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PRIÈRE D'ARTHUR RIMBAUD: Les aléas de l'allégorie animale dans « Les Corbeaux »

Author(s): Julien Weber


Source: Parade sauvage , No. 27 (2016), pp. 81-94
Published by: Classiques Garnier
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/10.2307/26468436

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PRIÈRE ­D’ARTHUR RIMBAUD
Les aléas de ­l’allégorie animale
dans « Les Corbeaux »

« Les Corbeaux » occupe une place particulière parmi les poèmes


anticléricaux de Rimbaud. Publié dans la revue La Renaissance litté-
raire et artistique en septembre 1872, à un moment où Rimbaud a déjà
plus ­d’une fois réglé ses c­ omptes avec ­l’église catholique, ce poème ne
semble pourtant pas informé par la verve satirique et blasphématoire
qui caractérise notamment « Le Mal », « Les Pauvres à ­l’Église », ou
« Le Châtiment de Tartufe », écrits à peine quelques mois plus tôt.
« Les Corbeaux » se présente en effet c­ omme une prière. Alors que
­l’acte rituel de la prière est souvent tourné en dérision chez Rimbaud,
ici c­ ’est le locuteur du poème lui-même qui adresse une requête au
Seigneur : il lui demande d­ ’intervenir parmi les hommes en envoyant
dans les campagnes de France une volée de corbeaux : « Faites ­s’abattre
des grands cieux / Les chers corbeaux délicieux1. » Le ton solennel de
cette adresse ­s’accompagne ­d’ailleurs ­d’une forme poétique plutôt tra-
ditionnelle. Les quatre sizains du poème se ­composent ­d’octosyllabes
réguliers, où les unités syntaxiques ­s’ajustent à la métrique, le style porte
souvent l­’empreinte de tours de phrase classiques, c­ omme l­’inversion
sujet-verbe dans la dernière strophe ou la diérèse de « délicieux », et les
images appartiennent au répertoire traditionnel de la poésie pastorale.
Pour rendre ­compte du ­conformisme thématique et formel de ces vers,
plusieurs critiques ont invoqué ­l’idéologie hugolâtre de la revue où ils ont
été publiés en premier lieu : La Renaissance littéraire et artistique. Le poète
­n’aurait adopté les codes de la poésie-prière et du chant hugolien que pour
assurer la publication du texte, suite au refus de « Voyelles » notamment.
Mais cette c­ oncession aux c­ onventions esthétiques de la revue aurait

1 Arthur Rimbaud, Œuvres ­complètes, éd. André Guyaux, Gallimard, « La Pléiade », 2009,
p. 188. Dorénavant désigné à l­ ’aide du sigle (OC) suivi du numéro de la page.

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surtout permis à Rimbaud de ménager « ­l’irruption de ­l’hétérodoxe2 »


dans le poème selon Steve Murphy. Dans le remarquable chapitre de
Rimbaud et la Commune ­qu’il ­consacre aux « Corbeaux », Steve Murphy
nous invite en effet à lire le topos bucolique c­ omme un paysage allégorique
qui se réfère de manière indirecte à des événements historiques récents.
­L’hiver qui ­s’abat sur les campagnes de France évoque indirectement la
défaite de 1870 c­ ontre ­l’armée prussienne, alors que les fauvettes de mai
qui interviennent dans le dernier quatrain représentent le chant de la
révolution ­communarde. Quant aux corbeaux, dont le poète appelle la
venue dès les premières strophes, c­ ’est aux prêtres q­ u’ils se réfèrent, selon
les ­conventions de la littérature anticléricale du xixe siècle. La prière de
Rimbaud est alors à lire sur un mode ironique : ­s’il demande à Dieu le
déploiement sur terre de « crieur[s] du devoir » (OC 187), c­ ’est pour que
le passant repense à ­l’étendue des massacres de « ­l’année terrible » dont
les gouvernements successifs du Second Empire et de la IIIe République
peuvent être tenus pour responsables : morts de la guerre de 1870 ou
morts de la Commune. Loin de servir à expier les péchés de ­l’histoire,
ces corbeaux-curés deviendraient ainsi, en faisant l­ ’anamnèse des « morts
­d’avant-hier  » (OC 187), les messagers involontaires d ­ ’une revanche à
venir incarnée par le chant des fauvettes de mai – revanche qui serait
moins dirigée ­contre ­l’envahisseur allemand que c­ ontre ceux, Trochu
et Thiers notamment, qui ont accepté la capitulation pour se donner
les moyens de réprimer plus sévèrement la révolte ouvrière.
À la suite de Christophe Bataillé3, Steve Murphy sollicite ainsi le
langage allégorique du poème pour historiciser son message. De fait, en
situant « Les Corbeaux » dans un riche c­ ontexte intertextuel qui nous
renvoie autant aux poèmes patriotiques de Hugo ­qu’à ­l’iconographie
anticléricale de l­’époque, son analyse nous permet d ­ ’écarter toute
interprétation ésotérique ou naïvement descriptive du poème. Difficile
de ­s’arrêter à une interprétation étroitement littérale – ­l’évocation des
corbeaux c­ omme le tableau d­ ’une réalité vue – quand tous les éléments
du topos bucolique semblent faire signe vers le c­ ontexte de « ­l’année
terrible ». Difficile également d­ ’attribuer l­ ’écriture de ce poème-prière
2 Steve Murphy, Rimbaud et la Commune, 1871-1872. Microlectures et perspectives, Paris,
Classiques Garnier, 2010, p. 830. Dorénavant désigné à ­l’aide du sigle (RC) suivi du
numéro de la page.
3 Christophe Bataillé, « Les Corbeaux : chef d ­ ’œuvre anticlérical », Vies et poétiques de
Rimbaud – Parade sauvage, colloque n. 5, Charleville-Mézières, 2005, p. 170-182.

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à un accès de religiosité, aussi soudain q­ u’improbable chez le Rimbaud


de 1871, quand on a pris la mesure du caractère paradoxal et poten-
tiellement satirique des anges que le poète appelle à l­’aide. Dans la
lecture que je voudrais proposer ici, il ne sera donc pas question de
­contester l­’horizon politico-historique dans lequel « Les Corbeaux »
est situé par Bataillé et Murphy. Cependant, il me semble ­qu’à force
de se ­concentrer sur ­l’identification du référent historique ou social
que ­l’allégorie animale des corbeaux pourrait encoder, la critique a
peut-être négligé une virtualité essentielle du langage allégorique,
sa fonction autoréférentielle, celle que Derrida définit dans Mémoires
pour Paul de Man c­ omme « la possibilité qui permet au langage de
dire ­l’autre et de parler de lui-même en parlant ­d’autre chose, de dire
toujours autre chose que ce ­qu’il donne à lire, y ­compris la scène de
la lecture elle-même4. » Ainsi, en même temps que de se prêter à
une interprétation satirique (les corbeaux c­ omme prêtres), l­ ’allégorie
animale pourrait aussi faire signe vers la poétique du texte-même où
elle intervient et plus particulièrement vers le rapport entre langage
poétique et symbolique religieuse qui informe « Les Corbeaux ».
Dans La Poésie précaire, Jérôme Thélot a déjà fait valoir la c­ omplexité
du rapport entre poésie et prière chez Rimbaud. Si, dans des poèmes
anticléricaux c­ omme « Le Mal » ou « Le Châtiment de Tartufe », la
poésie se définit par opposition à la prière, ­comme « insurrection ­d’un
langage ­contre un autre langage5, » ces poèmes nous donnent aussi
toujours à lire des similarités structurelles entre la prière dénoncée et
le poème qui dénonce :
La dérision de la prière, dorénavant, induira la dérision de la poésie. Et la
distance ironique avec laquelle Rimbaud jugera ses poèmes manifestera son
impatience, souvent, de ce q­ u’ils ne se dégagent pas de la prière6.

4 Jacques Derrida, Mémoires pour Paul de Man, Paris, Galilée, 1988, p. 34. Pour une dis-
cussion du double langage de ­l’allégorie, voir aussi Paul de Man, The Resistance to Theory,
Minneapolis, University of Minnesota Press, 1986, p. 68-69.
5 Jérôme Thélot, La Poésie précaire, Paris, PUF, « Perspectives littéraires », 1997, p. 68.
6 Ibid., p. 70. Comme ce passage le suggère, le propos de Thélot ­consiste en grande partie
à faire de la prière ­l’essence mal assumée de la poésie, ce qui revient bien sûr à minimi-
ser la portée subversive et politique de cette dernière. Dans ce qui suit, je ne souscrirai
pas à cette « catholicisation » des poèmes anticléricaux de Rimbaud. Cependant, les
lectures de Thélot ont à mon sens le mérite d­ ’attirer notre attention sur une imbrication
­conflictuelle des langages poétique et religieux dans des poèmes souvent réduits à leur
message anticlérical.

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Or « Les Corbeaux », sur lequel Thélot ne ­s’arrête que très briè-


vement, présente précisément la singularité de c­ onsentir de manière
ambiguë à ­l’identification des deux formes d­ ’adresse. Si, ­comme Murphy
et Bataillé nous en c­ onvainquent, cette prière de Rimbaud est à lire
ironiquement, ­qu’est-ce que ­l’ironie vise au juste ? Doit-on nécessaire-
ment admettre que ­c’est à ­l’ordre clérical que ­s’attaque Rimbaud, alors
même que « Les Corbeaux » se distingue des poèmes les plus ouver-
tement blasphématoires ? Et si c­ ’était plutôt le langage de la prière, et
le rapport ­conflictuel que la poésie entretient avec lui, qui ­constituait
­l’enjeu principal de ce poème ? Dans cet essai, je voudrais revenir plus
en détail sur le c­ ontenu théologique des « Corbeaux » pour discuter la
manière dont Rimbaud détourne les codes de la prière et ironise sur le
motif chrétien de ­l’incarnation, la parole faite chair.

LES LONGS ANGÉLUS

Il me semble particulièrement significatif, tout d ­ ’abord, que


l­’événement souhaité par le poète/prieur – ­l’envoi des corbeaux – ait
lieu non seulement en hiver mais aussi à la suite d ­ ’une autre prière
rituelle, celle de ­l’angélus : « Quand dans les hameaux abattus, / Les
longs angelus se sont tus… » (OC 187) Cette mention des « longs ange-
lus » (dont ­l’orthographe latine crée une homophonie avec le syntagme
« anges lus ») évoque ­d’une part le caractère répétitif et monotone du
quotidien que ­l’intervention divine est appelée à rompre. Mais surtout,
la prière en question c­ onsiste à c­ ommémorer ­l’annonce de l­ ’incarnation.
Réciter ­l’angélus revient pour la ­communauté à célébrer le moment où
­l’ange Gabriel a annoncé à Marie la naissance prochaine de Jésus-Christ,
moment révolutionnaire par excellence dans la cosmographie chrétienne
où ­l’annonce du verbe fait chair remédie en quelques sortes à la chute
de ­l’homme, le péché d­ ’Ève. L ­ orsqu’il demande au Seigneur de faire
« ­s’abattre des grands cieux / Les chers corbeaux délicieux », le poète
souhaite ainsi implicitement que ­d’autres anges prennent la place du
messager de ­l’incarnation, des « anges paradoxaux » ­comme le souligne
Steve Murphy (RC 785), mais surtout des anges dont le message tranche

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avec celui de la parole faite chair, porteur d­ ’espoir, véhiculé notamment


par la colombe du Saint-Esprit.
Ainsi le paysage hivernal – qui de l­ ’avis de nombreux c­ ommentateurs
se réfère allégoriquement à la défaite française – ­n’est pas représenté
par le prieur c­ omme un mal à guérir mais au c­ ontraire c­ omme le décor
approprié au déploiement ­d’une autre armée, celle de corbeaux pilleurs
et charognards. ­L’événement souhaité se profile ­comme le redoublement
­d’un châtiment plutôt que ­comme la renaissance de campagnes sinistrées.
­C’est quand la nature est « défleurie », et les hameaux « abattus » que
devraient « ­s’abattre » « Les chers corbeaux délicieux », plus susceptibles
de piller les graines de la récolte que d­ ’ensemencer les champs. Le qua-
lificatif de « délicieux » appliqué aux corbeaux pourrait certes, c­ omme
le suggère Sara Lucia Giranzani, faire écho aux corbeaux de l­’Ancien
Testament qui, dans le 17e chapitre du premier livre des Rois, sont chargés
de nourrir et d­ ’abreuver le prophète Elie dans le désert7. Mais q­ u’est-ce
qui motiverait alors le rapprochement entre Elie et le prieur du poème
au-delà de la référence aux corbeaux ? Plus plausible me semble ainsi
­l’interprétation de Steve Murphy, qui nous propose de lire « délicieux »
­comme une hypallage évoquant ­l’appétit des corbeaux plutôt que les
joies gustatives ­qu’ils offrent à ­d’autres (RC 812). Le caractère ironique
de la prière apparaît de cette manière plus frappant. Loin de célébrer
­l’annonce de la parole faite chair – qui dans le c­ ontexte de ­l’après-guerre
aurait pu signifier ­l’expiation des crimes par le sauveur – le prieur ­convie
les messagers de Dieu à un f­estin de chair en voie de décomposition8.
Il c­ onvient, en outre, de souligner que ­l’Être suprême auquel
Rimbaud s­’adresse dans ce poème n­ ’a rien du Dieu catholique raillé
dans d ­ ’autres poèmes. À cet égard, l­’interprétation du « Seigneur »
­comme désignant le pape Pie IX, que Steve Murphy sollicite à la
suite de Christophe Bataillé (RC 824), ne me paraît pas entièrement
­convaincante. Plusieurs autres poèmes c­ omme « Le Mal » ou « Les
Pauvres à l­ ’église » ­s’attachent à satiriser le Dieu de l­ ’église catholique.
Dans le sonnet « Le Mal » notamment, qui fait également référence aux
massacres de la guerre franco-prussienne, les deux tercets représentent

7 Sara Lucia Giranzani, Apocalypse de la parole : ­l’hypotexte biblique dans ­l’œuvre ­d’Arthur
Rimbaud, Milan, Université catholique du Sacré Cœur, 2012/2013, p. 68.
8 Je me réfère ici à la parole créatrice célébrée dans ­l’évangile de Saint-Jean : « La Parole
est devenue chair ; / elle a fait sa demeure parmi nous, » (Jean. 1. 14-15).

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Dieu sous les traits ­d’un pacha narcissique et voluptueux, indifférent


à la violence des hommes évoquée dans les deux quatrains, et qui ne
répond q ­ u’aux marques de dévouement monétaire de ses fidèles. Or,
le Seigneur des « Corbeaux » est au ­contraire invoqué ­comme un Dieu
justicier, susceptible de punir les hommes en réponse aux massacres ­qu’ils
­commettent. Il ­s’apparente davantage au Dieu des armées de l­’Ancien
Testament qui se manifeste par des catastrophes climatiques plutôt
que par la médiation ­d’un sauveur, ou ­d’un représentant sur terre. Ce
­n’est certes pas aux hommes eux-mêmes que les corbeaux ­s’attaquent,
mais à leur c­ onscience. En tournant « Par milliers, sur les champs de
France, / Où dorment les morts ­d’avant-hier »(OC 187), les corbeaux
forcent « chaque passant » à repenser aux proportions exorbitantes des
massacres de la guerre franco-prussienne, donc à la responsabilité du
gouvernement qui les a initiés. Ce que la prière appelle à c­ ommémorer,
en lieu et place de la bonne nouvelle, ­c’est la mort brutale de milliers
de soldats, restés sans sépulture, et donnés en pâture aux charognards.

DU « RAVEN » AUX « CORBEAUX »

À cet égard, « Les Corbeaux » de Rimbaud semble bien faire écho


au célèbre « Raven » de Poe, traduit par Mallarmé et déjà en circulation
dans plusieurs revues parisiennes dès 1863. Dans « The Raven », le
corbeau qui répond au nom de « Nevermore » est en effet aussi présenté
­comme un messager de ­l’au-delà dont le message prophétise ironique-
ment ­l’impossibilité d­ ’y accéder9. L­ orsqu’il reçoit la visite mystérieuse
du corbeau, le poète, en deuil de ­l’être aimé Lénore, cherche à rendre
« Nevermore » porteur ­d’un message d­ ’espoir. Cependant, au cours de leur
dialogue tragi-­comique, toutes les fonctions symboliques ­qu’il voudrait
attribuer au messager (annoncer la réunion des âmes ou faire oublier la
mort de la défunte) se trouvent successivement ­contestées par la seule
parole prononcée par le corbeau : « Nevermore ». Le messager divin en
vient alors à allégoriser une sorte de désincarnation de la parole divine.
Ironiquement, ­c’est par la répétition d­ ’un même croassement, en soi
9 Edgar Allan Poe, Complete Stories and Poems, New York, Doubleday, p. 754-757.

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vide de sens, que la parole du corbeau se mue aux yeux du narrateur en


prophétie négative. Sans avoir c­ onscience du message q ­ u’il transmet,
« Nevermore » creuse ainsi une séparation irréversible entre ­l’ici-bas et
­l’au-delà dont il vient10.
Or une disjonction similaire entre ­l’effet du message et l­’intention
des messagers est à l­’œuvre dans le poème de Rimbaud. Le devoir de
mémoire, dont les corbeaux deviennent les messagers, est en effet entiè-
rement dissocié des intentions qui leur sont attribuées. Les corbeaux sont
avant tout décrits dans les deux strophes centrales ­comme des animaux
en quête de survie. Ils se trouvent assaillis par les éléments (« Les vents
froids attaquent vos nids ! » (OC 187)), et leur présence sur les champs
de France n­ ’est motivée que par la recherche d­ ’une pâture. Cependant,
ce déploiement de corbeaux charognards a pour effets collatéraux de
rendre visibles les morts anonymes et de faire en sorte « que chaque
passant repense » (OC 187). Sur un autre mode que dans le poème de
Poe, ­c’est aussi la répétition du même, en ­l’occurrence la multiplica-
tion visuelle des corbeaux sur tous les champs de France (« Par milliers
sur les champs de France » [OC 187]), qui rend possible le devoir de
mémoire. Les corbeaux deviennent ainsi, à leur insu, métonymies du
massacre ; Rimbaud fait ­d’ailleurs de la volée de corbeaux un emblème
unique dans les derniers vers de la strophe 3, où il est question du
devoir de mémoire : « Sois donc le crieur du devoir, / Ô notre funèbre
oiseau noir ! » (OC 187). L­ ’expression « crieur du devoir » renforce ici,
de toute évidence, ­l’antinomie entre le message des corbeaux et toute
théologie de la parole incarnée. Ce sont des cris, et non une parole, qui
signalent la volonté divine. Mais surtout, ces cris ne font ­qu’indiquer
­l’obligation de se remémorer les morts, sur le mode ­d’une loi arbitraire
qui ne donne aucun sens susceptible de prophétiser ce vers quoi le monde
de ­l’après-guerre devrait tendre. Les « cris sévères » des corbeaux font
signe sur le mode de l­’inscription funéraire plutôt que sur celui de la
parole créatrice, la parole faite chair. Il est question pour le passant de
« repenser » au massacre, soit de c­ onsidérer son étendue, de réévaluer ses
causes, plutôt que ­d’expier les crimes de ­l’histoire c­ omme l­’édification
du Sacré-Cœur l­ ’encouragera notamment quelques années plus tard. Les
10 Pour une discussion de la dimension allégorique du « Corbeau » dans les traductions
de Mallarmé, voir Julien Weber, « Ec(h)opoetics in ­Mallarmé’s Translations of “The
Raven” », Dix-Neuf, 19 :3, 2015, p. 274-284.

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anges ­qu’invoque Rimbaud obligent à la remémoration sans pourtant


esquisser le sens de ce devoir. Ils servent un Dieu justicier, mais pas
rédempteur.

UNE CHORÉGRAPHIE MACABRE

La ­complicité du poète avec ce Dieu des armées mérite pourtant


d­ ’être interrogée. De la première à la seconde strophe, on assiste en effet
à un changement ­d’identité de ­l’énonciateur, qui de prieur ­s’improvise
­commandant en chef de l­’« armée étrange » :
Vous, le long des fleuves jaunis,
Sur les routes aux vieux calvaires,
Sur les fossés et sur les trous
Dispersez-vous, ralliez-vous !(OC 187)

Même ironique, cette posture du poète en stratège militaire est assez


rare dans ­l’œuvre de Rimbaud pour ­qu’on ­s’y attarde quelque peu. ­C’est
un aspect du poème qui c­ omplique la lecture de l­ ’allégorie c­ omme satire
de la hiérarchie cléricale, puisque le poète fait lui-même exécuter les
ordres du Seigneur. Mais peut-être que cette strophe fait, précisément,
valoir une autre virtualité du langage allégorique que celle ­d’encoder un
signifié extérieur : elle fait signe vers la lettre du texte dans laquelle elle
intervient. Si le poète se présente sous les traits d­ ’un stratège, l­’image
du stratège peut à son tour servir à mettre en évidence certains aspects
du texte poétique que nous avons devant les yeux.
Cette hypothèse ­n’a rien ­d’extravagant si on ­considère que le mou-
vement de dispersion et de ralliement (« Dispersez-vous, ralliez-vous ! »)
caractérise à la fois la chorégraphie des corbeaux et la disposition des
lettres noires sur la page regroupées en quatre strophes régulières.
Ainsi, plutôt que de signaler de la part de Rimbaud une c­ oncession au
­conservatisme formel de la Renaissance littéraire et artistique, la facture
traditionnelle du poème pourrait être motivée par l­ ’analogie ­qu’elle forme
avec le mouvement des oiseaux représentés – une analogie que renforce
les allitérations en <r> des deux premières strophes en faisant écho aux

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« cris sévères » des corbeaux. Autant par leur disposition graphique que
par leurs sonorités, les mots sur la page semblent mimer le déploiement
et la tonalité criarde, caricaturalement ­convenue, du sinistre cortège.
« Les Corbeaux » rappelle à cet égard un autre poème, d­ ’ailleurs refusé
antérieurement par La Renaissance littéraire et artistique, « Voyelles »,
où le poète réinvente ­l’alphabet. La lettre A y est en effet également
associée à des volatiles charognards : « A, noir corset velu des mouches
éclatantes / Qui bombinent autour des puanteurs cruelles, » (OC 168).
Mais le rapport entre lettres et figures change ­d’un poème à ­l’autre.
Alors que les lettres, dans « Voyelles », correspondent à des couleurs et
des figures ­comme celle de ­l’essaim de mouches, dans « Les Corbeaux »,
ce sont les figures centrales du poème – les oiseaux – qui deviennent,
sinon des lettres, du moins des signes d­ ’inscriptions funéraires, indiquant
­l’emplacement des cadavres sur les champs de bataille. « Les Corbeaux »
accomplit ainsi la démarche inverse de celle de « Voyelles » qui ­consiste
à faire de chaque lettre ­l’instrument ­d’une alchimie nouvelle.
Dans La Chair des mots, Rancière attire notre attention sur le spectre
de la parole muette qui hante les démarches poétiques du xixe siècle.
En réaction à la circulation omniprésente de la lettre écrite dans la cité,
parole orpheline de son maître qui ­s’adresse à ­n’importe qui, à la fois
bavarde et muette, les poètes théâtralisent différentes manières dont la
parole vivante ­s’incarne et voyage, de son origine à son destinataire. Issu
de la poésie romantique (Wordsworth, Hugo), ce rêve de reconduire la
parole à sa puissance originelle n­ ’est bien sûr pas étranger à Rimbaud
et son ambition ­d’inventer une langue nouvelle pour « une nouvelle
résurrection des corps11 ». Force est de ­constater, toutefois, que dans
« Les Corbeaux », la parole incarnée par les messagers de Dieu ­n’a rien
­d’une langue originelle. Il ­s’agit au ­contraire ­d’une parole muette, cou-
pée de son origine (« Les vents froids attaquent vos nids ! » (OC 187)),
à la fois funèbre et criarde, errante et emphatiquement mécanique.
Tout se passe c­ omme si Rimbaud cherchait à faire grincer les rouages
de la vieille poésie lyrique sur un mode parodique pour en exposer la
spectralité inquiétante.

11 Jacques Rancière, La Chair des mots, Paris, Galilée, 1998, p. 69.

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FAUVETTES DE MAI

Cependant, ­s’arrêter à cette dramatisation de la parole muette serait


faire peu de cas du dernier sizain des « Corbeaux » qui introduit les
autres oiseaux du poème, les fauvettes de mai :
Mais, saints du ciel, en haut du chêne,
Mât perdu dans le soir charmé,
Laissez les fauvettes de mai
Pour ceux ­qu’au fond du bois enchaîne,
Dans l­ ’herbe d­ ’où ­l’on ne peut fuir,
La défaite sans avenir. (OC 187)

Souvent citée pour l­ ’antinomie ­qu’elle introduit entre les corbeaux,


messagers hivernaux de mauvais augure, et les fauvettes, messagères du
printemps, cette strophe se démarque en effet des trois précédentes à plus
­d’un égard. L­ ’adresse aux corbeaux, tout ­d’abord, change de ton. Alors
que dans les deux strophes précédentes, les corbeaux sont harangués
­comme des soldats, le « Mais » de cette dernière strophe renoue avec
le mode précatif de la strophe initiale. On retrouve un poète qui prie,
fait une requête, mais à ­l’intention des corbeaux cette fois, et non plus
du Seigneur. Les messagers se distinguent désormais par leur élévation
spirituelle, ils sont nommés « saints du ciel », distinction que renforce
leur position dans ­l’espace « en haut du chêne, / Mât perdu dans le soir
charmé » (OC 187) qui ­contraste avec ­l’évocation ­d’un déploiement
horizontal dans les strophes centrales. En outre, la métaphore de ­l’arbre
­comme le mât ­d’un navire – un topos de la poésie lyrique ­qu’on retrouve
notamment dans certains poèmes urbains de Baudelaire (« Paysage ») –
ne manque pas de ­conférer une certaine unité au tableau. Prieur, saints
et cadavres enfouis se trouvent désormais rassemblés dans un même
navire qui se détache de ­l’horizon crépusculaire.
Cependant, ce qui fait la singularité de ­l’espoir de renaissance évoqué
dans la dernière strophe, ­c’est que, bien ­qu’énoncé sous la forme d­ ’une
prière, il ­s’impose en fait c­ omme un espoir radicalement profane. Le poète
­n’enjoint plus les corbeaux à agir, c­ ’est-à-dire à crier « le devoir ». Il leur
demande au c­ ontraire de suspendre toute action, ­d’épargner les fauvettes
de mai, des oiseaux qui s­ ’opposent aux corbeaux par leur fragilité et leur

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PRIÈRE D
­ ’ARTHUR RIMBAUD 91

légèreté, mais surtout qui annoncent ­l’arrivée du printemps : « Laissez


les fauvettes de mai / Pour ceux q­ u’au fond du bois enchaîne, / (…) la
défaite sans avenir. » (OC 187). Comme Steve Murphy nous le rappelle
à la suite de Christophe Bataillé, ­l’évocation des fauvettes de mai rompt
avec ­l’isotopie religieuse du poème :
Les fauvettes représentent en effet le chant de liberté de la révolution ; elles
­combinent les implications des motifs coréférentiels de trois poèmes de 1871 :
le « soir fauve » où les ouvriers du faubourg s­ ’assemblent dans une atmosphère
pré-révolutionnaire dans « Les Poètes de sept ans », le « fauve renouveau » de
la Commune évoqué après la Semaine sanglante dans « ­L’Orgie parisienne
ou Paris se repeuple » et le « papillon de mai » du « Bateau ivre ». (RC 802)

Ironiquement, ce n­ ’est ­qu’au prix de ­l’immobilité des messagers de


Dieu « en haut du chêne » (OC 187) ­qu’un chant d­ ’espoir peut résonner
dans le poème. Les corbeaux, inscriptions funéraires du massacre, ne
peuvent c­ ontribuer à ­l’annonce d­ ’une renaissance q­ u’en s­ ’effaçant, ou en
laissant ­d’autres signes, oublieux du devoir de mémoire, ­s’inscrire à leur
côté. Résolument exclu de l­ ’imprécation initiale du poète au Seigneur,
­l’espoir ne peut être énoncé que sur le mode ­d’une ligne de fuite, selon
le ­concept cher à Deleuze et Guattari, soit une ligne de rupture où les
tropes dominants du poème (messagers, saints, crieur du devoir) sont
rendus caducs.
À cet égard, il c­ onvient de noter que cette dernière strophe marque
également un changement décisif quant à la figuration du temps. Alors
que le poème s­’ouvre sur l­’évocation d­ ’un temps répétitif, mécanique
et stérile (« quand froide est la prairie, » (OC 187)) que seul le souvenir
obsédant des morts vient interrompre, il ­s’achemine dans la dernière
strophe vers ­l’esquisse d ­ ’un moment crépusculaire, caractérisé par le
passage de l­ ’hiver au printemps et du jour à la nuit, en un lieu c­ oncret,
au pied d­ ’un chêne. L­ ’expression « dans le soir charmé » (OC 187) nous
invite ainsi à attribuer à l­’horizon un regard affecté par l­’impression
du temps qui passe. ­L’usage de rimes internes rompt aussi la cadence
répétitive et excessivement allitérative des vers précédents (vers saturés
de <r>, rimes en <ous> « trous-vous-vous »). La reprise de « Mais » en
« Mât » puis en « -mé » de « charmé » et « mai » fait notamment saillir
un dégradé de différences sonores plutôt subtiles qui c­ ontrastent avec
le côté mécanique des rimes précédentes.

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92 JULIEN WEBER

S­ ’il est question de temps qui passe cependant, ce ­n’est pas la


linéarité du temps qui est le plus mise en évidence. Cette dernière
strophe dramatise en effet une sorte de dislocation du temps linéaire en
juxtaposant des valeurs temporelles hétérogènes. ­D’une part, le chêne
évoqué rassemble sur une même branche les corbeaux de l­ ’hiver et les
fauvettes du printemps. Mais surtout, le chant de renouveau auquel
les fauvettes sont associées s­’adresse ici, non plus aux passants de la
troisième strophe, mais aux vaincus, soit à ceux qui ont précisément
éprouvé ­l’échec de la révolution de mai, « la défaite sans avenir ». Ainsi,
le chant n­ ’annonce pas l­ ’avènement d­ ’un monde nouveau, il laisse plutôt
résonner une espérance entretenue antérieurement à la défaite. L­ ’espoir
de renouveau, au moment même de son énonciation, se trouve aussitôt
traversé ­d’une faille. Rimbaud, dans cette dernière phrase, multiplie
­d’ailleurs les appositions et les inversions syntaxiques, de sorte que le
sujet grammatical qui détermine le sens de toute la proposition, « la
défaite sans avenir », ­n’intervient ­qu’à la fin du poème, ­comme les
« deux trous rouges au côté droit » (OC 112) dans « Le Dormeur du
val ». Nous sommes invités à apprécier ­l’irruption printanière du chant
des fauvettes, avant d­ ’apprendre que c­ ’est aux vaincus de la Commune
­qu’elles s­’adressent, et donc à des destinataires bien incapables de
répondre au renouveau annoncé.
Les fauvettes de mai rappellent à cet égard, ­comme le suggère Murphy,
les papillons de mai du « Bateau ivre ». Alors que Rimbaud exalte, tout
au long de ce poème, la découverte de terres, de faunes et de sensations
nouvelles, ­l’avant-dernière strophe évoque le désir désabusé ­d’une eau
« noire et froide » où un enfant « accroupi, plein de tristesses, lâche / Un
bateau frêle c­ omme un papillon de mai » (OC 164). Le geste de lâcher
un bateau de papier fait ainsi écho à la prière ­d’épargner les fauvettes
de mai dans « Les Corbeaux ». Dans les deux cas, il ­s’agit ­d’un don
dérisoire : un don qui ne donne pas à percevoir un monde nouveau
(« ces poissons ­d’or, ces poissons chantants » que le poète aurait voulu
montrer aux enfants (OC 163)), mais qui laisse résonner le chant d­ ’un
espoir antérieur ­comme signe pur, dissocié de toute promesse de salut,
délesté de ­l’avenir ­qu’il est censé prophétiser.
En définitive, l­ ’irruption des fauvettes de mai dans « Les Corbeaux »
nous fait entendre ce que Rancière nomme « ­l’autre musique » de la poésie
de Rimbaud : « la parole de l­ ’incompté, la romance idiote de l­ ’obscure

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PRIÈRE D
­ ’ARTHUR RIMBAUD 93

infortune12 ». Pour Rancière, en effet, ce ­n’est pas par le programme de


la voyance – le verbe accessible à tous les sens – que Rimbaud se dis-
tingue le plus singulièrement de ses ­contemporains, mais au ­contraire
par la faille q ­ u’il a incluse dans son propre programme. Si Rimbaud
a nourri le rêve d ­ ’écrire le script chorégraphique d ­ ’une ­communauté
à venir, ses poèmes se laissent aussi toujours traverser par le deuil de
cette langue nouvelle. Rimbaud ne peut être défini ­comme un poète
­d’avant-garde pour Rancière dans le sens où ses poèmes deviennent
« la musique inouïe de cette imparité – de cette mendicité – qui vient
travailler au corps les grands hymnes et les grandes prophéties13 ». « Les
Corbeaux », ­comme ­j’ai essayé de le montrer, nous laisse entendre cette
« imparité » de plus d ­ ’une manière. Tout d ­ ’abord, Rimbaud utilise
­l’allégorie animale pour théâtraliser l­’incarnation du Verbe divin sur
un mode parodique. ­C’est par une parole évidée de toute promesse de
rédemption – un croassement funèbre qui donne visibilité aux morts
anonymes – que le poète souhaite voir la volonté de Dieu se manifester
sur terre. Cette parole muette s­ ’avère toutefois bien incapable de refouler
­l’espérance révolutionnaire, une espérance qui ne ­s’énonce certes plus
­comme le chant ­d’un peuple en marche mais ­comme une archive vivante,
sur le mode mineur des fauvettes de mai.

Julien Weber
Middlebury College

12 Jacques Rancière, op. cit., p. 82.


13 Ibid., p. 74.

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