairet est sans doute cette étonnante scène où
Massinisse, entré en vainqueur dans le palais de Sophonisbe, est si bien
séduit par sa captive qu’il lui propose de l’épouser sur-le-champ; les étapes
de cette conquête amoureuse sont soulignées par les apartés des
confidentes ; Phénice, parlant de Massinisse, dit à Corisbé :
Ma compagne, il se prend.
Enfin Corisbé :
Comme de plus en plus cet esprit s’embarrasse ! [III, 4]
***
Après avoir étudié les formes générales et les formes fixes de la scène, il
convient de rendre compte de la façon dont les scènes sont, ou ne sont pas,
liées entre elles. C’est ici que le double sens du mot « scène » peut devenir
gênant. Comme chacun sait, ce mot, dans le vocabulaire théâtral, peut
désigner une subdivision de l’acte, ou bien la partie du théâtre sur laquelle
jouent les acteurs. Nous aurons à montrer que les liaisons des scènes, au
premier sens du mot, s’expliquent en grande partie par la structure de la
scène, au second sens de ce mot, ainsi que par le comportement des acteurs
qui y évoluent. Pour plus de clarté, nous n’emploierons dans ce chapitre le
mot « scène » que dans son premier sens, celui de subdivision de l’acte, et
nous désignerons la scène qui est une partie du théâtre par le terme moderne
et technique de « plateau ».
Dans la Comédie des Tuileries (1638) des Cinq Auteurs, Florine se retire
devant Cléonice et Aglante en disant à Arbaze : « Évitons leur présence »
[III, 6-7]. Dans Rhodogune (1646) de Gilbert, Darie dit à Artaxerse :
Mais Rhodogune vient, allons en diligence. [IV, 4]
***
Nous pouvons maintenant confronter les apports de la théorie et de la
pratique au problème des différentes formes de liaisons de scènes. Les
théoriciens, partant d’un idéal abstrait de continuité de l’action, ont
distingué, parfois avec beaucoup de subtilité, d’assez nombreuses formes de
liaisons. Toutes sont légitimes en tant qu’elles traduisent l’idée de
continuité par des formules plus ou moins ingénieuses. Mais en pratique,
deux seulement sont importantes : la liaison de présence, la plus simple et
de beaucoup la plus répandue, et la liaison de fuite qui, après celle de
présence, se rencontre le plus souvent et qui paraît naturelle dans un certain
nombre de situations. Les liaisons de recherche, de vue, de bruit et de temps
ne se rencontrent que dans un nombre infime de cas et leur interprétation est
souvent délicate ; elles n’ont joué pratiquement aucun rôle.
Or le problème posé par la structure du plateau et les mouvements des
acteurs était moins de continuité que de rapidité. Pour réduire les temps
morts qui séparent les scènes, la liaison de présence représente un grand
progrès par rapport à l’absence de liaison : si un acteur reste sur le plateau
pendant deux scènes successives, il n’arrive pas, dans la liaison de
présence, qu’un deuxième acteur entre et qu’un troisième sorte dans le
même intervalle entre deux scènes ; dans ce cas en effet, on aurait liaison de
fuite, ou de vue, ou de temps ; la liaison de présence implique donc qu’il
n’y ait qu’une entrée ou qu’une sortie d’acteurs à la fois, au lieu de la sortie
suivie d’une entrée qu’exige l’absence de liaison ; le temps nécessaire est
ainsi réduit de moitié environ. La liaison de fuite représente également, au
point de vue de la rapidité, un progrès par rapport à l’absence de liaison ;
mais ce progrès est moins considérable que celui réalisé par la liaison de
présence ; en effet, dans la liaison de fuite, le plateau n’est jamais vide :
l’acteur qui sort doit au moins apercevoir celui qui entre ; le début de sa
sortie coïncide donc avec la fin de l’entrée du second, au lieu que dans le
cas de l’absence de liaison, il faut attendre que le premier acteur soit
complètement sorti, puis que le plateau reste vide un instant, puis que le
second acteur soit complètement entré. Les liaisons de recherche, de bruit et
de temps ne représentent, au point de vue de leur durée, aucun progrès par
rapport à l’absence de liaison. On constate donc que, parmi toutes les
formes déduites du principe de continuité par les théoriciens, seules ont
survécu celles qui, réalisant une économie de temps, s’adaptaient le mieux
aux conditions concrètes de la mise en scène classique.
L’étude des liaisons des scènes ne peut pas porter seulement sur la nature
des mouvements des personnages qui entrent ou qui sortent à chaque
changement de scène ; elle doit aussi porter sur la raison de ces
mouvements, et se demander s’ils sont justifiés ou non. Les théoriciens
classiques sont unanimes à affirmer la nécessité d’une justification
vraisemblable pour chaque entrée ou sortie d’un personnage. Il n’y a peut-
être pas de précepte de la dramaturgie qu’on trouve exposé plus
fréquemment et avec plus de force. Chapelain écrit vers 1635 dans son
Discours de la poésie représentative : « Ce qui est absolument nécessaire,
comme fondé sur la vraisemblance, est que nulle entrée de personnage sur
la scène et nulle sortie ne soit sans nécessité, et qu’il paraisse toujours
pourquoi ils arrivent et partent »40. D’Aubignac dit en 1657 dans sa
Pratique du Théâtre que « les excellents dramatiques ont toujours
accoutumé de faire dire aux acteurs où ils vont, quel est leur dessein quand
ils sortent du théâtre… » [L. II, ch. 4 : 92], et ajoute : « tous les acteurs qui
paraissent au théâtre ne doivent jamais entrer sur la scène sans une raison
qui les oblige à se trouver en ce moment plutôt dans ce lieu-là qu’ailleurs »
[Ibid., L. IV, ch. 1 : 274]. Corneille dit en 1660 dans son troisième Discours
qu’il faut « rendre raison de l’entrée et de la sortie de chaque acteur »
[Marty-Laveaux, t. 1 : 108]. Le ton n’est pas moins catégorique au
e
xviii siècle. Morvan de Bellegarde affirme en 1702 qu’un acteur « ne doit
jamais ou entrer ou sortir que nécessairement »41. Voltaire mentionne cette
règle parmi celles qui sont essentielles à la tragédie ; parlant des
personnages, il dit dans le Parallèle d’Horace, de Boileau et de Pope qu’il
faut « faire en sorte qu’aucun d’eux ne paraisse et ne sorte sans aucune
raison sentie de tous les spectateurs »42 et dans l’article Art dramatique du
Dictionnaire philosophique qu’il faut « ne les faire entrer et sortir qu’à
propos ». Clément écrit de même en 1784 qu’il faut « motiver toujours
l’entrée et la sortie des personnages, qui doivent être forcés par l’action de
se trouver ensemble, et qui ne doivent pas se retirer seulement parce qu’ils
n’ont plus rien à se dire, mais parce qu’ils sont obligés d’agir au dehors… »
[De la tragédie, t. 2 : 46].
Cette exigence s’explique d’abord par des raisons de doctrine. Elle est
fondée en premier lieu sur la vraisemblance : Chapelain l’affirme dans la
phrase que nous avons citée, et les autres théoriciens, pour qui la
vraisemblance est, selon l’expression de M. Bray, l’« article essentiel du
credo classique » [Doctrine classique : 388], en sont également persuadés.
En second lieu, la justification des entrées et des sorties découle, pour les
théoriciens, du principe de continuité qu’ils appliquaient dans leurs
conceptions de la liaison des scènes. Deux textes l’indiquent fort
clairement. Si d’Aubignac veut que les acteurs qui sortent du plateau disent
où ils vont, c’est « afin que l’on sache qu’ils ne seront pas oisifs et qu’ils ne
laisseront pas de jouer leurs personnages, encore qu’on les perde de vue »
[Pratique du Théâtre, L. II, ch. 4 : 92]. Et Clément s’explique ainsi :
« Pourquoi faut-il rendre raison de l’entrée et de la sortie des personnages ?
C’est pour faire sentir l’unité ; je n’en vois pas d’autre motif. On veut savoir
si l’acteur qui entre va continuer l’émotion qu’on éprouve ; on veut savoir,
quand il sort, si ce qu’il va faire contribuera à continuer et à augmenter cette
émotion » [De la tragédie, t. 2 : 28].
Ces raisons de doctrine ne sont pas les seules. Si les auteurs dramatiques
rendent compte, dans le texte de leur dialogue, des motifs qu’ont leurs
personnages d’entrer ou de sortir, c’est aussi pour des raisons d’ordre
matériel. L’entrée d’un personnage nouveau prend, nous l’avons montré, un
temps assez long ; il faut, de toute nécessité, occuper ce temps par quelques
vers que prononcera un acteur déjà sur le plateau ; cet acteur pourra dire
pourquoi le nouveau personnage entre en scène ou bien, dans le cas de la
liaison de fuite, il dira que l’arrivée du nouvel acteur l’oblige à disparaître.
En outre, en indiquant les raisons des entrées et des sorties, on indique par
là même le fait qu’un personnage entre ou sort ; par suite, ces mentions
dans le dialogue pourront dispenser d’ajouter au texte des indications de
mise en scène qui l’alourdissent. Le texte nu, s’il est rédigé avec soin,
pourra se suffire à lui-même. C’est ce qu’exprime, en portant sa pensée
jusqu’à l’hyperbole, l’abbé d’Aubignac quand il écrit : … « le poète doit
faire parler ses acteurs avec tant d’art qu’il ne soit pas même nécessaire de
marquer la distinction des actes et des scènes, ni même de mettre les noms
des entreparleurs » [Pratique du Théâtre, L. I, ch. 8 : 56]. Corneille, sur ce
point comme sur d’autres, s’oppose à d’Aubignac ; il voudrait que les
auteurs précisent avec « grand soin » [Troisième Discours, Marty-Laveaux,
t. 1 : 110], dans des notes marginales, les mouvements de leurs
personnages ; il pense que ces indications faciliteraient la lecture des pièces
pour tout le monde et en particulier pour les « comédiens qui courent les
provinces » : ceux-ci en effet ne peuvent pas demander d’explications à
l’auteur et n’ont que le texte pour se guider [Ibid. : 110-111].
En pratique, les auteurs du xviie siècle ont pensé plutôt comme l’abbé
d’Aubignac que comme Corneille ; ils ont été fort économes d’indications
scéniques et ont donné le plus de précisions possible dans le texte même.
Sans doute se méfiaient-ils, et à juste titre, des imprimeurs de leur temps : il
arrive assez souvent que ceux-ci défigurent ou déplacent les indications
scéniques, attribuent à un personnage une réplique prononcée par un autre
ou omettent dans l’intitulé d’une scène le nom d’un personnage qui doit y
figurer. Ces considérations matérielles ont sans doute précédé l’idée qu’il
fallait justifier les entrées et les sorties des personnages ; on a d’abord voulu
occuper le temps absorbé par la marche des acteurs sur le plateau et faire
comprendre qui entre et qui sort ; puis on s’est avisé qu’on pouvait donner
un contenu rationnel aux répliques ainsi exigées par les conditions
matérielles de la représentation et de l’impression en faisant appel aux
principes de vraisemblance et de continuité.
La règle de la justification des entrées et des sorties n’a pas toujours au
e
xvii siècle la rigidité et le caractère impératif qu’on lui prêtera au
xviiie siècle. Les deux théoriciens qui ont scruté avec le plus d’attention la
production dramatique de leur temps et qui ont eu le plus le souci du
concret, d’Aubignac et Corneille, apportent à l’application de la règle des
nuances importantes. Corneille dit qu’il faut « rendre raison de l’entrée et
de la sortie de chaque acteur », mais seulement « s’il se peut » [Troisième
Discours, Marty-Laveaux, t. 1 : 108]. Il ne traite pas de la même façon les
entrées et les sorties ; « surtout pour la sortie, écrit-il, je tiens cette règle
indispensable, et il n’y a rien de si mauvaise grâce qu’un acteur qui se retire
du théâtre seulement parce qu’il n’a plus de vers à dire ». Mais il n’est pas
« si rigoureux » pour les entrées, parce que « l’auditeur attend l’acteur »
[Ibid.] ; on peut admettre en effet que la curiosité de savoir ce que le
nouveau personnage va dire empêche le spectateur de se demander
pourquoi ce personnage est arrivé à ce moment-là plutôt qu’à un autre.
C’est en particulier le cas pour le début d’une pièce ou d’un acte, où
l’acteur n’entre sur le plateau que par « la nécessité de la représentation » et
où l’on peut supposer qu’il y était déjà43. « Ainsi, conclut Corneille, je
dispenserais volontiers de cette rigueur toutes les premières scènes de
chaque acte, mais non pas les autres… » [Ibid. : 109]. On constate en effet
que les auteurs classiques, même ceux qui justifient avec le plus de soin
l’entrée et la sortie de leurs personnages au cours d’un acte se dispensent de
toute justification au début des actes : les personnages sont là parce que
l’auteur a choisi de nous les montrer, ils s’imposent par leur présence seule ;
les débuts d’actes sont à ce point de vue des commencements absolus. Il en
va de même, naturellement, dans les pièces préclassiques, pour les scènes
qui, à l’intérieur d’un acte, se placent immédiatement après un changement
de lieu. On aurait d’ailleurs pu déduire ces faits du principe de continuité,
en se souvenant que la fonction essentielle de l’entr’acte est de rompre la
continuité de l’action représentée [Cf. IIe partie, ch. 2, section III].
D’Aubignac veut qu’on justifie les entrées aussi bien que les sorties.
« Mais, dit-il, il ne faut pas tomber dans l’inconvénient de quelques
modernes, qui le font si grossièrement que cela paraît trop affecté ». La
justification d’une entrée ou d’une sortie, il faut la « faire sentir » au
spectateur, « et non pas lui faire toucher au doigt » ; en effet, « tout art qui
se découvre trop perd la grâce de l’art » [Pratique du Théâtre, L. IV, ch. 1 :
275]. Cette leçon de mesure n’a pas toujours été entendue. Le jeune Racine
manifeste encore une certaine inexpérience dans son Alexandre, en insistant
assez lourdement sur une liaison de fuite ; le héros, voyant entrer Taxile, dit
à Axiane :
Il vient. Je ne veux point contraindre ses soupirs.
Je le laisse lui-même expliquer ses désirs.
Ma présence à vos yeux n’est déjà que trop rude.
L’entretien des amants cherche la solitude :
Je ne vous trouble point. [IV, 2]
La sortie du personnage paraît ici un peu trop justifiée. Dans d’autres cas,
un personnage aura non pas une raison de se retirer, mais deux raisons.
Dans Alcméon de Hardy, le héros renvoie son confident en lui demandant
d’annoncer son arrivée à sa femme, et aussi parce qu’il veut rester seul avec
sa maîtresse, qui entre sur le plateau [I, 2]. La justification est double
également à la fin de la première scène d’Œdipe de Corneille, où Dircé dit à
Thésée :
Adieu, Seigneur : la Reine qui m’appelle
M’oblige à vous quitter pour me rendre auprès d’elle ;
Et d’ailleurs le Roi vient.
Mais le plus souvent, les auteurs préclassiques ne pèchent pas par excès
de justification des mouvements de leurs personnages, bien au contraire. Il
arrive que leurs héros entrent ou sortent à l’improviste, sans aucune raison
intelligible. Dans Cléomédon (1636) de du Ryer, Bélise est en train
d’adresser une longue tirade à Célanire, pour essayer d’élucider une intrigue
d’amour fort complexe, quand brusquement Célanire sort sans dire un mot,
au milieu d’une phrase de Bélise ; voici en effet les derniers vers que
prononce cette héroïne :
…Je croirais consentir même à votre martyre,
Si du moins mon discours… Mais elle se retire,
Et laisse dans mon cœur trop vivement atteint
Beaucoup plus de tourment que je n’en ai dépeint. [III, 2]
Dans Cariste (1651) de Baro, Cléon croit que Nicandre, qui entre, lui
apporte les ordres du roi. Mais non, dit Nicandre,
Rien que le seul hasard en ce lieu ne m’amène,
Et je voudrais pouvoir soulager votre peine. [I, 4]
I – Les stances
Les traités de versification distinguent les stances des strophes ; mais ils
les distinguent mal. Ils s’accordent, en tout cas, pour dire que la stance est
une forme particulière de strophe. Nous en profiterons pour réserver le nom
de stances aux ensembles lyriques que nous allons étudier et celui de
strophe à chacun des éléments, tous construits sur le même modèle
métrique, qui entrent dans la composition de ces ensembles. En effet, les
stances sont toujours des suites de strophes, mais toutes les strophes ne sont
pas aptes à former des stances. Qu’est-ce qui constitue le caractère distinctif
de la strophe qui entre dans la composition des stances ? Au xviiie siècle,
c’est Marmontel qui nous donne de la stance la définition la plus utilisable
pour une étude de la dramaturgie. Pour lui, « dans sa forme la plus
régulière… au gré de l’oreille comme au gré de l’esprit, la stance la mieux
arrondie est celle dont le cercle embrasse une pensée unique, et qui se
termine comme elle et avec elle par un plein repos »1. Alors que dans
d’autres genres, la phrase et le sens peuvent chevaucher sur deux strophes
successives, dans le genre dramatique, les stances sont constituées en
général par des strophes dont chacune a son sens distinct et se termine par
une ponctuation forte. Il peut arriver, comme dans l’Heureux naufrage [IV,
2] de Rotrou, que des stances se terminent par une virgule, et que la phrase
continue dans le vers suivant. Mais c’est extrêmement rare. Dans l’immense
majorité des cas, chaque strophe des stances, dans la littérature dramatique
du xviie siècle, forme un tout. On peut assez aisément en résumer le sens en
une phrase simple, et constater que le même thème n’est pour ainsi dire
jamais traité dans deux strophes distinctes. Ainsi les stances d’Orante dans
la Belle Alphrède de Rotrou expriment les idées suivantes : je découvre
l’amour ; l’innocence de mon enfance a disparu ; je ne croyais pas à la
réalité de l’amour ; je l’éprouve maintenant ; c’est un mal agréable [IV, 2].
Dans la Mort de Sénèque de Tristan, Sénèque dit en quatre strophes qu’il est
heureux de mourir, qu’il a assez vu ce monde, que la terre est le règne du
mal, et qu’il invoque l’Esprit suprême [V, 1]. Dans ces deux exemples,
chaque strophe se termine par un point ou par un point d’exclamation.
Si ces pauses sont fortement marquées dans les stances au théâtre, c’est
qu’elles présentent un intérêt particulier pour la déclamation. Elles
permettent en effet de souligner fortement la « chute » de chaque strophe ;
or, dans cette chute, il est d’usage d’inclure quelque recherche de style : une
« pointe », une antithèse ou toute autre tournure ingénieuse. Corneille
regrette dans l’Excuse à Ariste
…qu’une froide pointe à la fin d’un couplet
En dépit de Phébus donne à l’art un soufflet.2 [Marty-Laveaux, t. 10 : 75, vers
11-12].
***
Les formes des stances sont extrêmement diverses. On y trouve des vers
de six, sept, huit, dix et douze pieds. Le vers impair y est très rare ; notons
des vers de sept pieds dans les stances de Filandre [I, 1] et de l’Heureux
naufrage [IV, 2] de Rotrou, ainsi que dans celles du Prince déguisé [II, 5]
de Scudéry. Le vers de six pieds est assez usité ; on le trouve par exemple
dans la Veuve [III, 8] et la Galerie du Palais [III, 10] de Corneille ; on le
trouve également, mêlé au décasyllabe, dans Antigone de Rotrou [III, 1] et
la Thébaïde de Racine [V, 1]. Mais les mètres de beaucoup les plus
fréquents sont l’octosyllabe et l’alexandrin ; il n’est guère de stances où on
ne les rencontre. Parmi les nombreuses stances composées uniquement de
ces deux sortes de vers, nous pouvons citer celles de la Sœur valeureuse de
Mareschal [V, 4], de Cléomédon de du Ryer [III, 1], d’Athénaïs de Mairet
[II, 3, IV, 1], de Timocrate de Thomas Corneille [III, 1], d’Osman de Tristan
[III, 1, V, 1], de Médée [IV, 4], de Polyeucte [IV, 2], d’Œdipe [III, 1] et de la
Toison d’or [IV, 2] de Corneille, etc. Il n’est pas rare de trouver des stances
uniquement composées d’octosyllabes, qui ne sont alors diversifiés que par
la disposition des rimes. C’est le cas pour Crisante [V, 1] et Saint Genest
[V, 1] de Rotrou, la Mort de Mithridate [V, 1] de La Calprenède, Alcionée
[III, 1] de du Ryer ou Héraclius [V, 1] de Corneille. Dans l’ensemble, les
rythmes impairs sont donc exceptionnels et dans la grande variété des
rythmes pairs on peut discerner une certaine prédominance de l’octosyllabe,
cette forme lyrique de l’ancienne poésie française.
Le nombre des vers de chaque strophe est également très variable. On
trouve des strophes de quatre vers dans Filandre de Rotrou [I, 1] ou la
Galerie du Palais de Corneille [III, 10], de six vers dans la Place Royale [I,
3, III, 5] du même auteur ou Osman de Tristan [III, 1, V, 1], de sept vers
dans Athénaïs de Mairet [II, 3], de huit vers dans Antigone de Rotrou [III,
1], Médée [IV, 4] ou Héraclius [V, 1] de Corneille, de neuf vers dans
Timocrate de Thomas Corneille [III, 1], de dix vers dans la Généreuse
Allemande de Mareschal [IIe journée, IV, 1], Crisante de Rotrou [V, 1],
Alcionée de du Ryer [III, 1], le Cid [I, 6], Polyeucte [IV, 2] ou Œdipe [III,
1] de Corneille, ou encore la Thébaïde de Racine [V, 1]. Il semble que les
strophes de huit et surtout celles de dix vers soient les plus fréquentes.
Même variété dans le nombre des strophes qui peuvent constituer les
stances. Il y a des stances de trois strophes dans l’Heureux naufrage [IV, 2,
V, 5] de Rotrou, de quatre dans la Mort de Sénèque [V, 1] de Tristan, de
cinq dans Timocrate [III, 1] de Thomas Corneille, de six dans Palène [V, 2]
de Boisrobert, de sept dans l’Amour tyrannique [IV, 2] de Scudéry, de huit
dans Cléomédon [III, 1] de du Ryer, de dix dans la Généreuse Allemande
[IIe journée, IV, 1] de Mareschal. L’œuvre de Corneille, à elle seule,
fournirait des exemples de presque tous ces types, puisqu’on trouve des
stances de quatre strophes dans le Cid [V, 2] de cinq dans la Veuve [II, 1], de
six dans la Place Royale [I, 3], de sept dans la Galerie du Palais [III, 10] de
dix dans la Suivante [V, 9] Il est difficile de voir si certains types sont plus
fréquents que d’autres. On remarque toutefois que les stances n’ont pas
moins de trois strophes, à moins d’être interrompues, et qu’elles dépassent
rarement sept strophes ; si elles en ont huit ou davantage, les strophes sont
volontiers courtes, de quatre vers par exemple.
Un très petit nombre de stances offre une forme particulière : elles
soulignent l’unité de chaque strophe par un refrain. Dans Célimène (1636)
de Rotrou, l’héroïne prononce des stances de quatre strophes dont chacune
a six vers [III, 1] ; le dernier vers de chaque strophe est toujours :
Hé bien, Amour, il faut céder.
Alidor, qui aime Célimène et « qui l’entend sans se montrer à elle » (il
s’agit donc bien d’un monologue), comprend qu’il est aimé et dit deux
alexandrins en aparté après chaque strophe sauf la dernière, ce qui souligne
encore l’effet de répétition créé par le refrain. Les stances de Mithridate
dans la Mort de Mithridate (1636) de La Calprenède offrent également une
sorte de refrain, quoique de dessin moins net [V, 1]. Les rimes des quatre
derniers vers de chacune des trois strophes sont en effet identiques : donne
(ou ordonne) rime trois fois avec couronné, et moi, avec roi. En outre, le
dernier vers est identique dans les deux premières strophes :
Un berger craindrait d’être roi.
C’est à la suite de ces exemples que doit s’inscrire celui, beaucoup plus
connu, du Cid de Corneille. Les célèbres stances de Rodrigue [I, 6] ont six
strophes de dix vers, et à six reprises, la dernière rime de chaque strophe est
peine — Chimène. Dans l’Examen d’Andromède en 1660, Corneille
condamnera ce « jeu », qui n’a « rien de naturel » et dira qu’à cause de cette
affectation les stances du Cid sont « inexcusables ». C’est qu’à cette date de
1660 on aura complètement renoncé à doter les stances de refrains, tout au
moins dans les pièces sérieuses.
On trouve toutefois le refrain dans des comédies comme celles de
Scarron. Son Jodelet ou le maître valet (1645) contient un monologue
burlesque de Jodelet dont les six strophes sont précédées et suivies du
refrain :
Soyez nettes, mes dents, l’honneur vous le commande,
Perdre les dents est tout le mal que j’appréhende. [IV, 2]
***
Les idées et les sentiments exprimés par les stances sont fort variés. Mais
leur variété ne peut pas être infinie. D’Aubignac, conformément à son
principe essentiel, pense que la vraisemblance doit limiter l’emploi des
stances. Il tire de cette idée une conséquence fort étrange ; selon lui, pour
que des stances soient vraisemblables, il faut « que l’acteur qui les récite ait
eu quelque temps suffisant pour y travailler, ou pour y faire travailler »
[Pratique du Théâtre, L. III, ch. 10 : 263]. Il pense donc que les stances sont
supposées, non pas être improvisées sur le moment même par le personnage
qui parle, comme le sont tous les monologues et tous les dialogues dans les
pièces de théâtre, mais avoir été écrites à loisir, comme un poème, par le
personnage qui vient ensuite les réciter sur le plateau, ou par un poète qu’il
a chargé de ce soin. C’est pourquoi d’Aubignac précise [Ibid. : 264] que le
personnage doit disparaître pendant un entr’acte au moins, afin d’avoir le
temps de composer les stances qu’il viendra ensuite déclamer. Il est
superflu de faire remarquer que la supposition de l’abbé d’Aubignac détruit
le plus souvent la vraisemblance qu’elle cherche à conserver. Il est vrai
pourtant que dans quelques cas des stances se présentent comme des
poèmes rédigés à l’avance. Telles sont celles, auxquelles nous avons fait
allusion, des Visionnaires de Desmaretz de Saint-Sorlin, écrites par un poète
pour être vendues à un amant. Telles sont aussi celles du Prince déguisé de
Scudéry, qui ont dû être assez appréciées, puisque l’auteur, parlant du
succès de sa pièce, dit avec sa modestie habituelle que « toutes les dames en
savaient les stances par cœur » [Arminius, préface]. Elles sont d’ailleurs
moins des stances qu’une sorte de poème ou de chanson et prennent place,
non dans un monologue, mais dans un dialogue entre Cléarque et Argénie.
Cléarque y fait allusion, sous forme déguisée, à sa propre histoire :
Au doux climat de la Grèce,
Un jeune prince amoureux
Qui n’osait voir sa maîtresse
Prit un dessein dangereux,
……….
Dessous un habit rustique
Il couvrit sa qualité [II, 5]
***
L’insertion des stances dans un dialogue dont elles rompent le rythme est
un problème parfois délicat. Les auteurs dramatiques du xviie siècle
semblent avoir été assez souvent gênés par la différence entre le
mouvement varié des stances et le mouvement régulier des alexandrins en
rimes plates qui constituent la quasi-totalité du dialogue et des monologues
proprement dits. Pour atténuer cette différence, pour rendre moins brusque
le passage d’un mouvement à l’autre, ils ont imaginé de ne pas faire
coïncider la fin du système rigide des stances avec la reprise du dialogue en
alexandrins. Ils disposent de deux moyens pour atteindre ce but : ou bien les
stances sont interrompues par l’arrivée d’un nouveau personnage avant la
fin de la dernière strophe, ou bien, les stances une fois terminées, le
personnage continue à monologuer en alexandrins avant que n’arrive son
interlocuteur de la scène suivante. Le premier procédé est fréquent ; on le
trouve dans Filandre de Rotrou [I, 1], la Sœur valeureuse de Mareschal [V,
4], la Veuve [III, 8], la Suivante [IV, 1] et la Place Royale [III, 5] de
Corneille, Alcionée de du Ryer [III, 1], etc. Parfois, si le personnage
interrompt les stances qu’il est en train de prononcer, c’est pour pouvoir
dire qu’il voit venir un autre personnage ; nous avons expliqué la fréquence
de ces indications de transition [Cf. ch. précédent, section 1]. Dans Athénaïs
de Mairet, Théodose exprime en quatre strophes son amour pour l’héroïne ;
mais afin de ménager la transition avec le dialogue qui suivra, il commence
une cinquième strophe, aussitôt interrompue :
Belle Athénaïs !… Mais voici Pulchérie. [II, 3]
***
Les origines des stances doivent être cherchées dans les diverses formes
lyriques qui abondent dans les pièces de théâtre de la fin du xvie et du début
du xviie siècle3. De même que nous avons vu les différents types de
personnages secondaires absorbés peu à peu par un type unique, le
confident [Cf. Ire partie, ch. 1, section VI], de même les dialogues lyriques
en vers variés, les lettres, les oracles, les chansons, perdent progressivement
du terrain au profit des stances, sans d’ailleurs disparaître toujours
complètement. Mais ce n’est guère avant 1630 que les stances apparaissent
avec les caractères précis que nous avons définis. En 1627, Bazire
d’Amblainville, récrivant une de ses anciennes pastorales sous le nom de la
Princesse ou l’heureuse bergère, remplace un monologue ordinaire qui
figurait dans la première version par une suite de strophes en vers variés, de
six et de dix pieds ; mais il ne lui donne pas le nom de stances [III, 3].
En 1628 et 1629, six pièces de théâtre contiennent ce que nous appellerions
des stances, mais celles-ci ne sont pas désignées ainsi [History, t. 1. vol. 1 :
283]. La première pièce française où de véritables stances apparaissent avec
leur nom est la Généreuse Allemande, tragi-comédie de Mareschal en deux
« journées », publiée en 1630. La première scène du quatrième acte de la
deuxième journée est constituée par des stances, mais qui sont simplement
intitulées « Plainte de Roseline ». Par contre, la scène 8 du même acte attire
l’attention avec beaucoup de force sur l’emploi du procédé ; nous
reproduisons ici la disposition du titre de la scène :
SCENE VIII
Plainte d’Aristandre
Dans son Cachot
STANCES
II – « Pompe » et quatrain
Dans tous les passages que nous avons cités ou auxquels nous avons fait
allusion, la situation et le ton comportent ce que les classiques appelaient de
la pompe. Nous pouvons donc conclure que, pour exprimer cette pompe, le
quatrain est bien un élément privilégié de l’écriture théâtrale à l’époque
classique, et qu’on le rencontre, soit, comme dans la poésie non dramatique,
en séries parfois assez longues, soit au début des scènes ou des invocations
auxquelles il donne de la grandeur, mais que le mouvement dramatique
oblige à continuer en rythmes plus variés.
III – La stichomythie
Dans cet exemple comme dans les précédents auxquels nous avons fait
allusion, les deux vers de chaque réplique riment ensemble, et l’effet de
symétrie n’est jamais rompu par une division de la rime entre deux
répliques successives.
La stichomythie à éléments de quatre vers est plus rare. On la décèle
toutefois dans les cas où des personnages expriment des avis opposés sous
forme de quatrains régulièrement répartis à raison d’un seul par réplique, et
où cette succession est trop longue pour pouvoir être attribuée au hasard.
Cinna de Corneille en offre un exemple dans la scène [II, 2] où Cinna et
Maxime, s’opposant sur la conduite à tenir vis-à-vis d’Auguste, se partagent
cinq13 répliques de quatre vers chacune. Pas plus dans cette forme que dans
la précédente, la rime ne chevauche sur deux répliques.
Nous n’avons considéré jusqu’ici que des stichomythies formées
d’éléments tous égaux entre eux. Mais il peut arriver qu’une stichomythie
contienne des éléments de longueurs différentes, groupés en couples plus ou
moins nombreux. On aura toujours une succession de groupes de deux
éléments égaux, mais d’un groupe à l’autre, la longueur de l’élément sera
variable. Pour indiquer qu’une discussion devient de plus en plus animée,
on pourra, sans cesser d’opposer les répliques deux à deux, passer du
distique au vers ou du vers à l’hémistiche. L’Andromire de Scudéry contient
une stichomythie constituée par huit répliques d’un, vers chacune, suivies
de huit répliques d’un demi-vers chacune [II, 11]. Dans l’Heureux Naufrage
de Rotrou, cinq répliques de deux vers chacune sont suivies de dix répliques
dont chacune a un vers. Citons seulement la partie de la scène où l’on passe
du rythme plus lent au rythme plus rapide ; c’est un amant importun qui
parle :
D’orismond. — Quoi ! servir constamment votre rare beauté
Vous nuit, et passe en vous pour importunité ?
Céphalie. — Sans me faire expliquer, vous me devriez entendre :
Votre plus doux service est de ne m’en point rendre.
Dorismond. — C’est rendre en peu de mots mon soupçon éclairci.
Céphalie. — À qui veut qu’on s’explique il faut parler ainsi. [III, 4]
Il est parfois difficile d’exprimer une pensée continue dans une forme
aussi essentiellement discontinue que celle de la stichomythie. Les phrases
d’une discussion animée ne s’insèrent pas aisément dans des répliques d’un
vers ou d’un demi-vers, et il arrive qu’elles débordent ce cadre trop étroit. Il
n’est pas rare de trouver dans les stichomythies des phrases interrompues.
On en trouve deux exemples presque successifs dans un dialogue de
l’Hypocondriaque de Rotrou [II, 2], où les répliques sont pourtant longues
de deux vers. Quelquefois le personnage ainsi interrompu, quand son tour
de parler revient, reprend sa phrase et la termine. La même pièce de Rotrou
offre un exemple de ce fait, dans une stichomythie qui oppose un père,
Erimand, à un amant, Cloridan, à propos d’une jeune fille :
Erimand. — Si mon autorité gouvernait ses désirs…
Cloridan. — Quoi ! tu l’opposerais à nos communs plaisirs ?
Erimand. — Un autre objet que toi vivrait dans sa pensée. [IV, 2]
Mais dans d’autres cas, l’ardu travail de style auquel oblige la rigoureuse
stichomythie se montre fécond et donne au dialogue une netteté que la
tirade ne lui imposait pas. En se pliant à des règles strictes, certains auteurs
parviennent à exprimer clairement, dans le cadre étroit du vers, des idées
assez complexes. Par exemple une stichomythie de la Galerie du Palais de
Corneille expose avec bonheur le thème des héros feignant un amour qu’ils
n’éprouvent point, afin de ramener à eux, par la jalousie, des partenaires
volages ; Lysandre se plaint devant son « écuyer » Aronte des « mépris »,
peut-être feints, de Célidée qu’il aime :
Aronte. — Pour les faire finir, il faut les imiter.
Lysandre. — Faut-il être inconstant pour la rendre fidèle ?
Aronte. — Il faut souffrir toujours, ou déguiser comme elle. [III, 1]
C’est peut-être en partie grâce à la stichomythie que la fermeté et la
concision, qui manquent si cruellement au théâtre des débuts du xviie siècle,
s’introduisent dans le théâtre classique.
Signalons pour terminer que la fin d’une stichomythie est parfois
marquée par des formules indiquant que l’auteur, conscient de l’exercice de
style auquel il a livré ses personnages, annonce au public que cet exercice
va faire place à un dialogue plus naturel. « Brisons là ce discours », dit
Alcidor après une stichomythie de seize vers opposés un à un dans les
Bergeries de Racan [V, 3]. Et dans le Prince corsaire de Scarron, Amintas
conclut une discussion analogue par ce vers :
C’est perdre temps, Seigneur, en de vaines paroles [III, 5].
***
Nous avons ajouté au texte des parenthèses. Si l’on ne tient pas compte
des vers entre parenthèses, on a une stichomythie de forme parfaite. Baro a
évité cette forme, qu’il aurait aisément pu employer ici ; en ajoutant les vers
que nous mettons entre parenthèses, il a conservé la rapidité et la violence
de la stichomythie, mais il a pu suivre les mouvements de la pensée et de la
passion d’une façon naturelle, en ne s’enfermant pas dans une forme
convenue.
Les auteurs classiques ont un autre moyen, quand ils emploient la
stichomythie, pour « cacher l’artifice de ses parures ». Ils ne renoncent pas
à cette forme, ils l’emploient même assez fréquemment, mais ils la rendent
acceptable en évitant de lui donner une longueur démesurée. On ne trouve
plus, dans la seconde moitié du siècle, l’équivalent de ces tours de force que
sont les 36 répliques d’un vers de l’Hypocondriaque de Rotrou ou les 40 de
la Suivante de Corneille. Considérons par exemple l’œuvre de Corneille à
partir de 1650. L’unique stichomythie d’Andromède [V, 2] a six vers.
Nicomède comporte cinq stichomythies [I, 2 (2 exemples), 3, III, 7, 8] mais
la partie symétrique la plus longue qu’on y trouve n’a que neuf vers [III, 7].
Pertharite a deux stichomythies [I, 2, IV, 3], assez irrégulières, de sept vers
au total. Le seul passage proprement stichomythique d’Attila n’a que huit
vers [I, 3], et la seule stichomythie de Tite et Bérénice [V, 5] n’en a que six.
L’Oropaste (1663) de Boyer offre trois stichomythies régulières en
répliques d’un vers [II, 2, (2 exemples, 5] ; elles comportent respectivement
quatre, cinq et dix répliques. Racine emploie la stichomythie dans
Andromaque [I, 2] Britannicus [III, 8] Mithridate [I, 3] Iphigénie [II, 2, 5].
Le plus long de ces passages, celui de Britannicus, est de forme
extrêmement souple, puisqu’on y trouve des répliques d’un demi-vers, d’un
vers, de deux, de deux vers et demi, de trois et de quatre vers. Les
stichomythies d’Andromaque et de Mithridate ne sont qu’esquissées. Les
passages symétriques de celles d’Iphigénie ont six vers et quatre vers.
Pareille discrétion se retrouve d’ailleurs parfois chez un auteur préclassique
comme du Ryer : son Alcionée (1640) compte quatre stichomythies [I, 2, 3,
III, 4, V, 2] dont la plus longue [V, 2] a treize répliques, son Saül (1642)
n’en comprend qu’une, de six vers [III, 4].
Enfin, certains auteurs savent se passer totalement de la stichomythie
dans des situations qui appellent pourtant, en vertu d’une tradition déjà
longue, cette forme d’écriture théâtrale. Il est courant en effet, comme nous
allons le voir, que deux personnages jaloux l’un de l’autre, ou qui éprouvent
une violente antipathie réciproque, s’expriment par un dialogue
stichomythique. Le troisième acte de Cosroès (1649) de Rotrou contient,
sous la forme d’une stichomythie de quatorze répliques d’un vers, une
discussion passionnée entre Syroès et sa belle-mère Syra [Sc. 3] ; mais les
deux précédentes scènes où ces deux personnages se trouvaient déjà face à
face [I, 1, II, 3] ne comportent pas de stichomythies. Quand Corneille fait
dialoguer des femmes jalouses, qu’elles s’appellent Lucrèce et Glarice dans
le Menteur [IV, 9] ou Bérénice et Domitie dans Tite et Bérénice [III, 3], il
s’abstient d’avoir recours à un procédé trop attendu. Et dans le Misanthrope
de Molière, le dialogue entre Célimène et Arsinoé [III, 4] est venimeux,
certes, mais non stichomythique.
***
Corneille s’en est souvenu aussi, qui nous a peint d’autres amours
partagés et impossibles. Dans la stichomythie de Polyeucte entre Pauline et
Sévère, il y a un élément de contestation, puisque Pauline veut qu’ils ne se
voient plus et que Sévère veut la voir encore, mais il y a surtout un
attendrissement que Pauline ne surmonte qu’à grand’peine [II, 2]. Dans
Œdipe, quand Jocaste ignore encore qu’Œdipe est son fils, mais vient
d’apprendre qu’il est l’assassin de Laïus, les deux époux terminent un acte,
le quatrième, par une stichomythie émouvante.
Peut-être à cause de l’existence de situations de ce genre, peut-être parce
que, les psychologues le savent bien, l’amour est proche de la haine, la
stichomythie en vient à exprimer l’amour partagé et heureux, ou les
diverses nuances de la tendresse. Dans des stichomythies de l’Heureux
naufrage [IV, 5] de Rotrou ou d’Andromire [IV, 5] de Scudéry, les héros se
disent tout simplement qu’ils s’aiment. D’autres héros qui s’aiment, et qui
sont sûrs d’eux-mêmes, se livrent en souriant à de charmants badinages
stichomythiques dans Laure persécutée [I, 11] de Rotrou ou la Galerie du
Palais [V, 5] de Corneille. Quand la situation est tragique, la stichomythie
peut exprimer tout le déchirement de la tendresse. Dans la plus émouvante
stichomythie de l’Iphigénie de Racine [II, 2] où l’amour du père et de la
fille est plus profond peut-être que l’amour des amants, le cœur d’Iphigénie
s’élance vers Agamemnon, et son père ne peut exprimer sa tendresse et sa
douleur que par quelques mots, étouffés par les larmes qu’il réprime. Nous
sommes bien loin du cliquetis menaçant des répliques de héros qui se disent
leur haine. Cette forme de la stichomythie, si curieusement, et parfois si
artificiellement, cultivée pour elle-même, est capable de mettre en valeur
aussi bien les luttes les plus acharnées et les plus perfides que les plus
tendres nuances ou les plus émouvantes effusions du sentiment.
IV – La sentence
et dans Horace :
Mourir pour le pays est un si digne sort
Qu’on briguerait en foule une si belle mort. [II, 3]
Ce qu’on sait moins, c’est ce qu’il faut entendre au juste par « sentence »,
comment ces phrases prennent le relief qui les grave dans la mémoire, et
quelle est leur place dans la dramaturgie classique. Nous allons nous
efforcer de répondre à ces questions en examinant successivement l’apport
des théoriciens, l’histoire des sentences dans la littérature dramatique, les
idées qu’elles expriment, et leur forme même.
Les théoriciens du xvie siècle et du début du xviie attestent le goût du
public et des auteurs pour les sentences. Aux yeux d’un Scaliger, elles
n’étaient rien moins que les colonnes et les piliers sur lesquels doit
s’appuyer l’édifice entier de la tragédie15. Laudun d’Aygaliers écrivait en
1598 : « Il faut qu’en la tragédie les sentences… soient fréquentes »16.
Hardy pense en 1628 qu’un des « secrets de l’art » est « un grave mélange
de belles sentences qui tonnent en la bouche de l’acteur et résonnent
jusqu’en l’âme du spectateur »17. Ce passage nous permet de penser que les
sentences étaient sans doute déclamées avec une emphase particulière par
les acteurs de ce temps. D’Urfé, dans la préface de sa Silvanire, est moins
enthousiaste et déclare que les vers ont pour « but essentiel de plaire, et par
accident de profiter ». Mais Mairet, qui écrit à sa suite une Silvanire, attire
notre attention dans la préface de sa pièce sur le fait qu’il a appuyé ses
« raisonnements de sentences et de proverbes ». Gombauld tente de réagir,
dans la préface de son Amaranthe (1631), contre l’abus des sentences, mais
il avoue aussitôt : « peu s’en faut que je ne confesse moi-même que l’abus
en est agréable, que les fautes en sont belles, et que j’en souffrirais18
beaucoup moins le défaut que l’excès ». « Le peuple », selon Guez de
Balzac, « les demande »19. Scudéry, parlant des pièces de théâtre, dit que les
sentences en « sont la plus belle et la plus utile partie » et « les plus
importants des préceptes d’Aristote »20. Plus tard, Corneille et d’Aubignac
consacreront aux sentences d’assez longs développements dans leurs
œuvres critiques.
Ces deux auteurs, et beaucoup d’autres autour d’eux, justifient les
sentences par leur valeur morale : elles contribueraient à enseigner la vertu.
Dès l’Épître dédicatoire de la Suite du Menteur, Corneille affirme que l’une
des utilités de la poésie dramatique « se rencontre aux sentences et
réflexions que l’on peut adroitement semer presque partout ». Il redira dans
le premier Discours qu’on peut employer « presque partout » ces
« sentences et instructions morales » [Marty-Laveaux, t. 1 : 18]. L’abbé
d’Aubignac étudie les sentences dans un chapitre intitulé « Des discours
didactiques ou instructions » [Pratique du Théâtre, L. IV, ch. 5] ; les
déclarations moralisantes n’y manquent pas : « au théâtre, il faut
enseigner » [Ibid. : 318], les sentences sont une « manière d’enseigner les
mœurs » [Ibid. : 319], etc. Le recours à ces idées s’explique sans peine par
l’importance du débat sur la moralité de l’art au xviie siècle, mais il ne nous
éclaire guère sur la nature de la sentence. On trouverait d’ailleurs aisément
de nombreux textes qui ruinent ces prétentions moralisantes, et dans
l’œuvre de Corneille lui-même. Telle sentence de Sertorius est dénuée de
tout contenu moral :
Le temps est un grand maître, il règle bien des choses. [II, 4]
Nous serons sur un terrain plus solide quand nous suivrons les théoriciens
classiques dans les limitations qu’ils imposent à l’emploi des sentences. Ces
limitations leur sont dictées, pour la sentence comme pour beaucoup
d’autres procédés dramaturgiques anciens et populaires, par le souci
croissant de la vraisemblance. D’Aubignac apporte un élément utile à la
définition des sentences et une première restriction à leur emploi quand il
écrit qu’elles sont « ces maximes et ces propositions générales qui
renferment des vérités communes, et qui ne tiennent à l’action théâtrale que
par application et par conséquence » [Pratique du Théâtre, L. IV, ch. 5 :
313]. Il ne suffit donc pas que ces principes généraux soient utiles à
l’instruction du public, il faut encore que leur expression soit nécessaire
dans la situation particulière où un personnage est amené à les proclamer.
Autant d’Aubignac condamne les « discours instructifs » qui « sont de leur
nature froids et languissants » [Ibid. : 314], autant il approuve chez un
auteur les « maximes fortes et hardies qui se glissent imperceptiblement
dans tout le corps de son poème » [Ibid. : 319]. Ces « maximes générales,
précise-t-il, ou lieux communs, doivent être attachées au sujet, et appliquées
par plusieurs circonstances aux personnages et aux affaires du théâtre »
[Ibid. : 320]. Il loue les sentences de Corneille, parce qu’elles sont
« hardies, nouvelles et illustres », que les expressions en sont « fortes », les
vers « éclatants », mais surtout parce qu’elles « semblent n’avoir jamais été
dites que pour le sujet particulier où elles sont appliquées » [Ibid. : 322].
La vraisemblance exige encore, pour d’Aubignac, que les sentences
« passent en peu de paroles » et ne se placent pas « au milieu d’une
expression vive ou de quelque passion violente », car il serait incroyable
qu’un personnage emporté par la passion soit « dans la modération
convenable pour les penser, ni pour les dire » [Ibid. : 321]. Corneille dira de
même des sentences qu’il « en faut user sobrement, les mettre rarement en
discours généraux, ou ne les pousser guère loin, surtout quand on fait parler
un homme passionné » [Premier Discours, Marty-Laveaux, t. 1 : 18]. Les
critiques du xviiie siècle aggraveront encore ces limitations. L’auteur du
manuscrit 559 de la Bibliothèque Nationale [voir notre Avertissement]
n’admet les « sentences ou moralités » que « dans l’exposition » ou dans les
autres passages où il faut « montrer qu’on doit attendre telle ou telle action
d’un personnage », « dans les délibérations d’État », et « à la fin de la
pièce », pour en résumer l’action et la moralité [Section IV, ch. 5, § 6]. En
ce qui concerne la place de la sentence dans les passages passionnés, il
introduit une distinction intéressante : « On peut, même dans la passion,
étendre une réflexion… à la thèse générale ; mais il faut que ce soit moins
pour raisonner que pour exprimer quelque mouvement de cette passion »
[Ibid.]. Il donne comme exemple le vers adressé par Thésée à Hippolyte
dans Phèdre de Racine :
Toujours les scélérats ont recours au parjure. [IV, 2]
***
Le goût pour les formes courtes et nettes, qui dans la prose des moralistes
donnera bientôt naissance aux Maximes de Mme de Sablé, de Méré ou de
La Rochefoucauld, se remarque aussi dans des œuvres poétiques excluant
tout souci moral, ou prétendu tel. Maynard n’est certes pas un moraliste.
Pourtant, une des raisons principales de son succès, selon Pellisson, est la
façon dont « il affecte de détacher tous ses vers les uns des autres : d’où
vient qu’on en trouve fort souvent cinq ou six de suite, dont chacun a son
sens parfait »22. Cette remarque de Pellisson n’est pas une critique, comme
on pourrait le croire aujourd’hui, mais un éloge. Donc, en plein milieu du
xviie siècle, un homme cultivé pouvait goûter des vers aussi détachés les
uns des autres que le sont des maximes. La même qualité, ou le même
défaut, se trouve chez Mathurin Régnier, qui prête par exemple, dans sa
Satire XIII, ces mots à Macette :
Nos biens, comme nos maux, sont en notre pouvoir.
Fille qui sait son monde a saison opportune.
Chacun est artisan de sa bonne fortune.
Le malheur, par conduite, au bonheur cédera.
Aidez-vous seulement, et Dieu vous aidera.
***
ou dans Pulchérie :
Aspar. — Qui n’a fait qu’obéir saura mal commander.
……….
Martian. — Jamais un bon sujet ne devint mauvais prince. [II, 2]
Parfois aussi, d’une pièce à l’autre, un auteur change d’avis sur la même
question. Corneille écrit dans Polyeucte :
À raconter ses maux souvent on les soulage, [I, 3]
« Il ne faut point mentir » est une sentence, des plus banales. Mais il est
évident que le but de Bérénice ici n’est pas de proclamer cette vérité morale
qu’il ne faut pas mentir ; elle veut seulement faire comprendre à son ami
qu’elle lui parle avec sincérité. Les sentences ne jouent pas toujours un rôle
aussi subordonné que dans cet exemple ; mais souvent, à se pencher sur les
idées qu’elles expriment, on ne trouve qu’une poussière impalpable, parce
qu’on a pris pour une fin ce qui n’est qu’un moyen.
***
il exprime une idée générale qui est valable pour tous les hommes, et en
particulier pour lui : il veut dire qu’il ne craint point la mort, et que par suite
il ne craint point les menaces ; c’est une sentence. Mais d’Aubignac
n’affirme pas seulement la nécessité de cette application particulière. Il y
ajoute, par une restriction d’importance primordiale pour la forme, l’idée
que la seule relation possible entre le principe général et la situation
particulière est celle que l’esprit peut établir par voie d’application ou de
conséquence : ces propositions générales ne tiennent à l’action que par
application. Autrement dit, si dans ces maximes générales s’introduit un
seul mot qui nous réfère à l’action particulière de la pièce, la proposition
n’est plus générale, et l’on n’a pas affaire à une véritable sentence. Lorsque
Rodrigue dit dans le Cid :
Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées
La valeur n’attend point le nombre des années, [II, 2]
elle aurait prononcé une sentence. Mais le nom de Pison introduit une
relation particulière avec la pièce, et le vers de Tristan n’est pas une
sentence. Dans la même tragédie, Épicaris dit à Sévinus :
Qui suivrait le conseil d’une âme si timide
Pour aller à la gloire aurait un mauvais guide. [V, 3]
Malgré la généralité de bien des éléments de cette réplique, les mots que
nous avons soulignés rappellent la situation particulière et interdisent de
voir une sentence dans ce quatrain. Dans Camma de Thomas Corneille,
Hésione, faisant allusion à l’attitude de sa belle-mère Camma, déclare :
Qui résiste le plus aime à céder contrainte. [I, 4]
il ne donne pas une maxime générale d’action, qui serait absurde ; le père
n’est ici que Don Diègue et la maîtresse que Chimène, et le vers n’a de sens
que dans la situation particulière où se trouve Rodrigue. Par contre, quand
le héros de Cosroès de Rotrou dit :
La loi qu’impose un père est la première loi, [II, 2]
On n’a tous deux qu’un cœur qui sent mêmes traverses, [I, 3]
Le deuxième de ces vers est une sentence. Mais le troisième n’en est pas
une, car la nature particulière des compléments de « trompe » et de
« tromper » oblige à donner à « qui » une valeur également particulière : ce
« qui » ne peut être que Marcelle. Dans d’autres cas, très fréquents, « qui »
signifiera « tous les hommes qui », « quiconque », par exemple dans cette
sentence de Rotrou :
Qui veut vaincre est déjà bien près de la victoire. [Venceslas, II, 2]
il ne se réfère pas à un acte passé précis, mais fait appel à une expérience
ancienne qui conserve sa valeur dans le présent et la conservera dans tous
les temps. Isolement de la phrase, généralité des noms, des pronoms et des
temps, tels sont donc les caractères universels et distinctifs de la forme vraie
de la sentence, et on peut les exprimer par les précisions grammaticales que
nous avons données.
***
fera plus d’effet qu’une sentence exprimant une idée banale. Mais c’est
surtout la forme qui peut donner à la sentence le relief qu’on y admire
parfois. Il est probable que le rythme des sentences célèbres est fortement
marqué ; nous n’étudierons pas ici le rythme à l’intérieur des vers ;
l’examen de ce problème, qui relève de la versification, montrerait sans
doute que la césure à l’hémistiche est dans les sentences une pause
particulièrement longue. Mais pour le dramaturge, dont nous essayons de
reconstituer le travail, le problème de la sentence consistera à faire sentir à
son public que les vers-sentences sont d’une autre nature que les
alexandrins ordinaires. Il faut que les sentences se détachent nettement d’un
dialogue toujours personnel, au-dessus duquel elles s’élèvent pour
proclamer des idées générales. C’est donc à une technique de séparation,
d’isolation de la sentence que l’auteur aura recours. Faute de guillemets, il
imaginera des moyens d’écriture théâtrale circonscrivant nettement la
sentence qu’il propose à l’admiration de ses auditeurs.
Le premier de ces moyens consistera à enfermer rigoureusement la
sentence dans le cadre du vers. Alors que dans le dialogue ordinaire, la
phrase chevauche assez souvent les vers, ne serait-ce que pour rompre la
monotonie du rythme alexandrin, la sentence, à qui ce rythme est essentiel,
s’inscrit pour ainsi dire toujours dans un nombre entier de vers. Ce nombre
est variable, mais aussi petit que possible. Il pourra arriver qu’un demi-vers
suffise. On peut citer quelques sentences de Corneille qui tiennent dans un
hémistiche :
L’amour rend tout permis [Cinna, III, 1]
…qui peut tout doit tout craindre. [Ibid., IV, 2]
…quiconque prend se vend. [La Suite du Menteur, II, 5]
Qui se tait obéit. [Pulchérie, V, 4]
La sentence peut s’étendre jusqu’à trois ou quatre vers, mais elle perd
souvent en force ce qu’elle gagne en étendue. Voici des sentences de trois
vers, formées d’éléments de mieux en mieux liés ensemble :
La mort est effroyable aux yeux d’un criminel ;
Qui la gagne la craint. Mais elle est désirable
À qui vit malheureux et non pas misérable. [Rotrou, La Belle Alphrède, II, 4]
La mort est le repos des travaux de la vie,
Et celui qui désire en allonger le cours
Aime à gémir sans cesse et soupirer toujours. [Tristan, La Mort de Sénèque, V,
1]
Quiconque sans l’ouïr condamne un criminel,
Son crime eût-il cent fois mérité le supplice,
D’un juste châtiment il fait une injustice. [Corneille, Médée, II, 2]
Il est assez rare que la sentence de quatre vers soit, comme ici, d’un seul
jet :
À qui laisse languir l’effet d’un grand dessein,
Le temps peut arracher les armes de la main
Et les faire passer en celles du coupable,
Quand de le prévenir on s’est fait incapable. [Rotrou, Cosroès, IV, 2]
Au début du vers, le monosyllabe n’a d’intérêt que s’il est accentué. Les
articles, ou un pronom banal comme « Il » ne jouent donc ici aucun rôle.
Une sentence telle que
Il est honteux de feindre où l’on peut toutes choses [Corneille, Pertharite, III,
4]
n’a rien qui signale son début comme peuvent le faire les guillemets de
l’imprimeur. Par contre, il existe un pronom qui jouit d’une grande fortune
au début des sentences. C’est « qui », dans le sens de « celui qui ». Il a le
double avantage d’être accentué et de permettre, dans une forme d’écriture
où l’économie des mots est de règle, d’exprimer en une seule syllabe le
sujet de la proposition principale et celui de la proposition relative. C’est
pourquoi de si nombreuses sentences, souvent très énergiques, commencent
par « qui » :
Qui souhaite la mort craint peu, quoi qu’il advienne. [Rotrou, Venceslas, IV, 2]
Qui vit haï de tous ne saurait longtemps vivre. [Corneille, Cinna, I, 2]
Qui pardonne aisément invite à l’offenser. [Ibid., IV, 2]
Qui fuit croit lâchement, et n’a qu’une foi morte. [Corneillle, Polyeucte, II, 6]
Qui se venge à demi court lui-même à sa peine. [Corneille, Rodogune, V, 1]
Qui veut bien commander doit savoir obéir, [Mareschal, Papyre, III, 1]
Qui peut chercher la mort ne craint pas de mourir. [Thomas Corneille,
Timocrate, IV, 8]
Qui s’apprête à trahir consent qu’on le trahisse. [Boyer, La Mort de
Démétrius, III, 6]
Qui peut perdre son roi ne connaît point de dieux. [Thomas Corneille,
Camma, III, 4]
V – Les répétitions
Il est fréquent aussi qu’un mot soit répété dans un même vers. Cette
répétition marque en général l’insistance, mais elle peut naître, au début du
siècle, d’une certaine maladresse à lier les idées. Dans la Force du Sang,
Hardy parle de
L’extrême affliction, extrême tellement
Qu’elle ne peut passer au-delà nullement… [I, 3]
Ces tournures sont très répandues au xviie siècle. Je dois, dit un héros de
Racan,
Mépriser à mon tour celle qui me méprise. [Les Bergeries, IV, 2]
Dans Rotrou et dans Corneille, on peut trouver le même mot répété trois
fois sous des formes identiques ou voisines :
Une femme possède une richesse extrême
Qui possède un époux possesseur de Dieu même. [Rotrou, Saint Genest, IV, 3]
Elle a lieu de me craindre, et je crains cette crainte. [Corneille, Rodogune, I,
5]
Parfois aussi, sans qu’il soit besoin de chercher une construction qui
permette la répétition, un mot sur lequel on veut insister est immédiatement
répété. Ainsi :
Indiscrets, impudents, folle, folle jeunesse, [Hardy, La Force du Sang, I, 3]
Mais la répétition permet aussi des effets ingénieux, voire des jeux de
mots. Corneille écrivait dans Mélite :
Ce pair d’amants sans pair est sous la sépulture.30 [IV, 6, vers 1268]
Il faut considérer à part le cas des mots répétés au début d’un vers. Le
procédé a alors pour effet moins d’attirer l’attention sur la répétition en elle-
même que de donner du mouvement au vers, de le lancer en quelque sorte.
Si l’on nous permet une comparaison qui rendra la valeur motrice de ce
type de répétition, c’est l’appel du pied avant le saut. On sent cet élan dans
les vers du Cid de Corneille où Chimène s’exclame :
Pleurez, pleurez, mes yeux…, [III, 3]
Le mot ainsi répété au début d’un vers peut être tout à fait insignifiant.
Ce n’est pas pour lui-même, c’est pour le mouvement qu’il donne à la
phrase qu’il est répété dans les exemples suivants :
Il est, il est trop juste, après un tel bonheur,
Qu’il l’ait dans notre armée ainsi qu’en votre cœur… [Corneille, Sertorius, IV,
2]
C’est, c’est un criminel, sans espoir, sans refuge. [Boyer, Oropaste, IV, 7]
Un mot peut aussi se trouver répété dans plusieurs vers. Ce sera le cas
lorsque ce rapt désigne l’objet d’une discussion entre les personnages.
Ainsi, chez Corneille, le mot « argent » se rencontre quatre fois dans six
vers successifs de la Suite du Menteur [I, 1] dans Nicomède, le héros et
Arsinoé s’affrontent au sujet de « deux mots » importants qu’ils ne veulent
pas se dire, et l’expression est répétée quatre fois [III, 7] ; dans Suréna, le
mot « confident », qui désigne le héros au sujet duquel discutent Pacorus et
Eurydice, est également répété quatre fois en quelques vers [IV, 8].
Ce procédé devient encore plus intéressant si le mot répété est un nom
propre. Le nom propre acquiert, du fait de sa répétition, une valeur
obsessionnelle : le personnage qui parle semble ne pouvoir se débarrasser
de l’image de la personne dont il prononce le nom. Rotrou a tiré de ce genre
de répétition un effet charmant dans Laure persécutée : le prince Orantée
aime Laure, mais, la croyant infidèle, il jure de ne plus l’aimer ; la façon
dont il répète le nom de la jeune fille montre bien qu’il ne peut penser qu’à
elle :
Moi ! que je souffre Laure et lui parle jamais !
Que jamais je m’arrête et jamais je me montre
Où Laure doive aller, où Laure se rencontre !
Que je visite Laure et la caresse un jour !
Que Laure puisse encor me donner de l’amour !
Qu’ayant reçu de Laure un traitement si rude,
Laure me puisse plus causer d’inquiétude ! [IV, 2]
Puis, dans la même scène, Orantée se ravise et dit en huit vers son amour
pour Laure : le nom de Laure se trouve dans chacun de ces huit vers, et est
ainsi répété huit fois de plus. Rotrou a repris le procédé dans Don Lope de
Cardone : Don Pèdre déclare qu’il n’aime plus Élise, mais, dans les
quelques vers qu’il consacre à cette déclaration, il prononce huit fois le nom
d’Élise. Son confident s’étonne :
Quoi ! tant nommer Élise et détester sa loi !
Et elle jure d’oublier Thésée, ce qui lui permet de prononcer une sixième
fois le nom de ce héros.
Un autre type de répétitions est celui où plusieurs vers successifs
commencent par le même mot. Il est susceptible d’interprétations
différentes. Parfois, au début du siècle, il s’explique simplement par
l’embarras qu’éprouve un auteur à lier ses propositions. Ainsi Hardy dit
d’un de ses personnages qu’il
ne saurait dans la ville trouver
D’amis, ou un secours de la sorte éprouver,
D’amis qui quelque jour et à heure opportune
Puissent mieux faire naître un bon vent de fortune. [La Force du Sang, IV, 1]
Elle est obsédée par ce sang, dont elle répète encore le nom plusieurs
fois, et demande enfin au roi de venger « le sang par le sang » [II, 8]. Dans
Polyeucte, Pauline dit à Sévère :
Épargnez-moi des pleurs qui coulent à ma honte,
Épargnez-moi des feux qu’à regret je surmonte,
Enfin épargnez-moi ces tristes entretiens… [II, 2]
Ces répétitions sont cultivées aussi, avec plus ou moins de bonheur, par
d’autres auteurs. Enfermées dans des membres de phrase trop courts, elles
sont assez ridicules dans la Palène de Boisrobert :
Ah, sentence barbare ! Ah, roi dénaturé !
Ah, ciel trop rigoureux ! Ah, destin conjuré I
Ah, combat malheureux ! Ah, cruelle victoire ! [IV, 5]
Mais elle le lui dérobe, et Eryxe, quand elle s’en aperçoit, lui demande
avec amertume :
Vous n’aviez pas dessein de me le dérober ? [III, 3]
Le sentiment exprimé par la répétition peut aller jusqu’à la plus violente
colère, comme dans le terrible dénouement de Médée de Corneille où Jason
appelle ses enfants « petits ingrats », et où Médée, qui a tué ces enfants, lui
dit :
Lève les yeux, perfide, et reconnais ce bras
Qui t’a déjà vengé de ces petits ingrats. [V, 5, 6]
S’il est vrai que la répétition est un facteur d’affirmation, elle affirmera et
renforcera l’élément qu’elle répète, quel que soit le contenu de cet élément.
Or ce contenu peut être comique. On parle souvent d’un « comique de
répétition » chez Molière. Mais dans les exemples qu’on en donne, ce n’est
pas la répétition en elle-même qui est comique. Ces phrases célèbres, le « Et
Tartuffe ? », le « Le pauvre homme ! » d’Orgon dans Tartuffe [I, 4], le « Je
ne dis pas cela » d’Alceste dans le Misanthrope [I, 2], le « Sans dot » de
l’Avare [I, 6], le « Que diable allait-il faire dans cette galère ? » des
Fourberies de Scapin [II, 7], sont comiques dès la première fois où elles
sont prononcées. Leur répétition ne fait que rappeler et renforcer leur effet.
Si elles n’avaient pas une valeur comique en elles-mêmes, on ne voit pas
comment elles en acquerraient une à force d’être répétées. Les
innombrables exemples tragiques de répétitions qu’offre le théâtre classique
prouvent assez que le procédé ne recèle aucune mystérieuse force comique.
Il n’est qu’un miroir grossissant, et amplifie aussi bien le ridicule d’un
héros de Molière, que la violence désespérée d’une héroïne cornélienne.
***
L’écho lui répond : « Tu n’es pas sage »35. Ces artifices devaient
rapidement disparaître du théâtre préclassique. Mais il est des formes de
poésie plus haute qui faisaient appel à la répétition, et celle-ci peut
apparaître au xvie siècle comme l’auxiliaire d’un lyrisme authentique. Tel
sonnet de Sponde36 contient dans chacun de ses vers des répétitions qui sont
un élément de sa grandeur ; en voici, par exemple, le premier quatrain :
Mortels, qui des mortels avez pris votre vie,
Vie qui meurt encor dans le tombeau du corps,
Vous qui ramoncelez vos trésors des trésors
De ceux dont par la mort la vie fut ravie…
Au théâtre, la répétition peut aussi souligner une émotion profondément
sentie. Amital disait dans les Juifves de Robert Garnier :
Pleurons doncques, pleurons sur ces moiteuses rives,
Puisque nous n’avons plus que nos larmes, captives.
Ne cessons de pleurer, ne cessons, ne cessons
De nous baigner le sein des pleurs que nous versons.
Pleurons Jérusalem, Jérusalem détruite,
Jérusalem en flamme et en cendres réduite. [Acte II]
Et elle répète encore, un peu plus tard, la phrase qui l’a blessée. Dans
Amalasonte (1658) de Quinault, l’héroïne chasse Théodat, qui l’aime, en lui
disant « Ne me voyez jamais ». Et le héros, une fois seul, se répète
amèrement ces paroles à quatre reprises [II, 7, 8]. Dans Ariane (1672) de
Thomas Corneille, l’héroïne, abandonnée par Thésée, lit le billet que ce
dernier a laissé à Pirithoüs et qui se termine par ces mots : « ayez soin
d’Ariane ». Elle répète aussitôt :
Prenez soin d’Ariane ! Il viole sa foi,
Me désespère, et veut qu’on prenne soin de moi ! [V, 4]
et à Eriphile :
De vos secrets desseins on est trop éclairci,
Et ce n’est point Calchas que vous cherchez ici.
La répétition par un personnage des paroles qui l’ont ému a donc pris,
grâce à sa valeur musicale, psychologique et dramatique, la force d’une
tradition.
***
Les répétitions que nous avons examinées présentent toutes une double
similitude : qu’elles expriment l’affirmation ou l’émotion, elles se
composent de termes identiques ou semblables dans leur forme, et le
contenu de ces termes est également, chaque fois qu’ils se présentent,
identique ou semblable. Mais ces deux éléments, la forme et le contenu,
sont dissociables. Des termes de forme identique ou semblable peuvent se
répéter tout en exprimant des contenus différents, voire opposés. Il en est
ainsi dans toute une série de nouveaux types de répétitions, que nous allons
maintenant passer en revue.
Lorsqu’une situation change, une expression déjà employée peut être
reprise pour marquer le contraste entre l’ancien état de choses et le
nouveau. Beaucoup de répétitions de Corneille, dit M. Boorsch, « servent…
à souligner le plaisir de la revanche devant une situation retournée »39. Par
exemple, dans Rodogune, Laonice, pour rassurer l’héroïne, lui affirmait les
bonnes intentions de Cléopâtre :
À présent que l’amour succède à la colère,
Elle ne vous voit plus qu’avec des yeux de mère. [I, 5]
Mais quand Rodogune a appris que Cléopâtre veut la faire assassiner, elle
dit à Laonice :
Voilà comme l’amour succède à la colère,
Comme elle ne me voit qu’avec des yeux de mère… [III, 1]
Et il ajoute :
Ce sont vos propres mots, si je m’en souviens bien.
Ce sentiment est juste, et c’est aussi le mien. [I, 4]
Même usage dans Racine. L’opposition des idées est rehaussée par
l’analogie des formes dans le passage de la Thébaïde où Jocaste propose
que ses deux fils règnent ensemble sur Thèbes :
Jocaste. — L’intérêt de l’État leur servira de loi.
Créon. — L’intérêt de l’État est de n’avoir qu’un roi. [I, 5]
Puis, s’apercevant qu’elle s’est trompée, elle dit, quelques vers plus loin :
Rentrez dans mon esprit, jaloux ressentiments,
Fiers enfants de l’honneur, nobles emportements ;
C’est vous que je veux croire… [III, 2]
***
Un dernier type de répétitions reste possible : nous avons étudié les cas
où la forme aussi bien que le contenu des éléments répétés sont semblables,
puis les cas où la forme est semblable et où le contenu est différent ; on doit
donc encore se demander s’il existe des cas où le contenu des éléments
répétés est semblable, et leur forme différente ; dans ces cas, on aurait des
répétitions, non de mots, mais d’idées, et la diversité des mots, jointe au
parallélisme des pensées, aurait un effet inverse de celui des répétitions
d’ironie ou d’opposition que nous venons d’étudier : alors que l’identité des
mots soulignait l’opposition des attitudes de l’esprit, la diversité des mots
ne cacherait pas l’identité des attitudes de l’esprit, mais l’exprimerait au
contraire avec une légèreté qui atténuerait ce que le parallélisme des
répétitions systématiques peut avoir d’un peu lassant si Ton en abuse. Or ce
type de répétitions d’idées exprimées par des mots toujours divers se
rencontre au xviie siècle, et tout particulièrement dans l’œuvre de Molière.
Nous proposons, pour cette raison, de l’appeler répétition moliéresque. On
le trouve avant Molière, autour de lui et après lui, mais c’est Molière qui en
a donné les exemples les plus éclatants et qui en a poursuivi l’exploitation
de la façon la plus persévérante, la plus paradoxale parfois, et en tout cas la
plus heureuse. Nous commencerons donc par étudier l’emploi de ce type de
répétitions chez Molière, avant d’en rechercher l’origine et la fortune chez
d’autres auteurs dramatiques.
Le Dépit amoureux abonde en symétries. Symétrie de l’intrigue d’abord ;
les relations sentimentales entre les domestiques sont exactement les mêmes
que celles des maîtres : Lucile et Éraste s’aiment, et Lucile est en outre
aimée de Valère ; Marinette et Gros-René s’aiment, et Marinette est en outre
aimée de Mascarille ; cette situation est exposée dès la première scène. Les
symétries verbales sont nombreuses. Voici par exemple une stichomythie où
la répétition n’est pas encore de pur type moliéresque, parce que, le contenu
des répliques qui s’opposent étant identique et le souci de variété dans
l’expression étant visible, il subsiste pourtant des répétitions de mots :
Éraste. — En quel état l’amour ?
Valère. — En quel état vos feux ?
Éraste. — Plus forts de jour en jour.
Valère. — Et mon amour plus fort. [I, 3]
Le procédé peut être appliqué, non seulement à des répliques, mais à des
scènes entières. Au quatrième acte, on assiste à une scène de dépit
amoureux entre Éraste et Lucile : ils veulent rompre, se rendent leurs lettres
et leurs cadeaux, puis se réconcilient [Sc. 3]. La scène suivante, entre leurs
domestiques Gros-René et Marinette, a exactement le même dessin : colère,
dépit, restitution, non des lettres, car ils ne s’écrivent pas, mais des cadeaux,
attendrissement et réconciliation. La différence des détails et du
vocabulaire, élégants dans la scène entre les maîtres, populaires dans
l’autre, est ici un élément de comique, et elle est soulignée par l’identité du
dessin des deux scènes.
On pourrait donner de très nombreux exemples de répétitions de ce type
dans l’œuvre de Molière. Nous n’en citerons que quelques-uns. Le souci de
varier la forme des répliques dont le contenu est identique est visible dans
les plus petits détails. Dans l’Impromptu de Versailles, les acteurs,
interpellés par Molière, répondent : « Quoi ? — Qu’est-ce ? — Plaît-il ?
— Hé bien ? — Qu’y a-t-il ? — Que veut-on ? — Qu’est-ce que c’est ? »
[Sc. 1]. Ces formules sont banales, mais il est remarquable qu’elles soient
toutes différentes ; dans la même scène, quand trois actrices posent
successivement la même question, elles disent : « Que prétendez-vous
faire ? — Quelle est votre pensée ? — De quoi est-il question ? ». Voici
encore, dans la même pièce, un fragment de dialogue symétrique entre deux
personnages :
La Grange. — « Ah ! ma foi, tu es bon de m’appliquer ton personnage.
Molière. — « Parbleu ! je te trouve plaisant de me donner ce qui t’appartient.
La Grange, riant. — « Ha ! ha ! ha ! cela est drôle.
Molière, riant. — « Ha ! ha I ha ! cela est bouffon. [Sc. 3]
On ne saurait citer toute la scène, qui est assez longue, et d’ailleurs fort
connue. C’est un véritable ballet, à la fois dansé et parlé. Après que les
femmes aient poursuivi les hommes, les hommes poursuivent les femmes ;
dans ces deux mouvements symétriques, on trouve le même nombre de
répliques dont la longueur est approximativement la même : aux répliques
assez longues que nous venons de citer succèdent des répliques très courtes,
que les quatre personnages se partagent rigoureusement chacun à son tour :
elles sont au nombre de vingt dans le premier mouvement, et de vingt
également dans le deuxième. Pareille régularité a pour indispensable
contrepartie la variété du vocabulaire : il est diversifié en fonction des
caractères et des conditions sociales des personnages, mais il est aussi,
quand il le faut, varié par le seul souci de la variété : quand l’un dit « Non »,
l’autre dit « Point », quand l’un dit « De grâce », l’autre dit « Par charité »,
etc.
L’exemple le plus extraordinaire de répétition que nous appelons
moliéresque dans l’œuvre de Molière est sans doute la scène de Don Juan
où le héros, promet simultanément aux deux paysannes, Charlotte et
Mathurine, de les épouser [II, 4]. Cette scène est moins longue et moins
mouvementée que celle du dépit amoureux dans le Bourgeois Gentilhomme,
mais elle réalise ce tour de force de traiter une situation qui ne change pas,
et qui est d’ailleurs stylisée jusqu’au mythe, au moyen d’une succession de
cinquante-quatre répliques symétriques. Don Juan se tourne alternativement
vers chacune des deux paysannes et, en lui parlant le plus souvent « bas »
pour que l’autre n’entende pas, réussit à la convaincre que c’est elle la
préférée. Jamais les mêmes mots ne sont employés pour dire des choses qui
sont toujours et paradoxalement les mêmes. Si la méfiance prend un instant
le dessus chez Charlotte et Mathurine et qu’elles exigent de Don Juan une
explication à haute voix, le dialogue rapide et symétrique fait place à un
petit discours où le héros, « embarrassé, leur dit à toutes deux » des paroles
équivoques qui les satisfont l’une et l’autre. Ce chef-d’œuvre de duplicité
morale et stylistique se termine par trois phrases dites « bas » à Mathurine,
alternant avec trois phrases dites « bas » à Charlotte. Et les deux dernières
répliques de Charlotte et de Mathurine présentent la même symétrie
moliéresque, — répétition des idées, variation des termes : « Je suis celle
qu’il aime, au moins. — C’est moi qu’il épousera ».
Il est possible de trouver à la répétition moliéresque une double origine :
elle peut venir d’un thème et d’une forme d’écriture. Le thème est celui de
la parodie des sentiments des maîtres par ceux des domestiques. On le
rencontre dès les débuts du xviie siècle. Dans Marfilie (1609) de Jean
Auvray, l’héroïne invoque les esprits infernaux :
Lares, larves, lutins, lémures et démons,
Le procédé sera repris, par exemple, par Dorimond dans son École des
Cocus (1661) : quand Léandre dit qu’il se « laisse aller au pouvoir de ses
sens » lorsqu’il voit « des dents blanches », « une taille bien faite », « des
yeux bien animés », son valet Trapolin déclare symétriquement :
Et pour moi, quand je vois cette beauté divine
Qui charme et rit toujours, qu’on appelle cuisine,
Quand j’y vois un potage avec un gros chapon,
Des poulets, des pigeons…
……….
C’est dans ce grand amas de charmes innocents
Que je me laisse aller au pouvoir de mes sens.43 [Sc. 6]
Les mots sont les mêmes, mais leur ordre est différent. Le rapport est
analogue entre le premier et le dernier de ces quatre vers que Corneille prête
à Curiace dans Horace :
Que les hommes, les Dieux, les démons et le sort
Préparent contre nous un général effort !
Je mets à faire pis, en l’état où nous sommes,
Le sort et les démons, et les Dieux, et les hommes. [II, 3]
Tous ces textes sont nettement antérieurs aux débuts de Molière. Il serait
aisé de trouver d’autres textes contemporains de ses comédies ou
postérieurs à elles. La répétition moliéresque est dans la Mère coquette
(1666) de Quinault, adaptation d’une comédie de Donneau de Visé jouée
par la troupe de Molière :
Isabelle. — Vous n’êtes pas sorti ?
Acante. — Vous n’êtes pas rentrée ?
Qui vous peut retenir ?
Isabelle. — Qui vous fait demeurer ?
Acante. — Moi ? rien, je vais sortir.
Isabelle. — Je vais aussi rentrer. [V, 7]
et plus loin :
Cotys. — Vous seul me pouvez mettre au comble de ma joie.
Spitridate. — Et ma félicité dépend toute de vous.
Cotys. — Vous me pouvez donner l’objet qui me possède.
Spitridate. — Vous me pouvez donner celui de tous mes vœux… [I, 4]
Elle est dans Attila, tragédie de Corneille créée par la troupe de Molière :
Ardaric. — Si vous persuadez, quel malheur est le mien !
Valamir. — Et si l’on vous en croit, puis-je espérer plus rien ?
Ardaric. — Ah ! que ne pouvons-nous être heureux l’un et l’autre !
Valamir. — Ah ! que n’est mon bonheur plus compatible au vôtre !
Ardaric. — Allons des deux côtés chacun faire un effort.
Valamir. — Allons, et du succès laissons-en faire au sort. [I, 3]
Arcas répondant qu’il ne faut pas envoyer Iphigénie à son père, ses deux
interlocuteurs reprennent :
Clytemnestre. — Pourquoi le craindrons-nous ?
Achille. — Pourquoi m’en défier ? [III, 5]
Ces quatre vers sont séparés les uns des autres par des groupes égaux, de
trois vers chacun. On peut donc les considérer comme une sorte de refrain.
Même régularité dans Corneille : le héros de Don Sanche répète trois fois
tous les deux vers « Sanche, fils d’un pêcheur » et amplifie cette formule
dans un quatrième distique :
Sanche enfin, malgré lui, dedans cette province,
Quoique fils d’un pêcheur, a passé pour un prince. [V, 5]
Le refrain peut aussi apparaître, avec plus ou moins de netteté, dans des
sortes de chansons parlées, riches en symétries verbales. Dans l’Amant
libéral (1638) de Scudéry, Sulmanire et Sarraïde adressent alternativement
à Halime des exhortations en forme de quatrains. Les six quatrains qu’elles
se partagent commencent par des refrains, qui sont d’ailleurs de moins en
moins nets. Les deux premiers commencent par deux vers identiques :
Si vous voulez enfin que la raison vous aide,
De votre propre mal tirez votre remède.
***
***
On relève encore d’autres enjambements dans cette pièce [I, 1, III, 2],
dont celui-ci, d’une beauté déjà presque romantique :
De mes bontés pour lui l’impitoyable image
Qu’imprimera l’amour sur mon pâle visage
Insultera son cœur. [III, 3]
Les vraisemblances
et un peu plus loin, le roi, devant faire un récit, dit à Clyte et à un autre
prince :
N’ayant point vu ma cour, peut-être ignorez-vous
Ce qui jusqu’à ce jour s’est passé parmi nous… [Ibid.]
Ces héros ont la mémoire bien courte. D’autres sont incroyablement peu
physionomistes : quand ils rencontrent des personnages qu’ils connaissent
fort bien, mais qui sont déguisés, ils ne les reconnaissent pas, et parfois
pendant fort longtemps. Il semble que le déguisement suffise à empêcher de
reconnaître même le visage et la voix de la personne déguisée. En disant
que c’est là une convention, on veut simplement dire que ce genre
d’invraisemblance passe inaperçu du public. Or la tragi-comédie use et
abuse des déguisements. Ils sont parfois liés à des invraisemblances
criantes. Dans l’Hypocondriaque (1631) de Rotrou, la jeune Perside, pour
se déguiser en homme, a pris les habits d’un de ses parents, Aliaste ; elle
parle à son propre père, Oronte, qui ne la reconnaît pas [IV, 3]. À la scène
suivante, Oronte parle avec Aliaste qui a pris les habits de Perside ; leur
entretien, capital pour l’intrigue, emplit quatre pages et roule sur le choix
d’un mari ; Oronte demande à sa prétendue fille qui elle veut épouser, et ne
voit pas qu’il parle à Aliaste. Dans Clitandre de Corneille, Rosidor ne
reconnaît pas Dorise, qui est sœur de sa « maîtresse » Caliste et qui n’est
pourtant pas encore déguisée [I, 9], Lysarque ne reconnaît pas Pymante
déguisé en paysan [II, 2], Pymante ne reconnaît pas Dorise déguisée en
homme [II, 7], Dorise ne reconnaît pas tout de suite Pymante [Ibid.], et
Floridan ne reconnaît ni Pymante ni Dorise avant que ces deux personnages
lui disent leurs noms [IV, 4, 5]. Dans la Sœur valeureuse (1634) de
Mareschal, Olympe rencontre Oronte endormie, qu’elle ne connaît pas ; elle
la prend pour Dorame, qui l’aime et qu’elle connaît fort bien [I, 3]. Dans
Saint Alexis (1644) de Desfontaines, Alexis, déguisé en mendiant, n’est
reconnu ni par son père [IV, 3] ni par sa femme [IV, 7], avec lesquels il
parle longuement. Dans Tite (1660) de Magnon, l’empereur ne voit pas que
son favori Cléobule n’est autre que la reine Bérénice, qu’il aime, déguisée
en homme.
Le déguisement, trop peu noble, ne s’introduit guère dans la tragédie. Il y
est remplacé par des substitutions de personnes tout aussi peu
vraisemblables. Loin de choquer, elles sont appréciées dans de nombreuses
pièces, dont certaines connaissent un grand succès : Timocrate passe pour
Gléomène dans Timocrate (1658) de Thomas Corneille, Agrippa passe pour
Tiberinus dans Agrippa (1663) ou le fils du roi de Tyr pour Astrate dans
Astrate (1665) de Quinault, etc. M. Mornet cite d’autres exemples du
procédé7 et affirme que, dans la tragédie héroïque vers 1660, « une fois sur
trois, pour le moins, un ou même deux personnages ne sont pas ce qu’on
croit qu’ils sont ou même ce qu’ils croient être »8.
Les anachronismes ne choquent pas davantage, tout au moins à l’époque
préclassique. Dans la Sœur valeureuse (1634) de Mareschal, le roi de Perse
adore le Soleil et le roi de Thrace adore Mars, mais on tire le canon. Dans
l’Heureux naufrage (1637) de Rotrou, on invoque la mythologie antique et
un personnage est blessé d’un coup de pistolet. Mais bientôt, le goût de la
couleur locale va faire disparaître les plus étonnantes de ces disparates.
Tristan est à cet égard un précurseur. Dans le manuscrit de sa Mariane, il
prêtait à ses personnages juifs des allusions à Hercule, à Omphale et à
Médée. Il efface ces vers de l’édition originale de 1637, par « souci de ne
point introduire dans un milieu judaïque des souvenirs de la Fable
grecque »9.
Parfois, un auteur insiste maladroitement sur un détail invraisemblable.
Nous jugeons du moins que son insistance est maladroite ; mais si le public
de son temps n’y a pas pris garde, ce détail marque moins la maladresse de
l’auteur que son assurance : il sait qu’il a en commun avec son public une
conception assez large des vraisemblances. À la fin de Pyrame et Thisbé
(1623) de Théophile, Pyrame, croyant que Thisbé a été tuée par une bête
sauvage, se désole :
C’est moi qui l’ai conduite en ces coupables lieux,
Moi, traître, qui savais qu’auprès de cette source
Les ours et les lions font leur sanglante course… [V, 1]
Il serait en effet vraisemblable pour nous que ce prince fût reconnu ; mais
il est protégé par la convention classique qui rend à peu près
méconnaissable un personnage déguisé.
***
Le hasard ne fait pas moins bien les choses quand il crée deux
personnages se ressemblant si parfaitement qu’on les prend l’un pour
l’autre. Le thème des sosies ne se trouve pas seulement dans des comédies,
comme les Ménechmes ou les Sosies de Rotrou, ou l’Amphitryon de
Molière. Il sert également de base à des tragi-comédies, depuis le
romanesque Ligdamon et Lidias ou la Ressemblance (1631) de Scudéry,
jusqu’au pathétique Oropaste (1 663) de Boyer ou au dramatique Agrippa
(1 663) de Quinault. L’intrigue de cette dernière pièce, par exemple, repose
sur la ressemblance parfaite entre le roi Tiberinus, qui s’est noyé, et
Agrippa, qui a pris sa place sur le trône en se faisant passer pour lui. L’abbé
Du Bos jugera invraisemblable cette ressemblance extraordinaire10. La
pièce n’en a pas moins connu un grand succès. Une intrigue peut même être
construite sur l’identité, non du physique de deux personnages, mais
simplement de leurs noms : dans Clarigène (1639) de du Ryer, deux héros,
qui ne se connaissent pas, s’appellent l’un et l’autre Clarigène ; cela suffit
pour que l’un soit accusé d’un crime commis par l’autre ; la situation se
complique encore quand un troisième personnage, Télariste, déclare lui
aussi se nommer Clarigène…
Un autre élément d’invraisemblance triomphante qui n’abdiquera jamais
dans le théâtre classique est le merveilleux. L’intervention miraculeuse des
dieux dans l’action est un ornement obligé de la pièce à machines : dans la
Toison d’Or de Corneille, Junon prend l’apparence de la mortelle
Chalciope, après avoir caché la vraie Chalciope « sous un épais nuage » et
vient donner des conseils à Jason [II, 1] ; l’héroïne de la Psyché dont
Molière a tracé le plan est « enlevée en l’air par deux Zéphires » [II, 4].
Dans des pièces moins spectaculaires, on aime la magie, qui ne paraît
d’ailleurs nullement invraisemblable au public du xviie siècle et qui orne
surtout la pastorale et la tragi-comédie, et l’on admet, avec certaines
précautions, le merveilleux chrétien. Le merveilleux païen, par contre, n’est
pas croyable ; mais on l’aime tant qu’on ne peut se résoudre à y renoncer.
On imagine alors un étrange compromis pour satisfaire à la fois le goût de
l’invraisemblance et celui du rationnel : on joint au merveilleux une petite
dose de vraisemblance, selon la formule que donnera au xviiie siècle
l’auteur du manuscrit 559 : … « le vraisemblable joint au merveilleux
produit l’excellence ; le merveilleux, au contraire, sans le vraisemblable
produit le ridicule, ou ne produit rien. Peut-on être touché de ce qu’on ne
croit pas possible ? » [Section III, ch. 2, § 13]. Le merveilleux à l’état pur
est donc proscrit, ailleurs que dans les pièces à machines ; mais il suffira
d’y joindre un détail vraisemblable pour que cette alliance contradictoire
satisfasse le rationalisme, peu exigeant en fait, du public classique. Ainsi
Boisrobert tire sa Palène (1640) d’un récit où un personnage, condamné à
être brûlé vif, était sauvé par une pluie miraculeuse qui éteignait les
flammes de son bûcher. Il conserve cette pluie opportune et
invraisemblable, mais il juxtapose à ce miracle une explication rationnelle,
ou qu’on peut à la rigueur considérer comme telle. Dans sa pièce, Driante,
grièvement blessé, passe pour mort, mais n’est qu’évanoui ; quand la pluie
tombe, il revient à lui, raconte Eurilas,
…soit que la froideur de cette eau favorable
Ait rappelé les sens de cet homme admirable,
Ou soit qu’elle ait agi miraculeusement,
J’en ai vu les effets. [V, 7]
Dans d’autres cas en effet, les auteurs classiques emploient des situations
dont ils voient fort bien qu’elles sont invraisemblables, mais tentent de les
justifier par des explications, parfois maladroites, et de faire passer
l’invraisemblable pour le vraisemblable. Ils semblent avoir honte de leurs
invraisemblances, mais n’en tiennent pas moins, pour plaire au public, à les
inclure dans leurs pièces ; pour les doctes attachés au respect des
vraisemblances, ils inventent des justifications plus ou moins solides. Ces
invraisemblances honteuses se rencontrent à toutes les époques du
préclassicisme et du classicisme. Dans la Sœur valeureuse (1634) de
Mareschal, la jeune Olympe, déguisée en homme avec un casque et un écu,
craint d’être reconnue par son « amoureux » Dorame ; comme il ne faut pas
qu’elle soit reconnue, elle souligne ce que sa conduite invraisemblable peut
avoir de vraisemblable :
L’impatience jointe à mon aveuglement
Ne m’eût produite ici que pour être connue
Aux marques de la voix, des cheveux, de la vue :
Dorame… Ah ! le voici ; mets la visière en bas ;
Parle peu, rends plus grave et ton geste et tes pas. [I, 5]
Les bienséances
***
Elle admet fort bien qu’il ait une maîtresse ; elle lui demande seulement
d’être prudent et de respecter les convenances :
Dissimule, déguise, et sois amant discret. [V, 3]
Corneille trahit ici le Grand Siècle, comme Giraudoux dira que Laclos,
avec les Liaisons dangereuses, a trahi le xviiie. C’est seulement avec la
querelle du Cid, qui cristallise la crise de la conscience morale préclassique,
que de telles scènes paraîtront insupportables. Corneille parlera, ou fera
parler par ses amis, des « impudicités du Duc d’Ossonne »4 et enverra
poétiquement la « Muse » de son rival Mairet « au Bordel »5 ; lui-même,
révisant ses œuvres pour l’édition de 1660, effacera la tirade de la princesse
Rosine dont nous avons cité un passage.
Quant aux mots véritablement grossiers, ils disparaissent vers 1630.
Avant cette date, on en trouverait une riche moisson. Dans Tyr et Sidon
(1608) de Schelandre, Tiribaze, apprenant la mort de son fils, s’écrie :
« J’en crève ! » [II, 5]. Le Théâtre de Hardy, dont l’impression s’achève en
1628, contient nombre de mots obscènes. Une femme infidèle y est
couramment appelée « putain » [Alcméon, II, 2, IV, 1, La Force du sang, I,
3, Gésippe, III, 1] ou « maquerelle » [Alcméon, III, 1, Gésippe, III, 1]. Dans
la Force du Sang, Léonore s’indigne en ces termes contre son fils qui a
violé une jeune fille :
N’avais-tu, bouc infect, où ta brutale rage
Se déchargeât ailleurs à la nécessité
Que sur lu tendre fleur d’une pudicité ? [IV, 2]
Le mot « pucelage » est dans Gésippe [III, 1] de Hardy, dans les Urnes
vivantes ou les Amours de Phélidon et Polibelle (1618) de Boissin de
Gallardon [II], et même dans les éditions de 1637 et de 1644 de la Place
Royale [III, 4] de Corneille, mais non dans les suivantes.
Ce genre de vocabulaire ne se survivra guère que dans le burlesque. Chez
Scarron, dans Jodelet duelliste (1647), Béatrix dit de Jodelet :
Il me va proposant des fornications. [II, 4]
On sait que les mots désignant des parties du corps ont été de la part des
puristes l’objet d’une attention particulière. Le mot « téton », qui se trouve
encore dans Don Japhet d’Arménie (1653) de Scarron [IV, 3] et dans le
Médecin malgré lui de Molière [II, 3] est considéré comme vulgaire. Il est
remplacé, dans les genres nobles, par le mot « sein », qui est très fréquent,
et souvent employé dans un sens très vague, sans aucune intention érotique.
Le mot « ventre » sera proscrit. On le rencontre encore dans Mareschal et
dans Rotrou. Le premier de ces auteurs fait dire à l’héroïne de sa Généreuse
Allemande (1630), qui veut brûler des papiers compromettants, mais qui n’a
pas de feu :
Je les avalerais dans mon ventre plutôt. [IIe journée, IV, 6]
II – La vie quotidienne
On voit qu’un abîme, creusé par les bienséances, sépare de tous ces
textes la tragédie classique, qui n’osera mentionner l’habillement, la
toilette, le sommeil ou la nourriture que par de nobles et prudentes
périphrases :
Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent !
Quelle importune main, en formant tous ces nœuds,
A pris soin sur mon front d’assembler mes cheveux ?
……….
Les ombres par trois fois ont obscurci les cieux
Depuis que le sommeil n’est entré dans vos yeux,
Et le jour a trois fois chassé la nuit obscure
Depuis que votre corps languit sans nourriture… [Racine, Phèdre, I, 3]
Encore s’agit-il de dire, non que Phèdre mange ou dort, mais qu’elle ne
dort ni ne mange.
Les héros préclassiques n’éprouvent aucune pudeur à satisfaire leurs
besoins naturels, ni à les utiliser pour des effets comiques. Un personnage
des Galanteries du duc d’Ossonne de Mairet évoque le martyre de l’amant
qui attend sous la fenêtre de sa belle :
sur mon amant timide,
Il pleut de sa fenêtre une influence humide,
Dont l’odeur, qui partout embaume le chemin,
Ne sent jamais rien moins que l’ambre et le jasmin. [II, 1]
Scarron sera plus grossièrement explicite. Don Japhet, dans une situation
semblable, rugit :
Ah ! chienne de duègne, ou servante, ou démon,
Tu m’as tout compissé, pisseuse abominable,
……….
Que maudit soit l’amour, et les balcons maudits,
D’où l’on sort tout couvert d’urine et sans habits ! [Don Japhet d’Arménie, IV,
6]
Racine n’hésitera pas à dire des petits chiens des Plaideurs : « Ils ont
pissé partout » [III, 3], et ce détail ne lui paraît pas choquant, puisqu’il se
sait gré, dans sa Préface, d’avoir « réjoui le monde » sans qu’il lui « en ait
coûté une seule de ces sales équivoques et de ces malhonnêtes
plaisanteries… ».
Les vomissements ne gênent pas davantage le public du xviie siècle, tout
au moins au début. L’héroïne de Silvanire (1631) de Mairet raconte un
cauchemar ; après que des serpents et des poissons, « la gueule béante »,
m’aient, dit-elle, soufflé le venin « d’une haleine puante »,
Soudain, le cœur me bat, j’ai des frémissements,
Suivis de maux de tête et de vomissements. [II, 2]
Corneille employait le mot, dans la Veuve [II, 3], mais au figuré. Il était
plus hardi sur le chapitre des maladies, puisqu’il attribue au héros d’Attila
des hémorragies fort réalistes. Non seulement il est question dans le
dialogue du sang d’Attila qui coule, mais on doit voir couler ce sang sur la
scène même. En effet, Honorie dit au héros :
Vois, vois couler ce sang qui te vient avertir…, [V, 3]
Pour une raison beaucoup plus futile, Oronte, qui a perdu son écu et son
casque dans la Sœur valeureuse (1634) de Mareschal, dit aux Dieux :
Vous êtes aussi faux que le sont vos oracles ;
De peur on vous adore, et non de volonté ;
Vous n’avez de soucis non plus que de bonté ;
Vos faveurs sont du vent, vos promesses un songe,
……….
Menteurs, vous me jouez dedans votre imposture… [I, 4]
La Galerie du Palais de Corneille nous fait voir les étalages d’un libraire,
d’une lingère, d’un mercier ; ces commerçants discutent entre eux et avec
les clients8 [Cf. à un autre point de vue, IIe partie, ch. 1, section I, p. 140].
L’intrigue des carrosses à cinq sous (1 663) de Chevalier est une comédie
réaliste et en outre une pièce d’actualité. Elle suit de peu, en effet,
l’inauguration de la première entreprise parisienne de transports en
commun, organisée par Pascal et ses amis, le duc de Roannez et le marquis
de Crenan. On voit sur la scène un de ces « carrosses à cinq sous »,
omnibus du xviie siècle, et on assiste à des conversations très vivantes entre
les voyageurs ; des aventures amoureuses s’ébauchent, des rendez-vous se
donnent, des voleurs exercent leur industrie. L’auberge aurait également été
un cadre intéressant si l’on avait voulu montrer la vie quotidienne réelle de
l’époque. Elle n’apparaît pas souvent. On voit une auberge dans deux courts
passages de la tragi-comédie de Chyséide et Arimand (1630) de Mairet [III,
1, IV, 3]. Une comédie en un acte de Poisson, L’Après-Soupé des Auberges
(1665), jouée avec succès jusqu’au xviiie siècle, atteint à un réalisme assez
moderne : les personnages les plus variés s’y succèdent, sans grand souci
d’intrigue, et c’est, comme on dira plus tard, une véritable « tranche de
vie ». Mais cette vie, en ce qu’elle a de quotidien, les bienséances l’ont peu
à peu proscrite des genres autres que la comédie dans la deuxième moitié du
e
xvii siècle.
En plein règne de Louis XIV, dans une tragédie fort sérieuse et qui a eu
du succès, ces sentiments s’expriment donc sans choquer personne.
L’amour et le mariage entre parents très proches, mais qui ne sont pas
frère et sœur, est, à la même époque, évoqué assez souvent par divers
écrivains. Corneille est à cet égard plus délicat que Racine, ce qui montre
bien que les bienséances ne sont pas contraignantes sur ce point. Dans
l’Avertissement de Rodogune, Corneille dit qu’il a supposé que Nicanor
« n’avait pas encore épousé Rodogune, afin que ses deux fils pussent avoir
de l’amour pour elle sans choquer les spectateurs, qui eussent trouvé
étrange cette passion pour la veuve de leur père si j’eusse suivi l’histoire ».
L’Argument d’Andromède exprime un scrupule analogue : « J’ai changé
aussi la qualité de Phinée, que j’ai fait seulement neveu du roi, dont Ovide
le nomme frère, le mariage de deux cousins me semblant plus supportable
dans nos façons de vivre que celui de l’oncle et de la nièce, qui eût pu
sembler un peu plus étrange à mes auditeurs ». Mais Racine ne s’excuse
nullement d’avoir fait des deux amants de Bajazet, Atalide et Bajazet, des
cousins germains9 [Cf. I, 1], et il ne craint pas de rappeler dans Britannicus
que Claude a épousé sa nièce Agrippine, en précisant, il est vrai, que ce
mariage était « incestueux » [IV, 2].
Ces situations restent malgré tout exceptionnelles. Dans les relations
sentimentales normales entre jeunes héros, les bienséances retrouvent leur
force, ou du moins cherchent à l’affirmer. Elles sont exigeantes » au théâtre
comme dans la société, pour les femmes et non pour les hommes. Les
hommes ont le droit, dont ils usent largement, de déclarer leur amour aux
femmes qui leur plaisent. Les femmes n’ont point ce droit. D’Aubignac
affirme en termes catégoriques : « Il ne faut jamais qu’une femme fasse
entendre de sa propre bouche à un homme qu’elle a de l’amour pour lui »
[Pratique du Théâtre, L. IV, ch. 6 : 329]. Pour tourner cette prohibition,
mille subterfuges sont utilisés. Dans les cas les plus simples, l’aveu de
l’amour d’une héroïne pour un héros peut se faire en trois étapes : l’héroïne
avoue d’abord ses sentiments à une confidente, puis, en surmontant à
grand’peine sa pudeur, au héros lui-même, et enfin, ce qui est plus dur
encore, à des tiers. Les trois étapes sont représentées dans Phèdre de
Racine : Phèdre avoue son amour coupable à Œnone [I, 3], puis à Hippolyte
[II, 5] et ce n’est qu’en mourant qu’elle le confesse à Théséee [V, 7] ;
l’amour innocent d’Aricie pour Hippolyte est révélé d’abord à la confidente
Ismène [II, 1], puis à Hippolyte lui-même [II, 3] et enfin à Thésée [V, 3].
Cette sorte de règle est respectée même par les jeunes filles de la comédie
de Molière. Dans l’Amour médecin, Lucinde, avant de voir Clitandre, dit à
sa suivante Lisette qu’elle aime ce jeune homme ; pour être moins pénible
que l’aveu de Phèdre à Œnone, celui-ci ne va pourtant pas de soi, puisque
Lucinde remarque : « Peut-être n’est-il pas honnête à une fille de
s’expliquer si librement » [I, 4]. De même dans l’Avare, Marianne avoue à
Frosine son amour pour Cléante [III, 4] avant de parler au fils d’Harpagon
[III, 6].
Il n’est pas facile à une jeune fille qui respecte les bienséances de dire à
un homme qu’elle l’aime. Cet aveu exige un effort, parce qu’il suppose en
réalité une attitude masculine. Diane, dans Cléagénor et Doristée (1634) de
Rotrou, s’exhorte à avouer son amour à Philémond, en se disant :
Qu’une bouche de fille ait un mâle discours. [IV, 1]
L’aveu doit faire rougir celle qui le laisse échapper. Célanire, dans
Cléomédon (1636) de du Ryer, respecte la leçon des bienséances quand elle
dit à Céliante :
Que je dise que j’aime, ha ! Monsieur, nullement.
Lorsque j’en crois rougir, je parle rarement,
Et je ne pense pas qu’une fille modeste
Le puisse avec honneur dire, même du geste. [IV, 1]
Il est vrai qu’elle n’a pas grand mérite, car elle n’aime pas Céliante. Mais
l’héroïne de Psyché, dans la partie du dialogue que Corneille a écrite pour
elle, est amoureuse de l’Amour et, en lui avouant ses sentiments, déclare :
Je devrais en rougir ou le dire plus bas,
Mais le supplice a trop d’appas.
……….
C’est en vain qu’en secret ma pudeur s’en offense,
Que le sexe et la bienséance
Osent me faire d’autres lois… [III, 3]
Il n’est pas jusqu’à Scarron qui ne fasse reconnaître cette bienséance par
la Lucie du Jodelet duelliste (1647), qui déclare :
Car enfin, don Diègue, il est vrai, je vous aime ;
Si vous m’aimez bien fort, je vous aime de même ;
Je devrais témoigner plus de confusion
En vous faisant ici cette confession
Que vous pouvez trouver étrange en une fille. [V, 6]
Quand une héroïne est assez impudique pour ne pas rougir en exprimant
son amour, on rougit pour elle. Dans la Comédie des Tuileries (1638) des
Cinq Auteurs, Florine s’offre à Argante d’une façon assez vive, et son amie
Orphise lui dit :
Les filles donc ainsi perdent la retenue ?
Et depuis quand la mode en est-elle venue ?
Vous vous offrez vous-même ? Ah, j’en rougis pour vous ! [III, 4, 5]
Si Clarice, dans la Veuve de Corneille [II, 4], avoue sans trop de peine à
Philiste qu’elle l’aime, c’est qu’elle n’est pas une jeune fille, mais une
veuve.
On voit que la prohibition édictée par l’abbé d’Aubignac au sujet de cet
aspect des bienséances a été une préoccupation constante des auteurs
dramatiques, dès la période préclassique. Même quand une jeune fille
proclame son amour, elle sait, ou l’on sait autour d’elle, qu’elle ne doit pas
le proclamer. Mais il faut bien qu’elle le proclame, sans quoi l’action, le
plus souvent, ne pourrait pas s’engager. De cette nécessité dramaturgique
une curieuse tragi-comédie de 1645, Oroondate ou les amants discrets,
attribuée à Guérin de Bouscal, offre une démonstration par l’absurde. Les
« amants » de cette pièce sont si ridiculement discrets qu’ils tombent sans
cesse de malentendus en malentendus. Non seulement les femmes, mais les
hommes, ne parviennent pas avant le dénouement à dire qu’ils aiment, et
leurs confidents ou suivantes soulignent fréquemment qu’avec un peu de
sincérité les héros auraient évité bien des embarras inutiles.
***
Du moment que ces baisers sont autorisés par l’usage, on ne s’en prive
pas. Le Jodelet de Scarron exagère à peine lorsque, quand on l’écarte de sa
prétendue fiancée, il remarque :
Ô Dieu ! qu’en ce pays on est chiche d’épouse !
Ailleurs j’aurais déjà des baisers plus de douze. [Jodelet ou le Maître valet, II,
7]
On voit par plusieurs de ces textes que le baiser n’est pas seulement un
geste de politesse. Il est aussi un plaisir, dont la valeur sensuelle est parfois
vivement soulignée. La poésie érotique n’a pas cessé d’être goûtée en
France depuis les Baisers de Jean Second, et même depuis les troubadours ;
les auteurs dramatiques préclassiques semblent fort bien s’en souvenir. La
nourrice de Tyr et Sidon de Schelandre dit assez clairement où mène le
baiser :
…je sais trop comme vient
Du baiser le toucher, du toucher autre chose. [I, 3]
Elles donnent d’« ardents baisers » [V, 5], elles proclament : « je meurs
en ces plaisirs » [V, 8].
« Ces plaisirs », si largement représentés sur le théâtre, ne deviennent
choquants que vers l’époque de la Fronde. En 1635, Mairet ose encore les
introduire dans une tragédie : Massinisse dit à l’héroïne de Sophonisbe,
quand leur mariage est décidé :
Cependant permettez que je prenne à mon aise
Un honnête baiser pour gage de la foi
Que le Dieu conjugal veut de vous et de moi.
(Il la baise).
Ô transports ! ô baiser de nectar et de flamme,
À quel ravissement élèves-tu mon âme ! [III, 4]
devient
Nous aurons tout loisir de flatter nos maîtresses
Il faut ici se souvenir que le mot « sein » est souvent au xviie siècle
employé dans un sens noble et vague ; mais il semble parfois que son sens
soit plus précis. En tout cas, au théâtre comme dans le roman13 de la
première moitié du siècle, il est assez fréquemment question de l’embrasser
[Cf. Mairet, Chryséide et Arimant (1630), III, 2] ou de le caresser
[Cf. Rotrou, L’Hypocondriaque (1631), III, 2]. La douceur, la dureté ou le
durcissement du « sein » sont notés avec une complaisance évocatrice par
un Rotrou [Ibid., II, 2], un Mareschal [La Sœur valeureuse, V, 1], un
Scarron [Don Japhet d’Arménie, IV, 3]. Dans un passage du Filandre
(1637) de Rotrou, l’érotisme est même lié, par une hardiesse imprévue, à un
véritable sadisme. La jeune Théane dit à son amoureux Thimanthe, qui veut
la tuer et se tuer lui-même parce qu’il croit qu’elle le repousse :
Mais avant qu’en ma mort expier mon offense,
Sur ce sein, si tu veux, prends quelque récompense ;
Baise-le s’il te plaît et s’il a des attraits,
Et pour sa cruauté, tu le fendras après.
Sans qu’il soit question de ces attouchements, les seins, au sens le plus
précis, sont parfois évoqués sans pudeur dans le dialogue. Géron, dans la
Veuve de Corneille, parlait en ces termes de l’impression produite par Doris
sur Florange :
Ses yeux, à son avis, sont autant de soleils,
L’enflure de son sein, un double petit monde… [I, 4]
***
Elle nous informe donc qu’ils n’ont pas été amants. Cette réserve de la
part de Théophile est exceptionnelle pour son époque. Il serait aisé, au
contraire, de tracer, par des exemples pris dans la littérature dramatique de
la première moitié du xviie siècle, un tableau à peu près complet de la vie
sexuelle des personnages préclassiques.
Les rapports sexuels sont évoqués, parfois avec crudité, non seulement
dans des comédies grossières du début du siècle, comme les Corrivaux
(1612), attribuée à Troterel et que M. Lancaster juge la pièce la plus
obscène du xviie siècle [History, t. 1, vol. 1 : 144], ou l’anonyme
Supercherie d’amour (1627), ou encore dans des pièces de Hardy comme
Gésippe [II, 2, III, 1, IV, 2], mais aussi, à partir de 1625, dans des pièces
connues d’auteurs estimés. Dans les Bergeries (1625) de Racan, le magicien
Polistène commande à ses démons, pour édifier une jalouse :
Faites voir Ydalie avec son favori
Jouir des privautés de femme et de mari. [II, 4]
Corneille n’en a pas moins supprimé cette allusion comme les autres.
Le viol paraît un sujet convenable pour plusieurs pièces préclassiques.
Les héroïnes sont violées dans Scédase et dans la Force du Sang de Hardy,
ainsi que dans la tragédie de Crisante (1639) de Rotrou ; dans les deux
dernières de ces pièces, le viol est supposé avoir lieu pendant un entr’acte et
est raconté ensuite, mais dans la première, il est représenté, ou du moins
suggéré, sur la scène même. Les classiques éviteront, non seulement des
actions semblables, mais les mots mêmes qui pourraient les faire imaginer
avec trop de précision. L’édition originale de la Veuve de Corneille exprime
à deux reprises l’idée que Clarice, qui a été enlevée, a pu être violée par son
ravisseur. L’une de ces références, où l’on parle d’une « maîtresse ravie et
peut-être forcée » [V, 4], disparaît à partir de l’édition de 1660. L’autre est
conservée, parce qu’elle évoque la pensée avec plus de discrétion [IV, 1].
Dans l’édition originale d’Héraclius en 1647, Exupère dépeignait ainsi la
cruauté de Phocas :
Il n’est aucun de nous dont ce tyran infâme
N’ait immolé le père ou violé la femme.
À partir de 1660, Corneille croit devoir supprimer ces deux allusions, qui
nous paraissent pourtant bien naturelles.
Le sujet des maladies vénériennes est effleuré par Corneille dans la Suite
du Menteur. Peut-être parce que cette pièce est une comédie, il conserve
dans toutes les éditions l’allusion prudente, mais claire, que fait Cliton aux
raisons de la disparition de Dorante :
…tel vous soupçonnait de quelque guérison
D’un mal privilégié dont je tairai le nom. [I, 1]
elle résiste, pistolet en main, aux gardes qui veulent l’arrêter [Id. III, 3] ;
elle se bat en duel contre une autre femme, au pistolet d’abord, puis à l’épée
[Id., V, 3]. Dans la Mort de Mithridate (1636) de La Calprenède,
Hypsicratée reçoit cet éloge de son mari Mithridate :
Mille fois je t’ai vue, invincible Amazone,
Acquérir des lauriers que la valeur nous donne,
J’ai vu les escadrons, de ta voix animés,
Fendre pour t’imiter des bataillons armés.
Ton visage et ton fer font d’égales conquêtes. [II, 1]
***
Dans la même pièce, Pyrame, croyant que sa Thisbé a été dévorée par un
lion, cherche dans le ruisseau s’il ne trouverait pas « quelque membre au
moins » de sa bien-aimée. Si je trouvais, dit-il,
d’un chef-d’œuvre si beau
Quelque sainte relique à mettre en un tombeau,
Je ferais dans mon sein une large ouverture,
Et sa chair dans la mienne aurait sa sépulture. [V, 1]
On insiste sur les morts les plus tragiques et les plus étranges. Dans
Cléomène de Guérin de Bouscal, deux enfants, du vivant de leurs parents,
se suicident : l’aîné entraînant le plus jeune, ils sautent par une fenêtre [V, 6,
8]. Dans Rhodogune de Gilbert, l’héroïne raconte qu’elle a tué sa nourrice :
Du fer que j’avais pris pour venger mon époux,
Le sein qui m’allaita reçut les premiers coups. [I, 1]
Mais en général, dans la deuxième moitié du xviie siècle, les flots de sang
et les détails horribles sont bannis du dialogue aussi bien que de la
représentation, et les morts des personnages, rapportées en termes généraux,
sont aussi incolores que possible.
Dans le spectacle, le meurtre, même lorsqu’il n’est pas sanguinaire à
l’excès, est proscrit par les bienséances à partir des dernières années du
règne de Louis XIII. Les combats et duels, si fréquents dans les œuvres de
Mareschal, de Rotrou et de leurs contemporains, se terminaient assez
souvent par des morts. Par exemple, dans une seule scène de la Sœur
valeureuse (1634) de Mareschal, Oronte, qui était accompagnée de son
page, tuait Lycanthe, puis trois assassins venaient les attaquer ; le page en
tuait un, était tué, et Oronte tuait les deux derniers assassins ; ce qui faisait
cinq morts [III, 8]. En 1650, Ulysse dans l’île de Circé, tragi-comédie de
Boyer, montre encore un héros tué sur la scène : c’est Euriloche, foudroyé
par Jupiter [V, 10] ; mais cette pièce à machines ne s’astreignait pas à suivre
toutes les règles. En général, à partir de 1635 environ, la tragédie évite de
faire voir des meurtres au public. Dans Hercule mourant (1636) de Rotrou,
Hercule veut tuer Lychas : « il prend sa massue et court après Lychas » [III,
1], dit l’indication scénique ; il le tuera dans la coulisse. Dans la Mort de
César (1636) de Scudéry, au moment où les sénateurs vont tuer César,
Scudéry nous prévient que « la salle se ferme pour n’ensanglanter pas la
face du théâtre contre les règles » [IV, 8]. Puis, les sénateurs « sortent tous
avec le poignard sanglant à la main après avoir tué César » [Ibid.]. Dans
Horace, Corneille a soin d’indiquer dès l’édition originale que Camille est
« blessée derrière le théâtre » par son frère Horace, qui, « revenant sur le
théâtre » après avoir infligé à sa sœur cette blessure mortelle, prononce
encore quelques vers ; l’attitude d’Horace, « mettant l’épée à la main. »,
comme le disent les premières éditions, impliquait que Camille prît la fuite,
pour pouvoir être frappée « derrière le théâtre » ; malgré ces précautions,
l’actrice qui jouait Camille mourait en scène, et mécontentait ainsi les
spectateurs attachés aux bienséances ; Corneille doit donc renforcer ses
indications scéniques : au lieu d’Horace « mettant l’épée à la main », il nous
montre, plus explicitement, Horace « mettant la main à l’épée, et
poursuivant sa sœur qui s’enfuit » [IV, 5], à partir de l’édition collective de
1655 ; notons au passage que « la main à l’épée » a sur « l’épée à la main »
la supériorité d’éviter de montrer une épée nue ; et dans l’Examen de 1660,
Corneille revient sur la nécessité de « prendre la fuite et recevoir le coup
derrière le théâtre » pour l’actrice qui joue le rôle de Camille26. Les
indications scéniques de tous ces auteurs montrent bien qu’on s’ingénie à ne
pas « ensanglanter la scène » par des meurtres.
Le suicide n’est nullement traité de la même façon que le meurtre par les
bienséances classiques. Le meurtre est interdit ; le suicide ne l’est pas.
L’abbé Morvan de Bellegarde nous le dit de la façon la plus claire : « Ceux
qui prétendent qu’il ne faut jamais ensanglanter le théâtre ignorent ce que
c’est que de l’ensanglanter ; il ne faut jamais y répandre le sang de
personne, mais on y peut verser le sien, quand on y est porté par un beau
désespoir ; c’était une action consacrée chez les Romains »27. Le suicide est
en effet considéré comme un acte de courage, digne d’un héros, et qui
marque une fermeté « romaine » ; Corneille dit dans Othon :
Ce noble désespoir, si digne des Romains,
Tant qu’ils ont du courage, est toujours en leurs mains. [I, 4]
Cette conception du suicide fait de lui le seul acte sanglant qui soit
permis à un héros classique. Le héros en effet ne peut tuer ses ennemis qu’à
la guerre ou en duel ; mais les bienséances classiques interdisent de
représenter l’une et l’autre. Le héros ne peut pas non plus tuer des
adversaires qu’il a quelque raison de respecter : l’honneur le lui interdit. Il
ne peut pas davantage être tué par un traître : le public serait déçu et ne
verrait plus en ce héros le moteur de l’action ; c’est pourquoi il est fréquent
qu’on se tue pour éviter d’être tué, ou simplement fait prisonnier, par un
ennemi : le suicide est préférable à la honte, à la défaite, à la mort, certaine
ou probable, qui vient d’un autre. En définitive, la seule personne que le
héros puisse tuer avec honneur, c’est lui-même. La Mesnardière, distinguant
dans sa Poétique différentes sortes de meurtres, n’admettait que les
meurtres « généreux »28 : ils se réduisent en fait au suicide.
C’est donc une nécessité dramaturgique que de convenir que le suicide
n’ensanglante pas la scène, — même quand le héros se plonge son épée
dans le corps —, et de terminer de nombreuses tragédies par des suicides.
C’est pourquoi l’attitude des auteurs dramatiques sur ce point s’oppose à
celle des romanciers qui sont leurs contemporains. Ceux-ci condamnent le
suicide comme une lâcheté, et comme une violation de la morale
chrétienne29. Les auteurs dramatiques sont au contraire conduits par leur
conception de l’honneur et par leur souci des bienséances à donner au
suicide une place éminente.
Il y a par suite un conflit sur ce point entre les bienséances et la morale
chrétienne. L’interdiction du suicide par cette morale ne pouvait s’intégrer
au système classique de dramaturgie ; elle était condamnée à être
volontairement oubliée. Elle ne laisse pas d’embarrasser quelques auteurs
dramatiques de la première moitié du xviie siècle. Dans Tyr et Sidon (1608)
de Schelandre, Phulter dit à Cassandre qui veut se tuer :
Par nous ni pour nous seuls nous ne vivons ici ;
Mourir par notre main nous ne devons aussi ;
Le bras est exécrable et pis que parricide
Qui démolit le siège où son âme réside. [III, 4]
Le héros d’Alcméon de Hardy, qui a jadis tué sa mère et qui vient de tuer
ses enfants, veut se suicider. Son confident Eudème l’en dissuade, en lui
disant que ce serait un acte
Pire que ne fut onc le pire parricide,
……….
De polluer en vous ce beau temple si saint
Où Jupiter suprême a logé l’âme pure,
Afin de n’en sortir sans congé de nature,
Sur peine de n’entrer d’un siècle aux Élysées. [IV, 2]
***
***
Introduction
1 Henri Focillon, La vie des formes, Paris : P.U.F., 1947.
2 D’importants travaux ont pourtant commencé à étudier la technique du roman chez Balzac et
chez Stendhal. On nous permettra peut-être de rappeler aussi que nous avons abordé la technique
de la poésie, et d’une certaine forme de langage littéraire, dans notre étude sur L’expression
littéraire dans l’œuvre de Mallarmé. Paris : Droz, 1947. (éd. revue Grammaire de Mallarmé,
Paris : Nizet, 1977.)
Chapitre 2 : L’Exposition
1 Sur ce manuscrit, voir notre Avertissement.
2 Jean-François Marmontel, Éléments de littérature, Œuvres complètes, Paris, 1819-1820, t. 5 :
Exposition.
3 On l’a vu pour le Cid. Pour Héraclius, voir plus bas.
4 Éléments de littérature, op. cit. : Exposition.
5 Voir les textes cités plus bas.
6 Schlegel, Cours de Littérature dramatique, op. cit., t. 2, p. 29.
7 Éléments de littérature, op. cit. : Exposition.
8 Voir sur ce sujet George Pierce Baker, Dramatic technique, Boston, 1919, et William Archer,
Play-making, a manual of craftmanship, Londres : 1912, qui donnent des exemples autres que
ceux que nous empruntons au classicisme français.
Chapitre 7 : Le dénouement
1 Marmontel, Éléments de littérature, op. cit. : Dénouement.
2 Ibid.
3 C’est-à-dire lorsqu’elle est devenue claire. « Développée » est le contraire d’« enveloppée »,
qui signifie « embrouillée ».
4 Morvan de Bellegarde, Lettres curieuses de littérature et de morale, op. cit., p. 332.
5 Ibid., p. 333.
6 Marmontel, Éléments de littérature, op. cit. : Achèvement.
7 La mort de Roxane, annoncée à la scène 10, ne résulte pas de la dernière péripétie. Nous
reviendrons plus loin sur ce point.
8 Morvan de Bellegarde, Lettres curieuses de littérature et de morale, op. cit., p. 332.
9 Voir par exemple celle du manuscrit 559, section IV, chapitre III, paragraphe 6.
10 History, t. IV, vol. I : 93 : « Eriphile’s efforts have led to her recognition by Calchas ».
11 On précise habituellement qu’il s’agit d’un saignement de nez, ce qui paraît bien peu digne
de la « pompe » de la tragédie. Corneille dit bien dans l’avis Au lecteur que selon les historiens
Attila « avait accoutumé de saigner du nez », mais dans la pièce elle-même, il s’est gardé
soigneusement de toute allusion à ce malheureux nez.
12 C’est à tort que Lancaster mentionne ce mariage dans son résumé de la pièce. History, t. II,
vol. II, p. 716, n. 10.
13 Corneille, La Suite du Menteur Acte V, sc. 5, variante des éditions de 1645 à 1656, Marty-
Laveaux, t. IV, p. 389.
14 Dans son roman d’Artémise et Poliante.
15 Morvan de Bellegarde, Lettres curieuses de littérature et de morale, op. cit., p. 333.
16 Rivaille, Les débuts de P. Corneille, op. cit., p. 140.
17 Théophile Gautier, Mademoiselle Maupin, éd. Georges Matoré, Paris, Droz, 1946, p. 22.
18 H.C. Lancaster, The French tragi-comedy from 1552 to 1628, op. cit., Introd.
19 En particulier à cause du succès de la tragi-comédie du Cid de Corneille en 1637.
20 Sarrasin, Œuvres, op. cit., p. 344.
21 Bernard Lamy, Nouvelles réflexions sur l’art poétique, Paris : Pralard, 1668, p. 182.
22 Samuel Chappuzeau, Le Théâtre Français, Lyon : M. Mayer, 1674, p. 25.
23 B. Lamy, Nouvelles réflexions sur l’art poétique, op. cit., p. 150-151.
24 Voir par exemple Jules Marsan, note à l’Acte V, sc. 3 de son édition de la Sylvie de Mairet,
[Paris : Droz, 1932], p. 236.
25 Corneille, La Suite du Menteur, Variantes des éditions 1645-1656 au vers 1902, dans Marty-
Laveaux, t. IV, p. 388.
26 Voir H.C. Lancaster, The rule of three actors in French sixteenth century tragedy, Modern
Language Notes, juin 1908, p. 173-177.
27 Cf. J. Chapelain, Opuscules critiques, op. cit., p. 131.
28 Il ne reste rien de ce premier état de la pièce.
29 Voir cette variante dans Marty-Laveaux, t. IV, p. 388-389.
30 On notera la même tendance à la fin de Zaïre de Voltaire, et de plusieurs pièces de
Giraudoux.
Conclusion
1 Jean du Castre d’Auvigny, La tragédie en prose, ou la tragédie extravagante, (1730) cité par
Naves, Le goût de Voltaire, op. cit., p. 406-407.
2 W. Archer, Play-making, a manual of craftsmanship, London : Chapman and Hall, 1912, ch. I.
3 Sur son importance, cf. Mornet, Histoire de la littérature française classique, op. cit.,
Deuxième Partie.
4 Verdun L. Saulnier, La littérature du siècle classique, Paris : P.U.F., 1947, p. 113.
5 Ferdinand Brunetière, Les époques du théâtre français (1636-1850) Conférences de l’Odéon.
Paris : Calmann-Lévy, 1893, p. 55.
Appendice i
Ce relevé avait déjà été fait par Böhm, Die dramatischen Theorien Pierre
Corneilles, ch. II, mais avec des erreurs, que nous rectifions ici.
Nous n’y faisons pas figurer les pièces à machines. Nous ne tenons pas
compte des Gardes, Soldats, et autres personnages non nommés.
Dans les éditions de 1639 à 1657, l’Illusion comique comptait, non deux,
mais trois personnages féminins.
Mélite 5 3 8
Clitandre 16 2 18
La Veuve 8 4 12
La Galerie du Palais 7 5 12
La Suivante 7 3 10
La Place Royale 6 2 8
Médée 5 4 9
L’Illusion comique 10 2 12
Le Cid 8 4 12
Horace 7 3 10
Cinna 6 3 9
Polyeucte 7 2 9
Pompée 9 3 12
Le Menteur 6 4 10
La Suite du Menteur 5 2 7
Rodogune 4 3 7
Théodore 6 3 9
Héraclius 7 3 10
Nicomède 5 3 8
Pertharite 4 2 6
Œdipe 7 4 11
Sertorius 6 3 9
Sophonisbe 8 4 12
Othon 8 4 12
Agésilas 6 3 9
Attila 4 3 7
Tite et Bérénice 5 3 8
Pulchérie 3 3 6
Suréna 4 3 7
Les Gardes n’y figurent pas, non plus que les Chœurs des deux dernières
pièces.
La Thébaïde 6 3 9
Alexandre 4 2 6
Andromaque 4 4 8
Les Plaideurs 6 2 8
Britannicus 4 3 7
Bérénice 5 2 7
Bajazet 3 4 7
Mithridate 5 2 7
Iphigénie 5 5 10
Phèdre 3 5 8
Esther 5 4 9
Athalie 8 4 12
C) Longueur de quelques pièces de théâtre du xviie siècle
— Le Menteur, 1 804.
Il n’a pas été tenu compte des prologues des pièces à machines.
Mélite 5 8 6 10 6 35
Clitandre 9 8 5 8 5 35
La Veuve 6 6 10 9 10 41
La Galerie du 11 9 12 14 8 54
Palais
La Suivante 9 9 11 9 9 47
La Place Royale 4 8 8 8 8 36
Médée 5 5 4 5 7 26
L’Illusion comique 3 10 12 10 5 40
Le Cid 6 8 6 5 7 32
Horace 3 8 6 7 3 27
Cinna 4 2 5 6 3 20
Polyeucte 4 6 5 6 6 27
Pompée 4 4 4 5 5 22
Le Menteur 6 8 6 9 7 36
La Suite du 6 7 5 8 5 31
Menteur
Rodogune 5 4 6 7 4 26
Théodore 4 7 6 5 9 31
Héraclius 4 7 5 5 7 28
Andromède 4 6 5 6 8 29
Don Sanche 5 4 6 5 7 27
d’Aragon
Nicomède 5 4 8 6 9 32
Pertharite 4 5 6 6 5 26
Œdipe 5 4 5 5 9 28
La Toison d’Or 6 5 6 5 7 29
Sertorius 3 5 2 4 8 22
Sophonisbe 4 5 7 5 7 28
Othon 4 6 5 7 8 30
Agésilas 4 7 4 5 9 29
Attila 3 6 4 7 7 27
Tite et Bérénice 3 7 5 5 5 25
Pulchérie 5 5 4 4 7 25
Suréna 3 3 3 4 5 18
Les Plaideurs et Esther, pièces en trois actes, n’ont pas été comprises
dans ce tableau.
La Thébaïde 6 4 6 3 6 25
Alexandre 3 5 7 5 3 23
Andromaque 4 5 8 6 5 28
Britannicus 4 8 9 4 8 33
Bérénice 5 5 4 8 7 29
Bajazet 4 5 8 7 12 36
Mithridate 5 6 6 7 5 29
Iphigénie 5 8 7 11 6 37
Phèdre 5 6 6 6 7 30
Athalie 4 9 8 6 8 35
Appendice ii
Elle est exprimée par le tableau de la page 459. Les courbes qui figurent
sur ce tableau ont été établies de la façon suivante :
1° On a tenu compte de la totalité des pièces de théâtre publiées de 1610
à 1699, à l’exception de celles mentionnées au paragraphe 2” ci-dessous.
Les pièces ont été classées par leurs dates de publication, non de première
représentation. Il en résulte que nos courbes sont très légèrement en retard
par rapport à des courbes de représentation, s’il était possible d’en tracer
d’exactes. Les genres que nous indiquons sont ceux qui sont mentionnés
dans les éditions originales ; ainsi le Cid de Corneille figure ici comme
tragi-comédie, non comme tragédie. Pour quelques pièces assez connues,
nous avons rétabli la mention du genre omise par l’éditeur.
2° Nous omettons :
A) Les pièces archaïques ou d’amateurs, désignées par des titres tels que
« poème dramatique », « poème sentencieux », « poème de nouvelle
invention », « histoire sainte », etc.
B) Les farces. Un très petit nombre de pièces sont publiées au xviie siècle
avec cette désignation.
C) Les comédies en un acte. Celles-ci deviennent très nombreuses dans la
deuxième moitié du siècle. En les incluant dans un tableau où l’immense
majorité des pièces représentées a cinq actes, nous aurions indûment
exagéré la part de la comédie. Afin d’être complet, nous indiquons au
paragraphe 5° ci-dessous le nombre des comédies en un acte.
D) Les opéras.
3° Nous réduisons à quatre les genres que nous retenons, de façon à
présenter un tableau assez simple pour être lisible et expressif. Cette
réduction a été opérée de la façon suivante :
A) La courbe de la tragi-comédie comprend, non seulement les pièces
ainsi désignées par leurs auteurs, mais aussi une « héroïco-comédie » et
sept « comédies héroïques » (dont trois de Corneille et une de Molière).
B) Sous le nom de pastorale nous groupons les pièces que leurs auteurs
appellent : « pastorale », « comédie pastorale », « pastorale comique »,
« comédie pastorale héroïque », « tragédie pastorale », « pastorale
tragique », « tragi-comédie pastorale », « pastorale burlesque ». On voit
que certaines d’entre elles auraient pu être rattachées à d’autres genres,
notamment à la tragi-comédie. Notre groupement favorise donc au
maximum la pastorale, qui aurait été moins bien représentée si l’on avait
envisagé autrement la distinction des genres.
C) La tragédie et la comédie n’appellent ici aucune observation spéciale,
à la réserve de l’élimination des comédies en un acte.
4° Dans les quatre genres ainsi définis, nous comptons le nombre de
pièces publiées dans chaque décade : de 1610 à 1619, de 1620 à 1629, etc.
Ces nombres sont portés en ordonnées, les décades en abscisses.
5° Le nombre des comédies en un acte publiées au xviie siècle et qui ne
figurent pas dans notre tableau est le suivant :
De 1610 à 1649 : 0.
De 1650 à 1659 : 6.
De 1660 à 1669 : 52.
De 1670 à 1679 : 14.
De 1680 à 1689 : 23.
De 1690 à 1699 : 56.
Appendice iii
A – Sources
*Le Théâtre français au xvie et au xviie siècle, ou Choix des comédies les
plus curieuses antérieures à Molière, éd. Édouard Fournier, Laplace,
Sanchez et Cie, 1873, 2 vol. (comprenant notamment des comédies de
Pichou, Gougenot, Du Ryer, Mareschal. Mairet, Desmaretz de Saint-Sorlin,
Rotrou et Boisrobert).
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Forestier, Toulouse, Société de Littératures classiques, 1986.
— Commedia (La) in commedia, Testi del Seicento francese Tre
« pièces » : Baro, Gougenot, Scudéry 1629-1635 (« Célinde », « La
Comédie des comédiens », « la Comédie des comédiens »), introd. e note a
cura di Lorenza Maranini, Roma, Bulzoni, 1974.
— Théâtre de la cruauté et récits sanglants en France (xvie-xviie siècles),
éd. dir. par Christian Biet. Paris : R. Laffont, 2006.
— Théâtre du xviie siècle, Paris : Gallimard, 1975-1992, 3 vol. (Bibl. de
la Pléiade) éd. Jacques Scherer pour le t. 1, J. Scherer et Jacques Truchet
pour le t. 2, J. Truchet et André Blanc pour le t. 3.
Œuvres complètes
A) Textes du xviie et du e
xviii siècle (y compris préfaces de pièces) et
leurs éditions récentes :
c) Sur Corneille
e) Sur Racine
Barnwell (Harry T.), “Peripety and discovery : a kew to racinian
tragedy”, Studi Francesi, 26, Maggio-Agosto, 1965.
Barthes (Roland), Sur Racine, Paris : Seuil, 1963 (nouv. éd. 1979).
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A
Aristote 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22
Aubignac (abbé d’) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Cyminde 1, 2, 3, 4
Dissertations 1, 2
Pratique du Théâtre 1, 2
Pucelle d'Orléans 1
Zénobie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Auvray 1
Madonte 1
Auvray (Jean) :
Marfilie 1
B
Balzac (Guez de) 1, 2, 3, 4, 5
Baro 1
Cariste 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17
Célinde 1
Clorise 1
Bazire d'Amblainville :
Princesse 1
Beauchâteau (Mlle) 1
Beaumarchais 1
Mariage de Figaro 1
Beauval (Mlle) 1
Béjart 1, 2
Bellemore 1
Benserade 1
Iphis et lante 1
Bernier de la Brousse :
Heureuses Infortunes 1, 2
Beys :
Céline 1, 2
Jaloux sans sujet 1
Boileau 1, 2, 3, 4
Art poétique 1, 2
Boisrobert :
Palène 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Boissin de Gallardon :
Urnes vivantes 1
Boursault 1
Germanicus 1
Boyer 1
Aristodème 1
Judith 1
Oropaste 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Policrite 1
Porus 1
Tyridate 1, 2
Ulysse dans l'île de Circé 1, 2
Brécourt 1
Bridard :
Uranie 1
Brosse :
Turne de Virgile 1, 2
C
Cailhava de l'Estendoux :
De l'art de la comédie 1, 2
Campistron 1
Castelvetro 1, 2, 3
Champmeslé 1
Champmeslé (Mlle) 1, 2, 3
Chapelain 1, 2
Discours de la poésie représentative 1, 2, 3, 4
Lettre sur la règle des vingt-quatre heures 1, 2, 3, 4, 5
Préface à l'Adonis 1
Chappuzeau :
Eaux de Pirmont 1
Théâtre français 1, 2, 3, 4
Chevalier :
L'intrigue des carosses à cinq sous 1
Chrestien des Croix :
Amantes 1
Cinq auteurs :
Aveugle de Smyrne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Comédie des Tuileries 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Claveret :
Esprit fort 1
Ravissement de Proserpine 1
Clément :
De la tragédie 1
Colletet 1
Corneille (Pierre) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37,
38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57,
58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77,
78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97,
98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112,
113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127,
128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142,
143, 144, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 157,
158, 159, 160, 161, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 170, 171, 172,
173, 174, 175, 176, 177, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 184, 185, 186, 187,
188, 189, 190, 191, 192
Agésilas 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Andromède 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22
Attila 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23
Cid 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,
59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77,
78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96,
97, 98, 99, 100, 101, 102
Cinna 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38
Clitandre 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37,
38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48
Don Sanche d'Aragon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
16, 17, 18, 19
Galerie du Palais 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34
Héraclius1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37
Horace 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38,
39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52
Illusion comique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20, 21, 22, 23
Médée 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32
Mélite 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33
Menteur 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23
Nicomède 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22
Œdipe 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26
Othon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Pertharite 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Place Royale 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 22, 23
Polyeucte 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37,
38, 39, 40, 41, 42, 43, 44
Pompée 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17
Psyché, (voir à Molière).
Pulchérie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Rodogune 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37,
38, 39
Sertorius 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23
Sophonisbe 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Suite du Menteur 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20
Suivante 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35
Suréna 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22
Théodore 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27
Tite et Bérénice 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Toison d'or 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
Veuve 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37
Corneille (Thomas) 1
Amour à la mode 1, 2, 3, 4, 5
Ariane 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Berger extravagant 1
Camma 1, 2, 3
Comte d'Essex 1, 2
Geôlier de soi-même, ou Jodelet prince 1, 2
Maximian 1
Mort de Commode 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Pyrrhus 1
Stilicon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Timocrate 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25
Crébillon :
Rhadamiste et Zénobie 1
Cyrano de Bergerac :
Mort d'Agrippine 1, 2
D
Desfontaines :
Saint Alexis 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Véritable Sémiramis 1
Desmaretz de Saint-Sorlin :
Aspasie 1, 2
Mirame 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Scipion 1, 2
Visionnaires 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Des Œillets (Mlle) 1
Diderot :
De la poésie dramatique 1, 2, 3
Dorval et moi 1
Donneau de Visé :
Mère de coquette 1
Donnet :
Triomphe des Bergers 1
Dorimond :
Amant de sa femme 1
École des Cocus 1
Du Bos (abbé) 1
Du Castre d'Auvigny 1
Du Parc (Mlle) 1
Du Perche 1
Du Rocher :
Indienne amoureuse 1
Du Rosoi :
Dissertation sur Corneille et Racine 1
Durval :
Agarite 1, 2
Travaux d'Ulysse 1, 2
Du Ryer 1, 2, 3, 4
Alcimédon 1, 2
Alcionée 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24
Amarillis 1
Arétaphile 1, 2, 3
Argénis et Poliarque 1, 2
Clarigène 1, 2, 3
Cléomédon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22
Clitophon 1, 2
Esther 1
Lisandre et Caliste 1, 2, 3
Lucrèce 1, 2
Saül1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19
Scévole 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Thémistocle 1
Vendanges de Suresnes 1
E
Ephésienne 1
F
Faure :
Manlius Torquatus 1
Floridor 1
Fontenelle 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
G
Garnier :
Antigone 1, 2, 3, 4
Bradamante 1
Juifves 1, 2, 3, 4
Giboin :
Philandre et Marisée 1, 2, 3
Gilbert :
Chresphonte 1
Marguerite de France 1
Rhodogune 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Sémiramis 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Gillet de la Tessonerie :
Art de régner 1, 2
Comédie de Francion 1
Triomphe des cinq passions 1
Valentinian et Isidore 1
Gody :
Richecourt 1
Gombauld :
Amaranthe 1
Gougenot :
Comédie des comédiens 1, 2
Guérin de Bouscal :
Cléomène 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Oroondate 1, 2
Prince rétabli 1
H
Hardy 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Alcée 1
Alceste 1
Alcméon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Cornélie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Didon 1
Elmire 1, 2, 3
Force du sang 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Gésippe 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Inceste supposé 1
Leucosie 1, 2
Lucrèce 1, 2, 3, 4, 5
Méléagre 1
Pandoste 1, 2
Parténie 1
Scédase 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Théagène et Cariclée 1, 2, 3
Timoclée 1
Hauteroche 1
Heinsius 1
Horace 1, 2, 3, 4
I
I.M.S. :
La mort de Roxane 1
Isnard 1, 2
J
Jacquelin :
Soliman 1
Jobert :
Balde 1, 2
Jodelet 1
Cléopâtre 1, 2, 3, 4
Joyel :
Florivale et Orcade 1
Jugement du Cid 1, 2, 3
L
La Bruyère 1
La Calprenède :
Comte d'Essex 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Mort de Mithridate 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
La Croix :
Inconstance punie 1
Lambert :
Sœurs jalouses 1, 2
La Mesnardière 1
Poétique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
La Morelle :
Philine 1
La Motte 1, 2, 3, 4
Lamy :
Nouvelles réflexions sur l'art poétique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
La Tuillerie :
Soliman 1
Laudun d'Aygaliers 1
Le Bigre :
Adolphe 1, 2
Lenoir (Mlle) 1
Lesage :
Turcaret 1, 2
Les Isles le Bas :
Royal Martyr 1
Le Tasse 1
Lope de Vega 1
M
Maggi1
Magnon :
Tite 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Mahelot :
Mémoire 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Mairet 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
1Athénaïs 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Chryséide et Arimand 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
16, 17, 18, 19, 20, 21
Galanteries du duc d'Ossonne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Sidonie 1
Silvanire 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30
Soliman 1
Sophonisbe 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23
Sylvie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33
Virginie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22
« Manuscrit 559 » 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20, 21, 22
Marcel :
Mariage sans mariage 1
Mareschal 1, 2
Généreuse Allemande 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
16, 17, 18, 19, 20
Mareschal :Sœur valeureuse 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32,
33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45
Véritable Capitan Matamore 1
Mariage de Fine-Epice 1, 2
Marivaux 1
Annibal 1
Marmontel :
Éléments de Littérature 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
16, 17
Poétique française 1
Ménage 1, 2
Mercier inventif 1, 2
Molière 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21
Amants magnifiques 1
Amour médecin 1
Amphitryon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Avare 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23
Bourgeois Gentilhomme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Critique de l'École des Femmes 1, 2
Dépit amoureux 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Don Garcie de Navarre 1, 2, 3
Don Juan 1, 2, 3, 4, 5, 6
École des Femmes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20, 21, 22
Étourdi 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Fâcheux 1
Femmes Savantes 1, 2, 3, 4, 5, 6
Fourberies de Scapin 1
George Dandin 1, 2, 3, 4, 5
Impromptu de Versailles 1, 2, 3
Malade imaginaire 1, 2
Médecin malgré lui 1, 2
Misanthrope 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18
Précieuses Ridicules 1, 2, 3
Princesse d’Elide
Psyché 1, 2, 3
Sganarelle 1
Tartuffe 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
Monléon :
Amphitrite 1
Thyeste 1
Montchrestien :
Écossaise 1, 2
Hector 1
Montdory 1, 2, 3, 4, 5, 6
Montfleury (Antoine) :
Femme juge et partie 1
Fille capitaine 1
Montfleury (Zacharie Jacob) 1
More cruel 1
Morvan de Bellegarde (abbé) :
Lettres curieuses de littérature et de morale 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9,
10, 11, 12, 13, 14, 15
N
Nadal (abbé) :
Observations sur la tragédie ancienne et moderne 1, 2, 3
Nanteuil 1
Nicole :
Phantosme 1
Noguères :
Mort de Manlie 1
O
Oudineau :
Philarchie des Dieux 1
Ouville (d’) :
Jodelet astrologue 1
Soupçon sur les apparences 1
P
Passar :
Célénie 1
Pelletier du Mans 1
Perrault (Charles) 1, 2, 3
Piccolomini 1
Pichou 1
Filis de Scire 1, 2
Folies de Cardénio 1
Infidèle Confidente 1
Poisson 1
Après-soupé des Auberges 1
Pradon :
Troade 1
Pure (abbé de) :
Idée des spectacles anciens et modernes 1
Q
Quinault 1
Agrippa 1, 2, 3, 4, 5
Amalasonte 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19
Astrate 1, 2, 3, 4, 5, 6
Bellérophon 1, 2
Comédie sans comédie 1, 2
Mère coquette 1, 2
Mort de Cyrus 1
R
Racan 1
Bergeries 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30
Racine 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30
Alexandre 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Andromaque 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34
Athalie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Bajazet 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19
Bérénice 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23
Britannicus 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25
Esther 1, 2, 3, 4
Iphigénie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37
Mithridate 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22
Phèdre 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31
Plaideurs 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Thébaïde 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29
Rampale 1
Bélinde 1, 2
Rapin (le P.) :
Réflexions sur la poétique 1
Rayssiguier 1
Rolland Le Vayer de Boutigny :
Grand Sélim 1
Rosimond 1
Les Qui pro quo 1
Rotrou 1, 2, 3, 4
Agésilan de Colchos 1, 2, 3, 4, 5, 6
Amélie 1, 2
Antigone 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Bague de l'Oubli 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Bélissaire 1
Belle Alphrède 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28
Céliane 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19
Célie 1, 2, 3
Célimène 1, 2
Cléagénor et Doristée 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Clorinde 1, 2
Cosroès 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17
Crisante 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Deux pucelles 1
Diane 1
Don Lope de Cardone 1
Filandre 1, 2, 3, 4, 5
Florimonde 1, 2, 3
Hercule mourant 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18
Heureuse constance 1, 2, 3, 4, 5
Heureux naufrage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20, 21, 22
Hypocondriaque 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Innocente infidélité 1, 2, 3, 4
Iphigénie 1, 2
Laure persécutée 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Ménechmes 1, 2
Occasions perdues 1, 2
Saint Genest 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Sœur 1, 2
Sosies 1
Venceslas 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
S
Sabbattini 1, 2
Sallebray :
Belle Égyptienne 1, 2
Jugement de Pâris 1
Sarrasin :
Sarrasin :Discours de la tragédie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Scaliger 1
Scarron 1
Don Japhet d'Arménie 1, 2, 3
Jodelet duelliste 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Jodelet ou le maître valet 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Prince Corsaire 1, 2, 3, 4, 5, 6
Roman comique 1, 2, 3
Schelandre :
Tyr et Sidon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20
Scudéry 1, 2, 3, 4, 5
Amant libéral 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Amour tyrannique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
Andromire 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
Comédie des comédiens 1
Eudoxe 1
Fils supposé 1, 2
Ligdamon et Lidias 1, 2
Mort de César 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Observations sur le Cid 1, 2, 3, 4, 5
Prince déguisé 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 22, 23
Trompeur puni 1
Sentiments de l'Académie Française sur le Cid 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Serlio 1, 2
Sévigné (Mme de) 1
Sorel (Charles) :
De la connaissance des bons livres 1, 2, 3
Subligny :
La Folle Querelle ou la Critique d'Andromaque 1
Supercherie d'amour 1
T
Théophile de Viau :
Pyrame et Thisbé 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20, 21
Torelli 1, 2
Traité de la disposition du poème dramatique 1, 2, 3, 4, 5
Tralage 1
Tristan L'Hermine 1
Mariane 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28
Mort de Chrispe 1
Mort de Sénèque 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Osman 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Troterel :
Corrivaux 1
Sainte Agnès 1
U
Urfé (Honoré d') :
Astrée 1
Silvanire 1
V
Véronneau :
Impuissance 1
Vigarani 1
Villiers 1
Villiers (Mlle) 1, 2
Voltaire 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Commentaire sur Corneille 1, 2, 3
Zaïre 1
Vossius 1, 2
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