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POUR ENSEIGNER / 1
L'énoncé,
le texte, la phrase
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CLAUDE aX
VARGAS
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ARMAND COLIN
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GRAMMAIRE
POUR ENSEIGNER
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GRAMMAIRE
POUR ENSEIGNER
CLAUDE VARGAS
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ARMAND COLIN
Ce logo a pour objet d’alerter le lecteur sur la menace que
DANGER représente pour l'avenir de |’écrit, tout particuliérement dans le
domaine universitaire, le développement massif du « photo-
copillage ».
Cette pratique qui s’est généralisée, notamment dans les éta-
blissements d’enseignement, provoque une baisse brutale des
achats de livres, au point que la possibilité méme pour les
auteurs de créer des ceuvres nouvelles et de les faire éditer
correctement est aujourd’hui menacée.
Nous rappelons donc que la reproduction et la vente sans
autorisation, ainsi que le recel, sont passibles de poursuites.
LE Les demandes d’autorisation de photocopier doivent étre
PHOTOCOPILLAGE adressées a |'éditeur ou au Centre frangais d’exploitation
TUE LE LIVRE ee
IV
TABLE DES MATIERES
TOME 1
L’ENONCE, LE TEXTE, LA PHRASE
II. LE TEXTE
Oar est=ce queun texte? henner SAE 52
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MENU SELONEE 12)
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La typologie des textes 7.22.5 :2: 25d cited 5b reer cen esos faeces ee eee Mson sons 81
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COGIC Sie cape tite sd0e. ca ov ateaetae suesecssstvesst yt areencepee a cea ce esa each ek ons ae danit eg nntsine 85
Ill. LA PHRASE
Phrase-type et phrase-OCcurrence ...0.0..0....... cc eccsscsenssseeessesencesssseeenteseseneesensenes 90
EXON GIO arrester teers aticoe cana ease cov ke oeton PauDancoe a autah acdeasliertus vatttnn sotorts sWisndeanostee aan sMosm meee 96
CONTIG: areata sects a cessctetenea, Uyescticteohy sees eae yess aha antec eer anne elone Tercera 97
I. LE VERBE
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Corrigés
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Exercice
Corrigé .
Il. LE SUJET
TOD TOT CCNGIN SJCEees cacccccer es tees el tosee cs octacang ioe onebee ect erased las so Piravavensusnaonserenraeae 97
EET CLCOS caus sates so occas chuccds uae hn coucub tuvebeze pont woelame cet ance e tan eseet eu sab avian skSatemetuestar ass saeco 102
COI BES, sive.coscse crncus sek cn dasse cent Sec textesSoe nego es essa ue ost Resta cee acetate er ete aa 103
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L’expansion du nom : la subordonnée complétive....................c.ccccccccceseeeeeeeees 173
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IV. L-ATTRIBUT
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PREFACE A LA DEUXIEME EDITION
La premiere édition de notre Grammaire pour enseigner a recu un accueil favorable de la part
des enseignants, des étudiants et des stagiaires en IUFM. Mais elle a ¢a et 1a suscité quelques
regrets : si elle contenait de nombreux exemples, le nombre d’exercices proposés a parfois
été jugé insuffisant pour des enseignant(e)s débutant(e)s que leurs études universitaires et/ou
leurs activités professionnelles et culturelles avaient largement éloigné(e)s des préoccupa-
tions grammaticales, et qui avaient besoin de s’exercer a la réalisation d’ analyses pour ancrer
leurs connaissances et vérifier qu’elles étaient correctement assimilées et opératoires. En
outre, faute de place, certaines notions n’étaient peut-étre pas toujours suffisamment
explicitées.
Par ailleurs, alors qu’elle était auparavant réservée au secondaire (et au supérieur), la
grammaire textuelle a fait officiellement son entrée a |’école élémentaire (La maitrise de la
langue al’école, ministére de |’ Education nationale et de la culture, CRDP. Savoir lire, 1992),
ouvrant ainsi aux enseignants du premier degré un champ nouveau de connaissances a
maitriser. Cette ouverture a été confirmée par les nouveaux programmes de 1994 : désormais,
la grammaire de texte, le probleme de la définition de la phrase dans le texte, etc. ne peuvent
plus étre ignorés par les instituteurs et les professeurs des écoles. I] nous est apparu que,
désormais, les savoirs grammaticaux que devaient posséder un professeur des écoles et un
professeur de francais des colleges ou du technique n’étaient pas si différents.
La présente édition en deux volumes (tome 1 : L’énoncé. Le texte. La phrase ; tome 2:
Phrase-noyau et phrase étendue) se propose de répondre aux souhaits manifestés par les
utilisateurs et a la nouvelle situation créée. [I] s’agit donc d’une édition entiérement revue,
corrigée, complétée et largement refondue, organisée en trois grandes parties.
— Le premier volume expose les principales données de la grammaire textuelle, indispen-
sables aujourd’hui pour enseigner l’écrit a l’école élémentaire, dans les colléges et
Venseignement technique. Cela nous a permis en particulier de reconsidérer la notion de
Dhrase, en la plagant non seulement dans la perspective de l’énoncé, mais aussi dans celle
du texte. Nous avons ainsi redéfini les rapports de la phrase a |’ énoncé, et les rapports de la
phrase-modéle (ou phrase-type) des exemples de grammaire aux phrases qui fonctionnent
effectivement dans les textes. Nous avons en outre consacré tout un chapitre a la ponctuation,
pour répondre aux demandes manifestées par les usagers en formation, et parce que la phrase
dans le texte peut poser des problémes de ponctuation, ou que la ponctuation peut poser des
problémes d’identification de la phrase dans le texte. Problémes que ne pose pas la
phrase-modéle isolée des manuels de grammaire. Nous avons également ajouté des
informations concernant la phonétique et la phonologie, qui manquaient dans la premiére
édition, et dont on trouvera l’usage dans le tome 2.
— Dans le second volume, nous avons restructuré la suite de notre grammaire en deux
grandes parties d’importance inégale : la « phrase-noyau » et la « phrase étendue », afin de
mieux lier les fonctions grammaticales et syntaxiques aux structures fondamentales de la
phrase. La encore, nous avons pu préciser certaines notions et en développer d’ autres. En
outre, nous nous sommes efforcé de simplifier la terminologie.
— A la fin de chaque volume, nous avons fourni des références bibliographiques qui
pourront permettre a ceux et a celles qui le désirent, de pousser plus loin leurs investigations,
1
PREFACE A LA DEUXIEME EDITION
étant bien entendu que, la encore, nous nous sommes limité aux principaux ouvrages
abordables en particulier par un public de non-spécialistes, voués, pour on ne sait combien
de temps encore, a la bivalence ou 4 la polyvalence disciplinaire.
Mais surtout, cette nouvelle édition nous a permis de proposer de nombreux exercices avec
leurs corrigés pour pratiquement tous les chapitres, ces exercices portant soit sur des phrases,
soit sur des textes d’auteurs (ce qui permet d’étre confronté aux réalités de l’usage élaboré
de la langue), soit sur des textes d’enfants (ce qui nous parait trés important pour de futurs
enseignants, voire des enseignants déja en poste). A propos des textes d’enfants que nous
avons retenus, nous en garantissons solennellement |’authenticité. Les seules modifications
réalisées ont été, outre leur dactylographie, le toilettage orthographique et, selon le cas, le
rétablissement d’une ponctuation « normale ». Mais toutes les opérations effectuées sur les
textes originaux ont toujours été clairement précisées. Nous pensons que les exercices sur les
productions d’enfants devraient permettre, dans bien des cas, a |’adulte de prendre du recul
par rapport 4 ses réactions spontanées devant certains textes d’enfants dont les qualités ne se
manifestent pas a |’évidence.
Les exercices présentent trois niveaux de difficulté, signalés par des astérisques :
<3 : facile
**% : assez facile
aos : difficile
Chacun(e) pourra ainsi apprécier son niveau et mesurer ses progrés.
Nous espérons que, tel qu’il est congu, cet ouvrage en deux volumes pourra aider
efficacement dans sa tache le public d’enseignants et de futurs enseignants du premier et du
second degrés auquel il s’adresse.
N
Je tiens a remercier les collégues, les étudiants et les stagiaires dont les remarques, les
suggestions, les demandes m’ont été précieuses.
3
AVANT-PROPOS
phrase qui veut dire quelque chose d’intéressant a une phrase « minimale » sans intérét autre
que grammatical ; « enrichir » une phrase honteusement démunie pour en faire une parvenue
boursouflée) qu’on améliorera les capacités d’expression des enfants.
Si l’on se penche du cété des maitres, on constate que les jeunes stagiaires ont du mal a
réussir leurs séquences de grammaire. Non seulement parce qu’ils sont confrontés a un type
de grammaire qu’ils ne connaissent pas, mais aussi parce que, méme en appliquant ce que
proposent les manuels, ils se heurtent 4 des difficultés avec les enfants, difficultés qu’ils
imputent dans la plupart des cas a leur manque de maitrise pédagogique, alors que bien
souvent ces difficultés proviennent des contenus et/ou des démarches que 1’on tente de faire
découvrir ou de mettre en ceuvre. Le probléme est que méme chez des maitres chevronnés,
ce type de difficultés existe, comme en témoignent les remarques et les demandes formulées
lors des stages de formation continue : méme parés de nombreuses années de pratique, un réel
malaise, né de difficultés non résolues, subsiste concernant l’enseignement grammatical a
l’école élémentaire. Dans de nombreux cas, les maitres imputent ces difficultés a une
insuffisance de leur formation, alors qu’en réalité, répétons-le, elles proviennent du type
méme de grammaire scolaire qu’ils doivent enseigner.
Il faut l’admettre, méme si le constat est douloureux, la grammaire des années 1970-80 est
un échec par rapport aux espoirs que |’on avait placés en elle.
Cela dit, il convient d’en analyser les causes et de proposer des remédes.
Lorsque l’on s’est trouvé dans les années 1960 dans la situation de rénover |’ enseignement
du frangais en général et de la grammaire en particulier, on s’est tourné tout naturellement
vers les modéles qui étaient alors dominants. En syntaxe, la Grammaire générative et
transformationnelle de Chomsky venait de secouer le monde linguistique international et
apparaissait comme le E= MC2 de cette discipline au regard de nombreux linguistes et
grammairiens. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que Chomsky avait sorti deux modeéles 4 peu
d’années d’intervalle : le premier, publié aux Etats-Unis en 1957 et traduit en France en 1969
sous le titre Structures syntaxiques, présentait un modéle formel, c’est-a-dire que le modéle
grammatical élaboré ne faisait pas appel au sens, méme si le probléme sémantique
(c’est-a-dire le probléme du sens) était posé. Ce modéle était déja trés complexe. En 1965,
a la suite des critiques que son premier ouvrage avait suscitées, Chomsky publiait un second
modele, tiré du premier, qui était traduit en France en 1971 sous le titre Aspects de la théorie
syntaxique. Tout en gardant son caractére formel, cette seconde version remodelait la théorie
pour intégrer dans ses principes de base le paramétre sémantique. Cette version, on s’en
doute, était encore plus complexe que la premiére, qu’elle améliorait sensiblement. Trop
complexe pour qu’on pit envisager une quelconque adaptation pour |’école élémentaire.
C’est donc la premiére version qui servit de repére, alors méme qu’elle était partiellement
falsifiée par son auteur lui-méme.
En outre, on peut avancer que la grammaire scolaire de l’époque n’a pas puisé a cette seule
source : a la grammaire générative et transformationnelle elle a emprunté une partie de la
terminologie et des représentations formelles, mais |’essentiel de ses démarches analytiques
s’est inspiré du distributionnalisme et de l’analyse en constituants immédiats. Encore
faudrait-il s’assurer que les sources ont bien été fournies par les textes fondateurs, plutdt que
par des ouvrages de vulgarisation.
Mais méme vulgarisés, les modéles théoriques restaient abstraits. Il fallait didactiser.
Didactiser, cela signifie se poser la question de savoir quels sont les rapports de |’enfant de
sept a onze ans a la langue et au langage ; quelles sont ses démarches intellectuelles ; et en
4
Avant-propos
fonction des réponses, adapter le modéle et les démarches. Les didacticiens qui auraient pu
poser ces questions n’étaient pas suffisamment linguistes ; les linguistes n’étaient pas
didacticiens. Et malgré les efforts des uns et des autres, la didactisation des modéles n’a pu
tre autre chose que leur simplification, ce qui n’ira pas sans produire des effets pervers.
On conservera les aspects les plus voyants de la grammaire générative et transformationnelle,
tels les régles de réécriture ou les indicateurs syntagmatiques rebaptisés « arbres ». On
conservera le parti-pris du formalisme, la priorité donnée aux catégories sur les fonctions
(nombreux furent les maitres, au début des années 1970, se demandant, désemparés, si le
sujet et le complément existaient toujours et si on avait encore le droit d’en parler aux
enfants). Mais on ne pouvait conserver le modéle génératif-transformationnel sous sa forme
originelle, modéle construit par le linguiste et qui postulait des « structures profondes »
abstraites et des régles complexes de transformation permettant de passer de ces structures
profondes aux structures dites « de surface », derniére étape du processus transformationnel
avant les phrases réelles. Ce modéle, qui se voulait explicatif, était totalement hors de portée
de l’enfant. On le simplifiera donc pour obtenir un modéle dérivé, formel, mais moins
abstrait. Ou plus précisément, on le combinera avec un autre modéle qui, lui, fonctionne au
niveau des phrases réalisées — les seules réellement accessibles au jeune enfant —, en
mettant en ceuvre des procédures simplifiées de déplacement, de substitution, d’ effacement,
etc:
On a construit ainsi un modéle d’analyse d’hybride, caractérisé par un souci évident de
formalisme, mais présentant des distorsions importantes avec les modéles théoriques qui
avaient pu servir de référence.
Si cette grammaire scolaire n’a pas répondu aux espoirs qu’on avait placés en elle, ce n’est
certainement pas di au fait qu’on a utilisé des arbres ou des régles de réécriture du type
P—>GN+GV
ou qu’on a parlé de déterminant possessif plutdt que d’ adjectif possessif. Ce serait la prendre
le probléme par le petit bout de la lorgnette.
Il y a peut-étre des causes d’ordre pédagogique, qui étaient déja a l’ceuvre dans |’échec de
la grammaire scolaire « traditionnelle », et qui tiennent au fait que l’enfant peut vivre une
certaine forme d’enseignement grammatical comme une contrainte scolaire a laquelle il doit
se soumettre parce que c’est prévu par les programmes, les manuels et |’emploi du temps,
sans jamais comprendre trés bien a quoi cela peut lui servir. On ne peut guére tirer de profit
d’une activité 4 laquelle on ne peut donner de sens. Cet aspect pédagogique, pour important
qu’il soit, ne sera pas approfondi ici.
Une autre cause, singuliére celle-la, peut étre retenue, a savoir que cette nouvelle grammaire
scolaire proposait dés le début de la scolarité élémentaire, et tout au long de celle-ci, des
analyses exclusivement formelles.
On a oublié que le rapport fondamental de |’enfant au langage est un rapport sémantique (le
langage sert a dire le monde, 4 exprimer sa pensée et ses sentiments) et un rapport
pragmatique (le langage sert a établir des relations avec |’ Autre, a agir sur lui, a se situer par
rapport a lui) : dire « j’ai faim », c’est a la fois fournir une information concernant un besoin
et en réclamer la satisfaction.
Le rapport formel au langage chez |’enfant existe, mais il est essentiellement de type ludique
(jeu de « on serait... », « oui c’est non », « ni oui ni non », charades, etc.). La distanciation
5
AVANT-PROPOS
« sérieuse » de l’objet langue au plan formel se révélera d’ ailleurs plus aisée chez |’enfant
de milieu socioculturellement favorisé que chez l’enfant de milieu socioculturellement
modeste, qui apparait plus largement immergé dans la relation sémantico-pragmatique au
langage. D’ou le dialogue de sourds que tant de maitres vivent réguli¢rement :
Le maitre — Dans la phrase : les éléves sérieux réussissent, je peux effacer « sérieux », ce
sera toujours une phrase.
L’éléve — Non, on peut pas, parce que ¢a veut pas dire la méme chose.
Le maitre — Oui, mais c’est quand méme une phrase.
L’éléve — Oui, mais c’est pas pareil, parce qu’ avant ¢a voulait dire : y a que certains éleves
qui réussissent, et aprés ca veut dire qu’ils réussiront tous. Alors ga marche pas, on peut pas
leffacer.
Et la confrontation peut durer longtemps jusqu’a ce que l’enfant se soumette a I’autorité
magistrale, sans pour autant étre convaincu : pour lui, peu importe que ce soit toujours une
phrase (aspect formel) puisque |’on a totalement changé le contenu. C’est une autre phrase.
Et c’est l’enfant qui a raison. On constate sur un exemple de ce type (et il en est
malheureusement de nombreux autres) que la démarche grammaticale utilisée va a |’encontre
de la démarche naturelle de I’enfant et que dans bien des cas on transforme en obstacle des
connaissances empiriques, des représentations, un sentiment linguistique justes au lieu de
s’en servir comme tremplins. Simplifier, ce n’est pas didactiser.
Une question vient alors tout naturellement a |’esprit : pourquoi avoir attendu si longtemps
pour procéder aux remises en cause et proposer des solutions de rechange ? Pour des raisons
multiples. Le recensement des difficultés des éléves et des maitres n’est pas immédiat. I y
a le temps normal des tatonnements, des approximations dans |’ appropriation et la mise en
ceuvre des nouveaux contenus et des nouvelles démarches, phase durant laquelle on peut
apprécier la difficulté 4 maitriser une nouvelle méthode davantage que la méthode elle-méme.
Ensuite, |’interpellation d’un modéle didactique qui pouvait se réclamer d’un modéle
théorique prestigieux au plan scientifique n’avait rien d’évident. Enfin, les années 1980 ont
braqué les projecteurs didactiques sur la lecture, avec en second plan |’expression écrite, et
c’était la effectivement des urgences nationales. Tout a concouru 4 faire qu’on ne s’est pas
penché avec plus de sérieux et de détermination sur le probléme de l’enseignement
grammatical, méme si celui-ci constituait une préoccupation des maitres, les manuels
continuant a se multiplier 4 un rythme soutenu, en n’apportant que des modifications de détail
au modéle régnant.
Est-ce a dire que pour mieux faire découvrir et assimiler une grammaire davantage adaptée
a la réalité des enfants, les maitres devront procéder a une nouvelle et totale remise en cause
de ce qu’ils ont plus ou moins péniblement réussi 4 acquérir dans les années 70-80 ? (Le
probleme ne se pose pas en ces termes pour les étudiants d’IUFM, les stagiaires et les
professeurs des écoles qui, de toutes facons, pour la grande majorité d’entre eux, se
retrouvent dans ce domaine en situation de néophytes : que reste-t-il chez un adulte de plus
de vingt ans des huit années d’enseignement grammatical — deux cents a deux cent
cinquante heures de grammaire francaise, auxquelles il faudrait ajouter les heures de
grammaire de langues étrangéres, vivantes ou mortes !). Non, la remise en cause ne saurait
Etre totale (et les textes officiels ne sauraient étre bafoués). Il n’est pas question en particulier
de revenir sous une forme ou une autre a la grammaire traditionnelle qui a fait les preuves
de ses limites. Ce que les maitres ont acquis reste utile du fait que c’est dans ce cadre que
la grammaire didactique exposée dans les chapitres ‘qui suivent est pensée.
6
Avant-propos
Cette grammaire ne vise en aucun cas |’exhaustivité des savoirs grammaticaux actuels, tant
s’en faut. En particulier, dans les grammaires qui se veulent relativement completes, de
nombreux points font partie des zones périphériques de la langue, qui ne présentent aucun
intérét pour les apprentissages que doit réaliser l’enfant de l’école élémentaire, voire du
collége. C’est pourquoi on ne les trouvera pas ici. Elle ne se limite pas toutefois aux
programmes de |’école élémentaire et du collége, mais ceux-ci constituent sa référence : elle
veut donner aux maitres les connaissances qui leur permettront de dominer suffisamment les
problémes, d’y voir plus clair dans un enseignement grammatical rénové, pour permettre aux
éléves de mieux réussir.
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INTRODUCTION
Question désormais banale posée a I’ orée de la plupart des ouvrages grammaticaux, comme
si leur existence et leur fonction n’allaient plus désormais de soi. Ce qui n’est pas tout a fait
faux.
Jadis, dans les textes officiels pour les écoles primaires l’enseignement grammatical se
justifiait essentiellement par la nécessité de maitriser l’orthographe ; pour les classes
élémentaires des lycées et colléges, par celle de maitriser le bon usage, de développer |’esprit
logique, d’analyser les textes littéraires, de permettre avec |’étude du latin, et plus tard du
grec, d’apercevoir les fondements d’une grammaire générale. C’était au XIX® siécle, sous le
second Empire. Depuis pas mal de choses ont changé. On répugne a reconnaitre a la
grammaire une fonction aussi triviale que celle de se mettre fondamentalement au service de
lVorthographe. On lui préfére des justifications plus proches de celles qu’on avangait pour les
classes élémentaires. Selon les €poques, on lui a attribué des finalités diverses. Depuis les
années 1970, on lui demande de conférer une maitrise de la langue susceptible d’améliorer
expression orale, mais surtout écrite, des enfants, et plus réecemment (Unstructions officielles
de 1985) de les initier 4 la démarche scientifique.
Examinons plus particuli¢rement dans quelle mesure l’enseignement grammatical serait
susceptible d’améliorer |’expression écrite des enfants, abstraction faite des inadéquations
évoquées dans notre avant-propos.
GRAMMAIRE ET ECRIT
Notons d’abord que le langage n’est pas forcément de nature linguistique : le geste, la
mimique, participent de la communication 4a I’oral ; le dessin, la couleur, la taille des lettres
(les « gros titres » des journaux), etc. de la communication graphique et/ou écrite. Et nous
n’évoquerons pas la musique ou le langage des fleurs... Mais ce ne sont pas la des objets
qu’étudie la grammaire. Du point de vue de la compétence communicationnelle générale,
lapport grammatical connait donc des limites.
Le langage articulé, oral ou écrit, met en ceuvre des éléments linguistiques. On admet
communément que la production d’un discours se fait a partir des données de la langue ; en
gros, en choisissant des unités lexicales pour les combiner selon les régles de la syntaxe. La
réalité est quelque peu différente. Il existe en effet, a la disposition des locuteurs, une masse
de discours déja-la, énoncés, bribes d’énoncés, qui circulent dans la société et que les
locuteurs reprennent tels quels ou en les modifiant. C’est le prét-a-porter du langage, qui
permet une économie considérable dans |’ activité de mise en mots d’un message. Ainsi, quels
que soient l’age, le sexe, le milieu socioculturel ou la région, tous les Frangais utilisent
quotidiennement des phrases toutes faites telles que: « Quand c’est qu’on mange ?
Passe-moi le sel. Rentre pas trop tard. Fais attention en traversant la rue, etc. » ; ou bien des
morceaux de phrases : « Bon, c’est pas tout ¢a, mais maintenant 1’faut... ; On dira ce qu’on
9
INTRODUCTION
voudra, mais... ; Vous savez, moi, ce que j’en dis... ; Plus ga va et plus... » ; ou bien des
groupes de mots tout préts : « la chute du communisme, le malaise des banlieues, le probleme
de l’intégration des immigrés », etc.
Ces éléments plus ou moins étendus sont articulés entre eux pour constituer des énoncés
« recevables ». Cette articulation se réalise par la mise en ceuvre des ressources qu’ offre la
langue. C’est 1a qu’elle intervient en fait, en tant que systéme de signes et de régles
permettant de générer des discours recevables.
La langue est structurée a différents niveaux :
— Le niveau phonologique, dont les unités sont en nombre fini et qui est le niveau le plus
fortement structuré (ce qui n’empéche pas des évolutions diachroniques, telles que la
disparition du /@/ assimilé a /é/: « brun » est prononcé comme « brin » par la majorité des
Francais aujourd’hui, mais les plus 4gés font davantage la distinction que les jeunes ; ou des
disparités géographiques : les méridionaux ont un systéme phonologique réduit par rapport
aux gens d’oil).
— Le niveau syntaxique, encore fortement structuré, mais de maniére différente, et qui
constitue le domaine de prédilection de la grammaire scolaire.
— Le niveau lexical, dont les unités sont en nombre ouvert, et qui est le plus faiblement
structuré.
Les éléments de discours déja-la préts a l’emploi sont constitués a partir du systéme de la
langue, ce ne sont pas des discours qui de ce point de vue seraient d’une nature particuliére.
Toutefois les produits dégagés par |’ analyse grammaticale ne correspondent pas enti¢rement
aux ingrédients de l’activité de production, constituée, elle, pour partie par le recours aux
éléments de discours déja-la et pour partie a ’utilisation du systeme de la langue. Et parfois
par l’utilisation créative du systéme de la langue. Ainsi,
(1) Le malaise des cadres, ¢a désespére pas Billancourt.
10
Introduction
ne s’agit pas de nier la possibilité de créations originales, mais celles-ci restent limitées. Le
cas limite de la création originale est offerte par la poésie. Lorsque Eluard écrit :
il est é€vident qu’a aucun moment il ne recourt a des formules déja-la, mais qu’il utilise
directement les potentialités qu’offre la langue, et méme qu’il les exploite au maximum
(existe-t-il quelque part une régle qui interdise de parler de la lumiére du brouillard ou de la
verdure des ténébres ?).
Une grammaire est une construction destinée 4 fournir une description de la structure et des
régles d’une langue. Il existe des « écoles » grammaticales — ou linguistiques — différentes,
qui fournissent des modéles de description rigoureux mais différents. Cependant dans tous
les cas, pour les raisons que nous venons de voir, les descriptions fournies par les grammaires
ne peuvent constituer une simple objectivation de la pratique langagiére des sujets. En
d’autres termes, l’approche grammaticale de la langue va instituer un rapport nouveau 4a la
langue et au langage, comparable — mutatis mutandis — aux modifications que l’usage du
dictionnaire introduit dans le rapport aux mots: qui définirait le chien comme un
« mammifére carnivore digitigrade » ou comme un « mammifére domestique de |’ordre des
carnassiers ; famille des canidés » ; ou un chéque comme un « écrit par lequel une personne
donne l’ordre de remettre, soit 4 son profit, soit au profit d’un tiers, une certaine somme a
prélever sur le crédit de son compte chez une autre personne » ? Tout le monde sait, au niveau
de la praxis, ce qu’est un chéque, mais nombreux seraient certainement ceux qui le
reconnaitraient avec peine sous la définition qu’en donne le Robert.
En matiére d’expression écrite, |’action de l’école se situe entre le pdle-source de la reprise
conforme des éléments de discours déja-la et le pdle-cible des créations originales réussies.
Pour réaliser le passage d’un pdle vers |’ autre, l’école doit mener une double action.
Au plan de la communication, faire passer |’enfant d’une communication orale ot
Vutilisation linguistique est réduite par rapport aux autres ressources communicationnelles
(cris, mimiques, gestes, etc.) 4 une communication et une expression écrites qui utilisent au
maximum les ressources purement linguistiques. Dans ce passage complexe, tortueux, ot les
ruptures, les sauts et les différences l’emportent sur une continuité linéaire et progressive telle
qu’on peut se plaire a l’imaginer (si bien qu’on est en droit de se demander s’il y a réellement
« passage »), dans ce « passage » donc, il s’agit moins d’acquisition de connaissances
nouvelles que de modification des pratiques. Ce qui est demandé premiérement 4 |’ enfant,
c’est de s’efforcer vers la mise en mots totale du message a communiquer quand |’oral ne
réclamait qu’une mise en mots (trés) partielle. Mais il est évident qu’une mise en mots plus
compléte réclame une utilisation plus large des ressources de la langue : pour étre réussie,
la modification des pratiques peut demander I’acquisition d’outils linguistiques nouveaux,
que la grammaire peut fournir (bien qu’elle ne soit pas le seul pourvoyeur d’outils
fonctionnels nouveaux).
Au plan de |’énonciation, faire passer |’enfant d’un usage massif des discours ou bribes de
discours déja-la 4 une utilisation directe plus importante des ressources de la langue. Ce qui
ne veut pas dire que l’enfant doit désormais se débrouiller seul avec la langue pour tenter de
réaliser des créations originales. Cela serait totalement absurde. I] continue d’ avoir besoin de
« patrons » linguistiques a différents niveaux. Mais cette fois, ce sont les €crits sociaux
diversifiés (dont les récits littéraires et poétiques) qui vont devenir fournisseurs, grace en
particulier aux activités de lecture, dont l’importance reste primordiale jusqu’a la fin de
11
INTRODUCTION
Pour répondre a cette question il convient de s’interroger d’abord sur la maniére dont
fonctionne un discours, au sens de message mis en mots et fonctionnant dans un groupe
donné, ce groupe pouvant étre étendu a l’ensemble d’une communauté linguistique.
Un discours ne nait pas dans le désert par génération spontanée. Il est produit par un sujet
parlant (ou écrivant) que nous appellerons locuteur, généralement en direction d’un ou
plusieurs interlocuteurs (on peut éventuellement étre son propre interlocuteur, dans le cas du
journal intime par exemple, mais c’est la un cas limite). C’est le locuteur qui organise son
discours, fait des choix, définit ses stratégies langagiéres, etc. Il peut par exemple présenter
une méme idée en se mettant en scéne: « Personnellement, je pense que...» ; ou en
s’effacant: « Tout le monde sait que...» ; ou en impliquant son interlocuteur: « Ne
pensez-vous pas que... ».
Pour pouvoir réaliser un discours, il faut des matériaux. Ces matériaux, c’est la langue qui
les fournit, en dehors des discours déja-la.
Produire un discours, c’est dire quelque chose, donc parler du monde.
Enfin, produire un discours, c’est établir un certain contact avec l|’autre, établir, modifier
certains liens, etc. En d’autres termes, établir un rapport d’interlocution, une interaction.
Nous avons ainsi un systéme de relations que |’on peut schématiser :
monde
locuteur —————»
f
discours ————¥» jnterlocuteur
Y
langue
12
Introduction
L’étude du sens met en jeu la langue et le monde: rares sont les enfants qui ont vraiment
compris ce que signifiait le verbe braler (explications utilisant la langue) avant d’en avoir fait
Vamére expérience (connaissance du monde). L’étude du sens reléve de la sémantique.
L’étude de la forme est conduite a travers la morphologie (les catégories grammaticales et
leurs caractéristiques formelles : l’adverbe est un mot invariable ; l’adjectif varie en genre et
en nombre a I’écrit...), la syntaxe (ordre des mots, construction des phrases, fonctions) et la
morphosyntaxe (le verbe s’accorde avec son sujet, l’adjectif avec le nom...).
L’étude de l’interlocution reléve de la pragmatique, ot |’on peut distinguer ce qui concerne
Yorganisation de l’information par le locuteur (énonciation) et tout ce qui concerne les
relations complexes entre les interlocuteurs a travers le discours (interaction).
Prenons un exemple simple :
- (3) Toto mange.
et essayons de |’analyser selon les trois points de vue que nous venons de présenter.
Du point de vue sémantique (ou mieux: sémantico-référentiel pour mieux souligner la
référence au monde), on dira que dans la réalité extra-linguistique du monde quelqu’un fait
quelque chose : ce quelqu’un est un étre humain nommé Toto qui fait l’action de manger.
Donec dans la phrase (3), « Toto» est l’actant (celui qui participe a l’action —en
Voccurrence, ici, qui la fait) et le verbe « mange » indique |’action que fait Toto : c’est le
proces (procés est un terme plus général que action).
Du point de vue morpho-syntaxique (nous retiendrons ce terme pour désigner |’ approche
formelle) « Toto » est un mot qui se trouve a gauche du verbe, qui lui impose en partie sa
forme (« Toto et Titi mangent »).
« Toto » est le sujet et le verbe « mange » est le prédicat (le verbe a la fonction grammaticale
de prédicat: d’autres catégories grammaticales peuvent remplir cette fonction, voir le
tome 1, p. 100 sq.).
Du point de vue énonciatif, ? auteur de cette phrase parle de quelqu’un : Toto. « Toto » est
le théme de la phrase. Et il dit quelque chose de Toto, il apporte une information sur Toto :
il dit qu’il mange ; « mange » est le rhéme.
Nous avons ainsi une triple analyse de cette phrase, selon le point de vue auquel on se place :
ei
13
INTRODUCTION
syntaxique) comme étant celui qui fait (ou qui subit) |’action exprimée par le verbe (= l’actant
du point de vue sémantique).
D’autres grammaires mélangent les points de vue morpho-syntaxique et énonciatif, en
définissant, pour garder le méme exemple, le sujet grammatical (point de vue morpho-
syntaxique) comme étant ce dont on parle (= le théme du point de vue énonciatif).
La grammaire scolaire née al’ aube des années 1970 de la grammaire formelle anglo-saxonne
a voulu s’en tenir strictement au seul point de vue morpho-syntaxique : le sujet est le segment
situé 4 gauche du verbe et qui le contraint au niveau des marques morphologiques.
D’ores et déja nous pouvons apercevoir que si l’enfant entretient des rapports privilégiés
sémantiques et pragmatiques 4 la langue, il lui.sera plus facile de se placer d’emblée du point
de vue sémantique et/ou énonciatif. Le travail de l’école sera alors non pas d’évacuer ces
deux points de vue au profit du seul point de vue formel (morpho-syntaxique), ni de tout
mélanger comme cela se faisait autrefois, mais de l’amener a accéder au point de vue formel
tout en maintenant les deux autres :
— La grammaire formelle ne peut pas étre efficacement la base de |’enseignement
grammatical a l’école élémentaire.
— La grammaire formelle ne peut pas étre |’ objectif supérieur de l’enseignement gramma-
tical a l’école élémentaire ni au collége, comme si le but était l’élimination des deux autres
points de vue. Nous verrons dans la suite de l’ouvrage que si la grammaire doit servir a
Vamélioration de l’expression, les trois points de vue doivent étre conservés ; que la
grammaire formelle ne peut pas ignorer, en particulier dans ses démarches, les deux autres
points de vue, faute de quoi elle se coupe de la réalité du fonctionnement de la langue et du
langage, ce qui pédagogiquement au moins n’est pas indifférent. Et qu’enfin la grammaire
ne saurait se limiter a la phrase.
Avant d’entrer dans le vif du sujet et pour clore ce chapitre introductif, nous allons nous
pencher rapidement sur ce qui constitue les principes de base de ce qu’on appelle une
grammaire formelle, afin de pouvoir mieux comprendre le fonctionnement des manuels
actuels.
Linguistique structurale
Dans son Cours de linguistique générale (Payot, 1916), Ferdinand de Saussure, fondateur de
la linguistique structurale en Europe, avait défini deux types de rapports entre les unités
linguistiques : des rapports d’exclusion et des rapports de combinaison.
Soit la phrase :
14
Introduction
Cette phrase, a l’oral, se réalise selon l’axe du temps, chaque unité étant produite aprés la
précédente, sans qu’il soit possible d’en produire plusieurs a la fois ou de faire que ce qui
a été dit ne l’ait pas été. A l’écrit, cet axe du temps se réalise spatialement sur la feuille. Sur
cet axe des discours réalisés, chaque unité se distingue des autres et se combine avec elles.
On appelle cet axe l’axe syntagmatique et ce type de rapports entre les unités, des rapports
syntagmatiques.
Mais on observe aussi qu’en chaque point de cet énoncé, d’autres choix étaient possibles :
au début de la phrase, devant « petit », on aurait pu utiliser « mon », « votre », « ce », etc.,
au lieu de « le ». Le choix de « le » a éliminé tous les autres mots possibles en ce point de
Vénoncé. On dit que «le», «mon», « votre », «ce», etc. entretiennent entre eux des
rapports d’exclusion, ou rapports paradigmatiques, que |’on peut également symboliser par
un axe, l’axe paradigmatique, perpendiculaire 4 |’axe syntagmatique :
axe
paradigmatique
ce
votre
mon
le petit chat est mort
axe syntagmatique
C’est sur cet axe que s’opérent les substitutions, qui vont permettre de définir des classes
grammaticales : toutes les unités qui peuvent commuter en un méme point de l’énoncé et qui
entretiennent entre elles des rapports d’exclusion appartiennent a la méme classe gramma-
ticale. C’est ainsi qu’a pu étre créée la classe des déterminants qu’ignorait la grammaire
traditionnelle. Le méme type de procédure a donné naissance a |’analyse en constituants
immédiats : si l'on considére les deux phrases :
(5) La classe de ma collégue va au stade.
15
INTRODUCTION
etc.
16
Introduction
La fonction de |’élément ajouté dans une structure n’est pas identique a celle d’un élément
préexistant. C’est une expansion par subordination :
« petit », « de ma voisine », « que j’avais adopté » n’ont pas la méme fonction que « le chat »
dans la phrase (15).
L’axe syntagmatique :
4
|
|
|
I
!
|
Se
|
{
Sur cet axe ou se réalisent l’ordre des mots et les phénoménes d’accord, peuvent s’effectuer
des déplacements (c’est l’axe des permutations), et singuli¢rement les déplacements en téte
de phrase pour déterminer si un constituant est déplacable ou non:
« Tous les soirs » est donc un constituant déplacable du point de vue morphosyntaxique (mais
du point de vue énonciatif, (16) et (16’) ne sont pas équivalents).
17
INTRODUCTION
LA GRAMMAIRE TEXTUELLE
L’objet d’étude traditionnel de la grammaire est la langue écrite. Le cadre de ses analyses
est la phrase écrite compléte et bien formée (nous disons le cadre de ses analyses et non pas
Punité : en effet pour la grammaire traditionnelle la plus petite unité est le mot, la plus
grande, la proposition). En retenant comme cadre exclusif la phrase écrite compléte et bien
formée, la grammaire décrit le bon usage et seulement lui, et par 14 méme elle dit le bon
usage. C’est pourquoi toutes les grammaires, méme si elles s’en défendent, sont normatives.
Or, en se limitant au bon usage, les grammaires masquent certains mécanismes linguistiques
fondamentaux, et laissent hors du champ d’ étude nombre de productions orales et écrites tout
a fait courantes. Par la méme elles se révélent incapables de rendre compte d’un grand
nombre de messages écrits sociaux familiers 4 |’enfant, mais aussi, et peut-€tre surtout, des
propres productions de l’enfant. La grammaire décrit une langue que beaucoup d’enfants
pergoivent comme leur étant largement étrangére, alors qu’elle ne décrit pas ce qui
correspond a leur fagon de s’exprimer. Ainsi se trouve valorisée, parce que objet d’étude et
18
Introduction
d’ apprentissage, une certaine partie de la langue, et dévalorisée, parce que ignorée, une autre
partie de la langue. Cela peut constituer l’une des sources communes a deux phénoménes
(méme si ce n’est pas la plus importante) :
— D’une part le rejet, plus ou moins conscient, de l’enseignement grammatical chez des
enfants de milieu socioculturel défavorisé en conflit avec l’école, parce qu’on leur demande
d’apprendre les mécanismes de fonctionnement d’une langue qui n’est pas vécue par eux
comme étant la leur, mais celle d’une communauté avec laquelle ils sont en conflit (1’école,
les bourgeois, ceux « d’en face »), alors que l’on ignore, et souvent que |’on sanctionne leur
fagon de parler qui est celle de leurs parents, de leur famille, de leurs amis, en un mot de tous
ceux avec lesquels ils ont des rapports d’affection et de solidarité.
— Diautre part, le phénoméne connu sous le nom d’aliénation linguistique, et qui
correspond au fait que l’individu natif, aprés des échecs scolaires en francais plus ou moins
graves (depuis des difficultés majeures dans |’ apprentissage de la lecture jusqu’ aux résultats
jugés médiocres en expression écrite, puis en rédaction) est persuadé qu’il ne sait pas manier
sa « langue maternelle », qu’il n’en posséde pas la connaissance qui facilite la réussite sociale
(professionnelle, mondaine), la maitrise des situations diverses de communication. II se voit
ainsi condamné a utiliser quotidiennement un outil dont il ne sait pas se servir convenable-
ment, ou qu’il juge défectueux.
Il convient donc de définir un cadre plus large permettant, dans une démarche d’ approche
réflexive du fonctionnement de la langue et du langage, de prendre en compte des formes de
discours plus diversifiées que celles que la grammaire décrit habituellement. Pour cela, nous
essaierons de voir, au-dela de la diversité des productions discursives, quelles sont les lois
générales de constitution d’un énoncé, qu’il soit ou non conforme a la norme du bon usage.
Remarque. Insistons lourdement afin d’éliminer immédiatement tout risque d’ambiguité
aprés ce que nous venons d’écrire. Notre propos n’est en aucune maniére d’ apprendre a tous
les enfants a « mal parler », ni de banaliser toutes les formes d’expression. I] s’agit plus que
jamais de permettre a tous les enfants d’acquérir les normes linguistiques qui facilitent la
réussite scolaire et, plus tard, sociale. Nous pensons simplement que |’on n’obtiendra cet
objectif que si l’on part vraiment de l’enfant et de ses caractéristiques concrétes réelles.
19
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L’7ENONCE
ENONCE ET ENONCIATION
Quelqu’un qui prend la parole le fait dans une intention donnée (apporter ou obtenir une
information : exprimer un sentiment, une émotion ; provoquer un comportement, conforter
ou modifier les rapports avec son interlocuteur en approuvant, surenchérissant, ordonnant,
agressant, suppliant, conseillant, séduisant, s’excusant, etc.). Il réalise un acte d’énonciation.
Le produit de cet acte d’énonciation est un énoncé, c’est-a-dire une suite de mots, délimitée
formellement en amont par la prise de parole et en aval par un silence (ou compris entre deux
silences assez longs) qui fonctionne concrétement dans une situation de communication
concréte : l’énoncé constitue |’élément central de l’interaction entre les interlocuteurs.
Dans un dialogue, chaque prise de parole donne naissance a un nouvel énoncé :
(17) « Salut! (E1)
— Salut, mon vieux, comment vas-tu ? (E2)
— Pas mal, et toi ? (E3)
— Eh bien, ¢a peut aller. Ca va, ¢a va. Arthur, mon ainé, est a l’hosto, il
vient d’avoir un accident de mobylette ; Zoé, la cadette, est au lit avec les
oreillons, et ma femme vient de perdre son emploi, on ’a foutue a la porte.
Mais ¢a va. (E4)
— Oui, euh, bon, a un d’ces quatre, hein ? » (E5)
(18) La maitresse : « Qui peut me dire ce qu’on voit sur cette image ?
Un éléve : — Maitresse ! Maitresse ! Un cheval !
La maitresse :— Oui. Trés bien. Mais est-ce que tu pourrais me faire une
(jolie) phrase pour me le dire ?
L’éleve : — Sur image on voit un cheval.
La maitresse : — Trés bien »
La premiere fois, l’éleve prend la parole pour répondre 4 la sollicitation de sa maitresse, pour
lui faire plaisir et se faire plaisir, en lui disant ce qu’il voit : il réalise un acte d’énonciation ;
il produit un énoncé. Que lui demande alors la maitresse ? De modifier le matériau
linguistique de son énoncé pour qu’il devienne conforme aux normes linguistiques qui
définissent la phrase bien formée. Et l’enfant produit effectivement une phrase bien formée.
Certes, on peut dire encore que cette phrase est un énoncé, puisqu’elle a été produite en
22
Enoncé et énonciation
situation, dans une interaction (sollicitation/réponse). Mais il est évident que la dimension
formelle (morphosyntaxique) l’emporte sur la dimension énonciative : ]’enfant ne dit rien, ne
fait rien d’ autre qu’obtempérer en réalisant simplement une tache formelle de recodage de
son message.
Pour avancer dans la distinction énoncé / phrase, considérons quelques exemples d’intentions
particuliéres ayant motivé un acte d’énonciation. Le sujet énonciateur
— fournit une information. A la question « Quelle heure est-il ? », il peut répondre par
exemple :
(19) Six heures.
(20) Il est six heures.
_ (21) Lheure de se lever.
(22) Je n’sais pas.
(30) Dehors !
(31) Sortez !
(32) Je vous ordonne de sortir.
(33) Ne croyez-vous pas qu’il serait préférable que vous sortiez tout de suite ?
(34) J’aimerais bien qu’on me laisse un peu seul.
=—= CLC,
Ce que nous retiendrons de ce trés petit échantillonnage, c’est qu’un méme acte de langage
peut étre réalisé avec des formes linguistiques trés différentes :un énoncé injonctif (qui
23
L-ENONCE
exprime un ordre) peut étre réalisé en utilisant une phrase impérative (Sortez !), déclarative
(Je vous ordonne... : J’aimerais bien...) ou interrogative (Ne croyez-vous pas... ?), ou un
adverbe (dehors). Inversement un méme type de phrase peut étre utilisé pour réaliser des
actes de langage différents : une phrase impérative peut constituer le matériau d’un énoncé
servant a= obtenir une information (Dites-moi...), 4 donner un conseil (Pour arriver a
lV’IUFM...) ou un ordre (Sortez !) La phrase impérative (morphosyntaxe) ne sert pas qu’a
donner des ordres (énonciation), et inversement, un énoncé injonctif n’utilise pas comme
matériau que des phrases impératives. Nous reviendrons plus précisément sur ces problemes
dans le chapitre « Types et formes de phrases ».
24
Enoncé et énonciation
forcément été pensé et écrit par quelqu’un. Mais il donne généralement |’impression de
« marcher » tout seul : on ne trouve pas de trace du locuteur dans le texte. Pas plus que dans
un article de dictionnaire ou une recette de cuisine.)
Un énoncé peut donc fonctionner sur le mode de « je » (« nous »), ou sur le mode du « il(s) »
(de la personne | ou de la personne 3). Mais il peut aussi fonctionner ou non sur le mode
du « tu/ vous », c’est-a-dire en impliquant ou non l’interlocuteur dans 1’énoncé.
_ (43) Vous qui étes passé(e) par la, vous savez bien que lorsqu’on mange trop,
on grossit. / Tout le monde sait que lorsqu’on mange trop, on grossit.
25
L7ENONCE
Remarque. Nous avons dit qu’il s’agissait de modéles. Cela signifie que dans la réalité on peut
trés bien avoir des réalisations qui ne se conforment pas en tous points aux caracteristiques
de l’un ou |’autre modéle-type. Ainsi :
(46) Hier, je vis en sortant de chez mdi...
mélange des paramétres du discours (hier, je, moi) et du récit (vis). En situation dialogale,
on peut conduire son discours sur le mode du je :
_ (47) Moi, je pense que la France, etc.
Dans un énoncé produit par un locuteur peuvent se faire entendre plusieurs voix : la sienne,
bien évidemment, mais aussi celles d’autres personnes qu’il reproduit, qu’il réutilise, ou dont
il rend compte (et qui peuvent, éventuellement, faire partie des discours déja-1a stables dans
la société, que nous avons évoqués dans |’introduction). On dit que l’on a selon les cas,
discours rapporté ou polyphonie.
Le discours rapporté
On considérera qu’il y a discours rapporté lorsque le but du locuteur est de faire savoir ce
qu’un autre a dit. Dans ce cas, il signale expressément dans son énoncé le fait qu’il mentionne
la parole de l’autre. On distingue ainsi deux types de discours rapportés.
— Le discours rapporté au style direct :
(49) La Maheude, alors, retrouva sa langue, bégayant : « Merci bien, made-
moiselle... Vous 6tes tous bien bons. »
ZOLA, Germinal.
26
Enoncé et énonciation
Du point de vue formel, les deux types de discours se caractérisent par le fait qu’ils sont
introduits, ou signalés, par un verbe de communication (bégayer, répéter ; mais on peut avoir
d’autres verbes de communication : dire, redire, annoncer, s’écrier, murmurer, déclarer,
demander, répondre, etc.).
Ils se distinguent par le fait que :
— le discours rapporté au style direct est caractérisé par une énonciation de type discours.
Ici, personne 4 « vous » ; temps présent (alors que le contexte narratif est au passé simple) :
formule d’adresse « Merci bien, Mademoiselle ». Dans d’autres cas, on pourra avoir les
personnes 1, 2, 5, et bien sir 3 ou 6; le futur, l’impératif, etc.; les embrayeurs
spatio-temporels de |’énonciation de discours ;
— le discours rapporté au style indirect présente une énonciation de type historique. Ici,
temps imparfait, comme dans le contexte narratif. Dans d’autres cas, dans un contexte
narratif toujours de type énonciatif historique, on pourra trouver le plus-que-parfait ou le
conditionnel ; seules les personnes 3 et 6 seront possibles ; les repéres spatio-temporels
seront ceux du récit historique. De sorte que le discours indirect s’inscrit de fagon plus
homogéne dans la continuité du contexte narratif que le discours direct.
Par ailleurs, le discours rapporté au style indirect est introduit par la conjonction de
subordination « que » qui suit le verbe de communication, quand le discours rapporté au style
direct est signalé graphiquement par deux points et des guillemets ou des tirets, ce qui crée
une rupture visuelle avec le contexte narratif.
Une autre différence d’importance existe entre les deux types de discours rapportés: le
discours au style direct est présupposé reproduire fidélement les paroles de |’ autre telles qu’il
les a proférées : il y a dans ce cas présomption de garantie de la forme méme du discours
de l’autre, c’est-a-dire des caractéristiques de son énonciation. Par contre, au style indirect,
la forme n’est plus reproduite, seul le contenu est rendu, de fagon plus ou moins détaillée ou
globale : les caractéristiques énonciatives du discours de |’autre sont éliminées, au profit de
celles du discours rapportant ; ses propos sont réinterprétés. Ainsi dans |’exemple (50),
Stendhal nous annonce dans le contexte narratif que Diane était devenue « éloquente » et
qu’elle donnait au duc « une foule de détails », mais dans le discours rapporté au style
indirect, on ne trouve que deux courtes phrases indépendantes coordonnées qui ne donnent
que quatre informations: 1. l’existence de visites de Capece a la duchesse ; 2. l’heure
d’arrivée ; 3. I’heure de départ ; 4. la fréquence. Au lecteur de compléter. De quoi décevoir
les amateurs de presse a scandale d’aujourd’hui !
Le discours indirect, en particulier, ne pourra pas rendre certains éléments du discours réel,
tels que les exclamations, les interpellations, les hésitations, etc.
C’est le contexte narratif qui, dans certains cas, pourra les prendre en charge. Dans le cas
présent on constate que :
—52) Elle bégaya qu’elle remerciait bien la demoiselle et qu’ils étaient tous bien
bons.
53) « Je vous remercie bien, mademoiselle. Vous étes tous bien bons. »
2
LENONCE
ou :
(54) « Je remercie bien la demoiselle. Vous étes tous bien bons. »
Si l’on fait prendre en charge une partie du propos par le contexte narratif :
(55) La Maheude, alors, retrouva sa langue et remercia la demoiselle en
bégayant qu’ils étaient tous bien bons.
on constate que le jugement de valeur (« qu’ils étaient tous bien bons ») peut étre interprété
comme constituant le remerciement. Dans tous les cas, apparaissent des risques de distorsion
dans l’interprétation du discours rapporté.
La polyphonie
On dira qu’il y a polyphonie lorsque le but du locuteur n’est pas — ou est moins — de faire
savoir ce que |’ autre a dit, que d’utiliser son propos, en l’intégrant au sien pour |’assumer,
le mettre a distance ou le rejeter. Ainsi dans un énoncé tel que :
(56) Tu en fais trop. Qui veut voyager loin ménage sa monture.
le locuteur utilise un proverbe (discours de « On »), non pas pour faire connaitre un élément
de la sagesse populaire, mais pour le faire servir d’argument a son propos. Le discours déja-la
de |’autre est assumé. Par contre dans |’énoncé :
(57) Latude se serait évadé.
le locuteur indique que on dit que Latude s’est évadé (discours de |’autre), mais que lui ne
prend pas cette information pour argent comptant et demande a voir. Le discours de I’ autre
est mis a distance : il y a dans ce discours un énonciateur distinct du locuteur. Enfin, dans
ce dernier cas :
(58) Ah! je suis un imbécile ! Eh bien! on va voir !
le locuteur rapporte |’énonciation de |’autre, mais pour la rejeter.
Remarque. On dit que dans ce cas, Je ne désigne pas le locuteur, responsable de I’ énoncé,
mais |’étre du monde. Distinction difficile, que l’on peut essayer de mieux faire percevoir en
remplagant ce je par le nom du locuteur. Supposons qu’il s’appelle Duchnoc et qu’on I’ait
traité d’imbécile. Il pourrait s’écrier :
(59) Ah! Duchnoc est un imbécile ! Eh bien ! on va voir !
ou:
(60) Ah! Duchnoc est un imbécile ! Eh bien ! je vais leur montrer un peu qui
c’est Duchnoc!
ou l’on pergoit cette fois clairement la distinction entre |’étre du monde (désigné par
Duchnoc), et l’étre de discours, le locuteur qui existe dans et par son énonciation (je).
La distinction entre discours rapporté et polyphonie est souvent délicate, et il est bien évident
que la notion, ou les exemples, de polyphonie ne concernent pas |’école élémentaire. Mais
c’est une notion qu’un professeur des écoles peut trouver au hasard de ses lectures. Et c’est
un probleme qu’il peut rencontrer au hasard des textes proposés aux enfants. I] nous semble
preférable qu’il (elle) soit capable de les écarter des exemples de discours rapportés qu’il
pourrait proposer aux enfants, ou de ne pas rester perplexe devant une question d’éléve :
28
Enoncé et énonciation
« M’dame, y a une expression entre guillemets dans l’article du journal. C’est un discours
direct ? » ; M’sieur, y a écrit ‘Car, comme on dit : l’argent ne fait pas le bonheur’. C’ est quoi ?
Une citation ? un discours direct ? » L’enseignant(e) sera plus a |’aise pour répondre non,
qu’il s’agit simplement de l’expression de quelqu’un d’autre, d’un proverbe, dont on se sert
dans son propre discours, en indiquant 14 qu’on 1|’a emprunté.
29
L7ENONCE
peut-étre dans certains textes. On pourra simplement leur faire découvrir que la il y aun
personnage qui parle, alors qu’on dirait qu’il s’agit toujours du récit.
THEME ET RHEME
Lorsque I’on prend la parole, c’est généralement, avons-nous dit plus haut, pour dire quelque
chose (apporter une information, formuler un jugement, donner un conseil, etc.), et plus
précisément, pour dire quelque chose.
— soit sur quelque chose :
~ (64) Ce clafoutis est vraiment délicieux!
(Le locuteur parle du gateau qu’il mange et en dit quelque chose)
— soit a propos de quelque chose :
__ (65) Dans la cuisine, y avait un de ces bordels !
(Le locuteur dit quelque chose a propos de la cuisine).
Du point de vue énonciatif, nous avons vu que ce que l’on dit sur — ou a propos de —
quelque chose s’appelle le rhéme (certains disent le « propos ») : « est vraiment délicieux »
est le rhéme de |’énoncé « Ce clafoutis est vraiment délicieux ! ».
« Ce clafoutis » (ce dont on parle, ce dont on dit quelque chose) s’appelle le theme de
l’énoncé. (64) peut donc s’analyser ainsi :
(66) « Ce clafoutis » + « est délicieux »
[theme] [rheme]
(Dans |’énoncé (65), « Dans la cuisine » est le theme, et « y avait un de ces bordels » est le
rhéme.)
Remarque 1. Il est des cas ot le rhéme n’est pas de nature linguistique. Ainsi pour manifester
son opinion sur la grammaire, on peut dire: « La grammaire... » et faire une grimace de
dégoit. C’est la grimace qui exprime le jugement du locuteur sur cette noble discipline.
Remarque 2. L’objet du monde évoqué dans (64) aurait pu ne pas étre mis en mots :
[Convive gourmand (ou poli) ayant gofité le clafoutis :]
Dans ce cas-la, l’énoncé ne contient pas de théme et se trouve réduit au seul rhéme: il
fonctionne en rapport direct avec le réel extra-linguistique. Mais c’est toujours un énoncé,
qui apporte un message a |’interlocuteur, qui participe des rapports entre les interlocuteurs
(flatter, faire plaisir, consolider ou infléchir les rapports préétablis entre les interlocuteurs :
cela reléve de la dimension pragmatique du langage).
De méme ]’énoncé « II pleut. » ne contient pas de théme (« il » n’est évidemment pas ce dont
on peut dire quelque chose, puisque « il » n’est rien d’autre qu’ une marque de personne 3) :
« il pleut » est un énoncé réduit au seul rhéme.
Remarque 3. Pour la clarté de l’exposé, nous nous limiterons 4 des énoncés simples.
30
Enoncé et énonciation
(68) sortie.
On reconnaitra 1a un mot, que |’on peut caractériser comme nom commun, féminin, singulier,
dont on peut donner des définitions, mais qui, tel qu’il est présenté ici, ne veut rien dire, en
ce sens qu’il n’apporte pas d’information sur quelque chose et qu’on n’apporte pas
d’ information sur lui. Il n’y a pas 14 de message. Ce n’est pas un énoncé. C’est une unité de
la langue.
Si le mot « sortie » était griffonné sur un mur ou un trottoir, il continuerait 4 n’étre qu’un mot,
et sa présence sur ces supports continuerait 4 paraitre étrange, voire absurde.
Par contre, si le mot « sortie » est écrit au-dessus d’une porte a |’ intérieur d’une construction,
il cesse d’étre un simple mot et son existence, 1a, n’est plus absurde : il veut dire quelque
chose, il fournit une information. On a affaire 4 un message, on est passé du plan de la langue
a celui des €énoncés. Qu’est-ce qui a permis ce passage ? A l’évidence le cadre dans lequel
est placé ce mot, et le fait qu’il existe un comportement culturel humain fondamental
consistant a mettre en relation les signes et le monde. Dans les cas précédents, « sortie » ne
pouvait étre mis en relation satisfaisante avec rien pour faire du sens immédiat. Dans le
dernier cas, la mise en relation est possible, le mot dit quelque chose de I’ objet, ce que |’on
pourrait paraphraser sous la forme : « Cette porte est une sortie ».
Le mot « sortie » constitue le rhéme du message (1’information particuliére que |’auteur de
Vinscription voulait apporter au sujet de cet objet-porte).
Remarque. Nous avons défini le theme comme étant ce dont on parle, ce 4 propos de quoi
on dit quelque chose, et le rheme comme étant ce qui est dit (a propos) du theme. Mais
d’autres définitions existent, qui présentent le theme comme étant ce qui est connu, ou posé,
ou peu informatif, et le rheme comme étant ce qui est nouveau, apporté, ou plus informatif.
Ces définitions ne sont pas toujours équivalentes ou pareillement opérationnelles. Nous
n’entrerons pas dans les détails. Qu’il nous suffise de constater une certaine €équivalence, dans
la mesure ot il est plus logique d’apporter des informations, de donner un jugement
personnel, etc. sur quelque chose dont a connaissance l’interlocuteur, que l’inverse.
(L’inverse est-il seulement possible ?) Le cas-limite semble étre un énoncé du type :
dans lequel le rhéme n’apporte aucune information sur le théme. On peut d’ ailleurs imaginer
que la société se pencherait avec compassion sur les individus qui feraient un usage courant
d’énoncés de ce type...
Remarque. Peut-on analyser une phrase en théme et en rhéme ? Oui, dans la mesure ov le
locuteur apparait comme une entité, une construction théorique (il est le on qui parle de
quelque chose), et ot cette analyse n’engage pas de données situationnelles particuli¢res. Ce
qui ne change pas le point de vue.
31
LVENONCE
Exercice 1
*
Exercice 2
*
Dans le texte suivant, relevez et classez les discours rapportés. Mettez ensuite au style
indirect libre les discours au style direct, et au style indirect les discours indirects
libres (ou DIL). Quels sont les problemes rencontrés ?
« Es-tu béte ? Tiens ! je jure d’étre gentil. On n’est pas plus méchant qu’un autre, va ! »
Elle le regardait, elle recommengait a sourire dans ses larmes. Peut-étre qu’il avait
raison, on n’en rencontrait guere, des femmes heureuses. Puis, bien qu’elle se défiat de
son serment, elle s’‘abandonnait a la joie de le voir aimable. Mon Dieu ! si cela avait pu
durer ! Tous deux s’étaient repris ; et, comme ils se seraient d’une longue étreinte, des
pas les firent se mettre debout. Trois camarades, qui les avaient vus passer, arrivaient
pour savoir.
On repartit ensemble. II était pres de dix heures, et l’on déjeuna dans un coin frais,
avant de se remettre a suer au fond de la taille. Mais ils achevaient la double tartine de
leur briquet, ils allaient boire une gorgée de café a leur gourde, lorsqu’une rumeur, venue
des chantiers lointains, les inquiéta. Quoi donc ¢ était-ce un accident encore ? Ils se
levérent, ils coururent. Des haveurs, des herscheuses, des galibots les croisaient a
chaque instant ;et aucun ne savait, tous criaient, ¢a devait étre un grand malheur. Peu
a peu, la mine entiére s’effarait, des ombres affolées débouchaient des galeries, les
lanternes dansaient, filaient dans les ténébres. Ow était-ce ? pourquoi ne le disait-on
pas ?
Tout d’un coup, un porion passa en criant :
« On coupe les cables ! on coupe les cables ! »
Alors la panique souffla. Ce fut un galop furieux au travers des voies obscures. Les tétes
se perdaient. A propos de quoi coupait-on les cables ? et qui les coupait, lorsque les
hommes étaient au fond ? Cela paraissait monstrueux.
32
Enoncé et énonciation
Corrigé 1
(On retrouvait la, sans modification, la structure de l’exemple proposé plus haut:
« Dans la cuisine, y avait un de ces bordels ! »)
Corrigé 2
croyait aux mains des gendarmes » est-il un commentaire de I’auteur, ou fait-il partie
encore du discours rapporté ? Comment transposer au discours direct ?
« Elle est donc venue cette bande ! » II la croyait aux mains des gendarmes.
(?) « Elle est donc venue cette bande que je croyais aux mains des gendarmes ! »
« Elle est donc venue cette bande ! Je la croyais aux mains des gendarmes. »
On s’apercoit que dans le premier cas, on peut encore s’interroger sur la nature du
second membre : n’est-ce pas, aprés le discours direct, un DIL? Il y a la une
ambiguité qui subsiste.
2. Changement de type de discours.
eStyle direct > style indirect libre
a) Etait-elle béte ! Tiens ! il jurait d’étre gentil. On n’était pas plus méchant qu’un
autre, va !
b) On coupait des cables !
c) Ceux de Montsou coupaient des cables. II fallait que tout le monde sorte.
d) II fallait que tout le monde sorte. Aux échelles ! aux échelles !
Problémes rencontrés
La mise a l’imparfait, ou le passage a la personne 1 ne posait pas de probleme. Par
contre, il fallait décider du sort des exclamations. Nous avons vu, dans les exemples,
qu’il était possible de les conserver. Ce que nous avons fait, a |’exception de la
répétition dans la phrase b), qui nous paraissait mal venue, alors que la répétition
dans la phrase d) passe beaucoup mieux. II restait une derniére difficulté : l’ordre au
subjonctif dans les phrases c) et d) qu’on ne pouvait rendre en se contentant de passer
a un imparfait du subjonctif : * Que tout le monde sortit ! Nous avons donc choisi
d’utiliser une formule verbale marquant |’obligation.
eStyle indirect libre > style indirect
1. Elle se disait qu’il avait peut-étre raison, qu’on n’en rencontrait guére, des femmes
heureuses.
2. Elle se disait que ce serait tellement bien si cela avait pu durer.
3. Ils se demandérent (ce que c’était), si c’était encore un accident.
4. (2?) Tous criaient et répétaient que ¢a devait étre un grand malheur.
5. Les mineurs demandaient ou c’était, pourquoi on ne le disait pas.
6. Les gens demandaient a propos de quoi on coupait les cables, et qui les coupait
lorsque les hommes étaient au fond.
7. \l s’écria qu’elle était donc venue cette bande qu’il croyait aux mains des
gendarmes.
8. Répétant que c’était béte de courir comme ¢a et qu’on n/allait certainement pas
les laisser au fond.
Problémes rencontrés.
Les problémes se posent dans certains cas pour rester le plus pres possible du DIL,
pour en respecter le contenu. Certaines phrases ne posent pas réellement probleme :
ce sont les phrases 1 (si ce n’est qu’il vaut mieux déplacer la préposition pour que la
35
L’'ENONCE
On aura pu constater que les changements de type de discours ne vont pas toujours
de soi, et surtout que chaque type de discours offre des possibilités particuliéres, le
plus subtil, et le plus subjectif, étant, sans conteste, le discours indirect libre.
36
SENS ET SIGNIFICATION
Dans ce chapitre, nous allons aborder |’étude de l’énoncé du point de vue sémantique. Soit
la phrase :
sera interprété de facon différente si elle est produite en situation d’enseignement ou par un
adulte s’adressant a un jeune étourdi qui s’ appréterait 4 plonger un thermométre médical dans
une casserole d’eau bouillante : dans le premier cas, il s’agirait encore de transmission d’un
savoir banalisé ; dans le second, d’une remarque ironique présupposant que le jeune étourdi
possédait le savoir banalisé concernant la température d’ébullition de l’eau et la température
maximale que peut mesurer un thermométre, pour lui reprocher de n’avoir pas su mobiliser
son savoir théorique dans son expérimentation pratique. Dans le premier cas, il s’agit d’un
énoncé fournissant une information. Dans le second, d’un énoncé formulant, indirectement,
un reproche.
Nous dirons qu’en plus du sens (littéral), un énoncé prend différentes significations (= regoit
des interprétations) en fonction de ses conditions d’ énonciation. La signification d’un énoncé
nait de sa mise en relation avec les données de la situation (extralinguistique) et/ou du
contexte (linguistique). Le sens se définit du point de vue sémantique. La signification, du
point de vue énonciatif (ou pragmatique).
Comment construit-on la signification de l’énoncé a partir du sens de la phrase ? On partira
du principe que, sauf cas pathologique, le discours produit par un locuteur doit présenter un
contenu informatif et/ou pragmatique pertinent dans une situation de communication donnée.
Ainsi, si un enseignant faisant un cours a de jeunes éléves profére (70) ou (71), ses Enoncés
seront pertinents au niveau méme du sens littéral dans la mesure ou :
— ils apportent une information dans une situation institutionnellement prévue pour cela (un
cours) ; une information dont la nature correspond 4 la nature du cours ; une information que
l’auditoire ne possédait pas (les éléves croyaient la Terre immobile, ou ignoraient a quelle
température |’eau bouillait) ;
Si]
L7ENONCE
— ils apportent juste l’information nécessaire (la phrase, par exemple, n’est pas parasitée par
des digressions ou des détails superflus qui dérouteraient |’ auditoire) ;
— ils sont clairs, non équivoques (les éléves n’ont pas de difficulté de compréhension,
d’interprétation).
— ils disent le vrai (faute de quoi |’interlocuteur informé pourrait se demander comment
interpréter |’énoncé : ironie ? provocation ?)
Par contre, si (70) ou (71) étaient murmurés par le méme enseignant a sa voisine de table lors
du banquet des Anciens de l’IUFM, il est probable que celle-ci serait immédiatement plongée
dans une perplexité inquiéte. En effet, le sens littéral de ces énoncés n’est pas pertinent dans
cette situation, puisque l’interlocutrice a, 4 1’évidence, toutes les chances de posséder déja
ce type d’information. En outre, ce genre de théme ne reléve guére de la conversation
mondaine ou galante. Le probléme serait donc de trouver une interprétation, c’est-a-dire un
sens implicité, qui puisse rendre ces énoncés pertinents dans la situation donnée.
Puisque l’interlocutrice posséde |’information fournie littéralement par les énoncés et que
l’enseignant énonciateur est censé le savoir, si cet enseignant ne souffre pas de troubles
mentaux et respecte les principes conversationnels exposés plus haut, c’est que ses énoncés
veulent dire autre chose que ce qu’on peut leur faire dire au niveau littéral, un autre chose
pertinent dans la situation donnée. Il appartient donc a l’interlocutrice d’essayer de deviner
ce que peuvent sous-entendre les énoncés « La Terre tourne » ou « L’eau bout a cent degrés »
dans la situation actuelle ot ils ont été produits. En d’autres termes, de chercher des
sous-entendus compatibles avec le sens littéral et pertinents dans la situations vécue (ce qui
implique une analyse des éléments constitutifs de la situation pour déterminer ceux qui
pourraient étre mis en relation satisfaisante avec un sous-entendu possible). En cas d’échec,
il restera a linterlocutrice le choix entre demander: « Que voulez-vous dire?» ou
manifester un intérét intempestif pour son autre voisin.
Lenfant au thermométre pourra plus aisément rétablir le sous-entendu, sans avoir méme a
décomposer de fagon réflexive les étapes d’une réflexion méta-communicationnelle :
« Pourquoi me dit-on ¢a, puisqu’on sait que je le sais ? C’est donc qu’on veut me dire autre
chose. On me parle d’eau bouillante et de cent degrés. Je viens de faire exploser le
thermométre, etc. » Il pourra alors rétorquer a4 l’adulte : « Tu veux dire que je suis béte ? »
Et l’adulte pourra lui répondre : « Absolument pas. Je n’ai jamais dit ga. Qu’est-ce que tu vas
chercher 1a ? » Il est vrai que |’adulte ne l’a pas dit, et qu’il n’y a dans son énoncé aucune
marque formelle autorisant cette interprétation. C’est le charme du sous-entendu que de
pouvoir faire assumer totalement par |’interlocuteur la responsabilité du contenu qu’on veut
lui communiquer (« J’ai dit que tous les Anes ne volaient pas. Je n’ai pas dit que tu en étais
un. »).
Dans d’autres cas, la signification de l’énoncé n’est pas sous-entendue, mais fournie
implicitement par le sens des mots choisis. Ainsi.
_ (72) Gaétan vient de rentrer des Séchelles.
présuppose qu’il s’y trouvait auparavant (on ne peut rentrer de quelque part oi on ne se serait
pas trouvé). Le sens littéral de cette phrase est 4 ce niveau non problématique, si ce n’est qu’il
contient un présupposé, que |’on peut aisément rétablir grace au sens du groupe verbal.
Supposons que (72) soit utilisé en direction d’un interlocuteur qui ignorait que Gaétan était
parti aux Séchelles. Cet interlocuteur recevra comme information essentielle non le fait que
38
Sens et signification
Gaétan soit revenu des Séchelles, mais le fait qu’il y soit allé. C’est-a-dire l’information
contenue dans le présupposé.
Ou bien l’énonciateur ignorait que son interlocuteur n’était pas au courant du séjour de
Gaétan aux Séchelles, et il n’y a rien de particulier 4 dire. Ou bien il savait que son
interlocuteur n’était pas au courant, et son but était effectivement de |’informer, non du retour
de Gaétan, mais bien de son séjour dans ces fles lointaines. Dans ce cas, l’information que
Vénoncé aurait di véhiculer (« fournir l’information nécessaire ») a été délibérément
transférée au présupposé : c’est lui qui véhicule de fait l’information véritable de 1’ énoncé.
Linterlocuteur pourra interpréter cet énoncé soit comme le produit de l’ignorance de
lénonciateur quant a son information réelle, soit comme une stratégie discursive traduisant
un embarras (On aurait di l’informer du séjour de Gaétan et on a oublié de le faire. Comment
l’annoncer maintenant ?), ou destinée 4 le surprendre, a le placer en état d’infériorité
(« Comment, tu ne savais pas qu’il était parti ? Mais tout le monde le savait ! Il ne t’a pas
envoyé de carte ? »).
Dans les relations interhumaines, on recourt souvent 4 ce procédé qui consiste a dire
partiellement autre chose que ce que |’on veut dire, surtout lorsque I’énoncé a pour objectif
d’obtenir quelque chose de quelqu’un, sans qu’il puisse se sentir agressé 4 un degré
quelconque. Ainsi, on demandera l’heure a un inconnu en utilisant l’énoncé fortement codé :
(73) Pardon Monsieur, auriez-vous l’heure, s’il vous plait ?
Littéralement, cet énoncé est parfaitement absurde dans la mesure ov le fait d’avoir ou non
l’heure ne résulte pas d’une décision (« s’il vous plait ») prise au moment ot la question est
posée. En fait il multiplie les marques destinées 4 éviter de provoquer une sensation
d’agression : « pardon », « s’il vous plait », conditionnel et question, alors que cet énoncé a
en réalité une fonction d’injonction (= « Dites-moi quelle heure il est. » ou « Je vous prie de
me dire quelle heure il est. »). En prenant l’énoncé totalement au sens littéral, 4 savoir une
demande d’information concernant la connaissance de l’heure, l’inconnu pourrait répondre
quelque chose comme: « Oui, monsieur, j’ai l’heure, et je vous remercie de vous en
soucier. » (ce faisant, il ne tiendrait pas compte de |’intonation particuliére, ni de la valeur
pragmatique de « s’il vous plait », que l’on utilise lorsqu’on demande plus que de répondre
simplement a une question). L’absurdité de l’échange est manifeste : le principe de pertinence
n’est pas respecté, puisqu’il n’y a aucune raison de se soucier de savoir si un inconnu a ou
non |’heure, dans la mesure ot I’on n’a pas de montre a lui vendre. La pertinence de |’ énoncé
sera rétablie en l’interprétant comme une requéte, qui contraint l’inconnu a consulter sa
montre pour donner I|’heure.
On pourra impliciter la valeur d’ordre d’un énoncé en donnant a entendre qu’il s’agit d’un
ordre (« Pouvez-vous fermer la porte ? ») ou en le laissant entendre (« Il y a un courant
d’air.» : cet énoncé qui littéralement dresse un constat, donne a l’ordre le statut de
sous-entendu.)
On constate que la signification d’un énoncé peut étre de nature sémantique (« Tous les anes
ne volent pas » = tu es un Ane) ou pragmatique (« Il y a un courant d’air » = je vous prie de
fermer la porte), ou de nature a la fois sémantique et pragmatique (Gaétan est revenu des
Séchelles » = il y était allé + je te place en situation d’infériorité).
Il existe toutefois de nombreux cas qui remettent en cause la distinction entre phrase et
énoncé, entre langue et discours. En effet, si l’on trouve écrit sur une feuille blanche : « L’eau
bout a cent degrés » ou « La femme est l’avenir de l’>homme », on pourra s’interroger sur les
39
L-ENONCE
raisons de l’acte scriptural, mais non sur le sens littéral de ces phrases. Par contre si l’on
trouve écrit « Voici mes filles», on aura le sentiment fort d’un manque de données
informatives : quelles filles ? Ot sont-elles ? Cette phrase est sémantiquement, ou sémantico-
référentiellement incomplete. Elle ne peut fonctionner comme phrase achevée qu’en situation
(ou en contexte).
Pour qu’une phrase de ce type puisse étre sémantiquement (ou sémantico-référentiellement)
compléte a4 l’oral, le locuteur et ses filles doivent étre co-présents dans la réalité
extra-linguistique. A l’écrit, ces personnages doivent figurer dans le contexte linguistique.
Dans ce cas, la mise en relation de la phrase avec les données situationnelles ou contextuelles
n’a pas pour effet de produire de la signification, mais bien de parachever le contenu
sémantico-référentiel de la phrase. Nous étudierons ce probléme plus précisément dans la
partie 3, « Phrase-type et phrase-occurrence ».
Exercice 1
*
Exercice 2
* O*
Exercice 3
*
40
Sens et signification
Corrigé 1
a) Si cet €noncé est une réponse a une question, sa fonction est informative ou
référentielle. Dans ce cas, seul le sens littéral est pris en compte (en dehors de
réalisations intonatives particuliéres, exprimant par exemple l’irritation, parce que la
question serait posée pour la éniéme fois par un malentendant anxieux).
b) Dans le second cas, le sens littéral est toujours présent et pertinent (ca n’a
effectivement pas sonné). Mais cette fois l’énoncé n’a pas une valeur purement
informative, il a une valeur pragmatique d’ordre : i] sert 4 stopper le processus de
rangement des affaires entrepris par les éléves, il sert a agir sur le comportement des
éleves, en les renvoyant implicitement a une norme de conduite scolaire. Au-dela du
sens littéral, cet énoncé a la signification : « Ne rangez pas vos affaires. », cette valeur
d’ordre étant sous-entendue, puisqu’iln’y a pas, dans l’énoncé, de marques formelles
indicatrices.
Corrigé 2
Cet énoncé est composé de cing sous-énoncés, que nous regrouperons en 2, 3, 4 (F2,
F3 et Arte) et 1, 6 (TF1 et M6).
Les trois du premier groupe ont une fonction informative (ou référentielle) : ils
indiquent les programmes de ces chaines dans le créneau du début de soirée. Les
deux autres font probleme : leur sens littéral n’a rien a voir avec le contexte dans
lequel ils apparaissent ; il y a rupture totale entre le sens littéral et le type d’informa-
tion attendu : le principe de pertinence n’est pas respecté. Sauf a imaginer une crise
de delirium de la part du rédacteur, il faut rétablir un lien de cohérence entre ces deux
sous-é€noncés et leur contexte, c’est-a-dire trouver leur signification. Puisque, au lieu
de nous informer sur les programmes de ces deux chaines, on nous parle d’autre
chose, et en fait de n’importe quoi, on peut émettre I’hypothése que les programmes
proposés ne méritaient méme pas qu’on signalat leur existence. Ici le sens littéral de
ces deux sous-énoncés n’est pertinent que par son inadéquation totale au contexte,
inadéquation qui oblige a chercher la signification pertinente au niveau du sous-
entendu, puisque, dans le texte, il n’y a aucune marque formelle permettant de
justifier cette interprétation.
Corrigé 3
Cet énoncé pose probléme dans la mesure ou il contient des mots qui renvoient a des
éléments non identifiés de la situation ou du contexte. Ce sont les deux mots ces et
la. En utilisant ces soit le locuteur désigne des enfants que |’interlocuteur peut voir
4]
L7ENONCE
42
PREDICAT ET ACTUALISATION
L’ACTUALISATION
Nous avons constaté qu’un mot (plan de la langue) peut devenir énoncé (plan du discours)
par sa mise en relation avec un élément du monde (cf. supra le chapitre « Enoncé et
€nonciation »). Pour décrire ce phénoméne du point de vue morpho-syntaxique, nous dirons
que le mot a acquis un statut de constituant syntaxique, qu’il est devenu un prédicat grace
au phénoméne d’actualisation réalisé par la situation (ou I’ objet du monde par rapport auquel
il fonctionne) :
prédicat / actualisation
(mot « sortie ») (objet-porte)
Ce que l’on peut paraphraser en: le mot « sortie » est devenu un prédicat qui constitue le
matériau d’un énoncé grace au phénoméne d’actualisation réalisé par sa mise en relation avec
lV’objet-porte (la barre oblique se lira « grace 4 »).
Quelle différence entre rhéme et prédicat ? D’abord une différence de point de vue, le premier
concept relevant de |’énonciatif (ce que |’on dit de ou sur ou a propos de) et le second du
syntaxique. Ensuite le fait que rhéme et prédicat ne coincident pas forcément. Ainsi,
« Clothilde arrive » s’analyse du point de vue énonciatif en :
(74) Clothilde + arrive
theme + rheéme
Du point de vue énonciatif, « arrive » est le rhéme, alors que du point de vue morpho-
syntaxique, il est prédicat : il est a la fois le rhéme et le prédicat, selon le point de vue ot
lon se place. Par contre, « Demain, Clothilde arrive. » s’analysera en :
(75) Demain + Clothilde arrive
theme + rheme
alors que le prédicat, élément syntaxiquement central de la phrase, reste « arrive ». Cette fois,
le prédicat est un constituant du rhéme, mais ne se confond pas avec lui.
Le phénoméne d’actualisation est un phénoméne complexe. En effet, l’actualisateur peut
faire partie de l’énoncé ou lui étre extérieur ; dans ce cas, il peut étre de nature linguistique
ou non linguistique.
L’ACTUALISATION EXTERNE
43
L’ENONCE
aa
Prédicat et actualisation
Remarque. Parfois, dans les journaux, c’est au présupposé connu commun qu’est confié le
role d’actualisateur, quand, par exemple, une affaire, un événement est parfaitement connu
du grand public, que l’information a été donnée la veille par les médias audiovisuels : si tout
un pays attend la libération des otages, il est possible de titrer simplement « libérés ! » sans
actualiser plus concrétement le prédicat :
(79) « libérés ! » (prédicat) /connu commun (actualisateur)
45
LENONCE
c’est se placer du point de vue sémantique : on restitue le sens complet par une paraphrase
qui dissocie la réponse de la question, c’est-a-dire qu’on rétablit un énoncé de type monologal
que la grammaire sait analyser (alors qu’en fait la prise en compte sémantique du couple
question-réponse ne requiert pas ce type de paraphrase: « La semaine prochaine » est
immédiatement interprétable si on l’articule sur la question « Tu viendras quand ? »). Le
probléme se situe au moment du passage au point de vue morpho-syntaxique pour déterminer
une fonction grammaticale, od |’on va utiliser des éléments paraphrastiques qui n’ont aucune
réalité dans I’énoncé a analyser pour conduire |’analyse fonctionnelle, parce qu’on n’a pas
d’autres outils que ceux qui concernent la phrase compléte bien formée.
Il est certainement de meilleure méthode de constater que « La semaine prochaine » isolé de
la question a un statut comparable a « sortie » écrit sur un trottoir. Pour acquérir le statut de
prédicat, ils ont besoin d’étre actualisés ; ici, c’est la question qui assure |’actualisation :
réponse « La semaine prochaine » / question « Tu viendras quand ? »
(prédicat) (actualisateur)
Ce n’est plus dans ce cas la situation (non linguistique) qui assure |’actualisation, mais le
contexte (linguistique).
L’ACTUALISATION INTERNE
Nous distinguerons deux types d’énoncés : les énoncés a prédicat non verbal et les énoncés
a prédicat verbal. :
46
Prédicat et actualisation
Les présentatifs sont des actualisateurs de prédicats non verbaux, ces prédicats pouvant étre
nominaux, pronominaux, adverbiaux ou adjectivaux :
A oral on utilise également pour les énoncés appréciatifs (généralement laudatifs) centrés
sur un élément de la situation, des constructions du type :
E — {Adj, Adv} + constituant nominal
_ (89) Génial, ce mec !
_ (90) Forminable, ton idée!
_ (91) Super, la nana !
_ (92) Pas mal, ce dessin.
Syntaxiquement, dans tous ces exemples, les prédicats sont actualisés linguistiquement. Mais
ainsi que nous |’avons déja vu, certaines phrases ont besoin d’un référent situationnel pour
pouvoir recevoir un sens satisfaisant. Ainsi « Voici Florence » a besoin du support d’un
référent (la personne elle-méme, sa photo, son portrait, etc.), tout comme, ainsi que nous
l’avons vu plus haut, par exemple, « Ma femme » + geste :
_ (93) E - « Voici » (actualisateur) + « Florence » (prédicat)
47
L7ENONCE
et
(95) Ton pin’s est tres bien.
ou
(96) Ah! Qu’il est beau ton pin’s !
Non pas pour valoriser dans l’absolu (95) ou (96) au détriment de (94), mais pour montrer
que (94), (95) et (96) sont tous trois susceptibles d’une description grammaticale (égale
dignité linguistique), que (94) est plus expressif que (95) et peut-étre aussi que (96) et que
pour montrer son enthousiasme, c’est la structure grammaticale de (94) qui est la plus
adéquate (supériorité expressive a l’oral). Et qu’elle n’est pas spécifique 4 l’enfant d’un
milieu donné : méme des gens tres distingués devant des photos de vacances d’ amis tout aussi
distingués utilisent cette structure quand ils s’exclament :
(97) Oh! Splendide, ce coucher de soleil !
ou
_ (98) Ah! Magnifique, cette plage !
E — Exclam + {Adv, Adj} + constituant nominal
Waouh ! + Super + ton pin’s
Ah! + Splendide + ce coucher de soleil
Oh! + Magnifique + cette plage
La différence ne concerne que le lexique.
Enfin, on constatera que I’écrit scolaire réclame des structures syntaxiques et un lexique
différents, qui se retrouvent dans d’autres types d’écrits, voire dans la pratique orale des
enfants eux-mémes.
48
Prédicat et actualisation
49
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LE TEXTE
QU’EST-CE QU’UN TEXTE ?
Tout le monde sait empiriquement ce qu’est un texte, parce que, a l’école, l’enseignant(e)
nous a demandé, plus souvent que nous |’ aurions souhaité, de lire le texte, c’est-a-dire ce qui
était imprimé sur la page du manuel ou sur un polycopié placé devant nos yeux. Par la suite,
nous avons eu entre les mains des ouvrages qui se définissaient comme « recueils de textes »,
nous avons fait des « explications de textes », au cours desquelles on nous a d’ailleurs parfois
reproché de « prendre des libertés avec le texte » (le sens de « texte » était-il alors le méme ?).
Plus tard les media nous ont donné des occasions de nous réjouir en nous apprenant que tel
texte avait été enfin signé, etc. Cette connaissance empirique du texte permet-elle d’en fournir
une définition ?
Si, comme nous I’avons dit, l’énoncé est fondamentalement une unité de |’ oral (méme si nous
avons transposé ce concept a l’écrit), le texte, lui, sera généralement pergu comme une unité
de l’écrit. On parle d’un texte ou d’un texte écrit, rarement d’un texte oral (1’ opposition
énoncé / texte, ou discours — comme suite d’énoncés —/ texte serait une opposition
oral / écrit).
En seconde approche, le texte standard devrait présenter une certaine longueur, faute de quoi
on parlera d’un « petit texte », et, dans la pratique scolaire, il existe un minimum en deca
duquel on ne peut plus parler de texte: « J’ai dit de faire un petit texte, pas une simple
phrase. » I] semble 1a qu’il faille plusieurs phrases (au moins deux ? trois ?), 4 moins que ce
ne soit plusieurs lignes, pour qu’on puisse parler de texte. Mais, inversement, il semble qu’il
existe une limite, totalement indéfinie, au-dela de laquelle on ne parle plus de texte : lire deux
pages de la Chartreuse de Parme, c’est lire un texte. Lire la Chartreuse de Parme, c’est lire
un roman ou un livre ou, éventuellement, une ceuvre.
Enfin un texte doit former un tout sémantiquement achevé.
Ce serait donc un écrit d’une certaine longueur présentant un sens complet.
En fait le probleme est un peu plus compliqué, comme le montre la diversité des définitions
du texte (dont nous ferons |’économie ici).
Pour faire simple, et dans une perspective d’ utilisation didactique, nous noterons d’abord que
le concept de texte peut s’appliquer a l’oral. (Ce qui falsifie l’ opposition précédente entre
énoncé et texte, et oblige a dire que le concept d’énoncé s’ appliquerait plutét a 1’oral, et celui
de texte, plutot a |’écrit.) Nous prendrons ensuite le mot texte au sens large, et nous dirons
en premiere approche qu’un texte est un ensemble clos d’énoncés : le dialogue (17) présenté
au début du chapitre précédent est un texte constitué de cing énoncés. A la recherche du temps
perdu est également un texte. Mais « Attention ! » est aussi un texte, un texte formé d’un seul
énoncé, en vertu du principe mathématique qui veut qu’un ensemble formé d’un seul élément
soit quand méme un ensemble (1’analogie s’arrétera 1a, nous ne parlerons pas de texte vide).
Un texte n’est donc pas défini, en premiére approche, par sa longueur, mais par sa cléture.
Quelles sont les marques formelles des limites d’un texte ? A l’oral, le texte s’ouvre avec la
premiere prise de parole, et se clot avec la fin du dernier énoncé. A l’écrit, le texte est
formellement isolé par des marques diverses (limites spatiales d’un panneau de signalisation,
d’une affiche ; encadrement d’une annonce dans un journal ; titre d’un article en amont, nom
du journaliste en aval ; titre du roman ou de la piéce en amont, notes, table des matiéres ou
52
Qu’est-ce qu’un texte ?
derniéres feuilles blanches en aval ; titre en amont et batterie de questions en aval — aprés
un espace blanc et dans une typographie différente — dans un manuel scolaire qui offre des
« recueils de textes » ou des « morceaux choisis » ; blanc de la feuille autour d’un espace
graphié par un éléve, etc.). Ainsi isolé dans son support, un texte est aisément repérable
comme entité et, en outre, identifiable grace a des codages typographiques spécifiques : une
recette de cuisine, un article de journal, un article de dictionnaire, un poéme, etc. sont
immédiatement identifiables, méme hors de leurs supports d’origine, par des enfants ne
sachant pas, ou trés peu, lire. On parle a l’école élémentaire de la silhouette d’un texte. Nous
reviendrons sur cette question dans le chapitre suivant.
Mais il est bien évident que l’entité « texte » ne saurait étre réduite 4 ses caractéristiques
matérielles. Un texte écrit, puisque c’est plus précisément de lui que nous allons nous
occuper, ce n’est pas un simple espace de mots entre deux grands espaces blancs. Un texte,
c’est une unité structurée, qui posséde ses régles générales d’organisation et de
fonctionnement — méme si ces régles ne sont pas aussi contraignantes que celles qui servent
a organiser la phrase normée— et des caractéristiques typologiques et énonciatives
particuliéres. Régles et caractéristiques que l’enfant doit progressivement apprendre a
maitriser 4 l’école, aussi bien en tant que lecteur qu’en tant que scripteur. Régles et
caractéristiques dont nous allons exposer I’essentiel dans les pages qui suivent.
DS)
L’ORGANISATION TEXTUELLE
L’ORGANISATION MATERIELLE
Un texte écrit social ne se présente jamais comme une masse graphique compacte. Une telle
forme rebuterait le projet de lecture, tant il est vrai que 1’ ceil — et l’esprit — ont besoin de
points de repéres, se meuvent plus aisément dans un monde (pré)organisé, préanalysé, plutot
que dans un univers syncrétique dans lequel tout le travail d’analyse et de structuration
resterait a faire. Le texte en tant qu’espace graphique, manuscrit ou imprimé, est ainsi
décompactifié, fragmenté matériellement en « blocs » plus petits, fragmentation qui participe
de ce que l’on appelle la « lisibilité » du texte.
Un roman, un ouvrage scientifique ou didactique, un traité de peinture, de musique, etc. sont
organisés, souvent a un premier niveau, en parties, subdivisées en chapitres, eux-mémes
fragmentés en paragraphes, a \’intérieur desquels la ponctuation permet d’identifier des
phrases. Un journal est organisé en articles encadrés, disposés en colonnes sous des titres qui
permettent de les identifier. L’article lui-méme est structuré par la partie titrage (titre,
sur-titre, sous-titre), le chapeau (et l’on peut noter que la diversité typographique participe
également 4 la présentation analytique du texte, destinée a faciliter la lecture), les intertitres
et les paragraphes. Une lettre administrative présente une organisation spatiale spécifique, de
méme qu’une recette de cuisine, une notice de montage, un sonnet, un dictionnaire, un
annuaire des PTT... ou la liste des candidats regus 4 un concours (encore que pour ces deux
types de textes, des progrés resteraient a faire pour en améliorer la décompactification et en
accroitre la lisibilité).
L organisation spatiale du texte n’est généralement pas arbitraire du point de vue du contenu :
les unités formelles, quelle qu’en soit la taille, correspondent dans la trés grande majorité
des cas a des unités de contenu. Pourquoi mettons-nous une restriction ? Parce qu’on peut
observer certaines exceptions, en particulier dans les articles de journaux ou de revues, dans
lesquels les intertitres sont dépouillés parfois de leur fonction d’ annonce du contenu qui suit,
au profit d’une fonction de lisibilité matérielle : en liaison avec le titre et les autres intertitres,
ils participent a la constitution, d’un (sous) texte pour lecteur pressé, mais leur place dans
l’espace textuel est déterminée par la recherche d’un équilibre des masses et des aérations,
le contenu informatif de l’intertitre ayant, par exemple, été développé deux paragraphes plus
haut. C’est la un exemple ot l’organisation de l’espace textuel (la forme) prime sur la
signalisation de I’ organisation du contenu. A chacun(e) de faire des hypothéses sur les types
de lectures que cela peut éventuellement présupposer...
L’organisation formelle du texte posséde une fonctionnalité de lisibilité liée 4 l’usage social
du texte, usage qui détermine des modes de lectures spécifiques : une recette de cuisine
fonctionne dans l’aller et retour entre prise d’ information et action : il faut qu’a chaque retour
au texte l’utilisateur (trice) puisse retrouver ses marques sans perte de temps notable.
L’organisation formelle d’une lettre administrative est destinée 4 permettre |’identification
rapide et claire de l’expéditeur, de l’objet de sa démarche et de ses intentions. Celle d’un
dictionnaire, de retrouver dans le minimum de temps |’ information cherchée. Celle du roman,
d’aider a la création d’un univers sémantique large, en signalant, 4 divers niveaux, les
sous-ensembles sémantiques a faire fonctionner en.corrélation, et en permettant de quitter
54
L’organisation textuelle
provisoirement le texte aux endroits signalés comme bornes d’un de ces sous-ensembles, que
l’on pergoit comme unités narratives / sémantiques (« Tu viens manger ? » « Oui, attends, je
finis le chapitre. ») Et l’on pourrait multiplier les exemples, mais il faudrait réorganiser la
présentation de ce paragraphe pour en améliorer la lisibilité...
C’est cette organisation matérielle qui définit ce que l’on appelle dans la littérature
pédagogique la « silhouette » d’un texte, et qui fait aujourd’hui partie des savoirs que nombre
d’enseignants mettent en ceuvre dans leurs pratiques a l’école élémentaire. Trés tét le jeune
enfant est capable de différencier, puis d’identifier des textes par leur « silhouette » ;
Vobjectif est alors de leur faire découvrir la fonctionnalité de telle ou telle organisation
spatiale textuelle, et de les rendre capables de réinvestir ce savoir dans la mise en forme de
leurs productions.
L’ORGANISATION DU CONTENU
Nous nous en tiendrons dans cette partie aux problémes généraux d’ organisation textuelle.
Les connecteurs
La notion de connecteur est une notion relativement récente en linguistique, et qui n’a fait
officiellement son apparition dans le champ de la didactique du frangais a |’ école €lémentaire
qu’en 1992, avec le développement de la problématique textuelle dans la maitrise de la
production écrite (la Maitrise de la langue a |’école, ministére de |’ Education nationale et
de la culture, CNDP).
e Selon une définition minimale, les connecteurs sont des unités qui appartiennent a la
phrase, mais dont le rdle est interphrastique (ils concernent la relation entre deux phrases,
ils fonctionnent au niveau de la micro-organisation textuelle). Du point de vue formel, ce sont
des mots ou des groupes de mots placés en téte de phrases, qui n’ont aucun rapport
syntaxique avec le reste de cette phrase. Du point de vue sémantique ou énonciatif, les
connecteurs servent 4 indiquer explicitement des rapports entre les contenus des deux
phrases, rapports qui peuvent étre de type temporel (puis, alors...), spatial (plus loin,
BS)
Le TEXTE
dehors...), argumentatif (toutefois, par contre...), explicatif (pour cela, de cette facon...),
méta-discursif (c’ est-3-dire, par exemple...). En explicitant les rapports de contenu entre deux
phrases, les connecteurs Ctablissent une continuité sémantique qui fait que la suite des
phrases sera percue comme un tout homogéne, un continuum, et non comme une série
segmentée d’unités phrastiques. Les connecteurs contribuent 4 ce que l’on peut appeler
« l’effet texte ». Considérons par exemple le texte suivant :
(100) « Ce fut aprés plusieurs minutes que je distinguai qu’elle appartenait a
la race blanche, que sa peau était dorée, plut6t que bronzée, qu’elle était
grande, sans excés, et mince. Ensuite, j'entrevis comme dans un réve un
visage d’une pureté singuliére. Enfin, je regardai ses yeux.
Alors, mes facultés d’observation furent réveillées... »
PIERRE BOULE, la Planéte des singes, Julliard, 1963, 1"° partie, chap. V.
On peut s’amuser a relire ce texte en supprimant les connecteurs en italique. On constate alors
que « l’effet texte » a en grande partie disparu, le cédant a « |’ effet catalogue », c’est-a-dire
a la sensation d’ avoir affaire 4 une suite de phrases mises bout a bout. Dans d’autres cas, la
suppression d’un connecteur peut compromettre la compréhension :
- (101) [...] Il me sembla entendre de petits cris aigus, comme ceux que Nova
proférait la veille. Mais aucune des créatures dont notre esprit enfiévré
peuplait la forét ne se montra.
Nous décidames alors de retourner a la cascade et, tout le long du trajet,
nous fames obsédés par cette impression énervante d’étre suivis et
observés par des étres qui n’osaient pas se montrer. Pourtant, Nova, la
veille, était venue nous rejoindre. »
PIERRE BOULE, op. cit., 1"° partie, chap. VI.
La suppression de « mais » ou de « alors » ne compromet pas la compréhension. Par contre
la suppression de « pourtant » poserait des problémes.
Cet exemple nous permet de constater par ailleurs qu’un connecteur interphrastique ne se
trouve pas obligatoirement en téte de phrase. « Alors » se trouve aprés « nous décidames »,
et cependant il est clair que ce mot joue le réle de lien sémantique avec la phrase précédente,
exactement comme s’il avait été placé en téte de la phrase (« Alors nous décidames... »).
Inversement d’ailleurs, tout ce qui se trouve en téte d’une phrase ne sert pas forcément a la
relier a la précédente :
(102) Quand le chat n’est pas la, les souris dansent.
Quand établit un lien temporel au sein de la phrase entre « les souris dansent » et « le chat
n'est pas la ».
Le concept de connecteur ne définit pas une classe grammaticale: « mais» est une
conjonction de coordination et « pourtant » est un adverbe. Mais tout en restant conjonction
de coordination et adverbe, ils jouent le réle de connecteurs, ils servent a établir des rapports
spécifiques entre les contenus des phrases. Quelles sont les catégories grammaticales qui
peuvent fournir des unités pour jouer le rdle de connecteur ? On retient généralement :
— les conjonctions de coordination : « et, mais, car, donc, etc. »
— certains adverbes : « soudain, aussit6t, enfin, cependant, toutefois, etc. »
— des locutions : « en effet, quand méme, malgré tout, dés lors, le lendemain, etc. »
56
L’organisation textuelle
« mais » établit un lien de contradiction entre « il fait froid » et la conclusion qu’on est en
droit de tirer du fait qu’on est en juin, 4 savoir qu’en juin il doit faire chaud :
« i fait froid »
Au sein de la phrase, « mais » articule la seconde proposition sur un implicite partagé induit
par la premiere proposition.
e D’autres mettent en lumiére des connecteurs textuels, qui ne signalent pas des relations
entre des phrases, mais entre des parties d’un texte (niveau de la macro-organisation
textuelle). Prenons un exemple simple. Les phrases suivantes sont tirées du conte de Grimm
« Rainponce » et sont présentées dans le désordre :
(105) « Il était une fois un mari et sa femme qui avaient désiré avoir un
enfant. »
Il serait facile de dire que la phrase (105) ouvre le conte, que la phrase (106) se situe
forcément quelque part au milieu du conte, et que la phrase (104) clét le conte, ou en clét
une séquence. Quels sont les éléments qui permettent d’avancer ces réponses ? Evidemment
«Il était une fois », formule d’ouverture d’un conte; « désormais », qui annonce une
cléture ; et « Sur le premier moment » qui marque que quelque chose d’important vient de
se passer, et qui annonce l’existence d’une suite (un « second moment »). Ce sont des
marques de ce type, qui expriment l’ouverture, signalent des articulations importantes du
contenu textuel, en indiquant leur nature (temporelle, spatiale, logique, etc.), préviennent
d’une fin prochaine, qui constituent des connecteurs textuels. Il convient de remarquer que
Vutilisation de connecteurs textuels ne constitue pas une contrainte forte. Ainsi,
_ (107) Dans son moulin, vivait un meunier qui n’avait ni femme, ni enfant ; et il
avait trois aides pour le servir. »
Ne contient pas de connecteur textuel visible. On pergoit cependant qu’il s’agit du début
d’une séquence (en particulier, 4 cause de l'utilisation de l’article indéfini pour déterminer
le nom « meunier »). En fait, il s’agit de l ouverture du conte de Grimm « Le pauvre garcgon
meunier et la petite chatte ». Quant a cet extrait :
SMV
LE TEXTE
s’il est évident qu’il ne peut ouvrir un texte, rien n’indique qu’il le clét.
On peut donner quelques exemples de connecteurs textuels.
— Temporels : il était une fois (il y avait une fois, en ce temps-la, un jour, par un bel
Ss
aprés-midi d’été...)/soudain (tout 4 coup, subitement, 4 ce moment-la...) / puis (alors,
ensuite...) / enfin (finalement, désormais...).
— Spatiaux : devant / derriére / plus loin / au loin - en haut / au milieu / en bas / au fond...
— Argumentatifs ou explicatifs : tout d’abord (premiérement, pour commencer, avant toute
chose...)/ensuite (par ailleurs, d’autre part...)/par contre (inversement, mais,
toutefois...) /par conséquent (ainsi, c’est pourquoi, donc...).
Toutefois, si l’on sillonne les contes, les nouvelles, les romans, etc. a la recherche de
connecteurs textuels, force est de constater que la moisson est relativement modeste. Ce qui
ne signifie pas que les connecteurs textuels sont une vue de l’esprit, destinés 4 saturer un
modéle de structuration hiérarchique (le niveau local — ou micro textuel — de la phrase ou
de la rencontre de deux phrases /le niveau global — ou macro textuel — du texte). Ces
connecteurs existent : nous en avons donné des exemples. Mais cela signifie que |’ explici-
tation des relations et des structures aux niveaux micro- et macro-textuel ne constitue pas une
contrainte forte, et qu’en l’absence de ces marques formelles, |’ effet textuel, |’organisation
des contenus, peuvent quand méme étre assurés par d’autres procédés.
Remarque. Du point de vue terminologique, il existe également l’expression organisateur
textuel. Certains auteurs n’emploient que le terme «connecteur », d’autres emploient
« organisateur textuel » avec des valeurs similaires (a ceci prés qu’on ne peut parler
d’ organisateur textuel pour désigner des unités qui assurent des connexions intraphrastiques).
D’ autres auteurs distinguent les deux termes, en attribuant aux organisateurs textuels le rdle
de signaler l’organisation du contenu au niveau global du texte (ce que nous avons appelé
« connecteurs textuels »), et en réservant aux connecteurs celui de I’ organiser au niveau local
de la phrase, ou, plus précisément, des rapports entre les phrases (ce que nous avons appelé
plus haut « connecteurs interphrastiques »). D’ autres enfin notent que la distinction entre les
deux est bien souvent délicate a réaliser.
Quel bilan ? Un texte n’est pas une simple suite de phrases. Lenfant doit apprendre a
organiser ses textes, au niveau macro et au niveau micro, et a rendre perceptible cette
organisation. Elle le sera par l’organisation matérielle et, pour partie (car nous verrons par
la suite d’ autres composantes linguistiques du phénoméne) par une utilisation appropriée des
connecteurs.
e Pour pousser plus loin la réflexion
Nous voudrions replacer le probléme des connecteurs dans le cadre plus large de la
problématique de la mise en mots du réel extralinguistique.
Partons donc du réel extralinguistique. Le monde réel sensible est a trois dimensions, et le
parcours de son appréhension n’est pas obligé: un paysage se contemple globalement,
c’est-a-dire que la multitude des éléments qui le composent sont co-présents, simultanément,
58
L’organisation textuelle
ala conscience de I’ observateur (cela reste valable s’il contemple un objet 4 deux dimensions,
tel qu’un tableau, une photo, un écran de cinéma sur lequel est projeté un film, etc.), et par
ailleurs ce paysage peut étre balayé de fagon aléatoire par le regard, l’ ordre de perception des
composants étant imprévisible.
Dans ce monde, se produisent des événements, s’accomplissent des actions. Mais si ces
événements et ces actions se réalisent dans |’ univers spatial, ils se déroulent aussi selon l’axe
temporel : d’ou des rapports qui peuvent étre de simultanéité ou de successivité, plusieurs
personnes faisant des choses différentes en méme temps, ou de facgon plus ou moins
enchainée. Une méme personne peut également faire plusieurs choses a la fois : on peut
changer une roue au bord de la route, en répondant 4 un automobiliste perdu qu’on ignore
ou est l’embranchement de Trou-sur-Bled, tout en se disant que ce serait mieux s’il ne
pleuvait pas a verse.
Le temps vécu n’a pas toujours la méme densité, la méme vitesse : il y a des périodes de
temps vide, de temps qui s’écoule lentement, c’ est-a-dire des périodes ot le sujet éprouve le
sentiment qu’il ne se passe rien, en tout cas rien de notable, ou que le temps ne passe plus,
et par contre des périodes ot le temps semble s’accélérer, ot les événements s’enchainent,
se bousculent sur un rythme soutenu, voire « effréné ».
Cela c’est, rapidement exposé, l’expérience vécue. Le probléme est de mettre en mots cette
expérience. Car le langage est linéaire, il se déroule selon |’axe du temps, qui se matérialise
a l’écrit par la ligne du cahier ou du livre. Son mode de fonctionnement, c’est la successivité
ordonnée, sur un rythme que |’on peut moduler a l’oral (parler vite ou lentement 4 tel ou tel
moment, établir ou non des pauses-silences plus ou moins longues), mais qu’on module
beaucoup moins naturellement a |’écrit. Dans le langage oral ou écrit, les objets, les
personnages, les événements, les actions, les propos, etc. sont obligatoirement présentés
linéairement, les uns aprés les autres.
Le syncrétisme tridimensionnel du réel est désyncrétisé, analysé et projeté sur l’axe
unidimensionnel du discours, qui ne présente pas en outre |’élasticité du temps subjectif.
Ainsi, pour décrire un paysage ou un tableau, il faudra les analyser en différentes
composantes, et choisir un ordre linéaire de présentation de ces composantes. A ce seul
niveau, le paysage ou le tableau ne sont plus qu’une liste d’ éléments.
Ainsi trois faits simultanés dans |’ univers extra-linguistique, comme se sentir heureux, faire
de la grammaire et chanter, seront linéarisés dans la mise en mots destinée a en rendre compte
(ce que je viens de faire), de la méme maniére que trois faits successifs dans le réel
extra-linguistiques, tels qu’avoir soif, boire et s’essuyer la bouche.
Ce a quoi il convient d’ ajouter que les actions, les comportements, obéissent a des causalités,
entretiennent des rapports entre eux et avec d’autres composantes du monde (il existe, par
exemple, un rapport de causalité entre le fait de se couvrir avant de sortir et la température
extérieure).
La langue contient un certain nombre de moyens qui permettent de penser et de traduire, dans
la mise en mots, la non-linéarité du réel, la non-régularité du temps, les rapports entre les
faits, et qui vont faciliter la reconstruction du référent (le réel extra-linguistique, objet du
récit, de la description, etc.) par l’activité de lecture. Ces moyens, ainsi que nous |’avons vu
en grande partie, sont constitués par :
— des adverbes ou des locutions adverbiales (simultanément, au-dessus, en bas, au milieu,
au loin, puis, aussit6t, tout 4 coup, lentement, peu a peu, toutefois, pourtant, ainsi, etc.) ;
59
LE TEXTE
— des conjonctions de subordination (quand, lorsque, pendant que, tandis que, comme, bien
que, puisque, etc.) ;
— des prépositions ou des locutions prépositionnelles (sur, sous, 4 cdté de, pres de, loin de,
avant, aprés, pour, afin de, malgré, etc.).
Notons, par exemple, que les prépositions « avant » et « aprés » peuvent permettre de
présenter des événements dans l’ordre inverse de leur chronologie réelle, c’est-a-dire
d’échapper dans une certaine mesure 4 la contrainte de la linéarité :
Et si l’on'a?
on constate que la simultanéité est exprimée dans la successivité, en méme temps que le
rapport de causalité, et que l’expression de ces rapports de simultanéité et de causalité est
indépendante de l’ordre de présentation des constituants :
Les connecteurs quel que soit le niveau auquel ils fonctionnent, sont aussi des outils qui
participent a la linéarisation linguistique de l’univers extra-linguistique analysé, comme
marqueurs de non-linéarité du contenu exprimé par la forme linéaire. Nous en avons déja
donné des exemples (109) et (112). Ajoutons celui-ci plus paradoxal pour notre propos :
Les trois actions s’enchainent dans l’univers extra-linguistique. Elles sont présentées
successivement sur la chaine de l’énoncé. A quoi servent les connecteurs ? Pour répondre a
la question, supprimons-les :
Cette phrase sonne un peu faux : la norme veut que le dernier composant d’une énumération
soit relié a ce qui précéde par une conjonction de coordination. Exécutons-nous :
Que constatons-nous ? Que dans le dernier cas les trois actions sont traitées de la méme
fagon ; elles regoivent le méme statut et s’enchainent dans une temporalité identique. Elles
sont parfaitement linéarisées ; alors que dans la phrase (113), « puis » signale une chrono-
logie, un enchainement, mais en méme temps dissocie la premiére action des suivantes en
introduisant une temporalité spécifique : ce n’est qu’une fois le casque bien ajusté que
Frédéric mit le contact et décolla. Ce que l’on pourrait figurer ainsi :
60
L’organisation textuelle
temps Tl temps T2
des préparatifs des opérations de décollage
temps T
des opérations de décollage
puis ne rompt pas le rapport entre chronologie des faits et ordre de leur expression
linguistique. Il valide ordre d’exposition des contenus, mais il en rompt la linéarité en les
réorganisant en deux « paquets » distincts. Et l’on voit ainsi que cette expression du réel
extra-linguistique n’en est pas le simple reflet, mais est le produit de son analyse, de sa
réorganisation par une certaine perception, ou un certain projet.
Ce qui nous renvoie au probléme infiniment complexe des compétences langagiéres de
Venfant, de sa connaissance du monde, de ses compétences d’analyse du monde et de ses
projets communicationnels.
Les plans
Le réel extra-linguistique, avons-nous déja dit, est une sorte de chaos rempli d’objets et
d’étres divers qui font des tas de choses en méme temps, avec ou sans lien entre elles. Dans
cet univers multiforme, on peut opérer des sélections, et s’intéresser par exemple a un étre
particulier. Un enfant qui joue dans la cour de récréation. A partir du moment ot cet enfant
devient le centre d’intérét, l’univers s’ordonne autour de lui: il est |’élément principal, le
reste acquérant le statut d’éléments secondaires. Les autres enfants seront resitués par rapport
a lui; leur comportement, leurs gestes, leurs actions seront évalués par rapport a son
comportement, ses gestes, ses actions. La cour, les batiments, les arbres, les bancs, etc.
acquerront le statut de décor, de cadre aux évolutions de l’enfant. Ce micro-univers se trouve
ainsi restructuré, avec au premier plan |’enfant et ses faits et gestes, et au second plan tout
ce qui dans le reste de ce micro-univers est mis en relation avec lui (1a encore il s’agit de
choix : si l’enfant est ce cow-boy qui sillonne la cour en hurlant, les fillettes qui jouent a
l’élastique dans un coin peuvent ne pas étre mises en relation avec ce héros mythique du Far
West, ne pas étre « vues», ou au contraire étre intégrées contrastivement dans le
micro-univers dont il est le centre). Au-dela de cet exemple, on peut constater que dans la
vie, 2 tout moment, il y a ce qui est vécu comme important, central, et ce qui est vécu — au
moins provisoirement — comme secondaire, latéral.
Nous avons vu que si le langage permet de dire le monde, il le fait sur le mode de la linéarité
formelle, tout en s’appliquant a délinéariser formellement le contenu. Comment le langage
permet-il de rendre la hiérarchisation du réel extra-linguistique que nous venons d’évoquer ?
Considérons le texte suivant :
(116) « [...] Le car était parti a ’aube, du terminus de la voie ferrée, et, depuis
deux heures, dans le matin froid, il progressait sur un plateau pierreux,
désolé, qui, au départ du moins, étendait ses lignes droites jusqu’a des
horizons rougeatres. Mais le vent s’était levé et, peu a peu, avait avalé
limmense étendue. A partir de ce moment, les passagers n’avaient plus
61
LE TEXTE
rien vu ; ’un aprés l’autre ils s’étaient tus et ils avaient navigué en silence
dans une sorte de nuit blanche, essuyant parfois leurs lévres et leurs
yeux irrités par le sable qui s’infiltrait dans la voiture.
« Janine ! » Elle sursauta a l’appel de son mari. Elle pensa une fois de
plus combien ce prénom était ridicule, grande et forte comme elle était.
Marcel voulait savoir ol se trouvait la mallette d’échantillons. Elle explora
du pied l’espace vide sous la banquette et rencontra un objet dont elle
décida qu’il était la mallette. Elle ne pouvait se baisser, en effet, sans
étouffer un peu. »
ALBERT CAMUS, l’Exil et le royaume, chap. 1,
« La femme adultére », Gallimard, 1957.
Dans ce texte, il est question d’un moment de la journée, de conditions climatiques, d’un
paysage, d’une voie ferrée, d’un car, de passagers, d’un homme prénommé Marcel, de sa
femme Janine, etc., et d’un certain nombre d’actions (partir, progresser, voir, se taire,
s’essuyer, sursauter, explorer, etc.). Or, 4 la lecture, on a le sentiment que tout dans ce texte
ne présente pas le méme « relief » : certains composants, certains faits ou actions paraissent
en retrait, d’autres mis en avant. Janine apparait ainsi comme le personnage central, focalisé,
de ce passage, le reste étant présenté comme périphérique, situé en arriére-plan.
On peut penser que cet effet est produit par l’interpellation au discours direct. Mais en fait,
si l’on reléve les temps des verbes employés, on trouve trois temps : des imparfaits, des
plus-que-parfaits et des passés simples, et l’on constate que les passés simples concernent
exclusivement Janine : « elle sursauta », « elle pensa », « elle explora », « elle décida ». Il y
a donc dans ce texte ce dont parle l’auteur a l’imparfait ou au plus-que-parfait, et ce dont il
parle au passé simple. On dira que ce qui est rapporté au passé simple fait partie du premier
plan, et que ce qui est rapporté a l’imparfait ou au plus-que-parfait fait partie du second plan
(nous évoquerons un peu plus loin la derniére phrase ot il est question de Janine a
limparfait). Nous avons 1a, avec le jeu des oppositions des temps verbaux, un nouvel
exemple de délinéarisation des contenus.
Prenons un autre exemple :
(117) « Il faisait doux, le café m’avait réchauffé et par la porte ouverte entrait
une odeur de nuit et de fleurs. Je crois que j’ai somnolé un peu.
C’est un frélement qui m’a réveillé. D’avoir fermé les yeux, la piece m’a
paru encore plus éclatante de blancheur. Devant moi il n’y avait pas une
ombre et chaque objet, chaque angle, toutes les courbures se dessi-
naient avec une purete blessante pour les yeux. C’est a ce moment que
les amis de maman sont entrés. Ils étaient en tout une dizaine, et ils
glissaient en silence dans cette lumiére aveuglante. lls se sont assis
sans qu’aucune chaise ne gringat. »
ALBERT CAMUS, /’Etranger, Gallimard, 1957, 1*° partie, 1.
Dans ce texte, on reléve, pour les temps de I’indicatif,
— des imparfaits et des plus-que-parfaits : il faisait, entrait, il y avait, avait, se dessinaient,
étaient, glissaient ; avait réchauffé ;
— des passés composés : j’ai somnolé, a réveillé, a paru, sont entrés, se sont assis ;
— des présents : je crois, c’est (un frdlement), c’est (4 ce moment).
62
L’organisation textuelle
Evoquons d’abord les temps du présent: on a affaire 4 deux présentatifs (c’est) et 4 une
intervention de l’auteur pour exprimer une relative réserve 4 propos d’un fait qu’il rapporte
dans son récit. Nous reviendrons plus loin sur ces emplois.
Il reste le jeu des imparfaits et plus-que-parfaits par rapport au passé composé. Ov le passé
composé semble jouer le méme réle que le passé simple. On peut d’ ailleurs remplacer tous
les passés composés par des passés simples, et constater que le récit « fonctionne » a
Videntique, si ce n’est qu'il ne produit plus l’effet « conversation » ou «absence de
perspective narrative » que l’on observe avec le passé composé. La différence avec le texte
précédent, c’est que le passé composé n’est pas utilisé pour parler d’un personnage
particulier, puisque « les amis de maman » voient leurs actions traduites au passé composé,
comme celles du « je » du narrateur. Et que par ailleurs certaines actions de ces amis sont
exprimées a l’imparfait. Donc le passé composé ne sert pas ici 4 mettre en relief un
personnage, mais des actions, des faits. Pour mieux saisir le phénoméne et en percevoir la
fonction, nous allons dissocier d’une part tout ce qui est écrit 4 l’imparfait et au
plus-que-parfait, et d’autre part ce qui est écrit au passé composé :
(118) « Il faisait doux, le café m’avait réchauffé et par la porte entrait une odeur
de nuit et de fleurs. Devant moi, il n’y avait pas une ombre et chaque
objet, chaque angle, toutes les courbes se dessinaient avec une pureté
blessante pour les yeux. [Les amis de maman] étaient en tout une
dizaine, et ils glissaient en silence dans cette lumiére aveuglante. »
» (119) « Je crois que j’ai somnolé un peu. C’est un frdlement qui m’a réveillé.
D’avoir fermé les yeux, la piece m’a paru encore plus éclatante de
blancheur. C’est a ce moment que les amis de maman sont entrés. lls se
sont assis sans qu’aucune chaise ne grin¢at. »
63
LETEXTE
e Le second plan est plus hétérogéne. On distingue en effet trois catégories de second plan :
les seconds plans descriptif, évaluatif et narratif.
La description : elle est indispensable dans un récit, faute de quoi celui-ci deviendrait tres
rapidement difficile 4 comprendre (tout texte est hétérogéne, et en particulier le récit qui
conjugue séquences narratives et séquences descriptives. On note d’ailleurs qu’a l’école
élémentaire le résumé de texte narratif par l'enfant se réalise au premier niveau par la
suppression des séquences descriptives. Ce qui permet, pour cet exercice, de choisir
facilement les textes qui pourront donner a |’ enfant le sentiment de la réussite dans le cadre
des compétences qu’il posséde et des efforts qu’il peut réaliser.) Les descriptions permettent
de poser, de fagon plus ou moins étendue ou ponctuelle, le cadre dans lequel vont se dérouler
les actions. Ainsi, dans l’exemple précédent, les notations a l’imparfait jusqu’a « blessante
pour les yeux ».
Le commentaire : auteur apporte une information, une explication, un point de vue, une
appréciation, un jugement, etc. sur un personnage, son comportement, sur les péripéties de
l’action, ses causes ou ses conséquences, etc. Ainsi dans le texte « Janine », la derniére phrase
« Elle ne pouvait se baisser, en effet, sans étouffer un peu. » est une phrase par laquelle
l’auteur explique au lecteur la raison pour laquelle son personnage s’est contenté d’une
exploration 4 l’aide de son pied et d’une conclusion sans vérification. Signalent conjointe-
ment cette valeur de commentaire, l’imparfait, dans un contexte au passé simple, et la
locution en effet. Dans le dernier texte il n’est pas totalement évident que la phrase « Je crois
que j’ai somnolé un peu. » doive étre, comme nous |’avons fait plus haut, placée dans le
premier plan. En effet, « Je crois que » introduit le point de vue du narrateur et donne au
proces exprimé un statut incertain, en retrait par rapport aux autres actions non probléma-
tiques.
Le récit: a coté du récit de premier plan peut fonctionner un récit de second plan, qui
concerne des faits, des actions, des événements soit antérieurs au récit de premier plan, soit
contemporains de ce récit, et qui font partie du cadre du récit de premier plan : les actions
ne se déroulent pas uniquement dans un décor matériel, dans une ambiance donnée, mais
également dans la continuité d’actions antérieures (ou en rupture avec elles) et au milieu
d’autres actions, de statut secondaire. Ainsi le premier paragraphe du texte « Janine »
constitue un second plan narratif, qui définit le cadre dans lequel se déroulera la suite du récit.
Matériellement, les €vénements de premier plan au passé simple ou au passé composé, et
ceux de second plan, a l’imparfait ou au plus-que-parfait (voire au présent) ne se répartissent
pas de fagon tranchée, en paragraphes distincts par exemple. Ni méme forcément en phrases
différentes. Dans |’ extrait suivant :
(120) « Seul, Arthur Levain paraissait songeur et absent. J’allais le plaisanter
sur son air mélancolique, quand j’'aper¢us la femme, juste au-dessus de
nous, juchée sur la plate-forme rocheuse d’ot tombait la cascade.
Jamais je n’oublierai impression que me causa son apparition. Je
retins ma respiration devant la beauté de cette merveilleuse créature de
Soror, qui se révélait 4 nous, éclaboussée d’écume, illuminée par le
rayonnement sanglant de Bételgeuse. »
PIERRE BOULE, op. cit., 1° partie, chap. V.
on peut constater que le passage de l’imparfait au passé simple (du second plan au premier)
se fait a l’intérieur d’une phrase (le passé simple apparaissant dans la subordonnée), que la
poursuite du récit au passé simple se réalise par-delaJa limite du paragraphe ; et qu’on trouve
64
L’organisation textuelle
des subordonnées a l’imparfait dans des phrases au passé simple (« d’ot tombait la
cascade » ; « qui se révélait a nous... ») pour donner des informations de type descriptif. On
pourra noter également dans « Jamais je n’oublierai l’impression que me causa son
apparition. », l’emploi du futur pour le commentaire sur l’événement de premier plan
présenté dans la seconde partie de la phrase. Le découpage en plans ne coincide donc pas avec
les découpages formels, méme si ces découpages sont a base sémantique.
A Vintérieur de ce cadre général, il existe des emplois stylistiques des temps, tels que l’usage
du passé simple ou du passé antérieur dans un récit de second plan commencé au
plus-que-parfait (et qui se terminera de méme) pour donner plus de relief 4 certaines actions,
ou lirruption d’un passé simple dans un récit au passé composé, 1a encore pour mettre en
relief une action, ou un fait, etc. Nous ne nous attarderons pas sur ces emplois relativement
marginaux. Nous nous contentons d’en signaler |’existence pour prévenir, autant que faire se
peut, des risques d’analyses erronées, ou de profonde perplexité...
Il ne s’agira pas a l’école élémentaire de se livrer 4 une analyse un peu fine des deux plans.
Ce type de travail reléve officiellement de l’enseignement secondaire. Mais il faudra que les
éléves soient capables, a l’issue du cycle 3, de distinguer dans un texte ce qui est présenté
comme central, qui concerne l’action qui avance, et ce qui est secondaire, qui concerne le
décor. Et qu’ils soient capables de réinvestir ce savoir dans leurs productions écrites, avec
Vemploi maitrisé des temps correspondants.
La progression
On lit rarement un texte pour y trouver tout ce que l’on sait déja. Sauf a relire un roman que
lon a particuli¢rement aimé pour revivre le plaisir éprouvé lors de la lecture précédente ; sauf
a chercher dans son journal le compte rendu du match que !’on a suivi la veille a la télé, pour
des raisons similaires ; sauf a relire sa feuille d’ imposition pour tenter — sans trop y croire —
d’y trouver |’ erreur salvatrice. Mais, en tout état de cause, tous ces textes ont été produits en
vue d’une premiére lecture-découverte, et non de possibles relectures. C’est-a-dire que tout
texte doit contenir du nouveau, faute de quoi il serait dépourvu d’intérét ou donnerait
limpression de tourner en rond ; et du connu, faute de quoi le lecteur ne pourrait intégrer le
nouveau, ou aurait l’impression que l’on saute sans cesse du coq al’ane. D’ou le probléme
de l’organisation textuelle du connu et du nouveau. Ce que l’on appelle la progression
thématique.
Remarque. Nous n’entreprendrons pas ici une réflexion sur le connu (a quel degré ? de quelle
facon ? etc.) ni sur le nouveau (a quel degré ? comment est-il rendu assimilable ?, etc.).
Pour ces questions, nous renvoyons nos lecteurs et lectrices a la bibliographie.
Nous avons déja vu (cf. chapitre précédent) que, du point de vue énonciatif, on pouvait
analyser un énoncé en théme et rhéme, le theme étant ce a propos de quoi on dit quelque
chose, et le rhéme, ce qu’on en dit. Nous avons vu également que ce a propos de quoi on
dit quelque chose est le connu (le posé, ce qui est moins informatif), et ce qu’on en dit, le
nouveau (1’apport, ce qui est plus informatif). Théme et rhéme sont donc les concepts de base
utilisés pour analyser |’ organisation de |’ apport d’information dans un texte, le theme étant
le repére pour |’analyse, parce que son statut est plus proche de l’invariant que celui du
rhéme.
On distingue trois types de progressions : la progression a théme constant, la progression a
théme linéaire, et la progression a theme éclaté (dite aussi 4 themes dérivés).
65
LE TEXTE
e La progression 4 théme constant. C’est celle que l’on trouve par exemple dans le texte
suivant :
(121) Frédéric pensait a la chambre qu’il occuperait la-bas, au plan d’un
drame, a des sujets de tableaux, a des passions futures. Il trouvait que
le bonheur mérité par l’excellence de son ame tardait a venir. Il se
déclama des vers mélancoliques ; il marchait sur le pont a pas rapides ;
il s’avanga jusqu’au bout, du cdté de la cloche [...]
GUSTAVE FLAUBERT, l’Education sentimentale, 1"° partie, 1.
On constate que dans cet extrait, tous les verbes ont pour sujet grammatical « Frédéric » ou
son représentant « il ». De bout en bout Frédéric constitue les thémes des phrases ; ce qu’il
fait, ce qu’il pense en constituent les rhémes. Frédéric est donc constamment en position de
théme dans ce texte : on dira que l’on a ici une progression a theme constant. L’_homogénéité
textuelle, est, de ce point de vue, trés forte.
e La progression 4 théme linéaire. Considérons le texte suivant, dans lequel nous avons
présenté en italiques des composants du rhéme et présenté en gras les themes :
_ (122) Ce détail et beaucoup d’autres furent convenus entre le docteur et Mile
Beaulieu. Cette bonne fille quitta Nancy a cing heures, laissant ses
fonctions a Anne-Marie.
Or, depuis longtemps, Anne-Marie, que Mme de Chastellet ne gardait
que par bonteé et qu’elle avait été sur le point de renvoyer une ou deux
fois, était entierement dévouée a Mile Bérard, et son espion contre
Beaulieu.
STENDHAL, Lucien Leuwen, chap. XXXVI.
On constate qu’un élément du rhéme de la premiére phrase (« Mlle Beaulieu ») devient le
théme de la deuxiéme phrase, sous la forme de « cette bonne fille ». Dans le rhéme de cette
deuxiéme phrase, on trouve « Anne-Marie » qui, sous une forme identique, devient le theme
de la troisiéme. La progression se réalise ainsi :
Pl—Th1 + Rhl
P2 —>Th2 + Rh2
P3—>Th3 + Rh3
L’élément nouveau d’une phrase étant découvert, il sert d’élément connu pour la phrase
suivante. Ainsi le texte progresse par la transformation du nouveau en connu, de |’apport en
support. C’est ce que l’on appelle une progression «A théme linéaire, particuligrement bien
66
L’organisation textuelle
venue dans le texte proposé pour traduire un enchainement d’ actions assuré par un relais de
personnages.
e La progression a theme éclaté (ou a themes dérivés) :
Cette fois on ne retrouve aucune permanence thématique. Chaque phrase posséde un théme
singulier. Pourtant on n’a pas l’impression d’ avoir affaire 4 un texte décousu, a une sorte de
patchwork sans cohérence. C’est donc qu’il existe ce que nous appellerons en premiére
approche, un « principe organisateur » de ce texte, sans marques formelles perceptibles. Pour
trouver ce principe organisateur, on peut poser la question « De quoi parle-t-on dans ce
texte ? » ou « De quoi s’agit-il ? » La réponse est assez facile 4 proposer : il s’agit de la
description d’un petit appartement. « Un intérieur » peut étre considéré comme le théme
général de ce texte, theme qui ne se concrétise ici qu’a travers un certain nombre de
sous-thémes (ce qui est imprimé en gras dans le texte), chacun représentant une partie du
theme général. C’est pourquoi on parle de progression (ou construction) 4 théme éclaté, le
théme général ayant éclaté en un certain nombre de sous-thémes.
Ce type de progression est caractéristique de la description, alors que les précédentes
structurent plutdt la narration.
Il faut noter qu’un certain flottement existe au niveau terminologique : certains auteurs
parlent de « progression a théme éclaté » (au singulier), d’ autres, de « progression a thémes
dérivés » (au pluriel). Premiére observation: il s’agit du méme type de progression.
Deuxiémement : 4 quoi correspond cette différence terminologique ?
En se plagant au niveau textuel, on a un théme et des sous-thémes. Si l’on se place au niveau
de la phrase, on dira que chaque phrase posséde son theme (qui est en fait un sous-theme au
plan textuel) qui s’oppose au rhéme. L’ensemble de ces thémes exprime le theme général,
qu’on appelle alors l’hyperthéme. L’-hyperthéme s’exprime au niveau phrastique par des
thémes dérivés. La différence terminologique résulte d’une différence de perspective :
— Du texte a la phrase :
un théme (niveau textuel) et des sous-thémes (niveau phrastique), progression a théme
[textuel] éclaté [en sous-thémes phrastiques].
— De la phrase au texte :
des themes (niveau phrastique) et un hyperthéme (niveau textuel), progression a thémes
[phrastiques] dérivés [de l’hyperthéme textuel].
Il est évident que ce vocabulaire, que l’enseignant(e) sera amené(e) a rencontrer au fil de ses
lectures didactiques et/ou théoriques concernant |’enseignement du francais, ne transpirera
pas dans le discours pédagogique a l’école élémentaire. A l’extréme limite, si l’on est amené
a aborder la question avec des enfants, on ne parlera guére que de thémes particuliers et de
theme général.
67
LE TEXTE
Les trois types de progressions que nous avons présentés constituent des progressions-types.
Mais dans la majorité des cas, la réalité est plus complexe. Nous allons en examiner un
exemple.
e Progression complexe. Considérons le texte suivant :
— Un théme (le chariot) éclaté en sous-thémes : les copeaux, les roues, ce (sont) + le chariot
présent lui-méme comme theme, qui s’intercalent entre les themes précédents :
J
— Un autre theme éclaté en deux sous-thémes, qui n’apparaissent qu’a la fin de cet extrait,
en rupture avec ce qui précéde : un coup violent, (c’est) ma mére.
Les deux themes constants concernent les deux protagonistes centraux de cette scéne qui
réalisent une série d’actions, alors que le theme éclaté du chariot est utilisé pour décrire
objet en cours de réalisation. II n’est pas indifférent que ces trois themes soient plus ou
moins imbriqués, pour rendre compte d’une situation ou il n’y a pas d’un cété le pére qui
fait, de l’autre l’enfant qui regarde, et d’un autre cdté enfin l’objet centre de tout |’ intérét.
On peut imaginer aussi que la mére a assisté a une partie au moins de la scéne (la derniére).
Mais l’histoire est racontée du point de vue du personnage de |’ enfant, qui, lui, ne l’ avait pas
vue. Il est donc normal de l’avoir exclue de la description de la scéne, du réseau des themes
et des sous-themes imbriqués : la mére ne fait pas partie des liens qui relient thématiquement
le pére et le fils autour du jouet. Cela permet en outre de provoquer un effet de surprise chez
le lecteur, qu’il pourra rapprocher symboliquement de celui qu’a di éprouver, avec une autre
intensité, le personnage de |’enfant.
I] s’agit done d’une progression thématique complexe, ot chaque type de progression
correspond a un type de contenu particulier 4 organiser, et ot les constructions inter-
thématiques correspondent a une organisation d’ensemble, conduite d’un point de vue
spécifique (et qu’on peut doter de valeurs symboliques).
68
L’organisation textuelle
La encore, nous sommes au-dela des savoirs a enseigner 4 l’école élémentaire, mais 1a aussi
il convenait de ne pas laisser croire que la réalité des textes correspondait de fagon simple
aux descriptions précédentes.
Avec les problémes de progression thématique, nous avons été amené a évoquer la question
des représentants, des reprises (par quelle forme le théme ou le rhéme d’ une phrase est repris
dans la phrase suivante ?), ce qui nous conduit a aborder un probléme également fondamental
dans |’organisation textuelle : celui de l’anaphore.
L’anaphore
On peut s’asseoir devant son téléviseur tous les soirs, pendant des années. Jusqu’a ce qu’il
tombe en panne ou qu’on le trouve décidément démodé. On s’accommode assez bien de la
permanence de |’objet, de la répétition de son apparition et de son usage dans la vie. Et il
en est de méme, dans la plupart des cas, concernant les étres qui nous entourent.
On s’accommode par contre moins bien de la répétition des mots qui désignent les objets ou
les gens dans le discours. Or, dans un texte un peu long, il se trouve parfois — ou souvent :
cela dépend du type de texte — des objets que l’on doit évoquer plusieurs fois. Dans les
récits, il se trouve toujours des personnages que l’on doit évoquer plusieurs fois. Surtout
quand il s’agit du personnage principal. I] faut donc trouver des moyens de désigner plusieurs
fois le méme référent, ou de renvoyer a lui, sans employer toujours les mémes mots. On
emploiera donc des mots différents, mais en établissant entre eux une relation spécifique
qu’on appelle anaphore.
On dit qu’il y a anaphore lorsqu’un mot ou un groupe de mots renvoie a un autre mot ou
groupe de mots apparu précédemment dans le discours. Par exemple, dans le texte de Vallés
ci-dessus, le pronom « il » renvoie au groupe de mots « mon pére »: il y a une relation
d’anaphore (ou relation anaphorique) entre « il » et « mon pére ».
La répétition n’est utilisée que dans des cas particuliers, avec souvent une valeur stylistique.
e L’ellipse :
(126) « Elle explora du pied l’espace vide sous la banquette et rencontra un
objet, etc. »
Dans cet exemple, le verbe « rencontra » n’a pas de sujet propre formellement exprimé. I]
faut rattacher « rencontra » au pronom « elle », sujet de « explora ». La grammaire dit qu’il
y a dans ce cas un sujet pour deux verbes. Au niveau de la mise en mots, nous dirons qu’il
y aellipse du sujet pour le verbe « rencontra », ce qui établit une relation anaphorique entre
zéro et « elle ». (Notons que |’ellipse est le cas-limite de l’anaphore.)
Attention. Nous avons analysé la une procédure de mise en mots. Dans une analyse
grammaticale, nous ne dirons jamais que « rencontra» a pour sujet le pronom « elle »
69
LE TEXTE
sous-entendu. Quelles que soient les opérations de mise en mots, la grammaire n’analyse que
le résultat formel obtenu, que les formes produites.
e La substitution : c’est le procédé le plus largement employé, et dont nous avons donné
un exemple plus haut. Les substituts anaphoriques peuvent étre de nature trés diverse. On
reléve ainsi :
— Les pronoms : réputés remplacer un nom, ce qui est effectivement le cas quand il s’agit
d’un nom propre :
(127) « Frédéric pensait a la chambre qu’i/ occuperait la-bas. »
possessifs :
(134) Paul avait un jardin comme tous ses voisins, mais /e sien était beaucoup
mieux entretenu.
indéfinis :
(135) Tous les hommes sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres.
relatifs :
(136) « Cing ou six personnes, debout, emplissaient l’appartement étroit
qu éclairait une seule fenétre donnant sur la cour. »
70
L’organisation textuelle
Dans cet exemple, le premier terme (qu’on appelle aussi |’antécédent) et son substitut
anaphorique sont synonymes. Dans d’autres cas, le substitut peut avoir une extension plus
large que |’ antécédent :
(138) Lors du Conseil d’école, /es instituteurs et les parents d’éléves s’affron-
terent sur l’organisation de la semaine. Les enseignants pensaient qu’il
valait mieux allonger la journée de classe plutét que de travailler le
mercredi matin ou de raccourcir les vacances.
« instituteur » entretient avec « enseignant » le rapport de la partie au tout. Ces deux termes
ne sont pas synonymes. L’un englobe I’autre : on dit que « enseignant » est l’hyperonyme de
« instituteur » (ou de « professeur »). Ou, inversement, que « instituteur » ou « professeur »
sont des hyponymes de « enseignant ». Le substitut d’un nom, ou d’un groupe nominal,
n’entretient donc pas forcément avec lui des rapports d’équivalence, de synonymie étroite.
Le substitut peut étre une périphrase, une expression :
_ (139) Napoléon avait de grands projets. Rien ne semblait pouvoir résister au
vainqueur de léna.
Il est évident que la relation anaphorique ne fonctionnera que si le lecteur posséde une
information historique minimale.
Un groupe nominal, peut, comme un pronom, représenter des séquences étendues et de nature
grammaticale différente :
(140) « Nous décidammes alors de retourner a la cascade et, tout au long du .
trajet, nous fémes obsédés [...] »
_ (141) Le vent s’était levé, et peu a peu avait avalé I’immense étendue. A partir
de ce moment, les passagers n’avaient plus rien vu. »
— Des adverbes :
_ (148) Les enfants arrivérent a /a clairiére. \ls n’étaient pas trés rassurés, mais
la, ils pouvaient jouer loin du regard indiscret des adultes.
_ ~(144) « Enfin, je regardais ses yeux. Alors, mes facultés d’observation furent
réveillées. »
Wik
LE TEXTE
Oi I’on observe que « alors » est a la fois un connecteur et un substitut (« alors » = « quand
je regardai ses yeux »).
— Des déterminants : comme nous le verrons plus loin, la classe des déterminants regroupe
les « petits mots » qui permettent d’actualiser un nom: les articles, et ce que la grammaire
traditionnelle appelait « adjectifs » possessifs, démonstratifs, indéfinis, relatifs. Les articles
définis peuvent avoir une valeur anaphorique (contrairement aux articles indéfinis) :
(145) « [...] Elle lui demanda un volume de I’Histoire de France de Velly, placé
au rayon le plus élevé, ce qui obligeait Julien a aller chercher la plus
grande des deux échelles. Julien avait approché |’échelle; il avait
cherché /e volume, il le lui avait remis, sans encore pouvoir songer a
elle. »
STENDHAL, le Rouge et le noir, livre II, chap. 9.
Larticle défini « le » renvoie au volume cité dans la premiére phrase (alors que |’indéfini
« un » aurait renvoyé a un volume quelconque).
La relation anaphorique peut étre exprimée par un déterminant démonstratif ou possessif :
Le démonstratif « cette » permet d’établir une relation anaphorique entre « bonne fille » et
« Mile Beaulieu », et le possessif « ses », entre « fonctions » et « cette bonne fille ». Ces liens
anaphoriques disparaitraient avec l’article indéfini par exemple :
_ (147) Ces détails et beaucoup d’autres furent convenus entre le docteur et Mlle
Beaulieu. Une bonne fille quitta Nancy a cing heures, laissant des
fonctions a Anne-Marie.
Le déterminant relatif est d’un emploi rare. I] a toujours une valeur anaphorique :
(148) « Rien ne transpirait de leur passé dans leurs conversations devant moi,
lesquelles conversations trottaient d’ordinaire sur les choses et les
personnes de la ville [...]. »
BARBEY D’AUREVILLY, les Diaboliques, « Le rideau cramoisi ».
Remarque. Il est possible que |’« antécédent » n’apparaisse pas, comme cela est générale-
ment le cas, avant son substitut, mais aprés :
(149) Quand Cyril voulut /u/ parler, il était trop tard : /a fille avait disparu.
q2
L’organisation textuelle
on voit que « ceux-ci » reprend « les chats », sans en modifier |’extension (il s’agit toujours
de tous les chats) ; le rapport est identique entre « leur » et « les chiens », entre le pronom
neutre « le » et le fait de ne pas aimer.
e Anaphore partielle : La représentation anaphorique est dite partielle lorsque le substitut
de l’antécédent a une extension plus réduite que la sienne, ne représente qu’une partie de ce
que désignait son antécédent. Ainsi, dans l’exemple déja utilisé plus haut :
_ (135) Tous les hommes sont égaux, mais certains le sont plus que d’ autres.
certains renvoie a « hommes », mais pas a « tous les hommes » : certains, c’est une partie
des hommes. De méme pour d’autres, qui représente aussi une partie des hommes.
e Anaphore dissociée (certains disent « conceptuelle ») : la relation anaphorique est dite
dissociée (ou conceptuelle) lorsque le substitut désigne une réalité identique a celle que
désigne |’antécédent, mais distincte :
(151) C’est vrai que son stylo est tres beau, mais je trouve que /e tien écrit
mieux.
« son stylo » et « le tien » renvoient tous deux au méme type d’objet (des stylos), mais il
s’agit de deux objets distincts.
Par rapport a l’antécédent, on peut donc désigner anaphoriquement le méme référent, une
partie de celui-ci, ou un référent similaire.
73
LE TEXTE
(Nous avons mis un astérisque aprés « les passagers » pour signaler qu’il y avait la encore
une anaphore, dont la suppression posait probléme, dans la mesure ot il aurait fallu écrire
quelque chose comme : « les passagers d’un car qui, etc. ».)
Ces valeurs esthétique (?) et fonctionnelle de l’anaphore se manifestent dés le niveau de la
phrase, et se retrouvent, évidemment, au niveau du texte. Il est une autre fonction de
l’anaphore, plus spécifiquement textuelle. Pour rendre les choses plus claires, plagons-nous
du point de vue du lecteur. Confronté, dans un texte, a différentes formes d’anaphores (en
particulier les ellipses et les substitutions), le lecteur est obligé de réaliser des mises en
relation entre ces diverses anaphores qu’ilrencontre et leur antécédent. I reconstruit ainsi un
réseau qui contribue 4 produire ce que nous avons déja appelé l’effet textuel. Avec
l’anaphore, il est des informations (celles que fournissent les antécédents) qui ne peuvent pas
étre oubliées, et qui obligent le lecteur 4 procéder a des stockages plus ou moins étendus,
faute de quoi, la suite du texte devient incompréhensible. Dans le texte « Janine » (116), la
suite de phrases fonctionnant avec le substitut « elle », ou son ellipse, ne peut étre comprise
que dans la mesure ot l’information « Janine » a été stockée avec le statut d’antécédent, ou
le lecteur met chaque occurrence de « elle » ou son ellipse en relation avec cet
antécédent. De sorte que chaque phrase prise isolément est incompléte du point de vue de
information (point de vue sémantique), et que l’unité phrase s’estompe dans la conscience
du lecteur au profit de lunité séquence — ou texte —: l’anaphore oblige le lecteur a
reconstituer une macro-unité textuelle. C’est en ce sens que |’anaphore reléve de |’ organi-
sation textuelle du contenu.
Cohérence et cohésion
74
L’organisation textuelle
Dans ces questions de cohérence et de cohésion, n’oublions pas l’emploi homogéne des
temps tout au long du texte, qui constitue une difficulté de taille pour l’enfant dans
lapprentissage de la production d’un texte écrit long.
Exercice 1
*
Exercice 2
* *
Dans le texte suivant, qui est un texte d’enfant du CM1 dont nous n’avons corrigé que
l’orthographe et la ponctuation, étudiez les connecteurs, les plans, la progression
thématique et les anaphores
Le désert magique
Un jour, en Tunisie, un désert avait une légende trés particuliére. Elle disait que le désert
faisait sortir des chameaux du sable. Alors Isaac, fils d’Abraham, partit voir ce fameux
désert magique.
ll arriva devant ce désert trés particulier, et vit des chameaux sortir du sable. Il se frotta
les yeux encore et encore, et toujours la méme vision.
Isaac chercha pourquoi, creusa et creusa dans sa téte. Au bout d’un moment il trouva que
c’était la magie noire.
Alors il partit voir un docteur Rabdoula 1°. Pour éliminer la magie noire, il fallait mettre
sur un dos de chameau du basilic, de la menthe, des épinards. Ca brilait le mauvais ceil.
Et la légende existe plus.
75
PE TEXLE
Exercice 3
*
La tortue de mer
Elle va se poser sur le sable.
La tortue pond des ceufs.
Apres elle retourne dans la mer, aprés les ceufs se craquent, apres les tortues se sauvent
sinon les oiseaux vont les manger, et aprés la tortue retourne dans la met...
Corrigé 1
On trouve dans ce texte les trois types d’anaphore que nous avons présentés :
— l’anaphore par répétition : (conduisit) Julien / (que) Julien (jugea €tre...) ;
— l’anaphore par ellipse : le lendemain (ellipse de : « de ce jour-la ») ; qui portait un
nom supposé, mais indiquait (ellipse de « qui ») ;
— |l’anaphore par substitution, a |'aide de :
* pronoms personnels : antécédent : « Julien » ; substituts : (on) /u/ remis...), (qu’)
il (avait toujours...), // (monta...).
* pronoms relatifs : antécédent : « des hétes singuliers » ; substitut : que (Julien
jugea...) ; antécédent : « un passeport » ; substitut : qui (portait...) ;antécédent : « le
véritable but du voyage » ; substitut : qu’ (il avait toujours...).
* adverbe : antécédent : « un chateau isolé, assez éloigné de Paris » ; substitut : /a.
(se trouverent...).
* on notera enfin des anaphores dont on ne peut déterminer le type, faute
d’antécédent dans |’extrait proposé (répétition ? emploi d’un substitut lexical 2), mais
dont le caractére anaphorique est marqué par I’emploi de l’article défini « le » : « le
marquis » ; «le véritable but » ; « du voyage » (« du =« de le»). (hormis « Le
lendemain » déja évoqué, les autres déterminants sont des articles indéfinis, utilisés
pour la premiére dénotation d’un référent, ce qui exclut toute possibilité de valeur
anaphorique).
Corrigé 2
76
L’organisation textuelle
— «un désert » (avait) > « le désert » (faisait) + « ce fameux désert magique » >
« ce désert trés particulier » ;
— «une légende trés particuliére » > « la légende » (existe plus). L’utilisation du
mot « légende » encadre de facon significative le texte (le mot apparait dans la
premiere et la derniére phrase), puisque le texte trouve sa raison d’étre dans le
probléme posé par la légende et s’acheve « naturellement » avec sa résolution.
— « Isaac » (fils de...) - Isaac (chercha...). Notons que la répétition de « Isaac »
intervient aprés une suite de reprises pronominales, et que cette anaphore par
répétition correspond a une articulation dans le processus narratif : la répetition a ici
une valeur structurante comparable a celle d’un connecteur.
— (faisait) « sortir des chameaux du sable » > (vit) « des chameaux sortir du sable »
— (sur un dos) « de chameau » ;
— (c’était « la magie noire » > (pour éliminer) « la magie noire ».
Les répétitions n’ont pas toutes la méme valeur dans ce texte : celles de « légende »
et de « Isaac » présentent une fonction de structuration textuelle, et elles sont bien
venues. Les autres n’ont pas la méme qualité.
e N’oublions pas la valeur anaphorique de certains déterminants :
« un désert » — le désert > ce désert ; il > les yeux ; la méme vision ; Isaac > sa
téte ; une légende — /a légende.
e On trouve enfin des anaphores par ellipse :
—— IL arrival. euvitee:
— Isaac chercha pourquoi, creusa et creusa dans sa téte.
On constate, pour tenter un bilan général, que cet enfant possede une maitrise
certaine dans l’organisation textuelle du récit, mais que tout n’est pas encore au point
(nombreuses sont en particulier les maladresses qui ne relévent pas du présent
exercice).
Corrigé 3
La premiere impression que produit ce texte, c’est justement de ne pas en étre un,
mais d’étre plut6t une suite de phrases, voire, a partir de « Aprés elle retourne », un
énonceé narratif oral. Voyons ce qui donne cette impression.
La premiére chose qui choque, c’est certainement le maniement de |’anaphore. La
premiére phrase commence par « Elle », alors qu’un texte doit, normalement,
présenter nominalement le référent avant de recourir aux substituts (« Normale-
ment », car on peut avoir des débuts cataphoriques, du type « Elle grimpe d’abord sur
la plage, la tortue qui veut pondre des ceufs. » Mais il est clair qu’ici il ne s‘agit pas
d’une cataphore.) En fait, on peut imaginer que ce pronom personnel « elle » est en
relation anaphorique avec le titre, ce qui est contraire a l’usage courant: le titre,
informe la lecture du texte, est une composante du texte, mais n’est pas intégré au
tissu textuel. A moins qu’il ne soit en relation directe avec l'image observée : « elle »
78
L’organisation textuelle
La progression thématique ne peut guere, telle qu’elle a été réalisée, sauver le texte
de son manque de cohésion.
Ce texte, du point de vue de la maitrise de son organisation, contraste avec le
précédent. Certes, ce n’est pas le méme enfant qui a écrit ces deux textes a deux ans
et demi d’intervalle. Certes, ce n’est pas le méme type de texte qui est demandé (texte
a produire a partir d’un support graphique / texte libre d’imagination). Mais, malgré
ces variables, ces deux textes sont représentatifs d’éleves que l’on peut juger comme
« bons » pour chaque niveau, dans un milieu socioculturel favorisé. Ce qui permet
de se faire une premiere idée, non pas des compétences des enfants du CE1 ou du
CM2 dans le domaine particulier sur lequel nous nous sommes penchés, mais de ce
que des enfants peuvent acquérir en deux-trois ans comme compétences dans ce
domaine.
80
LA TYPOLOGIE DES TEXTES
Au niveau le plus général, on distingue les textes littéraires et les textes non littéraires, et,
parmi ceux-ci, les textes journalistiques, publicitaires, didactiques, etc. Ce type de distinction
est particuliérement utilisé a l’école élémentaire dans la réflexion didactique concernant les
activités de lecture.
En affinant la description, on distinguera des genres. Ainsi les textes littéraires se subdivisent
en grands genres comme la comédie, la tragédie, le drame, le roman, la poésie, etc. qui
eux-mémes se subdivisent en (sous-) genres plus précis, qui sont le plus souvent les formes
que les grands genres ont prises au cours de l’histoire. La comédie, par exemple, a pu prendre
la forme de la farce, de la commedia dell’ arte, de la comédie de mceurs, de la comédie de
caractére, de la comédie-ballet, de la comédie larmoyante, du vaudeville, etc. Cette
problématique concerne beaucoup plus l’enseignement secondaire que 1’enseignement
élémentaire qui, pour les textes littéraires, s’en tient en gros, dans sa réflexion didactique et
ses supports d’activités pédagogiques, au conte ou au récit, au roman, a la poésie et, parfois,
aux « piéces » (de théatre).
Par contre, l’enseignement élémentaire apparait plus concerné par les genres journalistiques
(peut-étre sous l’effet des campagnes « la presse a l’école »), et les distinctions entre fait
divers, éditorial, reportage (généralement sportif), petites annonces, etc.
Ces distinctions, tout a fait traditionnelles, sont traversées par un autre systéme de
distinctions, qui dégage cing grands types :
— narratif
— descriptif
— injonctif (ou prescriptif, ou instructif)
— argumentatif
— explicatif
Ce classement sert actuellement de cadre de référence et d’ analyse pour de nombreux travaux
relatifs a la lecture ou a la production d’écrits a l’école élémentaire et au collége, ainsi que
pour la pratique des maitres.
Notons dés |’abord que la notion de type de texte est pernicieuse en ce sens qu’elle risque
de provoquer de fausses représentations. En effet, elle tendrait 4 donner l’impression qu’un
texte est une entité homogeéne, alors qu’en réalité tout texte est hétérogéne. Ainsi, par
exemple, un récit, un conte, un roman, etc., sont des textes a dominante narrative, mais
contenant des séquences descriptives et, éventuellement, des séquences explicatives (voir en
particulier les romans de Jules Verne) ou argumentatives (cf. les Contes de Voltaire).
Inversement, il n’existe guére de texte exclusivement descriptif : un texte descriptif est
généralement une séquence a I’intérieur d’un texte de nature différente. Un discours électoral
ou un message publicitaire sont des textes 4 dominante argumentative, mais pouvant contenir
des séquences narratives (« Je vais vous raconter une anecdote »), descriptives (« La nouvelle
*** nosséede un air-bag en série, l’air conditionné et des jantes chromées »), injonctives
81
LE TEXTE
(« Regardez-moi dans les yeux »), ou explicatives (« Le probléme est compliqueé, mais je vais
vous expliquer ce que veulent en fait nos adversaires »), toutes ces s€quences, quelle que soit
leur nature, ayant en fait une valeur argumentative.
Une recette de cuisine, une notice de montage, sont des textes 4 la fois explicatifs et
injonctifs. Un plan d’évacuation des lieux en cas d’incendie est un texte a dominante
injonctive présentant des aspects descriptifs et explicatifs. Un article d’encyclopédie, un
manuel scolaire sont des textes 4 dominante explicative, mais pouvant contenir des séquences
narratives, descriptives, argumentatives ou injonctives (voir en particulier les consignes des
eXercices).
Donc, davantage que de types de textes, on devrait parler en toute rigueur de types de
séquences. On gardera constamment présent a |’esprit qu’un texte dit narratif ou argumentatif
est un texte dont la caractéristique générale est d’étre narratif ou argumentatif, mais qu’il
contient des séquences de type différent. On se souviendra également que le classement en
types de textes recoupe les autres formes de classement, et qu’un poéme peut étre narratif
(ex. : l’épopée), de méme qu’un manuel d’histoire ou un article de journal (ex.: le fait
divers).
82
La typologie des textes
Niveau superstructurel
On a essayé de différencier également les types de texte au niveau de leur superstructure,
c’est-a-dire de l’ organisation structurelle générale de leur contenu. La encore, tous les types
de texte n’ont pas recu le méme niveau de description : le type narratif a fait l’objet de
descriptions superstructurelles nombreuses et détaillées depuis un temps relativement long
déja, alors que les autres types de texte n’ont fait objet de travaux dans ce domaine que
depuis une période récente. A l’école élémentaire, seule la superstructure narrative, qui
concerne en particulier le récit et le conte, a été retenue. On peut la représenter ainsi :
superstructure narrative
Selon ce modéle, un récit, un conte, c’est ce qui sépare un équilibre initial E; d’un équilibre
final E,,, E; étant généralement différent de E,. C’est ce qui se passe par exemple dans
Blanche-Neige :
— E,: un couple royal heureux posséde une fille adorable nommée Blanche-Neige ;
— E,,: Blanche-Neige épouse le prince charmant.
Entre ces deux états s’est développé le conte. A la suite de E, on trouve les trois phases :
— complication : la reine meurt ; le roi épouse une femme au narcissisme hypertrophié qui
ne supporte pas la beauté de sa belle-fille ;
— action : la partie la plus longue du conte, avec différentes péripéties, depuis la décision
de faire assassiner Blanche-Neige, jusqu’a la pomme empoisonnée ;
— résolution : réveil de Blanche-Neige et mort de la maratre.
83
LE GE XTE
Formellement, la superstructure textuelle pourra étre repérée par des indices au niveau de la
macro-organisation (connecteurs, apparition du passé simple aprés l’exposé de la situation
initiale 4 l’imparfait, etc.). Mais s’il existe des correspondances entre superstructure et
indices de macro-organisation, on peut avoir des organisations au niveau macro qui ne
correspondent pas 4 des découpages au niveau superstructurel. Ainsi la phase « action », qui
est de loin la plus importante dans un récit ou un conte, sera souvent organisée en différentes
péripéties, avec des rebondissements, que pourront signaler des connecteurs textuels, ou que
l’on pourra percevoir par l’apparition de nouveaux personnages, par des changements de
décor, etc. (ou par l’organisation matérielle en paragraphes).
Il convient toutefois de noter que la superstructure narrative que nous avons rapidement
exposée est un modéle, et qu’en tant que tel, il peut toujours étre transgressé. Prenons un
exemple simple. Dans le conte de Grimm, le Petit Chaperon rouge, il n’y a pas de bicheron
qui vient a la fin éventrer le loup : le loup digérera tranquillement la grand-mére et la petite
fille. On peut dés lors s’interroger sur ce qui correspondrait a la résolution de la situation
problématique, et 4 1’équilibre final, si ce n’est que, faute de grand-mére et de petite fille, il
reste une mére qui devra manger elle-méme la galette et le petit pot de beurre si elle ne veut
pas gaspiller la nourriture.
Les textes argumentatifs, explicatifs et prescriptifs ont également fait l’ objet de tentatives de
modélisations similaires. Le texte descriptif a semblé un certain temps devoir échapper a
toute modélisation selon une superstructure canonique, mais la aussi des modeles existent (cf.
bibliographie).
Exercice 1
*
Exercice 2
* x
| Méme exercice :
Corrigé 1
Ce texte est a l’é€vidence un récit, puisque racontant une histoire (ou plus précisément
un fragment d’histoire) au passé. Il est composé de séquences narratives et de
séquences descriptives.
Le premier paragraphe constitue une séquence narrative. On y trouve des verbes
d’action au passé simple (prirent les devants) a l’imparfait (allaient quérir) ou au
participe présent (apparaissant), avec des sujets désignant des humains (Tintin et ses
cing guerriers, les autres, les ennemis). On y trouve également des locutions, des
connecteurs, ou des adverbes temporels (a midi ; pendant que, quand ; déja).
Le second paragraphe constitue une séquence descriptive, fonctionnant a deux
niveaux : énumération des types d’armes qui équipaient le groupe ; description plus
85
LE TEXTE
Corrigé 2
87
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LA PHRASE
PHRASE-TYPE ET PHRASE-OCCURRENCE
LE PROBLEME
e Une phrase-type est un modeéle de référence, c’est-a-dire une phrase syntaxiquement bien
formée et présentant un sens littéral autonome achevé. On pourra illustrer la phrase-type avec
les exemples phrastiques proposés par les grammaires, tels que :
(156) Le chat mange la souris.
ou
90
Phrase-type et phrase-occurrence
2. Du point de vue énonciatif, une phrase est une unité linguistique minimale compléte
permettant de dire quelque chose de quelqu’un ou de quelque chose.
3. Du point de vue morpho-syntaxique, une phrase est une unité linguistique autonome,
constituée d’un ensemble de mots construits selon les régles grammaticales autour d’un ou
plusieurs prédicats.
4. Selon le critére prosodique, une phrase est une suite de sons modulés selon certains
schémas intonatifs particuliers, et séparée des autres phrases par une pause plus ou moins
longue.
5. Selon le critére graphique, une phrase est un ensemble de mots délimités par une
majuscule et un point.
Toutefois, aucun de ces critéres isolé ne peut suffire a définir une phrase. Notons d’ores et
déja que les critéres 4 et 5 ne sont pas des critéres définitoires. Il est en effet possible de
moduler
as
Zoe vs ~~
(158) le la les un une des
ne constitue pas une phrase, malgré la majuscule et le point. A l’inverse, |’extrait suivant de
l’Exil et le royaume d’ Albert Camus contient des phrases, malgré la suppression de la
ponctuation :
(160) le chauffeur éteignit ses phares les alluma puis les fit clignoter sur le talus
homme apparaissait disparaissait plus grand et plus massif a chaque
résurrection soudain de |’autre cdté du fleuve au bout d’un bras invisible
une lanterne s’éleva plusieurs fois dans l’air sur un dernier signe du
guetteur le chauffeur éteignit définitivement ses phares
On se rend compte, a la lecture d’un texte présenté ainsi, du réle de la majuscule et du point :
ce sont des aides pour la lecture, au méme titre que la séparation des mots par des blancs
ou que l’existence d’une orthographe :
(161) lechauffeuréteignitsesphareslesallumapuislesfitclignoterrégulierement
surletaluslhommeapparaissaitdisparaissait
(163) lechofeurétégniséfarelézalumapuiléficlignautéréguliairemansurletalulo
meaparésédisparésé
91
LA PHRASE
Nous verrons en outre (cf, chap. « Phrase verbale et phrase non verbale » et chap. « La
ponctuation ») qu’il est des cas ot le point ne limite pas une phrase. Quoi qu’il en soit, si
le fait de savoir qu’une phrase commence par une majuscule et se termine par un point
permet, dans la plupart des cas, a l’enfant-lecteur de repérer des phrases dans un texte, ce
savoir n’est d’aucune utilité a /’enfant-scripteur pour produire un texte contenant des phrases
bien formées.
Notons en outre que la majuscule et le point ne sont pas les seuls signes démarcatifs de la
phrase : les titres phrastiques de journaux (voir le Monde), de livres (le Premier Accroc coiite
deux cents francs), de films (Les hommes préferent les blondes), les slogans publicitaires
n’utilisent pas le point ni, parfois, de majuscule particuliére pour la premiére lettre du premier
mot : la démarcation se fait par l’isolement spatial, que renforce souvent, si besoin était, la
spécificité typographique (gros caractéres dans un journal).
De la méme facgon, a l’oral, l’intonation exhibe les unités discursives (qui ne sont pas
d’ ailleurs forcément phrastiques ainsi que nous |’avons vu), ce qui a pour fonction d’ apporter
une aide supplémentaire (voire fondamentale : |’interrogation par intonation) a |’ auditeur qui
doit faire du sens 4 partir d’une chaine sonore et de certains éléments de la situation de
communication.
La définition de la phrase comme unité possédant un sens complet ne va pas sans poser
probléme. Certes nous avons vu que :
(164) L’eau bout a cent degrés.
répond parfaitement a la définition sémantique de la phrase. Les phrases que proposent les
ouvrages de grammaire ou de linguistique également : ce sont des phrases-types sémanti-
quement autonomes. Mais cela ne correspond que rarement 4 la réalité des phrases
rencontrées dans les textes (oraux et écrits), c’est-a-dire aux phrases-occurrences, celles, en
particulier auxquelles l’enfant sera confronté en dehors des phrases-types des exemples — ou
des exercices— de grammaire. En d’autres termes, s’il s’agit d’enseigner a l’école
élémentaire la grammaire d’aprés les textes, dans quelle mesure peut-on appliquer les critéres
utilisés pour les phrases-types aux phrases-occurrences ? Prenons un exemple significatif :
_ (165) C’est pourquoi on ne les retrouvera pas ici.
est indéniablement une phrase, bien qu’elle ne permette pas la construction d’un sens
achevé ; en effet une paraphrase du type :
(166) Il y aune raison qui fait que l’on ne trouve pas certaines choses quelque
part.
reléve davantage du jeu de devinette que de l’unité sémantique autonome. L’unité
sémantique est ici le groupe de phrases, le paragraphe. Le lecteur nous pardonnera d’avoir
procédé a une auto-citation, (165) étant extrait du dernier paragraphe de notre avant-propos :
(167) (2) Dans les grammaires qui se veulent complétes, de nombreux points
font partie des zones périphériques de la langue, qui ne présentent
Phrase-type et phrase-occurrence
aucun intérét pour les apprentissages que doit réaliser l'enfant de |’école
elémentaire, voire du college. C’est pourquoi on ne les trouvera pas ici.
Replacé dans son contexte, (165) peut recevoir un sens complet immédiat. A l’inverse,
(168) Bébé patapoum.
est sémantiquement beaucoup mieux achevé que (165) hors contexte, sans étre une phrase
articulée.
qu’est-ce qui permet de dire que |’on parle du chat plutét que de la souris ou des deux a la
fois ? D’autres définitions, nous l’avons vu, font du théme le connu et du rhéme le nouveau ;
du theme le support (ou le posé) et du rhéme |’ apport ; du théme ce qui est moins informatif
et du rheme ce qui est plus informatif. Certaines phrases sont ainsi construites sur un jeu
récurrent de thématisation/rhématisation :
_ (170) Moi, mon voisin, sa femme, elle boit.
1 2 3 4
Si on découpe cette phrase en | + 2, puis en 2 + 3, puis en 3 + 4, on constate que 2 constitue
le rhéme de 1 (moi, mon voisin), puis le theme de 3 (mon voisin, sa femme) ; 3 est le rheme
de 2, puis le theme de 4 (sa femme, elle boit).
(theme ~— rheéme)
La phrase progresse ainsi par une succession de transformations de rhémes en themes (ce qui
était nouveau pour le segment précédent devient connu pour le segment suivant), avec une
cohésion au plan morphologique, puisque « mon » de 2 renvoie a « moi » de 1, « sa » de 3
renvoie A « voisin » de 2, « elle » de 4 renvoie a « femme » de 3. On aura sur le méme modeéle
des réalisations telles que :
_ (171) Moi, a l’école, y a un petit, i’frappe tout le monde.
Ce ne sont pas 14 des phrases canoniques, conformes a la norme grammaticale, mais ce n’en
sont pas moins des phrases, et en particulier des phrases typiques de I’oral.
93
LA PHRASE
C’est le point de vue qui fournira le critére central de définition de la phrase : (165) est une
phrase parce qu’elle est construite selon des régles grammaticales données, qu’aucun des
constituants ne dépend pour sa construction, sa fonction, d’éléments extérieurs faisant partie
du contexte. Dans (165), «c’est pourquoi», «les», «ici», dépendent du contexte
sémantiquement, mais non syntaxiquement.
(174) D’incolores idées vertes dorment furieusement.
n’est que difficilement sémantisable ; ce n’en est pas moins une phrase. Allons plus loin:
(175) Les madifes luigonnent leur algage.
sera encore pergu comme un phrase, dans la mesure ot on croit reconnaitre des marques
morphologiques définissant des catégories grammaticales aux emplacements oi les régles
syntaxiques les réclament et marquant les accords que la morpho-syntaxe exige. Par contre :
(176) Les madife luigone leur algage.
94
Phrase-type et phrase-occurrence
a la norme exprimée par les grammaires : nous avons vu que la phrase « Moi, mon voisin,
sa femme, elle boit. » présentait une cohésion morphologique assurée par le jeu anaphorique
des déterminants et du pronom « elle » qui contraint |’ ordre de présentation — 1’ organisation
syntagmatique — des constituants : non seulement le verbe et son sujet pronominal doivent
apparaitre a la fin, mais la place des autres constituants est également obligée :
(177) * Moi, sa femme, mon voisin, elle boit.
Mon voisin, moi, sa femme, elle boit.
Mon voisin, sa femme, moi, elle boit.
Sa femme, mon voisin, moi, elle boit.
Sa femme, moi, mon voisin, elle boit.
*
etc.
— réponses
> +(179) Nulle.
— phrases inachevées
(180) Vous savez, moi, je crois que ce qui est important, la... je... je vais pas
parler de la coopérative, mais il faudrait... comment dire... euh... parce
que nous, on peut pas...
Ensuite parce que ces enfants se sont montrés capables, lors de leur scolarité antérieure, de
produire des phrases complétes bien formées, sur injonction a l’oral et/ou a l’écrit (par
exemple lors de la mise au point orale de phrases a écrire).
Enfin, parce que |’apprentissage de la lecture s’effectue largement — voire totalement —
dans le cadre phrastique, avec les contraintes mélodiques qui s’imposent dans I’oralisation
de la lecture, et le rdle que joue la ponctuation, sur laquelle on a abondamment attiré leur
attention.
A l’orée de la derniére année du cycle des apprentissages fondamentaux quels sont les
apprentissages 4 conduire ?
25
LA PHRASE
Exercice
*
Dans le texte suivant, distinguez les phrases sémantiquement autonomes et celles qui
dépendent sémantiquement du contexte. Relevez dans ce dernier cas les éléments
des phrases qui renvoient au contexte, ou qui ont besoin du contexte pour étre
aisément compréhensibles.
Il y avait a Montmartre, dans la rue de l’Abreuvoir, une jeune femme prénommeée Sabine,
qui possédait le don d’ubiquité. Elle pouvait a son gré se multiplier et se trouver en méme
temps, de corps et d’esprit, en autant de lieux qu’il lui plaisait souhaiter. Comme elle était
mariée et qu’un don si rare n’edt pas manqué d’inquiéter son mari, elle s’était gardée de
lui en faire la révélation et ne |’utilisait guére que dans son appartement, aux heures ot
elle y était seule. Le matin, par exemple, en procédant a sa toilette, elle se dédoublait ou
se détriplait pour la commodité d’examiner son visage, son corps ou ses attitudes.
L’examen terminé, elle se hatait de se rassembler, c’est-a-dire de se fondre en une seule
et méme personne. Certains aprés-midi d’hiver ou de grande pluie qu’elle avait peu
d’entrain a sortir, il arrivait aussi a Sabine de se multiplier par dix ou par vingt, ce qui lui
permettait de tenir une conversation animée et bruyante qui n’était du reste rien de plus
qu’une conversation avec elle-méme. Antoine Lemurier, son mari, sous-chef du conten-
tieux a la SBNCA, était loin de soupconner la vérité et croyait fermement qu’il possédait
comme tout le monde, une femme indivisible. Une seule fois, rentrant chez lui a
’improviste, il s’6tait trouvé en présence de trois épouses rigoureusement identiques,
aux attitudes pres, et qui le regardaient de leurs six yeux pareillement bleus et limpides,
96
Phrase-type et phrase-occurrence
de quoi il était resté coi et la bouche un peu bée. Sabine s’étant aussitdt rassemblée, il
avait cru étre victime d’un malaise, opinion dans laquelle il s’était entendu confirmer par
le médecin de la famille, qui diagnostiqua une insuffisance hypophysaire et prescrivit
quelques remeédes chers.
MARCEL AYME, « Les Sabines », le Passe-muraille.
Corrigé
Pour traiter cet exercice, il était nécessaire de traiter chaque phrase isolément, en
s‘interrogeant chaque fois sur les informations que tel mot ou groupe de mots
présupposait acquises par la lecture de ce qui précédait.
Ce texte ne contient qu’une phrase sémantiquement autonome : la premiére, qui,
pour faire sens de fac¢on satisfaisante, ne sollicite du lecteur que sa connaissance de
la langue et du monde (peu importe, a la limite, que l’on ait eu ou non Il’occasion de
flaner dans Montmartre, ou que l’on ignore si la rue de |’Abreuvoir existe, a existé ou
est une invention de |’auteur).
Toutes les autres phrases sont dépendantes du contexte :
— «Elle pouvait a son gré se multiplier et se trouver en méme temps, de corps et
d’esprit, en autant de lieux qu’il lui plaisait souhaiter. » : « Elle » renvoie a « une
jeune femme prénommée Sabine ». Hors contexte, on peut seulement dire que
« elle » est un substitut (un anaphorique) féminin. Probleme : de quoi ?¢ de qui ? De
qui parle-t-on ?
— « Comme elle était mariée et qu’un don si rare n’edt pas manqué d’inquiéter son
mari, elle s’était gardée,... » : deux constituants rendent cette phrase sémantique-
ment dépendante du contexte : « elle », comme précédemment, et « un don si rare »
qui fonctionne comme anaphorique de « don d’ubiquité » de la premiere phrase, et
de |’explicitation de ce don que constitue la deuxiéme phrase. La encore, hors
contexte, « un don si rare » laisserait perplexe.
— « Lematin, par exemple, en procédanta sa toilette, elle se dédoublait,... » : outre
« elle », se pose, hors contexte, le probleme de « sa » et des autres possessifs : a qui
renvoient ces possessifs ? a « elle » ou a quelqu’un d’autre ? Se pose également le
probléme de |’emploi de « par exemple » : cette formule, servant a présenter une
illustration, présuppose l’existence préalable de quelque chose a illustrer. La phrase
« Le matin, en procédant a sa toilette, Sabine se dédoublait,... » serait beaucoup plus
autonome sémantiquement.
— «L’examen terminé, elle se hatait de se rassembler, c’est-a-dire de se fondre en
une seule et méme personne. » : nous retrouvons encore « elle », mais en plus,
« L'examen terminé », qui renvoie lui aussi au contexte antérieur. On peut noter en
outre que le reste de la phrase appellerait une suite explicative, du type : « En effet,
cette jeune femme possédait le don d’ubiquité, etc. »
— « Certains aprés-midi d’hiver ou de grande pluie qu’elle avait peu d’entrain a
sortir, il arrivait aussi a Sabine de se multiplier par dix ou vingt,... » : « aussi »
wi}
LA PHRASE
présuppose d'autres actions ; quanta « Sabine », dans cette phrase, elle ne nous a pas
été présentée...
— « Antoine Lemurier, son mari, sous-chef du contentieux a la SBNCA, était loin de
soup¢gonner la vérité et croyait fermement,... » : on retrouve un possessif (« son, »),
qui cette fois renvoie au contexte antérieur (le mari de qui 2), et le groupe « la vérite »,
qui lui aussi est un anaphorique, puisque « la vérité » renvoie a tout ce qui a ete
exposé précédemment sur le don d’ubiquité de son épouse et sur I’utilisation qu’elle
en faisait.
— « Une seule fois, rentrant chez lui a l’improviste, il s’était trouvé en présence de
trois €pouses,... » : « il » est un anaphorique comme « elle » précédemment. Quant
a « lui », il est hors contexte ambigu..En effet, dans le contexte antérieur, le seul
personnage masculin dont il a été question est Antoine Lemurier. De ce fait, « lui »
ne peut renvoyer qu’a Antoine Lemurier, sans aucune ambiguité. Mais hors contexte,
nous ne savons pas de qui « lui » est l’anaphorique : « lui » renvoie-t-il au « il » qui
suit, ou a quelqu’un d’autre qui n’est pas désigné dans la phrase ? Chez qui « il »,
dont nous ignorons tout, rentre-t-il ?
— «Sabine s’étant aussitOt rassemblée, il avait cru étre victime d’un malaise,
opinion dans laquelle,... »: ce début de phrase est particuliérement riche en
anaphoriques et en présupposés.
e « Sabine » : cf. plus haut;
e « s’étant rassemblée » présuppose un contexte antérieur exposant qu’elle s’était
désassembleée ;
° « aussit6t » présuppose le récit d’une action, d’un événement antérieur, sur
lequel s’enchaine |’action, |’événement présenté;
e «il»: cf. plus haut;
e « (il) avait cru étre victime d’un malaise » : la encore on retrouve la présuppo-
sition de la connaissance d’un événement antérieur. La relation causale entre
« Sabine s’étant aussit6t rassemblée » et « il avait cru étre victime d’un malaise » est
évidente. Mais s’il a « cru », c’est qu’il s’est trompé, et donc qu’il s’agissait d’autre
chose : ce que justement présupposent « aussit6t » et « s’était rassemblée ».
Il y a continuité sémantique sans rupture du texte, mais les phrases qui le composent,
a |’exception de la premiére, ne constituent par des unités sémantiques, autonomes,
completes, ce que masque la lecture suivie du texte avec le jeu des anaphoriques de
nature grammaticale diverse. Insistons : c’est ‘une des conditions pour qu’une suite
de phrases puisse produire un « effet texte ».
98
PHRASE VERBALE ET PHRASE NON VERBALE
Pour étudier les phrases verbales et les phrases non verbales, probléme que nous avons déja
évoqué dans la premiére partie, nous nous placerons du point de vue morpho-syntaxique.
Le probleme auquel on se heurte lorsque |’on sort de la phrase-type canonique est celui des
limites au-dela desquelles on peut décider que I’on n’a plus affaire a une phrase. Ces limites
restent souvent floues, et les décisions peuvent varier selon les grammaires. Nous poserons
qu'il n’y a phrase que s’il y a au minimum prédicat avec actualisation interne (cf.
1. LENONCE, « Prédicat et actualisation », p. 43 sg.). Toutefois cette définition de la phrase
ne correspond pas toujours a celle que mettent en ceuvre de nombreuses grammaires, qui
retiennent comme phrases des prédicats 4 actualisation externe, appelés « phrases nomina-
les ». Nous reviendrons sur cette question.
Nous définirons la nature de la phrase par celle de son prédicat, si bien que nous
n’appellerons pas « nominale » toute phrase non verbale, comme le font habituellement les
grammaires, mais bien la classe des phrases dont le prédicat est nominal, et qui se distinguent
d’autres phrases non verbales dont le prédicat peut étre pronominal, adjectival ou adverbial.
LA PHRASE VERBALE
On appelle phrase verbale une phrase dont le prédicat est verbal, c’est-a-dire contient un
verbe conjugué comme constituant central.
Ce genre de phrase est largement privilégié par |’étude grammaticale, d’une part parce que
c’est de trés loin celui qui domine |’usage écrit ; et d’autre part parce que c’est le genre de
phrase qui fournit la plus grande variété de relations syntaxiques — ou fonctions
grammaticales — établies par la grammaire a ce jour.
99
LA PHRASE
Il convient de bien apercevoir que des phrases de ce genre sont des phrases orales, mais non
point populaires.
La phrase (184) est constituée de deux parties.
— Une chaine d’éléments nominaux en rapport récursif de thématisation/rhématisation non
grammaticalisé (voir p. 93) : « moi + mon frére + la politique ».
— Une structure grammaticale organisée autour du verbe (« adore ») avec des anaphoriques
(pronom personnel « il » et pronom démonstratif neutre « ¢a ») qui assurent la cohésion
sémantique de l’ensemble.
On pourrait penser métaphoriquement a la typologie des recettes de cuisine qui €énumerent
d’abord les ingrédients et les ustensiles nécessaires 4 la confection du plat, puis indiquent
dans un second temps la maniére de les utiliser, les rapports qu’il faut établir entre eux.
La phrase nominale
e Elle a la structure
Ainsi que nous l’avons déja vu (p. 47), les présentatifs sont « voici » « voila », « c’est », « il
y a» (« y a»). Certaines phrases sont a l’évidence nominales :
(185) Voici / Voila mon travail.
D’autres le sont moins :
(186) Voila la maison dont je vous ai parlé.
(187) C’est ’heure.
100
Phrase verbale et phrase non verbale
Les grammaires scolaires actuelles rangent généralement «c’est» dans la classe des
présentatifs. Ce faisant, elles simplifient l’analyse pour des enfants jeunes. Il convient
toutefois de remarquer que si dans « C’est I’heure », « c’ » ne représente rien, ne pourrait
commuter avec rien (* « Ceci/cela est I’heure »), il existe d’autres cas oll « ce » (ou « c’ »)
a une valeur anaphorique :
(191) Je ne suis pas d’accord avec tout ce que vous avez dit, mais cétait
intéressant / mais cela était intéressant.
ou l’on voit que « c’ » représente « ce que vous avez dit », et ne peut étre mis sur le méme
plan que le « c’ » de « c’est ’heure ». De fagon comparable, on observe que dans :
(192) La grammaire, c’est pénible.
« c’ » est un substitut anaphorique de « grammaire » (« grammaire » est un sujet qui a été
détaché en téte de phrase). Dés lors, analysera-t-on (187) et (192) de la méme fagon ?
La tradition grammaticale considére que « étre » n’est pleinement verbe que dans le cas ot
il posséde un sens réel :
(193) Je pense, donc je suis (= j’existe)
(ou : je suis a Chamonix = je me trouve)
Sinon, il est soit verbe auxiliaire (il sert 4 conjuguer certains verbes aux temps composés ou
au passif) :
(194) Pierre est encore arrivé en retard.
(195) La formation des professeurs est assurée par l’IUFM.
soit verbe copule (il constitue un simple lien de forme verbale qui unit le prédicat et le sujet).
On considére alors que le prédicat est non verbal. De ce point de vue, (187) et (192) seraient
des phrases verbales a prédicat nominal. La fonction grammaticale de ces prédicats serait
attribut du sujet « c’ ». La question ne se poserait donc pas. Mais nous ne retiendrons pas
cette analyse qui lie la nature du prédicat au sémantisme du verbe.
Remarque. Au Moyen Age on avait les formes :
(196) Ce suis je, ce est il, ce sommes nous, etc.
ou il apparait que le sujet est le pronom personnel (je, il, nous, etc.) et que « ce » est attribut.
Puis, courant XVI° siécle, on est passé a la forme moderne «c’est lui» ot le pronom
personnel se présente formellement comme attribut ; il n’est que de comparer avec :
(197) Méfie-toi, ton peére est trop gentil, mais moi je ne suis pas lui.
Dés lors « ce » devient sujet, et l’on a les formes « c’est moi», « c’est nous », etc. Mais a
la personne 6 deux formes vont entrer en concurrence, qui subsistent toujours :
_ (198) Ce sont des enfants.
(199) C’est des enfants.
Aujourd’ hui on considére (199) comme familier, populaire, voire incorrect. Il faut cependant
savoir que la forme (199) (« c’est » + constituant nominal pluriel, pronom personnel a la
personne 6 — c’est eux, c’est elles —, etc.) était une forme courante chez les meilleurs
101
LA PHRASE
écrivains du xvul° siécle (Bossuet, La Bruyére, Corneille, Racine...). Ce sont les grammai-
riens puristes qui ont imposé la forme « ce sont » pour la personne 6, alors que Vusage
courant a continué a utiliser « c’est » dans tous les cas : on peut considérer que cette formule
ne varie pas en personne, sauf dans le style trés soigné. Elle ne varie qu’en temps et en mode.
(200) Je ne crois pas que ce soit elle.
En fait, il convient de distinguer le cas (187), ol « c’est » peut étre considéré comme un
présentatif, du cas (192), ot « c’ » est un substitut. Dans le premier cas, on aurait affaire a
une phrase nominale (« c’est », actualisateur, ne fait pas partie du prédicat) ; et dans le
second, 4 une phrase verbale (le prédicat étant: « est pénible ».) De facon similaire, on
distinguerait deux possibilités dans :
(202) Il y a de l’argent bien placé, en Suisse, Pierre.
(203) C’est
lly a
Vos le facteur
Voila
102
Phrase verbale et phrase non verbale
Avec ces présentatifs on constate que les catégories grammaticales ne relévent pas forcément
de la loi du tout ou rien. On sait que les changements de catégorie sans dérivation (hypostase)
sont possibles, telle la nominalisation des adjectifs :
_ (208) Les rouges de Matisse sont admirables.
Mais ici il s’agit d’autre chose: des verbes qui ne sont plus tout a fait des verbes, un
présentatif qui se trouve au centre d’une construction de type verbal — indépendamment des
origines de sa formation : « vois 1a ».
e Toutes les phrases nominales ne sont pas construites selon la structure :
présentatif + Groupe Nominal
D’autres structures sont possibles :
(209) Quelle chance d’étre enseignant !
(prédicat) (actualisateur)
ou
La phrase pronominale
Lorsque le prédicat est un pronom personnel, il prend la forme complément, atone avec les
présentatifs de forme non verbale :
~ (212) Me voici / Me voila
tonique avec les présentatifs de forme verbale :
(213) C’est moi / Il y a moi et les autres.
Par contre, lorsque, par exemple, une personne, surprise par l’apparition d’une autre
personne, s’exclame: « Vous! », nous ne dirons pas que « Vous!» est une phrase
pronominale, mais un prédicat pronominal a actualisation externe (sauf 4 considérer que la
modalité exclamative suffit 4 actualiser le prédicat).
La phrase adjectivale
On appellera phrase adjectivale :
— soit une phrase construite selon la structure
P > Présentatif « c’est » + adjectif
103
LA PHRASE
Mais dans la plupart des cas ot l’on a la structure «c’est » + adjectif, «c’ » est un
anaphorique :
(215) Perrier, c’est fou !
Remarque. Nous avons vu (chap. « L’énoncé ») qu’il est possible de ne pas mettre en mots
le référent et de lui faire jouer le role d’actualisateur situationnel :
(217) (Le gateau plus ou moins largement ingurgité) + « délicieux ! »
La phrase adverbiale
On appellera phrase adverbiale :
— soit une phrase construite selon la structure :
P > Présentatif « c’est » + adverbe
(218) C’est bien / C’était comment ?
104
Phrase verbale et phrase non verbale
Exercice 1
*
Relevez et classez les unités de niveau phrastique composant le texte suivant (faute
de mieux, nous appelons unités de niveau phrastique les phrases proprement dites et
les prédicats a actualisation externe) :
On la sert dans de minuscules carafes, au Rosal. Une eau des sources de |’arriére-pays.
Tout a l’heure, au début de aprés-midi, j’étais assis sur l’une des banquettes de moleskine
du Rosal — moleskine rouge qui contraste avec le bois sombre du bar, des petites tables
et des murs. D’habitude, a cette heure-la, il n’y a aucun client. Ils font la sieste. Et les
touristes ne fréquentent pas le Rosal. Quand je l’ai apercue, assise pres de la grille en fer
ouvragé qui sépare le café de la salle de billard, je n’ai pas tout de suite distingué les traits
de son visage. Dehors, la lumiére du soleil est si forte qu’en pénétrant au Rosal, vous
plongez dans le noir.
La tache claire de son sac de paille. Et ses bras nus. Son visage est sorti de l’ombre. Elle
ne devait pas avoir plus de vingt ans.
PATRICK MODIANO, Vestiaire de l’enfance, Gallimard, 1989,
collMFolian (99m p. 1.3:
Exercice 2
*
Le texte ci-aprés a été produit par un éleéve du CM2. Nous avons procédé a quelques
retouches concernant la ponctuation (en particulier, nous avons remplacé une
virgule apres « soixante-quinze ans » par un point d’interrogation) et corrigé quel-
ques erreurs orthographiques. Dans ce texte, relevez et classez les unités de niveau
phrastique. Etudiez leur emploi.
Le capitaine Iglo
Ce personnage avait-il entre soixante et soixante-quinze ans ? Visage rond, yeux bleus,
une belle barbe blanche, des moustaches blanches, une casquette blanche, des sourcils
assez longs, un nez fin, des oreilles assez décollées, une bouche grande, des cheveux
105
LA PHRASE
; , ahs Py nl
bla ncs, et un regard, un regard admirable. Quand il regardait, ses sourcils s’élargis-
saient ; quand il regardait, ses pupilles s’arrondissaient et une flamme se dessinait.
Corrigé 1
Ce texte contient des phrases verbales, des phrases nominales et des prédicats
nominaux.
1. Phrases verbales
2. Phrase nominale
3. Prédicats nominaux
106
Phrase verbale et phrase non verbale
Corrigé 2
Ce texte, qui est une description, contient deux phrases verbales (la premiere,
interrogative, etla derniére, déclarative), qui encadrent le corps du texte, formé d’une
longue suite de groupes nominaux, qui constituent des prédicats nominaux actua-
lisés par le contexte. On constate que cet enfant a utilisé une phrase pour introduire
son texte, et a utilisé ensuite des prédicats nominaux pour réaliser une description
statique du visage du personnage. Mais quand il s’est agi de rendre compte d’une
réalité dynamique (I’animation du visage par le regard), il a a nouveau utilisé une
phrase verbale. On peut estimer qu’il y a la une utilisation remarquable des moyens
linguistiques disponibles, méme si, dans le détail de l’organisation des prédicats
nominaux, des améliorations pourraient étre apportées ; méme si |’on peut discuter
sur l’opportunité d’une phrase de type interrogatif pour ouvrir le texte. Mais il est clair
que ce texte n’est pas de |’oral transcrit, mais bien de l’écrit, dont on a utilisé des
ressources spécifiques.
107
PHRASE SIMPLE, PHRASE COMPLEXE
Nous distinguerons phrases simples et phrases complexes sur la base du nombre de prédicats
qu’elles contiennent.
LA PHRASE SIMPLE
La phrase reste simple si le sujet est composé de plusieurs constituants ne contenant pas
d’ expansion prédicative :
(227) André et son amie Juliette terminent leurs devoirs.
LA PHRASE COMPLEXE
Remarque. (228) est une phrase simple et (231) une phrase complexe parce que cette
derniére contient deux prédicats (nominaux : « votre stylo » et « votre carnet »), alors que
(228) n’en contient qu’un (puisque ce prédicat est verbal et que son constituant central —
le verbe « termine » — est unique).
— soit plusieurs unités phrastiques juxtaposées ou coordonnées ;
(232) André termine ses devoirs, Juliette révise ses lecons, tout est calme.
108
Phrase simple, phrase complexe
Nous nous contenterons ici de ce cadre général, que nous approfondirons dans le tome 2.
Exercice 1
Conjonction de coordination,
conjonction de subordination
et adverbe
* *
Soit la phrase :
Pierre travaille, il a des difficultés.
qui contient deux unités phrastiques juxtaposées.
1. Dressez une liste de mots ou de locutions que I’on peut insérer entre ces deux
unités phrastiques :
Pierre travaille... il a des difficultés.
2. Trouvez des critéres formels pour distinguer les différentes catégories grammati-
cales auxquelles appartiennent ces mots ou ces locutions.
Exercice 2
* *
109
LA PHRASE
Exercice 3
* * *
| Méme exercice :
Gilliatt habitait la paroisse de Saint-Sampson. II n’y était pas aimé. Il y avait des raisons
pour cela.
D’abord il avait pour logis une maison « visionnée ». Il arrive quelquefois, a Jersey ou a
Guernesey, qu’a la campagne, a la ville méme, passant dans quelque coin désert ou dans
une rue pleine d’habitants, vous rencontrez une maison dont l’entrée est barricadée ; le
houx obstrue la porte ; on.ne sait quels hideux emplatres de planches clouées bouchent
les fenétres du rez-de-chaussée ; les fenétres des étages supérieurs sont a la fois fermées
et ouvertes ; tous les chassis sont verrouillés, mais tous les carreaux sont cassés. Les
cheminées se crevassent, le toit s’effondre ; ce qu’on voit du dedans des chambres est
démantelé ; le bois est pourri, la pierre est moisie. I] y a au mur du papier qui se décolle.
L’épaississement des toiles pleines de mouches indique la paix profonde des araignées.
Quelquefois on apergoit un pot cassé sur une planche. C’est la une maison « vision-
née ». Le diable y vient la nuit.
VICTOR HUGO, les Travailleurs de la mer, 1'° partie, livre 1%, Il.
Exercice 4
* OX
Le texte suivant est un texte d’éléve du CE2, en ZEP, a qui on demandait de raconter
un « passage » de ses vacances. Seule l’orthographe a été corrigée (mais non I’usage
des majuscules). Vous essayerez de découper ce texte en phrases et de les analyser
comme dans les exercices précédents.
Chez mon papa je me suis bien amusé avec mon vélo de cross, apres je suis parti chez
mon petit cousin, j’ai joué aux voitures de mon cousin quand je suis parti de chez mon
cousin il était 8 :00 heures, quand j’étais déja dehors j’ai vu ma grande sceur elle m’a dit
de rentrer a la maison et mon papa m’a ramené chez ma mére et ma mere elle était pas
a la maison mon pere il m’a ramené chez lui et j’ai dormi chez lui j’étais bien content,
parce que je m’amuse tres bien parce que j’ai la moto et le vélo de cross.
Corrigé 1
1. On peut insérer les mots suivants (liste non exhaustive ; ordre alphabétique) :
Car, cependant, donc, et, lorsque, mais, or, ou, parce que, pourtant, puisque,
quand, si, toutefois.
110
Phrase simple, phrase complexe
2. Tous ces mots commutant en un méme point de |’énoncé, ils peuvent donner
impression d’appartenir a un méme paradigme. Toutefois, si certains entretiennent
entre eux des rapports d’exclusion :
* Pierre travaille et mais il a des difficultés.
d'autres peuvent parfaitement se combiner :
Pierre travaille et pourtant il a des difficultés.
Ce n’est pas parce que deux unités s’excluent qu’elles appartiennent au méme
paradigme. Mais si elles se combinent, c’est normalement qu’elles appartiennent a
des paradigmes différents. Ce critere apparait ici peu pertinent, puisque seuls et et
mais sont susceptibles de se combiner avec cependant, pourtant, toutefois, seul mais
se combine avec lorsque, parce que, quand, si, en dehors des combinaisons et donc
et or donc. || convient donc de trouver d’autres critéres.
a) Certains mots ou certaines locutions peuvent se trouver en téte de phrase avec
l’unité phrastique qui les suit :
Parce qu’ila des difficultés Pierre travaille.
D’autres non :
* Car il a des difficultés Pierre travaille.
Les premiers sont des conjonctions de subordination. Appartiennent a cette catégorie
lorsque, parce que, puisque, quand, si. (Il existe toutefois un petit nombre de
locutions conjonctives telles que de sorte que, si bien que, qui ne peuvent se trouver
normalement en téte de phrase.)
b) Certains mots peuvent se trouver en fin de phrase :
Pierre travaille, il a des difficultés pourtant.
D’autres non :
* Pierre travaille, il a des difficultés mais.
Ceux-la sont des adverbes. Appartiennent a cette catégorie cependant, pourtant,
toutefois.
c) Restent ceux qui ne peuvent se trouver ni en téte, ni en fin de phrase, et dont la
place entre les deux unités phrastiques est obligée :ce sont les conjonctions de
coordination. Appartiennent a cette catégorie mais, ou, et, donc, or, car. (On doit
ajouter ni qui n’apparait qu’en phrase négative.)
Remarque.
1. Le probléme a été posé de savoir si donc était une véritable conjonction de
coordination, vu sa possibilité de se combiner avec d’autres conjonctions de
coordination, de se trouver en téte ou en fin de phrase :
Elle travaille et donc elle réussit.
Donc vous ne viendrez pas ?
Vous voila donc ?
Son fonctionnement |’apparente a |’adverbe : il se situe entre les deux classes, mais
nous continuerons scolairement a le ranger dans la classe des conjonctions de
coordination.
111
LA PHRASE
2. La différence entre car et parce que n’est pas essentiellement d’ordre sémantique
ou énonciatif, mais d’ordre syntagmatique. Par contre la difference entre parce que
et puisque est d’ordre énonciatif : avec puisque, le locuteur postule que la relation de
cause a effet reléve de |’évidence, qu’elle est partagée par |’ensemble de la commu-
nauté :
Pierre travaille puisqu’il a des difficultés.
postule comme évidence que lorsqu’on a des difficultés, on travaille : le locuteur
n’assume pas la responsabilité de la relation causale. Par contre, avec parce que, la
relation causale n’est pas postulée comme évidente, elle est assumée par le locuteur :
Pierre travaille parce qu’il a des difficultés.
La relation causale est relativisée, c’est le locuteur qui la pose.
3. On ne peut que regretter que deux outils grammaticaux aussi différents dans leur
fonction syntaxique que la conjonction de coordination et la conjonction de
subordination portent le méme nom de conjonction, et que la préposition, qui joue
un role identique a celui de la conjonction de subordination, porte un nom
totalement différent : l’esprit est ainsi amené a rapprocher le dissemblable et a
séparer le similaire.
4. || était possible de recourir a d’autres critéres pour distinguer les conjonctions de
coordination et de subordination. La conjonction de coordination relie deux unités
de méme statut et de méme fonction syntaxiques (deux noms, deux adjectifs, un nom
et un syntagme pronominal :
Francois et ceux qui le suivent iront loin.
un adjectif et une relative :
C’est une fille intelligente et qui sait ce qu’elle veut.
deux adverbes, deux unités phrastiques, etc. qui ont la méme fonction grammati-
cale), alors que la conjonction de subordination relie des unités de statut et de
fonction differents (un verbe, un nom, un adjectif, un syntagme verbal ou une
phrase-noyau et une unité phrastique complément, ou éventuellement un adjectif :
Il est sdr de lui parce que riche.)
5. Le méme type de relation sémantique peut étre exprimé par des moyens gram-
maticaux différents. Ainsi la relation causale peut étre exprimée :
— par une construction parataxique (avec intonation particuliére a l’oral) :
Elodie travaille, elle réussit.
— al’aide d’une conjonction de coordination :
Elodie travaille, donc (et) elle réussit.
— a l'aide d’une locution conjonctive :
Elodie travaille, si bien qu’elle réussit.
— al’aide d’une locution adverbiale :
Elodie travaille, par conséquent elle réussit. -
Phrase simple, phrase complexe
Il n’y a pas de relation obligée entre les idées 4 exprimer et les moyens linguistiques
d’expression : une méme idée peut étre mise en mots de fagon équivalente avec des
moyens différents.
Corrigé 2
I. Ce texte ne contient pas de phrase simple au premier niveau d’analyse (le premier
niveau d’analyse est celui qui prend comme unité la phrase définie graphiquement
entre une majuscule précédée d’un point, ou située en début de paragraphe, et un
point). A ce niveau-la, nous trouvons :
Corrigé 3
Pour traiter cette question, nous retiendrons, comme dans |’exercice précédent, la
ponctuation comme premier critére d’identification des limites des phrases. On
constate alors que dans certaines de ces phrases ainsi identifiées on peut reconnaitre
d’autres phrases par la ponctuation (point-virgule) et/ou par leur structure syntaxique.
Et que, dans certaines d’entre elles, on peut encore, comme dans |’exercice précé-
dent, identifier des unités phrastiques. L’analyse sera conduite aux différents niveaux.
3. Phrases problématiques
Ce sont les deux longues phrases qui se trouvent au centre de cet extrait :
— Il arrive quelquefois... sont cassés.
— Les cheminées... est moisie.
On dira que ce sont des phrases complexes. Au premier niveau d’analyse, ce sont des
phrases complexes par juxtaposition, parce que formées d’une suite de phrases
juxtaposées, que séparent des points-virgules. Ces phrases constitutives des deux
phrases complexes peuvent étre de nature différente. C’est le second niveau d’ana-
lyse :
Corrigé 4
116
Phrase simple, phrase complexe
117
LES STRUCTURES DE BASE DE LA PHRASE
Dans les chapitres précédents nous avons vu qu’une phrase était fondamentalement
constituée d’un actualisateur et d’un prédicat linguistiques, que le prédicat pouvait étre verbal
ou non verbal, et que la nature de |’actualisateur variait selon la nature du prédicat. Pour
aborder |’ étude des constituants de la phrase. nous partirons de la phrase verbale canonique,
et nous retiendrons un exemple simple. Soit les deux phrases :
— soit aun intemporel servant a traduire |’idée que Robert n’est pas en prise directe sur les
événements, qu’il ne sait pas saisir les occasions, que la vie lui échappe (le verbe « dormir »
a dans ce cas un sens figuré).
Dans le second cas, nous pouvons considérer que (239) traduit une habitude quotidienne, ce
qui pourrait étre paraphrasé en :
118
Les structures de base de la phrase
(239) pourra €tre vrai alors que (238) ne le serait pas, par exemple si (239) est prononcé le
matin alors que Robert est en train de négocier avec ardeur un marché important (aucun des
deux sens que nous avons attribués a (238) ne serait validable).
Il est clair que sémantiquement « tous Jes aprés-midi » est obligatoire dans (239). Si on
Veffacait, on ne supprimerait pas un segment facultatif, on changerait de phrase. Nous
insistons lourdement, tant la démarche adoptée par les grammaires scolaires dans ce cas
depuis le début des années 1970 est ancrée dans les esprits et les pratiques malgré ses effets
néfastes : il ne faut pas ignorer la différence entre les deux points de vue sémantique et
morpho-syntaxique. Certes, on n’a pas besoin d’une expansion du type «tous les
aprés-midi » pour faire une phrase, mais a partir du moment ov |’on a fait une phrase avec
cette expansion, c’est-a-dire qu’on a produit une unité linguistique possédant un sens, on ne
peut plus y toucher.
C’est pourquoi nous préférerons a la méthode transformationnelle la méthode comparative,
plus adaptée aux démarches de |’enfant jeune.
Résumons :
— Du point de vue sémantique, tout est obligatoire, aussi bien dans (238) que dans (239) ;
— Du point de vue morpho-syntaxique, (239) est composé de deux segments de statut
différent : « Tous les aprés-midi » et « Robert dort ». Le premier est un segment morpho-
syntaxiquement facultatif ; le second, un segment morpho-syntaxiquement obligatoire. Ce
sont deux constituants immédiats de la phrase. Nous dirons qu’ici « Robert dort. » est une
phrase-noyau et « Tous les aprés-midi » une expansion de la phrase-noyau. Cela peut se
réécrire ainsi :
P — Pn + (Exp)
REPRESENTATIONS GRAPHIQUES
119
LA PHRASE
Toute phrase verbale canonique peut étre représentée par le graphe suivant :
Seas
Pn (Exp 1,2, ...)
le
Pn
cocoa
Pn Expansion
Nous avons dit plus haut que « dort » était le prédicat de (238) et de (239) et « Robert » le
sujet. Donc la phrase-noyau est a son tour formée de deux constituants immédiats : le sujet
et le prédicat. Ce qui s’écrira :
Pn = Sujet + Prédicat verbal
et sera représenté ainsi :
fh enh
Sujet Prédicat verbal
Pn (Expansion)
120
Les structures de base de la phrase
Remarque. Nous nous démarquons par cette analyse des grammaires actuelles qui ignorent
le constituant phrase-noyau et procédent a des représentations ternaires du type :
GN GV Crde P
P — Pn
Pn — Sujet + Prédicat
Sujet — Robert
Prédicat —- dort
et celle de (239) :
i P
Pn Expansion
Pn
Jusqu’a présent nous avons travaillé sur la phrase verbale canonique. Mais nous pouvons
conduire le méme type d’analyse sur la phrase non verbale. Soit les deux phrases :
(241) Y al’facteur.
_ (242) Y al’facteur dans la rue.
(241) s’analyse en:
121
LA PHRASE
P— Pn
Pn —> Présentatif + Prédicat nominal
Présentatif — y a
Prédicat nominal — |’ facteur
(242) s’analyse en :
P P
| Pn Expansion
Pn
Pn
délicieux ce gateau
122
Les structures de base de la phrase
mais la visualisation est pour le moins médiocre. Par contre, le systéme des boites gigognes,
surtout agrémentées de couleurs, donne de meilleurs résultats que les parenthéses :
(244)
On a généralement retenu |’« arbre » parce que sa réalisation était la moins « cofiteuse » et
surtout ses résultats les meilleurs pour la lecture des structures et des fonctions.
Remarque 4. Nous avons pris pour dégager les constituants fondamentaux de la phrase les
exemples les plus simples possible. Il est évident que les réalisations sont souvent plus
complexes et que des problémes redoutables peuvent se poser. Il n’était pas envisageable de
les affronter dans ce chapitre. Mais il ne s’agit pas pour autant de les esquiver : ils seront
étudiés progressivement au cours des chapitres suivants.
Exercice
*
Corrigé
1. Phrases-noyaux
3. La dérision contemple la télé.
7. Les enfants que nous avons étudiés aiment les gros chiens.
8. Les enfants aiment les chiens.
Que les phrases 3 et 8 soient des phrases-noyaux peut paraitre évident dans la
mesure ou il serait difficile de trouver dans ces phrases des constituants facultatifs. Par
contre, en comparant 7 et 8, on constate que 7 contient des constituants (« que nous
avons étudiés » et « gros ») que ne contient pas 8. Pourquoi ne considére-t-on pas
alors 7 comme une phrase étendue ¢ Parce que « que nous avons étudiés » et « gros »
se rattachant a des constituants de la phrase-noyau (« enfants » et « chiens »), font
partie du noyau et ne peuvent donc étre des expansions du noyau (« que nous avons
étudiés » est une expansion de « enfants » : il ne peut étre en méme temps une
expansion de tout le noyau). Nous dirons que 3 et 8 sont des phrases-noyaux
standards, parce qu’elles ne contiennent pas d’expansion interne, et que 7 est une
phrase-noyau €tendue (parce qu’elle contient des expansions internes, contraire-
ment a la phrase étendue, dans laquelle |’expansion est expansion du noyau,
c'est-a-dire expansion externe au noyau), cette phrase-noyau étant complexe
puisqu’elle contient une expansion par subordination de type phrastique.
2. Phrases étendues
3. Probléme
Que doit-on faire de :
4. Les uns rient et les autres pleurent.
A la différence des phrases étendues précédentes qui contenaient des expansions par
subordination, cette phrase est constituée de deux phrases-noyaux coordonnées.
Deux possibilités s’offrent alors :
a) en faire une phrase étendue, avec expansion par coordination :
— Les uns rient (noyau) + et les autres pleurent (expansion).
b) en faire une phrase-noyau complexe :
— Les uns rient (phrase-noyau) + et + les autres pleurent (phrase-noyau).
Nous opterons pour la seconde solution, réservant le terme de « phrase étendue »
aux phrases qui contiennent une expansion du noyau par subordination.
Remarque. Une phrase étendue peut étre une phrase simple (« La nuit tous les fétards
sont gris »), ou complexe(« Quand il pleut, |’univers rétrécit ») parce que l’expansion
subordonnée (« Quand il pleut ») contient elle-méme un prédicat (« il pleut »).
Une phrase-noyau peut étre une phrase-noyau simple (« Les enfants aiment les
chiens »), une phrase-noyau complexe, constituée de deux phrases-noyaux coor-
données (ou juxtaposées) : « Les uns rient et les autres pleurent » ; ou contenant au
moins un constituant (« Les enfants ») ayant pour expansion une unité phrastique
subordonnée (« que nous avons étudiés »).
125
TYPES ET FORMES DE PHRASE
LA DESCRIPTION TRADITIONNELLE
Les phrases affirmative, négative et interrogative constituent le triptyque classique des types
de phrases au début de la scolarité élémentaire. Elles sont ensuite rejointes par l’interro-
négative, l’exclamative et l’impérative :
(245) Le chat mange la souris.
(246) Le chat ne mange pas la souris.
_ (247) Le chat mange-t-il la souris ?
_ (248) Le chat ne mange-t-il pas la souris ?
(249) Le chat mange la souris |
__ (250) Chat, mange la souris !
Dans ce systéme, « affirmatif » s’oppose a la fois 4 « interrogatif » et a « négatif », ce qui
donne 4 « affirmatif » un double sens.
— Sens 1. Ce que !’on affirme, c’est-a-dire ce que !’on déclare, ce que l’on énonce comme
étant un fait (vs « interrogatif ») et qui permet d’ opposer :
(251) Marcel était la mardi / Marcel était-il la mardi ?
Le sens 1 se définit du point de vue énonciatif.
— Sens 2. Qui ne contient pas de morpheme négatif. Ainsi :
(252) Ce nest pas vrai.
est une phrase négative, alors que
_ (253) C’est faux.
est une phrase affirmative : le sens 2 se définit du point de vue morpho-syntaxique.
Selon le cas, « affirmatif » signifie « non-interrogatif » (sens 1) ou « non-négatif » (sens 2).
Ce qui peut poser quelques problémes si, par exemple, on voulait définir précisément (245)
dans ce systéme, il faudrait dire que c’est une phrase « affirmative (sens 1) affirmative
(sens 2) » ; (246) serait-elle alors « affirmative (sens 1) négative » ? On pourrait également
se demander a quoi s’ oppose « négatif » dans le couple « interrogatif » / « interro-négatif ».
Ou il s’oppose a rien (?), ou il s’oppose a affirmatif, et alors il faudrait dire qu’une
« interrogative » est en fait une interrogative affirmative, alors que dans ce systéme, une
affirmative est aussi une non-interrogative...
On distingue aujourd’hui types et formes de phrases (cf. par exemple la nomenclature pour
l’école élémentaire du 1% décembre 1985). Les types de phrase (on dit aussi modalités de
phrase) définissent le statut de la phrase du point de vue énonciatif, en considérant I’attitude
du locuteur par rapport 4 son €noncé et/ou a son interlocuteur. Les types de phrase sont au
nombre de quatre : déclaratif, interrogatif, impératif et exclamatif. Les formes de phrases
126
Types et formes de phrase
Les quatre types de phrase (déclaratif, interrogatif, impératif et exclamatif) sont en rapport
paradigmatique, c’est-a-dire que le choix d’un type pour une phrase élimine les trois autres.
Le type déclaratif
Le type déclaratif correspond a la phrase affirmative au sens 1 : du point de vue énonciatif,
il s’agit d’une assertion. Elle peut donc étre affirmative ou négative : (245) et (246) sont des
phrases déclaratives.
Du point de vue morpho-syntaxique, la phrase est construite selon l’ordre sujet + verbe +
complément. Elle est réalisée a l’oral selon un schéma intonatif ascendant (sur la premiére
partie de la phrase), puis descendant (sur la seconde). A l’écrit, le signe de ponctuation qui
incique la fin de la phrase est le point (mais le point n’est pas spécifique de la phrase
déclarative : la phrase impérative peut se terminer par un point).
Le type interrogatif
Le type interrogatif se caractérise par l’utilisation d’outils grammaticaux spécifiques :
— adverbes interrogatifs (ol, quand, comment, pourquoi...) ;
— pronoms interrogatifs (qui, que, (a) quoi, lequel...) ;
— déterminants interrogatifs (quel(s), quelle(s)) ;
— formules interrogatives (« est-ce que », admis par la norme scolaire depuis une vingtaine
d’années ; « c’est-i que », toujours rejeté par la norme scolaire et sociale). Les formules
interrogatives, qui permettent de conserver sans ambiguité l’ordre des mots du type
déclaratif, peuvent se combiner avec les adverbes et les pronoms interrogatifs :
(254) Qui c’est qui est venu ?
On considére que la construction avec postposition du sujet reléve davantage de |’écrit que
de 1’ oral. Il existe toutefois quelques exceptions : (256) est spécifiquement oral, et il n’est pas
surprenant d’entendre :
P27,
LA PHRASE
Du point de vue énonciatif, l’interrogation sert 4 poser une question, afin d’obtenir une
réponse. I] existe cependant des interrogations dites « oratoires », utilisées dans un discours
monologal, et qui ont pour fonction essentielle d’animer le discours 4 un moment donné,
d’attirer l’attention sur un élément particulier. En outre, l’interrogation peut servir non pas
a obtenir une information de la part de I’interlocuteur, mais A solliciter son assentiment : on
dit qu’elle est argumentativement orientée. Le cas est trés net avec l’interro-négative :
(267) Ne pensez-vous pas que la lutte contre l’échec scolaire passe par la
qualité de la formation des enseignants ?
De plus, une interrogative peut étre utilisée pour donner indirectement un ordre ou formuler
une requéte [cf ex. (33) ps23 et-(73) p.. 39]:
128
Types et formes de phrase
Le type impératif
Le type impératif est caractérisé par l’emploi du verbe 4 l’impératif (personnes 2, 4 et 5 avec
absence du sujet): dans l’exemple (250), il est clair que « chat» n’est pas le sujet de
« mange » et qu’on aurait pu dire :
(268) Mange la souris !
A Voral, la phrase impérative est marquée par une intonation descendante, et a l’écrit on
indique sa cloture soit par un point d’exclamation, soit par un simple point.
Du point de vue énonciatif, la phrase impérative est utilisée pour formuler un ordre, ou une
interdiction (phrase impérative négative) :
(269) Ne mange pas avec les doigts.
mais aussi, pour formuler une priére, voire pour supplier. L’amant délaissé qui geint :
____ (270) Ne me quitte pas, ne me quitte pas, je serai l’ombre de ta main, l’ombre
de ton chien.
n’interdit pas quelque chose a |’ingrate qui prépare ses valises. Et si le méme, quelques
instants plus tard, murmure :
— exclamatif :
(274) Dehors !
Le type exclamatif
Le type exclamatif peut se marquer par des outils grammaticaux spécifiques :
— adverbes exclamatifs (« que », et sa variante familiére « ce que »)
129
LA PHRASE
Le type exclamatif se caractérise également par le fait qu’il concerne souvent des phrases non
verbales. Comme pour le type interrogatif, le complément d’ objet peut se trouver en téte de
phrase :
” (279) Quelle chance vous avez eue !
La phrase exclamative présente a1’ oral des schémas intonatifs spécifiques (montée et amorce
de la descente, ou descente). Al’ écrit, on utilise le point d’exclamation. L’ intonation, comme
pour le type interrogatif, peut suffire a |’oral a traduire le caractére exclamatif de la phrase.
A l’écrit, le point d’exclamation peut également suffire :
(280) La maison bridle !
Du point de vue énonciatif, la phrase exclamative est utilisée pour exprimer des émotions
(surprises, joie, tristesse, douleur, peur, colére, etc.). Mais 1a encore il n’y a pas de rapport
obligé entre le contenu a exprimer et la forme linguistique chargée d’exprimer ce contenu.
Pour une méme rage de dents, l’un pourra ameuter son voisinage par ses lamentations :
(281) Aie! J’ai mal! Oh la la! je souffre !
tandis que |’ autre ne rompra le silence que pour répondre, si on lui demande de quoi il souffre,
car ¢a se voit qu’il souffre :
___ (282) J’ai une rage de dents terrible.
Remarque. L’existence du type exclamatif est parfois mise en cause, en arguant que la phrase
impérative est le plus souvent exclamative, de méme que |’interrogation qui marque la
stupéfaction est aussi exclamative (ce que marquent certains écrits en utilisant les deux points
a la suite :
(283) C’est pas vrai ? !)
D’ou l’argument : si le type exclamatif peut se combiner avec d’autres types, il n’est pas en
rapport d’exclusion avec eux, et donc il ne fait pas partie du paradigme des types de phrases.
Il n’y a pas de type exclamatif.
C’est réduire le type exclamatif au seul schéma intonatif, qui certes est prégnant, mais non
fondamental. Ainsi que le lecteur a pu s’en apercevoir, c’est fondamentalement du point de
vue morpho-syntaxique que sont définis les types de phrases (outils grammaticaux, structure
syntagmatique). Or, il existe des caractéristiques morpho-syntaxiques indéniables du type
exclamatif.
130
Types et formes de phrase
mais dans l’immense majorité des cas, par un second élément disjoint (pas, point, jamais,
rien, goutte, que), avec lequel il encadre le verbe :
A Voral, et pas seulement en situation familiére, c’est le second élément qui sert 4 exprimer
la négation :
(286) I’ comprend rien.
(287) |’ travaille pas.
(288) |’ sort jamais.
et de facgon cette fois populaire :
Ee (289) I’ fout que dalle.
Remarque. L’ancien frangais utilisait le seul «ne» pour marquer la négation. Sous
influence de I’ oral, qui est toujours plus redondant que 1’ écrit, on a ajouté un second élément
nominal qui avait un sens plein:
_ (290) Il n’avance pas.
(291) Il ne fait rien.
(292) Il ne boit goutte.
(293) Il ne mange mie.
131
LA PHRASE
les emplois : la forme longue est obligatoire a1’ écrit, alors qu’on la remarque a peine a l’oral
si elle est employée.
Il existe une forme de négation (ni...ni) qui est en méme temps élément coordonnant :
(300) Les coiffeurs n’ouvrent ni le dimanche, ni le lundi.
Du point de vue sémantique, une négation peut étre totale, c’est-a-dire porter sur l’ensemble
de la phrase :
(301) Simone ne travaille pas.
Une phrase affirmative est une phrase ne comportant pas de marque de négation. Ainsi une
phrase déclarative sera soit affirmative :
(305) J’avais deux absents ce matin.
soit négative :
(306) Je n’avais pas d’absent ce matin.
De méme pour I’interrogative : nous pouvons a présent résoudre le probléme que posaient
les phrases interrogatives non négatives telles que la phrase (247) : il s’agit d’interrogatives
affirmatives, face aux interro-négatives.
Remarque. Les phrases nominales de type exclamatif peuvent avoir la forme affirmative ou
négative si elles sont construites avec un présentatif de forme verbale :
(307) Ca, c’est d’la chance !
132
Types et formes de phrase
Cela n’est pas possible dans les autres cas : prédicat nominal exclamatif :
(309) Quel beau temps !
e Du point de vue sémantique, la forme passive est marquée par la dissociation de |’ actant
« agissant » et du sujet grammatical. Dans l’exemple (312), l’actant, qui a effectivement
réalisé le procés exprimé par le verbe, est I’ architecte. Or il n’a pas la fonction sujet dans cette
phrase, mais la fonction complément, dit « d’agent » pour indiquer que c’est bien lui l’acteur
dans la réalité. De méme pour (313), dans la réalité, les actants « actifs » sont les éléves, ce
sont eux qui apprécient leur enseignante.
e Du point de vue énonciatif, la forme passive permet de thématiser un élément qui, dans
la forme active, ferait partie du rhéme. Ainsi, dans (312), ce dont on parle (le theme), c’est
« ma maison », alors que dans :
le théme est « un architecte », et telle qu’elle est cette derniére phrase parait pour le moins
bizarre : elle place en position de théme (de connu) quelque chose qui est inconnu (un
architecte).
La forme passive est trés peu fréquente a 1’ oral. Par contre certains journaux en font un usage
important. Le choix de la forme passive est le plus souvent conditionné par des raisons
sémantiques ou énonciatives :
— On a tendance a placer en position de sujet un actant animé — et a plus forte raison
humain — quand |’autre actant est inanimé. Entre :
(317) Son échec professionnel |’a traumatisé.
133
LA PHRASE
et
et
134
Types et formes de phrase
135
LA PHRASE
quelqu’un d’ autre — « [cf. aussi ex. (172) et (173) p. 94]. D’autres mots ou groupes de mots
peuvent étre focalisés par accentuation prosodique :
(338) Liliane ’aime le chocolat.
(339) Liliane aime le ‘chocolat.
Dans la mesure ow ces éléments font partie du rhéme, on dira que la focalisation en fait les
éléments les plus rhématiques du rhéme.
— soit par des procédés graphiques a l’écrit (gros caractéres, italiques, majuscules, etc.) :
(340) Liliane aime le chocolat.
— soit al’aide d’une construction dite « clivée », c’est-a-dire avec utilisation de la formule
« c’est...qui » ou « c’est...que » comme outil de focalisation :
(341) C’est Liliane qui aime le chocolat.
(342) C’est le chocolat que Liliane aime.
Attention. (342) est ambigu. Ce peut étre une forme emphatique focalisant « le chocolat ».
Mais ce peut étre aussi une phrase nominale a présentatif « c’est » dans laquelle le nom a regu
une expansion a l’aide d’une relative. Dans ce cas, (342) peut étre paraphrasé en :
(343) C’est le chocolat préféré de Liliane.
Notons qu’a l’oral le schéma intonatif ne sera pas le méme pour les deux phrases. (On peut
avoir également une construction dite pseudo-clivée: « Ce que Liliane aime, c’est le
chocolat ».)
Remarque. L’emphatisation, ou la focalisation, est la mise en relief d’un constituant par un
procédé phonétique, graphique ou morpho-syntaxique, mais en aucun cas lexical :
(346) La course a été belle.
(347) La course a été magnifique.
sont grammaticalement deux phrases de forme neutre.
Du point de vue sémantique, une phrase de forme emphatique n’a pas le méme sens qu’une
phrase de forme neutre correspondante. Reprenons les exemples (337) a (339). Nous pouvons
les paraphraser de la fagon suivante :
(348) ’Liliane, et non pas Bertrand, aime le chocolat.
(349) Liliane ’aime le chocolat, contrairement a ce qu’on pourrait croire.
(350) Liliane aime ’le chocolat, et non pas le thé.
Ces trois phrases ont toutes un sens différent, que I’on ne retrouve pas dans la phrase de forme
neutre
LE PROBLEME TRANSFORMATIONNEL
Pour traiter les types et formes de phrases, deux possibilités sont offertes :
— considérer comme donnée de base la phrase déclarative, affirmative, active, neutre (« Le
chat mange la souris ») et considérer que les autres types et formes de phrases sont obtenus
par transformation. C’ est ce que proposait de facgon plus ou moins systématique la grammaire
scolaire traditionnelle (ex. : mettre une phrase active au passif pour identifier le COD. C’est
. ce que proposait Chomsky dans la premiére version de sa Grammaire générative et
transformationnelle (Structures syntaxiques) et qu’il a trés t6t remis en question. C’ est ce que
proposent les manuels actuels, qui s’inspirent de cette premiére version et ignorent les
évolutions de la GGT.
— refuser les transformations et considérer qu’il existe quatre types et trois couples de
formes entre lesquels on choisit.
Il faut trancher, aussi bien sur le plan théorique que sur le plan didactique. Pour cela nous
prendrons un exemple concret : la forme active et la forme passive. Tout le monde a appris
que le passif s’obtenait a partir de l’actif en faisant du COD le sujet, du sujet le complément
d’agent introduit par une préposition, et en mettant le verbe au passif. Belle mécanique
transformationnelle ! Soit la phrase passive :
(352)
e
On n’est jamais trahi que par les siens.
Quelle est la phrase active dont elle dérive ? Aucune : le pronom indéfini « on » ne peut avoir
que la fonction sujet. On ne peut donc imaginer une phrase active ayant « on » comme
complément d’ objet pour donner la phrase passive ou il serait sujet. Toute phrase passive a
sujet «on» est construite directement a partir de la structure passive, et non par
transformation a partir d’une structure active.
Deuxiéme cas : les exemples (319) et (320) montrent qu’une phrase active avec COD ne
donne pas forcément une phrase passive admise par l’usage.
Troisiéme cas : soit les deux phrases :
(353) Beaucoup de gens lisent peu de livres.
(354) Peu de livres sont lus par beaucoup de gens.
Les deux phrases sont recevables et la mécanique transformationnelle est parfaitement
respectée. Ou est le probléme ? Simplement dans le fait que ces deux phrases ont un sens
radicalement différent : (353) dit que la plupart des gens sont de médiocres lecteurs, que les
grands lecteurs sont rares, alors que (354) dit que les best-sellers sont rares. Donc, malgré
137
LA PHRASE
Sur (355) on peut enchainer « Quel courage ! » plus naturellement que sur (356) ot |’on
pourrait se demander dans un premier temps quel courage il faut 4 un gangster pour se laisser
ceinturer, avant de se dire que logiquement c’est sur le passant que doit se porter le jugement
admiratif. Inversement, l’enchainement « Ne le laissez pas partir ! » est non ambigu sur (356)
alors que sur (355) on peut se demander s’il ne s’agit pas de retenir le passant, pour le féliciter
par exemple. Avec (355) on parle plutét du passant ; avec (356) on parle plutét du gangster.
D’ailleurs si le passant et son exploit n’intéressent pas le locuteur, ou s’il ignore qui est
Y’auteur de cet acte civique héroique, ou si etc., il pourra recourir a la structure passive non
saturée :
Il est évident que la phrase affirmative et la phrase négative n’ont pas le méme sens, et nous
avons montré qu’il en était de méme pour la phrase neutre et la phase emphatique.
Force est de constater que la mécanique transformationnelle morpho-syntaxique « coince »
du point de vue sémantique et du point de vue énonciatif. Dés lors il devient préférable de
renoncer aux procédures transformationnelles pour considérer que l’on a des structures
différentes que l’on ne fera pas dériver les unes des autres et entre lesquelles on choisira en
fonction de ce que l’on veut dire.
Didactiquement, l’enseignant aura tout intérét 4 renoncer au modéle transformationnel
proposé par les manuels scolaires, qui, en mobilisant trop largement |’attention et les énergies
sur la mécanique, laisse dans l’ombre le plus important pour une grammaire qui se veut
grammaire pour l’expression : la dimension énonciative et sémantique des phrases A travers
leur type et leurs formes. Si nous revenons a l’exemple du passif que nous avons quelque peu
privilégié, nous pouvons nous demander si, quand il a besoin d’utiliser une structure passive
dans un discours écrit, enfant part d’une phrase active pour réaliser les différentes
opérations de passivation, ou s’il recourt directement au modéle de la phrase passive. S’il
emploie directement la structure passive dont il a besoin, 4 quoi peut servir la mécanique
transformationnelle ? S’il choisit directement la structure passive, alors la grammaire a un
autre role a jouer : elle doit mettre l’enfant en mesure de percevoir A la fois les différences
structurelles entre la forme active et la forme passive, et les similitudes sémantiques et
référentielles. Mais elle doit aussi le mettre en mesure :
138
Types et formes de phrase
Exercice 1
*
Exercice 2
*
reproches, puisque enfin mon libertinage ne pouvait que tout au plus me rendre
coupable vis-a-vis de moi-méme, et aucun remords ne troublais ma conscience. Je
croyais de n’avoir autre devoir que celui d’étre honnéte homme, et je m’en piquais, et
n’ayant pour vivre ni d’emploi, ni d’office qui aurait pu gener pour quelques heures ma
liberté, ou m’obliger a en imposer au public avec une conduite réguliére et édifiante, je
me félicitais et allais mon train.
CASANOVA, Histoire de ma fuite des prisons
de la république de Venise, 1“ partie.
Exercice 3
* *
| Dans le texte suivant, indiquez le type et les formes de chacune des phrases.
« Eh ben, cap’taine Dupéteau, aurons-nous de la pluie aujourd’hui ?
— J’vas vous dire... si les vents tournent d’amont a la marée, ¢a pourrait bien étre de
eau:
— Etsi les vents ne tournent pas d’amont ?
— Cane serait pas signe de sec. »
N’insistez pas autrement, vous ne pourriez tirer aucun renseignement plus précis du bon
Dupéteau, qu’on honore du nom de capitaine bien qu’il ait été au plus maitre au
cabotage.
ALPHONSE ALLAIS, « Loup de mer », Plaisir d’humour.
Exercice4
* *K *
140
Types et formes de phrase
vitrage en plomb qui tirait son jour de la cour, était tendue de ces vieilles tapisseries que
lon voit en province le long des maisons au jour de la Féte-Dieu. II s’y trouvait un grand
lit a colonnes garni de rideaux, de bonnes-graces et d’un couvre-pied en serge rouge,
deux fauteuils vermoulus, deux chaises en bois de noyer et en tapisserie, un vieux
secrétaire, et sur la cheminée un cartel. Cette chambre, ot respirait une bonhomie
patriarcale et pleine de teintes brunes, avait été arrangée par le sieur Rouzeau, prédé-
cesseur et maitre de Jér6me Nicolas Séchard.
BALZAC, les I/lusions perdues, TES
partie, I.
Corrigé 1
— 1. estune phrase Décl, Aff, Act, Neut. Elle a la forme Neut malgré |’utilisation de
l’adverbe « trés » : c'est un moyen lexical de marquer le degré de froidure, non une
marque d’emphase qui mettrait « froid » en valeur.
— 2. est une phrase Décl, Nég, Act, Emph. Elle a la forme Emph parce que
« Elodie » est en position de détachement avec reprise par le pronom « elle ».
— 3. est une phrase Int, Aff, Act, Emph. Elle est Emph pour la méme raison que 2.
La forme Neut serait :
Est-ce que votre fils travaille bien en classe ?
— 4. est une phrase Int, Nég, Act, Neut. Pourquoi Act ? Le probleme est de savoir
s’il s‘agit d’un passif sans complément d’agent, ou d’une phrase exprimant un état. Or
4, peut étre davantage rapproché de :
Pourquoi le tableau n’est-il pas propre ?
que de:
Pourquoi le tableau n’est-il pas effacé par Jules ?
En d’autres termes, « effacé » a dans 4. le statut d’adjectif et non de participe passé.
Pourquoi Neut, alors qu’on retrouve comme dans 3. un nom repris par un pronom ?
Il est vrai que :
Pourquoi le tableau n’est pas effacé ?
est correct. Mais cette phrase reléve de |’oral, alors que 4. releve de la norme é€crite
qui impose |’interrogation complexe dans les cas de ce type : du point de vue de cette
norme, 4. est la forme correcte, et cette phrase est fautive. On est en fait dans deux
types de normes différentes, et non dans deux formes différentes a l’intérieur de la
méme norme.
— 5. est un prédicat nominal Excl, Neut. On peut considérer qu’en |’absence de
marques négatives, il est affirmatif. Mais on ne peut gueére le déclarer Act ou Pass.
— 6. est une phrase Excl, Aff, Act, Emph. Emph a cause du focus placé sur « laid »
par I’utilisation de caractéres majuscules.
— 7. est une phrase Imp, Nég, Act, Neut.
— 8. est une phrase Imp, Aff, Pass, Neut.
141
LA PHRASE
Corrigé 2
a) « ne... pas »
— je ne troublais pas la paix...
— je ne manquais pas de la trouver...
d) « ne... personne »
— Je ne manquais a personne (forme affirmative : « je manquais a quelqu’un, a
certains, etc. » ; le pronom indéfini « personne » est lié a la forme négative, que ce
soit dans la séquence « ne... personne, comme dans cet exemple, ou dans la
séquence « personne ... ne » : « personne ne me manquait »).
e) « aucun... ne »
Corrigé 3
142
Types et formes de phrase
B. CAS PROBLEMATIQUES
b) « J’vas vous dire... si les vents tournent d’amonta la marée, ¢a pourrait ben étre de
I’eau. »
Problémes
— Doit-on considérer, dans cet énoncé, « J’vas vous dire... » comme une phrase
malgré la typographie (pas de majuscule a « si ») ¢ Nous répondrons par I’affirmative,
les deux unités séparées par les points de suspension fonctionnant bien comme des
phrases autonomes.
— La seconde phrase est une phrase complexe, contenant une subordonnée de
condition (« si les vents tournent d’amont ala marée »). Quelle estlaréférence ¢ C’est
la phrase-noyau « ¢a pourrait ben étre de |’eau ». Toutefois, a un second niveau
d’analyse, on pourra se pencher sur les caractéristiques de la subordonnée.
143
LA PHRASE
Analyse
— Type : déclaratif
— Formes : affirmative
active (verbe « dire » au futur dit « immédiat », construit avec le semi-
auxilliaire « aller »)
neutre
b2) « si les vents tournent d’amont a la marée, ¢a pourrait ben étre de I’eau. »
— Type : déclaratif
— Formes : affirmative
active (en fait on a un verbe d’état « étre » modalisé par le semi-
auxiliaire « pouvoir »
neutre
— Type : déclaratif
— Formes : affirmative
active
neutre
144
Types et formes de phrase
c3) « qu’on honore du nom de capitaine bien qu’il ait été au plus maitre au
cabotage. »
OO
(deuxieme niveau d’analyse)
— Type : déclaratif
— Formes : affirmative
active
neutre
Corrigé 4
145
LA PHRASE
aurait toujours pu écrire tout autre chose, mais ce n’est pas la notre probléme). Cela
donnerait :
a’) On avait disposé les lieux pour I’exploitation de cette industrie...
b’) des treilles [...] décoraient agréablement les murs...
c’) la cuisine d’un cété, un bacher de |’autre, flanquaient cet appentis.
d’) De vieilles tapisseries comme |’on en voit en province [...] tendaient la chambre
a coucher...
e’) Le sieur Rouzeau [...] avait arrangé cette chambre...
Ces phrases sont parfaitement acceptables. On peut réaliser la méme opération pour
les pronominaux de sens passif, en voyant ce que cela aurait donné si les verbes
avaient été a la voix active :
f’) On avait établi l’imprimerie [...] dans cette maison...
g’) [...] un appentis en ruine ot on trempait et on fagonnait le papier...
h’) [...] ’évier sur lequel on lavait [...] les formes...
On constate 14 encore la parfaite acceptabilité de ces phrases. Le choix du passif —
ou du pronominal de sens passif — n’est donc pas guidé par des contraintes
phrastiques. C’est au niveau textuel que doit étre cherchée alors la justification, si
l’on pose que ces emplois ne sont pas purement aléatoires.
2. Au niveau textuel, on remarque qu’il s’agit d’une description, construite sur le
mode du theme éclaté. On peut considérer que le theme général est la maison dans
laquelle est située l’imprimerie, et que les différents themes désignent les différentes
composantes de ce theme général. Hormis le diable (qui « se débarbouillait dans la
maison »), on ne trouve pas de themes, ou de sujets de verbes (le theme n’est pas
toujours sujet du verbe : dans « La était l’€vier... », le theme est « la » — on va dire
quelque chose a propos de cet endroit —, et le rheme est « était l’évier » : « évier »,
sujet du verbe « était », fait partie du rheme), on ne trouve donc pas de themes ou de
sujets de verbes qui ne désignent pas des éléments des lieux decrits. En particulier,
pas de themes renvoyant a des humains ou des animés. Les phrases a’), e”), f”), g’), h’),
introduisant des sujets humains (méme s’ils sont désignés de facon non définie:
« on »), créeraient une hétérogénéité thématique au niveau textuel. Pour ces phrases,
l’explication est donc simple. Restent trois cas (b, c, d), ot le choix de la forme active
ne créerait pas ce type d’hétérogénéité thématique. Examinons-les de plus pres.
Dans le premier paragraphe de ce passage, le theme général second est l’organisation
des locaux d’imprimerie, alors que dans le paragraphe suivant, il s’agit des locaux
d'habitation.
Dans le premier paragraphe, on peut distinguer ce qui est constitutif des locaux et de
leur organisation (le rez-de-chaussée, l’immense piece, la cour, les murs, !’appentis,
la cuisine, le bGcher) et ce qui est élément secondaire retenu par l’auteur comme
caract€ristique pour telle ou telle partie des locaux (I/immense vitrage et le grand
chassis pour I’immense piece, les treilles pour les murs, |’évier pour l’appentis).
La méme distinction fonctionne dans le second paragraphe, entre locaux (le premier
étage, la chambre a coucher) et éléments secondaires (la croisée, les vieilles
tapisseries, le grand lit, les fauteuils, etc.).
146
Types et formes de phrase
Cette distinction permet de justifier le choix du passif pour les phrases b) et d) : dans
tout le texte, l’auteur a placé en position de théme (et/ou de sujet) ce qui est constitutif
des locaux ou de leur organisation. Ainsi ces deux passifs permettent de conserver
’homogénéité thématique en plagant en position de théme/sujet des groupes
nominaux qui désignent des locaux ou des éléments de leur organisation (« les
murs », « la chambre a coucher »), alors qu’avec b’) et d’), ce sont des éléments
secondaires qui se seraient trouvés en position de théme/sujet (« des treilles », « de
vieilles tapisseries »).
Reste le cas de la phrase c) qui ne contient que des groupes nominaux désignant des
locaux (« Cet appentis », « la cuisine », « un bdcher »). Joue ici une cohérence
thématique plus « locale », qui concerne justement'l’« appentis » :
— « Au fond et adossé au mur mitoyen, s’élevait un appentis en ruine... » : l’« ap-
pentis » fait partie du rhéme ;
— « La était l’évier sur lequel... » : « la » est une anaphore adverbiale de « appen-
tis », et constitue le theme de cette nouvelle phrase (progression a theme linéaire) ;
— « Cet appentis était flanqué, etc. » : progression a theme constant. Ce que |l’on
peut figurer ainsi :
Au fond... s’élevait un appentis...
rheme
la était l’évier...
theme rheme
Cet appentis était flanqué...
theme rheme
Le choix du passif permet de maintenir la continuité thématique locale (avec
renforcement de la cohésion par |’emploi du démonstratif), sans porter atteinte a la
cohérence thématique générale.
(On peut noter en outre que, référentiellement, l’appentis est la construction centrale,
la cuisine et le bdcher étant spatialement latéraux : au niveau de la phrase, donner a
« cet appentis » la fonction sujet permet de créer un certain parallélisme des statuts
hiérarchiques. Mais c’est la, a notre avis, une explication de type littéraire de portée
plus limitée dans le cas présent que l’explication précédente.)
Les emplois du passif— ou des pronominaux a sens passif— ne se justifient pas, dans
ce texte, au niveau de la phrase. Ils ont été employés Ia oti I’actif aurait altéré la
cohérence thématique de |’ensemble, cohérence non évidente a premiere vue dans
la mesure, encore une fois, ot il s‘agit d’une description, dont la construction est a
theme éclaté.
147
LA PONCTUATION
Lorganisation du contenu d’un texte est manifestée a différents niveaux par des marques
mateérielles :
e L’alinéa (c’est-a-dire soit le retrait en début de ligne, soit le passage a la ligne) permet de
visualiser le paragraphe, unité macro-textuelle de sens.
e Ensuite apparaissent les signes de ponctuation qui signalent la fin d’une phrase (unité
micro-textuelle), le début de la phrase étant signalé typographiquement par la majuscule :
— le point, qui signale la fin d’une phrase verbale déclarative ou impérative, ou d’une phrase
non verbale ;
— le point d’interrogation, qui signale la fin d’une phrase interrogative directe ;
— le point d’exclamation, qui signale la fin d’une phrase exclamative ou impérative ;
— les points de suspension, qui signalent, notamment, |’inachévement d’une phrase.
Nous verrons qu’il est toutefois possible de transgresser les usages normés de ces signes, ou
que la norme, elle-méme, offre des latitudes d’emploi.
e Enfin, a l’intérieur de la phrase, fonctionnent des signes qui signalent |’ organisation des
contenus intra-phrastiques. Ce sont :
— des signes de ponctuation (la virgule, le point-virgule, les deux points) ;
— des signes typographiques (les guillemets, les tirets, les parenthéses, les crochets).
Remarque. Certains poétes modernes refusent d’employer les signes de ponctuation. Si
certains de ces poémes sont présentés aux enfants, il suffira de leur expliquer qu’il s’agit d’un
choix de l’auteur qui veut marquer ainsi qu’un poéme doit « couler » comme un flot
ininterrompu.
Le point
I] sert, avons-nous dit, a signaler la fin d’une phrase verbale déclarative ou impérative, ou
d’une phrase non verbale. Mais il sert également 4 marquer la fin d’un prédicat non verbal
a actualisation externe. En outre, il existe un usage expressif du point, destiné A mettre en
relief un constituant de la phrase, tel qu’un complément :
(358) « Jaurés, qui lisait et relisait Rousseau, Tolstoi, mais aussi les philoso-
phes allemands en allemand ét Homére ou Virgile en latin, nourrissait
148
La ponctuation
Ce type de ponctuation pose un probléme d’analyse : faut-il traiter ces points comme des
marques de limite de phrases ou de prédicats a actualisation externe, ou passer outre cet
emploi stylistique et non grammatical ? Devra-t-on, dans le second exemple, parler de
prédicats adjectivaux actualisés par le contexte, de faux prédicats adjectivaux, ou d’expan-
sions artificiellement isolés ? En fait, nous savons que ce n’est pas la ponctuation qui fait la
phrase, ou qui définit un prédicat non verbal a actualisation externe. Ici, on peut poser qu’il
ne s’agit pas de prédicats, mais d’expansions du nom mises en valeur par une ponctuation
expressive.
Ce ne sont pas 1a des notions ou des problémes a exposer a |’ école élémentaire, mais ce sont
des difficultés qui peuvent surgir en classe si les éléves ont intégré l’idée forte que, dans des
textes imprimés d’adultes, ce qui se trouve entre une majuscule et un point est une phrase.
Il conviendra donc, au cycle 3, et en particulier a l’occasion de la lecture de journaux ou ce
type de ponctuation n’est pas exceptionnel, de relativiser le rdle du point : en dehors des
titres, des slogans publicitaires, etc., la fin d’une phrase déclarative (ou impérative) doit étre
indiquée par un point, mais un point n’indique pas toujours dans tous les textes la fin réelle
dune phrase.
Le point d’interrogation
Il peut ne pas indiquer la fin d’une phrase interrogative directe (rappelons qu’une phrase
contenant une subordonnée interrogative indirecte se termine par un point : « Je me demande
ou il va. »), mais ponctuer une interrogation a l’intérieur d’une phrase. Dans ce cas, la norme
typographique veut qu’on ne fasse pas suivre le point d’ interrogation d’une majuscule. Ainsi,
dans |’exemple suivant, seul le dernier point d’interrogation clét la phrase :
_ (360) « Ils parlaient en francais — Sirvent avec l’accent espagnol, et l’autre
avec un accent presque imperceptible dont je ne parvenais pas a définir
Vorigine : suisse ? allemand ? luxembourgeois ? II avait vingt-quatre ans
[J] >
PATRICK MODIANO, op. cit., p. 17.
La phrase n’est pas close aprés « suisse ? » parce qu’il s’agit d’une énumération d’hypothéses
qui forme un tout illustrant ce qui est dit avant les deux points. Par contre, aprés
« luxembourgeois ? » débute une nouvelle unité syntaxiquement (ou grammaticalement)
autonome. II n’était toutefois pas impossible d’utiliser ici une ponctuation expressive, en
mettant un point aprés « origine » et une majuscule a chacun des trois adjectifs.
149
LA PHRASE
Le point d’exclamation
Il peut ponctuer une exclamation a l’intérieur d’une phrase. La également le non-emploi
d’une majuscule aprés ce signe de ponctuation signale que la phrase n’était pas achevée.
Ainsi, dans l’exemple suivant, le premier point d’exclamation est intérieur a la phrase, et le
second la clét.
(361) « Ah! ily avait un trés bel air par ici dessus, et, les fonds en bas dessous,
quand on les regarde, ¢a parait si gros !
Dés qu’on recut la billette, Marceau pensa tout de suite au chéne du
coude de la route. »
JEAN GIONO, Deux cavaliers de l’orage, Gallimard, 1965 ; coll. Folio, 1972, p. 37.
— Entre parenthéses ou entre crochets, ils indiquent une coupure dans un texte cité.
La virgule
Elle présente cinq emplois principaux.
— Elle sépare les éléments d’une énumération :
(365) « Adieu veau, vache, cochon, couvée. »
LA FONTAINE, « La laitiére et le pot au lait ».
— Elle isole du reste de la phrase un complément, un adverbe, un connecteur, placés en téte
de phrase : ‘
150
La ponctuation
ou:
(373) Qu’il revienne et trouve, en face de lui, celle qui cesse de sourire.
voire :
(374) Qu’il revienne, et trouve, en face de lui, celle qui cesse de sourire.
selon l’effet recherché. Il est donc des emplois fortement codés de la virgule, et d’ autres qui
le sont beaucoup moins. On constate, en particulier, que certains auteurs ont plus tendance
que d’autres 4 multiplier les virgules au sein de la phrase.
Le point-virgule
Il sépare deux parties d’une phrase, dont l’une au moins contient une virgule. Il exhibe en
fait une hiérarchie des composants, a un certain niveau, de la phrase :
| (375) « Candida devenait, sinon célebre, a tout le moins connue. On jouait une
piéce d’elle, sur une scéne parisienne importante ; elle publiait un livre
en Argentine, un pamphlet hargneux et vindicatif contre la France, a qui
151
LA PHRASE
Lauteur a réalisé une longue phrase, composée de trois membres séparés par des
points-virgules. Il est vrai qu’il aurait pu faire trois phrases. Mais les points-virgules,
n’arrétant pas la phrase, permettent de créer une unité de contenu (les multiples activités de
Candida forment un tout, sont simultanées, alors que leur mise en mots les linéarise : des
points auraient accentué le phénoméne, en l’absence de connecteurs appropriés). Cette
illustration du contenu de la phrase précédente (« Candida... ») sous forme d’une seule phrase
tres longue s’oppose plus fortement a la suite (l’arrét brutal de ces activités). On voit
également que si I’ auteur avait utilisé des virgules a la place des points-virgules, la structure
hiérarchique de la phrase n’apparaitrait plus aussi nettement.
On utilise également le point-virgule dans certaines formes d’énumération, pour marquer que
l’énumération n’est pas terminée.
152
La ponctuation
ou d’un dialogue :
_ (379) [Vendredi] s’était fait une fausse barbe en se collant des touffes de coton
sur les joues.
— Sais-tu qui je suis ? demanda-t-il 2 Robinson en déambulant majes-
tueusement devant lui.
— Non.
153
LA PHRASE
Dans ces deux derniers cas, seule l’absence de tiret au début de l’alinéa suivant signale au
lecteur qu’on est revenu a |’énonciation du narrateur, c’est-a-dire au récit.
e Les guillemets peuvent servir a indiquer les limites d’ une citation, annoncée comme telle.
C’est la encore un cas de changement d’énonciateur.
e Les guillemets peuvent servir également 4 signaler qu’un mot, une expression, est
emprunté(e) a une autre énonciation, et n’est pas repris(e) 4 son compte par le locuteur. Il y
a 1a indication d’une polyphonie, d’une mise a distance :
(380) Deux policiers ont été tués jeudi a la Havane lors de la répression sévere
d’un « mouvement » de foule [...]
« Poussée de fiévre 4 Cuba », le Monde, 7-8 aoat 1994.
Le mot « mouvement » n’est pas assumé par le journaliste-énonciateur, il est signalé comme
ne faisant pas partie de son énonciation, méme s’il l’utilise dans son discours (= j’emprunte
ce mot a d’autres, mais je ne le fais pas mien ; ce n’est pas moi qui qualifie de « mouvement »
ce qui s’est passé a La Havane).
e Les guillemets, enfin peuvent signaler qu’un mot utilisé n’est qu’un a-peu-prés, et l’a été
faute d’avoir trouvé mieux. Cette pratique est généralement peu appréciée dans |’institution
scolaire, qui préfére que les éléves fassent l’effort de trouver le mot « juste » (nous laissons
a notre lecteur le soin d’interpréter la valeur des guillemets que nous venons d’utiliser).
e En dehors de |’emploi présenté plus haut, les tirets peuvent servir, comme les parenthéses,
a isoler dans une phrase un commentaire, une indication, une réflexion de |’ auteur (il s’agit
la de signaler un changement de plan d’énonciation : entre tirets se trouve exposée une
information relevant du second plan) :
_ (381) « Un soir — il était une heure aprés minuit — on frappa a la porte [...] ».
JEAN GIONO, op. cit., p. 18.
e Il existe également un emploi didactique des tirets, destiné 4 faire apparaitre clairement
au niveau textuel les différentes composantes d’un contenu organisé sous forme de catalogue
de données. C’est l’utilisation qui en est faite dans le présent ouvrage, en combinaison avec
d’autres indicateurs typographiques (e ; 1.) ; ou ailleurs, a) ; A., etc.). La, les tirets ne sont
plus des marques d’opérations énonciatives.
e Parfois le tiret est équivalent 4 un signe de ponctuation :
(382) « ly avait a cette époque un nommé Bordier, dit Camp Volant, qui
arrétait les voyageurs sur les routes, depuis Tain jusqu’a la mer — avec
une bande qui galopait comme la poudre. »
JEAN GIONO, op. cit., p. 12.
154
La ponctuation
D’autres auraient peut-étre utilisé une virgule 4 la place du tiret. Ou un point. D’autres
auraient peut-étre encadré « dit Camp Volant » par des tirets au lieu des virgules :
_ (383) Il y avait a cette ép0que un nommé Bordier — dit Camp Volant — qui
arrétait les voyageurs sur les routes, depuis Tain jusqu’a la mer. Avec une
bande qui galopait comme la poudre.
Les parenthéses
Elles indiquent, comme les tirets dans certains cas, un passage au second plan (commentaire,
réflexion, indications, exemplification, etc.). Cette fonction est si bien intégrée, que l’usage
oral utilise couramment la formule: « Entre parenthéses, je voudrais dire que... ». Les
parenthéses servent également, dans certains types de discours, a isoler une indication de
références aprés, par exemple, une citation.
Les crochets
Ils sont d’un usage rare. Ils servent en particulier, en concurrence d’ailleurs avec les
parenthéses, 4 signaler une coupure dans une citation ([...]), ou a indiquer, toujours dans une
citation, que l’on remplace un anaphorique par son antécédent, pour rendre la citation plus
compréhensible :
384) « [Janine] pensa une fois de plus combien son prénom était ridicule,
grande et forte comme elle était. » (ALBERT Camus, op. cit. dans la
premiere partie).
A Vissue de la scolarité élémentaire, |’enfant doit étre capable d’utiliser correctement les
guillemets et les tirets pour les discours rapportés au style direct. Pour le reste, il pourra en
comprendre l’essentiel du fonctionnement en tant que lecteur.
Exercice 1
* *
Dans le texte suivant, qui est un texte d’éléve de fin de cycle 3, et dont nous n’avons
corrigé que l’orthographe, vous étudierez l’usage de la ponctuation.
En Tunisie dans un vieux désert, un groupe se promenait dans les dunes, il faisait chaud
tellement chaud que les enfants n’en pouvaient plus. Quelques heures plus tard le
groupe d’enfants décidérent de rentrer chez eux, sauf un petit gar¢on qui s’appelait
Rachid il était intelligent, costaud et courageux, il voulait découvrir le désert, alors il
marcha loin |a-bas vers les immenses dunes qui couvraient les nuages. Soudain Rachid
apercut a cété d’une dune une pancarte alors i] essuya la poussiére et lit et dit : « ¢a y est
oui ¢a y est j’ai découvert enfin quelque chose » : la pancarte disait :« SUIVEZ CE
CHEMIN et VOUS VERREZ » : et alors Rachid se metta en route vers le chemin : un quart
d’heure plus tard Rachid vit une porte qui menait vers un passage secret. I! descendit
l’escalier et soudain bouche bée vit quelque chose d’extraordinaire, il vit des tas de
bijoux des piéces d’or, des colliers, et des bracelets. 3 h plus tard il était de retour chez
155
LA PHRASE
lui il avait mis dans sa poche un collier et raconta son histoire a ses parents, toute la
famille était heureuse. Alors le lendemain matin ils partirent chercher tout l’or au village
et bient6t Rachid devena un grand découvreur.
Exercice 2
* *
Corrigé 1
e L’usage des points. Les points sont peu utilisés, et en particulier ils sont absents en
de nombreux endroits ou ils seraient fortement requis. En effet, outre le point final, ce
texte ne contient que cing points. Mais ces cing points ne sont pas utilisés de fagon
aléatoire. Ils apparaissent au moment ot se produisent des ruptures fortes, soit de
nature temporelle :
— «[...]. Quelques heures plus tard...»
— «[...]. 3 h plus tard... »
— « [...]. Alors le lendemain matin... »
Soit de nature narrative :
— « [...]. Soudain Rachid apergut... »
— «[...]. Il descendit l’escalier et soudain... »
On peut constater qu’a |’intérieur des espaces délimités par les points ne se produit
aucune rupture de la méme intensité. On peut donc dire que pour cet enfant, dans ce
156
La ponctuation
texte, le point n’est pas un signe de démarcation d’unités phrastiques, mais d’unités
narratives. Ce que délimite le point dans ce texte n’est pas loin de correspondre au
paragraphe des écrits d’adulte normés.
e L’usage des virgules. Le phénoméne est ici plus complexe. Certains emplois
correspondent a l’usage normé :
— «[...]. dans un vieux désert, un groupe d’enfants... »
— «|...] décidérent de rentrer chez eux, sauf un petit gar¢on... »
— «il était intelligent, costaud et courageux... »
— «|[...] des piéces d’or, des colliers... »
Mais dans d’autres cas, la virgule a été omise alors qu’elle était requise :
— «alors il essuya la poussiere et lit et dit... »
— « [...] et soudain bouche bée vit quelque chose... »
— «|[...] des tas de bijoux des piéces d’or... »
— « En Tunisie dans un vieux désert... »
— « il faisait chaud tellement chaud... »
— « Quelques heures plus tard le groupe... »
— «alors il marcha loin la-bas vers les immenses dunes...»
— « un quart d’heure plus tard Rachid...»
— «3h plus tard il était de retour... »
— «[...] tout l’or au village et bientdt... »
Parfois elle a été utilisée contre la norme, au terme d’une énumération :
— « [...] des colliers, et des bracelets. »
Parfois enfin, elle remplace le point :
— «[...], il faisait tellement chaud...»
— «|...], il vit des tas de bijoux...»
— «|[...], toute la famille était heureuse
Avec un cas d’ambiguité: « il était intelligent, costaud et courageux, il voulait
découvrir le désert, alors il marcha... » que l’on pourrait ponctuer de plusieurs
facons :
— «ll était intelligent, costaud et courageux, (ou ;) il voulait découvrir le désert.
Alors il marcha... »
— «|| était intelligent, costaud et courageux. II voulait découvrir le désert, (ou ;)
alors il marcha... »
— «Il était intelligent, costaud et courageux. II voulait découvrir le désert. Alors il
marcha... »
Cet exemple montre clairement que nous avons affaire ici a une forme de transcrip-
tion de l’oral a |’aide de virgules, et non d’une réalisation qui a parfaitement intégré
la forme de I’écrit, qui implique un certain niveau de compétence métalinguistique.
e L’usage des deux points. La encore, on distinguera un usage conforme a la norme,
lorsque |’enfant utilise les deux points aprés le verbe « dire » pour annoncer un
157
LA PHRASE
discours rapporté au style direct. Par contre, on trouve trois emplois plus discutables
de ces signes de ponctuation :
— apres les discours directs: « [...] j’ai découvert enfin quelque chose » : la
pancarte disait : « [ ...] et VOUS VERREZ » : et alors Rachid... »
— 4la fin d’une unité phrastique : « alors Rachid se metta en route vers le chemin :
un quart d’heure... »
Dans ces trois cas, on peut estimer que les deux points se sont substitués a un point.
e L’absence de point. Nous retiendrons deux cas ot le point attendu n’est remplace
par rien:
— «|[...] qui s’appelait Rachid il était intelligent... »
— « [...] une pancarte alors il essuya... »
Notons que ce phénomeéne reste marginal.
Au terme de cette analyse, il apparait que l’enfant a conscience de la nécessité
d’utiliser les signes de ponctuation a |’écrit. Les manques de ponctuation sont
relativement exceptionnels. Par contre l’usage qui est fait de ces signes montre que
l'enfant n’a pa encore acquis la maitrise des codages de |’écrit, mais que cette
maitrise est en cours d’acquisition. Il s’est construit un systeme personnel, qui
fonctionne largement comme transcription graphique des mouvements d’un
discours oral :
— le point délimite les grandes unités narratives, qui seraient rythmées, selon toute
vraisemblance, par des pauses d’une certaine durée a |’oral ;
— la virgule délimite des sous-unités de statut divers de fagon hétérogeéne. Mais si
l'on oralise le texte, on constate que, trés souvent, ces virgules délimitent des unités
qui constitueraient un seul groupe de souffle ;
— les deux points marquent certains types d’enchainements de faits (encore qu’ilest
peut-étre plus raisonnable de penser que, dans ce texte, |’usage non strictement
normé des deux points est un effet de contamination contextuelle, dans la mesure ot
ils n’apparaissent plus hors de la proximité des deux discours rapportés au style
direct).
Pour résumer, compte tenu que |’enfant a produit un texte cohérent, composé de
phrases grammaticalement correctes, on peut dire qu’il posséede une compétence
linguistique relative a |’écrit tout a fait satisfaisante. Par contre, l’usage de la
ponctuation témoigne d’une compétence métalinguistique relative au code écrit
encore limitée. Si l’on distingue |’oral (constitué d’énoncés de structures diverses) de
I’écrit (constitué de phrases normées) ; si l’on distingue |’oral transcrit (transcription
fidéle de ce qui a été effectivement dit, en marquant les hésitations, les pauses, etc.)
de l’écrit parlé (le cours magistral, le discours ministériel, etc.), on pourrait dire que
ce texte est de |’écrit parlé transcrit : il respecte les structures du texte écrit et de ses
unités phrastiques, mais il est ponctué, pour l’essentiel, comme une transcription des
mouvements de I’oral. En d’autres termes, cette ponctuation traduit davantage une
analyse plus ou moins intuitive de la chaine orale qu’une analyse de la chaine écrite.
Cette ponctuation n’est donc pas aberrante : elle a ses normes de fonctionnement,
elle fait systeme, méme si elle présente des ratés : elle constitue des marques de
transcription des mouvements prosodiques de |‘oral.
158
La ponctuation
Eléments de corrigé 2
(b). Ce qui fait que toutes les différences de ponctuation observées entre le texte de
Milner et ce que le lecteur aura réalisé ne devront pas etre interpretees comme
erreurs.
Il est clair que le premier point est difficilement remplagable par autre chose, du fait
d’une rupture forte du contenu informationnel : discours sur le monde (« L’échec
scolaire, pour beaucoup, résume la question de I’école »)/discours sur le code (« Or,
il n’est pas de locution plus ambigué que celle-la »). Par contre le second point
pourrait parfaitement étre remplacé par une virgule. Inversement, aprés « [..] énu-
mérer des variantes » on pourrait mettre un point au lieu de deux points, pour créer
une symétrie visuelle de statut phrastique entre les deux phrases commencgant par
« Ou bien... ».
Pour prendre un autre exemple, plutdt que « Il s’agit de |’échec de l’école : le fait que
l’école n’assure pas la fonction qui devrait étre la sienne », on pourrait avoir : « Il
s‘agit de l’échec de I’école (le fait que l’école n’assure pas la fonction qui devrait étre
la sienne). » Par contre on ne pourrait pas avoir une virgule aprés « école » pour des
raisons de construction syntaxique : « le fait que... » est une explication de « |’échec
de l’école », indépendante sémantiquement, mais surtout syntaxiquement du verbe
« s‘agir (de) » (la rupture est marquée par les deux points ; elle pourrait l’étre par des
parenthéses). C’est pourquoi |’auteur a pu écrire « /e fait que... ». Par contre une
virgule serait la marque d’une énumération a deux termes (le second apparaissant
comme une reformulation du premier), ces deux termes devant dépendre syntaxi-
quement du verbe « s’agir (de) ». Il aurait fallu alors avoir « Il s’agit de l’échec de
l’école, du fait que |’école, etc. ». L’utilisation d’une virgule serait ici fautive.
Concernant les virgules, si certaines sont obligatoires, comme dans les €numérations
(« l’existence du mauvais éléve, de la mauvaise note, de l’examen raté » ou les
oppositions (« Rien de moins, mais rien de plus »), d’autres auraient pu ne pas étre
utilisées (« Encore que son usage en lui-méme soit parfaitement univoque »), alors
qu’il était possible d’en ajouter certaines (« ou bien |’on condamne |’école telle
qu’elle est, puisqu’elle produit l’échec scolaire. »)
Ce ne sont la que quelques exemples. Une tentative pour proposer un corrigé
envisageant tous les possibles et les impossibles que |’imagination fertile des
lecteur(trice)s aura réalisés serait d’avance vouée a |’échec. Doublement, parce que
le nombre de pages nécessaires pour essayer de |’approcher découragerait le(la)
lecteur(trice) d’y retrouver un jugement sur telle réalisation particuliére dont la valeur
lui paraitrait incertaine.
D’autre part, le probleme n’est pas tant de dissocier toutes les ponctuations légitimes
de celles qui ne le seraient pas, ou qui le seraient moins, que de prendre conscience
des latitudes qui existent, et qui remettent en cause la définition de la phrase par la
ponctuation : ce ne peut €tre qu’une premiere approche pour |’enfant jeune dans son
role de lecteur.
Enfin cet exercice avait également pour but de faire éprouver par |’adulte qui
enseigne, ou se prépare a le faire, la difficulté que peut présenter la production d’une
ponctuation, et la compétence d’analyse linguistique requise, qu’elle soit spontanée
(tous ceux et toutes celles qui ont mis un point au début, aprés la « la question de
lécole », ne l’ont-ils pas fait sur la base d’un sentiment d’évidence ? Mais d’ou venait
ce sentiment ?) ou réflexive (que mettre aprés'« plus ambigué que celle-la » ? aprés
160
La ponctuation
«on peut énumérer des variantes » ? comment segmenter entre « Une fois
encore... » et « une destruction radicale. » ? etc.). On comprendra mieux que
‘enfant ait des difficultés a ponctuer : d’abord, ponctuer c’est aider le lecteur, et cela
suppose que |l’on soit capable de se décentrer suffisamment... Ensuite, ponctuer, c’est
difficile. Surtout quand on n’a pas encore une idée approchante de ce qu’est une
phrase et de sa structure, et qu’on n’a qu’une idée trés confuse de |l’emploi des
différents signes de ponctuation.
161
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GENERALITES
Pour écrire on utilise des lettres. Pour parler on utilise des sons. Lettres et sons constituent
des réalités concrétes, matérielles.
Certains manuels scolaires parlent de graphémes, plutét que de lettres, de phonémes plutot
que de sons. En fait, ces termes ne sont pas synonymes.
e Le graphéme est une unité minimale dans un systéme d’écriture. Selon les systémes
d’écriture, ce peut étre un idéogramme, une notation syllabique ou une lettre. Au niveau de
la définition générale, il apparait que l’on ne peut assimiler le graphéme 4 la lettre. Peut-on
le faire pour le frangais qui a un systéme d’écriture alphabétique ? La solution n’est peut-étre
pas aussi simple. En effet, certains distinguent, dans notre écriture alphabétique, la lettre et
le graphéme, définissant le graphéme comme une unité graphique correspondant au pho-
néme. Ainsi, le phonéme /o/ peut étre transcrit par les graphémes « 0 », « au » OU « eau »,
ces graphémes étant constitués d’une, deux ou trois lettres. L’assimilation du graphéme a la
lettre est réductrice et contestable. De toutes fagons, nous ne voyons aucun intérét, a l’école,
a parler de graphéme.
e Le phoneme est une unité abstraite. Le langage peut s’analyser en unités sémantiques
minimales, ou unités de premiére articulation : les morphémes : morphémes qui, a leur tour
s’analysent en unités formelles minimales ayant une valeur distinctive (c’est-a-dire permet-
tant, par leurs différences, de constituer des morphémes différents) : les phonémes. Ainsi, [p]
et [b] sont deux sons différents que l’on distingue a |’ audition, mais ce sont aussi deux pho-
némes différents, car ils permettent de créer, par leur différence, des morphémes différents :
/pale/ et /bale/ (« palais » et « balai ») ou /tRSp/ et /tR5b/ (« trompe » et « trombe »). Par
contre, on sait que dans certaines régions de France, on roule les «r » (prononciation que
l’on note [r]), alors que dans le reste du pays on réalise un « r » grasseyé, noté [u]. Mais [ri]
et [ui], malgré leur différence sonore ne sont pas deux mots différents : il s’agit toujours du
riz. [r] et [a] sont deux réalisations sonores différentes du méme phonéme /R/. (les crochets
signalent une transcription phonétique : les barres obliques, une transcription phonologique).
On ne prononce pas des phonémes, on n’entend pas des phonémes : on prononce et on
entend des sons, qui présentent une valeur phonologique. Nous ne voyons pas I’utilité de
parler de phonémes a |’ école élémentaire.
Notons que des enfants étrangers pourront étre confrontés a deux types de difficultés dans ce
domaine :
— difficultés d’ ordre phonétique : un son frangais n’existe pas dans leur langue maternelle.
Les enfants auront des problémes d’ordre articulatoire. Ainsi certains parlers arabes n’ont
que trois voyelles [i], [u] (« ou »), [a]. D’ot des problémes pour articuler par exemple le [e]
(« € »). Lespagnol ou l’italien ignorent le [y] (« sur »), le [3] (« je »), le « r » grasséyé, etc.
et réaliseront « Je suis sfir » sous la forme orale [je swi sur] (qu’on pourrait rendre orthogra-
phiquement par « yé soui sour », le « r » étant roulé).
164
Eléments de phonétique
— des variations liées aux générations : certains sons ont disparu (ou tendent a disparaitre)
de l’usage des jeunes, alors qu’ils sont toujours utilisés par les personnes 4gées ;
— des variations liées aux couches socio-culturelles.
L’alphabet phonétique que nous proposons (qui utilise les signes de 1’Alphabet phonétique
international, ou A.P.I.) constitue le systeme maximal du frangais hexagonal. Nous noterons
les principales variations.
On distingue les voyelles, les consonnes et les semi-consonnes (appelées aussi semi-
voyelles ou glides).
Du point de vue acoustique, les voyelles et les glides sont des sons (une guitare dont on
pince les cordes produit des sons) ; les consonnes sont des bruits (de frottement de |’air con-
tre les parois buccales, ou d’explosion : une guitare sur laquelle on tape produit du bruit).
Du point de vue articulatoire, les voyelles sont plus ouvertes que les glides, qui sont plus
ouverts que les consonnes.
Les voyelles sont centres de syllabes, ce que ne peuvent étre ni les consonnes, ni les glides
(sauf exception : dans « psst ! » par exemple, la consonne [s] est centre de syllabe).
Les voyelles
Selon la position de la langue dans la bouche, on distinguera quatre degrés d’aperture des
voyelles : fermées (F : sommet de la langue proche du palais — de la voite palatale) ; semi-
fermées (1/2 F) ; semi-ouvertes (1/2 O) ; ouvertes (O : langue abaissée au maximum).
Celles qui sont articulées vers |’avant de la cavité buccale sont dites antérieures ; les autres
sont articulées vers |’ arriére de la cavité buccale, et sont dites postérieures.
165
ELEMENTS DE PHONETIQUE
Les voyelles antérieures peuvent étre articulées en rétractant les lévres (voyelles rétractées),
ou en les arrondissant (voyelles arrondies). Les voyelles postérieures sont toutes arrondies.
On distingue enfin les voyelles orales et les voyelles nasales. Dans le premier cas, la totalité
de l’air expiré pour les articuler passe par la bouche. Dans le second, une partie de |’air passe
par le nez. Ce sont les voyelles les plus ouvertes qui peuvent étre nasalisées.
A la suite de chaque son nous fournirons quelques exemples de graphie 8 titre indicatif, sans
aucune recherche d’exhaustivité.
VOYELLES ORALES
antérieures postérieures
rétractées arrondies (arrondies)
VOYELLES NASALES
(la nasalité se note avec le signe ~ appelé tilde)
[€] hein ? sain [ce] un, parfum [5] bon, pompe
[a] chant, vent, temps
Remarques
e La différence entre [9] d’une part et [¢]/[ce] d’autre part concerne la durée : [a] (qu’on
appelle le chva) est plus bref que les deux autres. On peut prendre comme repére écrit si l’on
n’a pas |’oreille suffisamment exercée, le fait que [g] et [ce] s’orthographient généralement
« eu » OU « OeU », alors que [9] s’orthographie « e ». Mais en francais standard, tous les « e »
ne se prononcent pas : « la petite béte » se prononce [la ptit bet], alors qu’en pays d’oc on
réalisera facilement [la patito beta], voire, dans les milieux populaires [la pcetita betee].
Comme dans la norme du frangais standard ce « e » ne se réalise pas toujours, on |’appelle
aussi « e » caduc, ou « e » latent.
e [c] est en voie de disparition totale sur l’ensemble du pays, et est remplacé par [€]. On ne
distingue plus a !’oral (sauf chez certaines personnes 4gées, ou dans certaines régions,
« brun » et « brin », « alun » et « Alain », « un » et « hein », etc.
e En pays d’oc, [a] n’existe pas, et les « pates » ne sont pas distinguées (en ce qui concerne
la prononciation) des « pattes » (sauf dans certains milieux intellectuels).
e En pays d’oc, la réalisation des voyelles d’ aperture intermédiaire ne correspond pas tou-
jours a la norme standard :
— les mots ne peuvent pas se terminer sur la voyelle [e] : « le lait » est prononcé [le le] ;
166
Eléments de phonétique
— en finale, on ne réalise guére [¢] et [o] devant une consonne : « feutre » ou « heureuse »
sont prononcés avec un [ce], et « rose » ou « épaule » avec un [9].
— lorsque le mot se termine sur une syllabe ouverte (une voyelle), la voyelle est semi-
fermée ([e], [9], [o]) ;
— lorsque le mot se termine sur une syllabe fermée (une consonne, éventuellement suivie
d’un [9]), la voyelle est semi-ouverte ([€], [ce], [9]).
e En pays d’oc, la nasalisation des voyelles est trés mal réalisée : on produit la voyelle orale
qu’on semi-nasalise éventuellement, et on termine sur le son [n] que 1’on trouve 4 la finale
des mots comme « parking », et qui est un [g] nasal. Ce qui donne, en décomposant, pour un
mot comme «bon», non pas [b5], mais [bon] ; pour « hein», non pas [&] mais [en] ;
pour « banc » non pas [ba], mais [ban]. On dit que ces voyelles nasales sont dénasa-
lisées. Mais il existe en fait des degrés de dénasalisation de ces voyelles, que 1’on peut
assez largement corréler aux milieux socio-culturels : entre [ba], percu comme parisien, ou
distingué, ou apprété en pays d’oc, et [ban] percu comme populaire, il existe des réalisations
intermédiaires.
En tout état de cause, a l’école élémentaire en pays d’oc, [an] sera transcrit [a], [en] sera
transcrit [&], et [on] sera transcrit [5].
Les consonnes
On distingue fondamentalement, sur la base de leur mode d’ articulation, les consonnes cons-
trictives (ou continues : l’air produit un bruit de frottement dans un passage buccal rétréci),
et les consonnes occlusives (ou momentanées : le chenal buccal est momentanément fermé
— au niveau des lévres par exemple —, puis son ouverture brutale produit un bruit de type
explosion). A quoi on ajoutera une /atérale et une vibrante.
On peut également définir les consonnes par leur point d’articulation : bilabiales, labio-
dentales, etc. (cf: tableau ci-dessous).
Alors que, sauf en voix chuchotée, toutes les voyelles sont sonores (les cordes vocales
vibrent lors de leur production), on oppose les consonnes sourdes (les cordes vocales ne
vibrent pas lors de leur réalisation) et les consonnes sonores : [s] est sourd ; [z] est un [s]
sonore; [p] est sourd, [b] est un [p] sonore. La latérale et la vibrante sont généralement
sonores. Elles peuvent toutefois étre sourdes dans certains contextes, sans que cela modifie
leur identité.
Les constrictives sont toutes orales. Par contre il existe des occlusives nasales (occlusives
sonores articulées en faisant passer une partie de |’ air par le nez) [b] est oral ; [m] est un [b]
nasal.
167
ELEMENTS DE PHONETIQUE
CONSONNES CONSTRICTIVES
labio-dentales alvéolaires prépalatales
sourdes [f] fou, photo [s] sain, russe, ce [J] chou
sonores [v] vous [z] zinc, ruse [3] joue, age
CONSONNES OCCLUSIVES
bilabiales apicales palatale vélaires
sourdes [p] pont (ey ere? 1 [k] cas, toque
sonores [b] bond [d] aidé [g] gars
nasales [m] mont [n] [n] ring
Remarques.
e Le son «r» est normalement transcrit en phonétique [u]. Mais ni les dictionnaires, ni les
manuels scolaires n’ont adopté ce signe. Le plus couramment utilisé est [R]. C’est pourquoi
nous |’avons retenu ici.
e Dans le Sud-Ouest et en Corse, le « r » est roulé. On transcrit en phonétique le « r » roulé
par [r]. Méme s’il peut étre intéressant de faire entendre cette différence aux enfants, il nous
parait peu utile d’introduire un signe supplémentaire pour la noter a |’ école élémentaire.
Les glides
Il y a trois glides (ou semi-voyelles, ou semi-consonnes), qui correspondent aux trois voyel-
les les plus fermées, [1], [y], [u]. Ces glides sont plus fermés que ces trois voyelles (et leur
durée d’émission est plus bréve), mais sont plus ouverts que les consonnes les plus ouvertes
(les constrictives). Comme les voyelles, ce sont des sons, mais comme les consonnes, ils ne
peuvent étre centres de syllabes.
LES GLIDES
[j] pued, paille, payer [y] luire [w] ouate, boite, watt
Remarques.
e Contrairement a ce que pourraient laisser penser certains manuels scolaires, il n’existe pas
un son [wa], un son [w€] ou un son [jé], pas plus d’ailleurs qu’un son [ks]. Dans chaque cas,
il y a deux sons, méme si la transcription peut étre figée (« oi » : mais comme nous |’avons
noté ci-dessus, la « ouate » existe, de méme que les « ouailles », les « watts », les
« walkmans » ou les « wapitis » ) ; ou monographique (« x », qui peut d’ailleurs transcrire
[gz] : « exact »; [s] : « dix » ; [z] : « deuxiéme » ; [k] : « excés » ; ou rien : « mieux ».
168
Eléments de phonétique
e Nous avons souvent utilisé dans le tome 2 une notation phonologique plutét que phoné-
tique pour tenter de neutraliser les variations régionales, en particulier celles qui mettent en
jeu le chva : [9] est largement considéré comme n’étant pas un phonéme, du fait qu’en
dehors de cas trés limités ot il s’ oppose 4 zéro ((doR]/[daoR]), il ne peut guére jouer de réle
dans la distinction de morphémes.
De méme que « je parle » sera prononcé [3 paR]] en pays d’oil et [3apaRla] en pays d’oc, la
transcription phonologique /3 paRI/ correspondra aux deux réalisations orales possibles. La
transcription /3 paRIRe/ ne transcrit pas la norme standard, mais correspond aussi bien a
[3paRIRe] qu’a [3a paRloRe].
Exercice 1
*
Exercice 2
ok
Classez les énoncés suivants en deux groupes, selon qu’ils vous paraissent tre
plutdt des réalisations d’oil, ou plutot des réalisations d’oc. Quels indices ont guidé
votre classement ?
169
ELEMENTS DE PHONETIQUE
Exercice 3
* OK
Corrigé 1
170
Eléments de phonétique
Corrigé 2
Corrigé 3
171
ELEMENTS DE PHONETIQUE
172
BIBLIOGRAPHIE
NOTIONS GENERALES
173
BIBLIOGRAPHIE
Cet ouvrage vise plutét les enseignants du second degré, mais il est parfaitement a la portée
de futurs professeurs des écoles. Il aborde en particulier les problémes d’énonciation, de
polyphonie, de discours rapporté, et présente les notions fondamentales de grammaire de
texte.
L’ENONCIATION
e On peut chercher les textes fondateurs chez Emile BENVENISTE, Problémes de linguistique
générale, Paris, Gallimard, 1976, chap. XVIII 4 XXI (pour les pronoms personnels, la
distinction discours, histoire, et, d’une facgon générale, |’énonciation) ; chez Roman
JAKOBSON, «Les embrayeurs, les catégories verbales et le verbe russe », Essai de
linguistique générale, Paris, éd. de Minuit, 1963, pp. 176-205 (pour les embrayeurs), et chez
Harald WEINRICH, le Temps. Le récit et le commentaire, Paris, Seuil, 1973 (pour la distinction
imparfait/passé simple).
e Pour un approfondissement des notions concernant |’ énonciation, présentées dans le préent
ouvrage, on retiendra :
Catherine KERBRAT-ORECCHIONNI, l’Enonciation. De la subjectivité dans le langage, Paris,
Armand Colin, 1980.
Dominique MAINGUENEAU, Approche de l’énonciation en linguistique francaise, Paris,
Hachette, 1981 ; nlle éd., 1991.
Michéle PERRET, /’Enonciation en grammaire de texte, Paris, Nathan-Université, 1994.
e Ceux et celles qui voudraient aller plus loin dans leur information théorique pourront
consulter:
Gérard GENETTE, Figures III, Paris, Seuil, 1972 (pour les problémes narrateur/texte).
Oswald DUCROT, Dire et ne pas dire, Paris, Hermann, 1972 (pour la présupposition).
Oswald DucroT, le Dire et le dit, Paris, éd. de Minuit, 1984 (en particulier pour la
polyphonie).
LE TEXTE
e Concernant le récit, qui constitue le type de texte sur lequel les enseignants du premier
degré travaillent essentiellement, on pourra retenir, parmi les « classiques » :
— V. Propp, Morphologie du conte, Paris, Seuil, Points, 1970.
— V. BREMOND, Logique du récit, Paris, Seuil, 1973.
Parmi les travaux plus récents, on retiendra les ouvrages de Jean-Michel ADAM, qui font une
place importante aux problémes de superstructure, de séquentialité :
— Le récit, Que sais-je ? n° 2149, Paris, PUF, 1984.
— Le texte narratif, Paris, Nathan-Université, 1985 ; nlle éd. revue et augmentée, 1994.
e On pourra consulter, pour le texte descriptif :
J. M. ADAM et A. PETITJEAN, le Texte descriptif, Paris, Nathan-Université, 1989.
174
Bibliographie
J.M. ADAM a fait également le point sur ses analyses concernant les superstructures des
différents types de textes (récit, description, argumentation, explication et dialogue) dans :
— Les textes : types et prototypes, Paris, Nathan-Université, 1992. (Ouvrage pour ceux et
celles qui veulent vraiment approfondir les problémes typologiques posés par les différents
types de séquences textuelles.)
e Pour approfondir les questions de plans, d’anaphores, de progressions thématiques, on
consultera avec profit les travaux de Bernard COMBETTES, qui outre leur intérét du point de
vue théorique, présentent l’avantage d’offrir des applications pédagogiques :
— Pour une grammaire textuelle. La progression thématique, Bruxelles, De Boeck-Duculot,
1983.
— L’organisation du texte, Université de Metz, 1992 (ouvrage centré sur |’opposition des
plans, et ses différents aspects linguistiques).
— B. COMBETTES et R. TOMASSONE, le Texte informatif, aspects linguistiques, Bruxelles,
De Boeck-Wesmael, coll. Prisme, 1988; 2° tir. 1991. (Etude intéressante des procédés
d’introduction des éléments nouveaux, des phénoménes d’anaphore et des progressions
thématiques dans le texte informatif.)
e Sur le probléme des différents modes d’ organisation du discours (énonciatif, descriptif,
narratif, argumentatif), on pourra se référer également a Patrick CHARAUDEAU, Grammaire
du sens et de l’expression, Paris, Hachette, 1992, troisiéme partie.
LA PHRASE
Pour les rapports phrase/énoncé, on pourra lire Oswald DUCROT, les Mots du discours, Paris,
éd. de Minuit, 1980, chap. 1 « Texte et énonciation ». (Texte important. Nous n’avons pas
employé « sens » et « signification » de la méme fagon que Ducrot.)
Pour les notions d’actualisation, d’expansion, on pourra se reporter 4 André MARTINET,
Eléments de linguistique générale, Paris, Armand Colin, § 4-25 4 4-32 ; et aA. MARTINET,
Grammaire fonctionnelle du francais, Paris, Didier, 1979, § 1-13, 1-20.
On pourra consulter par ailleurs :
— Joélle GARDES-TAMINE, la Grammaire, tome 2, Paris, Armand Colin, 1988, chap. 1 et 2.
On pourra consulter le tome 1 pp. 9-39 pour les questions de phonétique et de phonologie).
— La Grammaire de la phrase francaise de Pierre LE GOFFIC, Paris, Hachette, 1993, est un
ouvrage descriptif trés complet, qui souvent dépasse les besoins d’un(e) enseignant(e) du
premier — voire du second — degré, mais qui sur la définition générale de la phrase et sa
problématique reste assez sommaire (chap. 1, pp. 8-18). Par contre, on y trouvera des
analyses plus approfondies sur les modalités de phrases (chap. 4) ou la phrase sans verbe
(chap. 17).
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Armand Colin
21, rue du Montparnasse
75283 Paris Cedex 06
N° 101508
Dépot légal : Février 1999
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GRAMMAIRE POUR ENSEIGNER / 1
L’énoncé, le texte, la phrase
Cet ouvrage est suivi d’un second volume : La phrase verbale: les
fonctions et les catégories.
L’ auteur
Agrégé de Lettres modernes et docteur d’état en linguistique, Claude
VARGAS enseigne comme maitre de conférences a lV’ IUFM d’Aix-
Marseille et a lVuniversité de Provence ou il est Directeur de
recherches. Il est l’auteur de nombreux articles sur l’enseignement du
francais et a publié, en collaboration, le Frangais au concours de pro-
fessorat des écoles et un Fichier de grammaire pour le cycle 2.
ISBN : 2-200-01304-3
9782200013042
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