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N° 641 Avril 2023

BEL/LUX : 9 € - CH : 13.30 FS – CAN : 14.10 $cad –


ESP/ITA/GR/PORT CONT/ANDORRE : 9.40 € -
8,20 € mensuel DOM/S : 9.20 € -

Normandie-Niémen
N CAL/S : 1230 xpf – POL/S : 1350 xpf –
MAR : 62 DH – Ile Maurice : 9.30 €

Au combat
pour la liberté
L 19853 - 641 - F: 8,20 € - RD

Mars-novembre 1943
Rwanda, 1994 Latécoère Salmson 2A2 Reportage

Au cœur L’aviation se Le biplan Les trésors de la


de l’opération projette au-delà qui tombe à pic collection Wings
Turquoise des frontières en 1914-1918 of the North
SOMMAIRE N° 641/AVRIL 2023
Une certaine idée de la France…
I
l y a 80 ans les pilotes du Normandie combattaient
pour la liberté avec leurs frères d’armes russes. Ils
partaient au combat avec leurs chasseurs marqués
de l’étoile rouge soviétique. Tous défendaient “une
certaine idée de la France” pour reprendre la citation
du général de Gaulle. On y trouvait, entre autres,
la liberté, le combat contre la dictature. Il en est de
même pour leurs héritiers sur “Rafale” actuellement
positionnés en alerte sur les frontières de l’Est. Si
les couleurs portées par les “Rafale” ont changé par
Première victoire d’Albert Durand rapport aux Yak, l’état d’esprit et les valeurs qui
le 5 avril 1943. animent les pilotes du Normandie-Niémen restent
Composition de Lucio Perinotto. les mêmes. Il est capital de le souligner à l’heure MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN
où la guerre fait rage en Ukraine. “Liberté ! Liberté
chérie, Combats avec tes défenseurs”.
Je vous souhaite une bonne lecture ! Le Fana
Espace Clichy, immeuble SIRIUS
9, allée Jean-Prouvé. 92587 CLICHY CEDEX
E-mail : redac_fana@editions-lariviere.com
PRÉSIDENT DU CONSEIL DE SURVEILLANCE
Le Salmson 2A2
4 Actualités
Patrick Casasnovas
PRÉSIDENTE DU DIRECTOIRE 62
Stéphanie Casasnovas
DIRECTEUR GÉNÉRAL
Bonne surprise
Frédéric de Watrigant
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
ET RESPONSABLE DE LA RÉDACTION : 12 Courrier sous l’uniforme
Patrick Casasnovas
Le Salmson 2A2 s’impose sur le front
ÉDITEUR : Karim Khaldi
RÉDACTION
14 Livres dès son arrivée en première ligne.
Tél. : 01 41 40 34 22 Efficace, les Américains l’adoptent pour
Rédacteur en chef : Alexis Rocher
Rédacteur en chef adjoint : Xavier Méal
Rédacteur graphiste : François Herbet, 15 Abonnements la reconnaissance. Une belle réussite !
Secrétaire de rédaction : Antoine Finck
Secrétariat : Nadine Gayraud Pierre-Georges Latécoère
18
La première campagne du GC III 72
SERVICE DES VENTES
(réservé aux diffuseurs et dépositaires)
Jennifer John-Newton
Normandie (mars-novembre 1943) Un entrepreneur
Tél. : 01 41 40 56 95 Une épreuve du feu visionnaire au début
IMPRESSION : Imprimerie Compiègne.
Avenue Berthelot 60200 Compiègne. glorieuse, mais du xxe siècle
Papier issu de forêts
gérées durablement.
Origine du papier :
chèrement payée Pierre-Georges Latécoère innove
Allemagne. Taux en novembre 1918 en se lançant
de fibres recyclées : Les pilotes du Normandie
63 %. Certification :
sont sur le front en mars 1943. dans l’aviation commerciale.
PEFC/EU ECO LABEL.
Eutrophisation : Premiers combats, premières victoires,
0,003 kg/tonne. Ce jour-là… 25 avril 1983
mais aussi premières pertes. 78
L’incroyable retour
Il y a 100 ans
30 du Do 24 Rejoignez
Naissance de la force La résurrection du Dornier 24 en 1983,
Le Fana
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Printed in France/Imprimé en France
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aérienne italienne 45 ans après son premier vol, alors
Directeur de publicité : Christophe Martin Une force aérienne autonome ? Voici que les derniers exemplaires étaient sur Twitter
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Tél. : 01 41 40 34 22 l’histoire du combat des aviateurs italiens au musée.
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PETITES ANNONCES CLASSÉES pour s’émanciper et fonder les bases
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de la force aérienne italienne actuelle.
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L’étoile montante et sur

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des “villes jumelles”
France : 1 an soit 12 nos + 2 HS version papier
et numérique : 153,92 € “Corsair”, “Mustang”, P-40, sans oublier
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Autres pays et par avion : nous consulter bien d’autres warbirds réunis dans une
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Commission paritaire : n° 1027 K 82003. 50 Opération Turquoise, 22 juin-22 août 1994 Au sommaire
ISSN : 0757-4169 du prochain numéro
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Une saison en enfer ■ La Patrouille de France en 1957
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12, rue Mozart, 92587 CLICHY CEDEX ■ Le Piper NE1 du French Wing
Tél. : 01 41 40 32 32 – Fax : 01 41 40 32 50. provoquent l’intervention de la France.
■ Normandie-Niémen (2/3)
Toute reproduction, même partielle,
des textes et illustrations publiés dans Le Fana
Présentation du volet aérien ■ L’opération Turquoise (2/3)
de l’Aviation, est interdite sans accord préalable
de l’éditeur. La rédaction n’est pas responsable de l’opération Turquoise. ■ Le Salmson 2A2 (2/2)
des textes et illustrations qui lui sont envoyés
sous la seule initiative de leurs expéditeurs. ARMÉE DE L’AIR
ACTUALITES

Un nouveau P-40 a retrouvé


le ciel en Australie

PRECISION AIRMOTIVE / GAVIN CONROY


Doug
Le 21 février dernier, à Wangaratta, où il sera exporté une fois les vols d’essais le Aircraft Depot 1, à Hobsonville Hamilton aux
en Australie, Doug Hamilton a terminés. Comme désormais un certain et réceptionné, toujours à Hobsonville, commandes
procédé au nouveau premier vol nombre des P-40N en état de vol aujourd’hui, le 4 octobre 1943. Codé “75”, il reçut du P-40N
après restauration du Curtiss P-40N-5-CU l’avion a fait l’objet d’une modification le matricule NZ3184 de la RNZAF et VH-EPU lors
matricule NZ3184 de la Royal New-Zealand technique permettant l’installation d’un servit dans le Pacifique avec la Servicing de son premier
Air Force (matricule USAAF 42-105875), siège arrière et d’une double commande Unit 2 avec laquelle il participa à plusieurs vol post-
désormais immatriculé VH-EPU sur le registre – modifications qui ne sont pas tout à fait combats. Il servit également avec restauration,
civil australien. Les travaux ont été réalisés celles qu’on trouve sur le TP-40N biplace la (Fighter) OTU 4 (Operationnal Training le 21 février
par la société Precision Airmotive de Doug à double commande original. Unit, unité d’entraînement opérationnel sur dernier, à
Hamilton. Bien que cette restauration ait été Construit par l’usine Curtiss de Buffalo chasseur) à Ohakea, en Nouvelle-Zélande. Wangaratta.
effectuée pour le collectionneur australien en 1943, ce P-40N-5-CU – monoplace Il fut vendu comme surplus à J. Larsen,
Ross Pay (Pay’s Warbird Collection), à l’origine – fut réceptionné par l’USAAF résident à Rukuhia, le 2 mars 1948.
le chasseur vient tout juste d’être vendu au printemps de la même année. Expédié Au dernier comptage, il y a aujourd’hui
à un nouveau propriétaire aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, il fut assemblé par 37 P-40 en état de vol.
DR
Le Curtiss P-40N
“Kittyhawk”
matricule
NZ3184, codé 75
de la RNZAF
(matricule USAAF
42-105875)
avec la Servicing
Unit 2 de la
Royal New-
Zealand Air Force
sur l’aérodrome
de Torokina-
Bougainville.
En bref
L’Aeronautica Militare fête son Rassemblement de “Corsair”
et guerre du Viêtnam à Oshkosh
centenaire en grande pompe L’Experimental Aircraft Association, organisateur de la mythique
L’Aeronautica Militare (force aérienne italienne) est née “méga messe” annuelle de l’aviation à Oshkosh, dans
Regia Aeronautica par un décret royal du 28 mars 1923 (lire le Wisconsin, a annoncé que l’édition 2023 d’AirVenture, qui
l’article de Gregory Alegi qui commence page 30 de ce numéro). aura lieu du 24 au 30 juillet, accueillera un rassemblement
Cette année, l’Aeronautica Militare fête donc le 100e anniversaire Cette œuvre de F4U “Corsair”. L’aéroport Wittman accueillera également
de sa création en tant qu’arme indépendante. Et le calendrier des des designers nombre d’activités et d’avions, anciens et modernes, afin d’y
célébrations est chargé. Par exemple, un symposium historique Alessandro célébrer le 50e anniversaire de la fin de la guerre du Viêtnam.
a déjà eu lieu à Firenze le 15 février dernier, à l’Istituto di Scienze Trombin
Militari Aeronautiche. Puis, le 28 mars dernier, une cérémonie et Massimo Le Fw 190 F-8 “1 blanc”
officielle a eu lieu sur la terrasse du superbe parc Pincio, à Rome, Borrelli a repris vie en Arizona
qui a été survolé par une parade aérienne géante. du bureau
D’autres événements des plus significatifs sont encore à venir, Italdesign
rappelle que
comme la ré-inauguration le 18 avril du Museo Aeronautica Militare,
l’Aeronautica
dont la rénovation vient de s’achever, sur l’aéroport “Luigi Bourlot”
Militare puise
à Vigna di Valle, près de Rome.
quelques-unes
Par ailleurs, un spectacle aérien de grande envergure se tiendra
de ses racines
sur la base de Pratica di Mare (Aeroporto Militare “M. De Bernardi”), dans
au sud de Rome, les 17 et 18 juin. l’hydraviation.
AERONAUTICA MILITARE / ITALDESIGN

GOSSHAWK UNLIMITED

À Casa Grande, en Arizona, le Focke-Wulf 190F-8


WkNr 931862 de la Collings Foundation a repris vie aux
mains des mécaniciens de la société GossHawk Unlimited.
Le moteur original BMW 801D a été mis en route plusieurs
fois en février, un événement marquant dans la restauration
de l’avion. Plus connu sous le nom de “White 1”(1 blanc),
son code d’escadron durant la Deuxième Guerre mondiale,
cet ancien chasseur de la Luftwaffe fut abattu en combat
au-dessus de la Norvège le 9 février 1945. Son épave avait
été récupérée en septembre 1983, et depuis, le projet de
restauration est passé entre plusieurs mains jusqu’à atterrir
entre celles de la Collings Foundation en 2012. Il semble
cette fois que la date de son nouveau premier vol approche.
Il sera alors le deuxième Fw 190 à voler avec un moteur
original BMW 801D ; ce dernier a été révisé et remis en état
par Mike Nixon et sa société Vintage V-12s de Tehachapi,
en Californie. À ce jour, le Fw 190A-5 du Flying Heritage
& Combat Armor Museum, créée par le défunt Paul Allen
et racheté par Steuart Walton (lié à la chaîne de centres
Fin d’une époque à Reno commerciaux américains Walmart), est le seul Fw 190
original en état de vol motorisé par un BMW 801.
en septembre Un “Tempest” Mk II pour
Par communiqué, la RARA (Reno Air Racing Association) le South Wales Aviation Museum
a annoncé que les fameuses National Air Races qui auront Le 23 février dernier, le South Wales Aviation Museum (Swam)
lieu du 13 au 17 septembre prochains seront les dernières à St Athan, au pays de Galles, a reçu l’épave relativement
à se tenir sur leur site historique à Reno, dans le Nevada, suite complète du Hawker “Tempest” Mk II matricule MW758.
à une décision de l’autorité aéroportuaire ; ces courses se tenaient Le but à long terme est de le faire voler à nouveau.
à la périphérie de cette ville de jeu du désert presque chaque Ce projet avait à l’origine été ramené d’Inde par feu
année depuis 1964. L’autorité aéroportuaire de Reno Tahoe le collectionneur britannique Doug Arnold, en 1979.
a invoqué la croissance immobilière significative de la région
entre autres préoccupations, mais il semblerait bien que ce soit
le tragique accident d’un L-29 l’année dernière, entraînant
la mort de son pilote Aaron Hogue sous les yeux d’un gros
ponte politique local, qui ait amené ce dernier à faire pression
sur les autorités aéroportuaires. Cela ne signifie pas
nécessairement la fin des courses en tant qu’événement,
et de fait la RARA indique explorer plusieurs autres sites possibles
pour les organiser à l’avenir. Mais il ne fait guère de doutes qu’il
sera très difficile de trouver un autre endroit si bien situé pour
qu’elles aient à nouveau lieu. SWAM

5
ACTUALITES

ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE

Dernier macaronage “Alphajet”,


une page de l’histoire de l’armée
de l’Air et de l’Espace est tournée
Formée au sein de l’escadron du temps (six mois) et de réaliser et Cazaux à l’été 2020. La cérémonie Ci-dessus,
de chasse 3/8 Côte d’Or, la 100 millions d’euros d’économies par an. du 21 novembre 2019 avait été la dernière la dernière
dernière fournée “Alphajet” Toute cette partie de l’instruction se faisait de ce genre sur la base école 705 promotion
de l’armée de l’Air et de l’Espace a été sur la seule base de Cognac ; néanmoins “François et Jean Tulasne” de Tours. de pilotes
macaronée le 16 mars dernier l’aspirant pilote de chasse devait encore Le PC-21, avion d’entraînement destiné de chasse de
sur la base de Cazaux : les six élèves faire ses preuves aux commandes à la formation avancée des pilotes, l’armée de l’Air
issus de la promotion “2017-Aubinière” d’un “Alphajet” puisque la transition développe 1 600 ch pour une vitesse et de l’Espace
de l’école de l’Air se sont vu remettre opérationnelle se faisait toujours à Cazaux. à basse altitude de 680 km/h. Il s’avère formée sur
les derniers brevets chasse “Gadjet” Fomedec a été remplacé par Mentor, beaucoup moins coûteux que les avions “AlphaJet”.
(surnom affectueux de l’“Alphajet”). la dernière étape de la modernisation à réaction, mais ses qualités aéronautiques Désormais,
Ce macaronage marque la fin de 43 ans de la formation des pilotes et navigateurs et son cockpit moderne en font selon tout le cursus
de formation sur l’emblématique “Alphajet”. de combat de l’armée de l’Air et de des spécialistes “l’avion d’entraînement de formation
Pour rappel, avant le programme Fomedec l’Espace (AAE) ; son objectif est de réduire le plus avancé au monde”. se fait sur
Pilatus PC-21.
(formation modernisée et entraînement le temps nécessaire pour former un pilote La première promotion du nouveau cursus
différencié des équipages de chasse), de chasse à deux ans au lieu de trois. “tout PC-21” a été lancée au printemps
dans les grandes lignes, un élève-pilote La simulation constitue 40 % de la 2019 : chaque pilote effectue désormais à
retenu pour rejoindre l’aviation de chasse formation et la phase de transition Cognac un volume de missions aériennes
commençait par apprendre les rudiments opérationnelle ne se fait plus à Cazaux, équivalent à 135 heures de vol pendant
de son futur métier à bord d’un TB 30 mais à Cognac, sur PC-21. Dans le cadre 12 mois, uniquement sur Pilatus PC-21.
“Epsilon” pendant six ou sept mois, avant de Mentor, les “Alphajet” ne seront pas Au-delà de l’argument du gain de temps,
de rejoindre l’École de chasse de Tours remplacés et huit PC-21 supplémentaires au moins deux autres raisons ont été
pour tenter d’y décrocher son “macaron” ont été acquis pour être déployés à Cognac ; avancées pour justifier ce choix.
sur “Alphajet”. Puis, il prenait la destination les deux premiers exemplaires sont arrivés Le PC-21 est beaucoup plus économique
de l’École de transition opérationnelle le 5 décembre dernier. qu’un “Alphajet” : 1 500 euros l’heure
(ETO) de Cazaux. Ce n’est qu’après Le “macaronage” des jeunes chasseurs de vol contre 7 800 euros pour l’“Alphajet”.
qu’il était affecté en escadron. Il fallait est une tradition très forte. Quatre fois De plus, le PC-21 offre l’avantage de
quatre ans pour former un pilote de chasse. par an, les pilotes issus du cursus de familiariser l’élève-pilote avec l’avionique
Le projet Fomedec, pour lequel 17 pré-spécialisation chasse reçoivent leurs du “Rafale”.
turbopropulseurs Pilatus PC-21 ont été ailes à l’issue d’une cérémonie, ainsi que À l’heure actuelle, deux forces aériennes
acquis, a revu ce cursus en fusionnant les navigateurs officiers systèmes d’armes appliquent un cursus comprenant une
les phases de formation sur TB 30 “Epsilon” (Nosa). L’École de chasse “Christian transition directe PC-21/avion de combat :
et “Alphajet”, l’objectif étant de gagner Martell” a été transférée vers Cognac la suisse et l’australienne.
6
En bref
Un nouveau Cessna L-19 L’AAMA lance son cycle
de conférences au musée de l’Air
restauré à Chavenay Le 2 avril, l’association des Amis du musée de l’Air (AAMA)
À Chavenay (78), après les Cessna L-19E matricules 24-545 lance son cycle de conférence Les Briefings de l’AAMA.
F-AZTA et 24-522 F-AYVA, un troisième avion du même type Les sessions ont lieu de 15 h 00 à 17 h 00 le premier
vient d’être remis en service. Comme les deux précités, le L-19E dimanche du mois, jour de gratuité au musée, tous les
matricule 24-533 a lui aussi bénéficié des soins attentionnés deux mois ; ces conférences permettent de bénéficier
de Stéphane Debras, son propriétaire. de l’éclairage des membres de l’association, experts et
Cet avion a servi dans l’Aviation légère de l’armée de Terre (Alat), passionnés, sur des sujets techniques touchant au monde
notamment en 1959, au sein du peloton mixte avions-hélicoptères aérien. La première conférence sera animée par Jean-
auprès de la 2e division d’infanterie motorisée (PAMH, 2e DIM) basé à Pierre Lopez et aura pour thème “Les opérations aériennes
Guelma en Algérie. De retour en métropole, il a été successivement sur le porte-avions Charles de Gaulle” ; la seconde sera
utilisé à Rennes, Dax, Baden-Oos et de nouveau à Dax. Le 20 mars consacrée au ravitaillement en vol. Pour plus d’informations :
1973, il a été accidenté dans les Pyrénées, dans le secteur du massif https://aamalebourget.fr/
du Carlit non loin de Saillagouse (66), ce qui a entraîné sa réforme.
Bien plus tard, l’épave de la cellule a été récupérée et a servi de base L’“Alouette” III Marine n° 358
aux travaux d’une longue et minutieuse reconstruction. Dans ce cadre, continuera à voler
le réseau de l’International Bird Dog Association a pu être sollicité comme aéronef de collection
pour des pièces détachées. Fait notable, au regard du travail de
quasi-reconstruction accompli et bien que lui ayant attribué un CNRAC
(Certificat de navigabilité restreint d’aéronef de collection)
et l’immatriculation F-AYSD, la Direction générale de l’aviation civile
Le F-AYSD est
ne le considère pas comme un Cessna original. En conséquence de
le troisième
quoi l’avion est devenu officiellement un SD-01 (SD pour Stéphane
Cessna L-19
Debras et 01 parce que c’est le seul). Malgré cet artifice administratif,
restauré par
l’avion a retrouvé les couleurs et le code BIE qui étaient les siens Stéphane
lorsqu’il était en service en Algérie. Marc Bonas Debras.

LES ANCIENNES PALES

L’association Les Anciennes Pales, présidée par Pascal


Petitgenet (par ailleurs directeur de la société spécialisée
dans la maintenance des hélicoptères Héli Technique), et
installée à Signy-Signets (77), a procédé à la récupération de
l’“Alouette” III Marine n° 358 sur la base de Lanvéoc-Poulmic
le 9 mars dernier. La Marine nationale a cédé cet hélicoptère
à l’association, qui œuvre pour le maintien en état de vol
du patrimoine volant, entre autres, de l’Aéronautique navale ;
MARC BONAS
Pascal Petitgenet fait déjà voler, notamment, une ancienne
SE 3130 “Alouette” II dite “Caddy volant” car montée sur
Un timbre pour les 70 ans quatre roulettes, de la Marine, la n° 1163 immatriculée
F-AZYB au registre des aéronefs de collection.
de la Patrouille de France Un F-104 en vol annoncé
Dans le cadre des 70 ans de la Patrouille de France, La Poste au meeting des 100 ans
édite un collector commémoratif de quatre timbres dont de la force aérienne italienne
la conception a été confiée à Régis “Rage” Rocca, graphiste, peintre
de l’air et de l’espace, bien connu pour les décorations commoratives
qu’il a conçues pour nombre d’avions de l’armée de l’Air et de l’Espace.
Le nouveau numéro du “petit frère” du Fana de l’Aviation, Planète Aéro,
est entièrement consacré à l’histoire de la Patrouille de France.
LA POSTE
Le collector
contient quatre
timbres. Il a été
conçu par Régis
“Rage” Rocca, STARFIGHTERS AEROSPACE/MATT HASKELL
peintre de l’air
Lors du meeting du 100e anniversaire de la force aérienne
et de l’espace.
italienne, qui se tiendra du 16 au 18 juin prochain sur
la base de Pratica di Mare, en Italie, un Lockheed F-104
“Starfighter” sera présenté en vol. En effet, la société
Starfighters Aerospace, qui officie depuis Cap Canaveral
en Floride, a accepté d’expédier en Italie l’un des quatre
anciens F-104 de la force aérienne italienne qu’elle fait
voler, juste pour l’événement !

7
ACTUALITES

NIGEL HITCHMAN

Un historique DH 89 “Dominie”
restauré en Nouvelle-Zélande,
à destination de la Californie
Le 23 février dernier, sur de la New Zealand National Airways VH-ATZ. Après avoir rejoint Londres en Ci-dessus
l’aérodrome d’Ardmore, près de Corporation (NAC) à ouvrir la ligne reliant vol, sous le numéro de course 20 et avec le DH 89 de
Auckland en Nouvelle-Zélande, l’île du Nord de la Nouvelle-Zélande à celle l’équipage Jack E. Moon, Dave. W. Gray et Charles Somers
Ryan Southam a procédé au premier du Sud par-dessus le détroit de Cook. M. A. “Ray” Cooney, le “Dominie” ZK-AKU aux mains de
vol après restauration du De Havilland Il était alors baptisé Tawaka (canard gris) termina la course puis traversa la mer de Ryan Southam
DH 89B “Dominie” immatriculé N663HG et immatriculé ZK-AKU. Il fut ensuite vendu Tasmanie pour rentrer en Nouvelle-Zélande pour son
– immatriculation américaine car il est en 1963 à l’aéro-club de Nelson puis à la le 14 janvier 1970. Il fut restauré une premier vol
destiné au collectionneur américain Charles société Patchett Safaris de Christchurch première fois à Ardmore de 1972 à 1977, le 23 février
Somers, basé à Sacremento en Californie. en 1965. La société Rotorua Aerial Charter fut rayé du registre des immatriculations dernier.
Le bimoteur a été restauré ces trois en fit l’acquisition en 1967, avant de le néo-zéalandais le 1er avril 1992, puis y fut
dernières années par la société spécialisée céder à Dave Gray, d’Auckland, en 1968. réintégré sous les mêmes marques ZK-AKU Le “Dominie”
AvSpecs de Warren Denholm. Il a été revêtu Le bimoteur prit part à la course aérienne en 1994. À partir de 2004, il appartint au ZK-AKU sur
l’aérodrome de
d’une livrée fictive de la New Zealand London-Sydney entre le 17 décembre NZ Historic Aircraft Trust, basé à Papakura,
Paraparaumu,
Airways, dont les couleurs ont été choisies 1969 et le 2 janvier 1970, la BP England- qui l’avait repeint dans sa livrée de la
en Nouvelle-
par la femme de Charles Somers. Australia Commemorative Air Race, qui fut RNZAF. Il a été acquis par le collectionneur
Zélande, en
Il devait être démonté et expédié remportée par le Britten Norman “Islander” américain Charles Somers en 2020.
avril 1949.
en Californie assez rapidement.
Construit en 1943 sous licence par
la Brush Electrical Engineering Company Ltd
à Loughborough, en Grande-Bretagne,
en tant que DH 89B “Dominie” avec
le matricule HG663, cette version militaire
du fameux “Dragon Rapide” a d’abord servi
au sein de la Royal New Zealand Air Force
à partir de novembre 1943 avec le matricule
NZ528, après avoir été transportée jusqu’en
Nouvelle-Zélande par un cargo. Vendu
comme surplus à l’issue de la guerre le
30 août 1946, il poursuivit ensuite
une carrière civile en Nouvelle-Zélande.
Il fut l’un des trois “Dragon Rapide”
de la compagnie Union Airways
AIRHISTORY.NET

8
En bref
In memoriam Second vol d’essai, cette fois sans
problème, pour le A-26 “Invader”
Roland de Narbonne de Kermit Weeks
Roland de Motais de Narbonne s’est envolé à 89 ans. Son Le Douglas A-26B “Invader” matricule 41-39401 du
nom ne nous était pas inconnu parce que, au cours de nos collectionneur floridien Kermit Weeks a effectué son second
recherches, nous l’avions souvent trouvé dans le journal Les Ailes, vol post-restauration, cette fois sans problème, le 20 février
où son père, pilote de ligne, créateur de la compagnie Mercure, dernier depuis l’aéroport de Chino, près de Los Angeles
puis lui-même, avaient signé des articles nombreux. Le hasard en Californie, avec Steve Hinton aux commandes et Tucker
me fit rencontrer ce grand bonhomme, enjoué, très sympathique. Yamada en copilote. Le 2 mai 2022, lors du premier vol
Il avait aussi été éditeur, notamment de la documentation technique d’essai, la verrière s’était ouverte inopinément après
de Dassault Aviation pendant 30 ans, et, parce qu’il n’habitait quelques minutes de vol, contraignant Steve Hinton à
pas très loin de chez moi, m’avait invité à découvrir ses rayonnages ramener rapidement le bimoteur au sol. L’origine du problème
d’archives et de photos, résumé impressionnant d’une carrière. a été identifiée : une modification connue qui n’avait pas été
C’est ainsi qu’était venue l’idée de lui ouvrir dans Le Fana appliquée sur la pièce de verrouillage d’origine de la verrière.
de l’Aviation une chronique régulière ; il s’en était étonné Cet “Invader” aurait servi en temps de guerre avec la 9th Air
avant de se prendre au jeu avec enthousiasme. Force, puis avec la Garde nationale de la Californie, à Van
J’ai toujours considéré que la collaboration de celui que je
considérais comme un de mes “anciens” était un honneur, avec le
sentiment qu’elle ancrait un peu plus la revue dans la longue lignée
des publications aéronautiques qui, née au XIXe siècle, doit être
à la base des connaissances de tout historien de l’aéronautique.
La culture de Roland de Narbonne était immense tant il avait été
familier des arcanes de l’industrie aéronautique française.
Il ne se voyait pas pour autant historien ; c’était un grand témoin
dont les souvenirs passionnants étaient cependant évoqués avec
discrétion. Roland de Narbonne était un homme simple, fier de son
ouvrage, bien ancré dans ses convictions, qui cultivait ses traditions
chrétiennes comme son jardin, avec grand soin. VIA KERMIT WEEKS

Son départ nous émeut. Que son épouse et sa nombreuse famille Nuys, avant de commencer à être utilisé à partir de 1959 par
soient assurées de notre sympathie respectueuse et profonde. des propriétaires civils avec l’immatriculation N3457G et le
Michel Bénichou nom Whistler’s Mother. Acquis en 1987 par Kermit Weeks,
l’“Invader” avait été endommagé à Tamiami, en Floride, lors
Roland de l’ouragan Andrew le 24 août 1992, alors qu’il était exposé
de Narbonne
dans le Weeks Air Museum. Il avait été transporté par camion
a publié dans
jusqu’à Chino en 1997, où la société Aero Trader procédait
Le Journal de
depuis à sa restauration.
Tintin, L’Express et
Sciences et Vie. À
travers ses articles La superbe collection Hangar 10
de Tintin Aviation, sera-t-elle dispersée ?
il semble avoir
“été la cause”
de nombreuses
vocations
de pilotes ! Il
tint pendant
plusieurs années
la rubrique “Il
y a 60 ans dans
l’aéronautique
DR
française” dans
Le Fana de Assemblée au fil des ans par le collectionneur allemand
l’Aviation. Volker Schülke, la collection Hangar 10/Air Fighter Academy,
FAMILLE DE NARBONNE
abritée dans des hangars sur l’aérodrome d’Heringsdorf, sur
l’île de Usedom, était une des plus importantes d’Allemagne.
Flying Legends de retour… Mais depuis le décès de Volker Schülke à l’âge de 57 ans,
aux commandes de son Pilatus P-2 en août 2020, son
à Leeds ! futur était des plus incertains. En janvier dernier, tous les
avions de Hangar 10 sont apparus “à vendre” sur le site du
Nous vous avions annoncé dans notre n° 639 que de courtier spécialisé en warbirds Boschung Global : Polikarpov
nombreux indices concordants laissaient présager le retour Po-2, Fieseler “Storch”, Bücker “Jungmann”, Bücker
du mythique spectacle aérien Flying Legends après trois années “Jungmeister”, Messerschmitt Bf 108, Bf 109 G-6 et Bf 109
d’absence. The Fighter Collection a levé fin février le voile sur l’endroit G-14, ainsi qu’une reproduction de Fw 190 A-8, construite
où il aurait lieu : l’aéroport Leeds East, près de la ville de Leeds, dans sur la base d’un des fameux kits de la société FlugWerk
le Nord de l’Angleterre, soit l’ancienne base de la RAF de Church (photo ci-dessus). Aucun prix n’est affiché. Reste donc
Fenton. Cependant, l’annonce de la Fighter Collection sur les réseaux à savoir si la collection sera vendue “par appartements”
comporte cette mention : “Airshow is subject to licensing approval”, ou si un collectionneur en fera l’acquisition dans sa totalité.
c’est-à-dire “sous réserve d’agrément”. À suivre donc.
9
LE COURRIER
Une ambulance inconnue
Cher Fana. Je suis membre de l’aéro-club des Ipsa
(Infirmières parachutistes secouristes de l’air), créé
en 1950 à Guyancourt et basé à Toussus depuis 20 ans.
Nous avons à cœur de faire perdurer la mémoire des Ipsa,
et aussi de mieux connaître et faire connaître leur histoire.
Parmi les quelques photos en notre possession, cet avion sanitaire,
un prototype semble-t-il que nous sommes bien en peine
d’identifier. Pouvez-vous nous en dire plus ? Merci d’avance
et félicitations pour votre journal si attendu chaque mois !
Pierre Ouvrier

Il s’agit du Morane-Saulnier MS.700


“Pétrel”. Ce bimoteur effectua son premier vol le
9 janvier 1949. Il fut proposé comme avion d’évacuation
sanitaire, ce qui explique la scène sur votre photo. Toute Le premier prototype
la courte histoire de cet avion est dans la bible sur son du MS.7000 “Pétrel”
constructeur : Morane-Saulnier, ses avions, ses projets, (F-WFDC).
d’Henri Lacaze et Claude Lherdet, publié en 2013.
DR/COLL. PIERRE OUVRIER

Un Caudron, pas un Klemm


Quelques petits mots (maux ?) “Élémentaire
concernant Le Fana de mon cher Watson”, comme
l’Aviation n° 640. Page 54, Maryse disait Sherlock Holmes.
Bastié n’est pas sur le Klemm L 25 L’aile haute écarte
(aile basse) mais sur le Caudron la possibilité du Klemm.
C.109/1. La photo de l’avion complet L’auteur de la légende est
(F-AHFE) se trouve dans le Docavia bon pour la tournée générale
n° 9 (records français) page 83. Un au Bar de l’Escadrille.
Caudron C.109, le F-PFLN (ex F-AIQI)
est au Musée du Bourget. Maryse Bastié
Jean-Yves Niel sur son Caudron C.109/1.
GAMMA/KEYSTONE/GETTY

La malle mystérieuse de Mister Guillem


La réponse du mois dernier photo publiée, le “Vector” est vu au Bourget en 1991.
Vous fûtes nombreux à bien répondre. Saluons Éloi, 14 ans, qui écrit Le programme fut finalement abandonné.
très justement : “Je pense qu’il s’agit là d’un Embraer CBA 123 “Vector”, Le défi du mois
produit à un exemplaire. Il est motorisé par deux turbopropulseurs TPF351 L’ami Jacques Guillem vous met au défi de trouver le pedigree
de 970 ch chacun. Il fit son premier vol en 1990.” Précisons que sur la de cet impressionnant bimoteur.

Un drôle
de mutant…
DR/COLL. JACQUES GUILLEM

10
Mes vols sur la Caravelle Zéro G
À la même époque où je donner d’explication. Le surnom
participais aux essais en vol de “Vomit Airlines” n’était pas usurpé,
du “Transall” rénové (objet de mon surtout les premières fois, le temps
témoignage paru dans le n° 633 de s’accoutumer, assez rapidement
d’août 2022), j’ai eu l’occasion de faire en fait, car les accélérations sont
cinq vols sur la Caravelle n° 234 en toujours les mêmes. Une petite pilule
remplacement de l’ingénieur d’essai permettait de limiter le mal
habituel. Selon les vols, on pouvait des transports mais donnait soif,
trouver aux commandes Jean-Loup soif qu’il ne fallait pas étancher,
Chrétien ou Jean-Pierre Haigneré. Par car les toilettes étaient condamnées
contre, le troisième homme chargé des afin d’éviter d’affubler la Caravelle
commandes moteur était un mécanicien d’un autre surnom. Les parachutistes
navigant d’essai et non un pilote d’essais chargés de la sécurité à bord
comme sur l’Airbus. La durée du vol avaient un grand sac-poubelle pour
pour 31 paraboles était de 3 h 30 min récupérer dès que possible les “sacs
environ – je signale une erreur dans le à vomi”. Quand on est malade dans
CAEA
texte du Fana n° 640 qui parle de les 10 premières paraboles, le temps
trois quarts d’heure au lieu de semble long jusqu’à la 31e.
3-4 heures. Pourquoi 31 paraboles : L’installation d’essais que je gérais
parce que la première est une “mise en se trouvait au droit du rare hublot
jambes”. Les virages n’étaient possibles fonctionnel permettant de voir
que dans le palier de 5 minutes entre l’horizon sous une assiette variant
deux séries de trois paraboles (1 minute de + 55 à - 55 degrés au cours
par parabole et 2 minutes de pallier de la parabole, spectacle inhabituel
entre chaque parabole), aussi comme pour un avion de ligne. Par contre
les vols étaient réalisés à partir de la je n’ai pas eu la chance de participer
base d’essais de Brétigny-sur-Orge en à un vol d’entraînement où la cabine
direction de la Bretagne, les contrôleurs était entièrement vide, ce qui
essais réception travaillant à Orly permettait toutes sortes d’évolutions en
négociaient en temps réel la trajectoire micropesanteur, surtout si un camarade
avec les contrôleurs civils qui déviaient vous donnait une bonne impulsion.
parfois certains avions de ligne sans Richard Duriez
CAEA
La Caravelle
Zéro G baptisée
“Vomit
Airlines” à bord
de laquelle
notre lecteur
a volé.

CAEA

Faites-nous
vivre vos Ferté !
Rendez-vous cette année
les 27 et 28 mai pour célébrer
la 50e édition du meeting aérien
Le Temps des Hélices à Cerny-La Ferté
Alais. Dans cette perspective,
Le Fana de l’Aviation vous propose
chers lecteurs de publier dans
le numéro de juin vos plus belles
photos des avions marquants,
de vos souvenirs impérissables lors
des précédentes éditions. À vos Le Stampe SV4C n° 320 F-BCLT
albums, à vos cartons d’archives. le 25 mai 1974.
Faites-nous vivre vos Ferté !
CLAUDE PETIT

11
À LIRE, À VOIR
Une légende d’innovations. Citons L’arme fatale verra ses avantages dans le ciel au fil
des ailes ce prototype de voiture
électrique à la ligne très
sublimés. Cette synthèse
efficace en anglais
des albums depuis
1959. La série “Classic”
françaises Art déco conçu en 1941,
des hélicoptères à rotors
revient sur les premières
opérations et les tactiques
propose leurs aventures
dans les années 1960. Ici
contrarotatifs, ou encore employées. Des schémas nous voilà au temps des
le modèle 941, l’avion permettent de comprendre “Super Mystère” B2 de la
interurbain à décollage les avantages 10e escadre de chasse.
court qui parvint même (et les inconvénients) Nos deux acolytes partent
à séduire les Américains. du “Mustang” face à ses en échange d’unité avec
Parmi les réalisations adversaires. L’ensemble les “Sabre” canadiens
Breguet, on se fait est de facture classique, basés à Marville. Comme
surprendre par cette mais très intéressant. le soulignait Maurice
Voici un objet qui étonnante voiture volante Larrayadieu dans
semble avoir été conçu imaginée en 1935. Là P-51B/C Mustang, Le Fana de l’Aviation
spécialement pour le encore, Breguet est un La série Dogfight Northwest Europe n° 638 (“Ah voler sur
plaisir du lecteur du Fana. précurseur. Le récit se des Éditions Osprey se 1943-44 le “Sabre” !”), l’avion
Descendant de l’horloger poursuit sous l’enseigne penche avec ce volume Par Chris Bucholtz canadien représentait
de Neuchâtel, Louis Dassault à compter de sur les P-51B/C en Chez Osprey le nec plus ultra
Breguet (1880-1955) est 1967, la firme de Saint- opération sur l’Europe 80 pages, 16,25 € des chasseurs en Europe
un pionnier de l’aviation. En Cloud ajoutant alors à son occidentale en 1943 ISBN 9781472850041 à cette époque.
couverture, le Breguet n° 1 catalogue le “Jaguar”, et 1944. Brossons Ici nos héros sont
qui fit son premier
vol le 28 juin 1909.
l’“Alizé” et l’“Atlantic”. On
saluera le format italien
un aperçu de la situation
dans les airs à l’époque. Les super confrontés
à un mystérieux “Sabre”
Du Breguet XIV des lignes
Latécoère à l’“Atlantic” de
favorisant l’iconographie.
Des affiches publicitaires
La campagne de
bombardement stratégique
“Sabre” américain affublé d’un
insigne de tête de pirate
l’Aéronavale, toujours en d’époques et des dessins américaine rencontre qui attaque régulièrement
service, la société Breguet de l’industriel apportent une forte opposition les Canadiens.
Aviation est associée au charme de l’ensemble. dans le ciel de l’Allemagne. Pourquoi ? Dans quel
aux plus belles pages de Réalisé par le petit-fils de Il faut impérativement objectif ? Installez-vous
l’aéronautique française. l’avionneur, ce bel ouvrage des chasseurs d’escorte. confortablement au coin
On retrouvera en majesté aurait toute sa place Le North American du feu avec cette BD dans
le modèle XIX dessiné dans un espace réservé P-51B “Mustang” les mains ; vous trouverez
pour les grands raids, aux livres d’art. Pas est un excellent tous les ingrédients d’un
les hydravions des années d’hésitation ! compromis entre bon Tanguy et Laverdure !
1930, et forcément, le Philippe Wodka-Gallien distance franchissable
“Deux-Ponts”, une réussite et maniabilité. Il ne tarde Le Mystère
technologique : aucun Breguet, un siècle pas à devenir du Sabre jaune
ne connut d’accident ! d’aviation indispensable aux B-17 Par Patrice Buendia
Aurait-il inspiré l’Airbus Emmanuel Breguet et B-24 qui partent Faut-il encore présenter et Matthieu Durand
A380 européen ? Peut- Édition Privat en opération contre Tanguy et Laverdure ? Chez Dargaud
être… Incontestablement, 148 pages 29,5 € le IIIe Reich. Avec sa Notre célèbre duo 48 pages, 15,5 €
Breguet fut un laboratoire ISBN 978-2-7089-6267-5 version P-51D, le chasseur d’aviateurs se balade ISBN 978-2205-20320-2

Le lac de Klagenfurt
où un sous-marin a retrouvé
la cuve de schnaps contenant
les archives du Kif 255.
Révélation
Pour une surprise c’est une surprise. d’être de plus petite taille. Achevé en mars 1945,
Le professeur Ludwig Aprilscherz propose le Klagenfurt Kif 255 effectua un seul et unique
une véritable bible sur un programme décollage le 1er avril ; le prototype s’écrasa, tuant
de chasseur allemand datant de 1945 jusqu’ici son pilote d’essais Fritz Nichtbaul.
inconnu. Voici la première étude exhaustive Toute cette histoire aurait pu n’être jamais
sur le Klagenfurt Kif 255. C’est un choc pour racontée si le hasard n’avait pas conduit
tous les spécialistes de la Luftwaffe 46 le professeur Aprilscherz à tomber par hasard
– les nombreux projets d’armes miraculeuses au milieu du lac de Klagenfurt, dans une cuve
qui devaient retourner le sort de la guerre de schnaps, sur toutes les archives
et provoquer la victoire du IIIe Reich. du programme qui avaient été dissimulées
Cette histoire commence fin 1944 quand à la fin de la guerre. Il en tire un ouvrage
l’oberingenieur Helmut von Klagenfurt proposa imposant qui sera certainement un classique
le concept révolutionnaire de chasseur-fusée dans toutes les bibliothèques sur l’aviation
qui décollait sur un chariot roulant sur une qui se respectent, sans oublier les spécialistes
piste circulaire. Le chasseur pouvait échapper tatillons de la Luftwaffe 46.
Kl
Klagenfurt
f Kif 2255 ainsi aux attaques des chasseurs alliés qui Le livre, de fort bonne facture, est imprimé
Par Ludwig Aprilscherz prélevaient un lourd tribut aux escadrilles à très peu d’exemplaires sur de la peau
Chez Weisse Mäuse Sehen partant des pistes classiques. Les pistes de poisson tannée pour épargner les forêts
666 pages, 500 € circulaires présentaient aussi l’avantage selon son auteur.
ISBN 978-2736647537

DR

12
HISTOIRE
La première campagne du GC III
Normandie (mars-novembre 1943)
Une épreuve
du feu glorieuse,
mais chèrement
payée
Première partie.
Lorsque le groupe de chasse III Normandie
s’apprête à être engagé dans le combat, la bataille
de Stalingrad vient de s’achever sur un succès
écrasant et décisif pour l’Armée rouge. Le front s’est
relativement stabilisé, les deux camps regroupant
leurs forces en perspective des grandes offensives
du printemps et de l’été 1943.
Par Yves Donjon.
Auteur de Ceux de Normandie-Niémen,
administrateur du Mémorial Normandie-Niémen.

L
e 22 mars 1943, à 11 h 40, 13 vitch Zakharov. Doté d’un physique
pilotes du GC III Normandie, impressionnant, Gueorguy Zakha-
avec à leur tête le comman- rov fait déjà figure de baroudeur à
dant Jean Tulasne, décollent seulement 34 ans. Engagé en 1930
à bord de leur Yak-1 de la dans l’aviation de l’Armée rouge, il
base d’Ivanovo, pour rejoindre le a participé, de septembre 1936 à août
front et le terrain de Moukovnino- 1937, à la guerre d’Espagne en tant
Polotniani-Zavod. Un des 14 Yak-1 que pilote de chasse sur Polikarpov
du groupe ne peut s’envoler ce jour-là, I-16 “Ichak” (âne ou petit mulet en
par suite de problèmes mécaniques. russe) et a remporté six victoires
Trois Lisunov Li-2 convoient le per- aériennes officielles.
sonnel technique et administratif du Envoyé en Chine en 1938 pour
groupe, ainsi que du matériel. commander l’aviation de Tchang
L’extraor dinaire aventure du Kaï-chek, il a combattu les Japonais
Normandie commence (lire Le Fana et obtenu trois nouvelles victoires.
de l’Aviation n° 631 - juin 2022 - “La En tant que colonel, il commande la
création du GC III Normandie, Les 43e division aérienne de chasseurs
prémices d’une grande aventure”). lors du déclenchement de l’opéra-
tion Barbarossa (nom de code dési-
Accueilli par Zakharov, gnant l’invasion de l’Union sovié-
tique par les armées du IIIe Reich),
un baroudeur le 22 juin 1941. Promu général,
Le Normandie se voit rattaché à Gueorguy Zakharov est à la tête de
la 303e division aérienne de chasse la 303e division aérienne depuis fé-
(303e IAD) placée sous le comman- vrier 1943. Division d’élite, la 303e
dement du gén. Gueorguy Nefiodo- compte dans ses rangs quatre régi-

18 MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN
Albert Durand (à gauche)
et Jean Tulasne, à Khationki,
en juillet 1943.

19
PREMIÈRE CAMPAGNE DU GC III NORMANDIE

ments de chasseurs : le 18 e com- Le commandant


mandé par le col. Anatoli Goloubov Jean Tulasne
(l’un des plus grands as de la chasse fut à la tête
soviétique), le 9e du col. Lavrinenkov, du Normandie
le 139e du col. Petrovetz et le 523e du du 22 février au
col. Pilchtchikov. Le 18e vient d’être 17 juillet 1943.
proposé pour porter le titre très en-
vié de régiment “de la Garde”, dis-
tinction hautement honorifique – et
convoitée – attribuée pour conduite
remarquable au feu.
À l’arrivée des aviateurs français
à Polotniani-Zavod, le gén. Sergueï
Khondiakoff, commandant la 1re ar-
mée aérienne de l’Armée rouge,
dont dépend la 303e division, leur
souhaite la bienvenue dans son ar-
mée et les plus grands succès tout en
les mettant en garde contre la force
et la ruse de l’aviation allemande
ennemie. Dès ce premier contact, un
immense courant de sympathie
passe entre les Russes et les
Français ; celui-ci ne se démentira
jamais. De plus, entre Gueorguy
Zakharov et les hommes du
Normandie, l’entente est immédiate.
Le bouillant et sentimental général
MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN
partage avec les Français – qui de-
viendront rapidement “ses” Le gén. Gueorguy
Franzouski – l’esprit de camaraderie Zakharov,
et la soif de bagarre. Chef charisma- commandant de
la 303e division
tique, aimé de ses hommes,
aérienne
Gueorguy Zakharov sera l’ange gar-
soviétique, à
dien du Normandie, et ce pendant
laquelle était
toute la durée de présence sur le sol rattaché le GC III
soviétique des aviateurs français. Normandie.
Se familiariser avec
l’aviation soviétique
Polotniani-Zavod (qui signifie la
minoterie, en russe), est situé à
170 km au sud-ouest de Moscou et
20 km au nord-ouest de Kalouga. Le
village ayant été en grande partie
brûlé par l’armée allemande, ne sub-
sistent plus qu’une dizaine de mai-
sons en bois (les isbas) et un vieux
moulin. Le terrain de Moukovnino-
Polotniani-Zavod se trouve à une
centaine de kilomètres du front véri-
table ; il a été choisi pour permettre
aux Français de se familiariser avec
les méthodes de l’aviation de chasse
soviétique. Habituellement, les ter-
rains utilisés par l’aviation soviétique
sont rarement éloignés de plus d’une
cinquantaine de kilomètres de la
ligne de front.
Moukovnino ressemble à tous
les terrains que le Normandie va
connaître dans les mois à venir. Ce
n’est qu’une simple bande de terre
enneigée, damée quotidiennement,
en bordure d’un bois où des al-
véoles ont été aménagées pour ca-
moufler les avions. Les Français
découvrent les hébergements du
MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN

20
DHORNE
VINCENT

Le Yak-1b n° 43 du capitaine Littolff, fin mars 1943 à Polotniany-Zavod.

front, des abris nommés en russe (37 h 10 min ; 437 h 45 min), André aspirants Yves Bizien (21 h 10 min ;
zemlianka (littéralement : hutte ou Poznanski (60 heures ; 348 h 40 min), 3 4 8 h 10 m i n), Joseph R isso
gourbi). Ces abris sont constitués Albert Preziosi (26 h 25 min ; (53 heures ; 741 heures), et deux pi-
de rondins recouverts de terre, 403 h 40 min), les sous-lieutenants lotes de liaison : le lt Jean de Pange
chauffés par un gros poêle. Les Marcel Albert (également secré-
Soviétiques ont libéré le seul “loge- (9 0 heu res ; taire et rédacteur
ment confortable” pour y installer 703 heures), Noël du Journal de
les aviateurs français. C a stela i n marche de l’unité)
L e personnel navigant du Le cne Albert (10 0 heu re s ; et l’asp. Michel
Normandie est constitué de 14 pi- Littolff, as aux 981 h 30 min), Al- Schick (également
lotes de chasse (entre parenthèses six victoires bert Durand i nt er p rèt e et
sont mentionnés le nombre d’heures obtenues durant (10 1 h 3 5 m i n ; chargé de la liai-
de vol de guerre et le nombre la campagne de 6 2 1 h 1 0 m i n) , son sol-air).
d’heures de vol total de chaque pilote France de mai- Roland de La Dès le
à la fin mars 1943) : le cdt Jean juin 1940. P o y p e 24 mars, les re-
Tulasne (65 h 0 5 min ; 1 917 h 45 min), (10 9 h 3 5 m i n ; connaissances du
le capitaine Albert Littolff 4 9 6 h 4 5 m i n) , front imparties au
M N
ÉMORIAL -N
ORMANDIE IÉMEN
(294 h 05 min ; 1 953 h 40 min), les Mar cel Lefèvre Normandie sont
lieutenants Didier Béguin (167 h 35 ; (45 h 50 min ; 1 078 h 15 min), Yves entreprises, ainsi que les premières
1 167 h 50 min), Raymond Derville Mahé (65 h 25 min ; 619 h 25 min), les escortes de bombardiers Petlyakov

Petlyakov Pe-2 du 261e régiment ▲


de bombardiers du cdt Dymchenko
que le Normandie accompagnait
régulièrement.

MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN

21
PREMIÈRE CAMPAGNE DU GC III NORMANDIE

“ Lequi
redoutable dégel
contraint
les mécaniciens à porter
les avions embourbés ”
la chance de trouver une petite route
assez droite pour poser son avion
sans dommage.
Le s/lt Albert Le lendemain, le gén. Khondia-
Durand et le koff adresse aux Français un télé-
lt Albert Preziosi gramme de félicitations, précisant
(de g. à d.) que “les équipages ont observé que
obtinrent les les hôtes ont abattu deux avions en-
deux premières nemis.” C’est ainsi que la victoire
victoires probable de Durand est convertie en
officielles victoire confirmée.
du Normandie Les missions se succèdent malgré
le 5 avril 1943. les multiples difficultés engendrées
MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN
par le redoutable dégel (la raspou-
Pe-2 qui appartiennent au 261e régi- rière des bombardiers. Sur le chemin titsa en russe) qui contraint pratique-
ment du cdt Dymchenko. Quant à la du retour, deux Focke-Wulf 190
chasse allemande du tentent d’intercepter
secteur, précisons les bombardiers.
qu’elle est assurée par L’un des Fw 190, tiré
la t rès fa meuse plein arrière et à très
Jagdgeschwader 51 courte distance par
(JG 51, escadre de Preziosi, part en pi-
chasse 51 – surnom- qué. Les équipages Yves Bizien
mée escadre Mölders des Pe-2 le voient disparut
en hommage au cé- s’écraser en flammes. le 13 avril.
lèbre pilote Werner Le second Fw 190 est
Mölders, as aux 115 tiré trois quarts avant
victoires). par Durand.
D ’emblée à la Immédiatement, le
pointe de l’action, les chasseur allemand
pilotes du Normandie M N
ÉMORIAL -N
ORMANDIE IÉMEN dégage en piqué, traî-
vont rapidement im- nant dans son sillage
pressionner le com- une épaisse fumée
m a n d e m e nt d e s noire ; la victoire de
Forces aériennes so- Durand est considé- André Poznanski,
viétiques. Les com- rée comme probable. autre pilote
bats vont succéder Les deux Pe-2 et les qui ne rentra
aux combats, toujours deux Yak-1 rentrent pas de mission
plus âpres, tout au au terrain sans avoir le 13 avril…
long desquels les vic- reçu la moindre balle.
toires vont s’accumu- Arrivés au-dessus du
ler mais avec leur iné- terrain, Preziosi et
vitable lot de pertes. M N
ÉMORIAL -N
ORMANDIE IÉMEN Durand effectuent
Le 5 avril 1943 est chacun un tonneau
une date à marquer lent symbolisant les
d’une pierre blanche deux premières vic-
pour le Normandie toires du Normandie.
… tout comme
qui, ce jour-là, inau- Pendant ce temps, à
Raymond Derville
gure son palmarès. la suite d’une mission qui disparut
Après une première longue à plus de dans le secteur
mission sans incident, 100 km derrière les de Krassilino.
le lt Preziosi et le sous- lignes allemandes,
lieutenant Durand Albert et Mahé se
décollent pour accom- posent en campagne
pagner deux Pe-2 à court de carburant.
M N
ÉMORIAL -N
ORMANDIE IÉMEN
dans la région de En fin de roulage, le
Roslavl-Smolensk. Les deux Yak d’Albert s’enfonce dans la terre
Français, prêts à intervenir, évoluent meuble gorgée d’eau. Hélice tordue,
du côté du soleil, au-dessus et en ar- l’appareil doit être dépanné. Mahé a DR

22
ment les mécaniciens français à por-
ter les appareils qui s’embourbent
souvent plusieurs fois entre leurs
alvéoles et la piste de décollage ;
celle-ci est recouverte d’un mélange
d’eau, de neige fondue et de boue.
Le 13 avril est une journée par-
ticulièrement active : trois Fw 190
sont confirmés détruits après avoir
percuté le sol dans la région de
Spass-Demiansk. Deux sont crédi-
tés à Mahé et Durand ; le troisième
appareil, abattu en collaboration,
est à l’actif de Derville, Poznanski
et Bizien. Mais hélas, ces cinq vic- Albert Preziosi
toires obtenues en huit jours sont serrant la main
aussi accompagnées des premiers d’un capitaine
deuils du Normandie. Ce même du 18e régiment
13 avril, Yves Bizien, Raymond de la Garde.
MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN
Derville et André Poznanski ne
rentrent pas à la base à l’issue du Les Allemands ayant identifié frères furent arrêtés à Dieppe, puis
combat ayant opposé six Yak-1 du Yves Bizien par ses papiers en par- emprisonnés à Rouen et ensuite à
Normandie à huit Fw 190. Les trois tie calcinés, la famille de celui-ci fut Compiègne. De là, sa mère fut diri-
pilotes ont disparu dans le secteur victime de représailles. Fin sep- gée sur Ravensbrück ; son père et
de Krassilino. tembre 1943, ses parents et ses deux ses deux frères sur Buchenwald. Sa


Fw 190A de la JG 51 dans le secteur
de Smolensk en mars 1943.

23
PREMIÈRE CAMPAGNE DU GC III NORMANDIE

DHORNE
VINCENT

Le Yak-1b piloté par Marcel Albert alors que l’unité


était basée à Mosalsk en mai 1943.

mère mourut le 19 décembre 1944 ; être par la suite exécutés. Keitel gén. Khondiakoff, très touché, vient
son père le 9 février 1945, et son donna en outre des instructions pour voir en personne le cdt Tulasne pour
frère Albert, trois jours plus tard. que des mesures sévères fussent lui exprimer sa peine sincère et lui
Seul son frère André a survécu à la prises à l’égard des parents ou amis dire qu’il faut entreprendre des re-
déportation. des aviateurs du Normandie qui les cherches pour essayer de découvrir
aidaient à s’évader de France. le sort des trois pilotes portés man-
L’ordre d’exécuter les Le Yak de Raymond Derville fut quants. Il fait également comprendre
retrouvé écrasé au sol, à 15 km à au cdt Tulasne que le Normandie
Français du Normandie l’intérieur des lignes allemandes, doit durer, lui déclarant : “Ces pertes
Après la guerre, les Français sans aucune trace de son pilote. sont les premières et doivent être les
apprendront que le maréchal Keitel, L’affirmation – émise depuis de très dernières.” Peut-être sent-il la faute
chef de l’état-major suprême alle- nombreuses années – selon laquelle du commandement français qui a
mand, avait signé, en mai 1943, un Raymond Derville aurait été fusillé lancé sur un front meurtrier une
ordre spécialement consacré aux Un abri par les Allemands n’a jamais été avé- unité si faible en effectif pilote et
aviateurs français du Normandie qui au front rée. De nombreuses recherches ont sans réserve… Puis il ajoute que les
tombaient entre les mains de la (zemlianka). été effectuées en Russie, mais à ce futures missions de confiance
Pilotes et
Wehrmacht. Considérés comme des jour, le sort exact de Raymond confiées aux pilotes du Normandie
mécaniciens
francs-tireurs, ces derniers devaient Derville reste inconnu. leur permettront de “venger au cen-
étaient logés
être remis au gouvernement de Dans la soirée de ce funeste tuple les camarades disparus”. Il
dans des
Vichy et, au terme d’un accord inter- conditions
13 avril, dès qu’il a connaissance des a n nonc e éga lement que le
venu entre Berlin et Vichy, devaient précaires.
premières pertes du Normandie, le Normandie va être envoyé plus près

MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN

24
du front, en renfort du 18e régiment s’avérer plus agréable qu’à mologué par la suite. Pour le s/
de la Garde du col. Goloubov, avec Polotniani-Zavod. De plus, la neige lt Lefèvre, c’est la première victoire
lequel il va désormais être associé. disparaissant, sur la piste, l’herbe aérienne et le début d’un brillant
Le lendemain, deux patrouilles remplace la boue, ce qui permet un palmarès, puisque dix autres vic-
commandées par le cdt Tulasne ef- accroissement significatif de l’acti- toires officielles viendront s’ajouter
fectuent une mission de chasse libre vité aérienne. De son côté, la à son tableau de chasse. Très fier de
dans le même secteur que la veille ; Luftwaffe profite des conditions ses origines normandes, Marcel
les quatre pilotes cherchent en vain météorologiques clémentes pour Lefèvre avait fait peindre sur la car-
les traces des trois Yak disparus. lancer de nombreuses missions de lingue de son Yak le portait du Père
Dans la même journée ont lieu cinq reconnaissance. Magloire, aubergiste généreux et
décollages sur alerte du terrain de Le 26 avril : missions de chasse charismatique, personnage pitto-
Falianovo, où une patrouille est déta- libre sur la route de Varsovie. Le resque, issu du folklore normand,
chée quotidiennement. caporal Benoît Saliba, mécanicien- dont les vêtements bleu, blanc, rouge
Le 15 avril, le Normandie reçoit armurier (à ne pas confondre avec mettaient en valeur les couleurs de
l’ordre de faire mouvement sur le André Saliba, son frère, également la patrie. Aux Russes qui le ques-
terrain de Vassilevskoïe, près de mécanicien au Normandie), est tionnaient sur ce dessin, Marcel
Mozalsk, à 85 km à l’ouest de blessé au bras d’une balle de mitrail- Lefèvre répondait : “C’est le Père
Ka louga et à leuse lourde, accident Magloire, un Normand qui ne capi-
moins de 40 km survenu lors de la re- tule jamais !”
du front. Dans la mise en œuvre d’un
soirée, le Yak-1. Attaqué par quatre
cdt Tulasne établit Le 2 mai, à 16 h 43,
un rapport qui tire Marcel Lefèvre, sur-
Fw 190 et deux Bf 109
les enseignements nommé “Père Le lendemain vers 17 h 00, la
des premiers en- Magloire”, et Roland Le s/lt Yves même pat rou i l le, L efèv re -
gagement s du de La Poype, dé- Mahé fut interné de La Poype, est attaquée par quatre
Normandie sur le collent pour la cin- du 7 mai 1943 Fw 190 et deux Messerschmitt
front : “Conditions quième mission de la au 23 avril 1945. Bf 109. Lefèvre ne se laisse pas sur-
générales de tra- journée. À 18 h 05, prendre par l’attaque et manœuvre
vail - Installation alors qu’ils survolent en conséquence. Il tire une courte
- Moral du per- la route d’Orlovka, rafale sur un Me 109 ; celui-ci pique
sonnel - Première Lefèvre repère un et s’écrase au sol. De La Poype réus-
impression du Henschel 126 isolé, se sit à se dégager des quatre Fw 190 en
commandement dirigeant vers l’est. À montant en spirale dans un nuage.
M N -N
ÉMORIAL ORMANDIE IÉMEN
soviétique.” trois reprises, il fait Une heure plus tard, le cne Littolff,
Le 16 avril, le Normandie arrive feu pendant quatre secondes. L’aile accompagné de son fidèle équipier,
à Vassilevskoïe ; pour des raisons droite en flammes, l’avion de recon- le s/lt Castelain, mène quatre Yak-1
mécaniques, trois Yak-1 sont immo- naissance paraît désemparé. À en mission de chasse libre dans le
bilisés à Moukovnino et rejoindront 18 h 13, Lefèvre abandonne sa proie, secteur de Silinka. Les nos 3 et 4 de la
le groupe les jours suivants. Les le Hs 126 continuant à piquer vers patrouille double sont le s/ lt Durand
Français sont logés dans les isbas ses lignes en dégageant une intense et l’asp. Risso. Après une heure de
évacuées par les habitants. Avec le fumée. Comptabilisé d’abord vol, ayant repéré un Henschel 126
retour de la belle saison, la vie va comme probable, cet avion sera ho- venant à leur rencontre, Littolff et
Castelain exécutent une attaque en
tenaille. Immédiatement, l’appareil
Les trois premiers pilotes de renfort ennemi se met à fumer ; Durand
du Normandie (de g. à d.) : Alexandre Laurent, l’achève d’une dernière rafale. Le
Adrien Bernavon, Maurice Bon, sur le balcon Hs 126 s’écrase dans ses lignes à
de la Mission militaire française à Moscou.
19 h 37. C’est la huitième victoire du
Normandie ; elle est créditée à
Littolff, Castelain et Durand.
Le 7 mai, à 5 h 00, missions de
mitraillage au sol de l’aérodrome de
Loubinka et dans le secteur de
Spass-Demiansk. Une dizaine
d’avions au sol sont détruits ou en-
dommagés, deux cantonnements
détruits, un camion-citerne et deux
voitures détruits, une centaine de
soldats allemands tués. À 11 h 00,
décollage de dix Yak-1 pour une
nouvelle mission de mitraillage au
sol, toujours dans la région de Spass-
Demiansk. Les avions du lt Béguin
et du s/lt Mahé sont touchés par la
Flak (abréviation de Flakartillerie -
en allemand : artillerie antiaé-
rienne). Malgré un moteur endom-
magé, Béguin parvient à rentrer au

MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN

25
PREMIÈRE CAMPAGNE DU GC III NORMANDIE

“auIl se porte volontaire


terrain. Mahé, qui vole alors en rase- que dix pilotes. Sans un apport ra-
mottes, fait signe à son équipier, pide de renfort, la survie et l’exis-
l’asp. Risso, qu’il est obligé de se tence même du groupe sont mena-
poser ; une tuyauterie d’essence cou-
pée, son moteur s’est arrêté net, au-
Normandie après cées. Fort heureusement, préparé
depuis plusieurs mois, l’envoi de
dessus de la forêt. Il fait un atterris-
sage train rentré et assez brutal dans
s’être évadé d’Indochine renfort n’est plus qu’une question
de jours ; pour autant, les pilotes
une clairière ; la queue du Yak se
casse mais l’avion reste sur le ventre sur un vieux Potez ” vont rejoindre le Normandie au
compte-gouttes.
et termine sa course violemment Dans l’édition du 9 mai 1943 des
dans de gros fûts de sapin. S’il est Noël 1943, il sera jugé sommairement Izvestia (Les Nouvelles en russe, l’un
bien attaché, le pilote est peut-être pour désertion, puis sera condamné à des grands journaux quotidiens de
indemne, mais il s’est posé à l’inté- mort en août 1944. Il échappera à la Russie), une page entière est consa-
rieur des lignes allemandes… sentence par de nouvelles évasions et crée à présenter le groupe Normandie
grâce à la complicité d’autres détenus à la population soviétique.
Blessé, il se réfugie qui le cacheront parmi eux. Ayant Le 10 mai, le Normandie ac-
vécu ainsi clandestinement à l’inté- cueille le premier pilote envoyé en
dans un village russe rieur du camp pendant neuf mois, il renfort, le s/lt Adrien Bernavon, un
M ahé est le quatrième du devra attendre le 23 avril 1945, date Lyonnais, âgé de 30 ans. Pilote de
Normandie à être porté manquant. de la libération du camp par les soldats carrière de grande classe, Adrien
Blessé à la tête lors de son atterrissage de l’Armée rouge, pour pouvoir re- Bernavon avait participé à la cam-
forcé, il se réfugiera dans un village couvrer la liberté et son identité. Yves pagne de France durant laquelle il
russe. Malheureusement, il sera trahi Mahé ne rentrera en France qu’au avait obtenu six victoires aériennes,
par des enfants du village et fait pri- mois d’août 1945, après avoir assuré, mais étrangement, seules trois de
sonnier par des soldats allemands, sur la demande des Soviétiques, le rôle celles-ci lui furent créditées officiel-
puis interné au camp de Smolensk. d’officier de liaison pour le retour de lement. Après l’armistice, il avait
Trois semaines plus tard, il s’évadera tous les prisonniers français des demandé à servir dans les forma-
en compagnie d’un docteur russe et, Un mécanicien centres de rapatriement de Torgau et tions de l’Air en Indochine, afin de
après une course-poursuite de français (au d’Eisenach. Devenu lieutenant-colo- s’éloigner ainsi de la France occupée,
400 km, sera finalement repris à une centre) et nel, Yves Mahé trouvera la mort en avec l’espoir de rejoindre les Forces
dizaine de kilomètres des lignes trois soldats service aérien commandé aux com- françaises libres et continuer le com-
soviétiques
amies. D’abord interné au camp de mandes d’un Gloster “Meteor”, le bat. Courant octobre 1942, il était
avitaillant
Lodz en Pologne, il sera ensuite trans- 29 mars 1962. parvenu à s’évader d’Indochine sur
un Yak-1,
féré au camp international de En cette fi n de journée du 7 mai un vieux Potez 25 “TOE” de fortune.
à Kozielsk,
Mühlberg (Elbe), en Allemagne. Vers en mai 1943.
1943, le Normandie ne compte plus Après une extraordinaire odyssée, il
MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN
MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN
Le Yak
avait réussi à gagner le Moyen- de Quimper, âgé de 23 ans. Engagé d’une mission de chasse libre dans le codé ‘’6’’ de
Orient à la fin 1942, s’était engagé dans l’armée de l’Air en janvier 1939, secteur de la route de Varsovie à Marcel Albert.
dans les FAFL (Forces aériennes Maurice Bon provient des Forces Mouliatino, la patrouille Littolff-
françaises libres), puis s’était porté aériennes de Madagascar. En janvier Castelain aperçoit un bimoteur
volontaire pour le Normandie. 1943, il s’était engagé dans les FAFL Me 110 dont le pilote essaie d’entraî-
Cinq jours après, le 15 mai, un sur la base aérienne de Tananarive- ner les deux Yak-1 dans les lignes
second pilote de renfort rejoint le Ivato et s’était porté volontaire pour ennemies, mais le cne Littolff ne
groupe, l’asp. Maurice Bon, un Breton le Normandie. Toujours le 15 mai, lors tombe pas dans le piège et reste à dis-

27
PREMIÈRE CAMPAGNE DU GC III NORMANDIE

tance respectable. Rapidement, le 9 h 45 pour un simple essai de mo- mai-juin 1940, le premier dans l’artil-
bimoteur revient accompagné d’un teur, le lt Béguin est porté man- lerie, le second dans l’infanterie al-
Me 109. Tandis que Littolff engage, quant. Le lendemain, Jean de Pange pine ; ils ont été faits prisonniers, l’un
sans succès, le Me 109, Castelain abat pa r t au x c om ma ndes d’u n à Gérardmer, l’autre à Saint-Valéry-
le Me 110. Il ira lui-même à pied, à Polikarpov Po-2 (ou UT-2) à la re- sur-Somme. Envoyés en Allemagne,
moins de 800 m des lignes allemandes, cherche de Didier Béguin. L’avion puis internés dans un stalag en
pour recueillir auprès des fantassins de ce dernier est P r u s s e -
soviétiques les témoignages néces- retrouvé posé sur Orientale, les
saires à l’homologation de sa victoire, le ventre, à Kou- deux hommes
celle-ci étant aussi la neuvième vic- rakovo. En fait, sont parvenus à
toire officielle du Normandie. Didier Béguin, de s’évader, ont ga-
Trois jours plus tard, le 18 mai, un sa propre initia- gné la Russie et
troisième pilote de renfort arrive au Aimé Noël tive, a effectué une sont restés tra-
groupe, l’asp. Alexandre Laurent, un s’évada d’un reconnaissance vailler dans un
Breton de Brest, âgé de 24 ans. stalag. Vivant en entre Kozielsk et kolkhoze (ferme
Engagé dans l’armée de l’Air en jan- Russie, il rejoignit Belev. Mais, le collective) de
vier 1937, il provient – comme le Normandie fin mauvais temps et l’Oural. Quand
Maurice Bon – des Forces aériennes mai 1943. une panne sèche ils ont eu connais-
de Madagascar. Fait prisonnier par ont contraint le sance de la pré-
les Britanniques fin septembre 1942, pilote à se poser sence d’un groupe
il avait été interné au camp d’Amba- sur une route. d’aviateurs fran-
toroka. Après avoir été libéré, il s’était Après s’être pro- çais sur le sol so-
engagé dans les FAFL à Tananarive, curé du carburant viétique, Aimé
M N
ÉMORIAL -N
ORMANDIE IÉMEN
en novembre 1942 et s’était porté et refait les pleins, Noël et André
volontaire pour les renforts destinés il a raté son décollage, lais- Truco ont quitté leur kolkhoze pour
au Normandie. Pour la petite histoire, sant 40 cm de l’aile de son Yak rejoindre le Normandie. Le 17 avril,
signalons qu’Alexandre Laurent sera contre un poteau… ils ont signé un engagement volon-
le seul membre de l’unité française à L’effectif du Normandie se voit taire dans les FAFL. Ce sont deux
se marier avec une Soviétique. Le enrichi par l’arrivée inattendue de bonnes recrues pour le Normandie
11 juin 1945, à Moscou, il épousera deux nouveaux éléments : les capo- car, parlant russe, ils serviront en
Jean de Pange
Margarita Laouva, jeune fille russe raux Aimé Noël et André Truco, qualité d’interprète et pourront aussi
à bord du Po-2
âgée de 20 ans. Mais, n’ayant pas de âgés de 32 et 24 ans. Tous deux ont apporter aux mécaniciens une aide
utilisé pour les
visa pour quitter le territoire sovié- vols de liaisons.
participé à la campagne de France de qui sera la bienvenue. ■
tique, et du fait des lenteurs adminis-
tratives, Margarita ne pourra re-
joindre la France que le 23 février
1946. Quelque temps après, elle ob-
tiendra la nationalité française.
Devenu capitaine, Alexandre
Laurent décédera le 11 juin 1957, par
suite d’une amibiase contractée – en
service commandé – lors d’un séjour
en Indochine. Triste ironie du destin,
le jour de décès d’Alexandre Laurent
est aussi le jour anniversaire de son
mariage…

Quelques jours
de repos à Loubny
Le 20 mai, le Normandie se dé-
place de Mozalsk à Loubny, à 2 km
au nord-ouest de Kozielsk. Plusieurs
appareils sont retardés pour des rai-
sons mécaniques et rejoindront le
nouveau terrain dans les jours qui
suivront. Le personnel technique a
tenu à gagner Loubny-Kozielsk en
camions. Les Français vont pouvoir
souffler pendant une dizaine de
jours. Ce repos est le bienvenu après
les nombreuses missions – 187 sor-
ties effectuées depuis le 18 avril –
menées depuis Mozalsk.
Du 20 au 27 mai, c’est le calme
plat ; aucun vol d’opérations. Les
pilotes font des reconnaissances de
secteur sans franchir les lignes
amies. Le 25 mai, ayant décollé à
MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN

28
HISTOIRE
Il y a 100 ans
Naissance de la force
D’interminables tractations
entre conservateurs, innovateurs
et prophètes… Ou comment
est née la force aéronautique
italienne en 1923. Par Gregory Alegi

DR/COLL. GREGORY ALEGI


aérienne italienne

Les avions de la Regia


Aeronautica alignés sur
l’aéroport de Centocelle,
à Rome, le 4 novembre
1923. À l’exception
des trois premiers, qui
sont des Ansaldo A.202,
la majorité des appareils
sont des Spad, des Hanriot
et des Nieuport.

31
LA FORCE AÉRIENNE ITALIENNE

La plupart
des acteurs
de la naissance
de la Regia
Aeronautica
apparaissent sur
cette photo prise
lors du passage
en revue officiel
à Centocelle :
Mussolini,
au centre, avec
le très grand
Finzi à sa droite
et Mercanti
à sa gauche.
À l’extrême
gauche se trouve
l’amiral Thaon
di Revel, tandis
que derrière
Mussolini
se trouve Balbo,
27 ans, en
uniforme fasciste
de la milice.
DR/COLL. GREGORY ALEGI

“I
l est ainsi créé la Regia le 1er juillet 1912, l’armée italienne organisations. La 16a Squadriglia,
Aeronautica, regroupant avait créé son bataillon d’aviateurs, qui existait le 24 mai 1915 lorsque
toutes les forces aériennes essentiellement une mini-force aé- l’Italie entra en guerre, grossit
militaires du royaume et de rienne, et en 1913, la Marine avait jusqu’à compter plus de 130 aéro-
ses colonies. Elle aura son créé une composante aérienne en- nefs (plus une douzaine pour la La journée
propre uniforme et ses propres in- core plus petite. Ces deux petits défense aérienne) au moment de de l’aviation
signes de grade et de spécialité. Elle services aériens autonomes étaient l’armistice du front italien le 4 no- à Padoue en
rend compte pour tous les effets au complètement indépendants l’un de vembre 1918, dispersés sur quelque septembre
commissariat de l’Air.” Ainsi com- l’autre et souvent en concurrence. 70 aérodromes et bases d’hydra- 1918. Les
mence le décret royal n° 645, que le Avions, hydravions, ballons et diri- vions en Italie, France, Libye, bombardiers
Caproni
roi Victor Emmanuel III a signé le geables coexistaient. La Première Albanie et Macédoine. Entre 15 000
incarnent l’idée
28 mars 1923 avec le Premier ministre Guerre mondiale changea tout cela, et 20 000 étudiants étaient formés
de puissance
Benito Mussolini, le ministre de la entraînant le passage radical des dans des écoles de pilotage pri-
aérienne
Guerre le général Armando Diaz, le expériences pionnières aux grandes maires et avancées sur 30 autres stratégique.
ministre de la Marine l’amiral Paolo
Thaon di Revel et le ministre des
Finances Alberto De Stefani. Publié
dans la Gazzetta Ufficiale le 3 avril,
ce décret créait une organisation
militaire spécifiquement pour opérer
dans les airs, ce nouvel environne-
ment qui s’était ouvert seulement 20
ans plus tôt et commençait alors à
prendre sa place à côté de la terre et
de l’eau, sur et dans lesquels l’huma-
nité menait des opérations depuis les
premiers temps. Mais à bien des
égards, en son temps le décret royal
n° 645 apparaît comme la fin d’une
histoire commencée une douzaine
d’années auparavant.

Une mini-force
aérienne en 1912
En octobre 1911, l’Italie avait
effectué les premières sorties opé-
rationnelles de l’histoire de l’avia-
tion d’un plus lourd que l’air. Puis,
FORCE AÉRIENNE ITALIENNE

32
Chasseurs
Spad XIII sur
l’aérodrome
de Ciampino.
Le grand drapeau
tricolore sur
la queue est
la marque
de nationalité,
sans aucune
cocarde, mais
les insignes
d’unité sont
bien visibles
sur les ailes
et le fuselage :
les carrés pour
la 76a Squadriglia
et le cœur rouge
pour la 77a.
DR/COLL. GIANCARLO GARELLO

sites et environ 9 000 pilotes étaient caces avait stimulé la croissance et l’aviation militaire de l’Armée su-
diplômés. En novembre 1918, la souligné la complexité des avions et pervisant tous les aspects de la pro-
composante aviation de l’armée de leur exploitation. Pour cette rai- duction, y compris l’approvisionne-
comptait près de 80 000 hommes son, après un peu plus d’un an de ment en matières premières). Plusieurs
(dont 4 719 officiers) et celle de la guerre, à l’été 1916, la Marine ita- L’avantage de cet arrangement était bombardiers
Marine environ 5 000. lienne avait décidé de transférer si évident qu’il resta inchangé même Bréguet XIC,
toute sa composante aéronautique lorsque, en avril 1917, la Marine reçus trop tard
La complexité des avions à l’Armée. Cela avait conduit à la décida de reprendre les opérations pour le service
en temps
fusion des deux services centraux aériennes maritimes à partir de ses
et de leur exploitation de formation (l’Armée formant des principaux ports de l’Adriatique. Le de guerre,
ont été utilisés
Cette augmentation en quantité pilotes de la Marine et des pilotes processus de regroupement des
avec des
n’était pas la seule conséquence de d’hydravions de l’Armée pour des domaines d’intérêt mutuel s’accé-
immatriculations
la guerre. La demande en services tâches navales) et de fabrication léra après la défaite de Caporetto le civiles
aéronautiques de plus en plus effi- (avec la direction technique de 9 novembre 1917.

(I-BADH ici).

FORCE AÉRIENNE ITALIENNE

33
LA FORCE AÉRIENNE ITALIENNE

Le 1er novembre 1917, le gouver-


nement créa le commissariat à l’Aé-
ronautique, première entité qui re-
présentait l’aviation au niveau du
Cabinet. Le commissariat ne contrô-
lait pas les opérations aériennes, mais
il laissait entrevoir une évolution
possible vers un ministère de l’Air,
que la Grande-Bretagne créerait le
3 janvier 1918. Le commissariat Le républicain
n’était pas un ministère, non seule- Eugenio Chiesa,
ment parce que les forces de surface en civil, fut
conservaient le contrôle opérationnel commissaire à
des unités aériennes, mais aussi l’Aéronautique
parce que – selon une anecdote en 1917-1918.
maintes fois répétée – son premier À côté de lui,
directeur fut le député républicain en combinaison
Eugenio Chiesa, qui refusa de prêter de vol, le lt-col.
le serment d’allégeance au roi exigé Giuseppe Valle,
de tous les ministres. commandant
de dirigeable,
La prophétie de Douhet qui devint plus
tard chef d’état-
change la donne major et sous-
Quoi qu’il en fût, le commissariat secrétaire.
DR/COLL. GREGORY ALEGI
eut une existence courte et difficile.
Les ministères militaires, tous deux pour avoir poussé à la construction pour lui. Cadorna fut remplacé par
détenus par des officiers, n’appré- du prototype de bombardier Caproni Diaz et la prophétie de Douhet selon
ciaient pas le rôle important accordé contre la volonté de ses supérieurs laquelle l’aviation gagnerait la guerre
à un civil dans un domaine affectant pro-dirigeables. lui avait assuré le poste dans le nou-
directement la conduite de la guerre. Une mésaventure plus grave était veau commissariat. Mais son désir de
Pire encore, Chiesa choisit le colonel Des Macchi survenue en 1916, lorsque la police vengeance prit le dessus sur ses capa-
Giulio Douhet comme directeur M.18 sur le avait mis la main sur une note vio- cités, et la création d’une énorme
central de l’aéronautique, en charge Tibre, à Rome, lente contre la stratégie de guerre du flotte de bombardiers Caproni pour
de la production aéronautique, à un avec le pont gén. Cadorna que Douhet avait en- mener une offensive stratégique
moment où le pays avait besoin de Milvius en voyée au ministre Leonida Bissolati. s’avéra impossible à réaliser ; pire,
remplacer les énormes pertes qu’il arrière-plan, Douhet avait été rapidement elle retarda probablement la recons-
au point de
avait subies. Homme aussi brillant condamné à un an de détention mili- titution de la force tactique dont la
rassemblement
que difficile, Douhet avait dirigé le taire puis libéré en septembre 1917. nécessité était immédiate. Tout cela
des hydravions
bataillon d’aviation de l’Armée en Peu de temps après, la défaite de conduisit Douhet à se retirer défini-
participant au
1913-1914, jusqu’à en être expulsé défilé de 1923.
Caporetto avait changé la donne tivement en juin 1918, afin de militer

DR/COLL. GREGORY ALEGI

34
Succinctement résumé, Douhet
pour “l’aviation indépendante” en
citoyen libre. Pourtant, malgré les
… préparer les moyens
“mais
soutenait que l’aviation offrait la
meilleure réponse à la paralysie stra-
difficultés de production, l’aviation
joua un rôle important dans l’arrêt laisser l’usage de tégique de la Grande Guerre, car elle
permettrait à la fois le coup décisif
de la dernière offensive autrichienne et la résolution rapide des conflits.
sur la Piave et, en octobre 1918, l’Ita-
lie jouissait d’une supériorité aé-
ces moyens aux différents Pour surmonter l’avantage défensif
conféré par les tranchées et les armes
rienne totale sur le front.
À cette époque, les discussions
ministères ” automatiques, les avions frappe-
raient en profondeur, détruisant la
étaient nombreuses dans le milieu capacité industrielle (et donc cou-
militaire italien sur les avantages technique actuel, l’arme aérienne pant les approvisionnements vers le
offerts par la centralisation de la ne peut être considérée que comme front) et la volonté de combattre (le
gestion de l’aviation, non seulement une arme auxiliaire de grande va- moral national, grosso modo identi-
en termes de production, de logis- leur, dont le développement ne doit fié dans la population civile). Cette
tique et de forma- pas s’accompagner L’idée d’un vision de la guerre était étayée par
tion, mais surtout d’une réduction signi- bombardement deux autres concepts clés : concen-
dans une perspec- ficative du développe- stratégique pour trer les moyens dans l’aviation, mais
tive opérationnelle ment des principales “tuer la guerre” surtout libérer les moyens aériens de
et stratégique. Mais armes terrestres et figurait sur l’obligation de soutien tactique
pendant les cinq navales.” Douhet, la couverture continu des troupes au sol pour leur
années suivantes, qui avait renoncé à de ce livret permettre de frapper des cibles stra-
les tentatives de mo- convaincre les mili- de propagande tégiques éloignées. En ce sens, l’in-
dernisation se heur- taires, se tourna di- publié pendant dépendance institutionnelle de la
tèrent aux rapports rectement vers l’opi- la Première force aérienne aurait reflété l’auto-
de force politiques et nion publique dans Guerre mondiale. nomie opérationnelle et vice versa.
Un triplan
à une hiérarchie mili- l’espoir d’obtenir un
Caproni Ca.4
taire largement scep- soutien pour une
survole des
Comment organiser
tique. Le 17 novembre aviation stratégique
1918, le gén. Diaz, indépendante de
usines ou aciéries la défense italienne ?
allemandes
alors commandant DR l’Armée. Il publia emblématiques. Si le style brillant et peu conven-
suprême de l’Armée, d’abord le roman Come finì la tionnel de Douhet rendait ses idées
informa le commissaire Chiesa que grande guerra : la vittoria alata, encore plus radicales et moins sus-
“ce commandement n’a pas l’inten- moitié histoire alternative et moitié ceptibles d’être acceptées, la discus-
tion d’en venir à la création d’une techno-thriller ; puis il fonda le sion sur l’avenir de l’aviation mili-
force arienne”, et le commissariat journal Il Dovere, dans lequel il cri- taire faisait partie d’un débat en
fut dûment dissous une semaine tiqua la manière dont l’Italie avait cours beaucoup plus large sur l’orga-
plus tard. mené sa guerre ; enfi n, en 1921, il nisation de la défense italienne. Les
Cette attitude était partagée par publia La Maîtrise de l’air, première deux points cruciaux étaient les di-
la Marine, dont le comité des ami- approche globale de la puissance mensions globales de l’établissement
raux écrivit le 16 mai 1922 qu’“il est aérienne, texte encore étudiée de militaire en temps de paix et la pos-
aisé de conclure que, dans son état nos jours. sibilité de substituer la technologie à
la quantité, notamment en tenant
Le général Piccio, compte du coût des différentes alter-
en uniforme natives pour les finances nationales,
bleu de la force déjà grevées par le coût de la guerre
aérienne, montre
récemment terminée. Les concepts
le prototype
clés débattus par les conservateurs
Fiat CR au
et les innovateurs sont ainsi devenus
Premier ministre
Mussolini
les modèles d’organisation – si la
en 1924. nation doit être “armée” ou “prépa-
rée”, c’est-à-dire le rapport entre les
soldats immédiatement disponibles
et les réserves disponibles en cas de
besoin – et les opérations – en parti-
culier, l’équilibre entre la compo-
sante offensive “lance” et la compo-
sante défensive “bouclier”.
DR/COLL. GREGORY ALEGI
DR/COLL. PAOLO VARRIALE Au cours de cette grande bataille
Pier ruggero théorique, les grandes forces aé-
Piccio dans riennes construites pour la Première
son Spad VII. Guerre mondiale diminuèrent inexo-
Avec 24 victoires
rablement. En vérité, le gouverne-
et de
ment Nitti [président du conseil des
nombreuses
ministres du royaume d’Italie du
décorations,
il était le
23 juin 1919 au 15 juin 1920, NDLR]
candidat naturel s’inquiétait de la possibilité de perdre
pour diriger ce qui avait été appris et construit. Il
la force aérienne se tourna donc vers le sénateur
Ettore Conti, influent industriel dans

indépendante.
35
LA FORCE AÉRIENNE ITALIENNE

le domaine du transport de l’énergie à Venise en 1920 (Luigi Bologna sur et, plus généralement, était l’axe
électrique, devenu sous-secrétaire à le SIAI S.12) et 1921 (Giovanni autour duquel s’articulait la poli-
la liquidation des armes, munitions de Briganti sur un Macchi M.7bis), tique de défense nationale. Même
et aéronautique, pour étudier la situa- et l’épuisant raid Rome-Tokyo en Mussolini n’avait pas réussi à échap-
tion et évaluer l’avenir. De façon as- plusieurs étapes qui, en février-mai per à cet obstacle. Peu de temps
sez pragmatique, Conti proposa le 1920, vit Arturo Ferrarin et Guido après que Victor Emmanuel lui eut
4 juin 1919 deux solutions diffé- Masiero, ainsi que leurs mécani- demandé de former un gouverne-
rentes : suivre l’exemple britannique ciens Gino Cappannini et Roberto ment le 28 octobre 1922 suite à la
et créer un ministère de l’Air unifié, Maretto, relier l’Europe au Japon prétendue “marche sur Rome”, le
ou mettre en place “un nouvel organe par voie aérienne pour la toute pre- dirigeant fasciste prit le problème de
chargé de préparer les moyens mais mière fois. Un groupe expérimental l’aviation à bras-le-corps.
laissant l’usage de ces moyens aux de liaisons aériennes pilotant des L e 31 octobre, le nouveau
différents ministères”, unifiant de Breguet XIV explora des routes Premier ministre annonça la créa-
facto uniquement les aspects tech- commerciales intérieures. tion de deux commissariats distincts
nico-administratifs. La situation s’éternisa, sans réel pour l’aviation militaire et civile,
Giulio Douhet, progrès. L’aviation ne respectivement
L’aviation, laissée le premier et profita pas non plus des confiés à Douhet et
affrontements pério- Arturo Mercanti, l’in-
sans ancrage solide… le plus célèbre
diques autour de la dustriel qui en 1914
théoricien de la
Il ne se passa rien, non pas à puissance aérienne vente des surplus de avait aidé Caproni à
cause de désaccords sur tel ou tel au monde, matériel de guerre, de la mettre en production
point précis, mais plutôt à cause de s’est battu avec concurrence entre l’ar- ses bomba rd iers.
la situation sociopolitique instable, acharnement pour mée et l’industrie pour L’opération fut blo-
qui dictait d’autres priorités. Bien l’indépendance de vendre les surplus quée par l’opposition
que cela soit compréhensible, il n’en la force aérienne. d’avions à l’étranger, de de l’Armée à Douhet ;
demeure pas moins que l’aviation fut L’opposition la recherche spasmo- mais de manière em-
laissée sans ancrage solide à un mo- de l’Armée l’a dique de clients com- barrassante, seule-
ment très difficile. La responsabilité empêché d’être merciaux, de l’activisme ment après la récep-
de l’aviation civile passa d’un dépar- nommé à la tête du de Douhet, du rôle vi- tion de quelques
tement gouvernemental à l’autre, et nouveau service. sible joué dans le mou- télégrammes de félici-
DR/C . G
OLL A
REGORY LEGI
l’industrie souffrit du manque total vement fasciste grandis- tations, dont un des
de commandes de son seul client, sant par des aviateurs comme Aldo États-Unis. Vint ensuite la proposi-
qui, seulement encore quelques mois Finzi, pilote qui avait survolé Vienne tion de créer des directions générales
plus tôt, n’avait appelé qu’à un flux avec d’Annunzio le 9 août 1918 et de l’aviation militaire et civile d’un
de nouvelles conceptions et de livrai- était devenu le bras droit de sous-secrétariat à la Guerre, mise à
sons. Au milieu des critiques inévi- Mussolini à Milan. Et le temps passa. mal par la Marine qui rejeta toute
tables, en juillet 1919, l’aviation de Le HD.1 a servi À l’été 1922, le cabinet Facta tra- possibilité que ses moyens aériens
l’Armée vit ses effectifs chuter à dans des rôles vaillait à nouveau sur l’idée d’un puissent relever d’un quelconque
29 000 hommes. opérationnels commissariat à l’Aéronautique, contrôle de l’Armée. Ce fut le pre-
Dans ce contexte difficile, les et de mais en fait, toute nouvelle proposi- mier coup de feu d’une guérilla qui
formation
victoires sportives et les grands vols tion devait être approuvée par l’Ar- durerait des décennies, avec plus de
jusqu’à la fin
brillèrent encore plus, comme les mée, qui contrôlait la grande majo- cris que de pragmatisme. En fait,
des années
deux coupes Schneider remportées rité de l’aviation militaire italienne pendant la Première Guerre mon-
DR/COLL. GREGORY ALEGI
1920.
diale, la Marine avait été extrême- rapporta qu’un accord politique tiques et à apaiser les vétérans, les
ment ambiguë à propos de sa avait été conclu pour nommer le bri- nationalistes et les fascistes.
branche aviation ; dans les années gadier général Pier Ruggero Piccio, Les intérêts de la Marine de-
suivantes, elle resta sceptique quant l’as aux 24 victoires et officier pilote vaient être protégés par Eugenio
au détournement de fonds des cui- supérieur, à la tête d’une nouvelle Casagrande, un aviateur naval dont
rassés et des croiseurs lourds pour organisation de l’aviation contrôlée les vols audacieux derrière les lignes
construire même le plus petit porte- conjointement par le bureau du ennemies lui avaient valu la médaille
avions expérimental. Premier ministre et les deux minis- d’or de la vaillance militaire, qui fut
tères militaires. Le 24 janvier, l’ar- nommé Capo di Gabinetto du
… finit par devenir rêté royal n° 62 créa le commissariat Commissariat. Les intérêts de l’Ar-
à l’Aéronautique, organisation poli- mée devaient être protégés par le
indépendante… tique qui absorberait “toutes les colonel Riccardo Moizo, le pionnier
Au cours des deux mois suivants, fonctions gouvernementales concer- de l’aviation militaire en Libye en
deux évènements se produisirent qui nant l’Aéronautique, civile et mili- 1911-1912, qui fut nommé directeur
permirent à l’aviation de devenir taire (armée, marine, aviation indé- général des affaires militaires. Enfin,
indépendante. Vint p e n d a n t e)”. L e les industriels devaient être rassurés
d’abord la loi, votée décret fut contresi- par la nomination de Mercanti au
le 3 décembre 1922, gné par Diaz et poste d’intendant général, chargé de
qui délégua au gou- Thaon di Revel en Peu apprécié ce qu’on appellerait aujourd’hui les
vernement le pou- leurs qualités de mi- des aviateurs, le achats et la logistique.
voir de “réduire les nistres de l’Armée et général Bonzani L’étape clé suivante consistait à
fonctions de l’État, de la Marine. Le a néanmoins doter le commissariat du budget
réorganiser les of- même jour, le décret remis la Regia nécessaire. Ce fut fait le 11 mars en
fices et instituts pu- royal n° 63 nomma le Aeronautica lui transférant, toujours par décret
blics, rendre leurs Premier ministre sur des bases (n° 644), 170,3 millions de lires déjà
fonctions plus agiles Mussolini au poste solides après sa alloués aux ministères militaires
et réduire les dé- de commissaire et le première période pour l’aéronautique militaire (minis-
penses” en édictant sous-secrétaire de chaotique. tère de la Guerre, 65 millions, au titre
des “dispositions l’Intérieur Finzi au de l’article 37), l’aéronautique navale
ayant force de loi” poste de sous-com- (ministère de la Marine, sections 55,
P V
AOLO ARRIALE
ju s qu’au 31 d é - missaire. Cela per- 56 et 57, pour 53 millions au total) et
cembre 1923. Vint ensuite la réforme mit à Mussolini de se faire passer des fonds de l’Armée non dépensés
de l’Armée élaborée par Diaz et pour le vainqueur, mais en fait, la (27,3 millions). Voyant le gouverne-
approuvée le 7 janvier 1923 en utili- nécessité de renforcer l’arrangement ment aller de l’avant avec sa décision,
sant ces pouvoirs spéciaux nouvelle- en nommant le chef du gouverne- la Marine devint nerveuse et décida
ment accordés. En détaillant la ment au poste de commissaire sou- Des Ni.27 de bloquer le processus. Le 16 mars,
structure plutôt conservatrice de lignait probablement sa fragilité. En flambant neufs une vingtaine d’officiers ayant l’expé-
l’Armée, l’article 18 de l’arrêté royal effet, toute l’organisation de la haute excédentaires rience de la guerre navale furent réu-
n° 12 indiquait clairement que “la hiérarchie esquissait une tentative ont servi nis et approuvèrent un rapport final
de cibles à
réorganisation de la branche aé- d’apaisement et d’équilibre entre les proclamant, entre autres, que les
Furbara, près
rienne sera prévue à part”. différentes parties prenantes. En ce personnels de l’Armée ont “une
de Rome,
La résistance de l’Armée étant sens, Mussolini et Finzi servirent à culture et une préparation inférieures
en novembre
vaincue, en quelques jours la presse neutraliser les luttes intestines poli- à celles des jeunes officiers de ma-
1923.
FORCE AÉRIENNE ITALIENNE rine”. Trois jours plus tard, la Marine
demanda à Mussolini de “protéger
certains services plus spécialement
destinés à la guerre navale”.

… au grand dam
de la Marine
Si la Marine espérait empêcher
la création d’un nouveau service, elle
menait une bataille d’arrière-garde.
Le cadre politico-administratif bou-
clé, le gouvernement créa le 28 mars
la Regia Aeronautica (force aérienne
royale – notez l’absence de l’adjectif
“italienne”, qui était implicite). Le
décret, publié dans la Gazzetta
Ufficiale du 3 avril, clôt la discussion
de fond sur l’existence d’une branche
de l’Armée dédiée aux opérations
aériennes. Dans sa brièveté, le décret
645 témoignait de la hâte avec la-
quelle il avait été rédigé. L’article 2,
par exemple, déclarait qu’il y aurait
des escadrons de chasseurs, de bom-
bardiers de jour, de bombardiers de

37
LA FORCE AÉRIENNE ITALIENNE

Le Stormo comptait
“ plusieurs
requête de la Marine auprès de
Mussolini avait fonctionné. Il n’était
détails particuliers, mais essentiel-
lement dans les concepts qui la sous-

Gruppi, pas non plus indifférent, en termes


de statut, que la force aérienne rende
tendent, aux antipodes de mes
idées.” Cette affirmation fut reprise,
compte à un commissariat plutôt avec plus d’élégance mais pas beau-
chacun comprenant qu’à un ministère, comme le fai-
saient l’Armée et la Marine, et que
coup de différence sur le fond, par
le nouveau directeur général Moizo,
des Squadriglie ” son chef militaire ne fut pas appelé
chef d’état-major mais commandant
qui, commentant le maigre budget
de la force aérienne, nota qu’il y
général, comme dans la composante avait “peu de marge pour l’aviation
nuit, d’avions de reconnaissance, aérienne de l’armée de indépendante, sans
d’hydravions, mais ne stipulait pas les La première page Terre pendant la exclure la possibilité
quantités. Les articles 3, 4 et 5 détail- de l’arrêté royal Première Guerre de former le noyau
laient les grades d’officier – et unique- n° 645 qui a créé mondiale. initial de celle-ci”.
ment des officiers – et fixaient leur la force aérienne Loin de pren- Malgré tout cela,
nomination, leur promotion, leur indépendante. dre des décisions le processus était bel
salaire et leurs indemnités à l’égal de Le numéro du révolutionnaires, et bien lancé. Le
ceux de l’Armée et de la Marine. décret est inscrit Mussolini avait 7 mai 1923, le
L’article 6 prévoyait que la solde de à la main en choisi la plus facile 1° Raggruppamento
vol était commune à tous les grades. haut à gauche, des solutions que Caccia, dont le siège
Plusieurs aspects, du recrutement tandis que la le sénateur Conti était à Brescia, de-
(article 7) aux salaires du personnel date estampillée avait esquissées en vint le 1° Stormo
non navigant (article 13), devaient est celle de 1919. En confiant à Caccia. Équivalent
être déterminés ultérieurement. l’enregistrement la force aérienne à un régiment de
Dans ce contexte, la décision la par la Cour les aspects tech- l’armée, le Stormo
plus importante était cachée dans des comptes, niques et adminis- comptait deux ou
l’article 8 qui montrait l’étendue du nécessaire avant tratifs des moyens plusieurs Gruppi,
compromis atteint : les unités aé- publication dans aériens mais en lais- chacun compre-
riennes affectées à l’Armée, à la la Gazzetta sant l’Ar mée et la DR nant un certain
Marine et aux colonies “continue- Ufficiale. Ma rine en charge nombre de Squadriglie. Le
raient à faire partie intégrante de la de la grande majorité de leur utili- Stormo devint bientôt l’unité aéronau-
Regia Aeronautica” mais seraient sation, le gouvernement fasciste tique par excellence, à commencer par
“pour l’emploi, la discipline et le ser- confirmait que l’air était subor- le nom qui indiquait une volée d’oi-
vice local sous l’autorité de l’Armée donné à la surface, niant le rôle in- seaux et ainsi le vol.
royale, de la Marine royale ou des Eugenio dépendant qui avait été le fonde- L e commissariat lança des
commandements coloniaux chargés Casagrande, ment doctrinal de sa bataille pour concours de conception pour renou-
de les employer”. Pour ajouter un devant un devenir un service autonome. veler les flottes, toujours constituées
contexte supplémentaire, la majorité Macchi L.3 à Douhet, exclu de la nouvelle orga- de Spad, Hanriot, Ansaldo et Caproni
des unités continuaient d’être desti- Venise en 1917, nisation pour laquelle il avait tant conçus et souvent construits pendant
nées à l’observation, un moins grand a été nommé milité, ne tarda pas à proclamer avec la Grande Guerre. Les personnels
capo
nombre étaient des unités de chas- amertume, par le biais du journal créèrent des listes d’ancienneté et des
di gabinetto
seurs et seulement en troisième ve- Il Mondo du 7 avril 1923, que “la branches, à commencer par le Genio
pour assurer
nait la catégorie du bombardement. structure actuelle est donc, dans ses Aeronautico (génie aéronautique). La
la liaison avec
En ce sens, on pourrait dire que la la Marine.
lignes générales comme dans ses difficulté d’évaluer l’ancienneté

PAOLO VARRIALE

38
d’hommes venant d’horizons très dif- sées par le compromis peu clair, le structure organisationnelle de la
férents – certains, en effet, n’avaient report de questions cruciales et les force aérienne, l’“Ordinamento
jamais servi dans l’armée – fut à l’ori- ressources limitées furent aggravées Bonzani” (décret royal n° 627, 4 mai
gine de quelques problèmes, voire des par un manque de vision – ou du 1925). Il abandonna l’approche ini-
poursuites judiciaires. moins de vision partagée – sur les tiale de 1923 par spécialités au profit
objectifs et les tâches, symbolisé par d’une répartition purement géogra-
20 candidats forment les près de sept mois qui s’écoulèrent phique clairement inspirée de la pra-
avant que Piccio ne fût effectivement tique de l’Armée. La force aérienne
la promotion Aquila nommé commandant en chef, juste en vint ainsi à être répartie sur cinq
Une académie de la force aé- à temps pour présider la grande céré- Zone Aeree Territoriali (zones aé-
rienne fut créée, initialement locali- monie officielle à Rome au cours de riennes territoriales, dont les sièges
sée à Livourne avec l’Académie na- laquelle la Regia Aeronautica reçut étaient à Milan, Bologne, Naples,
vale dont le commandant adjoint son étendard de guerre, qui hérita Palerme et Cagliari), choisies en réfé-
Giulio Valli, lui-même pilote de diri- des décorations précédemment dé- rence à des commandements équiva-
geable, fut le premier chef. Lorsque cernées aux branches de l’aviation lents de l’Armée et de la Marine.
le concours pour recruter les pre- de l’Armée et de la Marine pour leur Conformément à la philosophie
miers étudiants fut lancé, en octobre service dans la Grande Guerre. de l’article 8, les moyens aériens
1923, il n’y eut que 32 candidats, dont Les inévitables difficultés de crois- furent répartis en une Armata Aerea
20 furent admis pour former la pro- sance furent aggravées par la faiblesse (force aérienne, que le budget 1925-
motion Aquila (aigle). Les nouveaux générale de la direction. Alors que 1926 prévoyait de 38 Squadriglie de
uniformes bleu clair de la force aé- Mussolini et Finzi étaient passionnés chasseurs et de bombardiers en 13
rienne furent introduits en 1924, d’aviation, tous deux occupaient plu- groupes), une aviation pour l’Armée
abandonnant le gris-vert de l’Armée sieurs postes au sein du gouvernement (28 Squadriglie de chasseurs et de
et le bleu foncé de la Marine au pro- et du parti, ce qui les empêchait de reconnaissance en 11 groupes, plus
fit d’une identité commune. consacrer toute leur attention à la deux groupes de ballons) et une avia-
Si important qu’il fût, le décret force aérienne, qu’ils dirigeaient en tion pour la Marine (20 Squadriglie
645 ne résolut pas tous les problèmes fait depuis leurs bureaux du ministère de chasse et de reconnaissance ba-
ni ne répondit à toutes les questions. de l’Intérieur. En théorie, cela aurait sées sur des navires, en cinq groupes
Les 15 articles, rédigés à la main sur dû conférer à Piccio une plus grande plus deux de dirigeables), le com-
sept pages, n’établissaient que les liberté et de l’autonomie. Mais ce ne mandant général de la force aérienne
grands principes et laissaient beau- fut pas le cas. Si son histoire person- n’ayant un contrôle direct que sur
coup à formaliser par des réglemen- nelle faisait de lui le candidat évident l’A rmata Aerea. Six autres
tations ultérieures. Ayant décidé de pour le poste, en pratique Piccio par- Squadriglie de bombardiers et de
ne pas suivre le modèle britannique, tageait son temps entre Rome et Le jeune Italo reconnaissance, répartis en trois
tout était à créer. De nombreuses Paris, où il restait simultanément Balbo, au groupes, formèrent l’Aviation des
dispositions originelles furent rapi- attaché de l’Air et entretenait des centre en civil, troupes coloniales royales, qui rele-
dement changées, comme les grades attachements personnels. à Vigna di Valle vait des gouverneurs coloniaux.
qui passèrent du style anglo-naval La situation s’améliora quelque en 1927. Ce
alambiqué (par exemple, comman- peu lorsque le général de division n’est que sous
sa direction
Un ministère
dant d’escadrille) à la dénomination Alberto Bonzani, un officier de l’Ar-
plus simple de l’Armée (capitaine). mée qui enseignait l’organisation que la Regia de l’Aéronautique
Aeronautica a
Les premières années de la Regia militaire, fut nommé pour remplacer Le 30 août, le commissariat fut
atteint l’unité
Aeronautica ne furent pas un long Finzi en juin 1924. Son premier tra- finalement élevé au rang de minis-
d’intention
fleuve tranquille. Les difficultés cau- vail consista à défi nir la première tère de l’Aéronautique et, le 1er jan-
et d’objectif.
vier 1926, le commandement général
devint l’état-major de l’Air, plaçant
la force aérienne sur le même pied
que l’Armée et la Marine. On peut
affirmer que ce ne sont que ces der-
niers changements qui ont fi nale-
ment achevé l’édification de la force
aérienne indépendante dont rêvaient
les aviateurs ; d’autres diraient que
ce n’est que lorsque Italo Balbo a
remplacé Bonzani, le 6 novembre
1926, que la force aérienne a finale-
ment trouvé un avocat et un leader
fort. Ce qui est certain, c’est que les
cent ans écoulés depuis 1923 ont
confirmé l’hypothèse fondamentale
selon laquelle l’air est un domaine
spécifique, si différent des do-
maines de surface traditionnels
qu’il nécessite une organisation et
un personnel dédiés pour exploiter
pleinement son potentiel et contri-
buer à remporter des victoires mili-
taires et atteindre des objectifs
politiques nationaux. ■
GIANCARLO GARELLO

39
REPORTAGE

Wings of the North


L’étoile montante des
Cette collection peu connue, basée au sud
des fameuses villes jumelles Minneapolis-Saint Paul,
dans le Minnesota, vient de fêter ses 25 ans.
Et elle affiche de belles ambitions ! Par Xavier Méal

XAVIER MÉAL
“villes jumelles”

John
Sinclair aux
commandes du
F4U-4 “Corsair”
de Wings of
the North
(dont il est le
chef pilote),
au-dessus
du lac
Minnetonka,
l’été dernier.

41
WINGS OF THE NORTH

W
ings of the North
(WotN) est née en
février 1998, créée
par une bande de
passionnés devenus
en quelque sorte orphelins après que
feu le collectionneur Bob Pond eut
déménagé sa collection Planes of
Fame East de Minneapolis à Palm
Springs, en Californie, pour créer le
Palm Springs Air Museum et y pas-
ser sa retraite. En moins de trois
mois, le petit groupe mit sur pied
Mustang Round Up 98, événement
qui rassembla une douzaine de P-51
“Mustang”. L’année suivante,
Mustang Round Up 99 fut un plus
grand succès encore. Puis en 2000
l’événement prit le nom de Air Expo
et devint au fil des ans une date ma-
jeure du calendrier des spectacles
aériens de warbirds aux États-Unis.
Jack Larsen occupa plusieurs
années le poste de président du
conseil d’administration de la collec-
tion/musée, installée sur l’aéroport
de Flying Cloud, à Eden Prairie, une
banlieue cossue du sud-ouest de
Minneapolis. “Mon premier souve-
nir d’un musée de warbirds à Flying
Cloud remonte à 1992, lorsque j’ai
déménagé pour venir m’installer
dans le Minnesota. J’apprenais alors
à piloter et je m’arrangeais toujours
pour prendre une leçon le jour où se
tenait un meeting de warbirds. Quel
privilège de prendre la piste derrière
des “Mustang”, des “Corsair” et des
“Spitfire” ! Je ne savais alors pas que
je piloterais un de ces “Mustang” – le
XAVIER MÉAL
Sierra Sue II qui appartenait alors au Le Stearman
docteur Christgau – quelque 30 ans – reconstruire un BT-15 au stan- N2S “Kaydet” ayant en commun la passion de l’avia-
plus tard dans un spectacle aérien, dard d’origine grâce au travail de nos n° 3347 tion, ils étaient rapidement devenus
sur ce même aéroport. propres bénévoles ; de Wings of amis. Au milieu des années 1990,
Je visitais régulièrement le han- – trouver des parrainages pour the North Hank Reichert avait acheté un projet
gar et le musée et j’étais fasciné par notre événement annuel AirExpo au-dessus de P-51 “Mustang” alors en cours de
tout ce qui concernait l’aviation. pour cette année ; du lac restauration chez Tri-State Aviation,
Malheureusement, ce musée a démé- – parrainer un certain nombre Minnetonka. la société de feu Gerry Beck, à
nagé en Californie peu de temps d’événements éducatifs dans nos Son matricule Wahpeton, dans le Dakota du Nord.
après. WotN a été lancée grâce à la hangars temporaires pour les écoles figure sur les Cela avait piqué la curiosité de Paul
générosité de Paul Ehlen qui nous a et les clubs locaux.” carnets de vol Ehlen : “Hank a alors commencé à
accordé l’espace dans un grand han- de l’ancien m’envoyer tous les magazines de war-
gar très moderne sur le terrain de Un virus inoculé président des bird pendant qu’il faisait restaurer
Flying Cloud. Les artefacts des mu- États-Unis l’avion qui allait devenir le Dakota
sées antérieurs ainsi que la collection
par un ophtalmologue George Herbert Kid II. Je sentais que cette histoire de
d’avions d’importance historique ont Paul Ehlen est un homme d’af- Walker Bush, warbirds allait devenir “probléma-
permis de recréer un musée et depuis faires à succès ; après avoir créé qui, pendant tique” pour moi, alors j’ai arrêté de
nous l’avons mis ont sur la voie d’une Midwest Surgical Services, une so- la Deuxième lire les magazines. Pendant deux ans,
croissance future. Aujourd’hui, nos ciété spécialisée dans le traitement Guerre je les ai simplement ignorés. Après
objectifs sont : chirurgical de la cataracte, il a créé en mondiale, que son “Mustang” a été achevé, j’ai
effectua 58
– rassembler des fonds pour 1991 et dirige Precision Lens, à été au spectacle aérien de Flying
missions dans
construire un nouveau foyer perma- Minneapolis, société spécialisée dans Cloud avec Hank, et les T-6 sont arri-
le Pacifique
nent pour notre collection ; les produits de chirurgie oculaire. Il vés… Je me suis alors tourné vers lui
au cours
– reconstruire un P-51B attribue son intérêt pour les warbirds desquelles il
pour lui dire : “Il faut que je pilote des
“Mustang” aux couleurs du Shil- et le P-51 en général au Dr Hank fut abattu à
warbirds…” Quelques semaines plus
lelagh de l’as Kenneth Dahlberg, Reichert. Ce dernier, alors ophtalmo- quatre reprises tard, j’ai acheté un T-6… et je savais
avec la collaboration de la société logue de renom, fut l’un des premiers et quatre fois où cette passion allait me mener.
AirCorps à Bemidji, dans le nord du clients des implants intraoculaires de secouru. Peu de temps après, Hank a orga-
Minnesota ; Precision Lens. Les deux hommes nisé pour quelques-uns de ses amis

42
Paul Ehlen tout
sourire en juillet
dernier ; il vient
de ramener en
vol jusqu’à
Flying Cloud
sa dernière
acquisition,
le Curtiss P-40E
“Warhawk”
Desert Shark.
XAVIER MÉAL

43
WINGS OF THE NORTH

un week-end de chasse dans le Dakota


du Nord. Nous étions une dizaine
marchant de front à travers champs,
fusil cassé sur le bras, quand j’ai en-
tendu un bruit incroyable. Il a déboulé
de haut, piquant dans le hurlement du
“Merlin”, et nous est passé juste au-
dessus. Je me suis dit “c’est la chose la
plus cool que j’ai jamais vue”. Et
voilà, j’étais piqué… J’ai commencé
à discuter avec Gerry Beck et j’ai
acheté un projet de “Mustang” sur
lequel il travaillait déjà.”
En 2002, lorsque Paul Ehlen
acheta le projet, Gerry Beck et son
équipe avaient déjà bien avancé sur
la reconstruction. Pendant que les
travaux se poursuivaient, Paul Ehlen
eut l’occasion de rencontrer un autre
résident de Minneapolis, l’as de la
Deuxième Guerre mondiale Kenneth
Dahlberg, qui avait volé au sein du
353rd Fighter Squadron du
354th Fighter Group, le groupe dit
“Mustang Pioneer”. Crédité de 15
victoires en combat aérien, abattu
trois fois, – la première au-dessus de
la vallée de Chevreuse à l’ouest de
Paris –, prisonnier des Allemands
pendant trois mois, il avait plus tard
fondé la société d’aides auditives
Miracle-Ear. “Avec Hank Reichert,
j’ai acheté un jet d’affaires Cessna
“Citation” CJ2. Ken Dalbergh en
avait aussi acquis un. Notre pilote s’est
retrouvé au stage de formation CJ2
avec Ken et le sien, et quand il en est
revenu, il m’a dit que je devais abso-
lument le rencontrer. Je l’ai donc ap-
pelé, lui ai dit qui j’étais, que nous
avions le même avion, et nous nous
sommes rencontrés lors d’un déjeu-
ner. Il était drôle au possible.
En avril 2005, après que mon
premier “Mustang” a fait son premier
vol post-restauration à Wahpeton,
piloté par feu Bob Odegaard, je l’ai
fait peindre aux couleurs du Little
Horse, le seul P-51D que “Ken”
Dalbergh pilota pendant la Deuxième
Guerre mondiale.”

De Little Horse
à Sierra Sue II
Quelques semaines plus tard,
Paul Ehlen, qui avait alors accumulé
180 heures de vol sur T-6, prit les
commandes de son “Mustang”. À
l’automne 2005, il avait déjà plus de
XAVIER MÉAL
80 heures à ses commandes et décri-
vit ce qu’était l’expérience de piloter coup plus à l’aise et je commence à l’avion d’un Monsieur que j’ai vrai-
l’un des meilleurs avions de North sentir qu’il me va comme un gant. ment appris à bien connaître. C’est
American. “C’est génial à piloter, L’un des très grands plaisirs que surtout de ça qu’il s’agit : rendre
vous savez qu’il faut vraiment tou- je retire en faisant voler un P-51 hommage à ces hommes qui se sont
jours être attentif à lui. La première “Mustang” est que chaque vol est un battus pour notre liberté. À Oshkosh,
fois que je l’ai piloté, j’étais mort de hommage aux anciens combattants. un vieil homme et son fils sont un
trouille, mais maintenant, si je le res- J’ai eu beaucoup de plaisir à faire jour venus faire le tour de l’avion. Le
pecte toujours autant, je suis beau- peindre mon avion avec la livrée de monsieur avait 90 ans. Je l’ai aidé à
44
Sierra Sue II
monter et à s’asseoir dans le cock- P-51D. Lorsque le docteur Roger non loin tion texane. Il le confia à la société
pit… et j’ai vu des larmes rouler sur Christgau, célébrité locale connue d’Oshkosh, AirCorps, avec mission de faire une
ses joues. Ce fut un moment très spé- pour son “Mustang”, fit savoir qu’il dans restauration hors normes en termes
cial pour nous deux.” vendait son avion chéri, vétéran avéré le Wisconsin, d’authenticité. Le docteur Christgau
Cette passion pour l’histoire et les de la Deuxième Guerre mondiale en en juillet 2015, décéda le 5 octobre 2012. Un peu
aviateurs qui l’ont faite poussèrent Europe, Paul Ehlen s’en porta acqué- avec Paul Ehlen moins de trois ans plus tard, le P-51D
quelques années plus tard Paul Ehlen reur en juillet 2011 juste après voir aux Sierra Sue II remporta le titre de
à se lancer dans un autre projet de vendu son Little Horse à une collec- commandes. Reserve Grand Champion lors de

45
WINGS OF THE NORTH

l’EAA Airventure 2015, à Oshkosh


(lire Le Fana de l’Aviation n° 551).
Entre-temps, à la fin de 2014, Paul
Ellen avait fait l’acquisition d’un N2S
“Kaydet” (version pour l’US Navy du
fameux PT-17). Ce qui peut paraître
étrange pour un homme d’évidence
fasciné par les avions puissants. Mais
le modeste appareil était porteur
d’une double signification historique,
des plus importantes dans le cadre de
Wings of The North. Le Stearman
N2S-1 Bureau of Aeronautics
Number (BuAer n°) 3347 est en effet
l’un des cinq encore existants dont on
sait qu’ils ont été pilotés par l’ancien
président George Herbert Walker
Bush quand il était cadet dans l’US
Navy, époque à laquelle il est passé
sur les bancs de l’école de pilotage de
l’US Navy de Minneapolis.
Également restauré par AirCorps, le
“Kaydet” remporta le titre de Best
Stearman” (lire Le Fana de l’Avia-
tion n° 604) lors du même EAA
AirVenture 2015.

Un TBM “Avenger” en
hommage à George Bush
L’année suivante Paul Ehlen
acheta le TBM-3E “Avenger” BuAer
n° 53818. Non pas qu’il en cherchait
un, mais un collectionneur de
Minneapolis, Wally Fisk, dont la
flotte AmJet était basée sur un autre
aérodrome, à Anoka County-Blaine,
au nord des “villes jumelles”, avait
décidé de passer à autre chose et li-
quidait ses avions. Étant donné que
George Herbert Walker Bush s’était
illustré durant la Deuxième Guerre
mondiale aux commandes d’un
“Avenger”, l’acquisition de cet avion
faisait sens dans le cadre d’un musée
racontant autant les histoires des
hommes que celles des avions.
Le massif TBM “Avenger” est
régulièrement piloté par Gary
Applebaum, un autre des piliers de
WotN : “Mon implication avec Wings
of the North a commencé il y a plus
de 13 ans. Initialement, en tant que
membre du groupe local de pilotes et
propriétaires de “T-6 Thunder”, j’ai
participé à divers événements orga- Le TBM-3E
nisés par le musée et à AirExpo. Au “Avenger” de
fil du temps, ma participation s’est WotN piloté
accrue pour prendre part à la plani- par Gary
fication des événements, et on m’a Applebaum,
finalement demandé de rejoindre le l’actuel
conseil d’administration en 2012. J’ai président
alors participé à la planification et à du conseil
la supervision de l’expansion et de la d’administration
professionnalisation du musée. Avec de WotN,
l’aide de ceux qui font vivre l’établis- au-dessus du lac
sement au jour le jour et du conseil Minnetonka.
d’administration, nous avons réécrit
son ordre de mission afin de refléter

XAVIER MÉAL

46
47
WINGS OF THE NORTH

XAVIER MÉAL

Le cône de queue plus précisément nos objectifs à long


du futur P-51B terme. Je suis devenu président du
Shillelagh en cours conseil d’administration en 2019,
d’assemblage chez juste avant que la Covid n’inter-
AirCorps en août rompe nos opérations publiques.
dernier. Avec l’aide de toute l’équipe de direc-
tion, nous avons émergé de la pan-
démie en demeurant un élément so-
lide et viable de notre communauté
aéronautique locale. AirExpo 2021
a été le meeting le plus réussi de l’his-
toire de WotN.”
Toujours en 2016, Paul Ehlen
conclut un accord avec la veuve et
la fi lle de feu Gerry Beck. Ce der-
nier, qui avait fondé la société de
restauration de warbirds Tri-State
Aviation, avait trouvé la mort aux
commandes de sa reproduction de
P-51A à Oshkosh en 2007. Sa veuve
Cindy et sa fi lle Whitney avaient
conservé le F4U- 4 “Corsair”
BuAer n° 97388 que Gerry Beck
avait restauré et faisait voler. Afi n
d’honorer sa mémoire, Paul Ehlen
leur proposa d’entretenir et d’assu-
XAVIER MÉAL

48
rer le “Corsair” puis de l’intégrer à
Wings of the North. Ce qui fut fait
au début de 2017.
En 2016 également, WotN em-
ménagea dans un immense bâti-
ment sur la zone sud de l’aéroport
Flying Cloud, ce qui lui permit de
s’établir comme un véritable musée.
Mais à l’été 2021, le propriétaire du
bâtiment décida de ne pas renouve-
ler le bail. Durant ces cinq années,
le meeting AirExpo annuel de
WotN n’avait cessé de grossir et
d’attirer un public chaque fois plus
nombreux. Plus motivée que jamais,
l’équipe dirigeante, toujours menée
par Gary Applebaum, ne se laissa
pas abattre et échafauda un plan
visant à faire construire un nouveau
bâtiment adéquat, pour lequel elle
cherche depuis à rassembler 2 mil-
lions de dollars.

Un P-40E en guise
de cerise sur le gâteau
Paul Ehlen, pour sa part, conti-
nue de faire croître sa collection.
L’été dernier il a acheté le Curtiss
P-40E “Warhawk” Desert Shark,
restauré par Fagen Fighters
Restoration à Granite Falls, à seule-
ment deux heures de route vers le
sud, et Grand Champion à Ohskosh
en 2011 (lire Le Fana de l’Aviation
n° 526). Il a également lancé l’année
dernière avec la société spécialisée
AirCorps la construction d’un P-51B
“Mustang” qui portera la livrée du
P-51B Shillelagh que pilota “Ken”
Dalbergh. On n’a pas fini d’entendre
parler de Wings of the North. ■
Le Curtiss P-40E
“Warhawk”
Desert Shark,
restauré par
Fagen Fighters
Restauration et
Grand Champion
de la catégorie
Warbirds-
Deuxième
Guerre mondiale
à EAA
AirVenture,
à Oshkosh dans
le Wisconsin,
en 2011.

Le Vultee BT-15
de WotN
actuellement
en restauration
par les bénévoles
du musée.
XAVIER MÉAL

49
RWANDA

Opération Turquoise, 22 juin-22 août 1994*


Une saison en enfer
DR/COLL. JEAN-CLAUDE LAFOURCADE

Première partie. Devant l’incapacité de la Minuar


(Mission des Nations unies pour
En juin 1994, devant l’ampleur de la tragédie l’assistance au Rwanda) à faire ces-
ser le chaos malgré la présence de
rwandaise, la France décide d’intervenir seule 3 000 hommes, Paris demande à la
pour sauver ce qui peut l’être encore. Nom de code communauté internationale, et no-
tamment à l’ONU, de réagir, en vain.
de l’opération : Turquoise. Des pilotes racontent Alors qu’elle fait l’objet d’une cam-
pagne de presse internationale d’une
pour la première fois ce qu’ils ont vécu. rare hostilité à son égard – elle est
*Suite des articles “La guerre au Rwanda 1990-1994 – accusée d’être “complice du géno-
L’aviation au cœur de l’enfer” parus dans les nos 619 à 621. cide” (!) –, la France est le seul pays
qui se déclare prêt à intervenir pour
Par Hugues de Guillebon mener une mission humanitaire,
mais elle ne veut pas le faire sans

L
’attentat contre le “Falcon” 50 un véritable génocide à l’encontre de l’aval de l’ONU.
du président Habyarimana le la minorité tutsie, pendant qu’au La décision de déclencher l’opé-
6 avril 1994 plonge le Rwanda même moment le FPR, le front patrio- ration Turquoise est prise le 15 juin
dans une épouvantable guerre tique rwandais, composé majoritaire- 1994 par le président Mitterrand.
civile. Chauffés à blanc, des ment de Tutsis, envahit le pays à partir Dès le lendemain, le FPR de Paul
milices hutues, des militaires et une de l’Ouganda pour y reprendre le Kagamé, qui voit sa victoire militaire
partie de la population se lancent dans pouvoir et massacre des Hutus. lui échapper une nouvelle fois, an-
50
donc recourir aux gros-porteurs donne son accord pour l’utilisation
russes et ukrainiens. Pour donner des aéroports de Goma, Kisangani
une caution internationale à l’opé- et Bukavu ; c’est donc par le Zaïre
ration Turquoise, le gouvernement que se fera tout le déploiement de
français demande l’implication, l’opération Turquoise.
même symbolique, de quelques
pays africains. Égypte, Sénégal, Des missions
Guinée, Mauritanie, Tchad, Congo
et Niger répondent favorablement.
préparatoires au Zaïre
Comme le déclare le président Du 18 au 22 juin, des missions
Mitterrand : “Si les autres sont dé- préparatoires sont effectuées au
faillants, on doit y aller seuls avec Zaïre. Le 20 juin, une équipe de re-
les Africains. On prend le risque connaissance à bord d’un C160 du
d’une efficacité moindre, mais COS (commandement des opéra-
notre action a un caractère urgent tions spéciales) se pose à Goma pour
et limité. C’est l’honneur de la prendre contact avec les FAZ, les
France qui est en cause.” forces armées zaïroises, et vérifier
Le volume des forces françaises l’état de la piste ainsi que la sécurité
projetées doit progressivement des vols. Avant de se poser à Goma,
atteindre 2 500 hommes : 1 500 une reconnaissance à vue de Bukavu
viendront d’Afrique et 1 000 de est réalisée. Faute d’un autre choix
métropole. Avec peu de préavis de possible, mais non sans hésitation, la
préparation, les décision de prendre
forces préposition- Goma comme base
nées en Centra- opérationnelle est fi-
frique, au Gabon, nalement prise. Les
au Cameroun, à plateformes dispo-
Djibouti et à la nibles sont les sui-
Réu nion sont ins- vantes : Goma, si-
tantanément opé- tuée à la frontière
rationnelles. avec le Rwanda,
T out le trans- sera le point
port se fera par d’entrée princi-
L’hélicoptère avion et les moyens pal dans le pays
de manœuvre SA330 aériens engagés et servira de base
“Puma” du COS en vol seront impor- de soutien et de com-
au-dessus du lac Kivu tants : “Tran - mandement ainsi que
en 1994. L’opération sall”, “Her cu- de base opération-
Turquoise (en médaillon les”, “Atlan tic”, DR/C . J -L B
OLL EAN UC RISSAUD nelle avancée aux
un autocollant “Mirage” F1, “Pu- avions de transport,
commémoratif) a été le ma”, “Gazelle”, etc. aux hélicoptères et à l’“Atlantic” ;
premier déploiement M ais par où intervenir ? Kisangani, située à 500 km de Goma,
de la toute nouvelle
L’aéroport de Kigali étant fermé, servira de base d’appui aérien aux
escadrille des
l’intervention au Rwanda ne pourra “Mirage” F1 ; Bukavu sera utilisée
opérations spéciales.
se faire qu’à partir de pays limi- par les moyens aériens du COS ;
trophes : Zaïre, Burundi, Ouganda Bangui en Centrafrique servira de
ou Tanzanie. Consulté, Mobutu base arrière de transit et de support.

nonce qu’il est fermement opposé à
toute intervention française et se
déclare prêt à la combattre. Cette
position menaçante vis-à-vis des
forces françaises va obliger Paris à
adopter un dispositif fortement armé
pour protéger ses troupes. Aucun
autre pays ne souhaite s’aventurer
dans ce bourbier. Les Belges, dont
c’est pourtant le terrain d’action,
renoncent. Seuls les Italiens se dé-
clarent prêts à accorder un soutien
logistique à la France, puis déclinent.

Les Américains Souvenir


retardent l’opération du passage
des pilotes
Les Américains, souhaitant plu- de “Jaguar”
tôt la victoire du FPR, refusent à Kisangani.
d’assurer le transfert de troupes et À droite,
de matériel français et feront tout le volcan
pour retarder l’opération. Il faudra Nyragongo. JEAN-MARIE KOSINSKI

51
OPÉRATION TURQUOISE

N’Djamena, Libreville et Douala


seront également sollicitées.
“ Il a fallu tout Nous étions maintenant une cin-
quantaine sur place : un contrôleur,
Le 21 juin, un échelon précur-
seur arrive sur l’aéroport de reconstruire : eau, des mécanos et leur matériel pour
rouvrir la tour de contrôle, des pom-
Kisangani. Le lieutenant-colonel piers, des fusiliers commandos, des
Jean-Marc Denuel, commandant en
second de la 13e EC (escadre de
pétrole, cuisine, etc. Pas militaires du SEA (service des es-
sences des Armées), un commis-
chasse) de Colmar, en fait partie ; il
se souvient : “Pour la première fois,
de douche au début ” saire, etc. C’est avec cette toute petite
équipe que nous avons bâti une base
l’état-major voulait construire une complète en quelques jours. Il a fallu
base aérienne projetée ex nihilo en plutôt en bon état, mais l’infrastruc- tout reconstruire : eau, pétrole, cui-
opération extérieure. Il fallait tester ture était inexistante. La tour de sine, etc. Pas de douche au début ;
le concept au cours de l’opération contrôle était quasiment vide et il n’y tout le monde montait sur la terrasse
Turquoise. Kisangani avait été choi- avait pas de système d’approche. Le quand survenait l’averse quoti-
sie pour sa piste de 3 500 m de long trafic était inexistant. L’aérogare était dienne de 16 h 30. Dans une scierie
pouvant accueillir des gros-porteurs en ruine. Tout avait été pillé ; il n’y tenue par des Belges, nous avons pu
et des avions de chasse, et permettant avait plus de vitres, de portes, d’élec- récupérer des planches en bois pour
d’assurer le support logistique des tricité, d’eau ou de toilettes. Comme faire des cloisons.
moyens projetés à Goma, à une dis- unique avion, un Boeing 707 zaïrois En une semaine, nous avons
tance pas trop grande. C’était un abandonné dans l’herbe, vidé de tout réussi à installer toutes les infras-
pion supplémentaire au milieu du ce qu’il contenait. tructures indispensables pour ac-
dispositif Bangui-N’Djamena- N ous avons cueillir les mili-
Goma. En cas de difficultés, les héli- été accueillis par taires et les avions,
coptères déployés à Goma devaient un adjudant-chef avec un dépôt de
également pouvoir rapidement re- zaïrois qui portait munitions dans le
joindre Kisangani sans avoir à ravi- de grandes bottes hangar de l’aéro-
tailler. Le commandant de la base en caoutchouc, à club. Bangui était
aérienne projetée de Kisangani, le Le col. Guy cause des ser- la base arrière où
colonel Guy Lanthoinette, m’a Lanthoinette p e n t s … Les arrivait toute la
choisi pour être son adjoint opéra- à Kisangani. Zaïrois voulaient logistique ; j’ai dû
tion alors que je devais initialement que nous nous y aller pour récu-
partir en tant que chef du détache- installions dans pérer notre maté-
ment “Mirage” F1CT. le s locau x de riel qui avait de la
l’aéro-club, c’est- peine à arriver
Une piste sans à-dire un hangar jusque chez
tout petit pouvant nous… Le maté-
infrastructure ju ste re c e voir
DR/C . D
OLL D
IDIER UVAL
riel a ensuite com-
Avec le col. Lanthoinette, nous Deux An-124 deux avions, et que les militaires mencé à arriver directement de
sommes arrivés à Kisangani en à Kisangani campent dans l’herbe. Ils n’avaient France par Antonov 124 depuis
“Transall” le 21 juin avec une quin- devant aucune idée de ce qu’allait nécessi- Istres. Au début, comme nous
l’aérogare.
zaine de personnes pour préparer la ter l’arrivée de 350 hommes. Après avions oublié de prendre un engin
Pas d’opération
future base aérienne. En arrivant sur négociations avec les autorités zaï- de manutention, il a fallu tout dé-
Turquoise sans
place, nous avons découvert… le roises, elles nous ont finalement charger à la main…”
gros-porteurs
néant ! Kisangani, “aéroport inter- russes
autorisés à nous installer dans Le 22 juin 1994, le conseil de
national”, avait bien une grande piste ou ukrainiens.
l’aérogare même. sécurité de l’ONU donne mandat à
33E ER/COLL. PHILIPPE DUMON JEAN-MARIE KOSINSKI

52
frégate Marin Gillier des comman-
dos Marine : “Que se passe-t-il effec-
tivement ? Des massacres sont per-
pétrés, quelle en est l’ampleur ? Qui
est qui ? Qui est hutu, qui est tutsi ?
L’aéroport
Quel crédit apporter aux propos qui
de Kisangani
avec deux
nous sont tenus ? Nous croisons des
An-124 interlocuteurs angoissés tandis que
et un C-135FR d’autres, influents, cherchent à orien-
(ainsi qu’un ter notre action dans un sens qui
Boeing 707 pourrait ne pas correspondre à l’es-
abandonné prit de notre mission. Se superposent
dans l’herbe). de réelles difficultés linguistiques.”
Les chasseurs
armés sont Les “Jaguar” en attendant
à l’écart et les “Mirage” F1
occupent les
anciens hangars E n attendant l’arrivée des
de la Sotexki, “Mirage” F1 de France, les “Jaguar”
société textile prépositionnés en Afrique assurent
de Kisangani la mission d’appui-feu aérien. Les
(flèche). 23 et 24 juin, au tout début de l’opé-
33E ER/COLL. PHILIPPE DUMON
ration, l’aéroport de Kisangani
la France pour intervenir au Rwanda Dès le 23 juin, les premiers élé- n’étant pas encore en mesure d’ac-
pour une durée limitée à deux mois ments des forces spéciales entrent au cueillir les appareils, les vols s’effec-
(résolution n° 929) et constituer une Rwanda par Bukavu. Ils vont “ouvrir tuent au départ de Bangui.
force devant “contribuer de manière la porte” au reste des forces. La mon- Cinq heures sont nécessaires, avec
impartiale à la sécurité et à la protec- tée en puissance se fera progressive- trois ravitaillements en vol. La mise
tion des personnes déplacées, des ment. Jusqu’au 30 juin, ils ne seront en place des “Jaguar” à Kisangani
réfugiés et des civils en danger au que 150 dispersés en petites pa- peut se faire le 25 juin.
Rwanda”. La résolution permet le trouilles à intervenir au Rwanda. Kisangani le Le détachement est commandé
recours aux armes en cas de menace. C’est la première fois que le COS 25 juin 1994. par le cdt Jean-Marie Kosinski. Il
L’opération est aux ordres du géné- aligne toutes ses composantes, dont Les quatre raconte : “Nous sommes arrivés à
ral Jean-Claude Lafourcade. cinq “Puma” et un “Transall”, au sein “Jaguar” Kisangani à quatre appareils avec le
Les forces qui vont intervenir aux d’un même détachement. Dès le soir, viennent matériel de soutien. De là, nous
Rwanda pour contrôler la zone d’ac- le camp de Nyarushishi géré par la d’arriver. avons effectué nos missions quoti-
tion sont articulées en trois groupe- Croix-Rouge internationale, où sont À droite, les diennes vers Goma en patrouille de
ments tactiques : le premier composé réfugiés 8 000 Tutsis et qui était sous deux “Puma” deux avions avec le support d’un
des forces spéciales, commandé par la garde de gendarmes rwandais, SAR de l’armée ravitailleur qui n’était pas encore sur
de l’Air
le col. Jacques Rosier ; le deuxième passe sous la protection des forces place et qui décollait de N’Djamena.
en cours
composé d’unités des troupes de spéciales du col. Didier Tauzin, puis Nous préparions les scénarios d’en-
de remontage.
Ma r i ne, c om ma ndé pa r le de la Légion. C’était le premier objec- gagements possibles, mais en adop-
Au premier
col. Patrice Sartre ; le troisième com- tif assigné à Turquoise. De nom- plan, les
tant une posture discrète car il ne
posé d’unités de la Légion, com- breuses questions se posent alors. paniers lance-
fallait pas trop se montrer dans un
mandé par le lt-col. Jacques Hogard. Comme le raconte le capitaine de premier temps. Nous survolions le

roquettes F1.

53
OPÉRATION TURQUOISE

Escale des
“Puma” Alat
le 25 juin 1994
à Bangassou,
en Centrafrique,
ravitaillés en
carburant par le
“Transall” n° 204
codé 64-GD…
JEAN-YVES CLARIS-SAUVAGE

Zaïre et la frontière avec le Rwanda avait besoin de nous, nous étions (Éléments français d’assistance opé-
à 10 000 pieds [3 050 m], mais sans y prêts à y aller. Nous avions pour cela rationnelle) de Centrafrique, le troi-
pénétrer. Il ne fallait pas que nos vols une heure environ d’autonomie sur sième du Tchad. Les équipages sont
soient considérés comme agressifs. zone. Le 3 juillet, une fois que les mis en alerte dès le 20 juin. Les trois
Sur zone, la situation était très “Mirage” F1CT et CR ont été opéra- “Puma” placés sous le commande-
tendue et pouvait dégénérer à tout tionnels à Kisangani, nous sommes ment du cdt Jean-Yves Claris-
moment. Notre mission principale repartis sur Bangui et N’Djamena. Sauvage décollent de Bangui le
était l’appui-feu. Nos “Jaguar” De là, nous avons continué à effec- 25 juin. Ils font une première escale
étaient équipés pour cela de lance- tuer quelques missions au profit de à Bangassou, à la frontière entre la
roquettes, de canons ainsi que de Turquoise en juillet et août 1994 pour Centrafrique et le Zaïre où ils sont
leurres thermiques car nous n’étions prendre le relais des “Mirage” F1 ravitaillés par un “Transall” qui s’est
pas à l’abri des missiles infrarouges quand ceux-ci étaient indisponibles.” posé sur un terrain très sommaire et
du FPR. Nous avons d’abord fait de non équipé. Les hélicoptères se
la reconnaissance de zone puis des Trois “Puma” dont posent ensuite sur l’aéroport de
vols pour valider la chaîne de com- Kisangani pour un deuxième ravi-
mandement et de contrôle. Quand
un “Pirate” avec canon taillement.
tout a été validé, nous avons fait des Comme hélicoptères de ma- En fin de journée, les trois appa-
démonstrations aux autorités et nœuvre, l’Alat (Aviation légère de reils arrivent à Goma, devenue une
quelques passages bas pour montrer l’armée de Terre) envoie un détache- véritable fourmilière. Les condi-
que nous étions prêts à intervenir. ment de trois “Puma”, dont un tions que les Français découvrent
Nos vols étaient de l’appui-feu im- “Pirate” équipé d’un canon de sont très spartiates. L’aéroport est
promptu : nous orbitions et si on 20 mm. Deux proviennent des Efao vide. “Il n’y a ni eau, ni w.-c. sur
… puis
nouvelle escale
à l’aéroport
de Kisangani
avant de
rejoindre Goma.

JEAN-YVES CLARIS-SAUVAGE

54
Convoyage des quatre “Mirage” F1CT
vers le Zaïre (le quatrième prend
la photo), accompagnés de deux
ravitailleurs C-135FR, fin juin 1994.

DR/COLL. DIDIER DUVAL

l’aéroport, c’est la Somalie-bis !”, de l’Air effectue aussi les réparations porteurs ne puissent se poser direc-
note l’adj./c. Jean-Luc Brissaud, pi- nécessaires sur la piste en mauvais tement à Goma, les 747 apportent le
lote de “Puma”. Les hélicoptères état. Le flux logistique est permanent fret jusqu’à Bangui, puis une noria
effectuent d’abord quelques vols de et tout arrive par air. Quand les ap- de “Transall”, “Hercules” et Casa
reconnaissance puis enchaînent les pareils déchargent, ils ne coupent l’achemine jusqu’à Goma. 800 véhi-
missions de logistique au profit de pas leurs moteurs pour pouvoir re- cules et 8 000 t de matériels sont
Turquoise. Le 27 juin enfi n, deux partir plus vite. Avant que les gros- débarqués ; une véritable prouesse


“Puma” SAR (search and rescue/
recherche et sauvetage) de l’armée À Goma fin
de l’Air arrivent à Goma depuis juin, le camp
Kisangani où ils avaient été déposés des Français
commence à se
par avion et remontés.
monter au pied
À Goma, comme à Kisangani,
du Boeing 707
l’armée installe toutes les infrastruc-
9Q-CMD de
tures nécessaires pour faire fonc- BCF Aviation
tionner un véritable aéroport mili- (Business Cash
taire et accueillir plus de 1 000 Flow) abandonné
militaires : tentes, sanitaires, cui- au bord de la
sines, etc. La capacité d’adaptation piste depuis
des militaires français en opération 1993. L’aérogare
extérieure fait encore une fois des de l’aéroport est
merveilles pour transformer un bout sur la droite.
de jungle en véritable camp. Un ra-
dar de campagne est installé pour
réguler le trafic important. Le génie
JEAN-YVES CLARIS-SAUVAGE

Devant
l’aérogare
de Goma, des
mortiers lourds
du 11e RAMa et
un “Mystère” XX
de l’Etec 65
(escadron
de transport,
d’entraînement
et de calibration).

JEAN-YVES CLARIS-SAUVAGE

55
OPÉRATION TURQUOISE

“ (…) montrer aux


belligérants que nous
n’hésiterions pas à
intervenir s’il le fallait ”
logistique. Le gén. Lafourcade dis-
pose d’un PCIAT (poste de com- Débarquement
mandement interarmées de théâtre), à Goma le 25 juin
déployé pour la première fois. Il dis- en fin de journée
pose également de deux Casa 235 des AML-90
comme moyens aériens de liaison. basées à Bouar
À Goma est aussi implanté le en Centrafrique
CCOA (centre de commandement depuis un C-130
des opérations aériennes). De son “Hercules”
côté, le service de santé déploie un français.
BRUNO LEQUEUX
élément Bioforce pour les vaccina-
tions et deux hôpitaux de campagne : semaine à attendre, l’aéroport de rer la maintenance et la réparation
l’Emmir (élément médical militaire Kisangani n’étant pas encore en état éventuelle des F1CT.
d’intervention rapide) à Cyangugu pou r n ou s a c c u e i l l i r. L e s Le 29 juin enfin, nous avons pu
et l’ACA (antenne chirurgicale aéro- “Mirage” F1CR nous rejoindront à nous mettre en place à Kisangani.
transportable) à Goma. N’Djamena. Alors que la situation Les Antonov 124 et Iliouchine 76
Les “Mirage” F1CT sont les pre- chauffait au Rwanda, nous étions là, venaient nous ravitailler en créant
miers chasseurs venus de France à se Les aéroports cloués au sol pour ne pas épuiser le un petit pont aérien. Le pétrole arri-
poser à Kisangani, le 29 juin. Le principaux potentiel de nos machines ; et nous vait en “defuelant” les gros-porteurs
cdt Didier Duval, chef du détache- de Turquoise. n’avions que le lot de déploiement russes. Le SEA devait tester le kéro-
ment, se souvient : “Dès le 16 juin à Bangui : dans le C-135FR pour pouvoir assu- sène pour vérifier qu’il n’avait pas été
Colmar, nous avons commencé à base arrière
avoir des indications sur un possible de Turquoise.
Kisangani : RÉPU
RÉPUBLIQUE
ÉPUB
départ pour le Rwanda. Situation CENTRAFRICAINE
TRAFRICAINE
AFR
FR
FRICAINE SOUDA
OOUDAN
UDAN
UD
difficile : peu de pilotes étaient dispo- quatre “Jaguar”,
nibles en raison des opérations en puis quatre Bangui
uii Bangassou
“Mirage” F1CT,
Bosnie. Colmar a dû “racler les
quatre Uele Convoyage des SA 330
fonds de tiroir” mais le détachement
“Mirage” F1CR, “Puma” de l’Alat
a pu être mis sur pied. Les ordres sont un à deux Congo (juin 1994)
tombés le vendredi 17 juin au soir : le C-135FR,
départ se fera le dimanche et j’ai été
ui

un “Atlantic”
ng

désigné chef du détachement à la Kisangani


Ouba

(à partir DU ZAÏRE Crash du “Jaguar” OUGANDA


place du lt-col. Denuel. (1 août 1994)
er

du 14 juillet). Kamp
RÉPUBLIQUEE EQUATEUR
Goma :
Un convoyage préparé DDU CONGO Lac
trois “Puma” Alat, Victor
dans l’urgence deux “Puma” SAR,
Kigali
ngo

trois “Gazelle” Goma


Co

Tous les services de la base ont “Canon”, un RWANDA


WAA DA
été convoqués le lendemain pour la “Atlantic”
préparation des hommes et du maté- (jusqu’au Bandundu Bujumbura
riel. Il fallait de l’eau, beaucoup Kasa 0 BBUUR
URUNDI
RUND TANZANIE
i
100 200 Nm
14 juillet), C160,
d’eau, des rations, de l’armement, C-130 et CN-235. 30 E
O

FRANÇOIS HERBET
des vaccins, des tenues tropicales, de DR/COLL. ALAIN TOUL

l’argent, etc. Le soir, tout était prêt. Les pilotes de “Gazelle” de l’escadrille
Le 19 juin, cinq avions ont décollé d’hélicoptères d’appui protection,
pour Istres, dont le spare [rempla- à Goma. À d. le cne Finidori,
çant] qui reviendra à Colmar une chef du détachement.
fois le dispositif en route pour Accroupi : Alain Toul.
l’Afrique. Jamais une préparation
de convoyage n’aura été aussi courte
et professionnelle. Les C-135FR
seront remarquables dans cette pré-
paration et amèneront les quatre
appareils à bon port en toute sécu-
rité. Le 20 juin : Istres-Dakar en
6 heures avec trois ravitaillements en
vol. Le 22 juin : Dakar-N’Djamena
avec deux ravitaillements en vol en
4 h 40. Nous y resterons une bonne
56
ment à l’appui-feu. Nous étions là
pour sauver des gens et il fallait mon-
trer aux belligérants que nous n’hési-
terions pas à intervenir s’il le fallait.
Le premier génocide n’avait pas pu
être évité ; il fallait pouvoir en empê-
cher un deuxième. Les “Mirage”
F1CR assuraient la couverture
“reco” et les “Mirage” F1CT l’appui
des troupes au sol. Les vols à deux
avions se passaient toujours de la
même manière, en moyenne altitude
puis ravitaillement en vol, attente
dans les circuits prévus à cet effet,
entraînement et retour en basse alti-
L’Il-76 RA-76409 d’Aeroflot affrété par tude au-dessus de la forêt de “persil”,
la France vient d’atterrir à Goma. Il assure en longeant le fleuve Zaïre jusqu’à
le transport de fret pour Turquoise. Kisangani. C’étaient des vols de pré-
En arrière-plan, l’épave du Boeing 707 9Q-CMD. sence, pour faire du bruit et monter
que nous étions là. Nous ne survo-
JEAN-YVES CLARIS-SAUVAGE
lions jamais le Rwanda pour ne pas
pollué. L’un des gros problèmes hommes, toujours importante, po- mettre d’huile sur le feu.”
auxquels nous devions faire face sait un réel problème de sécurité des
était le bruit insupportable des APU vols qui ne fut en partie résolu que 800 Tutsis sauvés, seuls
[auxiliary power unit, groupe auxi- par le retour à N’Djamena des pi-
liaire de puissance] des Antonov et lotes, au “frais”, pour quelques jours
survivants sur 10 000
des Iliouchine qui nous délivraient de repos, à tour de rôle. La première grosse mission de
leur précieux carburant, toujours de La première mission des F1CT l’opération Turquoise a lieu le
nuit, pour libérer les parkings le eut lieu le 3 juillet. Les missions ef- 30 juin. Dans la vallée de Bisesero,
Carte
jour, à quelques dizaines de mètres fectuées étaient des patrouilles aé- près de Kibuye, des commandos
du théâtre
de l’aérogare… La fatigue des riennes puis des missions d’entraîne- Marine sauvent 800 Tutsis cachés


FRANÇOIS HERBET
des opérations.

Sofia
Kagitumba

Tanza
Ta nz
Tanzanie
L'invasion du Rwanda par Kabale
O
Ou
uganda
ugan
ug
Ouganda
le FPR et l’opération Turquoise RN5

(avril-août 1994) Nyagatare

Volcan Gabiro
Nyamuragira Nyarouguma
(3299 m) Ruhengeri

Bombardement Volcan Volcan


Karisimbi
Parc national
des réfugiés hutus Nyragongo
(3470 m) (4507 m)
de l’Akagera

à Goma par le FPR Byumba


(17 juillet 1994)
Goma Gisenyi

République PC Opération
Rwan
Rw
Rwan
an
nda
n
Rwanda
du Zaïre “Turquoise”
1 million de réfugiés hutus RN5
N5

Île
de Bugarura
R
RN3
N3
3
Kigali
Lac Kivu
Île
de Idjiwi Bihembe
Kibuye
Kalehe PC Troupes Gitarama
de Marines Nguzi
2 millions de réfugiés hutus
Gishyita
Gako
Birenga
R
RN5
Bukavu

Stationnement Cyesha Zone Nyanza


des 5 “Puma” humanitaire sure,
et du C160 du COS PC Légion
étrangère
(ZHS)
Cyangugu
(5 juillet 1994)
Gikongoro
Tanzanie
Bukavu
PC du COS

Butare
Burundi

0 25 50 Nm 57
OPÉRATION TURQUOISE

dans des bois, seuls survivants d’une l’ampleur de la tragédie : maisons Français seront “marqués” par des
communauté de 10 000 personnes brûlées, cadavres mutilés, char- agents du renseignement britan-
pourchassées par des Hutus depuis niers, lieux de massacres, notam- niques ou américains se faisant par-
le mois d’avril. Face à une population ment celui qui s’est déroulé en avril fois passer pour des reporters.
locale hostile, 200 survivants sont à l’église Home Saint-Jean de Le 1er juillet, le “Puma” “Pirate”
médicalisés sur place et 96 blessés Kibuye à l’encontre des milliers de effectue son premier entraînement
risquant de mourir dans la nuit sont Tutsis qui y avaient trouvé refuge. au tir canon sur le lac Kivu. Des bi-
évacués par “Puma”. Interrogé par Certains lieux ont été nettoyés par dons en plastique sont largués sur le
les commandos, le bourgmestre de la population, mais l’odeur de la lac pour servir de cibles. Comme le
la commune voisine de Gishyita mort est toujours là. Les troupes canon tire sur la droite, le comman-
déclare, embarrassé : “Il fallait bien françaises vont mener des centaines dant de bord se place à droite et non
se débarrasser de cette engeance…” de missions d’extraction de Tutsis à gauche comme habituellement ; il
À Goma, c’est l’affolement ; les qui se cachent dans des collines où peut ainsi donner les ordres de tir.
“Puma” du COS transportant des chez des Hutus qui craignent des Pour être le moins vulnérable pos-
enfants avec des mains ou des jambes représailles de leurs voisins. Les sible aux tirs venus du sol, le tir se fait
coupées font les Evasan, les évacua- commandos Marine iront jusqu’à en mouvement, à 1 200 m de distance
tions sanitaires, avec une meute de exfiltrer discrètement des Tutsis de la cible. L’exercice n’est pas simple
journalistes à leur arrivée. dans une caisse pour les soustraire et nécessite une très bonne coordi-
En s’enfonçant dans le pays, les aux regards de la population. À nation de l’équipage, notamment
Français découvrent avec effroi noter qu’à plusieurs reprises, les entre le pilote et le tireur, ainsi qu’un
très bon entraînement de ce dernier.
Déchargement Dans la soirée, le COS évacue par
à Goma le
hélicoptère une communauté reli-
7 juillet 1994
gieuse menacée à Butare par le FPR.
de la “Gazelle”
Des patrouilles françaises essuient
“Canon” n° 1210
les tirs du FPR sans dommage, mais
codée BWM.
Elle est
doivent se replier. La tension monte
suspendue d’un cran le 2 juillet. Les “Puma”
à un pont roulant transportent des Crap (commandos
de l’An-124. de recherche et d’actions dans la pro-
fondeur) à Bukavu et le “Pirate”
effectue une première reconnais-
sance armée au Rwanda, dans la
région de Gikongoro.

Les “Mirage” F1CR


enchaînent les missions
Les “Mirage” F1CR arrivent à
ALAIN TOUL
ALAIN TOUL Kisangani le 3 juillet. Les avions pro-
Une “Gazelle” viennent du 2/33 de Reims où la
du 3e RHC va 33e ER (escadre de reconnaissance)
être avalée vient juste de s’installer après avoir
par l’An-124
quitté Strasbourg. Le détachement de
RA-82069
quatre appareils est commandé par
d’Aeroflot.
le cdt Philippe Dumon. Les missions
de reconnaissance et de présence
s’enchaînent dès le lendemain.
Kisangani étant à une heure de vol de
Goma, tous les vols nécessitent un
ravitaillement à l’aller pour pouvoir
orbiter sur zone. Les vols durent en
moyenne trois heures. L’une des pre-
mières missions consiste à recon-
naître au Zaïre les points d’intérêt
pour le Renseignement : ponts, an-
tennes, etc. Au même moment, à
Butare, ville quasiment abandonnée
par les FAR, les forces armées rwan-
daises, dont la chute est imminente,
les forces spéciales sauvent 1 000 per-
sonnes et 700 orphelins hutus en les
exfiltrant vers le Burundi sous les tirs
du FPR qui les prend pour cible ; le
COS riposte. Les véhicules français
comptent de nombreux impacts mais
il n’y a pas de blessés. De Butare, une
patrouille française partie récupérer
des religieux menacés tombe dans
JEAN-YVES CLARIS-SAUVAGE
Les “Puma”
une embuscade tendue par le FPR. désillusion au sein des forces gou- COA et COB À Goma, l’Alat se renforce avec
Les deux prêtres qui la guident sont vernementales. (premier plan) des hélicoptères de combat. Un déta-
tués dans l’explosion de leur voiture Le 5 juillet, devant le risque d’ef- attendent leurs chement du 3e RHC (régiment d’hé-
et deux Français du 1er RPIMa (régi- fondrement des FAR, exsangues, passagers à licoptères de combat) d’Étain, sous
ment de parachutistes d’infanterie de battues et défaites moralement, et Goma. À droite, le commandement du cne Jean-Luc
Marine) sont blessés. l’afflux de réfugiés hutus, la France un des deux Finidori, est mis sur pied en quelques
Le FPR s’empare de Kigali le instaure une ZHS (zone humanitaire “Puma” SAR de jours. Il est composé de trois
4 juillet. Les FAR qui y résistaient sûre) dans le sud-ouest du Rwanda. l’armée de l’Air. “Gazelle” “Canon”, 40 personnes et
depuis le mois d’avril, à l’étonne- La ZHS doit permettre de fixer les 100 t de matériel. Les trois hélicop-
ment de tous les observateurs, s’y réfugiés sur place et éviter leur exode tères de combat sont chargés à Istres
trouvent maintenant encerclées et au Zaïre où la situation humanitaire le 30 juin sur un Antonov 124, mais
déclenchent l’opération Champagne deviendrait catastrophique. La zone les équipages de l’Alat doivent pa-
pour se dégager. Elles commencent doit devenir un havre de paix pour tienter à Kisangani puis à Bangui
leur mouvement de repli vers l’ouest tous ceux qui y trouveront refuge. plusieurs jours, les pilotes russes
du pays. Dans la zone conquise par Comme l’indique une note française refusant de se poser sur la piste de
le FPR, les Tutsis font le vide et les du 4 juillet : “Interdiction d’activité Goma pleine de trous.
Hutus fuient vers la Tanzanie, l’Ou- militaire à l’intérieur de la zone ; in-
ganda et le Burundi où certains se- terdiction de pénétrer dans la zone “Les forces spéciales
ront même massacrés par des Tutsis signifiée tant au FPR qu’aux FAR et
burundais ; la guerre ethnique est aux milices de chaque partie ; inter-
heureuses de nous voir”
partout. Très vite, les FAR com- diction aux FAR de constituer la zone Istres le 30 juin Les deux premières “Gazelle”
mencent à manquer de munitions, en base de départ d’opérations mili- 1994. L’Il-76 n’arrivent finalement à Goma que le
notamment d’obus pour l’artillerie, taires”. Le front s’établit maintenant EW-78801 5 juillet, et la troisième le 7 juillet.
en raison de l’embargo sur les armes, en limite de la ZHS. Les légion- de Trans Accompagnées du “Puma” “Pirate”,
Avia Export
et ne peuvent plus contenir l’avancée naires, les marsouins et les forces les “Gazelle” effectuent le même jour
embarque
du FPR. De plus, l’absence totale de spéciales s’enterrent dans leurs posi- leur premier tir canon d’entraînement
du matériel
soutien de la France aux forces tions pour défendre la zone si le FPR sur des cibles flottantes larguées sur
militaire
rwandaises entraîne une grande s’avisait de la franchir. le lac Kivu. Les hélicoptères sont très

ALAIN TOUL
pour Goma.

59
OPÉRATION TURQUOISE

vite engagés pour l’appui renseigne-


ment et pour des vols de dissuasion à
“ Tactiquement, unique VOR [VHF omnidirectional
range, système de radionavigation
l’encontre du FPR à la périphérie de qui permet de déterminer la position
la ZHS, notamment le 8 juillet au sud-
est de Kibuye.
cela allait à rebours d’un aéronef par rapport à une balise
au sol, NDLR], mais pas très juste. Il
“Un jour, nous sommes allés re-
connaître les points initiaux qui pour-
de tout ce que nous n’y avait ni radar, ni moyen de radio-
navigation vraiment fiable. Nous
raient être utilisés en cas de coup dur
au Rwanda, se souvient Didier Duval. avions appris ” faisions des percées avec le radar de
l’avion grâce aux échos sur le fleuve.
Voyage en Casa 235 de Kisangani à Au Zaïre, il y a de la forêt et des col-
Bukavu, puis en “Puma” vers le nible rapidement et en tout lieu en cas lines partout, et très peu de points de
Rwanda, le pays des mille collines. d’accrochage avec le FPR. Mais repère pour se recaler si la centrale
Paysage à couper le souffle, l’un des d’abord, il faut trouver la cible. inertielle dérivait. Nous ne comptions
plus beaux qu’il m’ait été amené de L’affaire n’est pas si simple, sans carte que sur nous et ne volions qu’en VFR
voir. Nous avons été accueillis par les précise ; seuls quelques avions réus- [vol à vue, NDLR], et donc jamais
forces spéciales qui étaient heureuses sissent à trouver leur objectif. par mauvais temps à Kisangani ou de
de voir que nous étions là pour les Philippe Dumon se souvient : nuit. De plus, en dehors de Goma, il
appuyer si besoin. Nous avons égale- “Ce jour-là, nous avons effectué le n’y avait pas de vrai terrain de dérou-
ment rencontré les légionnaires et les premier entraînement appui-feu. La tement. Le C-135 restait donc en l’air
marsouins. Les Rwandais étaient mission d’appui-feu est une mission pendant toute la durée du vol, pour
également heureux de nous voir et secondaire de l’escadron de recon- nous donner du pétrole au cas où.”
nous accueillaient avec des bande- naissance. Nous avions de l’arme-
roles. Aucune trace du génocide qui ment, obus et roquettes, pour cela. “Une altitude où nous
venait de se dérouler et qui sans doute Un contrôleur avancé est là pour
continuait, tel un feu qui couve, dans guider par radio les avions vers un
étions très vulnérables”
les zones que nous ne contrôlions pas. objectif qu’il voit. Il imagine ce que Les pilotes bénéficient de conseils
Nous eûmes la surprise de voir le pilote va voir d’en haut pour lui de survie en jungle. Ils emportent sur
au retour vers le Zaïre un bataillon décrire l’objectif, et surtout ne pas se eux le paquetage tropical composé
des FAR s’entraîner à la course à tromper de cible… notamment d’une grande corde pour
pied en treillis sur une route entre Comme il n’y avait pas de menace descendre des arbres en cas d’éjec-
deux belles collines. Spectacle sur- sol-air sur le théâtre d’opérations, tion, d’un GPS de survie et d’une
prenant quand on pense qu’ils hormis des armes de petit calibre et petite machette. Les vols au-dessus
étaient en guerre et que quelques d’éventuels Manpads [man-portable du la zone s’enchaînent. “Les avions
jours plus tard, ils connaîtront la air-defense system, système portatif volaient quotidiennement pour que
mort ou l’exode… Le pilote du de défense antiaérienne, NDLR] chaque pilote puisse faire un vol tous
“Puma” me raconta que le chef du type SA7, nous nous mettions à les deux ou trois jours, raconte Jean-
bataillon voulait garder la discipline 10 000 pieds [3 050 m], et quand nous Marc Denuel. Nous faisions de
au sein de son unité alors même avions acquis l’objectif en visuel, grands hippodromes au-dessus du
qu’ils n’avaient plus de munitions, nous foncions dessus. L’une des lac Kivu à 3 000 ou 5 000 pieds [914
que nous leur refusions. On lisait la Évacuation principales difficultés que nous ren- ou 1 524 m], en longeant la frontière,
haine dans les yeux de certains sanitaire à bord contrions sur place était les condi- puis nous remontions ravitailler.
Hutus qui ne comprenaient pas d’un “Puma” le tions météo souvent changeantes, Nous devions être visibles pour dis-
pourquoi la France ne les avait pas 7 juillet 1994 de avec des brouillards fréquents. La suader le FPR de taper sur les réfu-
Tutsis mutilés
aidés à repousser leurs adversaires.” météo était un véritable piège et le giés, mais pas trop bas pour ne pas
(tendons
plafond pouvait baisser rapidement. effrayer ces derniers. Tactiquement,
d’Achille
Le rôle primordial coupés à la
À Kisangani, les aides à l’atterris- cela allait à rebours de tout ce que
sage étaient très rudimentaires : un nous avions appris. S’il y avait eu une
des contrôleurs avancés machette). JEAN-LUC BRISSAUD

Le col Martial Imberti, comman-


dant des forces aériennes de
Turquoise, est déposé sur l’île Idjwi
le 7 juillet pour assister à un guidage
d’avions par des contrôleurs aériens
avancés au sol. Les contrôleurs avan-
cés sont chargés de rechercher et iden-
tifier la cible à détruire, la localiser, la
désigner aux pilotes par radio et assu-
rer avec précision le guidage final des
avions sur un point précis. La mission
est complexe. “Mirage” F1CR et CT
vont enchaîner les passes de tir fic-
tives. L’entraînement des pilotes est
primordial : en effet, en dehors des
quatre hélicoptères “Canon” et des
quelques mortiers lourds du
11e RAMa (régiment d’artillerie de
marine) et du 35e RAP (régiment
d’artillerie parachutiste), les avions
constituent le seul appui-feu dispo-
60
Dans un premier temps, les mis-
sions consistent en des reconnais-
sances topographiques et photo au-
dessus du Zaïre et du Rwanda pour
positionner les forces en présence et
les réfugiés. Le premier-maître
Bernard Lunetto, mécanicien navi-
gant à bord de l’“Atlantic” 1, se sou-
vient : “Tous les matins avait lieu un
briefing renseignement sur la progres-
sion des réfugiés et des rebelles. En
DR/COLL. JEAN-MARC DENUEL
Le fonction de cela, on nous donnait une
menace sol-air, nous aurions été ex- blessés avait une perfusion et se vi- “Mirage” F1CT zone à couvrir en photo. Avec
posés car nous n’allions pas très vite, dait de son sang. L’Emmir avait été n° 255 codé l’“Atlantic”, nous pouvions voler
à une altitude où nous étions très vul- averti. Arrivé à Cyangugu, je me suis 13-OK du 1/13 longtemps et couvrir une zone com-
nérables. Pour certains pilotes, la posé sur le terrain très rapidement et Normandie- plète. Une fois la mission accomplie,
mission était dérisoire, plus à carac- les blessés ont pu être transférés im- Niémen en vol nous nous reposions à Goma, dé-
tère politique qu’opérationnel ; il fal- médiatement dans l’hôpital de cam- au-dessus du chargions le pod [nacelle] photo et
lut beaucoup d’explications pour les pagne. Comme ils ne pouvaient plus “persil” zaïrois. confions les pellicules à développer
convaincre du bien-fondé…” marcher, nous les avons portés sans Il est équipé de pour l’état-major. Lors d’un de ces
Pour les hélicoptères engagés gant, plein de sang sur les mains. Les lance-roquettes briefings, on nous a dit que le FPR
dans l’opération, les Evasan au profit médecins nous ont alors dit d’être F4, mais aussi pouvait être équipé de missiles sol-air
des victimes ne s’arrêtent pas. “Le prudents car beaucoup d’entre eux de lance-leurres portables dont le type n’était pas
7 juillet, nous sommes partis sur pouvaient être séropositifs…” “Corail” contre connu. Nous étions équipés de leurres
Kibuye pour une évacuation sani- la menace des et volions à une altitude suffisamment
taire , se rappelle Jean-Luc L’“Atlantic” pour couvrir missiles sol-air haute pour passer dessus.”
Brissaud. Nous avons chargé dans le portables Sur Kisangani, l’un des pro-
“Puma” un blessé couché et deux
une zone complète du FPR. blèmes logistiques majeurs est la
assis, dont un tout petit enfant blessé Le dernier appareil de Turquoise gestion du carburant. Il y a en
à la machette. On nous a ensuite à se poser à Goma est l’“Atlantic” 1 moyenne moins de deux jours
demandé d’aller à Bisesero prendre n° 49 de la 22F. Il y arrive le 8 juillet. d’avance en kérosène pour les avions.
d’autres blessés. Là, nous avons L’avion avait décollé de Nîmes le Le carburant présent sur place est
chargé huit autres Tutsis blessés dont 23 juin. Après une escale à Dakar, Début juillet, réservé aux chasseurs. Les C-135FR
des enfants qui avaient les tendons l’appareil se pose à N’Djamena mais le camp et les “Transall” vont faire le plein à
d’Achille coupés. Comme leurs doit attendre jusqu’au 8 juillet les des militaires N’Djamena ou Bangui. Le carburant
bourreaux ne pouvaient pas les tuer consignes avant de pouvoir se mettre français à est livré et stocké dans des bacs
tous du premier coup, ils leur cou- en place à Goma. Il effectue là l’une Goma s’est souples par les avions-cargos effec-
paient les tendons pour qu’ils ne des dernières missions des bien étoffé. tuant le pont aérien. La situation ne
puissent pas s’échapper et revenaient “Atlantic” 1 en Afrique. À son bord : En arrière-plan, sera réglée que par l’arrivée sur le
ensuite les achever… l’équipage, un échelon technique, un (de gauche fleuve Zaïre d’une barge transpor-
Pour décoller à 2 200 m d’altitude officier opération et tout un lot de à droite) : tant 1 000 t de carburant. Pour les
avec les 11 blessés, nous étions à rechange pour le dépannage de pre- Breguet militaires présents sur les bases, les
“Atlantic”,
charge maximale. Heureusement mier degré en cas de problème. conditions de vie sont très spar-
Beechcraft
devant nous, il y avait un trou et je L’appareil effectue le 10 juillet son tiates : bruit, chaleur, moiteur, etc.
“Super King
me suis jeté dedans pour avoir l’ac- premier vol de reconnaissance Mais personne ne s’imagine ce qu’il
Air”, “Transall”
crochage. Je suis descendu le plus photo, au-dessus du Zaïre. Il va en- et B-727
va maintenant vivre… ■
rapidement possible car l’un des suite voler tous les jours. de Shabair.
À suivre
BERNARD LUNETTO

61
MONOGRAPHIE
Le Salmson 2A2
Bonne surprise
sous l’uniforme
Première partie.
Biplace de corps d’armée conçu
pour la reconnaissance et le réglage
d’artillerie, le Salmson 2A2 prit une part
prépondérante dans les combats de 1918
menant à la victoire finale. Par David Méchin

L
’histoire débute en 1889 M 9 de 135 ch 18 septembre suivant,
quand Émile Salmson, ingé- et surtout 480 moteurs M 9 de 130 ch
nieur, fonde sa société qui se le 24 novembre 1914, lesquels vont
lance dans la production de notamment équiper les avions Voisin
pompes et de machines à LAS des groupes de bombardement
vapeur. Fasciné par le développe- français. De nombreuses autres
ment de l’aviation au début du commandes vont suivre et l’avenir de
xxe siècle, il fait évoluer sa société la société, qui va réaliser de très
vers la production de moteurs d’avia- importants bénéfices durant le
tion en 1909 en acceptant l’offre que conflit, est assuré.
lui font les ingénieurs Georges
Canton et Pierre Unné de produire L’association Salmson-
un moteur de leur conception, tous
deux devenant actionnaires minori-
Moineau en 1915
taires de la société. Mais Émile Salmson veut plus et
L es moteurs Canton-Unné désire se lancer dans la production
connaissent le succès et équipent aéronautique. Il s’associe en 1915
les appareils des pionniers de avec l’ingénieur René Moineau qui
l’époque, mais peinent à recevoir conçoit le Salmson-Moineau SM1,
une commande de un appareil bâti au-
l ’a r m é e . É m i l e tour du lourd moteur
Sa l m son , dé c r it Canton-Unné 2C de
comme un véritable 230 ch actionnant
tyran par ses em- deux hélices, et qui
ployés, montre qu’il s’avère aussi lent que
ne recule devant rien peu manœuvrable, et Émile Salmson
et fait appel au sul- i n fér ieu r à s e s (1858-1917),
f u reu x sénateu r concurrents. Il est motoriste et
Charles Humbert en néa n moi ns com- constructeur
tant qu’“agent d’in- mandé en série, pro- aéronautique.
fluence” auprès des bablement grâce à
décideurs publics. l’entremise du séna-
Ce dernier s’attelle à teur Humbert, mais
faire d’insistantes est assez vite retiré du
recommandations f ront après u ne
au chef de l’aviation courte vie opération-
H M
ENRI ANUEL
militaire en 1913, le nelle au premier se-
général Félix-Antoine Bernard. mestre 1917, après 155 exemplaires
L’action du sénateur, qui se fait construits et nombre d’entre eux
rémunérer en actions de la société détruits par accidents. L’association
Salmson, se montre à la longue effi- d’Émile Salmson et de René
cace car les commandes finissent par Moineau s’arrête là, le premier jalou-
tomber en 1914. On compte une pre- sant le second… Mais la société
mière commande de 56 moteurs M 8 Salmson située à Billancourt pour-
de 130 ch le 25 août 1914, 75 moteurs suit son aventure aéronautique en

DR/COLL. JACK HERRIS

62
Un Salmson 2A2 portant sous les ailes
des bombes antipersonnel Cooper,
utilisées par l’US Air Service
pour des attaques au sol.

63
SALMSON 2A2

décrochant le 6 avril 1917 une com-


mande de production sous licence du
biplace britannique d’armée Sopwith
1 ½ “Strutter”, appareil équipant les
escadrilles de corps d’armée fran-
çaises sous sa version 1A2 et de
celles de bombardement en version
1B1 et 1B2. La construction de l’ap-
pareil britannique est lancée à
grande échelle en France auprès de
plusieurs sociétés, dont Salmson qui
en réalise 301 exemplaires.
La firme de Billancourt fait hon-
neur à sa réputation sulfureuse
quand éclate durant l’été 1917 une
affaire de corruption, dénoncée par
le capitaine Cassin, du Service de
fabrication des avions (SFA) : des
DR
pilotes réceptionnaires de l’État sont Écorché du
reconnus avoir touché de l’argent Salmson 2A2, ciers, que l’avion Salmson avait été fuselage arrondi avec un capot cir-
distribué par le chef pilote réception- montrant inventé par des ingénieurs de la mai- culaire comprenant de nombreuses
naire de la société Salmson, le son moteur son et pas par M. Salmson. C’est bosses et grilles de refroidissement.
s/ lt Jaques Hostein, afi n qu’ils fer- Salmson 9 Za Salmson qui était le seul maître dans Le radiateur est équipé d’un volet
ment les yeux sur la qualité des appa- de 260 ch et la maison, c’était un vrai tyran.” circulaire de type store vénitien,
reils Sopwith livrés par la firme… et sa structure Quel que soit le véritable concep- composé de lames métalliques ra-
dont au moins 35 d’entre eux sont en bois. Noter teur de l’appareil, l’équipe d’ingé- diales qui peuvent être tournées
déclarés impropres aux opérations le réservoir nieurs a pu bénéficier de l’expérience pour permettre à l’air d’entrer avec
après leur réception officielle. Alors posé entre de la construction du Sopwith plus ou moins d’intensité dans le
que les affaires du sénateur le pilote et “Strutter”. Le nouvel appareil reçoit radiateur. Le fuselage en lui-même
Humbert, accusé d’avoir touché de l’observateur. d’emblée un excellent moteur issu de est à armature en bois (frêne) com-
l’argent allemand, font les titres des la maison, le Salmson (Canton- prenant des éléments métalliques et
journaux, une nouvelle affaire Unné) 9 Za de 260 ch, deux fois plus recouvert de toile à l’exception de sa
Salmson est instruite en justice et puissant que le moteur Clerget rota- partie avant garnie de tôles en alu-
aboutit en octobre 1918 à des Un des tif équipant le Sopwith. Ce gros minium. Le pilote est assis sous le
condamnations par le conseil de premiers moteur en étoile est logé dans un bord d’attaque de l’aile supérieure et
guerre à des peines de prison pour Salmson 2A2
certains pilotes réceptionnaires et à (n° 156) livrés
l’acquittement du s/lt Jacques aux armées. Le Salmson 2A2 n° 160 de livrée
Hostein reconnu avoir agi sous ordre Il est vu aluminium, un des premiers
des employeurs. Lesquels sont lour- au mois de exemplaires livrés aux unités
juillet 1917 au à la fin de l’année 1917.
dement frappés puisque deux
membres du conseil d’administra- Groupement
tion de Salmson, les ingénieurs René des divisions
Dusuzeau et Pierre Unné, sont res- d’entraînement.
pectivement condamnés à un an et 5 Comme les
premiers
ans de prison (par contumace pour
appareils, il
le dernier, qui doit en outre
est de livrée
27 120 francs d’amende – il parvien-
entièrement
dra à se faire acquitter en 1919). aluminium. SHD
Émile Salmson lui-même échappe
aux foudres de la justice puisqu’il est
décédé le 21 décembre 1917, avant
les jugements.

Un avion apparu
à l’été 1917
Néanmoins, avant son décès, il a
le temps de voir son souhait se réa-
liser : produire un appareil qui porte
son nom et qui va connaître un
grand succès opérationnel : le
Salmson 2A2. Les déclarations du
s/lt Hostein lors de son procès nous
laissent plus dans le flou que nous
éclairent sur l’inventeur de l’appa-
reil : “M. [Émile] Salmson a été fu-
rieux contre moi quand il a appris
que j’avais dit au front, à des offi -
DR

64
Equipé d’un compartiment pour
loger un appareil photo, d’une mi-
trailleuse fi xe pour le pilote et de
deux mitrailleuses mobiles servies
par l’observateur sur anneau tou-
relle, le Salmson 2A2 est un biplan
aux ailes de même envergure. Ses
gouvernes de direction et de profon-
deur sont faites d’une seule pièce,
construites en tube d’acier et forte-
ment renforcées par des structures
au-dessus et au-dessous du fuselage.
Il n’y a pas de surfaces de queue
Emplacement fixes. Son train d’atterrissage est
de l’appareil solidement campé sur trois jambes
photo situé dans fixées au fuselage, contrastant avec
le compartiment le train du Sopwith faiblement fixé
de l’observateur. sur deux jambes… Mesurant 8,5 m
DR
de long, 11,75 m d’envergure, et pe-
dispose d’un grand appui-tête der- d’avoir ses parois intérieures dou- sant 780 kg à vide, il est de plus pe-
rière lequel se trouve le réservoir de blées d’une feuille de caoutchouc tites dimensions et plus léger que son
carburant qui le sépare du poste de spongieux qui referme automatique- concurrent contemporain, le célèbre
l’observateur, situé derrière les ailes. ment les trous laissés par des balles, Breguet 14, qui a un moteur plus
réduisant considérablement les puissant et un bâti entièrement mé-
Un tube porte-voix risques d’incendie en vol. tallique en duralumin.
Ses essais en vol terminés le
pour communiquer 29 avril 1917 au Service technique
Cette configuration rend difficile
la communication entre les deux “ Le Salmson 2A2 fait aéronautique (STAé) montrent d’ex-
cellentes performances, à peine infé-
membres d’équipage qui disposent
d’un tube porte-voix pour se parler.
partie du trio des avions rieures au Breguet 14 : il file à
188 km/h au niveau de la mer,
Le réservoir est équipé d’un dispo-
sitif auto-obturant pour évacuer le de la victoire et afflue 186 km/h à 2 000 m et 168 km/h à
5 000 m, altitudes qu’il atteint respec-
carburant en vol en cas d’urgence, et tivement en 3 min 18 s et 27 min 30 s.
présente également l’innovation dans les escadrilles ” Ces performances, comme pour le

L’escadrille SAL 33, célèbre par son insigne


de francisque gauloise, est une des premières
à mettre en service le Salmson 2A2 qu’elle reçoit
au mois de décembre 1917.
DR/COLL. ABIN DENIS

65
SALMSON 2A2

DAVID MÉCHIN

Le Salmson 2A2 n° 164 de l’escadrille


SAL 122, à Saizerais (Meurthe-et-
Moselle), durant l’hiver 1917-1918.

Breguet 14, lui donnent la possibilité Breguet qui peut emporter une Les autorités militaires ne s’y
de surclasser en vitesse pure comme charge militaire plus importante, trompent pas et ordonnent rapide-
en vitesse ascensionnelle les chas- mais ce qui est largement suffisant ment sa mise en production, avec
seurs allemands alors en service en pour en faire un excellent appareil une première commande régulari-
1917. L’appareil grimpe jusqu’à de corps d’armée, c’est-à-dire effec- sée le 15 août 1917 à la société
6 250 m et peut parcourir jusqu’à tuer les tâches d’observation du front Salmson pour 900 exemplaires au
500 km, ce qui est inférieur au et de réglage d’artillerie. prix de 28 500 francs pièce pour les
Un Salmson 2A2
de l’escadrille
SAL 14. Cette
unité est revenue
du front Italien
en avril 1918 où
elle combattait
sur Dorand AR 1.
Elle a ensuite
été transformée
sur Salmson 2A2
dont celui-ci
photographié
durant l’été 1918.

DR/COLL. ALBIN DENIS


SHD

À Dogneville au mois d’août 1918, ce


Salmson 2A2 autour duquel posent des pilotes
français et américains porte un escargot ailé
sur son fuselage, symbole de l’escadrille SAL 1.
DAVID MÉCHIN

Le Salmson 2A2 n°4184 de l’escadrille


SAL 17, fin 1918. Il s’agit d’un
appareil produit par Latécoère.

100 premiers, et 27 000 francs pour 1917, rédige un rapport sur l’état des compagnie générale Omnibus
les 800 suivants. L’organisation des forces et note à son sujet : “Très bon (CGO), la société parisienne
chaînes de montage prend du temps avion. Production mensuelle tout à construisant et exploitant les tram-
et on ne compte que 18 machines en fait insuffi sante.” ways de la capitale, s’est en effet re-
service au 28 novembre 1917 quand Celle-ci va rapidement monter en convertie dans la production de
le gén. Maurice Duval, chef de puissance, puisque s’ouvrent trois guerre et se voit notifier une com-
l’aviation militaire depuis le 5 août autres chaînes de production. La mande de 300 Salmson 2A2 le 17 oc-


Un Salmson 2A2
en service
à l’escadrille
SAL 122 sur le
front des Vosges,
durant l’hiver
1917-1918.

DR/COLL. JACK HERRIS


SHD

Uun Salmson 2A2 de l’escadrille


SAL 52, probablement un
appareil de la série des 3 000
fabriqués par la CGO.

67
SALMSON 2A2

“leLes boches pouvaient


tobre 1917. À Toulouse, l’industriel et réaliser ensuite les contre-offen-
Pierre-Georges Latécoère reçoit le sives qui mènent à la victoire. Mais
29 octobre 1917 une commande de l’aviation française n’est pas la seule
1 000 exemplaires et le 11 décembre
1917 c’est au tour de la société
trouer autant qu’ils à utiliser le biplace, puisqu’une par-
tie importante de sa production est
Hanriot de recevoir un ordre de pro-
duction de 500 exemplaires. Le prix
voulaient sans qu’il orientée vers l’American Expe-
ditionary Force (AEF) qui s’en voit
unitaire de tous ces appareils est fixé
à 25 000 francs pièce et le total com- ne tombe ” livrer 705 appareils à compter du
mois d’avril 1918, dont 557 sont en-
mandé se monte à 2 700 exemplaires. voyés au combat pour équiper 10
Il ne s’agit que d’un minimum : les Sopwith 1A2 et Dorand AR nette- Aero Squadrons de l’United States
25 mai et 8 juin 1918 respectivement, ment moins performants. Les mois Air Service (USAS) engagés à
les sociétés CGO et Salmson se d’hiver de 1917-1918 sont mis à profit compter du mois de juin, soit théo-
voient passer chacune une nouvelle par le gén. Duval pour faire rééquiper riquement une centaine d’appareils
commande “sans limite” qui fera toutes les unités de l’aviation fran- supplémentaires en ligne.
tourner leurs chaînes de pro- çaise avant les grandes offen-
duction jusqu’à l’armis- sives allemandes atten- “Un appareil
tice si bien que le dues au printemps : le
nombre total d’ap- Salmson 2A2, avec “Mes coinches !”
très moderne”
pareils produits en le Breguet 14 et le s’exclame ce Le s/lt Marcel Puyperoux, obser-
France n’est pas Spad XIII, fait Salmson 2A2 vateur à l’escadrille SAL 51, se sou-
connu avec préci- partie du trio des de l’escadrille vient de cette époque : “Mon esca-
sion, sachant que appareils de la vic- SAL 18, dont drille, la C 51, était équipée de
toutes les com- toire et afflue dans l’équipage Caudron et de Sopwith. Nous avons
mandes n’ont pas les escadrilles de est visiblement été transformés sur Salmson, qui
forcément été hono- corps d’armée dont amateur était un appareil très moderne.
rées à l’armistice. En il va constituer 38 % de belote. C’était un monomoteur biplace pour
se basant très grossière- de l’effectif en 1918, les missions de reconnaissance à
ment sur les numéros de puisque 52 des 139 esca- haute altitude, le réglage de tir, ou les
DR
série connus, on peut évaluer à drilles de cette spécialité vont s’en Salmson 2A2 observations de combats pendant les
1 500 avions produits par Salmson, voir dotées, un nombre supérieur fabriqué par les attaques. J’ai exercé de nombreuses
500 par la CGO, 600 par Latécoère (61) recevant la version de corps usines Salmson missions et j’étais plus spécialisé
et 600 par Hanriot, soit environ 3 200 d’armée (A2) du Breguet 14, et le et décoré dans les reconnaissances aériennes.
appareils sortis des usines françaises. restant (26) se voyant équiper de du chameau Elles se faisaient soit à altitude
Spad biplaces, Spad XI à moteur de l’escadrille moyenne, soit à très haute altitude.
Au combat Hispano ou de Spad XVI à moteur SAL 288.
Cette unité,
Nous faisions ces dernières à 5 000 m
Lorraine-Dietrich. avec cabine découverte et sans
sur le front Une escadrille de corps d’armée créée sur masque à oxygène ; ce n’était pas
Les premières unités à recevoir étant dotée réglementairement de Dorand AR agréable à cause du froid et du
en mars 1918,
l’appareil sont les escadrilles 51, 33 et 10 appareils, l’aéronautique mili- manque de respiration.
fut rééquipée
32 qui le touchent au mois de dé- taire met en ligne un total théorique Les missions à plus basses alti-
de Salmson
cembre 1917 et se séparent, sans de 520 Salmson 2A2 en 1918 pour tudes présentaient de gros risques [à
2A2 au mois
doute sans regrets, de leurs anciens résister aux offensives allemandes de mai suivant.
cause de la chasse]. J’ai été attaqué
SHD

68
Le Salmson 2A2 n° 5464,
construit par la société Hanriot,
sous les couleurs du 1st Aero
Squadron de l’US Air Service.

DR/COLL. JACK HERRIS

par cinq avions allemands, alors Salmson 2A2 mais rien voulu savoir pour homo- suis revenu plusieurs fois avec mon
que j’étais accompagné d’un autre du 91st Aero loguer ce résultat ! appareil endommagé. Dans mon
avion qui me protégeait car j’étais le Squadron J’ai continué ces missions jusqu’à escadrille, il y a eu trois équipages de
photographe. Le chef de la pa- de l’USAS, l’armistice. Je suis arrivé dans l’esca- descendus, soit en flammes, soit non
trouille ennemie a attaqué cet autre avec l’insigne drille en janvier 1918 alors que nous rentrés pendant cette période
avion qu’il a descendu. Moi j’ai été du chevalier étions sur Caudron et Sopwith, mais d’un an, en 1918.”
attaqué par les autres ; je m’en suis chassant un je n’ai volé que sur Salmson qui était
sorti avec des balles dans les plans, diable. Cette
escadrille eut
vraiment très moderne par rapport à Témoignages élogieux
mais indemne. Je crois avoir touché ses prédécesseurs et se comportait
un avion ennemi, parce qu’il est neuf pilotes
raisonnablement. Malheureusement,
dans l’US Air service
tués ou
parti avec une fumée noire, mais à l’escadrille, pour la première mis- Dans l’US Air Service, les témoi-
prisonniers
comme c’était dans une zone parti- sion qu’il a faite, l’équipage n’est pas gnages de pilotes convergent sur la
en 1918, mais
culière où mon père était le général remporta
rentré. On a pris plus de précautions qualité du Salmson 2A2, comme
commandant la division, il n’a ja- 21 victoires.
pour les suivantes ; pour ma part je celui du capitain Phillip R. Babcock,
DR/COLL. JACK HERRIS pilote au 88th Aero Squadron, qui
déclare : “Le Salmson était un sacré-
ment bon appareil. Il faisait le bruit
de boîtes de conserves traînées au
bout d’un fil, mais [les boches] pou-
vaient le trouer autant qu’ils vou-
laient sans qu’il ne tombe. On le te-
nait bien en mains, c’était un avion
très bien fait, très fiable.” Les pilotes
apprécient le réservoir central qui
réduit les risques d’incendie en vol
tout comme les performances qui les
mettent à l’abri des chasseurs Alba-
tros et Pfalz D, et Fokker triplans qui
équipent l’aviation allemande au
début de 1918. Mais ce n’est plus le
cas des chasseurs Fokker D.VII qui
entrent en service à compter du mois
de mai 1918 et surtout le Fokker
D.VIIF à moteur surcompressé qui
apparaît au mois de juillet, fort heu-
reusement trop tard pour faire pen-
cher la balance.
Durant toute l’année 1918, les 52
escadrilles françaises de Salm-
son 2A2 perdent 80 pilotes au com-

69
SALMSON 2A2

DAVID MÉCHIN

Salmson 2A2 du 91th Aero Squadron


piloté par le 1st lt William P. Erwin
(neuf victoires), en novembre 1918.

bat, soit un taux de pertes de 15 % çaise. Le meilleur pilote américain De leur côté, les 52 escadrilles
par rapport aux avions mis en ligne, est le 1st lieutenant William P. françaises de Salmson 2A2 se sont
contre 79 sur Breguet 14 A2 (13 %) Erwin, du 1st Aero Squadron, qui vues homologuer un peu plus d’une
et 34 sur Spad biplaces (13 %) – un avec trois observateurs successifs trentaine de victoires aériennes, le
taux de pertes légèrement supérieur remporte huit victoires aériennes meilleur pilote étant le s/lt Pierre
aux autres appareils, sans être pour homologuées aux mois de sep- Carretier (futur général) à l’esca-
autant catastrophique. Les pertes tembre et d’octobre 1918. La meil- drille SAL 39, qui en remporte trois
américaines sont supérieures en leure escadrille américaine au com- homologuées et une probable.
proportion, avec 34 pilotes perdus bat est le 91st Aero Squadron qui Mais ces statistiques sont tout
pour 100 avions mis en ligne (34 %), remporte un total collectif de 21 à fait secondaires ; la principale
du fait de l’inexpérience de leurs victoires homologuées, mais obte- mission de l’appareil est de prendre
équipages et de leur utilisation pé- nues au très lourd prix de neuf pi- des photos et régler le tir de l’artil-
riodique du Salmson comme avion lotes tués ou capturés, soit le double lerie, une mission largement ac-
d’attaque au sol, chargé de bombes que la moins chanceuse des 52 esca- complie durant toutes les batailles
antipersonnel, ce qui les conduit à drilles françaises de Salmson qui de l’année 1918. ■
s’enfoncer plus loin dans les lignes n’en perd que cinq. À suivre
ennemies et y augmenter les chances
de rencontres avec la chasse alle- Salmson 2A2
mande. dont le drapeau
américain
Des victoires aériennes… décorant
le fuselage
et des as américains témoigne
de son affectation
Plusieurs équipages américains
au 1st Aero
cherchent même à en découdre avec
Squadron
l’aviation ennemie au point que trois de l’US Air Service
pilotes et quatre observateurs amé- en 1918.
ricains deviennent des as en rempor-
tant plus de cinq victoires aériennes
– gardons toutefois à l’esprit que le
système américain d’homologation
des victoires est plus laxiste que
celui en cours dans l’aviation fran-
DR/COLL. JACK HERRIS
DR/COLL. JACK HERRIS

Salmson 2A2 du 24th Aero


Squadron de l’US Air Service
à la fin de l’année 1918.
BIOGRAPHIE
Pierre-Georges Latécoère
Un entrepreneur
visionnaire au
début du XX siècle
e
Le matin du lundi 11 novembre 1918,
alors que la France fête l’armistice, un
jeune industriel se hâte dans les rues
toulousaines en liesse pour déposer au
greffe du tribunal de commerce les statuts
de la Compagnie Espagne-Maroc-Algérie,
que l’on appellera bientôt “La Ligne”.
Par Laurent Albaret

P
ierre- Charles- Georges centrale des arts et manufactures. Le
Latécoère est né le samedi 4 juin 1905, le décès prématuré de
25 août 1883 à Bagnères-de- son père Gabriel, fondateur et direc-
Bigorre dans les Hautes- teur des Ateliers de menuiserie et de
Pyrénées, de Jeanne-Marie mécanique générale Latécoère, offre
Pujol et Gabriel Latécoère. Le per- à ce jeune dandy parisien de 23 ans
sonnage est au- ce que l’on connaît
jou rd’hu i (re) dans les Pyrénées
connu dans l’aven- sous le nom de
ture commerciale “Maison G. Laté- Pierre-George
aéronautique fran- coère”, une entre- Latécoère en
çaise, et plus large- prise familiale 1903, lors de son
ment dans le mi- prospère et instal- passage à l’École
lieu de l’aviation lée que le jeune centrale. Il reprit
depuis un siècle, ingénieur réo- deux ans plus
que ce soit par ses riente progressi- tard les affaires
lignes aériennes vement vers des familiales,
pionnières ou par secteurs en dé- les orientant
ses avions et autres veloppement, no- dans le
hydravions qui tamment le ferro- ferroviaire
portent son nom. viaire. puis l’aviation.
Beaucoup a été D u ra nt les
dit, écrit – voire années qui
F L
ONDATION ATÉCOÈRE
mal écrit – sur suivent, les éta-
l’homme. Quelques repères biogra- blissements toulousains Latécoère
phiques s’imposent néanmoins afin ont une activité économique sé-
de remettre les pendules à l’heure. rieuse et solide sous la direction de
Les prémices de l’aventure méritent Pierre-Georges Latécoère, une acti-
d’être dépoussiérés. vité mise à mal alors qu’éclate sans
prévenir le premier conflit mondial.
Une entreprise Engagé, l’artilleur Pierre-Georges
Latécoère est fi nalement réformé Les ateliers d’assemblage
familiale prospère par l’armée pour cause de mauvaise des Salmson 2A2
Issu d’une famille aisée de vue. Par patriotisme, il décide de de Montaudran en 1917.
Bagnères-de-Bigorre, le jeune Pierre- répondre présent dans l’Union sa-
Georges a suivi une brillante scolarité crée en tant qu’industriel, munition-
à Paris, de Louis-le-Grand à l’École naire et fournisseur de guerre. Les

FONDATION LATÉCOÈRE

72
73
PIERRE-GEORGES LATÉCOÈRE

commandes militaires de l’État Les ouvrières


s’imposent comme une priorité en entoileuses de
ces temps agités : des cuisines rou- l’usine Latécoère
lantes, des ambulances, des bara- en 1917.
quements militaires, des chariots
pour les caissons d’artillerie et des
obus de gros calibre de 150 et 220…
Puis des aéronefs en septembre 1917
afi n de répondre à un ministre de
l’Armement bienveillant et géné-
reux, Louis Loucheur, qui parie sur
une aéronautique militaire encore
balbutiante, mais ô combien pré-
cieuse et efficace selon lui. Cellules
d’avions et biplaces d’observation,
comme le Salmson 2A2, sortent
désormais régulièrement des nou-
velles usines Latécoère installées à
Montaudran, près de Toulouse, afin
de répondre aux marchés d’État et
aux sollicitations pressantes des
armées. C’est le temps du fameux
marché d’État n° 14 du 29 octobre
1917 – un millier d’avions de recon-
naissance à livrer – signé par Pierre-

“ La suspension des
hostilités entre la France FONDATION LATÉCOÈRE

Georges Latécoère, préparé par un industriels ; l’histoire est connue,


et l’Allemagne signe bulletin de commande du Service
des fabrications de l’aviation du
tout comme la chute.
Des terrains ont été acquis, il est
22 septembre 1917. Un “marché désormais nécessaire de construire
la fin du marché ” garanti” qui se veut rassurant les une usine et de trouver la main-

FONDATION LATÉCOÈRE

74
longue de 70, haute de 10 m, avec des due et se veut proche selon les mé-
ponts roulants et des voies ferrées dias de l’époque. Pierre-Georges
intérieures. Les hommes répondent Latécoère en est conscient, tenant
présents, avec l’appui de l’adminis- également ses informations par ses
tration : Marcel Moine, jeune ingé- relations parisiennes et par ses
nieur des Arts et Métiers, ou encore proches comme Beppo de Massimi,
Émile Dewoitine, ingénieur autodi- un ami aristocrate italien qu’il côtoie
dacte brillant. depuis 1907. Il est impératif de réagir
La production est lancée, non et de préparer le coup d’après. Penser
sans difficultés et incidents. Le l’après-guerre est un fil rouge pour
5 mai 1918, comme il a été exigé le jeune industriel, afin de se placer
dans le marché d’État, le premier dans la compétition économique du
appareil Salmson de série – le temps de paix à venir.
n° 1565 – décolle avec succès de la
piste des nouvelles usines Latécoère … et à l’utilisation
de Montaudran, avec aux com-
mandes le pilote Pierre Bastide.
civile de l’aviation
Près de 800 appareils seront ainsi L’utilisation civile de l’aviation
régulièrement livrés aux escadrilles à la fi n du confl it est pour lui une
alliées jusqu’en novembre 1918. évidence, non seulement un com-
Le 11 novembre, l’armistice est plément incontournable de l’auto-
signé. Le 22 novembre, la résiliation mobile et du train sur le territoire
des contrats militaires suit par une national, mais aussi un atout pri-
courte lettre du directeur du service mordial dans les liaisons entre les
de la Fabrication de l’aviation adres- États et entre les continents.
sée en recommandé à Pierre- L’intérêt économique conduit
Georges Latécoère : “M. Le pré- Pierre-Georges dans sa réflexion :
sident du Conseil, ministre de la le matériel ferroviaire appartient
Guerre, ayant fait connaître à la tri- au passé, l’avenir est au transport
bune du Parlement, le 11 novembre par avion, transport de fret comme
d’œuvre pour réaliser la commande. 1918, la suspension des hostilités transport de passagers. D’une ma-
Aux premiers jours de l’année 1918, entre la France et l’Allemagne, j’ai chine de sport fragile et parfois
l’usine est achevée, avec sa grande l’honneur de vous informer que votre indomptable, l’avion est devenu
halle de montage moderne, avec de marché N° 14 du 29/10/17 approuvé fiable avec les progrès techniques
vastes verrières, large de 20 m et le 2/12/17 limité à la fourniture au service de la guerre, et l’envisa-
d’avions Salmson jusqu’au n° 4800, ger comme moyen de transport est
est résilié […] Vous voudrez bien me une idée honorable et bienvenue.
Un des Salmson 2A2 vu à Montaudran en 1920, faire connaître en même temps l’état En août 1917, les prémices d’une
là où il fut fabriqué puis exploité sommaire de vos fabrications à la décision du pouvoir confortent
sur les premières ligne commerciales lancées date de la présente lettre tant dans vos Pierre-Georges dans son idée : la
par Pierre-Georges Latécoère.
ateliers que chez vos sous-traitants.” commission interministérielle de
Dans la foulée de ce courrier, un l’Aéronautique civile s’engage dans
second – moins connu – annonce la l’étude de la création d’un service
résiliation d’une commande de chas- postal aérien régulier, en vue du
seurs monoplaces Nieuport-Delage transport du courrier des troupes
Nid.29, commande passée à l’indus- américaines. Les avions Salmson
triel toulousain… le 5 novembre – que fabrique Pierre-Georges
1918 ! “Comme suite à mes lettres Latécoère – peuvent d’ailleurs y
N° 2.028.396 Fr, N° 2.028.614 et en répondre dans l’immédiat. L’étude
exécution de la D.M. N° 2.206960 reste sans lendemain, mais le signal
du 25/11/18, j’ai l’honneur de vous est là. Ses échanges épistolaires
confirmer la résiliation de la com- avec Beppo de Massimi renforcent
mande mensuelle de 100 appareils l’ambition de l’industriel toulou-
Nieuport type 29 qui vous a été pas- sain. Il faut créer un réseau aérien
sée par Message 2.027.600 Fr du civil, mais le porter au-delà des
5/11/18. Toutes les pièces débitées et frontières de la métropole, vers
matières premières approvisionnées l’empire colonial français en
à la date du 11 novembre en vue de Afrique dans un premier temps,
l’exécution de cette commande, vous puis au-delà, en Amérique du Sud,
seront reprises après inventaire qui avec des avions plus puissants et
vous a déjà été prescrit.” plus sûrs que la guerre a déjà amé-
lioré techniquement. Un projet
Un fil rouge : penser pionnier, innovant, considéré im-
probable voire farfelu pour ses dé-
à l’après-guerre… tracteurs, mais réaliste selon l’in-
Ce revirement de l’État n’est pas dustriel toulousain : mettre l’avion
une surprise. Dès avril 1917 et l’arri- au service des hommes.
vée des troupes américaines en En 1918, le projet continue de
Europe, la fin de la guerre est atten- mûrir. Pierre-Georges s’enthou-

75
PIERRE-GEORGES LATÉCOÈRE

siasme ; il peut revoir l’espace aérien, 1918 (voir Le Fana de l’Aviation lement – et paradoxalement – une
tout comme l’échelle des temps et n° 589) légitime les projets de l’avion- bonne nouvelle pour Pierre-Georges
des distances. Il dispose d’usines, neur en devenir. Il a été un des pre- Latécoère. Il prend acte des déci-
d’un millier d’employés et d’une légi- miers à penser et à réaliser la sions du pouvoir et réfléchit à des
timité grandissante. Lors d’un construction d’une ligne aérienne compensations. Dans une note ma-
échange du 15 mai 1918 avec Beppo avec des escales, des nuscrite datée de fi n
de Massimi, il prononce cette phrase aéroplaces organisées novembre 1918 et inti-
devenue célèbre : “J’ai refait tous les et – surtout – une régu- tulée “Concours de-
calculs, ils confirment l’opinion des larité des vols et un mandé à l’État. Ligne
spécialistes : il est irréalisable. Il ne respect des horaires. Toulouse-Rabat”, une
nous reste plus qu’une seule chose à Le site de L’Envol Son ami Beppo de liste des aides pos-
des pionniers
faire : le réaliser.” Massimi résumait le sibles en matériel et en
consacre une
sujet en une phrase : fi nancement pour sa
exposition à
Le Maroc, première Pierre-Georges
“Partir et arriver à future compagnie aé-
l’heure : tout le secret rienne est patiemment
étape importante Latécoère
de notre entreprise était rédigée de sa main. La
(lire encadré).
Pour l’industriel, le Maroc s’im- contenu dans cette for- note défi nitive datée
pose comme la première étape im- mule.” Cette nouvelle du 15 décembre 1918,
portante pour la ligne aérienne qu’il société lui permet par envoyée au ministère
veut tracer. Les chiffres qu’il ras- ailleurs de recevoir des de la Guerre, n’aura
L’E
NVOL DES PIONNIERS
semble parlent d’eux-mêmes : le aides publiques, car on pourtant pas de suite.
commerce français avec le Maroc a n’aide pas l’individu dans le système Il faut donc marquer les esprits.
été multiplié par trois entre 1909 et français. Le discours de Georges L’ouverture de la ligne aéropostale
1913, et la guerre n’a aucunement Clemenceau qu’il prononce pour le Toulouse-Barcelone le 25 décembre
freiné cette progression. Selon une développement de l’aéronautique 1918, puis la première liaison aéro-
note manuscrite datée du 2 mai 1918, civile va dans ce sens. La résiliation postale entre Toulouse et Casa-
“Le Maroc, colonie d’avenir, déjà en des contrats d’État engagés est fina- blanca au Maroc seront néanmoins
pleine exploitation, […] n’est reliée à
la France que par des compagnies de
navigation dont le parcours exige
plusieurs jours de voyage et qui n’est
reliée à l’Algérie par aucun mode
pratique de communication”. Le
matériel aérien ne permet certes pas
d’envisager la traversée d’une mer,
mais la proximité du Maroc est telle
que l’on peut penser ensuite à une
extension vers les différentes colo-
nies africaines à partir de ce pays,
comme le Sénégal, porte d’entrée
vers l’Afrique noire. Le 7 septembre
1918, une note préliminaire expo-
sant son projet – l’itinéraire des
12 400 km de Toulouse à Buenos
Aires en Argentine, les différents
tronçons et les moyens nécessaires
tant en hommes qu’en matériels, les
futurs “aéroplaces” – est remise à
Jacques-Louis Dumesnil, sous-se-
crétaire d’État à l’Aéronautique
militaire et maritime. Une nouvelle
fois, l’administration accuse récep-
tion, favorablement, mais ne prend
aucune décision.

La première pierre
d’un projet pionnier
Par les statuts déposés le 11 no-
vembre 1918, la Compagnie
Espagne-Maroc-Algérie est résolu- Un des animateurs de l’Envol
ment la première pierre, le cadre des pionniers devant la réplique
juridique d’un projet pionnier ré- du Salmson 2A2 plonge
fléchi et engagé depuis des mois, les visiteurs du site dans
l’aboutissement de cette réflexion l’ambiance des années 1920.
pionnière qui imbibe Pierre-Georges
Latécoère : la naissance de l’aviation
commerciale. Un projet de conven- ALEXIS ROCHER
tion avec l’État signé le 2 décembre
76
les premiers grands moments de Des bornes
l’aventure : “Le voyage Toulouse- interactives
Casablanca n’est pas un raid au sens installées dans
sportif du mot, mais le premier l’exposition
voyage exécuté suivant le pro- à Toulouse-
gramme de la Compagnie aérienne Montaudran
Toulouse-Maroc, fondée par la permettent
Maison Latécoère qui a demandé, à de suivre
cet effet, une concession postale au les traces de
gouvernement français. Le but de la Pierre Georges
compagnie est de déterminer une Latécoère
ligne d’importance politique et éco- en imaginant
nomique, n’ayant pas la prétention l’aviation
de concurrencer le chemin de fer du futur.
mais de le compléter dans des ré-
gions mal desservies par le chemin
de fer ou pas desservies du tout”
(note du 24 mars 1919).

L’histoire de “La Ligne” L’ENVOL DES PIONNIERS/MANUEL HUYNH

est en marche étant séparée de la fabrication des marche. Le visionnaire qu’est Pierre-
Dès lors, les Lignes aériennes matériels d’aviation, confiée à la Georges Latécoère, désormais ins-
Latécoère s’affichent clairement, Société industrielle d’aviation tallé et disposant d’ateliers consé-
avant de devenir la Compagnie géné- Latécoère (Sidal). C’est le nouveau quents, a remporté ses premières
rale d’entreprises aéronautiques temps des lignes aéropostales. batailles. D’autres vont suivre, mais
(CGEA), l’exploitation des lignes L’histoire de “La Ligne” est en sur d’autres continents. ■

Sur les traces de Pierre-Georges Latécoère


C’est ici que tout a commencé, pourrait-on dire en arrivant à L’Envol des pionniers
à Toulouse-Montaudran. Sur le site même de l’exposition permanente, Pierre
Georges Latécoère passait de la fabrication de wagons à celle d’avions il y a
un peu plus de 100 ans. Une aventure industrielle et humaine commençait, qui
partait par les airs vers l’Amérique du Sud. Pierre Georges Latécoère débuta dans
l’aéronautique avec la production du Salmson 2A2 (lire l’article page 62).
Une chaîne d’assemblage se mit en place dans le quartier de Montaudran,
avec à côté le champ d’aviation et sa piste. À la fin de la guerre, Pierre Georges
Latécoère fit le pari de l’aviation commerciale et lança ses premières liaisons
en décembre 1918. S’ensuivirent l’épopée de l’Aéropostale et ses grands noms
entrés dans la légende de l’aviation. Les avions Latécoère sillonnaient les routes
commerciales. Le site de Montaudran évolua ensuite ; une grande piste le
traversa. Elle fut utilisée par le CRT (Centre de révision de Toulouse) d’Air France
jusqu’en 2003. Tout cet héritage est soigneusement entretenu depuis 2018
par l’Envol des pionniers. Il s’agit d’un équipement de Toulouse Métropole géré
par une société d’économie mixte, la Semeccel dont le capital se partage entre
les collectivités publiques (63 %), la filière aérospatiale (28 %) et les banques
(9 %). Le site propose une exposition permanente allant des débuts de Latécoère
jusqu’à Air France. Dans une scénographie très moderne, le visiteur y découvrira
entre autres la réplique d’un Salmson 2A2 assemblée par l’association Les Ailes
anciennes de Toulouse. Une équipe d’animateurs prolonge l’exposition des objets,
photos et maquettes en immergeant les visiteurs dans l’époque en évoquant
pilotes, mécaniciens et ouvrières entoileuses. Depuis décembre 2022, le visiteur
est invité, avec l’exposition temporaire L’Avenir a des ailes, à revivre l’état d’esprit
qui animait Pierre Georges Latécoère dans sa vision de l’aéronautique. L’intérêt
est non seulement de revenir sur la carrière de l’industriel, mais de dresser
des ponts entre histoire et avenir sous la forme d’un projet autour de l’aviation
de demain. Tout au long de l’exposition, le visiteur bâtit sur des bornes
interactives son projet d’avion à hydrogène ou son drone taxi.
À la fin du parcours, Pierre-Georges Latécoère s’adresse directement au
spectateur concepteur. Des entrepreneurs toulousains d’aujourd’hui exposent
leurs recherches et avancées technologiques. C’est tout un état d’esprit
d’innovation animant l’aviation qui est proposé dans cette exposition.
Compter 2 heures et demie pour la visite.
L’Avenir a des ailes, exposition temporaire à visiter à L’Envol des pionniers,
Toulouse-Montaudran, jusqu’en décembre 2024. 9 euros l’entrée.
Alexis Rocher

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CE JOUR-LÀ… 25 avril 1983

L’incroyable
retour du Do 24
45 années après son premier vol,
l’hydravion Dornier 24 fait un étonnant
retour sur la scène. Portrait d’un revenant.
Par Alexis Rocher

U
n hydravion Do 24 port à décollage vertical, prit fin au
évoluant sur le lac de stade du prototype mais donna à son
Friedrichshafen. Rien constructeur de l’ambition. Au début
de bien étonnant me di- des années 1970, Dornier lança une
rez-vous. La plupart des étude ambitieuse concernant une
hydravions signés Dornier y effec- nouvelle aile, connue sous l’acronyme
tuèrent leurs essais. Et pourtant, en de TNT (tragflügel neuer technolo-
ce jour de 1983, la scène a quelque gie). Sa conception affinait l’aérody-
chose de saugrenu. Un exemplaire namique, ce qui permettait des gains
de collection patiemment restauré, appréciables en vitesse et en distance
allez-vous immédiatement penser. franchissable. L’idée des ingénieurs
Pas du tout, c’est presque un nouvel de Dornier était d’utiliser cette nou- Le Do 24 ATT
avion qui évolue ici. Son construc- velle aile sur plusieurs avions. Ce fut gagnait
teur n’a pas changé de nom, Dornier. ainsi le cas avec le Do 228 (lire Le la possibilité
Un héritage technique prestigieux. Fana de l’Aviation n° 546). En 1979, d’être
Dornier relança ses activités Dornier dessina sous la désignation complètement AIRBUS CORPORATE HERITAGE

aéronautiques dans les années 1950, de Do 24 ATT (pour Amphibischer amphibie 1971 fut récupéré, restauré et fina-
par rapport
avec un certain succès. Les diffé- Technologie Träger, démonstrateur lement complètement modernisé. Il
à la version
rentes versions du Do 27 furent technologique amphibie) un proto- perdit pour l’occasion ses trois mo-
d’origine avec
appréciées pour leurs qualités de type d’hydravion du futur avec l’aile teurs Bramo 323 “Fafnir” de 980 ch,
l’installation
décollage court en particulier. Le TNT. Pour l’occasion, un ancien remplacés par trois turbines Pratt &
d’un train
programme du Do 31, avion de trans- Do 24 espagnol retiré du service en d’atterrissage.
Whitney PT6A de 1 125 ch. L’avion
reçut une avionique dernier cri et
des nouveaux aménagements dans
le fuselage. Pour l’anecdote, les in-
génieurs récupérèrent les vérins des
trains d’atterrissage du Do 31 exposé
aux Deutsches Museum pour termi-
ner le Do 24 ATT.

Nouveau
premier vol
Le 25 avril, ce furent le chef
pilote d’essais de Dornier Dieter
Thomas et le copilote Meinhard
Feuersenger qui s’installèrent dans
le Do 24 ATT pour un premier vol
sans histoire. L’hydravion décolla
de la piste d’Oberpfaffenhofen en
Bavière, là où était installée l’usine
de Dornier. Les essais se pour-
suivirent sur le lac de Constance.
L’avion bénéficiait des équipements
Dornier de Friedrichshafen installés
sur le bord du lac. Vinrent ensuite
des vols à partir de la mer Baltique.
AIRBUS CORPORATE HERITAGE

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Le Do 24 ATT répondait à l’origine
à une demande de l’Espagne
pour remplacer ses hydravions
Grumman HU-16 “Albatross”.
Dornier proposa le Do 24/72 avec
des turbines, puis le Do 24 ATT
avec une nouvelle aile.

Le démonstrateur était une réussite. Friedrichshafen. La poussière ne son bord des expéditions un peu
Dornier voulait-il véritablement re- s’accumula pas sur son aile si par- partout dans le monde. Il n’est pas
lancer la production de son hydra- ticulière car un généreux mécène exclu qu’un jour vous ayez l’oppor-
vion ? Aucun client ne se manifesta. en la personne d’Iren Dornier, des- tunité, pour ne pas dire la chance,
Le Do 24 ATT
Le Dornier 24 ATT fut versé aux cendant du créateur de la société, de croiser dans un lagon lointain ce
lors
collections du musée Dornier de le remit en état de vol. Il lança à Dornier 24 si particulier. ■
de ses essais.

AIRBUS CORPORATE HERITAGE

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MAQUETTES Par Hangar 47

Un “Sea Hurricane” sur le porte-avions Indomitable, pendant l’opération Pedestal vers Malte en 1942 (et des marins à l’eau).

“Sea Hurricane” Mk IB diverses variantes


intermédiaires à base
Arma Hobby, 1/72 de taches vert foncé
appliquées sur le terrainn
Le ou encore de peintures
fabricant dégradées par
polonais l’exposition aux
nous présente conditions météo
logiquement tropicales.
une déclinaison
navalisée Notre appréciation : intéressante édition double
de son très beau pour les inconditionnels de ce beau chasseur.
“Hurricane”. Nous
ne reviendrons
donc pas en détail
sur le contenu, mais sur les différences avec le Mk I déjà analysé.
“Hurricane” Mk IIb
Un peu de chirurgie sera nécessaire sous l’arrière du fuselage pour ôter Revell, 1/32
la portion qui laissera place à la nouvelle pièce comportant la crosse
d’appontage et son logement. Tout ceci est bien détaillé sur la notice Le très
et ne devrait pas présenter de difficultés. Les petites plaques cache- attendu
flammes sont également fournies pour certaines décorations, ainsi qu’un “Hurricane”
choix de deux types de pipes d’échappement. Les minuscules crochets Revell au 1/32 est
ventraux de catapultage n’ont pas été oubliés. L’opération Pedestal arrivé : il s’agit bien
se taille la part du lion sur les cinq options de décorations proposées, d’une nouvelle
dont trois arborent une jolie dérive repeinte en jaune. maquette
qui remplace
Notre appréciation : encore une réussite pour ce fabricant. avantageusement sa
Manque juste le cri des mouettes ! vénérable ancêtre. Ses
caractéristiques conformes à celles des productions actuelles devraient
satisfaire les plus exigeants. Ses surfaces, métalliques ou entoilées, sont
Samouraï Dual Combo réalistes (pas de rivetage pour ce modèle). Le poste de pilotage, sa
structure tubulaire et ses équipements sont parfaitement reproduits (avec
Edition limitée Eduard, 1/48 des instruments repris en décalcomanies) en plus de 30 pièces. Pour en
profiter la verrière est prévue en deux exemplaires, ouverte ou fermée.
Cette édition spéciale regroupe deux maquettes du récent Le train d’atterrissage et son logement sont fort bien restitués, tout
“Zero” dans sa version M3 (avec les deux types de voilure), des comme le gros radiateur ventral. Les volets et toutes les gouvernes sont
éléments photodécoupés prépeints, des masques autocollants moulés séparément. Revell prévoit deux types d’échappements, pipes
et des décalcomanies offrant 12 options de peinture. Déjà analysée dans rondes ou en “queue de poisson”. Leurs extrémités ne sont pas creusées
ces lignes, la maquette est parfaitement gravée et extrêmement détaillée. mais la découpe des pièces permet d’envisager une amélioration à cet
Côté camouflage, les possibilités vont du gris clair au vert foncé, avec endroit. La boîte contient certaines pièces annonçant d’autres versions,
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IIc ou “Sea Hurricane”, réalisables d’ailleurs au prix de quelques camouflages sont prises en compte dans les légendes détaillées
modifications pour les plus pressés. Il conviendra de soigner et peut-être associées à chacune des machines.
renforcer l’assemblage des ailes pour garantir le dièdre correct
de la voilure. Les décalcomanies et plans couleurs de la notice proposent Notre appréciation : la meilleure maquette à cette échelle au
deux livrées : le classique camouflage vert et brun avec intrados sky service de l’un des plus beaux chasseurs allemands de l’époque.
et une machine peinte en noir uni pour la chasse de nuit.

Notre appréciation : si le récent hors-série du Fana de l’Aviation


(n° 70) consacré au “Hurricane” vous a mis l’eau à la bouche,
B-26 “Invader”
cette maquette pleine de qualités permettra de construire Revell, 1/48
à une grande échelle une réplique fidèle de ce célèbre chasseur,
moins élégant certes que son frère d’armes le “Spitfire”, Les trois lettres
mais singulièrement attachant par ses lignes agressives. NEW inscrites
Les nombreuses livrées possibles ne gâchent rien. Fort tentant. sur la boîte
annoncent une bonne
surprise : en effet si le
Bf 109E-3 B-26 d’origine Revell
avait de belles qualités,
Eduard Profipack, 1/72 ses détails de surfaces
en relief indiquaient les
La version E-33 presque 30 ans d’âge du moule ; c’est bien ici le récent “Invader” conçu
du récent 1099 par ICM qui nous est proposé. Il est bien détaillé et ses surfaces sont très
d’origine finement gravées. Le fuselage est entièrement aménagé, soute à bombes
Spécial Hobby est ici incluse avec son chargement. Les instruments de bord et harnais sont
complétée de métal reproduits en décalcomanies. Petit plus : il semble bien que toutes les
photodécoupé prépeint pièces nécessaires pour construire la version à nez vitré soient présentes
et de masques dans la boîte, ainsi d’ailleurs que les deux types de verrière pilote, plate
autocollants pour la ou bombée. Les deux tourelles de mitrailleuses sont équipées
verrière et les roues. convenablement. Deux amorces de longerons viennent renforcer
Les surfaces l’assemblage de la voilure. Les volets et toutes les gouvernes moulés
présentent une gravure d’une étonnante finesse qui inclut un rivetage séparés permettent de choisir diverses configurations pour le bimoteur.
complet très réaliste. Le poste de pilotage est remarquablement détaillé. Le train et ses logements sont bien reproduits avec une conception
La verrière prévue en trois éléments peut rester ouverte. Le moteur et intelligente des trappes solidaires d’une partie de la structure pour plus
l’armement de capot sont fournis. Les logements de train et radiateurs de solidité. Les jantes séparées des pneus facilitent la peinture.
sont bien reproduits. Les volets, becs et ailerons moulés séparément Les moteurs fort bien détaillés restent peu visibles sous leurs capots
offrent quelques options de configuration. Les décalcomanies incluent avantageusement moulés d’une pièce. L’assemblage des pipes
tous les marquages de service nécessaires et donnent le choix entre d’échappement semble délicat ; on peut simplifier la tâche en coupant
quatre avions camouflés vert et gris vert (02), un cinquième en deux tons une partie et en les collant directement sur le capot. Sous la voilure il est
de vert, et enfin un original dont les surfaces supérieures portent possible d’accrocher des réservoirs supplémentaires, des bombes ou 14
des taches des quatre couleurs utilisées à l’époque (02/70/71/65). roquettes (bien entendu les trous de fixation doivent être percés avant
Trois de ces livrées sont égayées de larges zones jaunes. l’assemblage des ailes). En bref tout est prévu pour monter une maquette
détaillée du B-26 ; il faudra juste penser au lest facile à loger dans le nez
Notre appréciation : le 109 le mieux détaillé à cette échelle ; “mitrailleuses”. Les décalcomanies offrent deux options : un avion noir
remarquable. uni avec l’avant du fuselage peint en rouge, et l’autre vert olive uni
comme certaines machines utilisées en Corée. Les articles publiés dans
Le Fana de l’Aviation nos 561 et 571 peut donner quelques idées de livrées
Fw 190D-9 ou de vieillissement. Bien sûr l’armée de l’Air a utilisé quelques “Invader”
avec parfois des couleurs originales à la fin de leur carrière…
Eduard Profipack, 1/48
Notre appréciation : maquette de très bonne qualité
Nouvelle pour une superbe machine, versions et couleurs variées ;
édition un ensemble bien tentant.
Profipack
pour le maintenant
bien connu D-9 L’agenda du maquettiste
d’Eduard : sous unee
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