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sauvage
1 Arthur Rimbaud, Œuvres complètes, éd. André Guyaux, Gallimard, « La Pléiade », 2009,
p. 188. Dorénavant désigné à l ’aide du sigle (OC) suivi du numéro de la page.
4 Jacques Derrida, Mémoires pour Paul de Man, Paris, Galilée, 1988, p. 34. Pour une dis-
cussion du double langage de l’allégorie, voir aussi Paul de Man, The Resistance to Theory,
Minneapolis, University of Minnesota Press, 1986, p. 68-69.
5 Jérôme Thélot, La Poésie précaire, Paris, PUF, « Perspectives littéraires », 1997, p. 68.
6 Ibid., p. 70. Comme ce passage le suggère, le propos de Thélot consiste en grande partie
à faire de la prière l’essence mal assumée de la poésie, ce qui revient bien sûr à minimi-
ser la portée subversive et politique de cette dernière. Dans ce qui suit, je ne souscrirai
pas à cette « catholicisation » des poèmes anticléricaux de Rimbaud. Cependant, les
lectures de Thélot ont à mon sens le mérite d ’attirer notre attention sur une imbrication
conflictuelle des langages poétique et religieux dans des poèmes souvent réduits à leur
message anticlérical.
7 Sara Lucia Giranzani, Apocalypse de la parole : l’hypotexte biblique dans l’œuvre d’Arthur
Rimbaud, Milan, Université catholique du Sacré Cœur, 2012/2013, p. 68.
8 Je me réfère ici à la parole créatrice célébrée dans l’évangile de Saint-Jean : « La Parole
est devenue chair ; / elle a fait sa demeure parmi nous, » (Jean. 1. 14-15).
« cris sévères » des corbeaux. Autant par leur disposition graphique que
par leurs sonorités, les mots sur la page semblent mimer le déploiement
et la tonalité criarde, caricaturalement convenue, du sinistre cortège.
« Les Corbeaux » rappelle à cet égard un autre poème, d ’ailleurs refusé
antérieurement par La Renaissance littéraire et artistique, « Voyelles »,
où le poète réinvente l’alphabet. La lettre A y est en effet également
associée à des volatiles charognards : « A, noir corset velu des mouches
éclatantes / Qui bombinent autour des puanteurs cruelles, » (OC 168).
Mais le rapport entre lettres et figures change d’un poème à l’autre.
Alors que les lettres, dans « Voyelles », correspondent à des couleurs et
des figures comme celle de l’essaim de mouches, dans « Les Corbeaux »,
ce sont les figures centrales du poème – les oiseaux – qui deviennent,
sinon des lettres, du moins des signes d ’inscriptions funéraires, indiquant
l’emplacement des cadavres sur les champs de bataille. « Les Corbeaux »
accomplit ainsi la démarche inverse de celle de « Voyelles » qui consiste
à faire de chaque lettre l’instrument d’une alchimie nouvelle.
Dans La Chair des mots, Rancière attire notre attention sur le spectre
de la parole muette qui hante les démarches poétiques du xixe siècle.
En réaction à la circulation omniprésente de la lettre écrite dans la cité,
parole orpheline de son maître qui s’adresse à n’importe qui, à la fois
bavarde et muette, les poètes théâtralisent différentes manières dont la
parole vivante s’incarne et voyage, de son origine à son destinataire. Issu
de la poésie romantique (Wordsworth, Hugo), ce rêve de reconduire la
parole à sa puissance originelle n ’est bien sûr pas étranger à Rimbaud
et son ambition d’inventer une langue nouvelle pour « une nouvelle
résurrection des corps11 ». Force est de constater, toutefois, que dans
« Les Corbeaux », la parole incarnée par les messagers de Dieu n’a rien
d’une langue originelle. Il s’agit au contraire d’une parole muette, cou-
pée de son origine (« Les vents froids attaquent vos nids ! » (OC 187)),
à la fois funèbre et criarde, errante et emphatiquement mécanique.
Tout se passe c omme si Rimbaud cherchait à faire grincer les rouages
de la vieille poésie lyrique sur un mode parodique pour en exposer la
spectralité inquiétante.
FAUVETTES DE MAI
Julien Weber
Middlebury College