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Exercice à la maison [2]

1 Si mes ouvrages me survivent, si je dois laisser un nom, peut-être un jour, guidé par ces
Mémoires, quelque voyageur viendra visiter les lieux que j’ai peints. Il pourra reconnaître
le château1 ; mais il cherchera vainement le grand bois2 : le berceau de mes songes a
disparu comme ces songes. Demeuré seul debout sur son rocher, l’antique donjon pleure
5 les chênes, vieux compagnons qui l’environnaient et le protégeaient contre la tempête.
Isolé comme lui, j’ai vu comme lui tomber autour de moi la famille3 qui embellissait mes
jours et me prêtait son abri : heureusement ma vie n’est pas bâtie sur la terre aussi
solidement que les tours où j’ai passé ma jeunesse, et l’homme résiste moins aux orages
que les monuments élevés par ses mains.

François-René de Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, Livre III, ch. 16 (1849-


1850).

Vous identifierez dans cet extrait les appositions, en premier lieu.


Vous adopterez d’abord l’acception élargie défendue par ex. par F. Neveu et vous justifierez
votre relevé en vérifiant que les structures retenues vérifient bien les propriétés des
appositions.
Vous présenterez ensuite la perspective restrictive adoptée par Riegel, Pellat & Rioul (2016)
sur les appositions, et indiquerez l’incidence que cette définition a sur votre relevé précédent.

En second lieu, vous direz si cet extrait présente des adverbes ou des adverbiaux incidents de
phrase. Si oui, vous vérifierez par des tests leurs propriétés catégorielles puis vous préciserez
leurs sous-catégories.

1. Etude des appositions

Une apposition entendue dans une acception large vérifie les quatre propriétés suivantes :

1.1. Acception élargie défendue par ex. par F. Neveu

Propriété 1 : Ces séquences sont extraprédicatives. Cette extraprédicativité se vérifie par le


test de la négation totale qui montre que l’apposition ne peut pas tomber sous la portée de
cette négation.

Guidé par ces Mémoires, quelque voyageur ne viendra pas visiter les lieux que j’ai peints.
Demeuré seul debout sur son rocher, l’antique donjon ne pleure pas les chênes, vieux
compagnons qui l’environnaient et le protégeaient contre la tempête.
Isolé comme lui, je n’ai pas vu comme lui tomber autour de moi la famille4 qui embellissait
mes jours

1
Il s’agit du château de Combourg, en Bretagne, où Chateaubriand a passé la plus grande partie de son enfance.
2
Ce grand bois environnant le château était le lieu privilégié des rêveries du jeune François-René. A la date où
l’auteur rédige ses Mémoires, ce bois a disparu.
3
Il ne faut pas oublier que la famille de Chateaubriand a payé un lourd tribu aux échafauds dressés par la
Révolution française.
4
Il ne faut pas oublier que la famille de Chateaubriand a payé un lourd tribu aux échafauds dressés par la
Révolution française.
Tel est le cas pour les 4 séquences candidates à la fonction « apposition »

Propriété 2 : ces appositions sont en relation d’apport-support informationnel avec un GN


ou son équivalent. Dans les énoncés qui suivent, le support est souligné, sa fonction
syntaxique est précisée entre parenthèses.

Guidé par ces Mémoires, quelque voyageur (sujet du verbe viendra) viendra visiter les lieux
que j’ai peints.
Demeuré seul debout sur son rocher, l’antique donjon (sujet du verbe pleure) pleure les
chênes (COD du verbe pleure), vieux compagnons qui l’environnaient et le protégeaient
contre la tempête.
Isolé comme lui, j’ (sujet du verbe ai vu) ai vu comme lui tomber autour de moi la famille5
qui embellissait mes jours

Propriété 3 : L’apposition est souvent apte à entrer dans une construction attributive avec
le verbe être dont le terme support de l’apposition est le sujet syntaxique. Cette caractéristique
est vérifiée pour toutes les structures examinées.

Quelque voyageur sera guidé par ces Mémoires


L’antique donjon est demeuré seul debout sur son rocher
Les chênes sont de vieux compagnons qui l’environnaient et le protégeaient contre la
tempête. [NB : comme souvent avec les appositions de type SN, un ajustement affectant le
déterminant du SN est nécessaire pour rendre la phrase attributive grammaticale]
J’étais isolé comme lui

Propriété 4 : la relation syntaxique de modification du GN support se double, chaque fois


que possible, d’un accord morphosyntaxique en genre et en nombre de la tête du syntagme
appositif avec la tête nominale du GN modifié qui commande l’accord.

Guidé par ces Mémoires, quelque voyageur (…) = accord au masc. sing. commandé par le
nom voyageur.
Demeuré seul debout sur son rocher, l’antique donjon (…) = accord au masc. sing.
commandé par le nom donjon
Isolé comme lui, j’ (…) = accord au masc. sing. commandé par le référent du sujet j’
(…) les chênes, vieux compagnons qui l’environnaient et le protégeaient contre la
tempête : il n’y a pas ici accord morphosyntaxique de l’apposition avec les traits de genre et
de nombre du support puisque cette apposition est un SN (qui porte donc ses marques
propres). Mais il y a, sur le plan sémantique, une forme de cohérence qui s’impose : l’apport
référant à une collection d’individus (les chênes), l’apposition dénote elle aussi une collection
d’individus (vieux compagnons)

En conclusion, les quatre constituants suivants :

Guidé par ces Mémoires : syntagme participial6


Demeuré seul debout sur son rocher : syntagme participial
vieux compagnons qui l’environnaient et le protégeaient contre la tempête : syntagme
nominal

5
Il ne faut pas oublier que la famille de Chateaubriand a payé un lourd tribu aux échafauds dressés par la
Révolution française.
6
Pensez bien à un moment ou un autre dans votre copie à préciser le statut catégoriel des appositions identifiées.
Isolé comme lui : syntagme participial

sont tous des appositions.

1.2. Acception restreinte de Riegel & al. 2016

Riegel & al. restreignent les appositions aux seuls SN en position d’apport.
Dans le relevé précédent, on est donc conduit à ne retenir comme apposition, en ce cas,
que le SN « vieux compagnons qui l’environnaient et le protégeaient contre la tempête ».

2. Etude des adverbe et adverbiaux incidents de phrase

Un incident de phrase doit vérifier les deux propriétés suivantes :


- il est apte à figurer en tête de phrase négative ;
- il est inapte à être focalisé sous c’est … que.

Les deux adverbes peut-être et heureusement dans les phrases :

Peut-être un jour quelque voyageur viendra visiter les lieux que j’ai peints.
Heureusement ma vie n’est pas bâtie sur la terre aussi solidement que les tours où j’ai passé
ma jeunesse.

sont des adverbes de phrase comme le montrent leur réaction aux tests suivants :

Test a : détachement de l’adverbe en tête de phrase négative :

Peut-être un jour quelque voyageur ne viendra pas visiter les lieux que j’ai peints.
Heureusement ma vie n’est pas bâtie sur la terre aussi solidement que les tours où j’ai passé
ma jeunesse.

Test b : Focalisation au moyen de c’est … que

*C’est peut-être qu’un jour quelque voyageur viendra visiter les lieux que j’ai peints.
*C’est heureusement que ma vie n’est pas bâtie sur la terre aussi solidement que les tours où
j’ai passé ma jeunesse.

Ils peuvent donc figurer en tête de phrase négative et ils ne sont pas focalisables, ce qui
constituent la conjonction des deux traits définitoire des adverbes de phrase.

Ces deux adverbes ne sont pas des conjonctifs car ils peuvent figurer sans difficulté en tête
d’un discours sans présupposer un contexte amont. Ce sont donc des disjonctifs.

Ni l’un ni l’autre enfin de caractérisent la relation du locuteur avec son interlocuteur, ni sa


relation avec la forme, la source ou le statut de son énoncé. Ce sont donc des disjonctifs
d’attitude7.

7A noter que heureusement est classé comme un adverbe (disjonctif d’attitude) évaluatif et peut-être
comme un adverbe (disjonctif d’attitude) modal.

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