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NUMÉRO 

DOUBLE
DIMANCHE 31 OCTOBRE -
LUNDI 1ER - MARDI 2 NOVEMBRE 2021
77E ANNÉE - NO 23892
3,00 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR -
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

L’ÉPOQUE ­ SUPPLÉMENT  QUAND L’AMOUR DEVIENT UN OBJET POLITIQUE

SOMMET POUR LE CLIMAT : L’HEURE DES COMPTES
▶ La 26e conférence ▶ Ce rendez­vous est capi­ ▶ Six ans après l’accord ▶ Plus de 140 pays ont ▶ Les Etats devront essayer
des Nations unies sur tal pour la lutte contre le de Paris, le bilan des soumis aux Nations unies de restaurer la confiance,
le climat (COP26) débute dérèglement climatique, engagements pour limiter de nouveaux plans, mais alors que les pays du Nord
dimanche 31 octobre dont les pires effets sont le réchauffement à 1,5 °C seulement une grosse ne mobilisent pas assez de
à Glasgow et se tiendra déjà perceptibles un peu montre que les efforts moitié sont plus ambi­ fonds pour les pays du Sud
jusqu’au 12 novembre partout sur le globe sont insuffisants tieux que les précédents SUPPLÉMENT 14 PAGES E T PAGE S 4 E T 28

Politique International 
« L’extrême droite  Macron et Biden 
est une vision  PROCÈS DU 13­NOVEMBRE esquissent un 
du monde, pas 
un programme » QUE DIRE ? rapprochement
pour la première fois depuis

QU’ÉCRIRE ?
l’affaire de la vente des sous­ma­
L’historien Nicolas Le­ rins nucléaires à l’Australie, dos­
bourg revient sur la défi­ sier qui a vu la France se faire
nition de l’extrême droite, doubler mi­septembre par ses al­
qui englobe les projets liés anglais et américains, Joe Bi­

QUE MONTRER ?
den et Emmanuel Macron ont
défendus par Marine échangé directement, vendredi
Le Pen et Eric Zemmour 29 octobre, à l’ambassade de
PAGE 12 France au Vatican. Le président
IVAN BRUN POUR « LE MONDE » américain a reconnu une façon
de faire « maladroite » et un
« manque d’élégance », jurant

France ▶ Durant cinq semaines,


plus de trois cents par­
▶ Nos trois chroni­
queurs, Pascale Robert­
▶ La justice a fait le choix
de la pudeur, dans ce
« devant Dieu » qu’il pensait que
les Français avaient été prévenus
en amont par les Australiens.
Le lent retour ties civiles se sont suc­ Diard, Henri Seckel et procès, en sélectionnant Emmanuel Macron, qui a jugé
son homologue « sincère », est
cédé à la barre du tribu­ Soren Seelow, racontent avec parcimonie les
en grâce  nal, pour livrer leur récit comment ils ont ouvert images et les documents
resté cependant plus sobre, appe­
lant à « se tourner vers l’avenir ».

de l’industrie  des attentats et de la


nuit du 13­Novembre,
les guillemets, choisi
les histoires à raconter,
montrés à l’audience. Un
choix sur lequel le prési­
Les deux pays ont signé un com­
muniqué commun, dans lequel
les Etats­Unis soulignent l’im­
Relocaliser des usines un moment qui restera les témoignages à dent du tribunal pour­ portance d’une défense euro­
péenne. Le document aborde
est devenu un mantra gravé dans l’histoire reproduire, et ceux qu’il rait revenir en partie également le rôle de la France
dans les territoires, à re­ judiciaire du pays a fallu laisser de côté PAG ES 14- 15 dans la zone Indo­Pacifique, mise
bours de la tendance des de facto à l’écart par la nouvelle
alliance baptisée « Aukus », entre
années 2000, malgré des
les Etats­Unis, l’Australie et le
freins toujours présents Royaume­Uni.
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Culture Les musées cherchent  Economie
Les réparateurs
Présidentielle AAMU FILM COMPANY présente

“ Entre LOST IN TRANSLATION


à conquérir de nouveaux publics de vélo changent Les soutiens  et IN THE MOOD FOR LOVE ”
TÉLÉRAMA

de braquet de Macron sur  “ UN TRÈS BEAU FILM, QUI FAIT UN BIEN FOU ! ”


PARIS MATCH

PAGE 1 6
un faux plat
Rencontre
Les proches du président FESTIVAL DE CANNES 2021

Catherine Corsini, doivent attendre qu’il se SEIDI HAARLA YURIY BORISOV


la révolte jusqu’au déclare pour engager les
bout de la caméra opérations de campagne, COMPARTIMENT No6
et sont contraints de un film de
PAGE 25
se réserver en attendant JUHO KUOSMANEN
PAGE 10
Tribune
Daniel Cohen :
« Le Covid­19 a été Europe
Au Muséum national
d’histoire naturelle une crise “totale” » A Grodno, la
de Paris, l’exposition PAGE 26 Biélorussie met la
« L’Océan, du récif
corallien à la pleine pression sur l’UE
mer ». PROJECTILES/MARDI8/
SENSORY ODYSSEY 1
É DITOR IA L
avec les migrants
PAGE 6
CRÉDITS NON CONTRACTUELS - ADAPTATION : LA GACHETTE

frappés par la crise sanitaire Muséum national d’histoire na­ A F G H A N I S TA N


et la désaffection du public, les turelle de Paris propose ainsi une
lieux culturels cherchent à re­ « Odyssée sensorielle » à travers ÉVITER À NOS LECTEURS 
bondir pour attirer de nouveaux
visiteurs. Les musées investissent
la planète, quand le Musée d’art
moderne de Fontevraud­l’Abbaye
LA POLITISATION En raison de la Toussaint, ce nu­ LE 3 NOVEMBRE
notamment de plus en plus dans (Maine­et­Loire) invente un dia­ DE L’AIDE méro, daté dimanche 31 octobre­
des scénographies inédites, grâce logue entre statues. lundi 1er­mardi 2 novembre,
P AGE 29
aux technologies numériques. Le PAG ES 20-2 1 est un numéro double
Algérie 220 DA, Allemagne 3,80 €, Andorre 3,80 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,30 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,60 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,20 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €,
Hongrie 1 460 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 23 DH, Pays-Bas 4,00 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,50 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,50 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
INTERNATIONAL
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2| DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021

Biden­Macron, la réconciliation à petits pas
La rencontre des présidents français et américain à Rome, avant le G20, est la première depuis l’affaire Aukus

Le président
américain, Joe
Biden, et son
homologue
français,
Emmanuel
Macron,
à la villa
Bonaparte
à Rome,
vendredi
29 octobre.
LUDOVIC MARIN/AFP

rome ­ envoyé spécial mentaire avec l’OTAN », note le s’agit d’assouplir, aux yeux de Pa­ cre d’approfondir leur lutte con­ première explication « en présen­
Sans s’excuser, texte, avant d’appeler « au ren­ ris, les restrictions américaines tre le réchauffement. tiel » avec Boris Johnson, avec qui

A
u plus fort de l’affai­ le démocrate forcement du partenariat stratégi­ à l’export quand ces équipements Il est grand temps de resserrer les sujets de contentieux s’accu­
re Aukus, Emmanuel que entre l’UE [Union euro­ contiennent des composants en les rangs. Le G20, tout comme la mulent, dix mois après le Brexit,
Macron avait fait at­
a reconnu péenne] et l’OTAN ». provenance des Etats­Unis. COP26, menacent de tourner à la sur l’Irlande du Nord, la pêche ou
tendre Joe Biden sept « un manque « La crise a conforté l’agenda M. Macron a également insisté foire d’empoigne entre les pays les questions migratoires. Offi­
jours avant de lui parler au télé­ porté par la France », s’est félicité pour que les Européens soient développés et les pays émergents, ciellement, il s’agira surtout de
phone. Vendredi 29 octobre à
d’élégance » M. Macron devant quelques jour­ consultés dans les discussions en­ menés par la Chine, l’Inde et le parler de coopération climatique,
Rome, le président américain envers Paris nalistes à l’issue de son entretien gagées avec les Russes au sujet du Brésil. Ces trois Etats ont tardé, ou mais l’ambiance risque d’être ora­
s’est autorisé une heure trente avec M. Biden. Le chef de l’Etat contrôle des armements : « Nous tardent encore, à préciser leurs geuse. Il en va de la « crédibilité »
de retard avant de retrouver son entend pousser son avantage travaillerons de concert, notam­ positions dans la lutte contre le de Londres, selon le chef de l’Etat.
homologue français dans l’espoir vailles aient lieu dans une pendant la présidence française ment au sein de l’OTAN, pour ren­ réchauffement climatique. Pékin « Nous ferons le nécessaire pour
de clore la brouille suscitée par « emprise française » de la capitale de l’UE, au premier semestre forcer la maîtrise des armements, est notamment pressé par les défendre les intérêts britanni­
l’annonce, mi­septembre, du italienne, juste avant l’ouverture, 2022, même si nombre de capita­ le désarmement et la non­prolifé­ pays riches de s’engager sur la sor­ ques », a prévenu Boris Johnson
pacte de défense entre les Etats­ samedi, du sommet du G20. les, en Europe centrale en particu­ ration, qui constituent des élé­ tie du charbon. « Il va falloir tout le dans l’avion qui le transportait
Unis, l’Australie et le Royaume­ Le rendez­vous s’est ainsi tenu lier, se méfient encore des velléi­ ments centraux de la sécurité doigté de Mario Draghi [président vers Rome, vendredi.
Uni, négocié en secret au détri­ dans un cadre des plus apai­ tés françaises en la matière. euroatlantique », indique le com­ du conseil italien], l’hôte du G20, Le ministère britannique des af­
ment de la France. sants : la villa Bonaparte, où est Le communiqué aborde ensuite muniqué commun. pour que la discussion ne dégénère faires étrangères avait convoqué
Faut­il y voir un signe de pro­ installée l’ambassade de France le rôle de la France et de l’Europe pas », observe un diplomate. un peu plus tôt l’ambassadrice de
grès dans les relations entre les auprès du Vatican. Le palais du dans l’Indo­Pacifique, que le chef Resserrer les rangs Pour ne rien arranger, les bles­ France, Catherine Colonna, pour
deux hommes ? Sans s’excuser, XVIIIe siècle, autrefois propriété de l’Etat espère désormais voir Après ce rabibochage en public, sures ouvertes par l’affaire Aukus lui demander des explications au
Joe Biden a reconnu, dans un bref de la famille Bonaparte, est en­ reconnu par son homologue, les travaux pratiques devaient ne sont pas toutes cicatrisées. sujet des mesures de rétorsion pri­
échange public avant leur tête­à­ touré d’un agréable jardin ar­ en dépit du revers suscité par commencer sur les enjeux multi­ M. Macron a certes accepté de ses par Paris faute d’obtenir davan­
tête, une manière de faire « mala­ boré. Après une brève apparition l’alliance Aukus. « Notre stratégie latéraux, lors du sommet du G20. parler au premier ministre aus­ tage de licences dans les eaux an­
droite » et « un manque d’élé­ devant la presse, Emmanuel ne change pas, car nous sommes En l’absence des présidents chi­ tralien, Scott Morrison, jeudi, glaises pour les pêcheurs français.
gance » envers Paris de la part de Macron et Joe Biden ont eu un tê­ une puissance » de l’Indo­Pacifi­ nois, Xi Jinping, et russe, Vladimir avant son voyage à Rome. Il avait Au fond, sur Aukus, les diri­
ses partenaires. Multipliant les te­à­tête dans la « grande gale­ que, a insisté M. Macron, qui Poutine, qui participeront aux dé­ jusqu’ici refusé de répondre à ses geants français ne digèrent
mots doux, le démocrate a dit rie » de la bâtisse, puis une réu­ continue de défendre, « comme bats en visioconférence, les Occi­ appels. Mais après avoir vu Joe Bi­ toujours pas la « trahison » des
sa « grande affection » à l’égard nion de travail dans la « salle à beaucoup de pays de la région », dentaux disposent d’une belle den, le chef de l’Etat a continué de Britanniques, alors qu’ils sem­
de la France, « le plus vieil allié des manger » attenante, en présence une approche moins confronta­ occasion d’afficher leur unité. mettre en cause le choix de l’Aus­ blent prêts à passer l’éponge
Etats­Unis… grâce auquel nous de leurs ministres des affaires tionnelle que celle de Washington M. Biden devait, dès samedi, tralie : « Aukus, c’est un nom et une pour les Américains. Pour
existons ». Après moult poi­ étrangères et des finances. face à la Chine. s’entretenir avec la chancelière al­ étude de dix­huit mois », a­t­il preuve, M. Macron a jugé M. Bi­
gnées de main, M. Macron est Les échanges ont duré quatre­ Le texte traite enfin du renforce­ lemande Angela Merkel, le pre­ glissé. Sous­entendu : Canberra den « sincère » après que celui­ci a
resté plus sobre, appelant à se vingt­dix minutes. Et ont débou­ ment de la coopération dans la mier ministre britannique, Boris n’est pas près de renouveler sa confié, vendredi, qu’il pensait
« tourner vers l’avenir » et parlant ché sur un long communiqué lutte antiterroriste dans le Sahel : Johnson, et Emmanuel Macron. flotte de sous­marins après avoir que la France avait été informée
juste de « l’amorce d’un processus commun, plus étoffé que celui celui­ci « donne déjà des résultats Tous quatre veulent se concerter rompu le contrat signé avec Paris. « très en amont » par l’Australie
de confiance ». du 22 septembre, date de leur concrets », a dit le chef de l’Etat, et avant une éventuelle – et incer­ De surcroît, M. Macron doit que le contrat de sous­marins ne
Tout avait été fait pour arrondir premier appel après la dispute, permet par la France et ses parte­ taine – reprise des discussions sur avoir, dimanche 31 octobre, une se ferait pas. « Devant Dieu, je
les angles entre les deux diri­ mais surtout riche en déclara­ naires européens « d’être plus effi­ le nucléaire iranien. vous assure que je ne savais pas
geants. La rencontre a été précé­ tions de principe. caces » face aux djihadistes. Des Sur la question climatique, au que vous ne l’aviez pas été », a as­
dée d’intenses tractations ces der­ hélicoptères et des drones supplé­ cœur des discussions entre les suré le président américain,
nières semaines avec l’adminis­ Indo-Pacifique et Sahel mentaires auraient été mis à dis­ vingt principales économies de
Le communiqué comme pour excuser la mau­
tration Biden pour désamorcer la Il y est bien sûr question des trois position par les Etats­Unis. la planète, le retour des Etats­Unis commun vaise manière faite à Paris. « Il en
colère noire suscitée à Paris par grands sujets esquissés lors Au passage, les deux présidents dans l’accord de Paris a réjoui va de la confiance comme de
l’alliance à trois anglo­saxonne, des consultations préparatoires. ont convenu d’approfondir la les Européens. Mais ceux­ci n’en­
reconnaît l’amour, les déclarations c’est bien,
qui a torpillé la vente de sous­ma­ D’abord, la défense européenne. coopération bilatérale dans diffé­ tendent pas pour autant leur cé­ « l’importance les preuves, c’est mieux », a insisté
rins français à Canberra au profit « Les Etats­Unis reconnaissent rents domaines : les énergies re­ der le leadership dans ce do­ un peu plus tard le président fran­
de bâtiments américains à pro­ l’importance d’une défense euro­ nouvelables et le nucléaire, ainsi maine. A l’avant­veille de la
d’une défense çais. Une façon de montrer que
pulsion nucléaire. Faute d’ac­ péenne plus forte et plus opéra­ que le spatial. Ils annoncent par COP26, l’UE attendait même que européenne plus l’affaire Aukus, du moins dans
cueillir Joe Biden à Paris, les diplo­ tionnelle, qui contribue positive­ ailleurs leur intention de lancer Washington s’engage davan­ son esprit, n’était pas encore tout
mates tricolores avaient beau­ ment à la sécurité mondiale et « un dialogue stratégique » sur tage dans le soutien financier aux
forte et plus à fait surmontée. 
coup insisté pour que les retrou­ transatlantique et soit complé­ les exportations d’armements. Il pays pauvres, afin de les convain­ opérationnelle » philippe ricard
NOUS NE DONNONS PAS DE LEÇON,
NOUS COMPENSONS NOS ÉMISSIONS
Depuis 2019, nous compensons les émissions de carbone provenant
du carburant utilisé sur tous nos vols en soutenant des projets
environnementaux. Une solution transitoire le temps que de nouvelles
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0123
4 | international DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021

COP26 : «Entendre
ce que les militants
ont à dire»
La première ministre écossaise,
Nicola Sturgeon, pousse à l’action lors
du sommet de Glasgow sur le climat

RENCONTRE Poutine et chinois Xi Jinping.


« L’absence de la reine est déce­
londres ­ correspondante
vante, mais tout le monde com­

N
icola Sturgeon, la pre­ prend qu’elle a besoin de repos
mière ministre écos­ [elle a 95 ans]. Quant aux autres
saise, n’est pas l’hôte dirigeants, concentrons­nous sur Nicola
officielle de la COP26, ceux qui seront présents, une cen­ Sturgeon,
qui s’ouvre dimanche 31 octobre à taine d’entre eux vont converger à Dundee
Glasgow – c’est le gouvernement vers Glasgow, notamment le prési­ (Ecosse),
britannique. Mais sa voix va dent Joe Biden. » le 9 septembre.
compter durant les quinze jours Des milliers de militants pré­ PA PHOTOS/ABACA
de ce sommet crucial pour l’ave­ voient de multiplier les actions
nir de la planète : la dirigeante, sur place. « Je crois passionné­
députée de longue date de la capi­ ment au droit à manifester pacifi­ réagit Mme Sturgeon. L’Ecosse s’est à Edimbourg est toujours « de Nicola Sturgeon se dit par
tale économique de l’Ecosse et quement, insiste la première mi­ fixé une neutralité carbone d’ici à
« Il est essentiel proposer un référendum sur l’in­ ailleurs « très préoccupée » par le
chef du Parti indépendantiste nistre, qui a forgé ses convictions 2045, car nous pensons pouvoir al­ que, à l’issue de dépendance, de préférence avant bras de fer en cours entre Paris et
écossais (SNP), s’est fixé un pro­ indépendantistes en protestant, ler plus vite [que le Royaume­Uni fin 2023 ». Et si le Parlement de Londres sur la pêche. Catherine
gramme environnemental ambi­ dans les années 1980, contre les dans son ensemble, qui reste sur
cette COP26, une Westminster s’y oppose, comme Colonna, l’ambassadrice de
tieux dans le cadre d’une coali­ bases de sous­marins nucléaires 2050], en raison de l’étendue de hausse de 1,5 °C il en a le pouvoir ? « Je ferai tout France à Londres, a été convoquée
tion avec les Verts, adoptant un britanniques. Les dirigeants doi­ nos forêts et de nos tourbières. » pour [qu’une loi référendaire] par le Foreign Office, vendredi
objectif de neutralité carbone dès vent entendre ce que les militants Que pense­t­elle, cependant, de
des températures soit adoptée au Parlement écos­ 29 octobre, qui considère « injusti­
2045. Elle a répondu aux ques­ ont à dire. Car ils n’en font pas l’entrée en exploitation d’un vaste soit tenue » sais. Ce sera à Boris Johnson de dé­ fiées » les mesures de représailles
tions de plusieurs journaux euro­ encore assez pour limiter le ré­ champ pétrolier, Cambo Field, au cider s’il est prêt à accepter la vo­ envisagées par Paris après que
péens, dont Le Monde. chauffement climatique. Il est es­ large des îles Shetland, auquel le lonté du parlement écossais ou des bateaux français se sont vus
Prix des hébergements stratos­ sentiel qu’à l’issue de cette COP26, gouvernement Johnson s’apprête obligés d’importer du gaz et du pé­ pas », explique Mme Sturgeon. refuser des licences de pêche
phériques, restrictions de voya­ une hausse de 1,5 °C des tempéra­ à donner son feu vert ? « Ce champ trole », justifie Nicola Sturgeon. dans les eaux britanniques.
ges dues au coronavirus : les criti­ tures soit tenue. » ne devrait pas être exploité avant Abandonner le pétrole n’a rien « Ruptures de stock » « Les gouvernements français,
ques se sont multipliées concer­ un examen très strict de sa compa­ d’anodin, souligne la dirigeante, La première ministre refuse de britannique et l’UE doivent se con­
nant l’organisation du sommet, Nouveau champ pétrolier tibilité avec les engagements verts qui rappelle qu’elle « dirige un considérer le combat pour l’indé­ centrer sur une désescalade », in­
des ONG réclamant qu’il soit re­ Prompte à critiquer le gouverne­ du pays. Mais au final, comme tous parti qui a insisté pendant des dé­ pendance comme une perte de siste la dirigeante, qui trouve par
poussé pour permettre aux délé­ ment conservateur de Boris John­ les autres dirigeants, y compris cennies sur l’importance du pé­ temps regard des enjeux climati­ ailleurs « absurde » la demande de
gués des pays en développement, son, Mme Sturgeon a mis une par­ moi, Boris Johnson sera jugé sur ce trole » pour financer la future in­ ques. « Cette manière d’envisager Downing Street de renégocier le
avec un accès limité aux vaccins, tie de ses réserves en sourdine le qu’il aura accompli, pas sur ce qu’il dépendance. « It’s Scotland’s oil » les choses est absurde, réagit­elle. protocole nord­irlandais (la partie
de participer. « Glasgow est prête, temps du sommet. « Notre colla­ aura dit. » L’Ecosse n’est pas à l’abri (« C’est le pétrole de l’Ecosse »), Notre dépendance vis­à­vis du du traité du Brexit précisant le sta­
répond Mme Sturgeon. La mairie boration dans le cadre du sommet des reproches : le SNP n’a encore scandaient les indépendantistes Royaume­Uni nous coûte déjà très tut de la province). « Ce dernier se­
aide le plus possible ceux qui n’ont climat a été bonne, et je n’ai pas publié aucun plan précis de désen­ quand les premiers champs pé­ cher. A cause du Brexit, que les rait désormais inacceptable, alors
pas encore trouvé un logement et l’intention de laisser la politique gagement des énergies fossiles troliers ont été découverts en mer Ecossais n’ont pas voulu, nous qu’il avait été présenté comme un
le gouvernement écossais tente de interférer avec la COP26. Je ferai (l’exploitation du pétrole en mer du Nord, dans les années 1970. avons des ruptures de stock dans succès quand il a été signé [fin
faire le pont entre pays en déve­ tout mon possible pour qu’elle soit du Nord pèse encore 10 % du pro­ Si l’heure est à la collaboration les supermarchés, nous avons 2019]. Cette attitude risque d’abî­
loppement et pays riches, diri­ un succès », assure Mme Sturgeon. duit intérieur brut écossais). avec Londres, l’indépendance perdu la liberté de mouvement mer pour très longtemps la réputa­
geants et jeunes militants. » La stratégie de neutralité carbone « Nous devons tout faire pour reste toujours d’actualité, pour dans l’Union européenne [UE]. tion du Royaume­Uni : comment
Ni le pape ni la reine Elizabeth II publiée par Downing Street mi­ que cette transition soit la plus ra­ cette femme politique très déter­ Nous faisons de notre mieux pour faire confiance à un gouverne­
ne feront le déplacement en octobre est pourtant jugée trop pide possible, mais il faut en paral­ minée, entrée au SNP quand elle contribuer aux efforts climatiques, ment qui ne tient même pas les en­
Ecosse. Manqueront aussi à l’ap­ vague par beaucoup d’ONG : « Son lèle construire une alternative était adolescente (elle a 51 ans) : le mais ne serons même pas à la ta­ gagements qu’il a signés ? » 
pel les présidents russe Vladimir niveau d’ambition est bienvenu, verte, sinon nous finirons par être « plan » de la coalition SNP­Verts ble des négociations de la COP26. » cécile ducourtieux

Au G20, les débuts d’une internationale de parlementaires anti­Pékin


Un réseau de 200 élus, issus de 21 pays, s’est réuni, vendredi, à Rome, pour alerter les pays les plus riches de la planète sur le « danger » chinois

rome ­ envoyée spéciale représenté par le président de sioconférence par son ministre fortiori depuis le gel de l’accord Le Royaume­Uni compte une
l’administration centrale en exil, des affaires étrangères, Joseph Wu. commercial UE­Chine, dont le sort
De zélés agents trentaine d’élus membres. Son

E lle n’a manqué aucun des


sujets qui déclenchent les
foudres de Pékin. Les liber­
tés bafouées à Hongkong, dont est
venu parler l’ancien leader étu­
Penpa Tsering. La persécution des
musulmans ouïgours en Chine,
évoquée par la musicienne et mili­
tante Rahima Mahmut. Les mena­
ces contre la démocratique Taïwan
Pour sa première réunion, ven­
dredi 29 octobre, à Rome, l’Al­
liance interparlementaire sur la
Chine (IPAC) a frappé fort. Ce ré­
seau de quelque 200 députés et
est plombé par les sanctions prises
par la Chine à l’encontre de parle­
mentaires européens, en réponse
à celles décidées par l’UE en sou­
tien aux Ouïgours. « Ce faisant, la
de Pékin ont
tenté de torpiller
la réunion de
premier ministre, Boris Johnson,
« n’a pas d’idées précises sur la
Chine, comme sur beaucoup d’au­
tres sujets, estime Iain Duncan
Smith, mais la décision de Boris sur
diant Nathan Law. Le Tibet occupé, enfin, rappelées avec clarté en vi­ sénateurs de tous bords et de Chine n’a fait que renforcer notre
Rome, au moyen le nucléaire [la mise à l’écart des in­
nombreux pays est né en 2020, le détermination sur les droits de de faux mails vestisseurs chinois dans les futurs
4 juin, jour anniversaire de la ré­ l’homme », note le député belge projets nucléaires civils] est bonne.
pression de Tiananmen. Samuel Cogolati, visé par Pékin. Notre rôle est de renforcer la prise
Vendredi, l’IPAC a reçu l’appui du nemark, de la Belgique à la Malai­ de conscience du gouvernement.
ministre taïwanais Joseph Wu, « Un message d’unité » sie, l’IPAC se considère comme un C’est à ça que nous servons. »

DE CAUSE À dont la présence à Bruxelles, non


confirmée, a provoqué l’embal­
lement inquiet des chancelle­
L’IPAC profitait du G20, réuni ce
week­end à Rome, même si elle
reste lucide sur sa capacité à y être
groupe capable de peser. « Notre
réunion est un message d’unité »,
se réjouit Lucy Akello, députée du
André Gattolin, sénateur fran­
çais La République en marche
(LRM), abonde : « Nous échan­

EFFETS. Chaque
mardi
ries. « L’IPAC va dans la bonne di­
rection, a­t­il déclaré. De même,
l’Union européenne [UE] s’est enga­
entendue, comme l’a souligné le
Britannique Iain Duncan Smith.
Cette figure du Brexit, artisan de la
Forum pour le changement démo­
cratique en Ouganda. Vendredi, il
a été annoncé que l’Inde rejoignait
geons beaucoup, nous poussons
des décisions. Nous venons de le
faire avec notre mission sénato­
gée à renforcer ses liens politiques campagne de Boris Johnson le réseau, avec quatre élus. riale sur les ingérences étatiques
21H-22H avec Taïwan, ce qui est une étape en 2019, regrette de voir la Chine « L’IPAC éclaire la réalité du dan­ étrangères à l’université, sujet par­
Aurélie historique. La Commission euro­
péenne a aussi montré son soutien.
« traitée comme une nation nor­
male dans l’enceinte du G20, bien
ger posé par la Chine. Nos sociétés
ont les mains liées et nos gouverne­
tagé avec mes collègues austra­
liens, tchèques ou britanniques. »
© Radio France/Ch. Abramowitz

Luneau Il faut continuer. » qu’elle pratique à grande échelle ments défendent leurs intérêts éco­ Vendredi, l’IPAC a annoncé lan­
Le représentant de Taipei a rap­ des violations des droits humains ». nomiques. Aux Parlements d’agir. cer une campagne contre les ac­
pelé les incursions militaires re­ Et d’ajouter, à l’adresse des chefs Le régime chinois ne supporte pas cords d’extradition signés par une
cords de l’armée chinoise dans la d’Etat : « Ce n’est pas parce que vous la délibération démocratique », es­ soixantaine d’Etats avec la Chine,
zone de défense de l’île cette an­ ne voulez pas en parler que ces pro­ time Pavel Fischer, élu indépen­ qui peut ainsi poursuivre des op­
Le magazine de née, les pressions politiques inces­ blèmes vont disparaître ! » dant, président de la commission posants à l’étranger. L’alliance
santes. « La Chine est en train d’es­ La jeune alliance interpartisane des affaires étrangères du Sénat avait en outre invité l’Américain
l’environnement sayer de détruire la démocratie. a de quoi hérisser le régime com­ tchèque. L’alliance a l’avantage de Bill Browder, promoteur du sys­
Taïwan est en première ligne. Nous muniste de Xi Jinping. De zélés rassembler « de très gros joueurs tème de sanctions « Magnitski »,
Disponible sur
ne devons pas laisser faire. J’incite agents de Pékin ont tenté de tor­ et de tout petits comme la Litua­ établi contre le régime du prési­
franceculture.fr
et l’application
les parlementaires à venir. » Avec piller la réunion de Rome, au nie. C’est notre force, estime Do­ dent russe, Vladimir Poutine,
Radio France lui, cette semaine, deux autres mi­ moyen de faux mails attribués au vile Sakaliene, députée sociale­ après la mort d’un opposant. Les
L’esprit nistres et des chefs d’entreprises coordonnateur de l’IPAC, indi­ démocrate à Vilnius. Nous pou­ parlementaires réunis à Rome
En partenariat d’ouver- taïwanais ont été reçus en Républi­ quant aux membres que le ren­ vons produire un travail cohérent. comptent sur lui pour convaincre
avec que tchèque. M. Wu a souligné que dez­vous était annulé ou reporté. C’est ainsi que notre Parlement a d’autres Etats de sévir contre des
ture. son gouvernement encourageait Avec 21 pays représentés, des Etats­ voté une résolution dénonçant le dirigeants chinois. 
les investissements en Europe, a Unis au Japon, de l’Australie au Da­ génocide des Ouïgours. » nathalie guibert
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6 | international DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021

A Grodno, dernière étape biélorusse des migrants


La ville est devenue le point de passage des réfugiés vers la Pologne, avec la bénédiction du régime de Minsk

grodno (biélorussie) ­ russe, où il a reçu un visa touris­ dre son objectif, l’Union euro­ simples d’accès, de plus en plus nit par lâcher que « ça devient de
envoyé spécial tique l’autorisant à séjourner péenne. S’il n’y parvient pas, « ce
« On voit pas mal surveillés, sont fermés. Après pire en pire ». Lui aussi a croisé des
trente jours dans le pays. A peine sera la Lituanie », explique cet de migrants, avoir érigé des barrières et déclaré groupes de migrants, vu des taxis

A
ssis sur les bancs d’une arrivé, il a pris la route vers homme sec de 50 ans. « Nous ne l’état d’urgence sur la zone bor­ les déposer non loin de sa mai­
cour d’immeuble om­ Grodno, toujours guidé par Tele­ rentrerons pas en Syrie. Là­bas,
ils sont dans dant la Biélorussie, le 25 octobre, son, le long d’une route étroite.
bragée, à l’abri des gram ou Snapchat. c’est la guerre. » les cours le ministre polonais de la défense, Un événement dans cette campa­
grandes artères com­ Grodno, c’est une paisible ville Lui et les autres, Syriens, Ira­ Mariusz Blaszczak, a annoncé le gne où, « à part les kolkhoziens,
merçantes de Grodno, des grou­ de 350 000 habitants traversée kiens ou Yéménites, viennent
d’immeuble. renfort de 2 500 soldats supplé­ personne ne passe ». « Les mi­
pes de migrants fixent leurs télé­ par le Niémen, moins oppres­ tenter leur chance sur cette nou­ Ils louent des mentaires, pour un effectif total grants ne savent rien de la situa­
phones portables en attendant le sante, moins défigurée par l’om­ velle route migratoire, ouverte de 10 000 hommes, mobilisés tion dans le pays », ajoute­t­il avec
signal d’un départ. A l’écart, cinq niprésence du drapeau national avec la bénédiction, sinon la com­
logements », afin d’aider les gardes­frontières à une mine soucieuse.
hommes, compagnons de route rouge et vert qu’impose à chaque plicité, des autorités. Un journa­ explique un contenir les centaines de tentati­ Plus loin, devant le petit maga­
depuis quelques jours, disent être coin de rue de Minsk le régime liste local, qui souhaite garder ves quotidiennes de passage. La sin d’un autre village auquel on
originaires de Rakka et de Deraa, d’Alexandre Loukachenko. Mais l’anonymat, les désigne comme
chauffeur de taxi situation ne cesse d’empirer. accède en suivant une longue
en Syrie. L’un d’eux parle quel­ depuis quelques mois, la cité bié­ « des otages du régime, car Louka­ route peu fréquentée, bordée d’un
ques mots d’anglais et explique lorusse s’est surtout fait connaî­ chenko veut mettre la pression sur « On s’est accommodés » horizon plat de champs de bette­
avoir entendu parler de la Biélo­ tre comme la dernière étape à at­ les Européens ». Le dirigeant biélo­ ville dont l’architecture très Démunis et désespérés, les grou­ raves et de patates, un retraité ra­
russie « sur les réseaux sociaux ». teindre, le dernier obstacle à russe, explique­t­il en substance, « vieille Europe » se distingue de pes de migrants n’ont donc conte la manière dont cette actua­
Khaldoun, comme il dit s’appeler, franchir avant de fouler le sol de a orchestré une vaste campagne celle de la capitale biélorusse aux d’autre solution que d’emprunter lité sur la nouvelle route migra­
raconte avoir pris un avion depuis la Pologne, située à moins de touristique pour attirer des mi­ allures de vitrine soviétique. les sentiers dangereux, à travers toire a été accueillie par le voisi­
Beyrouth fin septembre avant 15 kilomètres. Khaldoun cherche grants du Moyen­Orient ou d’Afri­ Derrière le volant de son taxi les marais, les lacs et l’immense nage. « Ici on ne dit rien, explique­
d’arriver à Minsk, la capitale biélo­ un point de passage pour rejoin­ que, et provoquer une crise mi­ qui traverse les barres d’immeu­ forêt de Bialowieza. Depuis le dé­ t­il, les mains dans les poches. On
gratoire afin de se venger des bles de la banlieue, un conduc­ but de la crise migratoire, cet été, s’est accommodés. Auparavant, on
sanctions économiques impo­ teur bougon évoque avec lassi­ huit sont morts. Selon certaines ne fermait jamais les portes ni les
LETTONIE sées par l’Union européenne. tude les migrants rencontrés ces ONG, le bilan pourrait être plus cadenas, maintenant on ferme à
RUSSIE A Grodno – dont l’aéroport dernières semaines. « On en voit élevé. Rares sont les images qui clé, la nuit. Cela dit, on n’a pas eu de
vient de se voir gratifier par les pas mal. Ils sont dans les cours sortent de la zone frontalière. problèmes jusqu’ici. »
Mer LITUANIE
Baltique autorités biélorusses du statut d’immeuble. Ils louent des loge­ Mais de nombreux témoignages Certains, aussi, font preuve de
Vilnius « international » – c’est un sujet ments, ils restent un peu. Ils voya­ de migrants arrivés en Pologne solidarité. Des habitants ont
KALININGRAD
(RUSSIE)
dont on discute discrètement gent partout. » Des taxis en pro­ parlent de la violence et des me­ donné des pommes de terre et
Grodno Minsk tant il est sensible. Plus d’un an fitent, moyennant jusqu’à naces des autorités biélorusses des tomates à un groupe d’une
Suwalki
après les grandes manifestations « 100 dollars [86 euros] par per­ pour les pousser à traverser la trentaine d’Afghans, bloqués plu­
BIÉLORUSSIE dans le pays contre le président sonne » pour une course avec les frontière et les empêcher de reve­ sieurs semaines dans la forêt, en­
Bialystok
Forêt frauduleusement réélu pour un réfugiés. Il n’y a qu’une règle. nir sur leurs pas. Dans le même tre les gardes­frontières biélorus­
de Bialowieza sixième mandat en août 2020, la Avant de déposer leurs clients à la temps, des vidéos prises côté bié­ ses et polonais qui se faisaient
POLOGNE répression contre les voix criti­ frontière, les chauffeurs doivent lorusse dévoilent la brutalité des face. Dans le village, les gens sa­
Brest
Varsovie ques reste féroce. Or, ici, la com­ prévenir les autorités biélorusses refoulements effectués par les Po­ vent que les migrants ne sont que
munauté d’origine polonaise qui de leur arrivée. « Autrement, on lonais. La crise migratoire est de passage. « Ils ne veulent pas res­
Lublin Kiev
représente 20 % de la population peut avoir des problèmes. » aussi une guerre de l’information. ter chez nous, soupire le retraité.
UKRAINE est particulièrement dans le vi­ Pour les migrants arrivés dans la A une heure de Grodno, en Ils veulent aller en Allemagne, fuir
seur du régime du fait de ses liens zone frontalière, ce n’est que le dé­ pleine campagne, dans un village les malheurs et les persécutions
RÉPUBLIQUE avec Varsovie. Le poids de cette but d’une longue errance pour re­ de petites isbas colorées, un dans leurs pays. Ils sont venus
Union diaspora se lit dans le nombre joindre la Pologne. Depuis un homme interrompt ses travaux, pour changer leurs vies. » 
TCHÈQUE 200 km européenne
élevé d’églises catholiques de la mois déjà, les chemins les plus s’approche d’un air méfiant, et fi­ thomas d’istria

Haïti paralysé par une pénurie géante Etat de droit : le Parlement


de carburant orchestrée par des gangs européen met sous
Les terminaux pétroliers sont bloqués par les bandes criminelles qui font la loi sur l’île
pression la Commission
L’Assemblée a saisi la justice contre l’exécutif
ponsable de programmes à l’ONG est hypothéquée. Les plus démunis
communautaire pour son inaction
fort­de­france (martinique) ­
correspondance Réseau national de défense des
« Dans ma risquent d’en payer chèrement les
droits humains. Maintenant, avec clinique, je n’ai conséquences », a prévenu l’asso­

U ne panne sèche à l’échel­


le de tout un pays : de­
puis plusieurs semaines,
Haïti est paralysé par une grave
pénurie de carburant, qui compli­
ce problème de carburant, les rues
sont calmes tout au long de la
journée. Les très rares personnes
qui circulent sont celles qui ont
pu s’en procurer à un prix très
vu que deux
patients depuis
ce matin, alors
ciation dans un communiqué
destiné au gouvernement.
Quant aux centres de soins en­
core ouverts, ils tournent au ra­
lenti. « Les patients n’ont pas de C’
bruxelles ­ bureau européen

est la première fois que


le Parlement européen
saisit la Cour de justice
Cour de Luxembourg. Il faut res­
pecter nos engagements », expli­
que un diplomate.
Ces dernières semaines, les rela­
tions entre, d’un côté, l’UE, et, de
que encore davantage le quoti­ élevé ou qui ont des réserves. » que j’en vois carburant pour se rendre à l’hôpi­ de l’Union européenne (CJUE) l’autre, la Pologne, dont l’indé­
dien d’une population déjà dure­ habituellement tal. Dans ma clinique, je n’ai vu que d’un recours contre la Commis­ pendance de la justice est com­
ment éprouvée. Le pays caribéen, Responsabilité de l’Etat deux patients depuis ce matin, sion. Vendredi 29 octobre, David promise, et la Hongrie, où la lutte
en proie à une grave crise politi­ La cause de cette situation drama­ une quinzaine » alors que j’en vois habituellement Sassoli, son président, a annoncé contre la corruption laisse à dési­
que, économique et sécuritaire tique : les gangs, encore. Et, tout CLERTIDA LAMOTHE
une quinzaine, se désole Clertida avoir engagé une action contre rer, se sont encore dégradées. Le
depuis le début de l’année, et en particulièrement, un homme, CASSAMAJOR
Lamothe Cassamajor, pédiatre à l’exécutif communautaire pour Tribunal constitutionnel polo­
particulier depuis l’assassinat du Jimmy Chérizier alias « Barbe­ pédiatre à Port-au-Prince. Port­au­Prince. Je travaille aussi à non­application du règlement nais, proche de Droit et justice, le
président Jovenel Moïse en cue ». Cet ancien agent de la police l’hôpital Saint­François­de­Sales sur la conditionnalité du verse­ parti conservateur au pouvoir, a
juillet, avait également subi, coup nationale est désormais à la tête comme pédiatre attachée au ser­ ment des fonds européens au res­ même contesté, le 7 octobre, la
sur coup, un puissant séisme du « G9 Fanmi e Alye », une coali­ vice de la maternité. Ça fait cinq pect de l’Etat de droit. primauté du droit européen,
qui a fait plusieurs centaines de tion de bandes armées qui a ins­ en quantité suffisante », explique jours que je ne suis pas allée à l’hô­ Ce mécanisme, en application ouvrant une crise sans précédent
milliers de sinistrés en août, puis tauré un véritable blocus des ter­ Frantz Duval, rédacteur en chef pital, parce que je n’ai pas les depuis le 1er janvier, permet à la entre Bruxelles et Varsovie.
un ouragan. minaux pétroliers du pays. Les du quotidien Le Nouvelliste. Au fil moyens d’y aller. » Commission de priver de fonds un
Ces fléaux se trouvent aggravés malfrats rançonnent le gouver­ des mois, les pénuries sont appa­ La docteure Cassamajor a dû se Etat membre dont les pratiques Se prononcer sur la légalité
par une explosion de la crimina­ nement et retiennent la popula­ rues, puis se sont aggravées. « L’es­ résoudre à faire ses consultations menaceraient la bonne utilisation David Sassoli sait que son recours
lité qui fait vivre les Haïtiens dans tion en otage : « Ils veulent de l’ar­ sence est devenue une denrée rare par téléphone ou au moyen de vi­ des deniers publics. Plusieurs devant la cour de Luxembourg ne
la crainte des enlèvements crapu­ gent. On a entendu parler de la et stratégique. Et les gangs ont déos échangées par WhatsApp. pays, aux premiers rangs desquels sera pas instruit avant que les ju­
leux commis par des bandes su­ somme faramineuse de 50 mil­ compris qu’ils disposaient là d’un « Encore faut­il que mes patients les « quatre frugaux » (Pays­Bas, ges européens se prononcent sur
rarmées qui font régner leur loi lions de dollars américains moyen de pression sur le gouver­ aient du courant chez eux. Ou le té­ Autriche, Suède, Danemark), ainsi la légalité du mécanisme de condi­
sur le pays, en toute impunité. [43,2 millions d’euros] pour lais­ nement », analyse le journaliste. léphone », souligne­t­elle. En effet, que le Parlement européen en tionnalité. « Si la Commission ac­
Selon le Centre d’analyse et de re­ ser passer les camions­citernes », Quel qu’en soit le véritable res­ avec les pannes d’électricité, le avaient fait une condition sine qua tive le mécanisme Etat de droit
cherche en droits humains s’indigne Mme Auguste Ducéna. ponsable, cette disette bouleverse tiers des antennes téléphoniques non à l’adoption du plan de re­ avant que la procédure aille à son
(Cardh), les gangs ont commis La crise du carburant a aussi une le quotidien déjà difficile des Haï­ a cessé de fonctionner, entraî­ lance européen de 750 milliards terme, ce recours n’aura plus lieu
plus de 782 enlèvements contre dimension politique. Jimmy Ché­ tiens : dans ce pays équipé de cen­ nant des coupures des télécom­ d’euros, qui vient compléter le d’être », reconnaît­on au Parle­
rançon depuis le début de l’an­ rizier réclame la démission du trales thermiques alimentées au munications dans tout le pays. budget pluriannuel (2021­2027) ment européen. Ce dernier « met
née. Seize citoyens américains et premier ministre, Ariel Henry, ar­ fioul, la production d’électricité Du lundi 25 au mercredi 27 oc­ communautaire de 1 074 milliards. la pression politique. Sinon per­
un Canadien, enlevés le 16 octo­ rivé au pouvoir en juillet après n’est désormais plus assurée. Et, tobre, une nouvelle grève géné­ La Pologne et la Hongrie en ont sonne ne le fera, les Etats se cachant
bre, sont toujours entre les mains l’assassinat du président Moïse. faute d’essence, les générateurs rale a été observée dans la capi­ contesté la légalité devant la Cour derrière les fonctionnaires de la
du groupe « 400 Mawozo ». « Les autorités ont frayé avec les électriques d’appoint, d’ordinaire tale haïtienne et les principales de justice de l’UE et les Vingt­Sept Commission », commente l’euro­
Les pénuries épisodiques de car­ gangs pour asseoir leur pouvoir, si utiles, sont hors d’usage. C’est villes du pays, à l’appel des syndi­ se sont engagés à ce qu’il ne soit députée macroniste Valérie Hayer.
burant n’ont rien de nouveau en mais ils se sont retournés contre el­ tout le pays qui est paralysé. cats de transports en commun, pas activé tant que les juges de « Nous ne laisserons pas nos va­
Haïti. Mais celle­ci se distingue les. Maintenant, c’est tout le pays La situation est particulière­ excédés par le manque d’essence. Luxembourg ne se seront pas pro­ leurs communes être mises en
des précédentes par sa longueur qui est gangstérisé », dénonce ment précaire dans les hôpitaux. Ce mouvement, qui faisait suite à noncés. Le jugement est attendu à danger. La Commission agira »,
et sa gravité. Le pays est à sec, et, à Rosy Auguste Ducéna. Dimanche 24 octobre, l’associa­ deux journées de débrayages la la fin de cette année ou début avait affirmé Ursula von der
Port­au­Prince, le tumulte habi­ Nombreux sont ceux qui poin­ tion des hôpitaux privés d’Haïti, semaine précédente, n’a rien 2022. Pour l’heure, le mécanisme Leyen, la présidente de la Com­
tuel a fait place au silence. « En rai­ tent la responsabilité de l’Etat qui fournit plus de 70 % des soins résolu à ce problème qui empoi­ de conditionnalité à l’Etat de droit mission, devant les eurodéputés à
son de l’insécurité, bien avant ce dans la paralysie actuelle du pays. d’urgence et hospitaliers dans le sonne la vie des Haïtiens. « Mais n’a donc pas été activé. « On ne Strasbourg, le 20 octobre. Pour
problème de pénurie d’essence, « La pénurie de carburant a des pays, a sonné l’alerte. « Avec cette la grève a été très suivie pour peut pas demander à Varsovie et l’heure, l’exécutif communau­
tout le monde avait tendance à origines lointaines. L’Etat subven­ pénurie de carburant, c’est la pour­ une raison très simple : il n’y a Budapest de respecter l’Etat de taire prépare ses dossiers, pour
rentrer rapidement chez soi. Vers tionne le prix des carburants ven­ suite des services vitaux dispensés pas d’essence ! », ironise triste­ droit si nous­mêmes ne le respec­ être prêt le jour où la CJUE aura va­
17 heures, les rues étaient vides, dus à la pompe. Mais, depuis 2018, par 40 centres hospitaliers à des ment Frantz Duval.  tons pas. Les Vingt­Sept se sont en­ lidé le dispositif Etat de droit. 
précise Rosy Auguste Ducéna, res­ il n’a plus les moyens d’en acheter pans entiers de la population qui jean­michel hauteville gagés à attendre le jugement de la virginie malingre
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Afrique du Sud :
« L’ANC nous a
laissé tomber »
Le parti de Nelson Mandela risque
de payer le prix du délitement des
services publics aux municipales
Des enfants
font leurs
REPORTAGE une amie. Chez elle, la cuisinière
électrique a été remplacée par des
devoirs
pendant que
johannesburg ­ correspondance
bonbonnes de gaz hors de prix. Le leur mère

L
e conducteur de la Golf soir, on s’éclaire à la bougie et en cuisine, à
n’a pas vu le parpaing qui journée, on laisse l’eau se réchauf­ Boomtown,
annonçait le barrage. En fer dehors pour se laver. L’été ap­ un quartier
voulant éviter la barri­ proche dans l’hémisphère Sud. de Soweto,
cade érigée 15 mètres plus loin, il a Mais avec les beaux jours, la nour­ le
foncé droit sur le cube de béton. riture se gâte vite, faute de frigo 29 octobre.
Le châssis de la voiture s’est en­ pour la conserver. LINDOKUHLE
castré sur l’obstacle dans un cris­ Couturière, Emma travaillait à SOBEKWA/
sement strident. Marche avant, domicile. Mais comme le frigo, la MAGNUM PHOTO
marche arrière, rien à faire. Mardi cuisinière et la télé, la machine à POUR « LE MONDE »
26 octobre, le naufrage des servi­ coudre n’a plus d’utilité. Et
ces publics sud­africains a fait comme si ça ne suffisait pas, le lo­
une nouvelle victime collatérale. cataire qui permettait de boucler marqué le mandat de l’ancien noir frustré et l’arrivée du parti l’Etat s’est excusé et a supplié les
Le barrage que le conducteur le mois a pris le large, lassé de vi­ président Jacob Zuma, de 2009 à des Combattants pour la liberté
« J’ai un bébé de Sud­Africains de donner encore
voulait contourner se situe à vre en marge de la modernité. 2018, « l’Afrique du Sud est nue », économique (EFF), du populiste 2 mois, comment une chance à son parti. Elu sur la
Boomtown, un quartier de Emma n’a plus de lumière, plus résume une habitante de Boom­ Julius Malema, en 2013, ont bous­ promesse d’une « aube nouvelle »,
Soweto, le plus grand township d’eau chaude, plus de prises de town. D’après un rapport du mi­ culé ses certitudes. A cette forma­
je fais sans le président jouit de l’image d’un
de Johannesburg. Il est l’œuvre courant et plus de revenus. nistère chargé de superviser la tion qui milite pour une redistri­ électricité ? », « bon gars qui essaie de réparer »,
d’habitants excédés par gouvernance locale, un quart des bution des richesses radicale juge Dawie Scholtz. Mais M. Ra­
cinq mois de privation d’électri­ Gestion catastrophique 257 municipalités sud­africaines vient s’ajouter un nouveau venu :
s’indigne Emma, maphosa peine à mener ses ré­
cité. Malgré leurs demandes insis­ Le fatras de branchages, de par­ sont « sérieusement dysfonction­ Action SA. En 2016, son fondateur, une habitante formes, alors qu’une frange de
tantes, personne n’est jamais paings et d’ordures amassé pour nelles » et 29 ont déjà été placées Herman Mashaba, est devenu l’ANC est restée fidèle à l’ancien
venu réparer le réseau. « L’ANC protester contre l’incurie des pou­ sous tutelle.s maire de Johannesburg à la fa­
de Boomtown, chef d’Etat Jacob Zuma, poussé à
nous a laissé tomber ! », pestent voirs publics bloque l’une des Dans ce contexte, pour la pre­ veur d’une coalition. Il était alors un quartier la démission en 2018 sur fond de
les résidents, en référence au grandes avenues de Soweto, obli­ mière fois, l’ANC, qui a libéré le membre de l’Alliance démocrati­ multiples scandales de corrup­
parti au pouvoir en Afrique du geant les bus à faire demi­tour. pays du régime raciste de l’apar­ que (DA), une formation qui a
de Soweto tion.
Sud depuis la fin de l’apartheid. Par endroits, des traces noires theid, pourrait perdre la majorité longtemps été la seule opposition La pandémie ayant achevé de vi­
A la veille des élections munici­ souillent le bitume. Des vestiges absolue à l’échelle du pays au solide à l’ANC, tout en peinant à der les caisses du pays, le pouvoir
pales qui doivent se tenir lundi de pneus brûlés par d’autres habi­ scrutin du 1er novembre. Il s’agit rallier massivement les électeurs La situation de Soweto est em­ se retrouve sans la moindre marge
1er novembre dans le pays, les tants de Soweto, qui protestent d’élections municipales, certes, noirs, qui le considèrent comme blématique de ce monde qui bas­ de manœuvre financière au mo­
gens de Boomtown ont laissé contre les transformateurs qui « mais en Afrique du Sud, toutes les « le parti des Blancs ». cule. Le township représente un ment où le chômage culmine à
éclater leur colère. Depuis deux rendent l’âme. élections sont nationales », rap­ quart des électeurs à Johannes­ près de 45 %. Symbole d’un pays
semaines, le carrefour qui mène à « On va voter, mais certainement pelle Dawie Scholtz, analyste élec­ Chômage proche de 45 % burg. Aux élections municipales sous haute tension, une vague de
ce pâté de maisons est jonché de pas pour l’ANC », assurent en toral. Il souligne l’incertitude qui Lorsqu’il a quitté l’Alliance démo­ de 2011, l’ANC y raflait encore 88 % pillages et d’affrontements a fait
déchets. « Demain, ils vont ramas­ chœur les personnes interrogées. pèse sur la consultation, alors que cratique, en 2019, Herman Mas­ des voix. Son score est tombé à plus de 350 morts en juillet. Possi­
ser et le lendemain, on reviendra Le refrain se répète à l’infini à tra­ le pourcentage des votes récoltés haba a dû céder son siège à la mai­ 68 % en 2016. « C’est le minimum ble coup de grâce, enfin, à quel­
vider nos poubelles ! Bloquer les vers le pays. A Thokoza, au sud de par l’ANC s’érode au fur et à me­ rie de Johannesburg. L’ANC a re­ si le parti veut conserver la majo­ ques jours des élections, la compa­
routes, c’est la seule manière de se Johannesburg, on a de l’électricité, sure des années. Aux dernières pris le contrôle de la ville, mais rité à Johannesburg », explique gnie d’électricité publique, au bord
faire entendre dans ce pays. J’ai mais plus de toilettes depuis que le élections locales, la municipalité l’ancien édile est de retour dans la Dawie Scholtz. de l’effondrement, a annoncé une
un bébé de 2 mois, comment je tout­à­l’égout est criblé de trous. qui gère la capitale, Pretoria, lui a course en tant que leader noir Preuve de l’importance de nouvelle vague de coupures de
fais sans électricité ? », s’indigne Dans le Limpopo, une province ru­ déjà échappé. Celle de Johannes­ d’un parti qui se veut modéré. Soweto aux yeux de l’ANC, c’est ici courant dans tout le pays. 
Emma, qui refuse de donner sa rale dans le nord du pays, on par­ burg menace de suivre. « Action SA a le potentiel de pren­ que le président Cyril Rama­ mathilde boussion
véritable identité par peur de re­ court des kilomètres pour collecter Faute d’adversaire à sa taille, le dre à l’ANC les voix d’électeurs frus­ phosa a débuté la campagne et ici
présailles administratives. l’eau qui ne coule plus du robinet. parti de Nelson Mandela a long­ trés qui n’ont jamais pu se résou­ qu’il s’apprête à la conclure.
Tous les jours, la jeune mère s’en Minée par la gestion catastro­ temps résisté, mais la montée de dre à voter pour l’Alliance démo­ Comme à la veille des élections
va charger son téléphone chez phique et la corruption qui ont l’abstention au sein d’un électorat cratique », estime Dawie Scholtz. présidentielles de 2019, le chef de Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus

Au Soudan, la débâcle économique a ouvert la voie aux putschistes


Les militaires ont profité du désarroi suscité par les mesures d’austérité et le blocage de Port­Soudan pour évincer les civils de la transition

khartoum ­ correspondance tenu le même genre de discours, La situation s’est dégradée à par­ tout le pays. Début octobre, le pain lars (600 millions d’euros).
faisant porter le chapeau des mul­
En juillet, tir de mi­septembre, quand Port­ a commencé à manquer dans les L’Union africaine et la Banque

R éviser ses examens sous le


halo d’un lampadaire, dor­
mir à la station­service en
espérant pouvoir faire le plein à
l’ouverture, se réveiller à l’aube
tiples crises au gouvernement du
premier ministre Abdallah
Hamdok, actuellement assigné à
résidence.
Le tandem militaro­civil qui
l’inflation
dépassait 400 %
sur un an pour
Soudan, le poumon économique
du pays, s’est arrêté de fonction­
ner. Des centaines de manifes­
tants issus de la tribu des Bedja
ont commencé un bras de fer avec
boulangeries de Khartoum. Or, de­
puis lundi, son prix a subitement
baissé, tout comme celui du kilo
de sucre, remarque M. Ismail, qui y
voit une manipulation de la part
mondiale ont aussi fait monter les
enchères : la première a suspendu
le Soudan de ses institutions, et la
seconde a cessé son aide.
Le général Al­Bourhane et He­
pour être sûr de trouver du pain à s’est partagé le pouvoir à la chute
les produits le gouvernement en bloquant les de fidèles de l’ancien régime, de metti ont vraisemblablement
la boulangerie, refuser des rendez­ de Bachir a hérité d’un Soudan en de base routes menant à la ville et à ses ter­ mèche avec les militaires. « Ils ont cherché à s’assurer de l’appui de
vous à l’autre bout de la ville car le faillite. Et ses efforts n’ont pas minaux d’import­export. Pen­ les moyens de stocker les denrées parrains régionaux comme l’Ara­
prix du bus a doublé… Au Soudan, réussi à endiguer la dégringolade dant des semaines, des centaines pour faire gonfler les prix. Soit bie saoudite, l’Egypte ou les Emi­
la crise économique plombe le économique. Les mesures d’aus­ l’augmentation des coûts de de conteneurs se sont entassés, parce qu’ils détiennent directement rats arabes unis, qui pèsent tou­
quotidien depuis plus d’un an. térité mises en place pour rentrer transport. Outre cette valse des paralysant des secteurs vitaux les entreprises, soit parce qu’ils ont jours lourdement dans l’écono­
Le marasme est tel qu’il a contri­ dans les clous fixés par le Fonds étiquettes, les Soudanais ont dû de l’économie. Menés par le chef suffisamment de liquidités pour mie nationale. « Mais leur soutien
bué à nourrir un sentiment monétaire international ont per­ s’habituer aux coupures d’électri­ de tribu Mohamed Al­Amin Tirik, acheter des biens en quantité et les est plus timide qu’on ne croit. La
d’amertume au sein de la popula­ mis au pays de commencer à cité et à des pénuries chroniques les protestataires exigeaient la dé­ faire sortir du marché », poursuit pression internationale qui s’ac­
tion qui espérait un nouveau dé­ éponger sa dette, estimée à plus d’essence ou de médicaments. mission du gouvernement, accu­ cet ancien banquier, aujourd’hui à croît peut acculer les militaires »,
part après la chute de l’autocrate de 50 milliards d’euros, auprès « Aujourd’hui, la logique des mi­ sant Khartoum de ne pas accorder la tête de l’organisation de défense juge Hafiz Ismail, selon qui la re­
Omar Al­Bachir, renversé en 2019. des bailleurs de fonds internatio­ litaires est de prouver que le Sou­ à leur région la représentation des droits humains Justice Africa. prise en main brutale du pays par
C’est dans cette brèche, entre naux. Mais elles ont eu de cruelles dan a besoin d’hommes forts pour qu’elle mérite. « La majorité des Soudanais n’est l’armée aura un coût économique
autres, que se sont engouffrés les répercussions sur les ménages gouverner, étant donné l’état de pas dupe », ajoute­t­il, alors que désastreux.
militaires pour justifier leur coup modestes – autant dire la majo­ crise généralisée dans lequel le Pression internationale des manifestations massives se Les négociations de couloir enta­
d’Etat, lundi 25 octobre. rité de la population. pays est plongé », analyse Kho­ « Si les Bedja ont des revendications sont tenues le 21 octobre, puis le 25, mées depuis lundi, en interne et
Après avoir dissous le gouver­ La suppression par étapes des lood Khair, du think tank Insight légitimes, le blocage de Port­Sou­ jour du coup d’Etat, témoignant avec la communauté diplomati­
nement censé assurer la transi­ subventions sur la farine et les car­ Strategy Partners, basé à Khar­ dan a été orchestré en coordination du soutien d’une large partie de la que, laissent croire que les géné­
tion vers la démocratie et arrêté burants et l’introduction d’un toum. Pourtant les généraux, avec les militaires pour accabler le population au gouvernement dé­ raux cherchent une porte de sor­
ministres et hauts responsables taux de change flottant en février membres à part entière des ins­ gouvernement de Hamdok », af­ mis de ses fonctions. tie. Abdel Fattah Al­Bourhane a
civils, le général Abdel Fattah Ab­ (qui a correspondu à une dévalua­ tances de transition, ont été asso­ firme l’économiste soudanais Ha­ Et maintenant ? Alors que l’ONU même proposé à l’ancien premier
delrahman Al­Bourhane, désor­ tion brutale de 85 % de la livre sou­ ciés à toutes les décisions du gou­ fiz Ismail. Comme pour valider a réclamé jeudi « le rétablissement ministre Abdalla Hamdok de re­
mais seul aux commandes, a dé­ danaise) ont fait monter les prix vernement. Ainsi, en mai, lors de cette analyse, dans le sillage du d’un gouvernement de transition prendre ses fonctions, sans succès.
claré que « les forces politiques ne en flèche. En juillet, l’inflation dé­ la conférence de Paris qui a acté le coup d’Etat, Mohamed Al­Amin dirigé par des civils », l’argument Pour autant, rien ne permet d’ex­
se soucient pas de résoudre les pro­ passait 400 % sur un an pour les retour du pays sur la scène inter­ Tirik a apporté son soutien au gé­ financier peut­il constituer un le­ clure que l’armée fera un usage
blèmes des citoyens ». Son adjoint produits de base. Ce même mois, nationale et ouvert la voie à un al­ néral Al­Bourhane et mercredi, les vier pour la communauté interna­ massif de la force pour réprimer la
au conseil de souveraineté, le le mouton de l’Aïd el­Adha était lègement de sa dette, le général barricades sur la route de la mer tionale ? Les Etats­Unis ont d’ores marche prévue samedi pour pro­
général Mohammed Hamdan vendu quatre fois plus cher que Al­Bourhane avait été invité au Rouge ont été levées. Le blocage du et déjà annoncé la suspension tester contre le coup d’Etat. 
Daglo, dit « Hemetti », avait déjà l’année précédente, à cause de même titre qu’Abdallah Hamdok. port a eu des répercussions dans d’une aide de 700 millions de dol­ eliott brachet
LE CLIMAT MÉRITE
MIEUX QUE 12% !

L’EDHEC Business School met son excellence académique au service de l’urgence climatique et des
générations futures.

Depuis plusieurs années, l’industrie financière a multiplié les initiatives pour mesurer les
performances et engagements climatiques des entreprises. Il ne se passe pas un jour
sans que sur la base de ces nouvelles données climatiques ne soit lancé un nouveau
fonds ou indice dont l’objectif prioritaire affirmé est l’impact positif des investissements
sur la transition vers une économie bas carbone.

Cependant, une étude conduite dans le cadre de la chaire de recherche EDHEC


Scientific Beta montre que la réalité des stratégies traditionnelles
d’investissement climatique n’est pas à la hauteur des promesses et
de la communication faites par leurs promoteurs.
Parler d’investissement pour le climat quand les performances
climatiques des entreprises ne contribuent en moyenne qu’à
hauteur de 12 % pour déterminer le poids de leurs titres dans
les portefeuilles est au mieux un abus de langage et au pire
une fausse information vis-à-vis d’investisseurs responsables
et engagés pour le climat. Ce greenwashing a aussi des
conséquences négatives sur le potentiel impact des
stratégies d’investissement pour lutter contre le
changement climatique.

Pour éclairer cette question, détailler les risques


de greenwashing des stratégies traditionnelles
d’investissement climatique et promouvoir
de nouvelles pratiques, l’EDHEC Business
School a présenté un webinaire sur le
greenwashing des portefeuilles
le 23 septembre dernier.

Scannez le QR Code ci-dessous


pour suivre ce webinaire
exclusif.

*Agissez sur le monde.


FRANCE
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10 | DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021

ÉLECTION  PRÉSIDENTIELLE  2022

Lors de
l’université
d’été de La
République
en marche,
à Avignon,
le 2 octobre.
NICOLAS TUCAT/AFP

En attendant son  Sur le terrain sourd la même impatience.


Mercredi 27 octobre, Stéphane Travert, dé­
puté de la Manche (LRM), réunissait à Lyon
les élus de la métropole pour structurer les
soutiens au président au sein des comités
De quoi l’inciter à rester en surplomb en cul­
tivant l’image d’un président de la Républi­
que conscient de ses responsabilités et « ac­
tif jusqu’au dernier quart d’heure », comme le
martèle son entourage.

candidat, la Macronie 
pour la réélection d’Emmanuel Macron En réalité, le président de la République
(CREM), dont l’élu normand à la charge avec mène déjà campagne, mais sans le dire. Il
le ministre des outre­mer, Sébastien Le­ multiplie les déplacements et les largesses
cornu. L’initiative « prend » à en croire financières aux différentes catégories : les
M. Travert, avec quelque 300 « CREM » déjà agriculteurs, les commerçants, les jeunes,
actifs regroupant des militants et élus en­ les soignants… Sa candidature, bien que tue,

cherche son cap
cartés ou non. Mais comme à Lyon, les sou­ semblant chaque semaine plus évidente. Et
tiens réclament « des infos pour répondre » à défaut de dérouler un programme, Em­
et « un projet » à proposer, signale M. Tra­ manuel Macron invite les Français à se pro­
vert. « Quand vous voyez cette campagne jeter à ses côtés.
qui rase la moquette, vous avez envie d’en dé­
coudre », reconnaît­il. « UNE LIGNE », « DES VALEURS »
L’ancien ministre de l’agriculture voudrait, Le 12 juillet, le locataire de l’Elysée n’a­t­il
Le chef de l’Etat pourrait annoncer tardivement lui aussi, que le chef de l’Etat se déclare sans
tarder, mais il sait qu’il a peu de chances d’être
pas proposé un agenda qui enjambe la pré­
sidentielle, en annonçant une réforme des
qu’il se présente pour un deuxième mandat à l’Elysée, entendu. Le président n’a aucun intérêt à se
lancer précipitamment dans l’arène. Dans
retraites à venir et en lançant le plan d’in­
vestissement France 2030 ? « Le spectacle
laissant les militants défendre son bilan l’immédiat l’option est, de facto, hors sujet, les
pièces de l’échiquier politique n’étant pas en­
qu’offre Zemmour est très mauvais pour la
politique en général. Mais quelles idées émer­
core en place. Si l’officialisation de la candida­ gent pour le moment ? Le cap, c’est le projet.
ture du chantre du nationalisme, Eric Zem­ Le projet, c’est le programme. Cela viendra.

I
ls guettent la prochaine polémique 25 octobre. « Le chef de l’Etat doit incarner le mour pourrait être imminente, celle du can­ Mais en attendant, ça n’empêche pas de faire
en levant les yeux au ciel. Impuis­ sérieux face à des opposants en déchéance de didat Les Républicains n’interviendra pas campagne sur une ligne, sur des valeurs », dé­
sants, agacés et frustrés. Dans une rationalité, qui prennent les Français avant le congrès du parti, le 4 décembre. fend une source au sommet de l’Etat.
campagne présidentielle qu’ils ju­ pour des imbéciles. (…) A cette vision mépri­ Ensuite viendront les vœux aux Français Dit autrement, il faut attendre. Et mobiliser
gent dominée par les outrances et sante de nos compatriotes, Emmanuel Ma­ et, à partir du 1er janvier, s’ouvrira la prési­ la Macronie pour que tout soit prêt le jour J.
les provocations, une partie des cron doit opposer la raison et le bon sens », dence française de l’Union européenne. Le Avec un risque que les troupes flanchent ou
soutiens d’Emmanuel Macron trépigne. insiste le centriste. chef de l’Etat peut­il endosser cette respon­ se laissent étourdir par les sondages positifs.
Quand le chef de l’Etat se déclarera­t­il, sabilité en tant que candidat ? « Il lui faudrait « Ces six prochains mois vont être difficiles. On
enfin, candidat à sa réélection pour leur « RETROUVER LA “VISTA” DE 2017 » attendre au moins un mois, un mois et demi, doit gérer un faux plat. On fait campagne
permettre de riposter ? De Mitterrand à de Gaulle, de Valéry Giscard pour lui permettre de soigner son bilan. Et sans candidat et face à nous les digues ont
La décision n’est pas prise. Mais, sauf coup d’Estaing à Nicolas Sarkozy, aucun président s’assurer que son passé ne devienne pas un sauté, laissant place à la démagogie et aux
de théâtre, le président de la République ne candidat à sa réélection ne s’est jamais dé­ passif », pense le politologue Pascal Perri­ propos tapageurs », a admis Stanislas Gué­
« tombera pas le masque » de sitôt, pour re­ claré hâtivement, ne laissant guère plus neau, professeur à Sciences Po, reprenant la rini face aux militants LRM, à Paris, le 20 oc­
prendre l’expression employée par l’inté­ qu’un intervalle de deux mois entre l’officia­ pique adressée par François Mitterrand à tobre, leur enjoignant de tenir jusqu’au bout.
ressé lors d’un déplacement à Corbières­en­ lisation de la candidature et le scrutin. Le Gé­ Valery Giscard d’Estaing, lors du débat du Rejouant la partition de la « grande marche »
Provence (Alpes­de­Haute­Provence) néral de Gaulle s’était même borné, en 1965, second tour de 1981. « Descendre sur le ring, de 2016, les « marcheurs » se lancent dans un
le 10 septembre. On parle de la fin du mois à ne faire campagne que dans l’entre­deux­ « QUAND VOUS VOYEZ  c’est se mettre une cible sur le ventre », enché­ porte­à­porte intensif pour recueillir les do­
de janvier 2022, pour une élection dont les tours. Mais l’atmosphère de précampagne, rit Frédéric Dabi, directeur général de l’insti­ léances et louanges des électeurs et, surtout,
deux tours sont prévus les 10 et 24 avril. On pour l’heure dominée par les thématiques CETTE CAMPAGNE tut de sondage IFOP. valoriser le bilan, seule arme en leur posses­
évoque même février, voire mars. Une en­ de l’extrême droite, est jugée suffisamment QUI RASE Emmanuel Macron a d’autant moins inté­ sion. « Il ne faut pas donner le sentiment d’être
trée en campagne tardive, donc. délétère par une partie des « marcheurs » rêt à se lancer que sa position de chef de pressé, se résigne Simon Pecnard, vice­prési­
Trop ? Au sein de la Macronie, certains, à pour faire une exception. « Nous devons re­ LA MOQUETTE, l’Etat est confortable. Pour l’heure, la princi­ dent des Jeunes avec Macron (JAM). On était
l’image de Patrick Mignola, président du trouver la “vista” de 2017, notamment, pour pale victime de l’irruption d’Eric Zemmour préparé à cette campagne en trois temps :
groupe MoDem (majorité présidentielle) à ne pas être les esclaves des polémiques de VOUS AVEZ ENVIE  dans le paysage est la candidate du Rassem­ d’abord défendre le bilan, puis y aller sans can­
l’Assemblée nationale, osent le dire. « La dé­ Zemmour. Ce qui plaide pour ne pas trop tar­ blement national (RN), Marine Le Pen. Lui didat et enfin assurer le dernier rush à la fin. »
cision d’être candidat lui appartient, mais je der à rentrer en campagne », appuie Gilles Le
D’EN DÉCOUDRE » reste préservé avec un socle électoral qui Une campagne façon « Blitzkrieg », donc. A
souhaite qu’il l’annonce rapidement », plaide Gendre, député de Paris pour La République STÉPHANE TRAVERT semble, sondage après sondage, stable moins d’un coup de théâtre. 
le député dans un entretien au Figaro, le en marche (LRM, parti présidentiel). député LRM de la Manche autour de 23 % à 25 % des intentions de vote. claire gatinois
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DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021 france | 11

Ultradroite : l’Alvarium menacé


de dissolution par Gérald Darmanin
Une procédure est engagée contre l’association d’Angers,
qui compte des militants identitaires accusés de faits de violence
Programme électoral : angers ­ correspondant L’Alvarium en 2017, je savais qu’on rium, le secrétaire général du tout

les stratégies à géométrie J


serait un jour dissous, mais là, c’est nouveau parti d’Edouard Philippe
eudi 28 octobre, tard dans la de la com, de la politique spectacle. (Horizons) rétorque : « C’est un su­
soirée, le ministre de l’inté­ On ne peut pas empêcher les gens jet qui est au cœur de mes réunions
rieur a annoncé, sur Twitter, de se réunir. Ça fait longtemps bilatérales avec le préfet depuis

variable des candidats


qu’il avait engagé le jour qu’on sait qu’on est dans le viseur », deux ou trois ans. Et que j’ai abordé
même « une procédure contradic­ dit encore Jean­Eudes Gannat, qui avec Gérald Darmanin dès son ins­
toire à l’encontre d’un groupement est allé chercher le jour même à la tallation à Beauvau. » Le maire
de fait d’ultradroite, l’Alvarium, gendarmerie le courrier annon­ d’Angers ajoute : « Depuis le début,
situé à Angers, en vue de sa disso­ çant la procédure de dissolution. je souhaite qu’on parle de ces
De Mélenchon et ses 693 propositions à Bertrand, qui lution ». Gérald Darmanin préci­
sait : « Les nombreux faits consta­ « Laissez-nous nous exprimer »
gens­là le moins possible. C’est ce
qui a amené à m’attaquer sur mon
défend trois idées­phares, les prétendants à l’Elysée tés, les signalements répétés de
nombreux élus, dont le maire d’An­
Ce sont surtout des faits de
violence qu’on reproche aux
silence et mon inaction supposée.
Mon sujet, ce n’est pas la communi­
ont choisi des voies différentes pour se faire entendre gers, motivent cette action. »
L’Alvarium (la « ruche », en latin)
membres de L’Alvarium, souvent
aux prises avec des « antifas » (an­
cation mais l’efficacité et l’action. »
Le Parti communiste français a
est une association fondée en 2017 tifascistes). Plusieurs manifesta­ récemment lancé une pétition
par Jean­Eudes Gannat et une tions hostiles à la présence de L’Al­ visant à fermer L’Alvarium.

S
i la campagne présiden­ européennes de 2019, le Rassem­ poignée de militants identitaires. varium ont émaillé ses quatre an­ D’autres élus, comme le député
tielle est soumise au « LES GENS ONT  blement national a engagé un Elle revendique près de 130 adhé­ nées d’existence. L’association a Matthieu Orphelin (ex­La Répu­
rythme effréné des chaî­ revirement complet de son rents et occupe un local en plein dû déménager une fois, poussée blique en marche et désormais
nes d’info en continu, des
QUELQUES NOTIONS  programme, en ne prônant plus cœur de ville, qui fait office de bar dehors par des voisins exaspérés porte­parole de Yannick Jadot),
réseaux sociaux et de la primauté PROGRAMMATIQUES QUI  la sortie de l’euro. « On revendi­ pour ses membres. Si le porte­pa­ par les tags et les bagarres autour dont la circonscription comprend
à l’immédiateté, l’élaboration des que, aujourd’hui, un peu plus role, qui est l’un des fils de Pascal de leur local. « On nous reproche une partie d’Angers, ont publique­
programmes reste un passage SONT DÉTERMINANTES,  de pragmatisme que d’idéolo­ Gannat, ex­conseiller régional des de faire l’amalgame entre immi­ ment réclamé cette dissolution
obligé pour tout aspirant à l’Ely­ gie », avait alors justifié Jordan Pays de la Loire et ancien directeur gration et insécurité et islamisa­ au gouvernement.
sée. Les candidats seront interro­ MAIS PERSONNE Bardella, aujourd’hui président du cabinet de Jean­Marie Le Pen, tion et terrorisme alors que c’est ce Ce vendredi, le parlementaire ex­
gés sur la faisabilité, la crédibilité NE LIT LES PROGRAMMES du parti par intérim. C’était pour­ insiste sur la vocation solidaire de que pensent plus de 80 % des gens, primait sa satisfaction. « Les nom­
ou encore le coût de leur projet. A tant une proposition majeure de ce « centre communautaire d’ac­ reprend Jean­Eudes Gannat. breux agissements, les menaces et
l’heure des petites phrases et des DANS LEUR GLOBALITÉ » la campagne présidentielle de tions sociales et culturelles », il re­ Est­ce que la république est un ré­ faits répétés de violence et d’agres­
formules chocs, le programme Marine Le Pen en 2017. connaît une forme de préférence gime de liberté ? Laissez­nous nous sions commis par les membres de
NICOLAS BUÉ
constitue un socle auquel les élec­ Chargé du projet présidentiel nationale dans ses initiatives. exprimer, on n’est pas un danger. » cette association angevine vont à
politiste
teurs peuvent se référer pour de François Hollande en 2012, « Le message qu’on veut faire pas­ De son côté, Christophe Béchu, l’encontre des principes de respect
faire leur choix. Alors que l’ambi­ Michel Sapin estime que le ser, c’est qu’il faut aider les Français le maire d’Angers, est soulagé mais d’autrui, de démocratie et de débats
tion finale est la même, chaque politiques. Genèses et usages programme doit être un « pare­ avant les autres, même si on a prudent. L’association dispose de d’idées, et n’ont pas leur place dans
candidat dispose toutefois de sa (Presses universitaires de Ren­ feu » : « C’est plus agréable de faire distribué de la nourriture à des mi­ dix jours pour répondre aux accu­ notre société. Je souhaite que cette
propre stratégie pour construire nes, 2016). « La campagne est un rêver, mais le programme oblige le grants africains lors de nos marau­ sations dont elle fait l’objet et procédure contradictoire puisse
et présenter au plus grand moment où toute une série de candidat à ne pas toujours suren­ des. Il y a des gens qui n’aident que l’édile ne veut pas « leur donner de aboutir, et continuerai avec force à
nombre d’électeurs potentiels sa groupes d’intérêts s’adressent aux chérir. » Outil de mobilisation des clandestins et personne ne les munitions ». Souvent accusé par la promouvoir la non­violence et la
vision pour la France. candidats par des lettres ouvertes, pour le « noyau dur » des mili­ ennuie », dit­il, « pas surpris » par la gauche et les associations militan­ justice républicaine face aux inti­
En 1988, le président sortant, des manifestations publiques, des tants, instrument de communi­ procédure lancée par le ministre tes d’extrême gauche de ne pas midations de l’ultra­droite. » 
François Mitterrand, avait tribunes…, rappelle­t­il. Comme ils cation à destination des élec­ de l’intérieur. « Quand j’ai créé être assez offensif contre L’Alva­ yves tréca­durand
résumé ses propositions dans sont sollicités et qu’il y a une clien­ teurs, « pense­bête » pour le can­
une Lettre à tous les Français tèle électorale derrière, les candi­ didat : un programme a une mul­
d’une cinquantaine de pages, dats sont amenés à développer des tiplicité d’usages.
quelques semaines avant sa mesures sur des questions qu’ils « En réalité, on ne gagne pas une
réélection ; en 2016, Bruno Le n’avaient pas envisagées. » présidentielle simplement sur le
Maire avait marqué la primaire Apparus à la fin du XIXe siècle, programme », tempère François
de la droite et du centre avec son les programmes étaient pourtant Thiollet, coordinateur du pro­
programme de 1 000 pages. Dans composés au départ de quelques jet présidentiel de l’écologiste
cette veine, armée de 693 propo­ grandes idées générales. Ils se Yannick Jadot avec Sophie Taillé­
sitions réunies dans un livret de sont développés et sont devenus Polian. Selon lui, une mesure « fa­
160 pages, vendu en librairie à plus précis avec l’apparition des cile à expliquer et dont le nom doit
partir de la mi­novembre, partis de masse, notamment à pouvoir parler aux gens » peut
l’équipe de Jean­Luc Mélenchon gauche, au cours du XXe siècle. Le être tout aussi efficace qu’un cata­ HORS-SÉRIE
vante la constance et l’exhausti­ programme commun entre le logue de propositions. Il évoque,

LES
vité de son programme. Parti communiste et le Parti par exemple, l’« ISF climatique »,
A chaque problème, sa proposi­ socialiste, dans les années 1970, prôné par le maire de Grenoble,
tion. Le député La France insou­ marque « une rupture qui a Eric Piolle, pendant la primaire
mise de 70 ans s’appuie, pour sa complètement changé le rapport écologiste, et repris par M. Jadot.
troisième présidentielle, sur
L’Avenir en commun, grandement
des partis politiques aux program­
mes, explique le politiste. La « Trouver les mots »
RÉVOLUTIONS
DU TRAVAIL
inspiré des programmes de 2012 dynamique engendrée par l’union Une analyse confirmée par
et 2017. Son « plan de route pour le de la gauche et tout le travail M. Bué : « Les gens ont quelques
pays » a été « réactualisé », en s’ap­ autour du programme ont proba­ notions programmatiques qui
puyant sur « 5 000 contributions blement joué dans l’élection de sont déterminantes et vont se pro­
citoyennes ». Il a tenu compte de Mitterrand en 1981 ». La droite, qui noncer sur ça, mais personne ne lit
l’impact des mobilisations #me­ privilégiait jusque­là « la mysti­ les programmes dans leur globa­
too, des « gilets jaunes », des que de l’homme providentiel », lité. » La communication à desti­
marches pour le climat ou contre selon les mots de M. Bué, va égale­ nation des potentiels électeurs est
les violences policières, liste la ment s’y mettre. Ce sera alors ainsi à prendre en compte lors de
coordinatrice du programme, l’âge d’or des programmes la construction d’un projet.
Clémence Guetté. « Il faut pouvoir conçus par les états­majors des « Même si certaines mesures peu­
couvrir l’essentiel des sujets qui partis, qui seront repris quasi­ vent paraître un peu techniques,
vont se présenter à nous ces ment tels quels par les candidats. on se doit de trouver les mots pour
prochains mois », assure­t­elle. Mais, aujourd’hui, la donne a s’adresser aux électeurs de ma­
changé. Affaiblis, les partis ten­ nière pédagogique », estime
Diversité de sources tent de garder la main sur les pro­ M. Thiollet. Et si l’idée du so­
La stratégie est tout autre chez grammes, sans succès. A l’image cle programmatique revient de
Xavier Bertrand, candidat à l’in­ du droit de vote des étrangers aux manière récurrente, celui­ci ne
vestiture du parti Les Républi­ élections locales, une idée portée doit pas corseter le candidat. Pour
cains, qui axe sa campagne sur par le Parti socialiste, mais pour­ rebondir sur une actualité ou re­
trois « chantiers prioritaires » : tant ignorée jusqu’ici par sa can­ prendre la main face à leurs adver­
« L’autorité, le travail et les territoi­ didate, Anne Hidalgo. saires, certains candidats s’éloi­
res. » Des thèmes plutôt qu’un ca­ Les postulants à l’Elysée com­ gnent volontairement du projet
talogue exhaustif de mesures, posent désormais avec une en improvisant.
qui seront développées dans un grande diversité de sources pour A l’image de M. Jadot, qui a pro­
second temps. « Un projet prési­ élaborer leur programme – think mis, vendredi 29 octobre, d’inter­
dentiel doit reposer sur un petit tanks, ONG, groupes d’experts, dire la chasse pendant les week­
nombre de mesures fortes sur les­ contributions citoyennes. Aux ends et les vacances scolaires en
quelles le candidat va s’engager candidats, à la fin, de piocher cas de victoire, au lendemain d’un
personnellement », explique au dans toutes ces sources et de accident de chasse à Vallières­sur­
Monde Vincent Chriqui, respon­ trancher. « L’hypervisibilité et l’hy­ Fier (Haute­Savoie). Ou encore la
sable de l’élaboration du pro­ perpersonnalisation de la prési­ proposition marquante de la taxe Avec l’amplification du télétravail depuis la pandémie de Covid-19 et la remise en cause
gramme de M. Bertrand. Mais ce dentielle font que les candidats à 75 % pour les plus hauts revenus, des statuts et des protections, un vent mauvais souffle sur la tête des salariés et provoque
choix est à rebours de l’inflation vont vouloir se singulariser de annoncée en février 2012 par un phénomène qui ressemble à de l’écoanxiété.
programmatique perçue au leurs partis avec leur propre pro­ François Hollande sur un pla­ Pour paraphraser Marx et Engels, on pourrait écrire qu’un « spectre hante le monde, le spectre
cours des dernières élections gramme », explique M. Bué. teau télévisé, alors qu’elle ne fai­ de l’ubérisation ». Après l’esclavage, le servage, l’industrialisation, la taylorisation, où cette
présidentielles. Cette multiplication des pro­ sait pas partie de ses 60 engage­
Au plus fort de la campagne, pas messes peut toutefois provoquer ments initiaux. Perçue à l’époque
nouvelle révolution du travail nous mène-t-elle ?
un jour ne passe sans qu’un une certaine déception chez les comme un coup politique majeur
candidat ne dégaine une nou­
velle promesse. Un déplacement,
électeurs, si celles­ci ne sont pas
appliquées une fois la victoire ac­
du candidat socialiste, elle s’est
finalement transformée en
LES RÉVOLUTIONS DU TRAVAIL
un thème, une proposition. Le ri­ quise. Ce qui fait dire à M. Chriqui boulet pour le président Hol­ Un hors-série du « Monde »
tuel est devenu immuable, expli­ que la « vraie question » est le « ca­ lande, une fois à l’Elysée.  100 pages - 8,90 €
que Nicolas Bué, politiste et coau­ ractère applicable des proposi­ brice laemle Chez votre marchand de journaux et sur lemonde.fr/boutique
teur de l’ouvrage Les Programmes tions ». Ainsi, avant les élections et jérémie lamothe
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12 | france DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021

« L’extrême droite est


une vision du monde,
pas un programme »
L’historien Nicolas Lebourg définit ce que sont
les extrêmes droites en sciences politiques et
explique pourquoi le Rassemblement national
et Eric Zemmour en font bien partie

ENTRETIEN Sa connotation a­t­elle toujours


été péjorative ?
Comme pour les autres champs
politiques, il n’y a pas une seule

M
arine Le Pen avait Les militants les plus conscien­ définition. Mais elle est plus diffi­
menacé en 2013 de tisés peuvent le revendiquer, cile encore pour l’extrême droite,
poursuivre en jus­ mais c’est très rare. On récuse le car il s’agit d’une vision du
tice tous ceux qui terme d’extrême droite, parce monde et non d’un programme.
classaient le Front national à l’ex­ qu’il est en général confondu avec Il y a deux points essentiels. A l’in­
trême droite, et elle s’en irrite plus le fascisme, qui n’est en réalité térieur, le projet est organiciste,
que jamais. Jordan Bardella, qu’un courant d’un sous­champ c’est­à­dire qu’il défend l’idée que
aujourd’hui président du Ras­ des extrêmes droites. On observe la société fonctionne comme un
semblement national (RN), ap­ la même chose à gauche : si vous être vivant et qu’il s’agit de régé­
prenant que s’organisait une ma­ parlez à un militant d’ultra­gau­ nérer cette communauté uni­
nifestation contre l’extrême che, il répond que c’est un terme taire, qu’elle repose sur l’ethnie, la
droite, avait assuré plus drôle­ de la police qui ne veut rien dire, nationalité ou la race. A l’exté­
ment : « Ah bon ? Ce n’est pas alors qu’il s’agissait du nom d’un rieur, les extrêmes droites veu­
contre nous, alors. » Nicolas Le­ groupe de dissidents libertaires lent refonder l’ordre des relations
bourg, chercheur au Centre d’étu­ de la IVe Internationale trotskiste. internationales. D’autres élé­
des politiques et sociales (Cepel, Les mots « extrême » et « ultra » ments communs existent mais
CNRS­université de Montpellier) sont rejetés parce qu’ils ren­ sont moins essentiels, par exem­
et membre d’un projet sur l’his­ voient à la périphérie ceux qui se ple l’idée d’une décadence de la
toire transnationale de l’extrême considèrent comme « l’avant­ société, aggravée par l’État, alors
droite à l’université George­ garde » du « peuple tout entier ». qu’elles se présentent comme
Washington, revient sur l’histoire Nous avons un champ politique élite de rechange, dotée d’une
du terme « extrême droite » et avec un nom, donc, depuis mission salvatrice.
analyse son emploi par les diffé­ deux siècles, c’est une réalité
rents courants politiques. structurelle qu’il faut nommer. Vous parlez volontiers
Le terme peut être jugé inélégant, « des extrêmes droites »…
A quel moment la formule mais il s’agit de circonscrire son Le premier problème de typo­
« extrême droite » est­elle sens et de l’employer sans en ac­ logie renvoie aux débats hou­
apparue ? centuer la connotation péjora­ leux sur la place et la définition
Le texte le plus ancien remonte tive ou méliorative. du fascisme. Pour ma part, j’ai
aux années 1820. L’extrême défendu l’idée qu’il y avait un
droite y est présentée comme Comment définir sous­champ de l’extrême droite Nicolas Lebourg, à Perpignan le 18 septembre. AUDREY DELAPORTE POUR « LE MONDE »
hostile aux élites, avec un goût l’extrême droite ? né en 1918, « l’extrême droite ra­
pour l’action et la force, et dési­ dicale », qui ne veut pas seule­ tion », un mot né pour qualifier de l’infime couche de profiteurs et met au contraire en avant
reuse de rétablir l’ordre et d’empê­ ment régénérer la communauté ce qu’on a aussi nommé la « ter­ infidèles à la nation et de ceux sa défense des valeurs
cher une nouvelle révolution mais défaire l’homme du libéra­ reur blanche » en 1795, les violen­ considérés comme indésirables, républicaines…
– mais on utilise alors peu les éti­
« L’organicisme lisme du XIXe siècle. Le fascisme ces contre­révolutionnaires. Le témoigne d’un profond inter­ Il y a des extrêmes droites qui
quettes politiques. C’est la révolu­ d’Eric Zemmour est l’un de ces courants mais il y militant d’extrême droite se veut classisme. ne correspondent à aucun de ces
tion russe de 1917 qui installe en a beaucoup d’autres, souvent prométhéen, capable d’arrêter la Mais le FN est aussi une tradi­ éléments. Le RN fait comme une
l’usage de l’« extrême gauche » et,
est évident : moins connus. roue du temps. Prenez la démo­ tion pratique. A sa fondation, certaine gauche : il réduit les ex­
pour les opposants les plus durs sa précampagne Si je reprends mes deux défini­ graphie. Il y a eu 180 millions de en 1972, est reprise la stratégie du trêmes droites à leur fraction à la
au bolchevisme, celui d’« extrême tions je peux ainsi dire que le fas­ migrants entre 1840 et 1940, le « compromis nationaliste » éta­ fois « ultra » et « radicale », et ré­
droite ». Après la seconde guerre
est national- cisme est un parti­milice qui mot « immigration » entrant bli en 1934 avec la création du plique : « Vous voyez bien que
mondiale, l’emploi se généralise. populiste » veut créer un homme nouveau dans le dictionnaire en 1876 (« ra­ premier FN, qui devait être un nous sommes différents, donc que
grâce à un Etat totalitaire à l’inté­ cisme » naît lui en 1892, dans un cartel des extrêmes droites – le nous ne sommes pas l’extrême
rieur, et une guerre impérialiste à texte qui proteste contre la sub­ nom est choisi sciemment, et droite » ; à gauche, ceux qui igno­
l’extérieur : c’est bien un courant mersion des Français du Nord de non en référence au FN de la Ré­ rent la pluralité de ce champ, ré­
d’extrême droite et de son sous­ souche gauloise par ceux du Sud sistance comme le dit une lé­ torquent « le RN est d’extrême
champ radical. Le souci est que de souche latine). gende de gauche. Quand on re­ droite, donc ce sont des nazis ».
cette formule d’extrême droite Le libéral en déduit que les garde le FN de 1934, il élabore un Quant aux valeurs républicai­
radicale s’est répandue dans l’es­ flux sont un phénomène struc­ programme commun pas si éloi­ nes, qui pourrait sonder les reins
pace public en 2013, avec l’affaire turel de la globalisation depuis gné : il réclame « le travail fran­ et les cœurs et dire si untel y croit
Clément Méric, en lui donnant deux siècles. L’extrémiste de çais aux travailleurs français », ou non ? La république n’est pas
parfois le sens d’extrême droite droite en déduit que l’on arrive à défend des options économi­ une question de foi, mais de
extraparlementaire, voire celui la mort de l’Europe et que c’est ques corporatistes en se conten­ droit. Or, le RN a un programme
d’ultradroite, une mouvance née une dernière chance d’action. tant de dénoncer la « finance in­ contraire à ce que les juristes
lors de la réforme des Renseigne­ C’est le côté pessimiste actif de ternationale ». Mais après la scis­ nomment le « bloc de constitu­
ments généraux de 1994 et qui cette vision du monde : il y a dé­ sion qu’a connue le FN en 1999, tionnalité » de notre République,
désigne l’extrême droite poten­ clin mortel, c’est pour cela qu’il cette tradition d’organisation a tout en ayant des parlementai­
tiellement violente, quelle que faut réagir. disparu. Le FN est devenu un na­ res. La balle est dans son camp :
soit son idéologie. tional­populisme sans compro­ qu’il ait un programme con­
La dynastie Le Pen mis nationaliste. forme au bloc de constitutionna­
Quelles conséquences cette représente­t­elle un lité et il lèvera les doutes sur son
conception organiciste a­t­elle courant spécifique Y a­t­il une inflexion caractère républicain effectif.
sur le système de valeurs de l’extrême droite ? du national­populisme
de l’extrême droite ? Le Front national représente entre Jean­Marie Le Pen Eric Zemmour vous
Tout en découle. Le vœu d’une deux traditions conjointes. Sur le et sa fille ? semble­t­il aussi pouvoir être
communauté en solidarité orga­ plan idéologique, c’est un « na­ Nettement. Marine Le Pen s’est classé à l’extrême droite ?
nique pousse les extrémistes de tional­populisme », un mot forgé imposée en mâtinant le national­ Son organicisme est évident. Sa
droite à absolutiser les différen­ pour désigner les régimes latino­ populisme de « néo­populisme ». précampagne est national­popu­
ces entre nations, races, indivi­ américains mais dont le premier Ce dernier terme renvoie à un liste, et je ne m’étonnerais qu’à
dus, cultures, et à rejeter tout uni­ usager français a dû être en 1975 courant européen post­11­Sep­ moitié que ses équipes soient
versalisme au bénéfice de l’auto­ François Duprat, le numéro 2 du tembre : une extrême droite qui proches d’un compromis natio­
philie – la valorisation du FN assassiné en 1978. A partir des dit défendre les libertés, vouloir naliste. Sa conception d’un natio­
« nous » – articulée à l’altéropho­ années 1980, les analystes l’ont gouverner à cadre institutionnel nalisme ethnique et son libéra­
bie – le rejet de « l’autre », par per­ utilisé pour désigner le courant constant, défendre les minorités lisme font songer au Club de
mutation entre l’ethnique et le allant du boulangisme de 1887­ (homosexuels, juifs, etc.), face à l’horloge des années 1970, dont
culturel. C’est ce qui d’ailleurs po­ 1889 à Jean­Marie Le Pen, en pas­ l’islamisme qu’importeraient les l’un des membres, Jean­Yves Le
larise les échanges entre gauches sant par le poujadisme. Le natio­ immigrés. Ensuite, Marine Le Pen Gallou, devenu aujourd’hui un de
et extrêmes droites. Cela condi­ nal­populisme conçoit l’évolu­ a fait évoluer le parti vers un sou­ ses soutiens, a conceptualisé la
tionne également le second item, tion politique comme une déca­ verainisme intégral. Comme la « préférence nationale » en 1985.
celui des relations internationa­ dence, dont seul le peuple peut question de l’euro a été une mau­ Sur bien des points, Zemmour
les, où le but est de s’enclore et de extraire la nation. vaise affaire électorale, on a vu évoque d’ailleurs le plus célèbre
se fortifier face à la globalisation. Privilégiant le rapport direct aux élections européennes de des horlogers, Bruno Mégret,
Enfin cela entraîne une sympa­ entre le sauveur et le peuple par­ 2019 un retour au national­popu­ lorsqu’il était numéro 2 du FN
thie pour des valeurs irrationnel­ delà les clivages et les institu­ lisme. Mais, à dire vrai, le parti dans les années 1990. Dire
les non matérialistes, la jeunesse, tions censément parasites, le na­ est aujourd’hui assez amorphe qu’Eric Zemmour n’est pas d’ex­
le culte des morts, etc. tional­populisme se réclame de idéologiquement. trême droite alors que Bruno Mé­
la défense du « Français moyen », gret l’était n’est pas conséquent
Le sentiment de déclin du « bon sens », en joignant des Le Rassemblement national dans l’analyse, car il n’assume
ou de décadence est­il lié valeurs sociales de gauche et des se défend d’appartenir à pas d’avoir, lui, évolué vers cette
à cette conception ? valeurs politiques de droite (or­ l’extrême droite, qu’il définit famille politique. 
L’angoisse de la décadence est dre, autorité), même si son sou­ comme raciste, antisémite, propos recueillis par
consubstantielle de la « réac­ hait d’union, après l’exclusion violente et antiparlementaire, franck johannès
0123
DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021 france | 13

L’essor du compte personnel de formation


POLITIQU E
L’Assemblée nationale
vote les crédits de
plusieurs institutions
Les députés ont voté, ven­
En 2020, le dispositif a permis de financer près de deux fois plus d’actions qu’en 2019 dredi, le budget de nombreu­
ses institutions démocrati­
ques de l’Etat, dont le coût
s’élève à plus d’un milliard

L
e compte personnel de l’ouverture, à la fin de novem­ s’est exprimée, jeudi à Paris, lors gique gagnant­gagnant ». Plu­ d’euros, en augmentation de
formation (CPF) entre bre 2019, du « parcours d’achat d’une rencontre consacrée à
Le nombre sieurs milliers d’entreprises se 5,4 %. Tous les programmes, à
dans les usages à toute direct ». Il y a deux ans, le CPF a cette thématique. d’ouvriers qui sont déjà engagées dans cette l’exception de La Chaîne par­
vitesse. En 2020, il a été profondément transformé en En 2020, 2,8 % de la population voie : elles apportent des finance­ lementaire (LCP) et de l’Elysée
financé 984 000 actions pour devenant accessible par le biais active a eu recours au CPF. Cette
mobilisent leur ments supplémentaires à leurs sont en augmentation. Le
développer les compétences des d’une application mobile et du proportion peut être jugée faible, compte s’envole collaborateurs qui acceptent de budget prévisionnel de l’As­
travailleurs et des chômeurs, site Internet Moncompteforma­ mais il faut en même temps recourir à leur CPF pour suivre semblée nationale pour 2022
contre 517 000 en 2019. Et la tion. Le lancement de ces outils rappeler qu’elle est nettement
(+ 73 %) et celui des formations sélectionnées sur atteint près de 609 millions
dynamique se poursuit : au cours numériques s’est accompagné de supérieure à celle qui avait été des employés la base d’un dialogue entre la hié­ d’euros, soit une progression
du premier semestre 2021, le l’instauration d’une procédure mesurée sur la période 2015­2019 rarchie et les élus du personnel. de 8,19 %. Pour le Conseil
nombre de dossiers a été équiva­ nouvelle : elle permet aux (1,5 % en moyenne). Le passage au
enregistre La ministre du travail souhaite constitutionnel, 15,963 mil­
lent à celui des douze mois personnes de se payer des forma­ « parcours d’achat direct » se une progression que cette politique d’« abonde­ lions d’euros sont program­
précédents. C’est ce que mon­ tions avec l’argent qui a été révèle « très favorable aux deman­ ments » s’amplifie. C’est aussi l’un més (12,02 millions d’euros
trent des enquêtes diffusées, crédité sur leur compte, sans pas­ deurs d’emploi », puisque ceux­ci
très vive (+ 53 %) des vœux formés par les parte­ en 2021), du fait des élections
jeudi 28 octobre, par la Caisse ser par un intermédiaire comme représentaient « 36 % des bénéfi­ naires sociaux dans l’accord­ca­ à venir. La Cour de justice de
des dépôts et consignations et c’était le cas auparavant. Tous ces ciaires du CPF en 2020, soit dre national interprofessionnel, la République prévoit pour
par la Dares – la direction de changements, qui découlent de 4 points de plus » en un an, teurs­repreneurs d’entreprises et qu’ils ont conclu dans la nuit du 2022 un budget en hausse de
l’animation de la recherche, des la loi « avenir professionnel » pro­ d’après la Dares. aux activités de coiffure, d’esthé­ 14 au 15 octobre. 12,91 % pour gérer le nombre
études et des statistiques du mi­ mulguée en septembre 2018, ont tique et d’informatique. La montée en charge du CPF de plaintes sur la gestion de
nistère du travail. contribué à « démocratiser l’accès « Formations courtes » Autre évolution à signaler : la soulève au moins un problème : la crise sanitaire. – (AFP.)
Cette forte augmentation s’ex­ à la formation », selon la ministre Ce succès s’observe dans d’autres baisse de la durée moyenne de ce elle a pour effet – avec le « boom »
plique, en grande partie, par du travail, Elisabeth Borne, qui catégories. Ainsi, le nombre type d’actions, qui passe de des dispositifs liés à l’alternance – COVID-19
d’ouvriers qui mobilisent leur 296 heures en 2016 à 67 heu­ de dégrader les comptes de Le Conseil d’Etat valide
compte s’envole (+ 73 %) et celui res en 2020. D’après l’une des en­ France compétences, l’instance la fin de la gratuité
Des poursuites « systématiques » des employés enregistre une pro­ quêtes de la Caisse des dépôts, le de gouvernance nationale qui des tests « de confort »
gression très vive (+ 53 %). Chez les phénomène est dû à des « modifi­ répartit les fonds de la formation Le Conseil d’Etat a validé,
contre la fraude femmes, les individus de moins cations des comportements de et de l’apprentissage. En 2021, cet vendredi, la fin de la gratuité
La ministre du travail, Elisabeth Borne, a affirmé, jeudi 28 octobre, de 30 ans et les seniors, la ten­ consommation » et à une muta­ organisme va accuser un déficit des tests Covid, déboutant
sa détermination à combattre les actes de « fraude » commis à dance est également à la hausse. tion de « la structure de l’offre », à qui devrait se monter à un peu plusieurs requêtes. La plus
l’encontre de titulaires du compte personnel de formation (CPF). Les formations les plus suivies la suite de l’entrée en vigueur du plus de 3 milliards d’euros. « Evi­ haute juridiction administra­
Elle a, en particulier, pointé du doigt les « démarchages abusifs » dans le cadre du CPF concernent « parcours d’achat direct ». Les demment, on ne va pas rester les tive estime que la fin de la
par téléphone, textos ou courriels. Des escrocs tentent, en effet, le champ « transports, manuten­ personnes choisissent davantage bras croisés », a tenu à préciser gratuité « n’a pas pour effet
de glaner les informations pour inscrire des personnes à des tion et magasinage ». Cette « pré­ des « formations courtes et à dis­ Mme Borne, jeudi. Le projet de loi de rendre l’exigence de présen­
pseudo-formations et détourner les sommes d’argent créditées dominance » tient notamment tance », qu’elles paient avec les de finances rectificatives pour tation du passe sanitaire dans
dans le CPF. En décembre 2020, la Caisse des dépôts et consigna- aux stages débouchant sur la déli­ euros qui leur sont attribués. 2021, présenté en conseil des certaines circonstances
tions, qui gère le dispositif, avait indiqué avoir déposé sept plain- vrance du permis de conduire, ministres le 3 novembre, va « met­ disproportionnée au regard
tes pénales visant une vingtaine d’organismes soupçonnés d’être dont le nombre a quadruplé. « Les Dialogue tre en place les moyens nécessai­ des objectifs de santé publique
mêlés à ces pratiques. Le préjudice avait été évalué à quelque langues restent le deuxième Mme Borne veut aller plus loin, en res pour assurer [une] situation qu’elle poursuit ». Depuis
10 millions d’euros. « Des poursuites sont systématiquement enga- domaine le plus important, même incitant les salariés et les patrons financière soutenable pour le 15 octobre, les tests de
gées », a martelé Mme Borne, en précisant que la Caisse des dépôts si leur part (…) diminue depuis à se concerter sur l’utilisa­ France compétences », a ajouté la dépistage du Covid­19 ne
a établi les « coopérations nécessaires » avec différents services de 2018 », complète l’étude de la tion du CPF pour que celui­ci ministre : ce seront des « mon­ sont plus remboursés pour
l’Etat (fisc, répression des fraudes, parquets, police…). La ministre Dares. Enfin, on assiste à un améliore « l’employabilité » des tants significatifs qui vont se re­ les personnes qui ne sont pas
a également exprimé son intention d’« encadrer fermement la accroissement soutenu des « for­ premiers et réponde aux « be­ marquer ».  complètement vaccinées,
publicité, dès que nous aurons un véhicule législatif pour le faire ». mations CPF » destinées aux créa­ soins » des seconds, dans « une lo­ bertrand bissuel sauf exception. – (AFP.)

Condamnation de Jack S. pour


viols : des questions en suspens UNE CROISIÈRE ÉVÈNEMENT

Le faux play­boy a été condamné à huit ans de prison pour viols par
surprise, après avoir séduit des femmes sur des sites de rencontres TOUTE L’IRLANDE
Pérégrinations littéraires
L a cour criminelle de l’Hé­
rault a déclaré Jack S.,
74 ans, coupable de viols
par surprise et l’a condamné,
vendredi 29 octobre, à huit ans
Sur le fond,
rien ne distingue
la vingtaine
mes d’accepter une rencontre
sexuelle masquée chez lui, alors
la logique eût été de le poursuivre
pour la totalité de celles qui ont
vécu la même histoire et non
Du 14 au 22 mai 2022

d’emprisonnement. Dans la d’autres femmes pour les seules plaignantes qui se


matinée, l’avocat général, Robert
Bartoletti, avait requis douze ans
entendues sont constituées partie civile.
On le voit notamment en
de réclusion criminelle. pendant matière de violences conjugales,
Les cinq magistrats profession­
nels ont retenu sa culpabilité
l’enquête des où le parquet enclenche des pour­
suites s’il considère que les faits
pour les deux parties civiles qui plaignantes sont suffisamment caractérisés,
ont assisté à l’audience, Oriana S. quand bien même les personnes
et Marie­Hélène L., ainsi que pour victimes de ces violences ne
une troisième femme, Nathalie S., sensibles à l’avis de leurs collègues veulent pas porter plainte. Dans
qui s’était constituée au début de la Cour de cassation et bien l’affaire Jack S., une vingtaine
de l’affaire mais qui n’était ni déterminés à ne pas les contrarier. d’autres femmes identifiées et en­
présente ni représentée. Le prési­ Ils ont appliqué à la lettre la juris­ tendues pendant l’enquête,
dent avait donné lecture de sa dé­ prudence établie par l’arrêt du n’avaient pas souhaité porter
position, dans laquelle elle indi­ 23 janvier 2019, qui avait cassé l’or­ plainte contre lui pour des raisons
quait avoir vécu le même scénario donnance de non­lieu prononcée diverses. Mais sur le fond, rien ne
que les autres femmes – contact dans le dossier Jack S. par la cour les distingue des plaignantes.
© Adobe Stock/janmiko

via un site de rencontres, échan­ d’appel d’Aix­en­Provence (Bou­ Ces poursuites très partielles
ges de messages, rendez­vous éro­ ches­du­Rhône). Cet arrêt consi­ contre Jack S. instillent le doute.
tique au domicile de l’accusé, port dère que « l’emploi d’un strata­ Soit tous les faits semblables sont 9 jours à partir
d’un masque sur les yeux pour la gème destiné à dissimuler l’identité des viols, soit ils ne le sont pas. de 3 290 € */pers.
partenaire – mais précisait qu’elle et les caractéristiques physiques de Comme le relevait l’avocat général *
en occupation double
ne s’était aperçue de la superche­ son auteur pour surprendre le honoraire François­Louis Coste,
rie que lorsqu’elle y était retour­ consentement d’une personne et dans un commentaire de l’arrêt de En compagnie de Documentation gratuite au 01 83 96 83 47
née une deuxième fois. obtenir d’elle un acte de pénétra­ la Cour de cassation publié le • Jean Birnbaum, directeur du Monde des Livres ou croisiere-le-monde@rivagesdumonde.fr
Le verdict de culpabilité ne tion sexuelle » constitue bien « la 13 mai 2021 dans la revue Dalloz, ou à RDM 19 rue du Quatre-Septembre, 75002 Paris Licence : IM075950505
• Véronique Ovaldé, chroniqueuse au Monde
faisait guère de doute vu la tona­ surprise » qui entre dans les élé­ « pas plus qu’aucun crime, la pour­ www.rivagesdumonde.fr/croisieres-partenaires/le-monde
et romancière
lité des débats depuis lundi 25 oc­ ments constitutifs du viol au sens suite du viol n’est dépendante ✂
Les points forts Je désire recevoir, sans engagement, la documentation de la croisière
tobre. Contre l’avis de son avocat, de l’article 222­23 du code pénal. d’une plainte de la victime. Précisé­ en Irlande proposée par Le Monde.
Me Laurent Poumarede, Jack S. ment, un crime est d’abord et avant • Un bateau à taille humaine de dernière génération
Nom/Prénom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
avait accepté la proposition qui lui Poursuites très partielles tout une atteinte majeure aux prin­ • La présence d’un membre de la rédaction du Monde
avait été faite de comparaître de­ Le principe posé par cet arrêt sou­ cipes essentiels de la République. Il • Une invitée exceptionnelle avec vous à bord Adresse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
vant une cour criminelle – compé­ lève toutefois une question à la­ ne s’agit pas d’une infraction dont pendant toute la croisière Code postal Ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
tente pour juger en premier quelle le procès de Jack S. n’a pas la gravité serait relative à la sensi­ • Des conférences qui vous sont réservées Tél. LMIRL22
ressort les crimes passibles de répondu. Si l’accusé, alors âgé bilité de telle ou telle personne ». • Des ateliers littéraires inclus dans votre programme
vingt ans de réclusion – et non de­ d’une soixantaine d’années, s’est Jack S., qui a été placé en déten­ • Une excursion exclusive Le Monde incluse dans le prix Courriel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . @ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
vant une cour d’assises. Il espérait rendu coupable de « viol par sur­ tion aussitôt le verdict rendu, va et un large choix de visites optionnelles Je souhaite être informé(e) ❐ des offres du Monde ❐ des offres de ses partenaires
alors, disait­il, que les juges profes­ prise » en utilisant un stratagème faire appel de sa condamnation. Il • Départ et retour en autocar depuis et vers Paris En retournant ce formulaire, vous acceptez que Rivages du Monde et Malesherbes Publications (Groupe Le Monde),
sionnels seraient « moins sensibles – son inscription sur des sites de comparaîtra alors devant une organisateurs du voyage et responsables de traitement, utilisent vos données personnelles ainsi que celles du 2e
participant dont vous avez obtenu l’accord, pour les besoins de votre commande, de la relation client et d’actions
à la morale » que les jurés citoyens. rencontres sous la fausse identité cour d’assises composée de trois Votre itinéraire marketing sur les produits et services de MP. Pour connaître les modalités de traitement de vos données ainsi que les
Les cinq magistrats de la cour de d’Anthony Laroche et la fausse magistrats professionnels et de Paris - Le Havre - St. Mary’s (les îles Scilly) - Bantry droits dont vous disposez (accès, rectification, effacement, opposition, portabilité, limitation des traitements, sort
des données après décès), consultez notre politique de confidentialité à l’adresse www.lemonde.fr/confidentialite
l’Hérault sont surtout apparus, photo d’un mannequin de neuf jurés citoyens.  Galway - Londonderry - Belfast Dublin - Dunkerque - Paris ou écrivez à notre délégué à la protection des données 67/69 av. Pierre-Mendès-France, CS 11469, Paris cedex 13.

dès l’ouverture des débats, très 38 ans – pour convaincre des fem­ pascale robert­diard
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14 | france DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021

P R O C È S   D E S   AT T E N TAT S   D U   1 3 ­ N O V E M B R E

RÉCIT 13­Novembre : davre de celui ou celle qui riait encore quelques


secondes plus tôt, n’ont pas pénétré dans la
salle d’audience. Quel degré d’horreur une

U Que dire ?
ne lourde page du procès du cour d’assises peut­elle assumer au nom de la
13­Novembre se tourne. En­ manifestation de la vérité ? Cette question,
tamé cinq semaines plus tôt, nous nous la sommes tous posée depuis le dé­
le chapitre consacré aux but de ce procès. Jusqu’où faut­il montrer pour
parties civiles s’est achevé voir ? Faut­il entendre les enregistrements des

Qu’écrire ?
vendredi 29 octobre. Les cris pour mesurer l’absurdité d’un massacre ?
trois journalistes du Monde qui couvrent Chacun, y compris dans les rangs des parties ci­
l’audience, évoquent les sentiments qui les viles, a sa réponse, sa sensibilité, qui a parfois
ont traversés au fil des centaines de déposi­ évolué au fil des semaines.
tions qui ont replongé la France dans la nuit Au terme de ces cinq semaines aux confins
des attentats et marqué l’histoire judiciaire. du monde des vivants, Arthur Dénouveaux,

Que montrer ?
président de l’association de victimes Life for
Paris et rescapé du Bataclan, a porté cette inter­
Consécration rogation silencieuse à la barre, jeudi 28 octo­
d’un lieu bre : « Je pose la question de savoir si, après cinq
semaines de témoignages aussi durs, on a tou­
Mardi 28 septembre, on a ouvert les guille­ jours besoin de prendre ces précautions, si ça
mets. Un prénom, un nom qu’on tairait. Et une n’apporterait pas aux débats d’avoir une sélec­
sorte d’adresse, comme une étiquette. Stade de tion, peut­être quelques images de loin. » « On va
France : première explosion porte D, deuxième Plus de trois cents parties civiles se sont succédé y réfléchir, répond le président de la cour, Jean­
explosion porte H, troisième explosion McDo­ Louis Périès. J’avoue que je me suis posé la ques­
nald’s ; rue Bichat : Le Carillon, Le Petit Cam­ à la barre pour livrer leur récit des attentats. Nos tion, aussi, au cours des débats… » Le lende­
bodge ; rue de la Fontaine­au­Roi : La Bonne main, le président a avancé d’un pas : « Je me de­
Bière, Le Casa Nostra ; rue de Charonne : La trois chroniqueurs, Pascale Robert­Diard, Henri mande si d’autres éléments d’enregistrement ou
Belle Equipe ; boulevard Voltaire : Le Comptoir des images ne doivent pas être diffusés au cours
Voltaire. Et enfin Le Bataclan : entrée, fosse, tra­ Seckel et Soren Seelow, ont suivi quotidiennement de ce procès. Je vous avertirai. »
vées, bar, balcon, toilettes, couloir, fenêtres, Arthur Dénouveaux a fait projeter une
combles, toit. leurs témoignages et livrent leurs impressions courte vidéo du concert des Eagles of Death
Entre 300 et 350 récits de rescapés des atten­ Metal, tournée dans la fosse avant l’irruption
tats ou de proches des victimes décédées. A la des terroristes : une forêt de bras s’agite en
première personne. On ne faisait pas les ma­ rythme, les corps sautent, le chanteur chante
lins ce jour­là, à l’entrée du tunnel. On se disait
que les cinq semaines prévues pour sa traver­
Ceux dont on parle, publiées que la première ? Pour nous – pour
vous – éviter l’overdose ? La répétition des souf­
« I only want you »… Ces images ne montrent
pas les attentats. Mais elles ont la force du do­
sée allaient être longues, très longues. Et on le ceux dont frances a fini par nous atteindre. Certaines par­ cument et restituent, autrement que les mots,
pensait plus encore après les deux premières
heures. Philippe D., c’est par lui que ça a com­
on ne parle pas ties civiles nous ont entraînés dans leurs abî­
mes, la noirceur de leur récit a déteint sur nous.
un morceau de vérité. En voyant la densité des
corps, serrés les uns contre les autres, on a saisi
mencé. Major de la garde républicaine qui pa­ Les journalistes inquiets s’étaient murmuré la On a bu leur malheur jusqu’à la lie, le retrans­ brutalement la réalité des « champs de blé »
trouillait à cheval aux abords du Stade de question à l’entrée du tunnel : comment faire crire dans un article est devenu trop pénible. évoqués ces dernières semaines, on a compris
France où se tenait le match amical France­Al­ face à la profusion des témoignages ? Que « Il y a autant de 13­Novembre qu’il y a de victi­ que les « montagnes de cadavres entassés sur
lemagne en présence du président de la Ré­ prendre, que laisser ? Comment composer avec mes », a suggéré l’une d’elles. Aurait­il donc un mètre » n’étaient pas qu’une image.
publique, François Hollande. Après lui, les inévitables redondances ? Comment rendre fallu raconter tous ces 13­Novembre ? « Chaque Cette vidéo donne surtout à voir ce que les
cinq autres de ses hommes et quasiment compte de cet objet judiciaire non identifié témoignage permet de construire l’édifice im­ terroristes ont vu en entrant dans la salle avant
cinq fois le même récit de pas grand­chose. qu’allait constituer le récit à quelque 350 voix mense du souvenir, a dit le père d’un mort. Cha­ de tirer dans le dos de cette foule joyeuse. Des
Mais en revanche un flot d’amertume de la d’une même soirée ? En somme : que fallait­il que témoignage est un pixel, et la somme de dos, pas des visages. « Le visage est ce qui nous
part de ces cavaliers qui se sentaient oubliés – mettre entre ces guillemets ? tout cela, en prenant un peu de recul, permet interdit de tuer », écrivait Levinas. On repense à
« on n’existe même pas dans cette histoire » – et Nous y avons mis les mots délicats de Maya, d’appréhender l’image globale. » cette déclaration de Salah Abdeslam, au début
maltraités par une hiérarchie qui, selon eux, qui a raconté comment deux de ses meilleures Face à l’événement historique du 13­Novem­ du procès : les terroristes n’ont « rien de person­
n’avait pas reconnu à sa juste mesure leur bra­ amies et son époux étaient morts sous ses bre, Le Monde avait publié un bref portrait de nel » contre les victimes, disait­il, « on a visé la
voure et le traumatisme qui s’en était suivi. yeux au Carillon ; les mots vertigineux de chacune des 130 personnes tuées ce soir­là France, et rien d’autre ».
Le major avait beaucoup insisté pour que Guillaume, que le terroriste Samy Amimour te­ dans son « Mémorial ». Fallait­il aussi choisir Le terrorisme est un crime métonymique : il
soient diffusées quelques secondes d’une vi­ nait en joue sur la scène du Bataclan lorsqu’il l’exhaustivité pour le procès, et mentionner, vise la partie pour le tout. Il suppose une abs­
déo de téléphone portable, floue et sombre, sur fut abattu par un policier héroïque ; les mots pour l’histoire, chacune des prises de parole ? traction, une déshumanisation des vies sacri­
laquelle on devinait plus qu’on ne voyait des bouleversants de Gaëlle, sur la reconstruction La question s’est posée. Aurait­il fallu, comme fiées. On s’interroge : un procès qui occulterait
hommes en bleu secourir les premiers blessés sans fin de son corps et son visage meurtris par certains confrères et consœurs, « live tweeter » tout à fait les corps de ces vies sacrifiées ne ris­
atteints par les projectiles du gilet explosif d’un les balles. Nous n’y avons pas mis les mots l’intégralité de l’audience ? querait­il pas de renforcer cette abstraction ?
terroriste. Comme un gage de « on y était ». d’Aca. Aca est un quinquagénaire d’origine Cette solution chronophage est la seule, en L’évocation des disparus, brièvement ressusci­
Ils avaient beau raconter, nous, on n’y était serbe, il est venu à la barre avec sa femme, qui attendant la diffusion, dans cinquante ans, des tés par des portraits plein de vie projetés sur
pas. On entendait leur émotion et leur souf­ est en fauteuil roulant. Le 13 novembre 2015, images du procès, qui offre aux lecteurs tous l’écran de la cour d’assises, a ébranlé les acteurs
france, on notait leurs phrases mais, comment avec Snezana, Mirjana, Vladimir, ou encore les « pixels » de la soirée du 13­Novembre. de ce procès et, il n’est pas interdit de le penser,
dire, on n’entrait pas. Et c’était ça notre princi­ Tina, ils vendaient des écharpes de foot devant A cette limite près : on n’a entendu « que » certains accusés. Mais aucun n’a été confronté
pale crainte, en ce premier jour. Ne pas éprou­ le Stade de France. Ils ont été touchés par l’ex­ 150 rescapés du Bataclan – 1 200 n’ont pas sou­ aux conséquences crues, abjectes, concrètes
ver. Rester là, assis sur notre banc de la presse, plosion du troisième kamikaze, près du McDo­ haité parler –, et les proches de la moitié des d’un attentat de masse : les cadavres des per­
comme des spectateurs distants, étrangers à nald’s. Tous deux ont reçu beaucoup de bou­ 90 victimes tuées dans la salle ce soir­là : tous sonnes assassinées aveuglément. Personne n’a
l’océan de traumatismes et de deuils qui al­ lons, elle a été touchée au cerveau. les recoins n’ont pas été racontés, il manque envie de voir ces images, même en plan large,
laient se déverser. Ça n’a pas duré. Une autre Face à la cour, Aca a parlé, parlé, parlé, sans beaucoup de petites histoires dans la grande, la peut­être faut­il tout de même les montrer.
crainte est venue la balayer. Eprouver trop. Sor­ pouvoir s’arrêter, son témoignage est parti mosaïque reste forcément incomplète. En attendant leur éventuelle diffusion, la
tir chaque jour défaits et asphyxiés par la noir­ dans tous les sens, son expression n’était pas On a vu beaucoup de gens qui ont vu, mais cour a évolué sur les « précautions » qui en­
ceur et être tout aussi incapables d’en rendre forcément belle – « Si j’aurais été con, je on n’a pas vu tous ceux qui ont vu. Et on n’a touraient jusqu’ici un autre document : l’en­
compte. A cela non plus, on n’a pas échappé. m’aurais déjà suicidé au moins dix fois » –, ses pas vu ce qu’ils ont vu.  registrement sonore, capté par un dicta­
Mais il y a la force du lieu. Au départ, ce lieu mots étaient parfois terriblement maladroits henri seckel phone, de la tuerie du Bataclan. La retrans­
n’était rien. Une bulle lumineuse de 700 mè­ – il a dit de sa femme handicapée, qui souriait cription d’un extrait de cet audio, d’une du­
tres carrés posée à même le sol. Une structure à côté de lui : « Si vous l’aviez vue avant, elle rée totale de 2 heures et 38 minutes, avait été
éphémère. Aussi légère que sont épais les murs était beaucoup plus belle… De toute façon elle Ce qu’on nous montre, lue, au début du procès, par un policier qui
du vieux palais de justice de Paris. Son nom
même était une abstraction : « salle Grand Pro­
comprend plus rien de ce que je lui dis. »
Nous n’avons pas mis les mots d’Aca entre
ce qu’on voit prêtait maladroitement sa voix aux terroris­
tes. Cet exercice impossible de ventrilo­
cès ». Ce lieu est devenu tout. Sur ses parois lis­ guillemets, nous n’avons pas parlé des ven­ On n’a pas vu de cadavres au procès des atten­ quie avait révélé les limites de certaines pu­
ses s’est imprimé le récit de la terreur. Des co­ deurs d’écharpes du stade de France, et c’est un tats du 13 novembre 2015. Ou bien furtivement deurs de cette audience. Les semaines ont
lonnes de colère, de pitié, de violence, de cha­ regret. Parce que ces cinq semaines de déposi­ et de très loin, comme par effraction. On n’a passé, la cour propose cette fois d’entendre
grin, de grâce et de beauté se sont élevées. Les tions, ce fut Maya, Guillaume, et Gaëlle, mais ce pas vu la fosse du Bataclan devenue charnier, directement la voix des tueurs. Pour la pre­
mots l’ont sacralisé. fut aussi Aca. Ce fut délicat, vertigineux, boule­ JAMAIS ON  les corps tombés des tables de La Belle Equipe. mière fois, on a distingué celle, posée, qui
Dans le récit qu’il livre de son expérience de versant, mais ce fut aussi des récits intermina­ N’AVAIT On a vu des silhouettes de couleurs dessinées justifiait ces attaques par les bombarde­
témoin des témoins au procès des attentats de bles, décousus, mal écrits, mal lus, répétitifs, sur un schéma, des pastilles vertes sur des ments en Irak et en Syrie, de celle, plus ner­
janvier 2015, Notre solitude (Les Echappés, 187 parfois gênants, qui restaient néanmoins des À CE POINT  plans en 3D, des carrés blancs sur des photos veuse, qui lançait entre deux tirs : « Je t’avais
p., 18,50 euros), l’écrivain Yannick Haenel décrit récits du 13­Novembre. Nous avons privilégié censurées. La justice a fait le choix de la pudeur prévenu de pas bouger. »
magistralement la métamorphose que la barre ceux qui sortaient du lot et comportaient des RESSENTI LA  pour ce procès, à rebours de celui des attentats « Merci beaucoup, a dit Arthur Dénouveaux.
d’une salle d’audience, « ce petit espace vide au détails marquants, mais il y en a eu tant qu’il a de janvier 2015, où les photos de corps dans la Aussi difficile que ce soit à entendre, ça permet
milieu du prétoire », produit sur ceux qui vien­ parfois semblé absurde de citer telle partie ci­
FRUSTRATION rédaction ensanglantée de Charlie Hebdo de se rendre compte d’une autre manière de
nent y déposer. « Dans les villes antiques, au mi­ vile plutôt que telle autre, et de donner ainsi DU CHRONIQUEUR  avaient provoqué l’émoi. Les rares documents l’horreur. » David Fritz­Goeppinger, un autre
lieu des constructions, il y a toujours un trou qui l’impression que telle victime valait mieux que diffusés à l’audience ont cette fois été soigneu­ rescapé du Bataclan, a confié son sentiment
échappe à la fonction utilitaire. On l’appelle le telle autre. Jamais on avait à ce point ressenti la JUDICIAIRE  sement sélectionnés, afin de ne pas ajouter au après la diffusion de cet enregistrement dans
mundus (le monde). C’est par là que les morts frustration du chroniqueur judiciaire qui ne traumatisme des victimes. son journal de bord du procès : « Six années à
communiquent avec les vivants. On croit peut­ peut pas tout raconter. QUI NE PEUT  Sans l’avoir sous les yeux, on a pourtant vivre avec ces sons. (…) À l’écoute de l’audio, je
être que ce trou vient en plus, mais en réalité les Pourquoi ne pas avoir mentionné François, PAS TOUT  « vu » l’inmontrable au cours de ces cinq se­ me rends compte que tous mes souvenirs
villes s’organisent autour : c’est ce trou qui est le qui a évoqué avec tant de finesse cette « ano­ maines consacrées aux parties civiles. On étaient justes et dans l’ordre, et que les voix qui
monde. Il en est de même avec la barre : le tribu­ malie existentielle » qu’a constituée la perte de RACONTER quittait chaque soir la salle d’audience la ré­ me hantent ont bel et bien existé. (…) Au fond de
nal n’est qu’un décor édifié autour de cet espace son fils Matthieu ? Pourquoi ne pas avoir cité tine imprimée d’images indélébiles, fabri­ moi, je sens des blocs de mémoire se déplacer et
où les témoins font une expérience intérieure. » Emilie et Alice, qui ont raconté, avec leurs quées à partir des récits des rescapés. Les changer de forme. » Pour nous, observateurs,
A l’appel de son nom, une silhouette se lève mots enfantins, cette autre anomalie existen­ « montagnes de corps » de la fosse, on les a des blocs de réalité brute ont figé ces intermi­
et s’avance sous les regards des autres parties tielle qu’a constituée la perte de leur père Ma­ « vues », les corps qui se couchent « comme un nables minutes.
civiles, ceux de la cour, ceux des accusés der­ nuel, alors qu’elles avaient 7 et 10 ans ? Pour­ champ de blé » aussi. La puissance d’évocation A compter de mardi 2 novembre, le procès
rière leur box sécurisé, ceux des avocats de part quoi ne pas avoir retranscrit les « r » qui rou­ des mots des survivants a ancré dans les mé­ ouvre un nouveau chapitre de son exploration
et d’autre du prétoire et son visage en gros plan lent et les mots pleins de sagesse de Rony, le moires cette multitude de rencontres avec la des attentats du 13­Novembre. Les récits des
apparaît alors sur les écrans. « Le 13 novem­ grand­père de Lola, morte, comme les mort plus profondément qu’aucune photo. victimes vont céder la place à ceux des accusés,
bre 2015, j’étais… » deux autres, au Bataclan ? Chacun ressortait de cette épreuve avec invités à s’exprimer sur leur « personnalité »
Leurs guillemets se sont refermés vendredi On ne sait pas vraiment. Parce que l’horreur « ses » images de la terreur. Mais aucune ne res­ avant de répondre, plus tard, sur les faits qui
29 octobre.  et la détresse racontées pour la centième fois à sortait du dossier d’instruction. La mort froide, leur sont reprochés. 
pascale robert­diard la barre nous semblaient moins dignes d’être obscène et objective des procès­verbaux, le ca­ soren seelow
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DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021 france | 15

Portraits de témoins, rescapés et proches des victimes, à la cour d’assises spéciale de Paris, entre le 28 septembre et le 29 octobre. IVAN BRUN POUR « LE MONDE »
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
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16 | DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021

La réparation de vélos en plein essor
Avec la pratique de la bicyclette qui explose, les ateliers, commerciaux ou associatifs, se multiplient

I
l était temps qu’on ouvre, car
la demande explose. » A Ren­
nes, David Piederriere, co­
président de l’atelier asso­
ciatif de réparation de bicyclettes
La Petite Rennes, se félicite
d’avoir troqué, début septembre,
un local exigu du centre­ville
pour un espace de 160 mètres
carrés dans l’écoquartier de
la Courrouze, à l’emplacement
d’une ancienne caserne.
Chaque jour, entre 30 et 40 per­
sonnes poussent la porte de l’ate­
lier, « pour réparer leur vélo, ache­
ter une pièce d’usure, prendre une
information », poursuit le respon­
sable. En échange d’une adhésion
de 20 euros par an, les membres
peuvent manier les outils mis à
leur disposition et bénéficier des
conseils des salariés.
Si l’association insiste sur sa
mission « solidaire » et sur son en­
gagement à réemployer des ob­
jets plutôt que de les jeter, une
bonne partie de ses membres ne
sont pas des militants. En effet, à
Rennes, la dizaine de boutiques
de vélocistes ne suffit pas à absor­
ber la demande, et les délais d’ob­
tention d’un rendez­vous se
comptent en semaines.
Le marché de la réparation de
vélos a beaucoup changé en quel­
ques années. Jusqu’au milieu des
années 2010, pour remettre en
état sa bicyclette, l’usager pouvait
solliciter, outre les 300 ateliers
associatifs existants, un vélociste
de son quartier ou, à défaut, « un
gentil voisin qui fait tout ».

Dotation de 50 euros A Rennes, dans l’atelier associatif de réparation de bicyclettes La Petite Rennes, le 20 octobre. THIERRY PASQUET/SIGNATURES POUR « LE MONDE »
Puis, à Paris, Strasbourg, Bor­
deaux ou Lyon, des plates­for­
mes ont lancé un service à domi­ pour le compte d’entreprises ou natte, son directeur général. Le En matière de formation, chacun
cile. La société Cyclofix, créée
Le secteur de collectivités, s’adresse désor­ secteur subit toutefois la pénurie
La filière peine fait comme il peut. La FUB « pilote
fin 2015, met en relation des ré­ subit la pénurie mais au grand public. La société, de pièces détachées neuves qui, à recruter. une formation d’opérateur cycle
parateurs indépendants, autoen­ qui emploie 150 personnes et pour la plupart, viennent d’Asie. qui s’acquiert en une vingtaine
trepreneurs pour la plupart, et
de pièces affiche un chiffre d’affaires de Vélogik et Cyclofix disposent
L’Institut national de jours », indique Claire Toubal,
les citadins pressés. détachées 9 millions d’euros, a ouvert cet certes d’un avantage concurren­ du cycle et du chargée de mission. Quelque
Aujourd’hui, la plate­forme automne deux ateliers à Gre­ tiel, en commandant et en stoc­ 422 personnes en avaient bénéfi­
centralise les emplois du temps
neuves qui, noble et Paris. kant des pièces en grande quan­
motocycle estime cié à la mi­octobre. Vélogik a créé
de 200 mécaniciens, dans 14 ag­ pour la plupart, tité. Mais cela ne suffit plus. Les à 8 000 en interne son propre organisme,
glomérations. Entre­temps, les « Rendre visible ce savoir-faire » vélocistes commencent déjà à qui a formé une centaine de colla­
enseignes de distribution se sont
viennent d’Asie Dans l’Est parisien, l’entreprise a lorgner le stock constitué au fil
le nombre borateurs. En trente­cinq heures,
équipées d’ateliers de réparation, investi une ancienne cristallerie des années par les ateliers asso­ de mécaniciens dispensées en ligne, la « Cyclofix
le plus souvent en fond de bouti­ aux larges baies vitrées à travers ciatifs. « Cela fait sept ans que Academy » promet pour sa part un
que ou au sous­sol. qui consistait à « sortir des caves » lesquelles les passants aperçoi­ nous désossons des vélos pour
en exercice « apprentissage en autonomie, va­
La pandémie et la forte progres­ les bicyclettes qui firent un jour vent deux mécaniciens en train réemployer ce qui peut l’être », lidé par des vidéos, qui est en cours
sion de l’usage du vélo ont cham­ office de cadeau de Noël et de manier des vélos suspendus à souligne David Piederriere, à de certification », précise Alexis
boulé le marché. La pénurie à la­ rouillaient depuis, a fait chauffer des pieds d’atelier. « Nous tenons La petite Rennes. nal du cycle et du motocycle Zerbib, fondateur de l’entreprise.
quelle est confronté le secteur les outils dans les ateliers. à rendre visible ce savoir­faire Cette méthode inspire désor­ (INCM), qui délivre des forma­ Les recruteurs ne font pas la
depuis plus d’un an a redoré le Enfin, parmi les nouveaux cy­ pour le mettre en valeur », expli­ mais l’ensemble du secteur. tions spécialisées, estime à 8 000 fine bouche. « Il suffit de révéler
blason des vieux biclous retapés. clistes, nombreux sont ceux qui que Chloé Bouilloux, chargée « Lorsqu’un vélo en libre­service le nombre de mécaniciens en sur le réseau professionnel Linke­
Reprenant une idée de la Fédéra­ avouent sans honte ne pas savoir d’animer le réseau d’ateliers. que nous exploitons doit être mis exercice. « Il en faudrait au moins dIn que l’on commence une for­
tion française des usagers de la bi­ changer une chambre à air ni D’ici à la fin 2022, Vélogik au rebut et qu’il comporte des 10 000, peut­être même 14 000 mation de mécanicien vélo pour
cyclette (FUB), l’Etat a financé, en­ remplacer un patin de frein. compte « mailler les dix plus gran­ pièces quasi neuves, nous les récu­ d’ici cinq ans, mais surtout des recevoir des promesses d’embau­
tre mai 2020 et mars 2021, une do­ C’est pour capter ce marché que des agglomérations cyclables de pérons », indique M. Monatte. mécaniciens correctement for­ che », confie un responsable de
tation de 50 euros pour chaque Vélogik, une entreprise spéciali­ France, en succursales ou en fran­ Tous les acteurs peinent en més », estime Jean Le Naour, le di­ l’industrie du cycle. 
vélo remis en état. L’opération, sée dans la maintenance cyclable chises », développe Vincent Mo­ outre à recruter. L’Institut natio­ recteur de l’INCM. olivier razemon

Multimédias : la redevance pour copie privée étendue à l’occasion


Le Sénat devrait adopter, mardi 2 novembre, la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France

E cologique et économique :
sur le papier, tout le monde
chante les louanges du
marché des smartphones et ta­
blettes de seconde main. Mais les
Pendant des mois, les recondi­
tionneurs ont fait campagne pour
ne pas payer cette contribution,
qui concerne, en principe, la « pre­
mière circulation » des produits. En
tion de loi sur l’empreinte envi­
ronnementale, comprenant l’ex­
tension de la redevance. « Cela ne
sert à rien de relancer le débat »,
s’incline le sénateur Les Républi­
Smaaart, une entreprise qui remet
en état des téléphones, à Saint­Ma­
thieu­de­Tréviers (Hérault). Cela
nous paraît aller à l’encontre des
actions menées par le gouverne­
La contribution s’élève à
10,08 euros, TVA incluse, pour
un smartphone avec un stockage
de 64 gigaoctets ou plus, ce qui re­
présente environ 4 % du prix
Pour les associations envi­
ronnementales, ce débat s’inscrit
dans une série plus large de re­
culs du gouvernement sur l’éco­
nomie circulaire. « Pour nous,
reconditionneurs professionnels, vain. Le gouvernement était aussi cains (LR) Patrick Chaize, qui avait ment pour soutenir la souveraineté moyen de revente des appareils c’est une vraie erreur économique
qui remettent les appareils en divisé sur cette question, mais le fait voter un amendement en fa­ économique française. » (250 euros), dans un marché très et écologique », estime Alma Du­
état, critiquent plusieurs déci­ premier ministre, Jean Castex, a veur des reconditionneurs, en concurrentiel, où les marges bru­ four, porte­parole des Amis de la
sions du gouvernement qui péna­ donné raison aux ayants droit, qui, première lecture, au Sénat, en tes sont de l’ordre de 10 %. Difficile, Terre. « La loi Antigaspillage pour
lisent leur activité, selon eux. tous, le demandaient. Un nouveau janvier. « Mais c’est une aberration selon les professionnels, d’aug­ une économie circulaire pré­
A commencer par la proposi­ barème de la redevance pour co­ politique », estime­t­il. D’autres Les menter les prix en conséquence voyait un fonds de réparation et
tion de loi visant à réduire l’em­ pie privée, qui prévoit le cas du re­ solutions existaient, comme une face au risque de fraude de la part de réemploi, qui a été revu à la
preinte environnementale du conditionné, est entré en vigueur hausse de la contribution sur les
reconditionneurs de concurrents étrangers, comme baisse. L’idée d’imposer aux ven­
numérique en France (REEN), en juillet, et les députés ont voté, produits neufs. ont milité pour c’est déjà souvent le cas avec la TVA deurs de smartphones de fournir
examinée en seconde lecture, au en juin, un amendement à la loi dans l’e­commerce. Un argument gratuitement des mises à jour lo­
Sénat, mardi 2 novembre. En par­ REEN en ce sens. Reculs du gouvernement
ne pas payer qui ne convainc pas Bruno Bout­ gicielles pendant cinq ans a égale­
ticulier, l’article étendant aux Sauf surprise, les sénateurs de­ Les reconditionneurs, eux, ne dé­ la contribution leux, président du conseil d’admi­ ment été retirée de la proposition
vendeurs d’appareils multimé­ vraient voter le texte en l’état, colèrent pas. « Cette redevance a nistration de Copie France, qui de loi REEN à l’Assemblée natio­
dias reconditionnés le versement d’autant que, mercredi 20 octo­ été appliquée sans prendre en
destinée gère la collecte de la redevance : nale. Et, dans [le plan d’investis­
d’une redevance aux ayants droit bre, la commission de l’aménage­ compte ses conséquences sur un aux ayants droit « Les entreprises étrangères qui ne sement] France 2030, il n’y a pas
de l’industrie culturelle, en con­ ment du territoire et du dévelop­ marché jeune, qui doit encore se nous déclarent pas les ventes, nous 1 euro sur l’économie circulaire »,
trepartie de la sauvegarde numé­ pement durable du Sénat a structurer, s’inquiète Marlène
de l’industrie les avons assignées, elles seront énumère­t­elle. 
rique de leurs œuvres. adopté « conforme » la proposi­ Taurines, directrice générale de culturelle traitées comme les autres. » adrien sénécat
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DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021 économie & entreprise | 17

MATIÈRES PREMIÈRES Trente­quatre postes pourraient être


PAR LAURENCE GIRARD

La pomme, un supprimés chez Virgin et RFM


coup de gel, et ça repart ! Un plan de sauvegarde de l’emploi vise les radios musicales du groupe Lagardère

Début avril, une vague de froid


polaire déferlait sur la France.
Peu de régions échappaient à la
morsure du gel. Et les arboricul­
teurs frissonnaient d’inquiétude.
moins amer qu’anticipé. Un coup
de gel, et ça repart !
Autre motif de satisfaction
pour les arboriculteurs, la
pomme française garde son pou­
I l n’y a pas que la radio Eu­
rope 1, dans le pôle médias du
groupe Lagardère qui attire
tous les regards, depuis que Vin­
cent Bolloré en est devenu le pre­
Alors que les
deux réseaux
cumulent
sie par le groupe », condamnent
les élus dans un communiqué,
pointant les « changements de di­
rigeants incessants, les stratégies
inadaptées, contradictoires et
des « services de radio locaux ou
régionaux diffusant le pro­
gramme d’un réseau thématique
à vocation nationale ». A ce titre,
elles ont l’obligation de diffuser
Malgré les feux allumés dans voir d’attraction au pays de New­ mier actionnaire. On y trouve 71 points même parfois inexistantes à des un « programme d’intérêt local »
les champs, ils craignaient que ton. « Nécessité fait loi. Les Britan­ aussi les réseaux musicaux Vir­ d’ancrage dans le moments cruciaux, le gel des in­ d’au moins trois heures chaque
leurs espoirs de récolte ne par­ niques ont faim et sont face à des gin et RFM, qui, réunis au sein vestissements humains et maté­ jour. Donner, depuis Brest, la pro­
tent en fumée. Alors que les rayons moins achalandés. Malgré d’une même unité économique pays, 30 d’entre riels ». Pour autant, Virgin s’ap­ grammation d’une salle de spec­
pommes déboulent sur les étals le Brexit, le Royaume­Uni reste no­ et sociale (UES), sont la cible d’un eux sont appelés prête à payer le plus lourd tribut : tacle de Vannes ou annoncer une
et jouent des feux tricolores tre plus gros marché avec des prix plan de sauvegarde de l’emploi alors que les deux réseaux cumu­ compétition sportive organisée à
aux yeux des consommateurs, rémunérateurs », affirme M. Sau­ (PSE). Annoncé le 7 octobre, il vise à disparaître lent 71 points d’ancrage dans le Morlaix suffit­il à justifier d’une
l’heure est au premier bilan. vaitre. Près de 120 000 tonnes la suppression de trente postes de pays, 26 stations Virgin sont ap­ information d’intérêt local ?
Combien les pomiculteurs sont croquées outre­Manche. journalistes et de quatre anima­ pelées à disparaître, quand RFM Interpellé à ce sujet par l’inter­
ont­ils paumé ? « Par rapport La situation est moins floris­ teurs disséminés sur l’ensemble tennes locales, déficitaires. Une prévoit d’en sacrifier quatre. syndicale, le CSA n’a pas encore
à nos graves craintes du mois sante en Asie et au Moyen­ du territoire, sur un effectif global méthode de calcul injuste aux « On nous dit que les suppressions apporté de réponse. Déjà saisie
d’avril, la situation s’est amélio­ Orient. Les arboriculteurs fran­ d’environ 140 personnes. yeux des représentants des sala­ de postes ne modifieront pas la par Virgin, en 2018, d’une de­
rée », répond Daniel Sauvaitre, çais perdent du terrain face à une Alors que les radios musicales, riés qui rappellent que, le reste du charge de travail de ceux qui res­ mande similaire, l’instance l’avait
arboriculteur à Reignac, en Cha­ concurrence renforcée. Ukraine, défiées par les plates­formes de temps, l’économie est « globali­ tent, mais c’est impossible », pro­ repoussée, jugeant d’une modifi­
rente, et président de l’Associa­ Serbie, Turquie, Italie, Macédoine streaming, accusent une forte sée » au sein de l’UES. testent encore les délégués syndi­ cation de « caractère substantiel »
tion nationale pommes poires. se disputent les marchés, chacun baisse de leur audience, leur mo­ caux. Pour exemple, alors que la et « de nature à compromettre
Il explique : « Le gel a détruit les pensant « c’est pour ma pomme », dèle économique fondé sur les Le CSA interpellé station Virgin de Brest n’est pas l’impératif fondamental de plura­
premières fleurs ouvertes, mais il au risque d’écraser les prix. Sur­ rentrées publicitaires accuse­ Des deux stations, c’est Virgin qui touchée par le plan, la disparition lisme et l’intérêt du public des zo­
y a eu beaucoup de floraisons tout, la Pologne, dont les vergers rait­il le coup ? « Nos deux radios souffre le plus. En 2020, la station des implantations bretonnes de nes concernées » – une décision
secondaires. » Résultat, selon les ont été survitaminés grâce aux ont fait remonter au groupe a vu son résultat opérationnel Lorient, Quimper, Vannes, Mor­ confirmée par la cour administra­
estimations, la production fran­ subsides européens, se classe dé­ 3,6 millions d’euros de dividendes consolidé s’inscrire dans le rouge, laix et Saint­Brieuc ne devrait pas tive d’appel. Sollicitées, les direc­
çaise de pommes pourrait at­ sormais au troisième rang mon­ en 2020, alors même que l’année a à − 500 000 euros, quand celui de manquer d’affecter la mission du tions des deux antennes n’ont pas
teindre 1,37 million de tonnes dial, derrière la Chine et les Etats­ été compliquée par le Covid­19 », RFM s’est hissé à + 5,2 millions seul journaliste encore en poste, souhaité réagir. « Dans une écono­
cette année. Soit un volume Unis. En 2021, avec la variété défendent Laurent Lemaire et d’euros. Virgin est aussi la station voire de l’empêcher d’effectuer le mie mondialisée, l’information de
quasi similaire à celui de 2020, « champion », elle devrait en­ Jean­Charles Fontlupt, délégués dont l’audience est la moins flo­ moindre reportage. Or, « alors qu’il proximité prend tout son sens, et
chiffré à 1,33 million de tonnes. granger 4,2 millions de tonnes. syndicaux CFDT et SNJ, pour qui rissante : avec 2,8 % d’audience n’y aura plus de contenu éditorial son maintien est nécessaire », dé­
Il s’agissait alors de la plus petite De quoi peser sur les marchés. « ce PSE ne se justifie pas ». D’après cumulée entre avril et juin, elle a local dans les villes où les bureaux fend encore Laurent Lemaire.
récolte depuis sept ans. D’autant que certains pays ont une expertise mandatée par le co­ perdu 1,4 point par rapport à la seront supprimés, la commerciali­ Le CSE qui s’est tenu jeudi
fermé les frontières. L’embargo mité social et économique (CSE), même période de 2019 (4,2 %), sation des espaces publicitaires se 28 octobre, en présence notam­
« Les Britanniques ont faim » décrété en 2014 par la Russie sur entre 2014 et 2020, RFM et Virgin soit avant la crise sanitaire. Alors poursuivra », rappellent les élus. ment des directeurs délégués
Même si, dans certaines régions, les produits alimentaires euro­ ont versé 46,8 millions d’euros de que celle de RFM grimpait à 4,1 %, De leur point de vue, cela revient à Stéphane Bosc (RFM) et Frédéric
comme les Alpes, la vallée péens est resté en travers de la dividendes à leur maison mère. entre avril et juin, en 2019, elle tordre l’esprit des conventions (les Pau (Virgin), a été l’occasion de
du Rhône et la Provence, les dé­ gorge des Polonais. De même Les directions des deux stations s’affichait à 3,4 % au printemps textes réglementaires) que les sta­ demander de nouvelles préci­
gâts sont plus importants et si, pour la France, quand l’Algérie a font cependant une autre lecture 2021. « Depuis plusieurs années, tions ont signées avec le Conseil sions. Le processus d’informa­
parfois, des agriculteurs ont vu bloqué les flux en 2016. La des comptes, séparant les résul­ comme Europe 1, nos deux radios supérieur de l’audiovisuel (CSA). tion­consultation doit aboutir
leur récolte de pommes partir pomme importée est devenue tats engrangés par les entités na­ ont gravement souffert des inco­ Majoritairement enregistrées pour la mi­décembre. 
en marmelade, le bilan global est un fruit défendu…  tionales, positifs, de ceux des an­ hérences d’une gouvernance choi­ en catégorie C, RFM et Virgin sont aude dassonville

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18 | économie & entreprise DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021

C
e matin d’octobre,
Gérald Sgobbo, élu
de Villeneuve­d’Ol­
mes, dans l’Ariège,
est un maire heu­
reux. L’usine textile
désaffectée depuis plus de dix ans,
qui a « structuré la vie du village »,
va revivre. Pas autour du textile,
cette fois, mais qu’importe. Le
groupe Actis, basé dans l’Aude, va
y investir 31 millions d’euros pour
y produire des panneaux isolants
destinés au bâtiment, un produit
d’avenir, transition environne­
mentale oblige. « Dans le village,
on a compté jusqu’à 700 emplois
industriels pour 1 600 habitants,
raconte l’élu. La mémoire locale est
marquée par l’industrie : pour
les habitants, l’activité économi­
que, c’est forcément de l’industrie. »
Soucieuse de préserver cette
culture, la communauté de com­
munes s’est portée acquéreuse
des bâtiments lors de la fermeture
de l’usine et les a conservés en
l’état en espérant pouvoir retrou­
ver, un jour, une activité produc­
tive. C’est désormais chose faite.
Renouer avec l’industrie, reloca­
liser, réindustrialiser. Ce qui était
presque inaudible dans les an­
nées 2000, à la suite du rêve d’une
France « fabless » – avec ces entre­
prises sans usine, chères à Serge
Tchuruk, l’ancien patron d’Alca­ Le groupe Actis installe ses usines sur des friches rénovées, comme ici celle de La Bastide­de­Bousignac (Ariège), le 28 octobre. ULRICH LEBEUF/MYOP POUR « LE MONDE »
tel –, est devenu le nouveau man­
tra hexagonal, scandé par les poli­
tiques, les élus locaux et les déci­
deurs économiques avec une belle
unanimité. Depuis le sommet
de l’Etat jusqu’à Gérald Sgobbo,
maire d’une petite commune de
PLEIN CADRE

La lente résurrection
moins de 1 000 habitants blottie
au pied des Pyrénées. « L’industrie jet au dernier moment », remarque
est devenue le nouveau cheval Arnaud Schwartz, président de
de bataille d’à peu près tout le France Nature Environnement. La
monde », se réjouit Alexandre Sau­ construction d’Innov’ia, une

de l’industrie en France
bot, président de France Industrie. usine de poudres pour l’industrie
alimentaire, par le groupe Adis­
CHANGEMENT D’ÉTAT D’ESPRIT seo, à Segré­en­Anjou (Maine­et­
Que s’est­il passé ? La crise due au Loire), a ainsi soulevé en 2020 une
Covid­19 aura peut­être eu au certaine émotion parmi les rive­
moins une vertu : celle de faire rains et auprès des associations
prendre conscience aux Français, Relocaliser et réindustrialiser, tel est le nouveau mantra environnementales. Mais les op­
grisés par le virage du numérique positions se sont apaisées quand
ou la prééminence des services, hexagonal, à rebours des années 2000, des politiques, élus locaux la direction a mis en avant la
qu’ils n’étaient plus capables de fa­ « technologie de pointe 4.0 » utili­
briquer des produits aussi essen­ et décideurs économiques. Mais des freins perdurent sée dans l’usine pour en minimi­
tiels que des masques, du paracé­ ser l’impact environnemental.
tamol ou des respirateurs. « La Reste une difficulté, et de taille :
crise sanitaire a agi comme un ré­ l’industrie manque cruellement
vélateur, explique François Blou­ pied de la lettre le concept de société ont pris le pas sur les fermetures, – à son maillage de communica­ de bras. Pour le professeur Fran­
vac, responsable du programme postindustrielle, rappelle François et l’emploi a commencé à repartir tions serré et à ses écoles d’ingé­
Au-delà des çois Bost, c’est le premier frein à la
Territoires d’industrie à la Banque Bost, professeur de géographie à la hausse. L’Insee chiffre à 26 300 nieurs – pour y installer leurs sites difficultés réindustrialisation. « On voit des
des territoires, filiale de la Caisse économique et industrielle à l’uni­ les créations nettes d’emplois de production. En retour, les col­ entreprises qui sont prêtes à s’im­
des dépôts. Lors des élections ré­ versité de Reims. Aujourd’hui, on dans l’industrie entre 2017 et 2019. lectivités locales leur ouvrent
conjoncturelles, planter, mais qui ne trouvent pas de
gionales, pas un programme qui ne tient plus ce discours­là, on sait Une lente résurrection interrom­ grands les bras. Selon l’agence Bu­ une entreprise main­d’œuvre », déplore­t­il. Au­
n’en parlait pas : dans toutes les ré­ qu’on a besoin de toutes les activi­ pue par la crise de 2020, qui a dé­ siness France, qui marie investis­ delà des difficultés conjoncturel­
gions, il y a une envie d’industrie, tés : l’industrie a une dimension truit 57 500 emplois industriels. seurs étrangers et territoires d’ac­
industrielle sur les liées au caractère mondial et
pour des questions de souveraineté profondément géopolitique, c’est Un chiffre cependant « extraordi­ cueil, les réponses des régions aux deux peine à massif de la reprise, une entreprise
notamment. On constate une vraie un atout de la puissance. » nairement contenu » au regard de sollicitations pour accueillir des industrielle sur deux peine au­
appétence des acteurs locaux. » Vincent Charlet, délégué général l’ampleur de la récession, qui a fait projets étrangers ont augmenté
trouver des jourd’hui à trouver des salariés, se­
Magali Joëssel, directrice géné­ de La Fabrique de l’industrie, un plonger le PIB de 8 %, souligne de 9 % entre 2020 et 2021, et le salariés lon les enquêtes de la Banque de
rale du fonds SPI (Société de pro­ think tank, enfonce le clou : « Dans M. Saubot, de France Industrie. nombre de sites industriels « clés France. Pourtant, le sujet est par­
jets industriels) chez Bpifrance un grand nombre de territoires ru­ en main », purgés de toutes les re­ fois au cœur de la problématique
– fonds qui a investi dans quel­ raux, l’industrie est désormais le ARGUMENT COMMERCIAL doutables procédures administra­ rend les usines « moins impactan­ des relocalisations, par exemple
que 17 usines en six ans –, a ob­ premier employeur. La venue des La reprise a ramené un peu d’opti­ tives, est passé de 12 à 127 en moins tes, plus faciles à accepter ». De lorsque Toyota a fait le choix de
servé avec un brin d’amusement usines est plus que bienvenue. » Sur misme et pléthore de projets. de deux ans. « Toutes les régions sorte que riverains et citoyens s’implanter à Valenciennes pour,
ce changement d’état d’esprit. d’anciens sites industriels en Guillaume Gady, cofondateur et sans exception essaient d’avoir leur sont plus prompts aujourd’hui à entre autres, s’appuyer sur l’éco­
« Quand nous avons lancé, en 2014, « déprise », comme l’était celui de directeur général d’Ancoris, un ca­ part, assure Christophe Lecour­ se mobiliser contre une éolienne système de compétences.
ce fonds pour recréer de l’industrie, Carling, en Moselle, haut lieu de la binet spécialisé dans la détection tier, directeur général de Business qui leur barre le paysage que Le déficit de main­d’œuvre a par
nous nous sommes heurtés à de la pétrochimie, les nouveaux pro­ d’opportunités pour le compte des France. Aucun projet d’investisse­ contre une manufacture installée ailleurs des effets pernicieux : il
surprise et de l’incrédulité. A l’épo­ jets, outre le fait qu’ils recréent des collectivités locales, résume l’état ment n’est ignoré. On observe que à l’écart des habitations, dans une encourage la robotisation et
que, l’industrie était très dénigrée emplois, ont aussi la vertu de réu­ d’esprit de ses quelque 80 clients : les projets logistiques ne soulèvent zone d’activité par exemple. « Les l’automatisation des usines, ce qui
et, nous, nous arrivions en disant tiliser des installations quasi im­ « Qu’il s’agisse de territoires ruraux, pas une forte adhésion, parce qu’ils gros projets ne subissent pas de re­ peut rendre les projets industriels
des gros mots comme “usine”. Le possibles à démanteler. de villes moyennes ou de métropo­ sont perçus comme porteurs de jet localement, parce que l’indus­ moins attractifs aux yeux de cer­
monde de la finance nous regar­ Après une quinzaine d’années les un peu plus denses, ils ont tous nuisances possibles, mais il peut trie a beaucoup évolué, les sites in­ tains. « Beaucoup d’élus préfèrent
dait comme des animaux étranges. de destructions d’emplois in­ en commun la volonté d’accueillir toujours y avoir la possibilité de dustriels sont de plus en plus pro­ une plate­forme logistique d’Ama­
Depuis, il y a eu une évolution du dustriels, le courant s’est inversé des industriels, alors que, il y a quel­ trouver des sites adaptés. » pres, de plus en plus automatisés, zon qui crée 1 000 emplois qu’une
côté des investisseurs, l’industrie a en 2017. Les ouvertures d’usines ques années, il y avait un fort tro­ C’est l’autre face de ce change­ encadrés par des règles et des nor­ usine qui va en créer quelques dizai­
été en partie réhabilitée. » pisme sur le numérique et les servi­ ment d’attitude face à l’industrie : mes, témoigne Guillaume Gady. nes », remarque Francois Bost.
Ce petit miracle ne dépend pas ces. » Les chiffres attestent cette modernisée, robotisée, automati­ La seule chose qui coince, parfois, Aujourd’hui, comme s’acharne à le
seulement des pénuries et des humeur industrieuse. Alors que le sée, elle est devenue plus présen­ c’est la hauteur des cheminées ! » répéter Agnès Pannier­Runacher,
constats amers consécutifs à la
« L’idée s’est cabinet détecte environ 1 500 pro­ table. « L’idée s’est imposée que les ministre déléguée à l’industrie,
pandémie. Les avatars de la désin­ imposée que les jets par an, les compteurs affi­ usines ne sont pas que des bâti­ DÉFICIT DE MAIN-D’ŒUVRE le secteur compte 70 000 offres
dustrialisation que sont le chô­ chaient déjà 1 400 dossiers en ments noirs qui crachent de la fu­ Les défenseurs de l’environne­ d’emploi non pourvues. « Et seul
mage, la perte de compétitivité du
usines ne sont cours en septembre, avec une très mée », résume Nadine Levratto, ment eux­mêmes le reconnais­ un tiers des Français rêve d’y tra­
pays, le délitement du lien social, pas que forte hausse du nombre de projets directrice d’EconomiX, une unité sent à demi­mot : « Même si on vailler », regrette Alexandre Sau­
la désertion des villages, ont industriels. La clé de ce sursaut ? de recherche du CNRS et de l’uni­ continue à avoir des mauvais élè­ bot. Pourtant, il en est persuadé :
aussi conduit les élus à prendre
des bâtiments « Le “made in France”, qui est de­ versité Paris­Nanterre. « Les indus­ ves, il y a des bons exemples en ma­ « Le seul indicateur qui compte
conscience du rôle structurant de qui crachent venu un argument commercial triels se posent des questions sur tière d’installations industrielles. pour parler de la réindustrialisa­
l’industrie dans leurs territoires, majeur », affirme M. Gady. leur impact environnemental », Quand il y a un problème d’accep­ tion, c’est celui de l’emploi indus­
en matière d’emplois et de déve­
de la fumée » Les investisseurs étrangers aussi ajoute M. Blouvac, du programme tabilité sur le territoire, c’est qu’il triel. » De ce point de vue, il y a en­
loppement local. « La France est le NADINE LEVRATTO sont de plus en plus nom­ Territoires d’industrie, et l’évolu­ n’y a pas eu d’information, que les core un sacré chemin à faire. 
pays en Europe qui a le plus pris au directrice d’EconomiX breux à s’intéresser à l’Hexagone tion des modes de production citoyens ont été prévenus d’un pro­ béatrice madeline
0123
DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021 carnet | 19
Le CERSA

fait part avec tristesse du décès de


l’une de ses anciennes membres,
en vente Le Carnet
actuellement Mme Nicole SOS Villages d’Enfants
MAYOR de MONTRICHER. a une pensée émue
K En kiosque Vous pouvez nous faire Fortement impliquée dans les
pour les généreux bienfaiteurs
parvenir vos textes disparus qui,
activités de l’équipe, Nicole Mayor
de Montricher a produit des travaux Médecins du Monde au cours de l’année écoulée,
soit par e-mail : de grande qualité, croisant plusieurs ont offert une vie de famille
HORS-SÉRIE

carnet@mpublicite.fr types d’approches, dans le domaine Le docteur Carine Rolland, en héritage à des enfants en danger :
LES des politiques publiques et de présidente Christiane K, Agnès V, Germain S, La Fédération des Aveugles
RÉVOLUTIONS (en précisant impérativement Marcel D, Lucette F, Jean-Joseph C,
DU TRAVAIL l’administration comparée. Les et l’ensemble des salariés de France
votre numéro de téléphone responsabilités qui lui avaient été et bénévoles tiennent à honorer Marie Louise F, Angèle P, Dominique L, rend hommage
et votre éventuel numéro confiées au sein du « Groupe sur la la mémoire de toutes celles et ceux Fernand P, Jeannine P, Jasmine A, à ses généreux bienfaiteurs.
d’abonné ou de membre gouvernance » (SOG) de l’Association qui au cours de l’année écoulée, Brigitte F, Suzanne G, Jean-Claude S,
internationale de science politique ont par un legs permis Andrée R, Anne-Marie V, Laurence C,
de la SDL) En désignant notre association
témoignent de la reconnaissance de rendre la santé accessible Paulette S, André F, Ruth M,
dont elle bénéficiait au niveau comme bénéficiaire
soit sur le site : aux plus vulnérables. Christiane L, Paulette G, Josette M,
international. Denise D, Jeannine L, Louis L, de leur patrimoine,
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Hors-série Françoise C, Marie D, Maryvonne D, ils contribuent à améliorer
Médecins du Monde,
L’équipe du Carnet reviendra Anniversaire de décès 84, avenue du Président Wilson, Roger G, Marie Jeanne L, Claude M, la vie quotidienne
vers vous dans les meilleurs Josette P, Patrice M, Colette G, des personnes aveugles
93217 La Plaine-Saint-Denis.
Simone T, Jeannine T, Yolande F, et malvoyantes.
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Tél. : 01 44 92 14 42.
Christiane LEGRAND. Simone D, Simone M, Charles L, Leur mémoire restera à jamais
la parution.
L’ATLAS
Annick G, Anne-Marie P, Gabriel T, ancrée dans nos souvenirs.
Dix ans déjà sans sa voix. Simone F, Mariette C, Michelle G,
Nous ne les oublierons jamais.
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PRÉHISTOIRE DES À
#MeToo
carnet@mpublicite.fr Chantal B, Henri M, Elisabeth D,
FEMMES Vers une égalité des sexes ?
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Suzanne P, Marie-Elisabeth H, Fédération des Aveugles
En souvenir de Catherine G, Odette H, Marie-Louise B, de France,
AU CARNET DU «MONDE» En ces temps de mémoire Monique D, Nicole T, Pierrette G, 6, rue Gager-Gabillot,
Marie-France ARMANTÉ. et de recueillement, Ghislaine D, Etiennette L, Marie P, 75015 Paris.
Jeanne T, Cecile P, Veronique M, Tél. : 01 44 42 91 91.
Départ à la retraite les Petits Frères des Pauvres
Hors-série Elle nous manque énormément Bernadette C, Arlette B, Jacqueline G,
Meylan. et à tous ceux qui l’ont aimée. Maurice F, Micheline C, Paulette L
ont une pensée reconnaissante et Raymonde L.
Communication diverse
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Heureuse et longue retraite Jean-Marie Armanté, pour tous ceux qui les ont quittés :
son époux. fidèles donateurs, Leur générosité en faveur
L’histoire des deux
aventuriers et de leur
créateur EDGAR P. JACOBS.
de A à Z Papy Michel, personnes accompagnées, des enfants accueillis dans les villages
qui a les cheveux gris, bénévoles et salariés.
Avis de messe d’enfants SOS restera
à jamais gravée dans notre mémoire.
Léo et Lucas. Leur souvenir nous guide
Messe des défunts.
pour continuer à agir
NUMÉRO E
ANNIVERSAIR

75 anss
Décès Le Secours Catholique fera célébrer auprès des plus isolés
d’aventure
une messe, en mémoire de et des plus pauvres de nos aînés.
M Tourounesh Hermann-Mesfen,
me
Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
son épouse, ses membres et donateurs disparus, Petits Frères des Pauvres,
Judith et Rahel Hermann-Mesfen,
Hors-série ses filles,
19, cité Voltaire, Les bénévoles de SOS Amitié
le mardi 9 novembre 2021, à 12 h 15, 75011 Paris. écoutent
Eden Mekdes Hermann-Mesfen, La Fondation de l’Avenir
en la chapelle Saint-Laurent de
Collections
sa petite-fille, par téléphone et/ou par internet
son siège parisien, et ce, en présence
souhaite faire part ceux qui souffrent de solitude,
ont l’immense douleur de faire part de bénévoles et salariés du Secours
de sa profonde gratitude de mal-être et peuvent avoir
du décès de Catholique.
PRÉSENTE
envers les personnes des pensées suicidaires.
lui ayant fait un legs en 2021.
M. Claude André HERMANN, Il portera aussi dans la prière les
testateurs qui ont choisi de léguer Elle rend hommage Nous recherchons des écoutants
survenu le 25 octobre 2021, à Valence, à l’association pour que le combat Amnesty International France bénévoles
à ces personnes,
à l’âge de soixante-dix-neuf ans. contre la pauvreté continue après souhaite rendre hommage sur toute la France.
aujourd’hui disparues,
eux. aux personnes qui ont inscrit qui rendent possible la poursuite L’écoute peut sauver des vies
La cérémonie religieuse aura lieu pour toujours leur nom
le 2 novembre, à partir de 10 h 30, des recherches médicales appliquées. et enrichir la vôtre !
Nous invitons les parents et les dans le combat pour la défense Choix des heures d’écoute,
en l’église Notre-Dame de la Voie,
amis à s’y associer par la prière. des libertés et des droits humains. Fondation de l’Avenir,
102, avenue Jean-Jaurès, à Athis- formation assurée.
Mons, suivie de l’inhumation au 255, rue de Vaugirard,
cimetière d’Ivry-sur-Seine, 13, rue Tél. : 01 45 49 71 08. Par un legs ou une assurance-vie, 75719 Paris Cedex 15.
Gaston-Monmousseau, à 15 heures. elles contribuent ainsi Tél. : 01 40 43 23 77. En IdF RDV sur
LE PRINCE DE JÉRICHO
par Maurice Leblanc
En ces temps de mémoire à laisser un monde plus juste www.sosamitieidf.asso.fr
La famille remercie par avance et de recueillement, aux générations futures. En région RDV sur
Dès mercredi 27 octobre, toutes les personnes qui prendront les évêques catholiques,
part à sa peine, ainsi que le personnel www.sos-amitie.com
le volume n° 29 réunis à Lourdes, Nous ne les oublierons jamais.
du Centre hospitalier de Valence
LE PRINCE DE JÉRICHO célébreront une messe à la mémoire
pour leur accompagnement et
de tous les bienfaiteurs Amnesty International France
gentillesse.
de l’Église, donateurs et testateurs, 76, boulevard de la Villette,
Concert
PRÉSENTE le vendredi 5 novembre 2021. 75019 Paris. Le Foyer des Invalides
Christine Hervouet-Aubel Ils vous invitent à vous y associer Tél. : 01 53 38 66 24. a le plaisir de vous informer
Et Stéphane Aubel (†), par votre prière.
LES ŒUVRES COMPLÈTES ILLUSTRÉES Béatrice Hervouet et Eric Imbert, La Fondation Action Enfance, que son prochain concert donné
Conférence des évêques de France,
Agnès Hervouet et René Plunian,
legs@catholique.fr Remerciements anciennement dénommée par l’Orchestre d’harmonie
Élisabeth Hervouet, « Mouvement de la Garde républicaine
ses filles et leurs conjoints, aura lieu le samedi
pour les Villages d’Enfants »,
Messe du souvenir rend hommage à l’ensemble 6 novembre 2021, à 16 heures,
Anne-lise, Samuel, Émilie,
Guillaume, Grégoire, Thomas, Louise, de ses bienfaiteurs en la cathédrale Saint-Louis
Les diplômées HECJF qui, par leur précieux soutien
Pierre, Marine, Agathe, des Invalides.
ses petits-enfants et leurs conjoints, et leur générosité, Les recettes de cet évènement
rendront hommage à ont permis et permettront
La Fondation Claude Pompidou dédié au souvenir seront
Anouk, Ninon, Gaspard, Joachim, se souvient et exprime d’accueillir au sein de ses Villages comme à l’accoutumée reversées
Eloi, Jules, Côme, Manon, Diane,
Yvette MÉNISSEZ, d’Enfants et d’Adolescents,
directrice honoraire sa grande reconnaissance au profit des pensionnaires
Maemi, Augustine, César, Anatole, des fratries séparées de leurs parents
de l’Ecole HECJF, aux généreuses personnes de l’Institution Nationale
Actuellement en vente, Joseph, Paul, Blanche, Alma, Léon, afin de les aider à se reconstruire
Clémence, Lucie, qui lui ont fait confiance et légué et devenir des adultes accomplis. des Invalides.
le volume n° 1 ses arrière-petits-enfants, décédée le 9 mars 2021, leurs biens. Merci pour eux.
GERMINAL dans sa centième année, Fondation Action Enfance, Tarif unique 25 euros,
Françoise et Gilbert Letourneur, Fondation Claude Pompidou, 28, rue de Lisbonne, réservation au 01 47 05 99 87
Pascal et Véronique Bonhomme, lors d’une messe qui se tiendra mardi 42, rue du Louvre, 75008 Paris. ou par mail au
ses frère et sœur et leurs conjoints, 9 novembre, à 15 heures, en l’église 75001 Paris. www.actionenfance.org foyer-des-invalides@orange.fr
Ses nombreux neveux et nièces, Saint-Honoré-d’Eylau, Paris 16e.
présente
LES GRANDS PERSONNAGES ont le chagrin de faire part du décès
DE L’HISTOIRE EN BANDES DESSINÉES Elles associeront à sa mémoire
de

Bernadette Anne-Marie CARLISLE,


secrétaire générale, LES CHIENS GUIDES D’AVEUGLES
HERVOUET BONHOMME,
veuve de
Yves HERVOUET, décédée le 13 mars 2019, dans sa
quatre-vingt-dix-septième année,
survenu à Paris, le 26 octobre 2021. Merci ! Le mouvement des
Colette DELOIRE, Chiens Guides d’Aveugles
La cérémonie aura lieu en l’église directrice des Etudes,
de Remouillé, le mardi 2 novembre, exprime sa profonde gratitude
à 14 h 30. décédée le 4 mai 2020, et rend hommage aux généreux
Actuellement en vente,
dans sa quatre-vingt-seizième année. bienfaiteurs, qui nous ont quittés
NUMÉRO SPÉCIAL album double Société éditrice du « Monde » SA
Les familles seront présentes.
au cours de l’année, et qui par leur
Président du directoire, directeur de la publication
ZOLA ET L'AFFAIRE DREYFUS Louis Dreyfus legs, donation ou assurance-vie,
Directeur du « Monde », directeur délégué de la
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio Hommages ont contribué à ce que des
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
chiens guides soient remis
Nos services Direction adjointe de la rédaction
Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian,
Philippe Broussard, Nicolas Chapuis, Emmanuelle
La Fondation Vaincre Alzheimer
rend hommage à toutes celles gratuitement à des personnes
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Lecteurs Alexis Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue,
Harold Thibault
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
qui par leurs dons et leurs legs,
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Tom et Moby son chien guide.
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abonnés Françoise Tovo la recherche.
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de 9 h à 18 h (prix d'un appel local) Rédaction en chef Laurent Borredon, Laetitia Clavreul,
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K Le Carnet du Monde
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Franck Nouchi (Débats et Idées)


CHIENS GUIDES D’AVEUGLES

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Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani 47, rue de Paradis,
CENTRES PAUL CORTEVILLE DES CHIENS GUIDES
POUR LES ENFANTS AVEUGLES

Infographie Delphine Papin


Directrice des ressources humaines du groupe 75010 Paris.
Emilie Conte
Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
Tél. : 01 42 46 50 86. Numéro Vert : 0800 147 852
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, www.vaincrealzheimer.org
Sébastien Carganico, vice-président www.alzjunior.org
CULTURE
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20 | DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021

M É D I AT I O N   C U LT U R E L L E

ENQUÊTE

U
ne immense
lune blanche se
reflète sur le sol,
troublée par ce
qui ressemble à
des ronds dans
l’eau. Aux abords, des mouve­
ments furtifs rythment l’obscu­
rité, dans un bruit de feuilles
froissées. Une odeur de terre hu­
mide, mais aussi de fauve remplit
peu à peu l’espace. Soudain, le
rugissement d’un léopard troue
la nuit… En quelques secondes,
nous voici transportés dans la
savane africaine, au bord d’un
point d’eau de la vallée du Rift
(Kenya), où babouins, mangous­
tes et antilopes viennent s’abreu­
ver le jour tombé.
Etonnante, cette scène est l’un
des points forts de « L’Odyssée
sensorielle », la nouvelle exposi­
tion du Muséum national d’his­
toire naturelle de Paris (MNHN).
Conçue pour rapprocher le public
de la nature, cette « expérience im­
mersive » a demandé cinq ans de
préparation aux scientifiques du
musée et au studio Sensory Odys­
sey, qui a tourné des images en
haute définition à travers la pla­
nète et reconstitué une vingtaine
d’effluves pour l’exposition. Mais
le résultat est saisissant : d’une
salle à l’autre, le visiteur a l’im­

En quête
pression de danser avec des ca­
chalots, de butiner avec une
abeille ou encore de voler avec
des flamants roses.
Innover, innover, innover…
C’est aujourd’hui devenu une

de nouveaux publics, 
obsession pour les responsables
de musées et de monuments :
comment réussir à attirer de
nouveaux publics, alors que l’âge
moyen des visiteurs ne cesse
d’augmenter et que les catégories

les musées innovent
sociales les moins favorisées se
détournent des lieux de patri­
moine. « Un musée a une mission
de conservation des œuvres. Mais
il doit aujourd’hui parler aux
jeunes, être plus accueillant,
plus collaboratif. Les publics doi­
vent être au cœur de nos préoccu­ La crise sanitaire a frappé les lieux de patrimoine,
pations », reconnaît Vincent
Campredon, directeur du Musée les obligeant à sortir de la scénographie traditionnelle,
national de la marine, à Paris.
Selon l’étude sur les pratiques notamment grâce aux technologies numériques
culturelles des Français, menée
tous les dix ans par le ministère
de la culture et dont la dernière
version a été publiée en 2020, tes a alerté les opérateurs du pa­ tions ne soient pas réservées aux des bonnes idées partout, notre publics “digital natives” [nés avec
la fréquentation des lieux de pa­ trimoine sur « une chute proba­ “sachants”, il faut aujourd’hui les EN 2018, 44 % objectif est de les partager, pour le numérique]. Nous sommes des
trimoine a très peu progressé blement durable de leurs ressour­ mettre en scène un peu comme un DES FRANÇAIS DISAIENT  élargir ces bonnes pratiques. » Les passeurs de patrimoine, nous de­
ces quarante dernières années. ces propres (billetterie, boutiques, spectacle, trouver des façons de lauréats de la deuxième édition vons vivre avec notre époque et
En 2018, 44 % des Français restaurants, mécénats) », les invi­ raconter des histoires différem­ AVOIR VISITÉ UN MUSÉE,  du concours seront connus en attirer les jeunes avec les outils
disaient avoir visité un musée, un tant à « approfondir une réflexion ment. On peut s’autoriser beau­ décembre. qu’ils utilisent dans leur vie de
monument ou une exposition, à (…) sur des évolutions nécessaires coup de choses si c’est fait avec UN MONUMENT OU Sans surprise, les technologies tous les jours. »
peine mieux qu’en 1973 (41 %). de leur modèle économique ». subtilité et intelligence. » numériques sont omniprésentes
Plus inquiétant, la moyenne Résultat, toutes les institutions
UNE EXPOSITION, À PEINE  dans cette course à l’innovation. « ÊTRE DANS L’INTERACTION »
d’âge des visiteurs augmente se creusent les méninges pour EXPOSITIONS IMMERSIVES MIEUX QU’EN 1973 (41 %) Longtemps décriées, les exposi­ « Les œuvres exposées aux murs
étude après étude. Entre 1973 et sortir de la scénographie tradi­ Dans la même veine, la Villa du tions immersives qui mettent avec des cartels, cela reste essen­
2018, le pourcentage de 15­28 ans tionnelle, faite d’œuvres accro­ temps retrouvé, un musée consa­ en scène des reproductions tiel. Mais les visiteurs ne veulent
fréquentant les sites patrimo­ chées aux murs et de cartels. cré à Marcel Proust, ouvert au printemps les chiffres romains d’œuvres, popularisées par l’opé­ plus être passifs face à ce qu’ils
niaux est passé de 51 % à 47 %, Avec souvent de belles réussites. printemps à Cabourg, s’est amu­ d’un petit nombre de ses cartels, rateur Culturespaces (Atelier des regardent, ils veulent être dans
tandis que celui des 53­64 ans a A Fontevraud­l’Abbaye (Maine­ sée à truffer son parcours de bibe­ pour les remplacer par des chif­ lumières, Carrières de lumières, l’interaction », abonde Vincent
progressé de 35 % à 47 %. Pis, le et­Loire), le Musée d’art moderne lots de la Belle Epoque transfor­ fres arabes jugés plus compréhen­ etc.), servent d’inspiration à Campredon. Le Musée de la
fossé s’est creusé entre les catégo­ accueillant la collection des més en « objets parlants », comme sibles, notamment pour les visi­ nombre de structures. Troisième marine qu’il dirige, actuellement
ries sociales : en 2018, seulement époux Cligman, inauguré en mai, une cage à oiseaux ou un projec­ teurs étrangers, le Musée château de la Loire le plus visité, en travaux et dont la réouver­
32 % des ouvriers et des employés a par exemple installé un disposi­ teur Kok de Pathé. « L’idée était de Carnavalet s’était attiré les foudres le Clos­Lucé vient ainsi de se do­ ture est prévue en 2023, a ainsi
se sont rendus dans un musée tif faisant dialoguer des sculptu­ rendre le décor du musée vivant des puristes, qui avaient dénoncé ter d’une « galerie immersive » prévu trente dispositifs de mé­
ou un monument, contre 44 % res entre elles, à l’aide de textes pour éviter qu’il ne ressemble à un une « catastrophe culturelle ». où le visiteur est invité à plonger diation high­tech. « On va rentrer
en 1973. Dans le même temps, la enregistrés par des comédiens. mausolée, confie Jérôme Neutres, Signe de cet attrait pour les in­ dans le processus de création de dans la vie d’un port, dans les ca­
fréquentation des cadres est pas­ Simple de prime abord, l’installa­ commissaire des lieux et ancien novations muséales, la fonda­ dix­sept des chefs­d’œuvre de les d’un bateau. Il y aura même
sée de 69 % à 80 %. tion se révèle efficace auprès des président du Grand Palais à Paris. tion Art Explora, en association Léonard de Vinci, qui a passé les une reconstitution de tempête,
enfants, captivés par les échan­ Les expositions ressemblent en­ avec l’Académie des beaux­arts, trois dernières années de sa vie on va plonger le visiteur au milieu
« DES COULOIRS DE MÉTRO » ges entre une statue médiévale et core trop à des couloirs de métro a lancé en 2020 un concours des­ dans les murs. des vagues ! », assure­t­il. Dispo­
Cette préoccupation est d’autant une sculpture mésopotamienne. où les visiteurs essaient de voir tiné à récompenser les meilleu­ « Nous avons scanné 200 docu­ sitif inédit en France pour un
plus aiguë que la crise sanitaire « J’ai conçu ce dispositif en 2017, deux ou trois tableaux. Une expo­ res initiatives en la matière. ments en haute définition, qui musée, un « espace Snoezelen »
liée au Covid­19 a violemment pour une exposition de design au sition, ce n’est pas une thèse d’his­ « Malgré toutes les politiques permettent de rentrer dans les dé­ pour les personnes handicapées,
frappé les musées et les monu­ Musée Fabre de Montpellier, je l’ai toire de l’art, c’est l’organisation publiques menées, les musées tails de chaque œuvre, de s’attar­ avec mobilier, ambiance et dis­
ments. Le Louvre a perdu 72 % de ensuite repris au Musée des arts d’une rencontre entre des œuvres n’arrivent pas à toucher certains der sur une main, un œil, un positifs adaptés, sera même ins­
ses visiteurs en 2020, le château décoratifs de Paris, où je faisais et un public. Les outils numériques publics, notamment les plus drapé, s’enthousiasme François tallé au cœur du parcours.
de Versailles 76 %, le MuCEM de dialoguer deux lits d’époques dif­ permettent beaucoup de choses jeunes, explique Anne Lehut, res­ Saint Bris, dont la famille préside Pour accompagner et surtout
Marseille 56 %… Surtout, rien ne férentes entre eux, explique la aujourd’hui. » ponsable des programmes et des aux destinées du Clos­Lucé de­ accélérer ce mouvement, le mi­
dit que cette hémorragie va s’ar­ scénographe Constance Guisset. Toutes les initiatives pour publics au sein de la fondation. Il puis près de cent soixante­dix nistère de la culture a prévu de
rêter et que le monde d’avant va L’idée est d’être drôle et savant à la toucher un public plus large ne faut tester d’autres choses, aller ans. La technologie est un moyen consacrer 400 millions d’euros
revenir. Dans une étude publiée fois, de mêler le ludique et le péda­ sont pas couronnées de succès chercher les jeunes là où ils sont, de médiation culturelle formida­ d’ici à 2025 à la « transition numé­
en septembre, la Cour des comp­ gogique. Si on veut que les exposi­ pour autant. En supprimant au y compris devant les écrans. Il y a ble, qui permet de conquérir les rique des industries culturelles et
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« La crise due au Covid a montré


combien nos institutions étaient fragiles »
Sylvie Ramond, directrice du Musée des beaux­arts et du Musée d’art contemporain
de Lyon, veut mettre en valeur les collections permanentes et développer des offres ciblées

ENTRETIEN La crise complique­t­elle


le prêt des œuvres et le mon­ « UN MUSÉE DES BEAUX­
pour y réfléchir. Je donnerai juste
l’exemple de la présence des fem­
encore plus déterminant que les
questions que vous soulevez.

D irectrice du Musée des


beaux­arts (MBA) et du
Musée d’art contempo­
rain (MAC) de Lyon, Sylvie
Ramond, 62 ans, dresse un état
tage de nouvelles expositions ?
Il faut rappeler l’élan de solida­
rité qui a caractérisé le premier
confinement en ce qui concerne
les prêts d’œuvres : report des ca­
ARTS DOIT ÊTRE 
AUJOURD’HUI GÉRÉ
UN PEU COMME UN 
mes au MBA : artistes, collection­
neuses, donatrices (Juliette
Récamier, Jacqueline Delubac,
Geneviève Asse, Françoise
Dupuy­Michaud…) ont déjà fait
Comment appréhender l’appel
croissant aux restitutions
d’œuvres pillées ou spoliées ?
En ce qui concerne la restitution
des lieux des défis qui attendent lendriers, extension des durées l’objet d’expositions. d’œuvres extra­occidentales, le
les lieux d’exposition après dix­ d’exposition… La vraie question
THÉÂTRE OU UNE SALLE Et nous travaillons sur un par­ MBA est peu concerné. Nous con­
huit mois d’épidémie de Covid­19. se pose maintenant : les musées DE SPECTACLE » cours au sein des collections. servons en revanche des œuvres
accepteront­ils de prêter encore et Quant au MAC, trois expositions MNR [récupérées en Allemagne à
La crise sanitaire va­t­elle lais­ d’emprunter les œuvres en allé­ y sont consacrées actuellement à la fin de la seconde guerre mon­
ser des traces dans les musées ? geant les protocoles très lourds mentaires par rapport à nos pu­ des artistes femmes (Delphine diale mais jamais réclamées] de
Il est encore trop tôt pour le dire. de transport et de convoiement ? blics et d’avoir une visibilité inter­ Balley, Christine Rebet et Jasmina Gandolfi, Boucher, Boudin ou
Depuis cet été, nous connaissons La prise de conscience de la né­ nationale encore plus forte. Les vi­ Cibic), parallèlement à la présen­ Degas. Elles sont signalées
« L’Odyssée à Lyon de très bons chiffres de fré­ cessité d’être plus sobre écologi­ siteurs sont parfois surpris, mais tation de certaines pièces de la dans les salles par des cartels
sensorielle », quentation, meilleurs que ceux quement dans un monde sani­ ils plébiscitent les expositions collection de Marina Abramovic spécifiques. Une œuvre pillée
au Muséum d’avant la crise. En 2019, 25 % de taire plus complexe me semble croisées. Grâce au pôle, nous et Ulay. dans une situation de guerre doit
national d’histoire nos visiteurs venaient de l’étran­ plus largement partagée. On est avons désormais une des collec­ Sur le fond, je pense que nous être rendue. La question des ac­
naturelle de Paris, ger (Etats­Unis, Italie, Royaume­ parfois allé chercher des œuvres tions les plus importantes en devons évidemment accueillir quisitions dans le cadre du mar­
salle La forêt Uni, etc.). Ils ne sont plus que 8 %. trop loin pour certaines grandes Europe, de l’Antiquité jusqu’au tous ces débats, faire écho à cette ché de l’art, ce que l’on appelle les
tropicale, Mais ils ont été remplacés par expositions. XXIe siècle. démarche critique, mais sans cé­ « achats asymétriques », est une
de haut en bas, un public régional et national. der aux mots d’ordre politiques question plus complexe, qui ne
en octobre. Les gens ont été frustrés de cul­ Les études montrent un fossé Les mouvements actuels qu’ils portent. Par ailleurs, ces peut pas être résolue à l’échelle
J.-C. DOMENECH/MNHN ture pendant ces mois de ferme­ toujours croissant entre de la société (féminisme, combats doivent aussi se traduire d’un seul musée : elle doit être
ture et de privation, ils sont avi­ pratiques patrimoniales antiracisme, etc.) modifient­ils dans la politique de recrutement envisagée au niveau national et
des de revenir au musée. des plus âgés et pratiques la façon de diriger un musée ? avec deux impératifs : la diversité international. 
numériques des plus jeunes. Nous n’avons pas attendu et l’accès des femmes aux postes propos recueillis par
Ce sursaut est­il durable ? Est­ce irrémédiable ? l’émergence de ces questions à responsabilités. Cela me semble philippe dagen et c. pi.
On ne visite pas le musée Notre objectif est de proposer
de sa ville tous les mois… une offre très ciblée pour répon­
J’ose croire que nous avons sus­ dre à la diversité de notre public.
cité une envie. L’importance et la Dès le premier confinement, nous
diversité de notre programma­ avons complété notre offre numé­
tion, les expositions, les accrocha­ rique sur les réseaux sociaux et
ges, les nocturnes, les week­ends sur notre site Internet : audiogui­
thématiques, les ateliers… consti­ des, dossiers pédagogiques, ta­
tuent une offre dynamique, qui bleaux à la loupe, collections en li­
nous permet de fidéliser un pu­ gne… La vidéo s’est ainsi rapide­
blic local, mais aussi d’attirer de ment imposée comme un formi­
nouveaux visiteurs nationaux. dable outil de diffusion de nos
Un Musée des beaux­arts doit collections et de nos expositions.
être aujourd’hui géré un peu Nous menons aussi plusieurs ac­
comme un théâtre ou une salle de tions spécifiques en direction des
spectacle. Il faut montrer que les jeunes. Nous donnons régulière­
collections permanentes vivent, ment des cartes blanches pour la
« L’Odyssée mener des acquisitions qui don­ Nuit européenne des musées à
sensorielle », neront envie de revenir. Il y a un des écoles d’art de Lyon. La pro­
salle Evasion côté spectacle vivant. grammation transversale des noc­
au Grand Nord , turnes (théâtre, musique, danse…)
en octobre. La course à la fréquentation des a contribué à augmenter la fré­
J.-C. DOMENECH/MNHN grands musées est­elle tenable ? quentation des publics jeunes.
Déjà, avant la crise, nous nous Pendant le confinement, nous
posions la question d’un modèle avons aussi tenu à accueillir des
alternatif. Le système producti­ jeunes en situation de précarité
viste sur lequel nous vivons a eu (opération « Sors de ta piaule »).
créatives », dans le cadre du qua­ pour conséquence de saturer l’of­ La nécessité est de trouver les
trième programme d’investisse­ fre des expositions en région bons relais. Mais les chiffres sont
ments d’avenir. Trente­six comme à Paris, dans une logique plus qu’encourageants : en 2020,
millions ont notamment été purement événementielle. La 28 % de notre public avait moins
budgétés pour « soutenir les inno­ crise due au Covid­19 a montré de 26 ans, 19 % si l’on ne compte
vations de rupture développées combien nos institutions étaient pas les scolaires. Je crois aussi
par de jeunes entreprises innovan­ fragiles, dans leur modèle écono­ beaucoup à la programmation
tes », notamment dans le do­ mique, mais aussi dans l’idée de hors les murs pour toucher
maine des technologies immersi­ permanence qui les sous­tend. de nouveaux publics. Nous
ves. Plusieurs autres plans de Un des défis à venir pour nous, cherchons à cet effet de nou­
soutien, chacun doté de 10 mil­ j’en suis persuadée, est de confor­ veaux espaces à Lyon et dans sa
lions d’euros, ont été également ter cette permanence. métropole.
lancés pour développer des « so­
lutions de billetterie innovantes » Va­t­on vers la fin des exposi­ Vous avez réuni art contempo­
ou aider à la « numérisation du tions « blockbusters » ? rain et beaux­arts dans un
patrimoine et de l’architecture ». Sans renoncer à programmer même pôle à Lyon. Pourquoi ?
« Mais attention, le numérique des expositions d’envergure na­ Le pôle des musées d’art de
ne peut pas tout non plus, tem­ tionale et internationale, nous Lyon n’a pas été le premier à em­
père Bruno David, le président travaillons à des projets d’exposi­ prunter ce chemin. Il s’est inspiré
du MNHN de Paris. Si on va au tion conçus à partir de nos collec­ de précédents à l’étranger,
Louvre, c’est pour voir de vrais tions. Nous en avons déjà orga­ comme celui des National Galle­
tableaux, pas des images. Je nisé deux sur ce modèle : « Penser ries of Scotland ou les regroupe­
prêche pour l’hypermatérialité en formes et en couleurs » au ments orchestrés à Manchester
des musées, pas pour les transfor­ MBA (de décembre 2019 à jan­ ou à Francfort. Je ne sais si notre
mer en Luna Park. Les nouvelles vier 2020) et « Comme un parfum modèle est duplicable. Mais il me
technologies apportent un d’aventure » au MAC (d’octo­ semble impossible aujourd’hui
complément intéressant, mais bre 2020 à juillet 2021). d’être un grand Musée des beaux­
restent un outil. » Un outil à ma­ Une troisième exposition, « A la arts sans faire une place à la créa­
nier avec d’autant plus de discer­ mort, à la vie ! Vanités d’hier et tion contemporaine. Et pour un
nement qu’il n’est pas bon mar­ d’aujourd’hui », sera proposée de Musée d’art contemporain, la
ché. Le MNHN a déboursé novembre 2021 à mai 2022. Ces question de la collection perma­
300 000 euros pour coproduire projets permettent de renouveler nente finit tôt ou tard par s’impo­
l’exposition « L’Odyssée senso­ le regard sur les collections per­ ser, d’autant plus que le XXe siècle
rielle ». De même, le nouvel es­ manentes en développant des est clos.
pace virtuel sur Léonard de Vinci thèmes transversaux, de l’Anti­ Ces deux mouvements naturels,
du Clos­Lucé a coûté 1 million quité jusqu’à la création contem­ inévitables, doivent être coordon­
d’euros à ses propriétaires.  poraine. Ces expositions ont reçu nés. Se réunir permet de proposer
cédric pietralunga un très bel accueil du public local. des programmations complé­
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La douce folie de Poupie

S É L E C T I O N   A L B U M S
J O HAN NES BRA HMS
The Violin Sonatas
Les trois sonates pour violon et piano,
« Sonate FAE » (« Scherzo »).
Avec Amaury Coeytaux (violon)
La chanteuse pop urbaine part en tournée avec son premier album et Geoffroy Couteau (piano).
Absolue réussite que cet album qui pro­
pose une intégrale des sonates pour
violon et piano de Brahms héritière de la version mythique en­
RENCONTRE registrée en 1967 pour Decca par Josef Suk et Julius Katchen.
Gestuelle ample, expressivité fervente et respiration généreuse,

E
lle a l’air un peu perchée, le Guadagnini coloriste d’Amaury Coeytaux (brillant primarius
comme ça, Poupie. La du Quatuor Modigliani) épouse la cause du piano ardent et
jeune femme aux longs corsé de Geoffroy Couteau, dont le corpus brahmsien constitue
cheveux roux a collé sur la pierre angulaire du répertoire. Un pur bonheur de musique,
ses ongles des petits nounours à intelligemment et subtilement distillé au fil des œuvres. De
qui elle a donné des prénoms. l’épanouissement sensuel de la Sonate n° 1 en sol majeur au ly­
Dans son premier album, sorti risme exalté de la Troisième sonate en ré mineur, en passant par
en septembre, Enfant Roi, la chan­ la radieuse Sonate n° 2 en la majeur. Sans oublier le frémissant
teuse de pop urbaine, qui est en « Scherzo » de la Sonate FAE qui conforte l’inscription de l’enre­
tournée dans toute la France jus­ gistrement au sommet de la discographie.  marie­aude roux
qu’en mars 2022, l’affirme claire­ 1 CD La Dolce Volta/Harmonia Mundi.
ment : « Je marche la tête à l’en­
vers. » Son disque, d’ailleurs, elle DO N C H ERRY
le trouve « aussi éclaté musicale­ The Summer House Sessions
ment que [son] cerveau : un peu 1968. Inédit. Une vieille bande. Elle som­
trap, un peu reggae, un peu pop ». nole depuis juillet 1968 dans les archives
Rencontrée dans un café pari­ du Centre for Swedish Folk Music and Jazz
sien, à côté de La Cigale, où elle Research. La musique de Don Cherry
jouera à guichets fermés le 23 no­ (trompette, compositions, expérience in­
vembre, elle en rajoute dans le térieure) – cet acte poétique, sa vie
personnage : « Je vis sur une autre même – dérouterait aujourd’hui autant qu’elle le faisait de son
planète, j’ai peu d’expérience dans vivant. Longue suite (premier CD), à couper le souffle. Les Sum­
le vrai monde. Il n’y a que les rela­ mer House Sessions, superbement enregistrées par Göran Freese,
tions humaines qui me connectent proposent, en style de stupéfiante furie drolatique, une voie que
à lui, mais sinon, là, par exemple, la musique eût pu prendre. La musique n’en a pas voulu. Dom­
je suis avec vous, mais je suis aussi mage. Don Cherry avait « joué » avec toutes les « stars » de son
ailleurs. » époque, mais Don ne jouait pas : il lançait son art de vivre pour
Etrange artiste que cette Pou­ rien. En 1968, Don Cherry vivait sa vie avec Moki, sa future
pie, que beaucoup de téléspecta­ épouse, à Stockholm, et regroupait Jacques Thollot, Kent Carter,
teurs ont découverte dans la hui­ Poupie, à Paris, plus d’autres aventuriers de cette musique qui n’aura pas pris…
tième saison du télé­crochet de en avril. NIKOLAS LORIEU Inédit bouleversant, inédit que l’on peut toujours tenter d’imiter.
TF1 « The Voice » en 2019. Histoire Quant à le rejoindre… Si l’on se souvient de la « famille de Don
d’entretenir encore plus le mys­ Cherry » au Festival d’été de Châteauvallon, festival en dehors de
tère, elle ne donne pas son âge : la route ordinaire (1972), on se doit de plonger dans l’hypothèse
« Ça dépend des jours, s’amuse pas révéler son nom de famille, Lyon, où elle a donné son premier heureuse des splendeurs de Don Cherry.  francis marmande
celle qui a également rappé sur
« Je vis sur une pour protéger ses parents, tous concert, organisé par ses sœurs 2 CD Blank Forms Editions.
l’album de Ben Mazué Paradis, autre planète, j’ai deux chefs d’entreprise spéciali­ dans la cave d’un bar. C’est la pre­
sorti en 2000. Aujourd’hui, je suis sés dans la restructuration de mière fois qu’elle a compris TH E W AR O N DRU GS
plutôt mature, je dirais 23 ans.
peu d’expérience sociétés. Aînée d’une famille de qu’elle pouvait gagner de l’argent I Don’t Live Here Anymore
Hier, j’avais 13­15 ans. » Son pré­ dans le vrai sept enfants, la chanteuse a passé avec la musique. La formation de Philadelphie The War on
nom de naissance est vraiment sa jeunesse dans plusieurs villes Car il ne faut pas se fier à son air Drugs récolte outre­Atlantique, depuis
Poupie. En revanche, elle ne veut
monde » françaises, dont Strasbourg et évaporé, Poupie a des préoccupa­ une dizaine d’années, un succès croissant
tions bien matérielles, comme et les récompenses, dont le Grammy
en témoigne son dernier clip Award du meilleur album rock en 2018,
pour le titre Dollar : « Le thème de pour A Deeper Understanding. Le leader de
l’argent revient souvent dans mes ce désormais sextet, Adam Granduciel, est un metteur en son
textes, reconnaît­elle, car cela re­ obsessionnel, géniteur de nappes atmosphériques d’une profon­
Palais des congrès et de la culture - Entrée gratuite vient souvent dans la vie. J’ai la
tête dans les nuages, mais bien
deur et d’une sophistication singulières (agrégation de claviers
incandescents, machines et halos de guitare), lui permettant de
les pieds sur terre. Mon père était revisiter habilement le panthéon du « classic rock » américain
chef d’une entreprise de renom­ des années 1980, Bob Dylan, Bruce Springsteen et Tom Petty. Si
mée internationale, ma mère en ce cinquième album s’inscrit peut­être un peu trop dans la
dirigeait une autre, mais, surtout, droite lignée de ses deux brillants prédécesseurs, il ne faut pas
elle gérait une famille de sept négliger son cœur : la qualité des compositions, intenses et buco­
enfants. C’est une sacrée organisa­ liques, interprétées avec introspection par Granduciel (au grain
33 tion, et beaucoup de manage­
ment. Je ne suis pas matérialiste,
de voix très dylanien) sur Harmonia’s Dream, Old Skin, I Don’t
Live Here Anymore ou Victim, réminiscence synthétique de The
mais j’aime avoir de l’argent pour Boys of Summer (1984), de Don Henley.  franck colombani
ne jamais être frustrée. » 1 CD Warner/Atlantic.

Etudes de management PARQ U ET CO U RTS


Elle a appris à jouer du piano sur Sympathy for Life

6-7 novembre 2021


celui que son père avait offert à sa Valeur sûre du rock des marges depuis le
mère. Avec l’argent de son pre­ début des années 2010, ces Texans adop­
mier concert, elle s’est acheté un tés par Brooklyn ont rarement déçu lors
clavier avec lequel elle s’est mise de leurs six albums précédents. Leur arti­
à composer, puis s’est lancée sanat abrasif a toujours proposé suffisam­
dans des études de management, ment d’espièglerie, de conscience sociale
qu’elle a terminées en Angleterre et de bouffées mélodiques affleurant du bitume pour qu’on leur
en 2018, pour s’envoler à destina­ reste fidèle. Nouvelle satisfaction avec ce septième opus qui, au­
tion des îles Canaries et Madrid, delà de leurs racines punk et lo­fi, s’essaie aux rythmes d’un
où elle a vécu un an, le temps de rock perturbé par le funk et les boucles rythmiques. Même si
participer à l’émission « X Fac­ Wide Awake ! (2018) jouait de quelques grooves, on n’avait jamais
tor » et de s’imprégner de musi­ vu le quartet tenter autant de pas de danse. Un samedi soir en­
ques latinas. fiévré à leur façon, avec ce qu’il faut de tempos claudicants, de
Dans son disque, elle chante en boîtes à rythme paupérisées, de riffs salis et de refrains têtus.
trois langues : le français, l’anglais Comme si le dance rock new­yorkais d’hier (un Plant Life très
et l’espagnol. Si la plupart de ses Talking Heads) et celui d’aujourd’hui (un Application/Apparatus
chansons, comme Filage et Faits, très LCD Soundsystem), nourri d’afro­beat (Sympathy For Life),
Bed Time Story, Si Bas, emprun­ de rock garage (le stoogien Homo Sapien) et de krautrock, fes­
tent au reggae – elle écoute beau­ toyaient entre anxiété et euphorie, fougue et frustration, non­
coup le groupe américain Rebelu­ chalance et nervosité.  stéphane davet
tion – ou au reggaeton, c’est parce 1 CD Rough Trade.
qu’elle trouve ce registre musical
« apaisant » et qu’elle écoute régu­ J USTIN ADAMS & MAU RO DU RA NTE
lièrement les groupes américains Still Moving
du genre, comme Groundation « Toute la musique est métissage, dans
ou SOJA. Elle a invité le rappeur chaque [genre], on peut trouver des élé­
marseillais Jul sur Feux parce ments d’ailleurs. » Ainsi parle Justin
qu’elle aime l’univers du rap et sa Adams. Ancien punk et guitariste de

Être humain ?
spontanéité : « Je trouve que, dans Robert Plant, il ne cesse de donner corps à
la pop, les artistes sont trop dans la cette certitude. Avec un certain panache.
retenue. » Et Poupie compte bien y Après l’avoir entendu inspiré et comme un poisson dans l’eau
apporter son petit grain de folie.  aux côtés de Tinariwen (dont il a produit les deux premiers
Forum coordonné et animé par Jean Birnbaum, responsable du Monde des livres stéphanie binet albums), de Terakaft (autre groupe touareg renommé), du Gam­
bien Juldeh Camara, de la Marocaine Najat Aatabou ou de la
Florence Aubenas | Dominique Avon | Étienne Balibar | Étienne Bimbenet | Stéphane Breton Enfant Roi, 1 CD Island Def Française Iness Mezel, le voici tout aussi à l’aise et juste avec le
Alain Caillé | Raja Chatila | Camille Froidevaux-Metterie | Donatien Grau | Jean-Marie Larrieu | Sandra Laugier | Patricia Lojkine Jam/Universal Music. son des Pouilles (sud de l’Italie), porté par Mauro Durante.
Andrea Marcolongo | Élisabeth Roudinesco | Marie-Françoise Sales En tournée jusqu’au Magnifique chanteur, également violoniste et percussionniste,
4 février 2022 : le 30 octobre le leader de Canzoniere Grecanico Salentino avait invité le
Entrée gratuite sur présentation du passe sanitaire à Niort, le 12 novembre à Annecy, Britannique sur le dernier album du groupe, Meridiana, paru cet
Port du masque selon conditions sanitaires en vigueur
le 14 à Saint­Lô (Manche), été. Réunis ici dans un duo fiévreux et intense, mariant blues du
Renseignements : forumlemondelemans.univ-lemans.fr le 17 à La Rochelle, le 18 à Rennes, delta et pizzica (ou taranta) du Salento, entre transe rythmique
le 19 à Tremblay­en­France et complaintes, guitare saturée et chant en vertigineuse apesan­
(Seine­Saint­Denis), le 20 à teur, ils ouvrent des voies inexplorées, proposent un voyage
Conception Agnès Stienne Esch­sur­Alzette (Luxembourg), aussi insolite que captivant.  patrick labesse
le 23 à La Cigale, à Paris. 1 CD Ponderosa Music Records/MDC/PIAS.
0123
DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021 culture | 23

Les si vivants fantômes de Bartabas


NO MINATIO N
Marie-Cécile Zinsou
nommée présidente de
la Villa Médicis de Rome
La Franco­Béninoise Marie­
« Cabaret de l’exil », au Théâtre Zingaro, propose un voyage dans le temps du Yiddishland Cécile Zinsou a été nommée,
jeudi 28 octobre, présidente
du conseil d’administration
de la Villa Médicis de Rome.
THÉÂTRE ÉQUESTRE côté du fort d’Aubervilliers depuis
1989. Et c’est une réussite : ce
Des chevaux ble de mélancolie et d’humour, et
de sa croyance indéfectible en une
Bartabas veut nous dire, avec ce
spectacle de dibbouks, de dé­
Née en 1982, formée en
histoire de l’art en France

P
resque quarante ans, Cabaret de l’exil à la fois caracolant beaux comme forme de renaissance. Un esprit mons, de djinns et de sorcières. et en Angleterre, elle a créé
déjà, que Bartabas che­ et nostalgique, hanté et porté par qu’incarne de tout son être le co­ Dans cette soirée portée par un en 2005 à Cotonou la Fonda­
vauche sur les ailes d’un une vitalité irrépressible, fait cha­
des astres et des médien Rafaël Goldwaser, posté feu intérieur, et par la mer­ tion Zinsou, qui promeut l’art
rêve. Des années à por­ virer le cœur et l’âme. cavalières et au bord de la piste comme une vi­ veilleuse musique klezmer de contemporain en Afrique.
ter haut l’utopie d’un théâtre gie en redingote noire, et qui fait l’ensemble Le Petit Mish­Mash, le Elle est la fille de Lionel
équestre d’art, d’une vie partagée « Résurrection des hommes »
cavaliers beaux entendre le texte à la fois en yid­ yiddish est une métaphore de son Zinsou, qui fut premier
avec les chevaux, en un dialogue C’est comme si tout était vu à tra­ comme des dieux dish et en français. « On me de­ théâtre, du théâtre en général, ministre du Bénin de
entre homme et animal qui n’a vers le filtre du temps, pris dans mande souvent pourquoi j’écris que d’aucuns voudraient classer juin 2015 à avril 2016. – (AFP.)
pas attendu les réflexions actuel­ les miroitements d’une lanterne dans une langue aussi morte, di­ comme une langue morte.
les pour s’épanouir, et pour créer magique, dans cette création qui dans le cadre d’un voyage dans le sait Singer. Pourquoi ? C’est parce « Tout, dans le monde actuel, PATRIMO INE
de la beauté et de l’émotion pu­ convoque les fondamentaux du temps et dans l’espace du Yiddis­ que je crois à la résurrection. Pas concourt à ce qu’une utopie Le Mexique demande
res. Presque quarante ans, et un Théâtre Zingaro. Il y aura des oies hland. Autrement dit de cette cul­ seulement à la résurrection des comme la nôtre meure, mais nous « l’annulation »
monde qui entre­temps semble et des colombes, des corbillards ture juive d’Europe de l’Est qui, langues, mais à la résurrection des sommes bien vivants », souffle de deux ventes d’art
avoir changé du tout au tout. cheminant sous la lune, des caval­ avec la Shoah, a été éradiquée de hommes. Une langue mourante… Bartabas. Suite à cette bonne nou­ préhispanique à Paris
Alors Bartabas, l’écuyer magi­ cades effrénées autour de la piste, son territoire géographique, pour parfait pour ceux qui ne sont ni vi­ velle, il ne reste plus qu’à lever son L’ambassade du Mexique
que, a eu envie de regarder en ar­ des mariées s’envolant comme devenir diasporique et métapho­ vants ni morts : les fantômes ! Rien verre de vin chaud et à pousser en France a demandé, jeudi
rière, de remonter le temps, celui dans un tableau de Chagall, et rique. Et, comme telle, bien vi­ ne convient mieux à une histoire un énorme et commun « Le­ 28 octobre, « l’annulation » de
de son Théâtre Zingaro et celui, bien sûr des chevaux beaux vante. Le spectacle est ponctué de de fantômes qu’une langue mou­ haïm ! » – « A la vie ! », en hébreu.  deux ventes aux enchères
plus ample, d’une culture à la fois comme des astres et des cavaliè­ bout en bout par le discours pro­ rante. Plus la langue est morte, fabienne darge d’art préhispanique prévues
disparue et toujours vivante : res et cavaliers beaux comme des noncé par le grand écrivain Isaac plus les fantômes sont vivants. » à Paris, invoquant le risque
celle du Yiddishland. Envie, aussi, dieux, défiant les lois de la pesan­ Bashevis Singer quand il a reçu le Le théâtre aussi est une histoire Cabaret de l’exil. Théâtre équestre que des œuvres du patri­
de revenir au cabaret équestre de teur du haut de leurs montures. prix Nobel de littérature, en 1978. de fantômes. Alors, peu à peu , Zingaro, 176, avenue Jean­Jaurès, moine mexicain y soient ven­
ses débuts, à la chaleur et à la Mais ce qui fait l’originalité de Un discours d’une portée assez au­delà de l’ivresse des cavalcades Aubervilliers. Mardi, mercredi, dues. Les ventes concernées,
convivialité de cette forme qui ce cabaret­là, c’est que Bartabas considérable, qui est à lui seul une et des numéros de voltige, au­ vendredi et samedi à 20 h 30, gérées par Artcurial et
sied particulièrement bien au enchâsse ses visions d’amour et quintessence de cet esprit ashké­ delà du pur plaisir que procure dimanche à 17 h 30, jusqu’au Christie’s, doivent avoir lieu
caravansérail tzigane installé à de mort, toujours somptueuses, naze, de son mélange indémêla­ son cabaret, on comprend ce que 31 décembre. De 21 € à 52 €. les 2 et 10 novembre. – (AFP.)

Au Palais Garnier,
Pierre Lacotte fait danser “UN FILM DE GANGSTER PERCUTANT” MELTY
Stendhal et Julien Sorel
Le chorégraphe de 89 ans adapte « Le Rouge
et le Noir », et le destin tragique de son héros,
pour le Ballet de l’Opéra national de Paris
MERCREDI
DANSE
AU CINÉMA
route, sur des musiques de
Massenet. Curieusement, s’il se

A lors que les adaptations


théâtrales, cinématogra­
phiques et télévisuelles
de romans emblématiques
comme Les Illusions perdues et
révèle long dans sa durée, il sem­
ble parfois trop rapide dans sa
progression dramaturgique. De la
scierie au jardin, de la chambre à
l’église, le découpage en seize
Eugénie Grandet, de Balzac, mais tableaux entraîne une narration
encore Germinal, de Zola, s’affi­ discontinue qui ne permet pas
chent dans les salles et sur les toujours aux personnages, no­
écrans, c’est une lecture chorégra­ tamment celui de Sorel, de s’enra­
phique du Rouge et le Noir, de ciner, de s’épaissir. Un phéno­
Stendhal, imaginée par Pierre mène accentué par les nombreux
Lacotte, qui est au programme du changements de décors, avec
Palais Garnier, à Paris. chutes de rideau devant le plateau
Cette version en trois actes de et attente en silence de la suite.
trois heures quinze, acclamée par Il n’empêche que, en lustrant le
le public, mercredi 27 octobre, est le côté somptueux et spectaculaire
gros morceau de saison du Ballet d’un grand ballet d’époque, Pierre
de l’Opéra national de Paris. Elle est Lacotte remplit sa mission. Le
la première production classique parti pris du noir et blanc, glissant
de cet acabit depuis Les Enfants du vers le sépia, des toiles peintes qui
paradis, créé en 2008 par José Mar­ plantent le contexte de façon réa­
tinez. Elle allonge des chiffres fara­ liste est une très belle idée. Les cou­
mineux. En scène, 104 danseurs leurs des costumes s’y incrustent
sur les 154 que compte la troupe, comme dans une gravure qui
une quarantaine de figurants, dix prend vie. De plus en plus sombre,
jeunes élèves de l’école de danse le spectacle joue avec le code cou­
de l’Opéra ! Elle fait aussi défiler leur de l’œuvre de Stendhal : d’un
400 costumes dessinés par La­ côté, le noir du clergé ; de l’autre, le
cotte, qui a aussi conçu les 35 toiles rouge de l’armée, mais aussi des
peintes du décor. Cette profusion sentiments, rappelés dans les
signe l’ambition de ce ballet narra­ robes des deux héroïnes : Mme de
tif, destiné à renouveler un genre Rênal et Mathilde de la Mole.
de moins en moins valorisé, tout Cette adaptation porteuse de
en distinguant l’héritage stylisti­ la mémoire chorégraphique de
que précieux de la compagnie. Lacotte, 89 ans, émarge au registre
des « ballets littéraires ». Ces pro­
Monstre textuel ductions, souvent imposantes,
S’attaquer à un monstre textuel occupent une case particulière
comme le roman écrit en 1830 par dans la danse classique. De L’His­
Stendhal exige d’avoir des nerfs. toire de Manon (1974), de Kenneth
Difficile de ramasser en trois heu­ MacMillan, à partir de l’œuvre de
res les enjeux emberlificotés du l’abbé Prévost, à La Dame aux Ca­
destin de Julien Sorel. L’ascension mélias (1978), de John Neumeier,
et la chute de ce fils de charpentier, d’après Alexandre Dumas fils, en
battu par son père, devenu noble, passant par Onéguine (1965), de
pour finir sur l’échafaud après John Cranko, d’après Pouchkine,
avoir tenté de tuer l’une de ses ces pièces marathons, au carrefour
amantes, sont un lourd écheveau, de la virtuosité technique et du jeu
entremêlant ambition indivi­ théâtral, sont des défis pour les in­
duelle et sociale, désir d’héroïsme, terprètes. Dans Le Rouge et le Noir,
passion des femmes, poids de la avec en tête les étoiles Hugo
religion et de la politique, noués Marchand, Amandine Albisson,
par des sentiments conflictuels Léonore Baulac et Stéphane
chez cet homme singulier. Bullion, leur fougue et leur talent
Resserré autour du thème de emportent le spectacle. 
l’amour, avec ses passages obligés rosita boisseau
de bal et d’ensembles parfois un
peu lourds, comme celui des sé­ Le Rouge et le Noir,
minaristes, Le Rouge et le Noir se­ par Pierre Lacotte. Palais Garnier,
lon Lacotte tient néanmoins la Paris 9e. Jusqu’au 4 novembre.
24 | télévision DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021
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Björn Andrésen, élégie sur une décrépitude avancée NOTRE


SÉLECTION
Un documentaire mortifère revient sur la vie de l’adolescent qui incarna Tadzio dans « Mort à Venise », de Visconti DIMANC HE 31 OCTO BRE

France Culture
Le Voyage en Israël
ARTE biologique ; une grand­mère qui 22.00 La documentariste
LUNDI 1ER - 23 H 05 voulait à tout prix que son petit­ Frédérique Pressmann a retrouvé
DOCUMENTAIRE fils soit célèbre ; la mort de son des diapositives d’un voyage de ses
deuxième enfant à l’âge de parents en Israël, en 1965. C’est le

C
eux qui n’ont en mé­ 7 mois ; l’empêchement d’une point de départ d’un cheminement
moire que la figure bou­ carrière de pianiste (on le voit passionnant dans les zones d’ombre
clée et marmoréenne de d’ailleurs écouter une bande sur de son histoire familiale.
Björn Andrésen, le Tad­ laquelle, à l’âge de 18 ans, il inter­
zio du film Mort à Venise (1971), de prète la virtuose Fantaisie­Im­
Luchino Visconti (que diffuse Arte promptu op. 66 de Chopin). LUNDI 1 E R NOVE MBRE
en première partie de soirée), vont Le film de Kristina Petri et Kris­
avoir un choc en découvrant, dans tian Lindström ne laisse pas in­ TV5 Monde
le documentaire L’Ange blond demne et pose un regard morti­ Entre les Bras,
de Visconti. Björn Andrésen, de fère un peu trop insistant sur la cuisine en héritage
l’éphèbe à l’acteur, ce qu’est devenu l’actuelle décrépitude de celui qui 23.55 Entre 2009 et 2012, à Laguiole,
celui que le réalisateur qualifiait fut « un jeune garçon incarnant dans l’Aveyron, Paul Lacoste a suivi
de « plus beau garçon du monde ». la beauté absolue », en le filmant le passage de relais entre le chef
Accompagné d’une musique sé­ de surcroît dans le cadre de l’Hô­ triplement étoilé au guide Michelin
pulcrale et filmé de dos par Kris­ tel des Bains du Lido, à Venise – où Michel Bras, et son fils Sébastien.
tina Petri et Kristian Lindström, fut tourné le film –, à l’abandon La transmission d’un savoir-faire,
un homme parcourt lentement depuis dix ans. sur fond d’images du plateau
un long couloir dans la pénombre Et le malaise est grand quand de l’Aubrac.
d’un bâtiment abandonné. Une Björn Andrésen dans « Mort à Venise » (1971), de Luchino Visconti. MARIO TURSI on entend, en conclusion, André­
ouverture lumineuse va laisser à sen tenir d’inquiétants propos
peine deviner les traits d’un crépusculaires tandis que sa sil­ MAR DI 2 NOVE MBRE
vieillard ascétique et barbu aux film qui propulsa sa gloire mon­ paru. En 1988, Etienne Faure lui quagénaire éludait beaucoup à houette décharnée est filmée
longs cheveux blancs. diale d’icône androgyne et le con­ avait consacré un court­métrage, propos d’une vie décidément face à la mer, rappelant les der­ TCM Cinéma
La séquence enchaîne directe­ traignit, après une marchandisa­ A la recherche de Tadzio, qui re­ moins lisse que la peau niers instants d’Aschenbach dans Dracula
ment sur les images de l’audition tion extrême de son image au prenait, en le traduisant, le titre d’ivoire de Tadzio, mais disait Mort à Venise, expirant face à « la 20.50 En 1992, Francis Ford
du jeune Suédois, il y a cinquante Japon, à tenter de se réinventer. d’Alla ricerca di Tadzio (1970), un clairement combien Mort à Ve­ beauté d’un ange de la mort » qui, Coppola revisite le mythe du prince
et un ans, alors que Visconti cher­ Mais sa carrière d’acteur se can­ documentaire tourné par Vis­ nise lui avait fait « plus de mal peut­être, lui faisait signe…  Vlad Dracul, devenu le vampire
chait un acteur « aux yeux couleur tonnera pour l’essentiel au do­ conti pendant les séances de cas­ que de bien ». renaud machart Dracula pour venger sa belle,
d’aube grise », puis, sans transi­ maine de la télévision suédoise. ting de Mort à Venise. Dans L’Ange blond de Visconti, Elisabeta, qui s’est suicidée pendant
tion, sur celles de l’appartement En janvier 2005, Björn André­ Björn Andrésen, aujourd’hui L’Ange blond de Visconti. Björn qu’il était à la guerre. Il l’imagine
crasseux de Björn Andrésen, « Plus de mal que de bien » sen s’était déplacé à Paris. Au grand­père, expose de manière Andrésen, de l’éphèbe à l’acteur, quittant la Transylvanie pour s’exiler
64 ans au moment du tournage Cependant, si l’on excepte un cours de l’émission « Le Je/Nous beaucoup plus explicite son exis­ de Kristina Petri et Kristian à Londres quatre cents ans plus tard,
du documentaire en 2019. grand « trou » de dix ans au cours de Claire », animée par Claire Cha­ tence : le suicide de sa mère alors Lindström (Suède, 2019, où il rencontre le sosie d’Elisabeta.
Il s’est beaucoup raconté de cho­ des années 1990, Björn Andrésen zal et produite par Michel Field qu’il n’avait que 10 ans ; un beau­ 52 minutes). Sur Arte.tv Un casting monstre : Gary Oldman,
ses sur la chute de l’ange après ce n’a jamais complètement dis­ sur la chaîne gay Pink TV, le quin­ père qu’il prenait pour son père jusqu’au 27 juillet 2024. Winona Ryder, Anthony Hopkins.

Huit femmes palestiniennes en résistance pour protéger leur culture


Architecte d’intérieur, chorégraphe, chercheuse… Mariette Auvray a sillonné Israël et les territoires occupés à la rencontre de ces militantes

LCP-AN voyage aux couleurs palestinien­ palestinienne et sa géographie mances jouées dans la rue. Mirna nes. Face à cette guerre d’usure, Gratien avec Inès Abdel Razek,
MARDI 2 - 20 H 30 nes et en apparence classique est éclatée, le voyage commence. Barnieh, artiste­chercheuse et où les moindres déplacements directrice du plaidoyer pour le
DOCUMENTAIRE en fait rempli de pierres qui Direction la Galilée, et la ville chef, dénonce l’appropriation de sont compliqués, les discrimina­ Palestine Institute for Public Di­
l’alourdissent. « C’est la sensation « mixte » d’Acre, à la rencontre de la cuisine palestinienne par la so­ tions légalisées et les espaces pu­ plomacy, Alexandra Schwartz­

E tre palestinien est un far­


deau, dans le sens où on
doit toujours se défendre,
se justifier », constate Ghadeer
Dajani. Cette trentenaire, archi­
qu’éprouvent tout le temps les Pa­
lestiniens », explique­t­elle.
En juin 2019, la documentariste
Mariette Auvray est allée à la ren­
contre de huit femmes trentenai­
Safaa Hathot. Dans ses jolis mor­
ceaux de rap, la chanteuse dé­
nonce autant les lois racistes
du gouvernement israélien que
le patriarcat. Des créatrices de
ciété israélienne, travaille à la ren­
dre visible et à la faire voyager,
quand les Palestiniens sont assi­
gnés à une mortelle immobilité.
De Haïfa à Ramallah en passant
blics accaparés, ces huit femmes
tracent des lignes d’horizon en
créant leurs propres espaces d’ex­
pression et de culture, et infligent
la défaite aux tentatives de déshu­
brod, directrice adjointe de la ré­
daction de Libération et ancienne
correspondante à Jérusalem, et
Georges Malbrunot, grand repor­
ter pour Le Figaro, spécialiste du
tecte d’intérieur à Bir Zeit, petite res pour raconter la culture pales­ mode se réapproprient des mo­ par Jérusalem, de la mode au cir­ manisation de leurs identités, Moyen­Orient. 
ville universitaire proche de Ra­ tinienne parce que, dit­elle, « elles tifs traditionnels palestiniens, que, le procédé du road trip et de réinjectant la vie et le mouve­ mouna el mokhtari
mallah, en Cisjordanie, présente, en sont pour moi les dépositaires » symbole de résistance, pour fa­ ses nombreux paysages est parti­ ment au sein de l’un des plus
sourire aux lèvres, les objets tout autant que « d’une certaine briquer des vêtements. culièrement pertinent pour longs conflits internationaux et Palestiniennes, de Mariette
qu’elle fabrique avec ses compa­ idée de résistance ». Samaa Wakeem, danseuse et montrer cette assignation mais de l’occupation. Auvray (France, 2020, 53 min).
triotes au sein de l’ONG Disar­ Après un rapide et utile rappel chorégraphe, ravive le passé de la aussi l’invisibilisation de la cul­ La diffusion du film est suivie Disponible sur LCP.fr
ming Design. Un oreiller de des faits sur la situation israélo­ ville d’Haïfa, à travers des perfor­ ture et de l’histoire palestinien­ d’un débat animé par Jean­Pierre jusqu’au 15 novembre 2021.

0123 est édité par la Société éditrice


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Article. 12. Porteurs d’informations. Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
0123
DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021 rencontre | 25

Catherine Corsini « Le sentiment 
de révolte me constitue »
ENTRETIEN La Fracture, le couple formé par Valeria Bruni
Tedeschi et Marina Foïs ressemble au mien en
tout point. Pour la première fois, il n’y a plus

A près La Belle Saison (2015) et Un


amour impossible (2018), adapté du
roman de Christine Angot, Cathe­
rine Corsini signe La Fracture, actuellement
en salle. A 65 ans, la réalisatrice met en
de filtre. J’ai mis très longtemps à assumer
mon homosexualité, à décider de vivre avec
Elizabeth, qui est aussi ma productrice.

Pourquoi ?
scène un couple de femmes au bord de la J’avais l’impression que si je le disais à ma
séparation, sur fond de crise des « gilets jau­ mère elle allait mourir. Elle voulait que je me
nes », un autoportrait. marie en blanc et que j’aie des enfants. J’avais
peur de décevoir, de ne pas être à l’endroit
Je ne serais pas arrivée là si… qu’on attendait de moi. C’est à la fois intime et
Si je n’avais pas trouvé dans une malle, à social. J’avais beaucoup d’amies comme moi,
l’âge de 7 ans, une liste de films rédigée avec qui se cachaient dans leur travail, faisaient
une écriture parfaite, des exemplaires des Ca­ semblant d’avoir des compagnons. C’était
hiers du cinéma et de Positif, des disques de compliqué, douloureux. Mais, rétrospective­
Brel et de Ferré, des programmes de théâtre ment, je suis heureuse d’avoir fait ce trajet.
de l’époque de Jean Vilar. Cette malle, donnée
par ma mère, appartenait à mon père, mort à Vous avez tourné votre premier film dans
la guerre d’Algérie, où il avait été envoyé les années 1980, les femmes réalisatrices
comme appelé, à 26 ans. Elle est restée long­ étaient alors peu nombreuses. Vous
temps dans ma chambre. Je suis tombée vivez­vous comme une pionnière ?
comme en adoration de ce qu’elle contenait, Pionnière, je ne sais pas, mais je suis tou­
habitée par le devoir de faire revivre la mé­ jours là. J’ai traversé trente années de cinéma.
moire de mon père. Il voulait devenir acteur Au Festival C’est dur d’y gagner sa place, encore plus pour
ou metteur en scène. Cet héritage m’a consti­ de Cannes, une femme. Les embûches sont plus nom­
tuée dans cet amour un peu dingue, radical, le 11 juillet. breuses, la reconnaissance plus lente. Long­
du théâtre d’abord, du cinéma ensuite. JULIEN MIGNOT/CONTOUR temps, la critique a été masculine, ce qui a im­
BY GETTY IMAGES primé une marque sur les choix, les goûts. Le
Où viviez­vous ? prix Louis Delluc, les directeurs de festival,
Mes parents vivaient à Paris, dans un petit que des hommes ! On vous dit avec condes­
deux­pièces, ils n’avaient pas d’argent et cendance que vous faites un « cinéma de
m’avaient confiée à mes grands­parents, à femme » ou que vous avez une « écriture fé­
Dreux (Eure­et­Loir). Ils venaient me voir le minine », c’est insupportable. A la sortie de
week­end. Ma mère était infirmière. Mon Poker, un journaliste a écrit, c’était censé être
père, qui avait quitté son village corse à l’âge un compliment : « Corsini filme comme un
de 15 ans, enchaînait les petits boulots. Anti­ homme. » Au secours ! J’ai eu la naïveté de
militariste, il espérait échapper à son service penser que le cinéma était en avance. En fait,
militaire en Algérie. Le maire du 10e arrondis­ il était en retard. Mais les choses changent.
sement, un Corse, qu’il avait sollicité, lui avait
répondu : « Je n’ai que des filles, mais si j’avais Sur les tournages, vous avez
un fils, je serais fier qu’il parte. » Alors, il est une réputation de dureté…
parti, en 1958. Il écrivait à ma mère des lettres J’ai besoin, pour mettre en scène, de con­
très belles, très douces. Il disait que l’Algérie Qu’avez­vous retenu de vos années centrer toute mon énergie. Celle­ci peut être
ressemblait à la Corse, mais évoquait son ar­ JE NE SERAIS PAS ARRIVÉE LÀ SI… Chaque d’actrice ? violente, impulsive. Je mets les acteurs dans
dent désir de rentrer. Il est mort un mois et Assez vite, je sens que le théâtre n’est pas un état de nerfs, de guerre, j’essaye de créer
demi après être arrivé, dans un accident de semaine, « Le Monde » interroge pour moi. Je passe des castings, fais quelques une dynamique, une tension, un état d’in­
camion stupide. Il s’appelait Antoine. spectacles avec des amis, mais ce n’est pas à la confort duquel peut surgir la grâce, le mira­
une personnalité sur un moment hauteur de mes rêves. En fait, j’ai un côté à la cle. J’ai toujours peur que les gens s’installent
Quel souvenir gardez­vous de lui ? fois masculin et féminin, les metteurs en dans quelque chose de confortable. Les ac­
J’avais 2 ans et demi quand il est mort. J’ai décisif de sa vie. Marquée très tôt scène ne savaient pas où me classer. Parfois, je teurs ont souvent tendance à se protéger, à
beaucoup pensé, rêvassé, à l’homme qu’il rentrais d’un cours en pleurs, parce qu’on discuter… Or il faut tenir sa vision. Mais
était. Il écrivait des poèmes, c’était un tendre. par la mort de son père, la m’avait dit : « On ne sait pas qui tu es ou si on j’étais plus dure au début de ma carrière que
Il avait la beauté des hommes de ces an­ peut te donner ce rôle. » Je ne me sentais pas maintenant.
nées­là, toujours élégants dans leurs costu­ cinéaste va trouver un exutoire désirable. Mon image était comme une glace
mes impeccables, ils ressemblaient tous à fêlée, avec des éclats partout. Pourquoi ?
Clark Gable ! A l’école, à « profession du dans le théâtre et le cinéma J’ai un problème de légitimité, j’ai mis du
père », j’écrivais « disparu ». Je me persuadais Comment passez­vous du théâtre temps à m’imposer. En tournage, on est
de manière un peu folle, obsessionnelle, au cinéma ? beaucoup regardé par les équipes, les acteurs.
qu’on me cachait des choses, qu’il n’était pas Je commence à aller beaucoup au cinéma J’avais peur qu’ils ne me trouvent pas à la
vraiment mort et allait venir me chercher. Comment avez­vous développé grâce à une amie du Conservatoire, Domini­ hauteur. Quand on fait un film, on cherche,
Veuve à 24 ans, ma mère parlait de lui comme cette passion pour le théâtre ? que Reymond. Je découvre surtout la Nou­ on doute. Je me dis que si je montre mes dou­
d’un être idyllique, irréel, presque un dieu, Quand m’a mère m’a reprise, nous avons velle Vague. J’ai un coup de cœur pour Go­ tes ils vont rigoler, s’enfuir, se dire : « Elle est
avec lequel elle disait avoir vécu une très vécu à Trilport, en Seine­et­Marne, une ville­ dard. Je lui envoie des lettres, il me donne nulle, elle ne sait pas ce qu’elle veut. » D’où la
grande histoire d’amour. C’était écrasant. Sur dortoir. J’allais au lycée à Meaux, les profs rendez­vous, on passe deux heures ensemble nécessité de se blinder, au risque d’afficher
les photos, je voyais un jeune couple heu­ nous emmenaient voir les spectacles de Pa­ au café. En 1983, je me lance avec un court­ une forme de dureté. Aujourd’hui, je montre
reux, avec des rêves, des projets. J’ai toujours trice Chéreau ou de Jean­Pierre Vincent, à Pa­ ¶ métrage, qui obtient un petit succès et davantage mes doutes : c’est un exercice salu­
trouvé qu’il s’agissait d’une immense injus­ ris. Plus tard, ce fut Strehler ou Mnouchkine. « La Fracture », tourne dans les festivals. J’en écris un taire de se perdre et de perdre les autres.
tice. Ce sentiment de révolte me constitue. J’étais subjuguée par l’incandescence, l’inven­ de Catherine Corsini, deuxième, qui reçoit un prix à Cannes. A
tivité du théâtre. Au fond de moi, quelque avec Valeria Bruni 30 ans, je réussis à faire mon premier long. D’où vient ce sentiment d’illégitimité ?
Vous avez donc été élevée chose exultait. En 2de, je suis tombée amou­ Tedeschi, Marina Foïs, Quand j’ai fait mon premier court, ma mère
par vos grands­parents… reuse de mon prof de français, avec qui j’ai fait Pio Marmaï, « Poker », en 1987… m’a dit : « Comment as­tu fait ? » Je ne con­
Ma grand­mère m’a élevée jusqu’à mes du théâtre jusqu’au bac. Et avec qui j’ai vécu actuellement en salles C’est un échec commercial et critique. Je naissais personne, n’avais pas d’appui. J’ai
7 ans. J’étais très attachée à elle, tandis que une grande histoire d’amour, pendant huit n’aime pas ce film non plus, ne m’y retrouve cherché une école pour me rassurer, m’aider
ma mère me terrorisait. Quand je la retrou­ ans, alors qu’il avait vingt ans de plus que moi pas. Je songe à tout arrêter. Pendant les trois à trouver ma place. J’ai l’impression d’avoir
vais le week­end, ça se passait mal, elle était et trois enfants. J’ai vécu cette passion pleine­ années qui suivent, je fais des téléfilms, dont toujours couru après cette reconnaissance,
comme une étrangère, je ne comprenais pas ment, mais elle m’a aussi éloignée des jeunes l’un – Interdit d’amour, avec une actrice qui un regard qui me donnerait l’autorisation.
ses gestes, sa manière d’être. Je pleurais, je de mon âge, conduite à une grande solitude. me fait beaucoup d’effet, Nathalie Richard – Après mon premier film, j’ai voulu faire l’Id­
voulais rentrer chez ma grand­mère, dont Et puis, ça s’est su et ça a fait scandale. Progres­ connaît un grand succès. Surtout, je passe ma hec [ancien nom de l’école de cinéma la Femis],
j’étais sous le charme, le joug. Elle me répétait sivement, j’ai cessé de rechercher une figure vie à jouer au poker et perds tout ce que j’ai mais n’y suis pas entrée, j’ai tout appris seule,
que ma mère était incapable de s’occuper de paternelle pour trouver ce que j’étais. Après gagné. Quand je tourne Les Amoureux, mon avec des questions entêtantes : est­ce que je
moi, qu’elle était une « femme de mauvaise cet homme, je suis tombée amoureuse d’une deuxième long­métrage, j’ai l’impression de sais faire ? Est­ce que je ne me trompe pas ?
vie ». Je pense aujourd’hui qu’elle tentait sim­ fille. J’ai compris que je n’étais pas hétéro­ repartir de zéro. Le film raconte l’histoire d’un
plement de vivre sa vie de femme. Quand elle sexuelle, mais j’ai mis du temps à me l’avouer. jeune homme qui a des difficultés à vivre son Dans « La Fracture », vous montrez une
m’a reprise, c’était un acte de rébellion, elle homosexualité, dans les Ardennes. Il est loué France entre crise de l’hôpital public et
s’affirmait enfin en tant que mère. A 18 ans, vous vous installez à Paris… par la critique, va à Cannes, mais c’est un nou­ crise des « gilets jaunes ». Pourquoi reve­
Dans une chambre de bonne, et je repasse vel échec commercial. J’ai compris depuis nir sur ce mouvement de 2018 ?
Quelle éducation avez­vous reçue ? mon bac – que j’avais raté – par correspon­ que, pour raconter des choses âpres, difficiles, Mon grand­père, le père de ma mère, un ra­
Très mauvaise ! Trop choyée par ma grand­ dance, je l’ai promis à ma mère. Je l’obtiens il fallait introduire du rire, savoir plaire aussi, dical­socialiste, avait fait sa thèse sur la Com­
mère, qui me passait tout, et dans le conflit avec mention. Je commence aussi à prendre pour que les gens ne soient pas écrasés par le mune. Cette répression terrifiante, par Adol­
avec ma mère, parfois violente, qui ne savait des cours de théâtre. Je rate le Conservatoire film, qu’ils aient envie de le voir. Aussitôt phe Thiers, est comme marquée dans ma
pas comment s’y prendre avec moi. J’étais deux fois. J’arrive treizième, juste derrière les après, j’ai écrit La Nouvelle Eve, un film plus lé­ chair. Les « gilets jaunes » se sont élevés con­
ballottée entre les deux. En même temps, ça douze admis, je décide de rester suivre les ger, séduisant, et ce fut un succès populaire. tre une forme de mépris de classe, ils ont ex­
me donnait énormément d’importance. cours, les profs ne savent pas vraiment si je Ce film est pour moi un tournant. primé certaines vérités. J’ai toujours pensé
D’où, en legs, une bonne dose d’égocen­ suis élève ou pas. J’essaye d’obtenir un statut, qu’il fallait entendre les sentiments de ré­
trisme ! J’étais en vrac, instable. Je m’évadais en vain. Pendant deux ans, je fais l’autruche, Dans « La Fracture », vous mettez volte et d’injustice, parce qu’ils disent quel­
dans les rêves, j’inventais des personnages, mais la situation devient intenable. Pour évi­ en scène un couple de femmes, au bord que chose du peuple, de la société. J’ai vécu
des amis imaginaires, moi­même je me ter de souffrir, je pars au Festival de Cannes, de la séparation. L’homosexualité l’utopie des années 1970, la non­violence, la
voyais comme quelqu’un d’autre, souvent j’ai 20 ans. Là, je découvre Sauve qui peut (la est en filigrane de votre œuvre… liberté et la tolérance, c’est loin ! Aujourd’hui,
comme un garçon, ça me donnait de la force. vie), de Godard. Je vois les fauteuils qui cla­ Oui, mais de manière biaisée. Dans La Nou­ la société est fracturée, oscille entre commu­
La seule chose que j’aimais, c’était être pre­ quent, les gens sortir de la salle, furieux, tan­ velle Eve, il y a un peu de moi aussi dans le per­ nautarisme et individualisme. Comment
mière en récitation, faire des petits specta­ dis que d’autres adorent. Moi, je trouve le sonnage joué par Karin Viard, une femme qui raccommoder, retrouver du lien ? Je crois
cles. Si je n’avais pas eu le théâtre, je ne sais film magnifique. Je bascule dans un autre se cherche… Mais je me cache encore. Le ci­ qu’il faut commencer par écouter. 
pas ce que je serais devenue. monde, le cinéma. néma est comme un miroir déformant. Dans propos recueillis par solenn de royer
IDÉES
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26 | DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021

APRÈS LA PANDÉMIE…
Quatre participants aux conférences des Journées de l’économie,
diffusées en ligne du 3 au 5 novembre, en partenariat
avec « Le Monde », tirent les leçons de la crise du Covid-19

Daniel Cohen Le Covid-19, un choc


qui ne ressemble à aucun autre
L’économiste souligne l’étonnante résilience de travailleurs, pour une raison simple et ma­ concentrés sur l’évolution du virus. Aus­
cabre : la mortalité crée une rareté des per­ sitôt qu’il régressait, la confiance reve­
l’économie des pays avancés face à la pandémie, sonnes susceptibles de travailler, laquelle nait, la consommation et l’embauche sui­
mais aussi les effets inattendus sur le marché de l’emploi, profite, dans une logique toute malthu­ vaient. Il y aura beaucoup à apprendre
sienne, à ceux qui survivent. des mécanismes mentaux qui ont été ac­
entre télétravail et pénuries de main­d’œuvre Le Covid­19 était censé être d’une tivés cette fois­ci.
nature différente : la crise n’était pas due Au­delà de la reprise économique et de
Le contexte

L
au nombre de morts stricto sensu, mais ses effets mécaniques sur l’embauche, il
Les Journées de l’économie aux politiques sanitaires destinées à les semble qu’une rupture qualitative plus
(JÉCO) 2021, gratuites et e Covid­19 a été une crise « totale », feu de la crise sanitaire, la rationalité du éviter. La déflation, plutôt que l’inflation, profonde soit à l’œuvre du côté des sala­
ouvertes à tous, proposent pour paraphraser l’anthropologue capitalisme numérique est apparue sous devait en résulter. La plupart des prévi­ riés eux­mêmes. Nombre d’employés ont
Marcel Mauss (1872­1950). L’Etat a un jour cru : gagner de l’efficacité en sions, en 2020, avaient ainsi anticipé, mis la crise à profit pour tenter de se re­
plus de soixante conférences dû prendre en charge l’organisa­ dispensant les humains de se rencontrer pour la France, un taux de chômage à convertir vers des emplois plus intéres­
diffusées, en direct, tion de l’espace public, profession­ en présentiel. De nombreuses activités deux chiffres. A la surprise générale, et à sants. Hôtels et restaurants, notamment,
du 3 au 5 novembre 2021. nel, voire familial, des transports ont fait l’expérience d’une dématérialisa­ la différence aussi des crises financières ont fait l’expérience des difficultés consi­
en commun − en décidant d’envoyer les tion inédite, dans la médecine par exem­ passées, les économies avancées ont fait dérables à retrouver leurs anciens person­
Les JÉCO, organisées par la
enfants à l’école ou non. Passé le premier ple, où un grand nombre de consultations preuve d’une capacité de rebond inatten­ nels. Aux Etats­Unis, la crise est désor­
Fondation pour l’université confinement, il est vite apparu que la ges­ ont dû se faire à distance. Le télétravail due, tant au niveau de la croissance qu’à mais rebaptisée The Great Resignation :
de Lyon, et dirigées par tion de la crise exigeait en réalité une co­ sera sans doute le legs le plus marquant celui de l’emploi. « la grande démission ». Le nombre élevé
production de l’Etat avec les agents privés de cette crise, avec ses promesses − une Le Covid­19 restera dans les annales de postes vacants témoigne des fortes dif­
Pascal Le Merrer, offrent une
− ménages et entreprises −, et de l’ensem­ plus grande autonomie− et ses risques comme la crise la plus violente, mais ficultés de recrutement, malgré un taux
grande diversité de sujets ble des personnels de santé. − un démantèlement accru des collectifs aussi la plus courte, d’après­guerre. Dès de chômage qui reste au­dessus des ni­
d’actualité abordés suivant C’est la cohésion de la société tout en­ professionnels. l’été 2020, après le premier confinement, veaux d’avant­crise.
un éclairage économique. tière qui a été testée. Comme le montre Au niveau macroéconomique, la pan­ l’économie avait montré une résilience Comme le dit l’économiste américain
une note du Conseil d’analyse écono­ démie de Covid­19 ne ressemble ni aux exceptionnelle. Chaque fois que la pres­ Paul Krugman, la pandémie a été l’occa­
Cette 14e édition, déclinée mique, la résilience des pays face au épidémies du passé, ni aux crises écono­ sion sanitaire s’est relâchée, les écono­ sion, pour de nombreux employés, de ré­
autour de la problématique Covid­19 a été intimement liée à la con­ miques traditionnelles. Les épidémies ont mies repartaient à la hausse. Avec la vacci­ fléchir à leur situation personnelle.
« Faire des utopies une op- fiance des populations envers leurs insti­ généralement un impact direct sur l’éco­ nation engagée dans les pays avancés, la « Beaucoup de ceux qui ont pu travailler à
tutions publiques, qu’il s’agisse du gou­ nomie à proportion du nombre de morts. reprise a été flamboyante. domicile ont réalisé à quel point ils détes­
portunité », propose des thé-
vernement ou de la communauté scienti­ Les économistes qui se sont penchés sur taient faire la navette [du domicile au lieu
matiques comme « Rebâtir fique (« Les Français au temps du Covid­ les exemples historiques ont conclu qu’el­ « La grande démission » de travail]. Certains, qui travaillaient dans
la souveraineté technologi- 19 : économie et société face au risque les étaient généralement bonnes pour les Comment l’expliquer ? Il y eut d’abord, l’hôtellerie et la restauration, ont réalisé,
sanitaire », CAE, n° 66). Préparer la pro­ dans la plupart des pays avancés, une im­ pendant leurs mois de chômage forcé, à
que », « Un chemin vers un
chaine crise, une nouvelle épidémie, un mense dépense publique destinée à évi­ quel point ils détestaient leur emploi. »
monde plus résilient ? », été caniculaire ou une crise alimentaire ter la perte de pouvoir d’achat des per­ Plutôt que de chercher à obliger les tra­
« Comment impliquer les obligera à tirer toutes les leçons de celle sonnes empêchées de travailler par la vailleurs à accepter à tout prix les emplois
citoyens dans la décision que nous venons de traverser. Il n’y aura distanciation sociale. Il y a aussi une dif­ délaissés, en réduisant les allocations
pas toujours un remède miracle comme férence majeure avec les crises financiè­ chômage par exemple, il vaudrait bien
publique ? », « Encastrer le vaccin pour les résoudre. res. Celles­ci aiguisent ce que l’écono­ mieux profiter de cette crise pour revalo­
l’économie dans l’écologie », D’un point de vue économique, les
NOMBRE D’EMPLOYÉS miste John Maynard Keynes appelait riser, au double sens du terme, les em­
« Penser l’économie post- grands gagnants de la crise ont été les ONT MIS LA CRISE les « esprits animaux » des investisseurs : plois concernés… 
Amazon, Apple, Netflix, dont la capitalisa­ la crise rend pessimiste, l’investissement
pandémie »…
tion boursière a explosé durant le confi­ À PROFIT POUR TENTER et l’embauche se bloquent, provoquant
Programme et inscriptions nement. Le virus est venu à point nommé une spirale déflationniste.
sur Journeeseconomie.org pour les acteurs du numérique, qui ont pu DE SE RECONVERTIR Si le Covid­19 l’a déjouée, au­delà du
mener une expérimentation grandeur VERS DES EMPLOIS rôle des mesures de soutien, c’est sans
nature de l’incorporation du monde doute parce que les « esprits animaux », Daniel Cohen est président de l’Ecole
physique dans le monde virtuel. Sous le PLUS INTÉRESSANTS cette fois­ci, sont restés obsessivement d’économie de Paris

Laurence Scialom un sens favorisant l’industrie. L’ouvrage de


deux historiens des sciences, Naomi Ores­
kes (Harvard) et Erik Conway (NASA), a po­
d’atténuer le caractère alarmant du ré­
chauffement climatique et/ou cherchant à
faire croire à l’existence d’incertitudes
éviter qu’ils soient « blacklistés ». Enfin, et
surtout, le recours systématique à l’argu­
ment des causes multifactorielles. Les en­

Les décisions publiques


pularisé l’expression (Les Marchands de dans les sciences climatiques. treprises d’agrochimie ont, par exemple,
doute, Le Pommier, 2012). Les auteurs dé­ Les méthodes des marchands de doute financé nombre d’études et de publica­
cortiquent, sur la base d’un travail d’archi­ ont été recensées par Naomi Oreskes et tions sur toutes les causes possibles de la
ves, comment les lobbys industriels ont Erik Conway. Y figure la dissimulation des disparition des abeilles autres que les

à la merci des
réussi à infléchir les décisions publiques positions de conflits d’intérêts de cher­ pesticides (frelons asiatiques, disparition
dans un sens favorable à leur intérêt en fa­ cheurs travaillant pour ou rémunérés par des haies, virus, etc.), qui amènent à con­
briquant artificiellement du doute et de la l’industrie, tout en étant consultés en tant clure que le phénomène est multifactoriel
controverse prétendument scientifique. qu’experts soi­disant indépendants par les et qu’il faut de nouvelles recherches avant

marchands de doute
Ces stratégies d’instillation du doute sont pouvoirs publics. de réglementer. De même, l’industrie su­
mobilisées sur des sujets majeurs d’intérêt crière a financé des recherches visant à
public comme l’usage des pesticides, les Briser les carrières de jeunes chercheurs minimiser le rôle du sucre dans l’épidé­
perturbateurs endocriniens, le tabac, l’al­ Autres techniques : les attaques visant à mie d’obésité et de caries chez les plus jeu­
cool, le réchauffement climatique et la décrédibiliser les chercheurs dont les tra­ nes. Gagner du temps, tel est le but recher­
perte de biodiversité. vaux nuisent à leurs intérêts, et à empê­ ché, et ça marche !

R
L’actualité ne cesse de nous abreuver de cher leur nomination à des postes pouvant Ces méthodes sont désormais très docu­
L’économiste décrit églementations environnementales révélations sur la « manufacture du leur nuire ; la capacité à briser les carrières mentées et les pouvoirs publics seraient
ou sanitaires, autorisations de mise doute ». Une récente étude a révélé que scientifiques de jeunes chercheurs. bien inspirés de s’en protéger et non de se
les méthodes utilisées ou de maintien sur le marché de Total avait conscience, dès 1971, de l’impact Stéphane Foucart, journaliste au Monde, désarmer par des lois qui renforcent l’im­
par les lobbys produits phytosanitaires, normes des énergies fossiles sur le réchauffement révèle dans son ouvrage Et le monde punité des marchands de doute, telle la loi
techniques… Les lobbys pèsent systémati­ climatique et qu’à l’instar d’Exxon, Total a devint silencieux (Seuil, 2019) qu’un sur le secret des affaires. Il en va de la con­
pour ralentir, bloquer quement sur les décisions publiques par activement participé à l’effort collectif des groupe de 70 scientifiques (biologistes, fiance citoyenne dans l’impartialité et l’in­
ou orienter dans leur différents mécanismes : « capture du régu­ sociétés pétrolières mondiales d’instilla­ toxicologues, ornithologues, entomolo­ tégrité des décisions publiques sur les su­
lateur », « portes tournantes » entre public tion du doute pour retarder toute politi­ gistes, spécialistes de la conservation, etc.) jets d’intérêt général. 
sens les politiques et privé, voire corruption, ou plus simple­ que publique visant à réduire les émis­ d’une vingtaine de nationalités, regrou­
publiques en matière, ment porosité entre monde des affaires, sions de gaz à effet de serre. pés au sein de la Task Force on Systemic
notamment, monde politique et haute fonction publi­ Les méthodes mobilisées sont similaires Pesticides, mène une recherche totale­
que, favorisée par le nouveau manage­ à celles qu’utilisa l’industrie du tabac niant ment indépendante des firmes sur les
d’environnement ment public et par un cadre cognitif com­ l’impact de la cigarette sur les cancers. causes réelles du déclin des insectes, des
et de santé mun. Ou encore instrumentalisation de la Dans le cas de Total, l’instillation du doute oiseaux et du reste du vivant, mais sans Laurence Scialom est professeure
science et « fabrique du doute » pour affai­ est passée par le financement de recher­ dévoiler les noms des scientifiques impli­ à l’université Paris-Nanterre, laboratoire
blir les réglementations et les orienter dans ches faisant diversion ou ayant pour objet qués – notamment les plus jeunes – pour EconomiX
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DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021 idées | 27

LA  CHRONIQUEDEJÉZABEL 
Elise Huillery des chercheurs démentent cette
simple observation. L’apparente
contradiction vient de ce qu’on
tégrés dans le régime commun de
solidarité. Faire de l’accompagne­
ment social une condition de
COUPPEY­SOUBEYRAN

Un revenu de base
appelle un « biais d’attribution » l’aide revient à écarter la très
selon lequel on interprète intuiti­
vement la situation comme « un­
tel ne cherche pas efficacement
grande majorité des jeunes : les
étudiants, les jeunes en emploi
très peu rémunérés et les jeunes
Il n’y a plus de pilote
dans le train de l’inflation
pour les jeunes
du travail parce qu’il touche le en recherche d’emploi, qui savent
RSA », alors que les raisons de son parfaitement ce qu’ils cherchent
inactivité sont autres : manque mais mettent, bien malgré eux,

L
d’accès à l’information, manque du temps à trouver. Pour quel­
de confiance en soi, décourage­ ques dizaines de milliers de jeu­ es grands argentiers de la planète
ment, honte, problèmes de santé nes, pour qui l’accompagnement veulent voir, dans les tensions infla­
La chercheuse plaide pour l’extension des aides mentale, etc. social est un réel besoin, on assi­ tionnistes actuelles, un phéno­ Jézabel Coup-
Un accompagnement social et gne des millions d’autres jeunes à mène transitoire qui, selon les pro­ pey-Soubeyran
sociales de droit commun aux 18­25 ans, professionnel peut alors être très la détresse financière et psycholo­ jections du Fonds monétaire internatio­ est maîtresse
les dispositifs qui leur sont destinés utile, mais ce n’est pas la peine gique. Les effets pervers du défaut nal, devrait culminer à 3,6 % d’ici quel­ de conférences,
d’en faire une condition car ce d’accès des jeunes d’origine mo­ ques mois dans les pays avancés. Ils ont université Paris-I-,
ne parvenant pas à les sortir de l’ornière n’est pas l’aide qui provoque deste à un revenu de base sont peut­être raison, car ce rebond d’inflation Ecole d’économie
l’inactivité, l’inactivité existerait potentiellement beaucoup plus n’est pas dû à une surabondance de mon­ de Paris
même sans aide car la vraie cause importants que les effets pervers naie dans l’économie réelle. Mais ils

N
est ailleurs. L’idée de l’assistanat du prétendu « assistanat ». auraient alors tort de le croire gérable par
on seulement les jeunes prestation à des jeunes. Cet « assis­ est en fait une erreur de logique. Pour sortir de ce cercle vicieux, les banques centrales s’il persistait, car il n’y a plus de pilote dans
sont les plus touchés par la tanat » les pousserait à la fainéan­ Or, à l’heure actuelle, tous les il est temps de reconnaître que ce train de l’inflation supposé ne pas pouvoir dérailler. La commu­
pauvreté, mais ils sont tise ; ceux qui cherchent un em­ dispositifs existants ou en dis­ les jeunes adultes sont globale­ nication, en tout cas, va bon train, pour dire le caractère tempo­
aussi ceux qui ont le plus ploi pourraient se contenter de cussion sont ancrés dans cette er­ ment des personnes responsables raire des tensions inflationnistes actuelles et parvenir à ancrer les
souffert de la crise du Covid­19. jouer à la PS4 ; ceux qui étudient reur de logique. La « garantie jeu­ et motivées, qui feraient proba­ anticipations d’inflation au niveau de la cible (de 2 %) des grandes
Selon les derniers chiffres dispo­ ne verraient plus l’intérêt d’aller nes », destinée aux 16­25 ans sans blement des choix très judicieux banques centrales. Les économistes de la Banque de France s’en
nibles de l’Insee, en 2019, 12,5 % en cours ; ceux qui travaillent emploi et sans formation, vivant si on leur permettait de ne plus sont fait récemment l’écho, en expliquant que l’inflation élevée
des 18­29 ans ont eu un niveau de pourraient préférer diminuer leur en dehors du foyer familial, est être pris à la gorge par la précarité de 2021 reflète « une normalisation après le creux de 2020 ainsi que
vie inférieur au seuil de pauvreté nombre d’heures de travail et tou­ conditionnée par un accompa­ financière. la hausse du prix de l’énergie et des biens manufacturés » et, qu’à
(soit 50 % du revenu médian), cher un complément de l’Etat. Si gnement. Sa durée est réduite à Quand le soutien financier de la plus long terme, « la reprise économique devrait permettre une re­
alors que ce taux est de 8,3 % pour de tels effets pervers peuvent exis­ douze mois, et l’accompagne­ famille est absent en raison de montée plus durable de l’inflation du niveau général des prix et des
l’ensemble de la population, et d’à ter pour certains jeunes – en géné­ ment en limite par construction trop faibles revenus ou de liens salaires, en deçà toutefois des 2 % ». Cette communication active
peine plus de 3 % pour les plus de ral en difficulté psychologique et le nombre de bénéficiaires puis­ coupés, les jeunes doivent tous des banques centrales se justifie par le fait que l’inflation dépend
65 ans. On ne connaît pas encore qu’il serait d’ailleurs bon de pren­ qu’il faut mettre, en face de cha­ pouvoir bénéficier de la même so­ beaucoup de ce que tout le monde pense qu’elle sera. Peut­être
le taux de pauvreté en 2020, mais dre en charge –, ils sont si limités que jeune, des accompagnants lidarité que n’importe quel adulte est­ce toutefois le seul instrument de leur boîte à outils actuelle
l’Insee indique que les jeunes sont qu’ils n’ont jamais pu être confir­ dans les missions locales. de plus de 25 ans. Il se pourrait que qui puisse encore avoir un quelconque effet sur l’inflation.
ceux pour qui la hausse du chô­ més par les travaux statistiques. l’on soit alors surpris de constater Au­delà de l’influence de leurs discours, les banques centrales
mage a été la plus forte en 2020. L’idée d’« assistanat » est une Cercle vicieux qu’ils étudient dans des condi­ n’auront pas de capacité à piloter, si elle venait à persister, une
A cette forte incidence de la idéologie intuitive et profondé­ Les intentions du futur dispositif tions plus sereines, réussissent inflation qui ne provient pas d’une surabondance de monnaie
pauvreté chez les jeunes, notre ment ancrée. Elle provient de en discussion, qu’on l’appelle mieux leurs examens, poursui­ dans l’économie réelle. Ce ne sont pas, comme le voudrait l’image
système social ajoute une diffi­ l’observation empirique que telle « garantie jeunes universelle » ou vent leurs études plus longtemps, d’Epinal de la planche à billets, les tombereaux de monnaie
culté supplémentaire : le principe ou telle personne touche le RSA « revenu d’engagement », demeu­ définissent un projet profession­ centrale déversés sur les banques et les marchés qui expliquent
de dépendance des jeunes adul­ et ne cherche pas efficacement rent les mêmes : accompagner les nel plus solide, élargissent leur re­ l’inflation actuelle. En tout cas pas telle que la définissent et la
tes envers la solidarité familiale. du travail, alors que les travaux jeunes sans formation ni emploi cherche d’emploi, et trouvent des mesurent les instituts de statistiques et les banques centrales :
Les 18­25 ans n’ont pas droit au selon une logique de « devoirs et emplois de meilleure qualité. Il une hausse généralisée des prix à la consommation, en excluant
RSA. Cette logique impose aux de droits », pour reprendre la for­ faudrait au moins essayer et se le prix des actifs financiers et en ne prenant que très faiblement
jeunes d’origine modeste, qu’ils mule du président de la Républi­ donner les moyens de mesurer les en compte celui de l’immobilier. Ces tombereaux ont, en effet,
soient en études, en formation, que. Les jeunes concernés tou­ effets sur la formation, l’emploi et redoublé l’activité des marchés financiers et de l’immobilier
en recherche d’emploi ou en em­ cheront une allocation pouvant la santé, pour finalement adopter mais n’ont pas rempli de billets les poches de tous les ménages.
ploi précaire, une situation de dé­ aller jusqu’à 500 euros par mois les mesures qui s’avéreront les
tresse financière que la crise sani­
L’IDÉE en contrepartie d’un parcours de plus efficaces.  Bulles spéculatives
taire n’a fait qu’aggraver. D’« ASSISTANAT » formation ou de l’exercice d’une L’inflation actuelle ne puise ainsi pas sa source dans une sur­
Pourquoi exclure les jeunes activité adaptée à leur profil. chauffe de la demande que l’offre ne parviendrait pas à suivre.
adultes de la solidarité nationale ? EST UNE IDÉOLOGIE Si un accompagnement pré­ C’est surtout l’offre qui peine à se rétablir à son niveau d’avant la
La raison est idéologique : nos diri­ sente un réel intérêt pour des jeu­ crise sanitaire du fait de problèmes d’approvisionnement et de
geants politiques, et une grande INTUITIVE nes sortis du système scolaire l’augmentation du prix des matières premières et de l’énergie.
partie de l’opinion publique, re­ ET PROFONDÉMENT sans projet professionnel bien dé­ Elise Huillery est professeure Cette inflation pourrait même continuer d’affaiblir la demande
doutent des effets supposément fini, il ne répond aucunement au d’économie à l’université Paris- globale en réduisant le pouvoir d’achat des ménages modestes
pervers liés au versement d’une ANCRÉE besoin de tous les jeunes d’être in­ Dauphine et à Sciences Po pour lesquels ces augmentations de prix pèsent sur des postes
majeurs de dépense (transport, chauffage et éclairage, alimenta­
tion), sans compter la hausse des prix immobiliers qui se réper­
cute sur les loyers. L’inflation n’est pas, ou plus, le phénomène
monétaire que l’économiste américain Milton Friedman voulait

Emmanuelle Auriol Un recours à l’immigration


y voir en son temps. Quand il écri­
DE QUELS OUTILS  vait, en 1971, dans Inflation et systè­
mes monétaires, « la cause immé­
DISPOSENT diate de l’inflation est toujours et par­
tout la même, un accroissement anor­
LES BANQUES  malement rapide de la quantité de

Face aux pénuries CENTRALES monnaie par rapport au volume de


des salariés de manière durable sur le marché aux talents. La France, sixième puissance éco­ production » (trad. Arnaud Patet dans
de main­d’œuvre, l’économiste de l’emploi. Mais étant donné l’ampleur de la nomique mondiale, n’est que dix­neuvième au AU­DELÀ DE  Les Grands Penseurs de l’économie,
pénurie, ce sera loin d’être suffisant, d’autant classement mondial « compétitivité et ta­ Ed. Eyrolles, août 2021), le capita­
préconise de restaurer plus que certains chômeurs n’ont aucune qua­ lents » élaboré par l’Insead, l’Institut européen L’INFLUENCE DE  lisme n’était pas financiarisé comme
l’attractivité de la France lification et sont difficilement employables. d’administration des affaires, sur la capacité LEURS DISCOURS ? aujourd’hui, l’activité des banques
Face à de telles difficultés, la solution qu’uti­ d’un pays à attirer, produire et retenir des ta­ était tournée vers l’économie réelle
pour les immigrés, lisent les plus grosses entreprises, quand leur lents. Loin derrière la Suisse, Singapour et les − du crédit aux entreprises en
mise à mal par des décennies processus de production le leur permet, est de Etats­Unis, l’Hexagone est devancé par les pays grande partie − et la monnaie circulait bien moins dans la sphère
délocaliser une partie de leur activité à l’étran­ scandinaves, l’Allemagne, les Pays­Bas ou en­ financière. L’activité des banques s’est, depuis, largement tour­
de politique restrictive ger, là où la main­d’œuvre dont elles ont be­ core le Royaume­Uni. née vers les marchés financiers, avec une part de transactions
soin est abondante. Cette solution est évi­ Comment un pays qui, jusqu’au siècle der­ (« Repo », dérivés…) entre banques, ou entre banques et « sha­
demment moins bénéfique à l’économie nier, attirait l’élite internationale des arts, des dow » banques, qui mobilisent et font circuler les réserves qu’el­

A
française que de créer de l’activité économi­ lettres et des sciences, futurs Prix Nobel, lau­ les ont à la banque centrale, mais qui ne font pas toutes augmen­
lors que la très forte reprise économi­ que sur le territoire national. réats de la médaille Field et d’autres prix – à ter la masse monétaire ou bien la font circuler beaucoup plus que
que laisse entrevoir une possibilité Une autre solution est alors de faire appel à l’instar de Marie Curie, de Georges Charpak, par le passé dans la sphère financière.
historique de renouer avec la crois­ la main­d’œuvre étrangère. C’est ce que font du généticien Boris Ephrussi ou des mathé­ Résultat : en même temps que les banques centrales mettent
sance et le plein­emploi dans notre traditionnellement d’autres pays européens maticiens Benoît Mandelbrot et Alexandre de plus en plus de monnaie centrale à la disposition des banques
pays, la pénurie de main­d’œuvre menace comme la Suisse, le Luxembourg, le Royau­ Grothendieck –, a­t­il pu, à rebours de son his­ − la base monétaire a été multipliée par huit depuis 2008 dans la
d’étouffer cet élan. En effet, 50 % des entrepri­ me­Uni, ou encore l’Allemagne, qui ont tous, toire et en l’espace de quelques décennies, dé­ zone euro −, les banques commerciales mettent aussi plus de
ses françaises se plaignent de ne pas pouvoir proportionnellement à leur population, une grader son aura internationale à ce point ? monnaie à la disposition de leurs clients mais dans des propor­
recruter, et bon nombre d’entre elles finissent immigration plus élevée que celle de la Un facteur­clé a été la mise en œuvre par les tions bien moindres − les dépôts bancaires, billets et pièces, n’ont
par renoncer à créer de l’activité supplémen­ France, en flux comme en stock. gouvernements successifs, de gauche comme fait « que » tripler dans le même temps − et sans que le niveau gé­
taire faute de trouver les salariés dont elles de droite, de politiques migratoires de plus en néral des prix à la consommation augmente… jusqu’aux tensions
ont besoin. Avec plus de cent métiers classés Climat d’hostilité plus restrictives, dans le but de contrer la récentes. En tout cas, les banques centrales ne sont pas parvenues
« en tension », de nombreux secteurs sont De fait, notre pays est aujourd’hui très peu montée de l’extrême droite. Face à un tel cli­ à ramener le taux d’inflation à leur cible quand il était trop bas, et
touchés et tous les niveaux de qualification compétitif sur ce sujet. Il souffre d’un déficit mat d’hostilité auquel, dans le cas de ressor­ ne parviendront pas davantage à le faire baisser s’il la dépasse.
sont concernés. Ainsi, parmi les dix métiers d’attractivité auprès des candidats à l’immi­ tissants de pays tiers, s’ajoutent des tracasse­ Comme la stabilité des prix demeure au cœur de leur mandat,
les plus recherchés (hors saisonniers) on gration de travail comme l’illustre la faible im­ ries administratives sans fin, les candidats à les banques centrales n’ont pas d’autre choix que de se prétendre
trouve, pêle­mêle, des agents d’entretien, des migration intra­européenne. Parmi le flux l’immigration de travail, notamment les per­ capables de piloter l’inflation. Mais que se passera­t­il si, pour
aides­soignants, des aides à domicile, des em­ d’immigrés arrivant chaque année en France sonnes qualifiées, n’ont aucune envie de ve­ répondre à ces tensions inflationnistes, elles remontent les taux ?
ployés de la restauration et de libre­service, (de l’ordre de 270 000 personnes), les ressor­ nir chez nous. Ils privilégient des destinations Le revenu global ne sera guère plus affecté à la baisse qu’il ne l’a été
des ouvriers non qualifiés manutentionnai­ tissants de l’Union européenne (UE) n’en plus accueillantes, chez nos concurrents euro­ à la hausse par leurs actions précédentes. L’inflation non plus.
res, des agents de sécurité et de surveillance, constituent qu’un tiers ; 4,6 % de la population péens, au Canada ou aux Etats­Unis. A force En revanche, les prix des actifs financiers, qui ont beaucoup aug­
mais aussi des infirmiers, des ingénieurs, des totale sont issus de pays tiers et seulement d’avoir fait de la lutte contre l’immigration menté à mesure que les taux ont baissé, pourraient alors forte­
cadres et responsables de l’informatique. 2,4 % de l’UE. Cela classe la France derrière le une priorité nationale, ce sont nos entreprises ment chuter. Si des bulles spéculatives se sont formées, elles
Bien plus inquiétant que les tensions sur les Luxembourg, l’Autriche, la Belgique, l’Irlande, qui, faute de travailleurs et de talents exté­ exploseront. Il se produira la même chose si les banques centrales
marchés des matières premières, de l’énergie l’Allemagne, l’Espagne, le Royaume­Uni (pré­ rieurs, finiront par immigrer ailleurs.  réduisent leurs achats d’actifs, avec une conséquence potentielle
ou des produits semi­finis, qui devraient se ré­ Brexit), le Danemark, la Suède, l’Italie, les Pays­ encore plus lourde pour les Etats de la zone euro car, faute d’union
sorber assez rapidement, ce problème est Bas, et même Chypre et Malte. budgétaire, les taux souverains remonteraient en ordre dispersé
structurel. En effet, de nombreuses entrepri­ Les Européens, qui sont libres de s’installer et la dette de certains deviendrait plus difficile à rouler. Gagne­
ses ne trouvaient pas non plus de salariés où ils veulent dans l’UE, « votent avec leurs ront­elles alors à ne rien faire, sinon continuer de parler à l’oreille
avant la crise du Covid­19. La réforme de l’as­ pieds » et, le moins qu’on puisse dire, c’est des marchés ? Peut­être, mais si l’inflation temporaire se mue en
surance­chômage, en réduisant les indemni­ qu’ils ne plébiscitent pas la France. Le retard est Emmanuelle Auriol est professeure inflation persistante, ces oracles finiront par se révéler plus véné­
tés liées au travail en CDD, devrait remettre aussi considérable dans la course mondiale à l’Ecole d’économie de Toulouse rés que vénérables… 
0123
28 | idées DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021

Claire Mellier
« La notion d’équité
devrait être au cœur
des débats
de la COP26 »
La coorganisatrice L’expérience est inédite à l’échelle de
la planète. Comment travaillez­vous ?
de l’assemblée L’assemblée est composée de cent
citoyens tirés au sort, représentatifs de la
de citoyens, inaugurée population mondiale, dont dix­huit Chi­ YANN LEGENDRE
nois, dix­huit Indiens, cinq Américains,
lors de la COP26, dix­sept Africains… Elle est aussi représen­
estime que cet exercice tative des disparités de développement
dans la population mondiale : environ
démocratique devrait 60 % des citoyens tirés au sort gagnent
moins de dix dollars par jour.
être généralisé et Les travaux en ligne ont débuté le 7 oc­
tobre en alternant les séances plénières
intégré aux différentes et le travail en groupe, plus facile à orga­ trente chercheurs observe aussi les semble pas être la solution car elle risque
niser compte tenu du décalage horaire. délibérations afin d’analyser comment de limiter la créativité. Dans les deux cas,
institutions qui Les plénières ont toujours lieu le samedi vont évoluer les dynamiques de prise au Royaume­Uni comme en France, la
et nécessitent que certains se lèvent tôt de parole, en fonction du pays d’origine, conception de la délibération n’a pas per­
régissent nos sociétés le matin et que d’autres se couchent du niveau d’études, du genre… mis que des questions de fond, notam­
tard. Pour les séances plus régulières, ment sur le modèle de développement
vingt groupes de cinq citoyens ont été Le fait que les citoyens n’appartien­ économique, soient vraiment abordées
constitués en fonction de la longitude nent pas tous à des Etats démocrati­ dans les conclusions. La croissance éco­
ENTRETIEN des pays d’origine, ce qui offre à chacun ques et qu’ils n’ont pas la même nomique est­elle compatible avec les poli­

C
un créneau horaire convenable. culture politique pose­t­il problème ? tiques pour le climat ? Le produit inté­
C’est un paramètre important et assez rieur brut peut­il demeurer l’unique me­
laire Mellier est l’une des initia­ Pourquoi des citoyens ordinaires inédit. Des participants viennent de pays sure de développement ? Les citoyens
trices de la première assemblée trouveraient­ils des solutions non démocratiques, d’autres de démo­ français ont bien identifié ces points de
mondiale de citoyens sur le cli­ quand les Etats n’y arrivent pas ? craties qui connaissent des crises politi­ blocage lors du premier week­end, mais
mat qui a démarré ses travaux La crise climatique oblige à travailler à la ques. Une grande attention est portée au ensuite, la convention s’est organisée
en octobre. Auparavant elle a fois sur le long terme et dans l’urgence. Il respect de l’anonymat pour les citoyens autour de cinq thématiques : transport,
participé à la conception ou à faut lancer rapidement les changements qui le demandent. La sécurité de chacun logement, alimentation… La forme même
l’animation d’une dizaine d’assemblées sociétaux indispensables dans un souci doit être garantie. Aucun gouvernement du processus n’a pas permis de revenir
citoyennes sur la crise climatique, dont de justice sociale vis­à­vis des générations DES CITOYENS n’intervient dans le processus. Les ci­ sur ces grands enjeux systémiques.
celles du Royaume­Uni et d’Ecosse, et a futures et aussi des populations toyens auront­ils tous le sentiment qu’ils
aussi observé, en tant que chercheuse, la d’aujourd’hui. Or les gouvernements sont
TIRÉS AU SORT peuvent s’exprimer librement ? Nous On a vu, en France, la difficulté
convention citoyenne pour le climat en soumis à une temporalité de court terme, N’ONT PAS BESOIN n’avons pas le recul suffisant à ce stade d’intégrer le travail de la convention
France. Elle explique l’intérêt et les diffi­ souvent limitée à la durée de leur man­ pour le savoir. Une chose est sûre, on ne citoyenne aux processus institution­
cultés d’un panel mondial, et montre dat. Des citoyens tirés au sort n’ont pas DE SE FAIRE RÉÉLIRE, demande pas aux participants d’être d’ac­ nels de décision. Comment cette arti­
aussi comment les modes d’organisation besoin de se faire réélire et ne sont pas cord sur un modèle démocratique idéal. culation peut­elle s’opérer à l’échelle
de ces dispositifs, en donnant plus ou soumis aux lobbys, ce qui leur confère CE QUI LEUR CONFÈRE Il n’existe aucune attente sur ce sujet. d’une gouvernance mondiale ?
moins de marge de manœuvre aux une grande liberté pour élaborer des UNE GRANDE LIBERTÉ L’assemblée mondiale est née, non pas
citoyens, peuvent jouer un rôle dans les recommandations dans l’intérêt général. Vous avez participé à une étude de la décision des Etats ni des institu­
conclusions qui en découlent. L’urgence climatique est un révélateur POUR ÉLABORER DES comparative entre la convention tions des Nations unies, mais à l’initia­
des problèmes aigus de justice à l’échelle citoyenne française pour le climat tive de la société civile. Elle a reçu le
L’assemblée citoyenne mondiale sur mondiale. La notion d’équité devrait être RECOMMANDATIONS et son équivalent britannique. soutien, au cours des derniers mois, du
le climat va présenter le 1er novembre
ses premières recommandations dans
au cœur des débats de la COP, mais on
constate aujourd’hui que des représen­
DANS L’INTÉRÊT Qu’avez­vous constaté ?
Cette comparaison est intéressante car
président britannique de la COP26, Alok
Sharma, et du secrétaire général des
le cadre de la COP26. Pourquoi avoir tants de pays émergents ont de grandes GÉNÉRAL les méthodologies de ces dispositifs ont Nations unies, Antonio Guterres. Mais ce
organisé ce dispositif ? difficultés à venir à Glasgow [en Ecosse]. été assez différentes. Par exemple, les n’est pas parce qu’on dispose d’un sou­
Le changement climatique est une crise La justice sociale est centrale dans la organisateurs de la convention française tien, voire d’un mandat officiel, que les
à l’échelle mondiale, mais les décisions question posée à l’assemblée mondiale, ont fait le choix de recruter un facilita­ propositions seront appliquées.
qui permettraient d’y remédier dépen­ comme elle l’était pour les citoyens de la teur par groupe de trente­six personnes, Lorsqu’il a fallu décliner dans la loi les
dent des politiques publiques que seuls convention citoyenne française ou de tandis qu’au Royaume­Uni, c’était un recommandations des 150 citoyens de la
les Etats ont le pouvoir de mettre en place l’assemblée écossaise. pour sept. La France a donc opté pour une convention citoyenne pour le climat,
à l’échelle nationale. Malheureusement, forme d’autorégulation de la délibération la promesse du « sans filtre » présidentiel
on voit bien que le processus de gouver­ Comment la délibération s’organise­t­ citoyenne. Je dois avouer que j’étais assez s’est progressivement muée en un par­
nance mondiale mis en place au sein de la elle, compte tenu des différences sceptique au départ du fait des risques de cours compliqué. Au Royaume­Uni éga­
COP et fondé sur les négociations entre culturelles et des inégalités sociales ? déséquilibre dans la prise de parole. Mais lement, les propositions citoyennes sont
Etats n’est pas suffisamment efficace. On Les différences culturelles sont utiles j’ai pu aussi constater que cette autono­ restées lettre morte en 2020, alors que
entame la 26e édition et les émissions de dans le processus de délibération. C’est mie a permis aux citoyens de faire preuve le Parlement britannique était à l’initia­
gaz à effet de serre continuent d’augmen­ justement le partage d’expériences qui va de créativité et de soumettre leurs pro­ tive du processus.
ter. Les engagements pris par les Etats à ce nourrir l’élaboration des recommanda­ pres propositions, par exemple celle sur Un levier efficace serait d’intégrer ces
jour mènent la planète vers un réchauffe­ tions. Ce n’est pas la même chose de lire le crime d’écocide. dispositifs aux institutions en créant des
ment climatique de 2,7 °C à la fin du siècle. des rapports d’experts et d’entendre Les recommandations ont été finale­ instances citoyennes permanentes. C’est
L’idée de réunir une assemblée de ci­ quelqu’un vous raconter en direct les ment plus diversifiées en France que le cas en Belgique où le Parlement germa­
toyens est née de ce constat d’échec de no­ conséquences du changement climati­ dans le cadre de l’assemblée britannique, nophone s’est doté d’un conseil citoyen
tre système de gouvernance, et de la vo­ que sur sa vie quotidienne. qui s’apparente plutôt à une consulta­ permanent dont les membres tirés au
lonté de chercher des leviers efficaces. Elle Les inégalités sociales, en revanche, tion : le groupe a réagi à des propositions sort sont renouvelés tous les dix­huit
a été initiée par des chercheurs, des mem­ induisent des différences de niveaux préparées en amont par des experts. Le mois. De la même façon, l’assemblée
bres de fondations, des spécialistes de la d’études et des rapports de domination budget était aussi très différent : mondiale sur le climat est destinée à
démocratie participative parmi lesquels qui peuvent être complexes à gérer. Il 560 000 livres sterling au Royaume­Uni devenir régulière et permanente si de
le Conseil danois de la technologie, la Fon­ faut arriver à ce que tous les participants contre 6 millions d’euros en France. La futurs financements le permettent, en
dation pour l’innovation en politique [en bénéficient de façon équitable des mê­ marge de manœuvre dépend largement renouvelant périodiquement les partici­
Afrique] et l’université de Canberra [Aus­ mes éléments d’information pour que la du financement alloué, ne l’oublions pas. pants. Après la COP26, d’autres événe­
tralie]. Les financements proviennent de délibération ait du sens. Il faut aussi faire ments sont déjà planifiés pour lui donner
fondations et d’organisations philanthro­ attention que des personnes à qui on n’a Faut­il uniformiser les pratiques de la visibilité, comme les 50 ans de la
piques. Un échantillon de la population jamais demandé leur avis osent s’expri­ pour que ces outils puissent être création du Programme des Nations
mondiale peut­il dépasser les clivages po­ mer. Nous avons fait le choix qu’un facili­ généralisés ? unies pour l’environnement, à Sto­
litiques et géopolitiques en apportant une tateur puisse être présent dans chaque La conception de ces dispositifs joue un ckholm, en juin 2022. La délibération ci­
expertise citoyenne ? C’est ce que cherche groupe, pour que la prise de parole soit rôle sur les recommandations qui en toyenne doit s’inscrire dans la durée. 
à montrer ce processus expérimental. équitablement partagée. Une équipe de résultent. Mais l’uniformisation ne me propos recueillis par claire legros
0123
DIMANCHE 31 OCTOBRE ­ LUNDI 1ER ­ MARDI 2 NOVEMBRE 2021 0123 | 29

PLANÈTE  |   CHRONIQUE AFGHANISTAN: 


par sté phane f oucart
ÉVITER
afghane, la renforce. La saison hivernale, les talibans se sont gardés jusqu’à présent,
LA POLITISATION
Une transition DE L’AIDE
qui accentue l’isolement des zones rurales,
ne pourra que l’aggraver encore. Les témoi­
gnages s’accumulent de familles contrain­
aux yeux de la communauté internationale,
de la moindre ouverture politique ou diplo­
matique. Nul doute qu’ils sauront présenter
peut en casser une autre tes de vendre leurs biens, et même, dans les
cas les plus désespérés, leurs enfants pour
tenter de survivre.
l’arrivée d’une aide internationale significa­
tive comme la validation de leur stratégie.
Ce postulat soulève pourtant deux sérieu­
Le dilemme qui se pose aux pourvoyeurs ses réserves. La construction d’un rapport
traditionnels de l’aide internationale, ma­ de force reposant sur l’aide apparaît singu­

A
vec l’ouverture, diman­ FACE AU DÉFI  joritairement occidentaux, est tout autant lièrement théorique à propos d’ex­insurgés
che 31 octobre, de la moral que politique. Il oppose ceux qui, qui ont triomphé de la plus puissante ar­
conférence de Glasgow CLIMATIQUE, EMMANUEL  comme la Chine ou la Russie, réclament la mée du monde, appuyée par celles de ses al­
(Ecosse) sur les change­ restitution des fonds de la Banque centrale liés, au terme d’une guerre de vingt ans. Ce
ments climatiques (COP26), l’ac­ MACRON MISE SUR  afghane à ceux qui s’y refusent. Il divise choix place ensuite la population afghane à
tualité devrait être à nouveau également les Européens, et son examen la merci d’un affrontement dont elle est
DES RÉVOLUTIONS 
rythmée par les promesses, les ob­
jectifs, chiffrés ou non, et les enga­
gements des responsables politi­
ques ou des capitaines d’industrie.
En ce genre d’occasion, la ques­
TECHNOLOGIQUES 
PLUTÔT QUE SUR DES 
L a guerre a cessé en Afghanistan,
mais pas les souffrances du peuple.
Les signaux alarmants ne cessent de
s’accumuler. Un rapport de l’Organisa­
tion des Nations unies pour l’alimenta­
lors d’une session spéciale du G20, en Italie,
le 12 octobre, n’a pas permis d’aller au­delà
de déclarations d’intention.
Les termes de ce dilemme sont simples.
Faut­il aider, et conforter mécaniquement
l’otage, tout particulièrement les femmes,
très exposées à l’insécurité alimentaire.
En septembre, le département du Trésor
des Etats­Unis a accordé des licences per­
mettant aux organisations non gouverne­
tion des moyens à mettre en ÉVOLUTIONS SOCIALES  tion et l’agriculture, publié le 25 octobre, un pouvoir taliban qui a échoué jusqu’à mentales d’aider le peuple afghan sans en­
œuvre pour atteindre les buts ET CULTURELLES prévoit que la moitié de la population, en­ présent à obtenir une reconnaissance in­ courir les poursuites liées aux sanctions
poursuivis est généralement élu­ viron 20 millions de personnes selon les ternationale ? Ou bien s’y refuser, afin de en vigueur contre le nouveau pouvoir en
dée, ou ramenée à une question estimations du FMI et de l’ONU, soit me­ conserver des leviers susceptibles de con­ place à Kaboul. Cet assouplissement, et
subsidiaire sans importance, écologique est avant tout une nacée de famine. traindre les nouveaux maîtres de l’Aghanis­ l’annonce, le 28 octobre, d’une aide d’ur­
un peu comme si la parole politi­ transition technologique. A cette Les décennies de combats et leurs mil­ tan à des concessions sur le statut des fem­ gence de 144 millions de dollars (124 mil­
que avait le pouvoir de s’imposer aune, aucune évolution sociocul­ lions de déplacés, la pauvreté et les catas­ mes, l’inclusion de minorités ethniques, ou lions d’euros), de la part du grand perdant
aux lois de la nature. turelle, aucune transition vers des trophes climatiques à répétition ont pro­ encore la lutte contre les groupuscules ter­ de la guerre afghane, est probablement le
Cette question, celle du « com­ modes de vie moins énergivores duit ce qui est déjà l’une des pires crises au roristes toujours présents dans le pays ? maximum auquel il peut consentir, mais
ment », entremêle deux enjeux ne semble nécessaire ou désirable, monde. L’implosion de l’économie, provo­ L’analyse qui sous­tend cette seconde op­ ce réalisme ouvre une piste, aussi étroite
étroitement connectés. Le pre­ puisque l’innovation et la techno­ quée par la fin du financement de l’Etat par tion peut apparaître implacable. Forts de soit­elle. L’urgence commande le pragma­
mier est celui de l’avenir du sys­ logie permettront de maintenir les Etats­Unis et le blocage par Washington leur statut de vainqueurs de la plus longue tisme, et la politisation de l’aide humani­
tème technique, le second, celui ne varietur nos façons de faire, en et l’Europe des fonds de la Banque centrale guerre jamais conduite par les Etats­Unis, taire doit être évitée. 
de l’évolution culturelle des socié­ effaçant tous les inconvénients
tés. Le premier est omniprésent qui y sont associés. Pour M. Ma­
dans le débat public, le second en cron comme pour la plupart des
est à peu près absent. On le voit, dirigeants aux affaires, plus de
jusqu’à la caricature, dans les ré­ technologie est invariablement la
centes déclarations des dirigeants seule réponse possible aux dégâts
des plus gros exportateurs provoqués par l’accumulation de
d’hydrocarbures, comme l’Arabie nouvelles technologies – quand
saoudite ou l’Australie. on a un marteau dans la tête, tout
« J’annonce aujourd’hui l’objectif a la forme d’un clou.
zéro émission de l’Arabie saoudite
d’ici à 2060 grâce à une stratégie Un exemple historique frappant
d’économie circulaire du car­
bone », a ainsi déclaré, le 26 octo­
Les rêves de conquête et la mise
en valeur de nouveaux espaces PRÉSENTE
bre, Mohammed Ben Salman, le n’ont ainsi pas tari. Parmi les axes
prince héritier du royaume. L’en­ de développement technique et
gagement princier repose entiè­ industriel mis en avant pour 2030
rement sur les technologies futu­ figurent en bonne place l’exploi­
res (et très probablement imagi­ tation des grands fonds marins et
naires) qui permettront de brûler la pleine participation à la nou­

LES ŒUVRES COMPLÈTES ILLUSTRÉES


tout le pétrole du sous­sol et de velle aventure spatiale, relancée
circulariser tout le carbone pro­ par SpaceX et les excursions tou­
duit. Le premier ministre austra­ ristiques de quelques milliardai­
lien, Scott Morrison, a dit la res de la tech autour de la Terre.
même chose, à la date (2050) et au Tout cela est­il inéluctable ?
combustible (le charbon) près. Dans un livre réjouissant (Econo­
Loin d’être aussi caricatural, Em­ mics as a religion : from Samuel­
manuel Macron mise, lui aussi, son to Chicago and beyond, Penn­
face au défi climatique, sur d’hy­ sylvania State University Press,
pothétiques révolutions techno­ 2014, non traduit), l’économiste
logiques plutôt que sur des évolu­ américain Robert H. Nelson (uni­
LE N°2

9
tions sociales et culturelles. Le dis­ versité du Maryland), mort

€ 99
cours de présentation du plan en 2018, donnait un exemple his­
France 2030 , prononcé le 12 octo­ torique frappant où l’éthique so­
bre, suffit pour s’en convaincre. cialement dominante peut obli­
Déploiement du premier avion térer ou rendre inepte l’innova­
bas carbone d’ici la fin de la décen­ tion technique, lorsque les objec­ seulement !
nie, de petits réacteurs nucléaires tifs qu’elle poursuit sont perçus
modulaires, de l’hydrogène comme indésirables. « Dans les
« vert », mise en production de années 1400, la Chine était non

L’ASSOMMOIR
deux millions de véhicules élec­ seulement la société la plus dé­
triques et hybrides… L’agricul­ veloppée économiquement dans
ture ? Le mot « agroécologie » le monde, mais aussi une gran­
n’apparaît nulle part dans le dis­ de puissance maritime, explorant
cours présidentiel, et tout l’avenir jusqu’à la côte orientale de l’Afri­
de nos campagnes s’y trouve ré­ que avec de grands voiliers tech­
duit à ce triptyque : « le numéri­ niquement très avancés, sous
que, la robotique, la génétique ». le commandement de l’amiral
Le mot « sobriété » n’apparaît Zheng He, raconte Robert Nelson.
pas non plus dans le discours pré­ Ces efforts se sont toutefois heur­
sidentiel, quand les mots « inno­ tés aux érudits confucéens qui ont
vation », « innovant » sont pro­ (…) finalement réussi à mettre un
noncés à plus de soixante­dix re­ terme aux voyages d’exploration,
prises. Il n’est évidemment pas ont imposé une interdiction de
anormal, ni très surprenant, de construire de nouveaux navires et
parler d’innovation dans un dis­ ont même obtenu la destruction
Visuels non contractuels. Format des livres : 185 x 245 mm.

cours sur la relance industrielle des archives maritimes. »


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du pays. Mais l’ample discours du La crise du Covid­19 l’a montré :


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12 octobre – qui occuperait quel­ des perturbations de grande am­


que dix pleines pages du Monde – pleur peuvent induire des chan­
est bien plus que la simple an­ gements rapides d’aspiration, at­
nonce d’un grand plan structu­ tiser le désir de vivre autrement,
rant la réindustrialisation de la de quitter les grands centres ur­
France face au défi environne­ bains, etc. Qui sait ce que l’accu­
mental et climatique. mulation des dégâts causés par le
L’élection présidentielle appro­ changement climatique et l’ef­
chant, il a aussi valeur program­ fondrement de la biodiversité
matique. Il fonde une vision du produira, en 2030, sur les imagi­
monde, dans laquelle la transition naires, les croyances et les aspira­
tions collectives ? Quand les fo­

DÈS LE 3 NOVEMBRE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX


rêts brûlent, que la mer monte et
que les villes se noient dans des
LE MOT  inondations monstres, la recher­
« SOBRIÉTÉ » 
OU SUR
che éperdue d’innovation techni­
que peut­elle encore tenir lieu de
N’APPARAÎT PAS  politique ? L’aventure spatiale,
l’avion bas carbone ou la con­
DANS quête des grands fonds marins fe­
LE DISCOURS  ront­ils encore rêver en 2030 ? Où
seront­ils plutôt perçus comme
PRÉSIDENTIEL de dangereuses futilités ? 
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4 7 8

PARE NTOLOG IE SP I RI TUE UX UN AP É RO AVEC …

Capitalistes 5 idées reçues Frankie et


en herbe sur le whisky Julia Wallach
Certains jeux proposés aux Il ne serait bon La jeune réalisatrice filme, dans
enfants ne servent plus tant à qu’écossais, tourbé et bu sec. « Trop d’amour », sa grand-mère
les distraire qu’à les transformer Et puis quoi encore ? ! Julia, rescapée des camps, et
en bons petits soldats néolibéraux leur « famille de fous ». Causerie
à trois autour d’un thé

2
EN Q U ÊTE

L’égalité homme/femme ? Repasse plus tard !

Une nouvelle
génération
d’autrices
appelle à
révolutionner
les rapports
amoureux
hétérosexuels.
Leur ennemi :
le patriarcat qui
pollue toutes les
sphères, même
les plus intimes.
Un combat
ô combien
politique
CLÉMENCE LOSFELD POUR « LE MONDE »

D I MANCH E 3 1 O C TOBRE - L UND I 1 E R - M A R DI 2 NOV E M B R E 2021 CAH IER DU « M O NDE » N O 23 892 - NE PE UT ÊT R E V END U SÉPA R ÉM ENT
2 0123
DIMANC HE 3 1 O C TO B RE - LU ND I 1 E R - MA RDI 2 N OVE MB R E 202 1

Par Lorraine de Foucher relations hétérosexuelles (Zones, 276 pa­ au quotidien. Cette jeune femme mariée
ges, 19 euros), y toise Eric Zemmour et La et polyamoureuse souffrant du regard des

L’
amour politique peut France n’a pas dit son dernier mot (Rubem­ autres. Il y a Clément aussi, en master 2 de
commencer par un texto. pré, 352 pages, 21,90 euros). L’essayiste philo à Rennes, pour qui l’amour est évi­
Celui que Loubna, 53 ans, suisse, qui avait connu un incroyable suc­ demment politique.
a découvert dans le porta­ cès grand public avec son opus Sorcières. « Quand on parle d’égalité au sein
ble de son mari. Il y décla­ La puissance invaincue des femmes (Zo­ du couple, d’égalité d’attention, d’égalité
rait à sa maîtresse d’une nes, 2018), parle de cette chance que l’on d’accès aux émotions, aux tâches ména­
trentaine d’années sa fascination pour peut saisir, celle « d’inventer des rapports gères, c’est politique », explique l’étudiant
sa jeunesse et sa vitalité. « J’avais la mé­ amoureux un peu plus égalitaires et exci­ de 24 ans. Pour lui, ces contenus ne sont
nopause qui arrivait en même temps, je tants ». A l’instar de nombre de penseurs pas « des trucs de bonne femme, mais
me suis sentie jetée à la poubelle après actuels, elle considère qu’on aime comme d’utilité publique ». Il voit bien que « les
vingt­cinq ans de bons et loyaux services notre époque nous le permet, et non se­ mecs de [son] entourage ne s’y intéres­
à gérer la maison, les enfants, ma car­ lon nos propres transports amoureux. sent pas, ne lisent pas, n’écoutent pas ces
rière, ses angoisses, en restant toujours Que l’amour n’est pas uniquement ce fait formats, ne réfléchissent pas ». Pourquoi ?
souriante. » Sous le choc, Loubna culpa­ intime par excellence, qui n’appartient « Parce que le droit de s’en foutre, c’est un
bilise d’abord : « Je me suis dit que c’était qu’à nos individualités propres. truc de dominants », analyse celui qui
de ma faute, que je n’étais plus assez inté­ Pour Victoire Tuaillon, il n’y a rien tente de diffuser ces idées autour de lui.
ressante et attirante. » de plus politique que l’amour. Comme Victoire Tuaillon le reconnaît : « Le Cœur
Puis elle entreprend une théra­ Mona Chollet, elle a adoré puis moins sur la table » lui semble, au doigt
pie, commence à lire des livres sur le fé­ aimé les 848 pages du roman Belle du Sei­ mouillé, écouté par 80 % de femmes et
minisme, et regarde la situation diffé­ gneur, d’Albert Cohen. Elle y a vu la mar­ 20 % d’hommes. « On fait souvent de
remment. « Je suis passée de la culpabilité que d’une superbe passion, avant de fina­ l’humour noir avec mon équipe, en se de­
à la colère, du “c’est de ma faute”, à “de lement se dire que Solal et Ariane étaient mandant combien de ruptures et de di­
toute façon, dans un système comme ça, coincés dans une chorégraphie amou­ vorces on va générer, en aidant les fem­
je ne peux pas gagner”. » Depuis, Loubna reuse hétérosexuelle extrêmement nor­ mes à prendre conscience de tout ça. »
a divorcé. Elle se sent parfois seule, mais mative. Comme Mona Chollet, elle est C’est ce qui est arrivé à Flore,
libre, de son emploi du temps, de ses fré­ l’une des autrices de cette « révolution ro­ 23 ans, travaillant dans la restauration à
quentations, de ne plus offrir toute son mantique et politique » en cours. A la ter­ Strasbourg. Elle a bien essayé de faire
énergie mentale à quelqu’un d’autre rasse d’un restaurant chinois de Belleville, écouter à son conjoint des extraits sur la
qu’elle­même. à Paris, à côté des locaux de Binge Audio, route des vacances. Dans l’habitacle de
L’amour comme fait politique, où la jeune femme a successivement créé la voiture, il a soupiré, puis arrivé à des­
cela se mesure aussi avec un classement et prêté sa voix aux podcasts « Les tination, il a claqué violemment la
scruté avec attention en cette rentrée lit­ Couilles sur la table », puis « Le Cœur sur la porte, ulcéré. « Son interprétation était
téraire : celui des meilleures ventes de li­ table », deux rendez­vous aux immenses que ce podcast ne sert qu’à dire à quel
vres. Mona Chollet, avec Réinventer scores d’audience (« Les Couilles… », point les hommes sont des méchants, que
l’amour. Comment le patriarcat sabote les 15 millions d’écoutes cumulées pour ça ne donne pas de solutions, et que tout
70 épisodes ; « Le Cœur… », 4 millions pour est très cliché en voyant le mal partout.
12 épisodes), Victoire Tuaillon fait défiler Une fois qu’il avait fini de faire le ouin­
les centaines de mails reçus à la suite de la ouin, je lui ai dit que, pour moi, ce pod­
diffusion de ses documentaires sonores. cast était génial parce qu’il permettait à
Il y a ce professeur de Seine­Saint­Denis des milliers de femmes de comprendre
qui a fait écouter les podcasts à ses élèves que leur situation n’était pas isolée,
ENQUÊTE

pour qu’ils saisissent le rôle du sexisme n’était pas normale et qu’elles n’avaient

Là où la politique
se love
Parce que c’est lui, parce
que c’est moi ? Dans une
époque marquée par
un regain du féminisme,
croire que nos transports
amoureux ne relèvent
que de l’intime est naïf. De
la gestion des fantasmes
à celle du bac à linge, il n’y
aurait en réalité rien de
plus politique que l’amour
0123
D I MAN CHE 31 O C TOBRE - LU N DI 1 E R - MARDI 2 N OVEMBRE 202 1 3

pas à se contenter d’une relation médio­ combat, l’amour politique dans le couple.
cre. » Lassée de nettoyer ses poils oubliés
dans la douche, de lui dire d’enlever les
Et même si à deux on peut progresser, la
société reste bien réfractaire. Je ne suis pas
« On se demande
mouchoirs de ses poches avant de met­
tre ses vêtements à laver et, surtout, tra­
séparatiste, je ne veux pas ne plus être en
couple avec des hommes, comme les fem­
souvent combien
versée par une grande envie de dévelop­
pement individuel, Flore a quitté son
mes qui se lancent dans le lesbianisme po­
litique. Mais oui, l’hétérosexualité peut
de ruptures et
compagnon de trois ans.
Néanmoins, Victoire Tuaillon
être assez enfermante », analyse cette mé­
decin en Seine­Saint­Denis.
de divorces
comprend les réactions violentes ou in­
différentes de certains hommes. « C’est
La politisation de l’amour serait
même un mouvement de fond dans la
on va générer,
trop dur pour eux. Réfléchir à l’amour, à
l’intime, ça implique de revoir toute sa vie
société, constaté par des chercheurs
comme Mathieu Trachman. « Certains in­
en aidant
à la lumière de ça, et ils ont trop de ver­
rous psychologiques, et trop de privilèges
dividus, en particulier quand ils sont poli­
tisés, ne conçoivent pas uniquement leurs
les femmes
à perdre face à cette remise en question
profonde », décrypte l’autrice. Quant
relations intimes comme une rencontre
entre deux personnes, mais les situent
à prendre
aux accusations de misandrie qui pè­
sent sur ses travaux, elle les balaye : « Je
également dans des rapports entre des
groupes sociaux. Ce que je vis n’est pas
conscience
ne déteste pas les hommes, je déteste la
masculinité. Cette construction qui fait
aléatoire mais lié à des structures socia­
les », pose le sociologue à l’Institut natio­
de tout ça »
que tous ces hommes vivent des demi­ nal d’études démographiques (Ined). Victoire Tuaillon, autrice
vies et des relations amoureuses pauvres. Selon ces nouvelles grilles de lec­
Je ressens plus de la pitié que de la colère, ture, ce n’est plus Solal qui rencontre
je n’ai pas de temps à perdre avec la do­ Ariane, Harry qui rencontre Sally, ou Ro­ 16 ans qui ont ouvert des comptes Insta­
mination. On ne veut pas leur couper les méo qui croise Juliette. Plus eux qui com­ gram féministes que les relations amou­
couilles, on veut plus d’égalité, plus d’at­ posent ensemble une histoire unique au reuses vont mieux. C’est même devenu
tention, et donc plus de joie », s’exclame monde, mais deux porteurs de l’hétéro­ plus insidieux : les collégiens ont appris
cette lectrice du philosophe Spinoza. normativité de la société qui interagis­ en éducation civique que les hommes et
Un horizon plus joyeux. Mais sent. Une lecture un peu structuraliste les femmes étaient égaux, mais personne
d’ici là, le chemin peut être douloureux. du drame shakespearien, mais évoca­ ne travaille le sensible. C’est très impor­
A Quimper, c’est même une négociation trice de l’époque… Mathieu Trachman tant pour eux d’être en couple, plus que
quotidienne pour Aline Baudry­Scherer, perçoit l’inflation des contenus – livres, de vouloir être meilleur boulanger de
41 ans, mariée depuis dix­sept ans avec podcasts, documentaires, posts Insta­ France ou astrophysicien. Ça leur permet
le père de ses trois enfants. L’autrice gram – permettant de prendre cons­ d’être valorisés et acceptés dans leur
d’un podcast plus confidentiel – « Le Fé­ cience des normes sociales à l’œuvre groupe de pairs. Mais ils manquent de re­
minisme expliqué à mon beauf » – a dé­ dans nos intimités comme un besoin cul critique par rapport à cette injonction
couvert cette pensée sur les bancs de la des « femmes, fatiguées de subir le poids à être en couple. »
fac de philo, où elle avait rejoint le canal des asymétries de genre dans la sphère Parmi les messages reçus sur le
antipatriarcal d’un mouvement anar­ privée, de questionner ce qu’elles vivent. chat, Louise Delavier évoque le cas de
chiste. « A l’époque, des militantes m’ex­ Le processus de politisation de l’amour cette jeune femme forcée à pratiquer
pliquaient que la levrette, c’était politi­ est directement issu des mouvements fé­ une fellation tous les matins à son petit
que, parce que c’était une position de do­ ministes, mais aussi de la diversification ami, qui veut savoir si elle est obligée
mination », rigole­t­elle. des trajectoires sexuelles, en termes de d’accepter. « Dans l’imaginaire, l’amour
En Erasmus, Aline tombe amou­ nombres de partenaires notamment : la est raconté comme un truc magique,
reuse du seul étudiant qui faisait sa vais­ diversité des expériences permet de com­ mais c’est très construit. Une fille sans
selle chez lui. Mariage, enfants, « et tu lâ­ parer et d’évaluer ». mec, elle est prude. Une fille qui en a trop,
ches du lest sur ton féminisme parce que Les archétypes dans nos ballets c’est une pute. Une fille seule longtemps,
sinon, quand tu es la tête dans les couches amoureux – celui de l’homme distant, ré­ c’est une vieille fille. » Ces collégiennes,
pendant que monsieur travaille, c’est trop tif à l’engagement, mal à l’aise avec l’ex­ fragilisées dans leur estime d’elles­mê­
difficile ». Elle glisse sa rébellion dans des pression de ses émotions, quand la mes par la narration romantique tradi­
petits gestes du quotidien, achète des femme est attentive, pleine de « care », tionnelle, acceptent des choses qu’elles
fleurs pour monsieur et du vin pour ma­ porte toute la charge émotionnelle de la ne devraient pas accepter, par peur d’être
dame dans les dîners en ville. Jusqu’à ce relation, veut tout le temps « parler » et seules et rejetées. « Et c’est là qu’arrive la
que #metoo éclate et que le sujet mobi­ s’engager – ne sont pas des hasards indi­ violence », alerte l’une des deux fondatri­
lise tous les repas de famille. Face à l’in­ viduels, mais des attendus sociaux. Cela ces d’En avant toutes.
compréhension de ses beaux­frères, elle ne signifie bien sûr pas que tous les hom­ On pourrait être tenté de croire
fait le choix de la pédagogie et de la né­ mes sont émotionnellement moins dé­ que la politisation de l’amour est un
gociation. « Mon mari me soutient, mais veloppés et les femmes collantes, mais mouvement de jeunes urbains. Un mar­
se sent attaqué parfois. Il se dit que si que nous baignons depuis l’enfance dans queur de plus de la pensée « woke », de
j’étais si heureuse que ça avec lui, je une eau qui favorise ces postures. cette génération qui milite pour la protec­
n’aurais pas besoin de faire tout ça, mais Avec sa transition, Julien (le pré­ tion des minorités et met de la politique
je me rassure en pensant que le patriarcat, nom a été modifié), homme trans de partout tout en se reconnaissant si peu
c’est pas de sa faute non plus », élabore­t­ 30 ans qui vit dans le Sud, le mesure cha­ dans les partis traditionnels. Pourtant,
elle. Son podcast se veut court, « les mecs que jour. Femme hétéro, puis lesbienne, cette réflexion a presque cinquante ans
sont vite saoulés par ce sujet », et pas trop puis homme trans, Julien raconte bien déjà, et date des mouvements féministes
intellectualisé, « sinon, ils décrochent ». comment tout bascule quand on passe américains. Des autrices plus âgées,
« C’est important de se mettre à leur place dans « l’autre genre ». « Le patriarcat est comme la Britannique Deborah Levy,
et d’aller les chercher, car ils sont moins partout, c’est très difficile d’y échapper. 62 ans, se sont saisies de cet amour dépré­
renseignés que nous. » Souvent, elle se de­ L’autre jour, j’ai embrassé une fille dans la cié. Dans Le Coût de la vie, un roman auto­
mande si elle n’est pas une « féministe rue. On ressemblait à un couple hétéro, et biographique paru en 2018 (traduit
molle », « une jaune qui transige avec l’en­ quelqu’un est venu nous féliciter. Je n’avais en 2020 aux Editions du Sous­sol), elle dé­
nemi » à la lumière des penseuses plus pas l’habitude – avant que j’aie cette appa­ peint son divorce du père de ses enfants,
radicales, mais elle assume de considérer rence masculine, j’étais plutôt le couple dé­ et toute cette nouvelle vie seule qu’elle
qu’elle a davantage à perdre en partant viant dans l’espace public », déplore­t­il. doit réinventer. Elle écrit : « Devenir ce
qu’en restant en couple. A 23 ans, Julien était encore une que quelqu’un a imaginé pour nous, ce
Cette friction intime entre la femme vivant en couple avec un homme n’est pas la liberté – c’est hypothéquer no­
conjugalité et l’éveil à l’égalité hommes­ et faisant tout ce qu’il faut faire : « Je met­ tre vie contre la peur des autres. » Et à
femmes, elles sont nombreuses à la res­ tais des fleurs sur la table, je nettoyais la l’avant­dernière page : « Quand une
sentir. A 37 ans, Noémie se réjouit d’avoir maison, j’avais un travail… Je cochais tou­ femme doit trouver une nouvelle façon de
eu deux garçons avec un homme « fémi­ tes les cases, mais je me sentais enfermé. » vivre et s’émancipe du récit sociétal qui a
niste », qui s’intéresse de lui­même au su­ Julien rompt, commence quelque temps effacé son nom, on s’attend à ce qu’elle se
jet. A la maison, ils peuvent beaucoup en plus tard ses injections de testostérone, et déteste par­dessus tout, que la souffrance
parler, elle en est heureuse. Mais leur découvre de l’autre côté « un monde en­ la rende folle, qu’elle pleure de remords. Ce
amour égalitaire reste fragile, car même core pire que celui que les féministes imagi­ sont les bijoux qui lui sont réservés sur la
s’ils s’arrangent bien entre eux, il reste le nent », s’amuse­t­il. Dans la rue, les hom­ couronne du patriarcat, qui ne demande
regard extérieur. La famille qui ne com­ mes sont sympas et solidaires avec lui. qu’à être portée. Cela provoque beaucoup
prend pas que Noémie ne prenne pas le Quand il a une attitude virile en réunion, de larmes, mais mieux vaut marcher dans
nom de son conjoint après leur mariage. on ne lui coupe plus la parole. Les femmes l’obscurité noire et bleutée que choisir ces
La belle­famille qui ne lui écrit qu’à elle ont envie qu’il les protège. « La masculi­ bijoux de pacotille. » Une sorte de réécri­
quand il manque des choses dans la va­ nité, c’est le renoncement aux émotions. Et ture littéraire de ce vieil adage de bon
lise des enfants pour les vacances. La quand on s’assoit sur tout le travail émo­ sens : mieux vaut être seule et libre que
bande de copains de son mari qui la tionnel de soutien, d’écoute et d’attention mal accompagnée et coincée dans un rôle
trouve un peu « chiante ». « Il est rattrapé aux autres, on gagne énormément de imposé par la société.
CLÉMENCE LOSFELD par la patrouille de la masculinité dès place et de pouvoir », décrit­il. Alors com­ Enfin, politiser l’amour n’impli­
POUR « LE MONDE » qu’on sort de la maison. C’est très dur, ment vivre des amours plus justes, plus li­ que pas de tuer l’amour, mais de désirer
même pour lui, de défendre une position bres et égalitaires, selon lui ? Il faut ap­ des rapports plus justes et équilibrés.
comme ça », regrette­t­elle. « C’est un prendre à se regarder agir, et savoir se Cela pourrait­il être un thème de campa­
dire, parfois, « là, ça ne va pas, je merde ». gne pour l’élection présidentielle de
Cette prise de conscience com­ 2022 ? Selon Victoire Tuaillon, bien sûr,
mence parfois en interrogeant la barre il y a un « énorme marché à prendre » :
« Mon mari est de recherche de Google sur la normalité
de situations qu’une jeune fille peut vi­
« Tout le monde mérite mieux que des vies
affectives mutilées. L’amour a besoin d’un
rattrapé par la vre avec son copain. Louise Delavier est
porte­parole de l’association En avant
terreau sain pour se déployer, mais nos
terres sont arides et stériles. Comment
patrouille de la toutes, une structure créée en 2015. Elle
vise à faire de l’éducation sentimentale
est­ce que vous voulez être amoureux et
attentifs quand vous subissez quotidien­
masculinité dès dans les collèges et accompagne les
12­25 ans grâce à un chat en ligne. Avec
nement des violences, que vous croulez
sous le travail ou êtes au chômage, que
qu’on sort de la 3 000 échanges en 2020, le nombre de vous n’avez pas assez d’argent, que votre
sollicitations a explosé, et dans son logement est trop petit ? Nous n’avons pas
maison », déplore sillage, celui des salariés, désormais
vingt­cinq pour y répondre. « Ce n’est
les conditions économiques et sociales
pour bien vivre nos relations. » Ou
Noémie, 37 ans pas parce qu’il y a trois adolescentes de d’amour et d’eau fraîche, mais pas que.
4 0123
D IMANCH E 3 1 O C TO B RE - LU N D I 1 E R - M A RDI 2 N OVEMB RE 202 1

PARENTOLOGIE
L A FRAN CE BUISSONNIÈ RE

Le roi du burger
français s’envole
pour Dallas Fini le Monopoly de papa. Derrière les Pokémon ou la plate-forme Roblox, ce sont bien
Frédéric Potet les notions de marché, de gain et d’accumulation qu’intègrent les joueurs en herbe.
Notre chroniqueur Nicolas Santolaria déplore des amusements pas si innocents
Cette semaine, notre chroniqueur rend visite à Benoît
Sanchez. Multiprimé pour ses audacieux sandwichs
américains haut de gamme, le chef tourangeau vise
désormais le top 10 d’un tournoi mondial, au Texas Nos enfants survivront-ils
P au ludo-capitalisme ?
atrie du bœuf mironton et de la bouilla­
baisse, bastion du pot­au­feu et des escar­
gots au beurre persillé, la France sera­t­elle,
bientôt, championne du monde de hamburger ?
Benoît Sanchez en rêve en se rasant le matin,
aux alentours de 3 h 30, avant d’aller préparer,
sur fond de hard rock, ses pains au levain nourri
au miel et au jus de pomme. Le patron du Tatoué
toqué, un restaurant des quartiers nord de
Tours, doit s’envoler, ces prochains jours, pour
Dallas, où il participera, du 5 au 9 novembre, au
World Food Championships, dans la catégorie
burger. Il sera le seul Français en lice. Jamais
aucun représentant du pays de Bocuse n’a inscrit
son nom au palmarès de cette compétition
retransmise en direct à la télévision.
Fulgurante ascension que celle de ce chef
de 44 ans, cinquième enfant d’une famille de
sept, converti aux vertus gustatives du sand­
wich américain depuis 2017 seulement. Il diri­ PHILIPPE DE KEMMETER
geait alors la cuisine collective d’une clinique

L’
psychiatrique de l’agglomération : trop âgé pour
s’inscrire à « Top Chef », c’est en cherchant un autre jour, mon fils vrai que les personnages de Dracaufeu, des réalités du monde adulte. Il est, au
concours culinaire sur Internet qu’il était tombé aîné est venu me voir Pikachu ou Mewtwo, en plus de corres­ contraire, devenu le laboratoire, le tuto­
sur la Coupe de France du burger. Hommage à en me disant qu’il avait pondre à l’idée qu’on se fait d’un diver­ riel et la caisse de résonance de la (dé)
ses racines espagnoles, son « Castillan » – pain « vendu » à un copain un tissement, peuvent valoir plusieurs mil­ raison marchande. « Le système néolibé­
au maïs, steak charolais, soubressade (charcute­ « custom de baskets », liers d’euros, constituant les valeurs ral fait de nos enfants les otages d’un
rie des Baléares), crème soit la promesse, contre fluctuantes d’un marché florissant. monde qui tourne en boucle autour d’un
de manchego (fromage rétribution, de lui déco­ Quand mon fils se retrouve avec système marchand qui organise le gas­
de brebis), chutney de rer aux feutres et à la ses amis et qu’ils comparent leurs posses­ pillage. (…) Branchés en prise directe sur
poivron au paprika fu­ bombe de peinture aéro­ sions, on croirait parfois voir des mini­ les exigences du marché, bombardés par
mé – terminera à la sol sa paire de chaussu­ Arnaud Lagardère ou des mini­Vincent une profusion d’offres, de sollicitations,
deuxième place. Benoît res. « Tu lui as demandé Bolloré en train de rouler des mécani­ d’injonctions à portée de clic, leur éco­
Sanchez sera finaliste à si ses parents étaient ques. « Toutes tes cartes sont fausses, elles nomie libidinale est prise en otage », écrit
nouveau l’année sui­ d’accord ? », l’ai­je ques­ ne brillent pas comme les vraies ! », a ré­ la psychanalyste Danièle Epstein, dans
vante, avant de rempor­ tionné. Apparemment, oui. La presta­ cemment asséné un copain à mon fils, Les Enfants naufragés du néolibéralisme
ter un autre champion­ tion tournait aux alentours de 10 euros, comme s’il souhaitait lui casser le moral (Erès, 144 pages, 16,50 euros).
nat, les Burgers toqués, avant qu’une renégociation sauvage ne pour mieux préparer une OPA. Marché, Miroitant dans tous les recoins
en 2019. la fasse chuter à 5 euros, quelques jours gain, accumulation : cette même logique des écrans, l’objet du désir est désormais
Tête de mort sur­ plus tard. A l’annonce de ce premier est à l’œuvre dans de nombreux jeux la production­consommation elle­même,
montée d’un bun, le ta­ contrat d’envergure, j’ai éprouvé un sen­ auxquels s’adonnent aujourd’hui les en­ que le petit sujet est invité à fétichiser dès
ALE GIORGINI touage qui orne sa main timent mitigé. D’abord, me suis­je dit fants. C’est le cas, par exemple, de Roblox, son plus jeune âge. Dans le ludo­capita­
droite n’est pas la mar­ avec fierté, mon fils se débrouille par lui­ un métavers investi par les 9­12 ans, sorte lisme, l’enfant, par tout un tas de méca­
que d’un cuistot belli­ même, et c’est très bien. Voilà un signe d’univers parallèle en ligne qui est à la nismes, métabolise l’habitus du système,
« Mon but queux qui aurait pris en d’autonomie. D’esprit d’entreprise. fois un média social et une plate­forme dont il devient précocement un zélé
grippe la restauration ra­ Quel enfant n’a pas, un jour, tenté de création de jeux vidéo. rouage. Quant à l’adulte, il est maintenu
est de démontrer pide. « Je n’ai rien contre de monter un petit business en vendant Grâce à un système de program­ dans un état d’enfance prolongée, invité à
McDo et compagnie, je des coquillages peints ou des crêpes trop mation ultra­simplifié, le consommateur habiter un monde féerique où la frustra­
que le hamburger, n’irai jamais manifester épaisses à des proches compatissants ? devient lui­même le développeur du jeu, tion n’existe pas, où les poke bowls et les
devant un fast­food pour Mais face à la perspective de cette prochai­ et le jeune qui accouche d’univers attrac­ colis Amazon viennent sonner à la porte
ce n’est pas dire que c’est dégueulas­ ne interaction commerciale, une autre tifs peut, s’il réussit à séduire une clien­ comme par magie. La moindre envie met
se », confie posément le part de moi­même, la plus janséniste sans tèle, recevoir une rétribution. « Sur Ro­ en branle toute une architecture techno­
de la malbouffe » colosse (1,86 m, 150 kg), doute, n’a pas pu s’empêcher de dresser blox, tout a une valeur. Même si, générale­ logistique concourant à sa nécessaire et
ancien rugbyman de un constat un poil plus inquiétant : à ment, les sommes sont très petites, on se impérieuse satisfaction.
l’US Saint­Pierre­des­ 10 ans, mon fils est déjà devenu un petit rend vite compte qu’il faut toujours payer C’est comme si la ludification, qui
Corps. Son credo s’appelle « burgernomie », capitaliste en herbe. Le chemin qu’il lui a quelque chose. On sent que la plate­forme avait connu, il y a quelques années, une
concept consistant à transposer les saveurs de la fallu parcourir pour développer cet ethos pousse très fortement des valeurs capita­ première montée en puissance avec l’in­
gastronomie française au casse­croûte chaud à marchand n’est plus tout à fait le même listes », décryptait le chercheur Yannick troduction des logiques du jeu dans le
pain rond. « Mon but est de démontrer que le ham­ que celui que j’ai effectué, moi, enfant, Rochat, dans une interview au magazine monde de l’entreprise, s’était diffusée
burger, ce n’est pas de la malbouffe », martèle­t­il. pour tenter de comprendre les rouages du L’ADN (n° 27, juillet­septembre 2021). partout. La fièvre expansionniste du lu­
Ses créations témoignent d’une certaine système dans lequel j’avais atterri. Cette alliance du ludique et du do­capitalisme est loin d’être sans consé­
audace. Il est arrivé à Benoît Sanchez de confec­ De mon temps, afin de se familia­ capitalisme n’est pas un simple hasard cir­ quences. On a pu en percevoir récem­
tionner des hamburgers au bœuf bourguignon, riser avec l’économie, on jouait au Mono­ constanciel, mais fonde la dynamique du ment les effets avec les remous provo­
au coq au vin ou à la joue de porc confite. Il poly. Tout cela avait un côté irréel, car per­ système dans lequel on vit. Depuis que ses qués par la série coréenne Squid Game,
aimerait aujourd’hui s’emparer du lièvre à la sonne ne s’imaginait, en vrai, posséder frontières ont méthodiquement été ren­ diffusée sur Netflix. Les jeux d’enfants
royale, comme il l’a fait avec la truite marinière, un jour deux hôtels rue de la Paix et faire dues poreuses, le jeu n’est plus cet espace qu’elle met en scène dans une déclinai­
le homard poêlé ou encore le poulet de Bresse payer au prix fort la nuitée à un malheu­ insulaire, séparé de la consommation et son ultra­violente sont ensuite repro­
en ballottine qui lui a valu, fin septembre, de reux venu de la rue Lecourbe qui, en sor­ duits en vrai dans leur version pervertie
remporter le concours du Salon international tant de prison, aurait eu l’infortune de par les jeunes élèves, au milieu de la cour
de la restauration de l’hôtellerie et de l’alimen­
tation de Lyon. Garni d’un saint­félicien pané,
s’arrêter sur votre propriété. Cette desti­
née de vendeur de sommeil n’était qu’un Le jeu est d’école. Un collégien toulousain a ainsi
été roué de coups après avoir participé à
nappé d’une réduction de fond de volaille à l’ail
noir, son « Poul’aillé » avait fait sensation.
jeu. Un truc outré qui soulignait ce que
nous ne serions pas. A bien des égards, se devenu le une version revisitée de « 1, 2, 3, soleil »,
inspirée par la série.
Cette avalanche de trophées n’est pas
mauvaise, évidemment, pour les affaires. Ouvert
lancer dans la personnalisation de bas­
kets constitue un divertissement de na­ laboratoire, Ceci n’est pas un épiphénomène,
mais le reflet grimaçant, à la fois fiction­
en janvier aux premiers jours du déconfine­
ment, son restaurant (100 couverts, 6 salariés)
ture différente : tout en s’amusant, l’en­
fant se positionne sur un vrai marché, le tutoriel et nel et réel, de ce qu’est devenu le jeu sous
l’effet de son instrumentalisation par le
ne désemplit pas midi et soir, au point qu’il est
nécessaire de réserver une semaine à l’avance.
déjà investi par des artistes­businessmen
tels que Pharrell Williams, Kanye West, la caisse de capitalisme. Ayant perdu leur étanchéité,
les mondes ludiques ne sont plus ces
Benoît Sanchez n’exclut pas de créer une fran­
chise au nom du Tatoué toqué ; il publiera égale­
Virgil Abloh, ou des entrepreneurs plus
modestes possédant leur numéro Siret. résonance de lieux de sublimation, de réinvention dé­
sintéressée, de détente de l’esprit, mais
ment un livre de recettes début 2022. D’ici là, sa
participation au tournoi mondial de Dallas
Après avoir vu quelques vidéos
YouTube qui l’auront affranchi, il ne fau­ la (dé)raison des espaces de contrainte, de soumission
à un devenir mortifère, dont l’horreur
pourrait lui faire passer un nouveau cap en ma­
tière de notoriété. Cent mille dollars sont promis
dra pas longtemps au protoaffairiste
pour prendre conscience que son acti­ marchande perce au grand jour. « Dans ce cas, ce n’est
pas la rébellion de Peter Pan qui est sub­
au vainqueur. « Je vise le top 10 », projette­t­il. vité peut engendrer des retombées versive, mais, au contraire, le fait d’accep­
Le thème du concours consistera, cette conséquentes, en matière d’argent, de ter de grandir et d’endosser la liberté que
année, à cuisiner un cheeseburger végétarien à notoriété potentiellement monnayable, cela implique », écrit la philosophe Susan
la sauce chili. Sélectionné sur dossier, Benoît ou de pur narcissisme. Et puis, en plus, Neiman dans son éclairant ouvrage Gran­
Sanchez a activé ses réseaux pour trouver sur tout cela est marrant, une vraie féerie dir (Premier Parallèle, 304 pages, 21 euros),
place du sainte­maure­de­touraine, le fromage « gagnant­gagnant », où les activités les nous invitant instamment à quitter les
de chèvre de sa région. « Plusieurs chefs français plus récréatives sont désormais suscep­ rives d’un infantilisme généralisé qui
qui connaissent bien les Etats­Unis m’ont dé­ tibles de décupler votre argent de poche. n’amuse plus personne.
conseillé d’en utiliser, car ce genre de produit au Dans un registre différent se dessine
lait cru ne correspond pas vraiment au goût des peu ou prou le même mouvement fon­
Américains. Tant pis, je prends le risque. » Risque cier du côté de mon fils cadet, qui trie
maximal « pour peu que le fromage soit un peu ses cartes Pokémon comme s’il s’agis­
fait… », ajoute­t­il. sait d’un portefeuille d’actions. Il est
DI MAN CHE 31 OC TOBRE - LUN DI 1 E R - MARDI 2 N OVEM BR E 202 1
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5

L
AKATRE POUR « LE MONDE »
e carnet de tickets de métro parisien va disparaître, au pro­ manifestaient contre la réforme des re­
fit de titres dématérialisés sur des passes et des téléphones traites en 1995, en scandant « Si tu savais,
portables. D’ici à mars 2022, plus aucune station ne vendra ta réforme où on s’la met ». Autrement dit,
de carnet. A l’annonce de cette nouvelle, on est saisi d’une il faut qu’un objet ait disparu de notre ho­
sorte d’automatisme nostalgique, de mouvement pavlo­ rizon quotidien depuis longtemps pour
vien de regret, qui prend la forme d’exclamations diverses. que l’on s’en souvienne avec tendresse ou
L’OBJET

Ah, mais comment marquera­t­on les pages de nos livres ? regret. Ainsi du Pariscope, qui a annoncé
(Avec des marque­pages, mais qui lit encore des livres dans le métro ?) en octobre 2016 la fin de sa parution pa­
Ah, mais comment fera­t­on pour apprendre à nos enfants à pier, sous des avalanches de messages at­
fabriquer des accordéons en tickets ? (Les enfants feront des cocottes tristés – alors que presque plus personne
en papier jusqu’à l’acquisition d’un smartphone, vers 10 ans, et s’en ne l’achetait. Et ainsi, donc, du carnet de
porteront très bien.) tickets, déjà supplanté par les passes Na­

Un ticket
Ah, mais comment fera­t­on pour les filtres des joints ? (On vigo et autres formules. D’ailleurs, le bout
n’aura qu’à acheter une fiole de CBD à 35 euros les 10 ml.) de carton magnétique a, depuis de nom­
Ah, mais comment fera­t­on pour jouer au Parisien pur breuses années, amorcé sa mue symboli­
souche, qui fait deviner son âge en fonction de la couleur de son que, comme le raconte l’historien
premier ticket de métro ? (On pourra d’autant mieux pérorer sur Grégoire Thonnat dans sa Petite
le bon vieux temps de la Carte orange et philosopher sur la vile Histoire du ticket de métro parisien

pour l’éternité
société du sans­contact.) (éditions Télémaque, 2019).
Ah, mais comment vivra­t­on sans les vendeurs à la sau­ La fin du compostage ma­
vette qui proposent des carnets factices dissimulés dans la man­ nuel (1975) n’a­t­elle pas ancré
che de leur doudoune ? (On ira à Barbès acheter des « Marlboro­ pour l’éternité Le Poinçonneur des
Marlboro­Marlboro ».) Lilas dans notre patrimoine ? Les
Ah, mais comment feront nos aînés non digitalisés ? vieux billets jaunes de seconde
(Encore quelques années à nous en inquiéter et d’autres le classe ne trônent­ils pas en déco
feront pour nous.) dans les bibliothèques des qua­

Mais comment diable les Parisiens Ah, mais comment piégera­t­on les responsables politi­
ques sur le prix du ticket et leur méconnaissance du métro ?
dras, au côté d’une affichette de
Serge le Lapin (qui se fait pincer

vont-ils vivre la disparition (Même dématérialisé, le ticket aura toujours un prix, et de


toute manière il y aura toujours quelqu’un pour s’extasier des
« moments de grâce » vécus sur la ligne 13.)
très fort) ? Le slogan publicitaire
de 1981 « T’as le ticket chic, t’as le
ticket choc » n’a­t­il pas fini sur
prochaine du ticket de métro ? Ah, mais comment produira­t­on des images aussi inou­
bliables que celle de Chirac sautant par­dessus un tourniquet ?
des tee­shirts vendus par la
RATP ? En somme, l’arrêt de la
Nostalgie, quand tu nous tiens… (Les tourniquets sont progressivement remplacés par des por­
tillons, mais rien à voir avec le ticket, c’est une autre histoire.)
vente du ticket de métro lui ga­
rantit la vie éternelle dans sa
Clara Georges Ici, un rappel s’impose. Les mêmes qui arborent aujour­ deuxième fonction : celle de pro­
d’hui des tee­shirts à l’effigie du président Chichi dans le métro duire du souvenir.
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D IMA NCH E 3 1 OC TO B RE - L U N D I 1 E R - M AR DI 2 N OVEMB RE 202 1

SPIRITUEUX
Cinq idées reçues sur le whisky
A boire sec, à choisir tourbé, à ne pas mélanger… Que d’interdits injustifiés
collent à la peau du scotch (ou du bourbon, ou du rye, ou du whiskey)
Ophélie Neiman

1 On ne met pas d’eau


dans son whisky
Un bon whisky ne se
boit pas en cocktail

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Une idée reçue très fâ­ Un mauvais whisky
cheuse. Non seulement ne se boit pas en
ce qui est considéré cocktail. Un mauvais
comme une faute de whisky ne se boit pas du
goût en France ne l’est pas tout. Pour le reste, faites
du tout en Ecosse, mais c’est en comme vous aimez. On
plus se priver de jolies découvertes. Allonger m’opposera avec raison qu’on ne choisit pas
légèrement son whisky est une excellente un exceptionnel single cask pour le noyer
manière de déguster ce spiritueux. Les arô­ dans du Cola­Cola. Je répondrai sincèrement
mes se libèrent, on en apprécie mieux les que, pour faire un beau cocktail, il faut un
facettes, et la texture, plus fluide et moins bon whisky. Surtout quand ce dernier est au
brûlante, s’étale facilement sur la langue. centre de la préparation. Comme pour le Old
C’est d’ailleurs pour cela que les profession­ Fashioned : un sucre, deux traits de Bitters
nels de la dégustation, après avoir goûté le Angostura, un trait d’eau gazeuse pour bien
whisky une première fois, ajoutent fré­ mélanger puis 5 cl de whisky. Ou le classique
quemment un trait d’eau afin de le percevoir Whisky Sour : 5 cl de whisky, 3 traits de Bitters
sous tous les angles. Angostura, 2,5 cl de jus de citron, 2,5 cl de si­
En revanche, pour un excellent rop de sucre, 1 blanc d’œuf, le tout au shaker.
whisky, mieux vaut choisir l’eau avec pré­ Dans tous les cas, on essaie de choisir un
caution : la plus pure et neutre possible (la whisky équilibré, harmonieux, pas trop
Speyside Glenlivet reste une référence, mais gourmand (pour ne pas alourdir le cocktail)
la Volvic est une honorable remplaçante). ni trop tourbé (qui risquerait de dominer les
Quant à la quantité, pas de complexe à avoir. autres parfums). C’est pourquoi on recom­
Au Japon, par exemple, il est courant de mande souvent d’utiliser un blended
commander un mizuwari, soit une boisson whisky. Issu de l’assemblage de plusieurs dis­
composée d’une dose de whisky pour deux tilleries, ou de plusieurs variétés de céréales,
doses d’eau avec des glaçons. il est moins prestigieux mais souvent plus
passe­partout. Et il en existe de très bons.

5
Plus c’est tourbé,
meilleur c’est Avant ou après

2
La tourbe est l’image le repas, jamais
d’Epinal du whisky. Sur­ pendant
tout depuis les années C’est pourtant un jeu
1980, quand les single qui, quoique très
malts écossais de Lagavulin confidentiel, se prati­
et Laphroaig, réputés très DAVID ADRIEN que avec le plus grand
tourbés, ont investi le marché français. La enthousiasme. Pour ceux
tourbe est utilisée pour transformer l’orge qui voudraient tenter timidement, il est
en malt, à la place du charbon. Comme elle possible de rester décontracté en réunissant
est un combustible historique en Ecosse, les Les vrais whiskys aussi goûter un whisky du Canada (l’un des plusieurs planches à se partager : fromages

3
whiskys de là­bas étaient autrefois riche­ sont écossais. Ou, plus gros pays producteurs), d’Inde, d’Islande variés, charcuteries, saumon mariné, ma­
ment tourbés. Ça ne veut pas dire qu’ils à la rigueur, japonais ou même de Tasmanie. A moins, bien sûr, de quereau fumé et tarama, morceaux de cho­
étaient meilleurs, surtout pour notre palais Les plus médiatiques, préférer rester local : il existe 90 distilleries colat. Et trois whiskys : un fleuri, un tourbé,
d’humain du XXIe siècle. Aucun besoin, sans le moindre doute. de whisky en France, et un peu plus d’une un gourmand. Rassurez­vous (ou rassurez­
donc, de se lancer dans la course à l’échalote Mais les distilleries de centaine de marques. De la distillerie des moi !), les bouteilles ne seront pas vides en
dans les tourbières. Elles ne sont pas infi­ whisky poussent aux quatre Menhirs (whiskys Eddu), en Bretagne, à celle fin de soirée, c’est un investissement sur le
nies, autant ralentir les pelletées. Et puis les coins de la planète. En dehors de Rozelieures, en Lorraine, du Domaine des long terme. Commencez à manger avant de
arômes de tourbe s’expriment très diffé­ du scotch (whisky écossais, donc), on peut Hautes­Glaces, dans les Alpes, à la distillerie goûter le whisky. Et quand le moment est
remment selon les dosages et les distilleries. compter sur le bourbon (américain, à base de de Paris, il y a de quoi se faire plaisir dans venu, à la différence du vin, ne prenez pas
Un tourbé très léger aura des accents iodés, maïs), le rye (américain, à base de seigle), le chaque région. plus de quelques gouttes en bouche. L’idéal
légèrement marins. D’autres ont des notes whiskey (irlandais). Le whisky japonais, avec est de pouvoir parler tout en gardant cette
pharmaceutiques, de désinfectant. Les plus notamment Suntory et Nikka, a conquis les quantité sur la langue. Et si vous préférez les
classiques ont une odeur de fumée, voire de palais de tout poil en Occident, mais on peut grandes gorgées (ou que l’expérience ne
goudron pour les plus costauds. Enfin, le vous plaît pas du tout), rajoutez de l’eau.
whisky a cent autres arômes à offrir, au ha­ C’est permis.
sard le toast, le foin, la violette ou la rose, la
vanille, le miel, le chocolat, le pain d’épices,
le caramel ou la noisette. La palette olfactive
est aussi large que celle du vin.

POUR
OU
Superpouvoir de panser CONTRE
Comme l’intestin en son temps, la résilience est aujourd’hui devenue
un créneau d’édition foisonnant, ainsi qu’en témoigne par exemple
la sortie de l’ouvrage Le Petit Guide de la résilience. Savoir rebondir après
l’épreuve pour trouver le chemin du bonheur (Cheryl Rickman, Contre-
dires, 96 pages, 9,90 euros). A l’origine, le terme désigne la résistance des Credo du surhomme néolibéral
matériaux aux chocs et se trouve par extension associé aux individus
ou organismes qui réussissent à surmonter, voire à transcender, Lorsqu’elle est promue à une échelle quasi industrielle, la résilience
un traumatisme. Comme le soulignait le psychiatre Boris Cyrulnik devient alors autre chose qu’une simple capacité individuelle
dans son livre Un merveilleux malheur (Odile Jacob, 1999), le drame
n’est jamais absolu. Capacité de négociation avec l’adversité, LA à surmonter l’épreuve, accédant au rang de « technologie
du consentement ». C’est ainsi que le sociologue Thierry Ribault

RÉSILIENCE
la résilience semble donc octroyer à l’individu une sorte la qualifie dans son ouvrage Contre la résilience. A Fukushima
de superpouvoir, grâce auquel il peut venir à bout de l’absolutisme et ailleurs (L’Echappée, 368 pages, 22 euros). Imposture solutionniste,
des circonstances. Comment ne pas y voir une forme de dignité ? la résilience ne serait finalement rien d’autre qu’une manière
Venue à l’origine de la psychologie de l’enfance, la résilience est d’administrer les désastres, sans s’interroger sur ce qui les fait advenir
Nicolas
aujourd’hui envisagée de manière plus vaste, réponse concrète (pour Ribault, le système techno-capitaliste). Erigeant les victimes
Santolaria
aux errements systémiques, dans un contexte marqué par la peur en cogestionnaires de la dévastation, la résilience serait devenue
de l’effondrement. Si vous faites pousser des tomates cerises sur votre le nouveau credo du surhomme néolibéral, aussi tolérant aux chocs
balcon en plein mois d’août caniculaire, vous êtes sans doute « résilient ». qu’incapable d’entrer réellement en résistance. Plus qu’une simple
adaptation psychique au drame, la résilience est, au fil des pages de ce
livre éclairant, replacée dans sa juste dimension de stratégie politique
à part entière, fétichisation tordue de la destruction qui nous fait espérer
la prochaine catastrophe comme une nouvelle occasion de se « grandir ».
DI MANCHE 31 OC TO BR E - LU NDI 1 E R - MARDI 2 N OV EMBRE 2021
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UN APÉRO AVEC…
FRANKIE ET JULIA WALLACH
Chaque semaine, « L’Epoque » paie son coup. Julia Wallach, coquette de 96 ans, reçoit pour le thé. Sa petite-fille,
Frankie, a fait de cette rescapée de la Shoah la vedette de son film « Trop d’amour », entre docu intime et fiction

Frankie et Julia Wallach,


au domicile parisien
de cette dernière,
le 29 septembre. CLAUDINE
DOURY POUR « LE MONDE »

« Mamie, je voulais
que tu sois immortelle »
Jane Roussel

A
vez­vous déjà rêvé d’appuyer sur un bouton qui arrête le temps Que sa petite­fille ait choisi « l’histoire de la Elle décide de faire un film. « Je me rends compte
avec un grand­parent dont vous savez qu’il ne sera pas grand­mère déportée » pour le film n’étonne pas Julia que ça fait trois ans que je ne parle que de ça, lors de ma
éternel ? Frankie Wallach, comédienne, a pris une caméra – « c’est son dada », plaisante­t­elle. Souvent, les mains formation de théâtre à L’Ecole du jeu [à Paris] : ma cons­
pour garder sa grand­mère, rescapée des camps, pour des deux femmes se rejoignent entre les tasses de thé. truction, mon héritage… » Elle s’en ouvre à Julia, qu’elle
l’éternité. En 2019, la jeune femme a 25 ans. Elle est fasci­ Quand Frankie avait 8 ans, elles ont instauré un rituel : veut en vedette. Le projet se cherche un peu : il est
née par une personnalité qu’elle filme souvent sur ses ré­ elles allaient manger au restaurant le mercredi midi, el­ d’abord question d’adapter une pièce de Marguerite Du­
seaux sociaux : celle que tous appellent « mamie Julia », les prenaient des frites, puis du vacherin au dessert, ras, sous forme de court­métrage payé par le biais du
94 ans et témoin de la Shoah. Sa petite­fille rêve de faire pied de nez aux consignes parentales sur la nourriture site de financement participatif Kickstarter. La réalité
d’elle une star de cinéma. Avec Trop d’amour, sorti deux grasse. Quand Frankie a grandi, elles sont passées aux donne naissance à quelque chose à mi­chemin entre do­
ans plus tard sur Canal+ (en octobre), Frankie Wallach apéros. Un souvenir en entraînant un autre, Julia s’em­ cumentaire intime et fiction, avec un producteur, un
est devenue réalisatrice, et Julia Wallach immortelle. barque dans un récit familial avant d’être interrompue distributeur et 20 000 euros de dons. L’objectif est at­
Il est 16 h 30, la nonagénaire nous ouvre la par Frankie : « Mais mamie, c’est notre vie privée ça, on ne teint : « Mamie, je voulais que tu sois immortelle. »
porte de son appartement parisien. Nous avons va pas la raconter dans les journaux ! » Et la grand­mère Avec Trop d’amour, Frankie fait tourner son père,
rendez­vous pour un apéro à l’heure des poules. de rouspéter : « Ah bon ? D’accord. Je confonds tout, moi. » Julia donc, et elle­même et a recours à des acteurs (Agnès
Nous sommes à l’endroit où le film a été tourné, Frankie reprend le fil : gamine, elle a bien vu Hurstel, Idit Cebula) pour incarner les autres membres
et là où, le 24 avril 1943, Julia a été arrêtée pour qu’elle avait une grand­mère pas comme les autres. Du de son clan. Elle y raconte le quotidien d’une « famille de
être ensuite déportée à Auschwitz­Birkenau. genre qui ne vieillissait pas, qui envoyait des textos de­ fous » au fil de dîners, de l’attente d’une naissance ou de
Elle avait 18 ans, elle en a désormais 96 au puis son iPhone, s’achetait un ordinateur portable, ra­ témoignages sur cet héritage de la Shoah, qui revient
compteur et vit toujours ici. « Ça ira quand contait (parfois avec humour) des souvenirs de la sans cesse. La réalisatrice demande à chacun de raconter
même, si on boit du thé plutôt que du vin ? », Shoah. Déconcertante. Une mamie moderne et drôle son lien avec Julia et avec l’histoire qu’elle porte. « Cet hé­
s’inquiète sa petite­fille. avec une histoire extraordinaire, qu’elle s’est mise à fil­ ritage, on en parle bien sûr, mais finalement, on ne se dit
PLAYLIST L’appartement est tapissé d’une douce mo­ mer sur Instagram. Puis qu’elle a immortalisée, dans un rien. On n’affronte jamais les séquelles, on ne parle pas d’à
quette, l’ambiance est feutrée. Les murs sont couverts petit épisode baptisé Kneidler, en train de concocter sa quel point cela nous a bâtis, on fait comme si de rien
> DERNIER MORCEAU de photos des petits­enfants de Julia. « Tu n’irais pas re­ recette de boulettes, dans le cadre du Grandmas Project, n’était, mais il finit toujours par nous rattraper », estime­t­
ÉCOUTÉ mettre du rouge à lèvres, mamie ? », interroge Frankie. une initiative collaborative de websérie où des petits­ elle. En redécouvrant son film, après le montage, Frankie
Frankie : « Say What You Julia revient avec quatre options de couleurs, on l’aide à enfants filment leurs aïeux en cuisine. est prise de vertige : « Je me pensais la messagère de ma
Will », de James Blake choisir, le bordeaux l’emporte. Les deux femmes com­ A sa sortie, ce court­métrage fait son effet. Les grand­mère, mais ce film parle de moi, de mon regard sur
mencent à poser pour la photo. « Tu sais ce qu’on va faire deux femmes sont invitées à le présenter en Israël. « Là, je ma famille, c’est aussi ma thérapie. » L’accès à la parole
> DERNIER LIVRE LU là, mamie ? C’est “Un apéro avec…”, pour Le Monde. » me suis dit qu’il fallait que j’aille plus loin avec elle, que pour une famille dans laquelle un détail du quotidien
Frankie : La petite fille contextualise, car parfois Julia s’y j’avais trouvé ma muse », se souvient Frankie. « Elle a dit peut faire ressurgir l’histoire.
« Le Consentement », de perd. Elle garde en mémoire des souvenirs époustou­ quoi ? », nous interroge Julia. « Que j’avais trouvé ma muse, On termine justement l’apéro avec une ques­
Vanessa Springora flants de précision, mais confie n’avoir jamais pris cons­ mamie ! », répète sa petite­fille, quelques décibels au­des­ tion : quel morceau ont­elles écouté en dernier ? Julia a
Julia : « Ghost in Love », cience de ce que le tournage du film, dont elle est la star, sus. « Comme elle exagère », rit la vieille dame, gênée. perdu le nom de la chanson de Frank Sinatra qu’elle
de Marc Levy avait commencé. « On tournait chez elle avec trente per­ vient d’entendre. Frankie lance l’album jusqu’à Fly Me to
sonnes dans ce salon, mais bon… », souffle Frankie, ten­ the Moon. Le visage de la nonagénaire s’éclaire : « Cette
> DERNIER FILM VU drement ironique. La grand­mère renchérit : « A la fin de « CET HÉRITAGE, chanson, tu sais où je l’ai découverte ? Ce sont les militai­
Frankie : « Crimes et la journée je disais : “Mais dis donc, on le tourne quand le res américains qui m’ont sauvée qui me l’ont fait écouter !
délits », de Woody Allen film ?” Et elle de me répondre : “Mais mamie, tu l’as FINALEMENT, On est cinq filles, pendant la marche de la mort, on a
Julia : « Bah, le tien, tourné !” » Elles rient en chœur, le quiproquo a ponctué le ON NE PARLE PAS échappé aux gardes. A chaque fois qu’on voit des militai­
Frankie ! » tournage : « On évitait les “Silence, ça tourne !” pour que ce res, on s’allonge pour ne pas être vues. Mais cette fois­ci, ce
soit plus naturel pour elle, précise Frankie. Dans une scène, D’À QUEL POINT ne sont pas des “vert­de­gris” [des soldats allemands]. Je
> DERNIÈRE APPLI mon personnage rentre de discothèque au petit matin, CELA NOUS dis : “On y va.” L’Américain me demande ma nationalité, je
CONSULTÉE mon maquillage a coulé. Elle me voit et s’exclame : “Mais il A BÂTIS, MAIS dis “French”. “Toute femme française est volontaire pour
Frankie : Instagram faut que tu ailles te recoiffer pour ta scène ! Tu ne peux pas travailler pour les Allemands”, répond­il. Il me pense col­
Julia : le groupe de la jouer comme ça !” » Le matin de cette prise­là, devant la IL FINIT TOUJOURS labo ! Je dis : “non”, je m’énerve. “Prouve­moi que tu étais
famille sur « Whatchapp » caméra, Julia se confie sur un terrible moment vécu à Bir­ PAR NOUS prisonnière ici.” » Julia relève sa manche et découvre son
(prononcé ainsi) kenau : une femme a accouché dans le baraquement où avant­bras gauche qui porte son numéro de détenue.
elle se trouvait. Au premier cri du nourrisson clandestin, RATTRAPER » « “Et ça, tu connais ?” Il me regarde : “Mais, tu pouvais pas
un SS débarque, attrape le petit et le tue sous les yeux de Frankie Wallach dire que t’étais juive ? !” » En 1945, on ne dit pas qu’on est
la jeune Julia. Voilà pourquoi, quand on lui demande si juif. Après des excuses, les jeunes femmes sont sauvées.
elle croit en Dieu, cette dernière répond : « Non. » Recueillies, nourries et bercées par les mots de Sinatra.

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