MAGAZINE

EN UKRAINE, DU GRAND
ÉCRAN AU FRONT idées Enquête sur le rapport
des jeunes à la laïcité

WEEK-END
UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE,
EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG

SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023 - 79E ANNÉE - NO 24545 - 5,20 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE - WWW.LEMONDE.FR - FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Gaza : reprise des combats entre Israël et le Hamas

▶ Après sept jours de trêve, ▶ Cette pause au milieu ▶ La Franco-Israélienne ▶ En visite à Tel-Aviv, ▶ Malgré la reprise des
Israël a annoncé, vendredi de la guerre a permis Mia Shem fait partie Antony Blinken, le secré- bombardements, les négo-
1er décembre, avoir le retour de 80 otages des personnes libérées taire d’Etat américain, a ciations continuent, sous
repris les combats à la israéliens, tandis que in extremis jeudi, alors demandé à l’état-major is- la houlette du Qatar, pour
suite de tirs de roquettes 240 Palestiniens ont été qu’environ 160 otages res- raélien d’éviter « les pertes obtenir une nouvelle trêve
du Hamas libérés de prison tent aux mains du Hamas massives de vies civiles » PAGE S 2 - 3 E T tribunes P. 2 6

France COP28 Le fonds

2023, pour aider
deuxième année HYPERINFLATION les pays du Sud
la plus chaude approuvé
APRÈS LA VAGUE,
▶ Les économistes
estiment que le pire
Météo-France a présenté l’ouverture de la 28e conférence
son bilan de l’année,
du choc est mondiale pour le climat a été ac-
probablement passé

L’EUROPE MESURE
durant laquelle des records compagnée, jeudi 30 novembre,
d’une nouvelle positive avec l’ac-
de chaleur ont été battus,
▶ Les prix ont cessé cord sur la mise en place du fonds
notamment en automne « pertes et dommages » pour aider
PAGE 6
d’augmenter brutalement les pays en développement, princi-
mais restent

L’AMPLEUR
pales victimes des conséquences
à un niveau élevé désastreuses du réchauffement cli-
Société ▶ Dans toute la zone euro,
matique. Ce dispositif est réclamé
depuis plus de trente ans par les

Universités : et malgré des politiques

Etats concernés, qui regrettent ce-
pendant le fait que les contribu-

DES DÉGÂTS
volontaristes, les salariés tions se fassent pour l’instant sur la
l’ombre de connaissent un appauvris-
base du volontariat. Les promesses
de versement se chiffrent en cen-
l’antisémitisme sement inédit depuis 1970 taines de millions de dollars, alors
que les experts estiment en centai-
PAGE S 1 4 - 1 5 nes de milliards les dégâts à venir
Depuis l’attaque chaque année.
du Hamas, le 7 octobre, PAGE 6
des dizaines de faits
relevant de l’incitation
à la haine des juifs
ont été signalés Centenaire de la Callas Affaire Bygmalion
Un an de prison ★★★★
PAGE 8
Les années grecques avec sursis requis “UN CHEF-D'ŒUVRE ABSOLU”
THE GUARDIAN

Amérique latine contre Sarkozy

PAGE 1 1
“UNE ODYSSÉE PRODIGIEUSE”
Les prétentions
LE MONDE TÉLÉRAMA

du Venezuela Politique
sur un territoire Patrice Vergriete,
de « Baron noir »
du Guyana au ministère
Caracas organise un réfé- du logement
rendum auprès de sa PAGE 1 0
population pour revendi-
quer la souveraineté sur
une zone riche en pétrole
du petit Etat voisin
Afrique du Sud
PAGE 4 Dans le fief
des Mandela, la
grande désillusion LA
CHIMÈRE
FONDS DE DOTATION MARIA CALLAS

1
ÉD ITO R IAL
pour célébrer les 100 ans de la
naissance de la diva, France 5 dif-
quelles elle a appris l’essentiel de
son art, connu ses premiers suc-
PAGE 1 8

fuse, le 8 décembre, un documen- cès sur scène et vécu l’expérience

un film de
ALLEMAGNE : taire qui raconte une période mé- douloureuse de l’occupation na- Disparition A L I C E R O H RW A C H E R
connue de sa vie. Maria Callas, zie. La Divina, parvenue au som-
LEVER LE « FREIN née à New York dans une famille met de sa gloire, ne reviendra que
Shane MacGowan,
grecque, débarque à Athènes à par trois fois dans le pays après la leader des Pogues, LE 6 DÉCEMBRE AU CINÉMA
À LA DETTE » l’âge de 13 ans, en 1937. Elle y res- guerre. Mais elle affirmait : « J’ap-
est mort à Dublin
tera jusqu’à la fin de la guerre, partiens au monde grec. »
P A G E 29
en 1945. Huit années durant les- PAGE 2 0 PAGE 1 9
Algérie 220 DA, Allemagne 4,50 €, Andorre 3,90 €, Autriche 4,20 €, Belgique 5,40 €, Espagne 3,90 €, Grèce 3,90 €, Guadeloupe-Martinique 3,70 €,
Hongrie 1 790 HUF, Italie 3,90 €, Luxembourg 5,40 €, Maroc 28 DH, Pays-Bas 4,30 €, Portugal cont. 3,90 €, La Réunion 3,70 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 5,50 DT, Afrique CFA autres 2 600 F CFA
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INTERNATIONAL
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023

C O N F L I T I S R A É L O - PA L E S T I N I E N

Fin de la trêve à Gaza, la guerre reprend

La pause d’une semaine
a été rompue vendredi.
De premières frappes ont
fait une trentaine de morts,
selon le Hamas.
Les pourparlers continuent
pour restaurer la trêve

beyrouth, jérusalem - correspondants

U
ne semaine de pause, tout
juste, et la guerre reprend. A
5 h 44, un peu plus d’une
heure avant la fin de la trêve
entre le Hamas et Israël, les
sirènes d’alerte ont résonné
dans le sud de l’Etat hébreu, pour la première
fois depuis sept jours. Au même moment, des
médias affiliés au mouvement islamiste pa-
lestinien annonçaient sur la messagerie Tele-
gram que des explosions et fusillades réson-
naient dans le nord de l’enclave, là où l’armée
israélienne est déployée en masse depuis
le début de l’offensive terrestre, le 27 octobre.
A 7 h 06, l’armée israélienne diffuse le com-
muniqué suivant : « Le Hamas a violé la pause
opérationnelle et a en outre tiré vers le terri-
toire israélien. L’armée israélienne a repris
les combats contre l’organisation terroriste
Hamas dans la bande de Gaza. »
Une demi-heure plus tard, des frappes aé-
riennes tombaient sur Gaza, qui en milieu de
matinée avaient déjà fait une trentaine de
morts. L’aviation israélienne a largué des
tracts sur la ville de Khan Younès, dans le sud
de Gaza, probable cible d’une prochaine of-
fensive, en demandant à la population d’éva-
cuer la zone en direction de Rafah, la partie la
plus méridionale de l’enclave palestinienne.
Ce n’est pas une surprise. La trêve était à du-
rée déterminée. Le cabinet de guerre israélien
avait prévu une pause de dix jours maxi-
mum. Elle a commencé par une première
phase de quatre jours. La suspension des hos-
tilités était fondée sur un échange d’otages et
de prisonniers entre le Hamas et Israël et sur
l’apport d’aide humanitaire dans le sud de
l’enclave. Cette première phase a permis la li-
bération de 50 Israéliens retenus dans Gaza,
contre 150 Palestiniens incarcérés par Israël.
La trêve a été ensuite prolongée, au rythme
planifié de l’élargissement de 10 otages par
jour, contre 30 prisonniers. Parmi les der-
niers libérés, la Franco-Israélienne Mia Shem,
21 ans. La jeune femme avait été kidnappée au
festival de musique électronique Nova, où les
combattants du Hamas se sont livrés à un de remettre les corps de la famille Bibas [deve- La trêve a été ponctuée de déclarations mar- conde phase de l’opération israélienne cause
massacre. Sur le site de la fête, à laquelle parti- nue le symbole du massacre du 7 octobre] et CETTE PAUSE A tiales des faucons israéliens, qui n’ont jamais moins de dégâts humains que la première,
cipaient 3 000 jeunes Israéliens, les secouris-
tes ont découvert plus de 360 cadavres. Le
de libérer leur père, afin qu’il puisse participer à
leur cérémonie d’enterrement… en plus de la re-
ÉTÉ PONCTUÉE DE fait mystère que les opérations allaient re-
prendre, malgré la visite jeudi en Israël d’An-
qui s’est soldée sur un bilan de 15 000 morts,
selon les autorités médicales de Gaza. « Je sou-
mouvement palestinien avait diffusé une vi- mise de deux détenus israéliens. Mais l’occupa- DÉCLARATIONS tony Blinken, le secrétaire d’Etat américain. ligne l’impératif pour les Etats-Unis que les
déo neuf jours après, dans laquelle Mia décla- tion a refusé de donner suite à toutes ces offres, Lors d’une conférence de presse en compa- pertes massives de vies civiles et les déplace-
rait qu’elle était prise en charge et qu’elle avait parce qu’elle avait préalablement décidé de re- MARTIALES gnie du ministre de la défense israélien, Yoav ments d’ampleur que nous avons constatés
été opérée du bras à l’hôpital. C’était l’une des
rares preuves de vie à avoir émergé de ce rapt
prendre l’agression criminelle. »
Jeudi, Ghazi Hamad, un membre du bureau
DES FAUCONS Gallant, ce dernier a asséné le message qu’il
répète depuis le début des hostilités. « C’est
dans le nord de Gaza ne se reproduisent pas
dans le Sud, a déclaré le chef du Département
massif, avant l’échange négocié par l’Egypte, politique du Hamas en exil à Doha, disait ISRAÉLIENS, QUI une guerre juste pour le futur du peuple juif, d’Etat. L’intention compte, mais le résultat
le Qatar et les Etats-Unis. au Monde que le mouvement était favorable à pour le futur d’Israël. Nous combattrons le Ha- aussi. » La Maison Blanche, par la voix de John
une reconduction de la trêve. « Nous sommes N’ONT JAMAIS mas jusqu’à ce que nous gagnions. Peu im- Kirby, avait demandé lundi à ce que les opéra-
« LE HAMAS NE PEUT ÊTRE VAINCU » prêts à des négociations partielles et graduelles porte le temps que cela prendra », a-t-il déclaré. tions militaires, si elles devaient être reprises,
En tout, 80 personnes, en majorité des fem- sur la libération des prisonniers israéliens, civils FAIT MYSTÈRE QUE soient menées « de la manière la plus discrète,
mes, des enfants et des personnes âgées, ont et militaires, contre les prisonniers palestiniens, LES OPÉRATIONS NÉGOCIATIONS EN COURS délibérée, prudente et attentive possible ».
été libérées. Et 240 Palestiniens sont sortis de notre objectif est de parvenir à un compromis Antony Blinken a d’abord mentionné « l’atta- Des échanges tendus au sein du cabinet de
prison. Une vingtaine d’étrangers ou binatio- complet qui permette de transformer la trêve en ALLAIENT que terroriste » menée le matin même à Jéru- guerre, auquel a assisté M. Blinken, ont fuité
naux, en majorité des Thaïlandais travaillant cessez-le-feu permanent », assurait ce haut ca- salem. Deux assaillants ont abattu trois Israé- dans les médias israéliens. « Nous comprenons
en Israël, ont également été libérés hors du dre du mouvement, qui précisait toutefois : REPRENDRE liens à un arrêt de bus. Ils ont été tués par les que vous ne voulez pas que l’Autorité palesti-
cadre de l’accord. Il resterait encore quelque « Mais nous sommes prêts pour le combat. En forces de sécurité, qui ont causé la mort d’un nienne revienne à Gaza après la guerre. Mais les
160 personnes aux mains du Hamas. cinquante jours de guerre, l’armée israélienne autre civil israélien par un tir fratricide. L’at- autres Etats de la région ont besoin de savoir ce
Chaque jour de trêve supplémentaire sem- n’a pas réussi à défaire le Hamas à Gaza. Le Ha- tentat a été revendiqué par le Hamas. Et que vous avez en tête », a-t-il déclaré. Ce à quoi
blait être gagné de haute lutte. Symbole de mas est un état d’esprit, il ne peut être vaincu. » d’ajouter : « En même temps, c’était le septième le premier ministre israélien, Benyamin Néta-
ces négociations au forceps, l’avant-dernière jour de la pause humanitaire. Des otages sont nyahou, a répliqué : « Aussi longtemps que je
libération, dans la nuit de mercredi à jeudi, a rentrés chez ceux qui leur sont chers. Nous ver- suis assis sur cette chaise, l’Autorité palesti-
été chaotique. Les forces de sécurité du Ha- Le renseignement israélien alerté d’une rons si ceci peut continuer, ce serait certaine- nienne qui soutient, enseigne et finance le terro-
mas ont laissé une population hostile appro- ment une bonne chose. Cela a aussi permis risme ne dirigera pas Gaza. »
cher des otages échangés, qui ont dû parcou- attaque, selon le « New York Times » beaucoup plus d’assistance humanitaire d’ar- Tout espoir d’un retour à la trêve n’est pas
rir à pied une centaine de mètres, sous les Selon une enquête du quotidien américain New York Times, river aux Gazaouis qui en ont besoin. » encore perdu. Selon un diplomate français
huées de la foule, avant d’être remis au Co- publiée jeudi 30 novembre, des responsables de la sécurité Ces propos apaisants n’ont, littéralement, qui garde l’anonymat, « des négociations sont
mité international de la Croix-Rouge. israéliens ont obtenu, il y a plus d’un an, un plan du Hamas, pas eu de lendemain. « Nous avions demandé en cours par l’entremise de l’Egypte et du Qa-
Vendredi matin, le Hamas a publié un com- détaillant un projet d’attaque, semblable à celle perpétrée au Hamas qu’ils libèrent toutes les femmes et tar pour essayer de sauver la trêve. » Le Qatar,
muniqué dans lequel il impute la reprise de la le 7 octobre, qui a fait 1 200 morts en Israël. Le document de les enfants. Or, des roquettes ont été tirées con- cheville ouvrière de ces tractations comple-
guerre à Israël. « Le mouvement a proposé quarante pages fait état d’un barrage de roquettes et de combat- tre Israël. Nous avons donc repris les opéra- xes, a confirmé que les discussions se pour-
d’échanger des prisonniers et des personnes tants s’infiltrant côté israélien en parapente, en voiture et à pied, tions ce matin », a déclaré au Monde Peter suivaient, précisant que la reprise des bom-
âgées et de remettre les corps des personnes dé- des éléments au cœur de l’offensive du 7 octobre. D’après le New Lerner, porte-parole de l’armée israélienne bardements compliquait ses efforts. Pris
tenues, mortes à la suite des bombardements York Times, ce plan qui a circulé dans les sphères du renseigne- pour la presse internationale. dans l’engrenage d’une guerre totale, Israël et
israéliens, affirme le mouvement islamiste ment israélien a été jugé irréaliste. On ignore si le premier A défaut de parvenir à un prolongement de le Hamas ne cèdent pour l’instant rien. p
dans ce texte. Nous avons notamment proposé ministre, Benyamin Nétanyahou, et son cabinet l’ont consulté. la trêve, Antony Blinken a demandé que la se- samuel forey et hélène sallon
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023
Des Palestiniens évacuent
une zone bombardée
du camp de réfugiés de Rafah,
dans le sud de la bande de Gaza,
le 1er décembre. MOHAMMED ABED/AFP
La France favorable à des sanctions contre les colons juifs violents
Le président Macron doit profiter de sa participation à la COP28 de Dubaï pour discuter de la situation à Gaza avec des dirigeants arabes
E mmanuel Macron a en-
tamé, vendredi 1er décem-
bre, un nouveau déplace-
ment en partie consacré à la
guerre entre Israël et le Hamas, sur
fond de rupture de la trêve à Gaza
après sept jours d’échanges d’ota-
ges et de détenus palestiniens. Le
président français doit profiter de
sa participation à la COP28 à Du-
baï, aux Emirats arabes unis, pour
rencontrer, entre autres, le diri-
geant émirati, Mohammed Ben
Zayed, ou le président égyptien,
Abdel Fattah Al-Sissi. Il s’est entre-
tenu avec ce dernier peu après la
reprise des combats.
Le chef de l’Etat devrait aussi
croiser son homologue israélien,
Isaac Herzog, présent à Dubaï,
mais il n’envisage pas, à ce stade,
de faire un détour par Tel-Aviv
pour voir le chef du gouverne-
ment, Benyamin Nétanyahou,
avec qui les relations se sont ten-
dues depuis que M. Macron a ap-
pelé à œuvrer à un cessez-le-feu
dans la bande de Gaza. Le chef de
l’Etat espérait aussi rencontrer le
prince héritier saoudien, Mo-
hammed Ben Salman, mais la ve-
nue de celui-ci n’était pas confir-
mée vendredi matin.
En dépit de la fin de la trêve, il
souhaite aborder la question du
« jour d’après » les opérations mi-
litaires israéliennes dans l’en-
clave. Pour Paris, il s’agit de prépa-
rer autant que possible le retour
de l’Autorité palestinienne dans le
territoire contrôlé jusqu’ici par le
Hamas. Car le retour d’une admi-
nistration israélienne à Gaza est
jugé « inacceptable ». Dans la fou-
lée de la COP28, M. Macron se ren-
dra, samedi après-midi, à Doha,
au Qatar, afin de rencontrer l’émir
Tamim Ben Hamad Al Thani, dont
PARIS VEUT AUSSI
INTERDIRE À CERTAINS
CADRES DU HAMAS
D’ENTRER DANS L’EUROPE
DES VINGT-SEPT
OU D’Y POSSÉDER
DES AVOIRS
Calme précaire à Jérusalem,
entre attaques et répression
Les assaillants qui ont tué trois Israéliens jeudi étaient originaires de la
partie palestinienne de la ville, où le déploiement sécuritaire est massif
jérusalem - correspondance
D HAMAS A ENCORE LES
eux hommes dans un
véhicule, équipés d’une
arme de poing et d’un
fusil d’assaut améri-
cain M16, ont tiré, jeudi 30 novem-
bre au matin, sur des personnes
qui attendaient à un arrêt de bus
dans un quartier de Jérusalem-
ouest. Ils ont tué deux femmes de
24 ans et 60 ans, ainsi qu’un
homme de 73 ans, juge à la cour
rabbinique d’Ashdod. Six autres
personnes ont été blessées, dont
deux grièvement. Les assaillants
ont été abattus par deux soldats et
un civil armé. Ce dernier, dans la
confusion, a été la cible des forces
de l’ordre. Il a succombé à ses bles-
sures quelques heures plus tard.
Jérusalem vivait dans un calme
précaire, mais ce n’est pas le pre-
mier attentat qui la frappe depuis
le massacre du Hamas le 7 octo-
bre. Le 12 octobre, deux policiers
ont été blessés devant le commis-
sariat de Shalem dans la partie pa-
lestinienne de la ville. Un jeune
homme de 21 ans avait tiré sur eux
avec une arme à feu artisanale. Le
30 octobre, une attaque au cou-
teau s’est produite dans une sta-
tion-service du quartier palesti-
nien de Cheikh Jarrah, fréquentée
par des forces de l’ordre israé-
lienne, nombreuses à passer dans
ce secteur très surveillé, non loin
de la porte de Damas, l’une des en-
trées de la Vieille Ville. Un policier
a été blessé ; l’auteur de l’attaque,
un mineur palestinien de 17 ans, a
été tué. Le 6 novembre, une mem-
bre des gardes-frontières israé-
liens de 20 ans a succombé après
une attaque au couteau dans la
partie est de la ville. L’assaillant,
un Palestinien de Jérusalem-est
âgé de 16 ans, a été abattu.
Les deux frères qui ont commis
l’attentat de jeudi, Murad et Ibra-
him Namer, âgés de 38 et 30 ans
étaient originaires du quartier pa-
le pays joue un rôle-clé d’intermé-
diaire entre Israël et le Hamas.
Le premier voyage du président
en Israël, en Cisjordanie, puis en
Jordanie et en Egypte, les 24 et
25 octobre, avait été parasité par
une initiative, mort-née, de l’Ely-
sée portant sur la mise en place
d’une coalition internationale de
lutte contre le Hamas, à l’image de
celle qui est pilotée par les Etats-
Unis depuis 2014 contre l’organi-
sation Etat islamique (EI). Ni Israël,
soucieux de conduire à sa guise sa
riposte après les attaques du 7 oc-
tobre, ni les capitales arabes, pour
qui le Hamas n’a pas grand-chose
à voir avec la nébuleuse djihadiste,
n’ont paru intéressés.
Très vite, le chef de l’Etat et son
entourage ont revu leur proposi-
tion, rebaptisée « Initiative pour la
sécurité et la paix pour tous ».
M. Macron cherche à se situer sur
trois terrains : la sécurité contre
les groupes terroristes actifs dans
la région ; l’humanitaire ; et la re-
lance de discussions politiques
afin d’aller vers la création d’un
Etat palestinien, susceptible de co-
habiter un jour avec l’Etat hébreu.
lestinien de Sur Baher, à Jéru-
salem-Est. Selon le Shin Beth, le
service de renseignement inté-
rieur israélien, ils étaient affiliés
au Hamas et avaient fait de la
prison pour activités terroristes.
Le premier avait été incarcéré
entre 2010 et 2020. Le second,
en 2014. Murad Namer était
considéré comme dangereux et
avait été placé à l’isolement pen-
dant sa détention.
Le Hamas a revendiqué cette at-
taque dans un communiqué :
« Cette opération est une réponse
naturelle aux crimes sans précé-
dent de l’occupant [Israël] dans la
bande de Gaza et contre des en-
fants à Jénine », une référence à
deux garçons de 8 ans et 15 ans
tués mercredi par l’armée israé-
lienne dans cette ville du nord de
la Cisjordanie. Depuis le 7 octobre,
quelque 230 Palestiniens ont été
tués par l’armée et huit par les co-
lons, selon les chiffres du bureau
de coordination des affaires hu-
manitaires de l’ONU.
« La ville est en train de bouillir »
Selon Michael Milshtein, respon-
sable du forum des études palesti-
niennes au Centre Moshe-Dayan
de Tel Aviv, les liens des assaillants
de jeudi avec le Hamas ne signi-
Limite de la
municipalité
Attaque du
30 novembre
ISRAËL Vieille Ville
Jérusalem
Ouest Est
CISJORDANIE
5 km
Barrière de séparation
Si la « solution à deux Etats » pa-
raît plus lointaine que jamais, l’Ely-
sée cherche à pousser les feux sur
les deux premiers volets. Après
l’envoi précipité du porte-hélicop-
tères le Tonnerre, annoncé le 25 oc-
tobre, la France a acheminé un
deuxième navire du même type, le
Dixmude. Mieux configuré en vue
d’assurer un appui médical, le bâti-
ment a accosté dans le port égyp-
tien d’El-Arich. La France envoie
également de l’aide au profit des
populations civiles, bloquées dans
la bande de Gaza, dans l’espoir de
restaurer la confiance avec les ca-
pitales arabes, consternées par le
positionnement très pro-israélien
du chef de l’Etat juste après les at-
taques du 7 octobre.
Individualiser les mesures
En matière de lutte antiterroriste,
la France plaide à Bruxelles pour
sanctionner des commandants
du Hamas. Tandis que l’organisa-
tion est classée depuis 2001 sur la
liste européenne des entités ter-
roristes, il s’agit d’individualiser
les mesures, afin d’interdire à cer-
tains cadres du Hamas d’entrer
international | 3
« CELA MONTRE QUE LE
MOYENS D’ENCOURAGER
DES ACTES TERRORISTES
EN DEHORS
DE SON TERRITOIRE »
MICHAEL MILSHTEIN
expert du Centre Moshe-Dayan
fient pas forcément que l’acte a
été ordonné par l’organisation is-
lamiste. « Cela ressemble à une
initiative indépendante, même si
cela montre que le Hamas a en-
core les moyens d’encourager des
actes terroristes en dehors de son
territoire. Je pense que l’idée était
de se venger du très large nombre
de pertes à Gaza. L’impact des évé-
nements qui se passent dans l’en-
clave est très fort, sur beaucoup de
groupes différents, en Cisjordanie,
à Jérusalem-Est mais aussi dans le
secteur arabe en Israël. »
A Jérusalem-Est, cité la plus peu-
plée et la plus pauvre d’Israël, qui
l’a occupée en 1967 puis annexée
en 1980, vivent 350 000 Palesti-
niens, sur une population de près
de 1 million de personnes. Dans
les jours qui ont suivi l’attaque du
7 octobre, la ville a vu ses rues
désertées. Nombre de magasins
ont baissé leur rideau. Et rares
étaient ceux qui osaient s’aven-
turer dehors la nuit. Sauf dans
quelques quartiers palestiniens
où de nombreux jeunes ont
manifesté, au début de l’offensive
israélienne sur Gaza. Mais ils ont
rapidement dû renoncer à ces
rassemblements face à la pré-
sence massive des forces de
l’ordre. Un mineur de 17 ans, dans
le quartier d’Issawiya, a été tué
dans des affrontements le 13 oc-
tobre. Le déploiement sécuritaire
sur le territoire des Vingt-Sept ou
d’y posséder des avoirs. Elle cher-
che aussi à relancer contre le
Hamas l’initiative « No money for
terror », activée en son temps
contre l’EI et Al-Qaida.
La diplomatie française a par
ailleurs de nouveau condamné les
violences commises par des co-
lons extrémistes israéliens à l’en-
contre de Palestiniens de Cisjorda-
nie. Pour la première fois, Paris
s’est prononcé en faveur de sanc-
tions européennes contre les
auteurs de ces actes. Sur les 238 Pa-
lestiniens tués dans le territoire
depuis le 7 octobre, huit ou
neuf l’ont été par des colons, selon
l’ONU. Une frange fanatisée de la
population juive en Cisjordanie se
livre à des exactions quasi quoti-
diennes contre les Palestiniens
(agressions de paysans, confisca-
tions de terre, etc.).
Ces actions « sont profondément
déstabilisatrices pour la région et
sapent les perspectives de la solu-
tion à deux Etats », a souligné la
porte-parole du Quai d’Orsay, An-
ne-Claire Legendre, précisant, en
réponse à une question sur
s’est ensuite transformé en
chape de plomb, jusque sur les
réseaux sociaux.
Fakhri Abou Diab, membre du
comité de défense des terres de
Silwan, quartier palestinien qui
s’étend en contrebas de la Vieille
Ville, dénonce une situation de-
venue impossible. « On ne peut
pas témoigner sur Facebook de
notre solidarité, au risque de se
faire arrêter, déplore l’homme
âgé d’une soixantaine d’années.
Même si c’est pour les Gazaouis, et
pas le Hamas. Tous les jours, il y a
des raids de la police, qui tire au
gaz lacrymogène ou au canon à
eau. Les jeunes sont enfermés, soit
chez eux, soit dans leurs quartiers.
Jérusalem est en train de bouillir,
pendant que les leaders du monde
arabe parlent au lieu d’agir. On ne
nous laisse pas travailler, pas
construire. Il est difficile de
convaincre mes enfants, dans ces
conditions, de vivre en paix avec
les Israéliens. »
Les portes des magasins de la
rue principale de Silwan sont tou-
jours fermées. L’un des proprié-
taires, sur le pas de son échoppe,
émiette du pain pour le donner
aux oiseaux. « Je n’ai rien d’autre à
faire. Il n’y a pas de clients »,
commente-t-il. Des patrouilles
des forces de l’ordre quadrillent le
quartier. Dans son salon, Fakhri
Abou Diab a l’œil rivé sur la chaîne
qatarie Al-Jazira, qui couvre en di-
rect la destruction méthodique
de Gaza. Sa propre maison est me-
nacée de démolition, faute de per-
mis de construire – quasiment
impossible à obtenir pour les Pa-
lestiniens –, dans un quartier où
vivent 3 200 colons, sous haute
surveillance policière. « Avant la
guerre, on se disait qu’on pouvait
coexister. Mais je crois que c’est
fini. Eliminer le Hamas ou raser
Gaza ne fera pas disparaître la
cause palestinienne. » p
samuel forey
d’éventuelles sanctions contre des
individus ou groupes de colons,
que la France n’excluait « aucune
option ». « Nous appelons Israël à
poursuivre [en justice] les auteurs
de ces exactions », a-t-elle ajouté.
A Paris, on considère que la fer-
meté des Etats-Unis sur la ques-
tion peut contribuer aux discus-
sions amorcées à Bruxelles entre
les Vingt-Sept. Dans une tribune
parue dans le Washington Post
mi-novembre, le président améri-
cain, Joe Biden, a menacé d’inter-
dire de visas d’entrée aux Etats-
Unis « les extrémistes qui atta-
quent des civils en Cisjordanie ».
Le débat peut-il progresser dans
l’Union européenne ? « Israël a le
devoir de protéger les civils de
Cisjordanie contre la violence des
colons extrémistes, de demander
des comptes aux auteurs de ces
actes et de veiller à ce que les forces
de défense israéliennes intervien-
nent », martèle Josep Borrell, le
chef de la diplomatie euro-
péenne. Mais celui-ci n’a pas pré-
conisé de sanctions contre les co-
lons les plus extrémistes. p
philippe ricard
4 | international
Le Venezuela lorgne
le pétrole du Guyana
La tension monte autour de la région
frontalière de l’Essequibo, gorgée d’or noir
et revendiquée par Caracas
bogota - correspondante
S
ur les cartes du monde, la
région occidentale du
Guyana porte le nom
d’Essequibo, d’Esequibo
ou de Guayana Esequiba. Dans les
manuels scolaires vénézuéliens,
elle est hachée de rouge et mar-
quée de l’indication « zone en ré-
clamation ». Vieux de deux siè-
cles, le litige frontalier entre le Ve-
nezuela et son voisin oriental
était presque oublié avant que le
président, Nicolas Maduro, ne
promette à ses concitoyens de
« reconquérir » l’Essequibo. Le ton
monte depuis des mois entre Ca-
racas et Georgetown. Dimanche
3 décembre, les électeurs véné-
zuéliens seront appelés à se pro-
noncer par référendum sur l’ave-
nir de la région disputée.
Par le biais de son porte-parole,
le secrétaire général des Nations
unies, Antonio Guterres, disait
début novembre « suivre avec in-
quiétude » la situation. « Jamais la
tension diplomatique n’a été aussi
vive entre les deux pays », con-
firme à Caracas la spécialiste des
questions militaires Rocio San
Miguel, selon qui « une escalade
militaire est devenue à terme un
des scénarios à envisager ».
Le ministère brésilien de la dé-
fense a indiqué, mercredi, qu’il a
« intensifié ses actions défensives
dans la région frontalière du nord
et augmenté sa présence mili-
taire ». Selon la presse brésilienne,
l’armée aurait dépêché en ur-
gence des blindés et des troupes à
la frontière entre les trois pays.
« Le Brésil a des intérêts économi-
Essequibo, revendiqué par le Venezuela
Eaux territoriales revendiquées par le Venezuela
ZEE* revendiquée par le Guyana
Bloc pétrolier découvert en 2015
TRINITÉ-
ET-TOBAGO
Caracas
VENEZUELA
GUYANA
COLOMBIE
BRÉSIL
250 km
* Zone économique exclusive
Sources : ministère des affaires étrangères de Guyana ; ONSA Venezuela
Infographie Le Monde
Le Népal enregistre le mariage d’une femme transgenre et d’un homme
La Cour suprême de ce pays himalayen a légalisé les unions homosexuelles en juin. Dans l’Indo-Pacifique, seul Taïwan les autorise également
A l’échelle de cette petite
nation himalayenne, et
surtout à l’aune des va-
leurs morales de l’ensemble du
sous-continent indien, l’événe-
ment qui vient d’avoir lieu dans
une région reculée du Népal cen-
tral, située au pied des hauts som-
mets de l’Annapurna, fera date :
mercredi 29 novembre, un Népa-
lais de 27 ans du nom de Surendra
Pandey a officiellement été uni
à Maya Gurung, une femme
transgenre de 41 ans.
Maya n’ayant pas changé ses
papiers d’identité la désignant
comme appartenant au genre
masculin, il s’agit donc là du pre-
mier mariage homosexuel jamais
enregistré en Asie du Sud. En juin,
ques au Guyana, rappelle Mme San
Miguel. Mais la seule médiation
possible pour faire baisser la ten-
sion entre le Venezuela et le
Guyana est aujourd’hui celle du
président Ignacio Lula da Silva, qui
jouit de prestige au sein de la gau-
che et qui a un ascendant certain
sur M. Maduro. »
« Un nouvel émirat »
L’Essequibo est un territoire de
159 500 kilomètres carrés, cou-
vert de forêt tropicale et peuplé de
quelque 125 000 personnes. Un
désert vert au sous-sol chargé de
gaz et de pétrole, d’or, de dia-
mants, de cuivre, de bauxite, de
fer et d’aluminium. Le Guyana
compte moins de 1 million d’ha-
bitants et l’Essequibo représente
plus des deux tiers de son terri-
toire. C’est le seul pays de langue
anglaise en Amérique du Sud.
En 2015, ExxonMobil découvre
un gisement de brut au large des
côtes de l’Essequibo. L’entreprise
américaine préfère traiter avec le
petit Guyana qu’avec le Venezuela,
socialiste. Le litige territorial resur-
git. Il est à vif depuis qu’en août, le
Guyana a lancé un appel d’offres
pour l’exploitation de plusieurs
blocs pétroliers dans l’Essequibo.
En octobre, la découverte d’un
nouveau gisement de pétrole
porte les réserves du Guyana à
près de 11 milliards de barils. Les
observateurs évoquent « un nou-
vel émirat ». Après avoir augmenté
en 2022 de 57,8 % – un record mon-
dial –, le produit intérieur brut du
pays devrait encore progresser de
38 % cette année, selon le Fonds
monétaire international.
Georgetown Océan
Atlantique
SURINAME
Guyane
(FRANCE)
une décision historique avait
ouvert la voie au mariage gay au
Népal : la Cour suprême avait sta-
tué sur la légalité de l’union civile
entre « personnes du même sexe et
non hétérosexuelles ». Une révolu-
tion dans un sous-continent in-
dien largement conservateur, où
l’importance dévolue aux rôles
des familles traditionnelles dans
la société reste cardinale.
Dans le reste de l’Asie, seul
Taïwan autorise le mariage ho-
mosexuel. Mais le 12 décembre,
les députés thaïlandais débat-
tront d’un amendement qui de-
vrait également, s’il est approuvé,
permettre le mariage entre per-
sonnes du même sexe. « C’est un
grand jour pour nous. Se battre
Un slogan
en faveur du
rattachement
de l’Essequibo
au Venezuela,
à Caracas, le
28 novembre.
FEDERICO PARRA/AFP
Pour l’opposition vénézué-
lienne, la crise en cours résulte de
calculs politiciens et électoralis-
tes de Nicolas Maduro, alors
qu’approche la présidentielle de
2024. Maria Corina Machado qui,
à l’occasion des primaires d’octo-
bre, s’est imposée comme la nou-
velle leader de l’opposition, dé-
nonce une « stratégie de distrac-
tion » pour faire oublier aux Vé-
nézuéliens les vrais problèmes
du pays. Elle considère que le ré-
férendum est une « erreur » poli-
tique qui pourrait coûter cher au
pays sur la scène internationale.
Dans un communiqué publié
mercredi, les dirigeants histori-
ques du Parti communiste criti-
quent « le recours à une vieille
stratégie » du gouvernement de
Nicolas Maduro, au pouvoir de-
puis dix ans, et qui, « désespéré
par le rejet populaire grandissant
que suscite sa gestion néolibérale,
essaye d’insuffler des sentiments
patriotiques et chauvinistes à la
population ». Ces communistes
craignent que le gouvernement,
fort d’un oui massif au référen-
dum, ne continue à jouer la ten-
sion avec le Guyana pour finale-
ment « imposer un état d’excep-
tion qui justifie la suspension des
élections présidentielles prévues
en 2024 ». Tous les opposants re-
doutent ce scénario.
Cause nationale au Venezuela
Cinq questions seront posées di-
manche aux quelque 20 millions
d’électeurs vénézuéliens. Ils de-
vront notamment se prononcer
sur la création dans l’Essequibo
d’un nouvel Etat vénézuélien (le
pays en compte vingt-trois) et
l’octroi, à tous les résidents de cet
Etat, de la nationalité vénézué-
lienne. Le président Maduro n’a
pas précisé comment serait créé
cet Etat en cas de victoire du
« oui ». Georgetown, qui voit
pour nos droits, ça n’a pas été fa-
cile », a réagi Maya Gurung après
que les autorités municipales d’un
village du district de Lamjung ont
enregistré l’acte de mariage.
Audace sociétale
Les deux jeunes gens, en couple
depuis une dizaine d’années,
avaient dû surmonter un dernier
obstacle avant que leurs désirs
puissent être exaucés. Mariés reli-
gieusement dans un temple hin-
dou de Katmandou, ils avaient es-
suyé, en juillet, le refus d’une cour
de justice de la capitale du Népal :
on leur avait signifié qu’un tel
mariage était impossible car les
lois adéquates, consécutives à la
décision de la Cour suprême,
dans le référendum « une menace
existentielle », a demandé à la
Cour internationale de justice
(CIJ) de prendre de prendre des
mesures conservatoires pour
empêcher la tenue du scrutin. Le
tribunal devait se prononcer
vendredi. Le Venezuela s’oppose
à toute « ingérence » des instan-
ces internationales. Le juriste Si-
mon Gomez, de l’université ca-
tholique Andres-Bello de Cara-
cas, doute que la CIJ, « qui n’a pas
les moyens d’empêcher une élec-
tion », fasse droit à la demande
du Guyana. « Mais le pays voisin
fait savoir au Venezuela qu’il a
pour lui les institutions interna-
tionales », note le juriste.
Au Venezuela, la campagne
pour le « oui » bat son plein. « El
Esequibo es nuestro » (« L’Esse-
quibo est à nous »), expli-
que à longueur de discours le
chef de l’Etat, qui a pris la tête
d’une grande « campagne
pédagogique électorale ». « El Ese-
quibo es nuestro », répètent les
responsables du Parti socialiste
et les vidéos qui circulent en bou-
cle à la télévision et sur les ré-
seaux sociaux. « El Esequibo es
nuestro », peut-on lire sur les t-
shirts des militants. « El Esequibo
es nuestro », entonnent les chan-
teurs. Et les militaires martèlent
le même refrain. Personne ne fait
campagne pour le « non ». La
possession de l’Essequibo est
une cause nationale dans le pays,
l’un des rares sujets – avec le foot-
ball – qui fait consensus. La vic-
toire du « oui » semble d’autant
plus assurée que le scrutin se
tiendra sans observateurs.
Le conflit est ancien. Quand,
en 1811, le Venezuela proclame
son indépendance de la couronne
espagnole, le territoire de la jeune
République comprend l’Esse-
quibo. Mais, dans cette Amérique
du Sud qui découvre l’exercice dif-
n’avaient pas encore été votées…
Il leur a donc fallu retourner dans
le district dont Maya est origi-
naire, dans les collines subhima-
layennes du centre Népal où vit
son ethnie, les Gurung. Là-bas, le
responsable de l’administration
locale a décidé d’ignorer les argu-
ments présentés à Katmandou,
déclarant que le mariage gay
était légal, « conformément à l’es-
prit de la décision » prise par la
plus haute juridiction népalaise.
La même Cour avait par ailleurs
reconnu, dès 2017, les droits des
personnes transgenres à se décla-
rer homme, femme ou apparte-
nant à un « troisième genre ».
Contrairement à son voisin in-
dien, le Népal fait preuve d’une
L’opposition
dénonce une
« stratégie
de distraction »
pour faire oublier
aux Vénézuéliens
les vrais
problèmes
du pays
ficile de la souveraineté, les fron-
tières sont fragiles. Profitant du
désordre ambiant, le Royaume-
Uni modifie en 1840 le tracé des li-
mites de sa colonie guyanaise. Le
Venezuela dénonce – avec le sou-
tien des Etats Unis – les agisse-
ments du royaume. En 1899, la
Cour d’arbitrage de Paris donne
cependant raison à Londres.
« Cadeau empoisonné »
Mais Caracas récuse la décision
quand, en 1949, le témoignage
post mortem d’un juriste améri-
cain révèle les pressions politi-
ques exercées par les Britanni-
ques sur les juges. En 1966, trois
mois avant de reconnaître l’indé-
pendance du Guyana, le gouver-
nement de Londres signe un ac-
cord avec le Venezuela : les deux
parties conviennent de résoudre
définitivement le différend terri-
torial par le dialogue et les voies
diplomatiques. Caracas consi-
dère que cet accord annule impli-
citement l’arbitrage de 1899.
« Les Anglais ont laissé un cadeau
empoisonné au Guyana », ré-
sume un diplomate européen en
poste à Caracas.
Les négociations n’ont jamais
abouti. « Aucun des deux pays n’a
accepté de compromis, explique
M. Gomez. La partition de l’Esse-
audace sociétale peu commune
dans la région : le 17 octobre, la
Cour suprême de la République
indienne a rejeté les demandes
d’une vingtaine de couples gays et
de personnes trans de faire légali-
ser le mariage homosexuel, lais-
sant au Parlement le loisir de légi-
férer sur la question. Et comme le
premier ministre, Narendra Modi,
chantre du nationalisme hindou,
défend les « valeurs acceptées par
la société », il y a donc peu de chan-
ces que les députés indiens se pro-
noncent en faveur de la légalisa-
tion de telles unions.
A n’en pas douter, de telles « va-
leurs » restent également défen-
dues dans ce Népal qui fut, jus-
qu’au passage à un système de dé-
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023
quibo, qui aurait pu satisfaire les
intérêts des deux pays, n’a pas été
envisagée. » Convaincu des vertus
de l’intégration latino-améri-
caine et soucieux de son lea-
dership régional, le bouillant
Hugo Chavez (président de la Ré-
publique bolivarienne de 1999 à
2013) se rapproche de George-
town, et oublie l’Essequibo.
En 2018, alors que le Venezuela
traverse une tragique récession,
le Guyana saisit la CIJ. Caracas,
qui récuse la compétence de la
Cour, ne se présente pas et perd la
première manche. En 2020, le tri-
bunal se déclare compétent. La
décision finale des juges interna-
tionaux pourrait tarder pendant
plusieurs années.
Dimanche, les Vénézuéliens de-
vront répondre à la question de
savoir s’ils soutiennent « la posi-
tion historique de leur pays qui re-
fuse de reconnaître la compétence
de la Cour internationale pour
résoudre le litige frontalier ». Mais,
rappelle M. Gomez, « le résultat du
référendum n’aura aucune inci-
dence politique ni juridique sur la
CIJ, qui va de toute façon rendre
une décision. Le Venezuela, qui a
de solides arguments pour atta-
quer la décision arbitrale de 1899,
ferait mieux de préparer sa plai-
doirie plutôt que de continuer à
contester la compétence de la CIJ ».
En lançant la croisade pour
l’Essequibo, le gouvernement
vénézuélien a mis l’opposition
dans une situation difficile.
Comment soutenir la cause sans
cautionner le pouvoir en place ?
Comment critiquer le référen-
dum sans prendre le risque d’être
pris pour un traître à la patrie ?
Les dirigeants d’opposition pei-
nent depuis des semaines à adop-
ter une ligne commune. C’est
déjà une petite victoire pour Ni-
colas Maduro. p
marie delcas
mocratie parlementaire républi-
caine en 2008, l’une des dernières
monarchies absolues de l’Hima-
laya. Même si, à la marge, les men-
talités évoluent depuis un certain
temps, comme l’a montré,
en 2012, la diffusion d’un film né-
palais, Soongava, la danse des or-
chidées, de Subarna Thapa, qui
narrait les amours contrariées
de deux jeunes femmes refusant
le mariage arrangé avec des hom-
mes. « Les 900 000 membres de
la communauté LGBTQ font l’ob-
jet de discriminations, concède
Rukshana Kapali, une militante
gay. Mais comparé à il y a dix ans,
de plus en plus de gens queers sor-
tent du placard. » p
bruno philip
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023
Pologne : l’exécutif sortant devra rendre des comptes
Trois commissions parlementaires vont enquêter sur les agissements de l’ancien pouvoir ultraconservateur
varsovie - correspondance
L
es Polonais verront-ils Ja-
roslaw Kaczynski, l’an-
cien homme fort du pays,
ainsi que le premier mi-
nistre sortant, Mateusz Mo-
rawiecki, répondre de leurs actes
devant des commissions d’en-
quête parlementaires ? Les résul-
tats de ces enquêtes pourraient-
ils servir de base à des poursuites
judiciaires ? Ce qui était inimagi-
nable il y a encore quelques mois
est devenu une perspective quasi
certaine, depuis la victoire sur-
prise, aux élections législatives du
15 octobre, de la coalition démo-
crate menée par l’ancien premier
ministre Donald Tusk, qui devrait
être renommé à ce poste le 11 ou
12 décembre.
La volonté de faire « rendre des
comptes » au pouvoir sortant, ac-
cusé depuis 2015 d’enfreindre de
façon systémique les principes de
l’Etat de droit, est un des deux pi-
liers de l’accord de coalition signé
entre la Plate-forme civique de
M. Tusk (libéraux), la Troisième
Voie (les agrariens de PSL et le
mouvement de centre droit PL
2050) ainsi que la Gauche unie,
qui disposent d’une majorité
confortable de 248 sièges sur 460
à la Diète, la chambre basse du
Parlement, ainsi qu’au Sénat. L’ac-
cord mentionne solennellement :
« L’iniquité dont nous avons tous
été témoins sous les gouverne-
ments de nos prédécesseurs doit
être nommée et réglée juridique-
ment. Sans le règlement de [ces]
pathologies et délits, il ne peut
y avoir de Pologne juste et respec-
tueuse des lois. »
La Diète a ainsi voté, le 29 no-
vembre, dans une ambiance
houleuse, la création de trois
commissions d’enquête parle-
mentaires sur des affaires consi-
dérées comme particulièrement
symboliques. Il s’agit du projet –
avorté – d’organiser, en pleine
pandémie de Covid-19, des élec-
tions présidentielles selon des
modalités considérées comme in-
constitutionnelles ; de l’écoute de
figures de l’opposition et de ma-
gistrats au moyen du logiciel es-
pion Pegasus ; ainsi que du trafic
présumé de visas polonais au sein
du ministère des affaires étrangè-
Moscou condamne les organisations LGBT à la clandestinité
La Cour suprême russe a qualifié d’« extrémistes » les défenseurs des minorités sexuelles, qui encourent désormais jusqu’à dix ans de prison
moscou - correspondant
L a Cour suprême russe a pris,
jeudi 30 novembre, une dé-
cision aux fondements juri-
diques incertains mais aux consé-
quences potentiellement rava-
geuses : la plus haute juridiction
de Russie a déclaré « extrémiste »
le « mouvement civil international
LGBT ». Cette décision fait suite à
une requête déposée par le minis-
tère de la justice, le 17 novembre,
qui avait provoqué la stupéfaction
des militants de la cause LGBT
mais aussi des juristes, dans la
mesure où il n’existe en Russie
aucun mouvement ni structure
identifiée portant un tel nom. Le
ministère avait alors sommaire-
ment motivé sa demande, citant
seulement les points de la loi de
2002 sur l’extrémisme qui men-
tionnent « l’incitation à la haine
sociale et religieuse ».
La décision prise dans la foulée
par la Cour suprême faisait peu
de doutes. En février 2022, la juri-
diction avait déjà déclaré « terro-
riste » une hypothétique « organi-
sation Columbine », du nom de la
fusillade de 1999 dans une école
américaine, supposée pousser les
jeunes « à la violence, au suicide et
« Le PiS
a construit
un système
judiciaire
où le pouvoir
ne pouvait faire
l’objet d’aucune
poursuite »
DARIUSZ JONSKI
député libéral
res. « Le PiS a construit un système
judiciaire à son service où le pou-
voir ne pouvait faire l’objet
d’aucune poursuite, souligne le dé-
puté libéral Dariusz Jonski, qui en-
quête sur les affaires de l’ancienne
majorité. Nous devons rétablir la
balance, d’abord par la voie parle-
mentaire, ensuite en rendant son
indépendance au parquet et les ga-
ranties d’indépendance aux juges.
Nous voulons établir des responsa-
bilités politiques là où il y a eu des
infractions manifestes, qui pour-
ront entraîner des poursuites pé-
nales ou devant le Tribunal d’Etat
[l’équivalent de la Cour de justice
de la République]. »
Des trois commissions mises en
place, celle chargée des « élections
postales » de 2020 devrait avoir la
tâche la plus aisée. En mai 2020,
en pleine pandémie, quand le pré-
sident Andrzej Duda jouait sa réé-
lection, le PiS a décidé de forcer un
vote par correspondance. En dépit
des avertissements des juristes,
le pouvoir a voulu contourner la
commission électorale, un or-
gane constitutionnel indépen-
dant, pour confier l’organisation
du scrutin à la poste, contrôlée par
le pouvoir. Celui-ci sera finale-
ment reporté en raison de désac-
cords au sein de la majorité. Mais
le tribunal administratif a consi-
déré que le premier ministre a en-
freint la loi et la Cour des comptes
a rendu un rapport cinglant, rele-
vant de nombreuses infractions.
Interrogé pour savoir si M. Kac-
zynski sera entendu comme té-
moin dans ces commissions d’en-
quête, le futur premier ministre
Donald Tusk a répondu sèche-
ment que « “témoin” est un mot
assez faible ». Les ténors de la nou-
au refus des normes morales com-
munément admises ».
Il a tout de même fallu aux ju-
ges trois heures de discussions,
dont on ignore la teneur, avant de
se prononcer. Précisément parce
qu’aucun « mouvement » LGBT
n’existe en Russie, aucun oppo-
sant potentiel à cette mesure n’a
pu s’exprimer devant les juges,
contrairement à la pratique.
Malgré son caractère douteux
sur le plan de la jurisprudence,
cette décision peut avoir des con-
séquences très concrètes, en me-
naçant toute activité de défense
des droits des personnes homo-
sexuelles et transgenres, mais
aussi toute expression publique
sur le sujet. Le risque se résume
en deux chiffres : les participants
à une « organisation extrémiste »
risquent jusqu’à six ans de pri-
son, ceux désignés comme orga-
nisateurs, jusqu’à dix ans. Une
modification de la législation en
cours devrait aussi permettre
de condamner toute « justifica-
tion de l’extrémisme », élargissant
encore le champ des poursuites
possibles.
Parmi les rares organisations
encore actives sur le sol russe,
la Fédération sportive LGBT, qui
Lors de la première session du Parlement polonais nouvellement élu, à Varsovie, le 13 novembre. CZAREK SOKOLOWSKI/AP
velle majorité soulignent que le
PiS sous-estime leur volonté d’en
découdre avec les excès de ces huit
dernières années, où l’opposition
d’alors, de même que de nom-
breux magistrats indépendants se
sont dits victimes de harcèlement
de la part du pouvoir.
L’affaire des écoutes par le logi-
ciel espion Pegasus en est le sym-
bole. Dévoilée grâce aux travaux
de l’organisation canadienne Ci-
tizen Lab, elle a démontré que les
services de renseignement polo-
nais avaient mis sur écoute le
chef de campagne du principal
parti d’opposition, Krzysztof
Brejza, lors de la campagne des
élections législatives de 2019.
« Un scandale face auquel le Wa-
tergate américain paraît anecdo-
tique », souligne Dariusz Jonski.
Des SMS et des e-mails, obtenus
à l’aide du logiciel, se sont par
ailleurs retrouvés en possession
Malgré son
caractère
douteux sur
le plan de la
jurisprudence,
cette décision
peut avoir des
conséquences
très concrètes
fait de la prévention sur le VIH et
organise des compétitions sporti-
ves, a d’ores et déjà annoncé la
suspension de ses activités, pour
ne pas mettre en danger ses vo-
lontaires. A l’inverse, Delo LGBT+,
une organisation dont les juristes
conseillent les personnes victi-
mes d’actes homophobes ou
transphobes, assure ne pas vou-
loir cesser son travail. « Nous som-
mes obligés de passer dans la clan-
destinité, explique Robert Lebe-
dev, l’un de ses responsables. La
menace est sérieuse, qu’il s’agisse
de la prison ou des amendes. Le ris-
que est aussi que les gens n’osent
plus s’adresser à nous pour de-
de journalistes de la télévision
publique, organe de propagande
du pouvoir, qui en ont manipulé
le contenu et s’en sont servis
pour orchestrer de violentes
campagnes de dénigrement.
Records d’audience
Roman Giertych, l’avocat de
M. Tusk et de nombreux poids
lourds de son parti, avait aussi été
placé sur écoute, de même que la
procureure Ewa Wrzosek, qui en-
quêtait sur l’affaire des « élections
postales ». « Nous pensons qu’il
s’agit là de la partie immergée de
l’iceberg, affirme M. Jonski. Notre
objectif est d’obtenir la liste ex-
haustive des personnes sous sur-
veillance. » De nombreux spécia-
listes soulignent néanmoins que
la commission Pegasus n’aura
pas la tâche facile, compte tenu de
l’opacité qui entoure le travail des
services de renseignement.
mander de l’aide, ou nous faire des
dons, de peur d’être associés à no-
tre activité. On peut désormais
s’attendre à ce que les listes “d’ex-
trémistes” désignés s’allongent se-
maine après semaine, pour main-
tenir tout le monde dans la peur. »
Sur le papier, il n’est pas ques-
tion d’une criminalisation des re-
lations homosexuelles. Mais l’ex-
périence des législations passées
– particulièrement quand elles
sont floues – montre que celles-ci
ont rapidement été détournées
de leur objet originel. Ainsi la loi
de novembre 2022 sur la « propa-
gande des relations sexuelles
non traditionnelles » (soit, selon
la définition donnée, les rela-
tions homosexuelles, la pédophi-
lie et le changement de sexe) qui
a conduit à la condamnation
d’individus ayant simplement
écrit sur un site de rencontres :
« J’aime les hommes. »
Le paysage culturel a lui aussi
été chamboulé, avec le retrait de
dizaines de titres des librairies ou
des catalogues de films à la de-
mande. Ainsi, début novembre,
la chaîne TNT a diffusé le clip d’un
groupe de musique sud-coréen
avec en fond un arc-en-ciel spécia-
lement grisé pour la télévision
international | 5
Enfin, l’affaire du trafic de visas
polonais par des fonctionnaires
du ministère des affaires étrangè-
res sera également étudiée. Elle
avait entraîné la démission du vi-
ce-ministre des affaires étrangère,
Piotr Wawrzyk, fin août, et la mise
sous écrou de trois de ses collabo-
rateurs. « Nous voulons savoir
quelle proportion des 250 000 vi-
sas accordés à des ressortissants
du Sud l’a été sur des bases illégales
et moyennant corruption, indique
Dariusz Jonski. Il s’agit de rétablir
la crédibilité de la Pologne sur la
scène internationale. » Bruxelles,
Berlin et Washington avaient no-
tamment appelé Varsovie à faire
la lumière sur cette affaire.
Selon un sondage United Sur-
vey, 60 % des Polonais estiment
que ces commissions d’enquête
parlementaires sont nécessaires,
et la retransmission de la
première session de la Diète a
russe. Certains cinémas diffusant
le film Barbie (piraté) ont aussi
flouté une scène où un homme
en embrasse un autre sur la joue.
Ces attaques contre les person-
nes LGBT s’inscrivent dans une of-
fensive ultraconservatrice plus
large, qui a récemment pris pour
cible le droit à l’avortement. Cha-
que jour ou presque voit de nou-
velles initiatives apparaître. L’une
des dernières en date, à la Douma :
la préparation d’un texte destiné
à interdire l’adoption d’enfants
russes aux ressortissants de pays
dans lesquels le changement de
genre est autorisé.
« Chasse aux boucs émissaires »
« L’Etat russe continue de se créer
des ennemis imaginaires, au nom
de son idéologie du “monde russe”
et des “valeurs traditionnelles”,
écrivait, mercredi, sur Telegram
l’activiste LGBT Igor Kochetkov,
qui a tenté de mener bataille
contre la décision de la Cour su-
prême. Cette idéologie devient
totalitaire, puisque ce n’est plus
seulement sa critique qui est crimi-
nalisée, mais le fait de refuser de
la soutenir publiquement. »
La journaliste politique en exil
Farida Roustamova lie de son côté
battu des records d’audience. La
majorité annonce que d’autres
commissions parlementaires sui-
vront, et que l’ancien ministre de
la justice, Zbigniew Ziobro, ainsi
que le président de la Banque cen-
trale, Adam Glapinski, devraient
être traduits devant les tribunaux.
La nouvelle Assemblée s’est
aussi défaite de deux mesures par-
ticulièrement symboliques lais-
sées par la majorité sortante. Elle
a renvoyé les membres de la com-
mission chargés d’enquêter sur
des « soupçons d’influence russe »
parmi les prédécesseurs libéraux,
une initiative inconstitutionnelle
largement perçue comme un ins-
trument politique dirigé contre
Donald Tusk. Enfin, elle a voté le
rétablissement du financement
public de la fécondation in vitro,
qui avait été supprimé par le PiS
lors de son arrivée au pouvoir. p
jakub iwaniuk
cette boulimie législative à l’ap-
proche du scrutin présidentiel de
mars 2024. « Le Kremlin a besoin de
faire oublier une réalité très simple,
écrit-elle. En 2024, un candidat de
71 ans va solliciter un cinquième
mandat après avoir déclenché une
guerre qui dure depuis deux ans, a
provoqué des pertes sans précédent
et n’a pas de fin prévisible. La cam-
pagne va pousser les gens les uns
contre les autres au nom de prétex-
tes divers, aller toujours plus loin
dans l’obscurantisme et la chasse
aux boucs émissaires. »
La politiste Tatiana Stanovaya
insiste quant à elle sur le caractère
profondément idéologique de la
démarche. « Les autorités ont be-
soin d’un narratif sur l’identité
russe qui l’éloigne toujours plus
de “l’Occident hostile” et qui per-
met de dépeindre la confrontation
avec l’Ouest comme un combat de
civilisations », écrit-elle dans le
dernier Bulletin du groupe de ré-
flexion R.Politik. La répression
des LGBT devient dès lors un em-
blème de l’opposition à « l’idéolo-
gie libérale », mais aussi un signal
envoyé à d’éventuels alliés con-
servateurs, dans le Sud ou au sein
des sociétés occidentales. p
benoît vitkine
6|
PLANÈTE
COP28
Climat : avancée sur l’aide financière au Sud
Les Etats rassemblés à Dubaï ont entériné un fonds sur les « pertes et dommages » liés au réchauffement
dubaï - envoyée spéciale
D
es applaudisse-
ments, une stan-
ding ovation et
plusieurs centai-
nes de millions
de dollars de pro-
messes. Dès le premier jour de la
28e conférence mondiale pour le
climat (COP28), une décision ma-
jeure sur les « pertes et domma-
ges », ces dégâts pour certains ir-
réversibles provoqués par le dérè-
glement climatique, a été adoptée
à Dubaï (Emirats arabes unis).
Suivant les recommandations
formulées par un comité de tran-
sition, les représentants de
198 Etats ont entériné, jeudi
30 novembre, le cadre permettant
de rendre opérationnel un fonds
visant à financer ces dégâts. De
premiers Etats ont, dans la foulée,
annoncé des contributions finan-
cières. « C’est une décision histori-
que qui envoie un signal positif au
monde », s’est réjoui Sultan Al-Ja-
ber, qui préside la COP28.
La décision de créer un tel fonds,
réclamé depuis trente ans par les
pays en développement, a été arra-
chée il y a un an, lors de la COP27 de
Charm El-Cheikh (Egypte). Depuis,
un comité transitionnel, composé
de représentants de pays du Sud et
du Nord, a travaillé à sa concrétisa-
tion. Après une année de discus-
sions extrêmement tendues, une
« réunion de la dernière chance » a
finalement permis de parvenir à
un consensus début novembre.
Un an de discussions tendues
Les pays en développement ont
notamment accepté que le fonds
ne soit pas indépendant, mais hé-
bergé pendant quatre ans par la
Banque mondiale, et que la
contribution des pays riches se
fasse sur une base volontaire. Les
conditions de cet accord sont loin
d’avoir pleinement satisfait les
pays les plus vulnérables et les or-
ganisations de la société civile.
Ces dernières ont rappelé jeudi
que le cadre ne prévoyait aucune
cible précise concernant le finan-
cement, ni aucune obligation vis-
à-vis des pays développés. Toutes
les parties se sont toutefois enten-
dues sur le fait que rouvrir les dis-
cussions pendant la COP n’était
pas souhaitable, les négociations
risquant de s’engluer.
2023, deuxième année la plus chaude en France depuis 1900
Selon Météo-France, cet automne sera le plus chaud jamais mesuré dans l’Hexagone, l’été ayant joué les prolongations jusqu’à la mi-octobre
toulouse - envoyé spécial
D ans le domaine météoro-
logique, les records n’en
finissent pas d’être bat-
tus. 2023 sera la deuxième année
la plus chaude depuis le début du
XXe siècle, après 2022, assure Mé-
téo-France, dans un bilan annuel
présenté jeudi 30 novembre, avec
une température moyenne de
14,2 oC sur l’Hexagone. « L’anoma-
lie thermique sur l’ensemble de
l’année devrait se situer autour de
+ 1,3 oC par rapport aux normales
1991-2000 », écrit l’organisme.
La présentation de ce bilan, un
mois avant la fin de l’année,
comme en 2022, a lieu le jour de
l’ouverture de la COP28 à Dubaï,
aux Emirats arabes unis, et aussi
celui de la venue au siège de l’ins-
titution à Toulouse du ministre de
la transition écologique, Christo-
phe Béchu, pour le lancement de
« L’accord est loin d’être parfait
mais il représente une avancée,
note Rachel Cleetus, membre du
Réseau Action Climat et de l’orga-
nisation Union of Concerned
Scientists. Nous voulons voir ce
fonds fonctionner pour venir en
aide à ceux qui se trouvent sur la li-
gne de front de la crise climatique. Et
nous allons continuer à nous battre
pour qu’il soit amélioré et financé. »
Dès jeudi, l’Union européenne a
annoncé une contribution de
225 millions d’euros (dont
100 millions de la part de l’Allema-
gne), les Emirats arabes unis ont
promis 100 millions, le Royaume-
Uni 50,5 millions, les Etats-Unis
17,5 millions d’euros et le Japon
10 millions. D’autres annonces
devraient être faites vendredi et
samedi, à l’occasion du sommet
mondial pour le climat auquel
participeront 160 chefs d’Etat.
la COP territoriale de la région Oc-
citanie. Selon Matthieu Sorel, cli-
matologue chargé des bilans, « sur
le volet températures, on est cer-
tains du diagnostic sauf tempéra-
tures exceptionnellement chaudes
ou froides en décembre, ce qui ne
devrait pas être le cas ». Ce bilan,
qui sera consolidé en fin d’année,
reprend les données météorologi-
ques arrêtées au 24 novembre.
L’automne 2023 sera en outre le
plus chaud jamais enregistré
(avant 2006 et 2020). L’été « a joué
les prolongations jusqu’à mi-octo-
bre avec des températures remar-
quablement élevées pour la sai-
son », observe Météo-France. Vir-
ginie Schwarz, la PDG du service
de météorologie, a souligné l’im-
portance de cette « vague de cha-
leur la plus longue et la plus in-
tense jamais observée ». « Les trois
années les plus chaudes depuis
1900 étaient postérieures à 2020.
UN MONTANT TOTAL
« EN MILLIONS, ET NON
PAS EN MILLIARDS,
SERAIT UNE INSULTE »
RACHEL CLEETUS
membre du Réseau Action Climat
« On ne pensait pas qu’il y aurait
des annonces de contributions dès
le premier jour, Sultan Al-Jaber a
réalisé un coup de force inattendu,
souligne Fanny Petitbon, spécia-
liste des pertes et dommages au
sein de l’ONG Care. Cela peut re-
donner confiance dans le volet fi-
nancier des négociations, même si
le compte n’y est pas encore. »
Si la barre des 200 millions
d’euros nécessaires pour rendre le
fonds opérationnel est dépassée, à
Et cette année 2023 pourrait deve-
nir une année normale au milieu
du siècle si les efforts suffisants ne
sont pas menés dans le monde en
matière d’atténuation du change-
ment climatique », a-t-elle précisé.
La dirigeante a cité l’exemple de
Toulouse, où une température de
42,4 oC a été relevée le 23 août, alors
que le record précédent, le même
jour en 2003, était de 40,7 oC.
Cumuls de pluie sans précédent
Mais l’année n’a pas seulement été
marquée par les records de tempé-
ratures battus un peu partout, en-
tre juin et octobre. Le pays a été ba-
layé par une succession quasi inin-
terrompue de passages pluvieux.
Jamais de telles quantités de pluie
n’avaient été mesurées en trente
jours consécutifs à l’échelle natio-
nale, avec des cumuls de 900 milli-
mètres (mm) dans le Massif cen-
tral, 800 mm dans les Vosges ou
terme, les financements devront
atteindre une tout autre échelle.
Les coûts totaux engendrés par la
perte de récoltes, la destruction
d’infrastructures ou encore des dé-
placements de populations du fait
de cyclones, de sécheresses ou de
la montée des eaux sont estimés
entre 290 milliards et 580 mil-
liards de dollars (entre 265 mil-
liards et 532 milliards d’euros) par
an d’ici à 2030. Jeudi matin, Rachel
Cleetus estimait qu’un montant
total « en millions, et non pas en
milliards », serait « une insulte ».
Au-delà de ce dossier, la prési-
dence émiratie a évité une « ba-
taille d’agenda », pourtant habi-
tuelle en début de COP. Grâce aux
concertations menées ces derniè-
res semaines, les sujets à l’ordre du
jour des discussions ont été ap-
prouvés sans délai. Les négocia-
teurs vont ainsi pouvoir se consa-
encore 500 mm dans le Pas-de-Ca-
lais. « Il faut remonter à 1988 pour
observer une telle série, avec trente-
deux jours du 12 janvier au 12 fé-
vrier, mais avec des cumuls moins
importants », selon Météo-France.
Autre phénomène marquant de
l’année, la succession de tempê-
tes, Ciaran, Domingos, Frederico,
au fil d’une saison démarrée de fa-
çon précoce et marquée par des
épisodes tempétueux dès la fin
octobre. Ciaran est la tempête la
plus sévère sur la Bretagne depuis
l’ouragan de 1987, avec, là encore,
des records de vitesse de vent, tel-
les des rafales à plus de 170 kilomè-
tres à l’heure (km/h) enregistrées
les 1er et 2 novembre, dans le Finis-
tère. Fin décembre 1999, la France
(et l’Europe occidentale) avait été
touchée par Lothar et Martin, avec
des vents à plus de 150 km/h.
« On ne peut rien dire de l’in-
fluence du changement climatique
crer aux autres dossiers comple-
xes qui les attendent, comme celui
de la sortie des énergies fossiles.
Lors de la cérémonie d’ouver-
ture, Sultan Al-Jaber, qui est aussi
le dirigeant de la compagnie pétro-
lière émiratie, a assuré qu’« aucun
sujet ne serait laissé de côté ».
« Nous devons inclure le rôle des
combustibles fossiles » dans les dé-
cisions, a-t-il dit. Il a ensuite précisé
avoir été « encouragé » par ses dis-
cussions sur le sujet avec les diffé-
rentes délégations, ce qui l’a
poussé à « accroître son ambition ».
« Nous voulons que cette COP soit
différente des autres COP, nous vou-
lons adopter une approche diffé-
rente pour aboutir à des résultats
sans précédent, a-t-il insisté. Et je ne
quitterai pas des yeux l’objectif de li-
miter le réchauffement à 1,5 oC. »
Jeudi, l’Organisation météorolo-
gique mondiale a publié un rap-
sur la fréquence des tempêtes, mais
on peut affirmer que les vents pour-
raient être plus violents sur le nord
de l’Europe », observe Matthieu So-
rel. Et le bilan 2023 s’agissant des
tempêtes et des perturbations
pourrait encore évoluer en décem-
bre. « La tendance à trois mois indi-
que que la première partie de l’hiver
connaîtra une situation favorable à
la circulation de perturbations
océaniques », prévient Patrick
Josse, directeur de la climatologie.
Le changement climatique a
modifié nombre de données
météorologiques. « Nous connaî-
trons plus de pluies sur la moitié
nord du pays en saison hivernale
et printanière, et moins de pluie
dans la saison estivale sur le sud du
pays », précise Matthieu Sorel.
Avec le réchauffement, les limites
« pluie/neige » ont tendance à re-
monter en altitude. « Le fait qu’il y
ait plus de pluies en saison hiver-
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023
Le président
de la COP28,
Sultan
Al-Jaber,
lors de la
cérémonie
d’ouverture
à Dubaï, le
30 novembre.
GIUSEPPE CACACE/AFP
port montrant que les températu-
res moyennes mondiales ont
cette année dépassé d’environ
1,4 oC les valeurs de la période de
référence préindustrielle. Pour es-
pérer limiter le réchauffement à
1,5 oC, les scientifiques et l’Agence
internationale de l’énergie appel-
lent à réduire drastiquement la
production et la consommation
d’hydrocarbures. Or, les Emirats
arabes unis prévoient d’augmen-
ter leur production.
S’exprimant après Sultan Al-Ja-
ber jeudi, le secrétaire exécutif de
la Convention-cadre des Nations
unies a enfoncé le clou. « Si nous ne
signalons pas le déclin final de l’ère
des combustibles fossiles telle que
nous la connaissons, nous entame-
rons notre propre déclin final, a in-
sisté Simon Stiell. Et nous le paie-
rons avec des vies humaines. » p
perrine mouterde
nale produira une abondance de
neige en très haute altitude, mais
moins de neige en dessous. »
Les missions de Météo-France
sont toujours plus nombreuses, ce
qu’ont tenu à rappeler les syndi-
cats de l’établissement au minis-
tre. Attendu par des militants CGT
à l’entrée du siège de Météo-
France, à Toulouse, où travaillent
quelque 1 200 salariés (42 % des ef-
fectifs nationaux), Christophe Bé-
chu a reçu l’intersyndicale. Sur le
tract diffusé, la CGT dénonçait la si-
tuation à Météo-France, fonction-
nant en « mode dégradé », et
« l’inaction climatique » du gouver-
nement. M. Béchu leur a rappelé
qu’il « s’honorait d’être le premier
ministre à ne pas avoir supprimé de
poste à Météo-France, mais d’en
avoir créé une cinquantaine », dont
vingt-cinq inscrits au projet de loi
de finances 2024. p
rémi barroux
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023
A l’international et en
France, les deux discours
de Macron sur le climat
Le président de la République doit
s’exprimer au sommet de Dubaï
L e 15 novembre 2017, Emma-
nuel Macron descend de la
tribune de la COP23 à Bonn,
en Allemagne. Lors de son dis-
cours, il s’est une nouvelle fois
posé en principal opposant à
Donald Trump, le président amé-
ricain de l’époque. « Je souhaite
donc que l’Europe se substitue aux
Américains et je veux ici vous dire
que la France sera au rendez-
vous », promet-il. En juin de cette
année, lorsque Donald Trump
avait annoncé sortir son pays de
l’accord de Paris, M. Macron avait
publié une vidéo où il lançait
« Make our planet great again »,
parodiant la campagne trumpiste.
Alors, au milieu des pavillons de la
COP, il triomphe. Des militants
l’arrêtent pour prendre des selfies,
des petits groupes l’applaudis-
sent, tout le monde le félicite…
« Une vraie rockstar », se sou-
vient Pierre Cannet, directeur des
affaires publiques de l’ONG Client-
Earth. En 2017, ce dernier travaille
pour le World Wild Found et at-
tend, avec d’autres ONG, le prési-
dent au pavillon français pour l’in-
terroger. Quelques jours plus tôt,
le ministre de l’écologie, Nicolas
Hulot, avait annoncé que le gou-
vernement renonçait à baisser à
50 % la part du nucléaire dans le
mix énergétique. « Ce n’était pas
vraiment un dialogue, il nous a
plus fait la leçon, raconte M. Can-
net. A l’époque, il était vraiment au
centre du jeu international… » Mais
les nuages des critiques françaises
le poursuivent déjà.
Contrairement au nouveau pré-
sident américain, Joe Biden,
M. Macron sera présent à la
COP28 à Dubaï, aux Emirats ara-
bes unis. Vendredi 1er et samedi
2 décembre, lors d’une prise de
parole en réunion plénière puis
lors de séances de travail et de
rencontres en bilatéral, il veut
pousser plusieurs sujets : le triple-
ment des énergies renouvelables,
le triplement de la production de
nucléaire dans le monde en 2050 ;
la sortie des énergies fossiles, et
surtout du charbon, avec la fin
des investissements privés dans
ce secteur ; la préservation des
puits de carbone et de la biodiver-
sité ; la finance climatique, puis-
que « aucun pays ne doit choisir
entre la lutte contre la pauvreté et
le combat pour le climat », son
nouveau mantra. Il devrait aussi
vanter la planification écologique
mise en place depuis le début de
son second quinquennat.
Sera-t-il écouté ? Si sa popularité
s’est affaissée, sa parole est tou-
jours attendue par une partie de la
société civile. Car il reste l’un des
dirigeants les plus offensifs sur la
scène internationale. « Je suis pour
ma part très préoccupé de l’esprit
qui commence à régner, y compris
d’ailleurs au sein des membres du
G20 (…). J’alerte tout le monde, nous
n’y sommes pas », a-t-il déclaré à
New Delhi, en Inde, le 10 septem-
bre, à la sortie d’un sommet atone
sur la question climatique.
Le 14 mars 2019, lors d’un One
Planet Summit à Nairobi, au Ke-
nya, il avait appelé le monde à « re-
« IL Y A UNE PART
DE SHOW, MAIS IL FAUT
QUE ÇA SE TRADUISE
PAR DU CONCRET »
PIERRE CANNET
directeur des affaires publiques
de l’ONG ClientEarth
mettre l’environnement au cœur
de l’économie ». Des mots qui plai-
sent aux ONG, pourtant parfois
très critiques sur sa politique cli-
matique en France. « Il a acquis
très vite une image de leader mon-
dial sur le climat, même si elle s’est
abîmée à cause de ses choix en
France, estime Anne Bringault, di-
rectrice des programmes du Ré-
seau Action Climat, citant la con-
damnation dans “l’affaire du siè-
cle” ou le report de la fermeture
des deux dernières centrales à
charbon à 2027. Mais, pour cer-
tains pays, il reste un moteur sur
des sujets importants. »
En parallèle de la diplomatie
classique, le président a mis en
place son propre agenda avec les
One Planet Summit. Ces réunions
permettent d’avancer sur certai-
nes zones et thématiques (l’Afri-
que en 2019 à Nairobi, les océans
en 2022, les forêts en 2023…). A cha-
que fois, des coalitions sont mon-
tées pour l’occasion. Une autre fa-
çon de faire vivre un multilatéra-
lisme malmené par les conflits en
Ukraine et au Proche-Orient.
Une « écologie à la française »
En coulisses, des diplomates ou
des militants proclimat craignent
que ces réunions n’aboutissent à
rien ou fassent de la concurrence
à l’Agenda 2030 mis en place par
l’ONU. Lors du Sommet pour un
nouveau pacte financier mondial,
les 12 et 13 juin, Emmanuel Ma-
cron avait affiché de grandes am-
bitions sur les nouvelles formes
de financement, en imaginant
taxer le transport maritime ou
d’autres grands pollueurs.
Pour le moment, cette volonté
ne s’est pas concrétisée, même si
des groupes de travail se sont réu-
nis. « Il y a une part de show, beau-
coup d’agitation, mais il faut que
ça se traduise par du concret »,
juge M. Cannet. « Tout ça per-
met d’impulser des choses nouvel-
les qui, ensuite, se retrouvent dans
les conclusions du G20, du G7, aux
Nations unies », rétorque l’Elysée.
Cet agenda tranche avec la façon
dont le président porte ce combat
en France. Depuis sa réélection, il a
laissé sa première ministre, Elisa-
beth Borne, dérouler les premières
étapes de la planification. Sauf à
quelques moments-clés – lors de
la rencontre avec les responsables
des 50 sites industriels les plus
émetteurs de CO2, le 8 novem-
bre 2022, ou lors d’un conseil de
planification écologique où il a ex-
pliqué sa vision d’une « écologie à
la française », le 25 septembre –,
M. Macron s’est tenu à distance. Et,
lors de ces séquences, il a pris soin
de préciser que la France ne repré-
sentait qu’une part infime des
émissions de gaz à effet de serre ou
qu’il adorait la « bagnole ».
Pour expliquer sa prudence, ses
proches le disent préoccupé de la
façon dont les extrêmes pour-
raient récupérer la question éco-
logique. « Il cherche à réconcilier la
dimension écologique et la dimen-
sion sociale, car, si on ne tient pas
compte de cela, on peut provoquer
une révolte et une montée des po-
pulismes », conclut David Amiel,
député (Renaissance) de Paris et
ancien conseiller à l’Elysée.
« Il n’est pas le seul à avoir deux
discours différents. Très allant lors
des sommets, Justin Trudeau [le
premier ministre canadien] est,
lui, obligé de composer avec les
producteurs pétroliers de l’Alberta
quand il rentre dans son pays », re-
lève Romain Ioualalen, d’Oil
Change International. p
matthieu goar
Les migrantes subsahariennes,
victimes oubliées du VIH
Les contaminations ne baissent pas chez les femmes nées à l’étranger
E
lles sont nigérianes, gui-
néennes, camerounai-
ses, ivoiriennes. Aux
femmes qui lui télépho-
nent depuis l’Ile-de-France, la Li-
bye ou l’île italienne de Lampe-
dusa, Caroline Andoum n’hésite
pas à « parler cru ». Elle évoque
avec elles leur santé sexuelle et les
moyens de se protéger du sida.
Mme Andoum est la directrice gé-
nérale de Bamesso et ses amis,
une association de santé dont le
siège social est au Blanc-Mesnil
(Seine-Saint-Denis). Alors que le
1er décembre se déroule la Journée
mondiale de lutte contre le sida,
et que 2023 marque le quaran-
tième anniversaire de la décou-
verte du virus, elle a fort à faire
pour prévenir les infections
parmi les femmes migrantes. Cel-
les-ci demeurent l’un des publics
qui accèdent le plus difficilement
à la prévention et au traitement.
Selon le bilan publié par Santé
publique France (SPF) le 28 no-
vembre, entre 4 200 et 5 700 per-
sonnes ont découvert leur séropo-
sitivité en 2022. C’est moins
qu’en 2019, ce qui est « encoura-
geant quant à la dynamique de
l’épidémie », d’après l’agence. Tou-
tefois, « sur la totalité de la période
2012-2022, le nombre de découver-
tes est quasi stable chez les femmes
hétérosexuelles nées à l’étranger »,
selon SPF, alors qu’il a diminué
pour les hommes ayant des rela-
tions sexuelles avec les hommes
(HSH) nés en France, les femmes
hétérosexuelles nées en France,
les usagers de drogue par injec-
tion et les hommes hétérosexuels.
Un « polluant éternel » cancérogène avéré
Deux des substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) parmi les plus répandues
ont été évaluées par le Centre international de recherche sur le cancer
L e Centre international de
recherche sur le cancer
(CIRC) a annoncé jeudi
30 novembre dans la revue The
Lancet Oncology avoir respective-
ment classé « cancérogène pour
les humains » et « cancérogène
possible », le PFOA et le PFOS,
deux des substances per- et poly-
fluoroalkylées (PFAS) parmi les
plus répandues – interdites en Eu-
rope depuis 2019 et 2009.
Toxiques et extrêmement per-
sistants dans les sols, l’eau et les
organismes vivants, ces polluants
sont parfois surnommés « pol-
luants éternels ». Répandus de-
puis des décennies dans l’environ-
nement par une diversité d’activi-
tés industrielles et de produits de
consommation (revêtements
d’ustensiles de cuisine, textiles,
traitement des cuirs, matériaux
électriques, semi-conducteurs,
encres, mousses anti-incendie,
etc.), ils sont désormais présents
tout au long de la chaîne alimen-
taire et dans bon nombre de res-
sources en eau. Ils constituent un
problème émergent, et majeur, de
santé publique ; la totalité de la po-
pulation humaine y est exposée.
Principale autorité scientifique
de classification des agents cancé-
rogènes dans le monde, le CIRC
évalue la force des preuves de can-
cérogénicité disponibles selon
trois niveaux : « cancérogène pos-
sible » (groupe 2B), « cancérogène
probable » (groupe 2A) et, enfin, le
plus haut niveau de preuve, « can-
cérogène pour les humains » (caté-
gorie 1). Lorsqu’il est impossible
d’apporter des éléments de preuve
convaincants ou cohérents, les
substances et agents évalués atter-
rissent dans la catégorie 3 (« inclas-
sable quant à sa cancérogénicité »).
Les femmes
sans papiers sont
en position de
faiblesse pour
négocier le port
du préservatif
auprès de leurs
partenaires
Les femmes représentent ainsi
31 % des découvertes de séroposi-
tivité. Parmi elles, beaucoup vien-
nent d’Afrique subsaharienne.
« Une part importante des conta-
minations survient après la mi-
gration », relève SPF, qui renvoie à
l’étude ANRS-Parcours de 2015
ayant estimé ce taux entre 25 % et
35 % pour les femmes originaires
de la région.
Les hommes que ces femmes
rencontrent en France appartien-
nent souvent à leur commu-
nauté, souffrant d’une forte pré-
valence du VIH. Or, relève Caro-
line Andoum, les femmes qui
arrivent sans papiers et sans
ressources sont en position de
faiblesse pour négocier le port du
préservatif auprès de leurs
partenaires s’ils le refusent. A
plus forte raison lorsqu’elles se
prostituent pour survivre.
Dans ces conditions, le com-
primé quotidien à prendre dans
le cadre du traitement préventif
par prophylaxie pré-exposition
(PrEP), autorisé en France depuis
2016 et remboursé, présente le
Etabli à Lyon et rattaché à l’Orga-
nisation mondiale de la santé, le
CIRC fonde ses évaluations sur des
groupes de travail constitués de
chercheurs du monde académi-
que (universités, organismes de
recherche publics, etc.), scientifi-
quement reconnus et libres de
conflits d’intérêts. En l’espèce,
trente scientifiques de onze natio-
nalités et de plusieurs disciplines
ont statué sur le PFOS et le PFOA.
Pas de valeur réglementaire
C’est la première fois que le PFOS
fait l’objet d’une évaluation par le
CIRC, tandis que le PFOA avait été
classé « cancérogène possible »
en 2014. « Dans son évaluation
précédente du PFOA, le CIRC avait
proposé que la cancérogénicité
soit due à l’immunotoxicité, rap-
pelle Philippe Grandjean (univer-
sité du Danemark du Sud), l’un
des meilleurs spécialistes mon-
diaux de ces substances, qui n’a
pas participé aux travaux du
CIRC. Le mécanisme pourrait être
qu’une fonction immunitaire af-
faiblie serait moins efficace pour
éliminer les cellules anormales. »
Depuis, « de nombreux travaux
ont étudié les associations entre
l’exposition au PFOA et la surve-
nue du cancer, sur des animaux de
laboratoire et des humains, ainsi
que les mécanismes d’action ca-
ractéristiques des cancérogènes »,
explique le groupe de travail du
CIRC dans The Lancet Oncology.
Les auteurs estiment que les
preuves obtenues sur des ron-
geurs sont « suffisantes » et indi-
quent, selon les études, une élé-
vation du risque de tumeur mali-
gne et bénigne du foie, du pan-
créas, de l’utérus. L’action
biologique du PFOA sur les hu-
double avantage de pouvoir être
décorrélé du rapport sexuel et de
laisser aux femmes le contrôle de
leur protection. Encore faut-il le
faire connaître, et « il n’y a qu’avec
les associations communautaires
qu’on peut être efficients », selon le
docteur Thomas Huleux, chef du
bureau des maladies infectieuses
au conseil départemental de Sei-
ne-Saint-Denis.
Entrer en contact avec les per-
sonnes à risque et gagner leur
confiance est un travail de fourmi.
« Elles sont isolées et craignent de
sortir de peur de se faire contrôler
et expulser », rappelle Caroline An-
doum. Concernant les prosti-
tuées, « quand ça se passe dans les
appartements, il y a un angle
mort », déplore Yves Nyemeck,
travailleur social chez Bamesso.
« Parfait exemple d’inégalité »
Ces efforts ne peuvent faire
oublier que, si les démarrages de
PrEP ont connu une hausse de
31 % entre 2022 et 2023 à l’échelle
nationale, cela concerne encore
des hommes à 97 %, selon les
données de l’enquête Epi-Phare
publiée le 29 novembre, pour un
total de 85 000 traitements com-
mencés entre 2016 et juin 2023.
Que les femmes représentent un
tiers des nouveaux cas mais une
infime minorité des PrEP consti-
tue un « parfait exemple d’inéga-
lité de genre en santé, tempête le
professeur Gilles Pialoux, chef du
service des maladies infectieuses
de l’hôpital Tenon à Paris. On a de
bonnes mesures, mais personne ne
les connaît. Or la PrEP s’applique à
mains exposés, comme l’affai-
blissement de l’immunité, sus-
ceptible de favoriser la cancéroge-
nèse, a également été observée
avec un niveau de preuve « fort ».
Enfin, des études épidémiologi-
ques suggèrent que des humains
exposés à de faibles doses de PFOA
ont un risque plus élevé de cancer
rénal ou testiculaire. Ces études ne
forment toutefois qu’une preuve
« limitée », des biais ou des facteurs
de confusion ne pouvant être for-
mellement exclus. D’autres tra-
vaux épidémiologiques ne par-
viennent d’ailleurs pas à mettre
en évidence de telles associations.
Au total, l’ensemble de ces élé-
ments a conduit les experts réu-
nis par le CIRC à considérer le
PFOA comme cancérogène avéré.
Pour le PFOS, les preuves de méca-
nismes d’action pouvant induire
des cancers ont été jugées « for-
tes ». Au contraire, les études ani-
males et humaines ont été consi-
dérées moins conclusives,
conduisant l’agence onusienne à
ne ranger le PFOS que parmi les
« cancérogènes possibles ».
Collecion « Que sais-je ? » - Nouvelles édiions ! 10 e
2 livres de Jacques VERNIER
LES ÉNERGIES RENOUVELABLES
« On en ressort avec des idées très claires » (Les Echos)
« Du sérieux et jamais de vent » (L’Obs)
L’ENVIRONNEMENT
« D’évidentes qualités de pédagogue » (L’Express)
« Un ouvrage salvateur, ultra praique » (Libéraion)
« Complet, imparial et bien écrit » (Sciences et vie)
planète | 7
toute personne qui s’estime en si-
tuation de risque, c’est très large ».
SPF a annoncé, le 28 novembre, la
poursuite de sa campagne d’infor-
mation contre le VIH avec deux
volets spécifiquement orientés
vers les HSH et vers les migrantes
d’origine subsaharienne.
En plus d’une meilleure diffu-
sion des traitements existants, la
prévention pourrait s’enrichir
d’un nouvel outil, la PrEP injecta-
ble à base de cabotégravir. A la dif-
férence des comprimés qui doi-
vent être pris tous les jours à ho-
raire fixe, les injections peuvent
être espacées de huit semaines.
D’après une étude auprès de
plus de 3 000 femmes dans sept
pays d’Afrique subsaharienne, pu-
bliée en mai 2022 dans The Lancet,
cette méthode est plus efficace
que la voie orale pour prévenir les
infections dans ce public. La PrEP
injectable est recommandée par
l’OMS, autorisée par la Food and
Drug Administration américaine
et par l’Agence européenne des
médicaments. Pour envisager sa
mise en œuvre en France, il fau-
drait que la Haute Autorité de
santé statue sur son intérêt et sur
l’opportunité du remboursement
par la Sécurité sociale.
Caroline Andoum attend « avec
impatience » cette décision, car
elle promet une discrétion accrue
par rapport aux tablettes qui peu-
vent susciter de la stigmatisation.
Aujourd’hui, avec les femmes sui-
vies par son association, elle dis-
cute souvent de la meilleure fa-
çon de cacher les boîtes. p
julien lemaignen
A l’inverse des avis rendus par
les agences comme l’Autorité
européenne de sécurité des ali-
ments ou l’Agence européenne
des produits chimiques, les éva-
luations du CIRC n’ont aucune va-
leur réglementaire. Réputées
pour leur rigueur et leur indépen-
dance vis-à-vis des pouvoirs éco-
nomiques, elles n’en ont pas
moins un poids important de-
vant la justice, à l’occasion de
poursuites engagées par des com-
munautés ou des individus
contre des industriels. C’est no-
tamment le cas aux Etats-Unis, où
des avis du CIRC peuvent former
le socle de certaines procédures.
Un point particulièrement im-
portant car, comme le notent les
experts du CIRC, « le PFOA et le
PFOS sont détectés dans les
échantillons sanguins dans les
populations étudiées dans le
monde entier, et les niveaux mé-
dians d’exposition sont jusqu’à
cent fois supérieurs dans les
communautés vivant près de sites
pollués ». p
stéphane foucart
8|
FRANCE
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023

Dans les facultés, l’ombre de l’antisémitisme

Des dizaines de faits relevant de l’incitation à la haine envers les juifs ont été signalés depuis l’attaque du Hamas

D
es inscriptions antisé-
mites ont été retrou-
vées dans l’enceinte
de plusieurs campus
universitaires depuis l’attaque du
Hamas contre Israël le 7 octobre.
A la faculté de santé de l’univer-
sité Toulouse-III - Paul-Sabatier, le
15 novembre, une étudiante en
première année a découvert sur
sa pochette, laissée sur son pupi-
tre le temps d’une pause, les mots
« Sale juive, crève », accolés à une
croix gammée. « Cette irruption de
la haine dans une faculté où l’on
forme des gens à soigner leurs
semblables nous a complètement
choqués », rapporte le doyen Phi-
lippe Pomar, qui a exigé que cha-
que cours soit désormais intro-
duit par la lecture d’un message
rappelant la gravité de tels actes.
De Poitiers à Paris en passant
par Rennes ou Strasbourg, des
tags à caractère antisémite ont été
relevés dans des universités. Le
président de l’établissement
strasbourgeois, Michel Deneken,
a fait un signalement à la procu-
reure de la République et a déposé
plainte auprès de la police. Il
condamne le retour du « virus de
l’antisémitisme » dont chacun
pensait qu’il serait définitive-
ment éradiqué « avec tous les po-
groms de l’histoire et l’abîme apo-
calyptique de la Shoah ».
A Sciences Po, la direction a fait
un signalement à la procureure et
convoqué en section disciplinaire A l’université Toulouse-III - Paul-Sabatier,
un étudiant ayant posté sur les ré- le 2 mars 2020. XAVIER DE FENOYL/PHOTOPQR/« LA DÉPÊCHE DU MIDI »/MAXPPP
seaux sociaux « des messages inci-
tant clairement à la violence contre
les juifs ». Quatre élèves ont été « re-
cadrés » pour des messages postés tracts « l’impérialisme français, des morts ou avoir entendu parler pas restées plus de deux heures sur nom a été modifié) a constitué sans affectation soient inscrits.
sur des groupes WhatsApp. complice des massacres en cours à de la Shoah, c’est du passé, alors le campus », ajoute-t-elle. « discrètement » un collectif d’une « Ce même groupuscule, issu de
Le nombre de signalements à la Gaza ». De même que « le combat on passe à côté. » « Qu’une étudiante, qu’un étu- trentaine de personnels de con- l’UNEF et surtout du NPA, a pris
justice d’actes antisémites par les plus global contre l’apartheid et la Depuis le 7 octobre, « il y a beau- diant ou qu’un personnel de l’éta- fession juive. Ces derniers jours, comme sujet d’agit-prop de l’année
universités ne dépasserait pas colonisation, pour en finir avec la coup plus d’activisme, c’est un vrai blissement puisse se sentir menacé elle a signalé des tags comme la lutte propalestinienne, sauf qu’ils
« quelques dizaines », selon le mi- situation coloniale en Palestine ». appel à la haine », confirme An- ou avoir peur de s’exprimer en rai- « Sionistes, c’est vous les racistes et arrivent dans une vague d’antisé-
nistère de l’enseignement supé- La ministre Sylvie Retailleau s’est naëlle (qui n’a pas souhaité don- son de sa confession religieuse est les terroristes », « Fuck l’entité sio- mitisme avéré », s’inquiète Pierre
rieur et de la recherche, qui précise rendue à Nanterre pour rencon- ner son nom), qui représente intolérable », se désole le président niste » et « Free Palestine ». Dans Ouzoulias, sénateur communiste
toutefois ne pas tenir les comptes. trer des étudiants de confession l’Union des étudiants juifs de de l’université Paris-Nanterre, Phi- ses cours, elle s’interdit d’évoquer des Hauts-de-Seine, qui était pré-
« Les faits ne se déroulent pas néces- juive le 21 novembre. La situation y France (UEJF) à l’université de lippe Gervais-Lambony, dans un le conflit tant elle ressent « une sent lors de la rencontre entre la
sairement sur les campus mais plu- est jugée « très préoccupante » par Nanterre. « Sans doute faut-il être message à sa communauté em- impression bizarre de ne plus avoir ministre et des étudiants juifs.
tôt sur les réseaux sociaux et, dans Ezra (le prénom a été modifié), en soi-même concerné pour compren- prunt de « douleur », le 20 novem- de liberté d’expression ». « Si j’es- Neuf des ex-occupants ont été
ce cas, c’est le signalement Pharos licence de psychologie. « Chacun dre que des slogans comme “Pales- bre. Trois semaines plus tôt, il avait saye d’entrer dans le débat ou de renvoyés devant une commission
qui prend le relais », explique l’en- fait semblant de ne pas voir, mais la tine vaincra” ou “Fuck l’Etat sio- appelé « au respect d’autrui et à la demander à des étudiants d’aller disciplinaire délocalisée à l’uni-
tourage de la ministre. propagande d’extrême gauche est niste”, ça veut clairement dire “Fuck tolérance, à la décence aussi dans lire, de s’informer, je sens que ça va versité Gustave-Eiffel, située à
devenue bien plus virulente depuis les juifs”. La question de la liberté toutes les formes d’expression ». être mal perçu », explique-t-elle. Champs-sur-Marne (Seine-et-
« Ambiguïté coupable » le 7 octobre, relate-t-elle. Des pro- d’expression doit aussi s’appliquer A ce jour, seul un tract du NPA Marne), qui rendra prochaine-
Dans les amphithéâtres et les al- fesseurs approuvent en acceptant aux messages qu’il y a derrière ces distribué à l’entrée du campus a « Manque de discernement » ment sa décision. Parmi eux, le
lées des campus, le climat est par- de laisser interrompre leurs cours affiches, estime l’étudiante. A-t-on été identifié par les services de la Une majorité d’étudiants semble président de l’UNEF Nanterre qui
fois lourd. La riposte guerrière d’Is- par ces étudiants militants, sans le droit d’exprimer autant de préfecture pour être transmis au avoir une connaissance approxi- se fait appeler « Victor Mendez »,
raël contre le Hamas nourrit le mi- aucune ouverture au débat. Ce n’est haine ? Je ne sais pas si c’est légal. » parquet de Nanterre. « Les propos mative du conflit israélo-palesti- un nom d’emprunt. Il dénonce
litantisme d’une partie des étu- plus une démocratie, c’est un pôle Avec l’UEJF, Annaëlle a collé des écrits ou tenus sont toujours “li- nien et une maîtrise relative du « une campagne calomnieuse » à
diants qui montent des « comités dictatorial. » portraits des otages israéliens. mite”, sans être hors la loi, car ces concept de liberté d’expression, son encontre pour « étouffer la
de soutien à la Palestine », sous la Sur le groupe WhatsApp de sa « Nous l’avons fait de nuit, car nous étudiants sont malins et savent notent des universitaires. « Il y a à mobilisation solidaire qui se déve-
houlette de collectifs d’extrême promotion, Ezra a pu lire des avions peur. Les affiches ne sont jusqu’où aller, mais leurs messages la fois un manque de discernement loppe dans les universités » en fa-
gauche comme Le Poing levé, une messages appelant à « l’anéantis- sont toujours très tendancieux », et une certitude que pour recouper veur du peuple palestinien.
émanation du Nouveau Parti anti- sement d’Israël, cet Etat colonisa- confie un haut fonctionnaire pro- très vite avec les notions d’antica- Il ajoute ne pas avoir « vu de [s]es
capitaliste (NPA). « La question du teur qui fait des crimes contre l’hu- che du dossier. « Sur les campus où pitalisme et de colonisation, le yeux » d’inscription antisémite
peuple palestinien, c’est celle de manité ». Quand l’étudiante a
« Les propos le NPA et LFI [La France insou- conflit israélo-palestinien est tout sur le campus, sans nier qu’il
toute une jeunesse, une jeunesse posté sa réponse en demandant écrits sur les mise] sont particulièrement im- trouvé », observe l’un d’eux. puisse y en avoir. « Le projet sio-
écologiste, une jeunesse fémi- d’arrêter de parler du conflit, cer- plantés, le terreau devient plus A Nanterre, depuis la création de niste est une forme de colonisation,
niste », affirmait le 18 novembre tains l’ont accusée d’enfreindre
tracts ou tenus compliqué », complète-t-on dans Parcoursup en 2018, le militan- poursuit Victor Mendez. Mais
sur le compte du réseau social X leur liberté d’expression. « Nous sont toujours l’entourage de Sylvie Retailleau en tisme étudiant a pris une tournure vous ne trouverez pas une seule
« Révolution permanente » Ariane vivons un virulent antisionisme soulignant « une ambiguïté cou- radicale. Entre octobre 2021 et phrase antisémite dans nos prises
Anemoyannis, étudiante en droit qui cache l’antisémitisme, affir-
“limite”, sans être pable » de ces deux partis sur la juillet 2022, des membres de de position qui consistent à dénon-
à l’université Paris-I - Panthéon- me-t-elle. Déjà, [en 2022] des croix hors la loi », question de l’antisémitisme. l’UNEF ont occupé nuit et jour, cer avec force l’occupation des ter-
Sorbonne et porte-parole du gammées avaient été découvertes Enseignante-chercheuse depuis neuf mois durant, le bâtiment de ritoires palestiniens. Cela s’appelle
Poing levé. Pour rallier la popula- dans des toilettes. C’est devenu
confie un haut une quinzaine d’années dans la présidence de l’université, pour de l’anticolonialisme. » p
tion étudiante, le NPA cible sur ses normal, un peu comme avoir vu fonctionnaire l’établissement, Johanna (le pré- exiger que les candidats restés soazig le nevé

DIMANCHE3DÉCEMBRE
12H-13H OUESTIONS CARINE
Marine Tondelier, POLITIOUES. BÉCARD avec
Guillaume Daret
TV canal 27

secrétaire nationale d’EELV et Françoise Fressoz

0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023 france | 9

Paris expulse un droit. » Dès le lendemain de cette

expulsion, et comme il le fait dé-
sormais quotidiennement depuis
En avril 2022, le
juge estime qu’en
administrative du territoire fran-
çais lui est notifiée et il est placé
en rétention administrative. Dans
PAR LEMEN T
Sacha Houlié demande
des « sanctions » contre
le député Ugo Bernalicis

Ouzbek malgré
l’attentat d’Arras, Gérald Darma- la foulée, sa demande d’asile est Le ton est fortement monté,
nin a publié sur X une liste
Ouzbékistan rejetée par l’Office français de pro- jeudi 30 novembre, en com-
d’étrangers renvoyés parmi les- M. A. « risque tection des réfugiés et apatrides mission des lois à l’Assemblée
quels figurait cet Ouzbek : « M. A., (Ofpra), mais M. A. saisit la CEDH nationale, le président de la
d’être à nouveau

une décision
39 ans, radicalisé et fiché FSPRT [fi- pour empêcher son expulsion, ar- commission Sacha Houlié
chier des signalements pour la soumis à des guant de risques de torture en (Renaissance) demandant
prévention de la radicalisation à Ouzbékistan. Le 7 mars 2022, cel- « des sanctions » contre l’« in-
caractère terroriste], connu des
actes de torture » le-ci ordonne au gouvernement soumis » Ugo Bernalicis. Le
français « de ne pas éloigner » député La France insoumise

de la CEDH
services de police pour son an-
crage dans la mouvance pro-djiha-
diste. Placé au centre de rétention
administrative de Vincennes [Val-
de-Marne], il a été renvoyé dans
L’exécutif a ignoré la position son pays d’origine hier. »
M. A. a été mis dans un avion
de la Cour européenne des droits de pour Tachkent où, d’après son
avocate, il a été immédiatement
l’homme en raison de suspicions de arrêté par les autorités du pays.
En France, M. A. n’avait commis
radicalisation islamiste de l’intéressé aucun délit, et n’avait fait l’objet
d’aucune garde à vue jusqu’à ce
qu’il soit frappé d’une interdic-
tion administrative du territoire
mouvance djihadiste et des posts
Facebook vantant le djihad. Alors
qu’il se rend en Croatie, les servi-
ces de renseignement font état de
velléités de départ en Syrie
en 2021, ainsi que de consulta-
tions de contenus relatifs à l’orga-
nisation Etat islamique relayés
par des Tchétchènes radicalisés.
Le tout porte le ministère de l’in-
térieur à estimer que M. A. a une
« approche violente de l’islamisme
radical » et pratique la « dissimu-
M. A., le temps qu’elle examine au
fond son recours. Une mesure
provisoire, fondée sur l’arti-
cle 39 de la Convention euro-
péenne des droits de l’homme,
prise à titre exceptionnel.
Menace « pour l’ordre public »
Le 5 avril 2022, alors que M. A. est
assigné à résidence et pointe quo-
tidiennement au commissariat, la
Cour nationale du droit d’asile
(CNDA) confirme le rejet de sa de-
mande d’asile. Le juge estime
(LFI) a reproché à M. Houlié
de ne pas avoir fait respecter
un engagement pris en confé-
rence des présidents de l’As-
semblée, pour interrompre
les commissions, quand un
texte issu de la commission
concernée est examiné
dans l’Hémicycle. « Qu’est-ce
que c’est ça ? », « intolérable »,
a tempêté M. Bernalicis.
S’est ensuivi un échange
d’interpellations et d’invecti-
ves dans la salle. – (AFP.)

A
u lendemain de l’atten-
tat d’Arras, le 13 octo-
bre, le ministre de l’in-
térieur, Gérald Darma-
nin, l’avait annoncé et répété : sa
volonté d’expulser des étrangers
jugés dangereux ne faiblirait pas
face à la Cour européenne des
droits de l’homme (CEDH). Quand
bien même certains feraient va-
loir des risques de torture dans
leur pays d’origine, la priorité irait
à la sécurité des Français. « Ce que
j’assume, c’est de ne pas attendre la
décision que prend la Cour euro-
péenne des droits de l’homme alors
que le tribunal administratif, la
cour d’appel et le Conseil d’Etat ont
donné raison à l’Etat », déclarait le
ministre le 22 octobre dans une in-
terview au Journal du dimanche.
Le ministère a tenu sa pro-
messe. Il est même allé au-delà,
de façon inédite. Le 14 novembre,
ses services ont expulsé un res-
sortissant ouzbek de 39 ans,
M. A., alors même qu’une déci-
sion de la CEDH l’en défendait. Et
sans attendre que la justice admi-
nistrative – saisie d’un recours
en urgence contre le renvoi – sta-
tue. « Tout s’est fait en moins de
vingt-quatre heures, sans atten-
dre qu’il ait accès à un juge, dé-
nonce son avocate Lucie Simon.
Tout s’est fait pour qu’il ne puisse
pas être défendu. »
Immédiatement arrêté
La France a déjà été condamnée à
deux reprises, en 2018, pour avoir
expulsé des étrangers sans leur
permettre de saisir la Cour. Mais
c’est la première fois qu’elle pro-
cède à une expulsion en mécon-
naissance d’une décision de la
cour le lui interdisant.
« C’est un tournant, estime Lucie
Simon. Le ministère de l’intérieur
viole délibérément une décision de
la Cour qui s’applique à la
France. C’est une sortie de l’Etat de
en avril 2021. D’après les éléments
des renseignements, reprise par
le ministère de l’intérieur, le
jeune homme était arrivé en Eu-
rope en 2016 et avait demandé
l’asile en Estonie.
Il a expliqué avoir été fallacieuse-
ment accusé d’accointances avec
le Hizb Ut-Tahrir, mouvement po-
litico-religieux visant à unir tous
les musulmans dans un « califat »
mondial mais qui n’appelle pas à
la lutte armée et condamne le ter-
rorisme. Pour cette raison, M.
A. aurait été arrêté et torturé par la
police ouzbèke en 2015 et mis en
accusation. L’Estonie a cependant
rejeté sa demande d’asile, considé-
rant qu’il représentait une me-
nace en raison de sa proximité
avec le Hizb Ut-Tahrir.
Arrivé en France, où il demande
l’asile en 2019, les services de ren-
seignement lui prêtent, cou-
rant 2020, des contacts avec
deux Russes appartenant à la
lation », autrement dit la taqiya.
« On conteste fermement tout,
martèle son avocate. Les deux Rus-
ses avec lesquels on lui prête des
contacts, il les a croisés dans un
squat. Et aucune capture d’écran
des posts Facebook ne nous a été
soumise, d’un compte qui n’est
même pas à son nom. »
En Seine-et-Marne, où M. A. a ré-
sidé, l’intervenant social de l’asso-
ciation Habitat-Cité qui l’a accom-
pagné s’étonne aussi : « Je l’ai cô-
toyé pendant deux ans et demi et
c’est quelqu’un d’assez remarqua-
ble », explique-t-il au Monde, sous
le couvert de l’anonymat. En
avril 2020, M. A. avait même été
décoré d’une médaille de la ville
de Montereau-Fault-Yonne (Seine-
et-Marne) pour avoir participé au
sauvetage d’une personne âgée
lors de l’incendie d’un immeuble.
Lorsque en décembre 2021, il re-
prend ses démarches de demande
d’asile en France, l’interdiction
qu’en Ouzbékistan, M. A. « risque
d’être à nouveau soumis à des actes
de torture et à des traitements dé-
gradants en cas d’arrestation et de
détention ». Mais l’asile lui est re-
fusé en raison de la « menace grave
pour l’ordre public » qu’il constitue.
M. A. se retrouve donc assigné à
résidence, tantôt hébergé par
l’Etat en hôtel, tantôt à la rue. Jus-
qu’à ce que les choses s’accélèrent,
une semaine après l’attentat d’Ar-
ras. En application des consignes
de fermeté de Gérald Darmanin, il
est placé en rétention. Et il est ex-
pulsé le 14 novembre. « La CEDH
n’interdit rien de manière générale
et absolue », explique-t-on au mi-
nistère de l’intérieur. Qui ajoute
que M. A. serait retourné en
Ouzbékistan en 2018 sans y être
menacé. Des faits contestés par
l’avocate de l’intéressé. Sollicitée,
la CEDH n’a pas voulu faire de
commentaire. p
julia pascual
PÉD OPHI LI E
Un enfant victime
de violences sexuelles
toutes les trois minutes
La cheffe du nouveau service
de police consacré à la lutte
contre les violences aux mi-
neurs, Gabrielle Hazan, a rap-
pelé, vendredi, que « 160 000
enfants » étaient chaque
année victimes de violences
sexuelles en France, un
toutes les trois minutes, et
appelé chacun à signaler
les faits portés à sa connais-
sance. Invitée de RTL,
Mme Hazan, qui vient de pren-
dre ses fonctions à la tête
de l’Office des mineurs, créé
en août, a relevé que « dans
la moitié des dossiers, on
constate qu’un internaute qui
va visualiser des contenus pé-
docriminels en ligne est passé
ou passera à l’acte ». – (AFP.)

CHRONIQUE |
p a r s o l e nn de r o ye r

Autour du drame de Crépol,

la guerre des récits
Lundi 27 novembre, Laurence
Ferrari ouvre « L’Heure des pros »,
l’émission phare de CNews,
en évoquant le drame de Crépol.
Le 18 novembre dans la nuit,
Thomas, un jeune de 16 ans
de ce village drômois, a été poi-
gnardé à mort, à l’issue d’un bal.
Huit jours plus tard, une centaine
de militants d’ultradroite ont dé-
filé à quelques kilomètres de là, à
Romans-sur-Isère, désireux d’en
découdre avec des jeunes du
quartier sensible de la Monnaie,
dont sont originaires une partie
des agresseurs présumés. « Il y
a dans l’air comme un parfum
de guerre civile », résume la
journaliste. Elle cite l’ex-maire
de Lyon, Gérard Collomb, qui
en quittant le ministère de l’inté-
rieur, en 2018, avait prévenu que
les Français, déjà « côte à côte »,
couraient le risque de se retrou-
ver, à terme, « face à face ».
« Je crois que nous y sommes,
M. Collomb, nous sommes face
à face », poursuit-elle, martiale.
Quelques jours plus tôt, dans
une autre émission de la chaîne
de Vincent Bolloré, un éditoria-
liste, Guillaume Bigot, s’était
lancé dans une folle projection,
ainsi résumée : en cas de « guerre
civile », les choses seraient « rapi-
dement » réglées, puisque, comp-
tait-il, « 12 millions de Français en
âge de se battre » affronteraient
« 2 millions d’hommes de l’immi-
gration musulmane ». Il invitait à
« arrêter avec ce délire que la
France est foutue » car « si la
guerre civile éclatait, elle tourne-
rait au massacre des séparatis-
tes ». On croit rêver.
Depuis le 18 novembre, alors
que le parquet de Valence a mis
Le Journal du dimanche, etc.) im-
posent un récit, faisant du drame
de Crépol l’illustration des thèses
qu’ils défendent : un « conflit
de civilisation » opposant
« deux France ». Dans les coulisses
du pouvoir, où l’on s’inquiète
d’une « radicalisation » de la ligne
éditoriale, ces extraits de CNews
ont circulé sur les boucles Tele-
gram, arrivant jusqu’à Emma-
nuel Macron lui-même.
« Ces médias construisent et ins-
truisent la peur, à des heures de
grande écoute », note l’auteur de
Trump et les médias (VA éditions,
2020), Alexis Pichard, selon lequel
ces derniers, qui fonctionnent
« en vase clos » et « se nourrissent
les uns et les autres », contribuent
à construire, « à partir d’éléments
réels », une « réalité parallèle ».
Une victoire d’« ordre lexical »
Face à ce rouleau compresseur
médiatique, la majorité a cherché
le bon tempo. Au gouvernement,
certains déplorent un retard à
l’allumage et s’interrogent sur
cette minute de silence organisée
le 28 novembre à l’Assemblée na-
tionale en son hommage,
dix jours après les faits.
Au lendemain du défilé de
l’ultradroite, le ministre de
l’intérieur Gérald Darmanin s’est
félicité que la France ait évité un
scénario de « petite guerre civile »,
tandis que le porte-parole du
gouvernement Olivier Véran évo-
quait un « risque de basculement
de la société française ». Une rhé-
torique anxiogène, donnant un
sentiment de fébrilité. « La vic-
toire des médias bolloréens est
d’abord d’ordre lexical », observe
l’historien des médias, Alexis Lé-
retti a rassuré une partie du camp
présidentiel en dénonçant « l’in-
décente démagogie » de l’extrême
droite, l’accusant d’opposer
« la France rurale, catholique
et blanche » à celle « des cités ».
Au sein de la majorité, certains
reprochent à Emmanuel Macron
– qui a incité ses troupes à ne
plus combattre l’extrême droite
avec des arguments moraux –
d’avoir « abandonné le combat
idéologique ». Voire d’avoir joué
avec le feu, en triangulant avec
l’extrême droite par médias in-
terposés, comme l’avait fait
Mitterrand. Le chef de l’Etat a en
effet régulièrement mis en scène
un pas de deux complice avec
l’hebdomadaire droitier Valeurs
actuelles quand celui-ci était di-
rigé par Geoffroy Lejeune. Et n’a
découragé personne de s’expri-
mer dans Le Journal du diman-
che, depuis que le même a été
nommé à sa tête.
« Légèreté ou impuissance ? »,
interroge Alexis Lévrier, selon
lequel « l’écosystème Bolloré est
tellement influent que le pouvoir
politique ne sait pas comment lui
répondre ». En ne participant pas
à la manifestation contre l’anti-
sémitisme, le 12 novembre, Em-
manuel Macron avait donné le
sentiment, sous couvert de res-
ter le garant de l’unité nationale,
d’être l’otage des fractures fran-
çaises. Dans la majorité, beau-
coup le pressent de redéfinir un
« cadre commun » et de « resser-
rer les liens », afin que le pays ne
succombe pas au « vertige identi-
taire ». Conscient qu’il est urgent
de redonner aux Français
des raisons de vivre ensemble,
le président de la République
PHOTO / Nicolas PRADO

en garde « contre les interpréta- vrier, selon qui ces propos minis- pourrait prendre une initiative
tions hâtives », les médias du tériels sont influencés par en ce sens en janvier. Un contre-
groupe Bolloré (CNews, Europe 1, ceux-ci. Mardi, Eric Dupond-Mo- récit indispensable. p
10 | france 0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023

Patrice Vergriete,
le « Baron noir »
du gouvernement
Le ministre du logement et ex-maire de Dunkerque
est intimement lié à la série tournée dans sa ville

Patrice Vergriete Vergriete sont intimement liés à la

PORTRAIT fiction créée par Eric Benzekri. « Le

L’
épisode est suffisam- « est fils Baron noir, c’est moi ! », en plai-
ment rare pour être sou- d’ouvrier. En cela, sante volontiers le ministre du lo-
ligné : au lendemain des gement. Militant socialiste durant
émeutes urbaines de il est le Baron ses jeunes années, au sein de la fé-
l’été, lors du premier séminaire du noir », déclare dération de l’Essonne, le cinéaste
nouveau gouvernement organisé cherchait, pour raconter l’effon-
à Matignon, le 24 juillet, une voix le scénariste de drement de sa famille politique,
de gauche s’est élevée. Patrice Ver- la série télévisée un « lieu témoin du monde
griete, nommé quatre jours plus d’avant ». Une ville industrielle de
tôt ministre du logement, aborde gauche, incarnant le crépuscule
les « causes » de ces événements. et renouvellement urbain, qui im- des fédérations socialistes toutes-
Il souligne que les 30-45 ans posera aux communes importan- puissantes. Après avoir envisagé
sont la tranche d’âge dont la pro- tes de disposer d’au moins 20 % de Le Creusot (Saône-et-Loire) puis
portion a le plus diminué, durant logements sociaux. « Une bonne Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), il
la dernière décennie, parmi les partie des négociations avec Louis découvre Dunkerque, « une ville
habitants des quartiers. Le nom- Besson et Jean-Claude Gayssot », très graphique, avec ses cuves, ses
bre de familles monoparentales a respectivement secrétaire d’Etat cheminées d’usine et la mer ».
explosé, les éducateurs, gardiens et ministre du logement à l’épo- Dès 2013-2014, il rencontre Pa-
d’immeubles et autres interve- que, « c’est lui qui les a menées », se trice Vergriete, « très intéressant
nants ont quasiment disparu, souvient M. Bartolone. A Mati- parce que, contrairement à la plu-
tandis que le nombre d’adoles- gnon, il a pour interlocutrice une part des élus, qui développent le
cents, lui, est resté stable. jeune conseillère technique, poly- tourisme, il voulait faire de l’indus-
Alors que certains sont prompts, technicienne comme lui, « accro- trie décarbonée pour relancer sa
autour de la table, à souligner la cheuse » comme lui : Elisabeth ville ». Le cinéaste épluche les ré-
responsabilité des parents dans Borne. C’est elle qui l’appellera, en sultats électoraux dans les bu-
les troubles survenus après la juillet 2023, pour lui annoncer son reaux de vote de la ville et décou-
mort de Nahel M., le 27 juin, le mi- entrée au gouvernement. vre un début de gentrification au
nistre rappelle que « l’autorité, En 2000, Patrice Vergriete, qui cœur de la ville et, autour, une po-
dans les quartiers, est incarnée par n’appartient à aucun courant du larisation entre un vote Front na-
l’ensemble des adultes, pas seule- Parti socialiste (PS), souhaite quit- tional sur le plan national et un
ment par les parents », et regrette ter le ministère. « Veux-tu revenir à vote pour la gauche radicale aux Patrice Vergriete, à la communauté urbaine de Dunkerque, le 6 octobre. AIMÉE THIRION POUR « LE MONDE »
que « la dimension sociale soit le Dunkerque ? », lui propose le élections locales.
parent pauvre de la politique de la maire socialiste de la ville, Michel Lorsqu’il rencontre Patrice Ver-
ville ». Une intervention « utile », Delebarre. L’enfant du pays est de griete, Eric Benzekri a déjà écrit les toutefois, et bien plus policé que Voix du Nord l’annonce ministre à pendants du prix du carburant. »
se souvient, quatre mois plus tard, retour, comme directeur d’une cinq premiers épisodes de la sai- celui de la fiction. coup sûr. Son téléphone ne sonne Le Nordiste rappelle qu’à l’origine
Christophe Béchu, ministre de la agence d’urbanisme, puis adjoint son 1 de Baron noir : le député du De tout cela, Emmanuel Macron pourtant pas. En mai 2023, le chef logement et travail étaient liés :
transition écologique et de la co- au maire chargé de la jeunesse, Nord et maire de Dunkerque, n’a pas la moindre idée lorsqu’il de l’Etat vient à Dunkerque pour « Le logement social, ce sont les
hésion des territoires. en 2001. Alors qu’il se voit succé- nommé Philippe Rickwaert dans invite à dîner à l’Elysée, en 2018, officialiser l’implantation de maisons des mineurs à côté des mi-
der un jour au baron socialiste du la fiction, soupçonné de détour- Patrice Vergriete, parmi une ving- l’usine de batteries. Les deux hom- nes. » Et regrette que les HLM
« L’ascenseur républicain » Nord, sa relation avec ce dernier se nement de fonds publics à des fins taine de maires. Le Dunkerquois mes échangent en tête à tête pen- « soient devenus le logement des
Patrice Vergriete sait de quoi il dégrade dès le début. « Delebarre électorales, n’incarne pas à pro- lui raconte comment il s’est fait dant près d’une heure dans le bu- plus démunis ».
parle. Né en 1968 d’un père chau- fait monter son gendre, son direc- prement parler la probité. Patrice élire sur les ruines du PS, à la tête reau où ont été tournées des scè- Pour surmonter la crise du loge-
dronnier aux Chantiers de France teur me casse partout, raconte-t-il. Vergriete redoute que la série ne d’une coalition allant de la gauche nes de Baron noir. « Alors, c’est quoi ment, il veut engager, dit-il, un
et d’une mère sans emploi, il a Et certaines choses ne me plaisent « favorise le Rassemblement natio- au centre droit, quelques années le problème dans ton territoire ? », « changement de logiciel », « cons-
grandi dans le quartier des Glacis, pas sur le plan des valeurs. » Il rem- nal », se souvient le cinéaste. Mais avant qu’Emmanuel Macron en interroge le locataire de l’Elysée. Il truire différemment de ce que l’on
à Dunkerque (Nord). Enfant, il a ra- pile toutefois aux élections muni- donne, malgré tout, les clés de la fasse autant au niveau national. n’est à aucun moment question a fait jusqu’ici » : le modèle de la
massé des coques dans les épaves cipales de 2008, et est nommé ad- ville à ce dernier : « Vous êtes ici Mais c’est sur le projet de réindus- d’une entrée au gouvernement. construction, qui reposait sur
de l’opération « Dynamo », qui a joint aux sports. chez vous et vous racontez ce que trialisation de la France que les l’accession individuelle à la pro-
permis d’évacuer des soldats alliés M. Delebarre, ancien ministre de vous voulez. » deux hommes se retrouveront, un « Changement de logiciel » priété, est aujourd’hui remis en
des plages et du port de la ville François Mitterrand, qui effectue L’équipe municipale aide celle peu plus tard. Le polytechnicien En juillet, pourtant, la première cause par la hausse des taux d’in-
nordiste durant la seconde guerre là son quatrième mandat, projette du film à s’installer, lui fait décou- ambitionne de faire de Dunker- ministre l’appelle pour lui propo- térêt. Au lieu de soutenir des in-
mondiale. Très bon élève, il prend de construire une aréna de vrir des paysages et des intérieurs que un bassin industriel du ser le logement. Quitter Dunker- vestisseurs privés, comme le ré-
« l’ascenseur républicain », selon 10 000 places, pour un coût de qui serviront de décor, lui fait XXIe siècle, en misant sur une in- que « n’était pas un choix simple », clament les promoteurs, Patrice
ses propres mots : prépa scientifi- 250 millions d’euros, dans une aussi rencontrer des syndicalistes dustrie décarbonée. confie l’édile, qui n’est pas, dit-il, Vergriete veut soutenir les inves-
que au lycée Louis-le-Grand, à Pa- ville qui manque cruellement de de la région. Eric Benzekri tourne Lorsque Renault choisit Douai « un jacobin dans l’âme. En plus, tisseurs institutionnels, notam-
ris, Polytechnique, Ecole natio- logements sociaux. « Je ne peux plusieurs scènes dans la mairie, pour fabriquer sa nouvelle berline entre président d’une commu- ment les bailleurs sociaux. « Il met
nale des ponts et chaussées. A pas voter ça », prévient son ad- Patrice Vergriete déjeune à la can- électrique, en 2018, alors que Dun- nauté urbaine et ministre, il n’y a l’accent tonique sur la nécessité
Dunkerque, chaque week-end, sa joint, avant de s’abstenir. Il sera, tine du tournage avec Kad Merad kerque était sur les rangs, le maire pas forcément un saut important ». d’accompagner le monde HLM »,
mère lui prépare ses paniers-repas en guise de sanction, « privé de et les autres comédiens, mais re- comprend qu’« il ne suffit pas d’être Il accepte néanmoins, car « l’expé- résume ainsi M. Béchu.
pour la semaine, le basket lui mariages ». La guerre est déclarée. fuse de tenir un rôle de figurant les meilleurs », et que l’aide de l’Etat rience » le tente. Le logement, un Alors qu’il prépare une loi sur le
donne le sens du collectif. En mai 2013, Patrice Vergriete dé- sur un marché. Il ne veut pas, dit-il, va lui être nécessaire. Il convainc le secteur qu’il connaît bien, « n’était logement pour 2024, le ministre
Militant socialiste dès l’âge de missionne de son poste d’adjoint, « mélanger les genres ». Le maire et chef de l’Etat de soutenir Dunker- pas neutre dans le choix ». Patrice s’agace de lire et d’entendre qu’il
25 ans, il intègre, au début des an- quitte le PS et bâtit une « majorité le scénariste échangent sur le PS que. « On s’est retrouvés en conver- Vergriete conserve toutefois le n’y aurait « rien » à l’agenda du
nées Jospin (1997-2002), le cabinet de projet » composée de transfu- des années 1990, celui de leur jeu- gence de vues », dit-il. L’interven- contrôle sur sa ville : son premier gouvernement après l’adoption
de Martine Aubry, alors ministre ges de gauche, de droite, du centre nesse, sujet de la première saison. tion du président de la République adjoint garde la place, et le minis- du projet de loi sur l’immigration.
de l’emploi et de la solidarité, puis et de la société civile. Lors des mu- sera décisive pour convaincre le tre préside toujours la commu- « Les étrangers en situation irrégu-
de Claude Bartolone, ministre dé- nicipales de 2014, à la surprise gé- Sans casseroles taïwanais ProLogium d’installer nauté urbaine et le pôle métropo- lière, c’est sans doute très impor-
légué à la ville. Sa grande taille, nérale, la « liste de rassemblement Dans la série, le personnage de son usine de batteries pour voitu- litain de la Côte d’Opale. tant, mais que des millions de per-
2,02 mètres, n’est guère adaptée républicain pour Dunkerque en Philippe Rickwaert, influent res électriques sur le port de Dun- Au ministère du logement, de- sonnes soient obligées de se lever à
aux hôtels particuliers du mouvement » bat la liste du maire conseiller de l’ombre du président kerque. Au total, l’Etat s’est engagé puis quatre mois, Patrice Vergriete 5 heures du matin pour aller à leur
XVIIIe siècle où sont installés les sortant de trente points au second de la République, a rappelé aux so- à verser une subvention de 1,5 mil- « est entré à bras-le-corps dans le travail parce qu’on les a envoyés à
ministères. « Il était obligé de faire tour. Les deux hommes ne se ré- cialistes, dès la saison 1, la figure de liard d’euros à cette entreprise sujet, loue son ministre de tutelle, la périphérie des villes, ce n’est pas
une révérence en entrant dans concilieront jamais. « En politique, Julien Dray, ex-conseiller de Fran- pour la convaincre de s’installer M. Béchu. Il ne parle pas du loge- important ?, s’énerve-t-il. J’ai
mon bureau, car il ne passait pas la on reconnaît son héritier seule- çois Hollande, aux côtés duquel sur le sol français. « Sans ça, ProLo- ment de manière théorique, mais 1 600 migrants à Dunkerque, je les
porte », s’esclaffe M. Bartolone. ment quand il s’impose », philoso- Eric Benzekri a travaillé. « Le Baron gium partait pour les Etats-Unis », en praticien ». Il doit annoncer, “gère”. Ce qui me paraît plus impor-
Plus sérieusement, c’est Patrice phe l’un des personnages de Ba- noir, c’est moi ! », a proclamé Julien estime Patrice Vergriete. vendredi 1er décembre, « un grand tant, c’est que les gens ne soient pas
Vergriete qui, au sein du cabinet, ron noir, la série diffusée sur Ca- Dray, bien avant Patrice Vergriete. Les deux hommes, dès lors, se plan étudiant », un sujet qui le tou- étranglés par leur rythme de vie et
« met en place » le très contro- nal+ entre février 2016 et fé- « Dray est en grande partie le per- rapprochent. Réélu à Dunkerque che « à titre personnel ». « Mais leur pouvoir d’achat. » D’ailleurs,
versé article 55 de la loi solidarité vrier 2020. Dunkerque et Patrice sonnage de Rickwaert, convient le face au Rassemblement national vous ne pouvez pas imaginer la dif- sa mère, à Dunkerque, lui parle
ministre. Mais j’aime ce person- en 2020, Patrice Vergriete apporte ficulté qu’il y a à débloquer du fon- « de ses régulations de charges, pas
nage, ses convictions sociales. » Il son soutien à M. Macron en 2022. cier » pour construire, confie-t-il. des migrants », observe-t-il.
Un délégué interministériel garde chez lui, à Malo-les-Bains, un Dans la foulée de l’élection prési- En commission au Sénat, il a sur- Discret ministre de gauche dans
quartier de Dunkerque, un objet dentielle, le quotidien régional La pris son auditoire, début novem- un gouvernement dominé par la
pour le logement étudiant en bois sur lequel est gravé le nom bre, en n’assumant pas la fin du droite, Patrice Vergriete ne cher-
Un délégué interministériel chargé du logement étudiant sera de Philippe Rickwaert, un nom soutien à la maison individuelle che pas à « parler dans le poste »,
nommé avant la fin 2023 pour mettre en œuvre le plan de créa- « aussi difficile à prononcer que le prévue dans le budget 2024. « J’ha- comme dirait le chef de l’Etat. « Le
tion de 35 000 nouveaux logements d’ici à la fin du quinquennat, mien », dit-il. Un nom choisi avec
Quitter bite moi-même une maison indivi- rôle d’un ministre, c’est de se battre
en résidence universitaire sociale principalement, ont annoncé soin par M. Benzekri parmi les pa- Dunkerque duelle dans la zone la plus dense de pour ses convictions, dit-il. Et si je
la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, tronymes de la ville. l’agglomération dunkerquoise », a- vois qu’elles sont trahies, je m’en
Sylvie Retailleau, et le ministre délégué chargé du logement, Le cinéaste sourit de ces proces-
« n’était pas un t-il lâché, sous le regard étonné de irai. » Ce que confirme M. Barto-
Patrice Vergriete, vendredi 1er décembre. Les fonciers de l’Etat sus d’identification : « Quand on choix simple ». son directeur de cabinet. « Le pro- lone : « Contrairement à nombre
disponibles pour la construction de logements étudiants, soit tend un miroir à un monde, c’est blème, ce n’est pas la maison indivi- de ses collègues, il n’est pas dépen-
11 200 futures places, devront être mis gratuitement à disposi- normal que beaucoup se re-
Vergriete accepte duelle, explique-t-il au Monde. Ce dant du président » et peut partir
tion des centres régionaux des œuvres scolaires et universitaires connaissent. » Patrice Vergriete néanmoins, car qu’il ne faut plus faire, c’est la mai- « si, à un moment, il ne se sent pas
ou faire l’objet de cessions avec décote aux bailleurs sociaux. Ils « est fils d’ouvrier. En cela, il est le son à 80 kilomètres du travail. Car écouté ». Et retrouver les décors du
seront invités à intégrer au sein de leur production de logements Baron noir », poursuit le cinéaste.
« l’expérience » le résultat, c’est que les plus pau- Baron noir. p
de « droit commun » des logements pour les étudiants. Un Baron noir sans casseroles, le tente vres s’éloignent et deviennent dé- nathalie segaunes
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023 france | 11

Procès Bygmalion : « Le
maître de la campagne,
Inégalités: l’Etat n’est «pas assez au
c’est le candidat » rendez-vous» en Seine-Saint-Denis
L’accusation a requis en appel un an de prison Selon un rapport parlementaire, le département reste le plus sous-doté
avec sursis contre Nicolas Sarkozy pour
dépassement du plafond des dépenses en 2012
en métropole, notamment en matière de santé, de justice et de sécurité

U
n premier rapport a idées reçues, structurellement dé- l’étendre à la fonction publique l’année de licence jusqu’au mas-

S ur le banc des prévenus, un

léger soulagement a ac-
cueilli les réquisitions pro-
noncées, jeudi 30 novembre, par
les avocats généraux Bruno Revel
et Serge Roques, au procès dit
« Bygmalion » devant la cour
d’appel de Paris. Les représen-
tants du ministère public se sont
en effet montrés moins sévères
que leurs homologues de pre-
mière instance, en ne sollicitant
aucune condamnation d’empri-
sonnement ferme. Un an avec
sursis a été demandé contre Nico-
las Sarkozy – condamné à la peine
maximale d’un an ferme en sep-
tembre 2021 – pour dépassement
du plafond des dépenses de sa
campagne présidentielle en 2012.
A l’encontre des neuf autres
prévenus qui avaient fait appel de
leur condamnation, les peines re-
quises vont de dix-huit mois à
quatre ans d’emprisonnement
avec sursis, assorties d’amende
de 10 000 à 30 000 euros. Ces ré-
quisitions ne préfigurent pas
pour autant la décision des
trois juges d’appel, comme cela
avait été le cas en première ins-
tance, où les sanctions pronon-
cées avaient systématiquement
dépassé le quantum demandé
par l’accusation.
Sur le fond du dossier, à savoir
la mise en place d’un système qui
a permis de masquer l’explosion
des dépenses de campagne, les
deux avocats généraux parta-
gent en revanche les conclusions
du jugement rendu par le tribu-
nal correctionnel. « Le plafond a
été dépassé. Ce dépassement a été
accepté. Ce dépassement a été dis-
simulé, a résumé Bruno Revel.
Nous ne soutenons pas que dès le
début, il existait une volonté de
s’affranchir des règles de fonc-
tionnement. Mais à un moment
donné, la décision a été prise de
les jeter aux orties. » Des règles, a-
t-il rappelé, dont les principes
sont « la transparence, la limita-
tion des dépenses au titre de l’éga-
lité entre les candidats » et « la
confiance ».
« Fuite en avant »
Ces 22 millions de dépenses exces-
sives, soit le double du plafond
autorisé, sont le résultat d’une
« fuite en avant », dont l’accusation
Les peines
requises vont
de dix-huit mois
à quatre ans de
prison avec sursis
à l’encontre
des neuf autres
prévenus
Nicolas Sarkozy au sein de l’UMP,
qui, tous deux, affirment ne pas
avoir eu connaissance de la
fraude.
Ils n’accordent pas une once de
crédibilité aux dénégations du
premier, qui, dans ses fonctions
« de supervision des dépenses de la
campagne », a couvert des « factu-
res aberrantes » dans lesquelles le
prix d’un même meeting se re-
trouvait divisé par quatre ou sept
par rapport à son devis initial. Le
constat est encore plus cinglant à
l’égard d’Eric Cesari. « Comme di-
rait Audiard, nier à ce point, c’est
presque avouer ! », a lancé Bruno
Revel. Contre ces deux prévenus,
les avocats généraux requièrent
les peines les plus hautes, qua-
tre ans avec sursis.
Quant à Jérôme Lavrilleux, ex-
directeur adjoint de la campagne
et ex-directeur de cabinet de Jean-
François Copé à l’UMP, le seul de
cette équipe à avoir admis une
part de responsabilité, l’accusa-
tion ne le croit pas non plus quand
il affirme n’avoir « découvert le pot
aux roses » qu’en toute fin de cam-
pagne, à un moment où, selon ses
aveux, il n’aurait eu d’autre choix
que de « tenter de sauver les meu-
bles » en acceptant le maquillage
des factures. « Jérôme Lavrilleux,
c’est Fabrice à Waterloo », un sol-
dat qui, comme dans le roman de
Stendhal La Chartreuse de Parme,
n’aurait vu qu’une part de la
guerre, a ironisé l’avocat général,
convaincu qu’il est au contraire
« l’un des promoteurs de ce sys-
tème de fausse facturation aux cô-
tés de Guillaume Lambert ».
Trois ans d’emprisonnement avec
sursis ont été requis contre lui.
Des condamnations plus légè-
res, de dix-huit mois et deux ans
avec sursis, ont été demandées
été publié, un plan a
été lancé, les années
ont passé, et rien n’a
changé. Ou si peu. La Seine-Saint-
Denis reste le département le plus
pauvre de France hexagonale
(27,6 % de la population, soit
1,6 million de personnes y vit sous
le seuil de pauvreté) et sous-doté
en tout : moins de professeurs, de
policiers, de magistrats, de méde-
cins. Il reste aussi le département
le plus jeune de l’Hexagone (42 %
des résidents ont moins de
30 ans) et l’un des plus dynami-
ques économiquement (un essor
qui profite peu aux habitants),
mais aussi le plus criminogène.
Plus de cinq ans après la publica-
tion d’un rapport d’évaluation de
l’action de l’Etat dans l’exercice de
ses missions régaliennes dans
le 93, un rapport d’information
fait un état des lieux, après le lan-
cement, fin 2019, du plan « L’Etat
plus fort en Seine-Saint-Denis ».
En 2018, les travaux des anciens
députés François Cornut-Gentille
(Les Républicains, Haute-Marne)
et Rodrigue Kokouendo (La Répu-
blique en marche, Seine-et-Marne)
dressaient le portrait d’une « Répu-
blique en échec » et soulignaient la
« faillite » d’un Etat à la fois « inéga-
litaire et inadapté » dans ce dépar-
tement empreint de paradoxes.
En 2023, les députés Christine
Decodts (Renaissance, Nord) et
Stéphane Peu (Nouvelle Union
populaire écologique et sociale,
Seine-Saint-Denis) dénoncent à
leur tour les carences d’une
« école en crise qui peine à tenir la
promesse républicaine », font le
constat d’une « santé fragile dans
le premier désert médical de
France » et d’« une justice dégra-
dée » avec des délais de jugement
« anormalement longs » (sept
mois pour un jugement aux affai-
res familiales par exemple contre
trois en moyenne à Paris). Entre
autres. Avant de formuler vingt-
six propositions.
« Il faut aller plus loin »
« Agir de façon hors norme dans un
département hors norme », avait
annoncé Edouard Philippe, alors
premier ministre, le 31 octo-
bre 2019, lors de la présentation
du plan pour le 93. Composé d’une
batterie de vingt-trois mesures
faillantes dans ce département. »
Si les effectifs de police y ont
augmenté de 5,29 % entre 2018 et
2022 et si les 150 officiers de police
judiciaire sont bien arrivés dans
les commissariats, « le service dé-
partemental de police judiciaire
reste sous-doté, alors que la collec-
tivité connaît le nombre de faits de
délinquance le plus important de
France métropolitaine – 20 par an
pour 1 000 habitants », est-il indi-
qué dans le rapport. Soit 427 actes
de délinquance par jour.
En matière de justice, la situation
s’est aggravée. Entre 2019 et 2022,
le nombre de dossiers reçus par le
parquet de Bobigny est passé de
178 000 à 227 000 par an. Le taux
de réponse pénale y est de 59,3 %
contre 72,9 % à Paris. Dans le do-
maine de la santé, le 93 compte
49,8 généralistes pour 100 000 ha-
bitants contre 83,5 pour la
moyenne nationale. Un quart des
habitants n’a ainsi pas de médecin
traitant. Même pénurie dans les
établissements scolaires : Il n’y a
que 16 médecins scolaires en exer-
cice dans le département alors que
48 postes sont ouverts.
Impossible de mesurer l’impact
de la prime de fidélisation de
10 000 euros à destination des
agents de l’éducation nationale.
« Trop tôt », disent les députés.
Pour autant, ils proposent de
hospitalière. Les parlementaires
appuient sur la nécessité de ren-
dre l’emploi public « beaucoup
plus attractif », notamment en
consacrant « 30 % du contingent
préfectoral de logements sociaux »
aux agents de Seine-Saint-Denis.
« Paillasson du RN »
Situé aux portes de Paris, en plein
essor économique et mutation ur-
banistique (Grand Paris Express,
Jeux olympiques, programmes de
rénovation urbaine), la « boîte à
fantasmes du Rassemblement na-
tional [RN] », comme le nomme
Stéphane Peu, ou le « paillasson du
RN », « n’est pas un boulet pour la
République, c’est un atout », martè-
le-t-il. « Ce département ne veut pas
faire sécession comme le préten-
dent certains, il veut plus de place
dans la République. Il faut mettre le
paquet sur l’éducation. »
Les élèves de 6e du 93 sont les
moins bien classés en mathéma-
tiques et en français de l’Hexa-
gone. Alors que les enfants sont
en difficulté, le rapport note,
comme le précédent, qu’« il y a
trop de contractuels et trop d’en-
seignants jeunes et inexpérimen-
tés ». Pour y remédier, ils propo-
sent de tester un système de for-
mation rémunérée aux étudiants
du département se destinant au
métier d’enseignant allant de
AV EC
ter 2, en échange d’un engage-
ment de dix ans dans le 93.
Reste un mystère à percer : la
baisse de la démographie scolaire.
Alors même que la Seine-Saint-
Denis est en croissance démogra-
phique (la population croit depuis
trois ans d’un peu plus de
9 000 habitants par an), qu’elle est
le département le plus jeune de
France et qu’elle enregistre le plus
fort taux de natalité. Après inves-
tigations, Stéphane Peu reste sans
réponse. « Est-ce une fuite vers le
privé sous contrat ? Non. Vers le
privé hors contrat ? Non plus. Une
augmentation de l’enseignement
à domicile recensé ? Les chiffres ne
bougent pas. » Seule explication
possible, sans aucun moyen de la
vérifier : « La démographie de Pa-
ris, elle, baisse. Est-ce que cela en-
gendre une hausse des contourne-
ments des règles de domiciliation
pour être inscrit dans un établisse-
ment parisien ? », s’interroge-t-il.
Le rapport devrait être prochai-
nement débattu à l’Assemblée na-
tionale avec les principaux minis-
tres concernés – éducation natio-
nale, intérieur, justice, santé. Les
deux députés vont également sol-
liciter un rendez-vous avec la pre-
mière ministre et veulent appeler
à un plan spécifique « Une école
forte en Seine-Saint-Denis ». p
louise couvelaire

VIE PRO, VIE PERSO

rend au premier chef responsable
l’ancien président de la Républi-
que, candidat à sa réélection : « Le
maître de la campagne, c’est le can-
didat. » C’est lui qui « impose à son
équipe » de multiplier les mee-
tings, alors même que deux notes,
en mars et en avril 2012, l’aler-
taient sur le risque, puis sur le dé-
passement du plafond des dépen-
ses. « Après la prise de connais-
sance de ces notes, la bonne foi ne
peut plus être invoquée, a relevé
Bruno Revel. Cette lutte titanesque
de l’élection présidentielle, [Nicolas
Sarkozy] veut la gagner. Que pèse
alors dans la balance cette miséra-
ble contrainte budgétaire ? »
L’accusation date de la mi-
mars 2012, soit juste après la pre-
mière note d’alerte, la décision
prise « par l’équipe motrice de
campagne de franchir le Rubicon »,
en demandant à la société Bygma-
lion et à sa filiale Event & Cie, qui
assuraient les prestations des
meetings, de facturer ceux-ci non
plus comme des dépenses de
campagne présidentielle mais
comme des « conventions théma-
tiques » organisées par l’Union
pour un mouvement populaire
(UMP, devenue Les Républicains).
Au sein de cette « équipe mo-
trice », les avocats généraux ré-
servent un sort particulier à
Guillaume Lambert, ex-directeur
de la campagne, et à Eric Cesari,
considéré comme « les yeux » de
contre l’ex-directrice financière
de l’UMP, Fabienne Liadzé, et l’ex-
responsable de la communica-
tion du parti, Eric Chassat, consi-
dérés par l’accusation comme les
« échelons opérationnels de la
fraude », ainsi que contre Philippe
Blanchetier, ex-trésorier de l’asso-
ciation de financement. L’accusa-
tion s’est aussi montrée plus clé-
mente à l’égard des anciens diri-
geants de Bygmalion et d’Event,
dont les aveux avaient permis de
mettre au jour le système de
fraude. « Ils ont adhéré de mau-
vaise grâce au pacte fraudu-
leux pour être payés », a observé
l’avocat général, en requérant dix-
huit et douze mois d’emprison-
nement avec sursis contre Guy Al-
vès et Franck Attal.
L’enquête a montré que, contrai-
rement aux accusations répétées
de Nicolas Sarkozy se disant vic-
time d’une « escroquerie » de Byg-
malion, les tarifs pratiqués par ces
prestataires étaient conformes
aux prestations fournies et au
prix du marché. « Il est pour le
moins paradoxal de reprocher à
une société privée de gagner de l’ar-
gent », a relevé M. Revel. « Ce sys-
tème a été conçu et mis en œuvre
dans l’intérêt exclusif du candi-
dat », a-t-il ajouté, signifiant que la
mal nommée « affaire Bygma-
lion » est avant tout celle de la
campagne de Nicolas Sarkozy. p
pascale robert-diard
destinées à « accompagner et re-
conquérir » le département pen-
dant les dix prochaines années, il
proposait à certains fonctionnai-
res une prime de fidélisation de ET SI ON S’ÉCOUTAIT ?
10 000 euros après cinq années
passées dans le département, le TÉMOIGNAGES • ATELIERS • COACHINGS
recrutement de 150 policiers, de
magistrats, des contrôles accrus
des logements insalubres, des ré-
novations de commissariats…
UN ÉVÉNEMENT ELLE
« Des progrès ont été faits », in- ANIMÉ PAR JULIA VIGNALI
siste Christine Decodts, mais « il
faut aller plus loin ». L’Etat n’est
avec Marine Lorphelin, Douze Février, Adeline Toniutti,
toujours « pas assez au rendez- Sara Forever, Frédéric Lopez, Julie Pujols, Yseult...
vous », estime Stéphane Peu. « Peu
importe le sujet, peu importe l’an-
gle sous lequel vous le prenez, la Sei- CONCERT LIVE D’HERVÉ
ne-Saint-Denis est toujours en dé-
crochage par rapport au reste du
pays, résume M. Peu. Toutes les po-
litiques dites d’exception sont bon-
nes, mais elles ne compensent ja-
mais les politiques de droit com-
mun qui sont, contrairement aux
« Il y a trop
de contractuels
et trop
d’enseignants
jeunes et
inexpérimentés »,
notent les
parlementaires
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
12 | 0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023

Dans l’industrie, le défi de l’emploi des jeunes

L’Etat veut attirer les arrivants sur le marché du travail, notamment les filles, dans les filières industrielles

L’
usine occupe un hangar
en duplex dans une rue
discrète d’Aubervilliers,
en Seine-Saint-Denis, à
quelques minutes de Paris. Au
centre de l’atelier de 1 500 mètres
carrés, des kiosques « mobiles et
solaires » sont en présentation.
Bienvenue chez PicNic, jeune
start-up française, lancée en
2018 par trois amis trentenaires
qui rêvaient de « créer du lien social
tout en faisant du bien à la pla-
nète », explique Raphaël Brochard,
un des cofondateurs, casquette de
titi sur la tête et sosie goguenard
du comédien Félix Moati.
Autour de lui, une vingtaine
d’étudiants, garçons et filles, de
l’école privée parisienne School of
Impact, qui forme en alternance
après le bac aux métiers du mana-
gement en développement dura-
ble, l’écoutent sagement dérouler
son argumentaire. En ossature
bois et métal recyclé, les kiosques,
de trois tailles différentes, dessi-
nés et fabriqués en France, alimen-
tés par des panneaux solaires,
sont proposés à la vente ou à la lo-
cation à des collectivités locales, à
des commerces ou à des entrepri-
ses pour organiser des événe-
ments éphémères ou offrir des
lieux de vente ou d’accueil. « Ici, on
fait de l’industrie, on maîtrise toute
la chaîne de valeurs, de la concep-
tion à la livraison, le tout en circuit
court et en matière recyclable », ex-
plique Raphaël Brochard, qui an-
nonce fièrement le doublement
du nombre de salariés, de 15 à 30,
en 2024, et une future levée de
fonds pour « viser notre prochaine Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie, auprès de collégiens venus découvrir les métiers de l’industrie, à Paris, le 30 novembre. SÉBASTIEN MUYLAERT
étape, le marché européen ».

« Ça embauche et ça paie bien »
PicNic, comme beaucoup d’autres
start-up créées en France, incarne
une partie de l’industrie moderne,
loin de l’image de l’usine à la Zola,
avec la cheminée qui fume, le bruit
et les cadences infernales. Exacte-
ment l’image du nouveau monde
industriel que le gouvernement
veut montrer à la jeunesse fran-
çaise, à l’occasion de la Semaine de
l’industrie, un événement orga-
nisé du lundi 27 novembre au di-
manche 3 décembre par le minis-
tère de l’économie, avec Bpifrance
comme principal opérateur.
« Dans les dix ans qui viennent, la
réindustrialisation de la France et
la décarbonation de notre industrie
vont demander la création de
100 000 emplois par an, soit 1 mil-
lion de personnes en tout. Il faut ab-
solument que la jeunesse se tourne
vers ces métiers », explique Roland
Lescure, le ministre délégué
chargé de l’industrie, qui a passé la
journée du 30 novembre à déam-
buler parmi la cinquantaine de
stands d’entreprises (dont les
grands groupes EDF, Siemens,
Dassault Systèmes ou RATP) ins-
tallés au ministère pour faire dé-
couvrir leurs activités à 1 500 collé-
giens et lycéens d’Ile-de-France.
« Il faut changer l’image de l’in-
dustrie auprès des jeunes pour
qu’ils comprennent que l’industrie,
ça décarbone, ça embauche et ça
paie bien », résume Roland Les-
cure. Pour y parvenir, le gouverne-
ment multiplie les annonces. La
loi sur l’industrie verte, promul-
guée en octobre, prévoit l’aug-
mentation de 22 % des places dans
les écoles d’ingénieurs des Mines-
Télécom, avec « 2 300 élèves sup-
plémentaires à l’horizon 2027 ».
Le volet économique du « plan
mixité sociale », présenté le 28 no-
vembre, veut mettre l’accent sur
les quartiers prioritaires de la poli-
tique de la ville (QPPV) : un appel à
projets a été lancé pour financer
dix nouvelles « écoles de produc-
Le secteur
souffre auprès
de la jeunesse
d’une mauvaise
image, liée à son
utilisation des
énergies fossiles
tion » en 2024, s’ajoutant aux
56 existantes, avec une attention
particulière pour en ouvrir dans
des QPPV. Ces écoles sont des éta-
blissements d’enseignement tech-
nique, basé sur l’apprentissage,
pour des jeunes de 15 à 18 ans, en
lien direct avec le bassin industriel
où elles sont implantées.
Enfin, l’exécutif a décidé de met-
tre en place, dès le mois de juin,
deux semaines de stage obliga-
toire en entreprise en classe de 2de,
en plus de la semaine d’observa-
tion déjà organisée en 3e. Un rap-
prochement entre les mondes
scolaire et économique souhaité
par de nombreux industriels.
« Combien de Français ont visité
une usine pendant leur scolarité ?,
demande Benoît Lemaignan, le
cofondateur et président de Ver-
kor, le fabricant de batteries élec-
triques qui vient de lever 2 mil-
liards d’euros de fonds pour instal-
ler une gigafactory à Dunkerque
(Nord). Si on veut que les jeunes
soient attirés par les métiers de l’in-
dustrie, il faut d’abord qu’ils les
connaissent, et pour cela il faut
ouvrir les usines aux élèves. »
« Tous responsables »
La désindustrialisation profonde
du pays durant les quarante der-
nières années a fait disparaître des
pans entiers de savoir-faire dans
de nombreuses filières, qu’il faut
reconstruire. « La nouvelle généra-
tion ne connaît pas grand-chose au
monde de l’industrie, et nous en
sommes tous responsables », es-
time Martine Assar, responsable
de l’observatoire des métiers de
l’Institut Mines-Télécom.
L’ambition est majeure, alors
que 60 000 postes sont vacants
dans les métiers industriels
en 2023 et que seulement 50 % des
besoins actuels de recrutements
sont satisfaits. Ingénieurs, techni-
ciens, opérateurs… toutes les
spécialités sont touchées. Avec un
déficit cruel de femmes, qui ne
représentent que 30 % des sala-
riés. Une note publiée en
juillet par La Fabrique de l’indus-
trie, un think tank proche du pa-
tronat, indique qu’un jeune sur
deux formé aux métiers de l’in-
dustrie n’y travaille pas à l’issue de
sa formation. Une « évaporation »
de la main-d’œuvre, qui s’expli-
querait par une orientation par dé-
faut de ces élèves, sans motivation
réelle, et par une déconnexion en-
tre la formation dispensée et les
besoins du bassin d’emploi direct.
Mais l’industrie souffre aussi
auprès de la jeunesse d’une mau-
vaise image, liée à son utilisation
des énergies fossiles. Les attentes
des nouvelles générations en ma-
tière de transition écologique obli-
gent les industriels à investir dans
la décarbonation de leurs activités
pour attirer des diplômés. « Bien
sûr qu’on est “challengé” par les
nouveaux candidats lors des recru-
tements sur notre RSE [responsabi-
lité sociale des entreprises] », re-
connaît François Petry, le direc-
teur général de Lafarge France. Des
usines du cimentier font partie
des cinquante sites les plus émet-
teurs de CO2 identifiés par le gou-
vernement dans sa stratégie na-
tionale bas carbone. « Aux jeunes
talents qui hésitent à nous rejoin-
dre, on dit que la décarbonation ne
pourra pas se faire sans nous et
qu’on a besoin d’eux pour nous
aider à développer les nouvelles
pratiques », explique l’industriel. p
bastien bonnefous

Pétrole : l’OPEP et ses alliés veulent maintenir la pression sur les prix
L’Arabie saoudite et la Russie, notamment, ont décidé de continuer de réduire leur production. Le Brésil, lui, a été invité à rejoindre le cartel

Q uatre jours auront été

nécessaires pour passer
outre aux dissensions,
du moins en public.
Après le report de la réunion du
dimanche 26 novembre, les
membres de l’Organisation des
pays exportateurs de pétrole
(OPEP), Arabie saoudite en tête, et
leurs alliés, en particulier la Rus-
sie, se sont finalement donné ren-
dez-vous, jeudi 30 novembre.
De cette réunion ministérielle
en visioconférence, il ressort que
l’alliance informelle, dite
« OPEP+ », conserve le même cap.
Pour maintenir sous tension les
prix de l’or noir et garantir ses re-
venus, elle entend continuer à
restreindre une partie de sa pro-
duction pétrolière. Cette fois, au
moins jusqu’à la fin de mars 2024.
L’Arabie saoudite retire ainsi du
marché, depuis juillet, 1 million
de barils par jour et prolongera
cette mesure au premier trimes-
tre de 2024. La Russie prévoit dé-
sormais 500 000 barils en moins
à compter du 1er janvier, et non
plus 300 000, comme c’est le cas
aujourd’hui. Dans une moindre
mesure, d’autres pays annoncent
des efforts supplémentaires (Irak,
Emirats arabes unis, Koweït, Ka-
zakhstan, Algérie et Oman). De
quoi porter, selon le cartel, les ob-
jectifs de coupes à environ 2,2 mil-
lions de barils quotidiens.
Les déclarations sont loin de pro-
voquer l’effet escompté sur le mar-
ché. Au lieu de repartir à la hausse,
les prix du brut se sont plutôt
contractés, le 30 novembre à la
clôture. Soit une baisse de 0,32 %
pour le brent de mer du Nord : le
baril a fini la journée à près de
83 dollars (76 euros) pour une li-
vraison en janvier. Et un repli de
2,44 % pour la référence améri-
caine, le West Texas Intermediate,
à près de 76 dollars (70 euros).
Quête d’influence
Cette réaction peut s’expliquer en
partie par la relative désunion du
cartel. « Le groupe n’est pas par-
venu à s’entendre sur une stratégie
à l’unanimité et a dû s’en remettre
à des réductions volontaires unila-
térales », souligne Jorge Leon, ana-
lyste pour le cabinet norvégien
Rystad Energy.
Parmi les treize Etats membres
de l’OPEP et leurs dix alliés, cer-
tains ont préféré se tenir à l’écart
des coupes, notamment l’Angola
et le Nigeria, selon l’Agence France-
Presse. « Chaque pays voudrait que
les autres réduisent leur production
sans avoir à réduire la sienne », ré-
sume Giacomo Luciani, conseiller
scientifique à l’Ecole d’affaires in-
ternationales de Sciences Po Paris.
D’où des intérêts parfois « diver-
gents », rappelle-t-il, et des discus-
sions compliquées.
« Les gouvernements ont besoin
de maximiser leurs revenus, à
l’heure où certains veulent enga-
ger de nouvelles dépenses, notam-
ment dans l’armement », rappelle
Marc-Antoine Eyl-Mazzega, direc-
teur du Centre énergie et climat
de l’Institut français des relations
internationales. Ce qui implique
de préserver un certain équilibre :
s’ils annonçaient des objectifs de
coupe encore plus substantiels,
« ils prendraient le risque de perdre
des parts de marché », observe-t-il.
L’entité issue du rapprochement
entre l’OPEP historique, fondée
en 1960, et ses récents alliés (de-
puis 2016) pèse encore lourd. Elle
représente plus de la moitié de la
production mondiale, soit envi-
ron 55 %, sur un total de près de
94 millions de barils par jour
en 2022, selon l’organisme britan-
nique Energy Institute.
En quête d’influence, le club se
tient prêt à coopérer avec un
vingt-quatrième pays, dès jan-
vier 2024 : le Brésil. Le ministre
brésilien des mines et de l’énergie,
Alexandre Silveira, a déjà pris part
à la réunion de jeudi, le même
jour – au risque du paradoxe – que
l’ouverture de la COP28, aux Emi-
rats arabes unis. Le président Lula
fait partie de la délégation atten-
due à cette conférence mondiale
sur le climat, où les débats portent
justement sur les énergies fossiles
(pétrole, charbon et gaz) et leur
responsabilité dans le réchauffe-
ment de la planète.
Le Brésil est l’un des pays dont la
production pétrolière croît le
plus, note, dans un rapport de no-
vembre, l’Agence internationale
de l’énergie. Sur le podium se
trouvent aussi les Etats-Unis,
dont l’extraction a atteint son ni-
veau record en octobre (13,2 mil-
lions de barils par jour, d’après
l’Agence américaine de l’énergie),
avec le but de contrecarrer les
baisses de l’OPEP et de ses alliés, et
donc satisfaire la demande des
automobilistes américains. p
adrien pécout
 IL Y A DES
Collectif Mentorat, Association loi 1901 dont le siège social est 29 boulevard Bourdon, 75004 Paris, immatriculée sous le numéro SIREN 897 939 393.

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jeunes dans leur parcours et faire émerger une société plus inclusive.

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14 | économie & entreprise
P O U V O I R D ’A C H AT
Europe : l’hyperinflation à un tournant
Avec + 2,4 % en novembre, la hausse des prix historique est en train de refluer. Mais les dégâts sont durables
berlin, bruxelles, londres,
rome - correspondants
B
ientôt la fin du choc
inflationniste ? En
Europe, le ralentis-
sement de la hausse
des prix se con-
firme, en tout cas.
En novembre, selon les données
publiées par Eurostat jeudi 30 no-
vembre, l’inflation sur un an était
de 2,4 % en zone euro et de 3,8 %
en France. C’est loin, très loin du
pic connu un an plus tôt, quand
elle avait culminé respectivement
à 10,6 % et 7,1 %. Mais, faut-il le pré-
ciser, pas grand monde ne va célé-
brer cette nouvelle : les prix ne
baissent pas, ils ont simplement
cessé d’augmenter aussi vite
qu’avant. Sur trois ans, l’inflation
en zone euro a été de 18 % et les sa-
laires n’ont pas suivi. En moyenne,
chacun est aujourd’hui plus pau-
vre qu’à la sortie de la pandémie.
« Ça a été le pire choc sur le ni-
veau de vie depuis les années 1970
en Europe », résume Erik Nielsen,
conseiller économique à UniCre-
dit, une banque italienne. « Il y a
un an, les salaires réels [corrigés
de l’inflation] étaient en recul de
7,7 %, rappelle Anna Titareva, éco-
nomiste à UBS, une banque
suisse. C’était du jamais-vu dans
l’histoire de la zone euro. Aupara-
vant, la plus forte baisse avait été
autour de 1,2 % en 2011, pendant la
crise de la zone euro. »
Si le choc commence à se résor-
ber, ses conséquences vont donc
se ressentir sur le long terme. La
façon de consommer a profondé-
ment changé : les Européens
achètent moins, sont passés des
marques connues aux marques
de distributeurs, et vont plus sou-
vent faire leurs courses dans les
hard-discounters. Les Allemands
ont même réduit leur consom-
mation de saucisses et les Italiens
celle de vin. Rien n’est sacré…
L’inflation
est-elle finie ?
Le recul de l’inflation en novem-
bre a surpris les économistes, qui
ne s’attendaient pas une baisse
aussi prononcée. Non seulement
celle-ci est passée de 2,9 % en oc-
tobre à 2,4 % en novembre en
zone euro, mais l’inflation dite
« sous-jacente » (hors alimentaire
et énergie, qui sont plus volatils) a
également fortement marqué le
pas, de 4,2 % à 3,6 %. Dans toute
une série de pays, les prix sont dé-
sormais presque stagnants. Ils
progressent de 0,7 % en Italie,
0,8 % en Finlande, 1,4 % aux Pays-
Bas… En Belgique, ils sont même
légèrement négatifs, à − 0,7 %. En
France, ils augmentent de 3,8 % (il
s’agit des données harmonisées
européennes, tandis que l’infla-
tion calculée par l’Insee est légè-
rement plus basse, à 3,4 %).
« Le pire de l’inflation est sans
doute passé », estime Gilles Moëc,
économiste en chef à Axa. Tous
les facteurs qui ont nourri la
flambée des prix semblent en ef-
fet aller dans le bon sens. En Eu-
rope, le principal choc était venu
de l’énergie, avec la multiplica-
tion par quinze des prix du gaz
pendant l’été 2022, qui s’est en-
suite répandue progressivement
dans toute l’économie. « Sur le
fond, le problème énergétique
n’est pas résolu, mais l’Europe s’est
mise à l’abri pour l’instant, conti-
nue M. Moëc. L’Allemagne a ins-
tallé un terminal d’importation de
gaz naturel liquéfié, l’Italie a passé
un accord d’approvisionnement
avec l’Algérie… L’hiver sera un peu
plus confortable que l’an dernier. »
Autre facteur d’amélioration :
les chaînes logistiques, qui étaient
Un magasin Costco, géant américain de la distribution, à Pontault-Combault (Seine-et-Marne) en avril. SIMON LAMBERT/DIVERGENCE
complètement enrayées à la sortie
de la pandémie, sont pratique-
ment revenues à la normale. Le si-
gne le plus clair de cette améliora-
tion vient des délais de livraison,
qui sont revenus à leur moyenne
de long terme.
Troisième facteur encourageant,
« l’inflation domestique semble
sous contrôle », termine M. Moëc.
Les chocs exogènes venant de
l’énergie et des chaînes logistiques
ne semblent pas avoir provoqué
un effet boule de neige. La fa-
meuse boucle prix-salaires (les
prix augmentent, ce qui amène
les salariés à demander une
hausse des rémunérations, ce qui
oblige les entreprises à augmenter
leurs prix…), qui avait sévi dans les
années 1970, n’est pas apparue.
La Banque centrale européenne,
dont le mandat est de maintenir
l’inflation autour de 2 %, demeure
prudente mais va dans le même
sens optimiste. « Nous pensons
que l’affaiblissement des pressions
inflationnistes va continuer », ex-
pliquait le 27 novembre Christine
Lagarde, sa présidente.
Perte historique
du pouvoir d’achat
Reste que ce retour au calme des
prix n’est absolument pas une
évidence dans la vie quotidienne.
Ne dites pas à Julien, 27 ans, ven-
deur dans une boutique de par-
fums et cosmétiques Sephora,
que l’inflation, c’est fini. « Moi je
ressens tout l’inverse ! Au niveau
de mes factures, ça a explosé ! »
Employé depuis quatre ans dans
un magasin du centre de Paris, il
est déjà contraint de vivre à Man-
tes-la-Jolie (Yvelines), une heure
de transport matin et soir, faute
de pouvoir louer un appartement
dans la capitale. « Il y a trois mois,
le loyer de mon 37 mètres carrés
est passé de 600 à 650 euros men-
suels. Mon passe Navigo a pris
9 euros par mois en janvier ! Et le
pire, c’est l’électricité : je suis chez
Engie, avec la fin du bouclier tari-
faire, ma facture est passée de 57 à
97 euros ! C’est énorme ! »
Ce sentiment d’appauvrisse-
ment est généralisé à travers l’Eu-
rope, et corroboré par les statisti-
ques. Fin 2022, au pire du pic in-
flationniste, les économistes ont
eu du mal à croire les résultats de
leurs tableaux Excel. Selon les cal-
culs d’UBS, les salaires réels
étaient en baisse de 13 % en Espa-
gne, de 11 % en Italie, de 9 % en Al-
lemagne. Du jamais-vu dans l’his-
toire de ces dernières décennies,
alors que le recul atteint rare-
ment plus de 1 % en cas de grave
crise. « En France, on a connu une
chute de 3,2 % entre le premier tri-
mestre 2021 et le troisième trimes-
tre 2023, souligne M. Moëc. Il n’y a
pas eu de précédent depuis la créa-
tion de cette série statistique sur
les salaires en 1990. Une baisse
réelle, c’est vraiment très rare. »
Pour Julien, dont le salaire net
mensuel est de 1 390 euros, soit
7 euros de plus que le smic, cela si-
gnifie de très sérieuses difficultés
pour s’en sortir. « Je dépense
1 100 euros en factures par mois, il
me reste 200 euros pour vivre. A
27 ans, je dois demander à mes pa-
rents de m’aider pour la nourri-
ture ! » Alors qu’en cette froide se-
maine de fin novembre, le ther-
momètre affiche 5 degrés, lui n’a
toujours pas allumé le chauffage.
« J’ai racheté une couverture, une
bouillotte, je repousse au maxi-
mum, je rogne sur tout ». Il a résilié
ses abonnements aux plates-for-
mes Disney+ et Amazon Prime,
« Même ça, ça a augmenté ! », et ré-
duit celui de Netflix à la formule la
moins chère : un écran, qualité
standard. « C’est pour garder un
peu de divertissement. »
L’Italie, où les salaires sont sta-
gnants de longue date, a été parti-
culièrement touchée. « Depuis
août 2021, les salaires italiens ont
perdu environ 15 % de leur pouvoir
d’achat et les baisses d’impôts in-
troduites ces dernières années
n’ont récupéré que partiellement
ces pertes et pour un nombre li-
mité de citoyens, explique Tito
Boeri, professeur à l’université
Bocconi de Milan. Les failles des
négociations collectives et le pou-
voir de marché excessif des em-
ployeurs dans de nombreuses en-
treprises jouent un rôle à cet
égard, ainsi que la multiplication
des contrats précaires en l’absence
de salaire minimum. »
Face à la crise, les gouverne-
ments sont cependant intervenus
massivement. La France a établi
un bouclier tarifaire, et la grande
EN EUROPE,
LA PART DE MARCHÉ
DES HARD-
DISCOUNTERS (ALDI,
LIDL…) EST PASSÉE
DE 17,6 % AVANT
LA PANDÉMIE À 19,1 %
AUJOURD’HUI
majorité des pays ont soutenu
d’une manière ou d’une autre les
factures énergétiques. Le revenu
disponible des ménages (qui com-
prend aussi les impôts, les aides
sociales…) a donc chuté moins
violemment que les salaires. Se-
lon UBS, il est en hausse de 2 % par
rapport à 2019, avant la pandémie,
en zone euro ; mais il demeure en
recul de 2,3 % et de 3,9 % en Alle-
magne et en Italie. En France, il est
en hausse de 2,5 %.
Une consommation
bouleversée
Impossible dans ces conditions
de ne pas adapter profondément
sa consommation. En Allemagne,
une information a suscité beau-
coup de commentaires : la con-
sommation de saucisses décline.
Plus précisément, les achats de
viande, en particulier de porc, ont
fortement baissé en 2022, passant
à 52,2 kilogrammes par habitant,
soit 8,1 % de moins que l’année
précédente, un plus-bas histori-
que depuis 1989. Plus qu’une
prise de conscience environne-
mentale, il s’agirait plutôt de l’ef-
fet de la forte inflation. Cette ana-
lyse se renforce si on observe les
achats de produits bio, en baisse
de 3,5 % en 2022 : les ventes se sont
surtout effondrées dans les maga-
sins spécialisés (− 18 %), alors
qu’elles ont progressé chez les dis-
counters (+ 3,2 %), qui écoulent
davantage de viande bon marché.
Ce recul se confirme dans toute
l’Europe. En France, l’Insee parle
d’une « baisse inédite de la con-
sommation alimentaire », avec un
recul d’un peu plus de 3 % par rap-
port à 2019. « Les volumes de ven-
tes déclinent dans toutes les caté-
gories à travers l’Europe », expli-
que Anton Delbarre, économiste
pour Eurocommerce, l’organisme
représentant les commerces euro-
péens. Si la croissance de la con-
sommation de la décennie 2010
avait continué au même rythme,
les volumes seraient aujourd’hui
6 % plus élevés, dit-il.
Au-delà de se serrer la ceinture,
les consommateurs se sont adap-
tés de deux grandes façons, ajou-
te-t-il : « Ils sont passés aux mar-
ques propres des distributeurs, et
ils ont changé d’enseigne, notam-
ment vers les hard-discounters. »
La part de marché des hard-dis-
counters (Aldi, Lidl…) en Europe
est passée de 17,6 % avant la pan-
démie à 19,1 % aujourd’hui. En
Italie, « la tendance est à la pru-
dence, à la parcimonie et à la so-
briété », confirme Albino Russo,
directeur du bureau d’études de
Coop, réseau de coopérative
comprenant un réseau de dé-
taillants allant de la supérette à
l’hypermarché. « Ce n’est pas la
première fois qu’on observe des
ajustements face aux crises mais
celui-ci est d’une rigueur inédite. »
D’après l’édition 2023 du rap-
port annuel Coop, les Italiens sont
ainsi plus nombreux à renoncer
durablement à des acquisitions
de voiture ou de logements. Le
nombre de ventes de smartpho-
nes a chuté de 1,3 million d’unités
par rapport à l’année précédente.
Les consommateurs abandon-
nent aussi certaines habitudes
alimentaires, l’étude relevant une
diminution de la consommation
de snacks, de vin et même de
fruits. « L’Italie était le pays euro-
péen le plus attaché à ses marques.
Désormais, les marques de distri-
buteurs enregistrent des records de
mois en mois, représentant près de
30 % de la dépense et de 40 % des
ventes », ajoute M. Russo. Les en-
seignes discount sont passées de
18,9 % de parts de marché en 2019
à 23 % au premier semestre 2023.
« Nous pensons que ces change-
ments seront durables, précise
Christel Delberghe, la directrice
d’EuroCommerce. Comme la pan-
démie a développé l’e-commerce,
l’inflation a fait basculer les clients
vers les marques propres, et ils n’en
reviendront pas. »
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023
Le choc économique provoqué
par l’inflation ne ressemble pas
aux crises de ces dernières décen-
nies. Cette fois-ci, contrairement à
la crise financière de 2008 ou à
celle de la zone euro de 2010-2015,
le chômage n’a pas explosé. La
flambée des prix est un phéno-
mène exogène, qui a touché tout
le monde, des ménages les plus
pauvres aux plus aisés (même si
les premiers en subissent les con-
séquences de façon plus violente).
Cela se concrétise par une crois-
sance économique atone, mais
pas par une forte récession. « On a
subi un choc extérieur, et tout le
monde est plus pauvre, explique
M. Nielsen, d’Unicredit. La seule
question est de savoir comment se
répartit cet appauvrissement. Pour
l’instant, les salariés ont été ceux
qui en ont le plus subi les consé-
quences. » Les marges des entre-
prises, en revanche, ont tenu.
Des salaires
en progression
Cet équilibre semble être en train
de changer. En particulier, les sa-
laires ont commencé à augmen-
ter. En octobre, les courbes de l’in-
flation (à la baisse) et des salaires
(à la hausse) se sont enfin croisées
en zone euro. Le pouvoir d’achat
ne recule plus. En zone euro, les
salaires nominaux progressent
désormais de plus de 4 %.
Même chose en Allemagne : au
troisième trimestre 2023, les salai-
res réels ont progressé de 0,6 %
par rapport au trimestre précé-
dent, avec une progression impor-
tante des salaires nominaux de
6,3 %. « Les pertes de salaire réel su-
bies entre 2020 et 2022 pourraient
être rattrapées en 2024, estime Do-
minik Groll, économiste à l’Insti-
tut de Kiel. Mais le retour à la ten-
dance d’avant-crise, c’est-à-dire les
niveaux de salaires qu’on aurait pu
attendre sans la pandémie et sans
la crise énergétique, est encore une
perspective lointaine. »
Dans certains pays, la situation
est plus positive. En Belgique, les
revenus ont été beaucoup mieux
protégés que ceux de leurs voisins
grâce au système d’indexation
automatique des salaires, qui con-
cerne aussi les retraites et les in-
demnités de chômage : en 2023,
ces revenus ont tous augmenté de
12 %. « Cela a très clairement limité
les conséquences sociales de cette
poussée inflationniste, et la grogne
qui pouvait en découler », analyse
Charlotte de Montpellier, macro-
économiste chez ING.
Mais pour les salariés, il faudra
longtemps avant de se sentir plus
riche, comme le montre l’expé-
rience de Rachel, 40 ans, cuisi-
nière pour Sodexo dans un inter-
nat des Yvelines, et mère seule de
trois enfants à Trappes (Yvelines).
Elle est persuadée que depuis
deux ans son salaire « n’a pas
bougé » : « Ça me fait toujours 1 700
nets environ. » Pourtant, d’après le
résultat des négociations annuel-
les obligatoires de son entreprise,
il a augmenté à deux reprises : une
fois de 4 %, une fois de 5 % − soit
entre 54 et 73 euros net de diffé-
rence par mois. Elle s’étonne :
« Vraiment ? Alors, on ne les a pas
sentis du tout ! Faut voir aussi tout
ce qui a augmenté dans les prélève-
ments automatiques : la mutuelle,
nos deux passes Navigo à ma fille
et moi, l’électricité, et les courses ! »
Il faut encore longtemps avant
que les ménages retrouvent un
sentiment d’amélioration. Selon
Unicredit, les salaires devraient re-
venir à leur niveau prépandémie
d’ici à fin 2025 au mieux. p
éric albert, cécile boutelet,
allan kaval, aline leclerc
et jean-pierre stroobants
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023
L’inflation ralentit…
Evolution mensuelle de l’inflation
en %
12
10
8 0
Zone euro
6 –2
4 France
2 –6
0 100
2021 2022
Infographie : Le Monde Sources : Eurostat ; EuroCommerce ; UBS
En France,
la mobilisation
pour les salaires
a été intense
En dépit de la revalorisation
du smic, les travailleurs ont subi
le choc du décalage entre prix et
rémunérations pendant deux ans
J
e travaille toute la nuit, je tra-
vaille toute la journée, pour
payer les factures à régler.
N’est-ce pas triste ? Et pour-
tant, on dirait qu’il ne me
reste jamais un seul centime. Quel
dommage ! » On n’avait jamais
vraiment prêté attention aux pa-
roles de la célèbre chanson
d’Abba, Money, Money, Money,
avant de l’entendre dans la vidéo
YouTube du syndicat CFTC de
Leroy Merlin pour défendre les
revendications de salaire avant
les négociations annuelles obli-
gatoires (NAO). Les images ? Une
courbe de l’inflation, un chariot
En Europe centrale, un choc majeur pour les populations
La Hongrie en particulier a connu la pire hausse des prix de l’UE. Les revalorisations de salaires ont toutefois contenu la grogne des citoyens
vienne - correspondant régional
L e pain, le fromage, les
fruits… » La liste des pro-
duits dont le prix a le plus
augmenté ces dernières années en
Hongrie, dressée spontanément
par Gabriella Balint, professeure
d’anglais et guide touristique de
51 ans habitant à Budapest, est élo-
quente : il s’agit avant tout de den-
rées de base de l’alimentation des
Hongrois. « Et pour les gens des
campagnes, c’est encore plus diffi-
cile », estime cette citadine, qui
constate que même le petit restau-
rant de quartier de sa mère a fait
exploser les prix : son menu du
midi est passé de 1 900 forints
(5 euros) à 2 800 forints.
Ces deux dernières années, la
Hongrie a connu la pire inflation
de toute l’Union européenne,
avec une hausse des prix cumu-
lée de plus de 33 %. Début novem-
bre, le gouvernement du nationa-
liste Viktor Orban a toutefois pu
enfin célébrer le passage du très
symbolique taux annuel sous les
10 %, avec 9,9 % de hausse enre-
… mais les prix ne baissent pas…
Evolution mensuelle des prix
indice base 100 en 2015
125
120
Zone euro
115
3,8
110
105
2,4
en novembre
2023 2021
vide, une pompe à essence, un
chauffage à zéro…
« Ce sont des indicateurs qu’on
ne regardait pas avant, mais
l’inflation a complètement trans-
formé notre façon de négocier.
Quand j’ai un salarié qui me dit
qu’il met 300 euros d’essence pour
aller bosser, faut trouver des
solutions ! On demande des taux
qu’on n’aurait jamais demandés
auparavant », témoigne Jean-
Marc Cicuto, délégué syndical
central CFTC au sein de l’ensei-
gne de bricolage.
En se mettant en grève pour la
première fois de leur histoire, en
gistrée en octobre. « Je suis heu-
reux qu’on puisse tenir l’engage-
ment qu’on avait pris de faire pas-
ser l’inflation sous la barre des
deux chiffres », s’est réjoui le 9 no-
vembre Gergely Gulyas, chef de
cabinet de M. Orban, alors que
l’inflation annuelle atteignait en-
core les 25 % début 2023.
Effets statistiques mécaniques
Les biens alimentaires ont connu
une hausse supérieure à 60 % en
deux ans, avec des pics encore plus
élevés pour des produits comme
les œufs ou la farine. Cette hausse
des prix s’est traduite par un choc
de niveau de vie profond pour les
plus pauvres des Hongrois. Ces
derniers se sont mis à acheter en
plus grande quantité, en gros − ce
qui fait baisser les prix unitaires−,
et à se rendre plus fréquemment
dans les commerces pour ne pas
rater les promotions. Déjà pre-
mière chaîne de supermarchés du
pays, le discounter allemand Lidl a
ainsi encore accru ses parts de
marché, en proposant notamment
un très populaire panier « Sau-
123,86
121,27
en novembre
France
2022 2023
novembre 2021, avec trois entre-
pôts logistiques immobilisés
pendant quinze jours, les salariés
de Leroy Merlin avaient marqué
les esprits. « Je crois que c’est mon
passage au “20 heures” de TF1 qui
a fini par faire céder la direction !
s’amuse aujourd’hui Jean-
Marc Cicuto. Pour elle, ce mouve-
ment a été une vraie surprise. Elle
sait désormais ce qu’on est capa-
ble de faire et je trouve qu’on est
beaucoup plus écouté depuis. »
Clauses de revoyure
Comme ailleurs, les difficultés de
recrutement ont aussi contribué à
rééquilibrer le rapport de force. Le
délégué syndical calcule que les
salariés ont eu, sur deux ans, 9,8 %
d’augmentation cumulée, soit
100 euros minimum. Presque le
niveau de l’inflation sur la pé-
riode. Entre octobre 2021 et octo-
bre 2023, en cumulé, l’indice des
prix à la consommation de l’Insee
s’est apprécié de 10,42 %.
« Encore faut-il savoir de quelle
inflation on parle ! » relativise Fa-
bienne Dos Santos, coordinatrice
CGT chez Sodexo, géant de la res-
tauration collective, où plusieurs
débrayages en intersyndicale ont
permis de décrocher des aug-
mentations de 5 %, puis de 4 %.
« Ce qui m’importe, ce n’est pas la
variation du prix du smartphone.
C’est sur la bouffe que les salariés
souffrent. Et là, on est bien au-delà
des 9 % obtenus depuis deux ans. »
Si l’on s’en tient au seul indice
d’évolution des prix alimentaires
de l’Insee sur la même période, il
a bondi de 22,05 %.
vons-les ! » qui offre 3,5 kilogram-
mes de fruits et légumes abîmés
ou flétris pour seulement 1 euro.
Les prêts à la consommation ont
aussi augmenté fortement.
« La Hongrie faisait déjà face à
une pression sur les prix très forte
avant même l’épidémie de
Covid-19, en raison des hausses de
salaire et du manque de
main-d’œuvre », explique Peter
Virovacz, économiste à la bran-
che hongroise de la banque ING.
« Mais cela s’est aggravé ensuite
en raison de la grande dépen-
dance énergétique de son écono-
mie, de la faible productivité de
son secteur agroalimentaire et des
mesures du gouvernement pour
soutenir les ménages avant les
élections de 2022 », avance-t-il
pour expliquer cette première
place hongroise dans une Europe
centrale qui a globalement connu
une inflation nettement plus
forte qu’à l’Ouest en raison de sa
proximité avec l’Ukraine.
Ce niveau relatif s’explique aussi
en partie par des effets statistiques
mécaniques, comme les prix de
économie & entreprise | 15
… faisant chuter le pouvoir d’achat…
Evolution des salaires réels
en %
4 119,7
2
Zone euro France
–4
–8
Janv. Janv. Janv.
2010 2015 2020
« L’inflation au sens de l’Insee ou
l’inflation des produits de pre-
mière nécessité, on ne parle pas de
la même chose. On est bien placés
pour le savoir, nous, dans la
grande distribution », renchérit
Dominique Moualek, délégué
syndical central FO chez Carre-
four, où les salariés se sont mobi-
lisés en septembre 2022. Des
clauses de revoyure ont permis
de rattraper en plusieurs fois des
NAO vite dépassées.
Les six revalorisations automa-
tiques du smic depuis octo-
bre 2021, seul salaire indexé sur
l’inflation, ont aussi permis de
maintenir à flot les salariés du
bas de l’échelle, avec un effet rico-
chet sur les bas salaires. Mais,
« encore en ce moment, on a deux
échelons qui sont mangés par le
smic. La négociation de branche
nécessaire pour les remettre à
niveau arrive toujours avec re-
tard. Il y a un vrai décalage »,
constate Stéphane Lecointre,
délégué FO chez Labeyrie, nu-
méro un français du foie gras et
du saumon fumé. « Et le smic
n’augmente pas au jour le jour.
En 2022, il y a eu trois hausses. En-
tre, ce sont autant de mois perdus
pour les salariés », souligne Fa-
bienne Dos Santos.
Avant que la courbe de l’évolu-
tion du salaire mensuel de base de
l’ensemble des salariés de France
rattrape enfin celle de l’inflation,
au deuxième trimestre 2023, les
salariés ont ainsi encaissé pen-
dant deux ans le choc du décalage.
« Les salaires de beaucoup de
nos vendeurs et vendeuses ont
cette région partaient de bien plus
bas. « Le panier de consommation
moyen de ces pays contient une
part de l’alimentaire plus impor-
tante, étant donné leur niveau de
vie inférieur, et ce sont justement
ces produits qui ont connu l’infla-
tion plus forte », ajoute Katarzyna
Rzentarzewska, analyste en chef
pour l’Europe centrale et orientale
à la banque autrichienne Erste.
Dans la plupart de ces pays, le ni-
veau de vie a chuté de façon iné-
dite depuis la crise de 2008.
Mais les fortes hausses de sa-
laire observées ces derniers mois
ont toutefois déjà commencé à
AVEC LEURS PENSIONS
MOINS SENSIBLES
AUX NÉGOCIATIONS
SALARIALES,
LES RETRAITÉS ONT EU
PLUS DE MAL À SUIVRE
… et reculer la consommation
Evolution mensuelle de la consommation
dans l’Union européenne en volume
indice base 100 en 2015
120
115
110
105
100
95
90
Sept. Janv. Janv.
2023 2014 2016
LA PERSPECTIVE
D’UNE BAISSE DE
L’INFLATION EN 2024
INQUIÈTE PLUS QU’ELLE
NE RASSURE, CES
PRÉVISIONS S’ÉTANT
IMPOSÉES COMME
LE RÉFÉRENTIEL
DES NÉGOCIATIONS
suivi l’évolution du smic, et sont
aujourd’hui 40 euros au-dessus.
Donc oui, ils ont augmenté,
mais pas la peine d’être expert en
finance pour savoir que ce n’est
pas assez, estime Jenny Urbina,
déléguée CGT chez Sephora,
distributeur de parfums et
cosmétiques (groupe LVMH).
Comment voulez-vous que se lo-
gent en région parisienne ceux
qui gagnent 1 400 euros net par
mois ? Les plus jeunes restent ha-
biter chez leurs parents. » Ceux
qui vivent loin de leur magasin
ont en outre dû supporter
en 2023 la hausse du passe de
transport francilien Navigo
(9 euros de plus par mois).
Des « à-côtés » ont été négociés
un peu partout. C’est 1 euro de
plus sur le titre-restaurant, dé-
sormais à 10 euros chez Sephora
et Leroy-Merlin, une remise sur
achat dans le magasin passée de
10 % à 12 % pour les salariés Carre-
renverser la tendance. « En Croa-
tie ou en Slovénie, la croissance des
salaires réels est redevenue
positive dès février 2023, la Rou-
manie et la Pologne ont déjà suivi,
et la Hongrie devrait aussi finir
l’année dans le positif », explique
Mme Rzentarzewska, qui mise sur
un rattrapage total de l’inflation
des deux dernières années « d’ici
à 2025 ». La Hongrie a par exem-
ple prévu une hausse du smic de
15 % au 1er décembre. Ces fortes
hausses de salaire ont visible-
ment permis de contenir la gro-
gne des populations, aucun mou-
vement social d’ampleur n’ayant
vraiment pris ces derniers mois.
Avec leurs pensions moins sen-
sibles aux négociations salaria-
les, les retraités ont toutefois eu
plus de mal à suivre, ce qui a ali-
menté, dans toute la région, une
progression des partis populistes
contestant le soutien à l’Ukraine,
en brandissant l’argument facile
que les pouvoirs locaux feraient
mieux de s’occuper de leur pro-
pre population ou que les sanc-
tions contre la Russie coûtent
114,4
Janv. Janv. Janv. Juill.
2018 2020 2022 2023
four, ou très ponctuellement, le
droit d’emporter des restes pour
les cuisinières de Sodexo.
Alors que la plupart des entre-
prises s’apprêtent à ouvrir leurs
NAO, la perspective d’une baisse
de l’inflation en 2024 inquiète
plus qu’elle ne rassure, ces prévi-
sions s’étant imposées comme le
référentiel des négociations. « Si
on part sur une base de négocia-
tion en dessous de 5 % ça va être
compliqué, estime Dominique
Moualek. L’augmentation qui
ralentit, ça ne veut pas dire que les
prix baissent. »
« La colère monte »
« Chez nous, ça risque de freiner
des pieds, d’autant que Sodexo a
par ailleurs du mal à répercuter les
hausses de coût aux clients,
notamment les collectivités loca-
les, elles-mêmes étranglées »,
craint pour sa part Fabienne
Dos Santos. Chez Labeyrie,
Stéphane Lecointre se prépare
aussi à une négociation difficile,
dans un contexte économique
tendu, entre une nouvelle grippe
aviaire et la hausse des coûts de
transport du saumon.
Faut-il s’attendre à de nouvelles
mobilisations ? « Covid, inflation,
retraites : on a cumulé beaucoup
de négatif en peu de temps,
constate Mme Dos Santos. On sent
que la colère monte, parce que c’est
de plus en plus simple de mobiliser.
Mais attention, pas sur des grosses
grèves, mais sur des petits débraya-
ges d’une heure ou deux. Au-delà,
ça coûte trop cher aux salariés. » p
aline leclerc
trop cher. Au final, malgré le ra-
lentissement économique, seu-
les la Hongrie et la République
tchèque devraient pourtant
connaître une petite récession
sur l’ensemble de l’année 2023, et
l’ambiance générale n’est pas à la
crise, en raison du dynamisme
des marchés du travail.
« Les taux de chômage sont res-
tés à un niveau historiquement
bas, car les employeurs ont visible-
ment eu peur de licencier dans un
contexte de manque criant de
main-d’œuvre », constate Katar-
zyna Rzentarzewska. « Les entre-
prises croient dans le futur et ne
veulent pas se séparer de leur force
de travail », abonde M. Virovacz.
Même si le risque d’une boucle
toxique prix-salaire semble
écarté, les hausses de rémunéra-
tion pourraient toutefois em-
pêcher l’inflation de ralentir
aussi rapidement que prévu. Les
économistes prévoient plutôt
qu’elle se maintienne sur un
plateau pendant encore plu-
sieurs mois. p
jean-baptiste chastand
16 | économie & entreprise
A Paris, l’immobilier passe sous
les 10 000 euros le mètre carré
Pour les notaires, le recul des prix dans la capitale atteint 6,3 % sur un an
L
e prix du mètre carré va
bel et bien passer sous la
barre des 10 000 euros à
Paris. Pressenti à maintes
reprises depuis que le marché im-
mobilier s’est grippé, et déjà
annoncé par plusieurs réseaux
d’agences immobilières, le fran-
chissement de ce seuil symboli-
que apparaît désormais dans les
chiffres des notaires. Il s’agit là
d’un retour « au niveau de prix
constaté au printemps 2019, il y a
quatre ans et demi », observent
les Notaires du Grand Paris, à l’oc-
casion de la publication, jeudi
30 novembre, des statistiques tri-
mestrielles du marché immobilier
ancien en Ile-de-France.
Nous n’y sommes pas encore
tout à fait puisque, au troisième
trimestre, les prix au mètre carré
s’établissent à 10 090 euros dans
la capitale. Le mouvement de
baisse enclenché devrait toutefois
se prolonger, « et l’on attend un
prix de 9 760 euros en janvier 2024
(– 6,3 % en un an) d’après nos indi-
cateurs avancés sur les avant-con-
trats, affirment les notaires. Par
rapport au point haut enregistré
en novembre 2020 (10 860 euros),
le prix a reculé de 1 100 euros et
de 10 % ». Plus qu’un ajustement,
il s’agit là d’une baisse forte.
Désormais, tous les arrondisse-
ments de la capitale enregistrent
une diminution de leurs prix,
comprise entre 2 % et 7 % en un an.
Les plus forts reculs sont recensés
dans le 16e (– 6,4 %), le 13e (– 6,6 %),
le 11e (– 6,7 %) et les 19e et 20e arron-
dissements (– 6,5 %). A La Chapelle
(18e), le quartier le plus abordable
de Paris, les prix atteignent
7 540 euros le mètre carré.
Une baisse dans toute la France
Si la baisse des prix de l’immobilier a touché plus rapidement
et plus fortement l’Ile-de-France, c’est désormais l’ensemble
du marché français qui se retourne. Pour la première fois depuis
2015, les prix des logements anciens en France baissent sur
un an, de 1,8 % au troisième trimestre, selon l’indice Notaires-
Insee, alors qu’ils étaient encore orientés à la hausse au
deuxième trimestre (+ 0,5 %) et au premier trimestre (+ 2,7 %).
Les syndicats de livreurs appellent à la grève
La mobilisation, prévue samedi et dimanche, vise à contester une baisse de rémunération
C haque secteur de la ville est
balisé. On aura un gréviste
devant chaque grande
chaîne de restaurant – McDo-
nald’s, KFC… – pour bloquer les
commandes tout le week-end. On
a monté ça très vite, en trois semai-
nes, avec l’aide de la CGT, s’enthou-
siasme Karim (qui n’a pas donné
son nom de famille), livreur à
Marseille. Nos blocages sont paci-
fiques. On essaie d’expliquer aux
autres livreurs que le but c’est de
faire mal à Uber et Deliveroo. On
ne veut pas faire de manifestation :
l’objectif, c’est zéro commande li-
vrée. » L’initiative phocéenne ré-
pond à un appel national à la
grève des livreurs, samedi 2 et di-
manche 3 décembre, lancé par la
CGT et Union-Indépendants (affi-
lié à la CFDT), auxquels s’est jointe
la fédération SUD-Commerces.
Des actions sont attendues dans
une cinquantaine de villes, sous
forme de blocages ou de rassem-
blements, comme samedi midi
à Paris, place Stalingrad.
Cette mobilisation des cour-
siers, qui promet d’être la plus sui-
vie depuis 2016, fait suite à une
baisse des rémunérations des
65 000 travailleurs de l’applica-
tion UberEats, le leader du sec-
teur. « C’est la goutte d’eau qui a
fait déborder le vase, après des an-
nées de baisse continuelle, alors
Le coup de frein reste moins
marqué à Paris Centre (– 2 %), dans
les 5e et 6e (respectivement – 2,3 %
et – 2,5 %) ou dans le 8e (–2 %), sec-
teur qui abrite le quartier le plus
cher de la ville, celui des Champs-
Elysées, où les prix s’affichent à
19 150 euros le mètre carré. Charles
Flobert, l’un des porte-parole de la
Chambre des notaires du Grand
Paris, l’explique par « des produits
très haut de gamme et une nom-
breuse clientèle étrangère. Les
Français non résidents et les étran-
gers représentent désormais 15 %
de la clientèle qui achète à Paris,
c’est le taux le plus élevé depuis que
nous réalisons des statistiques ».
Chute brutale
Sur l’ensemble de la capitale, neuf
arrondissements ont vu les prix
passer sous les 10 000 euros le
mètre carré au troisième trimes-
tre, auxquels il faudra ajouter
« probablement bientôt le 17e ar-
rondissement », note M. Flobert.
A l’origine de cette baisse des
prix, une chute brutale de 29 %
du nombre d’appartements an-
ciens vendus au troisième tri-
mestre par rapport au troisième
trimestre 2022. Certes, le marché
immobilier fonctionnait alors à
plein régime, à la sortie de la crise
sanitaire. Mais la baisse du nom-
bre de transactions est égale-
ment forte (– 14 %) par rapport à
la moyenne d’activité des dix
dernières années. Et encore ce re-
cul est-il moindre à Paris qu’en
petite et en grande couronne.
En Ile-de-France, au troisième
trimestre, la chute du nombre
de ventes de logements anciens
s’accélère en effet, et atteint 34 %
que l’inflation flambe », résume
Ludovic Rioux, secrétaire de la
CGT-Livreurs. « En prenant
l’échantillon de 50 livreurs qui
nous ont fait remonter les chiffres
de près de 3 110 courses avant et
après la mise à jour, on observe
que 42 gagnent moins qu’avant,
constate Fabian Tosolini, délégué
national d’Union-Indépendants.
La baisse par livreur va jusqu’à
20 %. Le prix d’une course a parfois
chuté jusqu’à 40 %. »
« Ce qui se passe est inédit »
Les syndicats imputent cette
baisse à un accord signé en avril
entre les trois principales plates-
formes (UberEats, Deliveroo,
Stuart) et la Fédération nationale
des autoentrepreneurs (FNAE),
qui fixe un revenu minimal ho-
raire de 11,75 euros brut… unique-
ment sur les temps de course, et
sans compter le temps d’attente
entre deux prestations.
Les propositions formulées, le
21 novembre, par UberEats n’ont
pas donné satisfaction. « Après
avoir entendu les inquiétudes sur la
nouvelle tarification exprimées par
certains livreurs, nous avons mis en
œuvre des garanties renforcées, ex-
plique au Monde un porte-parole
d’UberEats. Nous portons tempo-
rairement la garantie minimale de
revenu horaire de 11,75 euros à
Tous les
arrondissements
enregistrent
une diminution,
comprise
entre 2 % et 7 %
en un an
en un an. Le niveau d’activité y
est désormais inférieur d’un
quart par rapport à la moyenne
de ces dix dernières années. « Au
point que, faute de volumes,
certaines données chiffrées sur
les prix vont devenir difficilement
exploitables », reconnaît Elodie
Frémont, également porte-pa-
role de la Chambre des notaires
du Grand Paris. Ce décrochage
aboutit à retrouver les volumes
de 2015.
Alors que les années de taux
d’intérêt historiquement bas ont
porté au plus haut le marché im-
mobilier en solvabilisant massi-
vement la clientèle, la fin du cycle
de l’argent « gratuit », qui corres-
pond au relèvement des taux
par la Banque centrale euro-
péenne et par les banques, a figé
les échanges. En octobre, le taux
moyen des crédits immobiliers
(hors assurance) s’élevait à 4,12 %,
contre à peine plus de 1 % en dé-
cembre 2021.
De quoi réduire drastiquement
le pouvoir d’achat des ménages,
qui ont massivement renoncé à
se lancer dans un projet immobi-
lier. Les propriétaires, de leur
côté, ont davantage hésité avant
de vendre pour acquérir un nou-
veau logement : la durée de dé-
tention moyenne des biens
vendus s’est ainsi allongée, pas-
sant pour un appartement de
10,4 ans en 2003 à 12,6 ans
en 2023 (et de 13,2 à 15,3 ans pour
les maisons).
Les notaires observent égale-
ment que la retombée de la fièvre
immobilière a désormais un
14 euros et nous prenons nos res-
ponsabilités pour nous assurer que
le niveau moyen de tarification des
courses demeure identique. » Les
syndicats exigent un retour au
modèle de rémunération en vi-
gueur jusqu’en octobre, et davan-
tage de transparence sur les règles
de l’algorithme.
La grève, qui unit tous les syndi-
cats représentés à l’Autorité des
relations sociales des plates-for-
mes d’emploi (ARPE) – l’instance
qui régit le dialogue social du sec-
teur – hormis la FNAE, est inédite.
Sa préparation a nécessité beau-
coup de travail, car les syndicats
sont méconnus dans le secteur.
Lors de la première élection à
l’ARPE, en mai 2022, seulement
1,83 % des livreurs avaient voté.
La CGT et Union-Indépendants
disent avoir misé sur le bouche-à-
oreille. Notamment par le biais
des groupes WhatsApp de li-
vreurs à l’échelle des villes, qui
comptent 200 personnes à Nice
ou 500 à Marseille. « C’est un tra-
vail de fourmi. Quand ils ne nous
connaissent pas, on leur explique
notre état d’esprit, qu’on est à leur
service, explique Fabian Tosolini.
On les aiguille vers les groupes
WhatsApp locaux. Il y en a une cin-
quantaine. Certains viennent de
naître dans des villes moyennes où
il n’y a jamais eu de mobilisation. »
impact « sensible » sur les prix,
qui reculent de 5,3 % en un an,
au troisième trimestre, sur l’en-
semble de l’Ile-de-France.
« Dans le logement ancien, tout
ne se vend plus à n’importe quel
prix. Le zéro défaut va dorénavant
primer, tandis qu’un rez-de-
chaussée ou un premier étage po-
sent des difficultés, tout comme
une mauvaise orientation, un
quartier en vogue devenu moins
attractif ou un diagnostic de per-
formance énergétique dégradé »,
explique Elodie Frémont. Les in-
dicateurs avancés sur les avant-
contrats en petite et grande cou-
ronne laissent ainsi entrevoir des
baisses annuelles de prix des ap-
partements, respectivement de
8 % et 6 % en janvier 2024.
« Parcours du combattant »
« Les premières baisses de prix ne
suffisent toutefois pas à compen-
ser la hausse du taux de crédit et
l’augmentation de l’apport de-
mandé : le projet immobilier de-
vient le vrai parcours du combat-
tant », constate Mme Frémont, en-
tre refus de crédit, refus d’ins-
truire et délai d’instruction
rallongé. Une acquisition doit
« de plus en plus souvent être ga-
rantie par une hypothèque et non
plus par un simple cautionne-
ment, et elle est souvent cumulée
avec d’autres demandes de garan-
ties, allant jusqu’au cautionne-
ment des parents, témoigne-t-
elle. Phase pour le moins humi-
liante quand l’emprunteur est âgé
de 50 ans ou plus ».
Une éclaircie s’annonce en
revanche de ce côté-là. Le tasse-
ment de l’inflation constitue
« une perspective encourageante
pour les taux qui s’est accompa-
gnée de messages d’ouverture de
lignes de crédit par certaines
grandes banques », affirment les
Notaires du Grand Paris. Un re-
tournement pour des établisse-
ments de crédit qui avaient fait
preuve ces derniers mois d’une
frilosité rare. p
véronique chocron
« Les syndicats arrivent à identi-
fier quand un mécontentement
monte, observe Arthur Jan, docto-
rant en sociologie. Ce qui se passe
est inédit, car les principaux syndi-
cats sont rassemblés dans cette
mobilisation, alors qu’ils ont des
revendications opposées sur de
nombreux sujets. Ils essaient de
s’appuyer sur des personnalités re-
lais qui peuvent s’adresser à leur
communauté. Ils publient aussi
des tracts en langue étrangère,
pour viser les sans-papiers notam-
ment, qui sont majoritaires chez
les livreurs. » La CGT a notamment
noué des liens avec un collectif
de travailleurs bangladais.
Certains livreurs craignent l’in-
cidence d’une grève sur leur acti-
vité. « La stratégie d’Uber et Delive-
roo, c’est d’écouter les travailleurs
en bloquant les comptes », ironise
Ludovic Rioux. « Pour connaître
l’impact de la grève, il faudra voir
dans les restaurants si les com-
mandes s’entassent, et s’ils font le
choix d’éteindre les tablettes de
commande car ils ne peuvent plus
les livrer », juge M. Jan. « On veut
faire chuter leur chiffre d’affaires
pendant deux jours, lance Ali (qui a
requis l’anonymat), responsable
du blocus à Nice. On sera tous per-
dants pendant deux jours, mais
c’est pour notre bien commun. » p
jules thomas
PERTES & PROFITS | INTERNET
p a r p h il ip p e e s c a nde
Matignon lance
la bataille des messageries
Les étourdis et les spécialistes
de la gestion du temps savent
qu’il est hasardeux de cumuler
les agendas, les adresses et les
carnets de contacts. Le foisonne-
ment des outils de planification
est le meilleur moyen pour rater
un rendez-vous important ou un
message urgent. Mais l’efficacité
n’est pas mère de la précaution.
Le gouvernement, qui avait
déjà mené la guerre contre
l’usage par ses fonctionnaires et
ministres des boîtes mail grand
public, comme celle de Google,
et des réseaux trop « ludiques »,
à l’instar de TikTok, monte d’un
cran ses exigences. Matignon
vient de prévenir ses ministres
et leur cabinet qu’ils avaient
un peu plus d’une semaine – jus-
qu’au vendredi 8 décembre –
pour abandonner leur message-
rie préférée et adopter Olvid.
Formidable coup de publicité
pour cette start-up française née
en 2018 et qui promet la messa-
gerie la plus sécurisée du monde.
Un enjeu important, qui avait
conduit certains responsables
politiques, comme le président
de la République, à basculer sur la
russe Telegram, supposée invio-
lable, et d’autres sur l’américaine
Signal, qui, elle aussi, se proclame
inattaquable par les pirates.
Olvid propose encore plus de
sécurité. Elle n’aspire pas les car-
nets d’adresses et n’exige aucune
Kookaï revient sous
pavillon français
Le tribunal de commerce de Paris a attribué
l’enseigne de mode au groupe Antonelle-UJA
K ookaï ne connaîtra pas
le funeste destin de Ca-
maïeu. Un an après la li-
quidation judiciaire de l’enseigne
nordiste, qui s’était soldée par la
fermeture de 511 magasins et le li-
cenciement de 2 600 personnes,
la marque, autre figure des an-
nées 1980, est reprise par un spé-
cialiste de l’habillement des fem-
mes plus âgées que celles visées
par la marque. Le tribunal de com-
merce de Paris a attribué, jeudi
30 novembre, l’enseigne de mode
féminine, placée en redressement
judiciaire depuis le 1er février, à la
société Antonelle-UJA, holding de
tête des magasins Antonelle et Un
Jour Ailleurs. Le groupe présidé
par Samy Cohen a emporté Koo-
kaï à la barbe du Groupe Beauma-
noir, propriétaire des marques Ca-
che-Cache, Bréal, Bonobo, Caroll
et Morgan, grâce à une offre
mieux-disante socialement.
L’entreprise Antonelle-UJA s’est
engagée à reprendre 16 des
30 magasins exploités en France
par Kookaï et 70 de ses 220 em-
ployés. Outre les suppressions de
postes induites par la fermeture
de 14 magasins, le siège social si-
tué à Paris paiera un lourd tribut :
la majorité de ses 40 employés ne
sont pas repris. Toutefois, Alexan-
dra Dahan, qui dirige l’enseigne
en France, depuis 2019, se réjouit
de voir l’entreprise « échapper à
une liquidation judiciaire » et « re-
passer sous pavillon français ».
En 2017, Kookaï avait été cédé par
le groupe Vivarte, criblé de dettes,
à Rob Cromb, fabricant de prêt-à-
porter et franchisé de l’enseigne
en Australie. Mais, faute de
moyens, l’industriel n’avait pas
procédé aux investissements né-
cessaires à la rénovation du parc
de magasins en France. En outre,
les collections qu’il fabriquait
pour Kookaï aux îles Fidji n’étaient
pas adaptées à la clientèle fran-
çaise, notamment lors de la saison
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023
donnée personnelle ni nom ni
mail ni téléphone. Pas de trace
non plus puisque les clés de
cryptage sont effacées après la
conversation. La firme, fondée
par deux docteurs en cryptogra-
phie, assure être prête pour le
saut des ordinateurs quantiques
qui, eux-mêmes, prétendent
pouvoir tout décrypter. Elle
a obtenu le label de l’Agence
nationale de la sécurité des
systèmes d’information.
Sécurité impressionnante
La recommandation gouverne-
mentale la place parmi les futurs
champions français du numéri-
que, largement soutenus par
la puissance publique, au même
titre que Mistral dans l’intelli-
gence artificielle ou Pasqal
dans le quantique.
L’initiative est louable, mais il
faudra veiller à ce que la sécurité
impressionnante de cette messa-
gerie ne se fasse pas au détriment
de sa facilité d’emploi et de par-
tage, poussant les utilisateurs à
multiplier les moyens de com-
munication (une messagerie par
usage) et, par conséquent, à per-
dre du temps et à prendre des
risques supplémentaires. Le mi-
nistre délégué chargé de la transi-
tion numérique, Jean-Noël Bar-
rot, a choisi le très controversé
et peu sûr réseau X pour dire tout
le bien qu’il pensait d’Olvid. p
hivernale. Son activité a chuté de
50 à 40 millions d’euros en 2022.
L’enseigne revient dans l’escar-
celle d’un spécialiste de l’habille-
ment féminin. Installé à Pantin
(Seine-Saint-Denis), Antonelle-
UJA s’est constitué autour de la
marque Antonelle, lancée en 1988,
devenue enseigne en 1993, pour
habiller les femmes aux goûts
classiques. Présente en centre-
ville et en centre commercial, la
chaîne compte 83 magasins.
En 2020, il avait repris la marque
Un Jour Ailleurs, devenue UJA,
autre chaîne spécialisée dans l’ha-
billement des femmes senior.
Modèles « iconiques »
M. Cohen a d’ores et déjà prévu
« l’ouverture d’une quinzaine de
nouvelles boutiques » et de se con-
centrer sur la vente en ligne. Il pro-
met de relancer Kookaï en ressor-
tant les modèles « iconiques » qui
ont « fait le succès de la marque des
années 1980 à 2000 ». Née en 1983,
l’enseigne était connue pour ses
pulls chaussettes et ses cubampa-
gnes de publicité qui, dans les an-
nées 1990, mettaient en scène des
« Kookaïettes » cruelles envers les
hommes, mais prêtes à craquer
pour une petite pièce de mode.
M. Cohen parviendra-t-il à rele-
ver ce défi ? Car la concurrence sur
le marché est rude. « Les Français
sont entrés dans une ère d’hyper-
rationalité lors de leurs achats
d’habillement, en se limitant à ce
dont ils ont uniquement besoin ;
l’achat coup de cœur n’a plus
cours », estime Gildas Minvielle,
patron de l’observatoire économi-
que de l’Institut français de la
mode (IFM). D’après l’IFM qui,
jeudi 30 novembre, organisait son
colloque annuel Fashion Reboot,
en dépit d’une hausse des prix des
vêtements de l’ordre de 4 %, le
marché est en recul cette année de
0,8 % par rapport à 2022. p
juliette garnier
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023
Loyers plafonnés : plus de villes concernées
Les professionnels de l’immobilier craignent un découragement des bailleurs en 2024
L et condition suspensive
e nombre d’aggloméra-
tions où les loyers sont
plafonnés par arrêté pré-
fectoral va augmenter
en 2024. Fin octobre, la commu-
nauté d’agglomération du Pays
basque a en effet obtenu la mise
en place du dispositif sur un péri-
mètre proche de la côte, et des vil-
les comme Anglet, Bayonne, Biar-
ritz, Hendaye ou Saint-Jean-de-
Luz verront donc les loyers du
parc locatif privé plafonnés.
Grenoble (pour une part de son
territoire) et d’autres communes
de son agglomération (Saint-
Martin-d’Hères, Echirolles, Seys-
sins, Murianette, etc.) a, pour sa
part, obtenu l’accord du gou-
vernement le 20 novembre.
Au Pays basque comme dans la
métropole de Grenoble, la me-
sure s’appliquera courant 2024,
après la parution de l’arrêté pré-
fectoral fixant les loyers maxi-
mums selon la localisation, le
nombre de pièces du logement et
sa date de construction.
Annemasse (Haute-Savoie), la
ville de Cergy (Val-d’Oise), l’agglo-
mération de Grand-Orly Seine
Bièvre (Arcueil, Cachan, Chevilly-
Larue, Gentilly, Orly, etc..) et Mar-
seille ont aussi demandé l’autori-
sation d’encadrer les loyers. « Les
villes qui le souhaitent envoient
leur candidature avec le périmètre
souhaité. Nous vérifions juste que
la demande remplit bien les critè-
res fixés par la loi », explique le ca-
69
C’est le nombre de villes pour lesquelles l’encadrement des
loyers est déjà en place ou a été pour l’heure acté par le gouver-
nement. Les arrêtés préfectoraux fixant les loyers plafonds se
fondent sur les données du réseau des Observatoires des loyers.
L’association Consommation logement et cadre de vie (CLCV)
estime qu’en moyenne, à Paris et en Seine-Saint-Denis, les loyers
non conformes sont trop chers de 143,68 euros par mois. Ce sont
les studios qui posent le plus problème : 66 % sont en règle sur
ce territoire (73 % pour les trois-pièces).
BOURSE
L’IA attise l’appétit des fonds d’investissement
M arque de l’engoue-
ment pour cette thé-
matique d’investisse-
ment, l’indice boursier CTA Arti-
ficial Intelligence, composé de
valeurs liées à l’intelligence artifi-
cielle (IA) et coté sur la Bourse
américaine du Nasdaq, a pro-
gressé de plus de 30 % depuis le
1er janvier, incitant nombre de so-
ciétés de gestion à lancer des
fonds et des ETF (« exchange tra-
ded funds », des fonds indiciels,
qui répliquent des indices bour-
siers) spécialisés sur cette activité.
Cet attrait s’explique surtout
par les perspectives de croissance
du secteur : les dépenses liées à
cette nouvelle technologie de-
vraient atteindre 1 300 milliards
de dollars d’ici à 2032, selon
Bloomberg Intelligence, soit un
taux de croissance annuelle
moyenne de 42 %.
Mais les gagnants de l’IA ne se li-
mitent pas aux sociétés qui four-
nissent cette technologie univer-
selle ou en facilitent l’accès aux
utilisateurs, à l’image de Micro-
soft, actionnaire de référence de
la société OpenAI, à l’origine de la
création de Chat-GPT. De nom-
breuses entreprises utilisent
aussi l’outil pour améliorer les
produits et services qu’elles pro-
posent à leurs clients.
C’est le cas dans les domaines
de la robotique, de la cybersécu-
rité, de l’éducation, de la finance,
de l’industrie de la mode, de la
santé, etc. « C’est notamment
grâce à l’IA que des vaccins effica-
ces contre le coronavirus ont été
binet de Patrice Vergriete, minis-
tre délégué chargé du logement.
La loi ELAN (pour évolution du
logement, de l’aménagement et
du numérique) de novembre 2018
avait mis en place ce dispositif
d’encadrement pour cinq ans et la
loi 3DS (pour différenciation,
décentralisation, déconcentra-
tion et simplification de l’action
publique locale) du 21 février 2022
a prolongé l’expérimentation jus-
qu’en novembre 2026.
Vingt-quatre villes en 2023
Pour que la ville soit retenue, il
faut notamment que le secteur
montre des signes de tension du
marché, que les loyers du parc
privé soient élevés au regard du
parc social et que très peu de loge-
ments neufs soient en construc-
tion. L’agglomération doit être do-
tée d’un observatoire des loyers.
Les loyers sont d’ores et déjà en-
cadrés dans vingt-quatre villes : à
Paris, à Lille (avec les deux com-
munes associées que sont Hel-
lemmes et Lomme), dans l’agglo-
mération Plaine commune (en
Seine-Saint-Denis : Aubervilliers,
La Courneuve, etc.), l’aggloméra-
tion Est-ensemble (Bagnolet, Bo-
bigny, Montreuil, etc. – en Seine-
Saint-Denis également), ainsi qu’à
Lyon, Villeurbanne, Bordeaux et
Montpellier. Dans les secteurs
concernés, le loyer ne doit pas être
supérieur de plus de 20 % au loyer
de référence fixé par le préfet à la
Cinq fonds investis dans l’IA avec des critères ESG*
Nom du fonds
(code ISIN)
Société
de gestion
Allianz Global Artificial Allianz
Intelligence
(LU1548499471)
EdRF Big Data Edmond de
(LU1244894827) Rothschild AM
Echiquier Artificial LFDE
Intelligence (LU1819479939)
Oddo BHF Artificial Oddo BHF
Intelligence (LU1833933325)
TCW Global Artificial TCW
Intelligence Sustainable
Equity (LU1848748734)
Infographie Le Monde
mis au point en un temps record »,
souligne Rolando Grandi, gérant
du fonds Echiquier Artificial In-
telligence chez La Financière de
l’Echiquier. A ses yeux, « l’IA
pourrait avoir un impact dans
notre vie quotidienne encore plus
fort que l’arrivée d’Internet dans
les années 2000 ».
Menaces sur le marché du travail
En dépit de l’engouement actuel
des investisseurs, la valorisation
des valeurs du secteur ne serait
pas excessive au vu de leurs pers-
pectives de profit dans les années
à venir, jugent les spécialistes
interrogés.
Du reste, les investissements
réalisés sur les sociétés cotées en
Bourse se sont principalement
concentrés sur un nombre res-
ÉRIC PIOLLE, MAIRE
ÉCOLOGISTE DE
GRENOBLE, SOUHAITE
ÉVITER TOUTE
AUGMENTATION
INCONSIDÉRÉE DANS
LES ANNÉES À VENIR
signature du bail, pour les loge-
ments (vides ou meublés) occu-
pés à titre de résidence principale
par le locataire. Les meublés tou-
ristiques ne sont pas visés.
Un complément de loyer peut
être appliqué au loyer de base si le
logement présente des caractéris-
tiques de confort ou de localisa-
tion particulièrement intéressan-
tes. Mais aucun complément ne
peut être pratiqué si le bien est
énergivore, si l’installation électri-
que est dégradée, si la pièce princi-
pale est mal exposée ou en cas de
vis-à-vis de moins de 10 mètres.
Pour les baux signés avant
l’encadrement, l’association Con-
sommation logement cadre de
vie (CLCV) conseille aux locatai-
res dont le loyer est plus élevé
que le plafond d’écrire, en recom-
mandé, au propriétaire, au moins
cinq mois avant la fin du bail,
pour demander une baisse.
Le dispositif fonctionne-t-il ?
« Impossible de le savoir, nous at-
tendons avec impatience le rap-
port d’évaluation prévu par le mi-
nistère du logement. Il aurait été
intéressant de l’avoir avant que
l’encadrement soit étendu », ré-
pond Loïc Cantin, président de la
Fédération nationale de l’immo-
bilier. Ce rapport aurait dû être
publié en 2023, mais ne le sera
qu’en 2026. Nombre de profes-
sionnels de l’immobilier considè-
rent que l’extension de l’encadre-
ment est un mauvais signal
donné aux propriétaires bailleurs,
à même de les inciter à retirer
Depuis
Rendement
début 2023
Sur
1 an
Sur
3 ans
32,25 % 20,79 % – 2,20 %
17,60 % 11,28 % 49,33 %
41,55 % 28,24 % – 24,25 %
32,20 % 21,41 % 21,02 %
35,68 % 21,94 % 11,05 %
* environnement, social et gouvernance
Source : Morningstar, données au 27 novembre
treint de valeurs, notamment les
sociétés technologiques améri-
caines, qui ont largement intégré
l’IA dans leur stratégie de déve-
loppement. Parmi elles, on peut
citer « Apple, Microsoft, Alphabet
[maison mère de Google], Tesla,
Amazon, Nvidia ou encore Meta »,
indique Jacques-Aurélien Marci-
reau, gérant chez Edmond de
Rothschild Asset Management.
L’intelligence artificielle suscite
néanmoins des interrogations,
notamment au regard des critè-
res extrafinanciers dits ESG (envi-
ronnementaux, sociaux et de
gouvernance), de plus en plus uti-
lisés dans les processus de sélec-
tion de titres des investisseurs. En
effet, d’un point de vue social, la
menace que représente l’IA sur le
marché du travail pose question,
Promesse de vente
leurs biens du marché alors que
les locataires peinent déjà à se lo-
ger. « Les investisseurs craignent
les contraintes et quittent les villes
où l’encadrement des loyers inter-
vient ou se tournent vers les meu-
blés de tourisme », indique Pierre-
Emmanuel Jus, directeur délégué
de Maslow, une plate-forme d’in-
vestissement locatif.
Certains acteurs du secteur esti-
ment, en outre, que l’encadre-
ment ne se justifie pas dans la
mesure où les loyers ont globale-
ment augmenté raisonnable-
ment : « On observe une hausse
comprise entre 2 % et 3 % depuis
un an contre une inflation à 5,8 %
en moyenne », note ainsi Jean-Mi-
chel Camizon, responsable de
l’observatoire des loyers Clameur,
dont les derniers chiffres ont été
diffusés le 7 novembre.
A Grenoble, les loyers des deux-
pièces et trois-pièces ont aug-
menté respectivement de 2,40 %
et 0,94 % au deuxième trimestre
2023 par rapport au deuxième tri-
mestre 2022. Mais l’augmenta-
tion a atteint 5 % pour les studios.
« Nous constatons seulement des
abus sur les petites surfaces étu-
diantes louées souvent trop chè-
res », reconnaît Eric Piolle, maire
écologiste de Grenoble. Il sou-
haite que l’encadrement joue un
rôle préventif et que les loyers du
reste du parc locatif n’augmen-
tent pas inconsidérément dans
les années à venir.
Il semble que les propriétaires
bailleurs se mettent pour la plu-
part en conformité avec les rè-
gles avec le temps : une enquête
menée en septembre par la CLCV
fait état d’une hausse du taux de
conformité des annonces avec
l’encadrement, avec, par exem-
ple, 77 % d’annonces désormais
conformes à Paris, contre 69 %
en 2021. Les risques sont non né-
gligeables – des amendes admi-
nistratives de 5 000 euros pour le
bailleur et de 15 000 euros pour
l’agence immobilière. p
nathalie coulaud
CLIGNOTANT
elle pourrait engendrer la sup-
pression de nombreux métiers.
« Cette technologie va permettre
d’accroître l’expertise de la
main-d’œuvre de demain en lui
permettant de se concentrer sur
les tâches à plus forte valeur ajou-
tée », tempère M. Marcireau.
Face à cette problématique,
quelques sociétés de gestion pro-
posent désormais aux particu-
liers de se positionner sur cette
thématique à travers une sicav ou
un fonds commun de placement,
QUESTION À UN EXPERT
investissant dans une logique
ESG. Les meilleurs affichent des
progressions à deux chiffres de-
puis le début de l’année. Selon
M. Grandi, il n’est toutefois pas
encore trop tard pour s’intéresser
à cette classe d’actifs et bénéficier
de son potentiel de croissance.
Pour faire son choix parmi les
fonds disponibles, il convient de
privilégier ceux disposant d’un
solide historique de performan-
ces, gérés par une équipe qui a
montré sa capacité à générer du
rendement à travers plusieurs
cycles de marché. Même si ces
fonds spécialisés sur l’écosystème
de l’IA répartissent le risque sur
un grand nombre de valeurs, y
compris en termes géographi-
ques, la prudence reste de mise.
Pour éviter toute déconvenue, il
faut garder à l’esprit que tout in-
vestissement en Bourse présente
un risque de perte en capital et ne
doit s’envisager que sur la durée,
en raison de la volatilité inhé-
rente aux marchés financiers. p
romain thomas
argent | 17
SOS CONSO
CHRONIQUE PAR RAFAËLE RIVAIS
L
a promesse d’achat d’un bien immobilier prévoit en
général une « condition suspensive » : que l’acqué-
reur obtienne, dans un certain délai, un emprunt qui
en permette le financement. Si les banques le lui
refusent, la condition suspensive n’est pas remplie (« accom-
plie », en termes juridiques), et il récupère l’indemnité d’im-
mobilisation qu’il a laissée au vendeur. Si les banques lui ac-
cordent le prêt, mais qu’il ne donne pas suite, que se passe-
t-il ? Telle est la question que pose l’affaire suivante. Le
22 mai 2018, M. X et Mme Y concluent avec M. Z une promesse
d’achat dont la condition suspensive est l’obtention d’un em-
prunt « d’un montant maximum de 414 000 euros, rembour-
sable sur vingt-cinq ans, au taux de 2 % l’an, hors assurance ».
Les X-Y s’adressent à un courtier qui, compte tenu de leur
capacité d’endettement, ne sollicite que 407 000 euros – soit
7 000 euros de moins que prévu. Le 14 juin 2018, la Banque
populaire émet un avis favorable, mais les X-Y refusent son
offre. Ils lui demandent les 414 000 euros. Lorsqu’elle les
leur refuse, le 20 juillet 2018, ils renoncent à leur achat et
réclament la restitution de l’indemnité
d’immobilisation, de 38 600 euros.
L’ACQUÉREUR Le vendeur s’y oppose. Il considère qu’ils
NE PEUT ÊTRE étaient obligés d’accepter l’offre de la ban-
que, « conforme » au contrat, puisque infé-
CONTRAINT rieure, de peu, au montant « maximum »
de 414 000 euros. Il estime qu’ils ont « em-
D’ACCEPTER pêché l’accomplissement » de la condition
UNE OFFRE suspensive, si bien que cette dernière doit
être considérée comme remplie, en vertu
INSUFFISANTE de l’article 1304-3 du code civil.
Celui-ci sanctionne les acquéreurs négli-
gents, qui n’ont pas effectué à temps les démarches nécessai-
res, ou dont les demandes sont non « conformes » aux dispo-
sitions de la condition suspensive. La jurisprudence consi-
dère comme « non conformes » les sollicitations de montants
supérieurs, vouées à un refus des banques.
Les X-Y répliquent que ce n’est pas de leur faute si leur
demande a été refusée. La cour d’appel de Paris leur donne
raison. Elle juge qu’« ils n’étaient pas tenus d’accepter un
financement d’un montant inférieur à celui qu’ils avaient
estimé nécessaire » : la fixation, dans la promesse de vente,
d’un montant « maximum », ne saurait « contraindre » les ac-
quéreurs à accepter une offre d’un montant inférieur. La
Cour de cassation, devant laquelle le vendeur se pourvoit,
approuve ce raisonnement, le 14 décembre 2022. Son arrêt,
pris en formation de dix magistrats, au lieu de trois
habituellement, semble logique, si l’on fait abstraction de la
somme, faible, ici en jeu : l’acquéreur ne peut être contraint
d’accepter une offre insuffisante, s’il ne dispose pas d’un
apport individuel complémentaire permettant de boucler le
financement. p
I N VEST I SS EMEN T
L’AMF alerte sur les risques de « gamification »
Des confettis jaillissant sur l’écran, un trophée virtuel
qui surgit… Pour motiver les clients, les plates-formes
d’investissement utilisent de plus en plus les stimuli
de « gamification », reprenant les codes du jeu vidéo.
Avec quel impact ? Pour le savoir, l’Autorité des mar-
chés financiers (AMF) a testé les réactions d’investis-
seurs en laboratoire. L’expérience menée au printemps
a montré que les trophées (mais pas les confettis) mo-
difiaient fortement les comportements de prise de ris-
que, surtout des hommes. « L’investissement n’est pas
un jeu », note l’AMF, se disant « très attentive ».
Quelles précautions prendre
pour donner de l’argent à Noël ?
grégory dumont, avocat associé, CMS Francis Lefebvre
Noël est l’occasion de donner de l’argent à ses enfants ou à ses petits-
enfants. Afin de limiter, sur le plan civil comme fiscal, les impacts
de ces dons, il faut s’assurer qu’ils puissent être qualifiés de « présent
d’usage ». Le présent d’usage est un don consenti lors d’un événement
particulier et dont le montant doit rester modeste. Sur le premier cri-
tère, Noël est sans nul doute un événement particulier, socialement
reconnu, propice aux cadeaux. Les parties seront néanmoins avisées
de garder la preuve de la date du don (copie du chèque, justificatif
du virement, etc.). Le second critère relatif à la modicité du don est
à géométrie variable : il s’apprécie selon le niveau de fortune du
donateur et ses revenus. Pour un événement récurrent comme Noël,
on veillera aussi à ce que le don ne soit pas trop déconnecté des
montants transmis les années précédentes aux mêmes bénéficiaires
et des sommes que le donateur compte leur donner à l’avenir pour les
fêtes.Si le don ne peut être qualifié de modeste, il peut devenir taxable,
ou du moins diminuer les abattements applicables entre parent et
enfant, ou entre grand-parent et petit-enfant. Sur le plan civil, les dons
qui ne sont pas des présents d’usage seront pris en compte à la
succession du donateur. Ceux réalisés au profit des enfants seront
considérés comme des avances dans cette future succession. p
18 | horizons 0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023

mthatha (afrique du sud) - envoyé spécial

M
thatha, « la maison de
l’icône », comme dit le
slogan, n’est pas très
bien tenue. « C’est l’une
des villes les plus sales du
Cap-Oriental. Par en-
droits, ça sent l’urine, on se demande ce que fait
la municipalité », ronchonne Farrington Si-
heula sur un trottoir dépavé du centre de cette
ville située dans le sud-est de l’Afrique du Sud.
La commune, ancienne capitale régionale,
abrite le Musée Nelson Mandela. C’est dans
cette région qu’est né le premier président
noir de la « nation arc-en-ciel », en 1918.
En dehors du musée, force est de reconnaî-
tre que la ville a peu d’atouts. « S’il y avait une
volonté politique, Mthatha pourrait connaître
des améliorations », professe Farrington Si-
heula. Cet ancien gardien de prison de 66 ans
conduit Le Monde au siège local de l’Alliance
démocratique, le premier parti d’opposition. Il
aimait bien Mandela, mais il a fini par tourner
le dos au parti de l’ancien président, le Con-
grès national africain (ANC). Presque un acte
de résistance dans cette région où l’ANC enre-
gistre ses meilleurs résultats. Mais les accusa-
tions récurrentes de corruption et le mauvais
état de la province ont fini de le dégoûter.
Le Cap-Oriental, c’est l’Afrique du Sud en
pire. La province culmine dans les classe- TITWANE
ments où il ne fait pas bon apparaître. C’est
l’une des régions les plus pauvres du pays,

Désenchantement
avec le plus fort taux de chômage enregistré
ces dix dernières années (40 %), le plus faible
taux d’élèves allés au bout de leurs études se-
condaires (27 %) et où près de 20 % des foyers
n’ont pas l’eau courante, selon le dernier re-
censement de 2022. C’est pourtant dans cette
région, dans sa partie rurale et enclavée, que

chez les Mandela

sont nées les figures historiques de l’ANC :
Govan Mbeki, Walter Sisulu, Oliver Reginald
Tambo et Nelson Mandela. La province est
surnommée « la maison des légendes ».
« C’est le slogan qu’ils utilisent, mais le déve-
loppement et les infrastructures disent plutôt
l’inverse », raille Luvo Cakata. Ce journaliste
de 37 ans travaille pour un média local basé à
Mthatha. Il veut parler en son nom plutôt
qu’en celui de son journal car, les difficultés
des communautés dont il rend compte, il les
connaît personnellement. Les pistes défon-
cées, les petits ponts balayés par les rivières
torrentielles, il les emprunte régulièrement.
La criminalité, il en souffre aussi. La ruralité
n’est pas synonyme de tranquillité dans Le
Cap-Oriental. Son village natal, Lusikisiki, fi-
gure à la 28e place dans la liste des communes
les plus meurtrières d’Afrique du Sud.
EN ATTENTE DE TOURISTES
La ville de Mthatha occupe la 7e place de ce
même classement. « On rencontre des diffi-
cultés pour faire venir des touristes dans Le
Cap-Oriental, et particulièrement à Mthatha,
où le taux de criminalité est élevé », reconnaît
Nontlahla Tandwa Dalindyebo, chargée de
communication pour le Musée Nelson Man-
dela. Des touristes ont déjà été agressés en
approchant ces lieux de mémoire. « Il ne faut
pas que ça les empêche de venir, mais la sécu-
rité est un défi », admet Nontlahla Tandwa.
Le musée retrace la vie de « Tata [“papa”]
Mandela », père de l’Afrique du Sud contempo-
raine. Son enfance dans la campagne alen-
tour, sa vie d’avocat à Johannesburg, son mili-
tantisme contre le régime de l’apartheid, la
prison, l’élection à la présidence en 1994 et sa
vie de retraité. Le musée est surtout apprécié
pour sa collection de cadeaux offerts à l’an-
cien président. Les écoliers aiment se pencher
sur une imposante ceinture de boxe de cham-
pion du monde en cuir rouge et ornée d’un
aigle doré. Elle rappelle le passé de boxeur de
Nelson Mandela et symbolise son statut de
combattant pour la liberté. « Cette ceinture
motive les écoliers, elle encourage chacun d’en-
tre eux à devenir un champion, même à
l’école », commente Thembakazi Mvitshane,
coordinatrice des guides du musée.
Elle ne se lasse pas d’accompagner les visi-
teurs à travers les ailes du bâtiment. « J’aime
faire ce métier parce que c’est lui, et pas quel-
qu’un d’autre », nuance la guide. Les autres…
Comprendre les présidents qui ont succédé à
Nelson Mandela depuis la fin de son mandat,
en 1999. Ceux qui ont trahi ses idéaux et qui
n’ont pas tenu les promesses de « Madiba »,
l’un des surnoms de l’ancien président. L’une
d’elles fait l’objet d’un panneau d’exposition :
la construction de logements sociaux. Nelson
Mandela avait promis de construire gratuite-
ment des petites maisons neuves à toutes les
personnes habitant dans des logements indi-
gnes. Ce programme existe toujours, mais il
est au cœur d’un système de corruption à
Le sous-développement dont souffre la province de l’ancien président
sud-africain, mort le 5 décembre 2013, nourrit la désillusion de la population
grande échelle et de malfaçons. Les maisons
pour lesquelles des familles ont patienté
toute leur vie sont livrées trop petites et de
mauvaise qualité.
Nomzi Mpendukana tient pourtant à rece-
voir le logement social qu’on lui a promis « il y
a des années et des années ». Ses enfants ont dû
s’exiler à 1 000 kilomètres de là pour chercher
du travail. « Quand ils rentrent du Cap, où dor-
ment-ils ? », s’inquiète-t-elle. Au moment de lui
rendre visite, fin décembre, ils devront déplier
leurs matelas dans une grande pièce de vie
commune sans meuble. C’est dans cette petite
maison carrée aux murs écaillés, entourée
d’un jardin et à l’écart de la ville, que Nomzi
Mpendukana, 65 ans, veuve et sans emploi, vit
seule le reste de l’année.
Elle n’en veut pas à Nelson Mandela, au
contraire. « Il a changé nos vies, il a apporté
l’électricité et la paix en Afrique du Sud. »
L’électrification des zones rurales est l’une
des avancées les plus saluées dans la région.
Comme un symbole, un poste électrique est
construit à quelques mètres de la tombe de
l’ancien président, dans le village de Qunu.
Nelson Mandela a aussi favorisé la construc-
tion d’écoles et de cliniques. Mais « il ne pou-
vait pas développer la région davantage, en
tant que président, il a fait en sorte de ne pas
détourner les ressources de l’Etat pour sa pro-
pre région », le dédouane Farrington Siheula,
venu rendre visite à Nomzi Mpendukana,
qu’il côtoie au club du troisième âge. « C’était
un bon président. Mais c’est après lui que les
choses se sont détériorées », abonde son hô-
tesse. Elle aussi a cessé de voter pour l’ANC.
Mais que le parti au pouvoir se rassure, ra-
res sont les électeurs qui boudent ses repré-
sentants dans l’agglomération. Le parti de
Mandela a obtenu 64 % des voix lors des élec-
tions locales de novembre 2021, contre
moins de 50 % au niveau national. Dans la
circonscription de Mvezo, fief du clan Man-
dela, ses scores atteignent 80 %. « C’est une ré-
gion où l’on n’imagine même pas voir l’ANC
perdre, confirme le journaliste Luvo Cakata.
Le parti est associé à Nelson Mandela, cela suf-
fit aux gens pour voter pour l’ANC, surtout les
anciens, ceux qui ont connu l’apartheid. »
Une statue de l’enfant du pays, habillé dans
les habits traditionnels du peuple xhosa et
de son clan, les Thembu, a été inaugurée à
Qunu lors du Mandela Day, le 18 juillet.
« C’est dans ce village (…) que j’ai passé les an-
nées les plus heureuses de mon enfance »,
écrit Mandela dans son autobiographie, Un
long chemin vers la liberté (Fayard, 1995). La
nouvelle statue le représente torse nu, avec
un pagne, une couronne de perles bleues et
blanches sur la tête et un collier.
La statue plaît à Zimisele Gamakulu, guide
indépendant. Il vit à Qunu, à deux pas de la
maison familiale des Mandela. Ce nouveau
bronze devrait permettre de promouvoir le
minimusée de Qunu. Zimisele y fait le pied de
grue en attendant d’hypothétiques cars de
touristes. La région mériterait un coup de pro-
jecteur, estime-t-il. « Ils ne font pas grand-
chose pour soutenir le tourisme dans la région.
À MVEZO, Pourtant, elle est riche en patrimoine. Notre
culture, notre façade maritime qui est l’une des
LE DOMAINE plus naturelles, presque vierge, sans bâtiments,
figée dans le temps. Mais ils devraient amélio-
FAMILIAL A DES AIRS rer les routes », suggère le guide.
DE FRICHE. « LEÇON D’HUMILITÉ »
LE MUSÉE « Si vous aviez vu à quoi ressemblait la région il
y a six ans ! », interpelle Zelda la Grange, an-
QUI DOIT CÉLÉBRER cienne assistante particulière de Nelson Man-
dela. Elle revient d’une tournée dans la région
LE PASSÉ et dit avoir été « surprise par son développe-
TRADITIONNEL ment ». Celle qui consacre désormais son
temps à donner des conférences de motiva-
DE « MADIBA » tion préfère se concentrer sur le positif. « C’est
injuste de dire qu’il n’y a rien de bon en Afrique
EST VIDE du Sud. Il y a du progrès, c’est très lent, mais, si
on se focalise sur les problèmes, on oublie ce qui
a été fait de bien depuis 1994 », recadre-t-elle.
La route secondaire qui mène au village de
Mvezo, chef-lieu des Mandela, raconte une
autre histoire. Cet itinéraire est un accident de
parcours imposé par un GPS qui a perdu la
boussole. Mais le voyage, une heure sur des
routes cabossées, permet d’admirer les mai-
sons rondes et colorées des villages isolés. La
pluie a lessivé les murs en parpaing pour lais-
ser apparaître des façades aux teintes rose
saumon, bleu cyan ou vert amande.
Les tavernes sont les plus voyantes dans ce
paysage de bout du monde. L’une d’elles a été
repeinte en rouge pétant, la couleur d’une
marque de bière. « On a un très gros problème
d’alcoolisme dans la région », se désole Andile
Mandela, l’un des dix-sept arrière-petits-fils
de « Madiba ». Ce jeune homme de 30 ans voit
dans la consommation d’alcool l’une des cau-
ses du sous-développement dans la province.
Andile Mandela reçoit à Mvezo, où il a décidé
de poser ses valises pour quelques mois, loin
de sa maison de Johannesburg. « On prend une
leçon d’humilité ici. J’encourage les gens qui
vont passer leurs vacances à Johannesburg ou
au Cap à venir ici et à observer. » Andile Man-
dela veut consacrer son temps au développe-
ment du domaine traditionnel de Mvezo, où
règne son frère, le député et chef de clan Man-
dla Mandela. La parcelle abrite le parlement
tribal ainsi que des salles de conférence et de
travail. Des machines à coudre sont mises à
disposition pour donner du travail aux fem-
mes, mais l’activité y est au point mort.
« Nous avons besoin d’aide », confie Nolusa-
pho Mandela-Perry, la mère d’Andile. Elle es-
père un appui financier pour former les cou-
turières et promouvoir leurs produits. « On a
beaucoup de touristes qui viennent ici, ils veu-
lent visiter le berceau de Nelson Mandela, mais
nous n’avons rien à leur vendre, regrette-t-elle.
On n’a pas reçu beaucoup d’aide du gouverne-
ment. » Le nom Mandela ne permet pas tout. A
Mvezo, le domaine familial a des airs de friche.
Le musée qui doit célébrer le passé de « Ma-
diba » est vide, et l’imposant bâtiment qui de-
vait accueillir deux restaurants tombe en
ruine après avoir été frappé par la foudre.
On quitte le domaine par une route carros-
sable qui mène directement vers l’autoroute,
sans passer par les chemins de terre de l’arriè-
re-pays. L’Afrique du Sud est ainsi faite, à
moitié développée. « Mvezo était un endroit à
l’écart, un petit univers clos, loin du monde et
des grands événements où la vie n’avait pas
changé depuis des centaines d’années », écrit
Nelson Mandela dans ses Mémoires. Dix ans
après sa mort, le 5 décembre 2013, les lieux de
son enfance forment encore aujourd’hui un
microcosme, une version miniature des pro-
blèmes que l’Afrique du Sud doit surmonter. p
romain chanson
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0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023 disparitions | 19

Shane MacGowan
Ancien chanteur du groupe
The Pogues

P
erdant magnifique »,
« charlot céleste »… Shane
MacGowan, mort jeudi
30 novembre à 65 ans, a
traîné cette réputation durant
toute sa carrière. Il y a d’abord son
incroyable « gueule », ses yeux glo-
buleux, ses oreilles proéminentes
et sa denture ingrate. Personnalité
au penchant autodestructeur,
grand buveur notoire, qui plus est
accro aux stupéfiants en tout
genre, le chanteur du groupe The
Pogues n’a jamais caché sa préfé-
rence pour les derniers de la classe,
les oubliés. Le succès de son
groupe n’a fait paradoxalement
qu’agrandir ce malaise en lui, cette
idée de ne pas être à la bonne
place. Et puis, il y a le parolier
exceptionnel, le poète cru et drôle,
de la trempe d’un Tom Waits,
conteur d’histoires remplies de
compassion pour les marginaux
et les destins fracassés.
Né le 25 décembre 1957 dans le
Kent, en Angleterre, de parents ir-
landais, Shane MacGowan gran-
dit dans la campagne irlandaise
jusqu’à l’âge de 6 ans et demi,
avant que sa famille ne retourne
en Angleterre s’installer dans la
banlieue londonienne. Son père
est employé dans un grand maga-
sin ; sa mère, ancienne chanteuse
et danseuse traditionnelle, fut no-
tamment mannequin durant sa
jeunesse dublinoise.
Explosion punk
Garçon timide, élevé dans la foi
catholique, l’adolescent a du mal
à s’adapter à son nouvel environ-
nement scolaire, enchaîne les fu-
gues et les expulsions (il est sur-
pris en possession d’amphétami-
nes). Un épisode le marque à ja-
mais : à l’âge de 16 ans, il fait un
séjour dans un hôpital psychia-
trique de Dublin, à la suite d’une
surconsommation de doses de
Valium prescrites par erreur. « De
voir et d’entendre toute cette
putain d’horreur et de misère, ça a
changé beaucoup de choses en
moi », confie-t-il au journaliste
Nick Kent, dans The Dark Stuff.
L’envers du rock (2006).
Tout juste sorti de l’asile, il
prend de plein fouet l’explosion
punk, après avoir assisté à un
concert des Sex Pistols. Sa pre-
mière heure de gloire, si l’on ose
dire, a lieu lors d’un concert des
Clash, en 1976, où il se fait arra-
cher le lobe d’une oreille. La
scène, immortalisée sur une
photo, fait le titre d’un quotidien
populaire : « Cannibalisme à un
concert de rock ». Il forme un
groupe punk rockabilly en 1978,
The Nipple Erectors (« les dres-
seurs de tétons »), avec James
Fearnley, futur accordéoniste des
Pogues, ainsi que Jon Moss, qui
fondera plus tard Culture Club,
avec Boy George. Puis il forme un
deuxième groupe, The Chain-
saws, plus éphémère.
Lassé par le punk, il se tourne
vers la musique folk irlandaise
avec quelques connaissances de
squat sous le nom de Pogue
Mahone (littéralement « em-
brasse mon cul » en gaélique).
Outre James Fearnley, il est rejoint
par Jem Finer au banjo, le flûtiste
Spider Stacy, la bassiste Cait
O’Riordan (future épouse d’Elvis
Costello) et le batteur Andrew
Ranken. Le groupe opte pour le
nom raccourci The Pogues
en 1983, puis signe, l’année sui-
vante, sur le label indépendant
Stiff Records, qui reprend en li-
cence leur premier single auto-
produit, Dark Streets of London.
Le premier album du groupe The
Pogues, Red Roses for Me (1984),
aux ventes modestes, pose les ba-
ses de son style : une musique
celtique inspirée par les vétérans
The Dubliners, le tout arrosé
d’une gouaille punk ou d’une
ivresse inédite, c’est selon.
Le succès et l’estime de la criti-
que viennent avec leur deuxième
album, Rum, Sodomy & The Lash
(1985), à la célèbre couverture pas-
tichant Le Radeau de la Méduse,
de Géricault. Produit par Elvis
Costello, l’album révèle le talent
de parolier et d’interprète de
Shane MacGowan, son sens de
l’humour tragique entre Charles
Bukowski et Ernest Hemingway,
évoquant la guerre (The Sick Bed
of Cuchulainn), et un certain
romantisme dépravé (Sally Mac-
Lennane). If I Should Fall From
Grace With God (1988), produit
cette fois par Steve Lillywhite (U2),
est de nouveau une grande réus-
site artistique et publique, même
si le charme bancal des débuts
laisse place à un certain profes-
sionnalisme. Le disque est rempli
d’hymnes, tels que la valse déca-
dente de Noël Fairytales of New
York, chantée en duo avec Kirsty
MacColl, ou encore l’épique Thou-
sands Are Sailing.
Penchants autodestructeurs
Mais le succès croissant du
groupe (désormais au nombre de
huit sur scène) va crescendo avec
l’addiction inquiétante du chan-
teur, transformé en bête de foire
devant le public. Le groupe n’a
d’autre choix que de se passer dé-
finitivement de ses services : de-
venu incontrôlable lors d’une
tournée japonaise fin 1991, il est
remplacé au pied levé par Joe
Strummer. L’ex-leader des Clash
venait juste de produire leur cin-
quième album, Hell’s Ditch (1990),
qui sera de fait le dernier enregis- A Silvermines (Irlande), le 8 janvier 2017. CLODAGH KILCOYNE/REUTERS
tré avec MacGowan. Malgré l’état
d’ébriété avancé de son leader en
studio, le disque tient pourtant l’Olympia. Depuis la mort du gui- voix continue de transporter lors- 25 DÉCEMBRE 1957 Nais-
miraculeusement la route. tariste Philip Chevron, en 2013, le qu’il se prête à un émouvant duo sance à Tunbridge Wells
Les Pogues, orphelins de leur groupe a cessé de se produire. avec Nick Cave sur la ballade so- (Royaume-Uni)
chanteur charismatique, enregis- Plus anecdotique, en 2016, un do- laire Summer in Siam. L’une de ses 1978 Fonde le groupe
treront par la suite deux autres al- cumentaire télévisé au nom évo- rares compositions où l’homme punk rockabilly The Nipple
bums, passés inaperçus. Requin- cateur, Shane MacGowan. A Wreck chante le souvenir d’un instant Erectors
qué, MacGowan forme de son Reborn (« une épave renaît »), met heureux de plénitude. 1982 Participe à la fondation
côté The Popes, tendance plus en scène sa spectaculaire opéra- Le documentaire Crock of Gold, du groupe de folk rock
électrique, et publie deux albums tion de chirurgie dentaire. paru en 2020, produit par Johnny The Pogues
où la magie s’est évaporée. En Le 15 janvier 2018, sur la scène du Depp, retrace durant cent vingt 1984 « Red Roses for Me »
mars 1995, la tournée du groupe National Concert Hall de Dublin, minutes l’ascension du barde 30 NOVEMBRE 2023 Mort
se termine tragiquement par le héros du rock celtique a fêté ses punk et son penchant autodes- à Dublin
l’overdose de son éclairagiste, 60 ans en présence de Bono de tructeur pour l’alcool. Filmé par
Dave Jordan, après un concert U2, de Sinead O’Connor, de l’ac- Julien Temple, le sexagénaire, qui
donné à l’Elysée-Montmartre, à teur Johnny Depp et du président semble en paraître quinze de
Paris. Shane MacGowan se fera de l’Irlande, Michael D. Higgins. plus, se remémore la genèse des
ensuite discret, jusqu’à la refor- L’ancien punk y fait une rare ap- Pogues : « Notre seule ambition
mation du groupe The Pogues, parition publique, un micro à la était de remettre à la mode la
en 2005, pour quelques tournées main, une pinte dans l’autre, musique irlandaise et son patri-
surfant sur la nostalgie. En 2012, le cloué sur une chaise roulante moine culturel. » Shane MacGo-
groupe a fêté ses 30 ans de car- depuis une lourde chute en 2015. wan est devenu, malgré lui, un
rière, avec notamment deux Les années d’excès se lisent sur trésor national. p
concerts complets donnés à son visage bouffi, pourtant la franck colombani

Michèle Rivasi
Députée européenne écologiste

D
éputée européenne
écologiste, figure du
mouvement antinu-
cléaire, Michèle Rivasi
est morte à l’âge de 70 ans, mer-
credi 29 novembre à Bruxelles,
d’une crise cardiaque. Née à Mon-
télimar (Drôme) le 9 février 1953,
l’élue était une figure des Verts,
aussi appréciée en interne par les
militants que décriée en dehors
pour ses prises de position contro-
versées sur la vaccination.
Normalienne, agrégée de biolo-
gie, elle est entrée dans l’engage-
ment, scientifique d’abord, au mo-
ment du survol du nuage de Tcher-
nobyl sur la France, en 1986. Cette
année-là, son mari, pilote de ligne,
lui rapporte les conseils donnés en
Italie. Rien de tel en France,
comme si le nuage toxique s’était
arrêté à la frontière… Elle fonde
alors, avec une centaine de per-
sonnes, la Commission de recher-
che et d’information indépendan-
tes sur la radioactivité. Les analy-
ses de son laboratoire contribue-
ront à dénouer le mensonge d’Etat
sur les retombées de la catastro-
phe nucléaire dans l’Hexagone.
Avec son équipe, Michèle Rivasi
établira ensuite des expertises in-
dépendantes sur l’ensemble de la
filière, des pollutions radioactives
laissées par les anciennes mines
d’uranium du Limousin aux dé-
chets et rejets des centrales en ac-
tivité. Mère de deux filles, elle se
souvenait, auprès du Monde,
en 2006, de ces années comme
d’un « sacerdoce ».
Elle devait ensuite, tout au long
de sa longue carrière politique,
appliquer le même refus de s’en
tenir à la parole officielle à
d’autres dossiers de santé envi-
ronnementale, comme celui des
ondes électromagnétiques des re-
lais de téléphonie. Avec parfois
moins de succès.
En juillet 2021, au moment de la
quatrième vague de Covid-19 et
de la mise en place de l’obligation
du passe sanitaire pour entrer
dans certains lieux publics, celle
qui se revendiquait de longue
date « vaccin-critique » avait parlé
d’« apartheid dans le pays des
droits de l’homme ». La direction
d’Europe Ecologie-Les Verts
(EELV) s’était désolidarisée d’elle,
et de ses invitations à des figures
du complotisme antivax comme
l’Anglais Andrew Wakefield,
auteur d’une étude falsifiée liant
vaccination et autisme chez l’en-
fant. « Il y a des moments où l’on
s’embrouillait. Elle a pu manquer
de vision, je lui disais de ne pas ten-
dre le bâton aux gens qui vou-
laient la décrédibiliser », mesure le
député européen David Cor-
mand, sous le choc de son décès
soudain.
Porte-parole d’Eva Joly
Honnie du lobby nucléaire puis
de l’industrie phytosanitaire et
pharmaceutique (sauf peut-être
de celle de l’homéopathie, dont
elle défendait le remboursement),
c’est sous la bannière socialiste
apparentée qu’elle entre sur la
scène politique nationale comme
députée de la Drôme, en 1997. Elle
est ensuite de toutes les campa-
gnes des Verts, ou presque.
Candidate d’ouverture sur la liste
de Daniel Cohn-Bendit lors des
européennes de 2009, elle parti-
cipe à la fondation d’EELV l’année
suivante. Elle est ensuite porte-pa-
9 FÉVRIER 1953 Naissance
à Montélimar (Drôme)
1997 Elue députée
de la Drôme
2009 Elue eurodéputée
2016 Candidate à la
primaire écologiste
29 SEPTEMBRE 2023 Mort
à Bruxelles
En septembre 2016, à Paris. JOËL SAGET/AFP
role d’Eva Joly lors de la campagne lations tendues avec elle, de leur rée des militants écologistes, elle
présidentielle de 2012. « Qui n’a pas cohabitation malaisée à la direc- contribua aussi à ancrer le parti
fait une campagne électorale avec tion de Greenpeace en 2003 (« il dans sa Drôme natale. Au mo-
elle ne sait pas ce qu’est une campa- jouait les mâles dominants », con- ment de sa mort, Michèle Rivasi
gne », salue Cécile Duflot, an- fiait-elle au Monde en 2016), jus- effectuait son troisième mandat
cienne secrétaire nationale des qu’à la même primaire, qui les op- au Parlement européen et récla-
Verts puis d’EELV, qui fut devancée posa au second tour. Il l’emporta mait, toujours, la transparence
par elle au premier tour de la pri- avec 54,25 % des voix. des contrats liant les Etats mem-
maire écologiste de 2016. Ses collègues vantent, nom- bres aux laboratoires pharmaceu-
« Tant de luttes partagées ! », breux, ses qualités humaines, sa tiques en matière de vaccin con-
abonde Yannick Jadot, lui qui capacité à être écoutée bien au- tre le Covid-19. p
avait longtemps entretenu des re- delà des cénacles politiciens. Ado- julie carriat
20 |
CULTURE
OPÉRA
La Grèce
de la Callas,
entre traumas
et triomphes
Le centenaire de la diva, née
le 2 décembre 1923 à New York,
est célébré à Athènes, où elle fit son
apprentissage, comme en France
REPORTAGE
athènes - envoyée spéciale
L
e dimanche 3 juin 1979,
les cendres de Maria
Callas, morte vingt et
un mois plus tôt à
Paris, furent répan-
dues au large de l’île de
Skorpios, dans cette mer Egée
qui berça ses amours avec l’arma-
teur grec Aristote Onassis (1906-
1975). Un retour dans cette patrie
qu’Anna Maria Sofia Cecilia
Kalogeropoulou, née à New York
il y a tout juste cent ans, le 2 dé-
cembre 1923, revendiquait sans
ambiguïté : « J’appartiens au
monde grec. J’ai épousé un Italien,
le monde entier m’a honorée,
mais mon sang est grec, et cela,
personne ne peut l’effacer », décla-
rait-elle en 1957 sur une radio
athénienne.
C’est en effet à Athènes que la
jeune Maria, débarquée des
Etats-Unis le 6 mars 1937 à l’âge
de 13 ans, avec sa mère Evangelia
(1894-1982) et sa sœur aînée Ya-
kinthi (dite « Jackie », 1917-2004),
fera, pendant huit ans, l’exigeant
À VOIR
« Callas. Paris , 1958 », film de
Tom Volf (90 min). Au cinéma,
les 2 et 3 décembre à 20 heures,
dans certaines salles Pathé et
Gaumont. Une version colorisée
en format 4K et à partir de
nouvelles bandes sonores de
la soirée du 19 décembre 1958 à
l’Opéra de Paris. Pathelive.com
« Mairi, Marianna, Maria.
Les années grecques incon-
nues de la Callas », documen-
taire de Michalis Asthenidis et
Vasilis Louras (Fr., 2023, 90 min).
Sur France 5, le vendredi
8 décembre à 23 h 30.
« Unboxing Callas : From Callas
to Medea, an installation
in three acts ». Opéra national
de Grèce, Athènes. Exposition
jusqu’au 10 janvier 2024.
Nationalopera.gr
À ÉCOUTER
« La Divina : Maria Callas in All
Her Roles ». Coffret 131 CD,
trois Blu-ray, un DVD-ROM, unli-
vre de 148 pages, édition limitée
numérotée, la plus complèteja-
mais publiée, avec 74 rôles. War-
ner Classics. 303 €.
apprentissage de son art. Des an-
nées difficiles, aux prises avec la
guerre et les privations – de l’oc-
cupation nazie à la guerre civile –,
dont témoigne le saisissant do-
cumentaire Mairi, Marianna,
Maria. Les années grecques incon-
nues de la Callas (2023), réalisé
par Vasilis Louras et produit par
Stella Angeletou, respectivement
directeur du marketing et de la
communication et directrice
de production de l’Opéra natio-
nal de Grèce. Un travail passion-
nant dont la diffusion, le 8 dé-
cembre sur France 5, constituera,
pour beaucoup, une révélation.
« Restées dans l’ombre jusqu’ici,
ces années de 1937 à 1945 sont
pourtant absolument détermi-
nantes, assure Vasilis Louras, car
elles portent en germe des expé-
riences de vie et de mort, des trau-
mas profonds, de grandes réussi-
tes : le triomphe de la force inté-
rieure et du travail obstiné, mais
aussi de la résistance contre les
souffrances et l’adversité », con-
clut-il à l’issue de la projection du
25 novembre, en avant-première,
à la Fondation grecque des archi-
ves du film d’Athènes.
INIMITIÉS ET MOQUERIES
Deux heures de témoignages et
d’archives, jusqu’aux images de
pleine mer tandis que l’on en-
tend la dernière bande de travail
enregistrée par la Divina, à quel-
ques jours de sa disparition, ré-
pétant avec la pianiste grecque,
Vasso Devetzi (1927-1987), la
prière du Madre, pietosa Vergine,
de La Forza del destino, de Verdi.
Une mise en abyme insoutena-
ble : dans cette voix rongée par le
temps, la même détermination,
le même acharnement et le
même désir de perfection, quali-
tés repérées d’emblée par sa pre-
mière professeure, Maria Tri-
vella, puis la célèbre Elvira de Hi-
dalgo (1891-1980), qui fut son
mentor au prestigieux Conserva-
toire d’Athènes, avant de devenir
son amie.
Dans l’Athènes d’aujourd’hui,
nul lieu de pèlerinage ou de re-
cueillement. Les endroits liés à la
« petite fille grecque née à New
York » se comptent sur les dix
doigts. Certains ont changé d’af-
fectation, d’autres ont disparu.
C’est le cas des deux conservatoi-
res où la jeune fille, déjà sûre de
son talent et fuyant les nombreu-
ses disputes avec sa mère, passait
ses journées, première arrivée,
dernière partie. La soprano Zoe
Vlachopoulos se souvient de l’ar-
rivée en 1939 de cette « jeune fille
grande, grosse, brune, avec de très
beaux yeux, et beaucoup de cou-
rage » dans la classe de Mme de Hi-
Portrait de Maria Callas projeté sur la façade de la maison qu’elle occupa de 1940 à 1945, à Athènes. CHRIS GIATRAKOS
dalgo. « Je suis restée bouche bée,
parce que j’ai entendu une voix ex-
ceptionnelle, en ampleur et en
étendue. » L’adolescente mal fago-
tée, au fort accent américain,
grosses lunettes de myope, avi-
vera déjà, par ses manières frus-
tes et ses dons extraordinaires, ja-
lousies, inimitiés et moqueries.
Parmi les bâtiments toujours
visibles, le Parnassos, place Agiou
Georgiou Karitsi, avec ses lourds
sièges de bois recouverts d’un
cuir vert émeraude, où Marianna
Kalogeropoulou se produisit, à
14 ans, dans un duo de la Tosca,
en 1938. Mais aussi le Pallas, rue
Voukourestiou : elle y incarnera
son premier rôle professionnel –
Beatrice dans Boccaccio, de Franz
von Suppé. Il y a aussi le Rex, de la
rue Panepistimiou, où aura lieu
son dernier récital, avant le retour
aux Etats-Unis, en septem-
bre 1945.
Mais le plus important reste le
théâtre Olympia, siège de l’ancien
Opéra national de Grèce, créé à
l’automne 1939 par le journaliste
Kostis Bastias. En plus de sa
bourse au Conservatoire, l’institu-
tion lyrique propose à la jeune dé-
sargentée un contrat de choriste
(emploi « fictif » qu’elle n’aura pas
à honorer), avant de l’intégrer à la
troupe de chanteurs. De 1940 à
1945, entre 16 et 21 ans, Callas se
produira dans des opéras allant
de Tosca (Puccini) à Fidelio
(Beethoven), de Tiefland (d’Albert)
à Cavalleria rusticana (Mascagni),
en passant par les rares O Proto-
mastoras, de Kalomiris, ou Der
Bettelstudent, de Millöcker.
Est-ce parce qu’il fut le théâtre
des compromissions maternelles
avec l’occupant italien ? L’immeu-
ble Papaléonardos, propriété mu-
nicipale d’Athènes, est
aujourd’hui à l’abandon. Les bal-
cons s’effritent, le rez-de-chaus-
sée s’affaisse, tandis que des bar-
SON RÉCITAL D’ADIEU,
LE 3 AOÛT 1945,
FLORILÈGE
DES AIRS LES PLUS
SPECTACULAIRES
QUE LUI PERMETTENT
SES CAPACITÉS HORS
NORME, RESSEMBLE
À UN FEU D’ARTIFICE
belés protègent d’éventuels
squatteurs. Evangelia et ses filles
y vécurent de 1940 à 1945, au cin-
quième et dernier étage sur cour.
Sur la terrasse du 61 de la rue Pa-
tission, la jeune Maria chantait
parfois pour les officiers que rece-
vait sa mère, maîtresse du colo-
nel Mario Bonalti. « Un soir, alors
que je me préparais à aller me cou-
cher, raconte Marika Papadopou-
lou, l’une de ses collègues à
l’Opéra, j’ai entendu l’aria de la
Tosca en entier, et je me suis dit :
“C’est elle, Maria.” Le lendemain, je
lui demande ce qui s’est passé. “Eh
bien, me répondit-elle, comme
d’habitude. Ils étaient rassemblés
et je devais chanter.” »
Comme ses collègues, la jeune
femme doit se produire pour les
forces d’occupation. Le salaire se
paie en denrées alimentaires
(blé, raisins secs, riz, haricots,
lentilles, pommes de terre),
comme lors du récital de
juin 1942 à Thessalonique pour
les 150 ans de la naissance de Ros-
sini. La réputation de la canta-
trice croît en même temps que
les polémiques, parfois injustes :
avec ses camarades, Maria trans-
porte parfois pour la Résistance
des vivres volés sur les navires al-
lemands du Pirée.
En temps de paix, sa première
Tosca sur scène, à l’âge de 18 ans,
fin août 1942, (en grec, puis en ita-
lien), lui aurait valu une immé-
diate réputation internationale.
L’endurance de la chanteuse est, à
cette époque, remarquable. Le
21 juillet 1943, elle enchaînera di-
rectement la reprise de cette
Tosca sur les tréteaux de la place
Klafthmonos au premier récital
donné en soliste au Théâtre d’été
Mousouri. L’année suivante, elle
interprétera quatre rôles majeurs
en cinq mois.
Les Italiens partis fin 1943, le
drapeau nazi retiré de l’Acropole
le 12 octobre 1944, l’heure est aux
règlements de compte. Tandis
que Maria, bilingue, est affectée
au traitement du courrier confi-
dentiel au quartier général an-
glais, Callas, qui a déjà subi l’inter-
ruption de son contrat sous l’Oc-
cupation, est dégradée par la nou-
velle direction de l’Opéra
national (elle chantera encore
Tiefland, puis Der Bettelstudent).
ENNEMIS D’ANTAN
En mars 1945, celle qui se pré-
sente pour la première fois sous
le nom de Mary Callas au concert
Nuit des vedettes à la base aé-
rienne américaine d’Hellinikon
sait qu’elle doit partir. Son récital
d’adieu, le 3 août, quelques se-
maines avant l’embarquement
du 14 septembre à bord du Stock-
holm, florilège des airs les plus
spectaculaires que lui permettent
ses capacités hors norme, res-
semble à un feu d’artifice.
La Divina reviendra par trois
fois sur la terre de ses ancêtres,
auréolée de triomphes et de scan-
dales. Sa voix n’est déjà plus à son
zénith lorsqu’elle accepte, en 1957,
d’ouvrir le Festival d’Athènes, à
l’odéon d’Hérode Atticus. A Athè-
nes, ses ennemis d’antan n’ont
pas désarmé, et la Callas, réfugiée
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023
à l’Hôtel Grande Bretagne, se dé-
clare souffrante. Le récital, finale-
ment programmé et diffusé à la
radio le 5 août, restera dans les
mémoires. Tout comme les deux
opéras dont elle incarnera les rô-
les-titres, en août 1960 et 1961,
dans un autre théâtre antique, ce-
lui d’Epidaure : une Norma légen-
daire, puis, l’année suivante, la
non moins légendaire Médée, de
Cherubini.
« Chacun vit sa propre histoire
avec Maria Callas, constate le di-
recteur de l’Opéra d’Athènes et
compositeur, Giorgos Koumen-
dakis. Mais il est indispensable
que ce centenaire contribue à la
faire mieux connaître des futures
générations. » C’est pourquoi il a
confié l’exposition « Unboxing
Callas : From Callas to Medea, an
installation in three acts » à Vassi-
lis Zidianakis, cofondateur de
l’Atopos Contemporary Visual
Culture. Une conception sur le
modèle de ces vidéos où l’on voit
une personne ouvrir une boîte
dont il ne connaît pas le contenu.
Dix créateurs ont été sollicités
pour réaliser des performances
interactives à partir des archives
de l’institution, mais aussi de la
donation faite récemment par le
collectionneur Dimitris Pyromal-
lis. On y voit notamment une
courte vidéo numérique de Pe-
tros Efstathiadis, The End of Me-
dea, imaginée à partir d’une in-
terview du 14 juin 1957 avec le cri-
tique musical français, Bernard
Gavoty. La diva y affirme qu’elle
brûlait ses costumes les premiè-
res années de sa carrière. Cela n’a
heureusement pas été le cas des
deux robes historiques de la
Norma d’Epidaure, prêtées ici par
le Musée Maria-Callas, en projet
depuis des décennies et dont les
portes viennent enfin de s’ouvrir,
au 44 de la rue Mitropoleos. p
marie-aude roux
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023
Sur le service public,
des hommages
multiples à la diva
France 4, France 5 et Arte diffusent une série
de programmes inédits ou anciens,
du documentaire à la captation de récital
TÉLÉVISION
D epuis sa mort, à Paris,
à l’âge de 53 ans, Maria
Callas continue de pas-
sionner des hordes de lyricoma-
nes, dont chaque génération se
rue sur les rééditions phonogra-
phiques et vidéographiques, avec
d’éventuels inédits à la clé, qui sa-
luent les anniversaires de sa nais-
sance, le 2 décembre 1923, ou de sa
disparition, le 16 septembre 1977.
Pour le centenaire de sa venue
au monde, à New York (Callas
conservera, jusqu’en 1966, la dou-
ble nationalité grecque et améri-
caine), les chaînes de télévision du
service public ont marqué le coup,
avec cependant beaucoup de re-
diffusions et peu d’émissions
nouvelles. Parmi celles-ci, le « Fau-
teuils d’orchestre » du 8 décem-
bre, sur France 5, qu’Anne Sinclair
consacrera à la diva, avant un
« Gala Maria Callas », sur la même
chaîne, enregistré au Palais Gar-
nier le 2 décembre, dont la con-
ception, la mise en scène, les dé-
cors et les lumières ont été confiés
à l’Américain Robert Carsen.
De son côté, Arte propose une
« journée Callas », le 3 décembre,
qui permettra de voir un nouveau
montage du documentaire de
Holger Preusse (2017) sur la Tosca
mythique qu’avait interprétée
Callas au Covent Garden de Lon-
dres, en 1964. Suivent le non
moins mythique récital avec or-
chestre de Maria Callas au Palais
Garnier, en 1958, et la rediffusion
du documentaire Les Grands Ri-
vaux en musique. Callas vs Tebaldi
(2020), d’Andreas Morell, qui re-
vient sur la rivalité entre deux pô-
les opposés : la rondeur crémeuse
de Renata Tebaldi ; le tranchant
chauffé à blanc de Maria Callas…
Longues séquences musicales
Le plus intéressant, dans cet en-
semble d’hommages, est Maria
by Callas (2017), de Tom Volf,
que rediffuse France 4, samedi
2 décembre. Contrairement aux
autres documentaires dévolus à la
soprano la plus mythique du
XXe siècle, ce film de près de deux
heures, d’abord sorti au cinéma,
renonce à faire intervenir des té-
moins et spécialistes – à de rares
exceptions, comme celle qui
montre Elvira de Hidalgo, la pro-
fesseure de chant de Callas à Athè-
nes, qui restera sa confidente et
mourra, presque nonagénaire,
trois ans après son élève favorite.
Car le réalisateur a voulu conce-
voir le « premier film qui raconte
l’histoire de la vie de la légendaire
cantatrice gréco-américaine exclu-
sivement selon ses propres mots ».
Pour ce faire, de nombreux entre-
tiens radiophoniques et télévisés
avec la Callas (en anglais et en
français, pour l’essentiel), des let-
tres et des écrits intimes s’agrè-
gent en un récit bouleversant.
Au point qu’on entend Fanny Ar-
dant, en voix off, parfois au bord
des larmes quand elle lit les lettres
déchirantes de Callas (traduites et
éditées par Tom Volf chez Albin
Michel, en 2019), cette même
Fanny Ardant qui incarna la volca-
nique cantatrice dans Master
Class, en 1996, la pièce de Terrence
McNally qui fait revivre les classes
de maître données par la Callas à
New York, en 1971 et 1972.
DANS « MARIA BY
CALLAS », TOM VOLF
A VOULU RACONTER
LA CANTATRICE
GRÉCO-AMÉRICAINE
« EXCLUSIVEMENT SELON
SES PROPRES MOTS »
Si l’on retrouve inévitablement
des images utilisées par d’autres
avant lui, Tom Volf a fait une re-
marquable recherche de docu-
mentation archivistique. Autre
qualité de ce travail, entrepris
en 2013 : le respect de longues sé-
quences musicales où l’on entend
celle qui, littéralement, brûla les
planches et termina en cendres.
La prima donna a-t-elle arrêté
de chanter pour se consacrer à
son fol amour pour Aristote
Onassis (1906-1975), à partir de
1959 ? Ce repli tombait-il bien, au
moment où la voix de la Callas
commençait à faire entendre ses
failles ? A-t-elle trop fait la fête
pendant ses années jet-set ? De-
puis la sortie du film, d’autres
sources biographiques ont fourni
de nouveaux éléments sur sa rela-
tion avec le milliardaire grec – qui
l’avait quittée pour Jackie Ken-
nedy et reviendra vers elle peu
avant de mourir – et sur sa santé.
Enfin, on conseillera de revoir le
numéro du brillant webmagazine
d’Arte « Blow Up », au cours du-
quel Luc Lagier, fameux pour sa
diction à la Delphine Seyrig subti-
lement artificieuse, revenait sur
les traces laissées par la Callas
dans le cinéma, comme actrice
(chez Pier Paolo Pasolini, dans
Médée, en 1969), comme person-
nage ou comme illustration so-
nore. Lagier – qui cite d’ailleurs le
documentaire de Tom Volf – passe
en revue de nombreux films et as-
signe le dernier tiers de l’émission
à la célèbre scène de Philadelphia
(1993), de Jonathan Demme, où
un disque de la diva tient lieu de
vecteur émotionnel entre les per-
sonnages joués par Tom Hanks,
atteint du sida, et Denzel
Washington, son avocat à l’homo-
phobie en voie de rédemption. p
renaud machart
Maria by Callas, documentaire
de Tom Volf (Fr., 2017, 114 min), le
2 décembre, à 21 h 10, sur France 4.
Maria Callas chante « Tosca ». Le
documentaire, réalisé par Holger
Preusse, le 3 décembre, à 17 h 10
(All., 2017, 32 min). Et sur Arte.tv.
Maria Callas chante des airs
d’opéra. Opéra de Paris, 1958,
captation de Roger Benamou (Fr.,
All., 2023, 44 min), le 3 décembre,
à 17 h 55. Et sur Arte.tv.
Les Grands Rivaux en musique.
Callas vs Tebaldi, documentaire
d’Andreas Morell (All., 2020,
43 min), le 3 décembre, à 18 h 40,
sur Arte. Et sur Arte.tv.
Fauteuils d’orchestre. Maria
Callas, le 8 décembre, à 21 h 05,
sur France 5. Et sur France.tv.
Vissi d’arte. Gala Maria Callas,
le 8 décembre, à 21 h 45, sur
France 5. Et sur France.tv.
Blow Up. Maria Callas
au cinéma, de Luc Lagier,
sur Arte.tv et YouTube.
Image extraite du documentaire « Le Spectre de Boko Haram », de Cyrielle Raingou. LABEL VIDEO, TARA GROUP & KOPA HOUSE INTERNATIONAL
Au Festival des 3 continents,
regards sur le fondamentalisme
Un documentaire et un film révèlent les maux du Cameroun et de l’Iran
CINÉMA
nantes
P
etit tour à Nantes, où
se tient le Festival des
3 continents, messe ci-
néphilique Afrique-Asie-
Amérique, commencée vendredi
24 novembre, qui continue
jusqu’au dimanche 3 décembre.
Aux manettes de la sélection
depuis treize ans, le Nantais pur
jus Jérôme Baron propose cette
année un cocktail « staritude » in-
dienne (Amitabh Bachchan),
pionnière africaine (Safi Faye), an-
thologie vietnamienne (conti-
nent méconnu) et nouvelle vague
taïwanaise (Ann Hui). On y
trouve, par ailleurs, dix longs-mé-
trages de l’année en compétition,
glanés dans les festivals interna-
tionaux, et relancés ici pour une
première exposition nationale.
Pour le meilleur et pour le nette-
ment moins meilleur, le choix
d’une certaine ténuité esthétique
y est flagrant, qui voue ces titres à
demeurer, eu égard au resserre-
ment économique de la distribu-
tion française, dans cette réalité
parallèle qu’on nomme « les films
de festival ». Deux fort beaux
longs-métrages ont ainsi survolé
les débats, le documentaire
Le Spectre de Boko Haram, de la
Camerounaise Cyrielle Raingou,
et la fiction Critical Zone, de
l’Iranien Ali Ahmadzadeh, qui
avaient respectivement remporté
cette année le Tigre d’or à Rotter-
dam (Pays-Bas), et le Léopard d’or
à Locarno (Suisse).
Un road trip urbain sous acide
Par-delà cette fauverie festivalière,
quelque chose de plus essentiel
rapproche ces deux films, qui se
confrontent chacun à la barbarie
du fondamentalisme religieux et
partant s’interrogent sur la ma-
nière dont le cinéma peut la repré-
senter. Question évidemment épi-
neuse. Si les deux œuvres tirent
en partie leur force commune de
lui refuser la grâce de l’image, on
ne saurait imaginer réponses plus
éloignées entre elles que les leurs.
Cyrielle Raingou, en filmant au vil-
lage de Kolofata, dans le nord du
pays, des enfants dont les parents
ont été massacrés ou enlevés par
le groupe terroriste Boko Haram,
fait ainsi le choix d’un huma-
nisme qui ne désarme pas. « La si-
tuation dans la région a été ample-
ment documentée sur le plan poli-
tique, rappelle-t-elle. Je voulais
faire ce qui n’avait pas été fait, en
donnant à ressentir la tragédie hu-
maine des victimes du terrorisme,
et plus particulièrement des en-
fants, qui sont sans filtre, sans pose
misérabiliste, incroyablement at-
culture | 21
teints mais incroyablement
vivants. » De fait, son approche,
« incertain que le peuple puisse à lui
seul faire basculer un pouvoir qui
« Mon héroïne est une jeune mère
musulmane très pratiquante qui
humble et sensible, sans pathos, détient le monopole de la force », trafique avec Boko Haram pour
produit une sorte d’inventaire à la Ali Ahmadzadeh a fait une de- faire manger son enfant. Parce que
Prévert qui suggère, jusque dans mande de visa en Allemagne, qui le drame de la région, c’est aussi
les stigmates de la tragédie, la rê- lui a été refusée et lui a fermé les celui de cette misère qui ne permet
verie de l’enfance éternelle, fût- portes de l’espace Schengen. de mépriser aucune opportunité.
elle protégée par les troupes d’élite Son prix providentiel à Locarno C’est une femme forte, prisonnière
du régime camerounais. vient toutefois de lui ouvrir celles d’un univers patriarcal, qui n’a
A rebours, le réalisateur iranien de la France, qui lui a accordé un d’autre choix que celui de cette
signe un road trip urbain sous visa pour une résidence artisti- terrible compromission. J’ose espé-
acide qui fait de l’activité tayloriste que à Paris d’une durée d’un an. rer que ce regard sur une Afrique
d’un petit trafiquant de drogue de De la même manière, le prix réelle, hétérogène et ambiguë,
Téhéran la parabole d’une société remporté par Cyrielle Raingou à pourra intéresser un coproducteur
civile qui trouve dans la religion Rotterdam, alors qu’elle a mis français. » Où l’on voit que la
de l’opium l’occasion d’oublier sept ans à réaliser son documen- France demeure, envers et contre
celle que le régime des mollahs taire dans une économie très res- tout, une terre d’asile pour les
veut lui imposer. Pour parler la treinte majoritairement financée talents cinématographiques du
langue cinéphile, Critical Zone par le CNC, lui permet d’envisager monde entier, ce dont il est loisible
semble mixer le Ten (2002), avec un peu plus d’espoir son ave- de concevoir une certaine fierté. p
d’Abbas Kiarostami (la voiture nir professionnel, notamment la jacques mandelbaum
comme dispositif de révélation mise en œuvre d’une fiction dont
sociale), et La Loi de Téhéran (2021), le synopsis laisse entrevoir la sin- Festival des 3 continents,
de Saeed Roustayi (bienvenue gularité de son point de vue. à Nantes. Jusqu’au 3 décembre.
dans la capitale de la drogue), pour
en extraire un film punk à l’esthé-
tique brillamment déstructurée.
Absent de Locarno, on saisit l’oc-
casion de la présence à Nantes
d’Ali Ahmadzadeh pour en savoir
un peu plus sur lui. Ce Téhéranais
de 37 ans, fils d’un père chauffeur
de car et d’une mère au foyer, fait
partie de cette jeune génération
d’artistes iraniens qui, face au
durcissement du pouvoir, ont
choisi d’emblée la voie de la clan-
destinité pour échapper à la cen-
sure. Il est ainsi l’auteur, à ce jour,
de quatre longs-métrages auto-
produits, notamment grâce à l’en-
traide du milieu underground ira-
nien local et émigré, puis diffusés
sur Internet dans son pays.
Objet de menaces réitérées de la
part des autorités, il a été con-
damné à une semaine d’empri-
sonnement et une interdiction de
sortie du territoire lors du tour-
FORMES
nage de Critical Zone, dont la mise
en ligne d’un hallucinant extrait
est devenue virale au moment
même où déferlait le mouvement
« Femme, vie, liberté » dans le
DE LA
pays. Soit cinq minutes ininter- EXPOSITION
rompues de hurlement sauvage et DU 1ER DÉC. 2023
de « go fuck you » époumonés, che-
veux au vent, dans l’atmosphère AU 3 MARS 2024
RUINE
ambiante par une hôtesse de l’air
chargée à bloc. Persuadé de « ne
pouvoir aller plus loin en Iran sans
[se] mettre en danger », par ailleurs
Dans leurs
œuvres, Cyrielle institutions mécène partenaire partenaires médias
Raingou et Ali
Ahmadzadeh
Joel Sternfeld, After a lash lood, Rancho Mirage, California July 1979 (détail). Musée national d’art moderne /
se confrontent Centre Pompidou. Droits réservés. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Bertrand Prévost.
à la barbarie
22 | télévision
Jayne Mansfield, doublure de Marilyn et femme libre
Patrick Jeudy retrace la vie de l’actrice américaine habituée à user de son physique pour faire ce qu’elle voulait
ARTE.TV
À LA DEMANDE
DOCUMENTAIRE
E
lle faisait partie de ces
créatures aux courbes
voluptueuses qui sou-
tiennent ce qu’elles
avancent ; plus prosaïquement,
Jayne Mansfield (1933-1967) était
une busty blonde (« blonde à forte
poitrine »), telle que les produc-
teurs de cinéma la voyaient, elle
et quelques autres starlettes
plantureuses. Celle qui s’appelait
Vera Palmer avant son premier
mariage voulut d’abord être une
nouvelle Shirley Temple. Après
une décoloration en blond
platine, elle devint ensuite un
ersatz de Marilyn Monroe, dont
elle copiait les mines mutines,
les petits cris aigus, mais qu’elle
battait au rayon des mensura-
tions. Ce qui la fit présenter par
un studio de cinéma comme une
« Marilyn king size ».
L’actrice, rappelle Patrick Jeudy
dans son documentaire Jayne
Mansfield, la tragédie d’une
blonde (2013), que rediffuse Arte,
comprit vite à quel point ses
101 centimètres de tour de poi-
trine allaient la servir. Elle se fit
volontiers photographier en
contre-plongée, orchestra des
« accidents de garde-robe » et fut,
commente-t-il, « la première ve-
dette de cinéma d’une telle noto-
Dans « Grand Canal », Eva Bester donne à entendre Lola Lafon
La journaliste prend le temps d’une conversation avec l’autrice française afin d’échanger en profondeur sur son parcours et sa réflexion
FRANCE INTER
À LA DEMANDE
PODCAST
C e soir-là, c’est-à-dire le
27 novembre, Eva Bester
recevait Lola Lafon dans
son « Grand Canal », la quoti-
dienne (podcastable) qui a suc-
cédé sur France Inter à « L’Heure
bleue » de Laure Adler. Et c’était
bien d’y entendre l’autrice, no-
tamment de Quand tu écouteras
cette chanson (Stock, 2022), invi-
tée à l’occasion de son spectacle
« Un état de nos vies » (au Théâtre
GRILLE N° 23 - 279
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V X. Maisons de maîtres. Regardes
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 278
HORIZONTALEMENT I. Antifriction. II. Noise. Caille. III. Dut. Laine. Ea.
IV. Réunit. Odéon. V. Banettes. VI. Plat. Laissai. VII. Hantée. Ans.
VIII. Opte. Surdité. IX. Bière. See. An. X. Ensablassent.
VERTICALEMENT 1. Androphobe. 2. Noue. Lapin. 3. Titubantes. 4. Is.
Nattera. 5. Félin. Eb. 6. Atèles. 7. Ici. Ta. USA. 8. Canotières. 9. Tièdes.
Dés. 10. Il. Essai. 11. Oléo. Antan. 12. Néantisent.
riété » à se montrer nue à l’écran
pour relancer l’attention du
public masculin et empocher les
revenus que nécessitait son train
de vie dispendieux.
Mais, à son plus haut, Jayne
Mansfield ne fit que des films
secondaires et ne connut que
quelques années de succès,
quand elle finit par être la rempla-
çante d’une Marilyn Monroe
que les studios ne voulaient plus
engager en raison de son imprévi-
sibilité. La presse ne fut pas dupe,
qualifiant Mansfield de « dou-
blure d’une imitation »…
Night-clubs miteux
Victime d’un système machiste ?
Mansfield prouva plutôt le
contraire, par une crâne obstina-
tion à faire ce qu’elle voulait. Les
studios lui déconseillaient de se
marier ? Jayne trouva et épousa
un Tarzan en la personne d’un an-
cien culturiste dont elle appré-
ciait les pectoraux (qui se ressem-
ble s’assemble). On désapprou-
vait ses grossesses ? Elle fit cinq
enfants, de trois pères différents,
et afficha une vie dissolue, qui le
fut plus encore quand elle versa
dans l’alcool et le LSD.
La fin de carrière de Mansfield,
selon Patrick Jeudy, fut un peu
misérable : empâtée, à la dérive,
sans réelle filmographie mémo-
rable, l’actrice continuait de fasci-
ner la clientèle masculine des ni-
du Rond-Point à Paris, jusqu’au
9 décembre, puis en tournée).
Sans que jamais l’actualité soit
frontalement abordée, on entend
l’émotion à fleur de mots parfois,
la fatigue aussi, dans tout ce qui
blesse et déchire actuellement.
Lola Lafon évoque son adoles-
cence « cabossée ». Son obsession
pour les définitions : « Je veux pou-
voir retourner les mots et voir ce
qu’ils veulent dire pour nous, pour
moi. » Elle dit : « Et leur pouvoir
et leur puissance nocive quand
ils sont rétrécis, quand on doit
s’exprimer en peu de mots. Un mot
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
Jayne Mansfield, le 8 juillet 1955. CHARLES NERPEL/BETTMANN/CORBIS
a besoin de place. » Elle aimerait
que son spectacle donne à penser.
Dit que la violence des réseaux
sociaux la laisse « sidérée » en ce
moment. Ajoute : « Je ne sais pas
écrire en réaction. J’ai besoin de
la distance, d’un peu de temps,
de m’éloigner de ce sur quoi j’écris
pour pouvoir écrire dessus. » « A
une époque de commentaires,
c’est assez précieux », répond alors
Eva Bester, sensiblement émue.
Il sera aussi question de paillet-
tes (et de leur avenir). De l’obliga-
tion de la joie. De Joyce Carol
Oates et de Walter Benjamin.
HORIZONTALEMENT
I. Frappe d’exclusion et d’ostracisme.
II. Bisquera. Peut cacher la forêt s’il
n’est pas dedans. III. Décapitent en
forêt. Dieu infernal et bagarreur.
IV. Film américain. Joua avec les mots.
V. Blondes et amères. Très fort sur le
tartare. VI. Possessif. Du cochon chez
les orfèvres. Choisi par la majorité.
VII. Cité d’Abraham. Engorgées et
bouchées. VIII. Brillé. Transport ra-
pide. Fin mars. IX. Comme un dossier
que l’on ne verra pas. Salaire du tueur.
le pour et le contre.
VERTICALEMENT
1. Arrivée avec un peu d’avance.
2. Attirèrent les clients par tous les
moyens. 3. Leurs têtes sont lourdes et
dangereuses. Lut n’importe com-
ment. 4. Petits motifs répétés. Cours
souvent à sec. 5. Fait travailler sa tête.
Homme de main. 6. Coup de ba-
guette. Lieu de grève. Fin mars.
7. Fourbe et faux jeton. 8. Un petit
coin de parapluie. Venu du Sahara
en Espagne. 9. Prépara son mauvais
coup. Il n’y a pas de temps à perdre.
10. Elargie comme l’ouverture d’une
porte. Bonne carte. 11. Vieux rumi-
nant. Ensemble de porteurs de sou-
tanes. 12. On fait appel à elles quand
ça va mal.
De la peur et de la peur d’avoir
peur. Mais voilà que l’émission
touche à sa fin.
« Ne pas hurler dans le chaos »
Lola Lafon remercie pour cette
conversation possible. Eva Bester
« opine du chef, comme depuis le
début de l’émission ». C’est la
deuxième fois que la journaliste
reçoit l’écrivaine dont elle aime,
nous confiera-t-elle plus tard,
l’« intelligence et le sens de la
nuance ». Pour le reste, la journa-
liste avoue que (« et Laure Adler
[l]’avait prévenue ») cette quoti-
SUDOKU
N°23-279
4 1
9 2
5 6
4 9 7 Chaque chiffre ne doit
2 3
7 3 1 5 9
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
Cahier numéro un de l’édition n° 3087 du 30 novembre au 6 décembre 2023
UKRAINE LEENFANTS
DRAME DES
DÉPORTÉS EMPLOI LESD’EMMANUEL
✎ STÉPHANE OIRY
ght-clubs miteux où elle se pro-
duisait, avant de rentrer mettre
au lit sa progéniture. C’est
d’ailleurs au retour d’une de ces
soirées que l’automobile de l’ac-
trice percuta un camion. Elle
mouru à 34 ans, le 29 juin 1967.
Jayne Mansfield, pas plus que
Marilyn Monroe, ne reçut jamais
l’hommage suprême du métier,
celui des Academy Awards, les fa-
meux Oscars dont elle rêvait. Elle
n’eut, pour tout cadeau de conso-
lation, que la récompense décer-
née par l’Association de la presse
étrangère d’Hollywood, les Gol-
den Globes Awards. Ironique
hommage à celle qui fit de ses
rondeurs mammaires son argu-
ment de promotion favori.
Le documentaire de Patrick
Jeudy aurait pu se passer d’inté-
grer de trop nombreuses séquen-
ces ou des actrices inconnues
s’humilient devant la caméra à
dire qu’elles ressemblent à Jayne
Mansfield alors qu’il n’en est rien.
Cette cruauté, qui semble réper-
cuter sur elles le regard cynique
qu’avaient les producteurs sur
la « blonde explosive », n’apporte
rien au propos. p
renaud machart
Jayne Mansfield, la tragédie
d’une blonde. Documentaire
de Patrick Jeudy (Fr., 2013, 53 min.)
Sur Arte.tv jusqu’au
29 janvier 2024
dienne est un « marathon psychi-
que et physique ». « Ce que je
m’étais fixé était assez humble :
proposer quelque chose de beau et
duquel on ressort enrichi, curieux,
enthousiaste », poursuit-elle. Une
respiration, en quelque sorte – en
ce sens, réécouter la très belle
émission qu’elle a consacrée à
l’écrivain Luc Lang –, mais, tient-
elle à préciser, qui n’est pas « si dé-
connectée de l’actualité que ça : on
en parle un peu différemment » :
« J’essaie que ce ne soit pas dans la
gravité, mais dans la profondeur.
Dans une société qui laisse peu de
8 6 1 5 2 3
9 3 7 4 6 1
5 2 4 7 8 9
8 5 3 8 2 6 5 4
7 9 6 2 1 8
2 1 4 9 4 1 5 3 9 7
2 5 8 9 3 6
6 4 9 1 7 2
7 3 8 4 5 2
3 Très difficile
7 Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
être utilisé qu’une
1 seule fois par ligne,
par colonne et par
carré de neuf cases.
PLANS CONTRARIÉS
MACRON
EN VENTE
MOI, CHEZ VOTRE
16ANS, MARCHAND
TUEUR
ÀGAGES DE JOURNAUX
Révélations sur
les nouvelles recrues
du trafic de drogue
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023
NOTRE
SÉLECTION
S AM ED I 2 D ÉCEM BR E
BeIn Sports 3
Championnat du monde féminin
de handball : Islande-France
18.00 L’équipe de France affronte
les Islandaises dans la 2e journée
du groupe D. Les Bleues visent
la première marche du podium, à
quelques mois des Jeux olympiques.
Arte
« Vasa », le galion fantôme
20.50 Cette minisérie documentaire
en deux épisodes retrace le destin
d’un navire de guerre suédois du
XVIIe siècle, le Vasa, l’épave la mieux
préservée au monde, et le travail
mené par une équipe de chercheurs.
Ciné+ Club
Tournée
20.50 Un ex-producteur de télévision
lance une tournée de danseuses de
new burlesque, idée qu’il a eue en
fuyant un temps aux Etats-Unis. Les
périls et avanies de la route font le sel
de ce film de Mathieu Amalric (2010).
LCP-AN
Afghanes
22.30 Quatre générations d’Afghanes
racontent leur sort depuis le retour
des talibans au pouvoir, en 2021.
Contextualisant l’effacement de
la place des femmes dans ce pays,
des archives inédites éclairent la
propagande politique dont elles font
toujours l’objet, y compris de la part
de leurs supposés « libérateurs ».
place à la pensée, je trouve ça im-
portant. » Et d’insister : « Il ne
s’agit pas d’éviter l’actualité mais
plutôt d’en parler en prenant un
peu de temps pour ne pas hurler
dans le chaos. » C’est ce qu’elle a
fait en recueillant notamment la
parole d’André Markowicz, émi-
nent spécialiste de Fiodor Dos-
toïevski et d’Anton Tchekhov. p
émilie grangeray
Grand Canal, d’Eva Bester, réalisé
par Lola Costantini (Fr. 2023,
49 min). Diffusé du lundi au jeudi
à 20 heures sur France Inter.
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
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7 4 9
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3 6 1 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
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Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023
MODE DE PENSÉE
Glenn Martens :
« Je trouve la beauté
dans des choses
inattendues »
Le Belge de 40 ans signe les collections
conceptuelles de Y/Project et celles,
plus grand public, de Diesel. Politique,
écologie, sexualité : il ne conçoit pas
son travail sans prise de position
ENTRETIEN
Q
uoi de plus difficile pour
un designer que de
redonner son lustre à
une marque passée de
mode ? Glenn Martens,
pourtant, l’a fait : ce designer belge
de 40 ans, qui pilotait déjà avec suc-
cès la petite griffe Y/Project depuis
2013, a réussi à revamper Diesel
(propriété du groupe italien OTB)
quand il en a pris la direction artisti-
que, en pleine crise du Covid-19, à
l’automne 2020.
A cette époque, Diesel avait dis-
paru des radars de la mode, après un
âge d’or dans les années 2000 où la
marque avait été, avec ses denims
déchirés-délavés et ses crop tops à
logo, le fer de lance de la tendance
sexy-trash. Glenn Martens a remis
cette esthétique au goût du jour à
travers des événements susceptibles
de parler aux jeunes (des défilés
ouverts au public à Milan ou des fê-
tes labellisées Diesel aux quatre
coins du monde…). Il a donné à Die-
sel une conscience écologique, en
même temps qu’il en a fait un sujet
de débats à coups de campagne de
pub très sexualisée ou de distribu-
tion de préservatifs en magasins.
Reprendre cette griffe grand public
qui flirte volontiers avec le vulgaire
n’était pas sans risque pour Glenn
Martens, qui jusqu’alors s’était plutôt
illustré dans la catégorie des jeunes
créateurs de mode indépendants de
la fashion week parisienne. A travers
sa marque Y/Project, très respectée et
portée par une communauté de fidè-
les, il propose depuis 2013 un travail
sur la forme des vêtements, toujours
polyvalents, à distance des tendan-
ces. Un grand écart complet avec
Diesel qu’il assume sans complexe
quand on le rencontre dans la nou-
velle boutique de la marque ita-
lienne, rue Saint-Honoré, à Paris.
Avez-vous douté de votre capacité
à remettre Diesel sur pied ?
Oui, c’était une boîte qui conti-
nuait de bien se vendre, mais qui
s’était déconnectée de ses valeurs et
ne s’était pas remise en question
pendant des années. Il y avait 78 lo-
gos, et plus un seul vêtement basi-
que. Quand je suis arrivé au siège, à
Breganze [en Vénétie] où travaillent
plus de 600 personnes, j’ai demandé
aux équipes « Qu’est-ce que Diesel,
pour vous ? », et chacun a donné une
réponse différente. Là, je me suis dit
que j’avais un problème.
Comment l’avez-vous résolu ?
J’ai pris le poste en 2020, en plein
confinement, je n’avais rien d’autre
à faire que bosser. J’ai écrit la bible
des fondamentaux Diesel, en repre-
nant tout ce qui avait été fait par le
passé. Diesel, c’est avant tout un état
d’esprit résumé par le slogan « Pour
une vie de succès ». Ça veut dire
s’amuser, pas de blabla, être direct.
Une mode avec beaucoup de de-
nims, des vêtements utilitaires et
des références à la pop culture.
La dimension sexuelle est aussi
importante…
C’est vrai que la dernière campa-
gne, celle de Noël, ce sont des posters
[qui reprennent les codes des films]
pornographiques ! Oui, ça fait partie
de l’ADN.
Une marque globale peut-elle
évoquer explicitement
la sexualité sans risquer
de froisser ses clients ?
Pour la première campagne réali-
sée après mon arrivée, on avait suivi
quatre couples qui racontaient
comment ils avaient vécu un Noël
séparés à cause du Covid. Rien d’in-
croyable, donc. Sauf que les couples
étaient un melting-pot représentatif
de la société, où chacun venait de
cultures différentes, il y avait des
écarts d’âge, des homos, des hété-
ros… Ça m’a valu des menaces de
mort sur mon Instagram. C’était un
choc pour moi qui vivais dans ma
bulle métropolitaine. Mais ça m’a
donné envie de continuer, de crier
plus fort. D’ailleurs, pour la campa-
gne suivante, j’ai pris une fille trans :
je trouvais important que cette
image circule dans des pays où il y a
des fans de Diesel mais où être ho-
mosexuel est illégal.
Y a-t-il une obligation morale
attachée à la fonction
de directeur artistique ?
En 2023, oui. La mode est devenue
un divertissement qui intéresse un
public plus large que le cercle des
clients. Un DA peut faire passer des
messages et devrait donc refléter la
société comme il pense qu’elle de-
vrait être. Par exemple, quand Gior-
gia Meloni est arrivée au pouvoir en
Italie, elle a rendu illégales les rave-
parties au-delà de cinquante per-
sonnes, avec des peines d’amende
et de prison potentielles plus lour-
des que pour un viol. Au printemps,
on a organisé une grosse rave Diesel
[légale parce que dans le cadre d’un
club] juste à côté de sa maison, à
Rome, et j’ai donné plein d’inter-
views pour en parler aux journaux
italiens. J’étais un peu la Jeanne
d’Arc de la rave… Ça valait le coup,
j’ai reçu tellement de messages de
remerciements de jeunes.
Est-ce important pour vous
de parler à beaucoup de gens ?
Avant Diesel, j’avais toujours
pensé que je terminerais dans une
grosse marque de luxe, et j’avais été
Glenn Martens, dans la boutique Diesel de la rue Saint-Honoré, à Paris, le 10 novembre. ALEXANDRE TABASTE POUR « LE MONDE »
souvent approché pour ce genre de
postes. Quand Diesel est revenu
pour la cinquième fois me proposer
le job au début de l’épidémie de
Covid, j’ai vu l’occasion de parler à
beaucoup de monde, de faire passer
des messages de tolérance ou sur
l’environnement. Et peut-être de
contribuer un tout petit peu à un
monde meilleur.
Qu’avez-vous fait pour
l’environnement ?
Chez Y/Project, on a toujours été
préoccupés par le sujet, et 50 % de ce
qu’on produit est issu de coton bio
ou recyclé. Diesel ne m’attendait pas
là, mais vu le volume de denim pro-
duit chaque année, je n’allais pas
prendre le poste sans y penser.
En 2021, on a donc lancé la « library »,
qui devait être un pilier de la mar-
que : des basiques en denim à base
de coton recyclé ou bio, avec des
techniques de délavage qui rédui-
sent l’utilisation d’eau et de produits
chimiques. Des vêtements faits
pour durer plus longtemps, qu’on ne
solde pas. J’avoue que ça n’a pas mar-
ché. Et on a dû solder ! Le client n’a
pas encore envie de ça. Le sensibili-
ser à ces problématiques, ça prend
du temps. Mais bon, on a quand
même réussi à augmenter la part de
coton recyclé chez Diesel, et à attein-
dre près d’un tiers de la production.
La nouvelle boutique Diesel
parisienne est en face de celle
de Balenciaga, à côté de Gucci.
Diriez-vous que Diesel
est une marque de luxe ?
Non, c’est une alternative au luxe,
et ce n’est pas non plus de la fast
fashion mainstream [« grand pu-
blic »]. On est rue Saint-Honoré
comme on est à la fashion week de
Milan, parce que c’est fun et que c’est
une manière de faire évoluer l’image
de la marque. Mais ma clientèle n’est
pas forcément fashionista, et à la fin,
« Chez Y/Project,
on pose
des questions.
Chez Diesel,
on donne
des réponses »
ce qui fait le chiffre d’affaires, ce ne
sont pas les vêtements du défilé
mais les précollections qu’on vend à
Stuttgart ou à Delhi.
Un grand écart qui rappelle celui
entre Y/Project et Diesel.
Ce sont des marques opposées qui
correspondent à mon goût pour les
extrêmes : j’aime autant aller voir
Les Noces de Figaro à la Scala de Mi-
lan que faire la fête au Berghain [club
berlinois]. Y/Project, c’est de l’arti-
sanat tourné vers la versatilité des
vêtements. On veut que le client se
demande : comment je veux être
perçu ? Et que la pièce, polyvalente,
lui offre le choix d’être classique, ex-
travagant, sexy… Chez Y/Project, on
pose des questions. Chez Diesel, on
donne des réponses… « pour une vie
de succès » [rires].
Que représente Y/Project
pour vous ?
Ça m’a permis de devenir le créa-
teur que je suis. Son esthétique est
liée à la Belgique, où j’ai grandi et où
je me suis construit : Bruges, ce sont
les artistes flamands et leurs cou-
leurs explosives, des édifices gothi-
ques mélancoliques. Mais aussi une
ville de tourisme intensif blindée de
baraques à frites et de néons. La Bel-
gique n’est pas belle comme la
France ou l’Italie, c’est un grand
village qui a été industrialisé à mort.
En tant que Belge, je trouve la beauté
dans des choses inattendues. Et
j’assume mon côté un peu sarcasti-
styles | 23
que ; ne pas se prendre au sérieux,
c’est un sport national chez nous.
D’où vient votre goût
pour la mode ?
Enfant, j’adorais dessiner des
figures historiques et imaginer ce
qu’elles pouvaient porter. Cléopâtre,
César, Marie-Antoinette, Jeanne
d’Arc… on ne sait pas à quoi ils res-
semblent physiquement, mais on
les reconnaît à travers leurs vête-
ments. Je faisais des dessins très
détaillés de leurs tenues. Quand j’ai
fini, à 21 ans, mes études d’architec-
ture d’intérieur à Gand, j’ai postulé
sur un coup de tête à l’Académie
royale des Beaux-Arts d’Anvers, et
j’ai eu un coup de foudre pour cette
école internationale, peuplée de pro-
fils flamboyants, où on apprenait
l’artisanat, la couture.
Qu’aimez-vous, dans ce métier,
pour y consacrer autant
d’énergie ?
En tant que DA, tu es à la fois créa-
teur un peu artiste, psychologue
avec tes équipes, homme d’affaires,
marketeur… Il y a tellement de cas-
quettes à porter en une journée,
moi qui suis hyperactif, ça m’équili-
bre. Beaucoup de gens trouvent la
mode superficielle. C’est un cliché
que je comprends, mais il ne corres-
pond pas tout à fait à la réalité. J’ai
vu ma mère infirmière faire des
ménages le week-end pour pouvoir
s’occuper de mon frère et de moi.
J’ai commencé à gagner de l’argent à
14 ans en faisant la vaisselle dans un
bar, j’ai vécu des années à Paris dans
un studio de 12 mètres carrés où il
fallait fermer le futon pour ouvrir le
frigo. C’est normal, c’est la vie, je ne
me plains pas. Je dis juste qu’il y a
des gens qui bossent beaucoup,
dans la mode. Et qui ne sont pas
déconnectés. p
propos recueillis par
elvire von bardeleben
24 |
IDÉES
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023

Laïcité « La tolérance des jeunes

Français est bien supérieure
à celle de leurs aînés »
ENTRETIEN
Les historiens Charles Mercier et Philippe Portier ont dirigé ments – nation, autorité –, associée à la re-
connaissance du droit à la différence, ouvre
une enquête sur le rapport des 18-30 ans à la laïcité. Il en une question. Cette jeunesse opère-t-elle un

A
lors que les débats sur les signes bricolage axiologique [en matière de valeurs
religieux cristallisent l’attention ressort que la jeunesse, influencée par la mondialisation, morales] en essayant de concilier les oppo-
médiatique en France, le rapport sés de manière un peu incertaine, ou fabri-
des jeunes à la laïcité est régulière- est à la fois plus ouverte à l’expression des identités que-t-elle au contraire une cohérence qui ar-
ment questionné, en particulier
depuis l’assassinat du professeur
religieuses, et soucieuse d’ordre et de sécurité ticule de manière inédite la liberté et l’auto-
rité, la différence et l’universel ?
Samuel Paty, en 2020. Des études conduites
ces dernières années ont montré que les jeu- Les jeunes Français ont-ils une approche
nes générations développent une concep- de ces sujets similaire à celle de leurs
tion plus inclusive de la laïcité que leurs de la laïcité, la notion évoquant majoritaire- d’idéalisme, susceptible de s’infléchir jeunes voisins européens ?
aînés. Dans ce contexte, deux laboratoires ment pour eux des sentiments positifs avec le temps ? P. P. Nous disposons d’études à l’échelle
de recherche français ont réalisé, avec l’insti- (67 %). Elle apparaît à leurs yeux comme un Charles Mercier : On peut penser qu’il européenne. Et il n’y a pas, nous semble-t-il,
tut Kantar, une enquête auprès des moyen d’assurer la liberté de conscience et s’agit d’un effet de génération et non d’un de différences fondamentales avec les
18-30 ans en France afin d’éprouver l’hypo- de « mettre sur un pied d’égalité toutes les effet d’âge, et qu’il est lié à l’augmentation autres jeunesses européennes, chez qui on
thèse, encore inexplorée, selon laquelle la religions ». Autonomie du sujet, distancia- des contacts avec la diversité provoquée par rencontre tout à la fois un attachement à la
mondialisation, à laquelle les différentes tion vis-à-vis du religieux traditionnel insti- la mondialisation. tolérance, mais aussi une aspiration à l’auto-
classes d’âge ne sont pas exposées de la tutionnel et définition d’une laïcité d’ouver- P. P. Les données de notre sondage mon- rité, l’ordre, la sécurité. De sorte que la jeu-
même façon, joue un rôle déterminant dans ture : ce sont les points saillants qui mar- trent en effet que plus les jeunes sont mon- nesse française s’inscrit pleinement dans un
cette fracture générationnelle. quent une différence nette avec les dialisés, plus ils sont ouverts à la tolérance espace européen marqué par des dynami-
Spécialistes des questions laïco-religieu- générations plus âgées. envers l’autre dans l’expression de ses ques communes.
ses, les professeurs Philippe Portier (auteur, convictions religieuses. Par conséquent, si la
notamment, de L’Etat et les religions en Votre étude confirme en effet l’idée, tout mondialisation se poursuit, il n’y a pas de Le fait que les jeunes soient plus souples
France. Une sociologie historique de la laïcité, en la nuançant, d’une rupture généra- raison de penser qu’ils puissent revenir sur quant aux signes religieux ostensibles
PUR, 2016) et Charles Mercier (qui a publié tionnelle entre les jeunes Français et leur positionnement actuel. Mais on peut ne les rapproche-t-il pas de la laïcité à
en 2020 L’Eglise, les jeunes et la mondialisa- leurs aînés sur la question de la laïcité. aussi imaginer un autre scénario, dans le- l’anglo-saxonne, avec une forte visibilité
tion. Une histoire des JMJ, Bayard) ont dirigé Qu’en est-il exactement ? quel le contact avec des civilisations de l’in- des minorités ?
cette étude. En avant-première, ils en livrent P. P. Pendant longtemps a dominé l’idée tégrisme les conduirait à se replier dans un C. M. La manière française de réguler les si-
au Monde les résultats, qui éclairent sous un que les jeunes formaient une planète spéci- nationalisme d’exclusion. gnes religieux dans l’espace public étant une
jour nouveau le rapport des jeunes Français fique, la « planète jeune », selon l’expression exception à l’échelle des démocraties occi-
à la laïcité dans un monde globalisé. du sociologue Jean Duvignaud. Dans les an- La mondialisation est souvent perçue de dentales, le fait de voyager et de découvrir
nées 1960-1980, les jeunes semblaient cons- manière assez négative, synonyme d’une d’autres modes de gestion de ces signes
Quels sont les enseignements les plus tituer un isolat au sein d’une société qui ne perte de repères et d’une dilution des peut éloigner les jeunes Français de notre
marquants du sondage que vous venez reconnaissait guère leur identité spécifique « PARMI LES JEUNES liens sociaux. Votre enquête appuierait- modèle laïque. Les politiques multiculturel-
de réaliser ? et dont eux-mêmes récusaient volontiers la INTERROGÉS, 67 % elle au contraire l’idée d’une « mondiali- les fondées sur la reconnaissance des identi-
Philippe Portier : Notre travail corrobore culture dominante. Une deuxième thèse sation heureuse » vectrice de tolérance ? tés peuvent leur apparaître plus pertinentes
un certain nombre d’éléments qui apparais- s’est ensuite développée, à la faveur des va- VOIENT LA LAÏCITÉ C. M. Les jeunes ont globalement un rap- en termes de vivre-ensemble. Pour autant, il
saient dans des enquêtes antérieures, tout gues successives [tous les neuf ans depuis port plus positif à la mondialisation que faut noter qu’une majorité relative de notre
en étendant leurs enseignements. D’abord, 1981] de l’« enquête européenne sur les va- COMME UN MOYEN leurs aînés : ils sont 63 % à se sentir à l’aise échantillon souhaite une société rassem-
les jeunes se montrent très ouverts à la re-
connaissance de la différence, en particulier
leurs » (European Values Study), montrant
que les jeunes, au fond, reproduisent assez
DE “METTRE SUR dans un monde aux frontières ouvertes.
Dans le sondage, les effets de la mondialisa-
blée autour de valeurs communes. L’intégra-
tion dans la mondialisation renforce ces as-
sur la question des signes ostensibles d’ap- largement les modèles de leurs parents. UN PIED D’ÉGALITÉ tion sont assez paradoxaux : les jeunes les pirations. Par une sorte d’effet boomerang,
partenance religieuse. De ce point de vue, la De notre côté, il nous est apparu plutôt plus globalisés sont les plus sensibles au les moins de 35 ans très mondialisés accor-
tolérance des jeunes générations est bien que la jeunesse est, d’une certaine manière, TOUTES LES respect des singularités religieuses (et les dent davantage de valeur aux principes
supérieure à celle de leurs aînés.
La distance par rapport aux générations
dans une situation intermédiaire. D’un côté,
des différences très fortes apparaissent avec
RELIGIONS” » plus libéraux en termes de signes ostensi-
bles). Mais ce sont aussi ceux qui semblent
qu’ils voient comme constitutifs de leur so-
ciété, et ce quelles que soient leurs affilia-
antérieures concerne ensuite le rapport au la génération antérieure pour tout ce qui a PHILIPPE PORTIER percevoir le plus vivement les menaces po- tions religieuse, idéologique et politique.
religieux. Les jeunes sont très nombreux à trait au religieux et à la laïcité. Mais, de historien tentielles liées aux religions, peut-être du Tous convergent vers une laïcité tolérante
se dire sans religion (52 %) ; ils marquent l’autre, s’observent aussi des points de rap- fait de leur connaissance de contextes d’un point de vue pratique, mais vigilante
ainsi leur éloignement vis-à-vis du religieux prochement. Et c’est l’assemblage des rap- étrangers où elles sont en situation de pou- du point de vue des potentielles atteintes
institutionnel. Au point d’ailleurs qu’une prochements et des dissemblances qui per- voir normatif, ce qui les conduit à défendre aux libertés que peuvent provoquer les reli-
majorité voit de manière favorable le recul met de définir un espace de parole et d’ac- une laïcité de séparation et de fermeté. Les gions en situation de domination. De ce
du religieux dans la société française. Cela tion dans lequel les jeunes affirment leur données valident à la fois la théorie du point de vue, si la mondialisation creuse
ne signifie pas pour autant qu’ils manifes- propre agentivité [c’est-à-dire leur capacité contact – l’expérience de l’altérité engendre l’écart entre les plus jeunes et les plus âgés,
tent la même distance à l’égard du spirituel : d’agir sur le monde en fonction de leurs pro- plus de tolérance –, et celle de la menace – elle les rapproche aussi.
c’est plutôt le religieux dans son institution- pres expériences]. Il convient de relever ce- l’altérité suscite de l’anxiété. P. P. Pendant longtemps a prédominé, en
nalité et sa normativité qui les inquiète. pendant que le vocable « jeunesse » est trop P. P. Il y a manifestement chez nos jeunes France, une laïcité d’assimilation [les minori-
Enfin, les jeunes se singularisent par la dé- englobant : notre sondage met en évidence une grande ouverture aux choix indivi- tés sont invitées à se fondre avec le modèle
finition qu’ils donnent de la laïcité. On en- le fait qu’il y a plusieurs jeunesses segmen- duels, à la condition qu’un certain nombre dominant]. Aujourd’hui, les jeunes sem-
tend souvent dire que le but de la laïcité tées par leurs appartenances sociale, reli- de principes, voire de valeurs, ne soient pas blent davantage soutenir une laïcité d’inter-
française consiste à « faire reculer l’in- gieuse, politique. remis en cause par l’affirmation de différen- culturalité – et non multiculturaliste – avec
fluence du religieux dans la société ». Or ce ces religieuses. Une réhabilitation des idées une acceptation des différences dès lors que,
n’est pas du tout cette vision qui prédomine Cette vision plus ouverte de la laïcité d’ordre et d’autorité est perceptible dans le dans leurs manifestations, elles respectent
dans notre enquête : les jeunes interrogés que les jeunes ont développée ne sondage, de même qu’un attachement au l’ordre public et s’inscrivent dans le cadre
mettent en avant une interprétation libérale peut-elle pas être imputée à une forme fait national. L’affirmation de ces deux élé- des principes constitutionnels démocrati-
ques. Les jeunes sont ainsi marqués par une
articulation entre la foi et la loi qu’Aristide
Briand, rapporteur de la loi de 1905 sur la sé-
Une notion perçue par la majorité comme positive mais à faire évoluer paration des Eglises et de l’Etat, n’aurait pas
récusée : la liberté de la foi tant que cette der-
nière respecte la loi.
la laïcité est une notion que les jeunes Fran- Ecole pratique des hautes études). Elle s’est organi- cité, aucun consensus n’émerge : 35 % de ceux qui
çais ont l’impression de comprendre (89 %) et qu’ils sée autour de deux moments essentiels : une en- pensent que la laïcité devrait évoluer souhaitent Si 68 % des jeunes interrogés estiment
perçoivent positivement (67 %) mais qui s’avère quête par sondages réalisés auprès de 1 000 répon- plus de tolérance envers l’expression des identités que la laïcité devrait évoluer, il n’y a pas
diversement interprétée. La question du port osten- dants âgés de 18 à 30 ans, et une enquête qualitative religieuses, et 42 % plus de fermeté. de consensus sur le sens de cette
sible des signes religieux ne fait pas consensus : un faite d’entretiens avec une quarantaine de jeunes. Une dichotomie est par ailleurs observée sur l’évo- évolution – tolérance ou fermeté.
peu moins de la moitié des sondés y est favorable, lution de la place de la religion en France : 52 % des Cela ne signale-t-il pas une polarisation
un quart s’y oppose, et le reste peine à se position- Entre tolérance et fermeté jeunes déclarent n’appartenir à aucune religion, 18 % de la jeunesse, avec deux camps
ner. Les croyants, en particulier les musulmans, Un indicateur ayant pour but de mesurer le niveau être catholiques et 12 % musulmans. Pour la majorité qui s’opposent, l’un vers l’ouverture,
sont plus nombreux à y être ouverts ; de même d’intégration dans le processus de mondialisation d’entre eux, la religion occupe dans leur vie person- l’autre vers la fermeté ?
pour les individus dont les parents sont étrangers et a été construit sur la base de critères tels que nelle une place peu importante, voire nulle. Pour un C. M. Des variantes sont en effet observa-
fortement intégrés dans la mondialisation. Les jeu- l’environnement culturel des répondants, leur tiers en revanche, elle a une place importante, en bles en fonction de l’orientation religieuse,
nes d’extrême gauche, de droite et d’extrême droite expérience de séjours à l’étranger, leur niveau en particulier pour les catholiques (53 %) et les musul- de l’affiliation politique et de l’exposition à
se montrent eux aussi plus favorables au port de si- anglais et leurs interactions avec des personnes mans (85 %). Quant à la place de la religion dans la la mondialisation. Sur le plan religieux, les
gnes religieux. d’origine étrangère. société, une majorité relative des jeunes sondés jeunes qui appartiennent à des minorités –
Tels sont quelques-uns des principaux enseigne- Parmi les autres éléments importants qui ressor- semble plutôt favorable à ce qu’elle reste mesurée. p principalement les musulmans, mais aussi
ments de l’étude sur « le rapport des jeunes Français tent de l’étude, 68 % pensent que la laïcité devrait virginie larousse les pentecôtistes – souhaitent beaucoup
à la laïcité dans un monde globalisé », administrée évoluer en France. C’est encore plus le cas pour les plus fortement que les majoritaires (les
par l’institut Kantar et conduite à l’initiative de l’Ins- croyants, tout particulièrement les musulmans Rapport d’étude quantitative pour le Laces « sans religion » et les catholiques) une évo-
titut universitaire de France, du Laboratoire cultures, (85 %), ainsi que pour les jeunes qui se sentent à (université de Bordeaux) et le GSRL (EPHE-PSL/ lution de la laïcité vers une forte coopéra-
éducation, sociétés (Laces, université de Bordeaux) et l’aise dans un monde aux frontières ouvertes CNRS), avec le soutien de l’Institut universitaire tion entre les pouvoirs publics et les cultes,
du Groupe sociétés, religions, laïcités (GSRL, CNRS et (77 %). Mais sur la façon dont devrait évoluer la laï- de France, à consulter sur Kantarpublic.com/fr et vers une plus grande tolérance vis-à-vis
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023
de l’expression des identités religieuses.
Peut-être perçoivent-ils la laïcité, telle
qu’elle est actuellement pratiquée, comme
un moyen implicite de défense d’une hégé-
monie culturelle ? Le positionnement politi-
que a des effets complexes, et cela a
d’ailleurs été une des surprises du sondage :
les jeunes qui s’identifient politiquement
très à droite veulent plus de fermeté et de sé-
paration, mais ne se montrent pas hostiles
au fait religieux en contexte public, cette to-
lérance s’accentuant d’autant plus qu’ils
sont mondialisés.
P. P. Il faut également faire une distinction
entre, d’un côté, les jeunes séculiers et les
jeunes religieux, toutes tendances confon-
dues. Si protestants, musulmans et catholi-
ques n’adhèrent pas de manière équivalente
à l’idée de séparation, ils se rejoignent néan-
moins pour défendre une laïcité de « recon-
naissance », ouverte à l’expression indivi-
duelle des convictions religieuses. Cette de-
mande est d’autant plus prégnante que le
religieux a une importance significative
dans la conduite de leur propre existence.
En ce qui concerne la polarisation politique,
on est à front renversé par rapport à l’épo-
que de la IIIe République : la gauche était
alors très favorable à la séparation des Egli-
ses et de l’Etat, quand, de nos jours, elle est
favorable à une coopération entre les insti-
tutions publiques et les cultes. A l’inverse, la
droite, portée par ce qu’on appelle, depuis le
rapport Baroin de 2003, la « nouvelle laï-
cité », adhère, elle, à l’idée de séparation.
Qu’en est-il de la place qu’occupe la reli-
gion dans la vie des jeunes générations ?
C. M. Notre étude confirme que, pour une
majorité de jeunes Français, la religion a
une place peu significative. Mais pour un
tiers d’entre eux, elle joue un rôle impor-
tant. Un processus de polarisation est donc
à l’œuvre entre, d’un côté, une minorité re-
ligieuse en rétraction mais dont l’engage-
ment religieux s’intensifie, et, de l’autre, « UNE MAJORITÉ
une majorité qui distend ses liens avec la re-
ligion, avec néanmoins des niveaux de
DES JEUNES SONDÉS
croyance métaphysique plus élevés que CONSIDÈRE
dans le reste de la population.
QUE L’IDENTITÉ
Ce sondage confirme-t-il une forte prati-
que religieuse des jeunes musulmans ?
DE LA FRANCE
P. P. Trois éléments nous semblent caracté- SE RÉINVENTE
riser la jeunesse musulmane aujourd’hui :
d’abord, un souci de reconnaissance du reli- SANS CESSE »
gieux, sachant que – et c’est le deuxième CHARLES MERCIER
point – le religieux est plus important à historien
leurs yeux que pour les catholiques (85 %
contre 53 %) et plus encore que pour la
moyenne des jeunes (30 %). Le troisième
trait distinctif des jeunes musulmans, c’est
leur adhésion à un ordre constitutionnel li-
béral marqué par une coopération de l’Etat
et des communautés confessionnelles qui
ne remettrait pas en cause les principes de
liberté et d’égalité. Le concept de liberté est
au cœur de leur définition de la laïcité. Cette
jeunesse est, en outre, très attachée aux
idées de citoyenneté et de solidarité. Le mo-
dèle interculturel dont nous avons parlé pré-
cédemment, articulant différence et unité,
structure aussi l’univers des jeunes de
confession musulmane.
C. M. Pour autant, ces derniers sont 87 % à
considérer que la laïcité est instrumentali-
sée par des personnalités politiques et des
journalistes qui veulent en fait dénigrer les
musulmans, contre 60 % pour l’ensemble
de l’échantillon. Ce chiffre est à mettre en re-
gard avec leur niveau d’identification
comme citoyens français, inférieur à la
moyenne des 18-30 ans (57 % contre 68 %).
En revanche, on note que, par rapport à l’en-
semble de l’échantillon, les jeunes musul-
mans se sentent davantage citoyens du
monde (52 % contre 44 %), se déclarent plus
à l’aise dans la mondialisation (84 % contre
LAURENT CORVAISIER
63 %) et sont plus nombreux à vouloir amé-
liorer les conditions de vie de personnes qui
vivent à l’autre bout du monde (65 % contre
42 %). Ce cosmopolitisme prononcé consti-
tue une singularité.
Vous questionnez aussi les valeurs des
jeunes. A leurs yeux, qu’est-ce que réus-
sir sa vie ?
C. M. Nous nous attendions, sur cette
question, à ce que les jeunes mettent en
avant la réalisation de leurs intérêts et de
leurs désirs. Or, pour un nombre significatif
d’entre eux, réussir sa vie, c’est plutôt s’enga-
ger pour un collectif. Une forme de dépasse-
ment du néolibéralisme semble émerger –
même si, là encore, la jeunesse est segmen-
tée. Nous avons également été frappés par le
fait qu’ils témoignent d’une appétence pour
des principes structurants quelque peu am-
bivalents : ainsi, il est légitime à leurs yeux
qu’une partie des normes soit définie par
une morale et des traditions qui s’imposent
à tous, ce qui peut sembler contradictoire
avec l’aspiration à l’autonomie qu’ils met-
tent en avant. L’impression qui en ressort
est celle d’une jeunesse qui vit dans un
monde en transition et se situe à un carre-
four, assemblant ensemble des valeurs jus-
qu’alors disjointes, dont le poids respectif
n’est pas encore stabilisé.
Que nous dit le sondage de la conscience
politique des jeunes, à l’heure où on
constate un faible taux de participation
électorale de ces générations ?
C. M. Il existe surtout un désintérêt pour
la politique dans son versant institutionnel,
c’est-à-dire la participation aux élections, la
vie partisane. La sous-représentation des
18-30 ans dans les urnes explique le
creusement de l’écart entre les préoccupa-
tions portées dans le champ politique et
celles des jeunes. Pour autant, on relève
idées | 25
chez eux un intérêt citoyen très fort, et une
certaine spécificité générationnelle qui se
traduit par des options plus radicales que
celles des autres adultes, ainsi que par un
désalignement électoral (depuis l’élection
présidentielle de 2007, les jeunes plaçaient
systématiquement en tête le même candi-
dat que l’ensemble de la population, ce qui
n’a pas été le cas en 2022 [leur choix au pre-
mier tour s’était porté prioritairement sur
Jean-Luc Mélenchon]).
P. P. Là encore, toutefois, une distinction
s’opère en fonction des catégories sociales.
La jeunesse mondialisée diplômée s’inscrit
dans ce schéma d’une citoyenneté active,
tandis que la jeunesse moins diplômée
prend ses distances vis-à-vis des grands en-
jeux du temps, comme si les soucis de la vie
personnelle l’emportaient sur les grandes
causes collectives.
Quelle vision les jeunes ont-ils de l’iden-
tité de la France ?
C. M. Ce qui est intéressant, c’est que leur
vigilance sur la question de la laïcité n’est
pas motivée par une inquiétude identitaire,
puisqu’ils tendent vers l’affirmation selon
laquelle l’identité de la France se réinvente
sans cesse, plutôt que vers l’idée selon la-
quelle elle serait en train de disparaître. Ils se
déclarent à l’aise dans la mondialisation,
peut-être parce que, pour eux, elle n’est pas
synonyme de délitement des liens avec leur
environnement immédiat, mais permet au
contraire la réappropriation créative de
leurs héritages. De ce point de vue, la mon-
dialisation a plutôt un effet intégrateur que
désintégrateur. Les jeunes sondés livrent
donc plutôt une vision optimiste de l’iden-
tité de la France en contexte d’ouverture.
P. P. Le concept de nation civique l’emporte
sur celui de nation culturelle ou ethnique.
En outre, alors qu’on a souvent l’impression,
dans nos sociétés, qu’hier était meilleur
qu’aujourd’hui, il y a dans cette jeunesse
l’idée que l’avenir est ouvert et, peut-être,
porteur de progrès. Les deux jeunesses à
l’instant évoquées se positionnent cepen-
dant différemment sur cette question. Du
côté de la jeunesse moins diplômée (25 %
des interrogés), le plus souvent inscrite dans
les catégories populaires, on retrouve da-
vantage l’idée que les immigrés posent pro-
blème, et que les traditions qui fondent la
France sont menacées.
Que nous dit ce sondage, en filigrane,
sur l’avenir du fait religieux dans notre
pays ?
C. M. Cette étude nuance peut-être l’idée
d’une poursuite de la sécularisation, dans le
sens où elle montre que le religieux implicite
se porte plutôt bien chez les jeunes – à tra-
vers leurs croyances métaphysiques et leur
attachement à des collectifs ou à des formes
de rituels. Si les jeunes sont peu affiliés à une
religion, ils sont plus nombreux à croire en
l’existence de Dieu qu’en son inexistence.
C’est là quelque chose qui ne signale pas la
mort, à court ou moyen terme, du religieux,
mais dessine plutôt, en creux, la possibilité
d’une nouvelle forme de religiosité, moins
institutionnalisée et plus hybride. La France,
à l’échelle du monde, fait partie des pays les
moins religieux. Contrairement aux effets
sécularisants que la mondialisation peut
produire dans certains pays du Sud global,
par diffusion des valeurs matérialistes liées à
la société de consommation, on peut se de-
mander si la mondialisation ne pourrait pas
être, en France, vectrice d’une forme de re-
gain de religiosité chez les jeunes.
P. P. Le mouvement de décatholicisation
engagé depuis les années 1970 s’approfon-
dit : le catholicisme se trouve, dans cette gé-
nération, dans une situation extrêmement
critique, puisque seuls 18 % des jeunes décla-
rent y être affiliés – contre 90 % dans les an-
nées 1950. Cette déprise ne doit pas être pen-
sée sur le mode d’une sécularisation li-
néaire, comme le montre la vigueur de
l’islam et du pentecôtisme. Des réaffirma-
tions s’opèrent tantôt sur le mode d’une sen-
sibilité intégraliste [qui entend fusionner le
politique et le religieux] plaçant la règle reli-
gieuse au fondement de l’existence indivi-
duelle, tantôt, plus fréquemment, sur le
mode d’une inclination spiritualiste, don-
nant une place centrale aux interprétations
subjectives des contenus de foi. En tout état
de cause, notre sondage remet assez large-
ment en cause l’idée selon laquelle les dieux
se seraient effacés de nos horizons de sens. p
propos recueillis par virginie larousse
26 | idées 0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023

Rony Brauman, François Ruffin, Marine Tondelier

La France doit demander l’entrée de la CPI à Gaza
Pour briser l’image d’une nation qui applique de manière

N
ous demandons au président de
la République de soutenir l’en-
trée urgente d’enquêteurs de la
Cour pénale internationale (CPI)
à Gaza afin de mettre fin à l’impunité. Il
faut pouvoir établir de manière impar-
tiale et objective les faits et responsabili-
tés des belligérants dans leur conduite
de la guerre. La France doit prêter main-
forte aux enquêteurs de la CPI, comme
elle le fait déjà à juste titre en Ukraine.
La fin de l’impunité est un impératif
moral et politique : il s’agit de rappeler
aux belligérants leurs obligations léga-
les et qu’en faire fi ne peut rester sans
conséquences. Il faut faire pression de
toutes les manières possibles pour un
cessez-le-feu immédiat, nécessaire afin
de mettre un terme aux souffrances
des hommes, des femmes et des en-
fants palestiniens pris au piège sous les
bombes autant que pour les otages ci-
vils du Hamas en captivité.
Le refus de ratifier le traité de la Cour
pénale par Israël n’est pas un obstacle
au droit. La Palestine, elle, a déclaré
se soumettre au droit international.
Depuis 2021, la CPI est jugée compé-
tente, dans les territoires occupés et à
Gaza. L’enjeu est donc qu’elle y ait accès
pour enquêter.
La demande par la France de l’entrée de
la CPI à Gaza rendrait notre pays à nou-
veau audible à l’international, en parti-
culier dans les pays arabes et émergents.
Elle doit être accompagnée d’une de-
mande d’un cessez-le-feu immédiat et
d’une levée réelle du blocus.
sélective les normes et les principes de droit, les trois signataires
demandent au chef de l’Etat de soutenir l’entrée d’enquêteurs
de la Cour pénale internationale dans les territoires palestiniens
Cette voix singulière qu’on pouvait en- droit et de démocratie qu’elle revendi-
tendre sur le conflit israélo-palestinien que pourtant comme universels.
ou sur l’intervention américaine de La politique de la France sur le conflit
2003 en Irak s’est malheureusement israélo-palestinien avant le 7 octobre
éteinte depuis une quinzaine d’années. contribuait largement à cette image né-
Notre image est désormais celle d’une gative. Notre politique est incantatoire et
puissance qui applique de manière sé- inefficace. Elle n’actionne aucun des le-
lective les normes et les principes de viers concrets à sa disposition suscepti-
bles d’infléchir la politique de colonisa-
tion et de discrimination d’Israël à l’en-
contre des populations palestiniennes.
Ce manque d’influence de la France s’est
encore aggravé après le 7 octobre. Même
si les deux contextes ne peuvent être
LES DOUBLES comparés en tous points, les doubles
standards entre notre politique vis-à-vis
STANDARDS ENTRE de l’Ukraine depuis l’invasion russe et
celle sur la Palestine sont édifiants.
NOTRE POLITIQUE Dans le premier cas, la France dénonce
VIS-À-VIS DE – à juste titre – avec célérité et vigueur
l’agression et les crimes de guerre russes,
L’UKRAINE DEPUIS notamment le ciblage des populations et
des objets civils protégés par le droit hu-
L’INVASION RUSSE manitaire international. Elle prend alors
des mesures concrètes et fortes. Elle as-
ET CELLE SUR socie à ces dénonciations des sanctions
LA PALESTINE fortes à l’encontre de la Russie. Elle té-
moigne d’un soutien actif aux Ukrai-
SONT ÉDIFIANTS niens et à la CPI dans l’établissement des
faits concernant les crimes de guerre
commis depuis février 2022.
Dans l’autre cas, la France a donné pen-
dant plus d’un mois un blanc-seing à
l’opération militaire israélienne, se con-
tentant de quelques rappels généraux
sur la nécessité pour Israël de se confor-
mer au droit. A ce jour, elle n’a pris
aucune mesure à son encontre pour faire
cesser le carnage et les bombardements
de civils en cours à Gaza, le ciblage des
hôpitaux et autres objets protégés par
le droit de la guerre, les déplacements
forcés de masse, ou encore exiger la le-
vée du siège total du territoire.
Entorses à nos principes
Au vu de ce grand écart, nous sommes
convaincus qu’une pression diplomati-
que française pour afficher son objec-
tif d’entrée de la CPI en Palestine occupée,
assortie d’une proposition d’un soutien
matériel à ces investigations, est essen-
tielle aujourd’hui. Motivées avant tout
par l’urgence d’établir les faits objective-
ment pour faire reculer l’impunité, ces ac-
tions contribueraient à positionner notre
pays où il doit être : aux côtés de tous les
peuples opprimés, quelle que soit l’ori-
gine des exactions dont ils sont l’objet. La
France doit agir pour que le droit interna-
tional et le droit de la guerre s’appliquent
de la même manière pour tous, sans dis-
tinction. Faire des entorses à nos princi-
pes pour des intérêts court-termistes,
c’est perdre en crédibilité dans la durée.
Au moment où la plupart des pays occi-
dentaux adoptent des positions de sou-
tien quasi inconditionnelles à Israël, et
où l’on semble oublier que la colonisa-
tion bafoue le droit international depuis
de trop nombreuses décennies dans les
territoires occupés, la France doit se don-
ner les moyens de jouer un rôle central,
en faveur de la justice et du respect
des droits. Seule cette position peut
conduire les parties en conflit à trouver
une solution pacifique et juste. Oui, cela
passe par demander un cessez-le-feu im-
médiat et par des pressions diplomati-
ques pour l’entrée de la CPI dans Gaza
et l’ensemble des territoires occupés. Un
tel discours permettrait à la France de re-
trouver la voix singulière qu’elle a portée
autrefois dans la diplomatie mondiale
et en particulier au Proche-Orient. p
Rony Brauman est ancien président
de Médecins sans frontières ; François
Ruffin est député de la Somme (La
France insoumise) ; Marine Tondelier
est secrétaire nationale d’Europe Eco-
logie-Les Verts

Vanessa F. Newby et Chiara Ruffa Au Sud-Liban, une simple erreur

de jugement pourrait déclencher une escalade
Le Hezbollah pro-iranien et Israël, qui se font face sur la « ligne bleue » frontalière, se gardent, depuis le 7 octobre, d’appeler à une guerre
totale, tout en se menaçant mutuellement. Pour les deux spécialistes du Proche-Orient, le pire peut cependant advenir à tout moment

L
a « ligne bleue », créée par
les Nations unies (ONU)
en 2000 pour vérifier le re-
trait d’Israël du Liban du
Sud, est l’une des lignes de frac-
ture géopolitiques les plus dange-
reuses au monde. Un conflit est
susceptible de s’y déclencher, qui
pourrait embraser le Levant et
l’ensemble de la région, entraî-
nant l’Iran et potentiellement
tout ou partie des grandes puis-
sances. Depuis la guerre de
juillet 2006 entre le Hezbollah et
les Forces de défense israéliennes
(FDI), dite « deuxième guerre du
Liban », le Liban du Sud est pour-
tant resté en paix, même en l’ab-
sence d’un accord formel entre le
Liban et Israël.
En 1978, l’ONU a installé une
opération de maintien de la paix
sur cette frontière : la Force intéri-
maire des Nations unies au Liban
(Finul). Depuis 2006, elle a saturé
la zone d’opération en effectuant
des patrouilles vingt-quatre heu-
res sur vingt-quatre du côté liba-
nais afin d’empêcher une pré-
sence manifeste de la milice
chiite pro-iranienne Hezbollah
(Parti de Dieu). La Finul a égale-
ment instauré un canal de com-
munication régulier entre les FDI
et les Forces armées libanaises,
en organisant des réunions men-
suelles en face à face pour préve-
nir toute escalade involontaire
entre les deux armées nationales.
Mais nombreux sont ceux qui
estiment que la paix n’a prévalu
que parce que l’environnement
stratégique n’était pas propice à
une escalade. Le Hezbollah et Is-
raël semblent avoir compris
qu’ils manqueraient de soutien
interne à une nouvelle épreuve
de force, et l’instabilité régionale
due à l’organisation Etat islami-
que et à la guerre syrienne sem-
ble avoir freiné les deux parties.
Cependant, celles-ci ont toujours
considéré la « guerre de juillet »
comme inachevée.
Hausse des interférences locales
Depuis 2006, Israël se prépare
discrètement à une possible es-
calade sur ce qu’il appelle le
« front nord ». Ce champ de ba-
taille s’est avéré éprouvant pour
l’armée israélienne en 2006, et
cette deuxième guerre du Liban
a été considérée par de nom-
breux spécialistes militaires en
Israël comme une piètre perfor-
mance. Du côté libanais, depuis
2016, la zone d’opération de la Fi-
nul est lentement devenue
moins hospitalière pour les trou-
pes de l’ONU, à mesure que la
présence du Hezbollah y deve-
nait plus manifeste. A quelques
kilomètres des installations de la
Finul, le mouvement chiite a
construit des pistes d’atterris-
sage et des champs de tir, et
Green Without Borders, l’ONG
environnementale qui lui est af-
filiée, a construit plusieurs tours
de surveillance surplombant Is-
raël. La Finul a déclaré une aug-
mentation d’interférences loca-
les qui l’ont empêchée de pa-
trouiller dans de nombreuses zo-
nes le long de la « ligne bleue ».
Aujourd’hui, l’environnement
stratégique a changé : l’horrible
attentat du 7 octobre perpétré par
le Hamas en Israël rend à nou-
veau possible l’idée d’une guerre
interétatique. Les affrontements
frontaliers semblent s’intensifier.
Toutefois, si le conflit est désor-
mais possible, quels bénéfices les
deux parties peuvent-elles en at-
tendre ? Israël s’est, par le passé,
engagé dans des incursions mili-
taires au Liban qui n’ont, finale-
ment, servi qu’à renforcer ses ad-
versaires à long terme. La des-
truction de l’Organisation de
libération de la Palestine (OLP)
n’a pas empêché l’émergence du
Hamas, et Israël, en la pourchas-
sant au Liban du Sud, a créé les
ISRAËL ET LE
HEZBOLLAH
ONT TOUJOURS
CONSIDÉRÉ
LA « GUERRE DE
JUILLET », EN 2006,
COMME INACHEVÉE
conditions de l’essor du Hezbol-
lah. Malgré cinq invasions, l’Etat
hébreu s’est montré incapable
d’occuper la moindre parcelle du
territoire libanais, et il a même
été contraint par le Hezbollah et
les protestations de civils à quit-
ter la « zone de sécurité »
en 2000. Une nouvelle offensive
israélienne pourrait donc être
très punitive.
Toutefois, le Hezbollah semble
comprendre qu’il serait blâmé si
le Liban était entraîné dans une
nouvelle guerre, d’autant que le
mouvement chiite a toujours af-
firmé que sa raison d’être était de
défendre la souveraineté liba-
naise. Une autre guerre avec Is-
raël, surtout si elle devait pulvé-
riser le Liban, exposerait le
Parti de Dieu au risque de perdre
tout soutien populaire au mo-
ment de conclure la paix, et donc
précipiter sa fin.
Equilibre délicat
Depuis le 7 octobre, la rhétorique
des deux côtés reflète ces
considérations. Elle a parfois été
incendiaire, mais chacun a pris
soin d’éviter d’appeler à une
guerre totale. Israël a déclaré qu’il
n’avait pas d’intérêt à un conflit à
sa frontière nord. Cela n’a pour-
tant pas empêché Benyamin
Nétanyahou de déclarer que les
contre-attaques israéliennes au
Liban seraient d’une ampleur
« inimaginable » et entraîneraient
une « dévastation ».
De son côté, le chef du Hezbol-
lah, Hassan Nasrallah, s’est mon-
tré lui aussi menaçant, bien
qu’avec une certaine retenue.
Dans un de ses récents discours,
il a déclaré : « Ce qui se passe sur
notre front est très important et si-
gnificatif (…), mais je vous assure
que ce ne sera pas la fin. Ce ne sera
pas suffisant. » Dans un autre dis-
cours, le 11 novembre, il a évoqué
la montée en intensité des affron-
tements en la qualifiant d’« amé-
lioration » des opérations du
Hezbollah, « à la fois en matière
de qualité et de nombre » ainsi
que de « profondeur ». Dans le
même temps, cependant, il a fait
preuve de prudence en déclarant :
« Notre front restera un front de
pression », et s’est abstenu d’appe-
ler à une guerre totale.
Toutefois, cet équilibre délicat
entre menaces et représailles
proportionnelles risque fort de se
rompre, car les deux parties sont
préparées à la guerre. Les combat-
tants des deux camps ont été
conditionnés dès leur naissance à
se considérer comme ennemis et
ont bâti leur identité en s’oppo-
sant à « l’autre ». Leur lecture de
toute action sur le terrain est faite
à travers ce prisme, ce qui, dans le
brouillard du conflit, rend extrê-
mement difficile de faire preuve
de retenue. Et même si Israël et le
Hezbollah cherchent à maintenir
cet équilibre aux niveaux straté-
gique et opérationnel, une sim-
ple erreur de jugement au niveau
tactique pourrait causer une
escalade dont aucune des parties
ne pourrait s’extraire.
En l’absence d’un véritable dia-
logue politique entre Israël et le
Liban, d’Etat à Etat, le rôle de la
Finul a toujours été de braquer les
projecteurs internationaux sur
cette dangereuse ligne de frac-
ture afin d’y empêcher le déclen-
chement accidentel d’une guerre.
Malgré la montée des tensions, la
Finul a déclaré qu’elle avait l’in-
tention de maintenir une pré-
sence visible dans le sud du pays.
La meilleure solution que la
communauté internationale
puisse offrir à l’heure actuelle est
d’autoriser les Nations unies à
déployer des forces de maintien
de la paix des deux côtés de la
« ligne bleue » – au Liban et en Is-
raël – afin de témoigner de
l’évolution de la situation sur le
terrain. Cela permettrait de
contenir les parties et d’éviter le
pire des scénarios, à savoir une
escalade involontaire provoquée
par quelques combattants à la gâ-
chette facile. p
Vanessa F. Newby est
maîtresse de conférences
à l’université de Leyde
(Pays-Bas) ; Chiara Ruffa
est professeure des universités
à Sciences Po Paris
0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023
L’impossible réforme PIERRE MOSCOVICI, UN DESTIN FRANÇAIS
du rugby mondial LIVRE
ANALYSE
C COMPÉTITIONS
omment faire d’un
sport ancré dans ses
traditions une disci-
pline planétaire sans
qu’il perde son âme ? Pour World
Rugby, l’instance qui préside à la
destinée de l’Ovalie mondiale,
la question n’est pas neuve. Atta-
chée à développer la pratique
du rugby à travers le monde, la
fédération internationale se re-
trouve à jongler avec des aimants
qui se repoussent : d’un côté,
l’aristocratie du rugby (Nouvelle-
Zélande, Angleterre, Afrique du
Sud, France, Australie…), attachée
au maintien de ses traditions, de
l’autre, des nations émergentes
(Uruguay, Portugal, Samoa…), qui
rêvent de révolution.
« Il est primordial de faire gran-
dir ce sport, d’en faire un vrai sport
mondial, ce qu’il n’est pas encore »,
reconnaissait le directeur général
de l’instance, Alan Gilpin, en mai.
Si elle a été une réussite en
France, la Coupe du monde 2023
en a fait, une nouvelle fois, la
démonstration. Sa phase finale a
réservé des duels haletants, mais
on ne peut pas en dire autant de
la phase de groupes, qui a éclairé
d’une lumière crue le fossé entre
« les clowns d’un côté et les grands
propriétaires de l’autre », selon les
mots du sélectionneur du Chili,
Pablo Lemoine, au sortir de l’une
des nombreuses rencontres du
Mondial achevées sur un score
sans appel.
Pourtant, entre le Portugal,
vainqueur des Fidji, l’Uruguay,
qui a contrarié la France, ou les
Samoa, tout proches de battre
l’Angleterre, de nouvelles pousses
ont jailli. Et ravivé les débats sur le
format des compétitions interna-
tionales, qui offrent peu de possi-
bilités aux « petits » de devenir
compétitifs. Pour s’aguerrir, ces
derniers réclament de disputer
davantage de rencontres de haut
niveau avant d’être plongés dans
le grand bain du Mondial.
Refonte des calendriers
Assurant être conscient que, pour
grandir, ce sport doit davantage
s’ouvrir aux pays émergents,
World Rugby a annoncé, le 24 oc-
tobre – quelques jours avant la fi-
nale –, une refonte des calendriers
internationaux. Dès 2026, une
nouvelle compétition à plusieurs
échelons, la Coupe des nations,
viendra s’immiscer dans le circuit
international masculin tous les
deux ans. Mais sa première divi-
sion sera réservée à douze pays
(les membres des Six Nations,
ceux du Rugby Championship,
auxquels s’adjoignent le Japon et
les Fidji), et il sera ardu pour le
« reste du monde » de s’y joindre.
La « nouvelle ère » vantée par
Bill Beaumont, le président bri-
tannique de World Rugby, « qui
bénéficiera au plus grand nom-
bre, et non plus à une minorité »,
semble loin d’une révolution.
Tout au plus ajoute-t-elle une
couche à la sédimentation
historique des compétitions,
mais sans chambouler les grands
équilibres ; et les premiers con-
cernés ne s’y sont pas trompés.
« Cette compétition était censée
être une lueur d’espoir pour les pe-
tites nations pratiquant le rugby,
nous offrir la chance de rivaliser
avec certains des géants de notre
sport (…), mais ce rêve a été brisé »,
a dénoncé, sur Instagram, le
demi d’ouverture samoan Lima
LE PROTECTIONNISME
CONCERNANT
LES JOUEURS EST
DIFFICILEMENT
COMPATIBLE AVEC
LES ASPIRATIONS
GLOBALES DE L’OVALIE
LE FORMAT DES
INTERNATIONALES
OFFRE PEU
DE POSSIBILITÉS
AUX « PETITS »
DE S’AGUERRIR
Sopoaga, évoquant une « gifle »
expédiée au visage des « petits ».
Pour le bien du rugby en tant
que sport, fallait-il remettre à plat
tout le calendrier international
et l’ouvrir à tous de manière que
tous les pays partent sur la même
ligne de départ ? Impensable,
même pour les esprits les plus li-
béraux du rugby mondial, d’envi-
sager des saisons rabotées du
Tournoi des six nations ou de l’ex-
Tri Nations, devenu Rugby Cham-
pionship. Si, comme leurs noms
l’indiquent, ces tournois ne con-
cernent qu’une infime partie des
132 pays membres de World
Rugby, ils demeurent la vitrine, les
joyaux de la couronne. Que le
reste du monde demeure prié de
regarder de l’autre côté de la vitre.
D’ailleurs, la nouvelle compéti-
tion sera coorganisée par les enti-
tés chapeautant les deux tournois.
Présentée comme un « compro-
mis », fruit d’intenses négocia-
tions et ouvrant la voie à « un fu-
tur possible alors que, jusque-là,
c’était un futur qui n’arrivait ja-
mais », selon Alan Gilpin, la nou-
velle compétition ressemble à
une occasion manquée. En n’in-
corporant un système de promo-
tion-relégation entre la première
et la deuxième division de la
Coupe des nations qu’à partir de
2030, World Rugby préserve lar-
gement le pré carré des nations
phares du rugby, au détriment
des autres, qui risquent de voir le
fossé se creuser davantage.
« En 2026, vous allez voir, on
parlera du Portugal de la même
manière que cette année », a prédit
l’ancien vice-président de World
Rugby Agustin Pichot en marge
du Mondial, c’est-à-dire figé dans
un rôle de « nation émergente »,
comme la Géorgie l’est restée
pendant des années. L’ex-demi de
mêlée argentin dénonce l’immo-
bilisme de l’instance à l’égard des
petites nations, qui incarne, selon
lui, le refus du rugby de devenir
un sport global, à la différence
du football ou de certaines disci-
plines olympiques.
A ce titre, il est un autre élément
sur lequel les décideurs de l’Ova-
lie mondiale vont devoir finir par
se pencher : l’uniformisation de
l’éligibilité des joueurs. Plusieurs
fédérations parmi les plus puis-
santes – à commencer par la Nou-
velle-Zélande ou l’Angleterre – in-
terdisent à des joueurs évoluant à
l’étranger de porter le maillot na-
tional. Si l’ambition de conserver
des championnats locaux com-
pétitifs pouvait s’entendre, ce
protectionnisme est difficile-
ment compatible avec les aspira-
tions globales d’un sport profes-
sionnel, et la loi du marché qui
l’accompagne. Imagine-t-on
Kylian Mbappé être contraint de
jouer toute sa carrière dans le
championnat de France pour
conserver le droit d’évoluer sous
le maillot bleu ?
Alors que l’économie de plu-
sieurs nations de rugby tangue
(l’Angleterre, où de nombreux
clubs pros ont déposé le bilan,
l’Australie ou le Pays de Galles),
obligeant les meilleurs joueurs à
migrer vers des cieux plus rému-
nérateurs (France et Japon), main-
tenir cet héritage où les grandes
nations protègent leur pré carré,
quitte à affaiblir leur équipe natio-
nale, risque de desservir la disci-
pline. La route vers un « sport
mondial » passe aussi par là. p
clément martel
(service sports)
L
e livre est adressé à son fils, Joseph, à
qui il ne veut « rien cacher ». A 66 ans,
Pierre Moscovici, qui préside la Cour
des comptes depuis trois ans, se ra-
conte dans un livre fin et singulier,
Nos meilleures années (Gallimard, 370 pages,
24 euros). Un exercice de mémoire pour ne pas
laisser se perpétuer « la terrible culture du si-
lence » que ses parents, juifs ashkénazes dura-
blement marqués par la guerre, avaient impo-
sée à leurs enfants. Celui qui se définit comme
« fils de métèque » évoque longuement la fi-
gure tutélaire de son père, brillant intellectuel,
un « monument ». Serge Moscovici arrive à Pa-
ris de Roumanie en 1948, après avoir assisté
à des pogroms, expérience qui « débranche les
nerfs de la vie ». Le fils s’étend moins sur sa
mère, psychanalyste de renom, ambitieuse et
révoltée, que « les blessures de la guerre ne lais-
saient pas en paix ». Deux parents qui ont
voulu une autre vie pour leurs enfants : « Ne
pas connaître ce sentiment d’être étrangers
dans [leur] propre pays, mais au contraire
qu’[ils] puiss[ent] aller jusqu’au cœur de la so-
ciété française ». Il résume : « Nous l’avons fait,
en grande partie pour eux. »
Il raconte sa jeunesse trotskiste, ses études à
Nanterre, puis à Sciences Po et à l’ENA. Il fume
des Craven A, a une longue chevelure bouclée
et « un regard tendre derrière les yeux cernés ».
Le soir, il sort aux Bains Douches ou chez Cas-
tel, et il « adore ça ». S’il a franchi toutes les éta-
pes du parfait cursus honorum (député, mi-
nistre, député puis commissaire européen), il
est resté éloigné du pouvoir suprême. Long-
temps perçu comme un dandy dilettante, qui
préférait les cafés de Saint-Germain-des-Prés
aux réunions tardives, l’intéressé reconnaît
qu’il a toujours vécu de manière clivée :
absorbé par la politique (dont il lui arrive en-
core aujourd’hui de rêver la nuit), et cherchant
sans cesse à s’en évader. « Pas un jour de ma vie
Sommet sur le climat à Dubaï | par serguei
« SPHÈRES » RHABILLE L’INDUSTRIE DE LA MODE
LA REVUE DES REVUES
U n air inhabituel de « Je t’aime, moi
non plus » flotte sur le 14e numéro
de Sphères, qui explore l’univers
de la mode au travers d’une communauté
de passionnés. Qu’ils soient stylistes,
mannequins, journalistes, collection-
neurs ou historiens, tous partagent
d’abord, et avant tout, l’amour du vête-
ment et de ses formes. Mais également
une certaine aversion pour la mode ac-
tuelle, qu’ils jugent « inconfortable », « in-
humaine », « hautaine », « superficielle »,
ou « boursouflée d’excès »… Dans le viseur
de ces critiques : « une industrie lourde au
marketing agressif et vulgaire », comme le
souligne Marc Beaugé, rédacteur en chef
« invité » de ce numéro, qui ne mâche pas
ses mots pour évoquer l’impact social et
environnemental d’un secteur qui sous-
traite, sous-paye et « pollue ».
De fait, entre une production qui a dou-
blé entre 2000 et 2014 (100 milliards de vê-
NOS MEILLEURES
ANNÉES
de Pierre Moscovici,
Gallimard, 370 pages,
24 euros
je n’ai eu l’obsession de concourir à la prési-
dence de la République », jure-t-il, arguant qu’il
n’était pas prêt à « renoncer à toute intimité ».
Nos meilleures années retrace l’histoire d’une
gauche qui s’est perdue, oubliant qu’elle ser-
vait d’abord à lutter contre les inégalités. « Tu
sais, Lionel, “ouvrier”, ce n’est pas un gros mot »,
avait glissé Pierre Mauroy à Lionel Jospin, pen-
dant la campagne de 2002, qui s’est terminée
comme on sait. La gauche « ne peut pas être
uniquement une addition de réformes libertai-
res au plan sociétal ou libérales au plan écono-
mique », admet le social-démocrate et euro-
péen ardent. L’ancien ministre de l’économie
dresse un bilan sévère du quinquennat « raté »
de François Hollande, un « échec politique
massif ». Il décrit l’ancien président comme un
être à la fois « drôle, vif, agréable », mais aussi
d’une grande « dureté », « profondément indivi-
dualiste ». Il fut un « homme d’Etat respecta-
ble », mais un « chef politique souvent pusilla-
nime et maladroit », alors que beaucoup s’at-
tendaient à ce que ce soit l’inverse.
Délicieuse galerie de portraits
Pierre Moscovici, qui fut l’un des plus subtils
(et cruels) observateurs de la scène politique,
livre une délicieuse galerie de portraits. L’« in-
telligence hors norme », abîmée par une folle
« indifférence », de Dominique Strauss-Kahn,
dont il fut l’ami, avant de rompre. Les « fulgu-
tements sont vendus dans le monde cha-
que année) et un taux annuel d’émission
de gaz à effet de serre de 4 milliards de ton-
nes – soit bien plus que les vols internatio-
naux et le trafic maritime réunis, selon
l’Agence de l’environnement et de la maî-
trise de l’énergie –, l’industrie textile se
classe parmi les plus polluantes.
Effets destructeurs
Si la fast fashion (productrice de vête-
ments à faible durée de vie) a amplifié le
phénomène, « toutes les étapes de la vie
d’un vêtement posent problème », explique
la journaliste Marion Durand dans une en-
quête édifiante. Qu’il s’agisse de matières
premières, de transformation ou de trans-
ports, nos vêtements sont la cause de dé-
gâts environnementaux majeurs : défo-
restation, pollution de l’eau… Et ce jus-
qu’en bout de chaîne, submergeant certai-
nes villes telle Accra, au Ghana, qui reçoit
quinze millions de vêtements usagés par
semaine. Malgré ces effets destructeurs, et
idées | 27
rances » de Michel Rocard, aussi capable
d’idées « incongrues ». Il a admiré Lionel Jos-
pin, qui a su créer une alchimie – « dream
team » ministérielle et gauche plurielle – au
sommet de l’Etat. « Mosco » est plus sévère
avec ses contemporains, décrivant l’ambition
« sans limite » de Manuel Valls, l’égocentrisme
et le sens du « drama » d’Arnaud Montebourg,
ou encore l’ambition « aussi discrète que puis-
sante » de « l’ombrageux » Bernard Cazeneuve.
Il évoque longuement sa judéité, qui « ne le
définit pas ». Et l’antisémitisme, au détour de
scènes saisissantes. Le soir de sa première
élection comme conseiller général, en 1994,
il est chahuté par des habitants de sa circons-
cription, furieux que ce jeune « techno » batte
(de trente voix) son rival RPR : « Va-t’en, le juif. »
Il relate également un voyage en Algérie avec
François Hollande, premier secrétaire du PS.
Le président algérien, Abdelaziz Bouteflika,
évoque devant eux ces « fours à chaux » dans
lesquels l’armée française aurait mis les fella-
ghas, selon lui « bien pires que les fours créma-
toires pour les juifs ». A l’issue de l’entretien,
M. Bouteflika se tourne vers Pierre Moscovici,
souriant : « Vous avez été bien silencieux,
M. Moscovici, rien de ce que j’ai dit ne vous a
troublé ? » Plus tard, le président algérien lance
froidement : « Nous soutenons la droite car il
y a trop de juifs dans votre parti. »
S’il se garde de la tentation du « c’était mieux
avant », l’ancien ministre se désole que « tout »
soit « différent ». « En quelques décennies, cet
univers [la politique], pas toujours enchanté
mais vivant, stimulant, s’est affaissé, presque dé-
composé », écrit-il. Lui qui pourfend la théorie
de Manuel Valls des « deux gauches irréconcilia-
bles » invite la gauche à une « reconstruction
intellectuelle et politique globale ». Il défend
aussi une réforme institutionnelle et politique
d’ampleur. Ce seront à d’autres de s’y atteler.
A la Cour des comptes, M. Moscovici est tenu
à un devoir de réserve. A distance, encore. p
solenn de royer
une législation trop peu contraignante,
des initiatives se multiplient jusque dans
les écoles de mode pour concevoir une
pratique plus respectueuse de l’environ-
nement, recycler, et sensibiliser le public
à la sobriété. Pour preuve, Bristol (Royau-
me-Uni), la capitale des charity shops, dont
Thomas Andrei relate l’histoire et les évo-
lutions, s’est mise au diapason en lançant
en octobre sa première fashion week dura-
ble avec un atelier de couture, un repair
café et un troc d’habits.
Outre des portraits du styliste camerou-
nais Imane Ayissi ou de la pentathlète
française Elodie Clouvel, signalons l’entre-
tien croisé entre les créateurs Agnès b. et
Jean-Charles de Castelbajac. Les deux « sa-
ges » se confient sur leur processus de
création, leur vision « humaniste » de la
mode, leur rapport à l’art, ou au rock,
le tout ourlé d’anecdotes piquantes. p
christine rousseau
Sphères, n° 14, 144 pages, 20 euros
28 | carnet 0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023

Cluny (Saône-et-Loire). Les familles Baghdadlian-Kamer

et Leloup, Remerciements Appel en héritiers
Michelle Galley-Golliard, Ses illes,
Sa femme, Avis aux successeurs, bénéiciaires,
Ses petits-ils,
en vente Le Carnet son épouse,
Ses neveux Ses enfants, descendants, parents et personnes
Marie-Anne Grateau potentiellement bénéiciaires de la
actuellement Et ses petites-nièces, Ses frères et sœurs, succession des personnes décédées
Jean-Michel Galley,
suivantes,
Vous pouvez nous faire parvenir ses enfants ont la profonde tristesse de faire part remercient chaleureusement toutes
K En kiosque vos textes soit par e-mail : et leurs conjoints, du rappel à Dieu de
les personnes qui ont exprimé leur Bartolomeo Doveil,
carnet@mpublicite.fr Edouard, Louis, Pierre et Camille, décédé vers 1967, en Italie,
Hélène LELOUP, soutien lors de la cérémonie d’adieu Victorina Doveil,
(en précisant impérativement ses petits-enfants,
chevalier à décédée en 1972, en Italie,
votre numéro de téléphone et Anne-Marie Feyfant, Tonino Herin,
de l’ordre des Arts et des Lettres,
HORS-SÉRIE

votre éventuel numéro d’abonné sa sœur, chevalier décédé en 1973, en Italie,

Jacques BERÈS, Maria Herin,
ou de membre de la SDL) Ses neveux et nièces de la Légion d’honneur,
décédée le 27 octobre 1993, en Italie,
soit sur le site : Ainsi que toute sa famille, Pierre Herin,
le 24 novembre 2023. le 24 novembre 2023, que ce soit
https://carnet.lemonde.fr par leur présence, mots, fleurs et Victorina Herin,
LES ont la tristesse de faire part du décès décédée en 1964, en Italie,
SECRETS L’équipe du Carnet reviendra vers de
La cérémonie religieuse est intentions. Aldo Herin,
DE LA célébrée en l’église de la Madeleine,
MYTHOLOGIE vous dans les meilleurs délais
place de la Madeleine, Paris 8e, ce
décédé 27 juillet 1980, en Italie,
Conférences Carolina Arcalini,
pour vous confirmer la parution.
LES DIEUX NORDIQUES

En partenariat avec
M. Jean-Jacques GALLEY, vendredi 1er décembre, à 14 h 30. décédée en France,
ancien chef de clinique, Perino Jacquemet,
Hors-série On y associera le souvenir de décédé le 2 mai 1990, en Italie,
carnet@mpublicite.fr chirurgien obstétrique,
Carolina Giubilino,
https://carnet.lemonde.fr Henri KAMER décédée le 16 juin 1988, en Italie,
survenu le 28 novembre 2023, Annunciata Bay,
AU CARNET DU «MONDE» à l’âge de quatre-vingt-douze ans. et décédée en France,
HORS-SÉRIE
Marie Dujany,
La Chaire du Louvre, décédée en France,
La cérémonie religieuse sera Philippe LELOUP. Ginetta Guglielminotti,
Anniversaire de naissance Barbara Cassin
célébrée en l’église Notre-Dame, à décédée en 2019, en Italie,
Ni leurs ni couronnes, mais dons de l’Académie française,
2 décembre 1923-2 décembre 2023. Cluny, le samedi 2 décembre, à 14 h 30. Candide Joseph Jacquemet,
bienvenus au proit de la société des L’Odyssée au Louvre, un roman Marie Clémentine Elvire Jacquemet.
40
CARTES
Jacques JAUBERT,
journaliste, écrivain,
Cet avis tient lieu de faire-part.
Amis du musée du quai Branly -
Jacques Chirac FR76 1027 8061 2400
graphique. Homère en philosophe.
Nous invitons les successeurs,
0205 2810 191 - CMCIFR2A ou de bénéiciaires, parents et personnes
POUR COMPRENDRE

UN MONDE FRACTURÉ
l’Association Anmon (École de Kori A l’occasion du redéploiement potentiellement bénéficiaires de
a cent ans aujourd’hui. Champagne ! Espace funéraire Guittat,
Maoundé, Mali) ITO8 X030 6909 de la galerie Campana du musée du la succession des personnes
71250 Cluny.
Hors-série 6061 0000 0115 537. Louvre, la philosophe et helléniste susmentionnées à contacter par
Décès Tél. : 03 85 30 95 07. e-mail le Public Trust of New Zealand
Barbara Cassin plongera son regard dans un premier temps, à l’adresse
Nelly, Catherine Germond, Michèle et Pierre Attar, dans l’une des plus importantes info@publictrust.co.nz
son épouse, ses enfants, collections de céramiques grecques
son épouse,
HORS-SÉRIE

Charlotte et Fabien, Guillemette, Valentin Clémence, Si nous ne recevons aucune

Laurence, Pierre-Henry et Cécile, en Europe. A travers les images communication de votre part d’ici
ses enfants, ses petits-enfants,
Ses sœurs et ses frères, ses enfants Marc Prevot, peintes sur les vases, le 31 août 2024, tout droit éventuel
Sa belle-sœur, et leurs conjoints, Jean-Michel, son gendre, elle proposera aux auditeurs une sur la succession d’Enrico Celestino
UN LONG CHEMIN
Ses nièces et neveux Dujany, décédé en Nouvelle-Zélande
VERS L'INFINI
Hortense et Frédéric, lecture subjective et philosophique
Ainsi que toute la famille, ont la tristesse de faire part du décès le 14 décembre 1961, peut être
Matthieu, Eléonore, Quentin, de l’Odyssée d’Homère, transféré à d’autres bénéficiaires
Eva de
et tous les proches, Olivier, Valentin, Julien, Héloïse, à la manière d’un roman graphique. identifiés sur ordonnance du
Antoine, Augustin et Clara, Ces cinq conférences lui permettront tribunal.
Colette PROCHOVER,
ont l’immense douleur de faire part ses petits-enfants, de voir comment Homère, dans son
du décès de L’avis est publié conformément
survenu le 27 novembre 2023. texte, construit l’identité d’Ulysse : à l’article 136 (2) (a) de la loi sur
Hors-série Bernard BOUSQUET, ont la tristesse de faire part du décès par la conscience d’être mortel, les iducies de la Nouvelle-Zélande
de Les obsèques ont lieu ce vendredi de 2019 (« New Zealand Trusts Act
1er décembre, au cimetière parisien risque et voyage, les noms que 2019 ») et le testament du défunt
survenu le 26 novembre 2023, dans l’on se donne, l’usage qu’on fait Enrico Celestino Dujany.
sa soixante-dix-neuvième année, à de Bagneux, suivies d’un moment
Musée d'Histoire de Nantes
Exposition : 14.10.23 - 05.05.24 Jean-Jacques convivial chez Michèle, à Gentilly. de la langue et la reconnaissance
HORS-SÉRIE
l’hôpital Saint-Louis, Paris 10e.
GERMOND,
Comment
par l’autre. Communication diverse
les Mongols La cérémonie d’adieu se tiendra Supélec 69,
ont changé
le monde
le 5 décembre, à 10 h 30, au Maurice RIONDEL Du lundi 27 novembre au lundi
crématorium du cimetière du Père- survenu à Paris, le 26 novembre 2023. (1926-2023),
11 décembre 2023, à 19 heures,
GENGIS Lachaise, Paris 20e.
La cérémonie religieuse est
ancien du maquis de Haute-Savoie
du commandant Bulle, à l’Auditorium Michel Laclotte
KHAN La famille tient à remercier le
personnel soignant du pôle Les célébrée ce vendredi 1er décembre,
engagé volontaire
à la 1re armée
du musée du Louvre.
En partenariat

Coquelicots pour leur soutien et à 10 h 30, en l’église Saint-Germain- Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
de Lattre de Tassigny
avec

leur humanité. des-Prés, Paris 6e. Informations sur louvre.fr

en 1944, Les bénévoles de SOS Amitié
Hors-série Ni leurs ni couronnes.
lecteur assidu et attentif écoutent
Sonia et Jérôme Guiramand, du Monde Soutenance de thèse par téléphone et/ou par internet
ses enfants, depuis 1945, ceux qui soufrent de solitude,
Suresnes. Boulogne-Billancourt. combattant sans relâche, Le mercredi 25 octobre 2023,
Pénélope et Simon Hugon, de mal-être et peuvent avoir
HORS-SÉRIE

pendant trente-huit ans, M. Alexandre Delaux a soutenu des pensées suicidaires.

Olivier Coudray, Sara Pastré, Inès Guiramand, pour la justice sociale publiquement avec succès et
François et Frédérique Coudray,
L’ATLAS
DES
6 000 ANS 150 CARTES
ses enfants,
Anna et Maud, Marie et Alix,
ses petits-enfants,
Aurélie Dupuis,
de la Nouvelle gauche au PSU. félicitations du jury ses travaux
de thèse intitulés : « Emploi de
Nous recherchons des écoutants
bénévoles
sur toute la France.
D’HISTOIRE & INFOGRAPHIES
sa nièce, Maurice Riondel est passé à
ses petits-enfants, l’électroencéphalographie mobile L’écoute peut sauver des vies
l’Orient Éternel le 28 novembre 2023,
à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans. pour l’étude de la perception visuo- et enrichir la vôtre !
ont la tristesse de faire part du décès Ses frères, sœurs, beaux-frères et Choix des heures d’écoute,
de spatiale dans des paradigmes
belles-sœurs formation assurée.
riondelmaurice@gmail.com écologiques. Applications au
Ainsi que toute sa famille
Margot COUDRAY, vieillissement sain et à la En IdF RDV sur
née Et ses amis, Gretta Schor, www.sosamitieidf.asso.fr
restauration visuelle. »
Hors-série Marguerite-Marie président, En région RDV sur
GEORGELIN, Travaux dirigés par le docteur
ont la tristesse de faire part du décès Jonathan Schor, www.sos-amitie.com
directeur général, Denis Sheynikhovich.
de
survenu le 25 novembre 2023, Le conseil d’administration de CPC
à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). Et l’ensemble du personnel du
UNE VIE, UNE ŒUVRE
Founi GUIRAMAND, Société éditrice du « Monde » SA
Groupe CPC, Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
ÉDITION
2023 La cérémonie religieuse a eu lieu née EIGLIER, Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
ce 1er décembre, à 10 heures, en Directrice de la rédaction Caroline Monnot
ont la tristesse d’annoncer le décès
l’église de Saint-Ideuc, à Saint-Malo. Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Maryline Baumard, Philippe Broussard, Nicolas Chapuis,
survenu le 26 novembre 2023. de Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Franck Nouchi, Harold Thibault
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Sa famille vous invite à associer Directrice déléguée au développement des services abonnés Françoise Tovo
Léo Denis SCHOR,
Ferré dans vos pensées, son époux, La cérémonie religieuse a eu lieu Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Gilles van Kote
L’indigné
ce vendredi 1er décembre, en l’église économiste, Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel Davidenkoff (Evénements), Jérôme Gautheret, Michel Guerrin,
François professeur des Universités, Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux (cheffe d’édition),Alain Salles (Débats et Idées)
Avec Aragon, Bernard Lavilliers, Catherine Ribeiro, Marie-Christine Ferré…
Saint-Eugène, à Marseille. Direction artistique Emmanuel Laparra
administrateur du groupe
Infographie Delphine Papin
Hors-série et son petit-ils, depuis 1986, Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
Nous remercions ceux qui Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
Louis. s’associent à notre peine. survenu le vendredi 24 novembre 2023. Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum, présidente, Gilles Paris, vice-président

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0123
SAMEDI 2 DÉCEMBRE 2023 0123 | 29

CULTURE | CHRONIQUE ALLEMAGNE :

p a r s yl vie ke r vie l
LEVER
Orsay et l’opération LE « FREIN même des « fonds spéciaux » qui se sont
multipliés ces dernières années. Comme
Mais elle l’a également empêchée d’inves-
tir massivement dans la modernisation et
À LA DETTE » celui de 100 milliards d’euros proposé trois le « verdissement » de son économie. Bud-
«impressionnisme» jours après l’invasion de l’Ukraine par la
Russie, en février 2022, pour moderniser la
Bundeswehr. Ou comme celui de 200 mil-
gétairement vertueuse, l’Allemagne a accu-
mulé d’inquiétants retards en matière d’in-
frastructures routières et ferroviaires
liards d’euros annoncé sept mois plus tard comme dans la transition numérique.
pour aider les entreprises et les ménages Ces retards sont pointés depuis des années

L POUR LES 150 ANS DU

e nombre est impression-
nant – on oserait dire « im-
pressionniste » ! Ce sont
pas moins de 178 œuvres
illustrant le mouvement artisti-
que apparu en France dans le der-
nier quart du XIXe siècle et symbo-
lisé par le tableau de Monet Im-
pression, soleil levant, que le Mu-
sée d’Orsay va décrocher de ses
cimaises. L’établissement parisien,
qui abrite la plus vaste collection
d’œuvres impressionnistes au
monde (400), a décidé de faire
faire un tour de France à certaines
d’entre elles, pour marquer le
150e anniversaire de la naissance
du mouvement (auquel par
ailleurs elle consacrera en 2024
une exposition avec un parcours
immersif en réalité virtuelle).
C’était le 15 avril 1874, dans l’atelier
parisien du photographe Nadar,
boulevard des Capucines. En rup-
ture avec l’Académie, son Salon of-
ficiel et ses styles imposés, une
trentaine de jeunes artistes, dont
Monet, Renoir, Morisot, Sisley et
Pissarro, y exposent leurs travaux.
Dénigrées par certains critiques,
adulées par d’autres, leurs œuvres
avant-gardistes ont progressive-
ment conquis les collectionneurs
et le public. Aujourd’hui, program-
mer une exposition sur un artiste
impressionniste, c’est s’assurer
une billetterie record. Sans sur-
prise, c’est actuellement le cas à
Orsay avec l’exposition consacrée
aux toiles peintes par Van Gogh
dans les deux mois précédant sa
mort, qui affole les compteurs. Le
musée a dû revoir les réservations
MOUVEMENT, LE MUSÉE
PARISIEN A DÉCIDÉ
DE FAIRE FAIRE UN TOUR
DE FRANCE À CERTAINES
ŒUVRES SIGNÉES
DE GRANDS NOMS
plus beau », a assuré Christophe
Leribault. Certaines n’ont jamais
été prêtées. Qu’on en juge : La Nuit
étoilée, de Van Gogh, ira à la fonda-
tion portant le nom du peintre, à
Arles ; La Pie, de Monet, s’envolera
vers Clermont-Ferrand ; Le Balcon,
de Manet, connaîtra un nouvel ac-
crochage au Musée des beaux-arts
de Bordeaux ; Le Déjeuner sur
l’herbe, de Monet, prendra la direc-
tion de Besançon ; quant à Partie
de bateau, chef-d’œuvre de Caille-
botte, classé « trésor national » et
entré dans les collections au prin-
temps, il voguera de Nantes à Mar-
seille avec une escale à Lyon. Lors
de son acquisition, le président
d’Orsay s’était engagé à « rendre
accessible ce tableau au plus grand
nombre en favorisant sa présenta-
tion dans des musées en région ».
La sélection a été faite en colla-
boration avec les institutions
hôtes, qui ont souvent choisi des
toiles permettant d’établir un dia-
logue avec leurs propres œuvres
ou de susciter une exposition. Un
Monet ou un Van Gogh peuvent
I l aura fallu attendre près de deux se-
maines pour qu’Olaf Scholz réagisse au
rappel à l’ordre que lui a adressé la Cour
constitutionnelle de Karlsruhe, le 15 no-
vembre, en rejetant l’affectation à un
« fonds pour le climat et [à] la transforma-
tion de l’économie » d’un reliquat de 60 mil-
liards d’euros destiné, à l’origine, à lutter
contre le Covid-19. « Ce jugement crée une
nouvelle réalité [qui] rend difficile la réalisa-
tion d’objectifs importants pour notre
pays », a reconnu le chancelier allemand,
mardi 28 novembre.
Pour M. Scholz, le camouflet est sévère.
En rappelant qu’un crédit doit être alloué
au poste pour lequel il a été voté et en préci-
sant qu’il doit être dépensé dans l’année
suivant son adoption, les juges constitu-
tionnels ont remis en cause le principe
face à la flambée des prix de l’énergie.
Pour le gouvernement, ces « fonds spé-
ciaux » présentent un grand avantage. Non
comptabilisés dans le budget régulier, ils
permettent de contourner le « frein à la
dette », ce dispositif qui figure depuis 2009
dans la Constitution − la Loi fondamen-
tale − et limite le déficit budgétaire annuel
de l’Etat fédéral à 0,35 % du produit inté-
rieur brut (PIB), sauf « en cas de catastrophe
naturelle et de situation exceptionnelle d’ur-
gence », où il peut être suspendu. Il en fut
ainsi en 2020, 2021 et 2022 en raison de la
pandémie de Covid-19, puis de la guerre en
Ukraine. Il devrait en être de même pour
2023, comme l’a décidé le gouvernement
dans la précipitation, quelques jours après
l’arrêt de la Cour de Karlsruhe.
Que le frein à l’endettement soit sus-
pendu pour la quatrième année consécu-
tive pose une grave question : a-t-il encore
sa raison d’être ? Cette règle a certes permis
à l’Allemagne de réduire considérablement
sa dette publique, en la faisant passer de
82 % à 60 % de son PIB entre 2010 et 2019.
présentent
par de nombreux économistes. Le Parti so-
cial-démocrate (SPD) du chancelier Olaf
Scholz et les Verts du vice-chancelier et mi-
nistre de l’économie, Robert Habeck, sou-
haitent réformer le frein à l’endettement
pour permettre à l’Allemagne de procéder
enfin aux investissements dont elle a be-
soin pour moderniser son économie. Mais
le Parti libéral-démocrate (FDP), présidé par
le ministre des finances, Christian Lindner,
tout comme l’opposition chrétienne-démo-
crate de l’ex-chancelière Angela Merkel,
martèle qu’il ne veut pas remettre en cause
ce dogme de l’orthodoxie budgétaire.
Elu chancelier le 8 décembre 2021,
M. Scholz a cru que des tours de passe-
passe budgétaires lui permettraient de pro-
céder à une sorte de « quoi qu’il en coûte »
propre à satisfaire le SPD et les Verts, tout
en affichant la rigueur réclamée par le FDP.
Ce grand écart n’est plus possible. M. Scholz
doit désormais avoir le courage de dire que
le frein à l’endettement, qui pouvait se
justifier il y a quelques années, doit au-
jourd’hui être réformé. p

à la baisse, afin d’éviter les embou-
teillages dans les salles.
C’est donc avec joie que trente-
quatre musées et fondations de
treize régions ont accueilli l’initia-
02
représenter de formidables « pro-
duits d’appel ». Le Musée Bonnard
du Cannet (Alpes-Maritimes) a
ainsi opté pour deux œuvres de
Toulouse-Lautrec, La Clownesse

tive du président du Musée d’Or-
say, Christophe Leribault, appuyée
par le ministère de la culture. A
partir de janvier 2024, des œuvres
DEC.
Cha-U-Kao et La Femme aux gants,
« qui feront écho à l’exposition
“Toulouse-Lautrec tête d’affiche”
que nous organisons du 16 mars au

signées de grands noms de l’im-
pressionnisme quitteront l’an-
cienne gare située sur les bords de
Seine, où chaque année viennent
les admirer plus de trois millions
de visiteurs, pour des lieux moins
2023
6 juin 2024 », s’est félicitée Véro-
nique Serrano, conservatrice en
chef. Bruno Gaudichon, conserva-
teur à La Piscine de Roubaix, a, lui,
sélectionné cinq œuvres sur le
thème de l’enfance, dont La Petite

fréquentés de l’Hexagone (et un
établissement de l’île de La Réu-
nion, le Musée Léon-Dierx). En
1974, pour le centenaire de la nais-
sance du mouvement – le Musée
d’Orsay n’existait pas encore – , le
Grand Palais à Paris avait fait venir
de différents établissements de
province des trésors impression-
nistes. Cinquante ans plus tard, le
circuit s’inverse.
« Démocratie culturelle »
« Les tableaux partent de la capi-
tale pour aller en région, à la ren-
contre du public qui ne vient ni à
Paris ni à Orsay. C’est une grande
opération de démocratie cultu-
relle », applaudit Mélanie Lerat, di-
PARIS
Danseuse de 14 ans, de Degas, La
Bergère, de Pissarro, et Le Garçon
au chat, de Renoir.
Déplacer des œuvres d’une telle
valeur et pour certaines d’une
grande vulnérabilité n’est, on s’en
doute, pas une mince affaire. Les
établissements partenaires se
sont engagés à prendre en charge,
avec l’aide des collectivités terri-
toriales, une partie du coût des as-
surances et du transport, qui de-
mande un personnel spéciale-
ment formé. Généralement, LES JOURNÉES
DE L’ORIENTATION
agents et conservateurs ne voient
pas d’un bon œil les rotations de
chefs-d’œuvre : c’est d’ailleurs un
des griefs des agents grévistes du
Centre Pompidou à Paris qui fer-

rectrice du MUba Eugène-Leroy, à
Tourcoing (Nord), qui bénéficiera
d’un prêt de cinquante-sept ta-
bleaux. Grâce à la création du Lou-
vre-Lens, il y a onze ans, les habi-
tants de la région ont déjà la
chance de pouvoir venir admirer,
au cœur du bassin minier, des tré-
PARCOURSUP ET
mera pour cinq ans en 2025 et
dont une grande partie des collec-
tions doit migrer (gratuitement
en province et contre espèces
sonnantes et trébuchantes à LES FORMATIONS
SCIENTIFIQUES
l’étranger). Le Musée Picasso, à
Paris, qui avait fait tourner des
œuvres pendant la durée de ses

(SCIENCES, IA, DATA)

sors venus du palais parisien, dont
la statue égyptienne Le Scribe ac-
croupi et La Dentellière, de Ver-
meer, prêtés pour un an.
Les œuvres qui prendront la di-
rection de Tourcoing, Bordeaux,
Nice ou Ajaccio sont « ce qu’il y a de
EN 2018, L’EX-MINISTRE
DE LA CULTURE
FRANÇOISE NYSSEN
AVAIT IMAGINÉ
UN DISPOSITIF
DE PRÊT D’UNE DURÉE
DE SIX MOIS À UN AN
travaux, avait aussi affronté les
réticences de conservateurs op-
posés à ce qu’ils avaient qualifié
de « Picasso Circus ».
Quoi qu’il en soit, l’opération
« impressionnisme » a le mérite
de relancer une initiative de l’ex-
ministre de la culture Françoise
Nyssen et son « Catalogue des dé-
sirs ». En 2018, estimant qu’« en-
tre les Français et les musées, l’une
des principales causes de rupture,
comme en amour, c’est la dis-
tance », elle avait imaginé un dis-
positif de prêt de chefs-d’œuvre,
d’une durée de six mois à un an,
« pour que chacun trouve la cul-
ture près de chez lui ». Puisse l’ini-
tiative du Musée d’Orsay réacti- INSCRIPTION GRATUITE SAGE.GROUPELEMONDE.FR
ver une mesure encore insuffi-
samment déployée. p