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« GARDEZ-MOI DE MES AMIS »

BOMBARDEMENTS ALLIÉS SUR L'ALLEMAGNE


Friendly Fires dans le Pacifique
Instruments de la victoire ou ravageurs inutiles ?
L'AÉRONAUTIQUE MILITAIRE
Aérorama Belgique

TROIS JOURS EN MAI


Raids américains sur la Provence

Belgique, Espagne, Italie, Portugal Cont., Lux. : 7,90 €


Canada : 14$C - Suisse : 13 CHF - Maroc : 75 MAD
Aérojournal n°70
Avril / Mai 2019
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M 05757 - 70 - F: 6,90 E - RD
AVRIL
carapresse &tère carapresse &tère MAI
éditions
2019éditions
ACTUELLEMENT EN KIOSQUE
cara tère
Aérojournal n° 70 Batailles & Blindés n° 90
presse & éditions
Ligne de Front n° 78
DANS L’OMBRE DE MARSEILLE

FRANCE 1941 Divisions cuirassées

PANZER-BRIGADEN vs PATTON
Les autres Experten en Afrique

cara publishing
tère contre Panzer-Divisionen

Arracourt 1944
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LOS! n° 43 Trucks & Tanks n° 72 AJ Hors-Série n° 32


ACTU : LOW BACKGROUND STEEL // LEXIQUE : GRADES & OFFICIERS-MARINIERS

de la Grande Guerre Patriotique


Un cuirassé dans la tourmente

QUEL EST LE MEILLEUR CHAR

LES LOUPS GRIS DU KAISER


LA PREMIÈRE U-BOOTWAFFE
DEUTSCHLAND / LÜTZOW

(du monde) en 1940 ?

LES CHASSEURS MIG

LE DUEL
SYDNEY CONTRE KORMORAN
UN COMBAT À MORT

LES MOUCHES DU COCHE


QUAND LES BRISTOL BEAUFORT
HARCÈLENT LA KRIEGSMARINE

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TnT Hors-Série n° 31 Los! Hors-Série n° 20 BB Hors-Série n° 39


Opé. aéronavales du débarquement
en présence

OPÉRATION « NEPTUNE »

LES 10 DERNIERS JOURS


France, Belgique : 14,90 € - espagne / iTalie / porT. conT. / lux. / grèce : 15,50 €

Le 6 juin 1944, 130 000 combattants et 20 000 véhicules alliés


doivent atteindre le sol normand. Pour les y acheminer, il a fallu
rassembler quelque 4 300 navires et 2 600 embarcations d’assaut,
mis en œuvre par plus de 150 000 marins, un effectif supérieur à
RUSSIE VERSUS OTAN

celui des troupes mises à terre dans la journée. On le comprend, il


ne peut y avoir d’opération amphibie sans composante maritime.
Dans ce vingtième hors-série LOS!, Luc Vangansbeke revient sur
l’aspect naval d’Overlord. L’auteur explique comment a été choisi
le site du débarquement, quels types de navires ont été utilisés et
quel matériel il a fallu inventer, puis il développe les préparatifs et
Trucks & Tanks Hors-série n°31

l’organisation de cette immense armada alliée, pour traiter enfin les


suisse : 25 cHF - canada : 25$c

x autres membres de l’OTAN d’intensifier leurs efforts opérations navales elles-mêmes. Une documentation riche et complète
Russie procède à des exercices de très haute intensité,
abondamment illustrée de photos, plans et cartes.
ontrer que ses forces armées affichent toujours un haut
nte selon certains observateurs à une « simulation de
3’:HIKNRA=YVY^UU:forces

es tourne toujours à l’avantage numérique de l’Alliance


difficultés financières, modernise continuellement ses
per des équipements dernier cri. Alors que Poutine
nce de la Russie, alors que les analystes occidentaux
s manques d’investissement, ce hors-série se propose
rvice dans les deux camps.
?k@a@d@b@p";
M 03704 - 31H - F: 14,90 E - RD
États des

du Reich

M 04638 - 20H - F: 14,90 E - RD LOS! Hors-série n°20 / Avril - Mai 2019

3’:HIKOQD=]VY^U\:?k@a@m@a@f"; France / Belgique : 14.90 €


Espagne / Italie / Port. Cont. / Luxembourg /
Grèce : 15.50 €
Suisse : 25 CHF / Canada : 25 $C

Renseignements : Éditions Caraktère - Résidence Maunier - 3 120, route d’Avignon - 13 090 Aix-en-Provence - France
Tél : +33 (0)4 42 21 06 76 - www.caraktere.com
L'ACTUALITÉ DE L'AÉRONAUTIQUE p. 04
Dogfights, F-117 en Zone 51, F-35 naval...

L'AÉRONAUTIQUE MILITAIRE p. 10
Aérorama Belgique

NOTAM

70
[NOTICE TO AIR MEN]
TROIS JOURS EN MAI p. 22
Raids américains sur la Provence
AS VENTURA EN AFRIQUE
DANS L'OMBRE DE MARSEILLE p. 34
On sait à peu près tout du parcours Les autres Experten en Afrique
d’Hans-Joachim Marseille car tout ou presque
a été écrit sur l’as des as du théâtre d’opéra-
tions africain. Au point que l’on en a oublié
les autres Experten de la Luftwaffe ayant
combattu en Afrique du Nord. Ce ne sont
pourtant pas les grands noms qui manquent !
Bär, Müncheberg, Rudorffer, Geisshardt,
Bühlingen, Michalski ont tous effectué des
« tours » plus ou moins longs, et avec des
fortunes diverses, sur ce continent, alors
que d’autres talents y ont éclos, à l’instar
de Schroer, Stahlschmidt, Schulz ou Rödel.
Et ces pilotes sont loin de tous appartenir à « GARDEZ-MOI DE MES AMIS » p. 56
l’incontournable JG 27. Durant presque deux
Friendly Fires dans le Pacifique
ans et demi, ces as allemands se frottent aux
aviations alliées et signent de spectaculaires
BOMBARDEMENTS ALLIÉS SUR L'ALLEMAGNE
succès – certains y enregistrent même leurs p. 66
premières victoires sur des quadrimoteurs Instruments de la victoire ou ravageurs inutiles ?
américains –, avant l’inexorable montée en
puissance de l’ennemi qui n’autorise plus LES AVENTURES DU LERCHE PERDU p. 78
qu’une seule embellie, passagère, en Tunisie. L’évasion de Werner Lerche sur Do 335
C’est l’épopée de ces hommes, éclipsés par
l’« Etoile d’Afrique », que nous vous contons
AU SOMMAIRE DU N°71

dans ces pages.

Bonne lecture à tous.

DÉSASTRE À SCHWEINFURT
Aérojournal n°70 Service Commercial : Imprimé en Espagne par :
3 120, route d'Avignon Rivadeneyra, Madrid
Bimestriel // Avril - Mai 2019 13 090 Aix-en-Provence - France
ISSN : 1962-2430 Téléphone : 04 42 21 06 76 -O
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l'Actualité
de l'Aéronautique
Inde / Pakistan / Duel

DOGFIGHTS
ENTRE L’INDE ET LE PAKISTAN !
Par Loïc Becker

 st une annonce qui a fait grand bruit à la fin


e sur sa propre implication dans l’attaque, oriente l’Inde vers une
du mois de février 2019 : l’Inde et le Pakistan, action militaire en représailles. Le 26 février 2019 au matin, douze

C'
à couteaux tirés depuis les années 1960, ont Mirage 2000H indiens décollent de différentes bases et frappent un
échangé des tirs et les aviations des deux camp d’entraînement du groupe terroriste au Pakistan. La guerre
pays se sont livrées à un véritable dogfight, des chiffres débute alors : selon les Indiens, les frappes ont détruit
menant à la destruction de deux appareils. La un camp d’entraînement et fait 350 morts, alors que de leur côté,
question du Cachemire est centrale dans les les Pakistanais affirment que les bombes n’ont rien touché. L’incident
relations entre ces deux puissances nucléaires est suffisamment grave pour que les troupes le long de la frontière
qui ont mobilisé des appareils datant pour commencent à échanger des tirs durant la journée du bombardement,
certains de la fin de la Guerre Froide. marquant les premiers affrontements armés depuis la fin du conflit
de 1971 (même si des tirs sont échangés quasiment tous les mois).
Pour mieux comprendre la montée de tensions entre l’Inde et le
Pakistan au début de l’année 2019, il faut remonter au 14 février
de la même année lorsqu’un attentat-suicide perpétré par un groupe LA RIPOSTE PAKISTANAISE
terroriste islamiste pakistanais fait 40 morts dans l’état du Jammu- Le 27 février au matin, le ciel au-dessus de la frontière indo-pakista-
et-Cachemire en Inde. Les victimes font toutes partie d’une force naise est chargé de nuages. Au pied de l’Himalaya, un radar indien,
paramilitaire indienne, la Central Reserve Police Force, qui était alors ses « grandes oreilles » pointées vers le Pakistan, commence à rece-
acheminée en bus. Mais la localisation du groupe terroriste sur le voir de nombreuses informations. Les opérateurs ne perdent pas de
sol pakistanais, malgré les démentis du gouvernement d’Islamabad temps à se rendre compte qu’une formation aérienne pakistanaise

4
le groupe pakistanais est composé d’au moins
2 huit F-16, quatre Mirage-III, quatre JF-17
Thunder et un Saab 2000 Erieye. Les pre-
miers appareils indiens engagent alors le
combat, notamment le Wing Commander
Vartaman et son Mig-21 « Bison » : un F-16
pakistanais est « accroché » par son appa-
reil, et malgré les manœuvres évasives, il est
abattu par un missile air-air Vympel R-73 tiré
par son poursuivant. Cependant, au même
moment, deux missiles air-air pakistanais
explosent non loin du chasseur indien ;
les commandes ne répondant plus, son pilote
doit évacuer l’appareil en parachute. Tombé
au Pakistan, il sera détenu deux jours avant
d’être relâché dans un geste d’apaisement
provenant d’Islamabad.

OÙ EST LE F-16 ABATTU ?


3
Dès la fin du combat aérien, Pakistanais et
Indiens se sont empressés de revendiquer
chacun deux victoires. Cependant, la réalité
est bien plus nuancée, car si l’évidence de la
destruction de l’appareil indien n’est plus à
chercher, celle de l’appareil pakistanais n’est
pas encore fournie. La Pakistan Air Force
réfute avoir perdu un avion dans ce combat,
tandis que les Indiens affirment disposer de
preuves matérielles, notamment de pièces
de l’appareil, confirmant la destruction de
l’avion pakistanais. Il faut chercher plus loin
pour comprendre l’intérêt qu’a le Pakistan
à ne pas reconnaître la perte de son F-16 :
les États-Unis, lors de la vente de ce lot
d’appareils à Islamabad, ont imposé à ce
qu’ils ne servent pas de manière offensive.
Difficile de justifier une utilisation défensive
a décollé et se dirige vers l’Inde. Les 25 appa- que quand trois appareils pakistanais fran- si le F-16 abattu est tombé en territoire
reils pakistanais, 24 chasseurs et un avion chissent la frontière que les avions indiens indien… Cependant, il faut noter que les
de contrôle, volent le long de la frontière, engagent le combat ; il s’avère en fait que les MiG-21 « Bison » se sont montrés légè-
comme s’ils cherchaient des adversaires. Pakistanais (trois F-16), au même moment, rement supérieurs aux F-16 pakistanais.
Huit de leurs homologues indiens décollent tirent des missiles guidés sur un dépôt de Depuis, la tension semble retomber entre
instantanément : deux Su-30, deux Mirage munitions qu’ils loupent. À ce moment, les deux pays, qui n’ont aucun intérêt dans
2000H et quatre Mig-21 « Bison ». Ce n’est la situation commence à devenir plus claire : l’escalade de la violence - ni leurs voisins.

1 Un F-16 des forces 4


aériennes pakistanaises en
vol. Son utilisation dans une
dimension offensive risque de
compliquer les relations entre
Islamabad et Washington. (DR)

2 Un MiG-21 « Bison » des


forces aériennes indiennes sur
le tarmac. Même si cet appareil
(modernisé) date des années
1960, il reste encore très
efficace en combat aérien. (DR)

3 Le JF-17 est un avion sino-


pakistanais qui est entré en
service au début des années
2000. Le prix assez bas de cet
appareil en fait un candidat
sérieux à l'export.
(Creative Commons 2.0 - Eric Salard)

4 De son côté, l'Inde déploie


encore des Mirage 2000 :
ce sont eux qui ont mené
les frappes sur le camp
d'entraînement du groupe
terroriste au Pakistan à
l'origine de l'incident. (DR)

5
l'Actualité
de l'Aéronautique

51
Chasseur furtif / US Air Force / Guerre Froide

F-117
APERÇU EN VOL
UN NON LOIN

Par Loïc Becker


DE LA
ZONE

C
1

ette apparition n’a rien à voir avec les spéculations entourant la zone militaire a eu la surprise d’apercevoir à travers son
américaine la plus connue. Mais le F-117, premier avion d’attaque au sol téléobjectif non loin de la Zone 51 la sil-
à signature très réduite, est un symbole de l’aviation de la fin de la Guerre houette bien reconnaissable de l’appareil
Froide. Retiré du service en 2008, un exemplaire a néanmoins été repéré furtif. Simple « sortie du hangar » pour un
par un photographe à la fin du mois de février… ancien appareil ou possible remise en ser-
vice de ce Lockheed Martin ? La question
La carrière en elle-même du F-117 est digne à tel point que le gouvernement américain mérite d’être posée dans une époque où
des plus grands secrets d’État. Si les diffé- est obligé de reconnaître publiquement les coûts de développement d’un nouvel
rents pays ont cherché (notamment l’URSS en 1988 qu’il dispose d’un appareil furtif. appareil à basse signature radar tendent à
et les États-Unis) dès les années 1950 Sur les 59 exemplaires assemblés, seul un a être de plus en plus élevés…
à obtenir un appareil « furtif » (c’est-à-dire été perdu au feu le 27 mars 1999
avec une signature radar extrêmement faible au-dessus de la Serbie pendant la 2
afin qu’il ne puisse pas être « accroché »), guerre du Kosovo. Abattu par une
le F-117, lui, est rentré dans la légende, batterie de S-125 serbe, l’appareil
et pas seulement pour son fuselage très a de suite fait l’objet d’un intérêt
caractéristique. très marqué par la Russie (qui a
Après avoir effectué un premier vol inaugu- reçu une aile de l’appareil) et par
ral en 1981, le F-117 de Lockheed Martin la Chine, qui a tenté par tous les
entre en production de série en 1982. Afin moyens possibles de récupérer
de conserver la dimension secrète du pro- des débris de l’épave.
gramme (car finalement présenter un avion Cependant, après une carrière
furtif à la presse réduit déjà son degré de fur- opérationnelle d’une trentaine
tivité…), le gouvernement américain prend d’années, les F-117 ont été
de nombreuses décisions, comme celle de remisés en 2008… jusqu’à
ne faire voler les appareils seulement la nuit. preuve du contraire. Or, à la
Mais de nombreux incidents émaillent les fin du mois de février, le photo-
premières années de service de l’appareil, graphe britannique Neil Jackson

6
F-35
F-35 / Pologne / USA

LA
POLOGNE VA ACQUÉRIR DES
Par Laurent Lagneau 1 De par son histoire, le
F-117 est un des appareils
les plus emblématiques de la
Guerre Froide. Sa silhouette
doit réduire au maximum
sa signature radar. (DoD)

2 La Zone 51 reste un terrain


d'entraînement privilégié pour
l'US Air Force, mais s'y trouve
aussi un cimetière d'appareils
militaires déclassés. (DR)

3 L'acquisition de F-35 par la


Pologne lui permettrait de tirer
un trait sur ses matériels aériens
datant de l'époque soviétique
et de moins en moins adaptés
à la guerre moderne. (DoD)

4 Le F-35 est un avion de


combat multirôle de cinquième
génération qui n'est pas exempt
de critiques, notamment sur
son coût final ou son entretien.
Ses capacités demeurent
néanmoins très attrayantes
pour des forces aériennes qui
en ont les moyens, comme
3 celles de Pologne. (DoD)

EN
août 2017, redoutant d’être question de reporter ce programme, appelé – Missile de croisière naval), de l’Allemand
dans le collimateur de la « Harpia », « à la seconde moitié de la prochaine ThyssenKrupp Marine Systems (U212) et du
Russie et après avoir fait une décennie. » Selon M. Blaszczak, il est en effet suédois Kockums (A-26).
« chasse aux sorcières » dans urgent de remplacer les MiG-29 et les Su-22 Depuis 2017, Varsovie a conclu plusieurs
les rangs de l’armée, Varsovie annonçait un « Fitter » (avion d’attaque) hérités de la période contrats auprès d’industriels américains. Ainsi,
effort en matière de défense d’un montant soviétique. Ces appareils sont « sans grande les forces armées polonaises seront bientôt
de plus de 45 milliards d’euros sur 15 ans valeur de combat, inutiles », a-t-il fait valoir, dotées de 20 systèmes d’artillerie HIMARS
dans le cadre d’un plan intitulé « Conception rapporte l’AFP. (pour 365 millions d’euros) et de batteries de
de développement des forces armées à l’ho- Probablement qu’il s’agira également d’accé- défense aérienne Patriot (3,8 milliards d’euros).
rizon 2032. » lérer la manœuvre au sujet du renouvellement Pour rappel, la Pologne est déjà l’un des rares
des sous-marins, lequel suscite l’intérêt du pays de l’Otan à atteindre l’objectif des 2%
Cependant, même si ce plan laissait augurer un français Naval Group (Scorpène armé du MdCN du PIB en matière de dépenses militaires..
budget militaire polonais porté à 2,5% du PIB,
les montants annoncés restaient insuffisants 4
pour renouveler l’ensemble des capacités des
forces polonaises. « L’augmentation radicale
des effectifs de soldats ne devrait pas être une
priorité, mais la modernisation et la formation
de ce que l’on a. L’une se fera au détriment
des deux autres », avait déploré le général
Mieczyslaw Cieniuch, ex-chef d’état-major et
ex-représentant de la Pologne auprès de l’Otan
et de l’Union européenne.
À priori, Varsovie a changé son fusil d’épaule.
Moins de deux ans plus tard, le ministre
polonais de la Défense, Mariusz Blaszczak,
a annoncé un nouveau plan d’investissements,
qui, doté de 43 milliards d’euros, devra être mis
en œuvre d’ici 2026 (et non plus d’ici 2032.
« Il s’agit d’un chemin à suivre, d’une base de
départ pour le développement », a-t-il indiqué.
Et, désormais, l’acquisition de 32 avions de
combat de 5e génération (donc, des F-35A,
ndlr) est prioritaire, alors que ce n’était pas
le cas précédemment étant donné qu’il était

7
l'Actualité
de l'Aéronautique
Top Gun / F-5 Tiger II / Retraite

F-5
LES DERNIERS TIGER II
VONT ENCORE JOUER LES PROLONGATIONS
DE L’US NAVY

Par Laurent Lagneau

A
rborant une livrée noire ornée d’étoiles rouges cerclées de jaune et rebap- un « Programme d’assistance militaire », lancé
tisés « MiG-28 », des F-5 Tiger II donnèrent, par la magie du cinéma, du en 1965.
fil à retordre aux F-14 Tomcat pilotés par « Maverick » et « Iceman » dans C’est ainsi que l’un des rares points communs
le film Top Gun, sorti dans les salles obscures il y a maintenant plus de entre les États-Unis et l’Iran est de mettre en
trente ans. Depuis, les F-14 Tomcat ont replié définitivement leurs ailes… œuvre ce type d’appareils. Ceux actuellement
Et les F-5 Tiger II continuent de voler aux États-Unis. utilisés par la force aérienne iranienne devraient
rester en service au-delà de 2040, malgré les
Et sans doute pour encore quelques années. John Stafford, cadre chez Northrop Grumman. difficultés pour se procurer des pièces déta-
En effet, et preuve que la fiction n’était pas très Conçu à la fin des années 1950 (le prototype chées. D’ailleurs, en août dernier, Téhéran
éloignée de la réalité, l’US Navy et l’US Marine a effectué son premier vol en 1959, ndlr), a prétendu avoir mis au point le Kowsar, un
Corps utilisent actuellement quelques dizaines le F-5 devait être initialement un chasseur léger nouvel avion de combat de conception 100%
d’exemplaires pour tenir le rôle « d’agres- destiné à l’US Air Force, avant de connaître un iranienne… qui ressemble comme deux gouttes
seurs » dans les simulations de combat aérien. réel succès à l’exportation, grâce notamment à d’eau au F-5 américain.
Alors qu’il est de plus en plus question de faire
appel à des sociétés privées ayant acquis d’an- 2
ciens avions de combat pour l’entraînement
des pilotes de chasse, l’US Navy et l’USMC
ont l’intention de prolonger encore la durée de
vie de leurs F-5 Tiger II « Agressors », à en
croire un contrat de 16,8 millions de dollars
que vient d’attribuer le Pentagone à Northrop-
Grumman, le 12 février dernier.
« Cette modification du contrat prolonge la
période d’exécution et assure la maintenance
des 44 avions F-5N / F de la Marine et du
Corps des Marines. […] Cette modification
prévoit l’inspection, la réparation, la révi-
sion générale, les réparations d’urgence, les
modifications, l’assistance technique et l’ap-
provisionnement en composants nécessaires
au fonctionnement et à la maintenance du
F-5N/F », a précisé le Pentagone.
« Durant cette phase de maintenance, nous
recevons l’avion et le démontons pour inspec-
tion. Nous savons, à l’avance, que certaines
pièces devront être remplacées en raison des
heures de vol effectuées par l’avion », a déclaré

8
Dassault / Qatar / Vente d'armes

DASSAULT AVIATION
RAFALE QATAR
A LIVRÉ
UN PREMIER
Par Laurent Lagneau
AU

EN
mai 2015, Dassault Aviation obtenait son second contrat à l’exportation Égypte (où la levée d’une option pour 12 appa-
pour son avion de combat Rafale, commandé à 24 exemplaires par le reils de plus est envisagée), au Qatar et en Inde
Qatar, le tout pour un montant de 6,3 milliards d’euros. Puis, à l’occasion (36 exemplaires), Dassault Aviation a dû porter
de la visite du président Macron à Doha, l’émirat levait une option pour la cadence de production du Rafale à deux
12 appareils supplémentaires pour 1,1 milliard d’euros. avions par mois, contre un seul auparavant.
Pour le moment, 96 Rafale ont été commandés
Alors que 23 des 24 Rafale commandés par Rafale perpétuera la tradition et contribuera à pour les besoins de forces aériennes étran-
l’Égypte ont été livrés, Dassault Aviation vient assurer la souveraineté de l’État du Qatar. » gères. Selon Le Figaro, le premier des 36
de remettre le premier des 36 exemplaire des- À noter que, actuellement, les pilotes et les avions attendus par l’Inde devrait être livré
tiné à la Force aérienne de l’Émir du Qatar, lors techniciens de la QEAF sont en cours de forma- en septembre 2019.
d’une cérémonie organisée ce 6 février à son tion au sein de l’armée de l’Air (à Saint-Dizier,
usine de Mérignac, en présence de Khalid bin ndlr) et de « l’industrie française ».
Mohamed Al Attiyah, vice-Premier ministre du Pour rappel, ces quatre dernières années, 1 Pour de nombreux passionnés, le F-5 Tiger II
restera pour longtemps encore un des appareils
Qatar et ministre d’État chargé de la Défense, le Qatar a multiplié les commandes d’avions mythiques du film Top Gun. Quelques exemplaires
de Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État de combat. Outre les 35 Rafale, l’émirat a en ont encore conservé leur livrée du film.
auprès de la ministre des Armées et du général effet signé des contrats pour 36 F-15 amé- (Creative Commons 2.0 - Tomàs del Toro)
Mubarak Al Khayareen, le chef d’état-major ricains et 24 Eurofighter Typhoon. Aussi, la
2 Le F-5 Tiger II joue déjà le rôle d'agresseur
de l’aviation militaire qatarie. QEAF va voir son format être multiplié par 8, depuis de nombreuses années lors des
« Cette première livraison est conforme au ce qui paraît hors de proportion pour un pays entraînements de l'US Air Force.
calendrier », a fait valoir l’avionneur, via qui compte 2,7 millions d’habitants (résidents
un communiqué, dans lequel il souligne étrangers compris). En outre, l’entretien de 3 Le Qatar est un client régulier de l'industrie
d'armement française, et le Rafale en est
« l’importance du partenariat historique et plusieurs flottes différentes risque de lui poser un des produits phares. Multirôle, l'appareil
stratégique qui unit le Qatar, la France et en matière d’approvisionnement, de formation a séduit de nombreux militaires et aviateurs
Dassault Aviation. » Et d’ajouter : « Après le pour les pilotes et de gestion de compétences. de l'émirat pour sa polyvalence.
(Creative Commons 2.0 - Alan Wilson)
Mirage F1, l’Alpha Jet et le Mirage 2000, le Quoi qu’il en soit, avec les contrats signés en

9
AÉRORAMA

1920
1939
x Gladiator du Sergent Pirlot.
Cet avion sera abattu le
11 mai 1940 près d'Eben-
Emael par des chasseurs
allemands. (Antonis Karydis)

L'Aéronautique
Militaire
Aérorama Belgique
par Stéphane De Bast

A
vec son territoire conquis à plus de 90 % par les A llemands, la Belgique sort
exsangue du premier conf lit mondial. Outre les destructions, les Belges ont
eu à subir des massacres de civils, des contributions de guerre, des amendes
collectives, ainsi que la déportation de plus de 100 000 ouvriers. Le pays est à
reconstruire, tout comme l’est son aviation militaire.
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Aérorama Belg militaire
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P
ourtant, la Belgique ne figure pas majeurs est de s’affranchir des constructeurs petites dimensions participent de près ou de
au rang des nations majeures lors étrangers (ayant trop souvent livré des appa- loin au renouvellement du parc aérien comme
du Traité de Versailles de 1919, reils non désirés par leurs propres aviations la SEGA, ou Société Générale d’Aéronautique
n’ayant de fait droit à aucune pendant le conflit). La démobilisation qui suit (à ne pas confondre avec un développeur de
reconnaissance pour sa résis- l’Armistice pousse certains aviateurs dans les jeux vidéo japonais !).
tance face à l’agression. Le pays compagnies aériennes civiles qui fleurissent. Les armées allemandes laissent sur le territoire
ne prend donc pas part aux négociations ; il D’autres participent à la fondation de sociétés belge de nombreux avions ainsi que plusieurs
obtient toutefois un gain territorial – les régions de constructions. terrains qui sont réutilisés. Il est évident que le
d’Eupen et Malmedy – ainsi que des répara- Ancien pilote du Roi Albert, Jean Stampe bond technologique effectué durant les quatre
tions de guerre, qui ne seront que partiellement s’associe avec un autre aviateur démobilisé, années du conflit rend les infrastructures
honorées. En outre, une partie de la Ruhr Maurice Vertongen, pour créer une école de d’avant-guerre complètement obsolètes. Ces
sera occupée par l’armée belge jusqu’en 1923- pilotage. Avec l’aide de l’ingénieur Alfred terrains aménagés par les Allemands offrent de
1924. L’aviation militaire, qui fait partie de l’ar- Renard, ils construisent plusieurs types d’avions belles possibilités pour l’aviation civile autant
mée – elle en est la cinquième arme – y envoie d’écolage. Les appareils issus de ce trinôme que militaire. On assistera au même phéno-
un détachement. En contrepartie, la Belgique sont connus sous le sigle « RSV » (« SV » mène après la deuxième guerre mondiale et
doit renoncer à son statut de neutralité pro- lorsque les deux premiers sont concernés). la construction de la base de Florennes par les
tégée. En 1925, le traité de Locarno assure Alfred Renard quitte cette triple association Allemands, l’une des deux principales bases de
l’inviolabilité des frontières belgo-allemandes pour fonder la Société « Renard Constructions la Force Aérienne Belge d’aujourd’hui. Ainsi,
et franco-allemandes. Celles-ci sont garanties Aéronautiques » à Evere qui produit aussi ses au début des années 1920, la chasse s’ins-
par l’Allemagne, La France, le Royaume-Uni, propres moteurs. L’ingénieur aura tôt fait de talle à Nivelles et Schaffen, le bombardement
l’Italie et la Belgique. Chacun des pays s’enga- présenter des avions « made in Belgium » aux à Bierset (Liège), la reconnaissance à Evere
geant à intervenir militairement contre celui qui autorités militaires, mais il se heurtera souvent (Bruxelles) et un groupe de coopération à
ne respecterait pas cet engagement. Ce traité à leur manque de confiance ! Le Commandant Goetsenhoven (Tirlemont).
tombe bien, car face au manque de moyens, la Nélis, qui dirige le Service Technique depuis
Belgique réduit drastiquement la durée du ser- 1915, mûrit l’idée de construire une industrie
vice militaire. Cependant, le traité de Locarno aéronautique belge tout au long de la guerre. TOUJOURS EN SERVICE…
ne durera que quelques années, avant qu’Hitler Auteur d’un pamphlet intitulé « L’Expansion de
ne passe complètement outre ! la Belgique par l’Aviation », il est prêt à lancer Au sortir de la Grande Guerre, l’heure est à
Parmi les principaux instigateurs de la son projet au sortir du conflit. Il fonde la Société l’économie : les finances publiques accusent de
Révolution Industrielle, la Belgique se doit de Anonyme Belge de Construction Aéronautique gros déficits, ce qui va se ressentir au niveau
développer une industrie aéronautique dans (SABCA) fin 1920 ; Nélis deviendra aussi le du parc aérien. En conséquence, de nombreux
les années 1920. Les constructions d’avant- premier directeur de la SABENA. Dès lors, avions acquis durant la guerre par l’Aviation mili-
guerre étaient du ressort de l’artisanat et la l’État belge va garantir la pérennité de l’en- taire Belge, qui devient l’Aéronautique militaire
guerre avait empêché le développement d’in- treprise par une série de commandes plus ou en mars 1920, restent en service au début de
frastructures adéquates. L’un des objectifs moins importantes. D’autres sociétés de plus la décennie, alors même qu’ils sont dépassés.

 Hanriot Dupont HD-1


9e Escadrille
Les Moëres (Furnes), Belgique, printemps 1918
© C. Fernandez, Aérojournal 2019

 Gotha G.IX
Unité inconnue
© C. Fernandez, Aérojournal 2019

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 Breguet XIV A2
3e Escadrille
Les Moëres (Furnes), Belgique, printemps 1918
© JM. Guillou, Aérojournal 2019

 Bristol Fighter F.2.B


École de pilotage (entraînement avancé)
Wevelgem, Belgique, 1930
© JM. Guillou, Aérojournal 2019

On pense, dans le domaine de la chasse, du conflit. Bien qu’il disparaisse des unités de l’article IV d’armistice avec l’Allemagne, 75
à l’Hanriot HD-1 et au catastrophique première ligne vers 1923, il continue à voler appareils doivent être fournis à la Belgique
Ponnier M1. tout au long de la décennie dans les écoles et une trentaine de ceux-ci sont utilisés en
Le premier continue à équiper les escadrilles de et comme appareil de liaison. Très apprécié Allemagne occupée au côté des SPAD S.XI
chasse à la fin de la guerre. Acquis en 1917 des pilotes pendant la guerre, le SPAD S.XI A2 qu’ils sont alors chargés de protéger (et
à 70 exemplaires, notamment parce que la A2, développement biplace du chasseur S.VII, non plus de détruire !). Un certain nombre est
France gardait la priorité sur les Nieuport et entre en service en mars 1918. Aussi rapide utilisé en école et tous les appareils y seront
SPAD, ce petit chasseur agile est toujours en que le Hanriot HD-1 et le Camel, il continue à affectés à partir de 1922. Plus surprenant,
première ligne durant une bonne partie des voler dans les escadrilles d’observation avant la Belgique fait main basse sur une petite
« années folles » ; il terminera sa carrière d’être retiré du service au milieu des années vingtaine de Gotha Go IX en 1919. On sait
comme avion d’entraînement. Son succes- 1920. Des SPAD S.XI sont présents en peu de choses sur l’utilisation de ces bombar-
seur, le HD-2, mieux armé avec deux mitrail- Allemagne à Bochum avec deux escadrilles qui diers au sein de l’Aviation militaire Belge ou
leuses et plus puissant, est commandé à 12 participent à l’occupation du pays. D’autres de l’Aéronautique Militaire (puisque certains
exemplaires, mais l’armistice met fin à ce avions issus de la Grande Guerre sont toujours volaient encore après 1920). Le manque de
projet et aucun n’est livré. Autre chasseur présents après celle-ci, mais plus en première pièces détachées pour ces avions ne permet-
français, le SPAD S.XIII continue à voler en ligne. Parmi ceux-ci le Sopwith 1 ½ Strutter tra pas de les maintenir en état de vol et ils
première ligne au début de la décennie avant qui revient de l’école de vol de Juvisy-Sur- sont rapidement retirés du service au début
de servir, lui aussi, comme appareil d’entraî- Orge en France tout comme le Caudron G3. des années 20. D’autres avions allemands
nement ou de servitude. Le Sopwith Camel, En 1919, l’école revient s’installer en Belgique sont récupérés en petits nombres et la plu-
dont 50 exemplaires sont entrés en service et continue à voler sur ces appareils. L’avion part d’entre eux « basculent » dans l’aviation
en 1917, continue à voler jusqu’en 1922. de Caudron, conçu avant la guerre et donc civile. Parmi ceux-ci, des Rumpler C.IV, LVG
L’excellent Breguet 14, fer de lance des complètement désuet, formera des élèves-pi- C.VI, Halberstadt CL.V…
escadrilles de bombardement et de recon- lotes jusqu’en 1927. La rusticité de l’appareil La paix retrouvée, les investissements mili-
naissance françaises durant la seconde partie et sa bonne stabilité ne sont pas étrangères taires se réduisent concernant l’aviation (ce
de la guerre, est aussi entré en service dans à ce choix. sera bien pire avec la crise de 1929). Des
l’aviation belge en 1918. Uniquement dans Conséquence de la défaite de l’Allemagne, appareils entrés en service durant le premier
la version A2. Dès la fin de la guerre, de 12 à la Belgique récupère un nombre important conflit mondial vont grossir les rangs de l’Aé-
15 appareils sont commandés, qui s’ajoutent d’avions du camp vaincu. C’est le cas pour ronautique militaire, et ce à moindre coût. En
à la trentaine reçus dans la dernière année l’excellent Fokker F.VII. Conformément à 1919, un détachement belge de la RAF basé à

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Aérorama Belg militaire
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 Ansaldo A300
4e Escadrille
1e Groupe d'observation
Goetsenhoven, Belgique, années 1920
© JM. Guillou, Aérojournal 2019

Buc et doté de De Havilland DH-4 avec moteur 17 remis à neuf et mus par un Hispano Suiza utilisé par deux pilotes militaires pour tenter
Rolls Royce Eagle VIII revient en Belgique. 6 8Fb de 300 chevaux (cette motorisation sera de battre le record du monde de durée de vol
de ces appareils arrivent à Evere en avril de à l’origine de l’appellation commune « Bristol en 1928 ! Toutes les huit heures, un autre
la même année. Le gouvernement belge en 300 » dans l’Aéronautique militaire). Ils sont appareil, véritable citerne volante avant l’heure
acquiert 5 après la dissolution de l’unité par livrés à Evere entre 1921 et 1922 puis rejoints et se tenant à moins de 10 mètres, approvi-
la RAF. Ces avions font alors partie d’une par 16 avions supplémentaires en 1923. La sionne le premier en carburant par un tuyau
unité chargée de tous les vols VIP et royaux. SABCA en produit environ 40 de plus à partir en caoutchouc. Après de multiples péripéties
Ils sont rejoints par deux Bristol F.2b de type de 1925. Mais suite au traité de Locarno et des comme le cisaillement du conduit de carbu-
14 équipés d’un Rolls-Royce Falcon III de 275 perspectives de paix qu’il engendre, plusieurs rant par l’hélice de l’avion ravitailleur, l’appa-
chevaux. Le premier est offert à Sa Majesté le unités de Bristol sont dissoutes. Les appareils reil atterrit 3 jours plus tard… Record battu !
Roi Albert en 1920. Il reçoit la lettre « A » et excédentaires sont envoyés dans l’école de Les De Havilland rejoignent l’écolage dans
le dessin d’une couronne dans une bande de pilotage dans laquelle ils resteront en service la seconde moitié des années 20 aux cotés
fuselage noire. Le second arrive en 1922 et jusqu’en 1930. Pour ce qui concerne le DH-4, des Avro 504. Ils sont acquis en 1921 à plus
est présenté à Sa Majesté la Reine Élisabeth. 21 avions sont encore livrés en 1920 dont six d’une cinquantaine d’exemplaires auxquels
C’est donc la lettre « E » qui est apposée sur à une compagnie civile. 19 autres appareils en s’ajoutent 28 avions construits par la SABCA.
le fuselage au côté de la bande noire et de sa provenance des stocks de la RAF sont livrés en Les élèves-pilotes volent aussi sur le Morane-
couronne. Il faut dire que le Roi Albert est un 1921. Enfin, la SABCA en livre 15 de plus en Saulnier MS-35 fabriqué également sous
grand admirateur de l’aviation qui participe 1926 malgré l’obsolescence de l’avion à cette licence par la SABCA depuis 1922. Autre
à de nombreux vols au-dessus du front pen- époque. Des DH-9 sont aussi fournis immé- appareil d’entraînement, le SAML qui puise
dant la guerre. Surnommé le Roi-Aviateur par diatement après la guerre par De Havilland. La ses origines dans l’Aviatik B1, mais équipé par
beaucoup, il n’hésite pas à essayer un nouvel SABCA en produit une trentaine entre 1922 un Fiat A12, est acheté en 1920 aux surplus
avion dès qu’il en a l’occasion. Il s’avère un et 1923. On ne connaît pas le nombre exact italiens en 10 exemplaires. Il est déjà déclassé
appui important pour l’Aéronautique militaire. de DH-9 utilisés par l’Aéronautique Militaire vers 1922 suite à de nombreux accidents.
Le Bristol plaît beaucoup et le gouvernement mais il semble qu’il y en ait eu au moins 103. À se demander pourquoi cet appareil est
belge passe commande de 15 exemplaires Ces avions sont utilisés pour l’observation et entré en service alors que d’autres appareils
du F2b pour équiper deux nouvelles unités de le bombardement. Un DH-9 modifié (moteur figurent déjà dans l’inventaire de l’Aéronau-
reconnaissance. Ce sont des appareils de type Siddeley-Puma de 240 chevaux) est même tique militaire.

 Avro 504N
École de pilotage
1e escadrille
St-Denijs-Westrem, Belgique, 1930
© C. Fernandez, Aérojournal 2019

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 Spad S.XI A2
4e Escadrille
Bockum, Allemagne, fin 1918
© JM. Guillou, Aérojournal 2019

 Spad S.XIII C1
10e Escadrille
Les Moëres (Furnes), Belgique, 1918
© JM. Guillou, Aérojournal 2019

ESSAIS stabilité désastreuse et au manque certain de les 88 derniers construits sous licence par la
DE STANDARDISATION fiabilité. De nombreux accidents émaillent la
carrière opérationnelle de l’appareil, surnommé
SABCA n’arrivent qu’en 1924. Mais l’appareil
ne plaît pas aux pilotes pour cause de fragi-
Tous ces avions ne sont donc pas récents et de manière peu flatteuse le « cercueil volant » lité ; de nouveaux appareils sont testés en
l’Aéronautique militaire cherche à s’équiper de par certains aviateurs. 1925. Dewoitine présente son D-9 et Avia le
matériel moderne au début des années 1920, En vue du renouvellement de la chasse, on BH-21. Le premier est un monoplan parasol, le
même si le bond technologique au cours de organise un concours qui va confronter plu- second un biplan, mais ils sont tous les deux
cette période de paix n’est pas énorme. Un pre- sieurs machines. L’Aéronautique militaire armés d’un duo de mitrailleuses Vickers de
mier objectif consiste à standardiser le matériel, acquiert divers chasseurs pour trouver le 7,7 mm. C’est ce dernier qui est choisi surtout
car une multitude d’avions différents sont pré- remplaçant des Hanriot HD-1, SPAD S-XIII en raison de son moteur Hispano Suiza 8Fb
sents dans les unités. Un autre vise à accroître et Sopwith Camel, sans oublier les Fokker ! pour d’évidentes raisons de standardisation,
le nombre d’unités dans l’aviation militaire pour Trois Morane AI concourent, tout comme deux mais aussi pour sa grande manœuvrabilité. La
satisfaire le vœu de créer une brigade aéro- Martynside F.4 Balbuzzard, un Sopwith 7F.1 remotorisation du D-9, qui consiste à remplacer
nautique composée de trois groupements, res- Snipe, un Ansaldo Ballila et enfin le Nieuport le Bristol Jupiter par un Hispano Suiza 12jb de
pectivement de chasse, de bombardement et Delage NiD-29 C1. Après différents tests, 400 CV, donnant ainsi naissance au D-19, ne
d’observation. Pour cette dernière branche, le c’est ce dernier qui est choisi par les autorités changera rien à cette décision. L’Avia BH-21
Ministère de la Défense choisit l’Ansaldo A300- militaires malgré le fait qu’il n’offre guère de est donc commandé à 44 exemplaires au début
3, triplace de reconnaissance. Cette décision progrès spectaculaires par rapport aux chas- de 1926. Cinq sont produits par la SEGA et le
va à l’encontre des avis et recommandations seurs de la génération précédente. Beaucoup reste par la SABCA. Ils entrent en service dans
des autorités de l’Aéronautique militaire. 30 de pilotes n’osent pas effectuer d’acrobaties les escadrilles de chasse basées à Schaffen et
avions motorisés par un Fiat A12bis de 300 à bord de l’avion, ce qui est généralement un Nivelles entre 1927 et 1928. Cependant, aussi
chevaux (rien de standard donc !) sont com- handicap lorsqu’on pilote un avion de chasse bizarre que cela puisse paraître, ils ne replacent
mandés à la firme italienne pour remplacer les (des Morane-Saulnier sont d’ailleurs présents pas tous les NiD-29 qui restent en service
SPAD XI et Breguet XIV dans les escadrilles dans les unités de chasse pour que les pilotes jusqu’en 1931 malgré leur obsolescence !
de reconnaissance. La SABCA construit 44 puissent s’adonner à la voltige !). Le gouver- Pour la reconnaissance et le bombardement,
avions supplémentaires en version A330-4 nement belge commande 108 exemplaires l’Aéronautique militaire s’intéresse de près
(avec capotage du moteur amélioré) qui sont équipés d’un Hispano-Suiza 8Fb de 300 ch (le au successeur du Breguet 14. En effet, le
livrés en unité à partir de 1923. Mais les pilotes même qui équipe les « Bristol 300 »). Les pre- Breguet 19 est une réussite manifeste qui ne
ne sont guère enchantés par cet appareil à la miers arrivent de France en 1922 alors que laisse pas indifférentes de nombreuses nations

14
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Aérorama Belg militaire
L'a ér on au tiq ue

 Sopwith F.1 Camel


11e Escadrille
Moerkerke, Belgique, novembre 1918
© JM. Guillou, Aérojournal 2019

étrangères de par ses capacités militaires et suivante et ce jusqu’à l’aube du second conflit d’autres avions développés sur la même base
ses records. Bien que l’appareil commence à mondial, comme avion de liaison. comme le RSV 22/180 et RSV 26/180. Le pre-
équiper les escadrilles d’observation (version Au rayon des constructions entièrement indi- mier est commandé à hauteur de 26 exem-
A2) et de bombardement (version B2), c’est gènes, Stampe et Vertongen développent en plaires et 30 pour le second. Pour anecdote,
bien plus tôt que l’avion suscite l’intérêt. Un collaboration avec l’ingénieur Alfred Renard le premier nombre se réfère à l’envergure de
premier prototype est présenté fin 1922, et la le RSV 32/90 d’écolage. Il ne faut pas être l’aile et le second à la puissance du moteur.
SABCA qui cherche à se développer au début grand clerc pour s’apercevoir que les élèves-pi- Ce n’est pas un numéro qui suit l’ordre de
de son existence reçoit une commande de lotes doivent souvent se former sur des avions développement comme à l’accoutumée.
6 avions motorisés avec trois moteurs diffé- déclassés qui n’ont pas été prévus à l’origine
rents : le Renault de 480 ch, le Lorraine-Dietrich dans ce rôle. Certains s’avèrent même dan-
12Eb de 450 ch, et l’Hispano Suiza 12ha de gereux pour des pilotes peu aguerris (et donc FAIREY PAR-CI,
450 ch… On est loin de la standardisation
tant recherchée ! Les deux derniers groupes
des apprentis !). Le RSV 32/90 remplit parfai-
tement ce rôle et remplace progressivement
FAIREY PAR-LÀ…
motopropulseurs seront utilisés pour les 146 et avantageusement le Fokker F.VII à partir de À la fin des années 1920, les Avia BH.21
appareils qui seront encore construits par la 1924. À noter que le Roi Albert exigea d’être sont déjà « largués » en termes de perfor-
SABCA en version A2 et B2 et livrés jusqu’en le premier passager du nouvel avion. Celui-ci mance. Que dire alors du NiD-29 C1 qui
1930. Certains sont utilisés pour de grands décolla avec Jean Stampe comme pilote pour fait office de pièce de musée à l’époque ?
raids à l’instar de ce qui se fait dans de nom- ce qui devait être le deuxième vol « officiel » Dès lors, un premier concours est organisé
breux pays avec le Breguet 19. Comme l’acti- du prototype. On imagine bien l’appréhension sous l’impulsion de l’énergique Général
vité militaire est assez réduite à cette époque, que devait avoir le constructeur à propos de Gillieaux, commandant de l’Aéronautique
des pilotes de l’Aéronautique militaire tentent la bonne conduite de ce vol et du retour « en militaire depuis 1928. Comme à l’accoutu-
de rallier des territoires éloignés comme la colo- entier » de Sa Majesté ! Les livraisons (14 mée, plusieurs appareils sont acquis et testés
nie du Congo. Ces raids montrent la fiabilité appareils) s’étalent sur plusieurs années, car suivant le cahier des charges élaboré pour
de l’appareil, mais aussi la qualité des pilotes. la société emploie un petit nombre d’ouvriers. le remplacement. On compte ainsi trois Avia
Les Breguet voleront encore toute la décennie Ces livraisons se font en même temps que BH-33 et trois Nieuport Delage NiD-72 C1.

 Avia BH-21
1e Escadrille
2e Régiment d'Aéronautique
Belgique, 1928
© C. Fernandez, Aérojournal 2019

15
 Fairey Fox II
3e Escadrille
1e Régiment d'Aéronautique
Goetsenhoven, Belgique, 1934
© JM. Guillou, Aérojournal 2019

 Fairey Fox VI
5e Escadrille
1e Régiment d'Aéronautique
Goetsenhoven, Belgique, 1937
© JM. Guillou, Aérojournal 2019

Ces avions sont essayés pendant de longs belges). Un appareil est envoyé en Belgique passer le nombre total à 87 Firefly utilisés
mois… avant qu’on ne s’aperçoive que le pour être testé. Ses qualités semblent faire par l’Aéronautique Militaire. Plus pointue que
temps qui a passé les a rendus obsolètes ! l’unanimité et sa vitesse de 350 km/h est ses prédécesseurs, l’école de pilotage n’est
Une histoire typiquement belge ! Un nouveau très appréciée (à comparer aux 235 km/h plus suffisante pour permettre aux pilotes de
concours est organisé avec une multitude de du NiD29 et aux 245 de l’Avia). C’est ainsi prendre l’appareil en main. D’ailleurs, une quin-
candidats : les Morane Saulnier MS-222 et que le Firefly écarte tous ses rivaux, malgré zaine d’accidents sont à déplorer durant les
Dewoitine D-27 français, tous deux mono- son coût plus élevé, pour le plus grand bon- premières années opérationnelles de l’avion,
plans parasols, le Bristol Bulldog II, l’Avia heur de Fairey (l’Air Ministry britannique a dont plusieurs mortels. On envoie des moni-
BH-33E (version complètement redessinée) préféré le Hawker Fury à celui-ci). Petit point teurs à l’étranger pour observer les méthodes
et le Renard Epervier national. Celui-ci est le d’honneur, c’est le Belge Marcel Lobelle qui d’entraînement. Ces observations débouchent
premier chasseur développé par l’ingénieur. est le concepteur de cet avion à structure sur la création de l’école de perfectionnement
Avion tout en contraste avec ses ailes para- métallique. Comme des accords sont signés en 1933. Tout pilote nouvellement breveté
sols anguleuses et son fuselage aux sections pour qu’une bonne partie des avions soient doit d’abord passer un stage de perfectionne-
circulaires, il a de bonnes caractéristiques de produits par une main-d’œuvre belge, la firme ment sous la supervision d’un moniteur avant
vol et est équipé du Gnome et Rhône Jupiter Fairey s’associe avec la SEGA pour fonder d’être versé en escadrille.
VII de 480 chevaux produit par la SABCA, une filiale belge. Cette association forme la Un autre avion Fairey est produit au même
ce qui est un avantage certain ! C’est la pre- Société Anonyme Avions Fairey qui installe moment que le Firefly pour les besoins de
mière déconvenue d’Alfred Renard, car un sa chaîne de montage à Gosselies dans la l’Aéronautique militaire en matière de recon-
autre chasseur est choisi… Hors concours qui banlieue de Charleroi (elle est l’ancêtre de la naissance et de bombardement. En 1928,
plus est ! En effet, un appareil a commencé à SONACA, qui participe aujourd’hui au dévelop- un concours est organisé pour remplacer les
pointer le bout de sa casserole d’hélice lorsque pement et à la production de plusieurs avions Breguet 19 et surtout les DH-4 et DH-9 com-
le Général Gillieaux et d’autres représentants civils et militaires comme l’A400M et l’A380). plètement dépassés, mais il ne débouche sur
ont assisté à la présentation du Fairey Firefly Cette société sera le principal challenger de rien de concret. Il faut attendre 1931 et la
IIM en Angleterre. Ils sont très impression- la SABCA durant la décennie. Une première présentation du Fairey Fox II, lui-même dû à
nés par celui-ci (l’uniforme gris ardoise de la commande de 45 appareils est passée dont Marcel Lobelle, pour que les autorités compé-
RAF impressionne aussi puisque décision est 20 construits à Gosselies et qui sont pris en tentes procèdent au remplacement. Construit
prise par après de l’adopter pour les aviateurs charge en 1932. D’autres commandes font lui aussi autour d’une structure métallique,

16
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Aérorama Belg militaire
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l’appareil est motorisé par un Rolls Royce frappant de constater que la politique de réar- plus régulièrement le territoire ? On tente alors
Kestrel à l’instar du Firefly ce qui permet mement du royaume se heurtera souvent à la le remplacement du Rolls Royce Kestrel de la
enfin une certaine standardisation. Une pre- crainte de crisper les tensions avec le voisin première version par un Hispano Suiza de 785
mière commande de 12 avions est passée, germanique, l’obligeant à s’enfermer dans une chevaux, donnant ainsi naissance au Firefly
très vite suivie de 31 autres construits dans stratégie purement défensive. La première de IV. Mais le projet n’ira pas plus loin que ce
la filiale à Gosselies (dont quelques-uns en ces possibilités consiste à améliorer les appa- prototype. Fairey a pourtant proposé un déve-
version Fox IIS avec double commande pour reils existants ou à développer de nouveaux loppement du Firefly avec le Fantôme équipé
l’écolage). Plus surprenant, on pense à créer projets auprès des constructeurs nationaux. d’un Hispano Suiza 12Ycrs, d’un canon et
une unité de bombardement de nuit dans La seconde s’oriente vers l’achat de matériel de quatre mitrailleuses. Présenté en 1935 au
les hautes sphères de l’Aéronautique mili- à l’étranger. Mais la neutralité de la Belgique, roi, il s’écrase deux jours plus tard à la suite
taire. Peu de types d’appareils se prêtent à déclarée en 1936 – pour éviter que les armées d’un piqué. Ce qui le condamne auprès de
cette activité et on reconvertit trois Fokker allemandes ne passent par son territoire dans l’Aéronautique militaire.
acquis auprès de la compagnie civile SABENA l’intention d’attaquer la France comme en L’affaire est tout autre concernant le Fairey
en bombardiers ! 1914 – va faire passer le pays au second Fox : il apporte une série importante de déri-
plan auprès des nations étrangères telles que vés rentrant en service dans les unités de
les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, première ligne et devient un véritable couteau
DE NOUVEAU, d’autant que ces pays sont eux-mêmes en suisse, se retrouvant dans les unités de recon-
L’OBSOLESCENCE plein réarmement.
L’inertie de la France et de la Grande-Bretagne
naissance et bombardement, d’entraînement,
mais aussi de chasse ! De nombreux Fox IIM
Au milieu des années 1930, alors que le martè- face au réarmement de l’Allemagne et à l’oc- des premières séries reçoivent une verrière
lement des bottes se fait de nouveau entendre cupation de la Ruhr n’est pas étrangère à cette au-dessus de l’habitacle. En 1935, le Fox
chez le voisin oriental de la Belgique avec le décision. Dès lors la politique militaire se fon- IIIC fait son apparition. Produit à 34 exem-
réarmement du troisième Reich, l’Europe se dera uniquement sur des principes défensifs plaires, il est mieux armé (deux mitrailleuses
lance une nouvelle fois dans une course à l’ar- et notamment l’amélioration des fortifications tirant vers l’avant) et reçoit aussi un cockpit
mement pour faire face à un éventuel conflit. de Liège et d’Anvers. Le gouvernement et le semi-fermé. Mais le moteur Kestrel devient
C’est aussi le cas pour l’Aéronautique militaire parlement s’enferment dans la stratégie de trop limité en puissance pour permettre tout
du royaume qui démarre avec beaucoup de 1914 sans prendre en compte les avancées développement. La version plus puissante est
retard. Sans doute à l’avant-garde au début de tactiques développées pendant la guerre d’Es- le Fox VI dérivé des Fox IV et V développés
la décennie, les Firefly et Fox s’avèrent dépas- pagne. Le budget donné à l’arme aérienne s’en en Grande-Bretagne à partir d’une cellule qui y
sés au milieu de celle-ci. Et ce, alors que le pro- ressent forcément ! est envoyée. Au retour de celle-ci, un Hispano
totype du Bf 109 s’envole en mai 1935, suivi Suiza Ydrs de 860 chevaux est monté, ce qui
quelques mois plus tard par les Hurricane et permet au Fox VI de voler à 360 km/h. Dès
Spitfire ! Que dire alors du Breguet 19 toujours AMÉLIORATIONS 1934, 24 exemplaires de la version R sont
utilisé dans les escadrilles de reconnaissance
et de bombardement ? Pire, l’Aéronautique
ET PROTOTYPES commandés pour la reconnaissance. De 1935
à 1937, 56 exemplaires seront produits en
militaire prouve son manque de préparation Pour la chasse, le Firefly voit le remplacement version de chasse biplace sous la dénomina-
lors de manœuvres militaires organisées en de son duo de mitrailleuses Vickers 0.303 par tion de Fox VIC. Quelques-uns seront équipés
septembre 1937 avec un tiers de son parc deux FN/Browning de 7,62 mm construites d’hélices tripales, notamment pour participer
aérien indisponible. Des Breguet 19 simulant localement. Une hélice plus légère en bois au meeting international de Zurich de 1937.
une attaque de la capitale se jouent facilement prend aussi la place de la Fairey Reed d’ori- Deux exemplaires sont transformés la même
de la chasse, malgré leur flagrante vétusté ; gine. Certains appareils recevront en plus un année par un radiateur ventral reculé, don-
reste que seuls 60 % de ceux-ci atteignent poste radio émetteur-récepteur. Mais quelle nant ainsi naissance au Fox VII « Kangourou ».
leur objectif. est l’utilité d’un changement de mitrailleuses Cette version monoplace reçoit un armement
Pour étoffer son parc aérien, deux possibilités si l’avion s’avère incapable de rattraper les porté à six mitrailleuses tirant vers l’avant,
s’offrent alors à la Belgique, malgré les moyens appareils de la Luftwaffe (ainsi que de la RAF soit 4 dans l’aile supérieure et 2 dans le
limités mis à sa disposition. Il est d’ailleurs et de l’Armée de l’Air) survolant de plus en fuselage. Mais le projet ne va pas plus loin.

 Fairey Firefly IIM


3e Escadrille
1e Régiment d'Aéronautique
Belgique, 1931
© JM. Guillou, Aérojournal 2019

17
Le dernier développement est le Fox VIII com- présérie de 6 machines, à construire dans les de 1 050 ch, et l’autre avec un Hispano Suiza
mandé à 12 exemplaires en 1938 ; il comporte ateliers Renard, avant un éventuel contrat por- de 860 ch, mais aucun de ces deux avions
une hélice tripale et un capot-moteur mieux tant sur l’achat de 40 exemplaires. Les dés n’est retenu pour une production en série.
profilé sans les mitrailleuses, l’armement étant semblent donc avoir été pipés en faveur du Lancée dans la course à l’armement, et
constitué des 4 mitrailleuses de l’aile supé- chasseur britannique, car l’accident d’un pro- malgré de faibles moyens, l’Aéronautique
rieure. Les Fairey Fox seront donc les plus totype est monnaie courante à cette époque et militaire doit acheter des avions à l’étranger
nombreux en mai 1940, que ce soit dans les n’empêche pas nécessairement de déboucher pour combler son retard. En 1936, le géné-
escadrilles de chasse ou de reconnaissance sur une commande. Comme si le crash du ral Duvivier, à la tête de la DAT (Défense
et bombardement. prototype du B-17 avait empêché la fabrica- Aérienne du Territoire créée en 1935) part
L’industrie nationale n’est pas en reste. Suivant tion du bombardier à 12 677 exemplaires ! avec une délégation d’officiers en Grande-
les idées qui se développent au début des Sur la base du R-36, une version survitami- Bretagne visiter les usines Fairey. Ceux-ci
années 1930 concernant la doctrine du combat née équipée du moteur en étoile Gnome et sont impressionnés par le Fairey Battle…
aérien, le commandement lance un programme Rhône 4N21 de 1 050 chevaux voit le jour. qui n’impressionnera plus du tout en 1940.
en 1934 pour un avion de bombardement et Les performances de l’appareil ne sont pas Entre-temps, une commande pour 16 bom-
reconnaissance qui peut également servir de connues, car il ne volera pas avant l’occupa- bardiers est passée, livrés entre 1937 et
croiseur aérien. Ce programme est inspiré du tion de la Belgique, mais il démontre une belle 1938. Pour remplacer les Firefly, 22 Gloster
BCR de l’Armée de l’Air et s’avère tout aussi prouesse technologique de par la greffe d’un Gladiator Mk .I sont aussi commandés. De
décevant. Deux curieux appareils sont créés, moteur en étoile en lieu et place d’un moteur nouvelles commissions d’achat arrivent en
biplans bimoteurs à train fixe armés de tou- en ligne ; or, nous savons les difficultés qu’ont Grande-Bretagne en 1938 pour l’acquisition
relles de nez, dorsale et ventrale. Le Stampe connues les ingénieurs en tentant cette modi- de Spitfire et de Hurricane, mais seul ce der-
et Vertongen SV10 s’écrasera lors d’essais fication durant la Seconde Guerre mondiale. nier peut être fourni, dont 20 sur les stocks
en 1934, tuant Léon Stampe, le fils unique du Une version biplace est prévue sous la forme de la RAF, par un contrat signé début 1939.
constructeur et pilote d’essai. Le LACAB GR8, d’un chasseur-bombardier apte à transporter Ils sont de la première version avec hélice
très vite surnommé « doryphore » à cause de 200 kg de bombes, voire une torpille ! Autre bipale. Seul quinze sont livrés avant l’entrée
son nez disgracieux, est déjà anachronique développement : le R-38 est aménagé avec un de la Grande-Bretagne dans la guerre. Un deu-
lors de sa construction. Il sera endommagé en Rolls-Royce Merlin II ; il vole pour la première xième contrat est signé pour la construction
1938 avant d’être détruit dans un hangar par fois en 1938. Le prototype est emmené en sous licence de 80 machines à construire
des bombes allemandes en mai 1940. France lors de l’attaque allemande et n’entraîne dans les usines Fairey à Gosselies ainsi qu’à
Il en va tout autrement du Renard R-36 : il pas de suites. Enfin, le R-40 est construit pour la SABCA (sauf les moteurs livrés par Rolls
équivaut en performance à ce qui se fait de le compte du ministère de l’Air français, mais Royce), avec 4 mitrailleuses lourdes de 12,7
mieux à l’époque. En 1936, l’ingénieur et son n’aura pas le temps d’être terminé. mm et hélice tripale. Seuls trois effectuent
équipe entreprennent l’étude d’un monoplace Renard produit un autre avion pour l’Aéro- leur premier vol avant le 10 mai 1940.
de chasse armé d’un canon et de 4 mitrail- nautique militaire depuis 1934, le Renard D’autres avions indigènes rentrent en ser-
leuses. Mû par un Hispano Suiza 12Ycrs de R-31, dont il reçoit une commande de 28 vice, surtout pour l’entraînement des pilotes,
910 ch, l’appareil peut atteindre une vitesse exemplaires. Ils sont construits à la fois par la comme les Stampe et Vertongen SV-22 de
de 505 km/h lors des premiers vols en 1937. SABCA et les ateliers Renard au nombre final perfectionnement et le SV-5 d’écolage et de
Le prototype s’écrase en 1939 sans qu’une de 34. Appareil de reconnaissance classique à liaison. 20 exemplaires en sont produits entre
production en série ne soit prévue, au grand aile parasol, il reste en service dans les esca- 1936 et 1937. Dix sont même vendus à la
dam d’Alfred Renard et de la presse. Celle-ci drilles d’observation jusqu’à la capitulation Lettonie, faisant ainsi partie des rares avions
s’offusque du choix porté par le Gouvernement du 28 mai 1940. Une version équipée du militaires nationaux vendus à l’étranger. Les
d’acheter le Hurricane alors que le R-36 offre Lorraine Pétrel ne donnera pas de suite tout SV-5 servant dans les escadrilles d’observation
de belles promesses avec une cellule propice comme le Renard R-32. Deux prototypes de comme appareils de liaison sont équipés d’une
au développement. Une option avait pourtant cette version améliorée avec habitacle fermé mitrailleuse fixe et d’une autre mobile en place
été prise fin 1938 pour la fabrication d’une sont construits, l’un avec un Gnome et Rhône arrière. Pour remplacer les vieux Avro 504,

 Fiat CR.42
Commandant du IIe Groupe Major Jacques Lamarche
2e Régiment d'Aéronautique
Nivelles, Belgique, mai 1940
© JM. Guillou, Aérojournal 2019

18
ique
Aérorama Belg militaire
L'a ér on au tiq ue

 Renard R-31
9e Escadrille
1e Régiment d'Aéronautique
Wilderen, Belgique, 1940
© JM. Guillou, Aérojournal 2019

 Renard R-31
11e Escadrille
1e Régiment d'Aéronautique
Bierset, Belgique, années 1930
© JM. Guillou, Aérojournal 2019

l’Aéronautique militaire commande 30 SV-4B franco-britanniques. À charge des Firefly, Fox Un Heinkel intercepté par des MS.406 est
en 1939. 24 exemplaires de cet excellent VIC et Gladiator de surveiller la zone Ouest. touché au-dessus de la Belgique pour être
appareil d’entraînement sont construits avant Évidemment, les interceptions s’avèrent ensuite attaqué par des Gladiator qui ouvrent
l’invasion allemande durant laquelle ils sont difficiles pour les deux premiers appareils le feu sur l’avion. Le bombardier finira par être
repliés en France puis au Maroc. Au vu des et leurs moteurs devenus poussifs. Mais il pris sous le feu de la DCA néerlandaise avant
qualités de l’appareil, sa production reprendra arrive que les intrus se voient rejoints. Dans de s’écraser enfin sur la Hollande ! Ce genre
de plus belle après guerre. ce cas, la première mesure est de tirer des d’actions perdure tout au long de la « Drôle
L’entrée en guerre de la Grande-Bretagne et fusées éclairantes voire des balles traçantes de Guerre ».
de la France, qui fait suite à l’attaque des pour intimer l’ordre d’atterrir sur le terrain le
troupes allemandes en Pologne, débouche sur plus proche. Plusieurs avions de la RAF sont
ce qui est communément appelé la « Drôle de internés de la sorte, parfois simplement sur SHOPPING
Guerre ». Elle ne l’est pas trop pour la chasse
belge. Même si le pays est toujours neutre,
panne ou même erreur de pilotage. On compte
parmi eux un Whitley, un Wellington, deux
DE DERNIÈRE MINUTE !
le roi Léopold III tente par tous les moyens Blenheim et plusieurs Hurricane dont certains Il est évident que toutes ces actions mettent
d’éviter un second conflit mondial par divers sont repris en compte par l’Aéronautique en lumière les insuffisances de la chasse et
appels à l’apaisement. Malgré tout, la mobili- militaire. Mais plusieurs interceptions ne se l’obligation de moderniser celle-ci. Déjà en
sation générale est proclamée en 1939 pour déroulent pas comme prévu. Un Fox est abattu 1938, le Général Hiernaux, commandant l’Aé-
faire face à la montée des tensions. Coincé par le mitrailleur d’un Armstrong-Whitworth ronautique militaire depuis peu suite à la démis-
entre les différents belligérants, l’espace aérien AW 38 Whitley parti lâcher des tracts sur sion du Général Isserentant (dont les piètres
belge est presque quotidiennement survolé, l’Allemagne et coupant au plus court. Plus manœuvres de l’arme aérienne ont précipité
et ce de tous côtés. Ces incursions mettent dramatique, un Dornier 17 est intercepté par la chute), se rend en Italie accompagné du
irrémédiablement en avant les faiblesses de plusieurs Hurricane à haute altitude au-des- Général Duvivier. Des contacts se nouent avec
l’Aéronautique militaire. Dès septembre, on sus des Ardennes. Le mitrailleur arrière prend des firmes italiennes, qui débouchent fin 1939
décide d’affecter les premiers Hurricane à la pour cible le leader qui est abattu, pilote tué. sur l’achat de 40 Fiat CR.42. Celui-ci a l’avan-
surveillance de la frontière Est. C’est une déci- D’autres Hurricane seront impliqués dans de tage d’être livré rapidement contrairement aux
sion logique, car on craint plus une invasion semblables conditions lors des jours et mois avions anglais. 34 exemplaires arrivent avant le
venant de ce côté. De plus, les Do 17 et He suivants avec des fortunes diverses. Il arrive 10 mai. La commission passe aussi commande
111 de reconnaissance sont beaucoup plus aussi que plusieurs nationalités soient impli- de 24 Caproni 312 de reconnaissance et de
difficiles à rattraper que leurs homologues quées dans des combats aériens. Un exemple, bombardement qui n’atteindront jamais le pays.

19
 Gloster Gladiator
1e Escadrille
2e Régiment d'Aéronautique
Schaffen, Belgique, 1939
© JM. Guillou, Aérojournal 2019

Cette même firme construit en Italie le pro- aussi pour les 16 bombardiers Douglas DB-7 terrain de Schaffen [3]. Le brouillard persiste
totype d’un biplace de chasse et de bom- commandés. Au vu de la stratégie défensive et le commandement hésite à donner l’ordre
bardement développé en collaboration avec et des tactiques employées pendant l’offensive d’envol, préférant attendre que le soleil perce.
la SABCA  [1], le S.47 (Caproni Ca 335 allemande, on peut d’ailleurs se poser la ques- Les Hurricane, avec des Gladiator et Fox, sont
« Maestrale » pour les italiens). Celui-ci, qui tion de l’emploi qui aurait été fait de ces avions. ainsi toujours alignés comme à la parade. Une
doit à terme remplacer les Fox, est armé d’un Enfin, la France et les Pays-Bas sont sollicités aubaine pour le petit groupe de Do 17 qui
canon axial et trois mitrailleuses (deux dans les via la SABCA qui doit produire sous licence arrive à l’aube et réalise un carnage. Seuls deux
ailes et une en défense arrière). Une licence de le Breguet 694, version triplace de reconnais- Hurricane parviennent à quitter le terrain (l’un
fabrication pour 24 appareils est alors passée, sance armée, 32 pour l’Aéronautique militaire deux revendiquant un Heinkel lors de ce vol,
mais aucun ne sort des chaînes d’assemblage et 10 pour l’Armée de l’Air [2]. La guerre empê- première victoire probable de la guerre pour
avant l’attaque du 10 mai. Le prototype est chera cette production. 16 Koolhoven FK-56 l’Aéronautique militaire). D’autres terrains sont
accidenté en mars 1940 en France lors d’une parviennent au pays sur une commande de attaqués, causant des pertes parmi les Fox
série de présentations, ce qui l’empêche de 20 avions auprès de l’avionneur néerlandais. et Battle. Durant cette première journée, des
revoler avant l’arrivée des Allemands. combats aériens opposent la Luftwaffe aux
D’autres contrats sont établis à l’étranger Fiat CR.42 et Fox VIC. Quelques victoires sont
notamment aux États-Unis. Suite à l’échec GRANDE DÉFERLANTE revendiquées, un Fox se payant même le luxe
des négociations pour l’achat de Curtiss H75 d’abattre un Bf 109 ! Mais le prix est sévère
(les Français et Anglais commandent déjà mas- La plupart de ces appareils ne sont donc pas avec de nombreux chasseurs abattus. Au soir
sivement l’appareil), le choix se porte sur le encore entrés en service lors de l’attaque alle- du 10 mai, 45% de l’aviation est détruite dont
petit chasseur rondouillard de Brewster, seul mande et beaucoup de pilotes vont prendre un bon nombre de chasseurs.
appareil disponible relativement rapidement. part au combat dans des avions dépassés. Un deuxième massacre a lieu le lendemain,
Un contrat est signé en décembre 1939 pour C’est une preuve du courage de tous ces avia- mais dans des actions de bombardement.
la livraison de 40 B-339B, version terrestre du teurs. Dans la nuit du 9 au 10 mai 1940, le Contrairement à ce qui était prévu, des ponts
F2A-2 destiné à l’exportation, afin de rempla- gouvernement belge apprend, via son attaché sur le Canal Albert, proches de la frontière
cer les Fox VIC. Malheureusement, ils n’at- à Berlin, que l’attaque allemande est prévue allemande, n’ont pas été détruits. Les Battle
teindront jamais la Belgique. Le premier avion au lendemain matin. L’Aéronautique militaire sont requis pour effectuer le travail. On espère
atteint le port de Bordeaux en caisse et est cap- est immédiatement alertée et les escadrilles que les bombinettes de 50 kg parviendront
turé par les Allemands. Six accompagnent le s’envolent de leurs terrains de campagne. à pulvériser les ouvrages massifs en pierre ;
porte-avions Béarn dérouté en Martinique suite Mais comme trop souvent, tout ne se passe l’espoir fait vivre ! Les bombardiers s’envolent
à l’armistice. Ils y sont stockés. Les 33 autres pas comme prévu. Le gratin de la chasse en trois pelotons de trois appareils, un pelo-
sont cédés au Royaume-Uni. Ce sera le cas belge, les Hurricane, vont être surpris sur le ton pour chaque pont. Tout commence mal

 Fairey Battle
5e Escadrille
3e Régiment d'Aéronautique
Evère, Belgique, 1938
© JM. Guillou, Aérojournal 2019

20
ique
Aérorama Belg militaire
L'a ér on au tiq ue

 Hawker Hurricane Mk. I


2e Escadrille
2e Régiment d'Aéronautique
Beauchevain, Belgique, 1940
© JM. Guillou, Aérojournal 2019

puisque les Gladiator envoyés en escorte sont la campagne. Les pilotes ne refusent jamais n’acceptent pas la situation et préfèrent conti-
interceptés par des Bf 109 et plus de la moitié de partir seuls au-dessus du front, avec leurs nuer le combat plutôt que l’inaction ou l’inter-
sont abattus (pour un 109 en contrepartie). appareils dépassés, pour réaliser les missions nement. Partant de France ou du Maroc, ils
Le premier peloton perd un appareil puisqu’un demandées et subir les attaques dans un ciel rejoignent la Grande-Bretagne [5]. Ces premiers
Battle est abattu par un He 111, preuve de aux mains de la Luftwaffe. Des Firefly sont pilotes vont participer à la bataille d’Angle-
la vulnérabilité de l’avion. Un deuxième est retirés de leur paisible retraite pour combler les terre dans les unités du Fighter Command.
descendu par un « 109 ». Quant au dernier, il pertes dans les groupes de chasse. Ils effec- D’autres les rejoindront au cours des mois et
peut lâcher ses bombes, mais celles-ci ne font tuent d’ailleurs une mission de guerre pour années suivantes parfois de manière rocambo-
qu’égratigner le pont. Le deuxième peloton montrer les cocardes. Tellement bien qu’un lesque. À ce titre, le futur Général-Lieutenant
perd deux appareils détruits par le Flak et seul appareil doit effectuer un atterrissage forcé « Mike » Donnet [6] tient la palme. Il s’échappe
le troisième peut rentrer au terrain. Enfin, cela après avoir subi des tirs de la part de troupes de nuit au nez et à la barbe de l’occupant
ne va pas mieux pour le troisième groupe : l’un belges ! Les Fiat effectuent encore quelques en compagnie d’un autre pilote, à bord d’un
des avions doit se poser en catastrophe après missions, perdant plusieurs appareils, avant SV-4b qu’ils ont retapé pendant de longues
des tirs fratricides venus du sol et les deux de rejoindre la France où de nombreux avions semaines agitées.
autres sont abattus par la Flak autour de l’ou- de l’Aéronautique militaire ont déjà trouvé Le nombre de pilotes belges sera suffisant
vrage d’art. Que ce soit dans l’Aéronautique refuge [4]. Ce repli vers la France plutôt que la pour créer deux Squadrons : les Nos. 349
militaire ou dans la RAF, le Battle apporte à Grande-Bretagne manifeste l’espoir que la lutte et 350. Au sortir de la guerre, plus d’un millier
cette époque la preuve qu’il n’a plus sa place est encore possible et que le voisin français va de Belges auront servi dans la RAF (Plus ou
au combat. pouvoir arrêter la déferlante allemande comme moins 200 dans la South African Air force et
Pendant que les bombardiers de la Luftwaffe en 1914. Ce ne sera malheureusement pas le une dizaine dans l’USAAF). Ils rassembleront
continuent à matraquer les aérodromes les cas. Quelques Fiat se retrouvent sur le terrain plus de 161 victoires confirmées. 
jours suivants, Fox et Renard poursuivent de Chartres (dont trois arrivés en caisse depuis
leurs missions de reconnaissance (quelques-
unes pour le Battle), ce qu’ils feront jusqu’à la
Bordeaux). La capitulation de la Belgique le
28 mai 1940 n’entraîne pas la fin des combats Bibliographie
capitulation puisque ce sont les seuls avions pour ces avions qui participent à la protection • S. Capron, L’Aviation Belge et nos
qui seront disponibles du début à la fin de de l’aérodrome et sa région pendant plusieurs souverains, Ed. J.-M. Collet, Bruxelles,
jours. Face à l’avance allemande, ils effectuent 1988.
[1] Selon les accords, la SABCA un périple qu’ils terminent à Fréjorgues lorsque • J. Pacco, L’Aéronautique militaire 1930 –
devient le représentant des avions la France capitule. Les vieux Firefly protègent 1940, J.P. Publication, Bruxelles, 2003.
militaires Caproni en Belgique. aussi le ciel français puisque plusieurs appareils • A. Hauet et G. Roberty, Les Avions
[2] La SABCA obtient aussi un contrat
effectuent des missions de protection de ce Renards 1922 – 1970, Ed. A.E.L.R.,
pour la construction de 10 Koolhoven même terrain de Fréjorgues jusqu’au 15 juin. Bruxelles, 1996.
FK-58 destinés à l’Armée de l’Air. Plus de 136 missions sont effectuées durant • C.-J. Ehrengardt, Voyage au Bout de l’En-
les 18 jours de la campagne. On compte 21 fer ; les Breguet au Combat in Aérojournal
[3] Les moyens de détection sont encore n°26, Aéro Éditions International, France,
rudimentaires, majoritairement composés
victimes parmi les navigants, 39 appareils sont
d’appareils d’écoute. Les liaisons radios abattus en combat et 136 sont détruits au sol, Juin – Juillet 2002.
n’existent pas et le système de morse qui ce qui atteste de l’efficacité des attaques de la • P. Listemann, Rendez-Vous Avec la
transmet les messages est brouillé ! Luftwaffe sur le terrain. L’Aéronautique mili- Malchance ou l’Histoire Ratée des Buffalo
Belges in Aérojournal n°28, Aéro Éditions
[4] L’école de pilotage rejoint Caen taire a beau avoir des pilotes de valeur en mai
International, France, Décembre 2002 –
Carpiquet et l’école d’observation se rend 1940, mais si le matériel ne l’est pas, ceux-ci
Janvier 2003.
à Pau. L’école de tir va à Cazaux. ne peuvent faire de miracles. C’est le triste • D. Brackx, P. Cryns, 100 Ans d’Aviation
constat de la campagne. Les aviateurs restés en Belgique, Ed. Racine, Bruxelles, 2002.
[5] Certains seront condamnés pour
détournement de matériel militaire ! sur le sol belge jusqu’à la capitulation doivent • M. Donnet, Les Aviateurs Belges dans
saborder leurs avions sur ordre, alors que la Royal Air Force, Ed. Racine, Bruxelles,
[6] Le baron Michel Donnet est d’abord un pilote beaucoup veulent continuer la lutte. Mais les 2006.
de Renard R-31 dans l’Aéronautique militaire. Il
obtiendra 4 victoires dans la RAF et y commande
pilotes sont menacés d’une condamnation pour • M. Destexhe, H. Van Severen, Rêves et
le No. 350 Squadron en 1944. Après-guerre, il désertion s’ils tentent l’aventure. Un grand Obstinations de l’Industrie Aéronautique
travaillera à la réorganisation de l’aviation militaire nombre d’entre eux se voient internés par les Belge ; SABCA 1920 – 1990, SABCA,
et occupera plusieurs postes à l’OTAN. Allemands. Pourtant, beaucoup d’aviateurs Bruxelles, 1992.

21
BATAILLE AÉRIEN
NE

1944

 Sur le chemin du retour, un B-24 survole le


relief des Alpes-Maritimes. Conduites depuis
leurs bases de la région de Foggia, dans les
Pouilles, en Italie, les missions visant le sud de
la France impliquent un aller-retour d’environ
2 200 km pouvant durer de 7 à 8 heures !
Sauf mention contraire : toutes photos, US Nara.

TROIS JOURS
EN
MAI
Raids américains sur la Provence
par Guy Julien

R
elevant du « Transportation Plan » édicté par le SHAEF en prévision du débarquement
de Normandie, la destruction des voies de communication sur l’ensemble du territoire
français revêt à la fin du printemps 1944 un aspect prioritaire. Le rôle dévolu aux milliers
d’appareils des 2nd TAF et des 8th 9th et 15th Air Forces consiste donc à interrompre
tout trafic sur les axes est/ouest mais également sud/nord afin d’empêcher l’acheminement
des renforts allemands vers les plages où se doit se jouer le succès de l’opération « Overlord ».
22
Raids américains
sur la Provence

gares principales, les centres de

Les
triage et les ateliers de réparation
ferroviaire sont dans ces conditions
placés en tête de liste des objectifs
à atteindre. À plus long terme, les
missions conduites dans ce cadre par les équipages du
MASAF sur la Provence, le Languedoc et la vallée du
Rhône ont également vocation à préparer un futur débar-
quement prévu dans le Midi.
Les phases préliminaires à cette dernière entreprise ont
débuté le 29 avril 1944 avec le bombardement de Toulon.
La destruction d’objectifs militaires majeurs demeure bien
entendu à l’ordre du jour un mois plus tard. En outre, des
frappes sont également prévues contre les principales
bases aériennes à partir desquelles continuent d’opé-
rer les bombardiers torpilleurs du General Korte, dont
l’élimination constitue un impératif tant pour la réussite
de « Overlord » que pour celle plus lointaine de « Anvil ».

JEUDI 25 MAI 1944 : ACTE I


CARNOULES - La mise en application des dispositions
générales prévues par le « Transportation Plan » est
réalisée début mai par l’état-major de la 15th AAF qui
élabore son « Plan A ». Celui-ci, prévoit dans le détail la
destruction des principaux nœuds ferroviaires du sud-est
ainsi que celle des bases aériennes à partir desquelles
sont déployés les Ju 88 torpilleurs de la 2. Fliegerdivision.
Une série d’objectifs secondaires, parmi lesquels l’in-
destructible viaduc d’Anthéor, à 15 km à l’est de Saint-
Raphaël, dans le massif de l’Estérel, sont aussi désignés
au cas où il serait impossible pour les équipages d’at-
teindre ceux retenus à titre principal.
Avec une force de frappe constituée par 21 groupes
de quadrimoteurs alignant près de 1 000 appareils,
la 15th AAF a atteint son apogée. Conformément aux p L’offensive stratégique bénéficient d’aucun moyen de défense antiaérien sus-
dispositions du « Plan A », l’ensemble des formations est précédée par une ceptible de constituer une menace pour des bombardiers
activité soutenue de la
composant ses cinq Combat Wings sera appelé à inter- reconnaissance aériennes. lourds opérant à haute altitude. Cette lacune illustre la
venir à un moment ou un autre au-dessus de la France. En quelques semaines, politique du « tout ou rien » dictée aux Allemands par
Les escortes relèvent du 306th Fighter Wing dont les quatre P-38 et un Mosquito le manque de moyens dont ils souffrent de plus en plus
photo seront perdus sur
effectifs encore étoffés comprennent maintenant six nettement. Celle-ci les entraîne donc à surprotéger des
le sud de la France.
groupes de chasse complètement opérationnels, trois secteurs sensibles, au détriment d’autres considérés
sur P-38 J, les autres sur P-51 B/C. Parmi ceux-ci, comme moins exposés.
le 325th FG qui étrenne au combat ses nouveaux Des carences similaires affectent les moyens aériens mis
Mustang dont le plan vertical est orné du damier jaune à la disposition du Jafü Süd. Rejoint par des éléments
et noir caractéristique du groupe. du JGr West et de l’EJGr 101 auparavant basés dans le
Situé à une quinzaine de kilomètres au nord de Toulon,  Le mois de mai 1944 va sud-ouest ; le JGr Süd dont le rapatriement est d’ores
Carnoules est à cette époque une paisible bourgade qui donner l’occasion à la 15th et déjà prévu regroupe temporairement près d’une cen-
AAF d’investir le ciel provençal
vit au rythme de la voie de chemin de fer qui la traverse. taine d’appareils. Outre une poignée de Messerschmitt
et de s’y maintenir trois
Placés en dehors du périmètre défensif de Toulon, les ate- jours durant. Ici, des B-24 et de Focke-Wulf – désormais obsolètes et servant aux
liers et le dépôt de locomotives qui y sont implantés ne du 451st BG au roulage. seules fins d’instruction – l’unité dispose aussi d’une flotte
constituée à part égale de Bf 109 G-6 et de Fw 190 A-8.
Cependant ces forces, disséminées sur une large zone,
demeurent d’une valeur militaire limitée. En pratique seuls
deux Staffel regroupant à peine une vingtaine de chas-
seurs peuvent être considérées comme opérationnelles.
Cependant, pour parer à toute éventualité, les « lourds »
du 49th BW chargés de bombarder Carnoules vont béné-
ficier d’une escorte musclée, assurée par une cinquan-
taine de P-38 J du 82nd FG. Navigant cap au nord à 24
000 pieds, ces derniers, qui ont décollé bien après les
bombardiers, atteignent au terme d’un survol maritime
de 365 miles l’île du Levant où s’effectue à 11h55 la
prise en charge des Liberator. La mise à feu de pots
fumigènes marque le passage du raid par le travers de
Toulon ; peu avant la zone de largage, six chasseurs
ennemis identifiés comme des Fw 190 sont aperçus.
Tentant d’engager les B-24, deux monomoteurs sont
prestement éconduits par l’escorte. Le 1st lieutenant
Halloway rapporte même en avoir endommagé un.

23
Ce sera l’unique manifestation de la défense allemande.  Les Allemands disposent en C’est donc rassurés que les hommes quittent le local
Indifférents aux péripéties affectant leur escorte, les B-24 Provence et sur la côte d’Azur des opérations.
d’un réseau de détection
après un vol sans histoire s’alignent sur le Bomb Run. dense et efficace. Ici, la Les premiers décollages ont lieu vers 6h30. 36 Liberator
La visée est favorisée par la visibilité parfaite et l’absence colossale antenne du radar appartenant au 464th BG prennent l’air suivis par 32
de DCA. Le rapport rédigé à l’issue du raid par le 461st Wassermann établit au Cap autres du 465th BG. Le Cap Corse est atteint à 11h45.
BG fait état d’une grande réussite avec 35 % de bombes Dramont, à l’est de Fréjus. Les avions volent alors à 18 000 pieds, altitude de croi-
tombées dans un rayon de 1 000 yards de l’objectif.  Fahrenberger (à gauche) sière. Vers 12h30 ,les quadrimoteurs se présentent
Quand on connaît la surface relativement limitée des et Rippert : deux pilotes du à l’ouest de Nice à la verticale du point d’entrée prévu.
installations visées, on comprend mieux l’étendue des JGr Süd impliqués dans les Immédiatement la Flak réagit par un violent tir de bar-
combats du 25 mai, durant
pertes civiles induites (97 tués). rage. Plusieurs B-24 sont atteints. Aucun n’est toutefois
lesquels Rippert revendique
Le repli ne s’effectue pas en bon ordre, puisque seule un B-24.  Ils se retrouveront contraint d’abandonner la mission. Poursuivant leur vol
une partie des bombardiers vire effectivement sur son ensuite au sein de la JG 77. vers le nord, les « lourds » virent au-dessus du lac du
cap de retour. D’autres quadrimoteurs poursuivent vers Bourget, près d’Aix-les-Bains, en Savoie, avant de prendre
le nord, en plein cœur du territoire ennemi. Le 82nd FG  La Luftwaffe réagit une route plein ouest en direction de Lyon.
doit donc rassembler le « troupeau » avant de reprendre vigoureusement le 25 mai, Après quelques minutes, moyennant une infime correction
la direction de la côte méditerranéenne, où la formation mais elle n’est plus capable de trajectoire, ils se présentent au-dessus de Givors, où
d’intervenir sérieusement par
est saluée à la verticale de Fréjus par les tirs peu précis de les premières bombes s’abattent peu avant 13h00 en
la suite . Ici un Bf 109 G-6 du
la Flak. Si cette première mission est à considérer comme JGr Süd photographié sur prenant la défense passive complètement au dépourvu.
un « Milk Run », d’autres vont en revanche se révéler l’un des terrains de la région. L’objectif atteint, sa rotonde en ruines et un important
beaucoup plus mouvementées !

GIVORS - C’est ainsi que le 55th BW, qui dispose de


seulement deux Groups opérationnels, se voit assigner la
tâche de détruire la gare de triage de Givors située à une
quinzaine de kilomètres au sud de Lyon. Pour beaucoup
des hommes rassemblés ce matin-là dans la tente servant
de salle de briefing, il s’agit de la première mission au-des-
sus de la France. Tous sont donc particulièrement attentifs
à l’exposé du S3 (officier du bureau des opérations) ainsi
qu’aux précisions du S2 (officier de renseignements) sur
les défenses ennemies susceptibles d’être rencontrées
sur la route de l’objectif.
Compte tenu du large engagement des bombardiers du
MASAF au-dessus de la France et de l’Italie du Nord les
services de renseignements espèrent une réaction limitée
de la chasse allemande basée dans ces secteurs. Selon
les informations disponibles, ces forces ne seraient guère
constituées que d’une poignée « gars à l’instruction ».
De toutes les façons, les puissants Mustang du 31st FG
doivent prendre en charge l’escorte de la formation.

24
Raids américains
sur la Provence

Par la suite, les assaillants, agissant seuls ou par petits


groupes, poussent pendant plus de 15 minutes des
assauts simultanés dans toutes les directions. Ils tentent
visiblement d’isoler les Liberator les plus gravement tou-
chés afin de les achever. L’accrochage ne prend fin que
lorsque les bombardiers, après avoir viré au nord de
Marseille et survolé le département du Var, abordent
la Méditerranée à hauteur du Cap Roux. La plupart des
chasseurs, à court de munitions, laissent alors le champ
libre à la DCA côtière dont les tirs achèvent le « Strictly
From Hunger » du 1st Lieutenant Hornbaker, qui est tué
en même temps que l’un de ses mitrailleurs. Le second
pilote, le 2nd Lieutenant Raymond Burklund parvient mal-
gré tout à ramener vers la côte un appareil volant sur
deux moteurs. Il va s’arc-bouter aux commandes afin de
permettre à l’équipage d’évacuer le Liberator et réussir
in extremis à se parachuter lui aussi au-dessus de Cannes.
Rapidement capturés Burklund et les Sergeants Karow
et Baryenbrush seront en définitive les seuls survivants
de cette brève tragédie.
À l’issue de cette bataille aérienne, les pilotes du Major
matériel roulant détruit vont conduire les Alliés à consi-  Le centre-ville de Erhard Braune revendiquent cinq victoires contre les
dérer la gare comme momentanément hors-service. Chambéry, durement frappé « Viermot » tandis que de leur côté les mitrailleurs amé-
par des bombes qui ne lui
38 civils sont tués et 55 autres blessés. Mission accom- étaient pas destinées. ricains font valoir avec, un sens très sûr de l’exagération,
plie, le Combat Wing demeurant en formation de combat la destruction d’au moins neuf chasseurs.
descend la vallée du Rhône. Les radars et les observa- Si les chiffres de pertes sont dans la réalité moins
teurs allemands le suivent à la trace. Ce pistage permet importants, ils n’en demeurent pas moins élevés déno-
aux chasseurs de passer à l’attaque vers 13h40. À ce tant le caractère particulièrement vif de l’engagement.
moment-là, les bombardiers sans protection survolent Du côté allemand, le Unteroffizier Herbert Güth obtient
l’est des Bouches-du-Rhône. Placé en arrière garde, le la première homologation portant sur un B-24 attaqué
464th BG supporte tout le poids d’une attaque conduite à 13h54 dans les parages de Fréjus. Il en va de même
par une vingtaine de Messerschmitt. en ce qui concerne pour l’Unteroffizier Alfred Kochen
 Saint-Étienne est
Ces derniers effectuent d’abord, en piqué, une passe pour un B-24 attaqué à Sainte-Maxime. Idem pour
victime des B-17 du 5th
frontale à l’issue de laquelle plusieurs B-24 sont atteints ; BW… qui visent (mal) les le Feldwebel Müller Hagen, qui rapporte de son côté
la cohésion de leur vol est cependant maintenue. installations ferroviaires ! un succès obtenu à 13h58 au sud-ouest de Cannes.

25
ne laissant que peu de chance de survie aux hommes
servant à son bord. Quelques-uns peuvent malgré tout se
parachuter. Atrocement brûlé, seul Trotter est retrouvé
vivant. Bringuebalé d’hôpital en hôpital, il décédera à Dijon
quelque semaines plus tard. Les dépouilles de ses cama-
rades seront en revanche inhumées en pleine forêt, avec
poru simple épitaphe « Aviateurs du Liberator 41-29382
abattu le 25 mai 1944. » Ils avaient baptisé leur avion
le « Lucky Lady »…
Tandis que les débris incandescents du « Lucky Lady »
déclenchent dans l’Esterel un départ d’incendie, le qua-
drimoteur du 2nd Lieutenant Garniss (779th BS) perd de
l’altitude, puis rompt la formation avant de disparaître
en Méditerranée, après que certains des membres de
son équipage aient été vus l’abandonner en se para-
chutant. En tout état de cause, aucun des 11 hommes
qui volaient ce jour-là à bord du B-24 H S/N 42-52463
ne reparaîtra jamais.
Épuisés, les survivants du 464th BG atterrissent à Goia
del Colle en milieu d’après-midi. L’unité a certes subi
des pertes mais sa défense opiniâtre a considérablement
érodé le potentiel militaire du EK / JGr Süd. Malmené au
Tandis qu’au terme d’un combat engagé dans le sec-  Des B-24 au-dessus cours de cet affrontement, il n’est déjà plus en mesure
teur de Draguignan, Horst Rippert obtient quant à lui la de Nice ; la réaction de d’intervenir significativement dans la bataille. Le Einsatz
la Flak ou de la chasse
reconnaissance d’une victoire remportée à 13h59 contre adverse est inexistante. Kommando n’a pas été la seule formation du JGr Süd
un Liberator. C’est sa deuxième du mois, après celle du à parvenir au contact de l’ennemi. C’est ainsi que le
13 mai au-dessus de la Camargue contre un Mosquito Feldwebel Georg Amon servant en tant qu’instructeur
PR IX appartenant au No. 60 (SAAF) Squadron. au sein de la 1. Staffel se voit accorder l’homologation
Les archives allemandes font seulement état d’une perte d’un B-17 attaquée au large de Nice.
en combat aérien survenue dans le secteur de Cuers au Si les archives américaines ne recèlent aucune trace d’une
lieu-dit Camp de Vales. Il est difficile de raccrocher avec victoire de cette nature, il n’en demeure pas moins que
certitude cette annotation à un fait précis. S’agit-il de des B-17 ont bien été mis à contribution dès ce premier
Rippert contraint d’effectuer un atterrissage d’urgence jour d’offensive.
en campagne, d’une autre victime revendiquée par les
mitrailleurs de l’USAAF ou d’un Messerschmitt descendu LYON - Ayant, comme tout le monde décollé au petit
au-dessus de l’Estérel ? Son pilote parvenu à se parachuter matin de leur base italienne les « Forteresses » se présen-
au-dessus d’une zone boisée est récupéré par les troupes tèrent peu après 13h00 au-dessus de leur cible. Les 61
d’occupation arrivées prestement sur les lieux. appareils appartenant aux 2nd et 97th BG se délestent
Le sauvetage de leur camarade aviateur n’est pas, à la les premiers de leur chargement d’engins explosifs sur
vérité la seule cause de cette intervention rapide de la la gare de triage de Vénissieux. Sept minutes plus tard
part des Allemands. Le B-24 H du 2nd Lieutenant William les 63 B-17 des 301st et 483th BG parachèvent les
O’Trotter du 777th BS a en effet été vu quelques minutes  Les escortes sont parfois destructions occasionnées par la première vague en lar-
musclées, mais ces Mustang
plus tard s’écraser un peu plus loin. Atteint à plusieurs P-51 B, en l’occurrence
guant cette fois des projectiles lourds de 1 000 livres.
reprises par les obus allemands, le quadrimoteur dont les du 31st FG, n’ont guère L’attaque réalisée à très haute altitude (jusqu’à 24 000
réservoirs d’aile ont été perforés s’embrase d’un seul coup l’occasion d’intervenir. pieds pour certains groupes) est exécutée sans aucune

26
Raids américains
sur la Provence

au milieu d’un banc de nuages, ne laissant aucune chance


à leurs équipages. Après un périple de plus d’un millier
de kilomètres, il ne leur en restait plus qu’une petite
cinquantaine à couvrir pour rejoindre leur base.
Quant à la 15th AAF, elle n’en a pas terminé avec
« la capitale des Gaules ».

VENDREDI 26 MAI 1944 : ACTE II


LYON - Au matin du 26, le 460th BG met en l’air 36
B-24. Ayant atteint son point de rendez-vous, il doit
attendre que le 464th, de nouveau sur la brèche, achève
sa mise en formation de combat. Pendant plus d’une
heure, celui-ci bataille pour se former correctement ;
entretemps contact avec les 465th et 485th BG a été
pris. C’est finalement dans la région de Naples que les
Liberator adoptent le dispositif qu’ils doivent conser-
ver jusqu’aux abords de l’objectif, en l’occurrence le
centre de triage de Lyon la Mouche, une annexe de
la gare de Perrache. Lors du survol maritime au cours
opposition. Elle cause de gros dégâts à la cible ainsi qu’aux  Un B-24 endommagé duquel les bombardiers sont rejoints par leur escorte,
implantations industrielles voisines. La DCA absente de au-dessus du contient de nombreuses défections sont enregistrées. Baisse de
a été contraint à un
Vénissieux se manifeste en revanche au retour, lors du atterrissage d’urgence en pression d‘huile, ennui de moteur, problème avec l’ar-
survol des côtes endommageant légèrement (entre autres) Corse. La présence de ce mement sont les causes les plus habituelles de ces early
quatre B-17 du 2nd BG. « porte-avions » naturel returns. Le 460th BG se trouve ainsi privé de trois de ses
Cette promenade de santé, effectuée par beau temps, était un vrai soulagement équipages qui font demi-tour (deux commandants témé-
pour les équipages.
va se terminer tragiquement alors que tout danger raires se poseront avec un plein chargement de bombes
semble définitivement écarté. Au-dessus de l’Italie en M-64 GP ! L’autre plus prudent s’en délestera préala-
effet, la météo se détériore contraignant les bombardiers blement en mer). À l’approche des côtes, le 55th BW
à affronter des formations nuageuses de plus en plus a déjà perdu 21 appareils qui ont dû abandonner la
 Dégâts dans le secteur
compactes. Victime de cette dégradation inattendue mission pour une raison ou une autre. C’est cependant
de la Mouche, à Lyon :
autant sans doute que de la fatigue, deux quadrimoteurs ici un garage atteint par une force conséquente de plus de 120 quadrimoteurs
appartenant au 32nd BS (301st BG) entrent en collision des bombes alliées. escortés par les P-38 du 14th FG qui survole Nice.

27
À ce moment, une erreur de trajectoire conduit le
464th BG et à sa suite le 460th à prendre la tête du
raid, rôles qui étaient initialement dévolus au 465th BG
suivit du 485th BG. Dans cette nouvelle configuration,
les raiders survolent Grenoble quelques minutes avant le
bombardement de la ville par deux groupes du 304th BW,
puis Chambery qui va sous peu subir l’assaut d’autres élé-
ments du même 304th. Le pivot a été effectué au-dessus
du lac du Bourget, et les bombardiers survolent mainte-
nant Vénissieux dont la gare de triage – comme celle de
Grenoble – semble regorger de matériels.
Bénéficiant une fois de plus d’excellentes conditions
météorologiques, le 464th BG se déleste de ses bombes
de 500 livres sur les installations de la Mouche à 10h41.
À 10h43, le 460th procède sur la même cible au lar-
gage de 63,5 tonnes d’explosifs. Les 465th et 485th
BG interviendront à leur tour entre 10h40 et 10h45 sans
être gênés par la chasse adverse ou une Flak totalement

absente. Rasées, les infrastructures de La Mouche ne


seront plus jamais remises en service.
Le 49th BW escorté par les Mustang du 52nd FG se pré-
sente lui aussi vers 10h45 au-dessus de l’agglomération
lyonnaise. La ville va donc pendant un quart d’heure
être survolée par près de 300 chasseurs et bombardiers.
À l’instar de l’action conduite quasi simultanément par
le 55th BW, le raid entrepris par le 49th BW contre la
gare de Lyon Vaisse n’enregistre aucune réaction des
défenses adverses. Dans ces conditions, la cible est
durement touchée.
Le 461st BG conduit par le Major Burke bombarde le
premier à 10h45. Trente-et-un Liberator sur les 38 prévus
dans les ordres de mission larguent chacun d’une hauteur
de 22 000 pieds dix M-64. Les photos prises à l’issue
de l’attaque permettront d’établir qu’une proportion de
54 % du tonnage (70 tonnes) ont été largués à moins de
1 000 yards de l’objectif. Cela représente une progres-
sion de 20 % par rapport aux résultats de la veille qui
avaient été considérés comme bons. Les « Liberaiders »
sont immédiatement suivis par le 484th BG dont il par-
tage les installations. 36 quadrimoteurs sur les 38 pré-
vus bombardement la cible. Le 451st BG est le dernier
à intervenir sur Lyon Vaisse à 10h55 avec 38 B-24.
En tout, les 246 tonnes de bombes larguées par les
105 Liberator détruisent outre la gare de voyageurs, des
voies de services, un dépôt d’autorail, un convoi, des
entrepôts, une demie douzaine de péniches amarrées sur
les quais de Saône, etc. Des implantations industrielles
et des quartiers d’habitation sont également touchés ;
dans ces décombres, on enregistrera plus de 700 morts
et 1 100 blessés !
Cette mission comme tant d’autres connaît son inévitable
lot d’accidents et d’ erreurs de tir. Dans la première caté-
gorie doit être considéré le cas des aviateurs de l’équipage
du 1st Lieutenant Suzank servant au sein du 460th BG.
Ayant été contraints d’emprunter au dernier moment un
avion de remplacement, ils subissent lors du retour une
série de pannes, qui entraînent successivement l’arrêt
des quatre moteurs et une défaillance générale du sys-
tème hydraulique. Le pilote parvient malgré tout à poser
sur l’eau son B-24 G au large de Calvi, mais il trouve la
mort en compagnie du Sergeant McCombie lors de cette
manœuvre. Quatre survivants sont rapidement recueillis
par une vedette de l’Air & Sea Rescue. Trois autres
membres d’équipage parachutés « préventivement »
 Ci-dessus :
B-24 vs bourricot ! Le choc des cultures ! au-dessus des Alpes maritimes manquent à l’appel :
deux seront rapidement capturés, le troisième disparaît
 En haut : dans la clandestinité, jusqu’à la libération
Box de bombardiers américains survolant le sud de la France. L’équipage d’un B-17 appartenant au 2nd BG avait connu
 Page de droite, en bas : un peu plus tôt dans la matinée une aventure similaire.
B-24 du 450th BG, 722nd BS, en mission. En route pour Saint-Étienne, l’avion prend feu à la suite

28
Raids américains
sur la Provence

d’une explosion d’origine indéterminée. L’incendie se  Les conditions météo Pendant ce temps, les 455th et 456th BG qui ont d’ores
propage à hauteur de la tourelle dorsale. Immédiatement rencontrées pendant ces et déjà effectué une légère inflexion de trajectoire foncent
trois jours de mai ne seront
une épaisse fumée envahit le poste de pilotage. Quatre pas toujours idéales, comme vers Grenoble dont les installations ferroviaires de Saint-
membres d’équipage évacuent le bombardier tandis que le l’illustre ce cliché montrant Martin de Vinoux sont bombardées peu après. Pour les
pilote (Lieutenant Tomkins du 429th BS) parvient à maî- des B-24 du 464th BG. hommes du 1st FG, il s’agit à tous points de vue d’une
triser le sinistre et à regagner la Corse tant bien que mal. mission tranquille. Quatorze sorties sont validées sans
Sur les quatre aviateurs parachutés, seuls deux survivront victoire ni perte. À l’échelle du jour, cela représente moins
aux hostilités. de 2 % du total des vols opérationnels réalisés par le
Le 5th BW (à l’exception du 99th BG détaché sur Bihac) MASAF, qui a engagé en une seule matinée plus de
bénéficiant d’une couverture de chasse assurée par les bombardiers que lors le grand raid du 29 avril 1944.
Mustang du 31st FG bombarde finalement la ville de Simples rouages d’une vaste organisation, les pilotes qui
Saint-Etienne beaucoup plus que la gare elle-même. En participent à ces missions n’ont pas toujours conscience
quelque minutes 176 B-17 larguent plus de 400 tonnes de de l’importance de l’effort consenti par les MAAF. C’est
bombes. Elles causent la mort de plus de mille personnes ainsi que sur le chemin du retour, les hommes du Fighting
et dix fois plus de sinistrés. First notent l’exceptionnelle efficience des fumées
Outre les citadins fauchés dans les grands centres urbains de camouflage mises en œuvre au-dessus de Nice.
par les « bombes amies » il y eut également des morts
causées dans des lieux reculés non initialement visés par
l’offensive alliée. Tel est le cas de Forcalquier, sous-pré-
fecture tranquille du département des Basses Alpes ; cette
bourgade ne présentant a priori aucun intérêt stratégique
est néanmoins bombardée par erreur le 27 mai, sans
doute par un B-24 du 49th BW…
L’ensemble du grand sud subit en effet l’assaut des bom-
bardiers, et à ce titre les département Alpins l’Isère et la
Savoie sont également frappés

GRENOBLE ET CHAMBÉRY - Couvrant le 304th BW


en route vers Grenoble et Chambéry, le 94th FS a fait
décoller quinze de ses P-38. Le rendez-vous avec les
bombardiers a lieu à 9h58 à la verticale du Cap Martin.
Volant à 23 000 pieds, les Lightning prennent position
au-dessus des 454th et 459th BG, formant l’avant-garde
des B-24 qui survolent bientôt leur cible sans rencontrer
d’opposition. Le bombardement bien que jugé excellent
par les chasseurs d’escorte cause d’importants dégâts
à la vieille ville entraînant la mort de près de 200 de
ses habitants.

29
Or, si à 11h30, la baie des Anges est couverte d’une de 500 morts parmi les civils (313 tués et 153 disparus),
épaisse fumée cela résulte moins d’une quelconque action 476 blessés et près de 6 000 sinistrés.
allemande que du pilonnage massif qu’elle vient de subir Et ce n’est pas fini, car la 15th Air Force entend maintenir
de la part du 47th BW. la pression !
Deux objectifs ont particulièrement été visés : les ponts
sur le Var, déjà attaqués à de nombreuses reprises,
et la gare Saint-Roch. Le 449th BG dépêche 40 de ses SAMEDI 27 MAI 1944 : ACTE III
Liberator contre la première de ces cibles. Ils quittent
leur base vers 6h00. Le rendez-vous avec le 450th BG SALON ET MONTPELLIER - Au troisième jour de l’offen-
s’opère au-dessus de Manduria. Deux heures plus tard, sive lancée par les MAAF, les terrains de Montpellier et
les B-24 sont rejoints par leur escorte, en l’occurrence Salon-de-Provence sont une nouvelle fois bombardés.
des P-38 du 14th FG. Après un dernier virage à la verti- C’est au 49th BW qu’échoit la tâche difficile de raser
cale de Lantosque, la formation s’engage sur son Bomb des installations de Salon qui avait déjà été visées à
Run. La DCA réagit assez vigoureusement. Ses tirs par- plusieurs reprises au cours des mois écoulés. S’agissant
viennent à endommager quatre bombardiers tandis qu’un d’une cible parfaitement connue, on peut s’étonner de
cinquième le « High Life » (S/N 41-28972) appartenant au l’échec relatif de l’attaque tout autant que des dommages
718th BS est atteint de plein fouet. L’avion se désintègre subis par les assaillants. La formation conduite par le
en plein vol ne laissant aucun survivant. 37 Liberator 461st BG est vigoureusement prise à partie par la Flak
réussissent cependant à pilonner la cible. Une fois de plus, dès le passage de la côte. Plusieurs B-24 sont atteints
le pont ferroviaire sévèrement atteint sera déclaré hors plus ou moins sérieusement.
d’usage par les services d’interprétation photographique Les artilleurs antiaériens s’avèrent, également, particuliè-
tandis que le pont routier touché plus superficiellement rement actifs au-dessus de l’objectif, avec pour consé-
sera considéré comme endommagé. quence une précision médiocre lors du bombardement
Précédant de quelques minutes l’attaque sur les ponts, (24 % de bombes dans un rayon de 1 000 yards autour
le bombardement de la gare Saint Roch est entrepris par de la cible). Le « Flak Finder » du 1st Lieutenant Maroney
les vétérans des 376th et 98th BG. Les premiers abordent  C’est finalement à Marseille durement touché par ces tirs ne regagne pas sa base,
la cible à 10h26. Les 29 B-24 dégagent par la gauche sitôt frappée le 27 mai 1944 que tandis que l’équipage au grand complet se parachute
les pertes et les destructions
le largage effectué pour laisser le champ libre aux 32 qua- seront les plus importantes. au-dessus des contreforts des Alpes, où il va vivre pen-
drimoteurs alignés par les « Pyramiders ». Trois minutes Le Vieux Port, clairement dant trois mois dans la clandestinité.
plus tard un nouveau déluge de bombes s’abat sur les reconnaissable, peut servir Dans un même temps, le 304th BW attaque l’aérodrome
installations ferroviaires et les quartiers environnants. de point de repère aux de Montpellier Fréjorgues. Comme à chaque fois, le pas-
équipages américaines. La
Si des dégâts significatifs sont infligés aux cibles, ils sont zone de la gare Saint-Charles sage à la verticale des Issambres déclenche un violent
loin d’être irréparables. L’attaque cause par ailleurs près est particulièrement visée. tir de barrage. Le 454th BG avait mis en l’air 30 de

30
Raids américains
sur la Provence

ses quadrimoteurs. L’un d’eux, piloté par le 2nd Lieutenant Batz du


736th BS, est atteint par un coup direct ; hors de contrôle, « Ophelia
Bumps » (B-24 G) s’abîme en mer au large d’Agay. Seuls quatre
membres d’équipage ont le temps d’évacuer leur machine avant l’im-
pact. Ils seront faits prisonniers.
Dans les cieux, malgré les coups, le 304th BW poursuivit son vol
en direction de Montpellier. Attaqués vers 10h15 l’aérodrome de
Fréjorgues est mis hors service que très temporairement. 21 morts
et 29 blessés sont relevés parmi les personnels civils servant sur la
base. Une batterie de Flak est détruite tandis que des bombes « per-
dues » essaimées entres Mauguio et Palavas ne causent que des
dégâts matériels. Le 307th FS engage brièvement l’aviation ennemie.
Un Fw 190 endommagé est porté au crédit du 1st Lieutenant Frazier.
Le Feldwebel Müller Hagen revendique de son côté un Mustang non
confirmé au regard des états de pertes de l’USAAF.
Si ces attaques ne causent guère de dégâts et rien qui ne puisse être
rapidement réparé, tel n’est pas le cas pour les principales citées du
delta du Rhône qui vont beaucoup souffrir, à commencer par la plus
grande d’entre elle : Marseille.

MARSEILLE - Les quatre groupes constituant le 47th BW rassemblant


pour l’occasion 147 Liberator ont à l’instar de l’ensemble des forma-
tions de la 15th AF pris leur essor en début de matinée. Une bonne
météo favorise les décollages et le regroupement des différentes
formations. Le survol de l’Italie puis de la mer Tyrrhénienne se déroule
sans problème majeur, cependant que 13 B-24 sont successivement
amenés à faire demi-tour à la suite d’ennuis mécaniques. À hauteur
de l’île de Monte-Cristo, les bombardiers sont pris en charge par leur
escorte. Celle-ci est assurée par 42 Mustang depuis peu en dotation
au sein du 325th FG et dont cette mission constitue la première
sortie opérationnelle.
Le raid aborde la côte varoise à hauteur de Saint-Aygulf, où il essuie le
feu de la DCA sans enregistrer de pertes. Volant à environ 270 km/h,
il survole Draguignan quelques minutes plus tard. Après une première
inflexion de trajectoire réalisée à la hauteur du village de la Verdière,
il passe à 10h25 à la verticale de Jouques qui constitue le point ini-
tial de la mission. Les avions de tête procèdent alors à un épandage
massif de Windows afin d’aveugler les radars de la défense aérienne.
L’armada est constituée en deux forces distinctes. L’élément de droite,
composé des 98th et 376th BG, a pour objectif la gare de la Blancarde,
tandis qu’à gauche se sont positionnés les 449th et 450th BG qui ont
reçu pour instruction de s’en prendre à Saint-Charles.
À Marseille, où la grève générale a été décrétée depuis deux jours, les
sirènes d’alerte ont déjà retenti depuis près d’une heure. Ceux, mino-
ritaires, qui ont gagné les abris commencent à trouver le temps long.
Les autres, plus désinvoltes, n’ont pas fait grand cas des sonneries de
la défense passive. Au cours des deux jours passés, les sirènes ont
plusieurs fois fait entendre leur mugissement sans que jamais un seul
bombardier ne survole l’agglomération. Les leçons du bombardement
du 2 décembre 1943, si tant est qu’elles n’aient jamais été tirées par
les Marseillais, ont été depuis oubliées...
À 10h40, malgré un cafouillage qui va perturber le bon alignement
des différents groupes sur leur axe d’attaque, les bombardiers sur-
volent la chaîne de l’Étoile. Profitant d’une visibilité parfaite, 134
appareils foncent vers le cœur de la cité phocéenne. La DCA, dont les
reconnaissances alliées évaluent la force à 61 pièces lourdes, ouvre
le feu tandis que sur le port et la base sous-marine du Cap Janet on
allume des pots fumigènes. Bientôt une épaisse fumée recouvre ces
installations qui aujourd’hui n’intéressent nullement les assaillants.
Le ciel se couvre instantanément de milliers d’éclatements d’obus
qui retombent en fusant dans les rues où la panique sévit.
Sur Sant-Charles, c’est le 449th BG au grand complet qui le pre-
mier, à 10h44, se déleste de son chargement de bombes. Suivant
à cinq minutes les B-24 du 450th BG bombardent à leur tour
malgré les fumées qui couvrent l’objectif. Le 98th BG condui-
sant avec le 376th BG une formation comptant 61 unités se
présente quelques minutes plus tard au-dessus de la Blancarde.

 Les trois photos :


Les destructions subies par plusieurs grandes villes, comme ici à Marseille,
outre les pertes directes humaines au sein des populations, posent également
le problème de dizaines de milliers de sans-abris qu’il faut reloger.

31
À cause d’une défectuosité dans le système de largage  Marseille (en août 1944) 400 militaires allemands ont également péri lors de cette
du leader, le premier Flight des « Pyramiders » ne lâche après la destruction du attaque dont le souvenir douloureux marquera durable-
pont-transbordeur par les
aucune bombe sur l’objectif. Le deuxième et le troisième Allemands. La ville restera
ment la conscience des Marseillais. Toutefois, rapportées
élément vont en revanche saturer la zone de bombe de marquée durant de longues à la population de la ville, les pertes subies sont moindres
227 kilos à fort pouvoir explosif. années par les attaques que celles enregistrée ailleurs dans le grand sud-est
Quand vient le tour du 376th BG, un dégagement mas- subies en mai 1944. Tel est le cas à Nîmes où le bombardement raté du
sif de fumées générés par les incendies allumés par le  L’équipage du 2nd poste de triage de Courbessac va, le jour même, qua-
groupe précédant vient encore une fois gêner la visée Lieutenant Maroney du siment à la même heure, entraîner la mort de presque
du bombardier de tête. Le leader décide alors, de sa 766th BS, 461st BG, dont 300 personnes !
le B-24 est venu s’abattre le
propre initiative, de se détourner avec une partie de son Cet objectif à priori sans difficultés particulières a été
27 mai 1944 dans les Alpes
effectif vers la gare du Prado sélectionnée au dernier Maritimes. Les 10 aviateurs confié aux équipages du 55th BW. Les 460th, 464th,
moment. Cependant cet exemple ne sera pas suivi par pourront se parachuter. 465th et 485th BG vont y dépêcher 108 bombardiers
les équipages constituant l’arrière garde du groupe. Ces
derniers malgré une visibilité toujours aussi réduite vont
avoir à cœur de bombarder la zone assignée.
L’attaque dure moins d’un quart d’heure. Six Bf 109
aperçus de loin n’interviennent pas de façon significa-
tive. Dans un même temps, des mitrailleurs identifient
la présence de P-38 probablement égarés.
28 bombardiers sont endommagés par la Flak, mais aucun
n’est touché sérieusement. Les quadrimoteurs regagnent
leurs bases en début d’après-midi. Les chasseurs du «
Checker Tail Clan » qui ont dû se réapprovisionner en
Corse ne rejoignent Lésina que vers 16h30. La mission
sur Marseille a été un Milk Run pour les équipages. Pour
autant les résultats ne sont pas vraiment au rendez-vous.
Des destructions conséquentes ont certes été infligées
aux infrastructures ferroviaires, cependant la ville elle-
même a été touchée sur plusieurs centaines d’hectares
de superficie par les bombes. Près de 2 000 civils sont
tuées ou portés disparus ; le double est blessé plus ou
moins gravement (les statistiques officielles font état
4 453 victimes dont 1 750 tués ou disparus). Environ

32
Raids américains
sur la Provence

armés chacun de huit bombes de 227 kilos. Ils sont


rejoints par leurs escorteurs, des P-38 du 14th FG et
des P-51 du 31st FG, au large du Cap Roux. Une fois la
côte franchie, les Liberator poursuivent leur navigation.
Opérant un turning point au-dessus de Volx ils volent
ensuite sur Avignon. Peu avant d’atteindre la cité des
Papes, la formation, qui évolue à plus de 20 000 pieds, est
prise vers 10h15 dans violent barrage antiaérien tiré par
une batterie camouflée dans la périphérie de l’aérodrome
d’Orange. Les 460th et 465th BG qui avancent en tête
sont sévèrement bousculés mais c’est le 464th BG qui
va encore une fois éprouver l’adresse des artilleurs de
la Luftwaffe. C’est ainsi que le B-24 G « Old Grand Dad
Dream » est atteint par un projectile entre les moteurs
3 et 4. L’aile droite est sectionnée, puis se détache.
Le bombardier bascule sur le dos avant de se disloquer
dans une énorme explosion. Il n’y aura aucun rescapé
au sein de l’équipage du 777th BS.
Le 55th BW atteint la périphérie d’Avignon sans essuyer
d’autre perte. Les Alpilles laissées en arrière, c’est mainte-
nant la grande plaine avec au bout un objectif clairement
identifié et facilement reconnaissable. La gare de triage
de Courbessac va pourtant se trouver inexplicablement
ignorée au profit de la gare centrale située en plein milieu
de la vieille ville. Ce bombardement manqué cause peu
de dégât aux infrastructures mais en revanche de nom-
breuses pertes civiles. Les statistiques officielles feront
en effet état de 271 tués, autant de blessés et près de
500 immeubles détruits ! Les secours seront eux même
difficiles à organiser dans la mesure où la caserne des
pompiers a été l’un des premiers édifices à avoir été
touchée.
Au-dessus du Rhône, l’escorte fournie par le 14th FG
engage brièvement la chasse allemande. Le Colonel Taylor
revendique la destruction d’un « 109 », tandis que la
Luftwaffe reconnaît la perte d’un Bf 109 G. Au même
moment, Avignon est à son tour sous les bombes.

AVIGNON - L’alerte retentit à 9h55. Environ 25 minutes


plus tard, la ville est survolée au nord par les Liberator du
55th BW en route vers Nîmes. Tout porte alors la popula-
tion à croire que le danger est écarté. Pourtant, à 10h40,  Extrait de la presse de l’époque, indignée mais aussi résignée et fataliste.
Trois mois plus tard le Petit Provençal deviendra le Provençal à l’occasion
se présente au-dessus de la cité papale l’avant-garde des d’un changement de régime, de propriétaire et de ligne éditoriale...
« Forteresses » du 5th BW. Une pluie de Windows s’abat
sur la ville, tandis que le premier groupe semble encore une fois s’en varient du très bon à Lyon la Mouche et Vaisse au passable à Marseille
éloigner avant de faire demi-tour. Cette fois il n’y a pas de rémission. jusqu’au franchement mauvais à Saint-Étienne ou Nîmes. Les dom-
Dans les faits, une défectuosité dans le système de visée de l’avion mages collatéraux sont en revanche partout très importants. En ne
leader de la première vague entraîne un largage tardif en dehors de la retenant qu’une hypothèse basse, on peut estimer à un peu plus de
zone cible et conduit les trois Squadrons suivants puis le Wing tout 4 000 le nombre des civils tués à l’occasion de cette seule offensive
entier à bombarder les faubourgs tout autant que le secteur de la gare. (les chiffre concernant les blessés étant deux fois plus importants).
Des décombres de plus de 600 maisons, on relèvera 525 morts (dont Des quartiers entiers sont rasés. Des milliers d’immeubles d’habitation
de nombreux cheminots) et près de 900 blessés. sont par ailleurs détruits ou fortement endommagés conduisant dans les
Le fait, compte tenu de la confusion ayant présidé à l’exécution de la rues ou les camps d’hébergement des dizaines de milliers de sinistrés.
mission, qu’une part non négligeable des bombes larguées ait atteint D’un point de vue stratégique cette série de raids désorganisant le
malgré tout l’objectif tient dans ces conditions du pur hasard balis- trafic dans toute la partie sud de la France à un moment crucial de
tique. L’importance des dégâts infligés aux installations de la SNCF la guerre est sur le moment considérée comme un succès majeur.
est d’autant plus surprenante. Le dépôt visé est en effet soufflé et une De ce même point de vue, cette réussite est obtenue pour un coût
cinquantaine de locomotives sont détruites ou sérieusement endom- relativement modeste puisque limité à une douzaine de quadrimoteurs
magées. Les voies atteintes superficiellement sont en revanche vite perdus au combat.
remises en service. L’escorte fournie par les Lightning du 1st FG ne Il convient toutefois de tempérer cette appréciation optimiste. Moins
trouve en face d’elle aucune opposition aérienne. Seuls deux Bf 109 d’une semaine après, il ne subsistera en réalité plus guère de traces
cherchant probablement à regagner leur terrain sont observés évoluant visibles de cette victoire car des trains continueront à circuler avec obs-
à basse altitude au-dessus d’Avignon vers 11h20. tination obligeant les bombardiers à revenir à la charge ! C’est ainsi que
dès le 4 juin 1944, alors que les Alliés entrent dans Rome, un nouveau
raid conduit par les B-17 du 5th BW est diligenté contre le viaduc d’An-
ÉTAT DES LIEUX théor sans enregistrer plus de succès que les précédents. Il faut attendre
le 7 pour que le 461st BG et ses Liberator réussissent (de nouveau )
En trois jours durant ce mois de mai 1944 quatorze nœuds ferroviaires à le mettre hors d’usage cette fois pour plusieurs semaines. Pas plus
stratégiques du grand sud-est ont donc subi les assauts de 1 393 de que l’activité ferroviaire, celle des bombardiers de la 2. Fliegerdivision
quadrimoteurs américains. ne sera durablement perturbée contraignant également sur ce plan les
Les résultats obtenus du point de vue de l’effectivité des frappes MAAF a de nouvelles actions offensives ! 

33
AS
1941
1943

DANS L'OMBRE
DE
MARSEILLE

Les autres Experten en Afrique


Profils couleurs : Jean-Marie Guillou par Yann Mahé

34
Dans l'ombre
de Marseille

158
victoires, dont 150 en Afrique du Nord entre le 23 avril 1941 et le 30 septembre 1942, tel est le
palmarès d’Hans-Joachim Marseille, devenu la star de la propagande de Goebbels et l’icône de
toute la Luftwaffe. Pour les pilotes de la Jagdwaffe envoyés sur l’autre rive de la Méditerranée,
difficile de se faire une place au soleil aux côtés de « L’Étoile d’Afrique ». Jusqu’à sa mort
accidentelle et même après, tant son souvenir hantera les esprits, Marseille éclipsera ses camarades de la JG 27
mais aussi ceux des autres groupes de chasse expédiés en Afrique. L’ego propre aux pilotes de chasse, les rêves
de gloire et la jalousie de certains envelopperont même l’épopée de la JG 27 d’un parfum de scandale, du fait
du zèle douteux de Gerhard Homuth, supérieur de Marseille soupçonné de vouloir « briser » la carrière de son
subordonné afin de rester devant lui au classement des Experten africains et surtout du « Schwarm des men-
teurs » de la 4. Staffel.

SI,
dans la mémoire collective, Hans-
Joachim Marseille incarne à lui seul
le visage de la chasse allemande en
Afrique, nombreux sont pourtant
les pilotes à signer des scores impressionnants et
à cumuler les faits d’armes durant plus de deux
ans en Libye, en Égypte et en Tunisie : Schroer,
Schulz, Rödel, Stahlschmidt, Franzisket, Steinhausen,
Müncheberg, rien que ces sept pilotes cumulent plus
de 300 victoires sur le continent. Voici donc une
galerie de portraits non exhaustive, les revendications
de ces Experten appelant, comme il se doit, à la plus
grande réserve.

L’ÉMERGENCE D’EXPERTEN
AU SEIN DE LA I./JG 27
Le 14 février 1941, les premières unités du Deutsches
Afrikakorps du Generalleutnant Erwin Rommel
débarquent en Libye. Hitler a dépêché ce corps
expéditionnaire sur place afin de porter secours aux
Italiens, en fâcheuse posture dans leur colonie depuis
la contre-offensive britannique de décembre 1940 qui
a balayé le Regio Esercito parti à l’assaut de l’Égypte.
Dix jours plus tard, naît le Fliegerführer Afrika rassem-
blant les escadrilles de la Luftwaffe chargées d’assurer
la couverture aérienne de Rommel.
Le premier groupe de chasse à se poser sur le sol  Geschwader indissociable
africain est ainsi le I./JG 27 de l’Hauptmann Eduard des opérations en Afrique
Neumann, qui s’installe à Aïn el-Gazala à partir du du Nord, la JG 27, dont on
voit ici deux Messerschmitt
15 avril. Il ne faut que quatre jours à l’unité pour Bf 109 E en patrouille
enregistrer ses premières victoires sur ce nouveau au-dessus du désert libyen,
révèle de nombreux Experten
théâtre d’opérations : deux Hurricane abattus dans le dont le parcours est quelque
secteur de Tobrouk. Ils sont à mettre au crédit d’un peu eclipsé par les exploits
seul et même pilote, l’Oberleutnant Wolfgang Redlich d'Hans-Joachim Marseille.
(National Museum of the US Air Force)
(ses 11e et 12e personnelles), Staffelkapitän de la
1./JG 27. Vétéran de la Légion Condor ayant remporté  Illustration page de gauche :
ses dix précédentes victoires durant les batailles de Le 4 novembre 1942,
aux commandes de
France et d’Angleterre en 1940, Redlich entame une son Bf 109G-2/Trop,
belle série qui prendra fin le 5 décembre lorsqu’il sera l'Oberleutnant Werner Schroer,
dauphin de Marseille, abat
rappelé à l’OKL, alors qu’il comptabilisera 36 victoires, son premier quadrimoteur : un
dont tout de même 26 en Afrique. L’as sera alors B-24 D Liberator américain de
remplacé par l’Oberleutnant Hans Remmer, qui a écrit l'US Army Middle East Air Force.
les cinq premières lignes de son palmarès sur le conti-
nent noir et en ajoutera dix autres, toutes obtenues
sur ce front, à l’exception d’une signée au-dessus de
Malte lors d’un bref séjour de la 1. Staffel en Sicile
en octobre 1942.
Très vite, alors que les Panzer du DAK se lancent à  Le Staffelkapitän de la
1./JG 27, l’Oberleutnant
la reconquête de la Cyrénaïque, des talents émer- Wolfgang Redlich signe, le 19
gent dans les rangs du I./JG 27. Il y a Hans-Joachim avril 1941, les toutes premières
Marseille, bien sûr, qui ouvre son compteur avec la victoires de l'escadre en Afrique
du Nord, en triomphant de deux
3. Staffel le 23 avril, mais qui est encore bridé par Hurricane. À sa mort au combat
un Neumann n’appréciant guère ses méthodes de le 29 mai 1944, ce vétéran
combat peu orthodoxes et encore moins sa propen- de la guerre d'Espagne
comptabilise 45 victoires.
sion à ramener ses Messerschmitt à l’état d’épaves. (DR)

35
Messerschmitt Bf 109 E-7/Trop
Appareil de Ludwig Franzisket
Stab
Adjutant I./JG 27
Gazala (Libye), octobre 1941

Marseille n’est alors qu’un nom parmi d’autres pilotes de Gazala est fournie par 12 chasseurs Hurricane des
tout aussi prometteurs que lui, et notamment quatre No 1 SAAF et No 73 Squadrons. Or, la très mauvaise
associés à la période faste de l’offensive de Rommel visibilité de cette matinée disperse la formation, si bien
qui va mourir aux portes de Tobrouk à la fin de l’an- que le Captain Kenneth W. Driver, as sud-africain aux
née : Ludwig Franzisket, Albert Espenlaub, Gustav Rödel 10 victoires, se retrouve bientôt seul avec son Maryland,
et Otto Schulz. celui devant bombarder la piste Gazala-Sud. Les choses
L’Oberleutnant Ludwig « Zirkus » Franzisket est affecté empirent quand Driver s’aperçoit qu’ils ont déjà dépassé
à la Stab du I./JG 27 et il est déjà crédité de quatorze la cible, l’as se trouvant dans l’impossibilité de le signaler
victoires (2 en Pologne, 7 en France et 5 durant la bataille au bombardier, puisque celui-ci utilise une fréquence radio
d’Angleterre, toutes avec la JG 1) lorsque son unité arrive différente ! Il se déroule ainsi 32 km avant que Driver,
en Afrique. Adjutant du groupe, il réalise un doublé le volant dans l’aile du Maryland dans l’espoir de se faire
23 avril aux dépens de Hurricane au-dessus de Tobrouk comprendre par des signes de la main, ne parvienne à
 Coiffé d'un casque en
(ses 15e et 16e victoires) et un autre le 14 juin (ses 17e liège typique du début des faire faire demi-tour au bimoteur. Mais au retour, le comité
et 18e) alors qu’il a été affecté à la 3. Staffel. Ce second opérations allemandes d’accueil est réuni : la Flak entre en action et quatre
en Afrique du Nord,
doublé est retentissant. Nous sommes à quelques heures l'Oberfeldwebel Albert
Bf 109 du I./JG 27 décollent en trombe. Franzisket est
du lancement, par le général Wavell, de l’opération Espenlaub est crédité aux commandes de celui qui affronte Driver dans une
« Battleaxe », contre-offensive britannique visant à  briser de 14 victoires, toutes passe frontale. L’une de ses rafales atteint de plein fouet
remportées sur ce continent.
le siège de Tobrouk, et des Martin Maryland sud-africains (DR) le réservoir du Hurricane, qui s’embrase instantanément,
du No 24 SAAF Squadron décollent au petit matin pour la boule de feu « léchant » la nuque du pilote sud-africain.
 Ces Tommies posent
aller bombarder préventivement les aérodromes germa- fièrement à côté de ce L’Allemand enclenche sa manœuvre d’évitement si tard
no-italiens afin d’empêcher l’intervention de l’aviation Bf 109 F-4/Trop posé sur le que l’aile gauche de son « 109 » tranche net la dérive
ennemie au-dessus du champ de bataille. L’escorte du ventre le 13 décembre 1941 du Hurricane, obligeant Driver à sauter en parachute.
et ils ont de quoi : il s'agit
binôme de bimoteurs chargé d’attaquer les deux terrains de l'appareil d'Espenlaub, Sorti vainqueur de son duel, Franzisket vire pour se retrou-
contraint à l'atterrissage ver dans la queue du Maryland et l’abat sans difficulté
forcé après avoir été touché
par les rafales du Squadron
la minute qui suit. La capture au sol par les Allemands
Leader D.R. Walker. Ainsi de l’as sud-africain constitue un beau succès dûment
s'arrête la courte carrière exploité par les photographes de la Propaganda-Abteilung.
de pilote d'Espenlaub.
L'as sera tué en février 1942 Le lendemain, Franzisket s’adjuge un autre Hurricane
au cours d'une tentative à Gambut, puis deux P-40 succombent à ses rafales à la
d'évasion de son camp de fin du mois de juin, portant son score à 21. Le 19 juillet,
prisonniers en Palestine.
(DR) il envoie un troisième Curtiss au tapis, 22e victoire en

36
Dans l'ombre
de Marseille

 Belle vue du Feldwebel


Günther Steinhausen dans
son E-7/Trop de la
1./JG 27. L’appareil arbore
trois barres de victoire sur
la gouverne, ce qui peut
sembler curieux, puisque le
2 août 1941, Steinhausen est
passé de 2 à 4 à la suite d’un
doublé contre des Hurricane,
mais peut-être le second
prêtait-il à contestation.
(EN-Archives)

204 sorties qui lui vaut l’attribution, le lendemain, de la prestigieuse S’en est suivi un Martin 167 du No 21 SAAF Squadron (3e victoire)
Croix de chevalier de la Croix de fer (Ritterkreuz). Vers la fin de l’an- abattu vers Sidi Barrani le 21 du mois, alors qu’il transportait des…
née, promu Staka de la 1./JG 27, Franzisket a porté son tableau de tracts proclamant « Pilotes de chasse allemands, vous êtes battus !
chasse à 27 victimes (dont 13 en Afrique). Mais sa (première) moisson Abandonnez la lutte ! ». Puis, après cette réponse cinglante aux
africaine à la tête de la 1. Staffel est brutalement interrompue le jour « Sud-Af », plus rien jusqu’au mois de novembre. Le réveil d’Espenlaub
de Noël, lorsqu’il est envoyé « montrer les cocardes » aux troupes de a été fracassant. Entre le 15 et le 25, durant la bataille de Bir el-Gobi
l’Afrikakorps en retraite après le succès britannique durant l’opération et l’opération « Crusader », il a envoyé au tapis neuf avions ennemis
« Crusader », l’offensive alliée dont l’objectif était de desserrer l’étreinte (4 P-40, 1 Hurricane, 2 Boston, un Blenheim IV et un Maryland), portant
de Rommel sur Tobrouk. La Flak du « Renard du désert » étant alors son score à 12 victoires. Les 7 et 11 décembre, alors que Franzisket
bien plus habituée à voir des chasseurs-bombardiers alliés que des est devenu son Staka, l’Oberfeldwebel Espenlaub revendique ses deux
avions allemands, le Bf 109 de Franzisket est descendu par sa propre dernières victoires. Le 13 décembre, lors d’une patrouille avec son
artillerie antiaérienne ! Blessé au visage par de nombreux éclats, l’as ne ailier au-dessus d’El-Adem, les deux Bf 109 F-4/Trop « sautent »
retrouvera le commandement de la 1. Staffel qu’au mois de mars 1942. deux Hurricane en train de décoller de l’aérodrome : il s’agit de ceux
À la 1./JG 27, dont il prend la tête le 6 décembre, Franzisket n’aura des Squadron Leaders Tristram B. de la Poer Beresford et D.R. Walker,
eu sous ses ordres l’Oberfeldwebel Albert Espenlaub qu’une semaine. commandants respectifs des No 94 et 260 Squadrons convoqués au
Né en 1913, ce dernier est issu d’une famille prédisposée au métier de petit matin pour une réunion d’état-major et repartant alors vers leurs
pilote, puisque son grand frère, Gottlob, est un disciple de l’ingénieur unités. Bien que les Messerschmitt soient déjà loin, Walker lâche une
aéronautique Alexander Lippisch ; à son contact, il est devenu l’un rafale et touche à mort le WNr. 8477 d’Espenlaub, contraint à l’atter-
des plus brillants concepteurs et le plus illustre pilote de planeurs de rissage forcé en zone britannique. Titulaire de 14 victoires, toutes en
toute l’Allemagne. Marchant dans les pas de son frère aîné, Albert a Afrique du Nord, l’as allemand est capturé sain et sauf. Il mourra deux
intégré la 4./JG 26 fin 1939 et n’a complété son entraînement qu’un mois et demi plus tard, abattu dans la nuit du 24 au 25 février 1942,
an plus tard, se contentant avec son escadrille de simples missions lors d’une tentative d’évasion de son camp de prisonniers en Palestine.
de protection au-dessus de la Ruhr. Nommé Unteroffizier, il a été L’Unteroffizier Günter Steinhausen, originaire de Lobkevitz, sur l’île de
muté à la 1./JG 27 juste avant le départ de l’unité pour l’Afrique du Rügen, participe à la campagne en Afrique du Nord dès le début, lui aussi
Nord. Albert Espenlaub a obtenu sa première victoire sur un Hawker avec la 1./JG 27. Aux commandes de son Bf 109 E-7, il enregistre sa pre-
Hurricane de la 1re escadrille de chasse de la France libre (rattachée au mière victoire le 9 juin, un Hurricane du No 73 Squadron descendu dans
No 73 Squadron) du côté de Tobrouk dès le 21 avril 1941 [1], avant le secteur de Tobrouk, et il enchaîne neuf jours plus tard avec un nou-
de connaître une traversée du désert jusqu’au 2 août, date à laquelle veau succès sur un Brewster Buffalo, ce qui est formellement impossible
il a triomphé d’un Curtiss P-40 dans le secteur de Marsa Matruh. puisque les Britanniques ne perdent aucun appareil de ce type ce jour-là.

[1] Bien que blessé au bras, le sergent-chef Castelain est parvenu à


ramener son Hurricane à el-Gubbi, aérodrome de Tobrouk, mais il a
fait un « cheval de bois » à l’atterrissage, le détruisant totalement.
Messerschmitt Bf 109 F-4/Trop
Appareil d'Albert Espenlaub
1./JG 27
El-Adem (Libye), décembre 1941

37
Le 2 août, Steinhausen revendique un doublé sur des  Le Messerschmitt
Bf 109 E-7/Trop de Schroer
Hurricane près de Marsa Matruh, puis le 26, il est cré- au-dessus de la côte
dité de sa cinquième victoire : le Tomahawk IIb d’un as libyenne. Les débuts du
britannique du No 250 Squadron, le Sergeant Maurice pilote sont calamiteux,
avec « seulement » sept
Hards (7 victoires), forcé à l’atterrissage sur le ventre, petites victoires à son
toujours du côté de Marsa Matruh. Le 14 septembre, compteur à la fin de l'année
Steinhausen abat un P-40 Tomahawk, sixième et dernière 1941, alors que Marseille
en est déjà à 36 !
victime de cette série qui n’est interrompue que par le (DR)
départ de la 1. Staffel en Allemagne afin d’y percevoir Tobrouk, la formation allemande est interceptée par deux
 L'Hauptmann Werner
ses nouveaux Bf 109 F-4/Trop. À son retour en Libye, Schroer au sommet de sa sections de Hurricane du No 274 Squadron. Le Squadron
Steinhausen reprendra son balai infernal. gloire avec sa Croix de Leader John Lapsley parvient à se placer dans le sillage
chevalier de la Croix de fer et
les Feuilles de chêne autour
d’un Junkers, mais il est aussitôt pris en chasse par deux
du cou. Il terminera la guerre Emil, dont le WNr. 3790 de Schroer. Son appareil touché
WERNER SCHROER : avec 114 victoires (60 d'entre par ce dernier, Lapsley est contraint à l’atterrissage forcé
DES DÉBUTS DIFFICILES
elles en Afrique) dont tout
de même 26 quadrimoteurs du côté d’El-Gobbi, le pilote étant gravement blessé à la
(un en Afrique). jambe et à l’épaule lorsque les Bf 109 reviennent mitrailler
(DR)
Vétéran de la bataille d’Angleterre et des premiers com- l’épave crashée au sol. Schroer n’a guère le temps de
bats de Malte, le Leutnant Werner Schroer arrive en savourer sa première victoire, car il est à son tour pris
Afrique le 15 avril 1941, en même temps que le I./JG 27 pour cible par un chasseur de la deuxième section bri-
d’« Edu » Neumann. Âgé de 23 ans, ce natif de la Ruhr est tannique, celui du Flight Officer D.J. Spence, qui n’est
à la 1. Staffel depuis le mois de mars (il était auparavant pas loin de l’envoyer ad patres : « Je fus attaqué par un
à la 2. Staffel), et il ne compte pas la moindre victoire Hurricane venant du soleil et mon avion fut percé par 48
à son tableau de chasse. Mais à force de s’être frotté balles, mais je réussis un atterrissage forcé près de notre
à la Royal Air Force, le jeune homme finit par vaincre le aérodrome de Gazala », confie l’Allemand.
signe indien. Deux jours plus tard, une nouvelle rencontre avec…
Le 19 avril, Schroer remporte sa toute première victoire. Spence se solde par un résultat presque identique.
Alors que des Messerschmitt Bf 109 E-7 de la JG 27 Le Hurricane « tire » le WNr. 4170 de Schroer de si
escortent vingt Ju 88 de la III./KG 30 partis bombarder près que les avions entrent en collision, chacun parvenant

Messerschmitt Bf 109 E-7/Trop


Appareil de Werner Schroer
1./JG 27
Bardia (Libye), août 1941

38
Dans l'ombre
de Marseille

toutefois à ramener le sien en territoire ami et à s’y poser à la Saint-Sylvestre, Marseille s’envole seul vers son destin
en catastrophe. Schroer doit attendre le 25 juin pour avec un score déjà à 36 – Schroer ne pourra jamais le
renouer avec le succès, lorsqu’il revendique un Hurricane rattraper – et des pilotes de la 4. Staffel, pourtant arrivée
sud-africain, appartenant semble-t-il au No 2 SAAF plus tardivement avec le reste du II. Gruppe, ont déjà
Squadron. Le 8 juillet, il en ajoute un autre, descendu à dépassé très largement celui qui deviendra pourtant le
l’ouest de Bardia, avant d’abattre un P-40 Tomahawk le dauphin de l’« Étoile d’Afrique ».
19 lors d’une patrouille du côté de Ras Azzaz. Le 21 août,
ses rafales viennent à bout d’un Hurricane du No 229
Squadron escortant des Baltimore près de Bardia. Huit LE TANDEM DE CHOC
jours plus tard, le pilote allemand est crédité d’un P-40,
qui s’avère effectivement être celui de l’as australien Clive
DE LA 4. STAFFEL :
Caldwell. Ce dernier parvient néanmoins miraculeusement OTTO SCHULZ ET GUSTAV RÖDEL
à ramener à sa base son appareil qui est bon pour la En cette fin d’année 1941, deux Experten de la 4./JG 27
casse, puisque pas moins de 113 impacts de balles et font effectivement parler la poudre : l’Oberfeldwebel
d’obus de 20 mm sont comptabilisés par les mécanos Otto Schulz et l’Oberleutnant Gustav Rödel. Leurs per-
du No 250 Squadron ! formances sont d’autant plus remarquables que cette
À la 3./JG 27, après des mois de juillet et août diffi- escadrille relève du II./JG 27, tout récemment transféré
ciles, Marseille a vu la chance lui sourire de nouveau, en Afrique, comme nous venons de le voir. Ce groupe
puisqu’il a triomphé d’un Hurricane le 28 août, ce qui lui était auparavant en Union soviétique, où, entre le 22 juin
a permis de signer sa 14e victoire. À l’inverse, Schroer et le départ du front de l’Est de son dernier chasseur le
entre quant à lui dans une période compliquée. Hormis 13 octobre, il a enregistré 212 victoires.
un Hurricane abattu le 14 septembre, il n’a rien « à se Schulz n’a guère encore trop fait parler de lui, puisqu’il ne
mettre sous la dent » jusqu’à la fin de l’année. Il est vrai totalise que neuf victoires lorsqu’il pose le pied en Libye.
que la transformation du I. Gruppe sur les nouveaux Néanmoins, il prend très vite la fâcheuse habitude – du
Bf 109 F est programmée. L’arrivée du II./JG 27 en point de vue britannique – de revendiquer des triplés :
septembre permet ainsi de relever ses personnels qui un le 6 octobre, un autre le 30 octobre et encore un le
 Le 13 février 1942,
partent goûter un (court) repos bien mérité en Allemagne Hans-Joachim Marseille 28 novembre ! À cette date, ce Poméranien a remporté 22
et surtout y toucher leurs Bf 109 F-4/Trop. La 1. Staffel pose à côté de sa 46e victoires, dont 13 en Afrique. Deux jours plus tard, le 30
victime : un Hawker
est de retour sur le continent africain début novembre, la Hurricane IIb du No 274 novembre, il donne véritablement la leçon à deux as aus-
3. début décembre. Schroer a-t-il du mal à s’acclimater Squadron abattu le traliens : le Sergeant Alan « Tiny » Cameron du No 3 RAAF
à sa nouvelle machine ? Toujours est-il que celui-ci tra- 13 février 1942 dans Squadron et le Pilot Officer Neville Duke (à ce jour, crédité
le secteur de Tobrouk.
verse la fin de l’année dans l’anonymat le plus complet, Au palmarès des pilotes de 22 de ses 28 victoires) du No 112 RAF Squadron. Ces
avec un score plafonnant à sept victoires quand bon de chasse du Fliegerführer derniers décollent avec leurs escadrilles respectives afin
Afrika, l'« Étoile d'Afrique »
nombre de pilotes de la JG 27 se détachent déjà et est déjà loin devant...
d’intercepter une formation allemande venant bombarder
ont acquis leur statut d’Expert. À titre de comparaison, (NAC) les positions de la New Zealand Division à Bir el-Gobi.

39
À 9h10, le P-40 de Cameron est le premier
1
à plonger vers le sol, touché par les balles et les
obus de Schulz. Le pilote « Aussie » parvient
à en sauter, et un camarade ayant vu la corolle
du parachute s’ouvrir viendra se poser pour
le récupérer au sol en le faisant grimper dans
son cockpit (ce qui n’a rien d’une gageure,
puisque « Tiny », comme son surnom l’indique,
est de très petite taille). Dix minutes plus tard,
c’est au tour du Tomahawk de Neville Duke
de croiser le chemin de Schulz :
« Je fonçai dans la mêlée et sur un G.50 en
le poursuivant vers l’ouest jusqu’au niveau du
sol, où il s’écrasa après que je lui eus injecté
des tonnes de plomb.
Je fus alors sauté par deux-trois 109 et un
G.50. J’endommageai un 109. Je pris le
chemin du retour, mais fus pris en chasse
par un 109 F ; je parvins à esquiver quatre-
cinq attaques de sa part et à le toucher de
quelques coups, mais il allait beaucoup trop
vite. Finalement, il me toucha à l’aile gauche
et, je pense, en plein réservoir. Ma machine
se retourna sur le dos, hors de contrôle. Je vis
le sol se rapprocher, donnai alors de grands
coups de pied dans le palonnier et poussai
le manche à balai tout en priant. Je repris le
contrôle juste à temps et la machine toucha le
sable sur le ventre. Je sautai de l’avion aussi
vite que possible et fonçai tête baissée derrière
une dune, me couchant sur le ventre par terre
à environ 20 mètres du lieu du crash.
Le « Hun » piqua et mitrailla ma machine déjà
fumante, la mettant en feu. Un horrible craque-
ment et des sifflements de balles résonnèrent
près de moi et je crus que j’allais être mitraillé,
mais le « Hun » dégagea. »
Duke (24e victoire de Schulz) s’en tire bien
et un Lysander viendra lui aussi le chercher.
L’Oberfeldwebel Schulz ajoute huit victoires
à son tableau de chasse au mois de décembre :
4 P-40 (dont, le 15 décembre, celui d’un autre
as, le Pilot Officer Geoffrey Ranger, tué alors
qu’il est crédité de 5,33 victoires), 2 Blenheim
et 2 Boston. Ces succès le portent à la fin de
l’année à 32 victoires, dont 23 en Afrique
du Nord.

2 À cette date, son Staffelkapitän, l’Oberleutnant Gustav Rödel, a un score personnel exactement


identique, mais avec « seulement » 11 d’entre elles obtenues en Afrique. Né le 24 octobre
1915, ce Saxon est « vieux de la vieille ». Il est pilote de chasse depuis 1936, a fait la guerre
d’Espagne au sein de la Légion Condor, a été crédité de sa première victoire en Pologne dès
le premier jour du conflit mondial et est titulaire de la Ritterkreuz depuis le 22 juin 1941,
prestigieuse décoration qu’il a reçue pour sa 20e victoire (un Hurricane descendu durant la
campagne des Balkans). Du 3 octobre au 6 décembre, Rödel étoffe son palmarès de 5 P-40,
4 Hurricane, 1 Blenheim et 1 Beaufighter. Quatre de ces victoires sont l’objet de doublés.
Le pilote saxon n’en est alors qu’à ses débuts, car l’année 1942 le hissera au rang des plus
grands as du front africain…

GERHARD HOMUTH :
LE MEILLEUR ENNEMI DE MARSEILLE
Supérieur d’Hans-Joachim Marseille à la 3. Staffel, l’Oberleutnant Gerhard Homuth, Kapitän
de l’escadrille depuis le 1er février 1940, est celui qui concurrence le plus tôt et le plus long-
temps l’« Étoile d’Afrique ». Or, si cette rivalité se fait dans un esprit de saine camaraderie
entre Rödel et Schulz au sein de la 4. Staffel, il n’en va pas du tout de même à la 3./JG 27.
Né le 20 septembre 1914 à Kiel, Homuth est un ancien marin qui a rejoint la Luftwaffe en
1935, dont il a intégré la patrouille acrobatique de 1937 à 1938. Avec neuf victoires durant
la campagne de France et six durant la bataille d’Angleterre, il a tout du sérieux rival. Et le
moins que l’on puisse dire, c’est que les deux hommes ne s’apprécient guère. Cela relève

40
Dans l'ombre
de Marseille

même du doux euphémisme ! Archétype de l’officier formaté « à la prussienne »,


3
Homuth incarne tout le contraire de Marseille : rigide, très « à cheval » sur le
règlement et la discipline, toujours dans un uniforme impeccable, il ne perd jamais
une occasion de reprendre de volée son subordonné, ne supporte pas ses écarts
de conduite qu’il prend pour une volonté de braver son autorité et s’oppose sans
cesse à ses promotions. En février 1942, alors qu’il justifie une décision de ce genre
« pour conduite et apparence incompatibles avec le statut d’officier et manque
de respect pour l’autorité supérieure », le Staffelkapitän provoque la colère noire
de Marseille, qui, la mission suivante, rentre en vidant ses mitrailleuses dans le
sable juste devant… la tente de Homuth ! Non seulement les faits sont extrême-
ment graves, mais Homuth n’est pas Neumann, capable de fermer les yeux sur de
petites entorses au règlement, qui là, n’en sont plus et flirtent sérieusement avec
l’insubordination. Comme le souligne le Major Bernhard Woldenga, Kommodore par
intérim de la JG 27, « c’était la chose la plus stupide que Marseille aurait pu faire.
J’avais les mains effectivement liées, quelque chose devait être fait ». Homuth
convoque une cour martiale, mais le Gruppenkommandeur « Edu » Neumann intervient
in extremis pour l’éviter. Comme, en outre, Rommel vient de reprendre l’offensive et
que le Fliegerführer Afrika a besoin de tout le monde, Marseille s’en tire finalement
à bon compte, avec une interdiction de vol de plusieurs jours et la confirmation du
rejet de sa promotion. Si l’« Étoile d’Afrique », connu pour son individualisme et son
mépris de la hiérarchie, donne régulièrement le bâton pour se faire battre, les mises
à pied répétées – parfois gratuites – et la propension de Homuth, avant cet incident,
à parfois faire de « Jochen » Marseille son Kaczmarek (numéro deux, relégué à la
protection du n°1), interrogent certains pilotes de la 3. Staffel. Ces derniers y voient
un acharnement calculé, motivé par la volonté délibérée du Staffelkapitän d’écarter
un rival susceptible de lui faire de l’ombre et notamment, à cette période, d’atteindre
les 40 victoires avant lui…
Car, avant cette « affaire du mitraillage de la tente », Homuth en est à 38 victoires
au 9 janvier 1942, et Marseille à seulement deux longueurs derrière ! Le Staka a
revendiqué ses premières victimes « africaines » le 1er mai 1941 (deux Hurricane
dans le secteur de Tobrouk), et il a régulièrement enchaîné les doublés : deux
Blenheim au sud-est de Fort Capuzzo le 21 mai (21e et 22e victoires qui lui ont valu 40 victoires et prend la tête du classement des meilleurs
la Ritterkreuz), un Martin 167 et un Hurricane le 14 septembre (24e et 25e victoires), « chasseurs du Désert ». Le Staffelkapitän de la 3./JG 27
un P-40 et un Hurricane le 24 septembre (26e et 27e victoires), deux Beaufighter égalise le lendemain, mais ni lui ni personne ne pourront
le 23 décembre au sud-est de l’Arco dei Fileni (32e et 33e victoires), 2 Curtiss P-40 suivre la cadence : le 21 février, quand Homuth rem-
à Agedabia le 7 janvier 1942 (35e et 36e victoires) et encore deux le surlendemain porte son 41e succès et accède au grade d’Hauptmann,
(37e et 38e victoires). Cet impressionnant palmarès africain bâti en huit mois a exa- Marseille a déjà atteint les 50, ce qui lui vaut l’attribution
cerbé les tensions avec un Marseille en pleine ascension, à l’acuité visuelle et à la immédiate de la Ritterkreuz.
technique individuelle tellement supérieures. Le climat délétère dû à la rivalité entre l’« Étoile
Malgré tous les excès que lui permettent les privilèges de son grade, Gerhard Homuth d’Afrique » et Homuth prend fin lorsque ce der-
n’entretient pas l’illusion de rester devant son turbulent subordonné très longtemps. nier est nommé, alors titulaire de 48 victoires,
Avec 4 Curtiss P‑40 revendiqués le 8 février 1942, Hans-Joachim Marseille atteint les Gruppenkommandeur du I./JG 27 en juin 1942.

1. L'Oberfeldwebel Otto Schulz fait des


débuts tonitruants en Afrique du Nord,
en revendiquant 23 victoires en Afrique à la
date du 31 décembre 1941. C'est un véritable
« tueur d'as » qui envoie plusieurs as alliés
au tapis. Il a aussi une vilaine habitude :
mitrailler au sol ses victimes posées sur le
ventre pour rendre irrécupérable leur avion...
(DR)

2. Le supérieur de Schulz à la 4./JG 27 :


le Staka Gustav Rödel. L'homme deviendra
l'un des plus grands as de la Luftwaffe sur
ce continent, avec 52 victoires à son actif.
(US Nara)

3. Gerhard Homuth est le Staffelkapitän


de Marseille à la 3./JG 27. Il incarne tout
ce que l'« Étoile d'Afrique » déteste et
inversement. Pire : les deux pilotes sont
ouvertement en compétition au seuil des
40 victoires, palier symbolique que chacun
veut atteindre avant l'autre à n'importe quel
prix. Il en résulte des coups bas réciproques
et une ambiance détestable à la 3. Staffel.
(DR)

4. Le Leutnant Hans-Joachim Marseille


photographié dans son Bf 109 F-4/Trop
WNr. 10059, au retour de la mission
qui lui a permis de revendiquer ses
59e et 60e victoires, le 16 mai 1942.
(© ECPAD/France/1942/Photographe inconnu)

41
Gerhard Homuth termine la campagne d’Afrique du Nord victoires), Schroer est promu Staka de la 8./JG 27 le
avec 47 victoires obtenues sur ce théâtre d’opérations. 22 juin. Dès lors, plus rien ne peut l’arrêter. Le 23, deux
Démonstration de la difficulté pour certains Experten à jours après la prise de Tobrouk qui vaut à Rommel son
passer des tactiques fort différentes du front africain à bâton de maréchal, il abat un P-40 du No 274 Squadron
celles du front de l’Est, il est porté disparu lors de l’une et, le 26, il revendique son premier triplé (13e, 14e et
de ses toutes premières sorties en URSS en tant que 15e victoires) : un P-40 et un Hurricane envoyés au tapis
 Malgré des débuts difficiles,
Gruppenkommandeur du I./JG 54 le 2 août 1943, après Werner Schroer, devenu
au cours de la matinée, et un autre P-40 dans l’après-
avoir descendu un P-39 Airacobra. Il comptait alors un Staffelkapitän de la 8./JG 27, midi. Au mois de juillet, Schroer est crédité de 16 vic-
total de 63 victoires en approximativement 450 missions. se hisse sur la seconde toires, dont un triplé – en une seule sortie cette fois !
marche du podium des as
« africain » de la Luftwaffe, – en dix minutes le 3 juillet (deux Hurricane et un P-40
à égalité avec Heinz Bär qui à El-Hammam) et un autre en huit minutes le 13 juillet
LE « DAUPHIN » SCHROER arrivera un peu plus tard,
avec un total de 60 victoires.
(trois Hurricane, toujours à El-Hammam). Le 17 du mois,
(DR) il triomphe d’une 31e victime à l’ouest d’El-Alamein et
Depuis janvier 1942, la Panzer-Armee « Afrika » de obtient une permission bien méritée en Allemagne pour
 La mort accidentelle
Rommel a repris le chemin de l’offensive et les mois qui d'Hans-Joachim Marseille, le mois d’août.
suivent sont ceux de la confirmation des talents entrevus le 30 septembre 1942, C’est donc frais et dispo que Werner Schroer fait son
chez certains pilotes de chasse durant le second semestre sonne comme un bien retour sur le sol nord-africain début septembre, alors
mauvais présage pour toute
1941, même si certains d’entre eux ont traversé des la Panzer-Armee « Afrika », que la Panzer-Armee « Afrika » et la 8th Army se sont
périodes de « disette ». à quelques semaines de la neutralisées à El-Alamein. Et la Desert Air Force paie
bataille décisive d'El-Alamein.
Alors qu’il avait terminé l’année 1941 crédité de seu- Un personnel de la Luftwaffe, cash le retour du Staffelkapitän de la 8./JG 27… Celui-ci
lement sept victoires, le Leutnant Werner Schroer, qui parti à la récherche de l'épave remporte 13 nouvelles victoires en septembre, dont un
prend les fonctions d’Adjutant du l./JG 27 en mars 1942, du Messerschmitt Bf 109 F-4/ doublé le 8 sur deux Spitfire (32e et 33e victoires sanc-
Trop de l'« Étoile d'Afrique »
voit la chance lui sourire de nouveau durant la bataille dans le désert, en exhibe tionnées par la remise de la Croix allemande en or le
de Bir Hakeim, fin mai - début juin. Le 30 mai, il abat le gouvernail, paré de ses lendemain), et six (en deux sorties) dans la seule journée
158 victoires et des Épées
un P-40 et un autre (même si, compte tenu de l’horaire, de la Ritterkreuz remises à
du 15 ! En vérité, comme bien souvent, les revendications
il doit plutôt s’agir d’un Hurricane du No 73 ou du No 213 l'occasion de la 100e de l'as, allemandes appellent à la plus grande réserve. Ce jour-là,
Squadron) le 10 juin. Après un doublé sur des Curtiss retrouvé sur le site du crash. la JG 27 prétend en effet avoir descendu 24 appareils
(© ECPAD/France/1942/
cinq jours plus tard au nord-ouest d’El-Adem (10e et 11e Photographe inconnu) ennemis, dont sept sont attribués à Marseille et six à
Schroer, alors que les pertes britanniques en Égypte se
montent en vérité ce jour-là à huit Kittyhawk I…
Toujours est-il que l’as termine le mois de septembre
avec un score de 44 victoires, la dernière étant un
Spitfire abattu lors d’une mission d’escorte de Stukas à
El-Alamein. Durant cette mission, la 3./JG 27 menée par
l’Hauptmann Hans-Joachim Marseille a été la première à
repérer les chasseurs adverses et, à défaut de pouvoir les
engager, a indiqué leur position au III./JG 27 d’« Edu »
Neumann. L’« Étoile d’Afrique » a pu entendre quelques
minutes plus tard dans ses écouteurs Schroer revendiquer

42
Dans l'ombre
de Marseille

l’un de ces « Spit ». Sur le chemin du retour, une épaisse


fumée blanche envahit l’habitacle du Bf 109 G-2 flambant
neuf de Marseille, l’empêchant de garder sa ligne de vol.
Le pilote décide de sauter, mais il ne se rend pas compte,
en passant sur le dos pour évacuer son Messerschmitt,
que celui-ci s’est mis en léger piqué. Sa poitrine heurte
la dérive et, assommé par le choc, il ne peut ouvrir son
parachute. Ainsi s’éteint l’« Étoile d’Afrique », faisant
désormais de Schroer son potentiel successeur…
Le mois d’octobre apporte à ce dernier 15 nouveaux
succès, dont dix du 23 au 30, ce qui monte son total
à 59 victoires, toutes signées en Afrique. Cette perfor-
mance est récompensée par l’attribution de la Ritterkreuz,
le 21 octobre, l’avant-veille de l’offensive décisive de
Montgomery à El-Alamein. Au-dessus du champ de
bataille égyptien, où se joue le sort de la campagne
d’Afrique du Nord, les combats aériens sont dantesques
et la Luftwaffe, en très nette infériorité numérique, sou-
met ses pilotes à une cadence effrénée de sorties. Le 4
novembre, élevé au rang d’Oberleutnant trois jours plus
tôt, Werner Schroer enregistre sa première victoire sur un
quadrimoteur, un Consolidated B-24 Liberator abattu à
l’ouest de Solloum. C’est son dernier succès revendiqué
en Afrique. En effet, la JG 27 cède ses appareils à la
JG 77 et quitte définitivement le sol africain quelques
jours plus tard.
Promu Kommandeur du ll./JG 27, Schroer opèrera avec
son groupe en Sicile et dans le sud de l’Italie, avant de
participer à la défense du Reich. Il terminera la guerre
comme Kommodore de la JG 3, avec le grade de Major,
titulaire des Feuilles de chêne et des Épées de la Croix
de chevalier. Son palmarès définitif sera de 114 victoires
(26 quadrimoteurs), dont 60 en Afrique et 12 à l’Est,
en 197 missions.

« FIFI » STAHLSCHMIDT :
L’AMI DE MARSEILLE
Combattant toute sa carrière dans la 2./JG 27,
le Leutnant Hans-Arnold « Fifi » Stahlschmidt talonne
Schroer d’une petite victoire africaine et connaît une
ascension très similaire, quoique moins heureuse.
Ce Westphalien est âgé de seulement 20 ans lorsqu’il  Le Leutnant Hans-Arnold ce qui est réputé porter malchance. Ayant hérité de
« Fifi » Stahlschmidt est le
débarque sur ce théâtre d’opérations avec le grade meilleur ami d'Hans-Joachim
la machine la moins rapide des six, Stahlschmidt se
d’Oberfähnrich. Ayant tout juste achevé sa formation Marseille et plusieurs combats laisse distraire par l’apparition des 11 Kittyhawk du No
et fait son baptême du feu dans les Balkans, il n’en tournoyants menés ensemble, 112 Squadron, au point d’oublier de pousser son avion
au cours desquels ils se
a pas moins remporté sa première victoire le 15 juin : sauvent mutuellement la vie, plein gaz. Erreur fatale, il devient une proie facile pour
un Hurricane descendu à l’ouest de Gabr Saleh. Il lui a scellent leur fraternité d'arme. un pilote aussi doué que « Killer » Caldwell qui n’a qu’à
fallu attendre le 20 novembre pour remporter de nou- Titulaire de 59 victoires - qui plonger à la verticale pour l’abattre. « Quel idiot s’est
en font le quatrième Expert
veaux succès, et de quelle manière ! Trois bombardiers du théâtre d'opérations laissé descendre ? » peut entendre Stahlschmidt dans
Maryland du No 21 SAAF Squadron abattus en dix africain -, il disparaît au cours ses écouteurs, de la part de Gerhard Homuth, durant
d'une sortie le 7 septembre,
minutes. La RAF reconnaît cinq Martin 167 abattus trois semaines avant un la chute de son avion qu’il parvient tout de même à
ce jour-là, et le témoignage d’un membre d’équipage « Jochen » Marseille qui poser sur le ventre. Le pilote est heureusement récupéré
de l’un des bimoteurs sud-africains rescapés de cette accuse durement le coup... par une patrouille de reconnaissance de l’Afrikakorps.
(DR)
mission, l’Air Sergeant Thompson-Brundidge, un volon- Six jours plus tard, la fin de partie semble proche, encore
taire américain servant comme mitrailleur dorsal, ne une fois. Le Bf 109 F-4 (WNr. 8497) d’Hans-Arnold
laisse que peu de place au doute : « le leader de ces Stahlschmidt est touché par des tirs venus du sol lors
109 au nez peint en jaune était sans aucun doute un de l’attaque d’une colonne motorisée alliée. Le pilote
pilote chevronné, et je confirme qu’il est responsable est de nouveau contraint à l’atterrissage forcé, mais
d’au moins trois des bombardiers abattus ». il est cette fois « cueilli » à la sortie de son avion par
Après un Hurricane et trois Curtiss du 27 novembre des soldats polonais. Molesté à coups de crosse, ses
1941 au 22 janvier 1942, le Leutnant Stahlschmidt décorations volées, il est confié aux Sud-Africains, mais
cumule les déconvenues, ce qui explique son ascen- il parvient à échapper à la vigilance de ses gardiens et à
sion tardive. Il est tout d’abord lui-même abattu le s’évader dès la nuit suivante, parcourant les 60 km qui
21 février, contraint à l’atterrissage forcé dans le désert le séparent des lignes amies en 16 heures de marche !
à l’issue d’une rencontre perdue face à l’as australien Les Alliés vont payer chèrement le fait d’avoir laissé filer
Clive Caldwell, du No 112 Squadron. L’Allemand a un Stahlschmidt, même si celui-ci se fait encore une belle
mauvais pressentiment au sujet de cette patrouille de frayeur le 7 mai en posant sur le ventre, dans ses lignes, son
six Bf 109 des 2. et 3./JG 27 au-dessus d’Acroma, car appareil en flammes après l’explosion en plein vol de l’une
des soldats l’ont photographié juste avant le décollage, de ses mitrailleuses alors qu’il poursuivait un Kittyhawk.

43
Le 22 mai, il prend le dessus sur un Curtiss P-40 ; même chose exac- « Aujourd’hui, j’ai vécu mon plus éprouvant combat. Mais, en même
tement une semaine plus tard (9e et 10e victoires). Le mois de juin temps, cela a été ma plus merveilleuse expérience de camaraderie
est celui de la consécration : il abat huit appareils ennemis (5 P-40 dans les airs. Nous avons été engagés dans un combat, d’abord avec
et 3 Hurricane), dont un quadruplé – en deux sorties – le 26 ! Promu 40 Hurricane et Curtiss ; plus tard, 20 Spitfire sont apparus au-des-
Staffelkapitän de la 2./JG 27, le jeune homme, qui peut se targuer sus de nous. Nous étions huit Messerschmitt au beau milieu d’une
d’être l’un des rares véritables amis de « Jochen » Marseille, se livre à incroyable masse tourbillonnante de chasseurs ennemis. J’ai piloté mon
un véritable massacre le mois suivant dans le secteur d’El-Alamein, avec 109 pour sauver ma vie, mais, bien que la supériorité de l’ennemi était
26 victoires dont un quadruplé le 4 juillet (2 P-40 et 2 Hurricane, 23 à écrasante, aucun de nous n’a cherché à échapper à son devoir, nous
26e victoires), des triplés le 8 (3 Hurricane, 28 à 30e victoires), le 10 virevoltions tous comme des fous. J’ai consommé jusqu’au dernier
(2 P-40 et 1 Hurricane, 31 à 33e victoires), le 22 (idem, 38 à 40e vic- gramme de mon énergie, et au moment où nous en avons terminé,
toires) et le 27 (1 P-40 et 2 Hurricane, 41 à 43e victoires). Stahlschmidt j’avais l’écume aux lèvres et j’étais complètement épuisé. Encore et
est récompensé par l’attribution de la Ritterkreuz le 20 août 1942 encore, nous avions des chasseurs ennemis dans notre queue. J’ai dû
pour son 48e succès : le Curtiss P-40 Kittyhawk I du Flight Sergeant piquer trois ou quatre fois, mais j’ai à chaque fois tiré sur le manche
Stevens, du No 3 RAAF Squadron, qui saute en parachute et s’en tire pour retourner dans la mêlée. Une fois, il m’a semblé que je n’avais plus
légèrement brûlé. Le 3 septembre, le pilote allemand est à l’apogée d’échappatoire ; j’avais poussé mon Bf 109 à la limite de ses perfor-
de sa gloire, puisqu’il signe un quintuplé (52e à 65e victoires), en deux mances, mais un Spitfire s’accrochait toujours derrière moi. Au dernier
sorties : deux P-40 et un Spitfire tombent sous ses balles au cours de moment, Marseille l’a abattu, alors qu’il n’était plus qu’à 50 mètres
la matinée ; un Hurricane et un P-40 durant l’après-midi. L’intéressé de mon 109. J’ai piqué et redressé. Quelques secondes plus tard, j’ai
relate sa mission matinale dans une lettre adressée à sa famille : vu un Spitfire derrière Marseille. J’ai visé le Spitfire, je n’ai jamais pris

Messerschmitt Bf 109 F-4


Appareil d'Arnold Stahlschmidt
Kapitän 2./JG 27
Tmini (Libye), mai 1942

44
Dans l'ombre
de Marseille

autant de soin pour ajuster mon tir, et l’ennemi a piqué  à gauche :


Le Messerschmitt Bf 109
vers le sol en flammes. À la fin de ce combat tournoyant, « 14 » jaune de Marseille.
il ne restait que Marseille et moi. Chacun de nous avait Le capot relevé met
trois victoires. Une fois rentrés chez nous, nous sommes bien en évidence le filtre
fixé devant la prise
descendus de nos avions dans un état d’épuisement d'air du compresseur des
total. Marseille avait plusieurs trous dans son 109, et j’ai versions tropicalisées
compté 11 impacts de mitrailleuse sur le mien. Nous (Trop) du chasseur.
(© ECPAD/France/1942/
sommes tombés dans les bras l’un de l’autre, incapables Photographe inconnu)
de parler. Cela a été un moment inoubliable. »
Cette lettre, dans laquelle commence à poindre son
désespoir à la lueur de l’écrasante supériorité aérienne
alliée, est l’une des dernières écrites par Stahlschmidt.
Après un doublé le 5 septembre, et une ultime victoire
le lendemain, il décolle avec un Schwarm le 7 pour une
mission de chasse libre au sud-ouest d’El-Alamein. « Fifi »
Stahlschmidt et ses trois camarades sont interceptés par  Le Feldwebel Günther
des Spitfire du No 601 Squadron, qui revendiquent deux Steinhausen est le second
pilote allemand à descendre
Bf 109 F-4. À l’atterrissage sur l’aérodrome de Quotafiya, un Viermot en Afrique : le
l’un des rescapés confirme avoir vu la chute de l’appa- B-24 D « Eager Beaver » du
reil du Leutnant von Lieres, mais personne ne peut dire Halvorson Detachment le
9 juillet 1942 (34e victoire).
avec certitude ce qu’il est advenu de Stahlschmidt, qui L'as sera porté disparu à
est porté disparu. Quelques minutes plus tard, de retour El-Alamein, le 6 septembre,
après avoir revendiqué sa
à son PC après une mission qui l’a vu remporter deux 40e victime ; Steinhausen
nouvelles victoires, Marseille décroche lorsqu’il entend le était alors classé juste
téléphone sonner. La voix, au bout du fil, l’informe que derrière Homuth, Rödel et
Stahlschmidt, mais très loin
son ami Stahlschmidt est porté manquant : « J’arrive de Marseille. Il recevra la
tout de suite » répond-il. Très inquiet, Marseille démarre Ritterkreuz et sera promu
en trombe dans sa Kübelwagen, prenant tout juste le Leutnant à titre posthume.
(DR)
temps de glisser à ses camarades : « Stahlschmidt s’en
est toujours sorti ». Arrivé au QG de la JG 27 où les le Flight Lieutenant John Curry, le WNr. 8704 de « Fifi » Stahlschmidt ne sera
deux pilotes survivants du Schwarm sont débriefés, jamais retrouvé : il gît quelque part dans le désert. Titulaire de 59 victoires (qui en
l’« Étoile d’Afrique » les questionne à son tour. L’un d’eux font le quatrième meilleur chasseur allemand en Afrique du Nord) en un plus de 400
confirme que « Fifi » a bien été abattu et qu’il a selon missions de guerre, l’as westphalien recevra, à titre posthume, une promotion au
toute vraisemblance tenté un atterrissage sur le ventre. grade d’Oberleutnant ainsi que les Feuilles de chêne attribuées le 3 janvier 1944.
« Donnez-moi la Staffel, ou alors seulement le Schwarm
de l’état-major, Herr Major » demande Marseille à « Edu »
Neumann. « Vous restez là, Marseille… » répond sèche- 1942 : L’ANNÉE DES CONFIRMATIONS
ment le Kommodore en scrutant la mine éreintée de
l’as tout juste rentré de mission « …les 1. et 2. Staffeln
ET DES DISPARITIONS
vont décoller pour des recherches » assure-t-il, tout en Élevé au grade de Feldwebel, Günther Steinhausen entame l’année 1942 avec
lui disant de retourner auprès de sa 3. Staffel et en lui trois P-40 abattus dans la région d’Agedabia au mois de janvier, dont un doublé
promettant de le tenir au courant s’il a du neuf. Mais le 9 (7e à 9e victoires), mais, après un nouveau doublé contre des P-40 sud-afri-
personne ne reviendra avec la moindre nouvelle de « Fifi ». cains le 31 mai au nord de Bir Hakeim, c’est le mois de juin qui confirme indu-
Ce soir-là, au mess de l’escadrille, chacun pourra voir le bitablement son statut d’Expert. Le 12, il s’adjuge de nouveau deux victoires à
Staffelkapitän Marseille avaler son dîner sans un mot, le El-Adem (un Hurricane et un P-40, 18e et 19e succès), puis un quadruplé le 16
regard vide. Apparemment victime d’un as américain, (20e à 23e victoires), un triplé le 27 juin (24e à 26e) et un quadruplé le 28 (27e à 30e) !

 Hans-Joachim Marseille
(à l’extrême droite) discute
avec des pilotes de la
JG 27, dont (de dos) son
Kommodore, l'Hauptmann
Eduard Neumann, propice
à passer l'éponge sur ses
écarts, à l'inverse d'Homuth.
Remarquez l'auto Horch 850
superbement décorée !
(© ECPAD/France/1942/
Photographe inconnu)

45
 Croix de chevalier de la
Croix de fer autour du cou,
Otto Schulz est crédité de
52 victoires « africaines ».
Il est tué le 17 juin 1942,
alors qu'il mitraille une fois
de trop l'avion qu'il vient
d'obliger à se poser sur le
ventre. Pas assez attentif,
il est coiffé par le Kittyhawk
de l'as James Edward qui ne
lui laisse aucune chance...
(DR)

 Ludwig Franzisket n'est pas


loin de finir comme Marseille,
le 29 octobre 1942, lorsqu'il
est contraint d'évacuer son
Bf 109 G-2/Trop abattu par un
Spitfire. Lui a « la chance » de
heurter sa dérive seulement
avec les jambes et donc
de rester conscient pour
pouvoir ouvrir son parachute,
à l'inverse de Marseille qui
avait été assommé sur le
coup. Gravement blessé,
« Zirkus » Franzisket
quitte définitivement
l'Afrique avec 25 victoires
remportées sur place.
(DR)

Dans la soirée du 9 juillet, Steinhausen réussit sa 33e victime le 11 janvier à Antelat. Et ce En l’espace de 10 minutes, il descend quatre
à abattre son premier Viermot : un B-24 D n’est pas n’importe qui, puisqu’il s’agit du Kittyhawk du No 94 Squadron, dont celui
Liberator américain du Halvorson Detachment Flight Officer Andrew W. Barr, as australien d’un as britannique, le Squadron Leader Ernest
(34e victoire). L’as ajoute cinq autres lignes du No 3 RAAF Squadron (11 victoires), qui, Mason (15,4 victoires) qui est tué au cours
à son tableau de chasse du 22 août au en dépit de ses blessures, parvient à poser en de l’engagement, ainsi qu’un cinquième du
3 septembre. Trois jours plus tard, au cours catastrophe son Kittyhawk près d’Agedabia-El No 112 Squadron venu se joindre à la mêlée,
d’une chasse libre qui se termine par une Brega : la machine ne pourra être récupérée, pertes toutes reconnues par la RAF. Cet exploit
rencontre avec des appareils des No 7 SAAF Schulz ayant pris soin, comme à son habitude, est sanctionné par la remise de la Croix de
Squadron et No 127 Squadron, il « exécute » de mitrailler sa victime au sol pour la détruire chevalier une semaine plus tard.
un Hurricane au sud-est d’El-Alamein, mais totalement. Après une série de trois doublés Après avoir ajouté deux autres victoires à son
son Bf 109 F-4 WNr. 13272 est porté man- le 25 janvier, le 8 février et le 13 février (six compteur en mars (45e et 46e), Otto Schulz est
quant, probablement abattu par un pilote du P-40, 34e à 39e victimes, Croix allemande en promu au grade de Leutnant le mois suivant.
No 127 Squadron. Titulaire de 40 victoires, or à la clé), l’Expert entre dans légende du En mai, il est affecté à la Stab du II./JG 27 en
Steinhausen est décoré de la Ritterkreuz et Fliegerführer Afrika le 15 février. Vers 16h45, tant qu’Oberleutnant et Technischer Offizier.
promu au grade de Leutnant à titre posthume 20 Curtiss Kittyhawk des No 94 et No 112 Il revendique coup sur coup deux doublés
le 3 novembre. Squadrons se présentent et commencent à El-Adem sur des P-40 le 28 et le 31 mai (47e
L’Oberfeldwebel Otto Schulz est l’une des à mitrailler le terrain de Martuba. Décollant en à 50e victoires), dont le Tomahawk IIb piloté
autres grandes pertes de la Jagdwaffe « afri- un éclair à bord d’un Messerschmitt flambant par un autre as, cette fois-ci sud-africain, le
caine » au cours de l’année 1942. Ayant ter- neuf, Schulz engage le combat avec les assail- Major Andrew Duncan (5,5 victoires) du No 5
miné l’année 1941 avec un score personnel lants qu’il prend pour des Polonais en raison de SAAF Squadron qui ne sort pas vivant de ce
à 32 victoires, dont 23 en Afrique du Nord, leurs marquages, un damier blanc et rouge qui duel. Le 17 juin, à 10h20, le Leutnant Otto
Schulz démarre 1942 en fanfare en faisant est en fait le marquage du No 94 Squadron. Schulz envoie son dernier ennemi au tapis :

Messerschmitt Bf 109 G-2/Trop


Appareil de Gustav Rödel
Stab
Gruppenkommandeur II./JG 27
Arco dei Fileni (Libye), août 1942

46
Dans l'ombre
de Marseille

encore un as, en l’occurrence le Flight Lieutenant Walter A.G. Conrad Même s’il triomphe d’un Hurricane le 4 janvier (33e victoire),
(6,5 victoires), du No 274 Squadron. Ce Canadien pose son Hurricane l’Oberleutnant Gustav Rödel commence plutôt mal l’année 1942, car
sur le sable et s’en extrait en courant, légèrement blessé. Les habi- il doit poser en urgence son avion au sol après avoir été heurté en vol
tudes ont la vie dure et Schulz plonge comme toujours pour achever par un camarade, l’Unteroffizier Heidel. Ce n’est que le 27 mars qu’il
sa victime d’une bonne passe de mitraillage. Il effectue un premier revendique ses 34e et 35e victoires, au-dessus de la ligne « Gazala »,
strafing et juge bon d’en faire un second… qui sera fatal. Pas assez lors d’une escorte de Ju 87 du I./StG 3 qui sont interceptés par des
attentif, il est cette fois-ci coiffé par un Kittyhawk – peut-être celui P-40 du No 2 SAAF Squadron et des Hurricane du No 80 Squadron.
du Flight Sergeant James « Eddie » Edwards (16 victoires) du No 260 Rödel s’adjuge deux chasseurs ennemis. En avril, entre le 6 et le 25,
Squadron – qui ouvre le feu à bout portant. Criblé de balles, le Bf 109 il abat quatre autres P-40, portant son total à 39 victoires. L’homme
F-4 WNr. 10271 s’écrase au sol dans une gigantesque boule de feu. est promu Hauptmann le 1er mai, avant de prendre le commandement
Véritable tueur d’as, Schulz laisse derrière lui un tableau de chasse du II./JG 27 le 20 en remplacement du Major Erich Gerlitz, muté à
s’élevant à 51 victoires (dont 42 en Afrique) en environ 400 missions. la tête du III./JG 53. Le 23 mai, durant la bataille de Gazala, quatre
Autre destin brisé en Afrique, quoique de façon moins brutale, Bf 109 menés par Rödel dans une mission Freie Jagd surprennent
l’Oberleutnant Ludwig « Zirkus » Franzisket reprend le commandement des Hurricane du No 33 Squadron escortant un convoi au large de
de sa 1. Staffel en mars 1942, après ses blessures reçues au visage Tobrouk. Les assaillants ne laissent aucune chance aux pilotes bri-
dues à des tirs fratricides de la Flak. Il renoue avec le succès dès la fin tanniques et revendiquent trois victoires plus une probable. Les deux
du mois en sortant vainqueur de duels contre des P-40 le 21 et le 27 pertes reconnues par la RAF sont à mettre à l’actif de Rödel, qui a eu
(28e et 29e victoires) dans le secteur de Gazala, abat un Tomahawk le dessus sur le leader de la formation britannique, le Flight Lieutenant
du No 4 Squadron le 11 avril, avant de signer un doublé le 22 mai P.D. Wade ; celui-ci a réussi à poser sa machine sur l’eau, l’as alle-
(toujours au détriment de P-40, mais dont l’un ne peut être confirmé par mand ayant pu le voir s’éloigner à la nage, mais il est mort quelques
personne, 31e victoire). En juin, élevé au grade d’Hauptmann, il ajoute minutes plus tard, noyé ou ayant succombé à des blessures. Grâce
cinq lignes à son palmarès (dont un doublé le 27). Suivent ses deux à ce doublé, Rödel en est désormais à 41 victoires, mais son mois de
dernières victoires africaines les 5 et 17 juillet au-dessus d’El-Alamein juin est bien moins prolifique, avec un seul succès comptabilisé le 4 :
(37e et 38e), auxquelles s’ajoutent une autre, mais signée au-dessus un Curtiss P-40 du No 4 SAAF Squadron abattu lors d’une escorte
de Malte le 12 octobre. de Ju 87 sur Bir Hakeim.
L’« aventure africaine » de Franzisket s’arrête définitivement le 29 Le 10 juillet, alors qu’a débuté la première bataille d’El-Alamein, Rödel
octobre 1942, en pleine bataille d’El-Alamein, alors qu’il est abattu, au est crédité de son tout premier triplé « africain » (il en avait déjà réussi
cours d’une mission d’escorte de Stukas, par un Spitfire du No 145 un durant la bataille d’Angleterre et deux autres en Grèce) : un Spitfire
Squadron (probablement celui du Flight Lieutenant Taylor). Son et deux P-40 Kittyhawk I représentant ses 43e, 44e et 45e succès. Le
Bf 109 G-2/Trop WNr. 10616 touché, l’as allemand s’extrait de son 19 juillet, le pilote saxon revendique un doublé au détriment du No 238
cockpit pour sauter en parachute, mais, ce faisant, il heurte la dérive Squadron, mais c’est le surlendemain qu’il vit sa plus belle journée,
de son appareil. Franzisket est plus heureux que son camarade Hans- avec un quadruplé (48e à 51e victoires) obtenu sur des Hurricane IIb
Joachim Marseille, mort accidentellement dans des circonstances du No 127 Squadron, unité qui n’admet cependant la perte que de
exactement identiques quatre semaines plus tôt, car le choc ne fait deux appareils ce jour-là. Durant la bataille d’Alam el-Halfa, Gustav
« que » lui briser les jambes, alors que l’« Étoile d’Afrique, heurté Rödel enchaîne le 31 août avec une victoire sur un Spitfire, puis cinq
en pleine poitrine, a été assommé sur le coup, ce qui l’a empêché autres en septembre (dont un triplé le 5). Le mois d’octobre est sans
d’actionner son parachute. Gravement blessé, mais tombé dans les conteste le plus spectaculaire de sa carrière, avec un total de 15 avions
lignes amies, Franzisket est rapatrié en Allemagne et connaît de longs ennemis abattus : un triplé sur des P-39 le 9 octobre, un P-39 le 13,
mois de convalescence. Son score est alors à 39 victoires (dont un B-25 Mitchell achevé (le bimoteur du 12th Bombardment Group a
25 en Afrique), et il terminera la guerre avec 43 avions ennemis à été touché par la Flak et s’est écarté de sa formation) le 22, un triplé
son crédit, le reste de son palmarès consistant en des B-17 abattus sur des P-40 le 24, un autre P-40 le 26, un triplé le 27 (1 Spitfire, 1
au-dessus du Reich. P-39 et 1 P-40), un P-40 le 29 et enfin un doublé sur des P-40 le 31.

 Le « Schwarm des
Experten » de la 4./JG 27,
qui deviendra bientôt le
« Schwarm des menteurs »
lorsque « Fifi » Stahlschmidt
découvrira le pot aux roses.
Quarante-six victoires
revendiquées du 3 au 14
août 1942 quand la 6. Staffel
n'en obtient que deux
durant la même période !
De gauche à droite :
l’Oberfeldwebel Erwin
Sawallisch, l’Oberleutnant
Ferdinand Vögel (Staka 4./
JG 27), l’Oberfeldwebel
Karl-Heinz Bendert et
l’Oberfeldwebel Franz
Stigler. Ce scandale sans
précédent dans la Luftwaffe
ébranle toute la JG 27.
(© ECPAD/France/1942/
Photographe inconnu)

47
Le 1er novembre, l’Hauptmann Gustav Rödel revendique un Spitfire - 3 août : 2 vict. (Bendert 1, Sawallisch 1)
au sud de Sidi-Abd-el-Rahman (73e victoire), la toute dernière de ses - 4 août : 4 vict. (Bendert 2, Sawallisch 2)
52 victoires remportées en Afrique du Nord, car nous sommes alors - 5 août : 1 vict. (Bendert 1)
à quelques heures du retrait définitif de son escadre de ce théâtre - 6 août : 3 vict. (Bendert 2, Stigler 1)
d’opérations. Promu Kommodore de la JG 27 le 22 avril 1943, l’as - 7 août : 9 vict. (Bendert 3, Sawallisch 2, Stigler 2, Vögl 2)
terminera la guerre à la tête de la 2. Jagddivision avec le grade d’Oberst, - 10 août : 8 vict. (Bendert 2, Sawallisch 2, Stigler 2, Vögl 2)
titulaire des Épées de la Croix de chevalier, et fort d’un tableau de - 11 août : 5 vict. (Sawallisch 2, Vögl 2, Stigler 1)
chasse de 98 victoires. - 12 août : 12 vict. (Bendert 5, Sawallisch 4, Stigler 3)
- 14 août : 2 vict. (Sawallisch 2)
SCANDALE À LA 4./JG 27 : Problème : l’ennemi est alors assez peu présent dans le ciel à cette
LE « SCHWARM DES MENTEURS » époque, ce qui jette le trouble sur ces revendications impressionnantes
sans équivalent ailleurs. À titre d’exemple, la 6./JG 27 affirme durant
La nomination de Rödel au poste de Gruppenkommandeur du II./JG 27 cette même période avoir descendu seulement deux avions ennemis !
le confronte à un scandale des plus embarrassants, d’autant que les Des pilotes bien plus chevronnés de l’escadre commencent à mettre en
pilotes impliqués appartiennent à son ancienne 4. Staffel… Hans- doute les scores du Schwarm de Bendert et les rumeurs de tricherie ne
Joachim Marseille est alors en permission en Allemagne, où Hitler lui tardent pas à se frayer un chemin jusqu’aux plus hauts échelons de la
a remis les Épées de la Ritterkreuz pour son 101e succès. En Afrique, Luftwaffe, puisque le Gruppenkommandeur Gustav Rödel reçoit l’ordre
l’ambiance est au beau fixe dans les rangs de la Luftwaffe : les exploits de diligenter une enquête, toutes affaires cessantes. La missive, signée
de « l’Étoile d’Afrique » rejaillissent sur tout le Fliegerführer Afrika, Göring, Kesselring et « Edu » Neumann, ne lui laisse pas d’alternative.
Tobrouk est tombée et rien ne semble plus s’opposer à la conquête Après un bref interrogatoire, Rödel découvre vite que Bendert et Vögel
d’Alexandrie et du canal de Suez par la Panzer-Armee « Afrika » de volent toujours ensemble et bien à l’écart des autres quand ils portent
Rommel. L’euphorie des victoires pousse alors certains pilotes de chasse des revendications. « C’était assez embarrassant, se souvient Rödel. Je
à imaginer des procédés douteux pour améliorer exagérément leur ne pensais pas qu’il s’agissait de mentir intentionnellement à propos de
score, sauf que la ficelle est bien trop grosse aux yeux de beaucoup leurs victoires, mais il a été prouvé qu’il y avait une grande négligence ».
de leurs camarades… Rödel conclut en effet, un peu naïvement, que les deux « Experten »
Depuis quelques semaines, le Schwarm de l’Oberfeldwebel Karl-Heinz incriminés revendiquent leurs victoires sans vérifier que l’avion ennemi
Bendert, de la 4./JG 27, est sur le devant de la scène, ayant commencé s’est écrasé ou que le pilote en a sauté en parachute. « Nous avions
à faire parler de lui par sa chance et sa réussite insolentes qui lui ont per- un avion de reconnaissance, un Bf 109 avec un appareil photo, et une
mis de se bâtir en peu de temps un palmarès vertigineux. Comprenant autre unité ne relevant pas de la JG 27 stationnée non loin, peut-être
initialement, outre Bendert, l’Oberfeldwebel Erwin Sawallisch, l’Ober- près de Derna, qui alignait un Fieseler Storch. Ainsi, des pilotes de
feldwebel Franz Stigler et même le Staka, l’Oberleutnant Ferdinand chasse dignes de foi ont effectué des vols de reconnaissance. Les
Vögl, sans oublier, plus occasionnellement, l’Unteroffizier Ferdinand coordonnées du crash [de l’avion abattu] ou de l’engagement étaient
Just, ce Schwarm revendique pas moins de 46 victoires entre le 3 normalement requises pour l’Abschuß [destruction confirmée de l’en-
et le 14 août 1942 ! Ses revendications sont réparties comme suit : nemi], mais certaines revendications de Bendert et Vögl ne pouvaient

48
Dans l'ombre
de Marseille

être validées autrement que par leurs confirmations l’un  Portrait du Major Joachim
Müncheberg après qu'il se
en faveur de l’autre. Le scandale éclaboussait tout le soit vu décerner les Épées de
monde dans le Gruppe et ce Schwarm ; même Stigler la Ritterkreuz, le 7 mai 1942.
et moi avons été interrogés ». À sa mort en Tunisie le 23
mars 1943, le Kommodore de
Les investigations de Rödel ne vont pas plus loin car le la JG 77 est crédité de 135
pot aux roses est découvert par « Fifi » Stahlschmidt le victoires dont 24 en Afrique.
(US Nara)
16 août, lorsque le Schwarm en question rentre après
avoir descendu 12 avions ennemis : 3 sont revendiqués
par Bendert, 3 par Sawallisch, 3 par Vögl, 2 par Stiegler et
1 par Just. L’Oberfeldwebel Karl-Heinz Bendert porte ainsi
son palmarès personnel à 37 victoires et l’Oberfeldwebel
Erwin Sawallisch atteint les 33 ; le premier a augmenté
son score de 19 unités depuis le début du mois, mais
il ne va pas tarder à déchanter. Revenant d’une autre
mission à Fuka, Stahlschmidt et son ailier ont en effet
vu les cinq Messerschmitt de la 4./JG 27 vider leurs
armes… sur les dunes ! Sitôt posé, l’as de la 2. Staffel
en réfère à « Edu » Neumann qui convoque aussitôt les
incriminés. Ceux-ci n’en démordent pas et confirment
mutuellement leurs 12 victoires. Mais le Kommodore n’est
pas dupe : Stahlschmidt n’a aucune raison de mentir et
ses accusations confirment les soupçons qui entouraient
le Schwarm.
Le chef de la JG 27 est confronté à des faits gravis-  Page de gauche :
simes et à un cas inédit dans la Luftwaffe. Ivre de colère, Aérodrome de Martuba, fin
mai 1942. Gros plan sur le
il envisage de convoquer une cour martiale pour qu’elle gouvernail du Bf 109 F-4/
prononce de lourdes sanctions. Le courroux retombé, Trop de Gustav Rödel, alors
il renonce à prévenir sa hiérarchie, craignant que cette devenu Gruppenkommandeur
du II./JG27 et qui sera dans
affaire ne jette le discrédit sur toute sa Geschwader. Qui quelques mois placé dans une
plus est, Rommel ayant repris l’offensive à Alam el-Halfa, situation très inconfortable se pose à Gazala le 1er juin 1941 et est rattachée au I./
le Fliegerführer Afrika nécessite la présence de tous les par le « Schwarm des JG 27. Le premier séjour africain de Müncheberg est de
menteurs » qui combat sous
pilotes chevronnés dans les airs. Neumann se contente ses ordres. Rödel est alors courte durée, puisque son unité revient sans la moindre
donc de transmettre le rapport de Rödel et, humiliation titulaire de 39 victoires (dont perte en France dès le 31 juillet, mais avec tout de même
8 à l'Ouest, 12 sur le front
suprême pour un pilote de chasse, de remettre les comp- de l'Est et 19 en Afrique).
8 victoires à son compteur, dont 5 créditées à l’as (3
teurs des membres du « Schwarm des menteurs » à zéro, (DR) Hurricane les 20, 24 juin et 15 juillet, et un doublé sur
avant de les muter dans des Staffeln différentes. Faisant des P-40 le 29 juillet) qui a donc pu faire peindre une 48e
 Deux Experten africains
preuve de clémence vis-à-vis de ce qu’il prend pour de en grande discussion en barre sur son gouvernail.
la simple négligence à la lecture du rapport de Rödel, mars 1943 en Tunisie, Devenu Kommodore de la JG 77, le Major Joachim
devant l’Oberleutnant
l’OKL cassera partiellement les sanctions de Neumann Ernst Laube (3./JG 77) et Müncheberg fait son retour en Afrique en novembre
en rétablissant les scores de chacun. Le dossier est alors le Leutnant Armin Köhler 1942 à la tête de toute son escadre qui relève la JG 27
définitivement enterré, mais ses répercussions ne sont (2./JG 77) : l'Hautpmann épuisée par plus d’un an et demi de campagne inin-
Heinz Bär, Kommandeur
pas finies. du I./JG 77 (à gauche), terrompue et très amoindrie par la bataille d’attrition
Trois jours plus tard, le 19 août, Erwin Sawallisch trouve et le Major Joachim d’El-Alamein. Müncheberg a alors élevé son palmarès
Müncheberg, Kommodore
la mort dans des circonstances obscures : il est porté de la JG 77 (à droite).
à 116 victoires et arbore fièrement au cou les Épées
disparu au cours d’une sortie, et son corps est recueilli (EN-Archives) qu’il a récemment ajoutées à sa Croix de chevalier.
le jour-même sur le rivage de la Méditerranée. Beaucoup
pensent alors qu’il s’est suicidé en écrasant son Bf 109
dans la mer, rongé par les remords et le déshonneur.
Le 29, c’est au tour de l’Unteroffizier Ferdinand Just
de disparaître : il est abattu par un Spitfire au sud-est
d’El-Alamein et capturé par les Britanniques. Les trois
autres pilotes du « Schwarm des menteurs » survivront
à l’épreuve de la guerre, Bendert obtenant même la
Ritterkreuz le 30 octobre 1942 pour ses 42 victoires
(dont 36e en Afrique).

LES INTERMITTENTS DES


AUTRES GROUPES DE CHASSE
Évidemment, la JG 27 n’est pas la seule escadre de
chasse de la Luftwaffe à opérer en Afrique, puisque des
éléments plus ou moins importants des JG 2, JG 26,
JG 51, JG 53 et JG 77 effectuent des séjours sur ce
continent jusqu’en mai 1943 et la capitulation de la
Heeresgruppe « Afrika » en Tunisie.
La 7./JG 26, commandée par l’Oberleutnant Joachim
Müncheberg, déjà titulaire de la Ritterkreuz et des Feuilles
de chêne en récompense de sa 43e victoire lorsqu’il arrive
sur place, est ainsi l’une des premières unités à venir
concurrencer la JG 27 sur « ses terres ». L’escadrille

49
1

L’Expert prend part aux combats d’El-Alamein, puis aux 2


missions de couverture de la Panzer-Armee « Afrika »
jusqu’à son repli en Tunisie. Il enrichit ainsi son tableau de
chasse de six victimes avant la fin de l’année : un Spitfire
le 9 novembre, un autre le 27, et quatre Curtiss P-40 en
décembre (un le 10, deux le 14 et un le 15). Sa première
victoire de l’année 1943, la 123e, est un Martin Baltimore
descendu le 13 janvier. Le lendemain, Müncheberg reven-
dique trois Kittyhawk en sept minutes, deux autres en
dix minutes le 22 janvier et deux de plus le 10 mars,
portant son total à 12 ennemis abattus depuis le début
de l’année et à 134 en tout !
Joachim Müncheberg est le second « centenaire » à perdre
la vie sur le théâtre d’opérations africain. Le 23 mars
1943, l’as décolle vers 9h30 de La Fauconnerie en com-
pagnie de son ailier, le Leutnant Strasen pour voir « s’il y
a quelque chose à descendre ». Apercevant des Spitfire
du 52nd Fighter Group américain près de Sened, les deux
pilotes allemands passent à l’attaque. Müncheberg prend
en chasse le Captain Theodor Sweetland, dont le moteur
lâche de la fumée, mais il semble qu’il soit arrivé trop vite
sur sa 135e victime. La suite des événements est confuse.
D’après Strasen, le Spitfire aurait explosé et des débris
auraient percuté une aile du Messerschmitt qui se serait
alors brisée. Selon l’ailier de Sweetland, le Captain Hugh
Williamson, Sweetland aurait volontairement abordé le
Bf 109 de Müncheberg. À ce moment, Strasen descend
Williamson qui saute en parachute. Les deux Spitfire et Gruppenkommandeur du I./JG 77, qui arbore 117 marques de victoires sur le gou-
le Bf 109 percutent le sol à peu de distance les uns des vernail de son Bf 109 G‑2/Trop lorsqu’il foule pour la première fois le sable d’Afrique.
autres, en bordure de la route Gabès-Gafsa, à la borne Alors que son groupe est basé à Bir el‑Abd (Égypte), « Pritzl » Bär entame une
kilométrique 82. Müncheberg serait parvenu à s’extraire série impressionnante qui fera de lui l’un des as les plus redoutables de la fin de la
en parachute au dernier moment, mais, gravement blessé campagne d’Afrique du Nord. Dès le 2 novembre, en pleine bataille d’El-Alamein,
et récupéré par une patrouille allemande, il serait mort sur il triomphe d’un Spitfire, première victoire africaine et 118e personnelle. Le lendemain,
le chemin de l’hôpital. Crédité de 135 victoires, dont 24 il est l’auteur d’un quintuplé sur des P-40, puis d’un doublé le 5 novembre. Le 10,
africaines, le Major Joachim Müncheberg meurt à l’âge il s’offre un quadruplé dans le secteur de Solloum, ce qui lui permet d’atteindre la
de 24 ans. barre des 130. Le 11 décembre, « Pritzl » ne laisse le soin à personne d’autre de
Dans son sillage, ce dernier a emmené plusieurs revendiquer le 800e succès du I./JG 77, en abattant un Spitfire (136e victoire) ; à la
Experten, à commencer par l’Hauptmann Heinz Bär, fin du mois, l’Expert en est lui-même à 139.

50
Dans l'ombre
de Marseille

Messerschmitt Bf 109 G-2/Trop


Appareil d'Heinz Bär
Stab
Gruppenkommandeur I./JG 77
Matmata (Tunisie), février 1943

En janvier 1943, le groupe se replie vers la Tunisie. Le 14, 3


Bär se confronte pour la toute première fois à l’aviation
américaine. Et de quelle manière ! Il revendique deux B‑25
Mitchell et un P‑40, auxquels il ajoute un peu plus tard
dans la journée deux Spitfire descendus en cinq minutes.
Le 27 janvier, « Pritzl » dépasse le score des 150 ennemis
abattus en s’adjugeant trois P-40 (150e à 152e victoires).
Le 4 février, il envoie au tapis le premier des 13 B‑17 qui
figureront à son palmarès à la fin de la guerre. Une autre
« Forteresse volante » lui est refusée au cours de cette sortie
car non confirmée. La cadence des missions aériennes, face
à des Alliés qui prennent les troupes de l’Axe dans l’étau
tunisien, devient infernale et pousse les Experten à dépasser
leurs limites. Bär est ainsi crédité d’un doublé le 15 février,
puis d’un nouveau quintuplé le 26 (157e à 161e victoires).
En mars, alors qu’il est promu Major, son I./JG 77 est trans-
formé sur Bf 109 G‑6/Trop. Ce mois-ci, il ajoute 15 lignes
à son palmarès, mais seulement trois en avril (des Spitfire
les 16, 19 et 29), ses tous derniers succès en Afrique, car 1. Heinz Bär photographié
l’homme est alors clairement brisé. Bär est au bout de ses en Égypte, peu de temps
après l'arrivée de son I./JG 77
capacités physiques et mentales : cette fatigue nerveuse, sur le sol africain. Notez sa
décuplée par la douleur persistante de ses blessures de montre dont le bracelet est
guerre, pèsera dans les mois qui viennent sur la suite de sa frappé des grands caractères
blanc d'identification
carrière. C’est un pilote au bord de la dépression qui évacue DAK (pour Deustches
la Tunisie début mai 1943, mais avec un score s’élevant Afrikakorps) et les pistolets
tout de même à 177 victoires, dont 60 remportées sur ce de signalisation sur la table.

continent, ce qui le place à égalité avec Schroer.


(E-N Archives)
4
Son camarade Kurt Ubben, Gruppenkommandeur du III./JG 77, 2. Quelques semaines plus
tard, Bär observe l'horizon
est titulaire de 92 victoires – presque toutes obtenues sur le tunisien d'un air bien pensif...
front de l’Est – et des Feuilles de chêne de la Ritterkreuz lorsque L'homme termine cette
campagne littéralement
son groupe « débarque » en Afrique le 3 novembre 1942. éreinté et au bord de la
De cette date au 15 février 1943, Ubben porte son palmarès dépression nerveuse, mais
à 107 victoires (la 100e revendiquée le 14 janvier en Tunisie), avec quand même 60 victoires
africaines à son compteur !
principalement des P-40 et des P-38, sur les 110 qu’il cumulera (E-N Archives)
jusqu’à sa mort au combat le 27 avril 1944.
3. Le séjour en Afrique du
Staka de la 7./JG 77, l’Hauptmann Wolf-Dietrich Huy n’a pas Nord d'Anton Hackl, Staka
l’occasion de briller en Afrique, puisqu’il est abattu en combat de la 5./JG 77, est de courte
aérien contre des Spitfire du No 601 Squadron le 29 octobre, durée, puisqu'il est rapatrié sur
blessure après un duel perdu
alors qu’il comptait 40 victoires (dont 37 à l’Est) en quelque face à un Lockheed P-38
500 missions. Huy est capturé au sol par les Britanniques le 4 février 1943, alors qu'il n'a
et passe le reste de la guerre en détention. ajouté que six petites lignes
à son palmarès. La suite de
L’Oberleutnant Friedrich Geisshardt et l’Oberleutnant Anton sa carrière n'en demeure pas
Hackl sont deux autres grands noms de la JG 77. Le pre- moins impressionnante !
(US Nara)
mier sert à la 3. Staffel – dont il est le Staka – et s’est bâti
un solide palmarès dans les Balkans, sur le front de l’Est 4. Le « Lion de Malte »
Siegfried Freytag remporte
et au-dessus de Malte, puisqu’il totalise 91 victoires à son 17 victoires en Égypte et
arrivée en Égypte. Il ajoute neuf P-40 (dont un quadruplé en Tunisie en tant que
le 4 novembre) à son tableau de chasse avant que son Staffelkapitän de la
1./JG 77. Il terminera la guerre
séjour africain ne soit écourté par sa nomination à la tête du avec 102 victoires, avant de
III./JG 26. Funeste promotion, puisque Geisshardt est mortelle- s'engager dans la Légion
ment blessé à l’abdomen par le tir défensif d’un B-17 le 5 avril étrangère après le conflit et
d'y servir en Indochine.
1943 ; il meurt le lendemain avec un total de 102 victoires. (DR)

51
Le Staffelkapitän de la 5./JG 77, l’Hauptmann Anton  Déployant une carte séjour sur le continent (total de 48). À la 8. Staffel, le
pour un briefing avec
Hackl, en est à 118 victoires lorsque son unité atterrit ses pilotes, l’Hauptmann
destin du Staffelkapitän, l’Hauptmann Helmut Belser,
en Afrique du Nord, mais il n’ajoute que six petites lignes Gerhard Michalski, se brise au bout de la piste de Castel Benito le 19 juin
à son palmarès (des P-40, 119e à 124e victoires) en Kommandeur du II./JG 53, 1942 : son Bf 109 F-4/Trop se crashe au décollage et
signe 9 de ses 73 victoires
décembre 1942 et janvier 1943. Et pour cause : il est en Tunisie : 4 Spitfire, il reste prisonnier de son appareil en flammes alors qu’il
blessé au bras lorsque son 109 est endommagé par 2 P-38, 2 P-40 et 1 B-17. est sur une belle série de 9 victoires depuis le 30 mai.
(US Nara)
un P-38 Lightning durant une interception de B-17 le Titulaire de 36 victoires au total, Belser est décoré de la
4 février. L’as bavarois est alors rapatrié et, une fois Croix de chevalier de la Croix de fer à titre posthume.
sorti de convalescence, reprendra du service, essentiel-
lement avec la JG 11, au sein de laquelle il terminera
le conflit avec 192 victoires, dont 34 quadrimoteurs !
L’Oberleutnant Siegfried Freytag, le « Lion de Malte »,
qui, à la tête de la 1./JG 77, a terminé la campagne de
Malte avec 78 victoires, arrive en Égypte le 23 octobre.
Il « aligne » 17 victoires du 10 novembre au 7 mai. Enfin,
citons le Leutnant Armin Köhler, de la 2./JG 77, dont le
score grimpe de 15 à 22 victoires du 4 novembre 1942
au 25 avril 1943.
Les groupes de la JG 53 « Pik As » effectuent plusieurs
rotations en Afrique du Nord, le III. Gruppe en comp-
tant deux à son actif : le premier, très bref, du 8 au 17
décembre 1941, le second du 24 mai au 30 novembre
1942 (après un retour-éclair en Italie fin octobre lors de ce
second séjour). Il est rejoint à partir de novembre 1942 par
les I. et II. Gruppen qui s’installent en Tunisie après l’opé-
ration « Torch ». Deux hommes s’illustrent lors du tout
premier « tour » africain du III./JG 53 : l’Oberfeldwebel
Hermann Neuhoff, de la 7. Staffel, qui revendique quatre
 Le Leutnant Wilhem
Hurricane et P-40 entre le 11 et le 14 décembre 1941, Crinius débarque en Tunisie
succès qui lui permettent d’atteindre les 35 victoires ; avec un tableau de chasse
impressionnant : très
l’Oberfeldwebel Werner Stumpf, de la 9. Staffel, qui exactement 100 victoires
est crédité de trois victoires (ses 26e à 28e) du 12 au 14 remportées en Union
décembre. Neuhoff est abattu au-dessus de Malte le 10 soviétique. Il en ajoute
14 autres en Tunisie avec la
avril 1942 et capturé par les Britanniques. « Stumpfen » 3./JG 53, mais il est abattu le
Stumpf est quant à lui tué au combat le 13 octobre 1942, 13 janvier 1943 et capturé le
victime de la DCA ennemie après avoir ajouté 16 victoires lendemain après avoir posé en
urgence son 109 sur la mer.
« africaines » à son tableau de chasse lors de son second (US Nara)

52
Dans l'ombre
de Marseille

Messerschmitt Bf 109 G-2


Appareil de Wilhelm Crinius
3./JG 53
Bizerte (Tunisie), janvier 1943

Si le Gruppenkommandeur du II./JG 53, l’Hauptmann


Gerhard Michalski, n’est crédité en Tunisie que de neuf
de ses 73 victoires, l’Oberleutnant Franz Götz, de la 9.
Staffel, remporte la Ritterkreuz le 4 septembre pour sa
40e obtenue le 26 juin au-dessus de Solloum au détri-
ment d’un Bleinheim IV. Crédité de très exactement 100
victoires (toutes remportées sur le front de l’Est) lorsqu’il
arrive en Tunisie avec la 3./JG 53, le Leutnant Wilhelm
Crinius ajoute 14 victimes à son palmarès, dont un B-17
abattu le 26 décembre. Le 13 janvier, son Bf 109 G-2
WNr. 10805 ayant été endommagé par un Spitfire dans le
secteur d’El-Kala, à la frontière algéro-tunisienne, et dans
l’impossibilité de rejoindre son aérodrome, Crinius doit
poser son appareil sur l’eau. Après presque 24 heures
en mer, il est récupéré blessé par des marins français et
termine la guerre dans un camp de prisonniers.
Adjutant de l’escadre puis Staffelkapitän de la 8./JG
53 durant la bataille de Tunisie, l’Oberleutnant Franz
Schiess, est arrivé en Afrique fort de 24 victoires, dont
14 remportées sur le front de l’Est. Il entre dans l’histoire
du III. Gruppe en revendiquant la 800e victoire de l’unité,
un Spitfire abattu dans le secteur de Béja le 5 avril 1943,
sa 40e à titre personnel. Cet Autrichien termine la cam-
pagne avec 21 avions descendus en Afrique (à signaler un
B-17 le 29 janvier) plus un à Malte – soit un total s’élevant
alors à 46 appareils sur les 67 qui lui seront attribués à
sa mort –, avant de disparaître quelques semaines plus
tard, le 2 septembre, au large de l’île italienne d’Ischia,
vraisemblablement victime d’un P-38.
Le II./JG 51 est lui aussi transféré en Tunisie le 25
novembre 1942 après le débarquement allié en Afrique du
Nord. Le Feldwebel Anton Hafner, œuvrant à la 4. Staffel,
remporte ses premières victoires sur le continent les 16
et 17 novembre alors que son unité n’est pas encore sur
place, mais est encore basée en Sicile : un Spitfire et un
Beaufort au-dessus de Bône et Bizerte (63e et 64e vic-
toires). Une fois son II./JG 51 expédié en Tunisie, Hafner
est l’auteur d’un doublé le 27 novembre. Son ascension  Le Feldwebel Anton pilote très en vue au II./JG 51, l’Oberleutnant Günther
Hafner, as de la 5./JG 51,
est telle qu’il s’attribue personnellement 15 des 52 vic- arrive en Tunisie avec un
Rübell, Kapitän de la 5. Staffel. Il reçoit la Ritterkreuz le
toires remportées par son groupe jusqu’au 31 décembre ! palmarès de 62 victoires, 14 mars 1943 après sa 43e victoire dont six remportées
Le 2 janvier 1943, l’as et ses camarades sont aux prises toutes obtenues sur le front de en Tunisie. Le Gruppenkommandeur n’est pas en reste,
l’Est. Il en ajoutera 20 sur le
avec des Spitfire du No 72 Squadron. Hafner en abat continent africain. Il sera tué puisque le Major Hartmann Grasser, qui peut s’enorgueil-
deux (81e et 82e victoires, soit 17 en Afrique), mais il est le 17 octobre 1944 avec 204 lir de 90 ennemis abattus lorsqu’il atterrit en Tunisie,
ensuite pris en chasse par Robert « Oxo » Oxspring, un victoires remportées en 795 en revendique huit avant la fin de l’année 1942 puis cinq
missions de guerre. Décoré
as qui terminera la guerre avec 13 victoires au compteur. de la Ritterkreuz en août autres jusqu’au 26 mars 1943, atteignant son total ferme
L’Anglais ne lui laisse aucune chance : le pilote wur- 1942, il recevra les Feuilles et définitif de 103 victoires, puisqu’il est ensuite muté
de chêne en avril 1944.
tembergeois se blesse en abandonnant son appareil en feu (US Nara) à un poste d’état-major à la 4. Jagddivision. Du reste,
et est bon pour un rapatriement sanitaire en Allemagne. le II./JG 51 effectue sa dernière mission en Tunisie le
Il sera tué sur le front de l’Est le 17 octobre 1944 après 18 avril, avant de reverser ses Bf 109 G‑4 à la JG 77 le
que son Bf 109 a percuté le sol à l’issue d’un combat lendemain, ne conservant que quatre G‑2 qui décollent
tournoyant à basse altitude avec un Yakovlev. Autre aussitôt pour la Sicile.

53
Messerschmitt Bf 109 G-2/Trop
Appareil d'Anton Hafner
4./JG 51
Tunis el-Aouina (Tunisie), début 1943

La seule unité équipée de Focke-Wulf Fw 190 A en


1
Afrique du Nord, le II./JG 2 qui se pose à Bizerte le 20
novembre 1942 et quitte la Tunisie le 15 mars 1943,
s’adjuge pas moins de 112 victoires durant cette période !
L’Hauptmann Adolf Dickfeld, Gruppenkommandeur
alors titulaire de 129 victoires (toutes revendiquées
en URSS), n’a le temps d’en remporter que deux de
plus, car il est blessé accidentellement au décollage le
8 janvier 1943 lorsque son Fw 190 A-4 (WNr. 0750)
heurte un obstacle sur l’aérodrome de Kairouan. Le
Leutnant Kurt Bühlingen, Staffelkapitän de la 4./JG 2,
et l’Oberleutnant Erich Rudorffer, son homologue à
la 6. Staffel, assurent avec brio la relève. Bühlingen
passe de 26 à 69 victoires (soit 44 en Tunisie !) en
réussissant des séries impressionnantes : un triplé le 8
janvier 1943, un autre le 30, un quintuplé le 2 février,
un quadruplé sur des Spitfire le lendemain, un triplé –
encore sur des « Spit » – le 4, un quadruplé le 14, et
deux triplés sur des P-38 les 15 février et 12 mars !
L’as aux 112 victoires en 700 missions sera capturé
par les Russes sur panne moteur en mai 1945. Quant
à Rudorffer, l’un des tous meilleurs pilotes de chasse
de la Luftwaffe avec ses 224 victoires, il en revendique
pas moins de 27 à bord de son Fw 190 en Tunisie.

54
Dans l'ombre
de Marseille

Focke-Wulf Fw 190 A-4


Appareil d'Erich Rüdorffer
Kapitän 6./JG 2
Kairouan (Tunisie), janvier 1943

Ayant délaissé le commandement de la 6./JG 2 pour celui du groupe après


3
le rapatriement de Dickfeld à la suite de son accident, le jeune homme de 25
ans s’illustre au cours de deux journées mémorables. La première est celle du
9 février 1943, lorsqu’il engage une formation alliée au‑dessus du djebel Ousseltia :
« Lorsque nous avons attaqué les bombardiers, les chasseurs, des Curtiss, nous
sont tombés dessus, et la mêlée a commencé. Au bout d’un moment, les P‑40,
moins rapides que nous, ont adopté la formation défensive du cercle de Lufbery.
J’ai commencé à plonger là‑dedans, allant et venant, montant et piquant, pour
les abattre. J’ai réussi à en descendre six en sept minutes. Si je me souviens
bien du compte-rendu de ce combat, j’en ai eu un à 13h59, un autre à 14h00,
un troisième la minute suivante, un autre à 14h02, encore un autre à 14h05
et le dernier à 14h06. » Rudorffer ne s’arrête pas en si bon chemin puisque, au
cours de son vol retour, il ajoute deux P‑38 à 14h21 et 14h22 ! Une semaine
plus tard, le 15 février, en moins de cinquante minutes, il s’offre sept Lightning
et Spitfire supplémentaires. Un octuplé en l’espace de 23 minutes et un septuplé
en 50 minutes : en Afrique, un seul pilote avait jusqu’ici réalisé ce type d’exploit :
un certain Hans-Joachim Marseille… 

Bibliographie sélective
• Kurowski (F.), German Fighter Ace: Hans-Joachim Marseille : The Life Story
of the "Star of Africa", Schiffer Publishing, 2000.
• Shores (C.) (dir.), A History of the Mediterranean Air War, 1940-1945,
Vol. 1, 2 & 3, Grub Street, 2012-2016.

1. L'Oberleutnant Kurt
Bühligen est le Staka de
la 4./JG 2 et il signe pas
moins de 44 victoires en
Tunisie ! À la fin de la guerre,
il en comptera 112, toutes
remportées à l’Ouest en
quelque 700 missions, et
sera détenteur de la Croix
de Chevalier avec Épées.
(© ECPAD/France/1943/
Photographe inconnu)

2. Photographié à Kairouan,
le Fw 190 A « 1 » blanc de
l’Oberleutnant Kurt Bühligen,
Kapitän de la 4./JG 2.
(© ECPAD/France/1943/
Photographe inconnu)

3. Erich Rüdorffer, l'as


aux 224 victoires. (DR)

4. L’Oberleutant Erich
Rüdorffer dans son Fw 190
A-4 « 1 » jaune à Kairouan.
L'as succède à Adolf Dickfeld
à la tête de la 6./JG 2, lorsque
celui-ci est blessé dans un
accident au décollage.
(© ECPAD/France/1943/
Photographe inconnu)

55
HISTOIRE

1943
1944

« GARDEZ-MOI
DE MES AMIS »
Friendly Fires dans le Pacifique
par Guy Julien

E
rrare humanum est sed perseverare diabolicum. Ce proverbe latin souvent tronqué ou
mal interprété signifie en réalité que si se tromper est humain, persévérer (dans l’er-
reur) confine au diabolique. Un autre proverbe, anglais celui-là prétend que le diable
(toujours lui) se cache dans les détails. En pratique les deux vont trouver à s’illustrer
parfaitement dans le Pacifique, lors de la Seconde Guerre mondiale…
56
Friendly Fires
dans le Pacifique

 Le PT-25, équipé de
trois moteurs V-12 Packard
totalisant 1 500 chevaux
et armé de deux tourelles
de Cal.50 jumelées
et quatre torpilles.

 Marin servant des


mitrailleuses jumelées
Cal. 50 sur un PT Boat de
l’US Navy déployé dans le
Pacifique. Ces équipages
étaient surnommés les « Navy
Hooligans » (les voyous
de la marine) en raison
de leurs conceptions très
personnelles du port de la
tenue réglementaire et de la
discipline. Le futur Président
Kennedy en faisait partie…
Sauf mention contraire,
toutes photos : US Nara

 Canon de 40 mm à tir
rapide monté sur un PT
Boat. Un tel armement
représente un danger
mortel pour un avion
attaquant à basse altitude.

aviateurs vont en effet persister à tir rapide (20, 37 et 40 mm). Si la mission principale de ces « guêpes » demeure

Des
dans l’erreur, en ne faisant jamais le torpillage des navires à coups de Mk. XIII de 533 mm, le raid au long cours sur
de détails. Et les résultats seront les arrières de l’ennemi supplante peu à peu cette tâche originelle. Agissant seuls
tragiques. Passée dans le langage ou en petit groupe, les Captains des MTB (Motorized Torpedo Boat) en viennent
courant, l’expression Friendly Fires pour certains à ne plus distinguer le Star and Stripes du Jolly Roger et ont tendance
peut être traduite par « tirs amicaux ». Soucieux d’éviter à se considérer un peu comme des gentil-hommes de fortune arpentant les océans
l’oxymore nous préférerons en bon français parler de « tirs à la recherche d’une proie. Malheureusement, ce sentiment est aussi partagé par
fratricides ». En tout état de cause, les coups portés par d’autres boucaniers opérant dans cette zone : les équipages de B-25 Gunship !
erreur à des frères d’armes sont une constante depuis Une première rencontre tragique a lieu le 20 juillet 1943 en plein milieu de l’archipel
l’âge de bronze, et même avant. Il y a pourtant un abysse des Salomons, au large de Kolombangara, dans une zone appelée Fergusson Passage.
entre le coup de glaive malheureux ou le tir réflexe sur Cependant, quelques jours plus tôt, le secteur a déjà connu un cas de tir fratricide
un véhicule ami et ce qui va suivre, et qui relève parfois sur lequel il convient de revenir brièvement, dans la mesure où il peut servir d’étalon
de l’action concertée impliquant plusieurs équipages. pour considérer les autres incidents analysés à l’aune de cet engagement qui oppose
Certains vont même se révéler capables de réitérer une un quadrimoteur PB4Y à ce qu’il identifie à tort comme un G4M Betty.
opération visant des objectifs pourtant clairement iden-
tifiés comme amis, après plusieurs heures de réflexion !

NAVY HOOLIGANS
Les délinquants de l’US Navy était le surnom donné dans
les Salomons aux équipages des vedettes lance torpilles,
les PT Boats, déployées par la marine un peu partout
dans cette zone. Dotés d’un esprit de clan prononcé,
vivant en quasi-autarcie, aimant le risque, ces marins
manifestent un certain détachement vis-à-vis du carcan
de l’administration militaire qui leur impose des procédures
dont ils saisissent mal la finalité. Les Skippers sont le
plus souvent des 1st ou des 2nd Lieutenants tout juste
sortis de leur université et dont l’expérience maritime –
à l’image de celle du futur président John Kennedy affecté
au PT-109 – se limite à quelques régates au large de la
Nouvelle-Angleterre. Au sein des équipages se côtoient
employés de banque, fermiers du Middle West et ouvriers
de l’industrie automobile. La plupart n’ont jamais vu la
mer avant de s’engager. Après une formation rapide,
ils sont transférés dans le Pacifique où on leur confie
un PT Boat. Souvent produite par la firme Elco, il s’agit
d’une embarcation de 25 mètres, ultra rapide (80 km/h
de vitesse de pointe, ou 43 nœuds) et surarmée : combi-
naison de mitrailleuses lourdes (12,7 mm) et de canons

57
de 500 mètres, il a dégagé brutalement offrant ainsi
une excellente cible aux tourelles supérieure et latérale
gauche. Le temps de virer à sa poursuite nous a fait
perdre beaucoup de terrain. Bien que hors de portée,
nous l’avons malgré tout suivi pendant une dizaine de
minutes. Visiblement mal en point, il fumait et d’un coup
il a pris feu contraignant son pilote à un amerrissage forcé.
Nous avons survolé la zone. Il y avait deux survivants
surnageant au milieu des débris. Visiblement, ils n’étaient
pas Japonais…
Nous avons largué un dinghy, mais ils n’ont pas dû le
voir. Ils sont parvenus à se hisser sur un morceau d’aile et
ils n’ont plus bougé. Nous leur avons jeté deux gilets de
sauvetage. L’un d’entre eux est allé le chercher à la nage.
Nous en avons ensuite lancé un autres lesté du mes-
sage suivant : « Base informée de votre position - allons
larguer rations de survie - un canot devant vous - allons
marquer la zone avec fumigène - impossible rester plus
longtemps à cause carburant. » Le gars est reparti à la
nage et a pu ramener le canot auprès de son compa-
gnon, quand tous les deux ont été installés, nous nous
Le 12 juillet 1943 le Lieutenant Corbett arrache son  Le PB4Y-1 est en fait sommes délestés d’un quatrième gilet, auquel était fixé
PB4Y-1 de la piste de Carney Field (Guadalcanal). La mis- un B-24 D servant dans les rations, un pistolet lance-fusée et des pots fumigènes.
la Navy. Ceux de la VD-1
sion du Liberator de la VD-1 consiste à réaliser une cou- étaient équipé d’appareils À 3h02, nous avons informé la base que nous venions par
verture photo du nord de l’archipel. Chemin faisant, l’avion photo à haute définition. méprise d’abattre un appareil présumé ami. Nous sommes
de la Navy croise la route d’un bimoteur qu’il pense être finalement restés sur la zone encore près de 3 heures,
ennemi. La suite est dans le rapport circonstancié établi jusqu’à l’extrême-limite de nos réserves de carburant. »
en octobre 1943. Au retour, les aviateurs diront avoir abattu un Mosquito.
« À 2 h08, un mitrailleur a signalé à notre niveau un Celui-ci se révélera être en réalité un Bristol Beaufort du
« Betty » volant à un peu plus de 300 mètres de nous sur No. 100 Squadron de la RAAF basé à Milne Bay. En
une route parallèle. L’appareil ennemi a tout de suite piqué dépit d’intenses recherches les survivants du A 9-225
vers la mer en direction de Buka Passage (Bougainville). ne seront jamais retrouvés.
Vers 2h15 nous avons de nouveau aperçu un bimoteur Malgré les doutes exprimés par les Australiens sur la
volant bas, au-dessus de l’eau. Nous avons alors piqué réalité d’une attaque dont leurs aviateurs auraient eu
sur lui. Il nous a probablement repéré et a fait volteface. l’initiative, force est de constater que l’on se trouve ici en
À ce moment-là, nous volions l’un vers l’autre à moins de présence d’une erreur manifeste – et a priori réciproque
30 mètres d’altitude. Nous avons ouvert le feu en même – d’identification et d’une riposte en état de légitime
temps à une distance d’environ un kilomètre. Tandis que  Le PT Boat est une défense. L’enquête conclura d’ailleurs à une conjonc-
embarcation rapide et
leurs collègues à l’avant entraient en action, les mitrail- tion malheureuse essentiellement causée par l’absence
agile, capable d’enchaîner
leurs arrière et de sabord ont signalé des impacts sur les manœuvres d’évasion de communication entres services dépendant de deux
l’eau indiquant que l’hostile nous avait encadré. À moins en un clin d’œil. chaînes hiérarchiques différentes.

58
Friendly Fires
dans le Pacifique

que son camouflage le faisait ressembler à un japonais ! »


Sur ce point le Staff Sergeant Allen G Mason Jr va encore
plus loin : « Les copains nous ont largué un canot. Nous
nous y trouvions lorsqu’une vedette s’est approchée et on
pouvait distinguer sur ses flancs ce que j’ai nettement pris
pour un soleil levant. Nous allions être capturé, c’est sûr.
J’ai alors déchiré très scrupuleusement les codes radio que
j’avais conservé sur moi. En fait, c’était un de nos bateaux !
Il nous a pris à son bord où nous avons reçu des soins avant
d’être transférés à l’hôpital de Rendova. »
Au final, on déplore trois morts et trois blessés au sein de
l’équipage de l’avion abattu et onze blessés parmi celui
du PT Boat. Tous sont récupérés par la vedette 168 qui,
bien que n’ayant pas répliqué, a été endommagée lors de
cet affrontement. Ceci semble attester que Schlauffer n’a
pas été le seul pilote du flight à engager la petite forma-
tion navale. C’est donc à petite vitesse que l’embarcation
endommagée regagne sa base. Les conclusions de l’enquête
de commandement déchargeront juridiquement les pilotes
du 42nd BG de toute responsabilité au motif que les ren-
seignements fournis ne faisaient pas état de la présence
possible de navires amis dans leur zone de patrouille…
Cet épisode dramatique, durant lequel, jusqu’au dernier
moment et parfois même au-delà, chacun a cru de bonne foi
avoir affaire à l’ennemi va rapidement tourner à la légende
urbaine. D’aucun affirmant même qu’un Hellcat serait venu
régler son compte au Mitchell « agresseur » ; les aviateurs
de la Navy vengeant ainsi en quelque sorte leurs camarades
des vedettes. Cette légende va enfler au point de faire un
an plus tard la couverture du magazine « Impact ». Pour
autant elle repose sur un double fond de vérité. Un SBD
appartenant à une unité non identifiée a bien été observé
sur les lieux de l’engagement sans jamais toutefois y par-
ticiper. Sur ce point le 1st Lieutenant Oscar Vordahl, chef
de mission signale en effet « au moment où nous faisions
demi-tour, un SBD est venu survoler la zone et y a demeuré
alors que nous nous éloignons en direction de la base. »

MÉPRISE À FREGUSSON PASSAGE


Une erreur de nature bien différente mais aux consé-
quences tout aussi tragiques se produit donc une semaine
plus tard, quand les patrouilleurs 164, 166 et 168 du MTB
Squadron (MTBRon) 10 sont attaquées par quatre B-25
du 42nd BG. Au terme d’un bref mais intense échange
de tirs, la vedette 166 désemparée finit par exploser et
coule tandis qu’un Mitchell est descendu. « Je croyais que
c’était un avion Jap’ déguisé. » déclarera un mitrailleur de
la Navy. C’est à peu de chose près ce que rapporteront
ses collègues de l’Air Force ! C’est en tous les cas ce qui
ressort des souvenir du Staff Sergeant Denzil Nicholas :
« À précisément 8h00, nous avons survolé les trois
patrouilleurs. Nous volions à moins de 300 mètres
d’altitude. La visibilité était excellente, pourtant je n’ai
noté aucun signal ni aucun insigne visible. Le Lieutenant
Schlauffler a effectué un virage en descente, afin de
s’aligner sur la cible et il a presque aussitôt ouvert le feu.
Durant la passe de tir, j’ai pu noter plusieurs impacts sur
notre moteur et notre aile gauche. Je ne pourrais dire
si notre pilote a eu le temps de larguer des bombes ou
non. Quoi qu’il en soit nous avons perdu de la vitesse
immédiatement ou presque. Le moteur a pris feu. Il n’y
avait plus rien à faire et je me suis préparé à l’impact.
L’aile droite a touché les flots la première, puis l’avion
est passé sur le dos. La partie avant a volé en mor-  Ci-dessus :
L’adversaire: un B-25 D du 42nd BG ici photographié à Nouméa en 1943. Outre
ceau. Je doute qu’il y a eu le moindre survivant dans l’armement habituel, cet appareil s’est vu adjoindre quatre mitrailleuses Cal.50
ce compartiment. À l’arrière, Mason et Mitchell sont afin de dégager le passage devant lui lors d’attaques en vol rasant.
parvenus à dégager les premiers. Je les ai suivis. Nous
sommes restés environ 25 minutes à patauger à proxi-  En haut :
Un B-25 détruit un PT Boat avant de se faire descendre à son tour par un F6F : un résumé
mité du lieu où notre bon vieux 41-13153 a finalement des Friendly Fires qui, côté allié, ont marqué la guerre du Pacifique en 1943-1944. Cette
coulé. Un PT Boat s’est alors approché. J’ai bien vu illustration a servi de couverture à un revue publiée en mai 1944 aux Etats-Unis.

59
tapé dur. L’aviation embarquée devait frapper d’abord
mais soit elle était en retard soit elle s’est trompée d’île.
En fait la Navy s’est surtout manifestée au retour et à nos
dépends. Quand nous avons survolé la flotte, l’artillerie
a ouvert le feu et leurs chasseurs nous ont engagé !
Ils ont descendu mes vieux potes Taylor et Cherrington.
Tous nos appareils ont été plus ou moins gravement
touchés par ces tirs fratricides. Doyle, le navigateur de
Casey, a été grièvement blessé et son avion est bon pour
la réforme. Truker a ramené son B-25 avec un moteur en
feu jusqu’à la piste mais, au dernier moment, le Mitchell a
décroché et s’est abîmé dans les eaux du Lagon. Aucun
membre d’équipage n’a été tué mais tous en sont partis
pour une longue convalescence à Pearl !
« 31 Janvier : cinq membres de l’équipage de Taylor ont
été récupérés par un destroyer (USS Gatling DD-653 ;
NdlA). On ne sait pas encore qui est porté manquant.
Nous ne restons que quatre équipages du Squadron ori-
ginal arrivés il y a à peine un mois! Aujourd’hui, la Navy
doit s’emparer de Wotje. Bonne chance… »
Ces souvenirs sont confirmés par le rapport de mission
établit par l’officier de renseignement du 396th Bomb
Squadron : « Les neuf B-25 après avoir quitté l’objectif
ont adopté une formation en V. ils ont volé sur environ
50 kilomètres, cap au 154, avant de virer comme prévu
au 172. Au bout de 60 kilomètres sur cet axe, une
importante force navale navigant au 210 a été aperçue.
Bien que nos hommes aient correctement identifié les
navires comme appartenant à l’une de nos Task Force,
ils ont modifié leur course au 192 pour éviter de survo-
ler la flotte. À ce moment, le bon fonctionnement de
l’IFF a été vérifié, mais pour plus de sûreté des codes
d’identification ont été échangés en morse optique au
moyen de lampes Aldis. Malgré ces précautions, certains
destroyers (il s’agit au sein du TG-58 2 constitué autour
des porte-avions Essex, Intrepid et Cabot des USS Healy
DD-672 et Knap DD-653 NdlA) assurant la défense du
périmètre extérieur du groupe de combat ont ouvert le
feu sur nos appareils qui ont immédiatement viré au 230
pour s’éloigner. De nouveaux échanges en morse ont eu
lieu et tous les escorteurs sauf un ont suspendu leur tir.
À ce stade, le Squadron a été engagé par des Hellcat.
C’est ainsi que le 621 a été attaqué par deux F6F qui,
sortant d’un nuage, l’ont engagé en effectuant une passe
Toutefois, en vérité, il est probable que les événements  Le PT-166 victime sur son 3/4 arrière. Ils ont été repérés alors qu’ils se
qui ont alimenté la rumeur se soient déroulé six mois plus d’un B-25 du 42nd trouvaient encore à 800 mètres du B-25. Ils ont ouvert
BG en juillet 1944.
tard. Il s’agit en l’occurrence d’un dossier officiellement le feu à moins 600 mètres de distance. Une seconde
non classé et a priori même non ouvert du côté de la  Le même B-25 que passe a été effectuée dans les mêmes conditions par deux
Navy qui n’a jamais reconnu ses torts au grand jour. la page précédente, lors autres Hellcat (ou les même Ndt). Pendant tout le temps
d’un vol en compagnie de
où ils se sont trouvés sous le feu ami, nos hommes n’ont
l’un de ses congénères.
L’armement encore limité à cessé d’émettre des signaux de reconnaissance. Ils n’ont
LA BATAILLE DE ROI 8 mitrailleuses de 12,7 mm
pourra évoluer et en
pas riposté. Cela n’a pas empêché le 825 de subir à son
tour l’assaut d’un Hellcat. Quatre des nôtres, victimes de
comporter jusqu’à 14, sur les
À la fin de 1943, alors que Rabaul s’inscrit dans le versions dites « Solid Nose ».
cette interception, ne sont pas rentrés à la base. Le 284
viseur des appareils de la 5th AAF, ceux de la 7th, qui a été abattu. Le 780 gravement endommagé à fini son
accompagnent la progression des Forces de Nimitz en vol au milieu du lagon. Moins gravement atteints les 367
Micronésie, se focalisent sur un atoll a priori sans intérêt : et 616 ont pu regagner Makin. »
Tarawa. Emporté de haute lutte, ce petit bout de terre Et puis, ce fut le silence. Il ne semble pas qu’une enquête
constitue en fait un marchepied nécessaire au dévelop- de commandement ait été diligentée. Si cela a été le cas,
pement de l’offensive entreprise dans la région par les son rapport semble s’être opportunément perdu. En tout
forces américaines. état de cause, aucune conclusion ne subsiste.
C’est dans cette optique que le 41st BG vient en décembre Dans un premier temps, afin d’éviter de trop se perdre
1943 poser les roues de ses B-25 sur les pistes à peine en conjecture, on peut retenir soit l’hypothèse d’une
aménagées de l’atoll « sanglant ». Les bases japonaises mauvaise identification des agresseurs soit celle d’une
des Marshall vont dès lors subir la loi de ces marchands volonté délibérée des parties d’étouffer une affaire
de mort subite que sont les Mitchell. Cependant leur gênante, d’autant plus facilement qu’en définitive un
intervention n’a rien d’une sinécure comme le prouve le seul aviateur, le 2nd Lieutenant Daniel Kritz, a perdu la
journal du 1st Lieutenant Thompson, alors pilote de l’une vie lors de l’accrochage.
des canonnières du groupe et qui relate un fait saisissant. La première de ces pistes, l’intervention massive de la
« 30 janvier : apparemment la mission d’hier a été une chasse nippone au-dessus d’une flotte ennemie puissam-
grande réussite. Sans casse sur l’objectif. Nous avons ment défendue et disposant en outre d’une couverture

60
Friendly Fires
dans le Pacifique

leur côté un « Topsy », la version japonaise de notre


DC-3, qu’ils ont cueilli roulant sur la piste de Roi. »
Deux faits doivent ici nous interpeller. D’une part, les
Japonais ne semblent pas signaler ce jour-là de pertes
correspondant aux G4M prétendument abattus. D’autre
part, Alex Vraciu, malgré plusieurs campagnes de presse
montées dans l’après-guerre et des soutiens influents
au Sénat, n’a jamais été récompensé par l’attribution
d’une Médaille d’Honneur du Congrès à laquelle ses
états de service le destinaient pourtant naturellement.
En adoptant la formule célèbre qui indique que « lorsque
il y a un flou, c’est qu’il y a un loup » et en usant
avec elle d’un raccourci vertigineux on pourrait ainsi
considérer que Vraciu et ses camarades auraient des-
cendu par erreur des B-25 en lieu et place des « Betty ».
La Navy aurait ensuite couvert l’affaire mais pas au
point d’honorer un homme au dossier entaché par une
faute rédhibitoire.
Une telle conclusion sans doute réjouissante pour le
chasseur de scoops historiques ne tient pourtant pas.
Certes, les Mitchell ont bien été « agressés » alors qu’ils
survolaient une flotte alliée couverte par des CAP. Les
circonstances et la description du combat présentent
également des similitudes frappantes. Pourtant, si l’on
radar performante, ne trouve aucun écho chez l’un ou l’autre des protagonistes. s’en tient aux rapports de mission et de perte du 41st
Qui plus est, ses capacités de riposte devaient avoir été considérablement émous- BG, l’engagement a eu lieu beaucoup plus au nord et
sées par le pilonnage continu de ses bases tout au long de la journée par les surtout en fin d’après-midi, soit 8 heures après l’action
avions américains tant terrestres qu’embarqués. C’est ainsi que les Hellcat de la conduite par les Hellcat de l’Intrepid. Ceux-ci méritent-
VF-6 de l’USS Intrepid, après avoir effectué une première sortie matinale visant ils pour autant d’être définitivement absous ? Ce n’est
les défenses de l’aérodrome de Roi-Namur, sont désignés pour fournir une CAP pas si sûr, car malgré tout un demeure un fait trou-
à la TG-58 2. Les 12 appareils qui y participent quittent le pont à partir de 9h30. blant. La VF-6 a bien fourni conjointement avec la VF-9
La suite est rapportée dans le journal du Lieutenant Commander Harry Harrison : à cette même heure (17h30) des appareils pour une
« Nos gars ont commencé à patrouiller à 10 000 mètres mais il n’y avait rien à seconde CAP. Or, de toutes les unités engagées, elle
cette altitude, si ce n’est des nuages. Ils sont alors descendus à 3 000 mais c’était est la seule à se prévaloir au cours de cette journée
pareil. Finalement deux divisions se sont alors positionnées à 1 500 mètres et là il de victoires aériennes obtenues contre des bimoteurs.
y a eu du sport. Ils sont tombés sur des japonais venant probablement de Wotje Une présomption ne constitue pas une preuve comme
ou Taroa. Les 12 Hellcat se sont précipités à la curée avec les résultats suivants. en matière pénale le doute doit bénéficier à l’accusé ;
Hall et sa 4e Division ont eu un « Betty », Hobbs et Merritt un autre et Klinger un le respect de ce principe justifie sans doute ici, pour
troisième. Vraciu en a eu trois à lui seul ! Fairbanks et Robbins revendiquent de toujours, un non-lieu.
 F6F-3 de la VF-6
photographiés en janvier
1944 sur le pont de l’USS
Intrepid (CV-11).

 Alexander Vraciu de la
VF-6 rapporte la destruction
de deux « Betty » le 29 janvier
1944. À la fin de la guerre,
il aura accroché 19 avions
à son tableau de chasse.

61
D’un point de vue tout à fait factuel, les Japonais ne
revendiquant pas de B-25 descendus ce jour-là dans le
secteur de Kwajalein et l’US Navy (on s’en doute) pas
davantage, le mystère reste entier, officiellement. Quoi
qu’il en soit le mythe du Hellcat vengeur s’en prenant à
des B-25 va alors commencer à courir les popotes et les
coursives d’autant plus que d’autres incidents opposant
marins et aviateurs ne vont pas tarder à se produire !

LE DÉSASTRE DE BANGULA BAY


Le 27 mars 1944, les patrouilleurs 353 et 121, respec-
tivement aux ordres de George Gukert et de Richard
Secrest naviguent de concert, lorsqu’ils pénètrent au
petit matin dans la baie de Bangula (côte septentrionale
de la Nouvelle-Bretagne) afin d’y traquer un vapeur nip-
pon signalé la veille. Malheureusement, les hommes des
MTBRon 8 et 25 ne sont pas les seuls à s’être lancés
sur cette piste. À 7h45, les deux embarcations sont en
effet survolées par quatre P-40 Australien appartenant
au No. 78 (RAAF) Squadron basé à Kiriwina.
L’officier des opérations du MTBRon 25, le Lieutenant
Crowell Hall, navigant ce jour-là sur le 353, parvient à
entrer en communication radio avec les aviateurs. Ceux-ci
lui indiquent en réponse avoir déjà traité la cible : celle-ci
est considérée comme désemparée. L’objet de leur mis-
sion s’étant évanoui, les PT Boats virent de bord, cap
au large, quand ils sont engagés par un second flight de
P-40, toujours du No. 78 Squadron, accompagnés pour
l’occasion par un Beaufigther du No. 30. Ne répondant
ni à la radio ni aux signaux, les avions vont littéralement
s’acharner sur la flottille qui, en état de légitime défense,
riposte de son mieux. Ajoutant encore à la confusion,
survient un second Beaufigther dont le pilote, qui identifie
correctement les PT Boats, s’égosille à la radio pour faire
cesser le feu. Malheureusement, ses camarades aviateurs
ignorent totalement ses appels.
À court de munitions, où s’étant enfin rendus compte de
leur erreur, les Australiens abandonnent la partie, laissant
les deux vedettes stoppées et en proie aux incendies.
Les équipages ont tout juste le temps de les évacuer
avant qu’elles ne coulent. Deux P-40 reviennent alors
à basse altitude. Ils larguent aux naufragés un canot de
sauvetage et lancent par radio un appel de détresse. Cinq
heures plus tard, escortées par les monomoteurs du No.
78 Squadron, les patrouilleurs 346 et 354 arrivent sur
la zone du combat et recueillent les survivants. Quatre
officiers et quatre hommes d’équipage ont été tués et
douze autres blessés.
Cet épisode est alors le plus tragique jamais survenu dans
cette zone. Les investigations conduites à l’issue de cet
engagement démontreront que l’erreur est imputable aux
services de renseignement australiens attachés au No. 78
Squadron, qui n’ont pas répercuté correctement toutes
les informations en leur possession. Nonobstant, une
partie des aviateurs à correctement identifié les marins, les
autres non! Appartenant à la même unité, ils ont persisté
dans l’erreur, malgré les appels à la radio, les signaux de
reconnaissance et même l’intervention de l’un des leurs.

 En haut :
Bristol Beaufort australien prétendument
confondu avec un G4M japonais !

 Au milieu :
Armuriers australiens se préparant à garnir les casiers à
munitions de P-40 avant un départ en mission. La RAAF
aussi s’en prendra aux patrouilleurs de l’US Navy. (DR)

 Ci-contre :
Photographiés à Rendova, les PT 180 et 183 de la
MTBRon 11. On note l’efficacité de leur camouflage.

62
Friendly Fires
dans le Pacifique

Par une cruelle ironie du sort, le PT 346 qui s’est le


premier porté sur le lieu du combat va être victime trois
mois plus tard d’une erreur encore plus dramatique, car
préméditée !

LA TRAGÉDIE DU CAP LAMBERT


Nous sommes le 28 avril 1944. Lancé de nuit dans
une mission de recherche et de destruction dans les
parages de Rabaul, le PT-347 du Lieutenant Robert
Williams se rapproche trop des récifs du Cap Pomas. Il
heurte ainsi un obstacle immergé qui déchire sa coque
de bois et le retient prisonnier. Immédiatement informé,
l’état-major de la MTBRon 25 détache sur place le PT
350, aux ordres de Stanley Manning, afin de lui prêter
assistance. Celui-ci arrive sur la zone au lever du soleil.
Alors que les équipages se démènent pour se sortir de
ce mauvais pas, surviennent deux F4U de la VMF 215,
emmenés par le Major James Dill . Ayant décollé de
leur terrain de Piva, les Corsair sont en passe de boucler
leur patrouille quand ils repèrent les vedettes affairées
en bordure de la barrière de corail, en limite de la zone
tenue par les Japonais. Considérant dans ces conditions
les embarcations comme ennemies, les pilotes de l’USMC
prennent aussitôt une formation d’attaque. Grimpant à
2 000 mètres, ils engagent leur cible en piqué. « Nous
n’avons noté aucun signe de reconnaissance d’aucune
sorte », dira plus tard Dill. Il semble pourtant que les
marins ne répliquant pas à la première attaque tentent
au contraire par tous les moyens de se faire connaître.
Signaux optiques, radio, bannière, rien n’y fait. En état de
légitime défense, Williams donne l’ordre de riposter. Ses
mitrailleurs descendent alors le F4U BuAer 13307 entraî-
nant dans la mort son pilote le 1st Lieutenant Edward
Cochran. Si le « Zombie » (surnom du PT 347) s’en sort
avec quelques dommages légers, en revanche, sur le «  Deux canons de 40 mm, quatre de 20, le PT Boat 810 est un vrai porc-épic,
Shifty Fifty » (PT 350) on déplore trois membres tués. difficile a touché en évolutions serrées à près de 40 nœuds. Seule ombre au
Les choses déjà suffisamment graves pourraient en rester tableau, ces embarcations ultrapuissantes ne sont presque pas blindées.
là mais les deux parties vont faire monter les enjeux :
 Canon Oerlikon de 20 mm et jumelage de 12,7 mm montés sur un PT Boat.
la marine en dépêchant dans le secteur un troisième PT
Boat, le 346 que nous connaissons déjà, et les aviateurs,
en préparant une opération massive visant à éradiquer
cette grave menace navale adverse.
C’est en effet un Dill visiblement furieux qui se pose
sur le terrain de Green Island. Affirmant qu’il a surpris
en pleine zone ennemie deux canonnières nipponnes
longues de 40 mètres et puissamment armées, il va
pendant plusieurs heures remuer ciel et terre pour qu’on
lui donne les moyens de venger son malheureux allier.
Tandis qu’à la mi-journée, le PT 346 arrive en vue des
deux bâtiments victimes de l’attaque matinale, à Green
Island on arme 22 monomoteurs en vue d’une attaque
programmée pour le début de l’après-midi. Finalement
21 appareils appartenant pour la plupart au MAG-24
s’envolent de Nissan. Il y a trois Corsair de la VMF 215
conduits par Dill, quatre F6F de la VF 34, six Avenger
de la VMTB 134 et huit Dauntless de la VMSB 341.
Le Machinist Ollie Talley arrivé avec le PT 346 du
Lieutenant Burk a vécu les moments de tension extrême
précédents cette seconde attaque, puis la violence inouïe
qu’elle va déchaîner une foi déclenchée.
« Quand nous sommes arrivés sur place vers 12h30,
le 350 salement touché était toujours à flot, tan-
dis que le 347 demeurait prisonnier de son récif. On rerait impossible à conduire nous avions reçu l’ordre de couler le 347.
pouvait distinguer des soldats japonais sur la place. Quand nous avons vu les avions arriver (vers 14h00), nous les avons immé-
Ceux-ci nous gratifiaient de temps à autre d’une ou diatement identifiés comme des Corsair, Hellcat et Dauntless des Marines.
deux rafales d’arme automatique. Ce n’était pas dan- Nous pensions qu’ils venaient nous couvrir, tandis que nous essaierions de
gereux, tant que nous demeurions hors de portée dégager notre camarade échoué. Par radio, nous avions demandé un sou-
mais pouvait se révéler problématique pour débuter tien aérien mais ces appareils-là allaient se révéler dépendre de Nimitz et Pas
notre opération de sauvetage. Au cas où celle-ci s’avé- de McArthur, et de fait ils ne venaient pas nous assister bien au contraire.

63
bout de deux heures, le calme revient enfin : autour des
deux naufragés, surnagent des épaves et les corps de
huit membres d’équipage du PT 346 dont un officier de
l’Army, le Lieutenant Colonel Petitt attaché à la flottille
en tant qu’observateur.
Aux débris du « Betty Bee » se mêlent ceux des deux
autres PT Boats qui ont été également coulés, non sans
avoir tout fait pour se faire reconnaître avant de riposter.
Ils abattent ainsi un Hellcat probablement atteints par
des tirs du 346. C’est un recherchant le pilote disparu
que l’équipage du PBY envoyé depuis Green Island se
rendra compte de l’étendue de la catastrophe. L’équipage
faisant preuve d’un dévouement exemplaire parviendra à
secourir Talley, Chopper et quelques autres naufragés. La
nuit venant, des canots, des couvertures et des rations
de survie seront laissés aux autres survivants qui seront
finalement récupérés au petit matin par les PT 351 et
355. En tout, 14 marins dont le Commandant du PT
346 ont été tués lors de ces deux attaques ; 17 ont été
blessés. Le PT 346 avec 9 tués et 9 blessés est l’unité
la plus touchée.
Après le Lieutenant Cochran de la VMF 215, le Lieutenant
Knight de la VF-34 est à son tour porté disparu à l’issue
du second raid. Les vies de deux aviateurs et de quatorze
marins ont donc été perdues pour rien, lors de cet épisode
qui demeure le plus meurtrier et le plus incompréhensible
ayant affecté jusque-là le théâtre d’opération du Pacifique.
Nimitz comme McArthur atterrés exigeront le blac-
kout sur cette affaire. De l’enquête, il ressortira que les
vedettes avaient commis une faute en franchissant de
5 kilomètres la ligne de démarcation imaginaire sépa-
rant les secteurs Sud et Centre Pacifique . Se trouvant
dès lors dans une zone considérée comme ennemie par
l’état-major du secteur Centre, l’attaque sans sommation
de ses avions se trouvait « légalement justifiée » . Pour
autant les aviateurs sont critiqués pour leur inaptitude
manifeste à identifier des navires amis. En conclusion,
c’est juridiquement un match nul et personne n’est offi-
ciellement sanctionné. Toutefois le Major Dill quitte son
commandement quelques jours plus tard. Cet officier
semble au moins au regard de l’histoire porter une lourde
responsabilité dans le désastre du Cap Lambert. D’abord,
parce qu’il n’identifie pas correctement ses cibles lors
de la première attaque. Ensuite, parce qu’il force à la
seconde attaque, quitte à donner des coordonnées erro-
La première bombe est tombée. Elle a explosé à proxi-  F4U-1 de la VMF-222 nées afin de les situer non pas en marge de la zone de
mité de notre patrouilleur : l’eau à envahie ma salle des photographié en 1944 à tir autorisé mais loin à l’intérieur de celle-ci, soit à plus
Green Island d’où a été
machines stoppant les moteurs et noyant les batteries. organisée l’opération de 25 kilomètres de leur position réelle. Enfin, parce
Je suis monté sur le pont ou gisait le corps de notre capi- punitive du Cap Lambert. La qu’aux dires des témoins ce seront surtout les Corsair
taine. Nous coulions. J’essayais de libérer un canot de VMF-222 prêtera un avion qui s’acharneront à mitrailler les naufragés. Nonobstant
au trio vengeur de la 215.
sauvetage quand j’ai aperçu un de ces maudits oiseaux qui Dill sera promu un peu plus tard et prendra sa retraite
fonçait droit sur nous. Je me souviens m’être demandé  F4U-1 de la VMF-215 avec le grade de Colonel.
si ces gars-là n’avaient pas de radio. Je l’ai vu nette- photographiés à Munda Dans le même temps, la Navy déplace elle aussi ses
ment abaisser ses volets. Une bombe de 500 kg s’est durant l’été 1943. Sur ces cadres. C’est ainsi que très rapidement l’officier comman-
îles cohabitent des pilotes
alors décrochée pour nous tomber droit dessus. Je ne et des équipages des PT
dant la VF-34 est muté et remplacé par... le Lieutenant
me souviens plus du reste, seulement que je me suis Boats. À certains moments, Commander Robert Conrad (ça ne s’invente pas !).
retrouvé à la baille. » les relations de voisinage Du côté des victimes, le Lieutenant Robert J Williams,
Rejoint par Chopper, le chien mascotte du « Betty Bee » ont dû être tendues... « skipper » du PT 347, souffrant d’un grave syndrome
(surnom du PT 346), le cauchemar que vit le jeune méca- post-traumatique s’enfonce peu à peu dans les affres
nicien va se poursuivre pendant de longues minutes. « d’une profonde dépression, dont il ne sortira jamais. Les
Ils sont venus nous mitrailler encore et encore. J’avais autres rescapés s’en remettront peu à peu, au moins en
l’impression que chacun d’entre eux m’en voulait per- apparence. Rétablis, Tailley et Chopper seront démobilisés
sonnellement. À chaque rafale, je pouvais voir la fumée en 1945 ; le premier ayant adopté le second, ils rentreront
s’échapper de leurs armes, juste avant que les balles ne ensemble aux États-Unis. Laissé un temps à la garde des
crèvent la surface de l’eau tout autour de moi. J’essayais parents de l’ex-mécanicien, Chopper trouvera la mort
de plonger pour me protéger car je savais que la vélocité un peu plus tard, lors d’une partie de chasse au lapin.
des balles décroissait rapidement sous l’eau.» Ayant survécu au cours de la guerre du Pacifique à des
Par chance, Talley déjà blessés, pas plus que son com- balles de mitrailleuses et des bombes de 500 kg, il sera
pagnon d’infortune, dont le museau avait été entaillé finalement atteint mortellement par du calibre 22 tiré par
profondément par un éclat de Shrapnell, ne sont de la carabine d’un adolescent du voisinage : un tir ami !
nouveau atteints lors de ces mitraillages sauvages. Au Les méprise et les erreurs vont se poursuivre au moins

64
Friendly Fires
dans le Pacifique

jusque-là fin de l’année 1944. Le 1er décembre  SBD-5 de la VMSB-341, unité basée à Green Island et qui a participé à la tragédie du Cap Lambert en 1944.
le PT 169 (MTBRon 10) qui patrouille dans
l’archipel des Moluques est victime d’un
B-25 non identifié appartenant probablement
à la 13th AAF. L’attaque du bombardier est
couronnée de succès puisque la vedette est
immobilisée, moteurs détruits et en proie aux
flammes. Quatre membres d’équipage sont
blessés. Une fois encore, l’enquête conclura
à un manque de coordination, les 5th et 13th
Air Forces se renvoyant la balle d’autant plus
facilement que le responsable ne sera jamais
retrouvé.

CONCLUSIONS
Au terme de cette étude, sans doute pour-
rait-on considérer que les faits relatés sont
tragiques mais demeurent le fruit d’une époque
révolue où fleurissaient des technologies
considérées aujourd’hui comme obsolètes.
On aurait tort !
En effet, l’engagement du Cap Lambert s’est
trouvé dépassé au niveau de son bilan par
la catastrophe survenue le 14 avril 1994
dans la région d’Erbil au Kurdistan irakien. Ce
jour-là deux F-15 C du 53rd Fighter Squadron
de l’USAF guidé par un AWAC ont en effet
abattu avec leurs missiles AIM 9 Sidewinder
deux UH-60 Black Hawk de l’Army en mis-
sion humanitaire faisant 26 victimes. Dans le
feu de l’action, les chasseurs ont confondu
ces hélicoptères de transport avec des Mil Mi un drapeau américain, jusqu’au moment où il a été fauché par les balles « amies », celui-ci
24 « Hind » dont était équipée l’armée de répond : « J’ai bien vu ce gars avec son drapeau mais c’était un drapeau japonais ! » Dans le
Saddam Hussein. même cadre, 50 ans plus tard, le pilote d’un des F-15 engagé sur Erbil déclare : « Je n’ai eu
On ne peut qu’être frappé par la similitude de aucun doute quand je les ai vus, c’étaient des Hind... Jamais la possibilité qu’il s’agisse de
dépositions recueillies à un demi-siècle d’in- Black Hawk ne m’a traversé l’esprit ! »
tervalle. En 1944 à un pilote de la VMBS-341 On laissera le mot de la fin à l’un des aviateurs impliqués dans la mission du 29 avril 1944
à qui un membre de la commission d’enquête qui, venant rendre visite à Ollie Talley soigné à Green Island, lui confiera : « Dans ce merdier,
fait remarquer qu’un marin du PT 350 a agité il n’y a eu que des victimes. » 

«Têtes Brulées » contre têtes brulées


Les fameux « Black Sheeps » de la VMF-214 ont également donné de front abordent la zone de combat. Essuyant des tirs, ils ouvrent
dans la chasse aux PT Boats et ils s’y sont brûlés les ailes. finalement le feu sur tout ce qui bouge. Cependant Bailey et Burney
L’affaire se déroule au cœur de leur premier tour d’opérations réalisé Tucker, l’un de ses ailiers, se rendent rapidement compte que des
sous la férule de Greg « Pappy » Boyington. Aux petites heures du PT Boats sont engagés et rompent aussitôt leur attaque. Ce n’est
30 septembre 1943, quatre navires – les 124, 126, 116 et 189 – pas le cas d’Alexander, le troisième aviateur, qui lui s’acharne sur le
quittent le vaisseau base de la MTBRon-6 ancré à Munda pour une patrouilleur 126 du Lieutenant Craig Smith. Par réflexe, les mitrailleurs
patrouille de nuit dans le secteur de Kolombangara. Après quelques attaqués ripostent imités par ceux du PT-124 qui navigue à proxi-
escarmouches, ils parviennent à localiser des barges ennemies qu’ils mité. Encaissant une grêle de projectiles, le chasseur fait demi-tour.
attaquent aussitôt. Mais, ce faisant, ils se laissent surprendre par les Il regagne la côte pour venir finalement s’écraser dans la jungle, où
premiers rayons du soleil et ne peuvent donc pas se dégager avant il explose dans une boule de feu. Sur le PT 126 gravement atteint,
l’aube, comme prévu. À la lumière du jour, ils deviennent instantané- c’est une scène de carnage qui s’offre à la vue des équipages du 124
ment des cibles non seulement pour leurs ennemis mais également et du 116 qui lui portent secours. Il y a du sang partout. L’officier
pour l’aviation alliée qui prenant le relai ne s’attend plus à les trouver en second, John Daley, qui a été emporté par une rafale alors qu’il
là. C’est ainsi que vers 7h40, trois chasseurs venant de l’intérieur servait le canon Oerlikon de 20 mm agonise. Le Machinist Bertis Paul
de l’île déboulent au-dessus des plages et foncent droit sur la flottille a été tué en salle des machines (le pont des PT Boats est en bois…).
américaine. Après un moment de stupeur, les marins toujours aux Le Gunner Thomas Ross, dont le corps a été soufflé de sa tourelle,
prises avec le convoi japonais, respirent en reconnaissent la forme a disparu… On ne retrouvera de lui que sa casquette flottant sur
particulière des ailes des F4U Corsair. l’océan. Filant à petite vitesse afin de rester au contact de son « canard
Partie elle aussi de Munda deux heures plus tôt, la division du Major boiteux », la flottille regagne Munda où les Corsair les ont précédés.
Stanley Bailey a été amoindrie par la défection d’un de ses pilotes, le L’enquête immédiatement diligenté conclura diplomatiquement à
1st Lieutenant John Bolt, victime d’un problème avec son système une responsabilité partagée. Les marins n’ayant sans doute pas tiré
de distribution d’oxygène laissant ses camarades poursuivre cette assez tôt leurs fusées de reconnaissance, et les aviateurs, en parti-
patrouille matinale avec leur leader. Les pilotes ont vu les navires culier Alexander, ayant fait preuve d’une agressivité rédhibitoire. Ils
et les ont identifiés comme des barges ennemies ce qui n’est qu’à auraient dû réaliser un survol préalable pour s’assurer du fait que les
moitié faux. Mais un doute subsiste au point que Bailey commande embarcations étaient des adversaires. Cette précaution aurait sans
de ne surtout pas ouvrir le feu sans son ordre. Les « U-Birds » volant doute évité l’hécatombe. 

65
ANALYSE

1940
1945

LES BOMBARDEMENTS

SUR
ALLIÉS
L'ALLEMAGNE

Instruments de la victoire ou ravageurs inutiles ?


par Vincent Bernard

T
rois millions de tonnes de bombes déversées sur l’Europe, dont une majorité sur le
territoire du Reich ; des dizaines de milliers d’avions mis hors de combat de part et
d’autre, une industrie allemande ponctuellement ravagée, des dizaines de villes détruites
avec leur patrimoine parfois millénaire, des centaines de milliers de victimes, parmi les
équipages alliés bien sûr, mais surtout les populations civiles d’Allemagne ou d’Europe occupée.
Exprimés de manière brute et froide, les résultats des bombardements stratégiques alliés donnent
le vertige. Face à un tel bilan, une question posée dès l’origine n’a jamais trouvé de réponse
univoque tout à fait satisfaisante : cette forme de guerre totale et impitoyable a-t-elle été décisive,
ou tout au moins efficace, dans la défaite du nazisme, ou n’a-t-elle été qu’un échec transformé en
trompe-l’œil pour alléger la conscience des vainqueurs ? Au delà de la question morale répondant
à la tendance actuelle à juger les problématiques d’hier avec les yeux d’aujourd’hui, peut-on
évaluer objectivement leur efficacité militaire. En définitive, les résultats obtenus peuvent-ils
justifier les ravages perpétrés ?
66
alliés
Bombardements
sur l'Allemagne

DES TENTATIVES À TÂTONS  Page de gauche :


Conçu dans les années 30,
ses deux tonnes et demi de bombes et ses 13 mitrail-
leuses d’autodéfense, mais l’appareil n’est pas encore
le B-17 « Flying Fortress »
Dès la fin des années 30, la Grande-Bretagne et les reste l'une des chevilles abouti et n’existe qu’en très petit nombre.
États-Unis sont les deux seules puissances considérant ouvrières du bombardement C’est à l’issue de la désastreuse campagne de France
stratégique américain jusqu'à
le bombardement stratégique comme une priorité après la fin de la guerre. Avec dix et sous la menace directe d’un débarquement allemand
l’abandon du projet d’Ural Bomber par la Luftwaffe à membres d'équipage et que les autorités britanniques franchissent le pas de la
la mort du général Wever. Dans les deux cas (plan AP pouvant emporter quasiment constitution d’une véritable force stratégique de bombar-
3 tonnes de bombes, cet
1300 britannique et AWPD-1 américain), le bombar- appareil est un des artisans dement. Les missions du Bomber Command sont claire-
dement diurne et de précision de l’industrie de guerre de la victoire aérienne ment définies et partagées : les formations de bombardiers
alliée sur l'Allemagne.
apparaît comme le moyen le plus efficace de vaincre Sauf mention contraire, légers et moyens (Blenheim notamment, les Fairey Battle
l’Allemagne en cas de guerre, tout développement d’une toutes photos US Nara décidément obsolètes étant alors versés en majorité au
force de combat terrestre continentale étant une œuvre Training Command) sont destinées à un emploi tactique
nécessairement de longue haleine. La différence essen- contre les forces adverses ou les ports de la Manche
tielle tient alors en ce que les Britanniques tablent sur tandis que les formations « lourdes » (en attendant le
une escorte de chasseurs à long rayon d’action tan- développement des nouveaux quadrimoteurs Stirling,
dis que les Américains envisagent des formations de Halifax et Lancaster en 1941-42) auront pour mission
bombardiers très lourdement armés opérant seuls au d’affaiblir le potentiel économique et industriel allemand.
dessus du territoire ennemi à haute altitude. Aucune C’est ainsi que dès les mois d’août et septembre 1940,
des deux puissances ne dispose cependant d’outils à en pleine bataille d’Angleterre, les Britanniques effectuent
la hauteur de telles ambitions, alors très mal évaluées. plusieurs raids « tests » de bombardements diurnes sur
Au sein du Bomber Command de la RAF, on ne trouve Berlin qui en dépit de leur caractère limité provoquent un
en septembre 1939 que 272 bombardiers dont 140 émoi considérable en Allemagne. Reste qu’il faut attendre
bimoteurs capables de frapper la Ruhr ou même, avec l’année 1941 pour voir la RAF opérer une première véri-
des réservoirs d’appoint, le cœur du Reich. Mais leurs table « vague » de frappes stratégiques, de jour d’abord,
performances sont limitées : le Wellington et le  Le Fairey Battle (ici sur un puis de nuit par les nouveaux Short Stirling. Ces pre-
terrain d'aviation en France en
Hampden peuvent porter deux tonnes de bombes mais 1940) est le premier chasseur- mières opérations d’envergure s’avèrent décevantes
ne dépassent pas les 400 km/h ; quant au Withley, s’il bombardier monoplan voire catastrophiques. De jour, le taux de pertes dépasse
peut emporter 3 tonnes et demi de bombes, sa vitesse britannique entièrement régulièrement les 10% et de nuit, faute de systèmes de
métallique. Cependant,
limitée à 300 km/h lui interdit toute opération de jour. il est retiré du service après repérage et de visée suffisamment perfectionnés, ainsi
Les forces aériennes américaines, plus mal loties encore la campagne de France que d’équipages rompus à ces tactiques, la précision ne
car il est très lent (à peine
et contraintes par la stricte neutralité du pays depuis 400 km/h) et n'emporte que
peut être que minimale : 22% seulement des bombardiers
les années vingt, tablent quant à elles sur le projet d’un 380 kg de bombes (de 50 kg parviennent à larguer leurs bombes dans un rayon de 8
grand quadrimoteur fortement armé, le B-17 « Flying chacunes). Les Britanniques kilomètres (!) autour de l’objectif, et ce chiffre déjà très
font donc très vite l'impasse
Fortress » mis en service en 1938 et considéré par sur cet avion qui n'a pu bas s’effondre à 7% dans le cas d’une zone très fortement
certains comme « arme absolue » avec ses 450 km/h, l'emporter. (IWM) défendue par la Flak tel que le bassin industriel de la Ruhr.

67
La conclusion s’impose d’elle-même : puisque le Bomber  L'Air Chief Marshall
Arthur « Bomber » ou
Command est au moins psychologiquement indispen- « Butcher » Harris (1892-
sable comme seule arme britannique susceptible d’at- 1984), maître d'oeuvre du
teindre l’adversaire, les bombardements doivent se pour- bombardement stratégique
britannique visant à abattre
suivre mais sur des objectifs atteignables à moindre coût. le « moral des populations »
Des cibles très vastes, identifiables, et offrant le double par des frappes assumées
prétexte militaire, à la suite des théories de Guilio Douhet, sur des objectifs civils.
Cette stratégie cynique
de chercher à viser le potentiel économique ennemi tout lui vaudra de nombreux
en abattant le « moral » des populations : les grandes surnoms et quolibets. (DR)
villes industrielles.
Malgré ces opérations initiales, il faut attendre le prin-
temps 1942 pour que le Bomber Command ne com-
mence véritablement à disposer d’un matériel adapté
en quantité suffisante pour reprendre les bombarde-
ments massifs contre les principaux objectifs du Reich.
En mars, avril et mai 1942, Lubeck, Rostock puis Cologne
sont successivement frappées de nuit avec un nombre
croissant de bombardiers. C’est contre cette dernière
ville qu’est lancé le premier et spectaculaire raid massif
dit « millenium » (mille bombardiers), le 30 mai. Pour
atteindre ce chiffre symbolique, on mobilise non seu-
lement la totalité des moyens du Bomber Command
mais aussi une partie des équipages d’instruction du
Training Command et du Coastal Command. Au prix de
36 appareils (soit un peu plus de 3% du total), la RAF
pulvérise en moins de deux heures 240 hectares de l’un
des principaux centres industriels du bassin rhénan et
atteint la plupart des objectifs fixés. Malgré un échec plus présente que l’Allemagne n’est pas l’unique objectif
deux jours plus tard sur Essen lors d’une tentative simi- de l’aviation stratégique alliée. Ports et centres indus-
laire, ce bombardement de Cologne initie véritablement triels des pays occupés sont également durant toute
les grands principes déclinés et démultipliés entre 1943 la guerre sévèrement bombardés en tant qu’objectifs
et 1945. S’il est encore trop tôt pour systématiser de militaires majeurs. En France, bien avant le débarque-
tels raids, la voie en est définitivement tracée et semble ment, des raids de diversion, de désorganisation ou de
dans un premier temps donner raison aux tenants des destruction sont ainsi opérés sur de nombreuses cibles
frappes stratégiques « débridées ». Dès lors, la « norme » comme les usines du Creusot, Dunkerque ou encore
des raids de bombardiers sera de rassembler plusieurs les bases des U-Boote à Brest, Lorient, St-Nazaire ou
centaines d’appareils sur un unique objectif, dans des Bordeaux. En septembre 1943, deux bombardements
délais très brefs, et sans distinction claire entre cibles consécutifs sur Nantes font ainsi plus de 1200 victimes
civiles et militaires. A partir du printemps 1942, l’Air civiles. Nombre de responsables américains abordent ces
Chief Marshall Harris ne sera plus connu du grand public bombardements urbains pratiqués par les Britanniques
que sous le sobriquet de « Bomber Harris ». avec circonspection voire répugnance. L’objectif offi-
La question « éthique » est malgré tout loin d’échapper ciel est encore de limiter autant que possible les pertes
aux autorités alliées et tout particulièrement américaines civiles inutiles en pratiquant un bombardement diurne
nouvellement engagées dans le conflit au début de l’an- de précision. Les réalités techniques de l’époque et les
née 1942 bien qu’encore incapables de contribuer de enjeux stratégiques et militaires s’opposeront pourtant
façon significative. Cette préoccupation est d’autant dans une large mesure à de telles ambitions.

L’outil britannique : Le Bomber Command


La création des premières unités du Bomber Command remonte à  o. 6 (Bomber) Group : Transféré au Bomber Command en 1936,
N
1936. À la déclaration de guerre de 1939, la force de bombarde- devenu No. 91 Group et transféré à la Royal Canadian Air Force
ment britannique comprend six Groups et trois autres seront créés en 1942.
ultérieurement.  o. 7 (Operational Training) Group : Formé en 1940. Group No.
N
 No. 1 (Bomber) Group : constitué dès 1936 sous la dénomination 92 en 1942.
initiale de Group L. Cette unité équipée de bombardiers légers Fairey  o. 8 (Bomber) Group : Ce groupe est formé en août 1941 et
N
Battle est détachée en France en 1940 pour former l’Advanced devient No. 8 (Pathfinder Force) Group en 1943 pour répondre à la
Striking Force du BEF. Elle subit de très lourdes pertes lors de la nécessité de préparation et de balisage des itinéraires des missions
campagne mai et juin. Réorganisé et rééquipé à la fin de l’année, de bombardement de nuit sur le territoire allemand.
le Group 1 il reprend définitivement sa place au sein du Bomber
Command. Chaque Group sous les ordres d’un Air Vice – Marshall, est réparti en
N  o. 2 (Bomber) Group : relevant tout d’abord du Bomber Command général en trois operational bases, elles-mêmes divisées en deux ou
(Bristol Blenheim), il en est détaché en 1943 pour compléter la trois stations de deux squadrons chacune. Chaque squadron placé
nouvelle 2nd Tactical Air Force dont il forme la composante de sous les ordres d’un Wing Commander comprend en théorie 24 appa-
bombardement léger. reils (3 Flights de 8). L’ensemble d’un groupe représente en pratique
 No. 3 (Bomber) Group : Créé en 1936, équipé en 1939 de Vickers une force moyenne de 350 appareils de bombardement. Il est à noter
Wellington. que les Britanniques se calquent peu à peu en partie sur le modèle
N  o. 4 (Bomber) Group : Créé en 1937, équipé en 1939 d’Arms- américain de grandes unités mixtes en formant la Desert Air Force
trong Whitley. (DAF), encore appelée 1st Tactical Air Force, puis en 1943, en vue
 No. 5 (Bomber) Group : Créé en 1937, équipé en 1939 de Handley de l’invasion du continent, la 2nd Tactical Air Force. 
Page Hampden.

68
alliés
Bombardements
sur l'Allemagne

 Le « Wimpy » (d'après
le personnage de la série
Popeye) Wellington bimoteur
est une cheville ouvrière
du Bomber Command
dès la seconde moitié des
années 30. Supplanté
par les quadrimoteurs,
il demeure toutefois en
service jusqu'à la fin de la
guerre pour sa capacité
d'emport et sa fiabilité. (DR)

 En service dès 1938,


le Vickers Wellington qui
peut porter deux tonnes de
bombes est le premier outil de
bombardement stratégique
de la RAF jusqu'au milieu de
la guerre. Constitué d'une
armature métal et bois croisée
en duralumin, l'appareil est
très robuste et peut continuer
de voler même avec de gros
dégâts dans le fuselage. (IWM)

LE TEMPS
DES OPÉRATIONS COMBINÉES
Le basculement définitif vers un emploi systématique
de l’arme stratégique s’opère véritablement en janvier
1943 et prend en compte une série de graves échecs
démontrant les limites des tactiques et des techniques
mises en œuvre jusque-là. Lors de la conférence interal-
liée de Casablanca (ou conférence d’Anfa) du 14 au 24
janvier 1943 est défini le double objectif des futurs bom-
bardements stratégiques anglo–américains : « Détruire
progressivement le système militaire, industriel et éco-
nomique allemand ; saper le moral de la population
allemande jusqu’au point d’affaiblir de manière décisive
sa capacité de résistance ». Si certains affectent de voir
encore dans ces principes les conditions nécessaires et
suffisantes de la victoire finale, pour la plupart des res-
ponsables alliés en revanche il ne s’agit que d’une étape
devant préparer l’inévitable reconquête de vive force du
continent européen. En juillet, le très officiel Field Manual
100-20  de l’US Army Air Force intitulé « Command and
employment of air power » fixe la doctrine d’emploi de
l’arme aérienne américaine qui prévaudra jusqu’à la fin
des hostilités : interdépendance des moyens aériens et
terrestre ; obtention préalable indispensable de la supé-
riorité aérienne. Les missions dévolues à de l’aviation
stratégique y sont assez ouvertes pour laisser une grande centimétrique et des systèmes de radionavigation « Gee » puis « Oboe », associés
latitude dans le choix des objectifs: « L’objet de la force à la constitution d’une force d’éclairage spécialisée (Pathfinders). En 1945, de nuit,
aérienne stratégique est la défaite de la nation ennemie. un appareil « Pathfinder » spécialement équipé de radars aura 50% de chance de
Les missions sélectionnées sont celles pouvant apporter larguer ses bombes à moins de 1600 mètres de la cible, une nette progression par
une contribution maximum à cet objectif. Les objectifs rapport aux largages plus qu’aléatoires du début de la guerre, majoritairement voués
peuvent être trouvés dans les centres vitaux des lignes à labourer champs et prés. Après les mois de réglage et d’observation pour l’USAAF,
de communication ennemies ou les établissements impor- la répartition stricte des tâches avec la RAF devient la règle. Tandis que le Bomber
tants du système économique du pays hostile. » Si l’em- Command opère exclusivement par raids nocturnes et bombardements « de zone »,
ploi ponctuel des forces aériennes stratégiques au profit l’USAAF prend en charge les opérations diurnes dites « de précision », à haute
des forces combattantes n’est pas écarté, leur vocation à altitude et avec une puissante et croissante escorte de chasse. Cette complémenta-
systématiquement opérer en profondeur au cœur-même rité, par ailleurs non exempte de problèmes ponctuels liés en partie aux procédures
du pays ennemi devient dès lors une règle établie. permet durant deux années de maintenir la défense aérienne et anti-aérienne du
C’est ainsi que combinant objectifs à caractère militaro– Reich sous une pression massive et constante. La production de chasseurs de nuit
industriel et objectifs de démoralisation « anti-cités », notamment, quasiment inexistante en 1940, est multipliée par plus de quatre entre
justifiés en haut lieu et non sans opportunisme cynique 1941 et 1944 (plus de 4000 appareils).
par le fait de priver les travailleurs de leurs habitations Les premières opérations majeures issues des accords de Casablanca paraissent
afin de perturber la production, les raids américains pouvoir permettre d’envisager des résultats concrets et rapides dans la pers-
et britanniques se multiplient dès le printemps 1943. pective du futur débarquement programmé sur le continent. Dès les premiers
Leur précision est toujours très limitée mais néanmoins mois de l’année 1943, plusieurs centres économiques et militaires majeurs
croissante, grâce notamment à l’introduction du radar tels que Wilhelmshaven, Berlin, Essen, Kiel, Duisburg sont durement frappés.

69
1 - et création d’unités d’interception anti-bombardiers
spécialisées – Fw 190 Sturmbocke, Me-163 Komet...)
permet cependant d’obtenir des résultats tangibles. Les
pertes alliées augmentent significativement pour renouer
parfois avec celles de 1941. Lors de la « bataille de
Berlin » entre le 18 novembre 1943 et le 31 mars 1944,
la RAF lance 16 raids nocturnes majeurs sur la capitale
allemande et perd 300 appareils sans obtenir les résultats
attendus sur le moral allemand. Au total, la RAF perd plus
d’un millier d’appareils détruits et 1600 endommagés au
cours de la période, avec un taux d’usure insupportable
d’environ 10% par opération, et doit pendant six mois
cesser ses attaques sur les centres industriels au profit
de bombardements des lignes de communication prépara-
toires au débarquement puis en soutien des opérations en
Normandie. À cette époque, certains as allemands de la
chasse de nuit, tels Helmut Lent ou Wolfgang Schnaufer
se distinguent en abattant des dizaines de bombardiers
alliés, et achèveront la guerre avec plus d’une centaine
de victimes à leur actif.

DÉTRUIRE LA JAGDWAFFE ?
Durant deux ans, les bombardiers alliés et la Luftwaffe se
livrent ainsi à une lutte sans merci dans le ciel de l’Europe
occupée. Bien que cantonnant la « Luftflotte Reich » à la
défensive et lui infligeant des pertes terribles, jamais les
Alliés ne parviendront à éteindre complètement la défense
aérienne et moins encore antiaérienne allemande, malgré
des moyens croissants à la fois en nombre et en effica-
cité : fin 1944, la 8th Air Force aligne en permanence
environ 2000 bombardiers lourds (B-17 et B-24) et un
millier de chasseurs opérationnels (P-38, P-47 et P-51) au
sein de trois grandes divisions de bombardement. En avril
1945, chacun des sept groupes du Bomber Command
(dont le No. 206 canadien, le No. 8 « Pathfinder » et le
No. 100 affecté aux opérations spéciales) comprend 3
à 400 appareils opérationnels, essentiellement des qua-
drimoteurs Lancaster et Halifax.
2 À la fois corollaire et préalable à cette campagne de bom-
bardement intensive culminant en 1944-1945, l’un des
objectifs majeurs des Alliés consiste à épuiser la chasse
allemande à l’Ouest à la fois en préparation d’un débarque-
ment sur le continent et pour limiter autant que possible
le poids de la Luftwaffe sur le front de l’Est. L’étape
essentielle de ces opérations de supériorité aérienne est
connue comme l’opération « Pointblank » qui de l’été
1943 à l’été 1944 tente de détruire le potentiel aérien
allemand par la destruction systématique de l’industrie
aéronautique et, selon les prescriptions américaines, de
quelques « goulots d’étranglement », des productions
ciblées tels les roulements à bille. En réalité, dans l’es-
prit des responsables du bombardement stratégique, cet
objectif d’user la chasse allemande afin d’acquérir peu à
peu la supériorité aérienne au-dessus de l’Europe occiden-
tale est déjà bien présent dès 1941-1942 dans la perspec-
tives des opérations « Roundup » et « Sledgehammer »
envisageant un retour rapide sur le continent. Dès cette
époque, des opérations diurnes dites « Circus » sont
ainsi régulièrement mises en œuvre par la RAF afin de
provoquer les formations allemandes demeurées à l’ouest.
Au mois d’avril, le comité combiné des services de renseignement américain tire déjà Des groupes de bombardiers « appâts » opèrent sur des
un premier bilan partiel et évasif des opérations estimant que s’« il est improbable que objectifs littoraux afin d’attirer et de forcer la chasse
le moral militaire et civil allemand s’effondre en 1943 […] son état présent le rend allemande au combat dans le rayon d’action du Fighter
vulnérable ». Malgré cette surestimation des effets sur le moral allemand, l’ampleur Command. Mais l’opération « Pointblank » multiplie et
de ces opérations croît continuellement jusqu’aux tout derniers jours de la guerre. systématise le procédé tout en le doublant de puissants
L’intensification des efforts alliés provoque un véritable choc en Allemagne et conduit raids en profondeur. Pour autant, malgré des destruc-
au suicide du général Jeschonneck, chargé de la défense aérienne, suite notam- tions spectaculaires et des pertes très sensibles des deux
ment au désastre d’Hambourg et ses 45 000 morts. Le renforcement des défenses côtés, ces derniers s’avèrent finalement peu efficaces
(radars, projecteurs de nuit, concentration de Flak lourde – 55 000 pièces fin 1944 moyennant un détournement massif des ressources du

70
alliés
Bombardements
sur l'Allemagne

Reich pour la reconstruction. En un an, la production


d’avions de chasse allemands est en effet multipliée par
4
trois en dépit des destructions, notamment grâce à la
dispersion et au camouflage des sites de production, les
27 principales usines aéronautiques allemandes étant
dispersées sur plusieurs centaines de sites beaucoup
plus réduits et difficiles à atteindre.
Ce faisant, le bilan de ces opérations doit être nuancé.
Faute d’être détruite, la Luftwaffe subit une terrible usure,
notamment de pilotes qualifiés, et restera cantonnée à
la défensive stratégique pour défendre le tissu industriel
au détriment de ses capacités tactiques. En juin 1944,
la Jagdwaffe à l’ouest est donc totalement surclassée
et ne peut que laisser un ciel quasiment libre au déploie-
ment de l’aviation alliée. Même si la Luftwaffe parvient,
bon an mal an, à l’exploit de poursuivre une résistance
organisée jusqu’à l’extrême fin de la guerre en dépit d’une
infériorité numérique écrasante, force est de constater
que la pression des bombardements stratégiques aura
puissamment contribué à réduire son rôle tactique à des
proportions négligeables sur le front de l’Ouest. Est ce là
une victoire du bombardement stratégique ? Bien plutôt,
avoue généralement l’historiographie anglo-saxonne, celle
de la chasse à long rayon d’action escortant les raids
diurnes à partir de 1944.

DES OBJECTIFS 1 - En tout, ce sont 55 000 pièces de Flak qui sont déployées pour défendre le ciel du Reich et qui

STRATÉGIQUES ATTEINTS ?
prélèvent un énorme tribut sur les forces de bombardement alliées. Même dans les derniers moi de
la guerre, les Alliés continueront de considérer la Flak comme un réel danger. (Archives Caraktère)

Une appréciation globale quant aux résultats effectifs 2 - Un Wellington photographié au dessus du ciel d'Europe. L'appareil effectue près de 50 000
sorties au sein du Bomber Command, larguant plus de 40 000 tonnes de bombes pour la
des bombardements stratégiques en Europe est particu- perte de plus de 1 300 appareils, en faisant un des chevaux de bataille de la RAF. (IWM)
lièrement difficile à déterminer. « À la fois dans la RAF
et dans les forces aériennes de l’armée des États-Unis » 3 - Conçu initialement comme un bombardier le Ju-88 se révèle particulièrement polyvalent au point
d'être décliné en de très nombreuses versions notamment pour la chasse lourde de nuit face aux
souligne avec prudence le Strategic Bombing Survey bombardiers alliés où il sera plus efficace que dans son rôle original. (Bundesarchiv Bild 101I-772-0472-42)
dans son rapport sur la guerre en Europe, « certains ont
4 - Le chasseur Fw-190 est dans certaines versons spécialisées et surarmées utilisé pour
cru que la puissance aérienne pourrait porter le coup l'attaque des bombardiers lourds. C'est un adversaire très dangereux pour les bombardiers
décisif contre l’Allemagne et la forcer à la capitulation. alliés malgré leurs formations en essaims. (Bundesarchiv Bild 101I-493-3362-05A)

71
Cette optique néanmoins n’a pas contrôlé le plan stra-  Disperser et enterrer les les bombardements « anti-cité » de Dresde des 13 et
structures de production
tégique général allié. Les plans appelaient à établir une sont les deux moyens
14 février 1945 (opération « Thunderclap ») qui restent
supériorité aérienne avant la date de l’invasion et d’exploi- les plus efficaces pour un symbole. Le négationniste David Irving n’a pas hésité
ter une telle supériorité à réduire la volonté de l’ennemi éviter l'effondrement de à répandre un bilan de 130 000 morts. Or, malgré une
l'économie allemande
et sa capacité à résister. » Ces lourdes réserves avouant face aux bombardements extraordinaire violence et une utilité militaire au mieux
l’échec à demi mot une fois posées, les experts américains stratégiques. Ici, des soldats très discutable, le bilan déjà considérable de 25 000 tués
n’en concluent pas moins que : « La puissance aérienne alliés en 1945 ont découvert est beaucoup plus proche de la réalité. À Hambourg, la
une usine d'armement
alliée a été décisive dans la guerre en Europe occiden- allemande souterraine - elles « tempête de feu » de l’opération « Gomorrah », fin juillet
tale. Une sagesse rétrospective suggère inévitablement seront des dizaines ainsi – début août 1943, fait sans doute 45 à 50 000 morts.
sur le territoire du Reich.
qu’elle aurait pu être employée différemment ou mieux à Au delà des bilans morbides, les raids aériens alliés sur
certains égards. Néanmoins, elle a été décisive. Dans les l’Allemagne restent à ce jour dans leur ensemble les plus
airs, sa victoire a été complète. En mer, sa contribution dévastateurs de tous les temps. À la cessation des hos-
en combinaison avec la puissance navale a mis un terme tilités, selon l’appréciation même des Américains : « les
à la plus grande menace navale ennemie, les U-Boote. principales villes allemandes ont été largement réduites
Sur terre, elle a contribué à renverser les équilibres de à des murs vides et des tas de décombres ». Jusqu’au
façon écrasante en faveur des forces terrestres alliées. Sa printemps 1945, les bombardements anglo–américains
puissance et sa supériorité ont permis le succès de l’in- sur l’Allemagne causent directement la mort de plu-
vasion. Elle a virtuellement amené l’économie soutenant sieurs centaines de milliers de personnes. Les sources
les forces armées ennemies au bord de l’effondrement, allemandes, très partielles et incomplètes, donnent en
bien que les pleins effets de cet effondrement n’aient 1945 plus de 500 000 victimes graves pour la seule
pas atteint les lignes de front ennemies avant qu’elles période 1943 – 1945 : 250 253 tués du 1er janvier
 En haut les deux photos :
ne soient enfoncées par les forces alliées. Elle a amenée Les chaînes d'assemblage
1943 au 31 janvier 1945, et 305 455 hospitalisés pour
jusque dans les foyers du peuple allemand les consé- de blindés constituent des blessures graves entre le 1er octobre 1943 et le 31 janvier
quences pleines et entières de la guerre moderne, avec cibles privilégiées des 1945. Le Strategic Bombing Survey présente lui-même
bombardements stratégiques,
toute son horreur et ses souffrances. Son empreinte sur ce qui n'empêchera pas la ces chiffres comme beaucoup trop bas, estimant quant
la nation allemande sera durable. » production allemande de à lui comme « un strict minimum » pour l’ensemble de la
En réalité, toutes les opinions ou presque ont depuis se maintenir et de croitre guerre un bilan de 305 000 tués et 780 000 blessés, soit
fortement jusqu'au début 1945.
été défendues et ce jusqu’à aujourd’hui. Des auteurs en Surtout, ces bâtiments plus d’un million de victimes en Allemagne, y compris les
font le symbole d’excès voire de crimes de guerre alliés, sont très vulnérables aux travailleurs forcés. Les destructions sont évaluées à 485
bombardements lourds,
certains allant jusqu’à manipuler les chiffres pourtant déjà les rendant nécessaires à
000 bâtiments résidentiels détruits et 415 000 gravement
spectaculaires. L’exemple le plus frappant réside dans l'effort de guerre allemand. endommagés, soit au total 20% du bâti allemand en

72
alliés
Bombardements
sur l'Allemagne

pas sous ces frappes répétées et systématiques plus que l’Angleterre


de Churchill n’avait fléchi sous le Blitz. Malgré une perte progressive
de toute croyance en une éventuelle victoire, en dehors de quelques
cercles restreints fanatisés, à aucun moment jusqu’aux tout derniers
jours de la guerre la volonté allemande de combattre n’a semblé
sérieusement atteinte. La nature totalitaire du régime nazi permet
jusqu’à la fin de maintenir sur la population un contrôle strict mais
aussi de mobiliser tous les services de l’État pour venir en aide aux
sinistrés et limiter les conséquences de bombardements. On peut même
largement percevoir l’acharnement allié combinés aux exigences de
reddition inconditionnelle et à la menace de la doctrine Morgenthau
promettant de détruire les infrastructures industrielles du pays comme
renforçant la résolution fataliste du peuple allemand qui en 1944 – 45
paraît n’avoir rien à espérer de la mansuétude des vainqueurs. En 1945
encore, la Wehrmacht et tout particulièrement la Kriegsmarine travaille
moyenne, et 40% au sein des villes classées comme cibles prioritaires, d’arrache-pied à l’évacuation des populations de l’Est pour les soustraire
jusqu’à 60% pour Dresde, 70% pour Berlin, 75% pour Hambourg, à l’occupation soviétique, contribuant à souder plus encore le pays
générant au moins 7 500 000 sans-abri. Le seul raid sur Hanovre du avec ses forces armées. Sur le terrain, à aucun moment la résistance
8 au 9 octobre 1943 prive 250 000 personnes de logement. En mars de la Wehrmacht ne sera prise en défaut jusqu’à l’effondrement final.
1944, 1,5 million de berlinois sont sans-abri. On admet généralement Ce seul fait acte un échec probant de l’inspiration « Douhetiste » des
aujourd’hui le nombre approximatif de 600 000 morts pour la seule bombardements stratégiques.
Allemagne (dont peut-être 410 000 civils allemands, le reste composé Dans ses mémoires, l’Air Chief Marshall Harris a toujours per-
de travailleurs étrangers ou de membres des forces armées) du seul sisté quant à lui à considérer les bombardements comme la meil-
fait des bombardements. leure méthode possible, éludant d’ailleurs l’aspect « psycholo-
L’ampleur de ces destructions a t-il entamé le moral de la société gique moral » qu’il avait pourtant toujours mis en avant pour
allemande et surtout son soutien au régime ? De ce point de vue, le mieux valoriser la contribution directe aux combats de « ses »
constat ne peut être que celui d’un échec. L’Allemagne ne s’effondre bombardiers, lesquels auraient surtout épargné le sang allié :

L’outil américain : USSTAF & « Mighty Eighth »,


la composante bombardement de l’US Army Air Force en Europe
Plusieurs différences majeures distinguent stratégique sur un théâtre d’opération donné. Angleterre au nord de Londres et de la 15th
les forces de bombardement américaines Ainsi, sont basées en Angleterre (ETO) à Air Force du général Twining stationnée en
de leurs homologues britanniques. D’une la fois la 8th Air Force de bombardement Italie. Ces deux forces aériennes opèrent ainsi
part, à l’inverse d’une RAF indépendante, stratégique, la fameuse « Mighty Eighth » régulièrement par le système des navettes
les moyens américains demeurent durant et la 9th Air Force tactique destinée à la entre l’Angleterre, la Méditerranée et même
toute la guerre dépendants administrati- maîtrise de l’espace aérien et à l’appui direct les bases soviétiques, permettant d’augmen-
vement de l’armée de terre (tout comme des forces terrestres. En Méditerranée, ces ter d’autant leur rayon d’action déjà très
le corps des Marines, y compris l’aviation, rôles respectifs sont tenus par la 15th et la important et de frapper aisément et mas-
l’est de l’US Navy). D’autre part, alors que 12th Air Forces aux moyens plus restreints sivement n’importe quel point de l’Europe
la RAF connaît pour l’essentiel un mode et intégrant notamment le No. 205 Group occupée. Pourtant, illustrant les limites de
d’organisation par branches (les différents de la RAF. D’autres grandes unités sont de l’intégration militaire alliée, Harris refuse
Commands), l’USAAF met en place sur la même façon déployées sur les théâtres malgré leur concordance de vues de placer
tous les théâtres d’opérations des Forces d’opération du Pacifique ou encore sur le ter- son Bomber Command sous commandement
aériennes de plusieurs milliers d’appareils ritoire américain. En janvier 1944, le général unique de Spaatz et entend conserver sa
comprenant organiquement à la fois des Spaatz est placé à la tête de l’ensemble des liberté de manœuvre. En conséquences,
groupes de chasse, de bombardement et de forces de bombardement stratégique améri- les deux composantes du bombardement
transport ainsi que des unités organiques de caines en Europe (US STrategical Air Forces stratégique allié demeurent en 1944 – 45
soutien. À une Air Force à vocation tactique - USSTAF). Il coordonne dès lors l’action de autonomes bien que sous le commandement
répond en général une Air Force à vocation la 8th Air Force du général Doolittle basée en suprême du général Eisenhower. 

73
 et  Équipages vétérans
d'Avro Lancaster posant
fièrement devant leurs
appareils. En dépit de leurs
montures impressionnantes
et hérissées de mitrailleuses,
les pertes sont particulièrement
élevées : 1 membre
d'équipage sur 2 ne survivra
pas à la guerre. Même si les
tactiques élaborées petit à
petit permettront de limiter les
pertes, elles ne seront jamais
efficaces à 100 %. (IWM)

[1] Chef d’état-major de
l’armée des États-Unis
entre 1955 et 1959.

[2] Les mêmes
questions posées
pour le Japon méritent
une autre discusion,
et là encore génèrent
des appréciations
contradictoires. On
remarquera toutefois
que la campagne de
bombardement sur le
Japon est beaucoup
plus brève et le tonnage
de bombes largué
– essentiellement
incendiaires - beaucoup
plus faible qu’en
Europe, pour des
résultats stratégiques
au moins équivalents.

« Malgré tout ce qui s’est passé à Hambourg, critiques tels que l’Américain Bernard Brodie et produire, certes souvent avec un grave
les bombardements se sont révélés être com- n’hésitent pas à soutenir que « les bombarde- retard, mais de de plus en plus massivement,
parativement la méthode la plus humaine. Ils ments urbains de la Deuxième guerre mondiale de nouveaux modèles de matériels innovants
empêchèrent la jeunesse de ce pays et de nos [devaient] s’inscrire sans équivoque dans le et très divers du U-Boot type XXI au char
alliés d’être fauchée par les combats comme ce cadre d’un échec total. » t à l’autre grande Tigre en passant par les avions à réaction et
fut le cas lors de la guerre de 1914 – 1918. » ambitionw de ces bombardements : sont–ils les fusées V. La production militaire allemande
D’autres analystes, tels que le général Taylor [1] parvenus à détruire ou au moins épuiser l’éco- est, moyennant une triple adaptation de la
sont beaucoup plus réservés, renvoyant les nomie de guerre allemande ? Là encore, la production (dispersion spatiale, rationalisa-
bombardements stratégiques à « une contri- réponse est clairement négative et il faudrait tion, concentration vers quelques modèles
bution à la victoire finale, mais non un facteur être aveugle pour ne pas voir que le Reich clef), en croissance continue, avec un pic
décisif » qui n’eut « aucun effet sur l’industrie parvient jusqu’à la fin de la guerre malgré impressionnant en 1944, au sommet même
de guerre de l’Allemagne nazie ». Enfin, les plus les bombardements à concevoir développer de la campagne de bombardements alliés.

74
alliés
Bombardements
sur l'Allemagne

La production annuelle de chars passe ainsi de moins de


2000 engins en 1940 à plus de 10 000 en 1943 près de  En bas : L'enfer se déchaine à chaque passage des
20 000 en 1944, soit « seulement » les deux tiers de la vagues de bombardiers quadrimoteurs. Trois millions
de tonnes de bombes sont larguées sur l'Europe,
production américaine comparable mais avec des engins dont plus de la moitié sur le Reich proprement dit.
en moyenne beaucoup plus lourds et plus puissants. Dans
 Le Consolidated B-24 « Liberator » (ici lors d'un
le même temps, la production de chasseurs, inférieure à bombardement sur Ploiesti) vient épauler les B-17 au sein de la
3000 pour l’année 1940, dépasse les 10 000 en 1943 « Mighty Eight ». Avec plus de 18000 exemplaires assemblés,
puis bondit à près de 25 000, plus de 2000 par mois, c'est le bombardier lourd le plus produit de l'arsenal allié.
au cours de l’année 1944.

UNE ARME
MALGRÉ TOUT DÉCISIVE ?
La logique qui sous-tend les bombardements stratégiques
dès l’origine est d’en faire une arme décisive. Or, en
dépit des affirmations du Strategic Bombing Survey, les
deux objectifs définis par les doctrines d’emploi de ces
forces ne sont donc pas atteints en Europe [2] malgré la
pénurie croissante de ressources et des frappes conti-
nues et croissantes sur les centres industriels et urbains.
Seule la chute « physique » des bassins de production
de Silésie et de la Ruhr, après celle des ressources de
l’Est et des puits de pétrole de Ploiesti effritent vérita-
blement le potentiel de résistance global. En outre, le
Reich aurait été en mesure de produire des matériels –
chars, avions, armements - en plus grand nombre sans
ces bombardements, les contraintes géostratégiques et
démographiques aurait de toute façon limité le format
d’une armée qui « plafonne » dès le milieu de la guerre en
matière d’effectifs et incapable de motoriser l’ensemble
de ses forces fautes de ressources en hydrocarbures.
La pénurie endémique de pilotes de chasse que le système
de formation allemand est incapable de fournir, autant
quantitativement que qualitativement, pour combler les
pertes, est un exemple criant de ces lacunes. À quoi
auraient servi plus d’avions sans pilotes ni essence ?
En d’autres termes, face aux masses nombreuses et
aguerries de l’Armée rouge et aux unités alliées occi-
dentales, plus limitées mais remarquablement organisées
équipées et soutenues, le Reich manque en 1944 – 45
beaucoup plus de soldats aguerris et de spécialistes
expérimentés ainsi que de carburant que de matériel de
guerre, bombardements stratégiques ou pas.

75
Si l’on doit chercher un véritable succès dans les bom-
bardements stratégiques alliés, c’est sans doute dans
les objectifs annexes qu’il faut le chercher. Il est vrai
notamment que l’économie de guerre allemande fut
obligée de déployer des trésors d’ingéniosité pour assu-
rer la continuité et l’accroissement de sa production de
guerre, pratiquant l’enterrement et la décentralisation de
ses moyens à une très vaste échelle, avec de nombreux
problèmes afférents, et une captation de ressources très
importante au détriment du front. En obligeant le Reich à
de constants efforts de réorganisation perpétuellement
entravés ; en maintenant une pression sur l’économie
et les communications, les bombardements stratégiques
ont ainsi immobilisé de vastes ressources employées à la
défense antiaérienne, à la reconstruction, au maintien de
l’ordre et à la pérennité des infrastructures. Albert Speer,
le maître de la production militaire allemande à partir de
1942 considère notamment que les bombardements ont
« ouvert un second front longtemps bien avant l’invasion
de l’Europe ». De même, si la Luftwaffe poursuit sa résis-
tance jusqu’à la fin, prélevant un tribut très élevé auprès
des équipages alliés, l’usure continuelle qu’elle subit et
son incapacité à faire front partout constitue également
une contribution importante à la victoire. En cela, on ne
peut nier l’efficacité de la campagne de bombardements
stratégiques même si l’on peut la tempérer en prenant en
compte l’effort parallèle humain et matériel considérable
des alliés pour entretenir ces moyens offensifs. Le format
général réduit des forces terrestres alliées reste l’une des
conséquences majeure de ce choix stratégique impliquant
une dispersion des ressources.
Si les bombardements stratégiques n’ont donc sûrement
pas gagné la guerre, et ont même indubitablement échoué
dans les objectifs essentiels assignés par leurs promo-
teurs, ils ont néanmoins puissamment contribué à créer
les conditions de la victoire. Mais à quel prix ! À ce titre,
la conclusion du Survey sonne à la fois comme un aveu
et comme un vœu : « La grande leçon apprise dans les
villes frappées d’Angleterre et les cités en ruine d’Alle-
magne est que la meilleure façon de gagner une guerre
est d’éviter qu’elle ne se produise. » 

 En haut : Atterrissage difficile pour un B-17 du


99th Bomb Group de la 15th Air Force, pendant de la
« Mighty Eight » en Italie. Nombre d'appareils même rentrant
à bon port sont endommagés voir criblés de projectiles.

 Au milieu : Le B-17 sert aussi bien en Europe que dans le


Pacifique (reconnaissable à sa livrée argentée), à raison de plus
de 12 000 exemplaires assemblés toutes versions confondues.

 En bas : B-24 entouré des menaçantes corolles de la


Flak lourde, tel est le lot quasi quotidien des équipages de
bombardiers stratégiques qui en retour sèment de jour comme
de nuit la destruction et la mort sur les villes d'Allemagne.

Sources et bibliographie
• Coll. United States Strategic Bombing Survey
(Europe), Washington, 1946.
• Craven (W.) et Cate (J. ) (Dir), Army Air Forces
in World War II, 7 volumes, 1947 (réédité 1958).
• Garetseen (H.) et al. The strategic bombing of ger-
man cities during WW2 and its impact for Germany,
Discusion Paper 03/09, T. Koopmans Research
Institute, Utrecht University, 2003.
• Harrison (M.), Industrial mobilisation for WW2 : a
german comparison, in The soviet defence indus-
try complex from Stalin to Krushchev, Macmillan
Press, 2000.
• Salavrakos (I-D.), A re-assesment of the german
armament production during WW2, South African
Journal of Military Studies, 44/2, 2016.

76
alliés
Bombardements
sur l'Allemagne

Le poids du bombardement stratégique dans l’effort de guerre allié


Lors du conflit, les États-Unis consacrent environ 35% de leurs dès l’année suivante et les bombardements s’intensifient considé-
ressources militaires à l’arme aérienne, les Allemands 40%, les rablement. De 120 000 tonnes en 1943, on dépasse le chiffre à
Britanniques 45%. Pour le seul bombardement stratégique, les alliés peine imaginable de 900 000 tonnes de bombes pour la seule année
construisent durant la guerre pas moins de 42 000 quadrimoteurs 1944. Ce dernier chiffre est très supérieur à celui de la totalité des
(27 000 américains et 15 000 britanniques). Les effectifs atteignent bombardements opérés sur l’ensemble du théâtre d’opération Asie –
en 1944 dans cette arme 28 000 appareils et 1,3 millions d’hommes. Pacifique durant toute la guerre (656 000 tonnes). La campagne atteint
Le processus de formation des équipages d’un groupe de bombarde- son paroxysme au cours de la dernière année, alors que l’essentiel
ment lourd au complet prend presque deux ans, dont les deux derniers est d’ores et déjà joué et que la victoire n’est plus qu’une question
mois sont consacrés au travail en équipe et en formation. Environ de temps. Seuls 17% des bombes larguées sur l’Allemagne le sont
27 000 équipages de bombardiers lourds sont formés par l’USAAF avant le 1er janvier 1944, et 28% seulement avant le 1er juillet. Le
entre 1942 et 1945, contre seulement 6000 pour les bombardiers Reich reçoit en moyenne 2500 tonnes de bombes par jour en 1944,
moyens (B-25/B-26) et 1600 pour les bombardiers légers (A-20). et plus de 3000 tonnes / jour de janvier à mai 1945. Par comparaison,
Sur ce total, environ 14 000 sont formés sur B-24, et 13 000 sur l’ensemble des bombardements sur l’Angleterre entre 1940 et 1945,
B-17. En outre, le programme de formation sur B-29 qui démarre y compris par V1 et V2 se limite à 74 000 tonnes et ceux sur la
tardivement à l’automne 1943 implique la formation ou la conversion métropole japonaise en 1944-1945 à 161 000 tonnes dont 140 000
opérationnelle de 2350 équipages. L’USAAF forme entre décembre par bombardiers B-29, soit environ 500 tonnes / jour « seulement ».
1942 et août 1945 35 000 pilotes de chasse de jour et moins de Pour prix de cet épouvantable déluge de feu, les équipages des bom-
500 pilotes de chasse de nuit. bardiers stratégiques paient également le prix du sang. Durant toute
Les Alliés larguent en Europe 2 700 000 tonnes de bombes entre la guerre, les forces aériennes alliées perdent plus de 41 000 appareils
1940 et 1945 dont 1 100 000 tonnes par quadrimoteurs américains tous théâtres et tous types confondus dont 27 600 en Europe et en
B-17 et B-24 et la moitié (135 0000 tonnes) sur l’Allemagne même. Méditerranée. Au sein de ce total, on compte 8 300 quadrimoteurs
Si pour les trois années 1940, 1941 et 1942, l’Allemagne reçoit un B-17 et B-24. Les pertes des équipages s’élèvent à environ 160 000
total de 80 000 tonnes de bombes, les moyens déployés explosent Américains et Britanniques.

Bombardements stratégiques : statistiques et éléments de comparaison


Comparaison :
Indice de production Indice de production Comparaison :
Bombardements Bombardements alliés Bombardements allemands
industrielle industrielle allemande Bombardements sur la
alliés sur l'Allemagne sur le reste de l'Europe sur l'Angleterre
allemande (global) (armement) métropole japonaise
(V inclus)
1939 31 t 100 100 - -
1940 13 033 t 97 176 - 36 844 t
1941 31 504 t 99 176 - 21 858 t
1942 47 122 t 1 354 793 t 100 256 15 t 3 260 t
1943 201 622 t 112 400 - 2 298 t
1944 914 637 t 110 500 9 151 t
161 000 t
1945 380 113 t ? ? 761 t
Total 1 588 062 t 1 354 793 t X 1,1 X5 161 000 t 74 172 t

Les bombardements alliés en Europe en chiffres


USAAF RAF Total combiné
Sorties Bombes : 754 818 Bombes : 687 462 Bombes : 1 442 280
Autres : 991 750 Autres : 1 695 049 Autres : 2 686 799
Total : 1 746 568 Total : 2 382 511 Total : 4 129 079
Pertes aériennes Bombes : 9 949 Bombes : 11 965 Bombes : 21 914
Autres : 8 420 Autres : 10 045 Autres : 18 465
Total : 18 369 Total : 22 010 Total : 40 379
Pertes humaines 79 265 79 281 158 546
Tonnage largué 1 463 423 1 307 117 2 770 540

La montée en puissance de l’US Army Air Force


USAAF Total avions Dont avions de combat Dont bombardiers lourds Principaux types bmb lourds
01/09/39 2400 800 <20 B-17E
31/12/41 12297 4477 288 B-17
31/12/42 33304 11607 2079 B-17/B-24
31/12/43 64232 27448 8118 B-17/B-24
31/12/44 72726 41961 13790 B-17/B-24/B-29
31/08/45 63715 41163 13930 B-17/B-24/B-29

77
HISTOIRE

1945

ÉVASION SUR
DORNIER 335

Note : Texte composé à partir des souvenirs de Werner Lerche à l’occasion


de ses retrouvailles avec le Do 335 VG+PH en mai 1976. Werner Lerche
est décédé en 1983.

Les derniers vols de Werner Lerche


par Jean-Claude Mermet

N
ous avons vu, dans le précédent numéro d’Aérojournal, l’historique de la formidable
machine qu’a été le Dornier Do 335 Pfeil. Au printemps 1945, alors que les Soviétiques
s’enfoncent au cœur du Reich, l’Erprobungsstelle de Rechlin, le célèbre centre d’essais
de la Luftwaffe, est sur le point de tomber aux mains de l’ennemi. Mais l’un de ses
pilotes, Werner Lerche, ne compte pas finir ses jours en Sibérie !

Le 16 avril 1945, alors que l’Armée rouge lance sud-ouest, à basse altitude afin d’éviter la
son ultime offensive et franchit la rive droite chasse alliée et la DCA. Il sait que ce ne sera
de l’Oder pour prendre Berlin, ordre est donné pas une partie de plaisir, à 550 km/h si près
de déménager l’E-Stelle de Rechlin, situé à une du sol ! Pour la navigation, ce sera « à vue »,
centaine de kilomètres au nord-nord-est de la avec l’aide des voies de chemin de fer et des
capitale d’un III. Reich à l’agonie. Les avions chaussées d’autoroute. Le Dornier n’emporte
qui y sont aux essais doivent être restitués pas de munitions, à quoi bon ? Lerche n’a rien
à leur constructeur respectif. d’un combattant, encore moins d’un pilote de
chasse. Pour la navigation aux instruments,
NAVIGATION À VUE ce ne sera guère mieux, car ses expériences
en ce domaine consistent en des vols sans
Deux Dornier Do 335A-0 se trouvent alors visibilité, guidé par un opérateur radio... Par les
à Rechlin : le WNr 240102 (VG+PH) et le temps qui courent, il vaut peut-être mieux
240103 (VG+PI). Le pilote d’essais Werner également se passer de radio afin de ne pas
Lerche, recevant l’ordre de convoyer l’un attirer la chasse ennemie qui pourrait être à
des Pfeil, fait préparer le second (le n° 103), l’écoute. De toute manière, pense Lerche, le
mais en essai de roulage, un pneu est crevé, réseau de guidage radio en Allemagne doit être
probablement par un éclat de bombe traînant en piteux état. Alors, comme au bon vieux
encore sur la piste. Devant l’impossibilité de temps, il pilotera au « pifomètre » ! Il charge
réparer, il se rabat donc sur l’autre Do 335. quelques affaires personnelles dans la soute
Écoutant la BBC (!), Lerche apprend, le 19 à bombes.
avril au soir, que Berlin sera bientôt encer- Le décollage se passe à merveille, tout fonc-
clé par les Russes. Par conséquent, il décide tionne bien, les moteurs tournent parfaite-
 Le Flieger-Ingenieur Hans-Werner d’évacuer l’avion dès le lendemain. Il prépare ment et les instruments confirment que tout
Lerche, à l’âge de trente ans. (DR) son vol qui doit contourner la capitale par le est correct, sauf le cap... En se repérant sur

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Évasion sur
Dornier 335

les bois et les lacs entourant Rechlin, Werner Lerche prend son cap
à l’estime. Cette orientation, pense-t-il, est plus fiable que le compas
du Do 335. En effet, à cause de la formule des moteurs en tandem,
le compas-mère a dû être installé dans l’aile gauche plutôt que dans
le fuselage. Comme le dit Lerche lui-même, ce compas-mère, à cause
de la force centrifuge et des accélérations, « vit sa propre vie ». En
fait, la direction indiquée par l’instrument ne correspond en rien à celle
réellement suivie ! Heureusement que le pilote connaît les moindres
repères des environs de Rechlin, grâce à ses nombreux vols précédents,
y compris en planeur.

MÊME EN AVION, SUIVRE LES ROUTES...  et  Le Dornier Do 335 A-02 (WNr 240102, Skz VG+PH) vu à la Naval
Air Station Patuxent River en 1946. Il est, à l’heure actuelle, exposé au
Normalement, sur le Do 335 le carburant est pompé des ailes vers Steven F. Udvar-Hazy Center, près de Washington. (EN-Archives)
le réservoir principal du fuselage, mais sur le « 102 », les pompes ne
fonctionnent pas. Comme le plein n’a pas été fait et que les 3 600 ch moineau ne trouverait pas sa route », est annoncé. Lerche pense que
de ses deux moteurs consomment quelque 900 litres par heure, Werner lui trouvera sa route grâce aux vallées de la forêt bavaroise. Mais, il est
Lerche se rend vite compte qu’il ne pourra pas atteindre Lechfeld, situé cloué au sol. Prague sera bientôt investi par les Russes. Il faut partir.
à 600 km de son point de départ. De plus, la nuit approche à grands Le 23 avril, malgré le mauvais temps, il prend le risque de décoller. Tout
pas. Tant pis pour les documents importants à remettre au commandant se passe bien et le vol se déroule à plus haute altitude afin de pouvoir se
de l’E-Stelle qui se trouve à Lechfeld ! repérer dans ce monde nuageux étrange. Le compas est toujours aussi
Toujours à vue, le pilote allemand, après avoir atteint le sud de Berlin, « indépendant ». Pas inquiet du tout, Lerche se demande qui pourrait
décide de prendre la direction de Prague-Ruzyne qu’il connaît bien bien lui « coller le train » par sale temps pluvieux à 4 heures du matin.
grâce aux nombreux vols d’essais qu’il y a réalisés, notamment aux Faisant confiance à la Providence, voici qu’il suit une vallée qu’il ne
commandes d’un B-17 capturé. connaît pas dans la forêt bavaroise. Il pense que le plus dur est fait,
En direction de Beelitz, au sud-ouest de la capitale, Werner Lerche croise mais il essuie brusquement un tir de traçantes.
l’autoroute de ceinture Sud de la ville qu’il suit vers l’est jusqu’à l’em- Est-ce un avion ennemi arrivant par l’arrière ? Mais non, tout va
branchement de Dresde, où il aperçoit des véhicules russes. Malgré la bien. Sûrement ce tir est-il dû à un servant de Flak nerveux. Par sûreté
nuit tombante, l’autoroute reste visible et, sans feu de navigation (pour- et d’instinct, Werner Lerche a plongé au ras de la cime des arbres. Le
quoi attirer l’attention ?), la ville de Dresde est vite atteinte. « Quittant voici près de Nuremberg, déjà aux mains des Américains. Il se dirige plein
l’autoroute », il prend la direction de Prague dont les lumières appa- sud. Avec ses moteurs intacts, il ne craint aucun chasseur ennemi. Il
raissent à l’horizon, ainsi que celles de l’aérodrome resté éclairé à cause franchit le Danube et s’oriente avant d’atteindre Munich, le temps
d’opérations nocturnes. continuant de se lever.
« Le train d’atterrissage ne descend pas ! Vite, utilisons le système Au-dessus de Munich, l’Allemand rase les toits de la gare de Pasing,
de secours. Mais où donc se trouve la manette de commande pneu- puis, à hauteur des poteaux téléphoniques, il prend la direction de
matique ? » Lerche ne tient pas à se poser sur le ventre, car la dérive Lechfeld. Au-dessus de lui, il aperçoit les traînées laissées par ses
ventrale ferait plonger le nez de l’avion dans le sol qui serait « labouré » « camarades de l’autre bord ». Il garde un œil sur eux, tout en suivant
par le moteur avant. Avec une vitesse d’approche de 200 km/h, il aurait la voie de chemin de fer. Il contourne le terrain de Fürstenfeldbruck,
peu de chance de survivre. C’est pour cette raison que la dérive ventrale de manière à éviter la chasse ennemie, mais aussi la Flak amie...
est éjectable, théoriquement du moins... À tâtons, il trouve la poignée, Maintenant, il lui est facile de reconnaître le chemin vers Lechfeld où,
l’actionne et les légers cognements du verrouillage du train se font après un circuit d’approche au plus près du terrain, il sort le train, d’un
sentir en même temps que les trois lampes vertes s’allument. L’avion seul coup cette fois, et atterrit alors qu’une alerte aérienne retentit. Le
prend contact avec la piste de Ruzyne à 20h20. La nuit est complète. calme revenu, il constate que seize avions soigneusement camouflés
ont été détruits, mais que son Do 335, pourtant bien en vue, est
DERNIER VOL DE LA GUERRE intact. Il pense que les Américains ont dû prendre son appareil pour
un leurre tant il a l’air bizarre !
Werner Lerche vient de voler sur environ 450 km. Afin de ne pas perdre Sa première mission accomplie, la remise des documents, Werner
de temps, il décide de partir le plus tôt possible le lendemain matin, mais Lerche n’a qu’une hâte : atteindre l’usine Dornier d’Oberpfaffenho-
il faut d’abord ravitailler en carburant C3, qui n’est pas disponible... Tant fen, but ultime de son voyage. Dès que les alertes aériennes lui en
pis ! On utilisera ce qu’il y a, du « 87 », mais l’essence n’est pas gratuite laissent le loisir, il redécolle vers l’est. La distance n’étant pas très
et ses paquets de cigarettes changent de propriétaire. Enfin, peu lui importante (une trentaine de kilomètres), il garde par prudence le train
importe, car les réservoirs du Do 335 sont maintenant pleins « à ras la sorti. Bientôt, il se pose et va parquer son avion, fièrement, devant le
gueule », comme on dit. Lerche trouve aussi un mécano qui ausculte bâtiment principal, à la surprise générale du personnel de l’usine qui
le train d’atterrissage et détecte la panne. Après plusieurs essais du n’en croit pas ses yeux.
train, l’avion monté sur vérins, tout semble correct. Werner Lerche ne le sait pas – mais peut-être le devine-t-il ? – c’est
Cependant, la météo s’en mêle. Un mauvais temps, « où même un son dernier vol sous l’uniforme de la Luftwaffe. 

Dornier Do 335 A-02


Erprobungsstelle Rechlin
Rechlin, Allemagne, avril 1945
© JM. Guillou, Aérojournal 2019

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Dornier Do 335 A-0
Plans au 1/48e © Hubert Cance - 2019
Chasseur-bombardier

Morphologie
Envergure 13,80 m
Longueur 13,85 m
Hauteur 5,00 m
Surface alaire 38,50 m²
Poids :
À vide 6 350 kg
Maximum en charge 9 510 kg

Motorisation
- Deux moteurs Daimler-Benz DB 603 A-2 (DB 603 E à l’avant et DB 603 QE à l’arrière), douze
cylindres en V inversé refroidis par liquide, développant 1 750 ch chacun au décollage et
1 390 ch à 6 500 m, entraînant une hélice VDM de 3,50 m de diamètre à l’avant et une VDM
de 3,30 m à l’arrière
- Capacité en carburant : 1 850 l
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Évasion sur
Dornier 335

Performances
Vitesse maximale - 580 km/h au niveau de la mer
- 703 km/h à 6 600 m
- 732 km/h à 7 100 m
Rayon d’action : - 1
  230 km avec 500 kg de bombes à
550 km/h à 6 000 m
- 1 600 km à 630 km/h à 6 000 m
- 1 380 km à 703 km/h à 6 600 m
- 2 150 km à 460 km/h à 6 000 m

Performances
Performances - Plafond pratique : 9 500 m au poids
maximum en charge ; 4 500 m au
Temps de montée au poids poids de 8 300 kg sur un seul moteur
maximum en charge : - Distance de décollage : 960 m pour
- à 1 000 m, 1 mn 18  franchir un obstacle de 20 m
- à 2 000 m, 3 mn  - Vitesse d’atterrissage : 190 km/h au
- à 4 000 m, 6 mn  poids de 9 000 kg
- à 6 000 m, 10 mn
- à 8 000 m, 14 mn 30

Armement
- 2 canons MG 151/20 de 20 mm sur le dessus du capot, avec 200 coups par arme et
un canon MK 103 de 30 mm tirant par le moyeu de l’hélice (70 obus).
- De 500 à 1 000 kg de charges offensives en soute interne.

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 n°31 : Dissuasion à la française (Réf. 531)  n°59 : Berlin 43/44 - Peur sur la ville (Réf. 11059)
 n°32 : Chasseurs de U-Boote (Réf. 532)  n°60 : Wilde Sau (Réf. 11060)  Chèque à l’ordre de Caraktère
 n°33 : Les ailes volantes des frères Horten (Réf. 533)  n°61 : Berlin 43/44 - Au coeur du brasier (Réf. 11061)  Virement Swift
 n°34 : La chasse allemande face à l’Ouest (Réf. 534)  n°62 : El Alamein (Réf. 11062)
 Mandat postal
 Carte Bancaire :
 n°35 : Regia Aeronautica dans la bataille d’Angleterre (Réf. 535)  n°63 : Luftprodktion, le défi industriel (Réf. 11063) Numéro : .........................................
 n°36 : Pilotes belges sur Hawker Typhon (Réf. 536)  n°64 : Hs 129, le tueur de chars (Réf. 11064) Date d’expiration : ...........................
 n°37 : Kamikaze, la vanité de l’héroïsme (Réf. 537)  n°65 : JG 52 - L'escadre de tous les records (Réf. 11065) Signature :
 n°38 : Jagdgeschwader, les escadres de formation (Réf. 538)  n°66 : Les jets de Shōwa (Réf. 11066)
 n°40 : Insurrection en Irak (Réf. 540)  n°67 : L'aviation embarquée allemande (Réf. 11067)
 n°41 : Kampfgeschwader KG 200 (Réf. 541)  n°68 : « Tueurs de chars » (Réf. 11068)
 n°42 : KG 200 « Beethoven » (Réf. 542)  n°69 : Les P-47 du 353rd Fighter Group (Réf. 11069)
 n°43 : Les As de l’armée impériale japonaise (Réf. 543)  n°70 : Dans l'ombre de Marseille (Réf. 11070) Attention ! Les Eurochèques, cartes Maestro
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écrire lisiblement.

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Le 6 juin 1944, 130 000 combattants et
20 000 véhicules alliés doivent atteindre
le sol normand. Pour les y acheminer,
il  a fallu rassembler quelque 4  300  na-
vires et 2 600 embarcations d’assaut, mis
en œuvre par plus de 150  000  marins,
un effectif supérieur à celui des troupes
mises à terre dans la journée. On le com-
prend, il ne peut y avoir d’opération am-
phibie sans composante maritime.
Dans ce vingtième hors-série, Luc Van-
gansbeke revient sur l’aspect naval
d’Overlord. L’auteur explique comment
a été choisi le site du débarquement,
quels types de navires ont été utilisés
et quel matériel il a fallu inventer, puis
il raconte les préparatifs et l’organisa-
tion de cette immense armada alliée,
pour traiter enfin les opérations navales
elles-mêmes. Une documentation riche
et complète abondamment illustrée de
photos, plans et cartes.

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