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N° 605 Avril 2020

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Boeing 2707
Paris - New York
à Mach 2,7
L 19853 - 605 - F: 7,30 € - RD

Carburants “The Grace Spitfire” “Firecat” français Méconnu

Il était une fois La riche La triste fin Le concours des


des calories histoire d’un des chasseurs avions-écoles
et des octanes bijou de famille d’incendie militaires en 1923
SOMMAIRE N° 605/AVRIL 2020
Toute une époque…
P
our vous changer les idées,
Le Fana vous propose un grand Kennedy : après la Lune,
voyage au tout début des an- le supersonique !
nées 1960, avec au programme John
Fitzgerald Kennedy. Un président
jeune, dynamique, parfait reflet d’une
Amérique insouciante, conquérante.
Le grand slogan de l’époque parle
de la conquête de la “nouvelle
frontière”, une sorte de copie de la
Le Boeing 2707 en vol conquête de l’Ouest par les pionniers
de croisière à Mach 2,7. au XIXe siècle. Rien ne semble lui
Composition de Julien Lepelletier. résister. L’Amérique court en tête et
n’entend pas se faire rattraper par ses
alliés occidentaux ou pire par l’infâme K L ENNEDY IBRARY

adversaire communiste. La course à l’espace ? Kennedy promet la Lune dans moins


de 10 ans. Un avion de ligne commercial supersonique ? Banco ! Les ingénieurs ont
Espace Clichy, immeuble SIRIUS
9, allée Jean-Prouvé. 92587 CLICHY CEDEX
carte blanche. Les avionneurs rivalisent de projets tous plus extravagants les uns
E-mail : redac_fana@editions-lariviere.com que les autres. C’est de tout ceci dont il est question ici avec le supersonique géant
PRÉSIDENT DU CONSEIL DE SURVEILLANCE
Patrick Casasnovas Boeing 2707. Mais il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne. Voici l’autre
PRÉSIDENTE DU DIRECTOIRE histoire du colosse aux pieds d’argiles…
Stéphanie Casasnovas
DIRECTEUR GÉNÉRAL Je vous souhaite une bonne lecture. Le Fana
Frédéric de Watrigant
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
ET RESPONSABLE DE LA RÉDACTION :

4 Actualités
Patrick Casasnovas En service depuis 1982
ÉDITEUR : Karim Khaldi
60
RÉDACTION La fin des “Firecat”
Tél. : 01 41 40 34 22
Rédacteur en chef : Alexis Rocher
Rédacteur en chef adjoint : Xavier Méal
10 Courrier français
Rédacteur graphiste : François Herbet
Secrétaire de rédaction : Antoine Finck
Secrétariat : Nadine Gayraud 12 Livres Un grand guerrier dans la lutte contre
les feux s’en va après 38 années de
SERVICE DES VENTES
(réservé aux diffuseurs et dépositaires) bons et loyaux service. Adieu “Firecat”.
Jennifer John-Newton
Tél. : 01 41 40 56 95 13 Abonnements L’attaque de la frégate Stark par
IMPRESSION : Imprimerie Compiègne
Avenue Berthelot 60200 Compiègne.
Supersonique américain,
66 un “Falcon” 50 irakien le 17 mai 1987
Papier issu de forêts
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16 le bûcher des vanités Nuit de feu
Italie. Taux de fibres
recyclées : 0 %. Une lutte de titans dans le Golfe Rejoignez
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EU ECO LABEL. Première partie. Qui allait construire Troisième partie. Les “Exocet” ravagent
Eutrophisation :
0,018 kg/tonne. un supersonique géant capable de voler le Stark, affaire qui plonge Américains sur Twitter

pendant 3 heures à Mach 2,7 ? et Irakiens dans l’embarras.

Les carburants d’aviation Ce jour-là… Il y a 100 ans


32 78 “Johns Multiplane”
La stratégie
DIFFUSION : MLP
Printed in France/Imprimé en France des calories Sept ailes pour
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un saut de puce et sur

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ACTUALITES

Un nouveau P-51D “Mustang”


vole en Allemagne

DR
Bientôt dans
La société allemande l’atterrissage le 25 février à Indianapolis, VaDeBonCœur. Le “Mustang” reprit les airs nos cieux…
MeierMotors, de Bremgarten, tuant son propriétaire et pilote John le 30 octobre 2014, immatriculé N51ZW
a annoncé que son client M. Barker. Le fameux Bill “Tiger” Destefani et avec les couleurs du Frances Dell du Clark
Georg Raab avait acquis le North – connu pour avoir gagné plusieurs fois les 1st lt Clark W. Clemmons. Son nouveau Clemmons
devant son
American “Mustang” matricule 44-74453, courses de Reno aux commandes du P-51 propriétaire Georg Raab possède déjà et fait
Frances Dell
immatriculé N51ZW. Le chasseur porte la ultra-modifié Strega – en acheta l’épave voler le North American T-6 “Harvard” IIB
à Duxford
livrée du Frances Dell, le P-51D matricule demeurée entreposée de nombreuses immatriculé D-FRCP.
en 1945.
44-72927 du 1st lt Clark W. Clemmons années et en débuta la restauration en
du 84th Fighter Squadron du 78th Fighter 1981, utilisant la cellule d’un “Mustang” de
Group lorsqu’il était basé à Duxford, près construction australienne. L’avion adopta
de Cambridge, en Grande-Bretagne. Le alors le matricule 44-13903 sur son certificat
chasseur a été démonté et mis en caisse d’immatriculation. Il eut par la suite plusieurs
fin février à Broomfield, dans le Colorado. propriétaires, canadiens et américains ; dans
Affecté au 84th FS le 15 février 1945 à l’âge les années 1990, il fut décoré aux couleurs
de 21 ans, Clark W. Clemmons effectua du WD-L/Glamorous January, puis dans les
18 missions de combat ; au cours de l’une années 2000 dans celles du Glamourous Gal.
d’elles au-dessus de l’Allemagne, Le 15 octobre 2011, la jambe de train droite
il rencontra un Messerschmitt 163. se replia inopinément alors que l’avion se
Le P-51D “Mustang” matricule 44-74453 posait sur le Northeast Florida Regional
a d’abord servi avec la Royal Canadian Air Airport, à St Augustine, en Floride ; ses
Force dans les années 1950 avant de devenir deux occupants ne furent pas blessés. Le
un avion civil aux États-Unis dans les années chasseur fut alors vendu à l’Américain Carl
1960. Il fut malencontreusement impliqué Patrick qui le confia pour restauration à la
dans un accident en 1963 : il s’écrasa à société Midwest Aero Restorations de Mike
DR

Un “Hurricane” biplace bientôt en vol en Angleterre


À Elmsett, en Grande-Bretagne, on attend impatiemment que avait été restauré en état de vol pour le collectionneur britannique
la piste en herbe sèche pour procéder au premier vol après Peter Teichman qui avait décidé qu’il serait achevé au standard Mk.IIB
restauration de ce qui sera l’unique “Hurricane” biplace dans le monde, chasseur-bombardier – le fameux “Hurribomber”. En 2009, l’avion avait
immatriculé G-HHII. Cet avion a été restauré en grande partie à partir de retrouvé le ciel aux couleurs du matricule BE505 du Squadron 174
ce qui restait du “Hurricane” matricule 1374 de la Royal Canadian Air de la RAF. Puis Peter Teichman l’avait mis en vente en 2014 et Hawker Le “Hurricane”
Force, construit à l’origine au standard Mk I puis plus tard modernisé au Restorations l’avait racheté en 2017, avec l’objectif de le modifier biplace “BE505”
standard Mk XII. Il avait été retiré du service en 1944 après avoir servi en biplace à double commande. attend que la
au Canada, puis était passé entre les mains de plusieurs propriétaires Le Biggin Hill Heritage Hangar et la société FlyaSpitfire.com, qui piste en herbe
civils. Dans les années 1980, ce qu’il en restait avait été retrouvé aux commercialisent des vols à sensation en “Spitfire” biplace à Biggin Hill, d’Elmsett soit
États-Unis avec des morceaux de deux autres “Hurricane” et été acquis avec les “Spitfire” matricules MJ627, MJ772 et MT818, près sèche pour
par la société britannique Hawker Restorations à la toute fin des années de Londres, ont annoncé qu’ils exploiteraient commercialement effectuer son
1990. Avec tous les composants encore utilisables, le RACF 1374 ce “Hurricane” biplace pour la saison 2020. vol inaugural.
4
En bref
Le “Spitfire grec” vole Deux morts dans l’accident
d’un Ryan PT-22 à Beaulieu
à nouveau à Biggin Hill Dimanche 23 février, le Ryan PT-22 “Recruit” immatriculé
Le 19 janvier dernier, Peter Kynsey a procédé au premier vol N53018 s’est écrasé dans un champ labouré près de
après restauration du Vickers Supermarine “Spitfire” LF.IX Beaulieu, dans le Puy-de-Dôme. Les deux occupants,
matricule MJ755, surnommé “The Greek Spitfire”, depuis l’aérodrome Claude Robert, 52 ans, et son passager et ami Christian
de Biggin Hill, près de Londres. Le chasseur, restauré par la Spitfire Tachet, 72 ans, sont morts sur le coup. Le monoplan
Company (Biggin Hill) au sein du Begin Hill Heritage Hangar, n’avait plus avait décollé peu après 13 heures de l’aérodrome de
volé depuis le 8 septembre 1953. George Dunn, 97 ans, le pilote de la Clermont-Ferrand à destination de Brioude en Haute-
RAF qui avait convoyé le MJ755 jusqu’en Grèce en 1947, était présent Loire. Selon des témoins, le moteur aurait fait un bruit
pour l’événement. Le chasseur est aujourd’hui immatriculé G-CLGS anormal avant que l’avion ne chute et percute le sol à
sur le registre britannique, au nom de la fondation Ikaros du Pirée, en forte incidence – le moteur s’est détaché de la cellule. La
Grèce. Il avait fait ses premiers tours d’hélice le 23 décembre dernier. Section de recherches des transports aériens et le Bureau
Le “Spitfire” Mk LF.IX MJ755 a été construit dans l’usine de Castle d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile
Bromwich à la fin de 1943. Il a d’abord servi avec le Squadron 43 (BEA) enquêtent afin de déterminer les circonstances de
de la RAF, et a pris part à l’opération Anvil Dragoon, couvrant les l’accident. Arrivé en France au début de 2011, d’abord basé à
débarquements des forces alliées en Provence en août 1944. Il fut La Ferté-Alais, ce Ryan PT-22 avait été acquis il y a deux ans
ensuite l’un des 77 “Spitfire” livrés après la guerre à la Grèce afin par l’association Les Ailes volantes dont le président était
qu’elle reconstitue une force aérienne. Il vola au sein de la force Claude Robert et dont Christian Tachet était membre.
aérienne royale hellénique de 1947 à 1953, puis fut entreposé sur la
base d’Hellenikon jusqu’en 1972, avant d’être exposé au musée de Un Fokker D VII s’est envolé
la Guerre, à Athènes, puis au musée de la Force aérienne hellénique en Nouvelle-Zélande
à Tatoi-Dekelia. La force aérienne en avait commencé la restauration
à petite échelle en 2007. Puis, en 2018, un partenariat avait été signé
par la force aérienne grecque avec la fondation Ikaros représentée
par Dimitrios Kolias, aux termes duquel la fondation prend en charge
tous les coûts liés à la restauration en état de vol, au maintien en
état de vol et les frais des militaires affectés à la mise en œuvre
du chasseur. Le “Spitfire” MJ755 était arrivé dans les ateliers de la
Spitfire Company (Biggin Hill) le 23 mars 2018. Dès 2012, l’homme
Pete Kynsey
d’affaires et armateur grec Panagiotis “Peter” Livanos avait établi la
fait décoller
fondation Ikaros dans ce seul but. Le chasseur a été recouvert de la
le MJ755 à
livrée qu’il portait au sein de la force aérienne royale hellénique, avec
Biggin Hill
les lettres code de fuselage “F-H”. Il devrait voler quelque temps en
le 19 janvier
Grande-Bretagne avant d’être expédié en Grèce. dernier. THE VINTAGE AVIATOR COLLECTION

La collection néo-zélandaise The Vintage Aviator Collection


a annoncé fin février avoir ajouté à sa flotte un Fokker D.VII,
construit neuf avec un moteur Mercedes D.III de 160 ch
également fabriqué neuf. L’avion porte les couleurs du Fokker
D.VII n° 286/18 de la Jasta 11 que pilota l’as Willi Gabriel.

Un MS 505 “Criquet” restauré


en “Storch” en Grande-Bretagne
En ayant terminé avec la restauration d’un De Havilland, la
société Retrotec du collectionneur britannique Guy Black s’est
lancée dans celle du Morane-Saulnier 505 “Criquet” n° 53
(qui avait commencé sa vie en tant que MS 500 à moteur
Argus) en Fieseler 156 “Storch”. L’Historic Aircraft Collection
de Guy Black avait acheté en 2002 le “Criquet” à Graham
DR Warner qui l’avait importé en Grande-Bretagne en 1988 et fait
immatriculer G-BPHZ ; l’avion était auparavant immatriculé
F-BJQC et avait servi de remorqueur de planeurs.

HUW HOPKINS

DR

5
ACTUALITES

JAPAN AIR SELF-DEFENSE FORCE

Le Japon met à la retraite ses RF-4


“Phantom” II de reconnaissance
Le 9 mars dernier, le 501e de Matsushima et vola initialement refermera le livre de près d’un demi- Ci-dessus,
Hikotai de la Nihon Koku Jieitai sur RF-86F “Sabre”, avant de passer siècle de “Phantom” II au Japon. La Nihon dernier salut
(force aérienne d’autodéfense sur RF-4E “Phantom” II en 1974 et de Koku Jietai a reçu un total de 154 F-4EJ pour les
japonaise) a effectué sa dernière mission déménager pour la base de Hyakuri. et RF-4E, les F-4EJ étant presque tous personnels du
opérationnelle sur RF-4 “Phantom” II depuis Le 301e Hikotai est désormais la seule unité fabriqués sous licence par Mitsubishi Heavy 501e Hikotai
sa base de Hyakuri, mettant fin à la carrière de la Nihon Koku Jieitai mettant encore Industries, les 14 RF-4E étant achetés à l’occasion
du type au pays du Soleil levant. Cette en œuvre des “Phantom” II. Ses F-4EJ directement à McDonnell-Douglas. 17 du retrait
ultime mission a été réalisée par quatre devraient être retirés du service cette F-4EJ avaient par la suite été transformés de ses RF-4
RF-4E et RF-4EJ. Le dernier à se poser fut année, comme ceux de l’Air Development en RF-4EJ, emportant les équipements de “Phantom”, le
le tout premier RF-4E “Phantom” II que and Test Wing sur la base de Gifu, ce qui reconnaissance dans une nacelle ventrale. 9 mars dernier.
reçut la force aérienne d’autodéfense du
Japon en 1974, le matricule 47-6901. Cet Dernier départ
“ancien”, très reconnaissable à sa livrée en mission…
bleue, est rentré au parking sous une arche
d’eau créée par la brigade de sapeurs-
pompiers de la base de Hyakuri. Le RF-4E
Cette mission a marqué la fin d’une époque, matricule
45 ans d’exploitation du “Phantom” de 47-6901 se
pose pour
reconnaissance par le 501e Hikotai et,
la dernière
après 59 ans d’existence, sans doute la
fois, le 9 mars
fin de cette unité qui exploita au total 29
dernier. Il était
“Phantom” II (14 RF-4E et 15 RF-4EJ)
le plus ancien
et n’en perdit que deux. Le 501e Hikotai “Phantom”
est l’unique escadron de reconnaissance encore en
tactique de la force d’autodéfense du service au
Japon ; il a été créé en 1961 sur la base Japon.
TETSUYA ANNO / LESDCA

TAJIMA KENICHI / LESDCA

6
En bref
Adieu “Tonton Raymond” Trois organisations américaines
arrêtent leurs vols à sensation
en B-17 “Forteresse volante”
Mi-mars, la Liberty Foundation a annoncé suspendre la
tournée nationale aux États-Unis du B-17 Ye Olde Pub
(photo ci-dessous) qu’elle louait à la Erickson Collection
et avec lequel elle vendait des “flight experiences” (vols
à sensation) afin de financer la restauration du B-17
Liberty Belle. Dans son communiqué, la Liberty Foundation
explique que “compte tenu des événements récents, qui
ont entraîné une augmentation significative des coûts
de la tournée, nous avons choisi de nous concentrer sur
davantage d’événements régionaux dans le Sud-Est, avec
notre C-47 et d’autres avions de base jusqu’à ce que notre
B-17 Liberty Belle soit prêt à voler à nouveau.” Un peu plus

JACQUES GUILLEM

Raymond Frappot, figure du milieu de l’aviation de collection, est Raymond


décédé le 17 février alors qu’il travaillait sur son Cessna FTB337G Frappot aux
“Push-Pull”, dans son hangar de l’aérodrome des Mureaux. Il a été commandes de
inhumé le 3 mars dans un cimetière de la région parisienne, accompagné son Soko J-20
dans son dernier voyage par sa famille, ses proches et quelques “Kraguj”, l’un
aviateurs. Nombreux étaient ceux qui l’appelaient “Tonton Raymond” des nombreux
parce qu’il était le plus “ancien” de sa bande de copains. Cet industriel avions qu’il
passionné par l’Afrique – il a fait construire une école à Tangueta, au présenta dans
Bénin – était aussi passionné de belles mécaniques. Il était venu à les meetings
l’aviation, surtout de collection, sur le tard, à 43 ans, mais s’y était plongé aériens.
avec un enthousiasme de jeunot. Il avait créé en 1992 avec des copains
l’association Antic Air, aux Mureaux ; entre ses mains passèrent un Soko DR
J-20 “Kraguj” (qui se prononce “Craguouille” ce qui lui valut le surnom loin dans le communiqué, il est fait mention d’une prime
de “La Frapuj” – prononcer “La Frapouille”), de construction yougoslave, d’assurance ayant drastiquement augmenté récemment. Les
un Pilatus P-3-05, un T-6D “Texan”, six SIAI Marchetti SF-260 “Warrior” “événements récents” dont il est question sont l’accident
ramenés du Burkina Faso, un Fouga “Magister”, et plus récemment le du B-17 909 de la Collings Foundation le 2 octobre 2019
YAK-3U Czech Ride à moteur Pratt & Whitney et le Cessna FTB337G à Windsor Locks, dans le Connecticut, lors duquel sept
avec lequel il prenait régulièrement part au tableau sur la guerre du personnes ont péri. Fin janvier, le Lone Star Flight Museum
Viêtnam lors du meeting de la Ferté-Alais. de Houston, au Texas, avait annoncé que “du fait de coût
opérationnel en augmentation, la vente de vols passagers sur
nos B-25 et B-17 [Thunderbird] (ci-dessous) est suspendue
Retrotec restaure un Me 109E
À Hastings, en Grande-Bretagne, la société Retrotec du
collectionneur britannique Guy Black s’est lancée dans la
restauration du Messerschmitt 109E WkNr 4034, dont l’épave est pour
le moment la propriété de la société Rare Aero Ldt enregistrée à Jersey.
Le projet a récemment fait un grand bond en avant avec l’acquisition
Le Me 109E
d’un moteur DB 601A complet. Le chasseur s’était posé en catastrophe
WkNr 4034
sur le ventre dans le Kent le 2 novembre 1940, apparemment victime
dans les
d’une panne de moteur. Il volait alors au sein de la 8./JG 53, codé 6+I,
ateliers
et était piloté par le feldwebel Xaver Ray. Son épave avait par la suite
de Retrotec
été envoyée en Inde, où elle a été récupérée il y a quelques années. à Hastings.
KBOBM

DR

pour le reste de l’année 2020.” Quelques jours auparavant,


c’est le National Warplane Museum de Geneseo, dans l’État
de New York, qui avait annoncé qu’il cessait l’exploitation du
B-17G “Flying Fortress” matricule 44-83546 Memphis Belle
qu’il louait aux héritiers de feu le collectionneur américain
David Tallichet. Dans son communiqué, le National Warplane
Museum invoque des “coûts opérationnels à l’heure et une
assurance en augmentation”.

7
ACTUALITES

Des plans originaux de North American sau


en 1988 resurgissent, désormais préservés
Durant la National Warbird
Operators Conference (NWOC),
du 13 au 16 février dernier à
Mobile, dans l’Alabama, la société AirCorps
Aviation de Bemidji, dans le Minnesota,
a annoncé avoir acquis une collection de
dessins techniques originaux de North
American datant de la Deuxième Guerre
mondiale. Ces dessins, qui font partie d’une
collection désormais baptisée Collection
Ken Jungeberg, avaient été conservés
dans l’usine nord-américaine de Columbus,
dans l’Ohio, jusqu’en 1988 ; ils avaient
été “sauvés” par Ken Jungeberg, qui les
conservaient chez lui. Pour Eric Trueblood,
responsable d’AirCorps Library, “c’est
comme si nous avions mis la main sur les
manuscrits de la mer Morte !” Chaque dessin
a été réalisé à la main, au crayon, sur du
papier vélin ; ils concernent les P- 51, B-25,
T-6, P-82 et quelques autres avions North
American. Ils seront numérisés et mis en
ligne par AirCorps Library.
Ken Jungeberg était le chef du département
Master Dimensions chez North American
à Columbus, dans l’Ohio, en 1988, lorsque
l’usine a fermé ses portes. Quand il a appris
qu’il était prévu de brûler tous les dessins de
l’époque Deuxième Guerre mondiale présents
dans les archives, il savait qu’il devait faire
quelque chose ; il écrivit des lettres à sa
hiérarchie et appela ses supérieurs, plaidant
pour leur sauvegarde. Découragé par les
réponses selon lesquelles il ne pouvait rien
AIRCORPS LIBRARY
faire, Ken Jungeberg bénéficia d’un coup de Ci-dessus
pouce du destin : une canalisation se rompit AirCorps Aviation entendit parler de la le préfixe 73X ; ceux-ci ont été utilisés pour et à droite,
dans la salle des archives, provoquant une collection de Ken Jungeberg au printemps développer le très populaire P-51 “Mustang” quelques
inondation. Des employés vidèrent la pièce 2019 et, en décembre de la même année, en seulement 120 jours en 1940, et n’ont exemples des
et empilèrent les dessins mouillés en tas convainquit ce dernier d’en transférer la jamais été vus par le grand public. nombreux
ailleurs dans l’usine, où ils demeurèrent propriété à AirCorps. En tant que nouveau Si beaucoup de dessins sont issus des dessins de
les deux semaines suivantes, à l’issue dépositaire de cette importante collection de phases “expérimentales”, nombre d’entre la collection
Ken Jungeberg.
desquelles Ken Jungeberg reçut l’appel dessins, AirCorps prévoit de cataloguer et eux sont des révisions ultérieures qui
qu’il attendait : il pouvait avoir les dessins, d’organiser les dessins afin qu’ils puissent ont été microfilmées pour être diffusées
s’il venait les chercher immédiatement, être utilisés par l’industrie de la restauration à l’époque dans les usines. Ester Aube,
et promettait qu’ils ne finiraient jamais d’avions anciens et partagés pour la première spécialiste de la documentation chez
“dispersés par le vent dans une décharge”. fois de l’histoire. “Ces dessins vont changer AirCorps, explique que “sur ces dessins, on
De toute évidence, l’entreprise était toujours ce que nous savons des incroyables avions peut lire sans problème, parce que c’est très
soucieuse de préserver le nom et la fabriqués par North American pendant la net, des détails qui ont été obscurcis, au
réputation pour lesquels North Americain Deuxième Guerre mondiale”, jubile Erik point d’être illisibles, par l’assombrissement
était connue. Ken loua un camion et avec Hokuf, directeur général d’AirCorps Aviation. du microfilm au fil du temps, la surutilisation
quelques collègues transporta les piles et Bien que les microfilms et les copies ou simplement la détérioration.”
caisses de dessins jusque dans une grange de dessins d’avions de cette époque ne Mis à part la valeur technique évidente
où il s’attela à la tâche monumentale de les soient pas rares, peu de personnes ont des dessins, il est difficile de ne pas les
faire sécher. Les dessins ayant été réalisés vu un original dessiné à la main. Les apprécier d’un point de vue purement
sur du papier vélin (un support très résistant), dessins de la collection Ken Jungeberg artistique. Rappelant une époque
ils étaient demeurés en grande partie intacts. sont en grande partie des dessins de antérieure aux ordinateurs et aux
Ken Jungeberg
Une fois qu’ils furent secs, Ken Jungeberg production, fruit du travail expérimental programmes de CAO, les dessinateurs au milieu des
les tria, les enroula et les emballa. des ingénieurs de North American au de North American Aviation ont créé centaines de
Il en entreposa une grande partie fur et à mesure du développement des ces images avec pour seuls outils des plans qu’il
chez lui et le reste dans son hangar pièces et des assemblages, qui furent par crayons, des règles et des rapporteurs, de s’appliqua a faire
sur l’aéroport de Liban, dans l’Ohio la suite finalisés. Un exemple parfait est leurs seules mains – et rien que cela leur sécher un par un
– pendant 32 ans, jusqu’en 2019. représenté par les dessins distingués par confère une valeur inestimable. en 1988.

8
En bref
vés de la destruction Des épaves de TBF “Avenger”
et de “Dauntless” découvertes
par AirCorps Library dans un lagon des îles Truk

DR
L’organisation privée américaine Project Recover, qui s’est
fixée pour mission de rechercher les corps des Américains
disparus au combat (missing in action, MIA), a découvert à
l’aide de technologies dernier cri les épaves de deux SBD-5
“Dauntless” et d’un TBM/F-1 “Avenger” dans le lagon de
l’île Truk, un groupe d’îles de l’État de Micronésie à environ
1 000 km au sud-est de Guam. Sept aviateurs américains
disparus au combat seraient liés à ces avions, abattus au
cours de l’opération Hailstone, les 17 et 18 février 1944, qui
visait à déloger les forces japonaises du lagon. Il est estimé
que 30 avions et 40 aviateurs américains ayant décollé des
porte-avions Enterprise et Intrepid ont été perdus lors de cette
opération – 12 de ces avions seraient tombés dans le lagon
de Truck. Pour parvenir à ce résultat, les experts de l’université
du Delaware et de la Scripps Institution of Oceanography
de l’université de Californie-San Diego, associés au sein
de Project Recover, ont effectué quatre expéditions entre
avril 2018 et décembre 2019. Selon Derek Abbey, patron de
Project Recover, en comptant ceux de l’opération Hailstone,
un total de 28 avions américains, associés à 103 disparus au
combat, seraient tombés dans le lagon de Truk.

Un Heinkel 111 pour le Kent


AIRCORPS LIBRARY
AIRCORPS LIBRARY Battle of Britain Museum
Mi-mars, les bénévoles du Kent Battle of Britain Museum
Trust ont transporté depuis Duxford, près de Cambridge,
en Angleterre, jusqu’à Hawkinge, près de Folkestone, le
fuselage d’un Casa 2.111B/Heinkel 111H-16. Le Kent Battle
of Britain Museum Trust avait annoncé l’acquisition de ce
Heinkel 111H-16/Casa 2.111B auprès de l’Imperial War
Museum de Duxford en septembre dernier. Il avait auparavant
appartenu à The Old Flying Machine Company, la collection
des défunts Ray et Mark Hanna, et était arrivé Duxford le
27 mars 1998 depuis Tablada, en Espagne, élingué sous un
hélicoptère de la Luftwaffe. Cet avion avait été utilisé par la
force aérienne espagnole, et également pour le tournage du
film The Battle of Britain (La Bataille d’Angleterre) en 1968.

KBOBM

9
LE COURRIER
La base aérienne Pierre Le Gloan
Suite aux excellents articles
de David Méchin sur Pierre
Le Gloan (lire Le Fana de L’entrée de la base
l’Aviation nos 602,603 et 604), il faut aérienne 211
savoir que la base aérienne 211, Lieutenant Pierre
créée le 1er juillet 1955 à Télergma, Le Gloan.
en Algérie, et commandée par le
colonel André Duranthon, a été
baptisée Lieutenant Pierre Le Gloan.
Cette base était la plus importante
d’Algérie.
Pierre Jarrige

La base aérienne 211


était située à 10,3 km au sud de
Constantine. C’est aujourd’hui
l’aéroport de Constantine-
Mohamed Boudiaf.
David Méchin précise :
“Je pensais que Pierre Le Gloan
avait été très vite enterré par
l’armée de l’Air ; manifestement
des gens se souvenaient encore
de lui dans les années 1950,
du moins en Afrique du Nord.”
PAUL CHRISTOPHE

Albert Balmer et Le Gloan ait volé sur plusieurs P-39 car en


1943, seuls les chefs d’escadrille
6e escadrille. Le Gloan faisant
partie de la 5e, puis de la nouvelle
et chefs de groupe avaient 3e escadrille du groupe (SPA 84),
Comme tous les mois, j’ai reçu le privilège d’avoir un avion il est peu probable que le pilote
avec un grand plaisir Le Fana attitré, les autres pilotes partant situé au milieu au dernier rang
de l’Aviation dans ma boîte aux lettres. en mission sur les appareils soit Pierre Le Gloan (photo à
En lisant la troisième partie de l’article disponibles qui se présentaient. droite). La ressemblance physique
sur Pierre Le Gloan (Le Fana n° 604), Sur les deux premières photos, est d’ailleurs assez vague… et le
j’ai reconnu sur la photo page 55 c’est bien un P-39N que l’on voit pilote esquisse un léger sourire,
mon grand-père à la droite de Pierre derrière les pilotes qui semblent ce qui n’est pas la signature
Le Gloan, l’adjudant-chef Balmer Albert être, du moins pour la première habituelle de l’as breton sur les
affecté alors à la 6e escadrille du photo (ci-dessous), ceux de la photos dont on dispose de lui !
groupe 3/6. J’ai retrouvé deux photos
avec un P-39 (ça ressemble) dont je ne Les pilotes
connais pas la date, mais les carnets du groupe
de vols de mon grand-père indiquent de chasse 3/6
devant un P-39.
des vols sur P-39 (374, 393, 811,
855) en mai et juin 1943. Il quittera
en effet le groupe 3/6 en juillet pour
Meknes en tant qu’instructeur à l’EAPN
[École d’application du personnel
navigant]. J’ai une autre photo avec
Pierre Le Gloan dans un D.520 (enfin,
je pense). Sur la première photo
(ci-contre), est-ce Pierre Le Gloan
au milieu en haut du groupe ? Sur la
deuxième, est-ce le quatrième en haut
à partir de la gauche ? Il existe une
page sur mon grand-père sur le site :
http://www.munier-pilote-1940.fr/
AUTRES-PILOTES.htm.
Lionel Brunet

C’est avec un vif


intérêt que nous découvrons vos
photos issues de l’album de votre
grand-père Albert Balmer,
un des pilotes du GC III/6.
Il est normal que votre grand-père
DR/COLL. L. BRUNET

10
Devine qui vient dîner ce soir ?
Voici une photo familiale datée
de 1913. Elle a été prise à l’issue
du baptême de l’air des deux dames
au centre de la photo. Sauriez-vous me
donner le type et le constructeur de
l’avion ?
Christophe Ruy

Ce ne sont pas les


uniformes fièrement portés qui
indiqueraient un avion militaire,
mais la présence, sur l’aile droite,
d’un indicateur de vitesse Étévé,
spécialement conçu par et pour
les aviateurs militaires français,
imposé en 1912. Donc la date Dames et officiers devant
de 1913 est cohérente. un REP en 1913.
Le monoplan est un REP (Robert
DR/COLL. C. RUY
Esnault-Pelterie) du type présenté
au Salon de la locomotion Ce “petit” moteur et le patin d’atteindre la vitesse maximale
aérienne de 1912 avec un central sont caractéristiques de… 100 km/h. L’entoilage est
système d’atterrissage particulier d’un appareil destiné à l’école peint. Il y eut à cette époque
comprenant un patin amorti entre ou l’entraînement. D’ailleurs, il des REP rouge vif, ce qui ne
les roues et devant elles. semble qu’il s’agisse d’un type de signifie pas que celui-ci l’était,
Le moteur est un REP de 50 ch. REP appelé “poussin” capable naturellement.

Quant à la troisième photo, il Le Gloan dans


s’agit bien de Pierre Le Gloan aux un D.520,
commandes d’un Dewoitine 520 probablement en
1943.
à la peinture assez fatiguée. Il
s’agit probablement d’une photo
prise en 1943, lors d’un vol
d’entraînement, car on ne voit
plus la bande blanche le long
du fuselage caractéristique des
Le Gloan est-il
appareils de l’aviation d’armistice.
le quatrième en
Bien à vous,
haut à partir de
David Méchin
la gauche ? DR/COLL. L. BRUNET

DR/COLL. L. BRUNET

11
LIVRES

Un “Tigre volant”
dans le ciel. Il regarda d’en haut les
“Warhawk” faire leur passe les uns
après les autres, mais il fut déçu de
voir que seulement deux des huit
bombes de 500 livres [225 kg] frap-

à l’attaque pèrent dans la zone cible, causant


peu ou pas de dégâts.
Cela ne ferait jamais l’affaire.
Reed ne voulait pas retourner à
Ankang en n’ayant rien accompli.
Le train était toujours en train de
Les “Tigres volants” sont un inépuisable lâcher sa vapeur, alors Reed envoya
un message radio au captain Yang
sujet de publications – lire notre hors- pour qu’il le couvre pendant qu’il
série n° 65 sur les P-40. Voici l’histoire redescendait vers le sol afin de mi-
trailler l’objectif. Les quatre P-40
de “Bill” Reed, l’un de ces pilotes entrés de Reed s’éloignèrent hors de vue
du complexe ferroviaire et descen-
dans la légende. Par Alexis Rocher dirent à la cime des arbres. Puis ils
revinrent en rugissant, se dirigeant
directement vers le train. À plus de

W
illiam “Bill” Reed 300 mph [480 km/h], Reed visa la
combattit inlassa- locomotive et ouvrit le feu à environ
blement en Chine un quart de mile [400 m] de la cible.
jusqu’à sa dispari- Les six mitrailleuses des ailes cra-
tion en décembre chèrent une longue rafale de calibre
1944. Carl Molesworth propose sa 0,50 pouce [12,7 mm] qui déchira la
biographie. Il raconte ici comment le chaudière de la locomotive, déclen-
7 juin 1944 “Bill” Reed mena un raid chant une éruption de vapeur et de
de bombardement en piqué contre métal tordu lors de son explosion.
un complexe ferroviaire japonais Les trois ailiers de Reed, le captain
à Chenghsien. C’était une installa- “Bill” Lewis, et les lieutenants Don
tion clé sur la ligne de chemin de fer Burch et Ed Mulholland, visèrent le
reliant Pékin au bastion japonais reste du train.
de Hankou. Voici une illustration Ayant effectué plus de 100 mis-
forte de l’état d’esprit qui animait sions de combat depuis le début de
les pilotes américains. la guerre, Reed aurait pu se conten-
“L’attaque a commencé à 6 h 45, ter de ce qu’il avait fait ce jour-là.
lorsque Reed prit de la hauteur puis L’élément de surprise avait disparu,
commença sa plongée vers la cible. ce qui signifiait que les troupes
Sentant que son avion commençait à japonaises sur le terrain allaient
prendre trop de roulis à mesure qu’il riposter si les P- 40 revenaient.
prenait de la vitesse en piqué, il corri- Mais son sang ne fit qu’un tour. Il
gea sa trajectoire pour garder son nez estima qu’une passe de mitraillage
pointé vers la cible. Boss’s Hoss [sur- achèverait le train, alors il fi t un
nom de son P-40N, NDLR] hurlait à cercle pour effectuer une nouvelle
près de 400 mph [643 km/h] lorsque attaque. Il descendit, reprenant de
Reed lâcha sa bombe puis tira fort la vitesse, avec les trois autres P-40
DR/COLL CARL MOLESWORTH
sur le manche. Sa vision se brouilla “Bill” Reed, juste derrière lui. Le train était en
avec un voile gris ; la ressource vi- secondes plus tard il retrouva une pilote de P-40 train de brûler alors que les mi-
dait le sang dans sa tête. Quelques vue claire alors que le P-40 revenait (en haut), avec trailleuses de Reed le touchèrent à
les volontaires nouveau. Cependant, alors qu’il se
américains retirait de cette nouvelle passe de
des “Tigres mitraillage, il ressentit une secousse
volants” et son moteur se coupa pendant une
(en bas, assis seconde ou deux, puis redémarra.
à droite). Ce n’était pas bon.”

Fly
Flying Tiger Ace,
the story of Bill Reed,
ch
china’s shining Mark
Par
Pa Carl Molesworth,
O
Osprey Éditions
3 pages, 20,10 €
336
IS
ISBN 978-1472840035
R. T. SMITH/SAN DIEGO AIR AND SPACE MUSEUM

12
SAGA INDUSTRIELLE
Supersonique américain, nique, et les premiers projets furent
présentés. Américains et Européens
le bûcher des vanités repartirent avec en tête l’idée que la
compétition du supersonique civil

Une lutte
était lancée.

Les grandes ambitions


américaines

de titans
Ce fut dans ces conditions que
Elwood “Pete” Quesada, direc-
teur de la FAA (Federal Aviation
Agency, Administration de l’avia-
tion civile américaine), monta en
première ligne en décembre 1959
Première partie. pour assurer la promotion du pro-
gramme qui prit désormais le nom
En juin 1963, Kennedy lança en fanfare de SST (supersonic transport) (1).
La FAA avait pour mission depuis
le programme du SST, supersonique qui 1958 la régulation du transport
devait relier New York à Paris en 2 h 45 min aérien aux États-Unis. L’idée de
Quesada consistait à fédérer sous
à la vitesse de croisière de Mach 2,7. une bannière étatique les études
menées par les industriels. Quesada
L’Amérique s’engagea euphorique dans entama un intense marathon pour
le plus ambitieux avion de ligne jamais promouvoir le SST auprès du gou-
vernement. D’emblée le SST fut
conçu. Boeing et Lockheed s’affrontèrent très ambitieux. Là où les Européens
visaient Mach 2,2 en vitesse de croi-
avec des projets gigantesques. sière, la FAA tabla sur Mach 3. Pour
Par Alexis Rocher la cellule, plus question de se conten-
ter d’aluminium, le futur SST faisait
appel au titane pour affronter le mur
de chaleur qui se manifeste aux

I
l ne faut pas dresser de barrière La Nasa impulsa parallèlement en grandes vitesses. Les Américains
nette entre les avions de lignes 1958 sous le nom de programme voyaient tout en grand, en géant. Un
subsoniques et les supersoniques Scat (supersonic commercial air des directeurs de Lockheed pérora
au milieu des années 1950. Les transports) des recherches sur les alors quelque peu : “Nous savons
uns et les autres furent dessinés différentes configurations aérodyna- que nous pouvons construire un
pratiquement simultanément. Avant miques envisageables. Britanniques avion supersonique, et si nous com-
même le premier vol du démonstra- et Français partageaient cet élan mençons maintenant, nous pouvons
teur “Dash” 80 en 1954 et l’entrée vers le supersonique (voir Le Fana le certifier pour 1965 !”
en service du 707 en 1958, Boeing de l’Aviation n° 592). En juillet 1959, Chez North American, on sou-
avait lancé ses ingénieurs dans des lors de la session annuelle de l’Or- lignait qu’il était facile de concevoir
études sur le supersonique commer- ganisation de l’aviation civile inter- un dérivé civil du B-70 “Valkyrie”,
cial. Ce fut aussi le cas chez Douglas, nationale (OACI), les délégations très ambitieux programme de bom-
Lockheed et General Dynamics. discutèrent du transport superso- bardier Mach 3 alors mené par le
constructeur (lire Le Fana de l’Avia-
Plusieurs des tion n° 584). Même son de cloche
configurations chez Convair, qui proposait de partir
de supersoniques du B-58 “Hustler”, son bombardier
civils étudiés
Mach 2 qui volait depuis novembre
dans les
1956. Pourtant Quesada ne rencon-
souffleries de
tra pas l’intérêt de l’administration
la Nasa dans
le cadre du
du président Eisenhower. Aucun
programme budget substantiel ne fut alloué au
Supersonic supersonique. Pire, le président
commercial abandonna même le “Valkyrie”
air transports. en décembre 1959 contre l’avis des
généraux de l’US Air Force et fus-
tigea dans son discours de départ le
17 janvier 1961 l’influence néfaste du
“lobby militaro-industriel”. L’heure
n’était pas aux grands projets.

(1) Quesada, ancien commandant de la


9th Air Force de l’USAAF, est surtout
connu pour son rôle dans l’organisation
de l’appui aérien pendant la guerre.
NASA

16
La maquette grandeur
nature du gigantesque
Boeing 2707, supersonique
aligné par les Américains
pour contrer Concorde
et le Tupolev 144.

BOEING

17
SUPERSONIQUE AMÉRICAIN

Mach 3 pour le début des années


1970. Son intervention se concluait
cependant par une mise en garde sur
les effets du bang supersonique au-
dessus des terres habitées, de nature
à considérablement limiter le trans-
port à très grande vitesse. D’une
manière générale, les responsables
Le 3 mars 1961, des compagnies aériennes souhai-
en présence taient rentabiliser leurs jets sub-
du président soniques avant d’investir dans des
Kennedy supersoniques. Le Boeing 707 était
(à gauche), par exemple exploité depuis seule-
Najeeb Halaby ment octobre 1958 ; un peu plus de
prête serment 160 exemplaires volaient en 1961.
comme nouvel Beaucoup de compagnies aériennes
administrateur estimaient prématuré le SST.
de la FAA. Halaby passa outre et mobilisa
Halaby fut un un petit groupe d’experts de la Nasa
ardent militant et du Pentagone pour promouvoir
du supersonique le SST. Qu’importe les réserves
américain SST. du Pentagone : en septembre 1961,
FAA
Halaby remit à Kennedy un rap-
Tout changea avec l’élection de tut de grand programme étatique, en port intitulé Project Horizon, un
John F. Kennedy à la présidence en théorie en dehors de son champ de véritable panégyrique du SST.
novembre 1960. Le nouveau pré- compétences, le poussa à descendre Tour à tour y furent invoqués la
sident manifesta dès son accession au dans l’arène. Dès le départ il repro- grandeur de l’Amérique, le pres-
pouvoir le 20 janvier 1961 de grandes cha au programme du supersonique tige de la nation, la première place
ambitions pour les États-Unis, no- sa nébulosité dans le domaine éco- à tenir dans la course contre l’Union
tamment avec le concept de “nou- nomique. L’investissement lui pa- Soviétique – des rumeurs annon-
velle frontière”, en fait une ggrande raissait faramineux par rapport çaient le lancement d’un superso-
relance du pays dans tous les es do- aux ven
ventes escomptées, nique soviétique. Il fallait avoir de
maines avec le même esprit prit très hypothétiques. l’ambition, dépasser Mach 2 pour
de conquête des pionnierss Mc
McNamara ne cessa s’attaquer à Mach 3. Halaby mit en
vers l’Ouest au XIXe siècle. en
ensuite de consul- place en septembre 1961 une petite
Najeeb “Jeeb” Halaby, le te des experts
ter La Nasa apporta équipe de cinq personnes chargées
nouvel administrateur de économ iques ; au programme d’assurer la gestion du programme
la FAA, entra en scène le le universitaires
les du SST, dès son pour la FAA. Cette prise en main
3 mars 1961. Une person- du prestig ieu x lancement, ses du SST ne fut pas sans provoquer
nalité du monde de l’avia-- Sta
Stanford Research infrastructures quelques réserves ici et là. William
tion. Son père avait quitté la Insti se montraient
Institut et ses ingénieurs. Allen, le président de Boeing, évo-
Syrie pour s’installer au Texas par exe
exemple très réser- qua ainsi ses doutes en soulignant
en 1891. Halaby avait servi ervi dans N
ASA vés Les investissements
vés. i
l’US Navy comme pilote d’essais pour la conception et la mise au
pendant la Deuxième Guerre mon- point exigeaient au moins un mil-
diale. Il s’était illustré en réalisant la liard de dollars (8 milliards en 2020), Premiers bangs,
première traversée des États-Unis
en jet le 1er mai 1945 à bord d’un
la rentabilité de l’avion demeurant
très aléatoire.
premiers doutes
Lockheed P-80 “Shooting Star”. Le bang supersonique, c’est-à-dire tous les phénomènes
Il se lança ensuite dans les affaires Le marché potentiel physiques provoqués par l’onde de choc de l’avion qui dépasse
et travailla entre autres à mettre en Mach 1, était au cœur des préoccupations concernant le futur
place l’aviation civile saoudienne.
du supersonique SST. Pour se faire une idée plus précise des phénomènes
Autant le souligner d’emblée : le SST Le 14 e symposium de l’IATA entourant le bang supersonique, la Nasa mena à partir de 1958
s’imposa comme la grande ambition (Association internationale du des essais avec des F-100 et des F-101 entre Mach 1,1 et
d’Halaby à la tête de la FAA. Il béné- transport aérien) qui se déroula à Mach 1,4 à des altitudes variant entre 7 620 et 13 716 m.
ficiait de l’oreille de Kennedy et de Montréal en avril 1961 aborda plei- Ils furent complétés en 1959 avec un “Crusader” III à Mach 2
bons relais dans la nouvelle adminis- nement la question du transport à 18 288 m. Pour synthétiser les résultats, il faut souligner que
tration. Il ne rencontra en fait qu’un civil supersonique. Européens et la vitesse importait moins que les conditions atmosphériques,
seul adversaire en la personne de Américains hésitaient à s’engager l’altitude et la taille de l’avion qui passait le mur du son. Dès
Robert McNamara, l’influent mi- dans cette direction. le début des années 1960, les chercheurs soulignèrent que
nistre de la Défense. Autant Halaby Roderick Heitmeyer, expert de le bang supersonique provoquait des ondes de choc très
se montrait facilement lyrique dans l’IATA, fit une communication où il difficiles à contrôler. La multiplication des avions de combat
ses propos, autant son détracteur étudia le marché potentiel du super- supersoniques à partir du milieu des années 1950 provoqua des
était le fruit des grandes universités sonique. Il estima à 125 exemplaires réactions. Entre 1956 et 1968, 38 831 plaintes visèrent l’US Air
américaines de gestion et de mana- un appareil atteignant Mach 3 et em- Force, dont 14 006 furent jugées recevables. Elles concernaient
gement. Froid, distant, McNamara portant 100 passagers (58 avions sur la plupart du temps des vitres cassées. C’était assez peu
cultivait une réputation non usurpée la route de l’Atlantique nord). Selon comparé aux 180 millions d’Américains, mais suffisant pour
d’ordinateur ambulant. Le SST ne Heitmeyer, Boeing envisageait entre compromettre le vol supersonique au-dessus de terres habitées.
l’impressionna pas du tout. Son sta- 300 et 450 supersoniques de la classe
18
L’ingénieur de
la Nasa Mary
W. Jackson
présente la
configuration
aérodynamique
du SST à une
délégation
du Hampton
Institute.
Mary Jackson
travaillait depuis
1951 sur le vol
supersonique.
Elle milita pour
l’intégration
d’ingénieurs
afro-américains
dans la Nasa.
NASA

que la FAA n’avait aucune expé- à Seattle en mars 1962 pour discuter était requis, mais à une échelle encore
rience dans la gestion d’un grand de la possibilité d’une coopération. jamais vue. Dans le monde de l’aéro-
programme aéronautique. Halaby L’avionneur déclina D D O nautique, l’implication
réussit néanmoins à faire voter l’invitation mais in- ddirecte du gouvernement
pour le SST au Congrès un budget forma Halaby de la ddans une entreprise à vo-
de 11 millions de dollars alloués à la proposition française ccation commerciale sous
FAA et 8,5 millions pour la Nasa. en parlant de “me- fforme d’aides financières, McNamara,
nace étrangère” et de ccourante en Europe, ne l’influent
Une coopération entre “compétition lancée” sse pratiquait pas du tout ministre
pour le supersonique. aaux États-Unis. Pas plus de la Défense
Européens et Américains ? Boeing réclama une lle Douglas DC-3 que le de l’équipe
En 1962, l’idée d’une coopération réaction du gouverne- LLockheed “Constellation” Kennedy, se
à grande échelle entre Américains et ment américain. Les oou le Boeing “Stratoliner” montra d’emblée
Européens sur le supersonique civil industriels répétaient nn’avaient bénéficié d’in- sceptique quant
au SST.
fut envisagée, notamment dans les depuis le lancement vvestissements publics.
milieux diplomatiques. Pourquoi ne des premières études TToutefois, d’importantes
pas mutualiser les recherches et les qu’ils ne pouvaient pas assumer commandes de versions militaires
investissements ? Une délégation de seuls le coût du programme SST. des appareils alimentaient souvent
Sud-Aviation se rendit chez Boeing L’investissement de fonds publics les chaînes de montage au bénéfice

Le “Crusader” III explora


les vitesses supersoniques
pour le compte de la Nasa.
NASA

19
SUPERSONIQUE AMÉRICAIN

de la production civile. Cependant,


le libéralisme économique améri-
cain exigeait que l’État n’intervînt
pas directement dans un programme
commercial. Le montant des investis-
sements nécessaires et l’exemple des
gouvernements britanniques, français
et soviétique prouvaient néanmoins
aux Américains la singularité du
supersonique civil. Dans la sphère
gouvernementale américaine l’hési-
tation semblait de mise. Existait-il un
marché suffisant ? En juillet 1962, lors
d’une des consultations informelles
organisées par la FAA, les compa-
gnies aériennes américaines furent
assez sceptiques quant à la rentabi-
lité de vols supersoniques. Les re-
présentants de la TWA, d’United et
d’American proclamaient en chœur
qu’il n’y a pas d’urgence à mettre en
service un supersonique. Pan Am
fut moins réservée, sans pour au-
tant souhaiter une accélération des
études. Les industriels se montrèrent
plus enthousiastes. Avionneurs et
motoristes proposaient des projets
en affirmant que le SST était tech-
BOEING
niquement réalisable. La grande in- La soufflerie
quiétude concernait le financement supersonique civil. Les partisans de supersonique 1966, certification et première livrai-
de ce programme sans équivalent. cette coopération pesaient peu face de Boeing son pour la fin 1969. Britanniques et
Comment convaincre le gouverne- aux tenants de projets aux couleurs permis Français nourrissaient ainsi l’ambi-
ment américain de s’impliquer ? de leurs pays respectifs. d’étudier tion d’arriver les premiers sur le mar-
Les Européens firent les pre- les projets ché commercial.
Concorde s’élance miers le grand bond en avant dans d’avions à L ’annonce du lancement de
la course au supersonique. Le 29 no- grande vitesse. Concorde fut judicieusement ex-
le premier vembre 1962, les gouvernements ploitée par Halaby pour que les
Halaby rencontra en France les britanniques et français lancèrent Américains s’engagent dans le
représentants de Sud-Aviation à la Concorde. Une version moyen- SST. Dans un courrier adressé à
mi-septembre. Ils lui confirmèrent courrier et un long-courrier étaient Kennedy, il souligna avec des tré-
qu’un accord avec les Britanniques annoncés. Le calendrier avait son molos dans les mots que l’absence
était proche, mettant de fait fin à une importance : premier vol du proto- du SST entraînerait la perte de
coopération transatlantique dans le type prévu au deuxième semestre 50 000 emplois aux États-Unis, la
KENNEDY LIBRARY BOEING
5 juin 1963 :
Kennedy lance
le SST devant les
cadets de l’USAF.
Ce grand projet
rejoint
la conquête
de la Lune
dans les grandes
ambitions
américaines
de l’époque.

Le NAC-60, projet
de supersonique
proposé par
North American.

20
Présentations des
différents projets
de supersoniques
civils Boeing.
Au premier plan
les projets avec
aile à géométrie
variable, puis
ceux avec aile
delta.
BOEING

fin de l’hégémonie américaine dans participe à la compétition de l’avion venant des différents ministères et
le transport aérien commercial, et de transport supersonique piqua de l’administration. Les consulta-
l’obligation pour le président des encore un peu plus l’orgueil amé- tions des experts s’enchaînaient.
États-Unis de se déplacer dans un ricain. Halaby joua parfaitement Déjà les anti-SST se faisaient
avion construit à l’étranger. Halaby sur la corde sensible du prestige de entendre. Ils critiquèrent surtout
flattait Kennedy : “Nous allons l’Amérique remis en cause. le coût du programme. Johnson
battre De Gaulle.” Apparemment, écouta mais son choix était fait :
le président américain n’appréciait La colère les Américains devaient lancer un
pas du tout que les Européens jouent supersonique et soutenir le SST.
dans la cour des grands. Il faut sou-
de Kennedy Kennedy prévoyait d’annoncer la
ligner que les Soviétiques avaient E n février 1963, Kennedy nouvelle le 5 juin devant les cadets
aussi décidé de travailler sur un confia à son vice-président, Lyndon de l’US Air Force Academy. Ce fut
supersonique civil, le Tupolev 144. B. Johnson, le soin de piloter un co- alors que résonna un énorme coup
Le fait que l’adversaire communiste mité SST regroupant des membres de tonnerre le 4 juin. La Pan Am,

SUPERSONIQUE AMÉRICAIN

Une pièce dirigée par Juan Trippe, annonça


imposante et prendre six options sur Concorde.
capitale sur Stupeurs et tremblement parmi les
le Boeing 2707 : industriels et les politiques améri-
le pivot de l’aile cains ! La plus connue des compa-
à géométrie gnies aériennes américaines, dont le
variable. siège installé dans le flambant neuf
Sa masse et Pan Am Building dominait New
celle de l’aile York de ses 246 m, allait exploiter
constituèrent un avion européen. Une première
rapidement depuis le Fokker F.VII à la fi n des
des handicaps années 1920 ! La compagnie com-
rédhibitoires. mandait désormais tous les grands
avions commerciaux américains, la
plupart du temps avant même qu’ils
aient volé. Pan Am voulait être la
première compagnie supersonique.
En apprenant la nouvelle, Kennedy
entra dans une colère noire. Comme
le montrent ses archives, le pré-
sident téléphona immédiatement à
Johnson pour fustiger l’attitude de
Juan Trippe qui lui avait littérale-
ment coupé l’herbe sous le pied. Il
appela ensuite Halaby : “Est-ce que
BOEING

BOEING

22
Juan Trippe savait que nous allions
lancer notre programme ?” Halaby
répondit “oui”… mais il ne savait
pas si cette manœuvre était “déli-
bérée ou non”. Kennedy menaça
alors Trippe et la Pan Am de repré-
sailles. Le président réitéra ensuite
ses reproches auprès de son secré-
taire au Trésor Douglas Dillon. La
Pan Am sabotait la réussite du SST.
Furibond, Kennedy éructa : “Je vais
vraiment passer mon temps à baiser
Pan Am !”
Le lendemain 5 juin, à Colorado
Springs, apparemment plus serein,
Kennedy annonça le lancement du
SST dans un grand discours qui
rappelait inévitablement celui du
12 septembre 1962 qui avait initié la
conquête de la Lune : “Aujourd’hui, Première configuration
la nouvelle frontière difficile entre du 2707. Les réacteurs
l’aviation commerciale et l’avia- étaient placés à l’emplanture
tion militaire est une frontière déjà des ailes.
franchie par l’armée – le vol superso-
nique”. Kennedy posa les cadres du

BOEING

Boeing
construisit
une maquette
Le désastre d’Oklahoma City
grandeur nature Dans la perspective de faire voler le SST au-dessus du continent américain pour
du 2707. Elle connaître la réaction du public au bang supersonique, la FAA organisa avec le
permettait de concours de l’US Air Force de vastes opérations à proximité de grandes villes.
présenter l’avion La première expérience fut connue sous le nom de Bongo. Entre juillet 1961 et
aux compagnies janvier 1962, des B-58 supersoniques volèrent près de Saint-Louis, dans le Missouri.
aériennes. Proportionnellement au nombre d’habitants concernés, peu de protestations
Les ailes étaient furent enregistrées. Néanmoins 825 plaintes furent jugées justifiées – elles
mobiles. coûtèrent 58 648 dollars aux contribuables. La FAA organisa ensuite Bongo II. Cette
Les réacteurs fois-ci l’expérience se fit à proximité d’Oklahoma City. Elle prévoyait huit bangs
étaient installés supersoniques par jour, 7 jours sur 7 pendant 26 semaines, entre février et juillet
sous les 1964. B-58, F-101, F-104 et F-106 des unités installées aux alentours se relayèrent
empennages. entre Mach 1 et Mach 2, à des altitudes variant de 6 400 à 15 240 m. Les vitres de la
First National Bank et de la Liberty National Bank, sises en centre-ville, furent brisées.
Des plafonds et des murs en plâtres furent fissurés. Un sondage diligenté par la FAA
indiqua que beaucoup d’habitants n’avaient pas été gênés. Cependant ce fut une
catastrophe dans la mesure où Almer Monroney, le sénateur de la circonscription,
reçut des centaines de plaintes et passa dans le camp des opposants au SST. Les
tribunaux condamnèrent le gouvernement à plus d’un million de dollars d’amendes.
De toute évidence le vol supersonique au-dessus de terres habitées n’était pas
anodin. De quoi très largement remettre en cause le SST.

Le GE4, moteur
du 2707, avec
au second
plan le J93,
réacteur étudié
par General
Electric pour
le bombardier
supersonique
“Valkyrie”.
Le GE4 était alors
le plus puissant
réacteur du
monde, le plus
bruyant aussi.
GENERAL ELECTRIC

23
SUPERSONIQUE AMÉRICAIN

SST : “J’estime que ce gouvernement


devrait immédiatement lancer un
nouveau programme en partenariat
avec l’industrie privée afin de dévelop-
per à une date postérieure le prototype
d’un transport supersonique à succès
commercial supérieur à celui en cours
de construction dans tout autre pays
du monde.” Il émettait une réserve
importante : “Si ces phases initiales
[sélections des compétiteurs indus-
triels, NDLR] ne produisent pas un
avion capable de transporter des per-
sonnes et des marchandises en toute
sécurité, rapidement et à un prix que
le voyageur peut se permettre et que
les compagnies aériennes trouvent
de la rentabilité, nous n’irons pas La maquette
plus loin” . Il insista sur la nécessité grandeur
de maintenir l’avance américaine nature du
dans l’aviation commerciale. Les Lockheed L-2000,
Américains allaient faire encore plus concurrent du
rapide et aller plus haut, plus loin que 2707.
Concorde et le Tupolev 144. LOCKHEED/COLL. MUSÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE.

Black, l’ancien directeur de la 1950. Le projet n’était tout sim-


Le SST Banque mondiale, à la tête d’une plement pas viable économique-
commission chargée d’étudier l’or- ment selon les experts de Douglas.
est lancé ! ganisation du financement du pro- Donald Wills Douglas Jr, à la tête
Le discours du 5 juin impulsa gramme. Halaby voulait accélérer de la société depuis 1957, expliqua
le SST, mais encore fallait-il savoir celui-ci mais dut patienter. Seule dans un courrier adressé le 26 août
comment l’organiser et, surtout, note discordante à cette époque : à Halaby qu’il préférait se consacrer
établir les modalités pratiques de Douglas renonça à participer à la aux nouvelles versions du DC-8 et au
son financement. A quelle hauteur compétition entre les avionneurs. lancement du DC-9. La défection du
devait s’engager le gouvernement ? Ses ingénieurs travaillaient sur le grand rival de Boeing, constructeur
Mi-août, Kennedy nomma Eugene type 2229 depuis la fi n des années du DC-3 et de tant de réussites du

Le 2707 était beaucoup


plus grand que Concorde. Caractéristiques
principales du 2707-200
Longueur : 93,2 m
Envergure : 20° de flèche : 54 m
ALAIN RATINAUD 72 ° de flèche : 32 m
Masse à vide : 130 t
Masse max. au décollage : 306 t
Charge marchande : 34 t
Le 2707-200 dans sa dernière configuration. Passagers : 310 max.
Des plans canard avaient été ajoutés à l’avant. Vitesse de croisière : Mach 2,7
Distance franchissable : 7 000 km
Motorisation : 4 x General Electric
GE4/J5P de 28 677 kgp chacun

24
Illustration
du Lockheed
L-2000 d’Air
France survolant
Paris. La liaison
transatlantique
était au cœur
du supersonique
américain, tout
comme pour
Concorde.
LOCKHEED/COLL. MUSÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE.

transport aérien commercial, ne fut n’avait désormais plus ses entrées à blic devait être remboursé par un
pas un bon signal envoyé aux com- la Maison-Blanche et perdit beau- pourcentage prélevé sur les ventes.
pagnies aériennes. coup de son influence. Black remit Comme tout programme amé-
le 19 décembre son rapport qui ricain financé sur fonds publics,
Un géant s’avéra déterminant pour l’avenir cela impliquait que son budget
du SST. Il recommanda que l’État fût approuvé chaque année par le
aux pieds d’argile investisse 90 % de son budget, le Congrès réunissant la Chambre
L e destin fit que Johnson solde venant des industriels et des des représentants et le Sénat. Les
remplaça Kennedy, assassiné le compagnies aériennes intéressées, exemples des grands programmes
22 novembre. Une nouvelle admi- principe qui fut adopté avec ce militaires contemporains comme
nistration se mit en place. Halaby programme. L’investissement pu- le chasseur bombardier TFX (futur


La maquette
du L-2000 dans
la soufflerie de
la Nasa d’Ames,
en Californie.
Les ingénieurs
de la Nasa,
associés à ceux
de Lockheed,
optimisèrent
l’aile delta
du projet.

NASA

25
SUPERSONIQUE AMÉRICAIN

Mach 2,7 en
croisière, 310
passagers et
une structure en
titane faisaient
du 2707 le
plus ambitieux
programme
d’avions des
années 1960.
BOEING

F-111) démontraient que le SST le President Advisory Committee péen rencontrait des problèmes”.
allait être très discuté et surtout à on Supersonic Transport (Comité Il fallait surtout l’envisager comme
la merci d’un vote défavorable sus- consultatif du président sur le “un grain de sable” pour le SST. La
ceptible d’y mettre fi n. Le colosse transport supersonique, plus FAA conservait la gestion du SST,
avait des pieds d’argiles. Par ail- connu sous l’acronyme de PAC). mais voyait son rôle minoré.
leurs, le rapport Black se montra Il réunissait des représentants
circonspect sur la nécessité de lan- des différents ministères et avait Mobilisation
cer immédiatement le programme. pour fonction d’étudier tous les
Sa conduite devait être retirée à la aspects du supersonique civil. Des
des industriels
FAA pour se voir confiée à une réunions mensuelles permettaient Le SST suscita l’intérêt des indus-
nouvelle “autorité”. C’était un ca- d’auditionner experts, industriels triels de l’aéronautique. Convair pro-
mouflet pour Halaby. McNamara et politiques. Grâce à son réseau posait de partir du B-58. Cependant,
revint à la charge contre le SST. apparemment bien informé, la CIA les échecs cuisants du 880 et du 990,
Dès lors ce fut une lutte entre bu- y fit fréquemment des présentations qui tentaient de se faire une place
reaucrates dans les couloirs de la de l’avancement du Concorde et au soleil entre Boeing et Douglas,
Maison-Blanche. McNamara ob- du Tupolev 144. Par exemple, le obligèrent le constructeur à se retirer
tint pour ainsi dire gain de cause 30 mars 1965, son directeur John de l’aviation commerciale en 1963.
puisque Johnson mit en place McCone, décrivit où en était Boeing voyait avec le supersonique
sous sa direction le 1er avril 1964 Concorde. Pour lui “l’avion euro- l’occasion de consolider durable-
La configuration
particulière du Contrôle du roulis
2707 conduisit
les ingénieurs Contrôle du lacet
à adopter des Contrôle du tangage
commandes de
Systèmes hypersustentateurs
vol complexes.
L’empennage
canard fut ajouté
pour améliorer
le contrôle d la
profondeur

ALAIN RATINAUD

26
ment sa place de premier construc-
teur mondial (lire encadré à droite).
L ockheed trouvait avec le
SST une belle occasion de reve-
nir dans le marché de l’aviation
commerciale. Autrefois en tête
À Mach 2,7 en
avec les “Constellation”, “Super croisière, les
Constellation” et “Starliner”, le entrées d’air
constructeur avait connu une décon- étaient très
fiture totale en pariant sur le L-188 sophistiquées.
“Electra” marié au turbopropul- Les ingénieurs
seur, alors que Boeing et Douglas étudient ici le
optaient judicieusement pour le corps mobile
réacteur avec le 707 et le DC-8. Les placé au centre
premiers projets Lockheed de su- de l’entrée d’air.
personiques SST furent synthétisés Il permettait
sous la désignation de CL-823. Les d’alimenter
ingénieurs retenaient la formule de correctement à
l’aile delta pour le projet final, qui grande vitesse
devint le L-2000. Lockheed mit en le réacteur en
avant son expérience avec l’utilisa- contrôlant les
tion du titane sur sa famille d’avions ondes de choc.
BOEING
à grande vitesse A-12/YF-12/SR-71,
dont l’existence fut dévoilée par
Johnson en juillet 1964 (le premier
avait volé en avril 1962 dans le plus Colossale, démesuré, vertigineux…
grand secret). North American s’ali-
gna dans la course au supersonique
le Boeing 2707
avec le NAC-60. Le constructeur Boeing synthétisa toutes ses recherches dans le supersonique civil avec le 2707
ne pouvait pas se targuer d’une (pour 707 Mach 2,7). Il devait voler en croisière pendant 2 heures à Mach 2,7
grande expérience sur le marché à 20 000 m d’altitude. C’eût été des performances extraordinaires. Seuls le
commercial civil, mais en revanche “Valkyrie” et le SR-71 peuvent prétendre en 2020 faire mieux.
il bénéficiait des travaux sur ses jets Le 733, sa première appellation, synthétisait les recherches entreprises depuis
militaires comme le “Super Sabre”, les années 1950. La grande idée des ingénieurs de Boeing consistait à adopter
le “Vigilante” et le X-15. L’XB-70A l’aile à géométrie variable. Elle avait été étudiée au tout début des années 1960
“Valkyrie”, qui effectua son premier pour le projet d’avion de combat TFX. Les ingénieurs voyaient avec elle une
vol le 21 septembre 1964, s’attaquait solution miracle pour optimiser les vols à basse et grande vitesse. Début 1963,
à Mach 3. Il avait quitté son rôle de le projet de 733 affichait sur le papier 195 t au décollage avec 150 passagers.
super bombardier pour celui de Devenu le 2707-100, il évolua considérablement au fil du temps. Le changement
pionnier dans le programme SST. le plus notable arriva avec le 2707-200 et consista à rien de moins que de
Le NAC-60 reprenait quelques-unes déplacer les réacteurs installés initialement sous l’emplanture des ailes à une
de ses caractéristiques, notamment position sous les empennages. Le directeur du programme affirma que cela
l’empennage canard. avait permis d’améliorer l’aérodynamique de l’avion. La flèche de l’aile avait
L es motoristes américains initialement quatre positions : 20°, 30°, 42° pour le vol subsonique et 72° à
avaient aussi des études à propo- vitesse supersonique. La position à 20° fut finalement abandonnée. Des plans
ser. Avec le GE4, General Electric canard avec volets s’ajoutèrent bientôt à l’avant pour améliorer le contrôle de
partait du J93 qui propulsait le la profondeur (voir schéma page 26). Plusieurs aménagements de la cabine
“Valkyrie”. Il présentait alors passagers étaient proposés. L’arrangement typique prévoyait 292 passagers
une formule classique : un simple avec deux couloirs de front. Avec uniquement une classe touriste, 310 passagers
flux avec postcombustion – assez s’installaient à bord. Pour mesurer toute l’ambition du 2707 soulignons que
similaire à l’“Olympus” monté sur Concorde allait “seulement” emporter au maximum 120 passagers pour une
“Concorde”. Pratt & Whitney avait masse maximale de 185 t.
dans un premier temps opté pour le Le titane entrait à 90 % dans les matériaux de la structure – le SR-71 le précédait
JT11F4, dérivé du réacteur du SR-71. en tant qu’avion en titane. Il posait d’importants problèmes aux ingénieurs. Joe
Vint ensuite le JTF17, une proposi- Sutter, l’un des pères du 747, partagea à la fin des années 1960 une table dans
tion à la pointe des recherches de un célèbre restaurant parisien dans le plus grand secret avec une délégation
l’époque, mais non sans difficultés à soviétique, la Russie étant la spécialiste dans ce domaine. Le Département
résoudre. C’était un double flux avec d’État (ministère des Affaires étrangères) avait demandé au président de Boeing
postcombustion. Le souci consistait Thornton “T” Wilson de rencontrer discrètement une délégation soviétique pour
à conjuguer la réchauffe du flux froid la questionner sur le titane. Sutter souligne : “Nous n’en savions pas assez sur le
produit par la soufflante et celle du titane pour pouvoir fabriquer un fuselage entier à un coût acceptable.” Américains
flux chaud issu du compresseur. et Soviétiques partagèrent un salon privé dans une ambiance apparemment vite
Les ingénieurs travaillaient sur ce fructueuse grâce aux alcools partagés. Sutter raconte : “Bob Withington [un des
concept avec le TF30, destiné au ingénieurs du 2707, NDLR] les a assaillis de questions, lançant un échange animé
F-111. Curtiss-Wright ambitionnait et très enthousiaste de connaissances sur le titane et sa fabrication”.
de retrouver le succès de la famille Il est aujourd’hui difficile de mesurer l’influence de cette rencontre. Néanmoins,
des “Cyclone” montés entre autres c’est une certitude que le titane demeura jusqu’à la fin du programme du 2707
sur les “Constellation”, et proposa le un problème capital.
très ambitieux TJ-70. Pour une opti-

27
SUPERSONIQUE AMÉRICAIN

misation maximale de la poussée et


de la consommation, le moteur se
comportait comme un turboréacteur
à basse vitesse, puis se transformait
en statoréacteur à grande vitesse.

À propos du sexe
des anges
Les auditions du PAC permettent
de se faire une bonne idée du climat
qui régnait autour du SST. Les com-
pagnies aériennes étaient toujours
divisées. Charles Tillinghast, à la
tête de la TWA, déclara que pour lui,
en l’état, l’avion n’était pas rentable.
Juan Trippe et son proche conseil-
ler, le légendaire Charles Lindbergh,
furent en revanche presque en-
thousiastes. Les industriels furent
aussi auditionnés. Ils répétaient de
concert : “Il faut faire le SST.”
Pour la cellule, les projets de
FAA
Boeing et Lockheed furent rete- Joe
nus en avril 1964. North American, alors avec McNamara, probable- Tymczyszyn, public. L’idée d’établir un corridor
malgré l’expérience du “Valkyrie”, ment rassuré d’avoir des interlocu- pilote d’essais supersonique pour effectuer de
n’allait pas participer à la com- teurs jugés plus fiables. Les querelles de la FAA nouvelles mesures entre Louisville,
pétition finale. Côté motoristes, d’experts à propos du volet financier avec les deux dans le Kentucky, et Indianapolis,
General Electric et Pratt & Whitney du programme se poursuivirent concurrents du dans l’Indiana, fut repoussée à fi n
avaient la préférence de la FAA. néanmoins tout au long de 1965. On programme 1966. Le fi lm de promotion Sonic
Curtiss-Wright fut écarté ; ce grand discuta en fait beaucoup sur le “sexe SST. Boom and You financé par la FAA
constructeur de moteurs disparut des anges”, en l’occurrence le mon- La FAA géra dans la perspective d’expliquer
ainsi définitivement du marché civil. tant et la répartition des bénéfices le programme que le bang supersonique était
Mi-mai, Halaby voulut accélérer tirés des ventes de SST aux compa- SST, préférant “tolérable” fit un bide complet. La
le programme. McNamara tempo- gnies aériennes. finalement le malchance voulut que le deuxième
risa. La guerre de tranchées entre les Boeing 2707. “Valkyrie”, qui avait atteint Mach 3
deux hommes s’acheva par le départ Le problème le 3 janvier 1966, s’écrasât le 8 juin
de Halaby de la direction de la FAA. suivant en étant percuté par accident
Il fut remplacé au pied levé par le
du bang par l’un des avions qui l’escortaient
general William “Bozo” McKee, L’un des problèmes les plus (lire Le Fana de l’Aviation n° 559).
personnalité qui passait mieux au- embarrassants provenait des effets Il devait mesurer les effets du vol
près du président et de McNamara. du bang supersonique. Les experts supersonique à grande vitesse. Il
Lors de sa cérémonie d’intronisation consultés lors des auditions du PAC fallut modifier le premier prototype
le 1er juillet 1965, Johnson lui rappela se montraient toujours pessimistes en installant toute l’instrumentation
sa mission de faire “un supersonique sur la possibilité de passer le mur du nécessaire pour le remplacer. Des
sûr pour ses passagers, supérieur à son sans provoquer de sérieux dé- vols réalisés entre novembre 1966
ses concurrents et, enfin, économi- gâts au sol. Lindbergh, de nouveau et janvier 1967 en coopération avec
quement rentable”. McKee appela le entendu par la PAC en juillet 1966, la Nasa confi rmèrent les effets du
gen. Jewell Maxwell pour lui confier se disait désormais “inquiet” des vol supersonique au sol. Ils variaient
la direction du programme SST. effets du bang supersonique. Après considérablement selon les condi-
C’était un “moustachu” qui avait le fiasco d’Oklahoma City (lire en- tions météo et la position de l’avion,
auparavant travaillé dans le pro- cadré page 23), la FAA hésita sur la mais ils ne pouvaient pas être consi-
gramme du B-52. Le climat s’apaisa conduite à tenir vis-à-vis du grand dérés comme bénins.

Northwest Airlines voulait quatre


2707-200 pour les exploiter sur son
réseau.

28
BOEING
Le 2707
De plus en plus de voix consta- du transport aérien, Boeing s’enga- imaginé aux et Lindbergh se montrèrent très
taient à l’unisson que le SST ne pou- geait ainsi dans l’augmentation du couleurs de confiants dans l’avenir du 747 (Pan
vait pas survoler les États-Unis à volume d’emport de passagers avec le Continental Am en avait commandé 25 exem-
Mach 2,7 faute de maîtriser le bang “Jumbo Jet”, et en même temps dans le Airlines, plaires au mois d’avril). Les options
supersonique et ses effets. C’était supersonique avec le SST. Lockheed qui en avait sur le Concorde n’étaient qu’une
ipso facto tirer un trait sur les ventes et Douglas optèrent aussi à la même précommandé simple “assurance”. Pour le SST,
aux compagnies aériennes intérieur époque pour le gros-porteur avec le trois ils recommandèrent la poursuite
américaines, une part importante du “Tristar” et le DC-10, avions de ligne exemplaires. de la compétition entre Boeing et
marché visé. Dépitée, la FAA préféra subsoniques qui volaient à la même Lockheed. Lindbergh apprécia la
néanmoins aller de l’avant en choi- vitesse que la génération du 707 mais “simplicité” du projet de Lockheed
sissant qui de Boeing W H P O
HITE OUSE RESS FFICE avec plus de passagers et et “l’effi cacité” du Boeing et son
ou de Lockheed allait ppour un pour coût bien aile à géométrie variable. Il ne
concevoir le SST. mmoindre. L’Airbus euro- voulut pas trancher formellement
Les deux construc- ppéen opta peu après pour entre les deux.
teurs fignolaient leurs lla même voie. Les esprits
projets. Dans un pre- lles plus audacieux affir- Les compagnies
mier temps, Boeing mmaient que les 747 trans-
eut les faveurs de la pporteraient du fret quand
Le président aériennes divisées
Johnson fut un
FAA. Lockheed se lles SST allaient entrer en ardent partisan L es compagnies aériennes
rattrapa néanmoins sservice. William Allen se du SST, dans furent relativement divisées quant
rapidement. Le L-2000 mmontra rassurant : le 747 lequel il voyait aux choix de l’avion. American Air
bénéficia de plusieurs nn’était pas un obstacle au la grandeur des Lines préférait Boeing et General
passages dans les SSST dans la mesure où les États-Unis. Electric, Eastern penchait pour le
souffleries de la Nasa ddeux programmes étaient L-2000 – sans faire de choix pour un
pour peaufiner son aérodynamique. diamétralement opposés tant dans moteur. Pan Am joua longtemps au
L’annonce du lancement du 747 en leur mode de financement que leurs chat et la souris avant d’opter appa-
avril 1966, autre géant des airs, ne performances. remment du bout des lèvres pour
manqua pas de provoquer des réac- Lors de leurs interventions de- le 2707. Les compagnies étrangères
tions. Pour répondre à la croissance vant le PAC le 9 juillet 1966, Trippe furent pour le moins timorées, refu-
sant de s’engager pour l’un ou pour
l’autre des concurrents. Les avion-
neurs finirent par trancher la ques-
tion de la propulsion. Lockheed
opta pour Pratt & Whitney, Boeing
préféra le GE4 de General Electric.
Les experts aéronautiques annon-
cèrent à la FAA que, selon leurs
calculs, le 2707 provoquait une onde
de choc moins importante que celle
du L-2000. Le turboréacteur Pratt
D
ATINAU
ALAIN R & Whitney était mieux adapté aux
vitesses subsoniques puis perdait de
l’intérêt face à son rival en superso-
nique. Le choix final du SST s’inscri-
vait plus largement dans la politique

29
SUPERSONIQUE AMÉRICAIN

BOEING
Le “Dash” 80
industrielle américaine. Lockheed fut modifié Chez Boeing on fit plutôt profil bas. Il nourrir quelques espoirs. 26 com-
avait le cargo géant militaire C-5 pour mener s’en fallait de beaucoup avant de voir pagnies aériennes avaient réservé
“Galaxy”, Douglas la future station des essais voler le 2707. Les quelque 3 000 ingé- des positions de livraison pour 122
spatiale militaire MOL (Manned d’équipements nieurs affectés au projet planchaient avions. TWA précédait la Pan Am
Orbiting Laboratory, Laboratoire destinés au toujours sur la conception de l’avion pour la réception des premiers 2707.
orbital habité), General Dynamics 2707, comme tant elle se compliquait inexora
inexora- DR Cette dernière
dern était le plus
le chasseur bombardier F-111. le montre blement au fi l du temps.. Le important
import client avec 15
l’aménagement constructeur annonça qu’il il exemplaires en précom-
exem
Sus à la géométrie du nez. faudrait cumuler 15 mil- ma
mande. Air France
lions d’heures de travail ar
arrivait en dixième
variable ! pour la phase prototype p
position dans les
La FAA annonça officielle- – contre seulement un li
livraisons avec six
ment les vainqueurs le 31 décembre million d’heures pour le av
avions. À raison de
1966 : le Boeing 2707-100 associé au 707, une décennie aupa- cin
cinq exemplaires par
General Electric GE4. L’Amérique Pan Am voulait ravant. Boeing érigea à mois,
moi les chaînes de
était de retour dans la course au 15 Boeing 2707. Seattle un bâtiment pour ur la Boeing avaient deux ans
supersonique avec un premier vol fabrication du titane, où ù furent de travail een perspective.
prévu en 1970 et les premières livrai- assemblées dès la mi-1968 des pièces Les ingénieurs du constructeur
sons pour la fin 1974. Dans les calen- Le “Walkyrie”, pour les trains d’atterrissage du 747. durent malheureusement admettre à
driers des compétiteurs, Concorde ancien S’ajoutait un hangar pour abriter la la FAA qu’ils rencontraient de graves
devançait le 2707, mais ce dernier bombardier maquette à l’échelle 1. Le démonstra- difficultés. L’échéance du 30 juin 1967
était considéré par les Américains stratégique teur “Dash” 80 fut mis à contribution pour boucler le projet fut impossible
devenu
comme le supersonique de deuxième en recevant un nouveau nez et une à tenir. La configuration aérodyna-
explorateur
génération. Lockheed se montra bon nouvelle instrumentation pour éva- mique du 2707 péchait. Beaucoup
des grandes
perdant, les ingénieurs qui travail- luer en vol les systèmes qui devaient plus grave : la prise de poids inexo-
vitesses pour
laient sur le L-2000 furent la plupart le programme
prendre place dans le 2707. Début rable de l’avion. La masse au décol-
affectés au CL-1011, futur “Tristar”. SST.
1968, Boeing pouvait néanmoins lage passa de 294 à 300 t, puis 340 t
en septembre 1967. Il devenait tout
simplement impossible de tenir les
chiffres de charge marchande et de
distance franchissable annoncés fin
1966. Boeing et la FAA convinrent
que le 2707 courait à la catastrophe.
Il n’y avait pas 36 solutions : il fallait
abandonner l’aile à géométrie va-
riable et trouver une nouvelle confi-
guration aérodynamique propre à
assurer le vol à Mach 2,7. Bref, revoir
de fond et comble la conception de
l’avion. Le 21 février 1968, penauds, la
FAA et Boeing annoncèrent l’aban-
don du 2707-200 et au moins une
année de retard sur le programme
du SST qui avait désormais du plomb
dans l’aile… ■
À suivre
BOEING

30
HISTOIRE
Les carburants d’aviation
La stratégie
des calories
Le principe de Carnot définit le
moteur à combustion interne par la
transformation de chaleur en énergie.
En aviation, le problème est d’obtenir
le plus de chaleur possible dans des
moteurs les plus petits possible. Les
solutions sont multiples. L’une d’elles est
indispensable : un carburant approprié.
Par Michel Bénichou

D
ès les débuts de l’automo- de l’ampleur car, sous l’effet de cette
bile, il fut évident que la chaleur, le carburant s’enflammait
qualité des essences de prématurément, d’où cliquetis et
pétrole était irrégulière. perte de puissance auxquels seule
Certaines, plus volatiles une réduction des gaz pouvait
que d’autres, semblaient a priori mettre fin. Les essences de pétrole
supérieures parce que leur vapo- s’enflammaient généralement à
risation plus rapide facilitait leur 275 °C, aucune ne permettait donc
mélange avec l’air, assurant ainsi de dépasser le taux de compres-
une meilleure combustion. Mais, sion de 5,6 où la compression élève
avec les avions, lorsqu’ils furent la température du mélange car-
capables de prendre rapidement de buré de plus de 300 °C. L’emploi
l’altitude, l’essence n’ayant pas le de compresseurs efficaces sur les
temps de refroidir, la diminution de moteurs à taux de compression
pression atmosphérique accélérait considéré comme élevé pouvait en
sa vaporisation avant son arrivée au conséquence produire une détona-
carburateur ; c’était le vapor-lock, la tion aux effets éventuellement plus

formation dans les tuyaux de bulles


bloquant l’arrivée d’essence liquide. Henry Farman
Il fallut donc choisir pour l’aviation et la réserve
des essences adaptées ; comme leurs d’essence
nécessaire pour
caractéristiques dépendent de celles
battre un record
du pétrole à partir duquel elles sont
de distance
raffinées, elles furent d’abord dési-
en circuit fermé
gnées en France par leur provenance, en 1911. À cette
soit, pour l’aviation militaire pen- époque, l’essence
dant la Première Guerre mondiale de pétrole
“l’essence de Sumatra” et, dans une était vendue
moindre mesure, “l’essence légère en bidons
de Bornéo” ; le V8 Hispano-Suiza rectangulaires
de 180 ch du Spad VII donnait une de 5 ou 10 l
puissance maximale de 182 ch avec par toutes
la première, de 179 avec la seconde. sortes de petits
Pendant ce conflit, pour tirer commerces.
plus de puissance des moteurs exis-
tants, vitesse de rotation et taux
de compression furent augmentés.
Cependant, la compression produit
un échauffement et, dès que celle-ci
dépassa le taux de 4, un autre phé-
nomène pas vraiment inconnu prit
LA VIE AU GRAND AIR DR

32
Remplissage des deux
réservoirs de voilure d’un
Curtiss H75 de l’armée
de l’Air à partir d’un camion-
citerne. Ces réservoirs
principaux contenaient
environ 500 l.

33
LES CARBURANTS D’AVIATION

délétères : diminution de puissance,


forte augmentation de température,
voire piston crevé, culasse fendue,
bielle flambée, vilebrequin tordu,
piston éclaté, carter ouvert… La
liste des avanies mécaniques rele-
vées dans les archives montre que
l’incident n’avait rien d’anodin. Le Supermarine
L’unique remède consistait à S-6B gagna la
rendre le carburant moins volatil Coupe Schneider
avec un additif antidétonant. Un en 1931 grâce
premier fut vite trouvé : le ben- à la mixture
zol. Bien connu avant la Grande particulière qui
Guerre, ce produit de la distillation dopait
de la houille pouvait être mélangé son moteur
à l’essence en très forte proportion, Rolls-Royce.
BAE
voire utilisé presque pur. Il n’en
manquait pas en France bien qu’en un poison dont la véritable identité, avec l’avantage d’être plus léger que
temps de guerre il fût aussi large- plomb tétraéthyle, était le plus sou- l’essence, mais son pouvoir calorique
ment utilisé dans la fabrication des vent camouflée sous des appella- étant inférieur, sa consommation est
explosifs. Les Allemands y eurent tions faussement rassurantes. sensiblement plus élevée.
abondamment recours, qui man- Le toluène, isolé au Royaume-
quèrent de pétrole dès 1914. Uni et en France au XIX e siècle, fut 1921 : le plomb
Dans l’entre-deux-guerres en préconisé comme antidétonant au
Europe, le benzol fut la base des cours des années 1920 au Royaume-
tétraéthyle
carburants spéciaux brûlés dans Ravitaillement Uni par Sir Henry Tizzard, ancien La puissante industrie auto-
les moteurs de haute compétition. d’un Me 109 offi cier pilote, principal conseil- mobile américaine poussait les re-
Exemple : pour donner 2 800 ch sur le front ler technique de la RAF, futur cherches pour éliminer la plaie du cli-
avec son taux de compression de 7, en essence C3 président en 1933 de l’Aeronauti- quetis des moteurs trop chauds. C’est
exceptionnellement élevé, le moteur à 100 octane cal Research Committee (ancien la raison pour laquelle des recherches
Rolls-Royce R du Supermarine (portée à 105 British Advisory Committee for menèrent au plomb tétraéthyle, isolé
S6B de la Coupe Schneider de avec 30 % Aeronautics), qui établit d’ail- en 1921 par un chimiste attaché à une
de benzène).
1931 avalait 960 l à l’heure d’un leurs un classement des essences filiale de General Motors, Thomas
Faute de plomb
cocktail inédit composé de 30 % (Toluene number) en fonction de Midgley Jr ; il suffisait d’en ajouter un
tétraéthyl, les
de benzol, 60 % de méthanol, 10 % son dosage. ou deux millilitres par litre d’essence
Allemands
d’acétone, et de moins de 1 % d’un utilisaient
L’alcool éthylique, à condition pour que son efficacité fût totale.
produit nouveau, rare, méphitique, l’aniline avec
qu’il ne contînt presque pas d’eau (al- L’apparition du plomb tétraéthyle
déjà décrié, terriblement efficace, moins d’effet. cool à plus de 90°), est antidétonant (TEL en anglais) fut une révolution.
DR/COLL. J.-M. GOYAT
Cependant, il affirma publiquement
qu’il était détruit par la combustion.
Contre-vérité qui ne fit pas illusion
chez les professionnels. Au début des
années 1930, certains avionneurs ou
motoristes britanniques estimèrent
important de tenir les navigants
écartés des gaz d’échappement de
l’essence au plomb, car, en brûlant,
le plomb tétraéthyle répand dans
l’atmosphère des molécules au moins
aussi pernicieuses que lui, et certains
le considèrent comme le facteur de
pollution atmosphérique le plus nocif.
Il ne fut interdit aux États-Unis qu’en
1975 parce qu’il était nuisible… aux
DR
Le pots d’échappement catalytiques,
Malheureusement, cette espèce Exxon), Ethyl Gasoline. On évita Messerschmitt puis en Europe à partir de 1998
d’huile incolore se révéla d’emblée désormais le mot plomb, en com- 209 fut conçu pour des raisons sanitaires, sauf
si toxique que son emploi suscita très mercialisant (cher) des flacons du pour battre dans quelques cas particuliers dont
vite des protestations. Midgley lui- produit diabolique dont l’étiquette le record l’aviation. Il demeure donc utilisé ;
même fut sérieusement incommodé portait les marques Ethyl Fluid ou, du monde de son fabricant serait l’un des 500 plus
une première fois. Cependant, l’inté- plus enjôleuse, l-T Mix Blue Aviation vitesse pure riches industriels américains…
rêt de cet additif était capital car il Ethyl Fluid pour un mélange de TEL au service de Au cours des années 1930, on
permettrait de tirer plus de puissance et de composés d’éthylène. la propagande prétendit aussi – et c’était également
des moteurs existants, c’est-à-dire, En 1925, le service de santé nazie. Aucun faux – que grâce à d’autres adjuvants,
pour l’aéronautique, d’obtenir plus publique américain fit suspendre radiateur n’est le TEL devenait inoffensif. Un
de puissance sans avoir à utiliser de la vente du TEL pendant un an, le visible parce scientifique, universitaire de renom
moteurs plus gros et plus lourds, tout temps d’une enquête. Les experts qu’il n’y en (mais appointé par Ethyl Gasoline),
en consommant moins ! Sa fabrica- s’avouèrent incompétents. Midgley avait aucun ! certifia que rien ne permettait de
tion fut donc lancée par Du Pont de et ses collaborateurs jurèrent qu’il Le moteur était conclure à une dangerosité quel-
Nemours… La mort de 10 personnes n’existait aucun substitut ; l’État du refroidi par un conque. Puis Midgley dut se mettre
en plus de nombreuses intoxications New Jersey où l’usine était implan- circuit d’eau en retrait, victime d’une forme de
dans l’usine et le laboratoire soule- tée obtint son déménagement et on perdue. saturnisme, intoxication grave au
vèrent un tollé. La production fut en resta là. Midgley en personne plomb. Il mourut à 54 ans.
stoppée. Elle reprit en 1924 dans une s’efforça d’abord de convaincre la Cependant le monde s’enfonçait
nouvelle société, filiale de General presse de l’innocuité du TEL, mais inexorablement dans la guerre et le
Motors et Standard Oil (aujourd’hui ne put longtemps nier sa dangerosité. plomb tétraéthyle n’avait plus besoin


Ravitaillement d’un Breguet 693
de la première escadrille du I/54
de l’armée de l’Air de Vichy.

DR

35
LES CARBURANTS D’AVIATION

de mensonges pour sa défense ; il


devenait une arme de guerre qu’il
n’était plus temps de contester, d’au-
tant plus indispensable et stratégique
que les États-Unis en détenaient le
monopole.
En avril 1933, les Américains
établirent une nouvelle spécification
militaire pour augmenter à 100 avec
un apport de TEL l’indice d’octane
du carburant d’aviation ; en 1940, ils
en produisaient 230 t par jour (envi-
ron 320 000 l). Cependant, au début, Le “Tempest” V
les militaires l’utilisaient peu parce dont Pierre
qu’il était trop cher. Mais, avec la Clostermann
multiplication par milliers de leurs utilisa une fois la
avions à moteurs suralimentés, et surpuissance pour
avec la croissance très rapide des échapper à des
taux de compression, en cinq années Focke-Wulf 190D.
CROWN
de guerre les Américains en produi-
raient plus de 7 millions de tonnes. tane”, qui est non pas le rapport mais certaine. Par exemple, pour un même
En 1936, en France, le minis- un équivalent au rapport idéal entre produit, les indices britanniques
tère de la Santé publique autorisa les teneurs en isooctane (indice 100) étaient légèrement supérieurs aux
l’accroissement de la dose de plomb et n-heptane (indice 0) d’un “mé- américains. Néanmoins, la tendance
tétraéthyle de 0,3 à 0,8 cm3 par litre lange étalon”, selon l’expression du fut, dans les ministères concernés, de
d’essence, notamment pour les avions magazine L’Aéronautique en 1932 ; normaliser des indices de plus en plus
de combat, vraisemblablement pour car la composition des essences va- élevés année après année.
arriver à “l’essence D” à 100 octane. rie considérablement, comme nous L’augmentation de l’indice d’oc-
Cela n’alla pas sans difficultés car le l’avons vu. Une essence à 75 octane tane était nécessaire pour tirer plus
mélange du TEL avec les essences a donc les propriétés antidétonantes de puissance à cylindrée constante,
ordinaires provoquait notamment de d’un mélange théorique comportant et pour pouvoir utiliser la surali-
la corrosion dans les cylindres tandis 75 % d’isooctane et 25 % d’heptane. mentation par compresseur (l’air
que l’augmentation des températures Les Américains furent les pre- est échauffé par la compression
de combustion dues à la hausse des miers à produire le triméthylpentane d’où risque de détonation, etc.). En
taux de compression endommageait pour faire passer l’indice d’octane contrepartie elle imposait des mo-
les échappements et posait des pro- de leur essence d’aviation de 50 à difications aux moteurs qui tourne-
blèmes de refroidissement. 75, puis 87 et 92. Les autres pays sui- raient plus vite et plus chauds.
Les essences d’aviation furent virent lentement ; en septembre 1932, La nouvelle essence au plomb
normalisées en France de 1937 à la on pouvait lire dans L’Aéronautique : bouscula les motoristes qui s’adap-
guerre, en trois catégories : ordinaire “… la notion, nouvelle en France, de taient tout juste à la 87 pour les
(sans additif, moins de 75 octane) nombre d’octane, courante depuis avions de combat. En Europe, les
pour moteurs de faible puissance et assez longtemps en Amérique.” Britanniques, qui produisirent aussi
de taux de compression inférieur à Malheureusement, la mesure de l’in- de l’isooctane, réagirent rapidement
5 ; A, au benzol pour taux de com- dice dépend de conditions variables à partir de 1934. Pour éviter trop de
pression inférieurs à 6 et petits com- dont la température, et la norme en- transformations, beaucoup de moto-
presseurs (généralement 78 octane) ; core floue provoquait une confusion ristes limitèrent alors la durée d’em-
B pour moteurs puissants (généra-
lement 87 octane). Un peu plus tard Remplissage
furent ajoutées C (92/100 octane) et, de jerrycans
pour un usage essentiellement mili- destinés à
l’aviation en
taire, D (100/130 octane).
France, en 1944.
Les Américains
1925 : apparition ont progressé à
de l’indice d’octane travers la France
au rythme de la
Un mot nouveau est lâché : pose de plusieurs
octane. Au moment où l’avenir du pipelines
TEL était mis en question, Midgley approvisionnés
et son équipe avaient isolé parmi la par des navires
centaine de composants de l’essence, pétroliers sur
une molécule qui explose facilement, les côtes de la
l’n-heptane, et une autre, l’isooctane Manche.
(nom savant : triméthylpentane) qui, Le jerrycan était
au contraire, brûle régulièrement, une invention
possédant de ce fait une propriété allemande.
antidétonante. Ce fut une découverte
décisive grâce à laquelle les diffé-
rentes qualités de carburants purent
être catégorisées par un “indice d’oc-
USAF

36
DR
Le “Spitfire”
ploi des forts indices sur les moteurs l’aviation commerciale), essaya avec Mk IX à moteur venaient d’Amérique du Nord. En
existant, c’est-à-dire au décollage et au le moteur Pratt & Whitney “Wasp” “Merlin” 60 qui, écho à la politique d’indépendance
début de la montée, la croisière étant de ses Boeing P-26A de chasse à cause de sa énergétique lancée la même année
exécutée avec un carburant d’indice quatre essences à plus ou moins 100 suralimentation par le président du Conseil Raymond
plus faible. Le DGA-6 Mr Mulligan octane contenant diverses quantités (compresseur à Poincaré, La Revue des études coopé-
conçu aux États-Unis en 1934 par de plomb. Les chasseurs volèrent deux vitesses rative (n° 7, deuxième trimestre 1923),
Ben Howard pour la course en ligne plus vite et sans problème de déto- et deux étages) entre autres, se complut à le déplorer
du Bendix Trophy ne comportait pas nation. D’une année sur l’autre, le avait besoin pour servir les intérêts du monde agri-
moins de trois réservoirs pour trois Pratt & Whitney “Twin Wasp” passa d’un fort degré cole, plus exactement des céréaliers,
essences de 80, 87 et 100 octane. de 1 065 ch au décollage avec la 87, d’octane. viticulteurs et sucriers qui se voyaient
Quelques chiffres donnés en 1933 à 1 215 ch avec la 100, là aussi avec capables de substituer un alcool bien-
par l’ingénieur en chef des moteurs réduction de consommation spéci- de-chez-nous aux produits du pétrole
Bristol, Roy Fedden, dans la revue fique. La messe était dite. Cependant, que la France n’avait pas encore, car
Flight, illustraient de manière specta- l’USAAC n’eut jamais, avant 1940, l’exploitation pétrolière dans l’empire
culaire ce qu’apportait l’amélioration les budgets nécessaires pour acheter colonial français commença en 1924
du carburant, en prenant l’exemple du le nouveau et plus coûteux carburant avec la Compagnie française des
moteur en étoile Bristol “Pegasus”. en quantités suffisantes. Sur les pétroles (aujourd’hui Total), princi-
Sa puissance maximale de 570 ch aérodromes palement en Algérie.
avec l’essence ordinaire à 69 octane 1922 : l’alcool, et les bases
aériennes,
Ce n’était pas nouveau ; lorsque
(indice américain), passait à 790 avec l’automobile cherchait son énergie
de la 92, tandis que la consommation
une vieille idée d’énormes au début du XXe siècle, ce groupe de
camions-
horaire diminuait de presque 15 %. Malheureusement en Europe, pression avait organisé un premier
citernes se
En 1934, l’USAAC, qui avait rencon- sauf au Royaume-Uni, l’essence était concours en 1901. En 1902, le mi-
déplaçaient
tré des problèmes de détonation avec importée de sources étrangères. En nistre du Commerce, Jean Dupuy,
d’avion en
l’essence dite “de combat” titrée à 92 France, en 1922, des 9 millions de avion pour
avait suscité un grand prix d’auto-
octane (comparable au super 87 de tonnes brûlées chaque année, 6 pro- faire les pleins.
mobiles à alcool afin de promouvoir ▲

USAF

37
LES CARBURANTS D’AVIATION

le “carburant national”, le Circuit


du Nord, qui fut gagné par Maurice
Farman, pas encore aviateur. Au
printemps de 1922, le comice agri-
cole de Béziers organisa le Concours
du carburant national dans l’espoir
de défaire la France d’une dépen-
dance de l’étranger. Cette mani-
festation à laquelle assistèrent des
spécialistes de l’aéronautique, et Devant
dont le quotidien national Le Matin, l’extrémité est
traditionnellement lié à ceux-ci, fit du Bay Bridge,
un compte rendu précis, fut un défilé en Californie,
de véhicules routiers de toute sorte le Boeing 314,
dont le carburant était un composé premier aéronef
d’essence, d’alcool à 95°, de phénol et à brûler
d’hexanol. “Des applications parfai- de l’essence
tement réussies ont été faites depuis à 100 octane.
BOEING
longtemps avec un mélange de 33 %
d’alcool, 33 % d’essence et 33 % de 92/100 octane, puis enfi n la D ou Avec cette dernière essence et un
benzol”, précisait le journaliste. 100/130, adoptée en avril 1940 avec bon compresseur, les pressions d’ad-
La recherche du “carburant natio- le moteur Hispano-Suiza 12 Y 45 missions (PA) des moteurs militaires
nal” à base d’alcool dura jusqu’à suralimenté par le compresseur courants furent poussées lors d’essais
la Deuxième Guerre mondiale. Turbomeca, pour lui permettre de en mars et avril 1944 à des extrêmes
Mais, au milieu des années 1930, tourner à plus de 2 200 tr/min en al- inimaginables quelques années plus
dès lors que les services techniques titude. Britanniques et Américains tôt. Au régime de secours, le V12
de l’Aéronautique réclamèrent des utilisaient alors couramment la Alison V-1710 des P-38J “Lightning”
essences à 87 octane (contenant de 100/130, lui adjoignant, à partir de donna 2 000 ch à 3 000 tr/min avec
l’alcool éthylique ou du benzol) pour la fi n des années 1930, la 115/145 75 pouces à l’admission (2,5 fois la
l’aviation militaire, l’importation né- ou 100/150 pour les moteurs à pression atmosphérique standard d’en-
cessaire du plomb tétraéthyle et de forte pression d’admission (vers viron 30 pouces) ; à cette même pres-
l’isooctane, trop coûteuse, la relança. 45 pouces de mercure, 1,5 fois la sion d’admission (limitée à 72 pouces
Le mélange benzol-alcool avec ou pression atmosphérique standard, en opération), le Packard “Merlin”
sans essence fut préconisé une fois et au-delà) ; l’hydravion transatlan- V-1650 du North American P-51B
de plus, comme le Djavol, essayé tique Boeing 314 fut, en 1939, un “Mustang” donnait 1 860 ch ; le Pratt
sur un Caudron 271 “Luciole” à des tout premiers utilisateurs de ce & Whitney R-2800 du P-47D pouvait
moteur Lorraine 5 de 110 ch – et qui dernier carburant, encore très cher, être poussé à 65 pouces et 2 700 tr/min
possédait, selon son promoteur, un dont l’Amérique produirait 11 mil- pour donner 2 600 ch, voire 70 pouces
indice d’octane élevé (très approxi- lions de tonnes jusqu’à la fi n de la avec injection d’eau. À ces régimes
matif) de 96. Malheureusement pour Deuxième Guerre mondiale. d’urgence le P-51B gagnait jusqu’à
l’aviation, le benzol avait le sérieux DR

inconvénient d’avoir un point de Ravitaillement


congélation élevé ; il se figeait au d’un Curtiss
froid d’altitudes qu’un “Luciole” ne “Helldiver” de
l’Aéronautique
pouvait atteindre. Seul l’Azur, super-
navale en
carburant pour automobile conte-
Indochine.
nant de l’alcool, fut vendu jusqu’en
1945, rappelle l’historien de l’auto-
mobile Jean-Pierre Dauliac (1).

1939 : l’essence
“100/150”
L’indice d’octane de l’essence
d’aviation varie aussi selon la qua-
lité du mélange avec l’air ; il est
plus bas avec un mélange pauvre
qu’avec un mélange riche ; aussi,
le plus souvent, deux valeurs sont
données, mais là encore avec des
variations puisque la “100” amé-
ricaine faisait en réalité 98 ou 99 !
La meilleure essence d’aviation
française en 1939 était la 87/100
à laquelle succéda vite la C ou

(1) Depuis le début du XXIe siècle,


les essences pour automobile doivent
contenir de 5 à 10 % d’éthanol.

38
25 km/h, le P-38J jusqu’à 27 km/h, Mk IX ; 586 km/h au lieu de 577 des bougies par le plomb. Au début
le Republic P-47D “Thunderbolt” pour le “Spifire” Mk XIV à moteur de 1945, au TEL qu’elle contenait fut
jusqu’à 30 km/h. Toutefois, le R-2800 “Griffon” ; 622 km/h au lieu de 599 par conséquent substitué un composé
surchauffait en montée et le V-1710 pour le Hawker “Tempest” Mk V à d’éthylène et un acide… qui rongeait
atteignait l’extrême limite de ses moteur “Sabre” ; 627 km/h au lieu de à ce point les sièges de soupapes qu’il
capacités. Seul le “Merlin” semblait 580 pour le De Havilland “Mosquito” fallait les changer en moyenne toutes
pouvoir aller plus loin ; ses ultimes ver- Mk III. Mais des difficultés d’appro- les 100 heures de fonctionnement.
sions d’après-guerre furent d’ailleurs visionnement en 100/150 – 2 000 t par Insupportable. Aussi, dès le 1er avril
poussées à 2 080 ch au décollage. mois –, obligèrent le Royaume-Uni 1945, la 100/150 au plomb redevint
La RAF qualifia début 1944 la à revenir, dans une certaine mesure, la règle, et les pilotes apprirent à net-
100/150 avec le moteur “Merlin” 66 vers la 100/130. toyer leurs bougies par de forts coups
du “Spitfire” Mk IX pour obtenir de gaz avant de couper les moteurs.
une pression d’admission supplémen- Les sièges des soupapes La 115/145 est toujours produite
taire de 25 livres, soit… 81 pouces ! À en très petite quantité pour les mo-
l’occasion de la chasse aux bombes
rongés par le composé teurs spéciaux d’avions de course,
volantes V1, les Britanniques mesu- Pour ses avions de chasse, la notamment les “Merlin” des “su-
rèrent avec ce supercarburant la 8th Air Force américaine, basée per” “Mustang” poussés à 2 800 ch
progression suivante des vitesses en Grande-Bretagne, réclama en avec injection d’eau et de métha-
maximales au niveau de la mer : mai 1944 la livraison immédiate de nol et une pression d’admission
576 km/h avec la 100/150 au lieu de 100/150. Celle-ci posa aussitôt des de 145 pouces (4,8 atmosphères) !
540 avec la 100/130 pour le “Spitfire” problèmes avec un fort encrassage La 100/130 est toujours en usage,

ALAIN CROSNIER/COL. J. GUILLEM
Le plein
de carburant
d’un Noratlas
de la 64e escadre
de transport de
l’armée de l’Air.

39
LES CARBURANTS D’AVIATION

mais avec moins de plomb (envi- -60 °C, alors que la température
ron 0,6 g/l au lieu du double) afi n minimale rencontrée par les avions
de convenir aux moteurs de petite dans la stratosphère est d’environ
puissance conçus au départ pour la -50 °C. Les Américains en ont fait
80/87 ; c’est pourquoi elle est nom- le “Jet Propellant” (JP – combus-
mée 100 LL pour low lead (basse tible pour réacteur), et en ont dé-
teneur) en plomb. Elle confère au- veloppé plusieurs variétés parfois
jourd’hui à l’aviation qui sent si fort spécialement, aux États-Unis, pour
le kérosène un fumet de nostalgie. des avions aux performances parti-
En Allemagne, pendant l’entre- culières comme les Lockheed U-2
deux-guerres, la situation fut très (très haute altitude et très basse
différente car le traité de Versailles températures) ou SR-71 (échauf-
y interdit jusque dans la seconde fement cinétique très important)
moitié des années 1920 la produc- ou les avions embarqués. Au JP-1
tion de moteurs de moyenne et succéda en 1951 le JP-4 contenant
grande puissance. Le problème de la 50 à 60 % d’essence, remplacé à
détonation n’y fut donc abordé qu’à partir de 1978 par le JP-8 moins
partir de 1927. Faute de TEL, l’in- inflammable. L’aviation civile uti-
dustrie chimique fut priée de trou- lise principalement le Jet A-1 équi-
USAF
ver des palliatifs et les motoristes Un Lockheed valent au JP-8 militaire avec des
des substituts. Finalement, en 1938, U-2 “Dragon puissance passait aussi par une additifs différents.
le DVL (Deutsche Versuchsanstalt Lady” de augmentation de cylindrée et l’on
für Luftfahrt, établissement de re- l’US Air Force. aboutissait à des solutions énormes 1944 : les mauvais
cherches aéronautiques allemand) Son emploi comme le Clerget 16H de 81 l de
fut chargé du problème sans y ap- à très haute cylindrée, un 16 cylindres français
lubrifiants
porter de bonne solution. Dans le altitude impose à quatre turbocompresseurs dont L e bon fonctionnement des
même temps BASF (IG-Farben) un carburant on espérait 2 000 ch, mais qui fut moteurs dépend aussi considérable-
trouva notamment des catalyseurs particulier. abandonné au début de ses essais ment de la qualité des lubrifiants, des
spéciaux, et, surtout, le moyen de en 1939. Repris à la fin du XXe siècle, joints, des systèmes d’allumage. Le
produire des essences synthétiques le moteur Diesel d’aviation – dérivé bon exemple est ici celui de l’aéro-
aux propriétés antidétonantes de l’automobile – n’a pas non plus nautique allemande qui ne put dé-
convenables par hydrogénation de connu le succès attendu. velopper de moteurs à pistons aussi
la houille et du lignite. Un camion C onnu depuis le XIX e siècle puissants que les Alliés parce que
pompe est pour alimenter les lampes, le ké- les lubrifiants synthétiques fabriqués
1928 : les carburants nécessaire rosène, autre produit du pétrole à partir du charbon par son indus-
pour remplir moins inflammable que l’essence, trie chimique étaient de mauvaise
de sécurité les réservoirs est devenu un carburant d’avia- qualité – parfois inutilisables en
La volatilité de l’essence qui depuis un tion avec les turboréacteurs dont fin de guerre. Or les moteurs alle-
s’enflammait ou explosait trop fa- hydrant au sol. les premiers exemplaires fonction- mands consommaient des quantités
cilement en combat ou lors d’acci- Les quantités naient aussi à l’essence. Le kéro- d’huile très excessives faute de joints
dents suscita l’intérêt pour des car- de carburant sène possède un pouvoir calorique efficaces. Enfin, on ne peut ignorer
burants dits de sécurité parce que des gros avions sensiblement plus élevé que celle- qu’à partir du milieu de 1944, les
moins inflammables comme les de ligne sont ci, produisant donc plus d’énergie adversaires des Alliés, l’Allemagne
huiles lourdes, gazole ou distillats supérieures à à volume égal, or, si les turboma- et le Japon, commencèrent à man-
du goudron de charbon. Ceux-ci ce que pourrait chines produisent des puissances quer sérieusement de pétrole pour
transporter
nécessitaient des moteurs spéciaux très fortes, c’est grâce à des tempé- alimenter leurs armées. Quant au
un camion :
avec compresseur et injection di- ratures de combustion plus élevées. refroidissement, problème exacerbé
un A380 peut
recte. Les recherches furent enga- En outre, le kérosène, à l’inverse du par la suralimentation des compres-
emporter plus
gées après la Première Guerre mon- de 106 m3
gazole, se fige à des températures seurs et additifs, il fut plus ou moins
diale par de nombreux motoristes de kérosène.
extrêmement basses de l’ordre de résolu par les aérodynamiciens. ■
dans le monde, mais les seules qui
aboutirent à une production en série
furent celles de Junkers Motoren
avec le Jumo 205 (en 1932) aux deux
vilebrequins entraînés par des pis-
tons opposés deux à deux dans un
même cylindre. Junkers tentait ainsi
de corriger l’excès de poids des cu-
lasses renforcées pour résister aux
taux de compression élevés de ces
moteurs. Ceux-ci étaient d’ailleurs
défavorisés par une faible puissance
massique et l’impératif de réchauf-
fer en permanence le carburant
pour faciliter son inflammation ;
certains ne pouvaient être démar-
rés que par injection d’un produit
plus volatile ou par un moteur au-
xiliaire à essence. Augmenter leur
JACQUES GUILLEM

40
REPORTAGE
“The Grace Spitfire”

Bijou de famille

XAVIER MÉAL
Titulaire de la première victoire en
combat aérien du 6 juin 1944, puis piloté
par des Français libres, ce “Spitfire”
biplace fait la fierté d’une famille grâce
à la pugnacité d’une femme… qui l’a
transmis à son fils, Richard Grace.
Il nous raconte son histoire.
Par Xavier Méal

Le “Spitfire” Tr. 9 ML407


au-dessus de la forêt
de Fontainebleau
en septembre dernier.

43
“SPITFIRE” MATRICULE ML407

DR
Le “Spitfire”

C
onstruit en avril 1944 dans plongeant à toute vitesse vers le sud. ML407, Squadron 485 en tête du tableau des
l’usine de Castle Bromwich, Montant à pleine puissance, j’ai vu codé OU-V, scores pour le Jour J. Quelques jours
près de Birmingham en l’avion ennemi entrer dans un gros aux mains avant l’invasion, j’avais négligemment
Grande-Bretagne, en tant nuage isolé au-dessus de la couche de Johnnie suggéré que nous devrions lancer un
que Mk IX monoplace, principale, et quand il est réapparu Houlton concours du premier qui abattrait
le Supermarine “Spitfire” matricule de l’autre côté, je m’en rapprochais le 27 août un avion ennemi après le début de
ML407 a servi durant les 12 derniers rapidement. 1944, lors l’invasion, et j’avais dûment collecté
mois de la Deuxième Guerre Mondiale Mon avion était équipé d’un d’une mission quelques shillings auprès de mes col-
avec des escadrons de première ligne, viseur gyroscopique qui évitait au d’escorte de lègues. Quand est venu le temps de
accumulant 176 sorties opérationnelles pilote les habituels calculs instanta- “Halifax” et de souffler et de faire la fête, le peu que
en un peu plus de 200 heures de vol. nés et conjectures requis pour toucher “Lancaster” sur j’avais gagné ne suffit largement pas à
Après avoir été remis à la Maintenance la cible – particulièrement quand sa Homberg, dans couvrir le coût de la fête.”
Unit 33 en avril 1944, il fut livré au trajectoire était raisonnablement la Ruhr. Il porte
Squadron (néo-zélandais) 485 le droite. Il permettait aussi d’utiliser les un réservoir Avec les “Free French”
29 avril 1944 par Jackie Moggridge, mitrailleuses avec précision depuis une supplémentaire
l’une des plus fameuses femmes pilotes plus grande distance qu’auparavant. de 45 gallons, du 341 Alsace
de ATA, l’Air Transport Auxiliary, J’étais bien au courant, cependant, (170 l) qui était En décembre 1944, le ML407 fut
organisation civile dont les pilotes que la plupart des pilotes sceptiques largué en cas transféré au Squadron 341 (Français
convoyaient les avions sortant d’usine quant à ce nouvel équipement préfé- de combat libres) – le groupe de chasse Alsace –
aérien ou dès
ou de réparation vers les unités de pre- raient utiliser le viseur conventionnel, et fut affecté au sergent Jean Dabos,
qu’il était vide.
mière ligne. qui était toujours incorporé sur l’écran futur pilote d’essai de la SNCASO,
Au Squadron 485, le ML407 du nouveau viseur. Normalement, on membre de l’équipe d’essai du
fut assigné au flying officer John ouvrait le feu à une distance inférieure Concorde et concepteur de deux
“Johnnie” Arthur Houlton. En juin à 250 yards [230 m] ; mais j’ai ajusté le avions de construction amateur. Le
1944, cet escadron était basé à Selsey, viseur gyroscopique pour une cible à chasseur reçut alors le code de fuse-
l’aérodrome le plus proche des plages 500 yards avec un angle de déflexion lage NL-D. NL parce que ce doublet
de Normandie, à l’extrémité d’une de 45°, positionné la mire sur le moteur était celui affecté au 341 par la RAF,
péninsule. Le Jour J, le 485 reçut pour droit de l’avion ennemi et tiré une ra- et D… parce que c’était la seule lettre
mission d’effectuer quatre patrouilles fale de trois secondes. Le moteur s’est encore disponible quand Jean Dabos
sur les plages du Débarquement, la désintégré, un incendie s’est déclaré ; avait rejoint le 340 quelques mois plus
première dès les premières lueurs deux membres d’équipage ont sauté et tôt… ce qu’il prit au début comme
du jour. Mais le ML407, alors codé l’avion a plongé de façon très abrupte une charmante attention… mais il
OU-V, ne put prendre part à cette pre- pour aller s’écraser sur une route, ex- apprit – bien plus tard – que le D était
mière patrouille, son hélice ayant été plosant à l’impact. la seule lettre disponible. Personne ne
endommagée après avoir malencon- Le Grand Quartier général dési- la voulait car elle avait la réputation
treusement rencontré le bureau que gna ce Ju 88 comme le premier avion de porter la poisse ! Le mécanicien
l’officier des Opérations avait sorti de ennemi abattu depuis que le débarque- Ken Gilham fut par la suite affecté au
son bâtiment pour l’installer au milieu ment avait commencé, plaçant ainsi le ML407, devint l’ami de Jean Dabos,
des avions. Son hélice fut néanmoins et eut un jour l’idée de peindre sur
réparée à temps pour les patrouilles le capot gauche du moteur un bébé
de l’après-midi. hurlant habillé tout de jaune, soit en
Dans son livre Spitfire Strikes,
Johnny Houlton raconta : “En milieu “ Le moteur s’est anglais un yellow baby – bébé parce
que Dabos était le plus jeune de l’esca-
d’après-midi [du Jour J], j’ai mené la
Section Blue pour ce qui était la troi-
désintégré, un incendie dron, jaune parce qu’il volait au sein de
la section jaune (Yellow Section, les
sième patrouille de la journée. Au sud
d’Omaha beach, sous une couche s’est déclaré […] sections étaient distinguées les unes
des autres à la radio par une couleur),
peu épaisse de cumulus épars, j’ai hurlant parce que Jean Dabos avait
aperçu un Ju 88 au-dessus de nuages l’avion a plongé ” du caractère ! Puis le ML407 passa
44
Le ML407 ne fut pas utilisé, restant
entreposé à Cricklewood. En avril
1970, Tony Samuelson vendit ses
quatre “Spitfire” et un “Hurricane”
en état de vol à Sir William Roberts.
Le ML407 fut transporté jusqu’à une
ferme à Flimwell et, plus tard, la cel-
lule fut déménagée à Shoreham, avant
de rejoindre la Strathallan Collection
de Sir William Roberts en Écosse.

Construction de voitures
de course et de yachts
M L407 fut acquis par le
Britannique Nick Grace le 9 août 1979
et immatriculé G-LFIX le 1er février
1980 à St Merryn, en Cornouailles.
Ingénieur-concepteur et pilote, Nick
DR
Le “Spitfire” Grace avait participé au développe-
au Squadron 308 (polonais), au 349 et les “Spitfire” suivirent. La plupart ML407, ment de la voiture de course Ginetta
(belge), au 345 (Français libres), au des Tr.9 furent transférés à l’école converti au G4 avec les frères Walklett. Puis il
332 (norvégien) et revint au 485. de formation technique au sol de standard Tr.9 avait déménagé en Australie où il
Après la guerre, le ML407 fut Baldonnel, ce qui fut le cas du ML407/ pour l’Irish Air avait conçu et construit sa propre voi-
expédié chez Vickers qui, en juin et IAC162 après qu’il eut effectué son Corps, dans les ture Brolga et pris part à des courses
juillet 1951, le convertit au standard dernier vol au sein de l’IAC le 8 juillet années 1950. avec un certain succès, après quoi il
“Trainer” IX (ou Tr.9, biplace d’en- 1960. Les biplaces furent utilisés en avait œuvré dans la construction de
traînement) et le tant que cellules yachts de luxe avant de revenir au
livra le 30 juillet à pédagogiques Nick Grace, Royaume-Uni et de lancer sa propre
l’Irish Air Corps pour la formation qui a restauré entreprise de construction de yachts à
(IAC) qui lui des mécaniciens. le ML407, est Guernesey, construisant des yachts de
décédé dans
affecta le code de Le 4 mars 1968, 40 pieds (12 m) selon les plans de Van
un accident de
fuselage IAC162. le ML 407 fut de Stadt. En 1979, il avait vendu cette
voiture en 1988.
Les “Spitfire” Tr.9 vendu à la société entreprise très prospère avec laquelle
furent utilisés pour Samuelson Film il avait également construit un yacht de
former des pilotes Services de Tony course de 9 m qui remporta les cham-
pour la flotte de Samuelson, un pionnats nationaux néerlandais.
“Seafire” de l’IAC collectionneur qui Le ML407 effectua son premier
et le cours com- fournissait des vol après restauration depuis l’aéro-
prenait la pratique avions à la Battle Deuxième essai drome de St Merryn le 16 avril 1985,
du tir, car bien que of Britain Film du “Merlin” aux mains de Nick Grace, avec sa
les Tr.9 fussent des
V R
IA G
ICHARD RACE
Company, qui s’ap- du ML407 femme Carolyn en place arrière. Le
avions d’entraînement, ils étaient équi- prêtaient à tourner le film The Battle restauré, en fils du couple Grace, Richard, était
1985. Dick
pés de deux mitrailleuses Browning of Britain (La Bataille d’Angleterre). alors âgé de neuf mois. Au cours
Melton est aux
.303, une dans chaque aile. Samuelson acheta en tout quatre Tr.9 de la restauration, Nick Grace avait
commandes,
Quelques années plus tard, l’IAC à l’IAC, dont deux étaient en état de modifié les verrières afin d’adoucir
Carolyn Grace
retira du service sa flotte de “Seafire” vol et furent utilisés pour le tournage. les lignes du biplace ; il avait pour

en place arrière.

VIA RICHARD GRACE

45
“SPITFIRE” MATRICULE ML407

cela conçu ce qui fut appelé la modi-


fication Grace In Line Canopy. Mais
Nick Grace décéda dans un acci-
dent de voiture trois ans plus tard,
en octobre 1988. Pour préserver la
mémoire et l’œuvre de son mari, sa
veuve Carolyn entreprit alors d’ap-
prendre à piloter le “Spitfire” avec
Pete Kynsey (depuis de nombreuses
années chef pilote de la fameuse
Fighter Collection de Stephen et
Nick Grey). Elle avait alors seulement
170 heures de vol sur son carnet de
vol, et ses enfants Olivia et Richard
étaient alors respectivement âgés
de cinq et quatre ans. Australienne,
élevée sur une propriété au sud de
Sydney, Carolyn Grace avait obtenu
sa licence de pilote privé en 1978 dans
les îles Anglo-Normandes, la majo-
rité de ses vols se faisant sur biplan
Stampe. En 1990, elle devint ainsi la
première femme à prendre les com-
mandes d’un “Spitfire” depuis les
pilotes de l’ATA de la Deuxième
Guerre mondiale. L’année suivante,
Carolyn Grace obtint sa Display
Autorisation, la qualification qui
l’autorisait à présenter le “Spitfire”
dans les spectacles aériens. Elle allait
accumuler un peu plus d’un millier
d’heures de vol aux commandes du
biplace – et le faire connaître sous le
surnom de “The Grace Spitfire” –,
jusqu’à ce qu’elle décide qu’il était
temps pour elle de passer la main. En
octobre 2017, elle annonça au Grace
Spitfire Supporters Group, amicale
de supporters du biplace créée par sa
fille Olivia en 1997, qu’elle ne pilote-
rait plus son ML407.

Première boucle
en “Spitfire”
Pour autant, le biplace n’allait
pas, lui, être arrêté de vol. Car dix ans
auparavant, son fils Richard avait été
lâché sur “Spitfire” – sur ce “Spitfire”.
Il est aujourd’hui le patron de Air
Leasing, à Sywell, une société qui
entretient et fait voler une douzaine
de warbirds qu’il a tous pilotés. “ J’ai
grandi au milieu des avions, explique-
t-il. J’ai fait mon premier vol à l’âge de
18 jours, sur les genoux de ma mère,
dans le Stampe SV-4 familial, imma-
triculé G-AXNW, que nous avons
toujours. J’ai tenu les commandes À l’automne
dès que j’ai pu les attraper ! Mon dernier, le
défunt père a terminé la restauration “Spitfire” ML407
du ML407 avant que soit fêté mon a retrouvé les
premier anniversaire. Tout le temps marquages qu’il
où j’ai grandi, j’ai passé quasiment porta au sein du
chaque week-end sur un aérodrome Squadron 341,
ou à un spectacle aérien – ce qui m’a lorsqu’il était
toujours poussé à atteindre un stan- piloté par
dard similaire à celui de ses pilotes qui le défunt
ont bercé ma jeunesse. Jean Dabos.

XAVIER MÉAL

46
47
“SPITFIRE” MATRICULE ML407

Richard Grace
a deux ans sur
cette photo ;
chiffon en main,
il astique le
“Spitfire” de
son père lors du
spectacle aérien
Fighter Meet à
West Maling.

VIA RICHARD GRACE

Carolyn et
Richard Grace.

DARREN HARBAR

J’ai d’abord appris aux com-


mandes du Stampe familial avec ma
1 840 sur avions à train classique,
et sur 52 types différents. J’ai volé
“ Ma toute première
mère, et avec notre chef pilote Peter
Kynsey. Néanmoins, j’ai pris mes pre-
mières leçons de pilotage “officielles”
plusieurs années au sein de la pa-
trouille acrobatique Trigg, sur Pitts
S1. Aujourd’hui, je possède, en plus
boucle a été dans un
lors d’un bref passage au Cambridge
Flying Group, dans des “Tiger Moth”
du Stampe, un Van’s RV-7 et un
Cassutt Racer. Et bien sûr, j’ai cette
“Spitfire” – je pense que
quand j’étais encore à l’école. Mais ce
n’était pas trop apprécié que je sois
chance immense, grâce aux talents
de mon père et à la détermination
c’est assez unique ! ”
absent les mercredis après-midi pour de ma mère, que nous possédions
pendre des cours de pilotage, ce qui aussi ce “Spitfire” biplace à double
a rapidement mis fi n à ces leçons. commande. Ce qui m’a permis d’ap- là qui conditionne votre altitude et
Une fois que j’en ai eu terminé avec prendre à le piloter dès que j’en ai été votre vitesse. Le premier écueil à
l’école, je suis immédiatement parti capable. La toute première boucle de éviter est d’arriver trop rapide au
pour l’Australie et j’ai pas mal volé à ma vie a été dans un “Spitfire” – je sommet de la boucle. Si vous arrivez
Canberra. Puis j’ai découvert que la pense que c’est assez unique ! Puis au sommet de la boucle à 140 nœuds
licence australienne ne pouvait pas après, Peter Kynsey m’a appris à faire [260 km/h], ce qui est parfaitement
être convertie en licence britannique, des boucles proprement en “Spitfire”. possible avec ce type d’avion, c’est
alors je suis rentré rapidement et j’ai Dans ce type d’avion, la vitesse est que vous avez tiré trop fort durant
terminé ma licence de pilote privé à le paramètre clef. Et c’est le dernier le premier et le deuxième quart de la
Earls Colne – j’avais 18 ans. quart de la boucle qui est le plus boucle. Dans ce cas, vous êtes pro-
À ce jour, mon carnet de vol important. C’est la façon dont vous bablement 300 pieds [90 m] plus bas
compte environ 2 000 heures, dont avez géré l’avion jusqu’à ce moment- que la hauteur idéale ; votre vitesse
48
VIA RICHARD GRACE
L’enfance
va augmenter dans la phase descen- de Richard tout allait bien, vérifié mon altitude lisé ce qui était alors la plus grande
dante et vous allez sortir 1 000 pieds (à gauche) et au sommet et j’étais heureux de ce ambition de ma vie. Le problème,
[305 m] plus bas par rapport à l’alti- Olivia Grace a qui était indiqué sur l’altimètre. Pete c’est que je n’avais alors que 23 ans,
tude à laquelle vous avez débuté la été bercée par est alors intervenu dans l’intercom : et il m’a fallu trouver une autre plus
boucle. Si vous utilisez seulement la symphonie “Non, non, ne tire pas pour engager grande ambition !
des butées d’altitude, vous pouvez du Rolls-Royce la descente – regarde ta vitesse !” Si j’ai un héros en aviation ? Oui,
atteindre l’altitude que vous vous êtes “Merlin” du J’étais à 140 nœuds. J’ai transformé ma mère Carolyn, qui, après la mort
initialement fi xée, mais qu’en est-il ML407. ma boucle en demi-huit cubain [par prématurée de son mari, et avec deux
si vous avez attaqué la boucle avec un demi-tonneau, Richard Grace a enfants en bas âge à charge, a décidé
une vitesse supérieure de 10 nœuds mis l’avion sur le ventre, en vol posi- de ne pas vendre le “Spitfire” pour
[18 km/h] à celle que vous pensez tif, pour sortir de la figure avec une en tirer de l’argent, dont elle avait
avoir utilisée ? Vous pouvez vérifier descente moins prononcée, dans la pourtant grand besoin alors. Au lieu
votre altitude au sommet de la boucle direction inverse de celle qu’il aurait de cela, avec seulement 170 heures
et vous dire “Nickel !”, mais si vous eu en poursuivant la boucle, NDLR]. d’expérience en tant que pilote, elle
n’avez pas géré votre vitesse, vous a appris à piloter le “Spitfire” et l’a
pouvez être à 140 nœuds et donc être Transmettre fait voler de nombreuses années,
sur le point de sortir 1 000 pieds plus et cet avion a été le socle de tout ce
bas que votre altitude de départ. La
aux jeunes générations que nous avons accompli jusqu’à
toute première fois que j’ai passé une Mon plus grand souvenir aéro- aujourd’hui.
boucle en “Spitfire”, j’étais aux com- nautique à ce jour est mon lâcher Je suis immensément fier de ce
mandes du ML407 avec Pete Kynsey solo sur “Spitfire” le 4 octobre que mes parents ont accompli et je
comme instructeur en place avant, et 2007. C’est facile de comprendre fais tout pour préserver ce patrimoine
j’ai tiré en début de boucle, pensé que pourquoi… mais ce jour-là, j’ai réa- et le transmettre à mes enfants.” ■
49
HISTOIRE
Aux lendemains
de la Grande Guerre…
Le premier
concours
militaire
d’avions-écoles
Dans un paysage aéronautique
en profonde mutation, les services
techniques organisent en 1923 un
concours visant à renouveler l’intégralité
du parc vieillissant des écoles militaires.
Un épisode méconnu et déterminant
des ailes françaises de l’après-guerre.
Par Bernard Bombeau.

N
ovembre 1918. La France survécu : Istres, pour la formation de
fait figure de première base, et Bordeaux pour le perfection-
puissance aérienne mon- nement au tir. L’hémorragie humaine
diale tant par le nombre est énorme et contraste avec la situa-
de ses avions que par la tion d’abondance matérielle qui ne
qualité de ses personnels. Ses forces fait que s’amplifier. Six à huit types
armées disposent d’un parc aérien d’avions dépassés – dont les célèbres
colossal de 12 000 appareils. Près de Spad XIII de chasse et Breguet 14B2
12 300 pilotes sont mobilisés dans de bombardement – ont été progres-
l’Aéronautique militaire et environ sivement retirés du service. Mais
650 dans la Marine. Mais les appa- souvent, ces retraits ont grossi des
Animée à
rences sont trompeuses. Seuls 4 100 réserves déjà pléthoriques. Qui plus
Villacoublay par
avions équipent “en ligne” les esca- est, par crainte du chômage, l’achat
l’as de la voltige
drilles de l’Aéronautique militaire et d’avions neufs n’a pas brutalement Alfred Fronval,
de l’Aéronautique maritime. Le dif- cessé : de novembre 1918 à octobre l’école Morane
férentiel – quelque 8 000 autres ! – se 1919, l’État a passé commandes de est en 1922
répartit entre les réserves, les dépôts 1 700 appareils (prototypes et petites l’un des centres
et les écoles où leur nombre est éva- séries) et de 3 200 moteurs s’ajoutant de pilotage
lué à 3 000. Passé l’euphorie de la vic- aux 20 000 stockés ! subventionnés
toire, un vaste plan de démobilisation les plus réputés
a été engagé. En quelques mois les Liquider les excédents par la qualité de
effectifs ont fondu et, fin 1920, il ne
reste que 2 500 pilotes militaires en
et renouveler le parc ses matériels et
son faible taux
fonction. Beaucoup ont été remerciés Arrivé aux affaires en janvier d’accidents. Son
sans ménagement, d’autres, restés 1920, le cabinet Millerand reprend parc se compose
sous les drapeaux, ont rejoint leurs les choses en main. Supprimé un an essentiellement
armes d’origine (infanterie, cavale- plus tôt, le sous-secrétariat à l’Aé- de “Parasol”
rie, artillerie, etc.). Des sept écoles ronautique renaît de ses cendres, type AR, futur
militaires de 1918, seules deux ont rattaché au ministère des Travaux MS.35 EP2.

DR/COLL. B. BOMBEAU

50
51
AVIONS-ÉCOLES MILITAIRES

publics de Pierre-Étienne Flandin


qui ajoute à ses compétences un Un avion d’école est
“fait
L’idée ne fait pas recette : en un
an, les quelque 900 inscrits n’ont
département de la Navigation effectué que 3 180 heures ! Comme
aérienne, embryon d’une future
Aviation civile. Dès février, Flandin
pour être cassé ; l’explique René Fonck, “les pilotes
ont besoin d’avions plus rapides et
lance plusieurs actions d’envergure.
La première concerne la création de
les réparations doivent plus amusants”.
A fin d’élargir le champ du
la Société des stocks de l’aviation
qui vise à liquider les excédents. être faciles ” recrutement, la 12 e Direction de
l’Aéronautique militaire met éga-
L’entreprise, qui agit sous statut lement en place un système de
privé, rachète les matériels à l’armée bourses permettant de former dans
pour les revendre sur les marchés Des deux écoles qui ont sur- le civil de jeunes pilotes volontaires
civils ou à l’exportation. Le produit vécu à la démobilisation, seule avant leur incorporation. Cette ini-
des ventes est partagé entre l’État celle d’Istres est impliquée dans la tiative encourage le développement
(60 %) et les constructeurs (40 %). formation et le perfectionnement d’écoles privées. Fin 1922, la majo-
L’opération est un succès. Au prin- des pilotes aux armées. L’art du rité des grands constructeurs ont
temps 1920, il ne reste que 3 000 pilotage y est enseigné par tradi- la leur. En un an, 200 jeunes seront
avions en surplus. Dans le cadre tion orale, les heures de vol y sont brevetés dans cette aviation préli-
d’une ambitieuse politique de sou- chichement comptées, l’encadre- minaire avant la lettre.
tien à une industrie aéronautique ment y est insuffisant, le matériel
qui peine à se restructurer, la liqui- désuet et la casse fréquente du fait Une bonne affaire
dation des stocks accompagne une de la dégradation des cellules et du
vaste relance des commandes mili- manque d’entretien des moteurs.
pour les avionneurs…
taires sous couvert d’un plan de réor- Qui plus est, l’aviation n’est plus S i le problème des pilotes
ganisation du temps de paix visant à en vogue à la sortie des grandes est ainsi pour partie résolu,
renouveler la quasi-totalité du parc écoles. L’arme aérienne est consi- celui du matériel ne l’est pas
aérien des armées (Aéronautique dérée peu valorisante dans une encore… Depuis l’armistice,
militaire, Aéronautique maritime et carrière militaire. L’avancement y les quelques avions spécifique-
Aéronautique coloniale). Le minis- est lent et le statut des navigants ment étudiés pour l’instruction
tère de la Guerre s’engage devant encore flou. Les plus passionnés n’ont fait l’objet que de marchés
le Parlement sur l’achat ferme de préfèrent tenter leur chance dans au compte-gouttes. La société
1 023 appareils neufs à livrer fin une aviation commerciale balbu- Blériot-Aéronautique a ainsi placé
1923 avec un objectif, à cette date, tiante ou dans une industrie au auprès de l’Armée et de la Marine
de 1 550 avions modernes en ligne présent incertain mais à l’avenir 150 biplans Spad 34 et Spad 52 ;
et une réserve de guerre de 1 500 prometteur. Pour remédier à ce Morane-Saulnier a bénéficié
appareils et de 8 000 moteurs. Au déficit, l’État favorise la création d’une subvention qui lui a permis
centre de cette embellie budgétaire, de sept centres d’entraînement de lancer en série 50 monoplans
l’Aéronautique militaire se taille la civils ouverts aux réservistes avec, “Parasol” type AR qui équipent
part du lion. mensuellement, une heure de vol son école de Villacoublay. Mais
gratuite sur d’antiques appareils. ces marchés sont insuffisants. Il
Un impératif : former Encart
de nouveaux pilotes publicitaire
Par le biais de programmes et de de la Société
commerciale
concours, la priorité est logiquement
des stocks de
donnée aux avions de combat. De
l’aviation paru
nouveaux prototypes apparaissent :
en 1922 dans la
Dewoitine D.1 et Spad 81 pour la célèbre revue
chasse ; Breguet 19 et Farman 60 L’Aéronautique.
pour la reconnaissance et le bom- Tout est à
bardement. Ces avions, sans grandes vendre : avions,
originalités, constitueront l’ossature moteurs,
d’une force aérienne consacrée combinaisons de
en tant que 5e Arme par la loi du vol et hangars
8 décembre 1922. En marche vers Bessonneau !
son indépendance, l’Aéronautique
militaire doit aussi organiser les
conditions de sa pérennité. Il lui faut
revoir l’organisation de ses centres
d’instruction et entamer une moder-
nisation de leurs flottes. Or, en 1921,
la situation n’est guère brillante…
Le général Roche, futur directeur de
l’École supérieure d’aéronautique,
écrit : “La formation d’une réserve
d’appareils et de pilotes constitue
un des problèmes les plus graves
que doit surmonter l’Aéronautique
militaire…”
DR DR. COLL. B. BOMBEAU

52
1920 : l’Aéronautique se réorganise
Le nouveau sous-secrétariat d’État de l’Aéronautique et des Transports aériens
de Pierre-Étienne Flandin centralise les besoins exprimés par les différents
ministères et organismes étatiques (ministère de la Guerre, de la Marine, Colonie,
Transport, Postes) qui se partagent l’ensemble du domaine aéronautique.
Il chapote également un puissant Service technique de l’Aéronautique (STAé)
dont les compétences s’étendent de la passation des commandes (prototypes)
aux règlements des marchés. Au stade de la production, le Service des
fabrications de l’Aéronautique (SFAé) assure le contrôle des commandes et de
la fabrication en usines. Il passe les marchés de séries et opère les paiements.
Dans cette organisation complexe, l’Aéronautique militaire (hors Aéronautique
maritime) est rattachée au ministère de la Guerre dont elle constitue la
12e Direction de l’Aéronautique militaire. À ses côtés, mais sous l’autorité directe
du ministre de la Défense, cohabite l’Inspection générale de l’Aéronautique
militaire qui établit les programmes et définit les règlements des concours.
Pierre-Étienne Placés en porte-à-faux entre décideurs (politiques et militaires) et fournisseurs
Flandin le (industriels et équipementiers) souvent (trop) proches, les services techniques
23 octobre évoluent dans un climat de défiance qui n’encourage pas l’innovation ni ne
1920. contrecarre efficacement l’aspect spéculatif de certains marchés.
DR/ ROLL

faut de nouveaux avions pour une la vingtaine d’entreprises qui, pour tout autre – le Rhône 9C de 80 ch
nouvelle génération d’aviateurs. l’heure, ne survivent que grâce aux et l’Hispano-Suiza 8Ab de 180 ch,
Surfant sur les bonnes disposi- subsides de l’État. disponibles en abondance. Même
tions de la Chambre, le ministère Chez les motoristes, l’annonce au regard des royalties attendues
de la Guerre, en accord avec le suscite des réactions plus mitigées. d’un déstockage massif, l’affaire est
sous-secrétariat d’État, confie à Depuis la guerre, l’augmentation à l’évidence moins lucrative pour
l’automne 1922 à l’Inspection gé- de puissance occupe les bureaux les motoristes qu’elle ne l’est pour
nérale de l’Aéronautique militaire d’études. Mais il n’est nul besoin les avionneurs. Mais ceux-ci ne
l’organisation du premier grand de chevaux supplémentaires pour sont pas trop inquiets. Gnome et
concours de l’après-guerre pour des avions-écoles pouvant se satis- Rhône, qui a évité de peu la faillite
l’achat d’avions-écoles “devant faire des centaines de propulseurs en 1921, voit ses affaires reprendre
répondre aux différentes phases sans emploi qui encombrent les avec la licence de l’excellent
d’apprentissage et de perfection- réserves. L’occasion est trop belle Bristol “Jupiter” (9 cylindres en
nement d’une aviation moderne”. d’assécher les stocks. Le règlement étoile de 400 à 500 ch) britannique
Pour l’industrie c’est une aubaine. du concours impose donc pour très apprécié sur le marché civil.
Un tel concours est à la portée de seuls moteurs – et à l’exclusion de Hispano-Suiza, qui domine le seg-


L’Aéronautique militaire termine la guerre avec près de 1 100
Spad VII et XIII en service dans une soixantaine d’escadrilles.
Dès 1919, les Spad VII sont versés dans la réserve et de
nombreuses unités disparaissent, à l’image de la SPA 151
(photo) dissoute le 3 avril de cette même année.

53
AVIONS-ÉCOLES MILITAIRES

DR/COLL. B. BOMBEAU
DR/COLL. B. BOMBEAU
Parmi les
ment militaire des 300 ch en ligne, avions rescapés
s’estime bien placé pour équiper du conflit,
l’ensemble des chasseurs du pro- figurent un
gramme C1 (chasse monomoteur) grand nombre
émis en 1922. de Breguet
14A2 dont
Trois catégories dans certains, une
fois désarmés,
un même programme furent confiés à
La 12e Direction de l’Aéronau- Latécoère pour
tique militaire a bien fait les choses. sa ligne France-
Le concours est divisé en trois caté- Maroc.
gories distinctes :
– la première, dite EP2 (école de
pilotage biplace), réclame un avion
de début équipé du Rhône de 80 ch
sur lequel l’élève sera instruit puis
lâché ;
Dans les centres
– la deuxième, dite ET2 (entraî-
de formation
nement et transformation biplace), militaire, la
requiert “un avion plus puissant “casse” est
à moteur fixe” Hispano-Suiza de élevée du fait
180 ch pour préparer au passage sur des défaillances
des appareils performants ; matérielles ou
– la troisième, dite ET1 (entraî- d’une instruction
nement et transformation mono- trop empirique.
place), est destinée, en fin de cursus, Tous n’ont pas
à “l’apprentissage de la virtuosité et la chance de ce
de l’acrobatie”. Il devra être équipé pilote de MS.35
de l’Hispano-Suiza de 180 ch et pré- qui a terminé son
senter des qualités de vol proches de vol haut perché !
celles d’un avion de combat. Tout est bien qui
La décomposition du besoin en finit bien, élève
différentes phases constitue une et sauveteurs ont
première dans le domaine de la le sourire…

54
formation ; il adapte le cursus à des Un rotatif
degrés croissants de difficultés. Dans Rhône 9C de
son édition de juin 1923, le mensuel 80 ch d’un G-3 de
L’Aéronautique explique à ses lec- l’école Caudron
teurs : “Il faut en effet, à mesure que du Crotoy
l’élève se forme, atténuer certaines (Somme).
des qualités de stabilité quasi-auto- Aux commandes,
matique, grâce auxquelles l’appareil un officier de
pardonne presque tout au débutant, l’infanterie
mais qui ne sont pas sans nuire à ce coloniale, le
sens du pilotage faute duquel l’élève, lt Bon. L’aviation
abandonné aux appareils modernes, militaire n’est
serait à la merci du premier coup encore qu’une
dur.” Car “jamais sans doute”, pro- “arme” en passe
phétise l’auteur, “le pilotage d’un de devenir
avion militaire ne se réduira à tenir une “armée”.
DR/COLL. B. BOMBEAU
un cap indiqué par le navigateur”.
et élève, 160 kg ; instrumentation, Cette logique de progression
Le STAé énonce 10 kg ; combustible, 65 kg) doivent aura aussi pour avantage de faciliter
pouvoir monter à 2000 m en moins de l’entretien et de limiter la disparité
les règles 20 minutes avec un régime moteur ne des rechanges, sans toutefois perdre
Pour être autorisés à concou- dépassant pas 1 200 tr/min. Ceux de de vue “qu’un avion d’école est fait
rir, les avions doivent au préalable la seconde catégorie (ET2) avec un pour être cassé” (sic). D’où la préfé- Le biplace du
répondre aux exigences imposées moteur plus puissant et une charge rence donnée à “une construction type Spad 34bis
par le STAé : en premier lieu des de 320 kg (pilotes et élève, 160 kg ; se prêtant à des réparations faciles (F-AEAH n° 11)
essais statiques pour s’assurer de la instruments, 10 kg ; combustible, par éléments presque standardisés”. construit en
résistance de la cellule et du fonction- 150 kg), doivent atteindre 4 000 m en Autant d’exigences qui devraient 1921 et utilisé
nement des équipements, puis des moins de 30 minutes à 1 800 tr/min. encourager les avionneurs à pré- par l’école
essais en vol démontrant des vitesses Le règlement insiste également sur senter un appareil dans chacune Blériot de Buc.
ascensionnelles et horizontales supé- le fait que les appareils retenus pour des trois catégories. Une démarche Le Spad 34
rieures aux minimas imposés dans chaque catégorie devront “présenter plus théorique que pratique dans la fut le premier
avion-école
chaque catégorie avec un moteur entre eux le plus grand nombre de ca- mesure où peu d’entre eux ont anti-
produit à
tournant à plein régime. Ainsi les ractères communs afin que les élèves cipé, au stade de la fabrication, un
plus de 130
appareils de la 1re catégorie (EP2), ne se trouvent pas dépaysés quand ils aussi large besoin. Mais, à dire vrai,
exemplaires
à la pleine charge de 235 kg (pilote passeront d’un avion à l’autre”. le risque est minime. Perdants ou


dès 1919.

DR/COLL. B. BOMBEAU

55
AVIONS-ÉCOLES MILITAIRES

gagnants, tous espèrent voir leurs


prototypes acquis par le STAé à
l’issue de la compétition. Et pour
certains, cette seule perspective est
suffisamment motivante !
21 dossiers de candidatures ont
été présentés à la Direction de l’Aé-
ronautique militaire : neuf en caté-
gorie EP2 ; sept en ET2 et cinq en
ET1. Mais, après deux abandons et
une malencontreuse collision au sol,
il ne reste que 17 machines physique-
ment présentes à Dugny-Le Bourget
quand s’ouvre la rencontre le 26 mai
1923 : sept en catégorie EP2, cinq en
ET2 et cinq en ET1.
DR/COLL. MAE
Le F-AGAQ est
Blériot : l’esprit le second des la fi rme de Suresnes a peu innové centre d’un lourd contentieux sur
dans le domaine militaire. Ses gros les bénéfices de guerre, n’est pas
de famille deux Caudron
C.27 (nos 7 prototypes à l’architecture tourmen- en odeur de sainteté et le caractère
Premiers inscrits dans l’ordre et 8) acquis tée ne doivent pas faire illusion. À entier du vainqueur de la Manche
alphabétique et dans le respect dû à par Adrienne l’image du Spad 81 – qui s’oppose au ne favorise pas le dialogue avec des
leur antériorité, les Établissements Bolland Dewoitine D-1 dans le programme services techniques dont il n’hésite
Blériot Aéronautique sont large- en 1923. des chasseurs monomoteurs C1 – les pas à dénoncer publiquement “la
ment représentés avec trois avions La célèbre derniers Blériot conservent l’ADN médiocrité” !
“employant un grand nombre de aviatrice des avions de la Grande Guerre.
pièces semblables et écartant le plus enchaîna 112 Cette fi liation a permis d’abaisser Caudron :
possible l’emploi de pièces d’un usi- loopings aux sensiblement les coûts de fabrica-
nage coûteux” : le Spad 64 dans la commandes de tions. Un avantage dont l’État estime
un successeur au G-3
catégorie EP2, le Spad 62 dans la cet appareil ! avoir peu bénéficié. L’entreprise, au Autre entreprise pionnière, la
catégorie ET2 et le Spad 72 en caté- Société des Aéroplanes Caudron
gorie ET1. Trois avions issus de la propose quatre modèles dans les trois
double expérience des fameux chas-
seurs Spad VII et XIII et des récents “ Avion de transition catégories : les C.27bis et/ou C.27ter
en EP2 ; le C.59 en ET2 et le C.77
avions-écoles Spad 34 et 54 lancés
en séries et déjà exportés à une
entre les biplaces et les pour la catégorie ET1. Les frères
Caudron, que la presse a surnommé
dizaine d’exemplaires. Mais cette
notoriété dissimule mal certaines plus modernes des “les champions de la construction
bois”, ont bâti leur fortune durant
faiblesses. Depuis la fin du conflit, le conflit et possèdent une indéniable
surfant sur les marchés publics, chasseurs monoplaces ” expérience en matière d’écolage. Ce

Joseph Thoret devant le Hanriot HD.14-22 avec lequel il a tenu


l’air 7 h 03 min hélice calée à Biskra (Algérie) 3 janvier 1923,
battant le record établi sur planeur par Alexis Maneyrol.

DR/DOC. MAE

56
sont eux qui, les premiers, ont ouvert
une école au Crotoy dès 1910. À
partir de 1915, plusieurs milliers de
pilotes, français et étrangers, ont été
formés sur Caudron G-3 quand ces
biplans, devenus obsolètes, ont été
retirés du front. Depuis, les grands
marchés militaires leur échappent.
Comme Louis Blériot, les frères
Caudron ont misé après-guerre sur
une encore bien hypothétique avia-
tion commerciale. Lucide, René
Caudron n’en a pas moins poursuivi
l’étude de nouveaux avions-écoles
pouvant succéder aux quelque 2 500
G-3 construits jusqu’en 1922.
DR/COLL. B. BOMBEAU
Produit depuis
Hanriot : vrabilité en janvier 1923 au meeting 1917, le après adaptation de l’Hispano de
de Biskra, en Algérie. À ses com- 180 ch imposé. La célèbre firme de
une seconde jeunesse mandes, le jeune lieutenant Joseph
Nieuport 82 à
moteur Rhône Billancourt sort de la guerre avec un
Présente dans les trois catégo- Thoret a tenu l’air 7 h 03 min durant, de 80 ch, grand nombre de projets et un cheval
ries, la firme Hanriot propose pour moteur calé. Avec des variantes “af- surnommé de bataille, le bimoteur de transport
chacune d’elles le HD.14ter (EP2), finées” du HD.14 – qui a déjà séduit la “Grosse F.60 “Goliath”. Les frères Farman
le HD.19 (ET2) et le HD.27 (ET1). la Marine nationale dans sa version Julie”, compte sont d’authentiques précurseurs en
Créée avant-guerre par René et hydravion (HD.17 E2) –, la fi rme au nombre matière de transport aérien, mais
Marcel Hanriot, père et fi ls, cette qui, comme beaucoup d’autres était des vieux leurs ambitions s’expriment aussi
société, installée à Neuilly-sur- à deux doigts d’abandonner en 1920 matériels à dans le domaine de l’aviation et de
Seine, est en cours de déménage- toute activité aéronautique, se lance bout de souffle la formation. En 1919, ils ont conçu
ment à Carrières-sur-Seine, près de avec conviction sur le créneau de la présents dans le Farman “Sport”, un petit biplan
Versailles. Elle a connu le succès formation. les écoles de de 50 ch également baptisé “David”
avec son chasseur HD.1 commandé l’Armée et de par opposition au gros bimoteur
en grandes séries en 1916. Depuis, Farman : la Marine. “Goliath” de 520 ch. Plus spécia-
elle n’a produit que des prototypes lement destiné à leur propre école,
hormis son modèle HD.14 dessiné
de David à Goliath le F.80 qui est apparu deux ans plus
par l’ingénieur Pierre Dupont et Autre grand nom de la compé- tard, était un monomoteur biplace
déjà adopté par quelques écoles tition, l’entreprise Farman, n’aligne de 180 ch dit “de transition” pour le
privées. Le HD.14 est un classique qu’un type d’appareil, le Farman perfectionnement des pilotes bre-
mais robuste biplan de construc- F.85 proposé en catégorie EP2 vetés. Un savant croisement entre
tion bois et toile qui a démontré ses avec un moteur Rhône de 80 ch et, le F.80 et le petit “David” – mariage
qualités d’endurance et de manœu- éventuellement, en catégorie ET2 dont les bureaux d’études d’Émile


Le petit Farman F.65 “Goliath”, motorisé avec
un Gnome et Rhône 9Z ou un Anzani de 60 ch,
se veut “l’avion de sport le plus sur et le plus
économique de sa catégorie”.

DR/COLL. B. BOMBEAU

57
AVIONS-ÉCOLES MILITAIRES

Coquelin avaient le secret ! – a per- 1921, la SECM a dévoilé le premier


mis d’aboutir au F.85 de 1923. avion de sa conception, un biplace de
Farman aurait voulu engager 110 ch et de grand tourisme destiné
deux – voire trois – F.85 à moteurs à une clientèle fortunée. L’appareil,
de 80 ch et 180 ch bâtis à partir d’élé- baptisé “Lutèce”, suscita l’intérêt du
ments interchangeables (ailes, fuse- fait de sa structure à base de tubes
lage, atterrisseurs et empennages). emboutis sans soudure autogène ni
Mais, faute de temps, seul l’avion de rivetage. Félix Amiot comprit vite
début (EP2) est présenté aux élimi- qu’il ne pouvait limiter ses activités
natoires. au seul marché d’une aviation privée
élitiste. Trois nouveaux prototypes
Morane-Saulnier : “tout métal” sont alors produits dont
l’imposant triplace SECM 23 et les
un nouveau départ biplaces SECM 22 et 26 destinés,
Proche de la faillite en 1922, la “selon l’usage pouvant en être fait, à
société des Avions Morane-Saulnier la formation, au perfectionnement
entre en compétition avec deux ap- ou au tourisme aérien”. En entrant
pareils : un monoplan type AR en dans la compétition, Félix Amiot,
catégorie EP2 et un biplan MS.43 dont les moyens de production sont
en catégorie ET2. Le concours encore limités, entend jouer la carte
revêt pour cette vénérable maison de la simplicité et de l’innovation.
une importance cruciale ; du succès
ou de l’échec dépend le bien-fondé Potez : un avion,
de sa politique. Au lendemain de la
guerre, ses dirigeants – et surtout ses
une opportunité
fi nanciers – ont su faire preuve de Fondée en 1919 à Aubervilliers, la
clairvoyance. D’abord en admettant société des Aéroplanes Henry Potez
DR/COLL. B. BOMBEAU
que les succès remportés durant les se lance dans la compétition en classe Une affiche
premières années du conflit avec des EP2 avec une bien curieuse machine, publicitaire regard de l’emploi intensif et brutal
chasseurs monoplans de type N ou le Po. VIII, petit biplace de “tourisme de 1923. qui en serait fait” ! De plus, dans ses
AI avaient été balayés par l’arrivée et d’entraînement élémentaire”, par- Les usines premières versions – toutes biplaces
d’une nouvelle génération de biplans ticulièrement laid mais proposé sur de la SECM en tandem – le Po. VIII n’est encore
Nieuport et Spad. Ensuite, en anti- le marché civil “à un prix très réduit à Colombes disponible qu’avec des moteurs
cipant en 1918 la baisse des crédits avec apprentissage offert”. Étudié sont encore Anzani ou Gnome et Rhône 9Z, ver-
militaires et en spécialisant l’acti- sous la direction de Louis Coroller, modestes et sion civile développée à peu de frais
vité de la société vers l’avion d’école l’appareil vise un très large public. En leur catalogue après la guerre de l’incontournable
polyvalent. Cette politique éclairée 1922, un exemplaire équipé du mo- se résume Rhône 9C. Mais, à la différence de
a donné naissance en 1919 au modèle teur Anzani 6B de 70 ch a été essayé à à quelques celui-ci, le 9Z passe pour être moins
AR, dérivé des modèles de combat Villacoublay. Le rapport du STAé est luxueux puissant. En vue du concours mili-
type L et P, premiers d’une longue élogieux : l’avion est stable, maniable prototypes. taire de 1923, Louis Coroller, assisté
lignée de monoplans à ailes “para- et économique. Pourtant, les mili- de l’ingénieur Delaruelle, étudient
sol” qui feront la réputation de la taires déconseillent son utilisation à la hâte l’adaptation du 9C sur un
firme sur plusieurs continents. en école le jugeant trop fragile “au fuselage élargi à deux places côte à

SECM Amiot : le pari Le SECM 23, un biplan métallique de “grand


du “tout métal” tourisme” équipé du moteur Hispano 180 ch.
Le pilote est à l’avant et les deux passagers
I nconnue du grand public, assis côte à côte à l’arrière et à l’air libre.
la Société d’emboutissage et de
constructions mécaniques (SECM)
se lance dans l’arène avec deux
modèles ; le SECM 26 EP2 et le
SECM 22 ET2.
I mplantée à Colombes, en
proche banlieue parisienne, la mai-
son SECM, créée en 1916, avait à
l’origine pour objet l’exploitation
des brevets de son fondateur, Félix
Amiot, relatifs à l’assemblage des
métaux par emboutissage. La firme
s’est développée durant la guerre en
assurant des travaux d’entretien et
de licences pour Morane-Saulnier,
Breguet et le britannique Sopwith.
Avec l’arrêt des grands contrats
militaires, elle s’est reconvertie
dans la réparation et la revente de
camions tout en conservant quelques
sous-traitances pour Breguet. En
DR/DOC. MAE

58
mier succès a encouragé l’entreprise à
poursuivre dans une formule devenue
sa marque de fabrique ; le monoplan à
aile “parasol”. Du GL.21 a été décli-
née une version allégée, le chasseur
GL.22 C1, dont Gourdou a extrapolé
un monoplace non armé d’entraîne-
ment avancé, le GL.22 ET1. Ces
nouveaux avions, robustes et per-
formants, séduisent l’Aéronautique
militaire et divers clients étrangers.
Décidés à les produire eux-mêmes,
Gourdou et Leseurre ont édifié en
1922 une première et modeste usine à
Saint-Maur-des-Fossés, dans la ban-
lieue est de la capitale, avec l’espoir
d’y produire le GL.22 dans ses ver-
sions chasse et entraînement.

Nieuport-Astra :
une page se tourne
Engagés en catégorie ET1, les
Avions Nieuport-Delage (société
Nieuport-Astra), concourent avec
le NiD.29 ET1, version allégée et
sous-motorisée du chasseur NiD.29
DR/DOC. MAE
Le Potez VIII.R C1 commandé en séries en 1920.
côte doté d’une voilure supérieure avion de sa conception, le GL.22 ET1 n° 125 dans sa Conçu par les ingénieurs Gustave
surbaissée et décalée vers l’avant. (ou GL.22 Et.). Née avant-guerre version Delage et André Mary, le NiD.29
L’appareil ainsi modifié et renforcé d’une rencontre entre deux jeunes “en tandem” à est le premier chasseur acquis
reprendra la désignation Po. VIII.R ingénieurs, Charles Gourdou et moteur Gnome après-guerre par l’Aéronautique mili-
(“R” pour Rhône) déjà attribuée fin Jean Leseurre, la firme est entrée et Rhône 9Z taire. Vainqueur d’un programme vi-
1921 au modèle équipé du 9Z. dans l’aventure aéronautique durant dévoilée en sant à renouveler la quasi-totalité du
la guerre avec l’étude et la réalisation novembre 1921 parc des monoplaces de chasse (C1)
Gourdou-Leseurre : d’un prototype particulièrement per- en marge du hérités du conflit, le NiD.29 constitue
formant (GL.b) d’abord refusé au 7e Salon de l’ossature des régiments d’aviation de
robustes et performants profit du Nieuport-Delage 29C1 puis l’aéronautique chasse (RAC) à partir de 1922. Doté
Cet avionneur ne dispose encore présenté à nouveau dans une version du Grand en séries de l’Hispano-Suiza 8Fb de
d’aucune capacité industrielle digne améliorée (GL.b2) qui a fait l’objet en Palais. 300 ch, l’avion ne présente pas des
de ce nom. Mais cela ne l’empêche 1922 d’une petite commande de série performances exceptionnelles mais
pas de présenter en catégorie ET1 un sous la désignation GL.21 C1. Ce pre- demeure apprécié pour sa vitesse
ascensionnelle et sa maniabilité, mal-
Le Gourdou et gré une fâcheuse tendance à la vrille
Leseurre GL.b, à plat. Décliné en versions de course,
monoplan à aile le NiD.29V (“V” pour vitesse) brille
haute, proposé
dans les grandes compétitions de
pour la chasse
l’après-guerre. Tous ces succès ont
en 1918. Malgré
encouragé le développement du
d’excellentes
performances,
NiD.29 ET1, “avion de transition
on lui préféra le entre les appareils de transforma-
plus classique tion biplaces et les plus modernes des
Nieuport NiD-29. chasseurs monoplaces”. La fi rme,
C1. très proche du motoriste Hispano-
Suiza, jouit d’une réputation inter-
nationale acquise sur les champs de
DR/DOC. MAE
DR/COLL. B. BOMBEAU batailles et aux premières places de
Le Nieuport- la Coupe Gordon-Bennett de 1920
Delage 29 C1 de et de la Coupe Deutsch de 1922.
300 ch était en Les 300 NiD.29 C1 commandés en
passe de devenir
1920 ont permis à Nieuport-Delage
en 1923 le
de surmonter les aléas financiers de
chasseur standard
l’après-guerre. Mais l’Aéronautique
français. Ses deux
mitrailleuses
militaire cherche désormais un suc-
Lewis de capot cesseur à ce chasseur “dépassé” mais
sont carénées sur pouvant prétendre à une seconde
les plus récents carrière comme avion d’entraîne-
modèles. ment avancé. ■
À suivre
59
LUTTE CONTRE LES FEUX DE FORÊTS
En service depuis 1982
La fin
des “Firecat”
français
Les Conair “Firecat” de la Sécurité civile
viennent d’être brutalement mis à
la retraite deux ans avant l’échéance
prévue, conséquence directe de la
découverte de failles dans les jambes
des trains d’atterrissages. Triste fin de la
longue histoire d’un avion brillant qui a
révolutionné la façon de lutter contre les
feux dans notre pays.
Par Frédéric Marsaly

DR/COLL. J. GUILLEM
F. MARSALY
Après 37 années

F
in juillet 2019, c’est non loin
de la base de Nîmes que les de service,
opérations accaparent les la flotte des
“Firecat” de la
avions de la Sécurité civile
Sécurité civile
et les pompiers du secteur.
vient de terminer
Une série de feux ont éclaté autour
brutalement sa
de Générac, à moins de 10 km de la carrière, deux ans
piste de Nîmes-Garons et de la nou- avant l’échéance
velle base de la Sécurité civile. Le prévue.
2 août, en fin d’après-midi, plusieurs
reprises de feu doivent être traitées.
Franck Chesneau, ancien pilote de
“Mirage” 2000N entré à la Sécurité
civile en 2008, pilote de “Tracker”
depuis 2015 et aussi pompier volon-
60
Le “Tracker” T2,
taire pour le SDIS (service dépar- toute la communauté des soldats du ici lors du Q uelques jours plus tard, le
temental d’incendie et de secours) feu et des aviateurs. Les hommages meeting de 13 août, alors qu’il est en courte
13, grimpe à bord du T22. Quelques sont nombreux et au cours d’une La Ferté-Alais fi nale à Cannes en fi n de journée,
minutes plus tard, il arrive sur le cérémonie émouvante, les pilotes en 1995, fut le pilote du T01 réduit les gaz et la
feu et effectue deux tours autour du de “Tracker” doivent porter le cer- l’un des tout turbine de droite se coupe immédia-
brasier afin de prendre les repères cueil de leur collègue et ami et le premiers tement sans raison. Bien que sans
et décider de son axe de largage. À remettre, recouvert du drapeau “Firecat” livrés conséquence sur la fi n de ce vol,
17 h 17, il s’aligne pour larguer mais, français, à une famille dévastée par à la France le phénomène est potentiellement
pour des raisons que l’enquête en la douleur, le chagrin, la stupéfac- en 1982 ; ayant inquiétant ; les avions sont arrêtés
cours déterminera, s’écrase brutale- tion. Mais les feux n’ont que faire gardé ses de vol quelques jours, le temps de
ment au sol et explose, ne lui laissant du deuil et très vite les missions pistons, il fut le déterminer l’origine du problème,
aucune chance de survie. reprennent, l’accident n’ayant pas premier mis à de changer la turbine fautive et de
Il est le premier pilote de la été, selon les premières constata- la retraite renvoyer l’avion à Nîmes pour une
Sécurité civile à tomber au feu de- tions, provoqué par une défaillance en 2006. analyse un peu plus approfondie
puis 14 ans. Le choc est violent dans de l’appareil. de son circuit carburant. Quelques

61
“FIRECAT” FRANÇAIS

Pendant des décennies, le duo


Canadair/”Tracker” a œuvré de concert
pour préserver les forêts.
F. MARSALY

jours plus tard, les appareils sont à


nouveau autorisés à opérer.
D imanche 8 septembre, en
fi n d’après-midi, deux “Tracker”
s’apprêtent à quitter le pélican- Utilisés dans
drome (1) de Béziers pour rentrer l’Hérault avec
à Nîmes. Au cours du roulage, le un certain
pilote du T12 sent son avion s’af- succès, les “Air
faisser brutalement à gauche. Le Tractor” AT-802F
train d’atterrissage s’est rompu évalués en 2013
net. Le fut de l’amortisseur princi- n’ont pas su
pal s’est ouvert en deux. La flotte convaincre pour
est alors immobilisée à nouveau une utilisation
et il faut rapidement analyser les à l’échelle
jambes de train de tous les avions nationale.
F. MARSALY
pour déterminer l’origine et la gra-
vité du phénomène. Après l’accident du T12, la direc- Conair à qui incombe le suivi tech-
tion de la Sécurité civile, les services nique et réglementaire de ces avions,
Des réparations techniques et la DGA (Direction s’étaient renseignés sur la fabrication
générale de l’armement) en liai- de pièces neuves auprès d’un sous-
à prix d’or son avec le constructeur, la société traitant agréé. Deux à trois mois
En novembre, deux avions sont ▲
autorisés à revoler, le T01 et le Les pilotes étaient enthousiastes à l’idée
T20, et la direction de la Sécurité de recevoir d’éventuels “Tracker” sur le modèle
civile annonce que la saison 2020 de ceux utilisés en Californie pour encore un bon
sera effectuée par cinq “Tracker”, moment, mais une autre option a été choisie.
l’arrivée prévue du nouveau Dash 8
Milan 76 permettant de mettre un
avion de plus à la retraite. Mais, le
17 décembre, à quelques jours des
vacances, les techniciens découvrent
deux nouvelles failles sur les jambes
de train de deux avions différents.
Le phénomène tendrait donc à ap-
paraître rapidement. La décision
est vite prise ; la flotte est à nouveau
clouée au sol. Le dernier vol, ce jour-
là, a été effectué par le T01.

(1) Les Pélicandromes sont des


infrastructures gérées par les SDIS et
destinées à assurer l’approvisionnement
des avions bombardiers d’eau.
F. MARSALY

62
Les 19 “Firecat” et “Turbo T16 F-ZBFO
Firecat” français (1982-2019) S2F-1 BuAer n° 136510. Opérationnel avec l’US Navy de 1956 aux
années 1970. Il est transformé en “Firecat” et opère pour Conair
T01 F-ZBAZ
dans les années 1980. Il est livré à la France une fois passé en “Turbo
CS2F-2 DH57. Royal Canadian Navy de 1958 à 1969. Devient le
Firecat”, dont il est le premier exemplaire, en 1988. Il est perdu en
premier “Tracker” modifié bombardier d’eau en 1971. “Tanker” 59
Corse avec son pilote Jean-Marc Aubouy, le 25 août 1996.
pour l’Ontario de 1972 à 1977. Vendu à Conair, sert de prototype pour
le “Firecat”. Livré en France en 1982 comme T1. Turbinisé en 1995 il T17 F-ZBFE
devient T01. Dernier “Tracker” à voler en France le 17 décembre 2019. S2F-1 BuAer n° 136747. Construit pour l’US Navy en 1959 il est retiré
13 000 heures de vol. du service en 1971 et stocké. Racheté par Conair il est transformé
directement en “Turbo Firecat” et livré à la France en 1989.
T2 F-ZBAU
Il est perdu le 20 août 2005 à Valgorge avec son équipage
CS2F-1 DH32 (1958) pour la Royal Canadian Navy. “Tanker” 56 pour
Régis Huillier et Albert Pouzoulet.
l’Ontario de 1972 à 1977. Racheté par Conair, il est livré à la France
comme “Firecat” T2 en 1982. Il est retiré du service en 2006 sans T18 F-ZBFI
avoir été remotorisé. Exposé au musée de Saint-Victoret (8 600 heures S2F-1 BuAer n° 136474. Opère avec l’US Navy de 1956 à 1970.
de vol dont 4 600 comme bombardier d’eau.) Racheté à Davis Monthan par Conair, il est converti directement
en “Turbo Firecat” et livré à la France en 1990. Il est détruit par un
T3 F-ZBAT
incendie accidentel le 19 juin 1996 alors qu’il est en maintenance à
CS2F-1 DH29. Royal Canadian Navy de 1957 à 1970. “Tanker” 53 pour
Marignane.
l’Ontario jusqu’en 1977. Racheté par Conair, il est converti en “Firecat”
et livré en France en 1982. Il est perdu avec son pilote Philippe Gallet le T19 (ex-T10) F-ZBBL
24 septembre 1990 au cours d’un feu en Corse. S2F-1 BuAer n° 136717. US Navy jusqu’en 1980. Racheté et modifié
par Conair, il est livré comme T10 en 1986. Il revient en 1991 comme
T4 F-ZBEG
“Turbo Firecat” devenu désormais T19. Il est détruit le 19 juillet 2005
S2F-1 BuAer n° 136504. US Navy de 1958 à 1980, il est revendu à
dans le Var après 12 445 heures de vol au cours d’une opération contre
Conair en 1982 pour être transformé en “Firecat” puis livré à la France
un feu, son pilote sortant de l’accident miraculeusement indemne.
en 1983. Il est perdu en mission le 18 juin 1989 causant la mort de son
pilote Christian Lallement. T20 F-ZBEH
S2F-1 BuAer n° 136501. Vole pour l’US Navy de 1957 à 1974. Revendu
T5 F-ZBEH
à Conair il est livré en France comme “Turbo Firecat” en 1991 et vole
S2F-1 BuAer n° 136451. US Navy de 1956 à 1980. Revendu à Conair
jusqu’en septembre 2019. Environ 14 000 heures de vol.
et modifié en “Firecat” il est livré à la France en 1983. Il est revendu à
Conair en 1989 où il vole comme T74 jusqu’en 2012 avant d’être retiré T22 F-ZBAA (ex-T14)
du service et stocké à Abbotsford. S2F-1 BuAer n° 136547. US Navy de 1958 à 1974. Racheté par Conair,
modifié en “Firecat” puis livré comme T14 à la Sécurité Civile en 1987.
T6 F-ZBEI
Il est converti en “Turbo Firecat” en 1993 et revient comme T22. Il est
S2F-1 BuAer n° 136448. US Navy de 1957 à 1981. Vendu à Conair en
détruit le 2 août 2019 lors d’un feu à Générac, causant la mort de son
1982 et livré à Marignane en 1983. Il est perdu à Gignac le 20 août
pilote Franck Chesneau. L’avion avait environ 15 000 heures de vol.
1985 avec son équipage Michel Brousse et Charles Daussin.
T23 F-ZBCZ
T07 F-ZBEY
CS2F-2 DH94. Vole pour le Canada de 1958 à 1990. Transformé
S2F-1 BuAer n° 136491. US Navy de 1957 à 1973 puis stocké à
directement en “Turbo Firecat”, il opère pour Conair de 1992 à 1996
l’Amarc (Aircraft Maintenance And Regeneration Center*). Racheté
comme “Tanker” 577 avant d’être livré comme T77 à la Sécurité civile.
par Conair et transformé en “Firecat” il est livré à Marseille en
Il devient T23 en 1997. Il vole jusqu’à septembre 2019 atteignant
1984 comme T7. Remotorisé en 1996 il devient T07. Dernier vol
19 000 heures de vol.
en septembre 2019 après environ 16 000 heures de vol. Il doit être
préservé sur l’aérodrome d’Aubenas en Ardèche. T24 F-ZBMA (Ex-T9 F-ZBEX)
S2F-1 BuAer n° 136552. US Navy de 1957 à 1980. Transformé en
T8 F-ZBEZ
“Firecat” il est livré à la Sécurité civile comme T9 en 1985. Il est
S2F-1 BuAer n° 136409. Construit en 1957 il sert l’US Navy jusqu’en
transformé en “Turbo Firecat” en 2000 et devient T24. Il fait son dernier
1980. Modifié en “Firecat” par Conair, il est livré à la France en 1984.
vol en septembre 2019 en ayant dépassé les 16 000 heures de vol.
Il est perdu lors d’un exercice le 23 juin 1987, tuant son pilote Marc
Favallelli. * Centre de stockage et de maintenance d’avions de l’USAF situé
à la Davis-Monthan Air Force Base à Tucson, dans l’Arizona
T11 F-ZBEW
S2F-1 BuAer n° 136712. US Navy de 1958 à 1979. Il est
modifié en “Firecat” par Conair et livré en 1987. En 1994 il
devient “Turbo Firecat”. Il est retiré du service en octobre
2018 avec près de 17 000 heures de vol.
T12 F-ZBDA (ex-T21)
S2F-1 BuAer n° 136658. US Navy à partir de 1957. Acheté par
Conair et modifié en “Firecat”, il est livré en France en 1987
comme T12. Remotorisé en 1992, il revient comme T21 mais
est rebaptisé rapidement T12. Après environ 17 000 heures
de vol, il est victime d’une rupture du train d’atterrissage à
Béziers le 8 septembre 2019.
T15 F-ZBET
S2F-1 BuAer n° 147559. Construit en 1959, il vole pour l’US
Navy jusqu’en 1981. Racheté par Conair il est livré comme La rupture du train du T12 à Béziers en septembre
“Firecat” en 1987. Remotorisé en 1989 il reste opérationnel F. M
ARSALY 2019 a eu des conséquences considérables.
jusqu’en septembre 2019. Environ 15 000 heures de vol.

63
“FIRECAT” FRANÇAIS

de délais étaient nécessaires pour simple. Ce n’est pas tant qu’ils étaient
obtenir ces pièces à un prix relative- parfaitement adaptés à leur mission,
ment élevé, légèrement inférieur à le guet aérien armé (GAAr), c’est
100 000 dollars l’unité (89 260 euros). simplement que ce sont leurs qua-
Les nouvelles découvertes signi- lités intrinsèques qui ont mené à la
fiaient qu’il fallait sans doute réé- création de cette mission !
quiper au moins cinq avions, dont D’un concept d’attaque initiale
un devait quand même être retiré rapide, décollant sur alerte pour vite
à l’issue de la prochaine saison. À circonscrire les départs de feu, les
l’heure où les dépenses inconsidé- performances du “Tracker” ont fait
rées de l’État peuvent causer d’im- qu’il est devenu possible de monter
menses scandales publics, mettre des patrouilles d’intervention au-
à la retraite des avions récemment dessus des zones à risques, prêts à
équipés à prix d’or de train d’atter- détecter les fumées – à 10 000 pieds
rissage neufs pouvait nécessiter une (3 050 m) elles se voient de très loin –
certaine réflexion d’autant plus que pour effectuer les premiers largages
le constructeur ne proposait aucune au retardant dans la foulée. Concept
solution de maintenance pour endi- couronné de succès, permettant de
guer le phénomène de criques. circonscrire les feux à de petites
surfaces, les largages de retardant
Une succession stoppant le feu ou le ralentissant
suffisamment pour laisser le temps
longue et délicate aux pompiers d’arriver sur les lieux.
En janvier 2020, Conair émet un Aujourd’hui, trouver un bitur-
bulletin de service statuant qu’en bine biplace mais utilisable en mono-
l’état, les avions ne peuvent plus vo- pilote pouvant voler plusieurs heures
ler avec les trains à plus de 320 km/h et
présentant ces emportant au moins
phénomènes de 3 500 l de retardant,
crique. La DGA capable de fréquenter
publie ensuite sa des pistes courtes pour
B
ENJAMINK ADOUCH
consigne de navi- 5 700 euros l’heure de
gabilité “valant vol, (coût donné par deux accidents en 2005 et le retrait
interdiction de un récent rapport par- du dernier avion à moteurs à pistons
vol” le 12 février. lementaire), relève de l’année suivante ont réduit la flotte à
D u côté des la gageure. La plaque neuf avions. Dash et Canadair sont
pilotes, aucune il- P eu coûteux et constructeur alors régulièrement sollicités pour
lusion. Après plu- emportant un peu plus à bord du T01. assurer des missions de guet aérien
F. M
ARSALY
sieurs semaines de 3 000 l de retardant, armé. Le retrait du T11 en 2018 et les
passées au sol et pratiquement le monoturbine AT-802F est l’appa- deux accidents de 2019 ne laissaient
certains que personne ne prendra reil qui s’approche le plus de certains donc que six avions opérationnels.
la décision d’acheter à prix d’or ces critères essentiels, mais l’évaluation Le T2 au
jambes de train neuves, les chefs de à l’été 2013 de deux exemplaires a musée de
Saint-Victoret
La Sécurité civile en
secteurs Canadair et Dash s’orga- mis en exergue leur lenteur, incom-
nisent pour intégrer les pilotes res- patible pour un appareil devant est désormais sous-effectif opérationnel
exposé en
tant du secteur “Tracker” au sein de intervenir rapidement. En 2017, l’émission d’un appel
extérieur. Nous
leurs effectifs respectifs. Seuls deux Et la situation est devenue ten- d’offres pour la succession du
souhaitons
pilotes, trop proches de l’âge de la due. Si le secteur “Tracker” comptait que ce soit
Grumman ne laisse guère de doute :
retraite, sont reclassés au sol dont le 12 avions au début des années 2000, temporaire.
ce sont six Dash 8Q400MR supplé-
chef de secteur, 22 ans de “Tracker”, F. MARSALY

qui avait effectué en décembre son


dernier vol sans savoir que sa car-
rière de pilote s’achevait là – cruelle
amertume.
Dans la tête des pilotes, dans
celle des techniciens et sans doute
au sein de la hiérarchie de la Sécurité
civile, dès l’incident de Cannes s’est
sans doute insinuée une question
importante : et si on avait trop tardé
à trouver un successeur aux véné-
rables Grumman ?
Achetés à vil prix en 1982, tur-
binisés dans les années 1980 et 1990
(voir Le Fana de l’Aviation n° 585
d’août 2018), prolongés pour leur
permettre de voler jusqu’autour de
2020, les “Tracker” sont devenus très
difficiles à remplacer pour une raison
64
Le nouveau
Milan 76,
quatrième
Dash 8 reçu par
la Sécurité civile
en février 2019,
aura la charge
de succéder aux
“Tracker” pour
les missions
de guet aérien
armé.

mentaires qui étoffent la flotte et Les 15 années d’expérience vécues semble-t-il, jamais été considérée
prennent à leur compte la mission au sein de la Sécurité civile avec les sérieusement. En attendant la livrai-
des “Tracker”. Deux avions de ce deux premiers avions semblent avoir son de la dotation complète, deux
type, entrés en service en 2005 au été concluantes. Dash (Milan 75 et 76) seulement
cœur d’une polémique, ont, depuis Néanmoins, les pilotes du sec- ont été livrés pour le moment, et la
15 ans, assuré des missions variées teur “Tracker” n’ont jamais caché Sécurité civile se retrouve en sous-
de transport, évidemment, mais qu’ils auraient adoré recevoir de effectif opérationnel pour au moins
aussi d’intervention feu de forêt dans nouveaux “Tracker” sur le modèle deux saisons.
les Alpes, en Corse, à la Réunion, des S-2T de Californie, l’opérateur La fin brutale des “Firecat” fran-
là où on disait qu’ils ne pourraient Dyncorp ayant sorti un appareil çais à l’issue d’une saison dramatique
pas intervenir en raison de leur fac- quasi neuf en 2018 pour remplacer et à deux ans de l’échéance prévue est
teur de charge limite plus faible que un avion perdu en 2014 (voir Le Fana un triste épilogue pour une histoire
les autres avions. Plus rapide, plus de l’Aviation n° 585 d’août 2018). pourtant marquée du sceau de l’effi-
puissant, le Dash 8 ne remplacera Mais si la présentation de l’avion et cacité. Sur les 19 appareils utilisés, six
pas les “Tracker” poste pour poste de ses qualités a enthousiasmé les demeuraient disponibles à Nîmes au
mais va assurer la continuité de leur équipages, du côté de la direction moment où le couperet est tombé
mission avec plus de polyvalence. et du pouvoir politique l’option n’a, (lire encadré page 63). ■
F. MARSALY
Le T7 sera
bientôt exposé,
à l’initiative
des pompiers
ardéchois, sur
l’aéroport de
Lanas à Aubenas.

65
HISTOIRE
L’attaque de la frégate Stark
par un “Falcon” 50 irakien
le 17 mai 1987

Nuit de feu
dans le Golfe
Troisième partie.
Bien qu’il fût doté des systèmes les plus
performants pour détecter, leurrer ou
neutraliser les missiles antinavires, le Stark
ne sut faire face. Il panse maintenant
ses plaies. Le “Falcon” 50 se fait discret,
mais n’a pas dit son dernier mot…
Par Hugues de Guillebon

T
rès vite, les autorités améri- de cette zone, dans les eaux interna-
caines décident de la mise tionales (position exacte déterminée
en place d’une commission par satellite : 26°47’ N/51°55’ E). Les
d’enquête pour faire toute discussions sont serrées et la commis-
la lumière sur les circons- sion d’enquête demande à avoir accès
tances de la tragédie. Fin mai 1987, à l’appareil et à tout le personnel mili-
trois délégations américaines arrivent taire irakien ayant été mêlé de près ou
dans le Golfe. Deux sont des déléga- de loin à l’attaque, à commencer par le
tions de l’US Navy, la troisième est pilote qui a tiré sur le Stark. Le pou-
composée de sénateurs américains voir irakien refuse catégoriquement.
(Jim Sasser, John Warner et John Le pilote, protégé par Bagdad, reste
Glenn, l’ancien astronaute). caché ; il revolera par la suite. C’est
La première est dirigée par le Mowafak, chef adjoint du 81e esca-
contre-amiral David Rogers et se dron de “Mirage” F1EQ5, qui fait
rend à Bagdad le 25 mai pour ren- partie de la délégation côté irakien (1).
contrer les autorités irakiennes. Dès
le 21 mai, avant même que l’enquête Une version officielle qui
ne démarre, l’Irak donne son accord
de principe sur un dédommagement
a du mal à convaincre
pour les pertes en vie humaines et L’un des points précis à vérifier
les dégâts matériels provoqués par par les enquêteurs est “la capacité du Un phénix. Après
l’attaque. Un accord préliminaire “Mirage” F1 à emporter deux missiles avoir “disparu
est conclu pour “éviter que de tels “Exocet”.” Le “Falcon” 50 n’est bien des écrans
drames ne se reproduisent”, dit le sûr jamais évoqué ; ce nouvel atout radar” pendant
communiqué. Par contre, des diver- secret de Saddam Hussein dans “la une quinzaine
gences apparaissent quant à la posi- guerre des pétroliers” ne doit en aucun d’années, le
tion exacte du Stark, les Irakiens sou- cas être révélé. Officiellement, c’est un “Falcon” 50
tenant qu’il se trouvait à l’intérieur seul “Mirage” F1EQ5 qui a tiré par n° 122 réapparaît
de la zone de guerre au moment de erreur les deux “Exocet” sur le Stark.

le 5 juin 2012
l’attaque, d’où la méprise du pilote à Mehrabad.
du “Falcon”. Ce point sera contredit Le nez de F1 a
par les relevés satellites du navire (1) Pour vivre toute l’enquête du côté disparu mais les
irakien, on se reportera à l’ouvrage
qui prouveront qu’il se trouvait en passionnant de Jean-Louis Bernard Les quilles ventrales
réalité à 40 km environ à l’extérieur Héros de Bagdad aux Éditions JPO, 2017. sont toujours là.
BABAK TAGHVAEE

66
67
“FALCON” 50 À L’ATTAQUE

Cette version sera malgré tout


retenue par la marine américaine,
même si un doute subsistera… Elle
Photo prise à
l’intérieur du
pense déjà en off à la possibilité d’un
Stark, dans avion de type “Falcon” et interrogera
l’axe par lequel d’ailleurs l’état-major de la Marine
le missile n° 1 française à ce sujet : “Est-ce que vous
a traversé le connaîtriez l’existence d’un “Falcon”
bâtiment. Au irakien qui pourrait avoir pu tirer les
fond, le trou deux Exocet ?” Mais celui-ci répon-
fait par la partie dra par la négative ; l’existence de ce
du missile qui “Falcon” transformé est inconnue – à
est ressortie. La juste titre – des états-majors français.
flèche indique Pour les Français présents en Irak et
l’endroit où a qui connaissent parfaitement les cir-
été retrouvée la constances de l’attaque, la situation
charge militaire est très embarrassante… À ce sujet,
intacte de l’un d’entre eux se souvient avoir été
l’”Exocet”. “cuisiné” par l’attaché de défense
GARY GOODALE
américain à Bagdad. Mais que lui
Mais la version officielle ne peut version EQ6, effectivement com- répondre ? L’affaire est, il est vrai,
pas tenir pour deux raisons princi- mandée par l’Irak, mais non encore strictement irakienne.
pales : un appareil de ce type ne peut entrée en service, et dont les premiers L’autre délégation de la marine
atteindre la zone du Stark sans ravitail- exemplaires ne seront livrés qu’au dirigée par le contre-amiral Grant
lement en vol, et l’“Awacs” américain printemps 1988, soit un an après. La Sharp est à Bahreïn, au port de
n’a détecté aucun appareil ravitailleur délégation irakienne se justifiera sur ce Manama, et mène ses investigations à
lors du vol nocturne du 17 mai 1987 ; point en expliquant avoir modifié deux bord du La Salle, puis du navire atelier
le seul “Mirage” F1 en mesure d’em- EQ5 aptes à l’emport de deux missiles, Acadia, au couple duquel le Stark est
porter deux missiles “Exocet” est la ce qui n’était évidemment pas le cas. maintenant amarré pour les premiers
Les marins Basco,
Gary Goodale et Gary Goodale, rescapé de l’attaque,
Mark Wasnock nous dévoile la partie basse
(de gauche à de la coque éventrée par l’explosion
droite) devant le du deuxième missile. C’est aussi à
trou fait par la cet endroit que le premier missile
partie avant du est rentré.
missile n° 1 qui
est ressortie côté
tribord.

DR/COLL. GARY GOODALE

Deux marins du
Stark, Hansen et
Rupe (à droite),
au milieu des
dégâts. Le trou
fait dans la
coque par le
deuxième missile
est nettement
visible (flèche).

GARY GOODALE DR/COLL. GARY GOODALE

68
travaux de réparation. Avec l’aide de
conseillers techniques, cette déléga-
“ Les Américains de donner l’alerte à temps. Seule une
identification visuelle a permis de le
tion mène une enquête précise sur tout
le déroulement de l’attaque. étaient dans une zone de faire, mais il était déjà trop tard. De
plus, les survols de bâtiments amé-
Le rapport officiel américain fi- ricains par des chasseurs irakiens
nira par conclure : “Les deux missiles
de croisière antinavire “Exocet “ont
guerre mais se croyaient étaient monnaie courante dans le
Golfe à cette époque, sans que ces
été tirés par un unique chasseur ira-
kien “Mirage” F1. L’attaque n’a pas été
invulnérables…” situations ne dégénèrent. À ce sujet,
le commandant du O’Bannon témoi-
provoquée et était non ciblée. L’USS gnera lors des enquêtes : “En janvier
Stark était – et a toujours été – dans graves et de laxisme qui ont conduit à 1987, tous les jours, des chasseurs ira-
les eaux internationales, en dehors la catastrophe. Compte tenu de circons- kiens nous survolaient à 150 m d’alti-
des zones de guerre déclarées par les tances atténuantes comme l’attaque tude par deux, et ce deux fois par jour.
Irakiens et Iraniens.” surprise d’un pays considéré comme Nous n’avons jamais été illuminés
“ami” et du comportement héroïque de par leurs radars et nous ne les avons
Les systèmes de défense tous pour sauver la frégate, ils ne seront jamais illuminés non plus. Nous les
pas traduits en cour martiale. Il leur contactions simplement par radio et
non actionnés sera notamment reproché une “phi- nous leur donnions notre position ;
Dès la fin de ces enquêtes, le 19 juin losophie de commandement exagéré- ils savaient ainsi exactement où nous
1987, trois officiers supérieurs de la fré- ment conservatrice”. Comme le dira un étions. Même s’ils n’avaient aucune
gate sont relevés de leurs fonctions : le Français présent en Irak : “L’équipage intention belliqueuse à notre encontre,
capitaine de vaisseau Glenn Brindel du Stark n’avait même pas ses systèmes nous restions vigilants et gardions tou-
ainsi que deux de ses principaux de défense en alerte ; les Américains jours un œil sur eux, avec le support
officiers, le commandant en second étaient dans une zone de guerre mais de l’“Awacs”. Les pilotes irakiens ne
Raymond Gajan et l’officier de quart- se croyaient invulnérables…” s’occupaient pas de nous ; ils faisaient
opérations Basil Moncrief, en raison Pour sa défense, Glenn Brindel simplement leurs “petites affaires”
“d’un manque de confiance” à leur mettra en avant la déficience des sys- dans le golfe.”
égard, annonce le Pentagone. Ils sont tèmes radar qui n’ont pas permis de Quand les Américains appren-
reconnus coupables de négligences détecter les “Exocet” en approche et dront-ils la vérité sur l’affaire du

69
“FALCON” 50 À L’ATTAQUE

Stark ? À l’automne 1990. Voici


comment. “J’étais officier de marque
missiles air-air au CEAM à Mont-
de-Marsan au moment de l’invasion
du Koweït par l’Irak, raconte Jean-
François Lipka, quand, en septembre
1990, nous avons été sollicités par les
États-Unis pour une évaluation du
“Mirage” F1EQ6 par leurs forces,
avion qu’ils ne connaissaient pas (2).
Nous avons enchaîné les vols au pro-
fit de l’US Air Force et l’US Navy, et
même été amenés à effectuer des si-
mulations d’attaques à la mer AM39
contre leurs navires en Méditerranée.
Lors d’un débriefing, je leur ai parlé
du “Falcon” 50 “Exocet” irakien. Les
Américains ignoraient totalement
l’existence de cet avion dans l’arsenal
irakien, mais nous, non. Je leur ai
démontré que le “Mirage” F1EQ5,
alors seul “Mirage” en service en Irak
apte aux missions assaut-mer en mai
1987, ne pouvait emporter qu’un seul
missile “Exocet” et n’avait pu mener
la mission contre le Stark. C’est ainsi
que j’ai été amené à leur expliquer que
les deux “Exocet” avaient été tirés par
ce “Falcon” 50 modifié. L’affaire a été
prise très au sérieux par l’état-major
de l’US Navy qui a fait reculer la flotte liers touchés dans les jours précédents, difficilement s’aventurer dans cette
présente dans le Golfe à ce moment- on trouve une navette iranienne le zone sans ravitaillement en vol. Un
là pour ne pas se faire surprendre une 10 mai ainsi que les pétroliers Stilikon rapport sur ces deux vols avait d’ail-
deuxième fois ; la marine américaine et Rodosea le 15 mai, tous touchés la leurs été fait au commandant du Stark
ne voulait prendre aucun risque…” nuit. Est-ce lui ? De plus, à deux re- le 16 mai, lui signalant que les risques
L’attaque du Stark aura-t-elle prises au moins, les 13 et 14 mai 1987, de nouvelles attaques d’appareils ira-
été la seule opération de guerre du un avion irakien isolé ayant adopté un kiens s’aventurant de plus en plus loin
“Falcon” 50 n° 122 ? Certains vété- “profil de vol antinavire” a été repéré de leurs bases dans le Sud du golfe
rans irakiens parlent d’une dizaine par les Américains volant sous le 27e étaient élevés. La mission du 17 mai est
de missions opérationnelles effectuées parallèle, c’est-à-dire au niveau où assurément la dernière du “Falcon”
avant le 17 mai 1987. Parmi les pétro- le Stark a été touché. Vu la distance dans le golfe.
parcourue depuis les côtes irakiennes, À Manama, le Stark subit du 1er
(2) Lire le récit complet dans Le Fana de tout porte à croire que cet avion est le au 27 juin 1987 un premier chantier
l’Aviation nos 594 et 595. “Falcon” 50, car le “Mirage” F1 peut de réparation assuré par le navire-

Le 3 juillet 1987 sur la base aérienne


de Bahreïn, 44 des survivants
du Stark regagnent les États-Unis
à bord d’un C-141 “Starlifter”.
GARY GOODALE

70
RNE
DHO
ENT
VINC

Le “Falcon” 50 n° 122 dans ses nouvelles couleurs iraniennes de 2012.


Il est alors en cours de transformation en avion de guerre électronique.
On peut remarquer qu’il est devenu le Dassault Aviation - “Falcon” 50 n° 101
comme l’indique le marquage dans l’ombre sous le plan horizontal de dérive.

atelier Acadia pour lui permettre de sera ensuite découpée pour en extraire Bernard, mais les Irakiens “jouaient le
regagner en toute sécurité et par ses l’explosif coulé, de l’héxolite 60/40. Les jeu”. Quant au “Falcon”, il ne pouvait
propres moyens les États-Unis en juil- marins ont été chanceux… Comme déjà plus être utilisé dans les missions
let. Durant ce chantier, deux éléments le raconte Scott Cummings : “Dans antinavires car la découverte de son
de l’“Exocet” n° 1 non-explosé sont notre poste d’équipage en dessous, où existence aurait contredit toute la ver-
retrouvés dans le deuxième pont du étaient aussi Michael O’Keefe et Gary sion irakienne sur l’attaque du Stark.”
Stark : un petit morceau de l’enveloppe Goodale, c’est moi qui occupais le lit Pendant ce temps, en France,
du missile et, surtout, la charge mili- du haut, ma tête étant située juste sous parmi ceux qui connaissent cet avion,
taire de 165 kg intacte… Cette charge la charge militaire non explosée…” le lien est immédiatement établi entre
militaire n’est pas immédiatement Le 3 juillet 1987, escorté par trois l’attaque du Stark et le “Falcon” 50, cet
identifiée comme telle. Les marins qui autres navires, le Stark quitte Manama appareil étant le seul capable d’accom-
dégagent les débris pensent d’abord à avec les deux tiers de l’équipage pour plir une telle mission. “Ils y sont allés
un morceau du navire endommagé. un voyage retour vers les États-Unis. forts…” diront certains. Cette bavure
Certains vont même jusqu’à taper des- Le tiers restant rentre en avion C-141 ne faisant l’affaire de personne, la dis-
sus avec un marteau en passant dans “Starlifter” le même jour, ce qui lui crétion sera de mise…
le couloir ; d’autres pensent la récupé- permet de relever l’équipage après sa Mais l’existence d’un tel appa-
rer comme souvenir… Elle a pour- traversée vers Mayport en Floride, reil n’est pas totalement inconnue
tant une forme très caractéristique : son port d’attache, à partir du 5 août. de certains journalistes de défense
ogive munie de crocs pour créer des Puis le Stark subit une reconstruction bien informés qui le font figurer en
amorces importantes de déchirure sur complète au chantier naval Ingalls 1990, au moment de l’invasion du
la coque du navire et éviter les rico- de Pascagoula et restera en service Koweït, à l’ordre de bataille irakien.
chets lors d’impacts sous incidence jusqu’en 1999. Un “Falcon” à capacité “Exocet” est
rasante ; paroi munie de mini-charges évoqué dans diverses publications,
creuses pour augmenter le pouvoir de “Ils y sont sans toutefois que l’on sache préci-
perforation dans les ponts successifs et sément s’il s’agit d’un “Falcon” 20 ou
les cloisons intérieures.
allés fort” 50 (voir Le Fana de l’aviation n° 251
Elle sera transportée avec précau- Dès l’annonce de l’attaque du et Aviation Magazine International
tion à bord de l’Acadia où des marins Stark, les Irakiens suspendent les n° 1012). Par la suite, d’autres auteurs
passeront plusieurs jours dessus enfer- attaques “Exocet” dans le Golfe, continueront à faire part de leurs
més dans un atelier du navire pour la le temps que les esprits s’apaisent. doutes sur la version officielle du
désamorcer. Ce sont finalement des Elles reprendront le 20 juin 1987 “Mirage” F1 (lire article de Jean-
équipes des Seal, les “Sea, Air, Land”, après 33 jours de trêve, avec l’attaque Louis Promé dans Marines Guerre et
les forces spéciales de l’US Navy, qui y de plusieurs bâtiments de la navette Commerce n° 59).
parviendront (3). L’enveloppe en acier pétrolière iranienne (voir Le Fana “En échangeant avec les Irakiens
de l’Aviation n° 580). “Les missions sur l’attaque du Stark, se souvient
AM39 étaient devenues plus compli- Jean-Marc, l’un des pilotes français
(3) Ces deux pièces historiques quées, chacune d’entre elles devant présents en Irak, l’un d’eux m’a dé-
sont aujourd’hui exposées au musée
de l’Académie navale d’Annapolis être préalablement déclarée auprès des claré : “C’est peut-être un bon coup
Américains, se souvient Jean-Louis finalement, ce qui est arrivé… Nous,

dans le Maryland.

71
“FALCON” 50 À L’ATTAQUE

Le J2-KBA vu ici à Orly en décembre 1998 est un


ex-“Falcon” 50 irakien. Le n° 71 (ex-YI-ALB) est un
cadeau de Saddam Hussein à la République de Djibouti.

JACQUES GUILLEM

Morceau du DR
missile n° 1.
On peut
reconnaître
les lettres “SP”
DAN
d’Aérospatiale.

Proue du bâtiment

En pointillé dans le plan,


les cloisons détuites.

Missile n°2 Missile n°1


Rayon des dommages Débris du missile retrouvés
dus à l’explosion. dont la charge militaire intacte.

Missile n°2
Trajectoire et explosion
du missile.

72 Missile n°1
Trajectoire du missile non explosé.
“ L’appareil était Dubaï et tirent deux missiles dans sa
direction sept minutes après son décol-

vraiment extraordinaire. lage, près de l’île de Larak. Bilan : 290


morts. Washington parle de “tragique
erreur” et Téhéran d’“acte délibéré”.
On pouvait accrocher Quant au “Falcon” 50 n° 122,
il reste caché à Qayyarah le temps
tout ce qu’on voulait ” que la tension retombe, puis est res-
sorti et employé uniquement comme
avion d’entraînement. Il n’est plus
ce qu’on veut, c’est arrêter la guerre armé et n’effectue plus aucune mis-
et le seul moyen d’y mettre fin, c’est sion de guerre. La “botte secrète” de
de marquer l’opinion américaine et Saddam Hussein a de toute façon déjà
d’obliger son gouvernement à inter- perdu tout intérêt opérationnel. Son
venir dans le Golfe, ce qu’il va devoir utilisation militaire aura été particu-
faire maintenant !” lièrement brève… Quant au pilote,
Le journaliste Jean Gueyras “il s’est vu attribuer la médaille de la
écrit à ce sujet dans Le Monde bravoure puisqu’avec cette mission,
du 20 août 1987 : il
i avait répondu à tous
À la mémoire des “Paradoxalement , les
l critères d’attribution
37 victimes du il faudra attendre la d’une
d telle distinction.
Stark. tragédie de la frégate Le
L règlement, c’est le
L’une d’elles est Stark pour que les règlement
r !” raconte
le timonier États-Unis prennent Jean-Louis
J Bernard.
Earl Ryals, position ouvertement L es instructeurs
25 ans. en faveur des thèses ffrançais encore présents
de Bagdad de l’inter- een Irak vont continuer
nationalisation de la à voler un temps à son
guerre du Golfe. Le bbord pour entraîner les
chef du gouvernement ppilotes irakiens. Jean-
de Téhéran, M. Mir MMichel se souvient :
Charge Hossein Moussavi, ““L’appareil était vrai-
militaire du avait un peu hâtive- mment extraordinaire.
DR/C . J
OLL R
ANNA YALS
missile n° 1 ment qualifié l’attaque OOn pouvait accrocher
Missile n°1 retrouvée contre le Stark de “bénédiction di- tout ce qu’on voulait, comme un
Poursuite de sa trajectoire
hors du bâtiment. intacte. vine”. En fait, elle a plutôt constitué pod laser par exemple, et on l’a d’ail-
un “don de la providence” pour les leurs finalement surtout utilisé sur
Irakiens qui la présentèrent comme la deuxième partie de l’année 1987
une erreur, alors que la presse amé- pour l’entraînement des pilotes aux
ricaine s’interrogeait sur le point de armements guidés laser. Les Irakiens
savoir s’il s’agissait d’un “accident ou étaient d’autant plus intéressés par
d’un crime parfait”. On aurait pu ima- cette adaptation que le F1 biplace
DAN giner qu’avec ce drame, les relations n’était pas câblé pour emporter le PDL
entre Washington et Bagdad, déjà pas- [pod de désignation laser]. Je partais
sablement tendues depuis l’affaire de pour des vols d’entraînement avec un
l’Irangate, seraient irrémédiablement pilote de “Falcon” et un ou plusieurs
compromises, ou que, tout au moins, pilotes de F1 et j’occupais soit la place
Washington exercerait des pressions droite pour faire la démonstration, soit
sur Bagdad pour qu’il mette fin aux le strapontin pour suivre les actions du
attaques des navires étrangers dans le pilote en formation.
Golfe. C’est exactement le contraire
SERAT
qui s’est produit, et Washington s’est Le pilote veut engager
Charge militaire Serat de finalement rangé au côté de Bagdad,
type GP3A de l’“Exocet” probablement pour se faire pardonner
deux F-5 iraniens !
avec son enveloppe. son flirt avec l’Iran. En mai 1987, en Je me souviens d’une anecdote lors
attaquant accidentellement ou non la de l’un de ces vols. J’étais en train de
frégate Stark, Saddam Hussein a créé faire une démonstration de tir AS30L à
les conditions requises pour la mise en un pilote en formation. Nous sommes
œuvre de cette internationalisation.” passés à proximité d’une petite ville
Malheureusement, ce drame va irakienne et j’ai choisi comme cible
en entraîner un autre… Depuis l’at- d’entraînement une mosquée dans
taque du Stark, les Américains sont le centre-ville. Lors de la rotation de
devenus très nerveux dans le Golfe. l’image du PDL, on a eu la surprise de
Schéma des dégâts au niveau Le 3 juillet 1988, alors que la tension voir apparaître sur l’écran de visualisa-
du deuxième pont entre l’Iran et les États-Unis est à son tion deux chasseurs F-5 iraniens qui al-
de l’USS Stark paroxysme, les marins du Vincennes laient bombarder la ville ! Le pilote du
d’après le rapport d’enquête se méprennent sur les intentions de “Falcon” 50, probablement un ancien
l’Airbus A300 d’Iran Air EP-IBU qui pilote de chasse, a alors fait une ma-
fait la liaison entre Bandar Abbas et nœuvre pour engager les deux chas-

FRANÇOIS HERBET

73
“FALCON” 50 À L’ATTAQUE

DR/COLL. PIERRE PARVAUD


En février
seurs-bombardiers ! J’ai tout de suite ont déjà acquis une certaine expertise 1990, Dassault c’est ainsi que l’on désigne chez nous
repris les commandes en lui déclarant : dans l’exploitation du système. présente les belles filles. Le “Falcon” était en
“Tu vas les attaquer avec quoi tes L ’aventure irakienne du au Salon de effet le seul avion “civil” au milieu de
F-5 ?” On a aussi fait quelques séances “Falcon” 50 n° 122 s’arrête début 1991. Singapour tous ces avions de chasse “Mirage”
de formation à l’“Exocet” au-dessus En février 1991, il fait partie des trois la maquette plutôt virils. J’ai demandé au général :
du lac Thartar, mais en réalité assez “Falcon” 50, les nos 101, 120 et 122, et du projet de “Mais pour aller où, toutes les bases
peu car les pilotes irakiens étaient déjà des deux “Falcon” 20, les nos 337 et “Gardian” 50 ont été bombardées ?” Il m’a juste ré-
bien formés à la lutte antinavire. Les 343, qui trouvent refuge en Iran pour de surveillance pondu en me disant que le comman-
Irakiens ont finalement sous exploité échapper aux bombardements alliés maritime. La dant J. m’attendait dans l’avion. J. était
cet avion vraiment exceptionnel qui de l’opération Tempête du désert (4). capacité AM39 le pilote civil du “Falcon” ; c’est lui qui
restait la plupart du temps au hangar.” Voici pour la première fois le du “Falcon” avait piloté la “Batta” lors de l’attaque
Le “Falcon” 50 re- DR/C . OLL PARTICULIÈRE témoignage
t du pilote n’était donc du Stark en mai 1987.
prend ensuite un certain irakien
i qui a convoyé plus réservée
rôle opérationnel comme “Al
“ Yarmouk” en à l’Irak… (tiré Décollage d’une piste
avion de reconnaissance. Iran
I : “Si mes souve- de Aviation
Il est équipé pour cela de nirs
n sont bons, nous Magazine bombardée la veille
nacelles photographiques étions
é au tout début du n° 1002). Comme je n’étais pas prévu pour
“Harold” ou COR2. En mois
m de février 1991. partir en mission ce jour-là, je n’avais
1989, il est même présenté La
L veille du départ, que mes habits civils sur moi et c’est
à Saddam Hussein sur l’aé- n
nous nous étions abri- Le pilote civil T., un autre pilote de “Mirage”, qui
roport d’Al-Muthena de tés
t dans un bunker de du “Falcon” 50. m’a passé son blouson de vol. Je suis
Bagdad équipé d’une na- Saddam
S quand la base Il pilotait l’avion monté dans l’avion et on a décollé
celle “Slar” (Side Looking a été attaquée par des le 17 mai 1987 et avec beaucoup de difficulté car la piste
Airborne Radar). Ce radar bombes
b à fragmenta- lors du vol vers avait été bombardée la veille. Comme
aéroporté de surveillance tion.
t Le lendemain, Téhéran. les Américains avaient le contrôle du
à balayage latéral produit l commandant de
le ciel, nous sommes partis à très basse
par Thomson-CSF vient juste d’être la base, le général Salah Ismaïl, est altitude, et on a pris la direction de
mis en service en Irak ; il est très venu nous voir dans le bunker. On l’Iran… Au-dessus du territoire ira-
performant et produit des bandes voulait lui parler mais il s’est adressé nien, nous avons été interceptés par
de grande définition présentant des directement à moi en me demandant deux F-4 “Phantom” qui voulaient
détails semi-photographiques jusqu’à de me lever et d’emmener la “Batta” nous faire atterrir sur une base mili-
100 km de portée. A cette occasion pour la mettre à l’abri. La “Batta” taire, mais nous n’avons pas obtem-
sont présentées au dirigeant irakien était le surnom que nous donnions au péré car le général Salah Ismaïl nous
des imageries “SAR” (Synthetic “Falcon” 50 et qui signifie “la cane” ; avait ordonné d’aller jusqu’à Téhéran.
Aperture Radar, radar imageur qui Pendant tout le vol, on craignait de se
effectue un traitement des données faire tirer dessus et nous regardions en
reçues afin d’améliorer la résolution
en azimut ?) obtenues avec la nacelle, “ Nous avons été permanence à gauche et à droite pour
voir si nous n’étions pas pris pour cible.
ce qui tend à prouver que les Irakiens interceptés par deux F-4 À l’arrivée sur l’aéroport de
Téhéran, nous avons vu que celui-
(4) Avec le Lockheed “JetStar” L-1329
YI-AKD et le “Falcon” 20 n° 320 EP-FIF
“Phantom” qui voulaient ci était en deux parties, l’une civile
et l’autre militaire, et nous avons
décidé d’atterrir sur l’aéroport civil
d’origine iranienne qui avait lui-même
trouvé refuge en Irak le 12 août 1986. nous faire atterrir ” international. Une fois le “Falcon”
74
de Massoud et Maryam Radjavi, que qui avaient déjà mis à l’abri des F1 en
l’on croisait souvent sur nos routes. Iran ; avaient-ils lâché le morceau ?
Les militaires nous ont posé beau- Nous sommes restés quatre jours
coup de questions pour savoir qui dans l’hôtel. Ils nous ont ensuite em-
nous étions et d’où nous venions. menés en avion sur une base aérienne
Conformément aux instructions du et, à partir de là, nous avons roulé pen-
général Salah, nous nous sommes fait dant 3 heures jusqu’à Qasr Shirin, ville
passer pour des pilotes civils fuyant frontière avec l’Irak. Ils nous ont alors
l’Irak qui s’écroulait. Comme J. et moi désigné le poste frontière : “Vous voyez
Le pilote étions en tenue civile, notre histoire le drapeau irakien là-bas ? Vous y allez
militaire irakien paraissait crédible. Nous sommes à pied.” En approchant, les militaires
qui convoya descendus et avons fermé les portes irakiens en faction nous ont demandé
le “Falcon” 50 de l’avion en gardant la clé. Ils ont de stopper, en iranien d’abord, puis
n° 122 à Téhéran ensuite fait venir un traducteur arabe en arabe. Nous leur avons répondu :
en 1991 est vu et nous ont fait entrer dans une salle “Nous sommes Irakiens mais nous
ici à Cazaux lors de réunion pour nous interroger. On n’avons plus nos papiers sur nous !”
de sa formation. nous a ensuite emmenés pour la nuit à Ils nous ont mis en joue et nous ont
En arrière-plan, l’hôtel Sheraton où nous avons dormi demandés si nous étions des anciens
un “Mystère” 20 dans la même chambre gardée par prisonniers de guerre ou bien des
du Gael une sentinelle. Ahwazis, des Arabes qui vivent en
(Groupement Le lendemain matin, ils nous ont Iran dans la région d’Ahwaz. Nous
aérien reconduits à l’avion en nous deman- leur avons alors expliqué toute notre
d’entraînement dant d’ouvrir la porte. Quatre per- histoire. Ils n’en croyaient pas un
et de liaisons). sonnes sont montées à l’intérieur, l’ont mot… À ce moment-là en Irak, per-
DR/COLL. PARTICULIÈRE
inspecté et sont redescendues. L’un des sonne n’avait encore connaissance de
posé, le contrôleur aérien a insisté quatre, le plus vieux, a déclaré : “C’est convoyages d’avions en Iran. Nous
pour que nous restions à l’intérieur bien l’avion qui a attaqué la frégate étions alors les tout premiers pilotes
porte fermée et on a attendu un bon Stark en 1987 !” et a exigé qu’on lui à revenir en Irak. Ceux qui avaient
quart d’heure sans bouger avant de remette la clé du “Falcon”, mais J. a emmené les “Mirage” ou les Sukhoï
voir arriver des militaires dans des refusé. Le vieux a alors commencé resteront quatre à six mois en Iran,
pick-up blancs et kakis. Ces véhicules à nous crier dessus très fort jusqu’à alors que nous, nous n’y sommes restés
me faisaient penser à ceux de l’oppo- ce qu’on la lui donne. Comment que cinq jours.
sition iranienne qui opérait depuis connaissait-il l’histoire de cet avion ? Le responsable du poste a envoyé
l’Irak, les “Moudjahidin du Peuple” Peut-être par les pilotes de “Mirage” un capitaine voir les renseignements


Un “Falcon” 50 ravitaille un
Un “Falcon” 50 “Mirage” F1/”Exocet” irakien
ravitailleur pour l’Irak ? au-dessus d’un relief plus
montagneux que maritime…
Le “Falcon” 50 aurait également pu devenir
(tiré de Air et Cosmos n° 1019).
ravitailleur en vol. C’est un projet méconnu.
C’est en 1984 que Dassault présente le
projet de “Falcon” 50 ravitailleur. On prévoit
pour cela d’équiper l’avion d’un circuit de
transfert de carburant, de quatre réservoirs
additionnels placés dans la cabine et situés
de part et d’autre de l’allée centrale, et d’une
nacelle de ravitaillement placée à l’emplanture
de l’aile. Cette installation permet de porter la
quantité de carburant disponible à 9 110 kg.
Le pays prospect est évidemment l’Irak
qui possède déjà des “Falcon” 50 et
qui vient de recevoir des nacelles de
ravitaillement Intertechnique et ses premiers
“Mirage” F1EQ5, optimisés pour la lutte
antinavire et ravitaillables en vol. L’illustration
du projet ne laisse aucun doute puisqu’elle
montre un “Falcon” 50 en train de ravitailler
DR/COLL. PIERRE PARVAUD
un “Mirage” F1 armé d’un “Exocet”… “Cela
signifie qu’il pourrait par exemple ravitailler Schéma de l’installation du système sur
quatre “Mirage” F1 en fin de montée et le “Falcon” 50 (tiré de Air et Cosmos n° 1019).
accroître ainsi les capacités opérationnelles
de ces derniers”, indique d’ailleurs le
communiqué de presse.
Il n’y aura pas de “Falcon” 50 ravitailleur, les
Irakiens se satisfaisant de leurs F1 comme
“nounou”, mais un “Falcon” 50 autrement plus
polyvalent arrivera en 1987…
DR/COLL. PIERRE PARVAUD

75
“FALCON” 50 À L’ATTAQUE

militaires du secteur et est revenu qui a démarré en 2010 et qui vise à


quelques heures après en confirmant Que sont devenus les autres le transformer en avion de guerre
toute l’histoire. On nous a alors mis électronique ; c’est le projet ultrase-
à disposition deux voitures. J. est “Falcon” 50 irakiens ? cret “Sayeh”. Le nez de F1 devenu
parti de son côté pour rentrer chez Le “Falcon” 50 n° 61 HB-IES eut lui aussi une destinée inutile a fait place au plus classique
lui, tandis que j’ai pris la direction tout à fait singulière. Son histoire est à retrouver dans un nez de “Falcon” 50. Le radar a été
de Bagdad. J’y suis arrivé à l’aube et prochain numéro du Fana de l’Aviation. enlevé et remplacé par un lest pour
je me suis rendu directement à l’état- ne pas déplacer le centre de gravité de
major de l’armée de l’air irakienne ; Le “Falcon” 50 n° 71 YI-ALB fut offert à la République de l’avion (5). Tout l’intérieur a été amé-
je n’y ai trouvé que des ruines… On Djibouti en février 1988 sous l’immatriculation J2-KBA nagé pour accueillir les équipements
m’a dirigé vers le lieu de repli de l’état- (il remplaça le “Falcon” 20 n° 342 J2-KAC [ex-YI-AHI] électroniques qui ont aussi nécessité
major où j’ai pu rendre compte de ma qui avait déjà été cédé par l’Irak en 1980). Il changea à l’installation d’un nouveau groupe
mission au général Shahin, le chef nouveau de propriétaire en 2001 quand il fut racheté par auxiliaire de puissance. Plus étonnant
d’état-major de la défense aérienne, la société Wagner & Brown Ltd basée aux États-Unis pour encore, il porte l’immatriculation
et au général Fahad. Ils m’ont ensuite devenir le N352WB. EP-TFA du n° 101 et le marquage sur
demandé de rentrer chez moi me Le “Falcon” 50 n° 101 YI-ALC fuit début 1991 en Iran la dérive “Falcon 50 n° 101”... Parfait
reposer avant de rejoindre la base de où il fut saisi par la force aérienne iranienne à titre de pour brouiller les pistes ! Mais son
Saddam. Mission accomplie, mais dommages de guerre. Il fut enregistré sous le n° 5-9011 et n° 9013 sur la trappe de train avant
quelle mission…” immatriculé EP-TFA (compagnie Saha Air, pour le compte ne trompe personne.
du gouvernement iranien). Il vole toujours et arbore une Puis il disparaît à nouveau. Il fau-
Coup de théâtre nouvelle livrée blanche et bleue avec l’immatriculation dra trois années supplémentaires pour
EP-TFI (celle du n° 120…), sans numéro de série achever sa transformation en véritable
en 2012 ! constructeur, mais avec le bon numéro 9011 sur les avion de guerre électronique, dont les
Le n° 122 ne reviendra jamais nacelles des moteurs. signes extérieurs en sont les diverses
en Irak. L’Iran le conserve à titre de Le “Falcon” 50 n° 120 YI-ALD faisait également partie des antennes apparues sur le fuselage, en
dommages de guerre et l’enregistre appareils irakiens qui trouvèrent refuge en Iran en 1991. bout d’ailes et en haut de la dérive.
sous le n° 5-9013. Mais l’avion ne vole Il fut enregistré sous le n° 5-9012 et immatriculé EP-TFI. L’avion est déclaré opérationnel en
plus. Il n’a d’ailleurs plus de papiers Il vola longtemps pour le transport VIP… puis disparut. On 2015 et participe alors activement à
de certification et ne peut quitter apprit finalement qu’il était rentré en atelier en 2016 pour tous les exercices militaires iraniens et
le pays. Les Iraniens essayeront à être lui aussi transformé en avion de guerre électronique. à l’entraînement des pilotes de chasse
plusieurs reprises de se procurer ses Sa sortie est prévue en 2020. À suivre donc… en brouillant leurs radars. Son effica-
papiers auprès de Dassault, que ce soit cité serait telle que les Iraniens ont
directement ou via des intermédiaires décidé de transformer un deuxième
comme l’Afrique du Sud ou la société Dassault perd ensuite sa trace. Il est “Falcon” 50 ex-irakien, le n° 120, sur le
Jet Aviation par exemple. “Ils es- stocké à Mehrabad et devient une même principe. Voire peut-être même
sayaient de tous les côtés ; il fallait être source de pièces détachées pour ses un troisième…
méfiant !” se souvient un ancien de congénères, les nos 101 et 120. Enfin, pour clore – momentané-
Dassault. Compte tenu de l’embargo Coup de théâtre en 2012 ! Tel ment – le dossier, une photo prise en
qui frappe le pays, la société n’y don- un phénix, le plus mystérieux des 2018 le montre comme neuf, entière-
nera pas suite. Elle ne donnera pas non “Falcon” 50 renaît de ses cendres et ment repeint avec des bandes rouges,
plus suite aux commandes de pièces réapparaît le 5 juin 2012 à l’occasion s’offrant encore une nouvelle jeunesse.
détachées. Son aménagement est tel- Devenu un d’un vol de contrôle, en parfait état Le n° 122, un étonnant phénix qui n’en
lement spécifique que le “Falcon” ne véritable avion et repeint avec des bandes bleues à finit pas de renaître ! ■
peut être utilisé pour le transport de de guerre l’instar des autres “Falcon” 50 ex-
passagers. L’Iran ne possédant pas électronique, irakiens. L’appareil vient de sortir Remerciements à Jean-Louis Bernard,
le n° 122 est
d’“Exocet”, il ne peut pas non plus être d’une première phase d’un chantier Robert Feuilloy, Gary Goodale, Jacques
photographié
réemployé comme appareil de lutte Guillem, Karim Hussein, Jean-François
ici à Mehrabad
antinavire. Qu’en faire ? L’appareil (5) Les photos qui circulent sur la toile du
Lipka, Pierre Parvaud, Jean-Marie Saget,
le 3 juillet
réalise un unique vol de contrôle de “Falcon” en Iran avec le nez du F1 sont Babak Taghvaee et tous ceux qui ont
2018 dans sa
quelques minutes en 1999. La société dernière livrée.
des montages. souhaité rester anonymes.
DR/COLL. BABAK TAGHVAEE
CE JOUR-LÀ… Il y a 100 ans
“Johns Multiplane” essais en vol aux États-Unis dans les
années 1920 à 1930. Pas de date, de
lieu, de personnages identifié. Rien.

Sept ailes pour


Une fois les recherches lancées, tout
au plus sait-on qu’il fit l’objet d’un
brevet présenté en octobre 1916 par
un certain Charles H. Herrmann,
de Bath, à New York, qui tra-

un saut de puce vaillait pour la société American


Multiplane. Herbert Johns en était
l’ingénieur. Le brevet est intéressant
car il présente la philosophie géné-
rale de cette Flying Machine (ma-
chine volante). L’inventeur voulait
Il y a 100 ans, un avion géant étonna les militaires regrouper le plus d’ailes dans la plus
petite surface possible. Deux biplans
américains. Le “Johns Multiplane” se voulait un et un triplan se voyaient ainsi mariés
bombardier à grand rayon d’action. Il se contenta pour le meilleur et surtout pour le
pire. En soit le principe était alors
de sauts de puces avant de disparaître. assez commun.
Par Alexis Rocher
Trois “Liberty” pour
soulever 10 tonnes

C
’est un de ces géants qui qui furent autrefois les bibles an-
entre dans l’histoire de nuelles du monde de l’aéronautique. L’ingénieur italien “Gianni”
l’aviation en voulant faire Les bureaux des journaux sur l’avia- Caproni avait adopté la même idée
plein de bruit et qui dis- tion en étaient pleins. Les archives avec le Ca.60 “Noviplano” (neuf
paraît dans le plus grand du Fana de l’Aviation en conservent ailes), énorme appareil avec trois voi-
silence, en ne laissant aucune trace pieusement quelques éditions an- lures triplans qui se succédaient en
ou presque. Voici dans cette série ciennes, qui sont parfois plus pré- tandem de l’avant à l’arrière. Fokker
prolifique le “Johns Multiplane”, cises que les encyclopédies en ligne avait étudié de son côté le V.8, quin-
tout droit venu des États-Unis. De sur Internet. Mais passons. Avec le tuplane de chasse qui vola briève-
lui fort peu de choses apparaissent, “Johns Multiplan”, c’est une feuille ment en 1917. Pour la motorisation,
pas de ces grandes fiches détaillées pour ainsi dire vierge. Il apparaît le choix se porta sur un bon élément :
dans les Jane’s all the World Aircraft, dans un lot de photos consacrées aux le “Liberty”, moteur de configura-

USAF
Les ailerons
étaient installés
aux extrémités
des trois ailes
installées
au centre
du fuselage.
Trois moteurs
“Liberty” de
400 ch étaient
censés l’arracher
du sol.
USAF

tion V12 fabriqué en grande série à tion pour un autre géant de la même dans la presse de l’époque. Rien
partir de juillet 1917. Une réputation époque, lui beaucoup plus connu : le moins que six “Liberty” pour ce tri-
non usurpée de coucou suisse lui “Barling Bomber”. plan qui se voulait un bombardier
permettait de motoriser beaucoup C’était l’œuvre de l’ingénieur bri- géant à grand rayon d’action noc-
d’avions de l’époque. Huit “Liberty” tannique Walter H. Barling, qui avait turne, NBL-1 (“Night Bomber, Long
étaient montés sur le Ca.60. Ce gage dessiné ainsi “le plus gros avion du Distance”). Le “Barling Bomber”
de fiabilité avait conduit à son adop- monde” comme il fut souvent décrit vola – fort mal – et pendant peu de

L’impressionnant
“Johns
Multiplane”
et ses sept
ailes de 32 m
d’envergure.
Il fut très
probablement
étudié pour
devenir un
bombardier
lourd à grand
rayon d’action.
Les nacelles de
part et d’autre
du moteur
central devaient
sans doute
accueillir des
tourelles avec
mitrailleuses.

79
“JOHNS MULTIPLANE”

USAF
Des militaires
temps à partir de 1923. Le bombar- américains effectua tout en plus quelques sauts Model A acheté par les militaires
dier géant était bien trop pataud pour entourent de puce à peine plus haut qu’un en 1909 fut le n° 1), il fut sans aucun
pouvoir prétendre intégrer les rangs le trimoteur pachyderme au cirque (rappelons doute comparé au sol aux avions en
des forces aériennes. Cette mission “Johns en passant que l’éléphant comme ligne dans l’United States Army Air
était aussi très probablement celle Multiplane”. la tortue ou l’escargot ne saute pas). Service, Langley regroupant alors le
du “Johns Multiplane”. Les quelques Il fut Statique, le “Johns Multiplane” plus grand nombre d’unités de bom-
chiffres disponibles montrent qu’il brièvement dut impressionner les militaires bardement. Le “Johns Multiplane”
avait une envergure un peu plus évalué par américains. Dès qu’il fut question apparaît par ailleurs sur une carte
petite que le “Barling Bomber” : l’armée. de rejoindre les airs, “ses ailes de postale du terrain de McCook Field
32 m contre 36 m. Il était aussi un géant l’empêchèrent de voler” pour dans l’Ohio. Comment s’était-il
peu plus court, 17 m contre 19 m. pasticher le poète. La machine fut déplacé entre la Virginie et l’Ohio ?
Sa masse devait dépasser en pleine aperçue en fâcheuse posture le Mystère ! En effet, malgré ses sept
charge les 10 t. Autant dire que ses Le “Johns nez dans l’herbe sur le terrain de ailes, le “Johns Multiplane” ne vola
trois “Liberty” (400 ch de puissance Multiplane” Langley en Virginie, où elle fut jamais véritablement. Ce fut aussi
à l’unité) devaient vite être poussés n’effectua que apparemment évaluée par le Naca le destin contrarié du Ca.60, acci-
dans leurs retranchements pour l’ar- des sauts de (National Advisory Committee for denté dès son deuxième vol en mars
racher du sol. puce avant de Aeronautics, l’ancêtre de la Nasa). 1921. Après 1920, il n’existe stricte-
disparaître. Dans la littérature de l’époque, il ment plus aucune trace du “Johns
Statique, il impressionne, Il fut aperçu est question de passages en souf- Multiplane”, pas plus d’ailleurs que
à Langley flerie de deux maquettes du “Johns de la société American Multiplane.
mais le décollage attendra (Virginie) Multiplane” qui permirent d’amélio- Il dut probablement connaître le des-
Si le “Barling Bomber” avait dû et McCook rer la stabilité longitudinale de l’avion tin du “Barling Bomber” en étant
contourner la chaîne de Appalaches Field (Ohio), – c’est-à-dire sa capacité à revenir à consumé dans un grand feu après
sans plus de
pour se rendre péniblement à une position d’équilibre en tangage. avoir traîné sur les bords de piste ou
précisions sur
Washington, le “Johns Multiplane” Sous le matricule 64119 (le Wright dans un hangar. ■
ses essais.

USAF

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Par Hangar 47 MAQUETTES

Dikam Death, P-40 de Robert Gale, pilote des Burma Banshees. Dikam pour le nom d’un improbable tord-boyaux local. “Vous avez
beau dire, y’a pas seulement que d’la pomme, y a aut’chose… Ça serait pas des fois de la betterave ?” (Audiard)

Curtiss P-40 “Warhawk” entièrement détaillé, et la bonne repré-


sentation des entrées d’air, tuyères
é-

Tiger Model, Cute Plane Kit series. et logements de train. Le fuselage


est bien sûr spécifique avec son
C’est de Chine que nous nez radar et le long poste de pilo-
est parvenue cette tage biplace. Trois gros réservoirs
seconde caricature de supplémentaires s’installent sous
P-40, après la version “œuf” le biréacteur. Tous les marquages de servitude sont fournis et les trois
créée par Hasegawa il y a camouflages proposés, britanniques, sont vert et gris.
40 ans. Finement gravée, la
maquette de ce qui semble Notre appréciation : maquette pleine de qualités pour un sujet
être un P-40M ou N, com- très original qui ne manque pas d’élégance.
prend un habitacle aménagé ett
un train d’atterrissage détaillé. Mât
d’antenne et pitot gagneront à être P-40E “Claws and Teeth”
affinés et la verrière restera close, Special Hobby, 1/72
à moins de se lancer dans une
chirurgie plastique. Les marquages Ce sont de nouvelles décal-al-
adhésifs oou de dé
sont fournis au choix sous forme d’adhésifs dé- comanies qui justifient
calques, mais comme l’unique décoration concerne un P-40 des “Tigres cette nouvelle édition de
volants”, mieux vaudra piocher une alternative plus adaptée comme le la maquette déjà présentée dans
P-40N-1 piloté par Bob Gale au sein des Burma Banshees (lire Le Fana notre rubrique. La notice en cou-
de l’Aviation n° 529) représenté sur mon illustration. Signalons enfin leurs décrit deux avions vert olive
une réédition de cette boîte enrichie d’une figurine de toutou militaire et deux avions camouflés vert et
américain ! Rising Decals a également produit deux planches, au 1/48 et brun. Chacun porte une marque
1/72, pas forcément faciles à dénicher : elles pourront fournir personnelle originale, aigle, tigre ou dents de requin.
les éléments nécessaires à ces décorations. Jean Barbaud
Notre appréciation : nouvelles livrées pour une maquette bien
Notre appréciation : Miam ! Un nouveau P-40 “Warhawk” qui ne détaillée.
se prend pas au sérieux, on en salive d’avance en espérant que
d’autres versions seront au menu !
L’agenda du maquettiste
A.W. “Meteor” NF Mk.12 Bissegem-Courtrai (Belgique), 5 avril 2020, 25e exposition de maquettisme,
“Defending the UK Skies” concours, bourse d’échange organisée par IPMS Moorsele, OC Troubadour,
Vlaswaagplein 3, de 9 h 30 à 17 h 30. Rens. : Facebook, site Internet :
Special Hobby, 1/72 IPMS Moorsele ou courriel : ipmsmoorsele@telenet.be
Bollwiller (68), 26 avril 2020, 20e expo-bourse de maquettes,
Encore une magnifique illustration pour la boîte de ce modèles réduits et jouets anciens, organisée par l’AGSP, salle polyvalente,
“Meteor” de chasse tout temps. La maquette de base est bien de 9 h 00 à 17 h 00. Rens. Tél. : 06 07 62 97 65
connue, avec sa gravure fine et précise, son poste de pilotage
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