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COMMENT ÇA MARCHE ?

APPONTER // SÉRIE LE VAISSEAU DE PIERRE

DOGGER BANK
LA BATAILLE DES OCCASIONS MANQUÉES

OPÉRATION « CERBERUS »
RUÉE SUR LA MANCHE

COUP DE TIMBALE !
LES ÉTATS-UNIS FACE AUX U-BOOTE

BROWN-WATER NAVY
L’US NAVY & LES OPÉRATIONS FLUVIALES
M 02731 - 4 - F: 6,90 E - RD

3:HIKMRD=VU[^UW:?a@a@a@o@k; Belgique, Espagne, Italie, Portugal Cont., Lux. : 7,90 €


Canada : 14$C - Suisse : 13 CHF - Maroc : 75 MAD

04
SOMMAIRE
~
SEPTEMBRE
OCTOBRE
2012
04 COMMENT ÇA MARCHE ? APPONTER

06 OPÉRATION OPÉRATION « CERBERUS »


RUÉE SUR LA MANCHE
ACTION STATIONS! BRANLE-BAS DE COMBAT !
FÉVRIER 1942

18

n
BATAILLE DOGGER BANK
ous vous avions promis des embruns chargés 24 JANV. 1915 LA BATAILLE DES OCCASIONS MANQUÉES
d’histoire, les voici.
La première vague ne constitue pas une
menace. Au contraire, vous apprendrez les 34 AÉRONAVALE LES PORTE-AVIONS JAPONAIS
bases de l’appontage sur un porte-avions. La
suivante est par contre déjà plus dangereuse :
1941 - 1945 FER DE LANCE DE LA MARINE IMPÉRIALE
la Kriegsmarine est sortie par gros temps dans la Manche, et
l’Amirauté britannique a mis tous ses moyens à disposition
pour l’intercepter…
La troisième est en fait un tsunami. Comment et pourquoi les
Japonais ont-ils constitué leur flotte de porte-avions depuis les
années vingt jusqu’à la défaite de 1945 ? Dans notre dossier,
tout y passe : vision stratégique, design, doctrines d’emploi,
principales opérations, etc. Ne soyez pas effrayé par une telle
masse d’informations, nous avons tout mis en œuvre pour
vous éviter la noyade avec des plans 3D, des photos, mais
aussi des tableaux et des profils.
La déferlante suivante vient de loin, de janvier 1915 pour être
exact. La bataille du Dogger Bank n’a pas marqué les esprits
autant que l’affrontement du Jutland (que nous avions annoncé
mais qui demande en fait plus d’espace qu’ici disponible). Elle
comporte tout de même son lot de « gros culs », de bordées
meurtrières et de coups au but. Nous l’avons accompagnée de
superbes vues 3D du HMS Lion, l’un des acteurs principaux
de ce drame en mer du Nord.
Les vagues suivantes vous réchaufferont, puisqu’elles viennent
de contrées plus tempérées : vous naviguerez au large des
Philippines pour apercevoir la silhouette du Fort Drum, puis
vous dériverez au gré du Gulf Stream, le long de la Côte Est, 56 ATLANTIQUE COUP DE TIMBALE !
avec les U-Boote de l’opération « Paukenschlag ». La dernière
vague s’apparente à un mascaret remontant les fleuves avec,
1942 LES ÉTATS-UNIS FACE AUX U-BOOTE
sur ses crêtes, des embarcations légères à fond plat, celles
de la nouvelle Brown-Water Navy… 68 ACTU BROWN-WATER NAVY
Choquez les aussières, nous larguons les amarres ! L’US NAVY & LES OPÉRATIONS FLUVIALES

76 SÉRIE LES SENTINELLES IMMOBILES


N°04 / Sept. / Oct. 2012 Commission paritaire : 0417K91314
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LE VAISSEAU DE PIERRE
ISSN : 2258-5303
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80
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LEXIQUE LES APPARAUX
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P. Toussaint, L. Charpentier Pénal, art. 425. Le porte-avions Akagi accompagné du Kaga
OPÉRATION
FÉVRIER 1942
{ Suivi du Gneisenau, le Prinz Eugen
tire avec sont artillerie principale sur des
bâtiments britanniques durant leur traversée
de la Manche le 12 février 1942.
IWM

PAR PASCAL COLOMBIER

OPÉRATION « CERBERUS »
RUÉE SUR LA MANCHE

P
OUR CONCENTRER LEURS

L
PRINCIPAUX NAVIRES DE SURFACE
EN MER DU NORD, LES ALLEMANDS e 1er juin 1941 à 19h50, le croiseur lourd Prinz Eugen
arrive à Brest à l’issue de l’opération « Rheinübung » qui
ORGANISENT LE REPLI DES PRINZ a vu la disparition du Bismarck [1] le 27 mai. Il retrouve
le Scharnhorst et le Gneisenau, arrivés le 22 mars au
EUGEN, SCHARNHORST ET GNEISENAU DE terme de l’opération « Berlin », durant laquelle ils ont coulé
19 navires marchands et désorganisé le trafic commercial
BREST À KIEL. MAIS HITLER VEUT JOUER britannique. L’occupation de Brest est une aubaine pour les Allemands ;
le port du Ponant dispose d’un arsenal doté de formes de radoub, de
UN GRAND COUP EN LES FAISANT PASSER moyens d’intervention et de soutien. Ce dernier point est essentiel pour
AU NEZ ET À LA BARBE DES BRITANNIQUES les bâtiments allemands dont la fiabilité de la propulsion n’est pas le
point fort. Le Prinz Eugen, après avoir navigué près de 7 000 nautiques
PAR LA MANCHE, EN PROFITANT DE à 25 nœuds de moyenne, a besoin d’une révision de ses turbines. Le
Scharnhorst, quant à lui, a rallié Brest avec des problèmes récurrents
CONDITIONS MÉTÉO EXÉCRABLES. de chaudières.
Mais Brest va devenir une cible majeure du Bomber Command. Le
L’AMIRAUTÉ ET LA RAF 6 avril, l’unique rescapé d’un raid de six appareils Beaufort torpille
le Gneisenau. Le Flying Officer Campbell y gagne la Victoria Cross à
SE LAISSERONT-ELLES BERNER titre posthume, et le croiseur de bataille est gravement endommagé.
Quatre jours plus tard, un raid de bombardiers Wellington le trouve à
AUSSI FACILEMENT ? cale sèche. Touché cette fois-ci par quatre bombes, le Gneisenau est
la proie des flammes. Le bâtiment est immobilisé pour six mois, de
nombreux composants devant être révisés en Allemagne… Le 2 juillet,
un raid nocturne de 52 Wellington place une bombe sur le Prinz Eugen.
Le pont blindé est percé : outre 51 tués, les dommages matériels
sont considérables, et les réparations vont demander six mois pleins.

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OPÉRATION « CERBERUS »
RUÉE SUR LA MANCHE

Le 24 juillet, c’est au tour du Scharnhorst d’être débusqué à r Idéalement placé pour ces trois bâtiments inutilement immobilisés
La Pallice et d’être touché par cinq bombes. Il rentrera à Brest en lancer des raids dans à Brest seraient bien plus utiles aux côtés du
août mais doit subir cinq mois de réparations car, là encore, de l’Atlantique, Brest est sous Tirpitz. Il fait part de son projet à Raeder :
la menace permanente
nombreuses pièces de rechange doivent être acheminées d’Alle- de la RAF. Les attaques non seulement ces navires vont quitter
magne. Enfin, le 6 janvier 1942, le Gneisenau subit de nouvelles britanniques constituent une Brest mais ils vont aussi emprunter le pas
avaries de coques qui l’immobilisent pour deux semaines. longue litanie : 229 raids, soit de Calais ! Le chef de la Kriegsmarine s’op-
3 599 sorties aériennes et
D’avaries en réparations, la situation de « fleet in being » [2] pose au projet : jamais depuis l’Invincible
4 118 tonnes de munitions
des trois bâtiments devient de plus en plus inconfortable, même larguées. Les Anglais Armada [3] une flotte n’est venue défier les
si par leur simple présence ils contribuent à fixer d’importantes perdront 43 avions et Anglais en Manche ; l’escadre n’aura aucune
forces navales britanniques, notamment à Gibraltar. 247 aviateurs en dix mois. liberté de manœuvre entre les champs de
IWM
Le 13 novembre 1941, le Großadmiral Erich Raeder est convo- mines et les bancs de sable. De plus, la
qué par Hitler. Partisan de la guerre de course, Raeder pense coordination avec la Luftwaffe devra être
que les trois bâtiments – qui seront opérationnels en janvier parfaite, ce qui est loin d’être acquis !
– doivent rester à Brest pour agir en Atlantique. Mais le Führer s Le Gneisenau doté de sa Mais Hitler tient à son projet, et, le 29 décem-
est préoccupé par la situation en Norvège qui, selon lui, est un proue originelle. Après leur bre, à l’occasion d’une nouvelle réunion,
mise en service les deux
objectif prioritaire pour les Britanniques. D’autre part, l’aide aux croiseurs de bataille recevront
l’ultimatum tombe : soit l’escadre de Brest
Soviétiques prend des proportions inquiétantes : huit convois une proue allongée et rentre par la Manche, soit les bâtiments
(72 cargos) ont atteint l'URSS depuis août 1941. Pour Hitler, rehaussée dite « Atlantique ». sont désarmés sur place. L’état-major de la
Kriegsmarine est alors obligé de plier, et, le
1er janvier 1942, les commandants Hoffmann
pour le Scharnhorst, Fein pour le Gneisenau
et Brinkmann pour le Prinz Eugen sont convo-
qués par l’amiral Saalwächter, commandant
naval de l’Ouest à Paris. L’opération est bap-
tisée « Cerberus », et ses aspects techniques
sont longuement débattus.

[1] Lire « Le Bismarck, vie et mort d’un géant »


de Loïc Charpentier paru dans LOS ! n° 1.

[2] Stratégie navale permettant à une flotte restant


au port de dénier à l’ennemi le contrôle d’une mer
par sa seule présence, considérée comme une
menace potentielle suffisamment dangereuse.

[3] Flotte espagnole de 130 navires armée par


Philippe II pour envahir l’Angleterre en 1588.

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OPÉRATION
FÉVRIER 1942

r De 1940 à 1942, le
LA MANCHE DE JOUR
Nachtjagd-Gruppen 2 et 3). Les timings sont mis au point
Scharnhorst a toujours opéré entre les états-majors, et il faut harmoniser les procédures de
avec son sister-ship, le télécommunications, attribuer les fréquences radio, fixer les
Gneisenau. Jusqu’à l’entrée
en service du Bismarck, ils Le 12 janvier 1942, Hitler convoque les principaux acteurs zones d’opérations, organiser le déplacement des formations.
sont les deux plus puissants au Wolfschanze. Il recherche avant tout un exploit combinant Le colonel Max Ibel, Jagdführer 3 à Brest, sera officier de
bâtiments de la flotte de un retour rapide des unités et l’humiliation de ses adversai- liaison à la tête d’un petit état-major sur le Scharnhorst, les
surface allemande.
Droits Réservés
res, le reste n’est pour lui qu’une question de détails. On deux autres bâtiments embarqueront également un déta-
retrouve entre autres à cette réunion le contre-amiral Ciliax, chement de la Luftwaffe. Seize chasseurs assureront en
patron des cuirassés à qui échoit le commandement tactique permanence la couverture au-dessus de l’escadre, avec de
de l’opération. Sont également présents Jeschonnek, chef strictes consignes en matière d’interception, hors de question
d’état-major de la Luftwaffe, ainsi que le tout jeune général de s’éloigner des navires. Le général Martini promet le soutien
de la chasse Adolf Galland, chargé de la coordination de de ses escadrilles spécialisées dans le brouillage des radars.
l’opération avec la Marine. Ciliax expose le projet préparé Malgré tout, le nombre de chasseurs disponibles est tout juste
par l’état-major de Saalwächter : le départ se fera de nuit suffisant : en cas d’avarie, un éventuel traînard ne pourra
durant la prochaine nouvelle lune, aux alentours du 11 février, bénéficier d’aucune couverture aérienne ! Préalablement, la
de manière à bénéficier d’une quasi-absence de lumière ; chasse opère 450 sorties pour couvrir un dragage préventif
contre toute logique, le passage du pas de Calais se fera de en Manche [4] ainsi que les sorties d’entraînement des trois
jour, mais compte tenu des conditions météo très mauvai- grands bâtiments. Le secret est si bien gardé que même les
ses envisageables en Manche au mois de février, l’escadre commandants d’escadres aériennes ne sont mis au courant
pourra continuer à bénéficier d’une visibilité réduite et d’un de leur but exact que la veille de l’opération !
plafond très bas gênant la RAF ; des bouées marqueront la
ligne de sonde des 25 mètres au-delà de laquelle l’escadre

LES BRITANNIQUES
naviguera pour limiter les risques liés aux mines magnétiques
et permettre une vitesse maximale ; 80 dragueurs de mines

ANTICIPENT LA MANŒUVRE
opéreront au-devant de l’escadre pour nettoyer les zones
devant être traversées les unes après les autres ; sous la
direction de Galland, la Luftwaffe assurera la couverture
aérienne des opérations, du lever du jour à la tombée de la nuit Cependant, des reconnaissances aériennes informent presque
(opération « Donnerkeil »). quotidiennement l’Amirauté britannique de l’état de prépa-
Pour préparer « Donnerkeil », Galland a raclé les fonds de ration des Allemands.
[4] Ces opérations débutent tiroir, car il est impossible de divertir des moyens d’autres De plus, le réseau « Confrérie-Notre-Dame » de la résis-
le 15 janvier ; 119 mines fronts : il ne dispose que d’environ 250 chasseurs venus tance française dispose d’un agent à Brest, et le lieute-
magnétiques ou à orin
des Jagdgeschwader 2 (JG2) et 26, de la Jagdgruppe II./ nant de vaisseau Philippon (nom de code Hilarion) trans-
sont ainsi neutralisées le
long des côtes de France JG 1, de l’école de chasse n° 5 de Villacoublay et de la met des renseignements opérationnels précis. Il pense
sur le parcours prévu. chasse de nuit (une trentaine de Messerschmitt 110 des que les Allemands vont profiter de la nuit pour s’éclipser.

8
OPÉRATION « CERBERUS »
RUÉE SUR LA MANCHE
ne dispose par ailleurs que de 32 Motor Torpedo Boats
opérant depuis Douvres et Ramsgate et de 10 destroyers
détachés par l’escadre de la Nore (estuaire de la Tamise)
et basés à Harwich. Durant une semaine, les équipages
des vedettes s’entraînent de concert avec le 825th Squa-
dron, et un millier de mines sont mouillées d’Ouessant à
Boulogne entre le 25 janvier et le 9 février. Le Bomber
Command largue aussi une centaine de mines magnéti-
ques au large de la Hollande.
À 25 nœuds, il faut moins de trente heures pour couvrir
les 665 nautiques (1 210 km) entre Brest et les ports de
la Jade. La réussite des Britanniques est conditionnée par
leur capacité à donner l’alerte suffisamment tôt, afin de
permettre aux différents commandements de regrouper
leurs unités et de coordonner leur action. Le Coastal
Command peut engager 33 torpilleurs Beaufort des 42rd,
86th et 217th Squadrons. Le Bomber Command dispose
d’environ 240 bombardiers et le Fighter Command de
400 chasseurs. S’ils sont bien coordonnés, ces effec-
tifs représentent une force de frappe conséquente.
Malheureusement, les avions sont basés un peu partout
en Grande-Bretagne, et les chutes de neige de ce début
février rendent hypothétique leur regroupement rapide
en vue d’une action concertée. De plus, le 10 février,
les informations de l’Amirauté laissent à penser que les
Allemands ne sortiront pas en Manche : 27 MTB (Motor
Torpedo Boats ou vedettes lance-torpilles) sont retirées
du dispositif, les cinq autres sont laissées à Douvres
en alerte à quatre heures – les torpilles étant équipées
Le 1er février, alors que les trois bâtiments multiplient r Amiral Saalwächter, de cônes d’exercice –, et les Swordfish abandonnent
les essais en rade-abri, il transmet ce message : commandant du Marine- l’alerte à cinq minutes qu’ils tenaient depuis plusieurs
Gruppenkommando West.
« De Hil. stop appareillage imminent stop. Méfiez-vous Droits Réservés jours… Aux premières heures du 12 février, les forces
particulièrement de la période de la nouvelle lune. » britanniques ne sont donc plus du tout préparées à une
L’Air Chief Marshall Bowhill, patron du Coastal Command, rr C’est le Scharnhorst action de jour contre l’escadre allemande !
qui porte la marque de
considère comme probable un passage par la Manche entre
l’amiral Ciliax, dont il fut
les 10 et 15 février, avec des conditions de marée favo- autrefois le commandant.

L’ESCADRE SORT DE BREST


rables dans le pas de Calais entre 4 et 6 heures du matin. Droits Réservés
À l’exception notable du vice-amiral Bertram Ramsay,
| Adolf Galland ne se
commandant les forces de la Manche, les principaux fait guère d’illusions :
responsables britanniques pensent en effet que l’esca- « Jeschonnek m’expliqua Dans la perspective de l’opération, la Flak des trois
dre va quitter Brest en journée pour passer le pas de que […] personne au sein bâtiments a été renforcée. Des affûts quadruples de
Calais sous couvert de la nuit. Ils se doutent que les de la Luftwaffe ne voulait 20 mm ont été installés dans les superstructures, sur
organiser et commander
Allemands vont quitter Brest mais ils ne savent ni par la couverture aérienne…
les plages avant et arrière ainsi que sur les toits des
où, ni surtout quand. Je compris plus tard tourelles B et C. Ils seront accompagnés par six des-
qu’on me réservait le rôle troyers : Paul Jacobi, Friedrich Ihn, Richard Beitzen,
du bouc émissaire. » Hermann Schoemann, Z25 et Z29, ce dernier portant
Droits Réservés

L’OPÉRATION « FULLER »
la marque du capitaine de vaisseau Erich Bey. Au fur
et à mesure de la progression de l’escadre en Manche,
celle-ci sera ralliée par des flottilles de vedettes lance-
Ramsay a peu de moyens. Il a obtenu le détachement torpilles et d’escorteurs, échelonnées dans les ports
des Swordfish du 825th Squadron de la Fleet Air Arm du Cotentin, de Basse-Normandie, du Pas-de-Calais
(l’aéronavale britannique) à Manston le 4 février mais et enfin de la mer du Nord.

© Jean-Marie Guillou / LOS! 2012


FOCKE-WULF FW 190 A-4
Gruppen-Kommandeur G.Schöpfel
JG 26

9
OPÉRATION
FÉVRIER 1942

19H00 début des procédures d’appareillage, les remorqueurs déhalent les trois
grands bâtiments. La nuit sans lune est fort sombre. Le départ est prévu pour
20h30.

20H25 alerte aérienne ! 18 Wellington effectuent un bombardement.


r Un matelot allemand calcule la distance d’un aéronef au
télémètre pour en transmettre ensuite les coordonnées à la Flak. 22H14 Ciliax ordonne l’appareillage avec près de deux heures de retard.
Droits Réservés

} Une vedette MTB de la classe « des 73 pieds » (22 mètres).


22H25 Le Scharnhorst, suivi par ses conserves, quitte la rade-abri dans un
Une telle embarcation comprend 17 marins, un canon de brouillard épais.
chasse, deux tubes lance-torpilles et six pièces de DCA.
L’escadre allemande sera un objectif trop rapide et trop bien
défendu pour les cinq petits bâtiments de Pumphrey. IWM
22H45 Après s’être habilement dégagé d’une amarre coincée dans l’arbre d’hélice
tribord, le Prinz Eugen quitte Brest en serre-file de la formation.

23H45 L’escadre entame le contournement d’Ouessant.


INTOX !

P LA SURVEILLANCE PRISE EN DÉFAUT


our préserver le secret de leur sortie, les
Allemands se livrent à une manœuvre d’in-
toxication : malgré Ultra, les Britanniques sont
amenés à penser que la destination sera l’At- Dans la nuit du 11 au 12 février, le dispositif de surveillance des atterra-
lantique Sud, car des casques coloniaux et des ges de Brest se compose des sous-marins Sealion et H34. Dans la soirée,
uniformes blancs sont fournis aux équipages, des fûts le Sealion s’est rapproché du goulet avec le flux du montant. Vers 21h30,
d’huile marqués « usage en zone tropicale » sont ache- son commandant estime que l’heure tardive exclut désormais tout passage
minés ouvertement. De même, Mussolini est informé diurne du pas de Calais, et le submersible quitte sa position pour faire route
que les navires présents à Brest vont faire route vers le au sud et recharger ses batteries en profitant de la marée descendante.
Pacifique. Enfin, les officiers sont invités à une journée Équipés d’un radar air-surface, les Hudson du Coastal Command surveillent
de chasse en région parisienne pour le 12 février, et, la zone au quotidien. Le premier, nom de code Stopper, patrouille devant
ce même jour, un bal masqué est organisé à Brest pour Brest au coucher du soleil. Le deuxième, Line SE, surveille la zone jusqu’à
les hommes d’équipage. Saint-Brieuc. Le troisième, Habo, opère entre Le Havre et Boulogne d’une
heure du matin à l’aube. En sus, le Fighter Command réalise des patrouilles
diurnes de deux heures dites « Jim Crow » entre l’estuaire de la Somme
et Ostende.
Le 11 février à 19h25, Stopper est intercepté devant Brest par un chasseur
de nuit. L’Hudson s’esquive, mais son radar tombe en panne. La patrouille
est interrompue, et l’avion atterrit à Saint-Eval à 20h40. Un autre Hudson du
224th Squadron décolle et atteint Brest vers 23 heures, mais les Allemands
sont déjà sortis ! Pire, à 20h55, le radar de Line SE tombe lui aussi en avarie.
Une heure plus tard, quand toutes les tentatives pour le réparer ont échoué,
l’avion retourne à Saint-Eval sans être remplacé. Habo patrouille, quant à lui,
plus à l’est. Mais cette nuit, les Allemands ont de la chance. Avec l’arrivée du
brouillard, le contrôleur de la base de Thorney Island rappelle préventivement
l’Hudson avec une heure d’avance sur l’horaire, avant que tout atterrissage
devienne impossible. L’escadre allemande pénètre dans la zone de patrouille
peu de temps après…

v Pour « Cerberus », le croiseur Prinz Eugen a reçu cinq affûts quadruples de 20 mm,
dont la cadence de tir théorique est de 800 coups/minute. Ils seront servis par des
personnels de la Kriegsmarine normalement affectés aux batteries côtières.
Droits Réservés.

10
OPÉRATION « CERBERUS »
RUÉE SUR LA MANCHE

r Vétéran de la campagne de Norvège en 1939 et de l’opération

LES PREMIÈRES HEURES « Berlin » en 1941, le Gneisenau est armé de neuf pièces de
280 mm et de douze de 150 mm. Il peut atteindre 31 nœuds.
Droits Réservés

DU 12 FÉVRIER
00H30 L’escadre navigue dans l’ouest d’Ouessant, cap sur l’entrée
de la Manche ; le Z29 ouvre la route devant le Scharnhorst puis le
Gneisenau et le Prinz Eugen ; deux destroyers sont placés sur cha-
que flanc, le Z25 en serre-file ferme la route. Les navires se suivent
à moins d’un demi-nautique à 27 nœuds dans une obscurité totale.
Le contre-espionnage allemand informe Ciliax qu’a priori la sortie n’a
pas alerté les Britanniques.

01H12 Un message du vice-amiral Ciliax est diffusé aux équipages


pour leur révéler la nature de l’opération. La brume est épaisse malgré
un vent d’ouest léger.
r Le sous-marin britannique H34.
06H06 L’escadre arrive au nord des îles anglo-normandes. Droits Réservés

s Le Lookheed Hudson est une des « bonnes à tout faire » du Coastal Command.
07H12 Les Allemands sont au large de la Hague, la visibilité est toujours Doté d’une grande autonomie, il est notamment utilisé pour la reconnaissance.
réduite, mais la mer est encore peu agitée. IWM

07H30 La 2. Flottille de torpilleurs rallie depuis Cherbourg.


07H50 La couverture de chasse se met en place (des Me 110 chasseurs
de nuit venus d’Abbeville).

08H30 C’est l’aube ; l’escadre est en baie de Seine, les servants de


la Flak sont aux postes de combat.

08H50 Les premiers Me 109 arrivent à basse altitude en provenance


d’Octeville ; les mouvements aériens détectés par le Chain Home [5]
sont attribués à des patrouilles de routine.

09H30 La 3. Flottille de torpilleurs rallie en provenance du Havre.


10H00 Les 2., 4. et 6. Flottillen de S-Boote, détachées d’Ostende et
Iljmuiden, arrivent de Boulogne, mais l’état de la mer va gêner rapide-
ment la progression des dix vedettes.
Alors que la formation est au large de Fécamp, Ciliax est avisé que les
dragueurs tentent de neutraliser des mines magnétiques devant Dieppe. [5] Chaîne côtière de stations radar construite pour détecter
Malgré tout, l’amiral décide de poursuivre l’opération. les aéronefs à distance du littoral anglais.

11
OPÉRATION
FÉVRIER 1942

10H15 La station radar de Beachy Head détecte trois


gros échos à 60 nautiques du pas de Calais. Une recon-
naissance aérienne est demandée à la base d’Hawkinge,
Ramsay est prévenu.

10H30 « Scramble ! » Deux Spitfire du 92nd Squadron


d’Hawkinge, envoyés sur zone, découvrent rapidement
les Allemands ; ils respectent le silence radio et font
demi-tour [6].

10H42 Le Group Captain Beamish et le Wing


CommanderBoyd à bord de leurs Spitfire en mission
« Jim Crow » se font coiffer par deux Me 109 de la
JG2 au large de la Picardie. Ils cherchent leur salut
sous la couche de nuages et tombent nez à nez avec
l’escadre allemande !

r Les Schnellboote font 10H50 À son retour à Hawkinge, le Squadron Leader


LA SURPRISE partie de la « poussière Oxspring signale « un grand convoi ».

DES BRITANNIQUES
navale » indispensable
au sein de toute marine
à l’accomplissement
11H09 La présence de l’escadre est confirmée par
notamment des missions Beamish à son retour à Kenley.
Au matin, trois Heinkel He 111 du Funk-Technishes d’escorte et de patrouille
Untersuchungs-Kommando, embarquant des trom- côtière. Durant l’opération
« Cerberus », tous
11H25 Le Bomber Command est alerté, et les Squadrons
peurs électroniques Garmish-Partenkirschen, décollent les moyens navals du
de chasse sont placés en alerte. L’Amirauté confirme que
de la base de Fauville. Volant parallèlement aux côtes Commandement Ouest les Allemands sont à 30 nautiques de Calais. La stupeur
anglaises, ils émettent sur les fréquences du Chain seront mis à contribution des Anglais est à son comble ! Churchill est furieux.
Home et saturent les radars de veille-air britanniques. pour assurer la défense des
Leur action se combine avec le brouillage opéré par les
trois « gros » contre les MBT
et les attaques aériennes.
11H55 Au large du cap Gris-Nez, l’escadre est détectée
stations de Cherbourg, Dieppe, Boulogne et Ostende. Droits Réservés par les radars des batteries côtières de Douvres. La course
La chasse anglaise décolle alors à la recherche de contre la montre est lancée pour la RAF, mais la plupart
raids fantômes : c’est la première mission de guerre des aérodromes sont sous la neige et les avions encore au
électronique de l’histoire ! Volontairement limitée dans parking ! Pas question donc de décoller immédiatement.
le temps, elle retarde la détection des chasseurs alle- Les premières attaques ne pourront être lancées qu’en
mands de couverture durant les premières heures du milieu d’après-midi, et il faudra improviser la coordination
[6] Les pilotes n’avaient
jour. À 8h35, l’amiral Ramsay, n’ayant pas été prévenu pas reçu d’information avec la chasse. De plus, pister les Allemands sera difficile
que les Hudson et le Sealion n’avaient pas détecté préalable sur une possible en raison du manque de visibilité. Or, l’escadre de Ciliax
la sortie de l’escadre, lève l’alerte du dispositif naval opération en Manche. – qui compte maintenant 60 navires de tous types – avale
pour la journée. les milles à 27 nœuds de moyenne.

HELIGOLAND KIEL
Scharnhorst
Canal de Kiel
Gneisenau
WILHELMSHAVEN

Attaques du
Bomber Command Mouillage de mines par le
Bomber Command

AMSTERDAM
Attaque principale des Beaufort et Hudson
Scharnhorst ROTTERDAM

LONDRES

OSTENDE ANVERS
PORTSMOUTH CALAIS Attaque des Swordfish
BOULOGNE Attaque des MTB

Identification
par le Groupe Beamish
DIEPPE
CHERBOURG LE HAVRE

CAEN OPÉRATION « CERBERUS »


11 - 13 FÉVRIER 1942
BREST Trajet des navires allemands
s LXXXXXXXXXXX Patrouilles britanniques

12
OPÉRATION « CERBERUS »
RUÉE SUR LA MANCHE
Presque au même moment, une patrouille
de la JG2 signale à Ibel l’interception d’une
formation de Spitfire.

12H36 Après le tir de 33 obus, la batterie


de South Foreland cesse le feu, car les bâti-
ments sont hors de portée et ont disparu
dans la brume. Entre-temps, vers 12h25,
la 5. Flottille de torpilleurs (cinq bâtiments)
se joint à l’escadre en plein combat avec
les MTB.

LE SACRIFICE
DES SWORDFISH
04H00 Les 18 membres d’équipage des
Swordfish se préparent.

11H30 L’Amirauté confirme que l’esca-


dre de Brest est repérée à l’entrée du pas
r Le 12 février, la confusion
PREMIÈRES ATTAQUES
de Calais. Ramsay plaide la cause des
est à son comble. Après Swordfish auprès de l’amiral Pound et
avoir enfin décollé, les
DE LA ROYAL NAVY
lui demande de faire surseoir à l’attaque
équipages des Beaufort ne
reçoivent aucune indication
compte tenu de son caractère quasi suici-
précise mais seulement un daire si elle intervient de jour. Le First Sea
vague cap susceptible de Lord est intraitable, l’attaque doit avoir lieu
12H10 Hâtivement remises en condition après une sortie matinale, les les amener sur l’escadre
allemande. C’est dans
quoi qu’il en soit !
MTB du capitaine de corvette Nigel Pumphrey engagent un combat cette direction que certains
inégal contre une douzaine d’escorteurs placés en écran extérieur et d’entre eux vont attaquer 11H55 Esmonde [7] est avisé de la détec-
soutenus par les destroyers Richard Beitzen et Friedrich Ihn. Touchée par erreur les 16e et tion de grands navires au large de l’estuaire
21e flottilles de destroyers.
par des obus de 20 mm, la MTB 221 tombe en avarie de moteur ; IWM
de la Somme. Malgré les ordres de Pound,
à la radio, Pumphrey exhorte ses coéquipiers à poursuivre l’attaque, Ramsay lui recommande de suspendre la
mais la MTB 44 tombe également en panne. mission si les chasseurs de couverture pré-
vus ne sont pas au rendez-vous.
12H19 Alors que l’écran affronte les MTB, le Prinz Eugen enregistre
les premières salves d’artillerie de la batterie côtière de South Foreland, 12H15 Moteurs chauffés, prêts à décol-
située près de Douvres. Les quatre pièces de 234 mm, guidées par ler, les Swordfish attendent les chasseurs
radar, tirent à distance maximale sur l’escadre pistée depuis le cap censés couvrir leur attaque.
Gris-Nez. Le Scharnhorst enregistre des gerbes à 300 mètres par le
travers bâbord. Le réglage est difficile, car la visibilité n’est que de 12H25 Toujours aucun chasseur en vue !
5 nautiques. S’il tarde trop, Esmonde ne retrouvera pas
ses cibles compte tenu de la météo. Les avi-
12H33 Les MTB 45, 48 et 219 lancent leurs torpilles à plus de 2 nautiques [7] Le Lieutnant-Commander ons décollent sous les averses de neige.
de leurs cibles, mais les petites vedettes de 20 mètres ne peuvent pas Esmonde est le patron du
grand-chose contre les trois navires qui défilent hors de portée à 30 nœuds 825th Squadron de la Fleet 12H32 Au-dessus de Ramsgate, les
dans des creux de 3 à 4 mètres. Parties de Ramsgate, les MTB 32, 18 Air Arm. Auparavant, il avait Swordfish finissent par tomber sur les
pris une part active dans
et 71 ne parviennent à accrocher que l’arrière de l’escorte allemande. les opérations contre le dix Spitfire du 72nd Squadron, une des
Sur le Scharnhorst, c’est à peine si on a entre-aperçu les escarmouches. Bismarck en mai 1941. formations chargées de leur escorte.

© Jean-Marie Guillou / LOS! 2012


MESSERSCHMITT BF 109 F-2
JG 2
Manche, février 1942

13
OPÉRATION
FÉVRIER 1942

Les chasseurs savent simplement qu’ils doivent r Après avoir tiré 47 coups 13H10 Le pas de Calais est franchi sans dommages ; des
accompagner six avions-torpilleurs intervenant au-des- de 105 mm et plusieurs S-Boote en provenance d’Ostende rallient la formation.
centaines d’obus de petit
sus de la Manche dans un combat entre vedettes Les combats aériens se multiplient : la Luftwaffe perd
calibre le 12 févier, l’artillerie
lance-torpilles [8]… antiaérienne du Prinz Eugen 17 chasseurs durant l’opération « Donnerkeil ». Sur le
revendiquera trois Swordfish. Scharnhorst, tout le monde soupire : il se pourrait bien
12H34 Les Swordfish descendent à 50 pieds en deux AMC R00461-03
qu’on ait fait le plus dur.
Flights de trois, cap au 140° sous un plafond bas avec
un vent d’ouest de 25/30 nœuds.
[8] Les ordres reprennent
13H37 Le Scharnhorst repère visuellement une première
le scénario prévu par mine.
12H40 À moins de 10 nautiques de la côte, le 72nd Squa- l’opération « Fuller ».
dron est intercepté par des Me 109 du II./JG2 bientôt 14H00 Les conditions météo se dégradent, et la mer
ralliés par des Fw 190 du III./JG26 chargés de les rele- forcit ; les S-Boote retournent à leurs bases.
ver. Les pilotes du Squadron Leader Kingcombe luttent
désormais pour leur survie à 100 pieds au-dessus des
vagues ; les Swordfish se retrouvent seuls.

12H45 À 20 nautiques de Ramsgate, dans un effroyable imbroglio aérien et sous


la pluie, les six Swordfish se traînant à 150 km/h arrivent en vue de l’écran des
vedettes lance-torpilles allemandes aux prises avec les MTB. L’escadre navigue au
plus près des terrains du pas de Calais ; Ibel rompt le black-out radio et rameute à
la curée les chasseurs qu’il guide à vue. L’artillerie antiaérienne des trois bâtiments
allemands entre dans la danse, et les traceurs emplissent le peu d’espace entre la
mer et le bas des nuages. Avec abnégation, les Anglais prononcent leur attaque.
A priori, Esmonde arrive à faufiler son appareil – dont le plan principal gauche est
gravement endommagé – entre les destroyers de l’écran rapproché et largue sa
torpille à 2 700 mètres du Scharnhorst, avant d’être foudroyé par un Fw 190
placé dans ses six heures. Les deux autres avions de son Flight sont abattus, le
premier à moins de 2 000 mètres du Gneisenau après
avoir largué sa torpille – également en vain – et le second
de la même manière en approche du Prinz Eugen. Les
trois appareils du Flight B disparaissent sans laisser de
traces. Le dernier à les apercevoir se dirigeant vers le
Prinz Eugen est l’enseigne Kingsmill, le pilote du troisième
Swordfish du Flight A.
w et } Vieux et dépassés,
12H49 Le dernier Swordfish s’abîme en mer, 13 des les Fairey Swordfish rendent
18 aviateurs du 825th Squadron sont tués ou portés pourtant de fiers services
au Royaume-Uni dans les
disparus. premières années de la
guerre, avec le torpillage
12H50 Depuis son PC d’Audembert, Galland envoie le du Bismarck et le raid de
signal codé « visière ouverte » pour autoriser les chas- Tarente. Mais en février
1942 dans la Manche, leur
seurs à grimper au-dessus de l’horizon radar et ainsi attaque tourne à l’abattage.
étager leurs patrouilles. IWM

14
OPÉRATION « CERBERUS »
RUÉE SUR LA MANCHE

© Jean-Marie Guillou / LOS! 2012


FAIREY SWORDFISH MK.I
Commandant Eugène Esmonde
825 Squadron - Manston, février 1942

LES RAIDS L’ACTION DES DESTROYERS


DU BOMBER COMMAND Le capitaine de vaisseau Mark Pizey commande la 21e flottille de
destroyers basée à Sherness. Pour cette opération, il a sous son
En matinée, les appareils du Bomber Command ne sont pas en état commandement les Campbell et Vivacious ainsi que les Mackay,
d’alerte. À partir de 11h25, il va falloir trois heures de travail acharné Worcester, Whitshed et Walpole de la 16e flottille d’Harwich. Quatre
pour mettre en l’air les premiers avions. Par petits paquets, confrontés destroyers d’escorte classe Hunt se sont joints au dispositif, mais leur
à une météo infecte, les appareils sont lancés dans la bataille. vitesse n’est que de 26 nœuds, et ils sont dépourvus de torpilles. Le
12 au matin, les dix destroyers sont en école de feu en mer du Nord,
14H20 Première vague de décollages (73 appareils), le plafond est au large du phare d’Orfordness.
de plus en plus bas et la visibilité horizontale réduite à 1 000 mètres
avec des grains de pluie. 11H45 Pizey reçoit un message indiquant que les Allemands sont à
70 nautiques au sud de Boulogne ! Il faut calculer un point d’inter-
13H55 – 14H29 Les navires de l’escadre enregistrent de multiples ception avec des données fragmentaires ; ce sera dans les parages
combats aériens entre chasseurs. du banc de Westhinder, au nord de Dunkerque.

14H31 Le Scharnhorst déclenche une mine magnétique à 15 nautiques 13H18 Nouveau message, les Allemands sont plus rapides qu’annoncé.
dans l’ouest de l’île de Walcheren ! Les disjoncteurs principaux sautent, Désormais, le point d’interception est à hauteur de l’estuaire de la
il n’y a plus ni propulsion ni lumières ni liaisons radio. Une brèche est Meuse, ce qui signifie que pour le rallier, il faut mettre cap à l’est et
ouverte à bâbord au niveau de la tourelle B, la rue de chauffe n° 2 traverser un champ de mines à 28 nœuds ! Les Hunt sont renvoyés.
et plusieurs compartiments sont inondés, du mazout s’échappe des Le temps se détériore, et les destroyers piquent dans la plume. Le
soutes. À toute vitesse, le Gneisenau et le Prinz Eugen dépassent le Walpole, en proie à des soucis mécaniques, doit rentrer à Harwich.
navire amiral. Ciliax et son état-major embarquent sur le Z29, malgré
une mer mauvaise. Au cours de la manœuvre, le destroyer laisse un 14H55 Plusieurs bombardiers tournent sous la couche nuageuse et
aileron de passerelle accroché au flan du Scharnhorst… semblent chercher un objectif. Un Hampden de la RAF finit par lar-
guer ses bombes sur le Mackay et le manque ! Un autre stick rate le
14H37 Décollage de la deuxième vague de bombardiers, forte d’environ Worcester. Pizey déploie ses bâtiments en deux divisions : Campbell,
100 avions. Une troisième vague suivra, avec 41 aéronefs. Vivacious et Worcester puis Mackay et Witshed.

14H49 Protégé par quatre torpilleurs de la 5. Flottille, le


Scharnhorst se remet en route.

14H55 Les attaques des bombardiers de la RAF com-


mencent, notamment sur le Z29 isolé qui tente de rallier
le Gneisenau à environ 20 nautiques devant.

15H05 Le Scharnhorst accélère ; un stick de bombes


tombe à 100 mètres sur bâbord ; jusqu’à la nuit, le bâti-
ment qui navigue à nouveau à 27 nœuds va être attaqué
une douzaine de fois.

JUSQU’À 17H10 Les combats aériens et les attaques


se succèdent autour du Gneisenau et du Prinz Eugen.
Le plafond descend à 400 pieds, mais la visibilité passe
à 1 nautique. Il devient impossible à Galland de se faire
une idée précise de la situation.

w Destroyer allemand de la série 1934, l‘un d’entre eux le


Z4 Richard Beitzen participa à l’opération « Cerberus ».
IWM

15
OPÉRATION
FÉVRIER 1942

alors qu’il est en train d’assister le Worcester gravement


DES ANGLAIS PRIS DE COURT endommagé. Les bâtiments retraversent le champ de

L
mines (on saura plus tard qu’il a été dragué quelques jours
a RAF va passer la journée aux trousses de l’escadre allemande. Le cas auparavant) et parviennent à Harwich le 13 au matin.
des Beaufort du Coastal Command illustre le manque de préparation et
l’affolement qui prévalent du côté britannique. 14 avions du 42nd Squa-

DERNIER ROUND
dron détachés de Leuchars, en Écosse, arrivent dans le Norfolk dans la
nuit du 11 au 12 sans torpilles ; seuls neufs sont opérationnels. Quatre
Beaufort du 217th Squadron, détachés à Thorney Island, près de Portsmouth, vont
tourner au-dessus de Manston durant une heure en attendant leurs chasseurs…
qui sont déjà en route vers l’objectif ! En raison de procédures radio différentes, 16H00 Au large de Rotterdam, les raids du Bomber
la base ne parvient pas à prévenir les avions du Coastal Command, qui partent Command se succèdent. Ils sont le fait de petits grou-
finalement seuls. Vers 15h45, ils parviennent dans les parages du Gneisenau et pes d’avions arrivant en ordre dispersé. Les torpilleurs
du Prinz Eugen et lancent leurs torpilles en vain, tandis qu’au-dessus, chasseurs Jaguar et T13 sont endommagés et doivent se dérouter
britanniques et allemands livrent des combats acharnés. Idéalement placés sur vers la Hollande. Le Z29, qui a rallié l’escadre, est pris à
la route de l’escadre allemande si celle-ci avait été détectée à sa sortie de Brest, partie plusieurs fois.
les 12 avions du 86th Squadron de Saint-Eval ont été transférés en urgence à
Thorney Island vers 14h30. Après avoir ravitaillé, ils repartent pour Coltishall, 16H30 Des bombardiers de la deuxième vague attaquent
qu’ils atteignent à 17 heures ; les chasseurs prévus sont absents, et les Beaufort sans résultats.
partent seuls. Ils ne localisent pas leur objectif ; en revanche, ils tombent sur quatre
dragueurs de mines, dont deux d’entre eux seront descendus par la Flak. 16H38 Au cours du dernier combat aérien de la jour-
née, un Fw 190 du IV/JG1 abat un Spitfire en vue du
Gneisenau.
15H17 En route au 70, le Campbell détecte au radar l’esca- Photos page de droite :
dre allemande à moins de dix nautiques dans le sud-est.
} Haut :
17H00 Trois Beaufort du 217th Squadron finissent par
trouver le Gneisenau. Accueillis par la chasse et la Flak,
15H25 Les destroyers en ligne de file remontent lente- Appareil britannique
Bristol Beaufort. leur attaque est manquée : un avion est abattu, les autres
ment l’escadre allemande, toujours aussi rapide, et sont Droits Réservés sont endommagés.
détectés visuellement par le Gneisenau.
w Milieu : 17H30 Le Prinz Eugen navigue trois nautiques derrière
15H42 La distance tombe à 4 nautiques. Seuls le Les destroyers des classes V le Gneisenau quand ce dernier connaît des soucis de
Gneisenau et le Prinz Eugen sont aperçus par les et W conçus en 1917 ne sont turbines. Sa vitesse est réduite à 25 nœuds.
plus de la première jeunesse
Britanniques, qui ignorent que le Scharnhorst est loin
derrière. L’écran des destroyers allemands est à moins
en 1942. Néanmoins, ils
demeurent des adversaires 17H45 Le Z29 tombe en avarie de propulsion. Ciliax doit
d’un nautique. Aussitôt, de part et d’autre, l’artillerie entre redoutables. Le raid des 16e changer de bord une seconde fois dans des conditions
en action avec une visibilité très faible. et 21e flottilles correspond délicates. Le transfert sur le Z7 Hermann Schoemann est
avec un raid aérien qui verra
particulièrement acrobatique ; ballotté par les vagues dans
15H55
l’intervention d’une vingtaine
Gneisenau et Prinz Eugen encadrent la division de chasseurs d’escorte. une baleinière, Ciliax voit passer le Scharnhorst.
Mackay, alors que les Britanniques tirent leurs torpilles sur IWM

le Gneisenau à 3 000 mètres. Aucun coup au but n’est { Bas :


18H15 Les derniers Wellington de la troisième vague
enregistré. Le Worcester est le dernier de la première L’épave du Gneisenau dans attaquent sans succès. Vers 18h35, la nuit tombe
division à prononcer son attaque, mais les Allemands ont la glace à Gotenhaffen complètement, et la couverture de chasse s’interrompt.
trouvé la bonne hausse, et il se fait cueillir par une salve durant l’hiver 1944-45. Sur les 242 bombardiers (92 Wellington, 64 Hampden,
Bombardé et une fois de
de 280 mm, encaissant un obus sur la passerelle. Un ou plus gravement endommagé
37 Blenheim, 15 Manchester, 13 Halifax, 11 Stirling et
deux autres dévastent les rues de chauffe 1 et 2 ; c’est à à Kiel quelques jours après 10 Boston) engagés, seulement 39 ont trouvé l’escadre,
ce moment-là que le bâtiment est frappé par quatre obus son retour de Brest, il ne au prix de 17 avions abattus et de 20 endommagés.
de 203 mm. Avec 17 morts et 45 blessés, des voies sera jamais remis en service.
d’eau, une artillerie hors de combat et seulement une
Droits Réservés
19H55 Le Gneisenau déclenche une mine magnétique à
chaudière intacte, le navire se dérobe. L’escadre allemande six nautiques au large de l’île de Terschelling. La turbine
file vers le nord-est, alors que les Anglais sont refoulés centrale est définitivement en avarie, mais, à 20h30, le
par les destroyers de l’écran. Deux Beaufort – qui n’ont bâtiment peut repartir à 25 nœuds. Le Prinz Eugen est
pas été informés de l’action des destroyers – attaquent la accompagné de trois destroyers qui peinent à le suivre à
flottille. Une torpille oblige le Campbell à battre en arrière plus de 30 nœuds.

© Jean-Marie Guillou / LOS! 2012


BRISTOL BLENHEIM MK.IV
114 Squadron
Manche, février 1942

16
OPÉRATION « CERBERUS »
RUÉE SUR LA MANCHE
21H34 Accompagné des Z7, Kondor et T12, le Scharnhorst est vic-
time d’une seconde mine au large de l’île d’Ameland. Les dégâts sont
considérables. Le navire est stoppé sans électricité, avec 1 000 ton-
nes d’eau à bord, 7° de gîte et une propulsion totalement arrêtée,
admissions bloquées, dérivant le long d’une côte basse et piégeuse,
au milieu d’une mer de mazout…

22H15 Le chef du service propulsion annonce néanmoins à Hoffmann


qu’il peut lui donner 14 nœuds sur deux lignes d’arbre. Le Z7 retrouve
le Scharnhorst qui, privé de moyens de navigation, suit le destroyer
à faible vitesse dans la nuit. Les deux bâtiments arrivent en baie
d’Héligoland le 13 février en matinée, quelques heures après que le
Gneisenau et le Prinz Eugen ont atteint le port de Brünsbuttel.

VICTOIRE TACTIQUE
MAIS REPLI STRATÉGIQUE
« Cerberus » est un succès de propagande : la Royal Navy est humi-
liée dans ses eaux, tous les grands bâtiments de la Kriegsmarine sont
regroupés en Allemagne et en Norvège. Mais ce repli souligne désor-
mais l’isolement de la flotte allemande, pourchassée jusque dans ses
ports par la RAF. Le Gneisenau est définitivement mis hors de combat
à Kiel dès le 27 février, les autres grands bâtiments – traqués par la
Royal Navy dans les fjords de Norvège ou lors de chacune de leurs
tentatives d’interception des convois vers l’URSS – perdent tout crédit
aux yeux d’Hitler après la calamiteuse bataille de la Mer de Barents
des 30 et 31 décembre 1942 et la perte du Scharnhorst un an plus
tard. Raeder démissionne en janvier 1943, remplacé par Karl Dönitz.
Les U-Boote assument seuls désormais la lutte dans l’Atlantique. Les
derniers grands navires de surface retrouvent leur rôle de « fleet in
being » et ne combattront qu’en 1944-45 dans la Baltique. ̈

17
BATAILLE
24 janv. 1915
{ Une partie de la Hochseeflotte au mouillage
peu avant le déclenchement du conflit. Au premier
plan, la I. Aufklärungs-Gruppe : SMS Seydlitz,
Moltke, Goeben, Von der Tann et Blücher ;
le Derfflinger ne rejoindra l’escadre qu’en
septembre 1914. Au centre, la II. Geschwader
composée de cuirassés pré-dreadnought,
classe Deutschland ou Braunschweig.
En arrière-plan, une division de croiseurs légers.

PAR LOÏC CHARPENTIER

LA BATAILLE
DOGGER BANK DES OCCASIONS MANQUÉES

J
ANVIER 1915. HORMIS UN ENGAGEMENT
ENTRE CROISEURS LÉGERS LE 28 AOÛT
1914 AU LARGE D’HELGOLAND, LA
KAISERLICHE MARINE ET LA ROYAL
NAVY SE SONT SEULEMENT AFFRONTÉES AU LARGE
DES MALOUINES, OÙ LA PREMIÈRE A SUBI UN
SANGLANT REVERS. AGISSEMENTS DE CHALUTIERS
a l’automne 1914, les Britanniques entrent en posses-
sion du code secret de la Marine allemande grâce
à un coup de pouce de la Russie et à la malchance
d’un agent ennemi au Moyen-Orient. Désormais,
la Room 40, service du Chiffre de la Royal Navy,
avec l’aide de ses stations d’écoute, est en mesure de décrypter
les messages TSF de son adversaire, doté d’un matériel radio de
qualité mais qui en fait un usage immodéré. La Kaiserliche Marine
ignore totalement la valeur de l’atout que détient l’ennemi, mais les
apparitions un peu trop opportunes des forces navales britanniques
SUSPECTS ET INTERCEPTIONS DE MESSAGES dans les parages immédiats de ses bâtiments de surface et ses
VONT AMENER LES RAPIDES BATTLECRUISERS U-Boote tendent à écarter l’hypothèse de la simple coïncidence.
Curieusement, au sein de l’état-major, personne n’envisage sérieu-
À PORTÉE DE TIR DES GROSSE KREUZER… sement que les Anglais aient pu mettre la main sur les livres de
JAMAIS AUCUNE BATAILLE NE S’EST DÉROULÉE À UNE codes et casser le chiffrage ; les soupçons portent sur la présence
de traîtres au sein même de la flotte, d’agents ennemis surveillant
TELLE VITESSE ET N’A VU DES BÂTIMENTS COMBATTRE les mouvements dans les ports et sur l’existence, en haute mer,
À AUSSI GRANDE DISTANCE. EN QUELQUES HEURES, d’un réseau de chalutiers-espions.

LA RENCONTRE DES DEUX ESCADRES SUR LE DOGGER


BANK VA BOULEVERSER LES PRÉCEPTES ANCESTRAUX DOGGER BANK, NID D’ESPIONS !
DU COMBAT NAVAL ET AMENER LA ROYAL NAVY À
DES CONCLUSIONS UN PEU HÂTIVES, QU’ELLE PAYERA Entre la côte au nord-est du Royaume-Uni et les atterrages alle-
mands sur la rive occidentale de la mer du Nord, s’étend – sur
CHÈREMENT DIX-SEPT MOIS PLUS TARD AU JUTLAND. 260 kilomètres du nord au sud, 95 kilomètres d’est en ouest et
près de 18 000 km² – un haut-fond sablonneux, le Dogger Bank,
réputé pour la richesse de ses bancs de cabillauds et de harengs.

18
DOGGER BANK
LA BATAILLE DES OCCASIONS MANQUÉES
Si, depuis le début du conflit, les pêcheurs allemands SCAPA FLOW
s’en tiennent prudemment éloignés, ce n’est pas le cas
NORVÈGE
de leurs homologues britanniques qui, sous la protection BATAILLE DU DOGGER BANK
d’unités de Sa Gracieuse Majesté, continuent à chaluter
et jeter leurs lignes dans sa partie occidentale, distante de JANVIER 1915
moins de 50 nautiques de leurs côtes, en compagnie de
ZONE SOUS INFLUENCE ALLEMANDE
Danois et de Hollandais, non-belligérants, qui ont, de l’avis
de la Marine allemande, un peu trop tendance à copiner
avec les Anglais, d’autant que la nationalité de certains

DANEMARK
« neutres » est loin d’être avérée… Au sein de l’état-major
de la Kaiserliche Marine, le doute n’existe plus : les cha-
lutiers du Dogger Bank, « idéalement » positionnés sur la ROSYTH
route la plus directe entre l’île d’Helgoland [1] et les côtes
d’Angleterre ou d’Écosse, sont LA source d’informations
de la Royal Navy ; il est temps de mettre bon ordre dans BAIE
ce « nid d’espions » en y menant une incursion en force, D’HELIGOLAND
HARTEPOOL Canal
sans distinction de nationalité ! Malheur aux « Neutres » HELIGOLAND de Kiel
qui n’auront pas leurs documents à jour : ils seront immé- SCARBOROUGH BAIE DE LA JADE
diatement conduits dans les ports allemands, où leur
cargaison sera confisquée, les hommes et les bateaux de WILHELMSHAVEN
pêche internés pour de longues semaines jusqu’à ce que BREME

PAYS-BAS
les ambassades finissent par démêler l’imbroglio diplo-

er
Wess
matique. L’opération permettrait également d’infliger des
pertes sévères aux escorteurs de la Royal Navy et incitera ANGLETERRE
les patrons-pêcheurs britanniques à privilégier l’abri des
ROTTERDAM
ports plutôt que les sorties hasardeuses ; au final, un
avertissement adressé aux non-belligérants et une action
HARWICH ALLEMAGNE
LONDRES
supplémentaire de démoralisation de la population côtière
d’Outre-Manche, déjà éprouvée par les bombardements [1] Située au large de de mauvaise rencontre sur la route de retour. Quatre
navals menés sur Hartlepool et Scarborough, en décembre Cuxhaven, l’île est une nouveaux cuirassés flambant neufs de 25 000 tonnes [4],
1914, et les premiers raids des Zeppelins de la marine. importante base navale armés de 10 canons de 305 mm et protégés par une
allemande protégeant
la baie d’Helgoland. cuirasse d’une épaisseur sans équivalence dans la Royal
Navy, viennent d’ailleurs de rejoindre la 3e escadre de

PRÉPARATIFS [2] Le fleuve côtier Jade


traverse la Basse-Saxe
pour se jeter dans une baie
ligne ; Reinhard Scheer, son commandant, a obtenu
l’autorisation de passer en Baltique à la mi-janvier pour
de 190 km2, dont la partie y effectuer des manœuvres en ligne et des exercices
Début janvier 1915, Franz Hipper, commandant en chef occidentale accueille la ville de canonnage. Le 10 du mois, le Kaiser répond aux sol-
Début janvier 1915, Franz Hipper, commandant en chef portuaire de Wilhelmshaven. licitations de l’état-major de la marine pour la mise en
de la 1re escadre d’éclairage à l’ancre dans la Jade [2], place du raid proposé par Hipper : en aucun cas sa flotte
[3] La Hochseeflotte est alors
ronge son frein ; les raids menés en décembre avec ses la principale force navale de combat ne doit s’approcher des côtes britanniques
croiseurs de bataille ont avorté ; pour l’un d’entre eux, de la Kaiserliche Marine. tant que le rapport des forces n’est pas en sa faveur ;
l’échec peut être imputé à une météo particulièrement mais il consent, dans le cadre d’une opération ponctuelle,
[4] Les SMS König,
défavorable, mais, pour l’essentiel, Hipper s’est forgé Großer Kurfürst, Markgraf
à faire une exception pour les croiseurs de bataille qui,
une certitude : les apparitions systématiques de la Grand et Kronprinz Wilhelm. grâce à leur vitesse, peuvent en principe s’échapper sans
Fleet ou des Battlecruiser Squadrons à chacune de ses encombre d’un mauvais pas imprévu.
sorties ne sont pas le fruit du hasard ; si la Royal Navy
a en permanence un coup d’avance, c’est grâce aux
informations transmises par les chalutiers « espions » du Sauf mention contraire, 20-22 JANVIER 1915
Dogger Bank ! Il vient donc de soumettre à sa hiérarchie toutes photos : US Nara BAIE DE LA JADE
le projet d’effectuer à la tête de son escadre un « coup
de balai » sur la zone de pêche. Depuis lors, il fait le siège Pour rejoindre le canal de Kiel, en aval de Hambourg,
du bureau du Vizeadmiral Eckermann, chef d’état-major Scheer et sa 3e escadre mouillés dans la Jadebusen, sur
de la Marine impériale, pour obtenir son feu vert. Pour la côte occidentale de la Frise, doivent préalablement
v Gustav Heinrich Ernst
mener une telle opération, ses quatre croiseurs de bataille passer en mer du Nord avant d’embouquer l’estuaire
Friedrich von Ingenohl
et leur escorte de croiseurs légers et torpilleurs suffisent (1857-1933) prend le de l’Elbe, mais le mauvais temps les contraint à rester
amplement, mais la protection des navires de lignes de commandement de la à l’ancre. Ce n’est que le 21 janvier que von Ingenohl,
la « flotte de haute mer » [3] est indispensable en cas Hochseeflotte le 30 janvier commandant en chef de la Hochseeflotte, autorise Scheer
1913. Son excès de
prudence et les revers
à prendre la mer à la faveur d’une éclaircie ; la clémence
essuyés par la Kaiserliche des éléments sera brève, car une monumentale tempête
Marine entre novembre 1914 de neige aveugle les cuirassés et les oblige à mouiller
et janvier 1915 lui coûteront dans l’embouchure de l’Elbe jusqu’au lendemain. Au
son poste. Le 2 février
1915, il sera remplacé par moment où Scheer et ses navires de ligne franchissent
l’Admiral Hugo von Pohl. les écluses du Kaiser Wilhelm Kanal, les services de la
Droits Réservés météo pronostiquent plusieurs jours de beau temps ;
vv Admiral Franz von
le 22 janvier, Hipper – toujours à l’ancre en baie de
Hipper (1863-1932). Promu Jade – et Eckermann suggèrent à Ingenohl de profiter
Konteradmiral en 1912, il rapidement de ces conditions favorables pour mener le
se voit confier, le 1er octobre raid sur Dogger Bank, d’autant que les chalutiers, qui
1913, le commandement de
la I. Aufklärungs-Gruppe. eux aussi ont été bloqués à quai par le gros temps,
Droits Réservés ne manqueront pas de sortir pour jeter lignes et filets.

19
BATAILLE
24 janv. 1915

Le départ de la 3e escadre pour la Baltique prive Ingenohl de ses r Le SMS Blücher. Bien profitant de l’éclaircie annoncée, lèveront l’an-
quatre König ; il vient d’ordonner au SMS Von der Tann de pro- qu’officiellement classé cre au crépuscule pour être sur zone le 24 aux
Große Kreuzer, il est en
céder à son nettoyage semestriel de carène, et le Großer Kreuzer, aurores et regagneront leur mouillage de la baie
réalité le dernier croiseur
maintenant au sec dans le bassin de radoub, ne sera pas disponible cuirassé construit pour de Jade dans la soirée.
avant une douzaine de jours. Par ailleurs, bon nombre de croiseurs le compte de la Marine
légers et torpilleurs, mis à mal par une interminable succession allemande. Désavantagé
de tempêtes, exigent des réparations avant de reprendre la mer ;
par une vitesse limitée
à 24 nœuds et le calibre SAMEDI 23 JANVIER
enfin, Ingenohl n’a pas l’intention d’enfreindre les consignes insuffisant de ses six 12H00 - LONDRES
impériales, mais, depuis quelques semaines, l’amiral fait l’objet tourelles doubles de 21 cm,
de critiques à peine déguisées ; sa prudence à ordonner les sorties il bénéficie néanmoins De l’autre côté de la Manche, Winston Churchill,
de la plus grande portée
de la Hochseeflotte est jugée excessive. De l’avis de certains, de tir de l’escadre First Lord of the Admiralty [5], vient de rendre
dont Hipper, elle est l’une des raisons de l’insuccès des opérations d’Hipper : 19 500 m. longuement visite à l’amiral Fischer, First Sea
allemandes de surface, et la passivité qu’il a imposée à la flotte Lord, contraint de garder la chambre pour soi-
allemande, lors du raid aérien britannique le jour de Noël sur les [5] Depuis 1628, la flotte gner un refroidissement carabiné ; Churchill ne
bases de Zeppelin de Cuxhaven – première action aéronavale de britannique est contrôlée par s’est pas encore assis qu’Arthur Wilson, un
la Grande Guerre –, n’a pas été du goût de tous… C’est donc un comité dont le président amiral septuagénaire qui a repris du service en
– invariablement civil depuis
du bout des lèvres qu’il donne son accord pour lancer l’opéra- 1806 – est aussi membre
1914 en tant que Chief of the War Staff, et le
tion. Convoqué, le jour même, sur le navire amiral d’Ingenohl, le du cabinet du Premier vice-amiral Oliver font irruption dans son bureau
SMS Friedrich der Große, pour détailler son plan d’attaque, Hipper ministre. À partir de 1828, pour lui annoncer que les Allemands seront à
s’y voit confirmer que hormis sa formation, la Hochseeflotte ne l’amiral commandant en nouveau de sortie la nuit prochaine. Selon le
chef la Royal Navy est aussi
sera pas engagée. Le Dogger Bank n’étant guère éloigné de plus « Premier Lord à la mer ».
décryptage de la Room 40, ce n’est qu’une
de 150 nautiques (277 kilomètres), le raid ne nécessite pas de reconnaissance en force des croiseurs alle-
préparatifs importants. L’ordre de mission est établi par Eckermann, [6] Dans la Royal Navy, un mands sur le Dogger Bank, mais le risque d’une
chef d’état-major de la flotte, puis crypté et adressé à Hipper, le commodore est un officier opération plus importante et plus profonde n’est
supérieur faisant fonction
23 janvier à 10h25 par TSF. Les croiseurs de bataille et leur escorte, d’officier général dans pas à écarter. Il reste tout juste assez de temps
le cadre d’une mission pour que le contre-amiral Beatty, commandant
spécifique ; pour la durée de en chef de l’escadre des croiseurs de bataille, au
sa commission, il est assimilé mouillage à Rosyth dans l’estuaire de la rivière
au grade de contre-amiral
et en porte les attributs. Forth en face d’Edimbourg, et le commodore [6]
Tyrwhitt, dont les croiseurs légers et destroyers
[7] Il anglicisera son nom sont à l’ancre à Harwich, beaucoup plus au
de famille en Mountbatten
sud sur le rivage du comté d’Essex, puissent
en avril 1917.
faire jonction sur le banc à l’aube du 24 afin
d’intercepter Hipper. Le « rendez-vous » est
v Sir Reginald Y. Tyrwhitt.
fixé à sept heures, 180 nautiques à l’ouest de
Droits Réservés
l’île d’Helgoland et 30 nautiques au nord du
Dogger Bank (position approximative : 55 15’
vv Sir David Beatty. Il de latitude Nord & 3° 10’ de longitude Est).
prendra la tête de la Grand L’opération est soumise sans délai à l’appro-
Fleet après la bataille
du Jutland en 1916. bation de Fisher, puis, peu après 13 heures,
Droits Réservés les ordres d’appareillage sont télégraphiés

20
DOGGER BANK
LA BATAILLE DES OCCASIONS MANQUÉES
v Le SMS Derfflinger sera la formation doit profiter de la nuit pour pénétrer le plus
le premier d’une série de profondément possible sur le banc et ne procéder à l’ar-
trois Großer Kreuzer mis en
chantier entre 1913 et 1915, raisonnement des bâtiments suspects qu’au petit matin,
armés de 4 tourelles doubles sur le trajet de retour au mouillage.
de 30,5 cm, toutes axiales et
superposées en proue et en
poupe. D’un déplacement de 18H00 ESTUAIRE DE LA FORTH
31 200 tonnes et propulsé Il fait déjà nuit noire quand l’ordre est donné de choquer
par quatre groupes de les aussières à bord des croiseurs de bataille du 1st Batt-
turbines d’une puissance de lecruiser Squadron (Beatty), les HMS Lion, Princess Royal
63 000 CV, il dispose d’une
chaufferie mixte (charbon
et Tiger – surnommés « the Cats » –, et du 2nd Batt-
avec appoint de mazout). lecruiser Squadron (Moore), les HMS New Zealand et
Indomitable. Dans l’après-midi, il a fallu déployer des
trésors de diplomatie pour convaincre le prince Louis of
Battenberg de descendre à terre ; l’ancien First Sea Lord
à Beatty et à Tyrwhitt, tandis que Jellicoe, au mouillage (décembre 1912 - octobre 1914), né Ludwig Alexander
ss Le SMS Moltke diffère du
de Scapa Flow avec la Grand Fleet, est lui aussi mis en von Battenberg, fils du Prinz Alexander von Hessen und
alerte : « Quatre croiseurs de bataille, six croiseurs légers Seydlitz par un déplacement bei Rhein, naturalisé britannique depuis son entrée dans
et 22 destroyers allemands prendront la mer ce soir pour légèrement inférieur mais la Royal Navy en 1868, avait dû se résoudre, en dépit de
dispose du même armement
reconnaissance sur Dogger Bank avec retour probable (18 x 28 cm et 12 x 15 cm).
quarante années d’une carrière exemplaire, à abandonner
demain soir – Tous les croiseurs de bataille, croiseurs Au Dogger Bank, il sera le sa charge, à la fin du mois d’octobre précédent, suite à des
légers et destroyers disponibles à Rosyth feront route seul bâtiment de la ligne rumeurs infondées sur ses amitiés pro-germaniques [7].
allemande à ne subir aucun
pour rejoindre point de rendez-vous à 0700 AM [heure dommage. Les croiseurs
Le prince Louis, venu ce jour-là rendre visite à son fils
de Londres], demain – Commodore T. fera route depuis lourds allemands sont munis George, officier à bord du HMS New Zealand, était
Harwich avec tous les croiseurs légers et destroyers dis- d’encombrants filets anti- enthousiaste à l’idée de participer à l’opération, et ce n’est
torpilles en mailles d’acier,
ponibles pour faire jonction à 0700 AM avec vice-amiral qui, en principe, ne sont
qu’à contrecœur qu’il finit par se plier aux arguments du
Lion [Beatty] au point de RDV stipulé – Si ennemi en vue déployés qu’au mouillage. contre-amiral Moore et du Captain Halsey, commandant
du croiseur, confrontés au sérieux problème de protocole
s Le SMS Seydlitz. Admis
sur route de collision Commodore T, il devra être attaqué
– Ne pas utiliser TSF sauf absolue nécessité. » au service actif en mai 1913,
que poserait, dans l’incertitude du combat, la présence
il est armé de 5 tourelles à bord de deux membres de la famille royale, gendre
doubles de 28 cm. La et petit-fils de la reine Victoria. À bord du Lion, Beatty
SAMEDI 23 JANVIER Marine allemande adoptera
tardivement la superposition
est ravi : il va pouvoir se mesurer à Hipper et assumer,
FIN D’APRÈS-MIDI ET DÉBUT DE SOIRÉE des tourelles, car, en sus de seul, l’entière responsabilité de l’opération, car il n’aura
son influence sur la stabilité pas d’ordres d’un supérieur hiérarchique ; de surcroît,
du bâtiment, les souffles
17H30 MOUILLAGE D’HARWICH cumulés des tirs interfèrent
aucune formation de « traînards », avec leurs poussifs
Les croiseurs légers HMS Arethusa, Aurora, Dauntless et sur les trajectoires des 20 nœuds de vitesse, ne viendra ralentir ses rapides
35 destroyers lèvent l’ancre lorsque l’apparition brutale projectiles en sortie d’âme. croiseurs de bataille.
d’un épais brouillard contraint le gros de la flottille à dif-
férer son départ ; seuls Tyrwhitt, qui a hissé sa marque
sur l’Arethusa, et les sept destroyers de la 10e flottille
gagnent le large. Le commodore décide de poursuivre
sa route, les 30 autres bâtiments le rejoindront dès que
possible.

17H45 BAIE DE JADE


Hipper embouque le goulet au nord de la baie pour s’en-
gager dans le chenal de l’immense champ de mines
qui protège l’accès de la Jade et l’estuaire de l’Elbe.
Le vice-amiral est à la tête de trois croiseurs de bataille
(SMS Seydlitz, Derfflinger et Moltke), du croiseur cuirassé
Blücher, qui remplace au pied levé le Von der Tann, et d’une
escorte forte de quatre croiseurs légers (SMS Graudenz,
Rostock, Kolberg, Stralsund) et de 18 torpilleurs fournie
par les V. et VIII. Flottillen. La nécessité de devoir engager
le Blücher en lieu et place du Von der Tann, plus rapide
et mieux armé, n’est somme toute pour Hipper qu’une
contrariété mineure, car le bâtiment et son équipage,
rattachés à la 1re escadre d’éclairage depuis le début
des hostilités, ont l’habitude d’opérer avec la formation ;
certes, ses trois autres croiseurs seront contraints de
caler leur vitesse sur celle du Blücher, mais le vice-amiral
a tout lieu d’être satisfait, car entre la décision de mener
le raid, les préparatifs et le début de son exécution, il ne
s’est écoulé que quelques heures. Or, le « timing » est
un important facteur de réussite : dans l’hypothèse de
l’existence d’un agent double au sein de l’état-major, ce
dernier n’aura matériellement pas le temps d’en informer
Londres ; quand les chalutiers-espions du Dogger Bank
verront surgir la formation allemande, les Battlecruisers
de la Royal Navy, encore au mouillage, seront dans
l’incapacité d’intervenir. Selon les consignes d’Hipper,

21
BATAILLE
24 janv. 1915

w
18H30 RADE DE SCAPA FLOW
Sous le commandement de l’amiral Jellicoe, 22 cuirassés
de la Grand Fleet franchissent la passe ; leur navigation
nocturne les amènera demain matin à 9h30 à 150 nau-
tiques au nord-ouest de Beatty pour parer à toute sortie
de la Hochseeflotte.

20H30 MOUILLAGE DE ROSYTH


Les cuirassés du 3rd Battle Squadron (vice-amiral Sir
Bradford), HMS King Edward VII, Africa, Britannia,
Commonwealth, Hibernia, Dominion, Hindustan et
Zealandia, ainsi que trois des quatre croiseurs cuiras-
sés du 3rd Cruiser Squadron (contre-amiral Pakenham)
rejoignent la haute mer. L’Amirauté a dû s’assurer du
respect des prérogatives et tenter de gérer les suscep-

x
tibilités personnelles – en tant que chef d’escadre, le
vice-amiral Bradford, de par son ancienneté de grade, a
rang sur Beatty –, aussi a-t-elle pris soin de lui deman-
der de ne pas interférer dans les décisions du chef du
1st Battlecruiser Squadron, responsable de l’opération.
Bradford et ses bâtiments se contenteront d’assurer
une protection à distance. La forte inimitié qui règne
entre Beatty et Pakenham est devenue un secret de
Polichinelle, de même que la piètre opinion qu’a ce même
Beatty vis-à-vis du commodore Goodenough (2nd Light
Cruiser Squadron), qu’il considère comme responsable
du fiasco de Scarborough, le 16 décembre 1914, et dont
il a réclamé la tête sans succès.

DIMANCHE 24 JANVIER, À L’AUBE


MÉTÉO : MER CALME, PETITE BRISE DE N-E,
VISIBILITÉ EXCELLENTE y
07H05 Le brouillard, la veille, sur Harwich a retardé le
départ, et le Captain Nicholson, leader de la 1st Des-
troyer Flotilla, avec sur son bâbord le HMS Undauted et
la 3rd Destroyer Flotilla, a une bonne demi-heure de retard
sur l’horaire du rendez-vous. Les veilleurs du HMS Aurora
viennent de lui signaler les silhouettes d’un croiseur et de
plusieurs destroyers dans les premières lueurs du jour, au
sud-est du Dogger Bank. Les bâtiments repérés ne peuvent
être que l’Arethusa et la 10e flottille ; l’Aurora, en appro-
che, envoie ses pavillons d’identification en tête de mât.
07H15 Le croiseur signalé, qui n’est autre que le SMS
Kolberg, ouvre le feu à 8 000 mètres. L’Aurora encaisse
trois coups au but, sans dégâts majeurs, mais sa réplique
immédiate blesse sérieusement le Kolberg et le contraint
à virer de bord à 07h17.
07H20 15 nautiques au nord-nord-est du HMS Aurora,
à proximité du point de rendez-vous. « J’engage le
combat avec la flotte de haute mer ! » Sur la passerelle
du HMS Lion, l’exagération du message de l’Aurora w Commissionné en x Le HMS Tiger dans y Le HMS Aurora
déclenche les sourires, car d’après les informations novembre 1912, le sa configuration 1918. – 4 400 tonnes, deux
qu’a bien voulu communiquer l’amiral, la Hochseeflotte HMS Princess Royal En janvier 1915, son canons de 152 mm, quatre
n’est pas censée quitter son mouillage. Pour Beatty, les est le deuxième des équipage est mal amariné, pièces de 102 mm, deux
quatre « Splendid médiocrement exercé au tir rampes jumelées de
lueurs des départs de coups n’ont qu’une seule expli- Cats ». 30 000 tonnes de et, pour d’obscures raisons, torpilles de 533 mm – en
cation : l’Aurora vient d’engager les éclaireurs d’Hipper. déplacement, 70 000 CV, composé d’un grand nombre grand pavois. Chef de file
Le Lion met le cap au sud-sud-est à 22 nœuds, avec les 4 tourelles doubles de d’ex-déserteurs affectés sur de la 1st Destroyer Flotilla,
343 mm, près de 29 nœuds le croiseur après avoir purgé il constitue avec deux
HMS Tiger, Princess Royal, New Zealand et Indomitable
de vitesse, cette débauche leur peine ! Au cours de la autres croiseurs légers de
dans son sillage, tandis que les croiseurs légers et les de chiffres flatteurs cache bataille, il sera endommagé même classe, Undauted et
flottilles de destroyers ont ordre de suivre immédiatement de sérieuses carences dont par six obus de 28 cm, Arethusa, l’état-major de la
une route similaire pour aller au contact et rapporter souffriront les Battlecruisers blessant 11 hommes et « Harwich Force ». Hormis
au cuirassement insuffisant, en tuant 10, dont le chef l’échange matinal de bordée
les mouvements de l’ennemi. Cinq nautiques en avant au compartimentage mécanicien, attaché à entre l’Aurora et le Kolberg
des croiseurs de bataille, le HMS Southampton (com- déficient et au rôle mal défini. l’état-major de Beatty. et le torpillage final du
modore Goodenough) relève un groupe de bâtiments Droits Réservés Blücher, l’escorte des deux
au sud et un autre à l’est. Au sud, il s’agit de l’Aurora escadres ennemies n’aura
qu’un rôle secondaire.
accompagné de ses destroyers, mais à l’est, la distance
est encore trop importante pour identifier les arrivants…

22
DOGGER BANK
LA BATAILLE DES OCCASIONS MANQUÉES
© Stefan Draminski / LOS! 2012
HMS LION
1915-1916

23
BATAILLE
24 janv. 1915

1st & 2nd BCS


Indomitable BATAILLE NAVALE DU DOGGER BANK
New Zealand 1st LCS
Princess Royal Lowestoft 24 JANVIER 1915
Tiger Nottingham NAVIRES BRITANNIQUES
Lion Birmingham
Southampton NAVIRES ALLEMANDS

26 21 VITESSES EN NOEUDS
Stralsund +
5 Torpedoboote Graudenz +
5 Torpedoboote
Rostock+
Arethusa + 4 Torpedoboote
10th Flotilla 10th Flotilla
Tentative de torpillage
07H05 Kolberg 08H15-8H25
ouvre le feu
20 I.Aufklärungsgruppe
Kolberg + Seydlitz
4 Torpedoboote 26 08H23 08H00
15 Moltke
+ K I.Auf
07H00 lein klär Derflinger
e K ung Blücher
En approche à 40 nautiques 27 08H34 21 reu sgr
ser upp Début de l’opération
Undauted+ +T e
28 08H43 orp ENVIRON 05H50
Aurora + edo
3rd Destroyer Flotilla 1st Destroyer Flotilla 18 700 boo
29 08H52 m te
Lion Tirs de réglage
08H45-8H55
Beatty ordonne d'ouvrir le feu
Les bâtiments se déploient en échelon

Deux croiseurs ! Or, tous les croiseurs britanniques sont censés être
sur le bord opposé, et la route suivie par les nouveaux venus ne
laisse guère de doute.
07H30 Le 2nd Light Cruiser Squadron est maintenant en vue des
SMS Stralsund et Graudenz qui éclairent les croiseurs d’Hipper, dont
on distingue déjà les panaches de fumée à l’horizon.
tif n’a rien à voir avec une simple patrouille mais
Dès les premières lueurs de l’aube, l’escadre allemande a entrepris confirme la présence d’une formation plus puissante :
le « nettoyage » du Dogger Bank ; elle s’est largement déployée afin la veille radio a intercepté des messages britanniques indi-
de contrôler la plus grande zone d’eau possible pour y débusquer quant que le Second Battle Squadron (cuirassés HMS King
chalutiers et patrouilleurs britanniques, tout en restant en limite de George V, Ajax, Centurion, Orion, Monarch, Thunderer, Conqueror
vision des jumelles de quart, car Hipper a interdit toute communica- et Erin) serait en approche, alors que, toujours au nord-ouest, le
tion radio sur le banc. Les quatre croiseurs (dans l’ordre, les Seydlitz, Stralsund vient justement de signaler « au moins huit grosses unités ».
Derfflinger, Moltke et Blücher) progressent en ligne de file à 15 nœuds, Hipper s’alarme, car si une escadre de cuirassés de la Grand Fleet est
cap au nord-ouest, précédés à 3 nautiques par les croiseurs légers déjà sur zone, les croiseurs de bataille de Beatty ne peuvent être bien
Stralsund et Graudenz, à la tête d’un écran de 10 torpilleurs (10e et loin – en réalité, les « huit grosses unités » signalées par le Stralsund
18e demi-flottilles) et flanqués à 10 nautiques sur chaque bord par ne sont autres que les croiseurs britanniques –, or il ne dispose pas
un croiseur (Kolberg à bâbord et Rostock à tribord) et par un groupe de forces suffisantes pour affronter une escadre de navires de ligne,
de 4 torpilleurs (les Führerboote des V. et VIII. Flottillen) et des trois encore moins si Beatty est dans les parages pour lui barrer la route :
unités des 9e et 15e demi-flottilles. Les nombreux chalutiers croisés la Hochseeflotte est au mouillage, et il s’est personnellement engagé
au cours de la nuit ont ravivé les craintes d’Hipper, qui n’écarte pas à ne faire courir aucun risque à sa formation…
le risque d’avoir été signalé et de voir sa route de retraite coupée
par une escadre de cuirassés, voire par les croiseurs de bataille de
Beatty, comme à Scarborough cinq semaines plus tôt. D’autant
qu’aujourd’hui, en cas de mauvaise rencontre, le beau temps et la
visibilité exceptionnelle ne joueront pas en sa faveur : nul grain ou TAÏAUT, TAÏAUT !
banc de brouillard à l’horizon pour s’esquiver ! Le rapport du Kolberg,
signalant son échange de tirs avec l’Aurora, vient à point pour tirer 07H35 « Cap au sud-sud-est à 20 nœuds ! » Hipper a choisi la voie
l’amiral de ses préoccupations, car le croiseur est probablement au de la prudence, l’escadre allemande s’en retourne vers l’abri de la
contact des patrouilleurs du banc. L’escadre met cap au sud dans sa Jadebusen ; les croiseurs légers et les torpilleurs reçoivent l’ordre
direction, mais les messages se succèdent rapidement. Le Stralsund de naviguer en tête, l’amiral ne voulant pas exposer ses unités
signale d’épais panaches de fumée au nord-ouest ; le Blücher, en faiblement protégées au feu des navires de ligne. À 20 nœuds,
queue de ligne, rapporte lui aussi sept croiseurs et une vingtaine de il maintient la distance avec les cuirassés britanniques, et, si
destroyers sur une route parallèle hors de portée de tir. Un tel effec- nécessaire, le Blücher, bâtiment le moins rapide de la formation,

24
DOGGER BANK
LA BATAILLE DES OCCASIONS MANQUÉES
dispose encore d’une réserve de trois nœuds les chaudières sous pression : informé de la
supplémentaires. situation, l’amiral Ingenohl vient d’ordonner à
07H46 Hipper constate que la distance avec la Hochseeflotte de prendre la mer.
ses poursuivants s’amenuise peu à peu et 08H30 Quelques minutes plus tôt, les sept
réalise que ceux-ci ne sont autres que les destroyers de la 10th Destroyer Flotilla, forts
croiseurs de bataille britanniques, capables de leurs 30 nœuds de vitesse, se sont appro-
de donner 26 nœuds ! Il ordonne alors de chés à moins de 7 000 mètres sur l’arrière du
forcer l’allure. Blücher pour lancer leurs torpilles mais ont dû
07H50 Goodenough et ses croiseurs sont virer de bord sous un véritable déluge d’obus.
maintenant à 17 000 mètres sur la hanche Depuis lors, la division de Goodenough et les
bâbord du Blücher et peuvent distinctement flottilles de Tyrwhitt se tiennent prudemment
dénombrer les bâtiments allemands. « Ennemi hors de portée des croiseurs allemands, 5 nau-
en vue – 4 croiseurs de bataille – Vitesse tiques en avant des Battlecruiser Squadrons
24 nœuds ! » Beatty exulte : la visibilité et et sur le bord opposé du sillage ennemi.
l’état de la mer n’offrent aucune échappatoire Beatty, avantagé par le poids de sa volée
à l’escadre d’Hipper à moins de 13 nautiques (40 640 livres – environ 20 tonnes – pour
sur son avant. ses cinq bâtiments, contre 20 288 livres pour
08H00 La chasse est lancée. Les 1st et l’adversaire), compte sur ses canons à longue
2nd Battlecruiser Squadrons suivent une route portée pour régler le sort des croiseurs d’Hip-
parallèle, sous le vent de la formation ennemie. per. Mais, à 14 nautiques de distance, ils sont
Les Allemands s’étant fait une spécialité de encore 7 000 mètres au-delà de leur portée
mouiller des mines lorsqu’ils sont chassés, il est maximale. Pour le moment, la priorité est de
préférable de ne pas emprunter leur sillage. Par se mettre à distance de tir ; depuis le début
une brise de nord-est, naviguer sous le vent à r À bord du Derfflinger, télémètre stéréoscopique de la chasse, Beatty ne cesse de réclamer un
Zeiss de 3 m au fonctionnement similaire à celui
grande vitesse avantage les Britanniques, car, surcroît de vitesse.
d’une paire de jumelles, utilisé par la Kaiserliche
contrairement aux croiseurs d’Hipper plus pro- Marine en 1915. La Royal Navy utilise un modèle 08H10 « Lion à croiseurs – Vitesse 24 nœuds »…
ches du lit du vent, ils n’ont pas à se soucier à coïncidence Barr & Stroud de 2,70 m, d’un 08H16 25 nœuds…
d’une visibilité amoindrie par les fumées de maniement plus simple mais moins précis. Au
Dogger Bank, en dépit de l’excellente visibilité,
08H23 26 nœuds…
leurs cheminées ou de leurs tourelles. En baie les Britanniques n’en feront qu’un faible usage 08H34 27 nœuds…
de la Jade, les chauffeurs s’activent à mettre en raison des distances de tir trop importantes. 08H43 28 nœuds…
Droits Réservés

350 360° 10 20
340
0 30
33
0 40
N
Tiger 32
NNO NNE

50
31
Princess Royal 0
NO NE

60
30

New Zealand
90

70
260 270 280 2

ONO ENE

80
en direction
du Blücher O E

90 100
APRÈS 11H05 OSO ESE
250

110
0

12
24

SO SE

0
0

13
23

0
SSO SSE 14
0
22 S 15
0
0
21 160
0
200 170
180 190

Blücher à la dérive
Moore
Moore
reforme
reforme
lalaligne
ligne
In d o m
i ta b l e Lion 15
Hipper 10H58 Sombrage du
Indomitable met leaucap
SE Blücher
à la poursuite 12H07
du Blücher Escadre 11H15
allemande Derflinger
Lion quitte la ligne reprend sa route Moltke
vers la Jade Seydlitz
Changement de cap
sur ordre de Beatty Kolberg
(périscoe en vue) Stralsund
10H54 Rostock+ Graudenz
Torpedoboote
Vers
la Baie 13H00
de Jade

0 5 10km 0 2,5 5 nautiques

25
BATAILLE
24 janv. 1915

Infographies 3D : HMS Lion


© Stefan Draminski / LOS! 2012
Incapable de dépasser 26 nœuds, l’Indomitable est déjà distancé, 1 000 mètres sur son arrière, le HMS Princess Royal est encore hors
le New Zealand, malgré tous ses efforts, est lui aussi à la traîne, et de portée ; New Zealand et Indomitable sont à la traîne. Les croiseurs
aucun des trois « Cats » n’a jamais soutenu une allure supérieure britanniques quittent la formation en ligne pour se disposer en échelon
à 28 nœuds… Beatty est en train de fractionner son escadre et et inclinent légèrement leur course sur tribord pour démasquer leurs
s’apprête à prendre le risque d’engager les croiseurs allemands à tourelles arrière.
trois contre quatre. 09H05 La 1re escadre d’éclairage réplique à 18 000 mètres ; ses télémè-
08H45 20 600 yards (18 700 mètres) ! Le premier officier canon- tres stéréoscopiques sont plus performants que ceux des Britanniques,
nier du Lion vient de relever la distance à travers son télémètre et mais la fumée de ses cheminées, rabattue par le vent, contrarie les
interroge le commandant Chatfield : « Explosifs ou perforants ? », réglages. Sur Dogger Bank, la plupart des pêcheurs se sont prudem-
« Perforants ! » À ses côtés, Beatty autorise l’ouverture du feu. ment éloignés, mais de mortelles gerbes d’eau fleurissent autour des
08H52 Un des canons de 343 mm de la tourelle B effectue un tir de chalutiers les plus intrépides ; il n’est que temps de relever les lignes
réglage sur le Blücher. La colonne d’eau de 60 mètres de haut est et de faire voile vers une zone de pêche moins périlleuse !
explicite : trop court ! Quelques réglages plus tard, tandis que l’amiral 09H35 Le HMS New Zealand est parvenu à portée de tir du Blücher ;
ordonne « 29 nœuds ! », deux nouveaux obus tombent trop longs, Beatty ordonne à ses croiseurs d’engager leur vis-à-vis mais le Tiger
mais, désormais, le Blücher est encadré. ignore que l’Indomitable est toujours distancé, et, appliquant la pro-
09H05 Beatty adresse un signal général « Ouvrez le feu et engagez cédure de tir en cas de supériorité numérique, joint son tir à celui du
l’ennemi. » Deuxième croiseur de la ligne anglais, le Tiger a déjà fait Lion, en direction du Seydlitz. Cette incompréhension laisse tout loisir
servir ses canons quelques minutes plus tôt ; un peu moins de au Moltke d’ajuster ses bordées sur le Lion.
09H45 Le Lion est à 15 500 mètres quand un de ses per-
LES FAIBLESSES DE L’ARTILLERIE BRITANNIQUE
forants de 343 mm transperce la cuirasse de la tourelle D
(en poupe) du Seydlitz et enflamme un lot de gargousses ;

L
l’incendie se propage jusqu’à la soute à munitions. Les
es canons de 13,5’’ (343 mm) et 45 calibres Vickers Mark V armant les magasiniers tentent d’évacuer, mais l’ouverture des portes
« Cats » ont une portée théorique de 22 000 yards (20 000 mètres) à étanches attise le brasier qui s’étend rapidement jusqu’au
20° d’élévation. Mais en janvier 1915, dans les faits, le façonnage des magasin de la tourelle C. Sa plage arrière ravagée par les
prismes des télémètres à coïncidence Barr & Stroud limite l’efficacité des flammes, le navire amiral est à la merci d’un embrase-
optiques à 15° d’angle. En 1914, à l’instigation de Winston Churchill, ment généralisé. Trois hommes parviennent à franchir
l’amiral Fisher fait exécuter les premiers essais de tir sur cible remorquée à les flammes, atteignent les vannes et noient les soutes
16 000 yards (14 600 mètres) – limite d’emploi des télémètres – et 23 nœuds. sous 600 tonnes d’eau de mer : un unique obus vient de
Les tirs ordonnés par Beatty, à partir de 08h52, à 28 nœuds et au-delà de détruire deux de ses cinq tourelles et tuer 165 servants !
20 000 yards (18 300 mètres), sans l’aide des télémètres, constituent donc À l’arrière, le local de l’appareil à gouverner ne donne
une grande première dans la Royal Navy. plus signe de vie, mais la barre répond, et le Seydlitz est
toujours opérationnel.

26
DOGGER BANK
LA BATAILLE DES OCCASIONS MANQUÉES
09H53 « 24 nœuds ! » Maintenant qu’il est au contact secondaire et la direction de tir arrière. Le bâtiment prend
de l’ennemi, Beatty rameute tous ses croiseurs ; en de la gîte mais maintient ses 24 nœuds. Un quart d’heure
calant sa vitesse sur celle des Allemands, le HMS New plus tard, le croiseur de bataille chancelle sous un choc
Zealand et surtout l’Indomitable, toujours distancé, pour- { La classe Invincible, d’une telle violence qu’à bord tout le monde conclut au
ront reprendre leurs positions dans la ligne. à laquelle appartient torpillage : le bâtiment vient d’être atteint simultanément
l’Indomitable, est la première
10H00 Ingenohl réceptionne le message émis par Hipper à bénéficier dès 1906 d’une
par deux perforants. L’un d’entre eux a explosé dans
cinq minutes plus tôt : « Avons sérieusement besoin artillerie principale à calibre ses fonds ; les compartiments bâbord sont très vite
d’aide ! » La Hochseeflotte vient tout juste de s’enga- unique, copiée sur celle du noyés jusqu’au pont principal, et le circuit d’eau douce
cuirassé Dreadnought, soit
ger dans la passe de la baie de Jade et n’est pas en quatre tourelles doubles
des condenseurs de la chaufferie bâbord, déchiré par
situation d’établir le contact avant 14h30 ; sa réponse armées de pièces de 305 mm. des éclats, est envahi par la mer. Le second projectile
(10h03) s’effectue intentionnellement en deux temps. Ses deux tourelles par le n’a pas transpercé la cuirasse, mais la déformation des
travers sont installées en
La première partie est émise en clair, « escadres de ligne plaques de blindage a généré des voies d’eau supplé-
échelon pour autoriser le
et flottilles en route », la seconde est cryptée, « …dès tir sur les deux bords. mentaires. Cette fois, le Lion va devoir réduire son allure.
que possible ! ». Côté allemand, le Seydlitz n’est pas le seul bâtiment
10H01 Le Lion, sous le feu conjugué du Seydlitz et du s Panneaux d’écoutilles
de la formation en difficulté. À l’arrière, le Blücher est
Moltke, a déjà encaissé plusieurs obus quand un projec- en proue du Derfflinger ; soumis depuis plus d’une heure au feu des croiseurs de
tile de 28 cm, tiré par le navire amiral allemand, ouvre au premier plan, une bataille britanniques ; son gouvernail faussé l’entraîne
une brèche dans sa ceinture cuirassée sous la flottaison ; écoutille d’accès au circuit vers le nord et le contraint à effectuer des lacets pour
électrique du bord, repérée
l’entrée d’eau noie l’armoire électrique principale et court- par le symbole de l’éclair. redresser sa route. Son artillerie intacte tient à distance
circuite deux générateurs, privant de courant l’armement Droits Réservés les croiseurs de Goodenough, mais le pilonnage du New
Zealand finit par avoir raison du croiseur.
10H01 - 10H30 Un obus de 305 mm met sa tourelle de
proue hors d’usage ; peu après, un important incendie se
déclenche par son travers, sa vitesse chute à 17 nœuds,
et le Blücher perd définitivement le contact avec la ligne
de bataille allemande.
10H35 Deux projectiles transpercent le pont blindé du
croiseur et les deux niveaux contigus pour finir leur
course dans une soute à munitions ; l’explosion embrase
les deux tourelles latérales de 21 cm, tuant tous les
servants. La déflagration a endommagé les machines
et mis définitivement hors d’usage l’appareil à gou-
verner. Au même moment, alors que le Lion est de
nouveau touché, Beatty ordonne à l’escadre de fléchir
sa route de 11° en direction de l’ennemi et réclame,
dix minutes plus tard, 11° supplémentaires. La course
erratique du Blücher, isolé et ravagé par l’incendie, ne
lui a pas échappé.
10H48 L’Indomitable, qui vient de recoller à la ligne,
se déroute pour porter le coup de grâce au croiseur
cuirassé allemand.

27
BATAILLE
24 janv. 1915

2 4

28
DOGGER BANK
LA BATAILLE DES OCCASIONS MANQUÉES

1/ BLOCKHAUS ET DIRECTION DE TIR PRINCIPALE,


AVEC TÉLÉMÈTRE 9 PIEDS

2/ TOURELLE B DE 343 MM (13,5 INCHES)

3/ CVII
ANONS DE 4 INCHES/50 (102 MM) BL MARK
EN RÉDUIT (PORTÉE : 10 600 M)

4/ TOURELLE A DE 343 MM (13,5 INCHES)

5/ OBSERVATOIRE DE TIR

6/ CHALOUPE DE 34 PIEDS (10,2 M)

7/ DT'
ANGON POUR LE SERVICE DES EMBARCATIONS.
ÉPLOYÉS AU MOUILLAGE, LES TANGONS SONT GARNIS
D UNE LIGNE DE VIE ET D'ÉCHELLES DE CORDE.

8/ P( -
LATE FORME COMPAS
INSTALLATION TARDIVE POSTÉRIEURE À DOGGER BANK)

9/ PASSERELLE DE NAVIGATION

8
10/ P ASSERELLE DE VEILLE ET CHAMBRE DES CARTES

11/ P ROJECTEURS DE 61 CM (24 POUCES)

12/ C HAMBRES DE VEILLE DE L'AMIRAL


ET DU CAPITAINE DE PAVILLON
9

10 11

12

29
BATAILLE
24 janv. 1915

LES TROIS ERREURS DE BEATTY


Jusqu’à présent, la chasse s’est parfaitement déroulée,
mais la belle ordonnance britannique ne va pas tarder à
se fissurer.

10H52 Le Lion a déjà encaissé 14 projectiles ; les


3 000 tonnes d’eau qui se sont engouffrées par son
flanc blessé le font gîter de 10° sur bâbord ; sa dernière
dynamo, noyée, rend l’âme, privant tout le bâtiment
d’électricité. Puis les turbines de la machinerie bâbord
cèdent à leur tour : le croiseur se traîne désormais à
15 nœuds, et Beatty est contraint de s’écarter pour laisser
le Tiger prendre la tête de la ligne anglaise. Il est immédia-
tement la cible des croiseurs allemands. Successivement,
un projectile défonce le toit de la tourelle Q [8], un autre
explose dans le local des renseignements, tuant tous les
occupants, un troisième déclenche un énorme incendie
dans le chantier des embarcations, entre les deux chemi-
nées arrière. En se consumant, les canots génèrent une
telle quantité de flammes et de fumées que l’état-major
du Moltke considère le Tiger mortellement touché et le r Bordée arrière d’un 11H07 Informé du changement brutal de route de l’escadre
mentionnera comme coulé dans son rapport de combat ! bâtiment allemand. Au britannique, Hipper présume que Beatty cherche à se
premier plan, les pièces
En réalité, après avoir réduit en cendres toutes les annexes d’une tourelle jumelée ;
mettre hors de portée des torpilleurs allemands et suspend
du bord, l’incendie s’éteindra faute de combustible un les deux autres tubes leur attaque. Porter secours à l’infortuné Blücher tient
quart d’heure plus tard. visibles sont des canons de la gageure : sa division est en infériorité numérique
10H54 Un reflet attire le regard de Fisher. « Périscope de 15 cm en réduits. Les
chandeliers et les filières
patente, le Derfflinger est sérieusement touché, le Seydlitz
par tribord avant ! » [9] Le signal « Modifier route de de bastingage ont été a embarqué 600 tonnes d’eau de mer, ses deux tourelles
8 points [env. 90°] sur bâbord » flotte bientôt au mât soigneusement rabattus arrière sont hors d’usage, il ne lui reste que 200 obus de
du Lion. Privé de TSF et de lampes à signaux, l’amiral pour les protéger du souffle. 28 cm dans les soutes, l’infirmerie et les coursives sont
Droits Réservés
transmet ses ordres à l’aide de pavillons. La méthode a encombrées de mourants et de blessés, seul le Moltke
largement fait ses preuves par le passé, avec des esca- est indemne, et la Hochseeflotte n’a toujours pas donné
dres naviguant à 10 nœuds et l’aide de frégates pour signe de vie… À vouloir sauver le Blücher, Hipper risque
prolonger les signaux. Mais 28 nœuds, sans répétiteur de perdre toutes ses unités.
– tous les escorteurs britanniques sont sur le bord au 11H10 La mort dans l’âme, il ordonne de mettre la barre
vent des Allemands – et au milieu des embruns et des sur Wilhelmshaven.
panaches de fumée, le déchiffrage des pièces d’étami-
nes devient un exercice très compliqué, d’autant que le
Lion est déjà à trois nautiques (5,5 km) sur l’arrière de
sa formation… Comble de malchance, deux coffres à MISE À MORT
signaux s’étant volatilisés durant la canonnade, les timo-
niers du Lion ne disposent pas des pavillons nécessaires Blessé, le Blücher n’est pas en mesure de fuir. Depuis
pour envoyer la seconde partie du signal, « Attention qu’il dérive au nord, il est engagé dans un duel d’artil-
– sous-marins ». L’ordre intrigue, mais Beatty, qui n’a lerie à 11 000 mètres avec les quatre croiseurs légers
pas délégué son commandement au contre-amiral Moore de Goodenough. Deux de ses six tourelles de 21 cm
à bord du New Zealand, reste seul décideur, et l’escadre, sont encore opérationnelles et restent redoutablement
disciplinée, met cap au nord. efficaces.
10H58 Hipper n’a pas l’intention d’abandonner le Blücher à
son sort, et toute sa formation met la barre au sud-ouest, r « Engager [ennemi] 11H05 Le feu du Blücher contraint Goodenough à reculer
et, à 11h00, les torpilleurs se déploient sur son avant, au plus près. » Signal de 4 500 mètres alors qu’il est rejoint par l’Arethusa de
hissé par le HMS Victory
en formation d’attaque. de Nelson à 12h15, le
Tyrwhitt et quatre destroyers de la 10e flottille. Un quart
11H02 Constatant que ses consignes ont été mal interpré- 21 octobre 1805 à Trafalgar. d’heure plus tard, la flottille attaque le Blücher, tandis que,
tées, Beatty fait envoyer sur une drisse « Route N-E », s’approchant à 2 000 mètres, l’Arethusa le truffe d’obus
pour ramener ses bâtiments dans le sillage de l’ennemi, de 152 mm puis lance deux torpilles. Le HMS Meteor,
et sur la drisse voisine « Attaquer Arrière Ennemi », pour

LA CONTROVERSE DE L’HYDRAVION
les exhorter à combattre. Mais, à cinq nautiques de là, les
deux signaux distincts n’en font qu’un dans les jumelles

L
des veilleurs, pour devenir « attaquer l’arrière de l’en-
nemi en route au N-E ». Le Blücher, désemparé, dérive e bombardement effectué par un hydravion allemand lors des opérations
alors à environ 7 000 mètres, au nord-est. Dans un bel de sauvetage soulèvera une polémique, les Britanniques accusant la
ensemble, la ligne anglaise abandonne la poursuite et se Marine allemande d’avoir contrecarré la récupération des survivants en
rue sur l’infortuné Blücher. Beatty tente de corriger leur les contraignant à suspendre le sauvetage en cours. En approche peu
route en faisant hisser le signal de Nelson à Trafalgar, avant le chavirage du Blücher, l’équipage de l’aéronef – probablement
« Engager l’ennemi au plus près », mais, en 1915, le célè- un Friedrichshafen FF.33 basé sur l’île de Borkum – se serait mépris sur la
bre message a disparu du code des signaux de la Royal nationalité du croiseur, seul bâtiment allemand équipé d’un mât tripode, une
Navy ! En désespoir de cause, son aide de camp suggère disposition courante sur les navires de ligne britanniques. Les quelques bombes
d’envoyer « Rester plus proche de l’ennemi », mais il est de 8 kg lâchées à la main par l’observateur ne causeront apparemment ni
trop tard. La passerelle du Lion est noyée dans la fumée, dégâts, ni pertes humaines.
et le croiseur est maintenant hors de vue de son escadre.

30
DOGGER BANK
LA BATAILLE DES OCCASIONS MANQUÉES

le destroyer du chef de flottille, est désemparé par un tir r 12h47. Photographié l’escadre allemande est désormais hors d’atteinte à
direct explosant dans sa chaufferie principale, mais sept depuis le HMS Arethusa, 15 nautiques (plus de 27 kilomètres) de là. Elle fera
le Blücher, frappé par
autres « anguilles » font mouche. Le calvaire du Blücher, 70 obus de 305 et 343 mm,
jonction à 15h30 avec la Hochseeflotte et mouillera en
dorénavant privé d’électricité, ne fait que commencer ; sept torpilles de 533 mm et baie de la Jade la nuit venue.
les Tiger, Princess Royal, New Zealand et Indomitable ravagé par les incendies, 16H30 L'Indomitable prend le Lion en remorque. Informé
l’encerclent comme à l’exercice, et leurs 32 pièces de chavire avant de sombrer par l’Amirauté d’une possible attaque nocturne allemande,
quelques instants plus tard.
gros calibre entrent en action. Depuis le milieu de la mati- Tandis que les survivants Jellicoe a détaché des unités de la Grand Fleet ; c’est
née, le Zeppelin L-5 (LZ 28) suit l’escadre allemande sur tentent d’enjamber le donc sous la protection d’une armada de 13 croiseurs
son bord septentrional pour éviter de se retrouver sur la bastingage, la gîte fatale du légers et 77 destroyers que les deux croiseurs mettent
croiseur révèle les brèches
trajectoire des obus. Effectuant une patrouille de routine le cap, à cinq nœuds, sur l’estuaire de la Forth, qu’ils ne
et les déformations infligées
en mer du Nord, il s’est dérouté après avoir intercepté le à sa carène par les impacts rallieront que le mardi 27 janvier peu après minuit.
message adressé par Hipper à Ingenohl. sous la ceinture de flottaison.
11H05-11H07 Le dirigeable se laisse un peu trop porté vers
les croiseurs de Goodenough, et la DCA le force à se
réfugier dans les nuages, d’où il assiste, impuissant [10], RÉPERCUSSIONS
à la mise à mort du croiseur allemand.
12H45 La punition du Blücher dure depuis une demi-heure L’aspect inachevé de la mission ne satisfait guère l’Ami-
quand Tyrwhitt signale que l’Allemand amène ses cou- rauté ; elle reproche à Moore, qui n’y peut mais, son
leurs ; Moore ordonne le cessez-le-feu. Le croiseur donne manque d’initiative ; à Pelly, commandant du Tiger, de
fortement de la bande, ses superstructures sont ravagées, ne pas avoir engagé le Moltke ; à Beatty, le changement
et les flammes des incendies jaillissent par les brèches de route de son escadre dont un mystérieux sous-marin
ouvertes dans ses flancs. serait la cause. Le pouvoir politique, par contre, a un
12H47 Le Blücher chavire, flotte quelques minutes quille urgent besoin de victoire et de héros pour s’assurer de
en l’air puis sombre rapidement dans les eaux glaciales [8] Les quatre tourelles
la santé morale de combattants et d’une population trau-
de la mer du Nord. Des 1 200 hommes qui constituaient axiales sont repérées matisés par les longues listes de morts sur le front. En
l’équipage du croiseur cuirassé, les torpilleurs britanniques A-B-Q-Y à partir de la proue. quelques heures, la bataille du Dogger Bank est promue
parviennent à en sauver 234, mais bon nombre d’entre au rang de fait d’armes exceptionnel et Beatty consacré
[9] Or, aucun sous-marin ne
eux, frappés de pneumonie, succomberont quelques navigue ce jour-là dans le
« Nouveau Nelson ». Fin février, le contre-amiral Moore
jours plus tard. secteur. Beatty persistera est discrètement débarqué de la Grande Fleet et se voit
11H52 Sans nouvelle de Beatty depuis que le Lion a été dans sa version des faits confier le commandement d’une petite escadre de croi-
perdu de vue, Moore reforme la ligne de bataille avec dans son rapport à l’Amirauté. seurs stationnée aux Canaries, où il n’aura pas la moindre
Il aurait peut-être été leurré
le New Zealand en tête et fait route à 20 nœuds vers par une torpille tirée à 10h40 chance d’apercevoir jusqu’à la fin du conflit la silhouette
le dernier relèvement connu du navire amiral. À midi par le Torpedoboot V-5 d’un quelconque navire de guerre ennemi…
pile, sur la base d’un appel radio mal interprété entre un (9e demi-flottille), et dérivant Le 2 février 1915, les amiraux Eckermann et Ingenohl,
sous-marin britannique et l’Amirauté, il câble : « Rapports en surface après avoir épuisé relevés de leurs commandements sur ordre du Kaiser,
sa réserve de vapeur.
[confirment] sortie Flotte de Haute Mer. Me retire. » Son payent pour la perte du Blücher et de 1 300 hommes. Le
message plonge Londres dans la consternation, car si [10] Le L-5 embarque des mythe de l’espion à la solde des Anglais est plus fort que
Moore est l’émetteur, qu’en est-il de Beatty ? bombes, mais, avec un jamais au sein de la Kaiserliche Marine, qui, à la lumière
plafond nuageux à moins de
12H33 Beatty, qui s’est fait transborder sur le des- 390 mètres, les risques d’être
des rapports de combat, révise à la hausse la dotation
troyer Attack, hisse sa marque sur le Princess Royal. atteint par des projectiles en projectiles de ses navires de ligne et procède au réa-
Un instant, il envisage de reprendre la poursuite, mais antiaériens sont trop élevés. ménagement de leurs soutes à munitions. ̈

31
BATAILLE
24 janv. 1915

1/ P
ROJECTEURS JUMELÉS DE 24 POUCES (61 CM)

2/ C
ANON DE 6 LIVRES (57 MM) QF HOTCHKISS MARKS I/II (DCA).

3/ C
ANON DE 102 MM (4 INCHES) EN RÉDUITS

4/ T
OURELLE DE POUPE X (2 X 343 MM)

32
DOGGER BANK
LA BATAILLE DES OCCASIONS MANQUÉES

5/ (12 42) ( 12,6 ) 6


CHALOUPE DE PIEDS M À BANCS DE NAGE
RAMEURS OU NAVIGUANT À LA VOILE

6/ V ' - 50 (15 )
EDETTES À VAPEUR DE PIEDS M
RÉSERVÉES À L ÉTAT MAJOR ET AUX PERSONNALITÉS

7/ G - 5 36 (10,80
AVIRONS 10
)
RANDE CHALOUPE DE PIEDS
-
BANCS DE NAGES ET
M MANŒUVRÉES AUX
RAMEURS OU À LA VOILE.

8/ P ASSAVANT DU CHÂTEAU ARRIÈRE RECOUVERT DE LINOLÉUM

5
9/ P T R 4 (102 )/50 M VII
IÈCES DE INCHES
À IR APIDE EN RÉDUITS
MM ARK

10/ T 9 (2,70 B ) & S ,


ÉLÉMÈTRE À COÏNCIDENCE ARR
ENVERGURE PIEDS M
TROUD

10
6

8
9

12

11
13

11/ T
ANGONS DE FILETS PARE-TORPILLES

12/ É
CRAN PARE-SOUFFLE
14

13/ T
OURELLE Q

14/ C
OMPAS THOMSON
33
AÉRONAVALE
1941-1945

Infographies 3D © Stefan Draminski / LOS! 2012


Profils d'avions couleurs © JMGuillou
Sauf mention contraire, toutes photos : US Nara

34
LES PORTE-AVIONS JAPONAIS
FER DE LANCE DE LA MARINE IMPÉRIALE

dans celle de leur doctrine d’utilisation. Leur émergence


est en effet jalonnée de doutes, d’hésitations quant à

FER DE LANCE leur rôle. Si « un temps de maturation tactique succède


nécessairement à l’apparition de nouvelles technolo-
gies » [3], alors nous pouvons affirmer qu’aucun des
grands bâtiments de combat aéronaval japonais n’a été
employé conformément à son concept originel.

DE LA MARINE IMPÉRIALE KANTAI KESSEN :


PAR FABRICE JONCKHEERE STRATÉGIE INDIRECTE
ET BATAILLE DÉCISIVE

L
La vision maritime japonaise s’intègre dans un ensem-
ble géostratégique, celui d’un archipel ouvert aux inva-
E PORTE-AVIONS EST CONSIDÉRÉ AUJOURD’HUI sions. De ce fait, toute défense nécessite une force de
COMME LA PIÈCE MAÎTRESSE DE TOUTE projection maritime. Cette réflexion, amorcée dès 1791
par l’ouvrage Kaikoku Heidan (De la défense des pays
FLOTTE. IL N’EN A PAS TOUJOURS ÉTÉ maritimes) d’Hayashi Shihei, est approfondie par les
AINSI. SI LA SECONDE GUERRE MONDIALE stratèges de l’ère Meiji qui comprennent très tôt qu’ils
ne peuvent mener que des guerres limitées, eu égard à
A PERMIS D’EN SAISIR LES PLEINES POTENTIALITÉS, leurs ressources. Ils reprennent donc à leur compte une
SON ÉMERGENCE DANS LES ANNÉES 1920 A SUSCITÉ notion traditionnelle de la pensée stratégique chinoise,
celle de la stratégie indirecte [4], qui repose sur la doctrine
DANS LES ÉTATS-MAJORS MAINTS QUESTIONNEMENTS de « défensive-offensive », et selon laquelle les opéra-
ET INCERTITUDES. PIONNIERS DANS LE DOMAINE, LES tions navales se déclinent en trois temps : préparer et
concentrer ses forces ; attendre l’ennemi ; le surprendre
JAPONAIS NE FONT PAS EXCEPTION. QU’EN EST-IL DU et amenuiser son potentiel offensif dans l’optique d’une
PORTE-AVIONS DANS LE CADRE DE LA DOCTRINE NAVALE bataille décisive.
Se référer à Clausewitz puis à Sun Tzu permet de
NIPPONE DE LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XXE SIÈCLE ? comprendre que cette notion est une ligne direc-

«
trice de la stratégie japonaise. En effet, si « l’action
offensive menée dans le cadre d’une guerre défen-
Pearl Harbor, une attaque- { Page du Sangoku Tsūran sive doit être nommée défensive », Sun Tzu consi-
surprise préméditée de lon- Zusetsu (Aperçu général des trois dère aussi dans l’Art de la Guerre que l’excellence
royaumes), paru en 1785. Ce
gue date […] qui renouvelait second traité, fameux, du guerrier suprême consiste à gagner sans combattre, et qu’ainsi
avec les moyens moder- et stratège visionnaire Hayashi gagner toutes les batailles n’est pas la meilleure chose.
nes celle dirigée contre les Shihei est l’une des premières
tentatives pour définir le Japon
Russes à Port-Arthur en 1905, provoqua en fonction de ses frontières
l’entrée des États-Unis dans la Seconde externes. L’auteur récidive en
Guerre mondiale. » [1] Cette assertion est 1791 avec un troisième et dernier
traité, De la défense des pays
un exemple de la vision, à plusieurs égards maritimes, qui aborde la part
erronée, d’une doctrine navale traditionnelle essentielle du combat maritime
nippone de « préméditation » qui aurait tou- dans la défense japonaise.
Droits Réservés
jours privilégié, dans le cadre d’une politique
d’agression, la stratégie d’attaque-surprise
[1] Source Mémorial de Caen :
et la réédition de l’usage des navires de ligne http://www.memorial-caen.fr/
par des « moyens modernes », c’est-à-dire le pearl_harbor/ph1.htm
porte-avions et les flottes embarquées.
[2] Kempf (O.), Surprise dans
Balayons d’un revers de main cette thèse le champ stratégique, Études
culturaliste de l’attaque-surprise préméditée Géopolitiques Européennes et
propre aux Japonais : les attaques de la baie Atlantiques, 2011 : http://www.
egeablog.net/dotclear/index.
d’Heligoland en 1914, de Mers el-Kébir ou php?post/2011/08/02/
du golfe de Tarente par les Britanniques suf- SUrprise-dans-le-champ-
fisent à l’invalider. En effet, les événements strat%C3%A9gique
du 7 décembre 1941 ne constituent qu’une [3] Prazuck (C.), L’attente et
action « à l’intérieur du champ stratégique le rythme. Modeste essai de
(dans le cas d’une hostilité déclarée) » [2], chronostratégie, 2005, http://www.
stratisc.org/strat068_Prazuck.html
dans la tradition des attaques navales de flot-
tes à l’ancre. Il est plus pertinent en revanche [4] Selon Couteau-Bégarie (H.),
d’étudier le champ d’application doctrinal qui « la stratégie indirecte est celle
qui opère aussi bien du fort au
y a conduit ainsi que l’application matérielle faible que du faible au fort, en
qui en découle, en d’autres termes, l’usage vue, dans le premier cas, de
de l’arme aéronavale dans le cadre de la déstabiliser ou d’affaiblir l’ennemi
avant de lui porter le coup décisif
stratégie qui l’emploie. La question de l’utilité et, dans le deuxième, de durer
des porte-avions trouve donc son corollaire pour fatiguer l’adversaire ».

35
AÉRONAVALE
1941-1945

r L’escadre navale russe


IDENTIFIER L’ENNEMI :
Testutarô Sato, l’un des fondateurs de la doctrine navale
japonaise, théorise la doctrine de défensive-offensive dans impériale qui mouille en
Chine, à Port-Arthur, est

RUSSIE OU ÉTATS-UNIS ?
son opuscule Teikok kokubô ron (De la défense impériale) surprise et envoyée par le
en 1902. Conscient qu’il est plus facile de se défendre fond par la flotte de guerre
par anticipation, il estime que « pour une nation insulaire japonaise en février 1904.
Museum of Fine Arts, Boston
comme le Japon, une action défensive opérant au large La doctrine japonaise de la première moitié du XXe siècle
constitue l’unique défense ». La doctrine de l’offensive- cherche à identifier quel pourrait être l’ennemi à la dan-
défensive prône, quant à elle, l’usure des forces adverses, gerosité maximale, c’est-à-dire celui qui dispose d’une
suivie d’une bataille navale décisive. Cette dernière répond puissance supérieure à celle de l’Empire. Deux possibili-
à la nécessité d’échapper à la contrainte (un état de fait tés se font jour : une puissance continentale, la Russie,
imposé par l’ennemi) par la protection de sa marge de et une puissance maritime, les États-Unis, ce qui va
manœuvre : il est impératif de mener des actions offen- engendrer une grande rivalité au Japon entre la Marine
sives limitées dans le temps et l’espace afin d’asseoir et l’armée de Terre : la première souhaite une marine
les bases de sa position défensive. Dans cette logique, s Stratège naval de renom, orientée vers des missions de contrôle des eaux élargies
l’amiral Alfred Thayer Mahan
la bataille décisive n’est pas un absolu mais un moyen et des routes de communication, tandis que la seconde
est à l’origine d’un courant
de parvenir à la position stratégique la plus avantageuse. de pensée développé dans souhaite cantonner la flotte à la défense statique de
Or, cette fin conditionne la composition de la flotte. En les années 1890, fondé sur l’archipel en lui refusant toute capacité offensive. Tout
effet, à l’orée de ce siècle, deux grandes écoles de pensée la nécessité, pour les États- cela va avoir comme conséquence une imprécision sur
Unis, de contrôler les océans
s’affrontent selon Couteau-Bégarie [5] : alentour afin de protéger
le rôle de la flotte et sur sa composition idéale, or l’état-
« – une méthode réaliste ou matérielle, qui part des leurs routes commerciales. major de la Marine l’énonce très clairement en 1904 :
matériels existants pour formuler une doctrine adaptée Dans ce cadre, la possession « La décision de commencer une guerre devrait être
aux exigences de l’heure et qui s’incarne dans la Jeune des îles Hawaii, verrou prise en fonction de la politique impériale et non pas
de l’océan Pacifique, lui
École française. paraît indispensable. simplement en fonction de considérations stratégiques. »
– une méthode historique, qui essaie de formuler les LOC En d’autres termes, les orientations politiques l’empor-
lois universelles du combat naval et du développement tent sur les considérations purement
maritime et qui s’incarne dans l’œuvre de l’Américain stratégiques, et de ce fait, l’ennemi
Alfred T. Mahan, qui va connaître un rayonnement principal est déterminé par la situation
universel. » politique internationale. Si le gouver-
Après maintes tergiversations, l’état-major nippon opte, nement estime que la première ligne
en 1907, pour une synthèse de ces deux écoles, en éla- de défense passe par la Corée, alors
borant le concept de Rengō Kantai, ou flotte combinée, il a tout lieu de s’inquiéter de l’expan-
qui forme l’ossature du Kaisen Yomurai (« Règles de la sionnisme russe dans cette région. La
Marine japonaise pour la guerre navale »), la doctrine guerre qui s’ensuit règle le « problème
tactique de référence jusqu’en 1941. Qu’est-ce qu’une russe » et permet de valider la doctrine
flotte combinée ? Il s’agit d’une flotte composée de navale officielle jusque-là théorique.
navires de tailles et de types différents auxquels sont Après 1905 et l’écroulement de
attribuées des missions complémentaires. C’est ainsi que la Russie impériale, les États-Unis
la Dai-Nippon Teikoku Kaigun (la Marine impériale japo- deviennent le principal adversaire,
naise [6]) se dote de torpilleurs, de navires légers et fait en raison de leur présence aux
des cuirassés et des croiseurs le fer de lance de sa flotte. Philippines et la stratégie de défense
La tactique adoptée est la suivante : les torpilleurs doivent s’axe donc davantage autour de la
affaiblir l’ennemi au préalable par des attaques-surprises, marine. Les Américains n’en font
tandis que les croiseurs harcèlent les navires hostiles au pas mystère : contrôler le Pacifique
large. Les grands bâtiments engageront alors ensuite la est un de leurs objectifs. Le général
bataille décisive avec un adversaire amoindri. Arthur MacArthur [7],gouverneur des

36
LES PORTE-AVIONS JAPONAIS
FER DE LANCE DE LA MARINE IMPÉRIALE

r La bataille navale de Tsushima s’achève par une victoire totale


du Japon : la flotte de la Baltique disparaît entièrement, coulée,
sabordée ou capturée, à l’exception de trois bâtiments. Privé de
l’essentiel de ses forces, le gouvernement russe n’a d’autre choix
que d’entamer des négociations pour mettre fin à la guerre.
Museum of Fine Arts, Boston

w Comme la « jeune école » française, la Marine impériale


mise, au début du siècle, sur une nouvelle arme, la torpille, qui
semble avoir fait ses preuves durant la guerre russo-japonaise.
Museum of Fine Arts, Boston

Philippines en 1900, énonce d’ailleurs devant le Sénat


que « la position stratégique des Philippines dépasse
toute autre sur le globe » [8]. Les stratèges nippons Navy Gunnery School de Portsmouth – et Matsumura
étudient et synthétisent dès 1902 les articles parus dans Kikuo à Paris, observent ces tentatives et envoient des
les revues navales américaines et élaborent le premier rapports circonstanciés à Tokyo afin de sensibiliser
Plan impérial de défense nationale en 1907. Suite à l’état-major à cette nouvelle arme. Mais c’est le capi-
l’analyse du « Plan secret américain de guerre dans les taine de corvette Yamamoto Eisuke, neveu de l’amiral
Caraïbes », transposé en 1906 en « Plan orange » pour [5] Couteau-Bégarie (H.), Yamamoto Gonbei, qui peut véritablement être consi-
la zone Pacifique, ils en concluent que les États-Unis « Les lignes directrices de la déré comme le fondateur de la politique aéronavale
pensée navale au XXe siècle »,
implantent des bases navales avancées (Guam, Hawaii, japonaise. À l’instar de certains de ses confrères, il
Guerres mondiales et conflits
les Philippines) afin d’y stationner leur flotte et en dédui- contemporains 1/2004 pressent le potentiel énorme qu’aura l’aérien dans les
sent, qu’en cas de conflit, il leur faut les détruire ou les (n° 213), pp. 3-10. guerres navales, ainsi que le rôle décisif des aéronefs et
occuper, réduire l’escadre du Pacifique, puis barrer la des sous-marins dans la mutation en trois dimensions
[6] Très souvent désignée par
route à une flotte de secours en en diminuant la puis- l’acronyme IJN, pour Imperial
des théâtres d’opérations.
sance durant sa marche à travers le Pacifique. Le projet Japanese Navy. Cependant, suite aux constatations faites à l’étranger
est d’attirer la flotte américaine de renfort à l’endroit de l’emploi massif de l’hydravion, et conformément à la
voulu, l’amoindrir par des attaques de torpilleurs et de [7] Père du fameux Douglas doctrine de la supériorité navale du cuirassé, peu d’étu-
MacArthur, qui deviendra
destroyers et l’anéantir dans une bataille finale menée lui-même maréchal de l’Armée
des sont menées pour constituer une flotte adéquate de
par les grands navires de ligne. philippine en 1936. navires porteurs. Si l’on s’interroge sur les possibilités
d’équiper des navires de ligne de plates-formes d’atter-
[8] Wilden (A.), « La guerre rissage, la priorité est accordée aux navires-ravitailleurs
du 20e siècle et penser la

L’ADOPTION DES PORTE-AVIONS stratégie », Anthropologie et d’hydravions. En effet, l’incapacité à se doter de navires
Sociétés, vol. 7, n° 1, 1983, pourvus de pistes longues contraint la flotte à naviguer

PAR LA MARINE IMPÉRIALE


p. 18. près de côtes pourvues d’aérodromes. Pour contour-
ner ce problème, l’hydravion reste l’unique vecteur
[9] Rodger (N.), Formes
et fonctions des navires indépendant de la terre. Ce type d’appareil est donc
Le spécialiste de la marine Nicolas Rodger considère européens du milieu du privilégié. Le premier navire porte-aéronefs japonais est
que la conception d’un navire de guerre suit trois éta- XVIIe siècle au début du ainsi le Maru-Wakamiya, un cargo russe transformé
XIXe siècle (1660-1845),
pes : un processus politique qui élabore la politique en 1913. Capable de transporter quatre hydravions, il
Revue d’histoire maritime n° 7,
étrangère et le moment opportun de mise en place d’un Presses de l’université Paris- dispose néanmoins sur le gaillard avant d’une courte
programme de construction selon un budget défini ; un Sorbonne, 2007, p. 83. piste permettant le décollage d’un avion conventionnel.
processus d’état-major qui définit les moyens, les types
et modalités d’utilisation des navires ; et un processus
technique de conception des navires par les bureaux
d’études, dépendant des ressources, des savoir-faire
QUELQUES ÉVÉNEMENTS FONDATEURS
et des contingences imposées par l’état-major [9]. w 28 MARS 1910 : premier décollage depuis une surface liquide, sur l’étang de
Le développement du porte-avions en tant que tel ne Berre près de Marseille, du Canard, l’ancêtre de tous les hydravions.
w
déroge pas à la règle. 30 JUIN 1910 : premier bombardement (factice) d’un navire de guerre sur
Les premières réflexions autour du rôle militaire de le lac Keuka (USA).
l’avion datent d’avant le premier conflit mondial.
w 14 NOVEMBRE 1910 : premier décollage d’un aéronef depuis un navire, le
Des officiers postés à l’étranger, comme les capitai-
croiseur USS Birmingham.
nes de corvette Hisatsune Iida – résidant à la Royal

37
AÉRONAVALE
1941-1945

| et } C’est à partir du
À cette époque pionnière, la dimension stratégique du premier porte-avions, le Hōshō (« Phénix volant »), mis
porte-aéronefs n’est pas alors perçue, et, en pleine guerre Wakamiya, un cargo sur cale le 16 décembre 1920 et lancé le 13 novembre
mondiale, la rupture décisive est encore une mission modifié en transporteur 1921. Plusieurs facteurs politiques et géostratégiques
dévolue aux cuirassés et aux croiseurs rapides. d’hydravions, que fut lancé, contribuent à accélérer ce processus de maturation
en septembre 1914, le
Un rapport américain de 1919 nous éclaire sur les rôles premier raid aéronaval de la militaire : ainsi, à l’occasion de la Conférence de Paris
laissés aux avions et à leurs transports maritimes [10] : Grande Guerre. de 1919, le Japon, pays allié, demande à ce que soit
être les yeux de la flotte par des missions de reconnais- Droits Réservés inscrit dans la charte de la future Société des Nations le
sance ; constituer des bases aériennes en mer à partir principe de l’égalité des races, mais cela lui est refusé.
desquelles il serait possible de bombarder les troupes au L’opposition à cette requête provient essentiellement
sol et de lancer des combats aériens ; observer le dérou- des nations anglo-saxonnes, Australie et États-Unis en
lement des opérations. Il n’est donc pas question de lutte tête, et l’expression proposée est alors supplantée par
antinavires mais d’appui, et la Marine impériale donne « égalité des nations ». La question, d’apparence anodine,
aux porte-aéronefs une mission attribuée initialement est explosive, puisqu’elle touche au droit des Japonais à
aux Keigoshū (littéralement « gardiens du groupe ») : émigrer : depuis 1907, les ressortissants japonais sont
la protection des navires de débarquement et du gros dispensés de la possession d’un passeport pour entrer
de la flotte. aux États-Unis en vertu du Gentleman’s Agreement. Or,
en 1924, est voté l’Immigration Act, qui réduit de fa-
çon humiliante le nombre de Japonais autorisés à entrer
s Le SMS Ostfriesland,
LE RÉARMEMENT
sur le sol américain (une centaine par an tout au plus).
ancien cuirassé de la L’animosité entre les deux pays est alors très forte, et,
Kaiserliche Marine, est coulé
DE LA DÉSILLUSION
dans ses mémoires, Hiro-Hito y verra l’une des causes
au cours d’un exercice de
frappe aérienne le 21 juillet
de la Seconde Guerre mondiale.
1921. C’est le général de l’Air Les raisons stratégiques influent de même sur l’intérêt
Donnant suite aux enseignements issus de la Grande Service Billy Mitchell qui est nippon pour les armes nouvelles. Les possessions al-
Guerre, les principales marines s’intéressent davantage, à l’origine de cette initiative, lemandes dans le Pacifique Sud (Carolines, Marshall,
persuadé depuis longtemps
dans les années 1920, aux potentialités du porte-avions. que l’avion est un outil idéal Mariannes, Palau) passent sous mandat japonais en 1919.
En effet, la motorisation accrue des appareils nécessite pour couler des bâtiments de Ce transfert modifie l’équilibre des intérêts géopolitiques
des plans d’atterrissage et de décollage plus longs, ce guerre. Le même Mitchell, dans la région. Si comme le dit l’amiral Mahan, les com-
que ne peuvent leur fournir les plates-formes installées à décidément visionnaire, munications sont « l’élément le plus important dans la
prédira dès 1924 une guerre
l’avant des navires de ligne. De plus, le 21 juillet 1921, avec le Japon et l’attaque sur stratégie, politique ou militaire », la flotte américaine
huit bombardiers américains coulent, à titre de démons- Pearl Harbor. des Philippines ne peut être considérée que comme une
tration, le cuirassé SMS Ostfriesland. Son pont blindé,
supposé résister aux plus grosses salves d’artillerie
navale, ne peut encaisser les bombes spécialement
conçues pour le percer. La preuve de la vulnérabilité
des navires de ligne est désormais apportée ! Enfin,
précurseurs dans le domaine, les Britanniques consta-
tent que la bataille du Jutland (1916), loin d’avoir été
décisive, n’a été qu’une confrontation sans lendemain,
puisque le cuirassé n’a pas réussi à emporter la victoire
tant espérée. Un vif débat entre conservateurs et nova-
teurs s’ensuit, et la Royal Navy conçoit le porte-avions
tel que nous l’entendons aujourd’hui. Mis en service
en 1918, le HMS Argus est le premier porte-avions
à pont continu capable d’accueillir et de lancer des
avions à train classique. C’est une révolution, car il
est désormais possible d’augmenter les cadences de
décollages ainsi que la capacité d’emport.
Conseillés par les Anglais depuis l’accord naval de
1902, les Japonais requièrent une mission techni-
que. C’est chose faite en 1921, lorsque la délégation
« Sempill », du nom de son responsable, instruit et
aide la flotte impériale à finaliser la construction de son

38
LES PORTE-AVIONS JAPONAIS
FER DE LANCE DE LA MARINE IMPÉRIALE

épée pointée sur les lignes de communication japonaises. r Premier bâtiment de « Capital Ships », c’est un vaisseau « conçu comme un
L’augmentation et le renouvellement de la flotte sont donc guerre à avoir été conçu navire de guerre d’un déplacement de plus de 10 000 ton-
des impératifs, et les années immédiates d’après-guerre dès l’origine en tant que nes standard, élaboré dans le but spécifique et exclusif
porte-avions, le Hōshō, mis
seront caractérisées par un réarmement général. En 1920, en service le 27 décembre du transport d’avions. Il doit être construit de telle sorte
les États-Unis, qui possèdent déjà 25 cuirassés, lancent 1922, place le Japon en que les aéronefs peuvent être lancés et atterrir mais n’est
un programme de construction navale (6 cuirassés et pointe dans le domaine pas conçu et construit pour le transport d’un armement
4 croiseurs de bataille) censé leur assurer la supériorité de l’aviation navale. plus puissant que celui autorisé par l’article IX (pas plus
IJN Archives
absolue. Or, les Japonais considèrent depuis le début du de huit canons de six pouces de calibre) et l’article X
siècle qu’il leur faut posséder une flotte égale à 70 % (aucune arme de plus de huit pouces de calibre) » [11].
de celle de leur adversaire principal… Ne disposant que Bien évidemment chaque pays va tenter de contourner
de 12 cuirassés, ils lancent alors le programme « 8-8 » ces limitations. Puisqu’il est restreint en tonnage, le Japon
(8 cuirassés, 8 croiseurs), mais cette course aux arme- cherche à privilégier la rapidité et le nombre et décide alors
ments est brutalement stoppée par le traité de Washington de convertir ses croiseurs sur cale en porte-avions. Leur
en février 1922, qui est pour eux une nouvelle offense : carrière débute ainsi dans l’ombre des cuirassés.
sous prétexte de limiter le tonnage des flottes des prin-
cipales nations (États-Unis, Royaume-Uni, Japon, France

LA FLOTTE
et Italie), est imposé un ratio consacrant une supériorité
de 67 % de l’US Navy sur l’IJN.

Les porte-avions sont ainsi limités en quantité et en tonna- [10] Barr (J.), Airpower DE PORTE-AVIONS NIPPONS
ge (pas plus de deux bâtiments de plus de 27 000 tonnes employment of the fifth air
par pays, déplacement maximal fixé à 33 000 tonnes). force in the world war II Sur l’ensemble de la période qui nous occupe, 31 por-
En outre, est prévue la démolition de 30 navires de la southwest pacific theater, te-avions opérationnels répartis en 21 classes ont été
The Research Department
Marine américaine, 23 de la Royal Navy et 17 de la Marine Air Command and Staff construits par le Japon. Mais seuls 10 ont été conçus
impériale japonaise, ce qui signifie que cette dernière College, March 1997, p. 1. dans leur intégralité comme des porte-avions, 12 ont une
doit détruire proportionnellement plus de navires que coque issue d’un autre type de navire (cargo, pétrolier,
[11] US Naval Arms Limitation
ses concurrents… destroyer, croiseur, cuirassé) et 9 sont des navires re-
Treaty, 6 February 1922,
Ce traité est d’ailleurs le premier écrit définissant ce qu’est Statues at Large (1923- convertis (paquebots, ravitailleurs). Ces différences per-
un porte-avions. N’appartenant pas à la catégorie des 1925), vol. 43, pt. 2. mettent de comprendre les écarts notables des vitesses
relevées allant de 12 à 34,5 nœuds ! Généralement, seuls
les porte-avions lourds et légers sont considérés de bonne
TONNAGE IMPOSÉ PAR LE TRAITÉ DE WASHINGTON EN 1922 facture, à l’inverse des auxiliaires et escorteurs. Notons
au passage que le déplacement ne peut suffire à classer
Pays Navires de bataille Porte-avions Nombre un navire dans telle ou telle catégorie ; à titre d’exem-
Empire britannique 580 450 tonnes 135 000 tonnes 22 ple, le Hōshō, de déplacement moindre que l’auxiliaire
Kumano-Maru, se range pourtant dans les porte-avions
États-Unis 500 600 tonnes 135 000 tonnes 18
légers d’escadre. De même façon, les porte-avions d’es-
Japon 301 320 tonnes 81 000 tonnes 10 corte l’emportent en masse sur les légers. Les qualités
France 220 170 tonnes 60 000 tonnes 10 nautiques de ces navires varient en effet extrêmement
selon différents critères qui font qu’un navire est, ou
Italie 180 800 tonnes 60 000 tonnes 10
n’est pas, un « bon marcheur ».

39
AÉRONAVALE
1941-1945

LES DIFFÉRENTS TYPES DE PORTE-AVIONS


TYPES NB CLASSES DÉPLACEMENT
LE PORTE-AVIONS LOURD est le fer de lance d’une escadre de
8 classes : Sōryū, Unryū, Jun’yō, Shōkaku, de 15 900 à
porte-avions. Puissant et rapide, il est doté d’un groupe aérien 13
Taihō, Akagi, Kaga, Shinano 68 059 tonnes
important. Il en est en général le navire amiral.
LE PORTE-AVIONS LÉGER est un navire plus petit, souvent construit
à partir d’une coque de croiseur ou de destroyer, et sur laquelle
5 classes : Hōshō, Chitose, Shōhō, Ryūhō, de 7 470
sont adaptés des ponts d’envol. Il est rapide, mais sa capacité 6
Ryūjō à 12 500 tonnes
d’emport reste très inférieure à celle des porte-avions lourds. Il
remplit en général des missions d’appui ou d’escorte.
LE PORTE-AVIONS D’ESCORTE est un navire chargé d’en accom-
pagner d’autres. C’est souvent un navire de commerce, petit ou
moyen, sur lequel est installé un pont d’envol. Contrairement au
porte-avions léger, il est lent et dépourvu de blindage et ne peut de 13 600
5 3 classes : Kaiyō, Shinyō, Taihō
donc suivre une escadre de guerre. Son pont d’envol est souvent à 17 830 tonnes
trop court. Il accompagne en général un convoi marchand ou sert
de convoyeur d’avions. Son avantage est le coût et la rapidité de
sa construction.
LE PORTE-AVIONS AUXILIAIRE est un navire polyvalent qui peut
5 classes : Kumano Maru, Shinshū Maru, de 8 128
servir de navire de débarquement. Peu puissant et très lent, il 7
Akitsu Maru,Chigusa Maru, Otakisan Maru à 11 989 tonnes
transporte des avions et des troupes.

TOTAL 31 21 CLASSES

40
LES PORTE-AVIONS JAPONAIS
FER DE LANCE DE LA MARINE IMPÉRIALE

r L’Akagi, porte-avions
CARACTÉRISTIQUES
(canons antiaériens de 80 ou de 127 mm) ou de la mer
unique dans sa classe, (canons de 140 mm). Par contre, ils ont une capacité
est conçu comme une

ET ÉVOLUTIONS plate-forme expérimentale,


d’emport initiale limitée à une vingtaine d’avions. L’îlot
se caractérisant, entre domine sur le Hōshō par tribord avant, devant trois
autres innovations, par cheminées basculantes. Ces superstructures, copiées
Un monde sépare le Hōshō (1922) du Shinano (1944). trois ponts d’envol. sur le HMS Hermes, se révèlent être des sources inat-
Kure, Hiroshima Prefecture,
Si ce dernier correspond d’apparence à notre représen- Maritime History and Science tendues de danger : leur présence ainsi que les gaz
tation contemporaine d’un porte-avions, le premier a Museum collection chauds sortant des cheminées génèrent en effet sur
| En haut : Le Hōshō est déjà
une allure très étrange, qui trahit en fait les incertitudes le pont des tourbillons d’air et des rafales de vent. La
et les hésitations de ses concepteurs. obsolète lorsque le Japon
solution adoptée lors de la refonte du Hōshō et du Ryūjō
Les traits dominants des porte-avions de la première entre en guerre en 1941. Trop est un abandon pur et simple de l’îlot, un abaissement
tranche de construction témoignent des tentatives, petit, il ne peut accueillir les sous le pont d’envol et une inclinaison des cheminées
infructueuses ou durables, de parvenir à un équilibre nouveaux chasseurs Zéro. vers le bas. Le dispositif de freinage, expérimental,
entre conception ancienne et innovation. Les premiers | En bas: La carrière consiste en un maillage de câbles longitudinaux – ou
de ces navires (Hōshō et Ryūjō) sont petits et légers opérationnelle du « cordes à violon » – et de câbles transversaux espa-
(7 000 à 8 000 tonnes), leur blindage initial est inexis- Shōhō, navire-ravitailleur cés de 10 mètres. Les premiers guident l’avion, les
reconditionné, est
tant, et ils sont équipés d’un armement démesuré en seconds les stoppent grâce à un brin d’accroche. Le
particulièrement courte :
proportion de leur taille. À défaut d’être totalement entré en service comme pont d’envol s’achève à hauteur de l’îlot par un filet
opérationnels, ils servent de plates-formes d’expéri- porte-avions le 26 janvier constitué de cordes.
mentation. Conçus comme des navires modulables et 1942, il est coulé le 7 mai La période intermédiaire qui s’ensuit (1929-1934) témoi-
suivant, ayant ainsi le douteux
convertibles en navires de ligne (leurs pistes d’envol et privilège d’être le premier
gne de quelques innovations vite abandonnées ; Kaga et
hangars en bois sont amovibles), ils sont censés pouvoir bâtiment de ce type à avoir Akagi disposent ainsi de trois pistes (deux pistes de dé-
se défendre seuls contre une agression venue du ciel été coulé durant la guerre. collage à l’avant et une piste d’appontage à l’arrière).

ÉVOLUTION DES PORTE-AVIONS JAPONAIS


Trois générations de bâtiments peuvent être identifiées (en prenant en compte les refontes) :

NB PÉRIODE NOMS
4 Premier plan de construction (1922-1934) Hōshō, Ryūjō, Akagi, Kaga
6 Second plan de construction (1934- 1941) Shinshū Maru, Sōryū, Hiryū, Zuihō, Shōkaku, Zuikaku
Temps de guerre (1941-1945) Shōhō, Taihō, Ryūhō, Akitsu Maru, Kaiyō, Chitose, Unyō, Chūyō,
21 Hiyō, Jun’yō, Nigitsu Maru, Shinyō, Unryū, Amagi, Katsuragi, Taihō,
Shinano, Chiyoda, Otakisan Maru, Shimane Maru, Kumano Maru

41
AÉRONAVALE
1941-1945
{ La Marine japonaise préconisant l’emploi tactique de ses
porte-avions par deux, celui de droite doit présenter, en
ligne de front, un îlot non pas à tribord mais à bâbord. Cette
symétrie doit permettre, en phase de ramassage, la mise
en œuvre simultanée de leur groupe aérien respectif, sans
risque d’interférence, en séparant les orbites d’attente.

LES ÎLOTS DES PORTE-AVIONS JAPONAIS


L’îlot est la superstructure dominant le pont et dans laquelle
est installée la passerelle de commandement.
Sans îlot Hōshō après refonte, Ryūjō, Shōhō, Ryūhō,
Chitose, Chiyoda, Kaiyō, Shinyō, Taihō,
Unyō, Zuihō, Kaga avant refonte
Îlot à bâbord Akagi, Hiryū
Îlot à tribord Hōshō, Kaga, Sōryū, Shōkaku, Unryū, Taihō

Infographies 3D : Porte-avions Akagi


© Stefan Draminski / LOS! 2012

42
LES PORTE-AVIONS JAPONAIS
FER DE LANCE DE LA MARINE IMPÉRIALE

Les îlots restent cependant absents, et la passerelle se r Le Shōkaku, avec ses ce qui favorise un emport supplémentaire (le Kaga em-
trouve sous le pont d’envol. Leur masse est énorme 16 canons de 127 mm et barque 81 appareils). Le Sōryū, premier vrai porte-avions
ses 70 pièces de 25 mm,
comparée à celles du Hōshō et du Ryūjō (38 000 tonnes d’escadre japonais, est le dernier à subir les limitations
présente une redoutable
contre 8 000), et ces bâtiments nécessitent du coup puissance de feu. de tonnage. Il bénéficie des améliorations antérieures (en
des ballasts latéraux. Ils sont fortement blindés, et leur dépit d’une capacité d’emport n’excédant pas 38 avions)
armement est digne de celui d’un croiseur : 10 canons de rr Plus que prometteur, et reçoit, dès sa conception, un unique pont d’envol
l’innovant Taihō voit sa carrière
200 mm, 12 canons de 120 mm, 22 mitrailleuses ! Du brutalement achevée trois
s’étendant sur toute la longueur de sa coque. L’Hiryū,
reste, le système d’appontage évolue, avec des pylônes mois et demi après avoir demi-frère du Shiryu, est même équipé d’une innovation
lestés et installés de chaque côté du pont pour freiner été réceptionné, lorsqu’il sans grand avenir : un îlot placé à bâbord.
l’avion lorsqu’il accroche les filins tendus au moyen de sombre suite à des explosions Cette particularité mérite qu’on s’y arrête, car, en général,
internes, provoquées par
poulies et de câbles. des frappes de torpilles.
les îlots sont placés à tribord pour deux raisons. La pre-
La deuxième tranche correspond à l’affranchissement mière serait liée au droit maritime. Lorsque deux routes
progressif des traités et à une innovation technique adap- maritimes se croisent, le navire qui arrive sur bâbord doit
tée aux contingences propres à un porte-avions. C’est s Le Shinano, avec ses manœuvrer et laisser le passage. La seconde tient compte
266 mètres de long, est le
l’étape de la construction « neuve ». Initiées par la refonte plus grand porte-avions de la
d’une contingence technique : les avions de l’époque ont
en 1935 de l’Agaki et du Kaga, les caractéristiques des Seconde Guerre mondiale. des moteurs tournant dans le sens antihoraire (de droite
porte-avions tendent à se stabiliser du fait de l’expérience Superbement blindé, son à gauche). Générant un fort couple de rotation, ils provo-
acquise. Les îlots sont replacés sur la piste d’envol, plus armement défensif (145 pièces quent une déviation de l’appareil vers la gauche. C’est ce
de 25 mm, sans compter celles
près du centre de gravité du navire. Les pistes multiples de 100 et de 120 mm, et ses
qui explique la tendance des pilotes à repartir sur la gauche
sont supprimées et la motorisation accrue. Un hangar est 12 lance-roquettes à 28 tubes) après un appontage raté. Placé sur bâbord, un îlot représen-
souvent ajouté grâce à la suppression de l’armement lourd, est tout simplement colossal. te donc un danger pour les appareils souhaitant apponter.

43
AÉRONAVALE
1941-1945

1/ A SCENSEUR AXIAL AVANT


son pont et celui de sa coque de cuirassé ne font qu’un. Sa capacité
2/ B RIN D'ARRÊT d’emport totale est de 100 appareils (dont 47 opérationnels).
Le système d’appontage le plus courant est alors constitué de modèles

3/ A FFÛT DOUBLE DE DCA DE 25 MM TYPE 96 électriques Kure de type 3 ou 4, composés de 8 à 10 brins d’arrêt
et de barrières Kusho. Les avions en approche sont guidés par un

4/ D IRECTION DE TIR TYPE 94 ingénieux et innovant dispositif de balises lumineuses rouges et ver-
tes, disposées de chaque côté du pont à une distance de 15 mètres.

5/ P ARAVANES
Le pilote n’a alors qu’à viser entre les deux paires de feux et ajuster
sa descente afin que les lampes rouges et vertes semblent alignées
sur un axe longitudinal. Les porte-avions sont par ailleurs desservis
par trois ascenseurs, peuvent lancer un avion en 30 secondes et en
En fait, cette disposition a été prévue pour que l’Hiryū et le Shiryu récupérer un en 45 secondes. Pour ce faire, ils se placent à vitesse
puissent opérer en parallèle et communiquer de passerelle à passerelle maximale vent debout (face au vent) afin d’augmenter la vitesse des
sans piste d’envol entre les deux passerelles. appareils et éviter le décrochage à l’appontage.
Les meilleurs bâtiments construits avant la guerre (et peut-être même
de toute l’histoire aéronavale nippone entre 1920 et 1945) sont les

LIMITES HYDRODYNAMIQUES
Shōkaku et Zuikaku. Disposant de doubles hangars, leur blindage est
renforcé, et leur capacité d’emport s’élève à 72 aéronefs. Le Shōkaku
est le premier porte-avions à être équipé d’un bulbe d’étrave qui lui
procure une vitesse accrue. Parallèlement à ces grands navires, sont lancés – convertis devrait-on
La dernière tranche constitue l’aboutissement des porte-avions et, dire ! – une myriade de porte-avions auxiliaires et d’escorte, dont la
paradoxalement, le déclin de la flotte. C’est l’époque « des géants et qualité laisse à désirer, avec parfois un pont si court qu’il ne permet
des nains ». Des navires de grande qualité tels le Taihō et le Shinano pas l’appontage (comme sur l’Akitsu Maru). Anciens paquebots ou
côtoient des modèles de faible aptitude, généralement des recon- ravitailleurs, leurs machines d’origine ne sont pas assez puissantes
versions de navires marchands. Héritier du Shōkaku, le Taihō est pour donner la vitesse nécessaire à de véritables escorteurs (31 nœuds
emblématique de cette génération de porte-avions blindés et rapides. pour l’Unyō et le Taihō). Leur hangar est minuscule (pas plus de
Il bénéficie de trois innovations : un pont d’envol blindé qui est aussi 27 avions), l’îlot est absent, et ils ne sont pourvus d’aucun dispositif
solidaire de la coque, et un îlot intégrant la cheminée. D’un déplace- d’arrêt pour les appareils. Pourquoi y a-t-il donc tant de ces navires
ment important (37 720 tonnes), le Taihō est capable d’emporter 84 médiocres ? Tentons pour le comprendre d’apporter une première
appareils, dont 53 opérationnels. réponse technique.
Enfin, le Shinano possède une grande autonomie et dispose d’un Pour faire simple, les qualités d’un navire se mesurent à l’aune de cinq
armement similaire à celui des super-destroyers Akizuki. Plus grand grands critères : le tonnage brut, la vitesse, la stabilité, la maniabilité et
porte-avions construit pendant la Seconde Guerre mondiale, il déplace la capacité de charge. À cela, il faut ajouter pour un navire de guerre
plus de 68 000 tonnes (72 000 tonnes à pleine charge). Son hangar, à le blindage et la puissance de feu. Or, les considérer isolément ne
la différence des autres porte-avions, est fortement blindé, tandis que signifie rien, tant c’est leur combinaison qui compte. Les premiers

44
LES PORTE-AVIONS JAPONAIS
FER DE LANCE DE LA MARINE IMPÉRIALE

porte-avions d’escadre (Hōshō), les auxiliaires (Yamashiro Maru, r Porte-avions entré en À cet instant-là, le navire vient d’atteindre sa
Shinshū Maru, Akitsu Maru, Nigitsu Maru, Otakisan Maru, Shimane service en décembre 1937, le « vitesse critique » [12], au-delà de laquelle
Sōryū, sister-ship de l’Hiryū,
Maru, Kumano Maru) ou ceux d’escorte (Taihō, Kaiyō, Shinyō, sombre comme lui au cours le navire monte sur sa propre vague d’étrave,
Unyō et Chuyō) sont soit construits sur des coques préexistantes de la bataille de Midway. se cabre et déjauge. Cela a pour conséquen-
de pétroliers, paquebots ou croiseurs, soit de navires reconvertis. ce une augmentation de consommation de
Cela détermine grandement leurs qualités nautiques et leur capacité } Le Shōkaku, armé carburant, une usure des structures et un
en 1941, présente un
d’emport. Lents, trop petits, mal motorisés, inadaptés à la mer, telles avantage de poids accroissement des vibrations, en d’autres
sont les critiques qui leur sont souvent adressées. Cependant, ces face à ses homologues termes, une instabilité que ne peuvent se
remarques ne permettent en aucun cas de comprendre pourquoi, américains : son système permettre des navires chargés de lancer des
de contrôle des dommages
par exemple, les Japonais n’ont-ils pas augmenté la puissance du avions… La solution semble donc passer par
particulièrement avancé lui
porte-avions auxiliaire Otakisan Maru ? Pourquoi n’ont-ils pas déve- permet de remédier à temps une augmentation de la longueur sans ac-
loppé le tonnage du Hōshō ou bien allongé sur les navires reconvertis à d’importants dégâts, ce à croissement de la masse. Deux solutions se
les pistes d’envol de façon significative ? Outre l’indéniable aspect plusieurs reprises. présentent alors : soit accentuer le déplace-
économique de telles améliorations, les réponses se trouvent dans ment des navires (ce qu’interdit le traité de
les caractéristiques originelles mêmes de ces navires. Washington dans les années 1920 et qui est
La question réside moins dans le fait de savoir si un navire est le impossible à l’industrie navale nippone à la fin
meilleur de sa classe et de son temps, que dans celui de savoir s’il de la guerre), soit en augmenter la longueur
est adapté aux missions militaires qui lui sont assignées. Or, un sans en accroître la masse, mais cela accélère
porte-avions doit avoir une capacité d’emport suffisante (donc un le point de vitesse critique ! Ne reste donc
déplacement important) ainsi qu’une vitesse élevée. Mais, avant- comme possibilité que d’équilibrer au mieux
guerre, le traité de Washington limitait le tonnage des navires, et, le rapport poids/puissance. Ce rapport indique
durant le conflit, les pertes en bâtiments vont imposer la conversion la capacité réelle d’un navire à se mouvoir
de navires de déplacement moindre pour faire face aux besoins rapidement en fonction de son déplacement,
malgré une capacité de production fort réduite. Le problème qui se et, pour l’équilibrer, il faut trouver le dosage
pose est donc le suivant : comment construire des navires rapides, idéal entre la puissance des moteurs et les
déplaçant peu mais emportant beaucoup ? dimensions du navire, en prenant en compte
une autre contrainte, celle de la résistance
de l’eau qui croît en proportion de celle de la

DE NOMBREUSES CONTRAINTES,
masse en déplacement. La contrer impose
donc une augmentation de la puissance et

DEUX POSSIBILITÉS
de la longueur. Considérant ainsi qu’il est
possible soit d’accroître la puissance et la
taille (et donc le déplacement) des navires
Un navire a une vitesse proportionnelle à son déplacement, qui est – ce qui est interdit –, soit de se cantonner
lui-même en grande partie lié à la longueur de la carène. Or, globale- aux limites imposées, deux solutions s’offrent
ment, plus un navire est long, plus il peut être rapide, car sa masse aux ingénieurs pour tirer le meilleur parti des
se répartit sur une plus grande surface, ce qui réduit son tirant d’eau capacités des porte-avions.
et donc le frottement. Limiter le tonnage revient donc à limiter la Il faut soit alléger et affiner la coque, soit
vitesse. La solution serait donc d’augmenter artificiellement la vitesse. utiliser une portance dynamique addition-
C’est là que se pose un nouvel obstacle physique : accentuer la vi- nelle permettant à la coque de « déjauger ».
tesse de navires de faible tonnage accroît le seuil de vitesse critique.
Explication : plus un navire avance vite, plus la résistance de l’eau à l’avant
du navire augmente sous la forme d’une vague d’étrave. L’accélération [12] Le théorème de Lamotte permet de la calculer :
pousse alors cette vague à se refermer juste sur l’arrière du bâtiment. √ Longueur à la flottaison x 2,7 = Vitesse critique.

45
AÉRONAVALE
1941-1945

46
LES PORTE-AVIONS JAPONAIS
FER DE LANCE DE LA MARINE IMPÉRIALE

1942
PORTE-AVIONS AKAGI
Commandant Aoki
Bataille de Midway
4-7 juin 1942

19 A6M2 Mod. 21 "Zero"


18 D3A1 "Val"
18 B5N2 "Kate"

47
AÉRONAVALE
1941-1945

PEARL HARBOR :
La résistance des vagues est en effet le produit de l’inte-
raction de l’eau, de l’étrave et de la poupe. Il importe donc

UN EMPLOI RÉVOLUTIONNAIRE
de réduire la largeur de la traînée du sillage, qui constitue
la force principale de résistance à l’avancement. La forme
de l’étrave est alors essentielle.
La solution finale retenue par les Japonais est d’accroître la Conformément aux opinions traditionnelles de l’état-
vitesse des porte-avions, ce qui provoque les répercussions major de la Marine, à l’orée du déclenchement de
que l’on sait : augmentation du rapport poids/puissance et [13] Elleman (B.), Naval
la « Guerre de la Grande Asie Orientale » en 1931,
refus de se conformer aux accords internationaux. Toutefois, Power and Expeditionary les porte-avions demeurent inféodés aux navires de
c’est oublier un peu vite les pénuries chroniques de matières Wars: Peripheral Campaigns ligne cuirassés. Leur rôle initial consiste à les escor-
premières auxquelles doivent faire face l’empire nippon et and New Theatres of Naval ter, à couvrir les débarquements ou à mener des
Warfare, Taylor & Francis,
la faiblesse de ses capacités de production. De fait, les 2011, p. 77. opérations de bombardement. Les Ryūjō et Hōshō
Japonais n’ont guère le loisir de construire suffisamment de déployés dans les eaux chinoises en 1937 partici-
navires pouvant satisfaire les exigences du combat aérona- [14] National Defense pent ainsi aux bombardements des aérodromes de
college, War History Office,
val. Cette impasse explique donc les faibles performances Cha-Hsing et de Hang-Tchéou. Mais l’imminence
War History Series: the
de certains porte-avions et l’infériorité numérique et opéra- Hawaï Operation, Asagumo du conflit avec les États-Unis change la donne, car
tionnelle permanente de l’IJN à compter de 1942. Shinbunsha, 1967, p. 84. se profile maintenant une guerre sur deux fronts.

LES ÉTRAVES
Prolongeant la quille vers la proue, l’étrave est la partie saillante du clapot et de la houle. Ce faisant, elle augmente la stabilité
de la coque qui fend l’eau. Il est possible schématiquement d’en du navire en réduisant le roulis. Exemple : l’Akagi.
distinguer trois types : w ÉTRAVE CONVEXE : aux formes pleines et arrondies, elle em-
w ÉTRAVE VERTICALE : elle augmente la longueur à la flottaison pêche le navire de piquer dans les vagues (tangage). Elle est
et donne une flottaison maximale pour une longueur de pont assortie en général de carènes arrondies qui ne favorisent pas
minimale. Exemple : le Yamashiro Maru. la vitesse. Exemple : le Shinyō. Peuvent aussi être ajoutés des
w ÉTRAVE À ÉLANCEMENT (dite tulipée, à guibre ou concave) : ballasts sous la ligne de flottaison afin d’améliorer la stabilité
elle offre un passage beaucoup plus doux dans une mer formée (Kaga), ou adjoindre un bulbe d’étrave (Shōkaku) qui, en éloi-
et une flottaison dynamique bien plus longue, donc un potentiel gnant et rapprochant l’eau, minimise le sillage, ce qui empêche
de vitesse plus important. Sa courbe permet un amortissement d’enfourner (planter l’étrave dans les vagues).

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LES PORTE-AVIONS JAPONAIS
FER DE LANCE DE LA MARINE IMPÉRIALE
Or, il est évident que le Japon n’a pas les moyens de mener une par Yamamoto, influencé par Kusaka Ryonosuke, peut se résumer
guerre longue et à l’issue plus qu’incertaine, ce dont témoigne, en en ces quelques mots prononcés peu de temps avant l’offensive :
avril 1941, le ministre de la Marine Oikawa Koshiro [13] : « Les plans « Nous devons être prêts à agir de manière décisive pour assurer
stratégiques font l’objet de multiples études avant de prendre leur la victoire dès le premier jour des hostilités. » [14] Mais, à l’opposé
forme définitive suite à l’échec de la conquête-éclair de la Chine […]. de la tactique employée à Tsushima, l’amiral estime qu’il faut re-
Ces plans reposent en partie sur une stratégie novatrice élaborée chercher l’ennemi dès le début des hostilités en inversant le dérou-
par l’amiral Yamamoto. Commandant en chef de la flotte combinée lement prôné par la doctrine traditionnelle (usure, bataille décisive).
depuis 1939, ce dernier synthétise la doctrine traditionnelle de la Contrairement à l’attaque de Port-Arthur, le raid sur Pearl Harbor ne
bataille décisive et la stratégie du choc offensif. » La stratégie élaborée doit pas affaiblir la flotte ennemie mais la détruire complètement !

DE GRAVES FAIBLESSES STRUCTURELLES


PONT D’ENVOL 15 des 31 porte-avions nippons seront
détruits par bombardement lors d’atta- SYSTÈME DE VENTILATION En l’absence d’ouvertures,
le renouvellement de l’air et
ques aériennes. À l’inverse des Britanniques, les Japonais ont l’évacuation des gaz sont assurés par des ventilations d’admission
fait le choix de ponts d’envol constitués de lattes en bois fixées et d’échappement. L’usage est de ravitailler les avions en carburant
dans le sens de la longueur du navire. En effet, de par son poids, et en munitions dans les hangars et non sur les ponts d’envol, ce
un pont blindé nuit à la stabilité du navire et contraint à abais- qui conduit à y stocker des produits inflammables et explosifs. Un
ser la hauteur des hangars ; à masse similaire, la capacité incendie y est donc difficilement maîtrisable, en dépit de systèmes
d’emport du porte-avions est donc inférieure. Cependant, les d’aspersion des hangars à l’eau de mer et de diffusion d’oxyde de
ponts en bois ne peuvent pas résister à la force de pénétration carbone pour étouffer les flammes. Qu’un réservoir latéral de car-
verticale d’engins explosifs de plusieurs centaines de kilos, qui burant explose ou soit percé, et des vapeurs nocives se répandront
finissent le plus souvent dans les hangars. via la ventilation dans les structures basses du navire… En 1944,
une torpille endommage ainsi un réservoir de carburant du Taihō.

HANGARS Les parois des hangars nippons sont


théoriquement conçues pour canaliser le
La ventilation à son maximum diffuse les vapeurs toxiques dans
les hangars et ascenseurs, à tel point que les portes et cloisons
souffle des explosions vers l’extérieur et non vers le haut, ceci pare-feu sont ouvertes afin de faciliter la circulation de l’oxygène.
afin de préserver les ponts d’envol. Mais dans les faits, ils Les essences explosives se répandent alors dans tout le navire qui,
souffrent de défauts de conception : superposés, ils ne dispo- ébranlé quelques heures plus tard par une explosion interne, som-
sent ni d’ouvertures latérales, ni de blindages. L’Hiryū est bre corps et biens !
ainsi touché à Midway par quatre bombes de 450 kg qui ex-
plosent dans le hangar supérieur, détruisant les avions entre-
posés ainsi qu’une partie du pont d’envol.

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AÉRONAVALE
1941-1945
Cette vision est révolutionnaire. La bataille n’est plus seu- près des côtes d’Hawaii, ils lâcheront les « abeilles » pour
lement d’essence uniquement tactique. Elle a avant tout terrasser le « serpent ». Les avions de 1941 apparaissent
une dimension stratégique à portée politique : pousser les ainsi comme les lointains descendants des torpilleurs qui,
États-Unis à renoncer à la guerre avant même d’y être en 1904-1905, avaient harcelé les bâtiments russes.
entrés. Pour Yamamoto, la flotte combinée peut détruire Une fois cette flotte américaine détruite, il ne resterait
la flotte ennemie en une seule opération (ce qui était le plus qu’à éliminer les forces navales restantes dans des
plan initial de l’état-major de la Marine en 1904), tout en eaux sécurisées par la flotte combinée.
minimisant à l’extrême ses propres pertes (plan retenu Dans cette optique, la première escadre aéronavale est
par Togo lors de la guerre russo-japonaise), selon une augmentée en septembre 1941 des Shōkaku et Zuikaku.
expression très imagée : « le plus féroce serpent peut être [15] Weir (G. A), The evolution Six porte-aéronefs escortés par 2 cuirassés, 2 croiseurs
terrassé par un essaim d’abeilles. » [15] L’opération doit of the strategic doctrine of lourds, 1 croiseur léger, 11 destroyers et 9 tankers appa-
the Imperial Japanese Navy,
être menée par des porte-avions escortés de cuirassés reillent donc le 26 novembre de la baie de Tankan en direc-
1921-1941, an honors thesis
– et non l’inverse –, ce qui constitue la première manifes- [(HONRS 499)], Ball State tion des Aléoutiennes. Les porte-avions naviguent en deux
tation du porte-avions en tant que Capital-Ship. Arrivés University, 1978, p. 26. colonnes parallèles, protégées sur leurs arrières respectifs

DES FAIBLESSES OPÉRATIONNELLES IRRÉMÉDIABLES

1/ T ÉLÉMÈTRE D'ARTILLERIE DE 127MN

2/ A NTENNE RADIOGONIOMÈTRIQUE 2

3/ A FFÛT DOUBLE DE DCA DE 127 MM TYPE 89

DÉTECTION RADAR Les porte-avions japonais souf-


frent de retard dans le dévelop-
pement de la détection radar. Lors du déclenchement des
hostilités, aucun d’entre eux n’est ainsi équipé de radars DÉFENSE ANTIAÉRIENNE Les capacités des porte-avions
à se défendre par leurs pro-
embarqués. L’identification de la présence et des mouve- pres moyens laissent à désirer tant leurs possibilités de saturer
ments des flottes ennemies est confiée à un groupe aérien l’espace aérien par des tirs de barrage restent en deçà des exigen-
de chasseurs, dont certains sont tenus de patrouiller en ces du combat aéronaval. Le canon antiaérien 96 Shiki 25 mm
permanence. Ce n’est qu’après la bataille de Midway que Kiju 1 Gata, dérivé du Hotchkiss français, a une cadence de tir trop
le Shōkaku reçoit un radar 21 Gô de veille aérienne. Ses lente (120 coups/minute en pratique) et des projectiles insuffisam-
capacités sont cependant médiocres : détection d’une es- ment puissants, tant en pénétration qu’en portée (en pratique,
cadrille à 60 nautiques (112 kilomètres), à 12 nautiques 1 500 mètres à élévation maximale et 3 500 mètres horizontale-
pour un navire. Le type 13 Gô sera aussi installé sur de ment). En outre, l’emplacement en encorbellement des batteries
nombreux navires, mais ses performances se révéleront d’artillerie limite leur champ de tir. La conduite optique de tir se
similaires, voire inférieures. Les procédures pénalisent révèle, quant à elle, inopérante en cas de mauvais temps. Enfin,
d’ailleurs la capacité offensive de la flotte combinée, puisque l’artillerie de 127 mm se prête peu à l’interception des vols en piqué,
jusqu’en 1944 la Marine ordonne que les radars soient éteints en raison de la trop grande vitesse des appareils, de la trajectoire
lors des navigations sous silence radio. courbe des projectiles tirés et de cadences de tir trop lentes.

50
LES PORTE-AVIONS JAPONAIS
FER DE LANCE DE LA MARINE IMPÉRIALE
coulent encore deux croiseurs britanniques au large de
Colombo ainsi que le porte-avions Hermes au nord de
Ceylan, au prix de seulement 24 appareils perdus. Le bilan
est alors éloquent : en quatre mois de guerre, la Marine
impériale, sans aucun dommage, a coulé 5 cuirassés,
1 porte-avions, 2 croiseurs et 7 destroyers !

MER DE CORAIL :
LA PREMIÈRE BATAILLE
AÉRONAVALE
La phase 2 du plan japonais peut alors être enclen-
chée : éliminer les reliquats américains et britanniques.
L’occasion se présente une première fois lors de la ten-
tative d’invasion de Port-Moresby. Avertis de la présence
des porte-avions Lexington et Yorktown, les stratèges
par un cuirassé, par deux torpilleurs sur leurs flancs r Des chasseurs Zero prêt à nippons font protéger leur force amphibie par quatre
gauches et par trois sous-marins sur leurs flancs droits. décoller sur le pont d'envol de croiseurs et un porte-avions léger, le Shōhō, tandis qu’une
À bonne distance, les croiseurs ouvrent la route. l'Akagi en 1942. force composée des Zuikaku et Shōkaku doit couvrir par
L’attaque de Pearl Harbor, menée sous silence radio et l’est sa marche et empêcher toute intervention ennemie.
tous feux éteints, valide l’importance du porte-avions La bataille de la mer de Corail [16] débute à proprement
comme force indépendante : c’est d’ailleurs de l’Akagi parler le 7 mai 1942 par un flux d’informations plus ou
qu’est véritablement parti le signal « Tora, Tora, Tora » moins erronées, tant du côté américain que japonais, à
qui a mis en mouvement les 11 flottilles aériennes nip- tel point qu’elle est dénommée « la bataille des erreurs »
pones. La destruction quelque temps après des navires ou, selon l’amiral Duckworth, « la zone de combat la plus
britanniques Repulse et Prince of Wales par des appa- confuse de l’histoire du monde ».
reils japonais tendra à confirmer le rôle prépondérant [16] Lire « La bataille de la En début de matinée, l’un des appareils du Shōkaku
mer de Corail, premier coup
de l’aviation embarquée et donc du porte-avions. Une d’arrêt dans le Pacifique » rapporte avoir repéré un porte-avions, un croiseur
impression confirmée lorsque, le 5 avril 1942, 70 ap- de Pascal Colombier et trois destroyers américains à 302 kilomètres des
pareils des Akagi, Sōryū, Hiryū, Shōkaku et Zuikaku paru dans LOS ! n° 2. deux porte-aéronefs du vice-amiral Takeo Takagi.

1/ A FFÛT DOUBLE DE DCA DE 25 MM TYPE 96

2
2/ C ANON DE 203MM EN CASEMATE

51
AÉRONAVALE
1941-1945
Mitsubishi G4M et G3M atteignent de deux torpilles le
Lexington, qui doit être abandonné peu de temps après.
Le Yorktown, également atteint par une bombe de 250 kg
qui a perforé ses quatre ponts, reste à flot quoique for-
tement endommagé.
Le bilan penche en faveur du Japon. Côté américain, sont
comptabilisés un porte-avions, un destroyer et un pétrolier
détruits ainsi qu’un second porte-aéronefs endommagé
et 66 avions abattus. Les pertes nippones sont moin-
dres : un porte-avions léger coulé ainsi qu’un torpilleur,
quatre transports de troupes et 69 avions abattus. Cette
bataille s’apparente à celle du Jutland en 1916, puisque
la victoire tactique revient à celui qui stratégiquement
perd l’affrontement. Si le Japon peut s’enorgueillir de
ce succès à la Pyrrhus, il n’en demeure pas moins qu’il
constitue le premier coup d’arrêt à son expansion vers
le sud-ouest.

MIDWAY :
LE TOURNANT FUNESTE
Ce dernier, pensant à tort avoir à faire aux Lexington r L’un des Zéro de l’Akagi,
et Yorktown – il ne s’agit en fait que du pétrolier en décembre 1941. C’est à Midway que les stratèges nippons ont décidé de
USS Neosho et du destroyer USS Sim – envoie tous porter le véritable coup décisif. Ils y engagent 190 navires
ses avions sur la cible. (dont 8 porte-avions) et 246 avions embarqués, considé-
Moins d’une heure plus tard, un appareil de reconnaissan- rant à tort que l’US Navy ne peut leur opposer que deux
ce du Yorktown annonce au commandement américain porte-avions, puisque le Yorktown est supposé être à cale
avoir localisé précisément une flotte japonaise, information sèche à Pearl Harbor. Et effectivement, Nimitz n’a à sa
confirmée par la suite : les vols de reconnaissance indi- disposition que 64 navires et sous-marins…
quent que deux porte-avions et quatre croiseurs lourds font La prise de Midway est élaborée comme le dernier acte
route vers l’ouest. 53 bombardiers en piqué, 22 avions- des opérations menées depuis décembre 1941. Ce n’est
torpilleurs et 18 chasseurs décollent alors en direction de cependant pas une répétition de Pearl Harbor, puisqu’il
l’escadre ennemie, en réalité composée uniquement du privilégie la dispersion des forces et la bataille finale entre
Shōhō et de quatre croiseurs. Quelques minutes suffiront navires de ligne ; il y a d’ailleurs des raisons de s’inter-
pour couler le porte-avions léger… La flotte d’invasion de roger sur ce choix de Yamamoto d’un plan contraire à
port Moresby reçoit ordre de stopper, tandis que Takagi tout ce qu’il avait professé jusqu’alors (primauté de la
envoie ses bombardiers à la recherche de la flotte amé- concentration des forces, emploi du porte-avions comme
ricaine. La nuit tombe, et les avions font demi-tour. La Capital-Ship, etc.) !
confusion règne, alors que les deux adversaires sont si Le 27 mai au matin, le gros de la flotte de l’amiral Chūichi
proches l’un de l’autre que certains appareils nippons Nagumo appareille de la baie d’Hiroshima. Menés par le
manquent de peu d’atterrir sur le Yorktown ! croiseur Nagara, 12 destroyers précèdent les croiseurs lé-
Le lendemain, les protagonistes envoient simultanément gers Tone et Chikuma et les cuirassés Haruna et Kirishima.
leurs flottilles aériennes à la recherche des navires enne- Les porte-avions Kaga, Sōryū, Hiryū et Akagi suivent
mis. Les Shōkaku et Zuikaku, distants de 370 kilomètres, de près. Le lendemain, les navires des amiraux Takeo
sont repérés à 8h20 ; le Lexington et le Yorktown sont } Un SBD Dauntless dans Kurita, Raizo Tanaka et Boshiro Hosogaya appareillent
signalés à 8h22. Les bombardiers en piqué américains le ciel de Midway. Les SBD à leur tour. Enfin, le 29, les cuirassés Yamato, Nagato
contribuent grandement
arrivent sur la flotte japonaise entre 10 heures et 11h30. à couler les quatre porte- et Mutsu leur emboîtent le pas. Les adversaires ignorent
Ils endommagent sérieusement le Shōkaku mais ne par- avions japonais engagés au longtemps leurs positions respectives. Un détail cepen-
viennent pas à toucher le Zuikaku. En revanche, les cours de cette bataille. dant démontre le manque de communication entre les

© Jean-Marie Guillou / LOS! 2012


MITSUBISHI A5M4 "CLAUDE"
Porte-avions Akagi
Kagoshima, été 1941
Date de mise en service : 1936
52
LES PORTE-AVIONS JAPONAIS
FER DE LANCE DE LA MARINE IMPÉRIALE
bombes. La suite des événements illustre l’importance
du facteur temps dans une bataille : alors que les
chasseurs et bombardiers japonais sont enfin sur le
point de décoller, les premières bombes américaines
atteignent les Akagi, Sōryū et Kaga, qui s’embrasent
immédiatement. Il n’y a qu’à lire le récit du comman-
dant Fuchida pour comprendre : « Nous venions d’être
surpris dans la pire condition possible : avec notre
pont couvert d’appareils ayant leur plein d’essence
et leurs torpilles. » Les avaries sont telles que les trois
navires doivent être abandonnés ! Unique survivant,
le Hiryū lance alors contre le Yorktown ses appareils
qui le touchent sérieusement. Mais lui-même est si
endommagé en retour qu’il est sabordé le lendemain
par son équipage. Devant l’impossibilité de concentrer
ses quatre porte-avions restants (deux sont proches
des Aléoutiennes et deux autres 500 nautiques en
arrière de la force de Nagumo), Yamamoto ordonne
alors l’abandon de la prise de Midway et le repli vers

ÉVOLUTION DES PERTES JAPONAISES EN PORTE-AVIONS le Japon. La perte des Akagi, Sōryū, Kaga et Hiryū
sonne la fin des conquêtes faciles et de la prééminence
sans partage du Japon dans le Pacifique.
TONNAGE PA TONNAGE PA TONNAGE PA TONNAGE PA TONNAGE PA
ENGAGÉ LANCEMENT CONVERSION PERDU RELIQUAT
127 162
1942 403 674 0 163 094 (6 unités)
17 830
276 512
LE DÉCLIN PROGRESSIF
1943 294 012 0 17 500 (1 unité) 276 182
Si les batailles qui suivent Midway s’avèrent être au
1944 447 155 160 044 10 929 295 000 152 155 premier regard des victoires tactiques japonaises,
(13 unités)
78 506 leur déroulement et leurs incidences sont autant de
1945 194 495 0 42 340 (6 unités) 115 989 signes avant-coureurs d’un affaiblissement significatif
de l’Empire. Elles révèlent en outre la nécessité de
différentes Task Forces japonaises. Les services d’écoute du Yamato « voir plus loin que la ligne d’horizon ». À cet égard, les porte-avions
détectent la sortie du Yorktown de la rade de Pearl Harbor mais ne japonais manquent de radars puissants et, suite aux pertes en appareils
la communiquent pas en raison du black-out radio imposé ! Si l’infor- et en pilotes chevronnés, souffrent de l’amenuisement progressif des
mation avait été transmise, Nagumo aurait pu savoir que trois porte- capacités à détecter l’ennemi par des patrouilles aériennes.
avions – et non deux – lui étaient opposés. En outre, l’ordre de Nimitz Lorsque l’île de Guadalcanal se retrouve isolée, l’état-major sollicite la
à ses porte-avions de se placer en attente au nord afin d’attaquer le Marine et, entre août et octobre 1942, sont lancées des offensives
flanc ennemi demeure inconnu de Yamamoto, qui pense que les bâ- pour en chasser les Alliés. La première contre-attaque – l’opération
timents américains sont trop éloignés de Midway pour représenter le « Ka » – a pour objectif la neutralisation des porte-avions américains
moindre risque ! Le 1er juin, d’innombrables messages américains sont et la destruction des forces navales alliées dans le Pacifique Sud. Les
interceptés, prouvant par là même que l’US Navy est en alerte, mais Shōkaku, Zuikaku, Ryūjō et Chitose prennent la mer. Cette première
Nagumo n’en est pas averti et poursuit sa route avec ses hydravions confrontation dans les îles Salomon se soldera par la perte du Ryūjō.
pour seuls moyens de reconnaissance… La bataille suivante, dite de Santa Cruz, engage quatre porte-avions
Le 4 juin, lorsqu’il envoie à l’aube la première vague d’assaut sur (Shōkaku, Zuikaku, Zuihō et Jun’yō) qui, s’ils sont atteints lors d’at-
Midway, l’attaque est un succès, quoique incomplet ; les appareils taques aériennes, portent un coup temporaire mais réel à la puissance
basés à Midway ayant pu décoller s’abattent sur la force d’invasion. aéronavale américaine. À l’issue de cette autre victoire à la Pyrrhus,
L’amiral décide donc d’envoyer une seconde vague, sans se douter de les Japonais ont cependant perdu 40 % de leurs pilotes vétérans, et
l’approche rapide des porte-avions ennemis, désormais à 200 nauti- le Shōkaku demeure l’unique grand porte-avions opérationnel… Bien
ques (370 kilomètres). Il ordonne donc de rééquiper ses bombardiers- que le bilan de l’année de guerre passée semble pencher en faveur des
torpilleurs, initialement armés pour détruire des navires, avec des Japonais, les faiblesses structurelles de l’IJN commencent à apparaître.

© Jean-Marie Guillou / LOS! 2012


NAKAJIMA B5N3 "KATE"
Commandant Mitsuo Fuchida
Porte-avions Akagi
Avril 1942
Date de mise en service : 1937
53
AÉRONAVALE
1941-1945

© Jean-Marie Guillou / LOS! 2012


MITSUBISHI A6M2 MOD.21 "ZERO"
Enseigne de vaisseau Matsuyama Tuguo
Porte-avions Hiryu
Pearl Harbor, 7 décembre 1941
Date de mise en service : 1940
© Jean-Marie Guillou / LOS! 2012
AICHI D3A1 "VAL"
Porte-avions Zuikaku
Pearl Harbor - 7 décembre 1941
Date de mise en service : 1940

© Jean-Marie Guillou / LOS! 2012


YOKOSUKA D4Y2 "JUDY"
523e Kokutai "Taka Butai"
Peleliu, septembre 1944
Date de mise en service : 1942

© Jean-Marie Guillou / LOS! 2012


NAKAJIMA B6N2 MOD.12
NR 11-302 / 601 Kokutai
Porte-avions Taiho
1944
Date de mise en service : 1943

54
LES PORTE-AVIONS JAPONAIS
FER DE LANCE DE LA MARINE IMPÉRIALE
© Jean-Marie Guillou / LOS! 2012
NAKAJIMA C6N1 "SAÏUN" / "MYRT"
N°21-101 121 Kokutaï
Tinian, îles Mariannes
Septembre 1944
Date de mise en service : 1944

ÉPILOGUE
En décembre 1942, la Marine impériale fait ainsi état d’un retard de
30 % dans les plans initiaux de construction navale. Les chantiers ne
peuvent compenser l’ensemble des pertes par le lancement de nouvel-
les unités, d’autant plus que la flotte marchande perd 460 000 ton- Les batailles consécutives de 1944-45 consacrent la fin de l’aéronavale
nes de navires en 1942, 500 000 tonnes en 1943. Ces pertes de japonaise pour de multiples raisons, dont l’absence de protection des
navires marchands rendent difficile l’approvisionnement de l’archipel escadres de l’IJN par les sous-marins auxquels, de préférence, sont
en matières premières et retardent donc la construction de nouvelles attribuées des missions d’attaque, le non-renouvellement des unités
unités combattantes. coulées, la volonté obstinée de l’état-major d’obtenir sa bataille dé-
1944 correspond à la grande saignée qui prive le Japon de son outil cisive et un manque chronique de personnel qualifié, notamment de
aéronaval. Sur les 500 000 tonnes de porte-avions engagés dans la pilotes, dont les plus expérimentés ont péri durant les deux premières
défense du périmètre japonais, 295 000 sont détruites. Les batailles années de la guerre.
de la mer des Philippines en juin 1944 puis du cap Engano (Leyte) en Au final, la saignée est considérable : si
octobre marquent en effet un véritable tournant, puisque y disparaissent l’US Navy perd 10 porte-avions dans le
sept porte-avions nippons (Shōkaku, Taihō, Hiyō, Zuikaku, Chiyoda, Pacifique, les Japonais en déplorent, quant
Chitose, Zuihō) et plus d’un tiers de la capacité aéronautique impériale. à eux, 27 (sur 31 opérationnels) ! 15 sont
Désormais, la puissance de la flotte repose davantage sur les cuirassés détruits par des raids aériens, la plupart du
que sur les porte-avions, dont les plus belles unités ont disparu ! Le temps lancés depuis des navires américains ;
tonnage chute irrémédiablement et n’augmente légèrement en 1945 11 sont torpillés par des sous-marins ; un
que par la conversion d’unités civiles (Yamashiro Maru, Shimane Maru, autre saute sur une mine. Seuls 5 survi-
Otakisan Maru, Kumano Maru) surclassées tant en nombre qu’en s Le Kasagi, lancé le vent à la guerre et seront ensuite ferraillés.
qualité. La série de six porte-avions de 17 200 tonnes (Unryū, Amagi, 19 octobre 1944 et resté Cruelle ironie, parmi ces rescapés se trouve
inachevé, l’arrêt de sa
Katsuragi, Aso, Ikoma), mise en chantier au lendemain de Midway et construction ayant été
le Hōshō, prototype et premier porte-avions
quasiment achevée en août 1945, ainsi que la conversion du croiseur nippon qui permit à la Marine impériale de
s’inscrire dans la grande histoire navale. ̈
décidé en avril 1945, alors
lourd Ibuki ne permettront pas de redresser la situation. qu’il était terminé à 84 %.

55
ATLANTIQUE
1942

PAR GAUTIER LAMY


r Le U-66 de retour de patrouille le

COUP DE TIMBALE !
29 septembre 1942 à Lorient. Le sous-
marin, commandé par le lieutenant capitaine
Markworth, est l’un des derniers envoyés
en opérations dans les Caraïbes.
Droits Réservés

LES ÉTATS-UNIS FACE AUX U-BOOTE

L
E 11 DÉCEMBRE 1941, ALORS QUE PEARL HARBOR
FUME ENCORE, LE III. REICH DÉCLARE LA GUERRE
AUX ÉTATS-UNIS. CONVAINCU QUE LA BATAILLE DE
L’ATLANTIQUE DÉCIDERA DE L’ISSUE DU CONFLIT, L’AMIRAL
DÖNITZ DÉCIDE DE MENER UNE ACTION DÉCISIVE À LA
SOURCE DES APPROVISIONNEMENTS ALLIÉS. L’OFFENSIVE SOUS-
MARINE ALLEMANDE SUR LA CÔTE EST AMÉRICAINE EST L’UNE
DES PLUS AUDACIEUSES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE.

E n Allemagne, l’ouverture d’un front


Pacifique est considérée comme indis-
pensable pour écarter momentanément
le danger d’une intervention américaine
en Europe. Cela d’autant que le chargé
d’affaires du Reich à Washington, Hans Thomsen, a
rapporté à Hitler les réticences du Congrès à mener une
guerre sur deux océans. Avant les événements de Pearl
Harbor, le Führer poussait le Japon à attaquer Singapour
[1] Conclu entre les nations
de l’Axe (Italie, Japon et
Allemagne) en septembre
1940, il spécifie que le
Reich n’a à entrer en guerre
qu’en cas d’agression d’un
de ses partenaires par
une autre puissance.

[2] Depuis le début de la


en rien Hitler à rompre sa neutralité selon les engage-
ments du pacte tripartite [1], ce qui pourrait permettre
de consacrer les ressources nationales au front de l’Est.
Mais grisé par ses premiers succès militaires, le Führer
semble désireux de mettre un terme à la fausse neutra-
lité américaine [2]. Le 9 décembre 1941, contre toute
attente, il décrète – avec von Ribbentrop, son ministre
des Affaires étrangères – la levée de toutes les restric-
tions à la guerre navale contre les navires américains,
ou Vladivostok pour affaiblir soit la Grande-Bretagne, soit guerre en Europe, outre ce sans avoir pris la peine de consulter ses conseillers
l’URSS. Au printemps 1941, c’est dans cette optique leur fourniture d’armement militaires ! Deux jours plus tard, suite à un entretien de
qu’il a promis au ministre des Affaires étrangères japo- et de nourriture au trois minutes avec l’ambassadeur américain au ministère
Royaume-Uni, les USA
nais, Yosuke Matsuoka, que l’Allemagne entrerait en des affaires étrangères de la Wilhelmstrasse à Berlin,
signalent régulièrement
guerre aux côtés de l’empire nippon. Le raid aéronaval à la Royal Navy les la guerre est déclarée. Un nouveau traité tripartite est
surprise des Japonais sur Pearl Harbor n’oblige cependant positions des U-Boote. signé dans la foulée.

56
COUP DE TIMBALE !
LES ÉTATS-UNIS FACE AUX U-BOOTE

SANCTIONNER L’AMÉRIQUE
La déclaration de guerre de l’Allemagne ne fait que
formaliser une situation en place depuis le début de
la bataille de l’Atlantique. Dès 1939, les États-Unis se
sont en effet progressivement impliqués aux côtés de
leur allié historique qu’est la Grande-Bretagne. Ainsi,
en avril 1941, le président Roosevelt a décrété l’exten-
sion vers l’est de la Pan American Security Zone, un
vaste secteur de l’Atlantique allant du littoral américain
jusqu’aux abords de l’Islande, patrouillé par l’US Navy
et interdit aux U-Boote. En juillet, Roosevelt franchit
un palier supplémentaire en déclarant publiquement
que « la politique du gouvernement est désormais de
fournir à la Grande-Bretagne toute l’aide nécessaire
dans la guerre ». Au même moment, les garnisons
britanniques en Islande sont relevées par des troupes
américaines « neutres », une situation ambiguë qui ne
va pas manquer de provoquer un incident diplomati-
que : le 4 septembre 1941, le destroyer USS Greer
se retrouve par hasard au milieu d’un combat entre
un appareil britannique et le U-652 près des côtes
islandaises. Pris pour cible par le sous-marin, il réussit
à éviter deux torpilles, mais l’agression est néanmoins
condamnée par le président américain, qui la qualifie
d’« acte de piraterie ». Accordant à ses unités navales
le droit d’ouvrir le feu dans la zone de sécurité, il met r En levant, dès le
en garde les pays de l’Axe qu’« à partir de maintenant, 9 décembre 1941,
tout navire pénétrant dans ces eaux le fera à ses risques l’interdiction faite à ses
U-Boote de marauder dans
et périls ». Bref, à partir de mi-septembre, l’US Navy les eaux américaines, Hitler
est en état de guerre, et ses bâtiments participent à la cherche à gagner du temps
protection des convois aux côtés de la Royal Navy. Le pour que les sous-marins
17 octobre, escortant le convoi SC.48, l’USS Kearny soient déjà en route lors de la
déclaration de guerre, le 11.
est sévèrement endommagé par le U-568. Le 31, c’est
l’USS Reuben James qui est torpillé et coulé par le Sauf mention contraire,
toutes photos : US Nara
U-552 en protégeant le convoi HX.156 !
L’intervention américaine pour la sécurité du trafic [3] Befehlshaber der
transatlantique ne saurait constituer pour l’Allemagne U-Boote (BdU). côte Est des États-Unis, considérant que l’Atlantique Nord
un motif de guerre suffisant. Roosevelt le sait. À cette est le talon d’Achille des Alliés. Une vision non partagée
[4] Littéralement « coup
époque, rien ne justifie aux yeux des autorités américai- de timbale ». par Raeder, commandant en chef de la Kriegsmarine,
nes une protection accrue des navires marchands dans davantage préoccupé par le théâtre d’opérations médi-
leurs eaux territoriales et dans les Caraïbes. Ces voies { Le destroyer USS Kearny terranéen. Fin décembre 1941, Dönitz lance l’opération
dans les eaux islandaises
d’approvisionnement en cargaisons précieuses – tels « Paukenschlag » [4], qui n’est rien d’autre que l’attaque
après avoir été torpillé le
le coton, le sucre, l’essence, le fer, l’acier et la bauxite 17 octobre 1941. À son simultanée des principaux ports américains entre Halifax
– sont pourtant vitales à l’industrie américaine. bord, 11 hommes ont été et le cap Hatteras par ses submersibles. Outre d’infliger
Dès l’annonce de la spectaculaire entrée en guerre du tués et 22 blessés. des pertes au trafic allié, son objectif est aussi d’humilier
s Un destroyer américain
Japon, l’amiral Dönitz, commandant des U-Boote [3], éva- les Américains en se jouant de leurs défenses afin de
lue avec son état-major installé au château de Kernével, à dans l’Atlantique en créer un choc psychologique similaire à celui de Pearl
Lorient, les contraintes opérationnelles d’une attaque sur la novembre 1941. Harbor dans l’opinion publique.

57
ATLANTIQUE
1942

L'AUTONOMIE DES U-BOOTE


Typ VIIC 8 500 nautiques (15 750 km) à 10 noeuds en surface

Typ IXB 12 000 nautiques (22 230 km) à 10 noeuds en surface

Typ IXC 13 450 nautiques (24 910 km) à 10 noeuds en surface

Principal objectif, New York est à 3 000 nautiques de s Le U-123, prêt à tirer, en d’opération est suffisant pour causer des dommages
la base de Lorient. Les grands sous-marins Typ IXB janvier 1942, dans les eaux importants. En comparaison, les U-Boote envoyés le
(1 050 tonnes en surface) et IXC (1 120 tonnes) ont américaines. Les Typ IXB long de la route maritime empruntée par les convois SC,
sont armés de canons de
une portée suffisante pour atteindre la zone, tout en 105 mm. Face à l’absence
entre la Nouvelle-Écosse et l’Angleterre, peuvent dis-
gardant assez de carburant pour ensuite y patrouiller. de menaces navale et poser de 90 m3 à 140 m3 de carburant.
Une fois sur place, un Typ IXB aurait encore quelque aérienne, les commandants Par une attaque appuyée et soutenue, l’Allemagne
60 m3 de mazout en soute, soit six à sept jours de de U-Boot n’hésitent pas à pourrait infliger des dommages irrémédiables à
faire surface et à attaquer
navigation, tandis qu’un Typ IXC disposerait d’un leurs proies au canon. l’US Navy, encore mal préparée à la guerre et a for-
peu moins du double. Dans les deux cas, le temps Droits Réservés tiori à la guerre sous-marine. Menacer la liaison avec
l’Angleterre dans l’Atlantique Nord, la plus chargée
du monde, aurait un impact douloureux sur l’effort
de guerre allié ! Mais au même moment, le Führer
décide d’un envoi massif de U-Boote, dont de nom-
breux Typ IX océaniques, à l’ouest de Gibraltar pour
appuyer les opérations en Afrique du Nord, ainsi
que du maintien d’une vingtaine de bâtiments au
large de la Norvège contre un éventuel débarquement
allié en Scandinavie… Fin 1941, sur 91 sous-marins
opérationnels, 26 sont affectés en Méditerranée,
6 sont à l’ouest de Gibraltar et 8 le long de la côte
norvégienne. L’U-Bootwaffe ne dispose pas en fait
de réserves suffisantes pour être présente sur tous
les théâtres d’opérations puisque si une vingtaine
de bâtiments sont en permanence en mer, la moitié
d’entre eux sont dans la réalité en transit vers leur
base ou leur zone d’opérations. Bref, les « loups
gris », terreurs des océans, sont encore trop peu pour
être décisifs, et la proposition de concentrer toutes
les forces disponibles sur les côtes américaines est
rejetée, la Méditerranée restant la zone d’opérations
prioritaire. Le sachant, Dönitz demande 12 sous-
marins pour « Paukenschlag », un nombre qu’il juge
tout juste suffisant pour créer le choc attendu, mais
seule la moitié pourra être réquisitionnée !
Le dernier espoir du chef de la U-Bootwaffe est que
ses premiers succès sur les côtes américaines puis-
sent vite convaincre le Führer de lui allouer plus de
moyens par la suite… Dönitz n’a par contre aucun
doute quant à l’adhésion de ses commandants, excé-
dés par l’attitude de l’US Navy dans l’Atlantique
Nord. Il retient ainsi les U-66 (Richard Zapp), U-109
(Heinrich Bleichrodt), U-123 (Reinhard Hardegen),
U-125 (Ulrich Folkers) et U-130 (Ernst Kals) pour
former la première vague de « loups gris ». Celle-ci
est réduite à cinq bâtiments après l’immobilisation
à Lorient du U-126 (Ernst Bauer) pour réparations ;
il ne devrait être à nouveau disponible que le 8 jan-
vier 1942, trop tard pour participer activement
aux combats…
Le 23 décembre 1941, le U-123 appareille pour sa
septième patrouille de guerre. Il est le deuxième bâti-
ment du groupe à quitter Lorient. Le U-125, envoyé
en premier lieu dans l’Atlantique avant d’être affecté
à l’opération, l’a précédé le 18 décembre. Il est imité
par le U-66 le 25 décembre, puis les U-109 et U-130
le 27 décembre.

58
COUP DE TIMBALE !
LES ÉTATS-UNIS FACE AUX U-BOOTE

LE U-123 DEVANT LA CÔTE EST VOIR NEW YORK ET COULER


Le 14 janvier 1942, à 4h48, le commandant Hardegen r Cargo torpillé par un L’absence de décret sur l’extinction de l’éclairage urbain
croise ainsi au sud-est de Long Island, surveillant U-Boot. Le nombre de en bord de mer surprend les sous-mariniers allemands,
navires ainsi coulés au
l’horizon illuminé à tribord par les lumières du phare large des USA va émouvoir qui voient pour la plupart les rives du Nouveau Monde
de Montauk Point ; l’absence de black-out fait des l'opinion publique américaine. pour la première fois. Alors que les Britanniques,
Américains des hôtes généreux : manquant de don- Droits Réservés les Japonais et même les Allemands ont décrété le
nées cartographiques, le commandant peut sans [5] En avril 1942, lors de tests black-out dès la mobilisation, les Américains manquent
problème se référer à ces sources de lumière si gra- menés par l’US Navy, des à cette discipline. La Navy est convaincue jusqu’à
cieusement offertes pour corriger sa navigation et patrouilleurs parviendront l’aveuglement que les U-Boote demeurent des armes
se rapprocher à 50 nautiques du phare ! À 7h24, à discerner les lumières de haute mer ; aussi n’est ordonnée qu’une extinction
de New York à 40 km de
juste avant qu’une brume ne réduise la visibilité à distance malgré cette partielle et inutile du réseau à partir du 14 mars [5].
trois nautiques, des lumières sont aperçues à bâbord. extinction partielle... Les autorités semblent davantage préoccupées par les
La vitesse est réduite au minimum. Le bouton du Néanmoins, le black-out total intérêts du secteur touristique que par la sécurité du tra-
klaxon d’alarme à portée de main, Hardegen redoute ne sera jamais décrété ! fic maritime ! Une erreur d’appréciation à la hauteur du
d’avoir affaire à un destroyer. La guerre étant déclarée désastre à venir, car pour les commandants allemands,
depuis un mois, l’US Navy a sans doute renforcé sa le maintien des éclairages publics sur la côte Est révèle
présence dans le secteur… La silhouette sombre se la position des grands ports et permet de discerner les
rapproche et devient plus nette. C’est un pétrolier silhouettes des navires longeant le rivage.
panaméen, le Norness, en route pour
Halifax et naviguant comme en temps
de paix ! Sans escorte, abondamment
éclairé, le flanc du navire s’offre au
LES VICTIMES DU U-123
sous-marin comme un cadeau de Du 14 au 19 janvier 1942.
bienvenue, et, à 8h34, deux tor-
pilles sont expédiées au niveau de sa 14 janvier Pétrolier MV Norness 9 577 GRT Panama Coulé
poupe. L’une touche au but à 8h53, 15 janvier Pétrolier SS Coimbra 6 768 GRT Royaume-Uni Coulé
une deuxième frappe la coque sous 19 janvier Vraquier SS Norvana 2 677 GRT États-Unis Coulé
la passerelle, puis le coup de grâce 19 janvier Vraquier SS City of Atlanta 5 269 GRT États-Unis Coulé
est donné par une dernière anguille à
9h10. Le Norness sombre avec tout 19 janvier Vraquier SS Ciltvaira 3 779 GRT Lettonie Coulé
son carburant. « Paukenschlag » vient 19 janvier Pétrolier SS Malay 8 208 GRT États-Unis Endommagé
de faire sa première victime.

59
ATLANTIQUE
1942
Dans ces conditions, les nombreux cargos esseulés fré-
quentant ces eaux deviennent des proies bien faciles !
ZONES DE DÉFENSE CANADIAN COASTAL Cette insouciance est révélatrice d’une méconnais-
ZONE
DU LITTORAL AMÉRICAIN sance de la guerre sous-marine moderne. L’amiral
1942 HALIFAX
King, commandant en chef de la flotte américaine,
persiste ainsi à penser que la tactique de meutes,
largement utilisée par les Allemands dans l’Atlantique,
est inopérante près des côtes, zones trop exposées
aux patrouilles aériennes et de surface ; le recours à
NEW YORK
des convois escortés sur le littoral est donc inutile !
Par conséquent, le positionnement des forces navales
WASHINGTON américaines est mauvais, puisque la flotte atlantique de
l’US Navy est monopolisée par les missions d’escorte
de convois en haute mer. En janvier et février 1942,
EASTERN SEA FRONTIER 41,7 % des destroyers américains sont stationnés dans
le couloir Halifax–Argentia–Hvafjord–Londonderry, où
seront enregistrées 6,33 % des pertes dans l’Atlan-
tique Nord, tandis que seulement 4,9 % sont assi-
gnés dans les eaux territoriales de l’East Sea Frontier
(ESF) [6], là où 49,3 % du tonnage sera perdu !
Les U-Boote sont donc libres de leurs mouvements
MIAMI et les défenseurs inexistants. Le 12 janvier, avant
GULF SEA FRONTIER l’arrivée du U-123 devant Long Island, un tableau des
forces disponibles émis par l’ESF montre que trois bâti-
SAN JUAN ments seulement sont en état d’alerte entre New York
et Philadelphie, sept autres à Norfolk… Les suites
du torpillage du Norness confirment vite l’intérêt des
« loups gris » pour le trafic côtier. Entre le 15 et le
CARIBBEAN SEA FRONTIER 18 janvier, six marchands sont coulés, tous à moins
de 60 nautiques du littoral.

s L’USCGC Spencer, navire garde-côtes américain de la classe


Treasury, est reconverti en chasseur de sous-marins et placé
COLÓN sous l’autorité de l’US Navy fin 1941. Il est responsable de la
destruction du U-175, le 17 avril 1943, au sud-ouest de l’Irlande.

PANAMA SEA FRONTIER

60
COUP DE TIMBALE !
LES ÉTATS-UNIS FACE AUX U-BOOTE

LES HÉSITATIONS DE L’US NAVY


Côté américain, deux conceptions de la guerre navale s’opposent en
haut lieu. D’une part, Roosevelt s’échine à convaincre les militaires
de l’utilité d’unités légères aux capacités anti-sous-marines accrues,
à l’image des Patrol-Boats de 1918, ces patrouilleurs côtiers alors
construits dans l’urgence pour permettre de quadriller efficacement
l’espace maritime américain [7]. Adjoint du secrétaire d’État à la
Marine de 1913 à 1920, il pense connaître mieux que quiconque
le potentiel de nuisance des U-Boote [8], mais le soutien politique
dont il dispose sur les questions militaires est faible. Pour preuve,
le 13 novembre 1941, il n’a fait adopter qu’à une faible majorité
une mesure permettant aux marchands se dirigeant vers les ports
britanniques d’accueillir à leur bord des détachements de gardes
armés. La politique de construction de ces petites unités navales
se heurte d’autre part à la prépondérance au sein de l’Amirauté
de ce qu’on appelle le « Gun club », ces politiciens et anciens
officiers supérieurs, appuyés par le très influent lobby des chan-
tiers navals. Eux se préparent à une nouvelle bataille du Jutland et
préféreraient voir l’essentiel des crédits de dotation de l’US Navy
attribués à la construction de grands cuirassés et croiseurs de
bataille [9]. L’amiral King préconise
ainsi la production d’« un type de
navire d’escorte plus adapté ; long de
w Ernest King est nommé
200 à 300 pieds, vitesse de 25 nœuds,
déplacement de 1 000 tonnes ou commandant en chef de la
plus ». Selon lui, le président « n’a pas flotte de l’Atlantique en 1940.
compris que les nazis ont considéra- Promu amiral en février 1941,
blement amélioré leurs U-Boote depuis il prend la tête de l’US Navy
dans les mois suivant la
la dernière guerre » [10]. déclaration de guerre, en
King estime toujours à cette date combinant deux fonctions :
« qu’un convoi sans protection adé- celle de chef de la flotte et
celle de chef des opérations.
quate est pire qu’un convoi en étant
dépourvu », prétextant un défaut de moyens pour bien soin d’ignorer cette suggestion… Les destroyers
justifier son indifférence aux problèmes endurés par modernes de l’US Navy [11], rapides, manœuvrants
l’ESF. Il occulte alors le principe énoncé par l’amiral et puissants, ont les capacités requises pour tenir tête
Sims, emblématique commandant américain et grand aux U-Boote. Ce sont malheureusement les navires
artisan de la tactique des convois pendant la Grande les moins bien distribués de la flotte Atlantique : en
Guerre : « [le convoi] doit être une action offensive janvier et février 1942, des quelque 70 bâtiments
car, si nous concentrons notre flotte commerciale en en service sur la façade Est, une quinzaine se trouve
convois et la protégeons à l’aide de nos forces navales, en permanence à quai pour réparations, tandis que
nous inciterons l’ennemi […] à venir au contact de le reste est stationné en haute mer, sur la route des
nos forces navales… Nous adoptons ainsi le principe [6] Commandement convois vers l’Angleterre.
essentiel de la concentration, tandis que l’ennemi le opérationnel des eaux L’état opérationnel des forces aériennes n’est guère
territoriales Est, du
perd. » King s’aligne en revanche sur la position du Canada à Jacksonville. plus réjouissant. Depuis un décret du Congrès de
commandant Edward Ellsberg, considéré avant-guerre 1920, tous les aéronefs sont sous le contrôle de
comme faisant autorité sur les questions sous-mari- [7] En 1917-18, aucun l’US Army, qui ne possède pas d’équivalent au Coastal
nes : ce dernier juge ridicule l’envoi massif de U-Boote d’eux n’a accroché de Command de la Royal Air Force. L’amiral Andrews,
sous-marins allemands à
en opérations près des côtes américaines et canadien- son tableau de chasse. commandant de l’ESF, s’appuie sur l’Army First Air
nes. Pour lui, Hitler n’aurait expédié que deux à trois Support Command et le First Bomber Command pour
bâtiments pour entretenir la peur, car « l’Allemagne [8] Entre avril et novembre les patrouilles côtières. Il ne dispose que de 103 avions
serait plus avisée de concentrer ses forces sous-mari- 1918, six U-Boote avaient
coulé 24 navires de
de capacités variables, les trois quarts inaptes à la lutte
nes dans la mer du Nord ». Si une majorité d’officiers commerce et 76 petites anti-sous-marine et inopérants la nuit… De Salem, au
juge possible une attaque allemande de grande enver- embarcations pour nord, à Elizabeth City, au sud, les moyens dont il dis-
gure dans les eaux littorales, le Haut commandement 2 000 à 10 000 GRT. pose sont les suivants : 51 appareils d’entraînement,
de l’US Navy semble acquis à la vision d’Ellsberg. [9] En 1942, le comité spécial 18 de reconnaissance à faible rayon d’action, 14 uti-
L’incompréhension semble profonde et durable entre d’investigation du programme litaires, 7 transports, 6 patrouilleurs, 3 torpilleurs,
le président et les militaires, et Roosevelt, dépité, de défense national du 3 chasseurs et un unique bombardier. Aucun n’est
écrira le 18 mars 1942 à Churchill : « la plupart des sénateur Truman dénoncera capable de mener une mission de patrouille maritime
ces connivences entre
officiers de marine privilégient le passé […] Vous l’Amirauté et les industriels. à longue distance. De plus, l’armement d’un XPBM-1
avez appris la leçon il y a deux ans. Nous devons Mariner ou d’un Consolidated PBY-5 Catalina avec des
encore l’apprendre. » [10] Archives personnelles grenades de profondeur prend alors six heures, un
Son seul allié de poids est l’amiral Stark, chef des de l’amiral King. Note délai inconcevable pour orchestrer une traque efficace
postérieure à 1943.
opérations navales, qui a émis en juin 1941 une et soutenue ! De plus, les pilotes envoyés en renfort
demande auprès du secrétaire d’État à la Marine por- [11] Les plans des classes par l’Army ne sont pas habitués à l’environnement
tant sur « la construction de 101 bâtiments de petite Benson (1 620 tonnes maritime et encore moins à la lutte anti-sous-marine.
taille […] en addition aux 10 remorqueurs de haute Washington), Gleaves Fin janvier 1942, la couverture des 600 miles sous
(1 630 tonnes) et Sims
mer, un grand nombre de navires de patrouille de (1 570 tonnes) sont contrôle de l’ESF n’est assurée que par deux patrouilles
165 pieds et quelques 110 pieds […]. » King prendra postérieurs à 1938. quotidiennes de six appareils !

61
ATLANTIQUE
1942
blindés légers, 600 fusils, 5 210 tonnes de munitions,
2 428 tonnes de fournitures diverses et 1 000 tonnes
de carburant [12]. À la mi-février, 22 navires ont déjà
été envoyés par le fond, pour un total de plus de
144 000 GRT !
Les U-Boote ont coulé un impressionnant stock de
matériels de guerre destiné au Royaume-Uni, sous
les yeux des citoyens américains. Le succès de
« Paukenschlag », ainsi que l’action efficace des douze
Typ VIIC de la meute « Ziethen » autour de Terre-Neuve
[13], marque le début de la « seconde période heu-
reuse » de l’U-Bootwaffe (la première ayant eu lieu au
début de la guerre en 1939-40). Hitler célèbre le neu-
vième anniversaire de son règne en traitant Roosevelt
de « pauvre idiot ».
Dès le 7 février, King cède aux insistances d’Andrews et
permet que de petites unités de garde-côtes soient équi-
pées de charges de profondeur et de canons puissants.
Stark, de son côté, obtient le 12 février l’armement de
petits yachts et navires de pêche du cap Cod. Rapides
et légères mais tenant trop peu la mer, ces unités sont
inadaptées à l’escorte de convois. À la fin du mois de
mars 1942, l’ESF ne dispose encore que de 60 navires :
15 patrouilleurs, 5 chasseurs de sous-marins, 2 canon-
nières et 24 chalutiers britanniques équipés pour la lutte
r Le Dixie Arrow, frappé
CINQ « LOUPS GRIS »
anti-sous-marine (une aide extérieure refusée jusque-là
à mort par deux torpilles par King). L’ESF demande 15 destroyers supplémentai-
du U-71, sombre au
TERRORISENT L’AMÉRIQUE
res mais n’en obtiendra que sept [14]. Si les moyens
large du cap Hatteras
le 26 mars 1942.
augmentent sensiblement, la désastreuse stratégie de
défense côtière persiste contre vents et marées. Comme
Deux naufrages vont cristalliser les craintes de l’opinion l’explique le vétéran et historien Wolfgang Frank :
et créer une intense agitation médiatique. Le 19 janvier, « Après deux mois de guerre, [les navires de guerre
[12] Chiffres avancés
le tanker américain SS Malay est endommagé par le par Morrison, Battle américains] naviguent toujours indépendamment. […]
U-123 à moins de dix nautiques du cap Haterras. Le of the Atlantic. Pour couronner le tout, ils n’ont aucune notion de la
navire reste à flot malgré une seconde attaque à la sécurité ; ils échangent des informations diverses sur
[13] Du 6 au 22 janvier 1942,
torpille et parvient à rallier le port d’Hampton Roads. les ondes radio, et les stations de la défense côtière
12 navires y sont coulés et
Les témoignages des marins rescapés vont alimenter la 3 autres endommagés. émettent un programme régulier d’informations donnant
psychose, et l’absence de la Navy dans une zone si fré- les détails des opérations de sauvetage en cours et la
quentée est pointée du doigt par la presse. Le New York [14] Utilisés aléatoirement localisation et trajets des patrouilles aériennes ainsi que
dans d’infructueuses
Times s’indigne que « la Marine, engagée dans une patrouilles, ils vont se
les plans de route des unités anti-sous-marines. » De
vaste traque de la meute de sous-marins responsable révéler aussi inutiles que plus, le rôle des patrouilles se limite trop souvent à la
de ces attaques, continue de dissimuler ses éventuels les navires garde-côtes. récupération des naufragés…
succès derrière la censure la plus stricte ». Le même
jour, le paquebot canadien SS Lady Hawkins, parti de

L’U-BOOTWAFFE
Boston et à destination des Bermudes avec 300 civils
à son bord, est attaqué par le U-66 à 150 nautiques

ACCROÎT SES CAPACITÉS OPÉRATIONNELLES


du cap Hatteras. Touché par deux torpilles, il coule en
trente minutes, emportant avec lui 230 passagers et
membres d’équipage. La tragédie provoque un scandale
dans la presse, et, le 20 janvier, lors d’une conférence Dès le retour de sa première vague de U-Boote, l’amiral Dönitz envisage l’en-
de presse houleuse à la Maison-Blanche, la question voi de toutes ses unités disponibles vers l’Amérique du Nord. Les bâtiments
surgit : « Où est la Marine ? » Roosevelt élude le sujet achevant leur cycle d’entraînement dans la Baltique reçoivent l’ordre de rallier
en invoquant le « secret défense », prétendant « [qu’il immédiatement les bases françaises pour s’y préparer.
devrait] pour répondre à cette question montrer aux Galvanisé par ce premier succès, Hitler paraît un temps disposé à réduire la pré-
journalistes la position de chaque bâtiment américain, sence sur la côte norvégienne à huit sous-marins, mais, à la mi-février, quelques
ce qui est impossible ». raids aériens mineurs visant des unités de surface allemandes dans les ports
Deux jours plus tard, le New York Times titre « La Marine norvégiens confirment finalement sa crainte d’un débarquement allié, et il rétablit
retient son souffle ». Les autorités minimisent les pertes
et entretiennent le doute sur la capture et la destruction
d’éventuels U-Boote, déclarant qu’aucune annonce ne
sera faite, en respect du « programme de sécurité ».
Bien que confiant et rassurant en public, le comman-
TABLEAU DE CHASSE DES CINQ U-BOOTE
dement opérationnel de l’US Navy à Washington est Au 25 février 1942.
inquiet : avec 14 cargos coulés au 31 janvier, les per- .
tes prennent des proportions inquiétantes, menaçant U-123 40 345 GRT coulés 6 navires
l’intégrité du commerce pan-américain ; un bilan très U-130 36 943 GRT coulés 6 navires
lourd si l’on considère que le naufrage de deux cargos U-66 33 456 GRT coulés 5 navires
de 6 000 tonnes et d’un pétrolier de 3 000 tonnes
U-109 27 651 GRT coulés 4 navires
avec leur cargaison équivaut à la perte au combat
de 44 chars, 136 pièces d’artillerie, 74 véhicules U-125 5 666 GRT coulés 1 navire

62
COUP DE TIMBALE !
LES ÉTATS-UNIS FACE AUX U-BOOTE

le dispositif à 20 bâtiments, ce qui va affecter la suite


de la bataille de l’Atlantique. Selon l’historien naval
S. W. Roskill, « inévitablement, le poids de l’offensive
sur les côtes américaines a décliné juste au moment
où elle devenait la plus profitable ». Dès le 16 février,
une deuxième vague de Typ IX prend position entre
Cuba et New York, alors qu’une troisième est en vue
des ports pétroliers des Caraïbes. Des Typ VII, plus
petits et moins autonomes, sont envoyés en appui
entre la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve. D’ingénieuses
dispositions permettent en effet de repousser les limi-
tes opérationnelles de ces submersibles à faible rayon
d’action : les réservoirs d’eau sont en partie utilisés
pour stocker du carburant supplémentaire, les réserves
de nourriture sont accumulées dans les quartiers de vie
de l’équipage, et la traversée se fait à faible vitesse sur
un seul moteur pour économiser le diesel. Ils peuvent
ainsi atteindre New York, voire le cap Hatteras. Les
résultats ne se font pas attendre : en février, 66 mar-
chands sont perdus au large des côtes américaines et
canadiennes, 9 autres dans les Caraïbes. En mars, ce
sont 70 navires alliés et neutres qui sont victimes des
U-Boote. Le dispositif logistique est alors complété le
21 avril par un sous-marin ravitailleur [15] positionné
près des Bermudes.

r Des escorteurs de la Royal Canadian Navy amènent « à bon port » un convoi


marchand. La RCN souffrira de nombreux problèmes matériels au début du conflit.
[15] Les Milchkühe, littéralement « vaches à lait », sont des
rr À partir de novembre 1941, le Congrès américain autorise l’armement des navires Typ XIV transportant 432 t de carburant, quatre torpilles
marchands. Des canons de 100 mm sont prélevés sur les vieux destroyers des classes Wickes et de la nourriture dans des unités frigorifiques. En avril
et Clemson. Ils sont mis en œuvre par des artilleurs de l’United States Navy Armed Guard. 1942, l’U-459 est l’unique ravitailleur en service.

63
ATLANTIQUE
1942
v « Torpedo los ! » Vue d’un torpillage de navire marchand
depuis le périscope d’un U-Boot en immersion.
Droits Réservés

s Un équipage de U-Boot au travail. Les barbes


fournies et les torses nus permettent de deviner que
ces hommes naviguent depuis plusieurs semaines dans
une mer chaude, certainement celle des Caraïbes.
Droits Réservés

réquisition de 20 PBY-5 Catalina et de 70 OS2U-3


Vought Sikorsky initialement destinés à la RAF. Fin
avril, l’ESF met en œuvre près de 150 avions. Cette
montée en puissance a des effets immédiats : sur neuf
U-Boote coulés dans les eaux américaines à partir du
14 avril, deux le sont par des destroyers, trois par des
patrouilleurs et quatre par des aéronefs.

AU SUD,
TOUJOURS PLUS AU SUD !
Le développement des capacités anti-sous-marines
américaines et l’organisation de convois sous escorte
induisent un déplacement progressif des combats vers
Les Américains tentent par tous les moyens – exceptée [16] USS Captor (MS Wave), le sud. À la fin du mois d’avril, les torpillages chutent
l’organisation de convois – de limiter les pertes. Ils Asterion (SS Evelyn), Atik au large de la côte Est et se reportent dans la zone
(SS Carolyn), Big Horn
obligent leurs cargos à naviguer plus près du littoral, (SS Gulf Dawn) et Irene caribéenne, qui devient le nouveau terrain de chasse
ce qui a pour effet de concentrer encore davantage Forsyte (Irene Myrtle). des U-Boote. En mai, est atteint un chiffre record de
le trafic ; des zones d’ancrage nocturnes protégées 41 navires pour près de 250 000 GRT pour le seul
sont également aménagées entre Jacksonville et [17] Ces marchands armés golfe du Mexique et de 38 navires pour 200 000 GRT
New York, mais ce système « Bucket Brigade » donne sont intégrés au trafic sous dans les Caraïbes ! Le 6 juin, l’envoi du ravitailleur
des résultats mitigés ; des bâtiments de commerce une dénomination civile. U-459 pour sa deuxième mission près des Bermudes
Le plus grand secret est
armés sont même dispersés le long des principales permet le maintien permanent d’une douzaine de sous-
entretenu autour de leur
routes maritimes. Au nombre de cinq [16], aucun identité militaire, connue marins au large des USA et d’une vingtaine dans les
d’eux ne se trouvera jamais directement aux prises uniquement de l’Amirauté. Caraïbes et le golfe du Mexique.
avec un U-Boot, sauf l’USS Atik lors d’une rencontre
qui lui sera fatale : le soir du 26 mars 1942, le U-123
d’Hardegen chasse de nouveau à 270 nautiques du
cap Hatteras. C’est sa deuxième campagne dans les
eaux américaines. À minuit, il croise la route d’un
cargo identifié comme le SS Carolyn [17] et expédie
une torpille au centre du navire. L’évacuation de l’équi-
page est en cours, et un SOS est capté par l’opéra-
teur radio du sous-marin en approche. Soudain, des
panneaux sont abaissés, et les armes de pont qu’ils
dissimulent font feu immédiatement, emportant un
aspirant allemand. Le U-Boot est contraint de plonger
et se trouve immédiatement secoué par des charges
de profondeur, ébranlant sa structure sans causer
d’avarie. Hors de portée, il ne refait surface que pour
voir sombrer le SS Carolyn / USS Atik… Ces mesures
dérisoires et ces stratagèmes obsolètes n’empêchent
pas les pertes américaines de se maintenir au même
niveau. Mi-mars, l’amiral King juge « désespérée la
situation sur la côte Est ». Sir Dudley Pound, First
Sea Lord de la Royal Navy, alarme alors King sur l’ur-
gence vitale de l’introduction d’un système de convois.
Il aura fallu près de quatre mois à l’US Navy pour com-
prendre ses erreurs ! Le programme de construction
de petites unités, débuté en avril sous la désignation
de programme « 60 bateaux en 60 jours », commence
à porter ses fruits : le nombre de navires disponi-
bles passe à 156 fin juillet. Andrews peut désormais
compter sur 33 patrouilleurs et 34 navires de lutte
ASM, sans oublier les yachts réquisitionnés de 75
et 175 pieds. Les forces aériennes connaissent éga-
lement un accroissement de leurs moyens avec la

64
COUP DE TIMBALE !
LES ÉTATS-UNIS FACE AUX U-BOOTE

Convois lents Convois rapides


SC
SYSTEME DES CONVOIS HX
1942-1943
Routes maritimes
XX
Code du convoi
SYDNEY
ONS

HALIFAX
ON
BX HX

BOSTON

ON
NEW YORK

PHILADELPHIE
BALTIMORE
WASHINGTON

NORFOLK
KN
GN
WILMINGTON

CHARLESTON Océan Atlantique

PENSACOLA
NOUVELLE ORLEANS
MOBILE JACKSONVILLE
PORT ARTHUR
HOUSTON
PK NK
NG
HK KH HK KP MIAMI

KH KEY WEST
Golfe du Mexique
KG
LA HAVANE
SAN JUAN
GUANTANAMO
GK
PORT ROYAL TAG Mer des Caraïbes
PORT-D'ESPAGNE TJ
ZG GAT TS
ARUBA GAT TB
CURAÇAO
TAG

ZC

GZ

COLÓN

Océan Pacifique

65
ATLANTIQUE
1942
De plus, fin 1942, il estime la Grande-Bretagne déjà
vaincue et incapable de riposter, certain qu’elle deman-
dera la paix une fois l’URSS abattue. Par conséquent,
l’industrie allemande, au lieu de porter ses efforts sur
la production de sous-marins, s’est obstinée dans la
construction de chars à destination du front de l’Est.
Pour le lieutenant commandant Patrick Beesly, officier
de renseignements auprès de l’Operations Intelligence
Centre à Londres, « l’holocauste aurait pu être large-
ment évité si seulement l’US Navy avait été disposée
à apprendre des expériences amères endurées par les
Britanniques et Canadiens en deux ans et demi de
guerre… » [19] L’amiral King, dont la réputation ne
souffre d’aucune accusation d’anglophobie, a toujours
pris soin de rejeter les recommandations de ses homo-
logues britanniques, ignorant même les renseignements
fiables fournis par les services de renseignements de la
Royal Navy et refusant toute aide matérielle jusqu’en
mars 1942. En maintenant sa confiance en une lutte
offensive aléatoire et infructueuse aux dépens d’une
tactique défensive éprouvée par ses alliés, il a indu-
bitablement concouru aux formidables résultats des
U-Boote dans les eaux américaines. ̈

Le 19 juin 1942, le général Marshall, chef d’état- r À partir de 1942, le


major de l’US Army, écrit à King : « Les pertes par
sous-marins sur notre façade atlantique et dans les
« K-Gun », système de
lancement de charges
BIBLIOGRAPHIE
de profondeur (ici sur un
w Gannon (M.), Operation
Caraïbes menacent désormais tout notre effort de destroyer britannique),
guerre. […] Des 74 navires destinés à l’armée pour devient l’équipement
standard des navires de Drumbeat, New York, 1990
w Macintyre (D.), The Battle of
juillet, 17 ont déjà été coulés, 22 % de la flotte de
guerre alliés.
bauxite ont été détruits, 20 % de la flotte portoricaine
the Atlantic, Londres, 1961
w Mallmann Showell (J.P.), U-Boats
ont été perdus. Le torpillage des pétroliers représente [18] Le Plan Z prévoyait de
3,5 % par mois du tonnage en exploitation. Nous multiplier les constructions
de U-Boote pour pouvoir under the Swastika, Londres, 1987
w Wynn (K.), U-Boat operations
sommes tous au courant du nombre limité d’escor-
en maintenir 300 en
teurs disponibles, mais tous les moyens ont-ils été service à l’horizon 1948. of the Second World War, Vol.
envisagés pour infléchir la situation ? J’ai peur qu’un
[19] Beesly( P)., Very 1 & 2, Annapolis, 1998
ou deux autres mois dans ces conditions ne fissurent
Special Intelligence.
nos moyens de transport au point que nous soyons
incapables d’acheminer suffisamment d’homme et
d’avions pour lutter contre l’ennemi sur les théâtres
d’opérations critiques et exercer une influence déter-
minante sur la guerre. »
L’instauration d’un système d’escorte renforcée
du golfe du Mexique au Canada marque la fin de la
« seconde période heureuse » de l’U-Bootwaffe. La
flotte commerciale américaine a alors perdu 397 bâti-
ments pour plus de 2 millions de GRT. Dès la fin du
mois de juin, l’amiral Dönitz se résigne : « le futur de
la guerre sous-marine est au retour à des attaques
en meutes ». Le 19 juillet, les derniers « loups gris »
rôdant près du cap Hatteras, les U-754 et U-458, sont
rappelés vers l’Atlantique Nord.

LA SOURDINE
ET LE COUP DE TIMBALE
Les ressources limitées de l’U-Bootwaffe l’ont empê-
chée de peser durablement sur ce théâtre d’opérations,
et l’amiral Raeder s’est rendu fautif de n’avoir pas
privilégié cette arme avant 1939. Cédant, à l’instar
de la plupart des officiers allemands de l’époque, à
la tradition navale qui a toujours privilégié la flotte de
surface, il n’a engagé que tardivement la production de
U-Boote [18] à grande échelle. Hitler, animal terrestre,
n’a quant à lui pas suffisamment considéré la rupture
des communications transatlantiques comme une réelle
priorité stratégique et en a trop sous-estimé la portée.

66
COUP DE TIMBALE !
LES ÉTATS-UNIS FACE AUX U-BOOTE

PRODUCTION & PERTE


DES NAVIRES MARCHANDS AMÉRICAINS
En millier de tonneaux

2 000

1 500

Production

1 000

500
Pertes

1940 1941 1942 1943 1944 1945

r Une partie de l’équipage du U-103 se positionne pour une douche revigorante s L’organisation de convois escortés le long des voies maritimes
dans les eaux chaudes du littoral américain. Ce temps de loisir ne sera bientôt entre le golfe du Mexique et la côte Est d’Amérique du Nord
plus possible, avec le renforcement des patrouilles aériennes : les U-Boote devient systématique à partir de la mi-mai 1942. Cette mesure va
devront rester en immersion bien plus souvent pour ne pas se faire repérer… progressivement chasser les U-Boote vers la haute mer.
Droits Réservés

67
ACTU

LA RENAISSANCE
r Un SOC-R de la Special
Boat Team 22 ouvre le feu à la
minigun lors d’une opération
simulée en août 2009 dans
PAR XAVIER TRACOL les bayous du Mississippi.

Toutes photos : DoD

DE LA BROWN-WATER NAVY
L’US NAVY REDÉCOUVRE

L
E 1ER JUIN 2012, L’US NAVY A MIS EN
PLACE UN NOUVEAU COMMANDEMENT, LES OPÉRATIONS FLUVIALES
LA COASTAL RIVERINE FORCE (CRF),
EN FUSIONNANT DEUX UNITÉS : LE RIVERINE
GROUP 1 – BRAS ARMÉ DU NAVY EXPEDITIONARY COMBAT
COMMAND – ET LA MARITIME EXPEDITIONARY SECURITY
FORCE. SIX ANS APRÈS L’ENVOI EN IRAK D’UNE VÉRITABLE
FORCE FLUVIALE, CETTE RÉORGANISATION TENDRAIT À
PROUVER QUE LA NAVY A SAISI TOUTE L’IMPORTANCE DES
« EAUX VERTES ET BRUNES ».
68
LA RENAISSANCE
DE LA BROWN-WATER NAVY

L a survivance de la flotte fluviale américaine


semble aujourd’hui assurée, un soulage-
ment pour l’US Navy qui ne voulait pas
voir réédité l’abandon de 1970. Durant la
guerre du Viêtnam, avait en effet été créée
conjointement avec l’Army une Mobile Riverine Force
(MRF) pour sécuriser le delta du Mékong. Reprenant à
son compte les patrouilles de canonnières de l’époque
coloniale – et de la récente guerre d’Indochine –, cette
r Un SURC du Riverine
Squadron 3 patrouille sur
le lac Quadsiyah, en juillet
2008, avec un contingent
embarqué du 11th Marine
Regiment pour assurer la
sécurité du barrage. Des
protections balistiques
amovibles ont été rajoutées
pour les « passagers ».
lagunes se comptent par milliers ! Dans les régions qui
« intéressent » les USA, ils sont particulièrement nom-
breux et stratégiquement importants : golfe persique,
Asie du Sud-Est, Amérique latine, golfe de Guinée…
Bref, que ce soit pour lutter contre le narcotrafic, pour
surveiller les « États voyous » ou pour contrôler les
principaux points de passage maritimes, une Brown-
Water Navy s’impose ! Certes, le Pentagone peut
déjà compter sur l’US Coast Guard comme « police
flotte d’embarcations spécialisées devait éradiquer le des mers », mais ce dont il a réellement besoin c’est
Viêt-cong dans une zone d’îles, de marais et de rizières d’une force de frappe « projetable » hors des eaux
compartimentée par de très nombreux bras de mer. territoriales et extrêmement mobile.
Mais en 1970, la MRF avait été purement et simple-
ment dissoute, reléguant aux oubliettes de l’histoire
l’expérience américaine du combat fluvial moderne.
La Coastal Riverine Force revient donc de loin, et
DES FLOTTES DE TOUTES LES COULEURS
son absence au sein de la Marine américaine forme
une parenthèse de quelque 40 années ! En 1970, la Blue-Water Navy
continuation de la guerre froide accapare ailleurs les Force navale ayant des capacités océaniques, c’est-à-dire le pouvoir de se dé-
budgets de la Navy, qui a besoin de toujours plus de placer et de combattre dans un environnement maritime ouvert et de projeter
porte-avions, de sous-marins et d’unités de surface une force militaire loin du territoire national. Elle inclut nécessairement, de nos
sophistiquées pour pouvoir faire face à ses homolo- jours, une composante aéronavale.
gues soviétique et chinoise. Mais la chute de l’URSS,
le réchauffement des relations avec Pékin et l’émer- Green-Water Navy
gence d’un terrorisme globalisé changent la donne Force navale dédiée au contrôle ou à la défense des côtes, ports et eaux lit-
dans les années 2000 : l’US Navy a la capacité de torales. Outre des navires de moyen tonnage (patrouilleurs, destroyers, etc.),
projeter comme aucune autre marine au monde une elle peut intégrer une composante amphibie.
force amphibie à l’autre bout de la planète, mais elle
n’est pas préparée au contrôle des littoraux, ces fa- Brown-Water Navy
meuses « eaux vertes et brunes » si particulières : Force navale spécialement créée pour la navigation dans les rivières, les fleuves
forts courants, hauts-fonds, marées, ouvrages d’art, côtiers et leurs estuaires jusqu’à 100 nautiques des terres. Elle est souvent
installations portuaires, important trafic, etc. Or, il composée d’unités légères, rapides et à fond plat (canonnières, moniteurs,
suffit de jeter un œil sur une carte pour en compren- vedettes, etc.).
dre l’importance : estuaires, baies, fleuves côtiers et

69
ACTU

v La plage arrière du RCB 802, rattaché au


Riverine Squadron 2 lors d’une mission de
reconnaissance d’un littoral début 2012.

s Une embarcation du Riverine Squadron 1 sécurise


une plage lors de manœuvres en mars 2010. L’action
est supervisée depuis le RCB au second plan.

L’une de leurs principales missions est la pro-


tection du barrage d’Haditha – qui produit un
tiers de l’électricité nationale – et, de manière
plus globale, de l’Euphrate, dans la province
d’Al-Anbâr. Car ce dernier compte quelque
79 îles ou îlots qui font le bonheur des insurgés
pour y installer leurs caches d’armes ou leurs
bases de repli.
Ayant réappris à l’instruction les méthodes
de leurs « anciens » au Viêtnam, les Riverines
peuvent faire appel à un appui aérien si né-
cessaire. Pour étancher leur constante soif

L’EXPÉRIENCE IRAKIENNE
bonnes relations avec les locaux, obtenir des de renseignements, ils utilisent aussi quel-
renseignements, etc. L’occupation de l’Irak ques drones Silver Fox (11 kg et dix heures
s’éternise, et les insurgés sont de plus en d’autonomie), qui ont la particularité de pou-
La guerre en Irak va servir de tremplin. Lors plus nombreux, de mieux en mieux organi- voir décoller de leurs embarcations légères.
de l’invasion en 2003, la région littorale de sés. Or, l’état-major manque d’hommes sur Mais leurs principaux atouts restent leurs
Bassora est d’un grand enjeu stratégique, avec le terrain et souhaite dégager l’USMC de sa navires (voir encadré) rapides et maniables,
ses installations portuaires (les plus vastes mission de sécurité fluviale pour la confier à ainsi que leur grande puissance de feu qui
du pays) et ses plates-formes pétrolières. La l’US Navy. En mai 2006, celle-ci crée donc dissuade les insurgés de s’en prendre direc-
mission de capturer ces équipements revient de toutes pièces une unité spécifique – avec tement aux patrouilleurs. Car les missions de
aux Marines et aux forces spéciales, qui eux des équipages habitués à la pleine mer – dont « présence sur zone » – avec 43°C sous le
seuls possèdent des unités adaptées. Mais si les attributions sont cantonnées aux « eaux soleil – sont le quotidien des hommes : en mai
s’en assurer est une chose, les protéger en est brunes », comblant ainsi le fossé entre les 2011, soit cinq ans après leur création, les
une autre : il faut patrouiller inlassablement le forces terrestres et les escadres opérant dans Riverines Squadrons (RIVRON) ont effectué
Tigre et l’Euphrate sur des dizaines de kilo- l’océan. Le Riverine Group 1 comptera à terme 7 déploiements en Irak, plus de 430 patrouilles
mètres, contrôler des centaines d’embarca- trois Squadrons – soit environ 900 hom- de combat, 200 convoyages et 300 autres
tions, surveiller les sites sensibles, nouer de mes –, qui opéreront en Irak à partir de 2007. missions diverses !

70
LA RENAISSANCE
DE LA BROWN-WATER NAVY

r Un SURC et un RCB lors d’une simulation de s Deux SURC du Riverine Squadron 2 s’apprêtent à débarquer une patrouille à pied sur les
protection de sites sensibles en août 2011. rives du lac Quadsiyah (barrage d’Haditha) en décembre 2007. L’infiltration et l’exfiltration
sont toujours des moments délicats, d’où une puissance de feu conséquente.

71
ACTU

DES FORCES SPÉCIALES FLUVIALES


De telles opérations ne sont toutefois pas l’apanage des RIVRON.
Les forces spéciales ont en effet toujours montré un certain intérêt
pour la navigation dans les « eaux brunes ». Ainsi, en 1972, à la fin
de la guerre du Viêtnam, la Navy créée la Coastal River Division 22
(CRD-22) – renommée Special Boat Unit 22 (SBU-22) en 1979 –, une
unité spécialement conçue pour le convoyage des SEAL [1] en zone
fluviale. En octobre 2002, intégrée au Special Operations Command,
la SBU-22 devient la Special Boat Team 22 (SBT-22), dont les mis-
sions comprennent le contrôle fluvial, l’insertion/extraction de forces
spéciales, l’assaut direct des rives, l’appui feu, le blocus, ainsi que
les opérations d’interdiction, de reconnaissance et de surveillance, de
type Combat Search & Rescue, ou d’évacuation. Ses unités travaillent
en étroite collaboration avec les SEAL mais aussi avec des hélicop-
tères pour pouvoir être insérées sur un fleuve par les airs (Maritime
External Air Transport – MEATS). Un membre de la SBT est un Special
Warfare Combatant-craft Crewman (SWCC – prononcé « swick »),
qui peut être considéré, une fois terminée son instruction de quatorze
semaines, comme faisant partie des forces spéciales.
La SBT-22 connaît son premier combat – et sa première utilisation
opérationnelle du SOC-R – lors de l’invasion de l’Irak, en sécurisant suc-
cessivement les plates-formes pétrolières du Golfe, les estuaires Khor Al
Abdullah et Khor Az Zubayar (à la frontière avec l’Iran et le Koweït) puis
l’embouchure du Shat Al Arab. Elle y aurait aussi mené ses premières
missions de drones fluviales, et c’est là que seront engagés le plus de
SEAL et de SWCC de toute leur histoire. Parmi diverses autres mis-
sions sur plusieurs théâtres d’opérations
simultanément, la SBT-22 est envoyée
en 2004 en Thaïlande, après le tsunami,
pour mener des opérations d’assistance
humanitaire. Enfin, elle a aussi effectué
[1] Acronyme de Sea, Air,
and Land, les forces spécia- des missions de lutte contre le narcotrafic
les de l’US Navy. en Amérique latine et en Asie.

72
LA RENAISSANCE
DE LA BROWN-WATER NAVY
z De haut en bas : La plage avant d’un SOC-R de la
Special Boat Team 22 lors d’un entraînement dans le
Kentucky en 2007. Un SWCC tient une rive de la Salt
River sous la menace de sa minigun GAU-17, une arme
redoutable pouvant tirer jusqu’à 100 coups par seconde !

Exfiltration de forces spéciales par des SURC


du Riverine Squadron 1 lors de l’exercice
Bold Alligator 2012, en février dernier.

Un SOC-R de la SBT 22 remonte à faible


vitesse un cours d’eau aux rives très arborées,
parfaites pour tendre un guet-apens…

w En août 2011, des éléments de la SBT 22


s’entraînent conjointement avec des hommes de la
police nationale panaméenne. Si la défense du canal
de Panama est l’objectif officiel de l’exercice, la lutte
contre le narcotrafic est dans tous les esprits.

s Arrêt d’urgence ! Ce cliché permet de noter la très


faible hauteur sur l’eau du SOC-R, pourtant suréquipé.

NOUVELLES MISSIONS
donc « eaux brunes » et « eaux vertes » dans une vision stratégique
plus générale de sécurité maritime et de maintien de la paix. À tel
point d’ailleurs que, d’après certains officiels, une telle force pourrait
Le retrait des troupes américaines d’Irak met, un temps, les unités intervenir jusqu’à 600 nautiques des côtes dans certains cas (selon
de la nouvelle « Brown-Water Navy » sur la sellette. Le Pentagone la nature desdits intérêts et le découpage du littoral) !
renouvellera-t-il les budgets pour cette force si particulière qu’elle ne Autre rôle confié à cette force fluviale et côtière, la coopération avec
peut être déployée en Afghanistan ? Réduire ses dépenses tout en les marines alliées : Irak, Royaume-Uni, Panama, Thaïlande et d’autres
conservant des compétences si durement acquises est en effet la encore sont ainsi particulièrement preneurs des leçons que peut fournir
question posée à la Navy. En juin 2012, cette dernière semble avoir la Coastal Riverine Force à leurs propres unités spécialisées : police
trouvé la parade : elle fusionne sous un commandement unique le fluviale ou maritime, commandos antiguérilla ou antidrogue, etc. Cette
Riverine Group 1 et la Maritime Expeditionary Security Force, une unité aide militaire est intéressée, puisqu’elle permet aux USA d’intégrer
chargée jusque-là de monter la garde au large des côtes et dans les ces nations à une stratégie conjointe de sécurité sur toutes les mers
ports pour protéger les navires et intérêts américains. La marine mêle du globe, et donc maintenant aussi sur ses cours d’eau. ̈

73
ACTU

LES EMBARCATIONS DES RIVERINES


Le Small Unit Riverine Craft (SURC) Le Riverine Command Boat (RCB) Le Special Operations Craft-Riverine (SOC-R)
Riverine Patrol Boat (RPB) Riverine Assault Boat (RAB)
Remplaçant l’illustre Patrol Boat, River Le RCB est en fait l’embarcation Le SOC-R est une embarcation de
1 (PBR) de la guerre du Viêtnam, le SURC 2 d’assaut rapide Combat Boat 90 (CB90) 3 17 tonnes à vide pouvant se maintenir
a été initialement déployé en Irak par l’US- du constructeur suédois Dockstavarvet. à plus de 40 nœuds sur 195 nautiques.
MC, mais il est depuis 2007 le cheval de Deux exemplaires sont testés en opérations Basse sur l’eau, ouverte et à fond plat,
bataille des Riverine Squadrons, qui ont de- par l’US Navy depuis 2010, avec pour elle possède une coque en aluminium
mandé à Safe Boat International une version objectif d’en déployer un groupe entier en avec des protections pour l’équipage et les
modernisée : blindages plus légers, meilleu- 2016. Construits sous licence aux USA moteurs contre les projectiles de 7,62 mm.
res optiques, alimentation électrique des par Safe Boat International, ces navires Aérotransportable, le SOC-R peut aussi être
affûts, etc. Pouvant débarquer/embarquer bien protégés, puissants et de bonne taille héliporté sous élingues. Accueillant quatre
facilement des troupes grâce à une trappe devraient permettre aux Riverines de faire le membres d’équipage et huit SEAL avec
rétractable placée à l’avant, il sert aussi bien lien entre les « eaux brunes » et les « eaux tout leur matériel, il est généreusement
aux patrouilles qu’aux infiltrations de forces vertes » en patrouillant dans les estuaires, équipé en moyens radio et satellite (GPS,
terrestres. Les équipages apprécient sa mo- ports, au large des côtes, etc. Bien conçu, VHF, SATCOMM, etc.) et possède une
dularité en termes d’armement et son tirant le RCB est particulièrement sobre, puisqu’il puissance de feu terrifiante : mitrailleuses
d’eau extrêmement faible. Le SURC peut consomme un mélange de biocarburants et de 12,7 mm et de 7,62 mm M240,
ainsi opérer dans quelques dizaines de cen- de fuel ordinaire, ce qui ne l’empêche pas minigun M134 et lance-grenades de 40 mm
timètres d’eau et s’échouer sans dommage. d’être très maniable, grâce à des « barres de doivent délivrer un tir de saturation de zone
Très maniable, il vire à 180° dans un rayon plongée » placées sous la coque, comme sur lors des délicates phases d’approche et
très court, ce qui en fait une embarcation un sous-marin ! Son espace intérieur permet d’insertion/exfiltration.
parfaitement adaptée aux zones fluviales d’en faire un centre de commandement, un
et portuaires. transport de troupes, voire une embarcation Longueur 10 m
d’évacuation sanitaire.
Largeur 2,7 m
Longueur 12 m
Longueur 15 m Tirant d’eau 70 cm
Largeur 3,1 m
Largeur 3,8 m Vitesse maximale 35 nœuds (65 km/h environ)
Tirant d’eau 61 cm
Tirant d’eau 91 cm Équipage 5 à 7
Vitesse maximale 39 nœuds (72 km/h environ)
Vitesse maximale 44 nœuds (81 km/h environ) Armement (exemple) trois M240B (7,62 mm),
Équipage 2 + 16 hommes embarqués une M2HB (12,7 mm),
Armement trois affûts Équipage 4 + 20 hommes embarqués une M134D (7,62 mm),
Armement six affûts pots lance-grenades (40 mm)

74
LA RENAISSANCE
DE LA BROWN-WATER NAVY

75
LES SENTINELLES IMMOBILES

PAR XAVIER TRACOL

LE VAISSEAU DE PIERRE

P
OUR PROTÉGER LA BAIE
DE MANILLE DONT ILS
SONT LES NOUVEAUX
PROPRIÉTAIRES, LES
AMÉRICAINS HÉSITENT AU
E n 1898, l’Espagne cède sa colonie des Philippines pour 20 millions de dollars
aux États-Unis, qui en font un protectorat. Les Américains vont lutter jusqu’en
1902 pour étouffer toute velléité d’indépendance dans l’archipel au prix de
milliers de morts et transforment Manille en un port moderne pour développer
leurs échanges commerciaux avec l’Asie. Plaque tournante stratégique de
l’économie dans la région, la capitale philippine reçoit une défense côtière à la hauteur de son
importance, d’autant que la base navale de Cavite abrite l’Asiatic Fleet de l’US Navy. En 1908,
ses nouveaux maîtres pensent même édifier une île artificielle pour compléter le réseau des
trois îles fortifiées (Carabao, Caballo et Corregidor) protégeant l’entrée de la baie : en effet, de
DÉBUT DU XXE SIÈCLE ENTRE nuit ou par mauvais temps, la grande distance entre les batteries Nord de Corregidor et Sud
de Carabao pourrait permettre à un navire ennemi de s’infiltrer sans être remarqué… C’est
L’ÉDIFICATION D’UNE BATTERIE l’expérience qui parle, puisque de nuit, le 30 avril 1898, une petite flotte de guerre américaine
CÔTIÈRE ET CELLE D’UNE ÎLE s’était ainsi frayé un passage entre Corregidor et El Fraile, au nez et à la barbe des défenses
espagnoles, s’assurant en quelques heures le contrôle de toute la baie.
FLOTTANTE. LA PREMIÈRE Toutefois, en juillet, le 1st Lieutnant Kingman, un ingénieur militaire en poste à Manille,
propose une solution alternative plus simple et moins coûteuse : la fortification complète
S’AVÉRANT INEFFICACE ET LA d’El Fraile (« le moine »), une île rocheuse de 105 mètres sur 45 mètres, avantageusement
située au sud-est de Corregidor et à quelques nautiques à peine du chenal et qui servait
DEUXIÈME TROP COÛTEUSE, jusque-là à stocker les mines à orin.
ILS SE TOURNENT ALORS VERS
UNE SOLUTION ALTERNATIVE :
LA CONSTRUCTION D’UN
UNE ÎLE DE BÉTON ET D’ACIER
CUIRASSÉ DE BÉTON ! Kingman émet l’idée originale d’araser l’îlot pour élever ensuite une structure entièrement
bétonnée (avec des murs de 9 mètres d’épaisseur) supportant deux tourelles en acier moulé,
armées chacune de deux pièces de 305 mm. Bref, il souhaite transformer El Fraile en un
cuirassé de béton ! Son projet est rejeté, mais l’idée fait son chemin et, en février 1909,
le War Department demande à ce que les plans de Kingman soient retravaillés pour que le

76
LE VAISSEAU DE PIERRE

DEFENSES DE LA BAIE DE MANILLE BATAAN

Baie de Manille MANILLE


BAGAC

CAVITE
MARIVELES
CABCABEN

Corregidor

Caballo
FORT DRUM
TERNATE
Barrage de mines

Carabao
CAVITE
Mer de Chine méridionale

v L’îlot d’El Fraile était un T. Marschall et John M. Wilson) sont complétées par un
amas rocheux avant d’être mât-cage de 27 mètres de haut, typique des cuirassés
entièrement arasé pour
l’édification d’un fort sur
américains de l’époque.
la totalité de sa surface. En 1918, le fort est unique en son genre. Son artillerie
principale est ainsi constituée de quatre pièces M1909
Sauf mention contraire,
toutes photos : US Nara de 355 mm et longues de 40 calibres, spécialement
conçues et pouvant envoyer des obus de 755 kg à plus
de 17,5 kilomètres. Elles sont installées comme sur un
cuirassé, avec puits de tourelle, élévateur à munitions et
bouclier blindé de plus de 45 cm (15 cm sur les côtés) !
Quatre canons de 152 mm forment les batteries Roberts
et McRae tandis que la DCA n’est composée que de trois
pièces de 76,2 mm. Moderne lors de sa conception, Fort
fort reçoive quatre pièces de 355 mm sous deux tou- Drum ne l’est pourtant plus dans les années vingt, car
relles blindées, ainsi que des batteries de 152 mm sous la Première Guerre mondiale est passée par là, avec son
casemate, pour protéger les champs de mines mouillés cortège d’innovations dans les domaines de l’artillerie et
alentour, et quatre télémètres Barr & Stroud. De nom- des télécommunications.
w Les pièces de 355 mm
breuses études sont menées jusqu’en 1910 pour décider
de la forme extérieure du fort (elliptique), de l’épaisseur de la batterie Wilson
de ses murs (7,6 mètres au minimum), de la taille de en action lors d’un
sa garnison (jusqu’à 300 hommes si nécessaire) ou de entraînement en 1937.
Droits Réservés
l’emplacement des tourelles (sur deux niveaux en échelon,
à 12 mètres du niveau de la mer à marée haute pour le
plus bas). Les équipements du fort sont impressionnants
mais nécessaires pour vivre en autarcie en cas de siège :
plus de 2 800 m2 d’espace au sol et plus de 1 600 m2
d’espace intérieur sur trois niveaux, avec baraquements,
hôpital, magasins à poudre et à obus, centrale électrique,
mess, casemates, réserves d’eau et de carburant, station
radio, bureaux, chambres froides et même une unité de
distillation pour le dessalement de l’eau de mer ! Tout
cet équipement est alors la norme pour l’ensemble des
défenses de la baie de Manille, les autres îles possédant
aussi leur propre réseau de routes, voire de chemin de
fer à voie étroite ! | Page de gauche :
Le cuirassé USS New
Les travaux pour araser El Fraile commencent en avril
Jersey passant entre
1909 et vont durer neuf longues années, coûtant plus les îles de Corregidor et
de 239 millions de dollars aux contribuables américains d’El Fraile en juillet 1983.
en terrassement, béton armé et acier. Fort Drum [1] est
alors aussi appelé USS Drum par les passagers des navires [1] Ainsi nommé en l’honneur
du général Richard Drum,
arrivant à Manille, tant son aspect est celui d’un navire de héros de guerre décédé
guerre : ses deux tourelles (en fait les batteries William deux mois auparavant.

77
LES SENTINELLES IMMOBILES

En 1918, la batterie E du 59th Coast Artillery Regiment


prend possession des lieux. Las, la réduction des bud-
gets militaires – conséquence directe de la signature de
l’armistice en Europe – puis les restrictions du Traité
naval de Washington (1922) l’empêcheront de tirer à
l’entraînement un seul coup de canon avant 1923 ! En
1929, la grande dépression prend le relais et bloque toute
modernisation de l’armement ou des équipements du
fort. Or, dans les années trente, l’artillerie principale d’un
Capital Ship porte globalement non plus à 17 000 mètres
mais à 27 000 mètres ! Enfin, en 1934, le Congrès décide
de rendre aux Philippins leur indépendance dans dix ans :
il n’est donc plus du tout question de moderniser un fort
qui ne sera bientôt plus américain ! Pour la garnison, la
garde d’un fort sur lequel le temps semble s’être arrêté
voilà des années n’est pas une tâche des plus motivan-
tes. L’entraînement étant drastiquement limité pour des
raisons de coûts, on voit apparaître un court de badminton
tracé sur le « pont », près de la tourelle supérieure…

SOUS UN DÉLUGE DE FEU


À la fin des années trente, les relations nippo-américaines
se refroidissent considérablement, et les Philippines retrou-
vent soudainement une valeur stratégique et militaire que
l’Army et la Navy avaient « oubliée ». Aussitôt, la garnison
de Fort Drum est complétée, ses réserves en vivres et
munitions faites pour six mois et l’entraînement reprend.
En juillet 1941, des champs de mines sont mouillés pour
défendre l’ensemble de la baie, et les quatre régiments
d’artillerie de côte du secteur de Manille sont sur le pied
de guerre. Le raid sur Pearl Harbor en décembre ébranle
toute la stratégie américaine dans le Pacifique : attaqués
au centre de leurs positions, les USA ne peuvent plus accé-
der aux Philippines, alors aux premières loges et qui vont
devoir se battre seules face aux Japonais. À Fort Drum, la
tension monte d’un cran, et les baraquements de temps
de paix installés sur la superstructure sont démolis et jetés
par-dessus bord pour faire place nette. « L’équipage »
compte maintenant 250 hommes et officiers confinés
dans les différents niveaux bétonnés et ne sortant que
pour tenter d’abattre les appareils nippons survolant la
baie. Fin décembre 1941, l’armée de Terre japonaise est
aux portes de Manille, mais la flotte impériale se garde
bien de forcer le passage de la baie, trop bien défendue.
Début janvier 1942, le fort reçoit un canon supplémentaire,
un M1903 de 76,2 mm, pour couvrir un angle mort dû à
la position du mât-cage à l’arrière de la superstructure. Il
entre d’ailleurs en action dès le 13 janvier pour repousser
une embarcation japonaise venant de Cavite. Le 6 février,
la pression nippone s’accroît sur l’îlot assiégé et pris pour
cible par des obusiers de 105 mm : il reçoit une centaine
d’obus sans grand dommage et répond comme il le peut
et sans effet apparent. À partir de ce jour-là, il est bom-
bardé en alternance avec Corregidor ou les forts Frank
et Hugues. Le 15 mars, un projectile de 240 mm perce
la casemate de la batterie Roberts, mettant hors-service
une pièce de DCA, un canon de 152 mm et provoquant
des pertes légères. Le 5 mai, les pièces de 355 mm ton-
nent contre des forces amphibies japonaises montant à
l’assaut de Corregidor mais ne peuvent en empêcher la r En haut : Vue du fort en 1937. On aperçoit distinctement les deux
tourelles, la tour d’observation et les baraquements en bois servant
prise le lendemain. Encore largement opérationnel, avec de caserne en temps de paix.
seulement cinq blessés, Fort Drum est contraint à la red- w Les fantassins américains
dition : il a reçu plus d’un millier d’obus qui ont rendu r Avec la guerre, disparaissent les baraquements de bois. Les débarquent sur Fort Drum !
bombardements japonais auront aussi raison de la tour métallique.
inutilisables le mât-cage et les pièces de DCA mais n’ont Ils vont sécuriser la zone
Suite à l’opération américaine menée en avril 1945 pour sa capture, pour que l’équipe du génie
pas endommagé les tourelles de 355 mm… qui tiraient la superstructure est marquée par les incendies déclenchés à puisse installer son système
encore quelques minutes avant que le drapeau blanc ne l’intérieur du fort de pompage par une bouche
soit finalement hissé ! d’aération.

78
LE VAISSEAU DE PIERRE

UNE SOLUTION RADICALE


une pompe qui projette à l’intérieur du fort plus de 11 000 litres d’un
mélange inflammable d’essences. La mise à feu est effectuée une
fois tout le détachement revenu à bord. Peu évident de l’extérieur, le
Avant de se rendre, la garnison a noyé les réserves de poudre avec de résultat est en fait dévastateur : les munitions sautent, détruisant une
l’eau de mer, détruit nombre d’équipements et incendié les tourelles. partie du « pont ». La garnison japonaise a évidement été annihilée en
Les Japonais ne pourront rien tirer de Fort Drum, qui ne sera toujours un instant, et les flammes et la fumée rendront toute visite impossible
pas redevenu opérationnel en 1945 ! Or, en février, la 6th Army quinze jours durant !
est devant Manille, défendue maison par maison par les Japonais.
Ciel et mer appartiennent cependant aux Américains, qui découvrent Aujourd’hui, la silhouette de Fort Drum accueille toujours les navires
avec étonnement qu’une petite garnison nippone occupe El Fraile ; arrivant à Manille. Ses tourelles et ses quatre pièces de 355 mm sont
65 hommes de la Marine impériale ont en effet reçu pour mission de encore en place, mais le cuirassé de béton n’est plus qu’une épave
tenir l’îlot jusqu’à la dernière cartouche. Dépourvu d’armes lourdes, inoffensive et désertée. ̈
Fort Drum n’est pas une vraie menace pour le dispositif américain qui
nettoie peu à peu tout le littoral de la baie et la capitale ; en mars, il est
toutefois décidé de ne plus attendre et d’éliminer les dernières poches
de résistance – les îles d’El Fraile mais aussi de Caballo et Carabao
– qui pourraient s’en prendre au trafic maritime. Les bombardements
navals et aériens américains s’étant avérés aussi peu efficaces que
ceux des Japonais en 1942, l’US Army préfère rééditer la méthode
employée pour reprendre Caballo : le 13 avril 1945, elle envoie à bord
d’un LSM (Landing Ship Medium) une compagnie d’infanterie s’assurer
de la superstructure de Fort Drum et en bloquer les ouvertures. Une
fois le « pont » sécurisé, une équipe du génie déplie un long tuyau,
dont un bout est inséré dans une bouche d’aération, puis enclenche

79
LEXIQUE

PAR PATRICK TOUSSAINT

LES APPARAUX r Plan de la plage avant d’un aviso escorteur de la Marine nationale, sur lequel

DU POSTE DE MANŒUVRE apparaissent, entre-autres, les apparaux du poste de manœuvre.

Toutes photos : Collection de l'auteur

L
E POSTE DE MANŒUVRE
CONSISTE D’ORDINAIRE
À EFFECTUER LES
OPÉRATIONS DE MOUILLAGE,
L es apparaux (ensemble d’appareils voués à une même tâche)
du poste de manœuvre font partie de l’accastillage. Ce dernier
terme, issu de l’espagnol castillo, désignait initialement les châ-
teaux avant et arrière souvent décorés des nefs du Moyen Âge.
Il s’appliqua finalement aux ornements des navires, acception
qui disparut vers la fin du XIXe siècle. Repris peu après, le terme englobe
aujourd’hui – pour l’essentiel – l’ensemble des accessoires, ou apparaux, de
pont. Voici les principaux apparaux fixes du poste de manœuvre.

AMARRAGE, APPAREILLAGE D’UN


NAVIRE, OU ENCORE DE SA PRISE LA BITTE
EN REMORQUE. S’AGISSANT DU La Bitte est un cylindre ou « montant » vertical dont la
partie basse est solidement scellée au pont. En général par
PONT, L’ÉQUIPAGE MET EN ŒUVRE paires, parfois reliées par un traversin (sorte de « bras »
s Proue du Bismarck. de liaison) qui les renforce, les bittes servent à tourner
DIVERS MOYENS SPÉCIFIQUES. On distingue le chaumard
de remorquage à deux une manœuvre, ce afin de la maintenir, la stopper et
oreilles, un tambour fixe l’empêcher de filer.
et fermoirs mobiles.

LE SAVIEZ-VOUS ?
Les Manœuvres , initialement nom générique des
cordages de gréement, désignent aujourd’hui l’en-
semble des filins, câbles, aussières, amarres, cor-
dages et chaînes, quels que soient leur usage et
constitution. Tourner signifie enrouler en formant
des « S » autour de points fixes, ce qui est à distin-
guer de lover, qui signifie disposer un cordage en
glène – galette, spirale – à plat sur le pont pour qu’il
ne puisse s’emmêler ou gêner. Filer une manœuvre
indique qu’il faut la « laisser courir ».

LE BITTON
Le Bitton, dont le « pied » est souvent simplement vissé
au pont, est une petite bitte destinée aux manœuvres
à traction limitée.

80
LES APPARAUX DU POSTE DE MANŒUVRE

LE CROISILLON
Le Croisillon, également une petite bitte, comporte deux bras
verticaux qui, à angle droit par rapport à son corps, lui donnent
une forme de croix.

LE TAQUET
Le Taquet, plus ou moins apparenté au croisillon mais plus petit,
est une pièce de bois ou de métal fixée au pont et munie de
deux oreilles (ou cornes), permettant également de tourner un
cordage. Il faut distinguer le taquet du cabillot (cheville, quant
à elle mobile, engagée dans l’orifice d’un râtelier et servant elle
aussi à tourner une manœuvre, généralement de gréement).

LE SAVIEZ-VOUS ? 1
Le Bollard , qui n’existe pas à bord, est l’équivalent « terrestre » de la
bitte et ne doit pas être confondu avec elle. Régulièrement espacé le long
des quais ou postes d’amarrage, il présente une « tête » renflée vers
l’intérieur pour empêcher les manœuvres de glisser. Il s’agit parfois d’un
vieux canon de la marine à voile, scellé verticalement et dont la bouche
présente la forme souhaitée. Le bollard retient normalement l’œil par lequel
s’achèvent nombre d’amarres ou aussières. Dans la marine, le pluriel d’œil
(anneau ou boucle qui termine l’extrémité d’un cordage), ne se dit pas
« yeux », mais « œils » !

LE CHAUMARD
Le Chaumard est un accessoire de bois ou métal fixé en abord
du pont. Destiné à guider les manœuvres, il en existe une large
variété. À oreilles fixes (ouvertes ou fermées, à fermoir mobile…),
il est souvent moulé, sans angle vif pour limiter l’usure des
manœuvres en frottement – dans la marine, frotter se dit raguer,
l’usure induite étant le raguage. Sur le chaumard mixte, un tam-
2
bour à axe vertical (mobile ou non, souvent appelé « poupée »)
est ajouté entre les deux oreilles. Le chaumard à rouleaux n’est 3
formé que de tambours (en général un à trois) qui, normalement
mobiles, permettent de réduire au maximum les frottements.
Le chaumard peut, selon son emploi, être dit « d’aussières » ou
encore de « remorquage ».

LES BOUCLES
Les Boucles sont des anneaux métalliques de tailles diverses.
Fixées un peu partout sur un navire, sur les ponts en particulier,
elles sont destinées à l’accrochage de poulies ou au passage de
cordages aidant aux différentes manœuvres. Selon leur consti-
tution, on les appelle aussi Pitons. ̈

ANECDOTES
Le terme Cordage est fréquent dans la marine, pour parler
par exemple d’aussière, de manœuvre, de filin, d’amarre
ou de bout (se prononce « boute » : petit cordage d’usage
divers). Corde
e par contre est rare : les marins n’en acceptent
en effet normalement qu’une à bord, celle qui prolonge le
battant de la cloche du navire et sert à la sonner !
La Biture (ou bitture) n’est pas seulement le résultat d’une
soirée arrosée ! Elle représente aussi une longueur (d’aus-
sière ou de chaîne par exemple) que l’on dispose à plat sur
le pont, entre autres lors de la préparation des manœuvres 1 Chaumard simple
ouvert à deux oreilles. 2 Chaumard à rouleaux
et taquet. 3 Chaumard de proue
et croisillon.
de mouillage ou d’appareillage.

81
AVEC LES PORTFOLIOS...........
Déjà disponibles ! VOYEZ GRAND !

L
es lecteurs de notre revue navale Los! connaissent Au programme, sont d’ores et déjà disponibles sur commande :
la qualité des vues 3D et des plans publiés dans Le cuirassé Bismarck , avec un plan filaire (5 vues), six vues
ses pages. Sans cesse préoccupée par la satisfac- 3D et trois planches d’infographies couleurs (profil, haut, proue
tion de nos lecteurs passionnés, la petite équipe de et poupe).
Caraktère est heureuse de vous annoncer la sortie Le cuirassé Richelieu , avec un plan filaire 5 vues, huit vues
des Portfolios Los! 3D et une planche d’infographies couleurs (profil, haut, proue
Comprenant chacun dix planches grand format (A3, 297 × 420 mm) et poupe).
sur des bâtiments d’exception, ces dossiers illustratifs représen- Le porte-avions Graf Zeppelin , avec un plan filaire 5 vues, huit
tent une riche documentation technique. Nous avons en effet vues 3D et une planche d’infographies couleurs (profil, haut,
compilé les vues 3D les plus intéressantes et saisissantes, ainsi proue et poupe).
que les plans filaires et les profils les plus précis pour satisfaire
les maquettistes, les modélistes et les amateurs d’histoire navale. Au fil des parutions du magazine, d’autres bâtiments mythiques
Imprimées sur un papier à fort grammage grâce aux technologies rejoindront la collection ! Nous vous proposons de réserver dès
numériques les plus récentes, ces planches ultra-détaillées sont maintenant un portfolio complet au prix public de 34,50 € *, frais
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exigeants d’entre vous de (re)découvrir les livrées camouflées du
Bismarck, l’artillerie du Richelieu et l’architecture du Graf Zeppelin,
ainsi que mille autres détails : mâture, accastillage, drôme, bout- * 30,50 € pour les abonnés aux publications Caraktère - pas
dehors, DCA, etc. obligatoirement à LOS!, frais de port inclus. Les abonnés peuvent
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