Vous êtes sur la page 1sur 84

JUNKERS JU 287 GRUMMAN F4F WILDCAT

Le bombardier expérimental de la Luftwaffe Genèse, versions et production

NUL N'EST PROPHÈTE ...


La Royal Navy, innovatrice hors-pair

COCARDE vs ÉTOILE ROUGE


En guerre contre les bolcheviques

M 05757 - 65 - F: 6,90 E - RD
Aérojournal n°65
Juin / Juillet 2018
Belgique, Espagne, Italie, Portugal Cont., Lux. : 7,90 €
Canada : 14$C - Suisse : 13 CHF - Maroc : 75 MAD
3’:HIKPRF=\U[^U^:?k@a@g@f@k";
JUIN
carapresse &tère
éditions
carapresse2018
tère
& éditions
JUILLET

ACTUELLEMENT EN KIOSQUE
cara tère
Aérojournal n° 65 Batailles & Blindés n° 85
presse & éditions
Ligne de Front n° 73

La sanglante bataille des haies


L’escadre de tous les records

JUNKERS JU 287 GRUMMAN F4F WILDCAT


Le bombardier expérimental de la Luftwaffe KIELCE - LISSOW, JANVIER 1945 Guadalajara 1937
Genèse, versions et production

Le cimetière des Panther


L’échec de la « guerra celere » italienne
NUL N'EST PROPHÈTE ...

cara publishing
tère
Quand les Panzer La bataille de Smolensk
La Royal Navy, innovatrice hors-pair
tentent d’endiguer Une victoire à la Pyrrhus ?
la marée
COCARDE vs ÉTOILE ROUGE
En guerre contre les bolcheviques
KRINKELT-ROCHERATH La petite guerre dans la grande
1941, Pérou contre Équateur

SAINT-LÔ
JG 52

Un magazine des éditions

M 01699 - 85 - F: 6,90 E - RD

M 05757 - 65 - F: 6,90 E - RD 3’:HIKLQJ=^U[^U[:?a@a@s@f@k"; M 01017 - 73 - F: 6,90 E - RD Belgique, Luxembourg, Grèce,


Aérojournal n°65
Juin / Juillet 2018
Belgique, Espagne, Italie, Portugal Cont., Lux. : 7,90 €
Canada : 14$C - Suisse : 13 CHF - Maroc : 75 MAD
3’:HIKPRF=\U[^U^:?k@a@g@f@k"; Batailles & Blindés n°85 Juin / Juillet 2018
Belgique, Italie, Portugal Cont., Lux., Espagne : 7,90 €
Suisse : 13 CHF - Autriche : 8,20 € - Canada : 14$C
3’:HIKLKB=\U[^U]:?a@k@h@d@k"; Italie, Portugal cont. : 7,90 €
Autriche : 8,20 €
Canada : 14 $C - Suisse : 13 CHF

LOS! n° 38 Trucks & Tanks n° 67 LDF Hors-Série n° 33


ACTU : LA MARINA MILITARE À MARCHE FORCÉE // LEXIQUE : FAIRE LE POINT
LES 10 ENGINS LES PLUS PUISSANTS
de la Seconde guerre mondiale

BOOMERS !
LES SOUS-MARINS BALISTIQUES SOVIÉTIQUES
LES MYSTÈRES de la Seconde
Qui sait que Winston Churchill envisageait de disperser de l’anthrax sur
le Reich pour exterminer des centaines de milliers de civils allemands en
1944, en représailles des tirs de V1 et V2 ? Dans les faubourgs de Berlin,
De tous les combats

en 1945, Himmler avait-il vraiment l’espoir de sauver son existence, en


négociant sa survie avec des représentants du Congrès Juif Mondial en
échange de celle de dizaines de milliers de déportés ? Que savons-nous
ADMIRAL HIPPER

des B-17 robotisés lancés par les Américains sur les plus secrètes des bases
Guerre moondiale

allemandes ? L’opération « Caesar », visant à transporter au Japon, par


sous-marin, des réacteurs de Me 262, du mercure et des scientifiques
allemands, aurait-elle pu changer l’issue de la guerre dans le Pacifique ?
Pourquoi des Indiens sont-ils entraînés pour devenir des commandos du
régiment « Brandenburg », dédié aux opérations spéciales ? Les nageurs
de combat italiens de la fameuse Decima MAS avaient-ils vraiment l’in-
tention d’attaquer New York ? Pourquoi Himmler a-t-il lancé l’Ahnenerbe
sur les traces du marteau de Thor ? Y a-t-il eu des Britanniques et des
Américains dans la Waffen-SS ?
C’est à ce florilège de questions et à bien d’autres encore, que ce hors-série
apportera des réponses. Attendez-vous à être sidérés par ce que vous lirez !

LE TORPILLAGE DU LACONIA
TRAGÉDIE EN HAUTE MER

DE KRONSTADT À TSUSHIMA
LE CALVAIRE DE LA FLOTTE DU TSAR M 07910 - 67 - F: 6,90 E - RD
KLEIN IST SCHÖN ! M 02731 - 38 - F: 6,90 E - RD
3’:HIKRTB=UU[^U[:?k@a@q@h@a"; M 09340 - 33H - F: 11,50 E - RD
Ligne de Front Hors-série n°33

3’:HIKMRD=VU[^UW:?k@a@n@i@a"; 3’:HIKTNE=UVVZU\:?k@a@n@d@f";
France, Belgique : 11,50 €
LES « SCHNELLBOOTE DE POCHE » Espagne / Italie / Port. Cont. /
Luxembourg / Grèce : 12.50 €
Belgique, Espagne, Italie, Portugal Cont., Lux. : 7,90 € Belgique / Espagne / Grèce/ Italie / Lux. / Portugal Cont : 7.90 €
Canada : 14$C - Suisse : 13 CHF - Maroc : 75 MAD Canada : 22 $C
Autriche : 8.20 € — Canada : 14 $C — Suisse : 13 CHF

TnT Hors-Série n° 28 LOS! Hors-Série n° 17 AJ Hors-Série n° 30


AUTOPSIE D’UNE DÉBÂCLE
des &lliés du III. Reich

L’apparition du sous-marin dans les flottes des grandes


puissances occidentales date de la fin du XIXe siècle.
Pourtant, l’idée même d’un engin capable d’emporter un
équipage pour se mouvoir sous les eaux de façon autonome
est certainement aussi vieille que le monde. Des légendes
antiques et médiévales y font allusion et de nombreux
inventeurs de la Renaissance tenteront, sans grand succès,
de concevoir des « barques sous-marines » en bois et à
propulsion humaine. Ce n’est qu’avec la guerre de Sécession
PETITE HISTOIRE

américaine que le submersible fait une apparition remarquée


- mais encore anecdotique - dans le combat naval, une place
qu’il confortera au cours du premier conflit mondial en
s’en prenant de façon spectaculaire aux escadres et convois
ennemis. L’Entre-deux-guerres ouvre dans les années 1930
Mai - juin 1940

l’âge d’or de l’arme sous-marine, période qui ne prendra


fin qu’en même temps que la Seconde Guerre mondiale.
du sous-marin

Avec ce hors-série, la rédaction de LOS! clôt un triptyque


LES BLINDÉS

entamé en 2014 avec la Petite Histoire du porte-avions


et poursuivi en 2016 avec la Petite Histoire du cuirassé.
Comme ces prédécesseurs, ce volume comprend un texte
original et exhaustif sur la question, de nombreuses photos
d’époque, des plans et des vues 3D des bâtiments les plus
caractéristiques de la Seconde Guerre mondiale.

LOS! Hors-série n°17 / Avril - Mai 2018


M 04638 - 17H - F: 14,90 E - RD

3’:HIKOQD=]VY^U\:?k@a@l@h@f"; France / Belgique : 14.90 €


Espagne / Italie / Port. Cont. / Luxembourg /
Grèce : 15.50 €
Suisse : 25 CHF / Canada : 25 $C

Renseignements : Éditions Caraktère - Résidence Maunier - 3 120, route d’Avignon - 13 090 Aix-en-Provence - France
Tél : +33 (0)4 42 21 06 76 - www.caraktere.com
L'ACTUALITÉ DE L'AÉRONAUTIQUE p. 4
DC-3, F-15, B-21 ...

LOTNICTWO WOJSKOWE p. 12
Aérorama Pologne (Partie 2 - 1928-1939)

NOTAM

65 GRUMMAN F4F WILDCAT p. 22
[NOTICE TO AIR MEN] Genèse, versions et production - 1e partie

TENIR LE CAP JG 52 p. 32
L’escadre de tous les records
Certains parmi vous se sont manifestés pour
réclamer (à raison) la suite et fin de l’Aérorama
consacré à la Pologne, ainsi que la dernière
partie des raids sur Berlin. Avec cette nou-
velle livraison de votre magazine, le contrat
est rempli pour ce qui concerne la Lotnictwo
Wojskowe ; quant aux opérations du Bomber
Command, j’y travaille ardemment. Enfin,
suis-je tenté de dire ! Car si le programme
éditorial d’Aéro-Journal a été bouleversé à la
charnière 2017-2018, ça n’a pas été par extra-
vagance, mais parce qu’il a été nécessaire de
tenir la barre, avec fermeté !
En cause, la situation désastreuse de notre
messagerie de presse (Presstalis, ex-NMPP)
chargée de mettre en vente les magazines et
de nous rétribuer ; paiements bloqués (on parle NUL N'EST PROPHÈTE EN SON PAYS p. 50
ici de dizaines de milliers d’euros !), retards La Royal Navy, innovatrice hors-pair
dans les mises en vente et, depuis, en guise
de solutions pour l’avenir, de nouvelles taxes,
de nouvelles règles coercitives et des mesures
COCARDE CONTRE ÉTOILE ROUGE p. 56
rétroactives en la défaveur des éditeurs. Une En guerre contre les bolcheviques
recherche sur internet vous renseignera sur ce
cas de figure édifiant ! En 15 ans de Presse, JUNKERS JU 287 p. 66
je n’ai jamais pensé vivre quelque chose de
semblable, pas plus que mes confrères, qui
Le bombardier expérimental de la Luftwaffe
souffrent eux aussi de cette situation.
AU SOMMAIRE DU N°66

Alors, la maison et ses revues sont-elles mena-


cées ? La réponse est non, car nous avons pu
réagir rapidement. Au rayon des décisions stra-
tégiques prises au début de l’année 2018, se
situe en bonne place le développement d’une
gamme de livres ; c’est ainsi que le premier
ouvrage de notre CJE national sera complété
dans les mois à venir par un second volume
sur la reconnaissance et le bombardement,
6 JUIN 1944, CIEL DE FEU EN NORMANDIE !
et aussi un livre très attendu consacré aux Aérojournal n°65 Service Commercial : Imprimé en France par / Printed in France by :
Aubin Imprimeur, à Ligugé
3 120, route d'Avignon
camouflages et aux marques de l’armée de l’air Bimestriel // Juin - Juillet 2018 13 090 Aix-en-Provence - France
- O
 rigine géographique du papier principal
ISSN : 1962-2430 Téléphone : 04 42 21 06 76
en 1940 ! JC Mermet est aussi à la manœuvre. Dépôt légal (BNF) : à parution Télécopie : 09 70 63 19 99
contact@caraktere.com -T
de la publication : Allemagne (750km)
 aux de fibre recyclé : sans fibre
Commission paritaire : 1118 K 83091
D’autres projets sont lancés et vous en saurez Magazine bimestriel édité par : www.caraktere.com
-C
recyclées
 ertification des papiers /
Directeur de la publication / Air Marshal : Y. Kadari
plus très vite. Caraktère SARL
Résidence Maunier Fondateur / Test Pilot : C-J. Ehrengardt -E
fibres utilisées : PEFC
 utrophisation : Ptot 0.016 kg/tonne
Rédacteur en chef / Group Captain : Y. Kadari
Finalement, les errements (scandaleux) de 3 120, route d'Avignon
13 090 Aix-en-Provence - France Direction artistique / Wing Commander : A. Gola  ervice des ventes et réassort :
S
Service commercial / Propaganda Officer : Élodie Taurand À juste Titres - 04 88 15 12 43
Presstalis auront servi à quelque-chose. SARL au capital de 100 000 euros
RCS Marseille B 450 657 168 Infographie / Armourers : N.
 Bélivier - M. Mioduszewska Responsable de la publication pour la Belgique :
redaction@caraktere.com Tondeur Diffusion - Avenue F. Van Kalken, 9
Rédaction : 04 42 21 62 63 1070 Anderlecht – Belgique
Y.K.
Notre couverture : La 334e victoire d'Erich Hartmann à bord de son Bf 109 G-6, février 1945 !

Retrouvez le courrier des lecteurs sur notre page Facebook Illustration : © Piotr Forkasiewicz – Aérojournal 2018
www.facebook.com/aerojournal.magazine Une lettre d’information accompagne votre magazine. Elle est réservée aux abonnés et clients VPC.
© Copyright Caraktère. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans la
présente publication, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions
strictement réservées à l’usage du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, les analyses et courtes citations justifiées par le
caractère spécifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées. Loi du 11.03.1957, art. 40 et 41; Code Pénal, art. 425.
l'Actualité
de l'Aéronautique
Warbird / Restauration / Projet

DC-3
UN DOUGLAS

REVIENT À LA VIE AU QUÉBEC


Loïc Becker

ppareils emblématiques du débarque- au long du conflit. Après guerre, nombre de ces avions
ment de Normandie, de nombreux  Le DC-3 acquis par sont rachetés par des compagnies aériennes et réamé-

A
Douglas DC-3 sont encore en vol de l’association Avialogs. nagés afin de servir sur des vols continentaux. Le DC-3
De nombreuses
nos jours, mais d’autres n’ont pas modifications récupéré par Avialogs a lui une carrière atypique : sorti
autant de chance. Il faut attendre « civiles » ont été des chaînes de montage Douglas d’Oklahoma City en
2017 pour que l’un d’entre eux, le faites après-guerre, 1944, le n°12253 est transféré à la Royal Air Force
notamment au niveau
DC-3 C/N 12253 fabriqué en 1944 grâce au programme « lend lease ». Affecté au No.
de la porte d’accès et
mais laissé à l’abandon sur un aéro- l’aménagement intérieur. 271 Squadron (immatriculation FZ668), il est déployé
port au Canada, soit repris par l’as- le 5 juin 1944 sur le terrain de Blakehill Farm dans le
Toutes photos : Pierre Gillard
sociation Avialogs à des fins de restauration. Wiltshire. Le FZ668 participe alors à l’opération « Tonga »
avec neuf autres C-47 : à 23h20 le 5 juin, il s’envole
Mis en service en 1936, le Douglas DC-3 est un avion destiné au avec des parachutistes britanniques vers la zone de Caen. Retourné
transport de civils, notamment de nuit. Il bat très vite des records de au Royaume-Uni, il est racheté puis reconditionné en appareil civil
vitesse mais aussi d’autonomie ainsi que de fiabilité. Son succès dans pour Trans Canada Airlines, où il devient CF-TER. L’ancien C-47 finit
les compagnies aériennes civiles attire l’attention des militaires qui ont alors sa carrière à la fin des années 1980, où il est laissé à l’aban-
alors besoin d’un appareil de transport fiable et peu onéreux à produire. don pendant 25 ans. Forts de nombreuses années de récupération
Après une période d’essais, l’US Air Force décide de commander à de documentation technique, les membres de l’association Avialogs
Douglas une version militaire du DC-3, dénommée C-47 « Skytrain ». vont maintenant se lancer dans la restauration de l’appareil. Un ingé-
Les Britanniques l’utiliseront aussi mais sous le surnom de « Dakota ». nieur du Canadian Warplane Heritage ainsi que diverses écoles (ENA et
D’abord pensé comme transporteur de matériel, le C-47 gagne ses FBO-H18) vont collaborer à ce projet dont la finalité est de faire reprendre la voie
lettres de noblesse en convoyant les parachutistes américains dans des airs à cet « ancien » depuis l’aérodrome de Saint-Hubert de Montréal.
la nuit du 5 au 6 juin 1944 au dessus du Cotentin, puis lors de l’opé-
ration « Market Garden » le 17 septembre 1944 en Hollande. Fiable
Site de l’association : www.avialogs.com
mais peu protégé, le C-47 est construit à 16 079 exemplaires tout

4
L’état de l’appareil démontre les 25 ans d’abandon. Selon
l’association, il faudrait environ 400 000 € pour le faire revoler ; elle
va bientôt lancer une opération de financement participatif.

5
l'Actualité
de l'Aéronautique
Nouvelle arme / Révolution technologique ?

F-15 US AIR FORCE


UN DE L’

VA TESTER UNE ARME LASER


Par Laurent Lagneau

L'
an passé, le laboratoire de recherche de l’US Air Force a
confié un contrat 26,3 millions de dollars à Lockheed-Martin
pour mettre au point un démonstrateur de laser à fibre de
haute puissance dans le cadre du programme SHiELD (Self
protect High Energy Laser Demonstrator), lequel vise à doter
les avions de combat d’une arme à effet dirigé.

Ainsi, Lockheed-Martin devait développer un démonstra- Cependant, Lockheed-Martin a mis au point la technologie
teur d’ici 2021, en collaboration avec Northrop Grumman  Un F-15E Strike ATHENA (Advanced Test High Energy Asset), dont la
Eagle lors de l’opération
(pour le système de contrôle des faisceaux vers les cibles) « Inherent Resolve »,
particularité est de concentrer plusieurs faisceaux laser
et Boeing (pour la nacelle devant alimenter et refroidir le en juin 2017, au- ayant chacun une longueur d’onde différente en un seul.
laser). Mais, visiblement, les travaux sont en avance car dessus de l’Irak. Ce qui ouvre le champ à des armes à effet dirigé à la fois
U.S. Air Force photo/Staff
l’US Air Force a annoncé, le 19 mars, que les premiers Sgt. Trevor T. McBride
plus légères et puissantes.
tests de cette arme laser seront effectués dès cet été. Cette technologie est utilisée pour le projet HELMTT (High
« Nous ferons nos premiers essais l’été prochain et les Energy Laser Mobile Test Truck) mené dans le cadre du
essais en vol sont prévus l’été suivant », a en effet indiqué programme « Robust Electric Laser Initiative Program »
Jeff Stanley, le sous-secrétaire de l’US Air Force chargé de l’US Army. Là, il est question de doter un véhicule
de la science, de la technologie et de l’ingénierie. d’une arme laser de 58 kW de puissance.
Le démonstrateur SHiELD sera installé sur un F-15. Par ailleurs, Raytheon a annoncé, en juin 2017, avoir
L’objectif est mettre au point une arme laser d’une puissance de 50 testé avec succès un système laser à haute énergie intégré (High
kW, qui permettra à un avion de combat de détruire des drones, voire Energy Lasers, HEL), qui couplé à un système MTS (Multi-Spectral
des missiles de croisière. « Nous avons encore des problèmes tech- Targeting System), avait été installé à bord d’un hélicoptère d’attaque
niques à surmonter, en termes de taille, de poids et de puissance », a AH-64 Apache
toutefois admis M. Stanley. La marine américaine n’est pas en reste puisque, en 2014, à bord de
Cela fait longtemps déjà que l’Air Force Research Laboratory (AFRL) l’Amphibious Transport Dock USS Ponce, elle a commencé l’évalua-
tente de mettre au point une arme laser. Ce fut le cas avec l’Airborne tion d’un prototype d’arme laser d’une puissance de 30 kW (LaWS).
Laser Testbed (ABL YAL 1A ou ALTB) et de l’Advanced Tactical Laser Très précises et d’un coût d’utilisation très faible (un « tir » couterait
(ATL). Mais les prototypes développés à l’époque étaient encore trop 1 dollar seulement), les armes laser pourraient constituer une rupture
imposants (il fallait un Boeing B-747 ou NC-130 Hercules pour les technologique. Cela étant, elles ont le défaut de dépendre des condi-
mettre en œuvre). tions météorologiques.

6
US Air Force / Projet

B-21RAIDER?
LE VOILE SERA-T-IL
BIENTÔT LEVÉ SUR LE
FUTUR BOMBARDIER
AMÉRICAIN
Par Laurent Lagneau
L’actualité de la défense et de la sécurité,
en partenariat avec :

 ur le moment, on ne sait pas grand chose sur le B-21 Raider, le


o
futur bombardier stratégique américain, dont le développement a

P
été confié, en octobre 2015, au constructeur aéronautique Northrop
Grumman, dans le cadre du programme LRS-B (Long Rang Strike F-35, des F-22 et des liaisons de données exclusives et
Bomber). Il a seulement été précisé que cet appareil devra être furtives des drones. »
capable d’évoluer dans un environnement non-permissif et très
A-t-il vu juste? On ne devra sans doute pas tarder à le
exigeant, que sa conception reposera sur des « technologies exis-
savoir. En effet, le commandant du 412th Test Wing, le
tantes et matures » et que son architecture sera « ouverte » afin de
pouvoir lui intégrer de nouvelles fonctionnalités pour lui permettre général Carl Schaefer, a affirmé, lors d’une conférence à
d’affronter des « menaces futures ». la Chambre de commerce et d’affaires d’Antelope Valley
[Californie] que la base aérienne d’Edwards accueillera
Mais rien n’a été révélé au sujet de ses caractéristiques prochainement les essais du B-21 Raider. « Pour la toute
et de ses futures performances. Seule une vue d’ar-  Vue d’artiste, mais première fois, je voudrais annoncer publiquement que
officielle car fournie par
tiste du B-21 Raider a été dévoilée en février 2016, le B-21 sera testé à la base aérienne d’Edwards », a en
l’U.S. Air Force, du futur
à l’occasion de l’Air Warfare Symposium d’Orlando bombardier Northrop effet affirmé le général Schaefer. « Et nous allons le
(Floride). Cependant, Tyler Rogoway, qui s’intéresse Grumman B-21. tester ici dans un proche avenir », a-t-il ajouté.
de très près à ce programme pour le compte du blog U.S. Air Force Graphic Certains s’attendaient à ce que les vols d’essais du B-21
spécialisé « The War Zone », a vu des similitudes entre Raider soient effectués à partir de la fameuse Zone 51
l’aspect du B-21 Raider tel qu’il été présenté avec le [Nevada], c’est à dire là où ont été mis en point les
« Tactical High Altitude Penetrator (THAP) », un ancien avions qui devaient rester à l’abri des regards, comme
concept de Northrop Grumman. l’U2 ou encore le F-117 Nighthawk.
Et d’en déduire que le futur bombardier devrait être L’annonce du général Schaefer n’a pas pris au dépourvu
une « plateforme d’armes et de capteurs extrêmement Tyler Rogoway, ce dernier ayant affirmé avoir « remarqué
aérodynamique », pouvant voler à 60 000 pieds (18 288 un certain nombre de changements » depuis sa dernière
mètres) d’altitude, susceptible de « servir de nœud de visite à la base d’Edwards. « Il était clair que l’installa-
connectivité pour les communications et les liaisons de tion de la base sud subissait une transition majeure »,
données, en récupérant de l’information provenant des a-t-il écrit.

7
l'Actualité
de l'Aéronautique
Aggressors / Exercice / US Air Force

EXERCICE

RED FLAG 18-1


« »

Laurent Tirone
LA VRAIE GUERRE POUR DE FAUX

P
lusieurs fois par an, la Nellis Air Force Base située dans
le désert du Nevada et l’Eielson Air Force Base en Alaska
reçoivent des dizaines d’avions de combat pour un exer-
cice grandeur nature communément appelé « Red Flag ».
Contrairement à bien des manœuvres de ce type, les pilotes
n’affrontent pas un adversaire « immatériel » mais des instruc- effectué plus de dix missions affichaient de meilleurs
teurs de haut vol bien décidés à apprendre aux « novices »
résultats et que leur taux de survie était bien plus élevé.
toutes les ficelles du combat aérien dans une « vraie guerre
L’expérience aidant, ils parvenaient à mieux appréhender
pour de faux ». Pour sa part, l’exercice « Red Flag 18-1 » se caractérise par
l’utilisation massive de brouilleurs GPS. les situations critiques tout en se montrant plus efficaces
en Dogfight. Le 1er mars 1976, l’U.S. Air Force prend
alors la décision de créer un important programme d’en-
LA DÉCONVENUE traînement dirigé par le 4440e Tactical Fighter Training
VIETNAMIENNE Group, surnommé « Red Flag ». Les meilleurs pilotes de
l’USAF sont recrutés pour former deux les 64th et 65th
Lors de la guerre du Viêt-Nam (1964-1975), les pilotes Aggressor Squadrons, aussi appelés « force rouge »,
de l’U.S. Air Force (USAF) ne brillent pas particulièrement  Deux F-15 Eagle par opposition à la « bleu » qui représente les invités. Ils
et un F-16 Fighting
lors des Air Combat Maneuvering (ACM) face aux MIG Falcon des Aggressor sont briefés aux tactiques de combat aérien du Pacte
ennemis. Pire, leurs performances en Dogfight s’avèrent Squadrons stationnés à de Varsovie car, en pleine Guerre Froide, l’ennemi est
inférieurs à leurs prédécesseurs durant la Deuxième la Nellis Air Force Base l’Union soviétique et ses MIG et autres Soukhoï. Les
(AFB) lors de l’exercice
Guerre mondiale. Il faut dire que l’avènement du missile Aggressor ont pour missions d’instruire les « bleus » lors
« Red Flag 07-3 ».
air-air à longue portée, qui rendait théoriquement obsolète U.S. Air Force photo/Master de scénarios d’entraînement, définis de façon à être aussi
les canons, avait conduit certains décideurs américains Sgt. Kevin J. Gruenwald réalistes que possible, menés à grande échelle au-des-
à réduire les entraînements. Or, dans le ciel vietnamien, sus d’un territoire grand comme la Suisse. Ceux-ci sont
identifier un ennemi imposait bien souvent de s’en appro- chapeautés par le Red Flag Measurement and Debriefing
cher et la menace sol-air (pièces antiaériennes et missiles System (RFMDS) qui permet de suivre et d’analyser, en
SAM livrés par les Soviétiques) s’est révélée bien plus dan- temps réel, les différentes manœuvres.
gereuse que prévue. L’analyse des opérations « Project Pour sa part, la branche aviation de l’US Navy préfère s’en
Red Baron II » montre que les pilotes américains ayant remettre à une méthode plus classique d’école de pilotage

8
avec l’United States Navy Fighter Weapons School, créée en 1969, Le 20 juillet 1948, il devient le 64th Fighter Squadron, Jet sur Lockheed
rendue célèbre par le film « Top Gun » (1986), destinée à former les P-80 Shooting Star, appareils qui seront remplacés par des Convair
meilleurs qui iront dispenser leur savoir dans leurs unités respectives. F-102 Delta Dagger. En 1966, il prend ses quartiers sur des bases au
Sud-Vietnam et en Thaïlande. Finalement, le 64th Fighter-Interceptor
Squadron est inactivé le 15 décembre 1969 avant de reprendre du
64th AGGRESSOR service le 15 octobre 1972 en tant que 64th Fighter Weapons Squadron
SQUADRON dépendant du 57th Fighter Weapons Wing. Il est déployé sur la Nellis Air
Force Base (AFB). Là, les pilotes reçoivent des avions d’entraînement
Cette unité tient ses origines de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, le Northrop T-38 Talon capables de filer à Mach 1,3. Enfin, en 1976, ils
64th Pursuit Squadron (Interceptor) est activé le 15 janvier 1941, sur réceptionnent des Northrop F-5E Freedom Fighter Tiger II, des versions
avions de chasse Curtiss P-40 Warhawk, en vue d’assurer la défense exports initialement destinées au Sud-Vietnam. Recouverts d’une livrée
aérienne au-dessus du Nord-est des États-Unis. En juillet 1942, il part évoquant celle des appareils soviétiques, les Tiger II ont été choisis
combattre en Afrique du Nord puis est déployé au-dessus de la Sicile car leurs performances se rapprochent de celle du Mikoyan-Gourevitch
en juillet-août 1943. Le ciel italien devient ensuite son nouveau terrain MiG-21 Fishbed qui équipent les armées de l’air du Pacte de Varsovie
de chasse avec des Republic P-47 Thunderbolt. Désigné 64th Fighter et qui a est vendu à des centaines d’exemplaires de par le monde. Ces
Squadron, Single Engine, il affronte la Luftwaffe dans le sud de la Tiger II deviennent alors les « ennemis » des pilotes venus participer
France et est désactivé le 7 novembre 1945. à des manœuvres ariennes.

 Un F-15C du 65th
Aggressor Squadron
lors d’un exercice
« Red Flag-Alaska ».
U.S. Air Force photo/
Capt. Tana Stevenson

 Un F-15C du 65th
Aggressor Squadron
lors de l’exercice
« Red Flag 11-3 ».
© Commonwealth of
Australia, Department
of Defence

9
l'Actualité
de l'Aéronautique

En décembre 1980, l’unité prend la désignation de 64th Tactical Fighter


 Des F-15 Eagle du 65th Aggressor Squadron et des F-16 Fighting Falcon du Training Aggressor Squadron et 64th Aggressor Squadron (64 AGRS)
64th Aggressor Squadron au-dessus du Nevada Test and Training Range. Les
pilotes de ces deux unités doivent maintenir un très haut niveau d’entraînement pour en avril 1983. En 1988, elle échange ses Tiger II aux cellules fatiguées
assurer leurs missions de formation. U.S. Air Force photo/Master Sgt. Kevin J. Gruenwald contre des F-16A Fighting Falcon et, en juillet 1989, elle reçoit des
modèles C/D. Ces chasseurs ont été sélectionnés pour leurs « ressem-
 Outre les 64th et 65th Aggressor Squadron, l’U.S. Air Force aligne d’autres unités blances » avec le MiG-29 Fulcrum. Elle est ensuite remplacée par le
destinées à l’entraînement au combat aérien comme le 18th Aggressor Squadron
stationné à l’Eielson AFB en Alaska. U.S. Air Force photo/Tech. Sgt. James L. Harper Jr. 4440th Tactical Fighter Training Group, (Advisory Tactics Division)
avant de reprendre du service le 3 octobre. Depuis, ses pilotes, assi-
gnés maintenant au 57th Adversary Tactics Group, mettent sous
pression leurs homologues américains ou étrangers venus se frotter à
ces hommes expérimentés. La France a eu l’occasion de les affronter
en 2008, 2009 et 2012.

65th AGGRESSOR
SQUADRON
Cette unité à un parcours plus ou moins similaire au 64 AGRS. Ainsi,
le 65th Pursuit Squadron (Interceptor) est activé le 15 janvier 1941,
combat en Égypte, en Libye puis en Tunisie. Il est ensuite déployé
dans le sud de l’Europe et est désactivé le 7 novembre 1945. Dissous
et remis sur pied à plusieurs reprises, il prend la désignation de 65th
Aggressor Squadron le 1er avril 1983 et rayé des effectifs le 7 avril
1989 lorsque ses F-5E Tiger II sont envoyés au rebut après de longues
heures à « combattre » les bleus de toutes nationalités. En septembre
2005, le 65 AGRS reprend du service mais cette fois sur McDonnell
Douglas F-15C/D Eagle afin de simuler des Sukhoï Su-27 et Su-35
Flanker. Suite à des coupes budgétaires, la formation est dissoute le 26
septembre 2014 après avoir participé à de très nombreuses missions
d’entraînement que cela soit à la Nellis Air Force Base ou aux travers
des États-Unis, laissant les F-16C du 64 AGR en découdre lors des
nouvelles éditions des exercices « Red Flag ».

L’EXERCICE
« RED FLAG 18-1 »
Du 26 janvier au 16 février 2018, s’est tenue la première édition 2018
des exercices « Red Flag » (Red Flag 18-1) au-dessus de la Nellis AFB.
Placé sous le sceau du secret, Red Flag 18-1 a fait appel à un grand

10
nombre d’appareils provenant de l’US Air Force, l’US
Marine Corps, l’US Navy et l’US Army. Mais seulement
deux, pour une certaine confidentialité, armées de l’air
étrangères ont été conviées : la Royal Australian Air Force
(Australie), avec notamment ses quatre nouveaux EA-18G
Growler du Number 6 Squadron et un E-7A Wedgetail
de de détection et de contrôle avancé, et la Royal Air
Force (Royaume-Uni) qui a envoyé des Typhoon FGR4.
La grande particularité de cette édition est l’emploi massif
de systèmes de brouillage, d’où les EA-18G de guerre
électronique. En effet, les combats en Syrie et en Irak
ont vu l’emploi important de brouilleurs et l’Armée russe
en a utilisé dans l’est de l’Ukraine ou lors de l’exercice
« Zapad 2017 » (14 au 20 septembre 2017), organisé
dans l’oblast de Kaliningrad en Russie et en Biélorussie,
d’après le renseignement militaire norvégien. Les pilotes
ont évolué dans un environnement où le système Global
Positioning System (GPS, ou système mondial de posi-
tionnement) a été brouillé et rendu totalement inutilisable
au point que l’aviation civile a dû adapter ses horaires de
vol ou dérouter des avions de ligne vers des aéroports
situés assez loin du polygone d’entraînement de la Nellis
AFB. Au sein des forces armées de l’OTAN, la « dépen-
dance » données GPS est très forte car la quasi-totalité
des systèmes de communication ou d’armes l’utilisent.
Les pilotes ont donc dû réapprendre à naviguer aux seuls
instruments ou encore devoir gérer des matériels (bombes
guidées GPS ou missiles de croisière) inopérants.
Les comptes rendus de Red Flag 18-1 n’ont pour l’instant
pas été dévoilé au public, ce qui n’est pas vraiment éton-
nant compte tenu de la sensibilité du sujet dans un domaine
où la Russie et la Chine investissent massivement.

 En haut :EA-18G Growler du 6 Squadron


de la Royal Australian Air Force sur la Nellis
AFB, lors de l’exercice « Red Flag 18-1 ».
© Commonwealth of Australia, Department of Defence

 Ci-dessus : Typhoon FGR4 de la Royal Air Force décolle


de la Nellis AFB, lors de l’exercice « Red Flag 18-1 ».
© Commonwealth of Australia, Department of Defence

 F-15C Eagle de l’United States Air Force décolle


de la Nellis AFB, lors de l’exercice « Red Flag
18-1 », pour une mission d’entraînement.
© Commonwealth of Australia, Department of Defence

11
AÉRORAMA

1928
1939 x Septembre 1939 : chasseurs
PZL P.11 escortant un Karaś.
© Anders Lejczak et Antonis
Karydis - Aérojournal - 2018

Lotnictwo
Wojskowe

Aérorama Pologne (Partie 2 - 1928-1939)


par Yannis Kadari

À
l’été 1927, la L otnictwo Wojskowe compte 230 avions opérationnels, ventilés
en 26 escadrilles ; des effectifs respectables pour un pays ayant retrouvé son
indépendance depuis moins de dix ans, mais qui ne sont cependant pas à la
hauteur des attentes de l’état-major général, dont le plan de développement
tablait sur 30 Eskadras en 1928 et 50 en 1935. Et ce n’est pas tout car, malgré l’aide
apportée par la France, l’existant est loin d’être exempt de défauts…

12
Lotnictwo
Wojskowe

En
fait, le coup d’état orga-
nisé par Józef Piłsudski en HEURES SOMBRES de produire des frappes stratégiques et tac-
tiques ; il a donc de bombardiers moyens mais
1926, qui débouche sur À cette époque, le patron de la Lotnictwo aussi d’avions d’appui au sol. L’idée est bonne,
une dictature militaire [1], Wojskowe est le colonel Ludomił Antoni Rayski, mais elle va rester à l’état de projet pendant
n’a pas arrangé les qui a succédé au général Włodzimierz Zagórski. de nombreuses années, Piłsudski et ses séides
affaires de la Lotnictwo Cet ingénieur de formation, pilote émérite et demandant simplement à ce que la chasse
Wojskowe, le vieux maréchal entretenant une pionnier de l’aviation, a successivement servi soit modernisée, sans que cela n’implique
méfiance viscérale à l’égard des aviateurs, qu’il au sein de l’aviation austro-hongroise puis de gros investissements ; une demande qui
considère comme des « amuseurs » et non turque, avant de rejoindre les nationalistes et devient une exigence absolue alors que les
comme de vrais soldats ; voilà qui explique que d’œuvrer à leurs côtés à la renaissance de premières conséquences de la crise de 1929
le budget de l’aviation ait à subir une coupe- son pays. Bras-droit de François Lévêque, le commencent à se faire sentir jusqu’en Europe
sombre de 73 % dès 1927 ! colonel français chargé en 1922 de développer centrale et orientale.
Mais Piłsudski va plus loin en exigeant une l’armée de l’air polonaise, Rayski est un person- Le colonel Rayski va donc se concentrer sur la
réforme complète de la doctrine d’emploi de la nage haut en couleurs et un officier quelque formation de ses pilotes, avec la création et le
Lotnictwo Wojskowe : en substance, en temps peu subversif. Surtout, c’est un passionné, développement de l’école de l’Air de Dęblin et
de guerre, les avions seront affectés à des mis- un homme persuadé du rôle essentiel que les l’ouverture d’environ 25 nouveaux terrains mili-
sions de reconnaissance et de liaison, agissant aéronefs joueront dans les guerres à venir. Il va taires permanents aux quatre coins du territoire
au profit des unités de la cavalerie montée et donc travailler au futur essor de la Lotnictwo national. Par un astucieux jeu de bonneteau,
de l’artillerie. Dans un tel contexte, Varsovie Wojskowe, tout en s’astreignant à obéir aux ceux-ci sont financés sur des budgets muni-
s’oriente vers des machines rustiques, légères, ordres de Piłsudski, créant ainsi une sorte de cipaux ou grâce à des levées de fonds, afin
peu onéreuses, aux performances minimales et programme de développement secret, qu’il de ne pas entamer le maigre budget du minis-
légèrement armées. Cette mesure a évidemment protégera de la curiosité mal intentionnée du tère de la Guerre consacré à l’aviation. C’est
un effet important sur la toute jeune industrie Ministère de la Guerre [2]. Un équilibre pré- ainsi qu’en 1933, le pays comptera 39 bases
aéronautique polonaise ; n’étant plus confron- caire qui va le contraindre à faire des choix aériennes, dont une douzaine sont capables
tée au moindre défi technologique, elle stagne drastiques, en fonction de ses certitudes, et d’accueillir 50 appareils, voire plus.
et voit partir quelques-uns de ses ingénieurs qui façonnera ainsi la Lotnictwo Wojskowe
les plus talentueux à l’étranger. Pis encore, de 1939. [1] Après la mort de Piłsudski, le régime militaire
le nombre d’escadrilles restant peu ou prou Rayski considère que la Pologne aura à se gardera la mainmise sur la Pologne, avec le général
Składkowski et le maréchal Rydz-Śmigły, qui
le même, des campagnes de recrutement de défendre de ses deux voisins et adversaires n’hésiteront pas à soutenir l’Allemagne lors de la
pilotes sont annulées, et leur formation simpli- historiques que sont l’Allemagne et la Russie crise des Sudètes en 1938, en échange de territoires
fiée. Des escadrilles sont dissoutes, d’autres dans les 20 prochaines années. Il estime que à annexer sur la défunte Tchécoslovaquie.
amalgamés. Bref, l’heure est à la compression la Lotnictwo Wojskowe doit ainsi se doter [2] Ce dernier est totalement acquis à
des personnels et à la réduction des moyens ! d’une composante de cinq Eskadras capable Józef Piłsudski, qui veut que les aviateurs
soient tenus « laisse courte ».

 Fiat CR.20bis
Eskadra Treningowa
Cracovie, Pologne, 1929
© JM. Guillou, Aérojournal 2018

 PWS A
123 Eskadra, 2 Pułk Lotniczy
Cracovie, Pologne, 1934
© R. Barraza, Aérojournal 2018

13
 PWS 10
3 Pułk Lotniczy
Poznań, Pologne, 1932
© R. Barraza, Aérojournal 2018

 PWS P.5t2
43 Eskadra,
Pinsk, Pologne, 1930
© R. Barraza, Aérojournal 2018

 PWS 10
3 Pułk Lotniczy
Poznań, Pologne, 1932
© R. Barraza, Aérojournal 2018

 Plage & Laśkiewicz Lublin R VIII


Unité inconnue
Pologne, 1929
© R. Barraza, Aérojournal 2018

 PWS 26
École de Radom
Radom, Pologne, 1938
© R. Barraza, Aérojournal 2018

14
Lotnictwo
Wojskowe

 PWS 18
4 Pułk Lotniczy
Toruń, Pologne, 1938
© R. Barraza, Aérojournal 2018

[3] Państwowe Zakłady Lotnicze (Ateliers


Aéronautiques Nationaux). Principale société
le P.1 en tant que chasseur, le L.2 comme polonaise de construction aéronautique durant
avion de liaison, le P.4 comme appareil de l’entre-deux-guerres, fondée le 1er janvier 1928.
transport (et de ligne dans sa version civile), [4] 325 avions sont construits en Pologne
la machine d’entraînement P.5 et le titanesque en 1926, puis 124 en 1927, 198 en 1928
C’est encore le manque de moyens qui P.3, un bombardier quadrimoteur nocturne, et enfin un peu plus de 200 en 1929.
va contraindre Rayski à acquérir peu de sorte de Lancaster avant l’heure et plus gros
[5] Presque 9 000 exemplaires assemblés
machines à l’étranger, et à promouvoir les avion jamais imaginé en Pologne ; il ne verra à travers le monde entre 1924 et 1930 !
productions nationales. En 1928, la totalité jamais le jour à cause de son coût exorbitant.
des usines polonaises sont entrées dans l’ère Prometteur avec ses ailes en mouette suréle- [6] Le Lublin R-XIII sera alors le grand
de la construction entièrement métallique. En vées, le P.1 dépasse le stade de la planche à gagnant de ce semi-désaveu.
parallèle, toute une génération de designers et dessins et du prototype : l’avion de Zygmunt
d’ingénieurs talentueux a émergé. Zygmunt Puławski, modifié et rééquipé d’un moteur Son histoire débute en 1927, lorsque la
Puławski est le père des chasseurs des PZL [3], Bristol Jupiter construit sous licence par Škoda, Lotnictwo Wojskowe exprime le besoin de
tandis que Jerzy Dąbrowski va concevoir le va donner naissance aux chasseurs P.6 et sur- disposer d’un aéronef conçu pour les missions
PZL P.37 Łoś et Wsiewołod Jakimiuk le chas- tout P.7 ; ce dernier profite de l’expérience de liaison, qui soit robuste, fiable et adapté
seur PZL P.50. Stanisław Prauss signera quant des ouvriers des PZL dans l’assemblage des aux infrastructures aéronautiques austères
à lui le PZL P.23 Karaś puis son successeur, le aéronefs entièrement métalliques, acquise lors du pays. Bien que les termes ne soient pas
PZL P.46. En quelques années, les PZL vont de la construction de 25 Wibault 7. les mêmes, le cahier des charges réclame
devenir le principal fournisseur de la Lotnictwo En attendant l’arrivée des P.7 dans les Eskadras une machine capable de réaliser des décol-
Wojskowe, tout en s’ouvrant des marchés à Myśliwska, à Biała Podlaska, la Podlaskiej lages et d’atterrissages courts et (quasiment)
l’export : la Roumanie, la Hongrie, l’Espagne, Wytwórni Samolotów – PWS – hérite de verticaux ; c’est le STOL (Short Take-Off-
la Turquie, la Bulgarie et la Grèce vont notam- la construction sous licence d’une cinquan- and-Landing) avant l’heure ! Relevant le défi,
ment acheter ces avions à l’excellent rapport taine de biplans de chasse Avia BH-33-1 ; les ingénieurs Dąbrowski et Kott de la PZL
qualité – prix au fil des années 1930 ; mais propulsés « à l’économie » par des Jupiter proposent deux ans plus tard un prototype
revenons à la fin des années folles. IV (l’avion ne dépassera pas les 240 km/h équipé de becs à fente fixe placés sur le bord
Si la production en série est freinée par les au lieu des 297 km/h du modèle d’origine), d’attaque des ailes, un dispositif hypersusten-
coupes budgétaires [4], une véritable frénésie ils deviennent les PWS A (pour PWS-Avia) tateur. Réalisant son premier vol en 1929, le
s’empare en revanche des bureaux d’études ; livrés en 1930, ils ouvriront la route à une L.2 est testé par les militaires en 1930, qui
qui développent de nombreux projets ; production 100 % nationale, le PWS 10 qui notent son excellente maniabilité et ses bonnes
certains déboucheront quelques années plus sera construit à 80 exemplaires jusqu’en 1932, performances. Malheureusement, l’avion
tard, d’autres assez rapidement, à l’instar du et dont la lignée se poursuivra jusqu’à l’orée souffre d’une conception relativement com-
Lublin R-Vin de la Plage & Laśkiewicz : un de la Seconde Guerre mondiale, pour donner plexe qui alourdirait sa production en série, ce
gros monomoteur de reconnaissance et de une grande descendance. Entretemps, en qui finit par le desservir et seuls 25 exemplaires
bombardement conçu par Jerzy Rudlicki et 1931, le développement du P.7 est achevé ; sont commandés [6] ; ils seront livrés en 1931.
testé en mars 1928. Deux prototypes et quatre la Lotnictwo Wojskowe se porte acquéreuse de Certains voleront encore en 1939, comme
avions de présérie verront le jour. À la même 150 chasseurs. Les premiers appareils entrent avions d’entrainement, notamment à l’École
époque, Ryszard Bartel, qui est l’ingénieur en en service opérationnel en 1933. Des modèles de Dęblin, d’autres finiront leur carrière au sein
chef de la firme Samolot de Poznań, dessine plus aboutis sont mis à l’étude, dont le P.11 de la Marine. Cette dernière étudiera d’ailleurs
les avions d’entrainement BM 4 et BM 5 qui et la version export P.24. avec l’industriel deux version à flotteurs :
seront respectivement assembles à raison de La Marine est elle aussi confrontée à une diète le P.9 de patrouille à grand rayon d’action
22 et 60 exemplaires en 1929. budgétaire. En 1932, un effort est malgré tout et le P.15 de chasse ; l’un et l’autre seront
De leur côté, les usines tchécoslovaques fourni pour armer quelques détachements au abandonnés. À noter enfin que le capitaine
Škoda ouvrent en Pologne une filiale « moteurs profit de la Morski Dywizjon Lotniczy (l’aviation Skarżyński sacrifiera à la mode des grands raids
d’aviation » (Polskie Zakłady Škoda) qui produit navale) ; taillées pour la reconnaissance et l’ob- à bord d’un PZL L.2, bouclant entre février
des blocs étrangers sous licence : on citera servation, ces unités déploient principalement et mai 1931 un périple hasardeux de plus de
l’inévitable [5] Lorraine-Dietrich 12 Eb, un 12 des Lublin R-VIII (trois sur les six assemblés) 27 000 km à travers l’Afrique et l’Europe.
cylindres en « W » de 450 ch, un Wright et R-XIII. Appareil robuste dessiné par Jerzy Pour ce qui concerne les Eskadras Liniowa,
Whirlwind de 220 ch, un autre V12 de chez Stanisław Rudlick, le R-XIII sera construit à 273 le colonel Rayski rêve de remplacer les Breguet
Hispano-Suiza et tout le catalogue ou presque unités dans ses différentes versions jusqu’en XIX et Potez 25 présents en grand nombre.
de la Bristol Engine Company. Ce sont ces 1937 ; il sera toujours en première ligne en Leur successeur, qui n’est autre que le PZL
moteurs qui vont donner vie aux premières pro- septembre 1939. P.23 Karaś, est inscrit au plan stratégique
ductions des PZL, qui sont censés répondre à Déjà évoqué, l’avion de transport léger PZL de 1933-1936, mais les limitations budgé-
toutes les attentes de la Lotnictwo Wojskowe : L.2 est lui aussi un matériel audacieux. taires entravent le développement du projet.

15
 Plage & Laśkiewicz Lublin R VIII
Morski Dywizjon Lotniczy
Pologne, 1932
© R. Barraza, Aérojournal 2018

 Plage & Laśkiewicz Lublin R XIII


Morski Dywizjon Lotniczy
Pologne, 1937
© R. Barraza, Aérojournal 2018

Il en va de même pour toute une nouvelle inquiétante, alors que de sombres nuages le conseil scientifique du directeur Gustaw
génération d’avions modernes 100 % polonais, s’accumulent au-dessus de l’Europe, et que Mokrzycki, qui s’appuie sur les professeurs
dont un chasseur et un bombardier moyen. l’Allemagne entame son réarmement ! On le de la Politechnika Warszawska, l’École poly-
Seules les machines d’entraînement et des comprend, privée de ressources, la Lotnictwo technique de Varsovie, qui a été formée sur le
améliorations portant sur des modèles exis- Wojskowe a végété au point de ne plus être modèle de la prestigieuse X, la grande école
tants peuvent être financées. capable de remplir sa mission. éponyme française.
Au 1er juillet 1936, la Lotnictwo Wojskowe dis- Le paradoxe est total, car la Pologne du début
pose encore de 170 Breguet XIX et Potez 25 des années 1930 ne manque certainement
ventilés dans 17 escadrilles. 130 chasseurs P.7 pas d’ingénieurs aéronautiques talentueux. PAS TOUCHE AU GRISBI !
et P.11 assurent la protection du ciel polonais. Cela tient à la création de l’Instytut Badań
Le fer de lance « stratégique » est émoussé, Technicznych Lotnictwa, l’institut de recherche Le 1er janvier 1934, Ludomił Rayski est promu
puisqu’il se limite à 18 Fokker F.VII/3m, de des technologies aéronautiques, inauguré en général de brigade. Les dégâts commis par la
vaillants trimoteurs considérés comme des août 1926 à Varsovie. Cette école – qui va crise de 1929 sur le tissu industriel polonais
bombardiers moyens (à condition de ne pas fournir leurs têtes pensantes aux bureaux ont commencé à se traduire très concrète-
être trop regardant…). Une centaine de Lublin d’études – joue en quelque sorte le rôle de ment : la Samolotów de Poznań fait faillite et
R-XIII ainsi qu’une imposante flotte d’avions pépinière. Des recherches y sont conduites et ses machines-outils et stocks sont repris par
d’instruction complètent l’ensemble. des essais menés dans le but de développer la Państwowe Zakłady Lotnicze, la PZL qui est
Toutefois, si l’on met de côté les appareils de des innovations au profit des futurs appareils administré par l’État. En 1932, c’est au tour de
servitude ou non armés, Varsovie peut tabler militaires du pays. L’institut s’appuie sur des la PWS (Podlaskiej Wytwórni Samolotów) de
sur environ 300 avions de combats ; à com- équipes de spécialistes [8] œuvrant dans dif- faire banqueroute, suite à des retards de paie-
parer aux 230 en service neuf ans plus tôt. férents domaines, comme les cellules, les ment de la part d’un gouvernement devenu
De fait, la progression quantitative est presque moteurs, mais aussi l’armement, les dispo- mauvais payeur ; active de 1924 à 1930,
négligeable. Quant aux aspects qualitatifs, sitifs photographiques, les transmissions, les ses chaînes auront assemblé quelques 400
disons-le tout net, si l’on excepte la centaine instruments de vol, etc. Ce sont ces hommes avions, surtout des machines d’écolage et
de chasseurs P.11, le gros du parc aérien est qui réalisent les essais des prototypes déve- principalement des modèles sous licence [9].
le même qu’en 1927-1928 ! Reste que le loppés par les industriels, afin de les évaluer Criblés de dettes, les propriétaires voient –
P.11 représente grosso modo le summum en et d’indiquer les modifications nécessaires ; non sans une certaine ironie – leur outil de
termes de performances pouvant être atteint ils sont aussi responsables de la seule souf- production être nationalisé par ce même État
pour ce modèle [7] et que, surtout, aucun flerie que compte le pays. Leur verdict est qui les aura « mis sur la paille » ! Dès 1933,
successeur n’est à l’étude ; une perspective évidemment redouté. Ils sont chapeautés par les constructions reprendront.

16
Lotnictwo
Wojskowe

 PZL P.8
Prototype
Pologne, 1931
© R. Barraza, Aérojournal 2018

Deux ans plus tard, c’est la Plage & Laśkiewicz PZL WS1, l’usine continue à assembler des dans l’hypothèse – très probable – d’une
qui s’effondre. Et là encore, l’État n’est pas moteurs sous licence, tout en entamant des guerre contre l’Allemagne nazie, ses chefs
étranger aux mésaventures économiques recherches pour développer ses propres blocs. et l’état-major général se persuadent quant
rencontrées par la firme de Lublin, qui a vu Ces efforts déboucheront notamment sur la à eux que la Pologne aura de nouveau à se
son modèle R-XIIIF être rejeté sans aucune mise au point en 1936-1938 des PZL WS Foka battre contre l’Union Soviétique. Au final, on
raison. Une décision d’autant plus curieuse A : une famille de prototypes de V8 dévelop- le sait, les uns et les autres auront raison !
que l’avion respecte à la virgule près les spé- pant entre 420 ch à 610 ch. L’invasion du En attendant, cette discorde est source
cifications demandées par les militaires ! Le pays par les Allemands mettra un terme à ces d’atermoiements et empêche Varsovie de
résultat ne se fait pas attendre, la produc- travaux, alors qu’un V12 était en train de voir définir précisément ses besoins. Doit-on
tion est annulée et le carnet de commandes le jour sous la désignation de Foka B. s’orienter vers une force aérienne défensive
de toute une année se retrouve subitement Pour le général Rayski, le ciel s’éclaircit sou- ou offensive ? Considérant que l’attaque est
vide. Les dirigeants de la compagnie doivent dainement en 1935 : outre la nationalisation la meilleure des défenses, Rayski, qui est un
se résigner à prononcer la dissolution de leur des usines aéronautiques et un record de adepte convaincu de la théorie de Douhet,
société ; ateliers, stocks, machines et brevets production [10], voici que l’officier apprend le va répondre à cette question en privilégiant
sont alors repris par l’État, qui donne naissance décès du maréchal Józef Piłsudski ; le plus les bombardiers ; dès lors, toutes les autres
à la LWS (Lubelska Wytwornia Samolotow). grand adversaire des aviateurs polonais n’est composantes de la Lotnictwo Wojskowe
Et comme par miracle, voici que le R-XIIIF, plus. Ses successeurs ne sont pas de fervents vont passer au second plan, ce qui aura des
pourtant jugé sans intérêts quelques mois plus admirateurs de la Lotnictwo Wojskowe, mais conséquences désastreuses pour la chasse,
tôt, retrouve grâce et intérêt aux yeux des conscients des menaces qui pèsent sur le pays, et le pays !
chefs de la Lotnictwo Wojskowe. Les com- ils vont octroyer une plus grande liberté d’ac-
mandes initiales sont rétablies et les lignes tion à Rayski, qui conçoit un nouveau plan de [7] Le P.24 est conçu pour l’exportation. Ses
d’assemblage remises en route. développement pour la période 1936-1939. performances sont légèrement supérieures
à celles du P.11, mais elles ne représentent
Si Varsovie n’hésite pas à mener un vaste plan en rien un « bond technologique ».
de nationalisation, en provoquant des faillites
de sociétés privées, en revanche, le gouver- FOLIE DES GRANDEURS [8] De 85 en 1929, ils seront plus
de 900, dix ans plus tard.
nement fait montre d’une grande prudence
quand des intérêts étrangers sont en jeu, pour Conçu en 1935 et mis en place un an plus [9] L’usine a travaillé sur 19 modèles différents.
d’évidentes raisons diplomatiques ; c’est ainsi tard, le plan de Ludomił Rayski porte en On fait mieux en matière de rationalisation !
que la fabrique des moteurs d’aviation Škoda lui les germes d’une certaine inefficacité :
[10] 369 appareils (majoritairement des avions
est rachetée aux Tchécoslovaques pour une alors que le « patron » de la Lotnictwo
d’entraînement) sortent des ateliers polonais.
véritable petite fortune en 1935. Rebaptisée Wojskowe définit ses choix stratégiques

 Fokker F.VII/3m
211 Eskadra,
Pologne, 1930
© R. Barraza, Aérojournal 2018

17
 PZL P.30 / LWS-6 Żubr
Centrum Wyszkolenia Lotniczego
Dęblin, Pologne, 1939
© R. Barraza, Aérojournal 2018

Le plan de Rayski est présenté en 1936. En fait, ce phénomène tient à la nature même LWS, qui le désigne LWS-6 Żubr. L’avion est
Le général établit que la Pologne devra disposer du programme stratégique polonais et à ses livré en 1938 à la Lotnictwo Wojskowe qui ne
en 1941 de 380 bombardiers moyens et de incohérences : une fois les modèles connus lui trouve pas que des qualités, à commencer
360 avions d’attaque au sol, ce qui lui permet- achevés (en 1936-1937), les sociétés aéronau- par sa capacité d’emport : théoriquement
trait de s’en prendre efficacement à des cibles tiques doivent se lancer dans des séquences fixée à 1,2 tonne de bombes, dans les faits,
industrielles et militaires allemandes. Refusé de Recherche et Développement consomma- la soute du Żubr ne peut en contenir que 650
une première fois, le programme est accepté trices de temps et de ressources, alors même kilos. À noter que les Roumains s’intéressent
en 1937 ; il a été réduit à 180 bombardiers et qu’elles font face à des difficultés techniques et un temps à l’avion, envisageant d’en acquérir
320 avions d’attaque au sol, dont des bombar- industrielles. À titre d’exemple, Rayski ordonne 24 exemplaires, du moins, jusqu’à ce que le
diers en piqué. La Lotnictwo Wojskowe devra le design de quatre prototypes pour le futur démonstrateur se désintègre en vol, tuant
aussi pouvoir tabler sur 180 chasseurs (dont bombardier bimoteur, auxquels s’ajoutent deux au passage les membres de la commission
une majorité de P.11 maintenus en service), versions de l’avion d’assaut, sans oublier les roumaine venus l’évaluer !
80 machines de reconnaissance et 130 avions projets précédents. Surchargés, les ingénieurs Le PZL P.30 / LWS-6 ne réglera jamais ses
de coopération (les vieux Potez et Breguet). travaillent sous pression avec des moyens déri- problèmes de jeunesse et les 16 machines
Au total, les Polonais espèrent pouvoir disposer soires. Sans compter qu’un matériel majeur construites passeront la plupart de leur temps
de presque 900 appareils pour un budget de brille par son absence dans ce catalogue : un clouées au sol pour des raisons mécaniques,
près de 240 millions de dollars. Deux usines chasseur moderne. coûtant une fortune en réparation et mainte-
de la PZL doivent sortir de terre, à Mielec et Le premier bombardier réalisé est le PZL nance. Les aviateurs polonais emploieront ce
Rzeszów, la seconde produisant des moteurs P.30 Wisent, ou « bison ». Ce bimoteur à « vilain canard » à des missions d’entraine-
à une cadence estimée à 1 000 pièces par an. l’allure particulière est dérivé d’un avion de ment, en attendant l’arrivée du très prometteur
Armé de son bâton de pèlerin, Rayski va par- ligne rejeté en mars 1936 par la compa- PZL P.37 Łoś.
courir les sites industriels et militaires du pays gnie nationale. Motorisé par deux Pratt & Fruit du travail des ingénieurs Jerzy Dąbrowski,
pour y prêcher la bonne parole et insister sur Whitney Wasp Junior de 420 ch, l’appareil Piotr Kubicki et Franciszek Misztal, le Łoś
l’urgence de mener à bien son plan. Dans pre- est hâtivement transformé en bombardier ; représente ce qui se fait de mieux au sein de
mier temps, l’effet moral de son action se fait bien que ses performances s’avèrent au final l’aviation polonaise des années 1930. Le projet
ressentir. D’environ 400 avions en 1936, la médiocres, même après sa remotorisation a vu le jour en 1934. Une maquette est prête
production bondit à 520 exemplaires en 1937 ; avec des Bristol Pegasus VIII de 670 ch, la en avril 1935, qui enchante Ludomił Rayski.
une croissance qui ralentit soudainement en machine est tout de même commandée à Le prototype est achevé en 1936. Il connaît
1938 (460 avions) avant de s’effondrer en hauteur de 16 exemplaires, afin d’armer deux son baptême des cieux le 13 décembre de
1939 (à peine 210 machines !) : pourquoi ? escadrilles. La production est confiée à la la même année. Outre ses lignes élancées et

 PZL P.23B Karaś


32 Eskadra, 3 Pułk Lotniczy
Pologne, 1937
© JM. Guillou, Aérojournal 2018

18
Lotnictwo
Wojskowe

 PZL P.37 Łoś


Prototype
Pologne, 1937
© J. Jackiewicz, Aérojournal 2018

 PZL P.37 Łoś


212 Eskadra Bombowej
Pologne, 1939
© J. Jackiewicz, Aérojournal 2018

harmonieuses, son design moderne et ses Les modèles de présérie sortent des usines mitrailleuse dorsale et d’une autre sous le
bonnes performances [11], ce qui frappe le pendant l’automne 1938. Les machines « bons fuselage, l’avion se révèle efficace pour le
regard, ce sont ses dimensions contenues ; de guerre » arrivent au compte-goutte en avril bombardement tactique et l’attaque au sol.
l’avion est relativement petit (4 membres 1939 ; elles disparaitront dans la fournaise Reste que les années 1930 sont fécondes
d’équipage) mais très bien proportionné. de l’automne 1939. À noter qu’une version en inventions et que les évolutions techno-
Pourtant, avec 2 595 kg de bombes, le bimo- « lourde » du Łoś, avec tourelle dorsale empor- logiques se succèdent à grand train ; c’est
teur ne sacrifie pas sa capacité d’emport. tant un canon de 20 mm et moteurs Hercules ainsi qu’en 1939, alors que la guerre s’an-
Il ne fait aucun doute que le Łoś est considéré de 1 300 ch, était à l’étude en 1939 ; elle nonce imminente, le Karaś est déjà proche
par tous comme un matériel de première qua- répondait à la désignation de PZL P.49 Miś. de l’obsolescence : il est pataud et lent (309
lité, qui remplacera sans regrets les quelques Dans la catégorie des avions modernes km/h). Son successeur est mis à l’étude en
LWS-6 Żubr assemblés en attendant mieux produits en Pologne, PZL P.23 Karaś de l’in- août 1938 : le PZL P.46 Sum (425 km/h) au
– ce qui n’est pas difficile ! La Lotnictwo génieur Stanisław Prauss occupe aussi une profil aérodynamique bien plus soigné que
Wojskowe s’engage auprès de la PZL pour place importante. Le projet a vu le jour en celui de son prédécesseur, équipé notam-
180 avions, mais les réalités économiques rat- 1932, avec un premier vol pour le proto- ment d’une gondole ventrale rétractable.
trapent les militaires en rase campagne, qui type en avril 1934 ; la mise au point de ce
doivent revoir leur commande à la baisse : monoplan a ailes basses, tout en métal avec [11] Une vitesse maximale de 412 km/h, un
124 machines sont confirmées. La production train fixe et moteur en étoile, s’est avérée plafond de 7 300 m et un rayon d’action de 1
est retardée par des problèmes rencontrés sur laborieuse mais, au final, le P.23 remplit son 500 km permettent au P.37 d’espérer pouvoir se
frayer un chemin jusqu’au cœur de l’Allemagne.
les moteurs PZL-Bristol Pegasus de 900 ch. office. Produit à 250 exemplaires, armé d’une

 PZL P.38 Wilk


Prototype
Pologne, 1938
© R. Barraza, Aérojournal 2018

19
 PZL P.46 Sum
Prototype
Pologne, décembre 1938
© JM. Guillou, Aérojournal 2018

Le mécanisme de cette dernière, trop com-


pliqué, aurait dû conduire à sa suppression
fait les ingénieurs à le remotoriser avec des
blocs plus puissants… mais aussi plus lourds !
ET LA CHASSE, BORDEL !?
pure et simple sur les modèles de série. Le projet prend du retard, avant de s’arrêter. Au chapitre des grands oubliés du plan de
Une production qui sera contrariée par C’est alors que les P.48 Lampart et P.54 Rys 1936, on trouve évidemment les chasseurs.
l’invasion allemande. sont mis à l’étude en 1938 ; bien avancés l’un Persuadé que le bombardier passera et mettra à
Comme bien d’autres nations européennes, et l’autre, ils ne dépasseront pas le stade de genoux l’ennemi, Rayski souhaite remplacer les
la Pologne s’intéresse aux bimoteurs poly- la planche à dessins du fait de l’invasion de P.11 par une nouvelle machine, un avion « low
valents, capables de remplir des missions de septembre 1939. cost », le PZL P.39, prévu pour rester en pre-
chasse lourde et de bombardement tactique. Il serait long et fastidieux de détailler la myriade mière ligne jusqu’en 1942, puis ensuite servir
C’est ainsi que le P.38 Wilk voit le jour. Sur le d’avions de reconnaissance, d’observation et d’appareil d’entraînement avancé. Ce mono-
papier, la machine s’annonce indéniablement d’entraînement déployés par la Lotnictwo place, emportant deux « malheureuses »
être une réussite : d’une taille relativement Wojskowe au fil des années 1930 : PWS 12, mitrailleuses de 7,9 mm, n’atteignant même
contenue, armée de deux canons de 20 mm 14, 16 et 18 (qui est en fait un Avro 621 pas les 380 km/h en vitesse maximale et ayant
et de deux mitrailleuses dans le nez ainsi que Tutor produit sous licence) sont nombreux. un plafond pratique de 5 000 pieds, est un
d’une tourelle dorsale double, elle est capable Commandés par lots de 10, 20 voire 40 désastre absolu ; un engin incapable de voler
d’emporter 300 kg de bombes à plus de 520 machines, ils équipent les écoles ou servent de nuit ou dans des conditions hivernales trop
km/h. Technologiquement abouti, le Wilk d’avions de liaison dans les escadrilles de strictes, ce qui pose quelques soucis lorsqu’on
pourrait constituer un adversaire sérieux combat. Le PWS 26, lui, a la particularité de est basé en Pologne. Lancée en 1935, l’idée
pour le Bf 110 ; Ludomił Rayski est si impres- pouvoir emporter une verrière obscurcie afin de est abandonnée à la fin 1936. De cet échec
sionné par le programme P.38, qu’il prévoit faciliter l’entrainement au vol aux instruments naitra en 1936 le PZL P.45 Sokół, un projet de
d’en commander 500 exemplaires, afin d’en de l’élève-pilote. Tous ces modèles partiront en chasseur léger conçu par l’ingénieur Kazimierz
équiper 40 escadrilles d’ici à 1942, l’avion guerre en septembre 1939, certains pour des Korsak pour opérer à basse altitude. Les études
remplaçant le Karaś. Un premier bon de com- opérations de reconnaissance, en étant armés s’étaleront jusqu’en 1939, sans déboucher sur
mande pour 90 machines est signé en 1937. d’une mitrailleuse Vickers dorsale, d’autres un résultat concret.
Malheureusement, la réalité s’impose ; le pro- pour des missions d’attaque au sol, grâce à des Pendant l’hiver 1936-1937, un autre pro-
totype P.38/1 s’avère plus lourd que prévu lance-bombes fixés sous leurs ailes. Inutile de gramme est lancé : le PZL P.50 Jastrząb,
de 20 %, ce qui a un impact important sur préciser que le taux des pertes de ces missions un chasseur tout métallique, monoplan et
ses caractéristiques de vol, contraignant de ce sans retour s’envolera ! monomoteur. L’homme qui se cache derrière

 PZL P.7a
123 Eskadra, 2 Pułk Lotniczy
Cracovie, Pologne, septembre 1939
© JM. Guillou, Aérojournal 2018

20
Lotnictwo
Wojskowe

 PZL P.11c
113 Eskadra
Pologne, septembre 1939
© JM. Guillou, Aérojournal 2018

l’avion est Wsiewołoda Jakimiuk ; c’est lui qui au sol est quant à lui maintenu. Il va de Un premier lot de 22 exemplaires sera à bord
a conçu la stratégie exportatrice qui a permis même pour ce qui concerne les pilotes de la de deux cargos à destination de la Roumanie
à la Pologne de vendre ses P.24 à plusieurs Lotnictwo Wojskowe qui seront environ 800 lorsque la guerre éclatera en septembre 1939.
clients européens, sans oublier la Turquie. en cours de formation à la mi-1939. Une fois la défaite polonaise acquise, ils seront
Équipé d’un moteur en étoile Bristol Mercury Toujours en 1937, des voix s’élèvent contre détournés par Londres, et offerts à la Turquie.
VIII poussé à plus de 800 cv, le Jastrząb doit les projets du général Rayski ; certains des Pour chasser les avions de reconnaissance
être capable d’accrocher les 500 km/h et de officiers qui s’expriment ont une audience allemands pouvant opérer impunément à
grimper jusqu’à 9 000 m. Avec quatre mitrail- parmi les plus hautes sphères de l’État. Ce qui haute altitude, Varsovie envisage d’acheter
leuses de 7,92 mm, il aurait pu représenter est reproché au plan 1936, c’est précisément des Curtiss Hawk 75A puis des Seversky
un adversaire respectable sans être particu- le fait que les chasseurs y sont quasiment EP-1 (version export du P-35), avant de
lièrement redoutable. Toutefois, en 1939, absents et que la future force de bombarde- finalement jeter son dévolu sur 120 Morane-
aucun des 50 exemplaires commandés par ment draine à elle seule une part importante Saulnier MS.406 : les 20 premiers seront prêts
le Ministère de la Guerre – contre l’avis du des budgets ; or, voici qu’en 1938 des négo- à être livrés à la fin août 1939 ; trop tard,
général Rayski ! – n’est encore sorti d’usine, ciations sont entamées avec Paris et surtout trop peu pour espérer changer le destin de
le prototype rencontrant encore des problèmes Londres, sur fond de menaces grandissantes la bataille qui s’annonce. De leur côté, les
de jeunesse. À noter qu’une version avec un du nazisme, pour mettre en place une force de Britanniques confirment la livraison rapide –
moteur développant 1 600 cv et emportant bombardement « partagée », les Britanniques mais là encore cependant trop tardive – de
deux canons de 20 mm aurait été à l’étude. étudiant la possibilité de mener des raids sur 14 Hawker Hurricane Mk. I et d’un Spitfire
Au chapitre des vœux pieux, on pourra aussi l’Allemagne avec leurs nouveaux Wellington Mk. I à des fins d’évaluations. Sur le front du
s’intéresser au P.55, parfois désigné P.62 : qui finiraient leur mission en Pologne. bombardement, Paris s’engage à fournir 62
sous cette désignation, se cache un élé- 1938 et les crises tchèques et baltes font Amiot 143M à son allié polonais, ainsi que
gant chasseur (en projet) imaginé par Jerzy apparaître au grand joue les lacunes impor- des Potez 63, tandis que Londres confirme la
Dabrowski, l’un des pères du très beau et tantes de l’aviation polonaise. Pour parvenir faisabilité de son projet de « bombardement
réussi PZL P.37 Łoś. Dessiné comme un à aligner 15 escadrilles de chasse, Varsovie pendulaire » avec des Wellington.
intercepteur, le P.55 aurait été animé par un est contrainte de maintenir en service de P.7 En Pologne, la productivité des usines, qui se
V12 Hispano-Suiza de 1 700 cv, permettant à obsolètes aux côtés des P.11 qui ne sont plus sont dispersées sur de multiples programmes,
l’avion d’approcher les 680 km/h. Au chapitre eux-mêmes d’une grande modernité. Les P.23 s’effondre. Au premier semestre 1939, seuls
de l’armement, les « 109 » de la Luftwaffe Karaś manquent, et là encore, la seule réponse 210 avions sont construits dont 50 pour l’ex-
aurait trouvé à qui parler avec un canon de apportée pour pouvoir maintenir un nombre portation. En mai, la Lotnictwo Wojskowe
20 mm et 6 ou 8 mitrailleuses de 7,92 mm. correct d’unités en ligne, et d’en rééquiper une totalise 1 860 machines, dont 1 160 sont
Les premiers essais en vol étaient prévus pour partie avec des Potez 25 ; on complète aussi, des appareils d’entraînement ou des modèles
printemps et l’été 1940… évidemment, ils ici ou là, avec des machines d’entraînement. obsolètes sans valeur. La chasse se com-
n’auront jamais lieu. Quant aux bombardiers, les Fokker F.VII/3m pose d’un effectif théorique de 179 P.11
étant retirés des premières lignes sont rem- et 64 P.7. 68 P.37 et et 195 P.23 forment
placés par les P.37. Sauf que la conversation l’ossature offensive de l’aviation polonaise.
LA RÉALITÉ S’IMPOSE des équipages, et la fiabilisation de la machine En septembre, le pays ne comptera que 18
ne seront pas achevées avant mars 1939 ! P.37 supplémentaires.
L’échec du programme P.38 Wilk, qui La situation est si grave que le général Ludomił De fait, malgré une résistance acharnée et
consomme des ressources pour rien ou Rayski est poussé à la démission le 19 mars un courage exemplaire, les pilotes polonais
presque, et de nouvelles difficultés écono- 1939. Ses successeurs vont alors se tourner n’auront aucune chance lorsque la Luftwaffe
miques ne sont pas sans conséquences sur vers des commandes sur étagères, afin d’es- se ruera à l’assaut de leur pays. Ils paieront
le grand plan de 1936. Dès l’année suivante, sayer de renforcer une force aérienne qui sera ainsi le prix de l’immobilisme imposé par le
celui-ci doit être revue à la baisse. Les com- bientôt confrontée aux escadres allemandes. maréchal Józef Piłsudski, puis la conception
mandes d’avions sont réduites ; en revanche C’est ainsi que 100 bombardiers légers très personnelle de la guerre aérienne du géné-
l’augmentation des effectifs des personnels Fairey Battle sont achetés au Royaume-Uni. ral Ludomił Rayski. 

21
AVION

1937
1945

GRUMMAN F4F
WILDCATGenèse, versions et production - 1e partie

«
Profils couleurs : Jean-Marie Guillou par Guy Julien

J’en suis tombé amoureux au premier regard ! » - Captain Eric W. Brown, de la Fleet Air
Arm. Que voici un étrange coup de foudre pour un petit avion rondouillard au cœur de
l’automne 1940, à une époque où Spitfire et Bf 109, purs chefs d’œuvre d’aérodynamisme,
dominent les cieux européens !

IL
faut dire que la Royal Navy n’a rien de comparable au Cette surprenante longévité ne s’explique pas autrement que par une
F4F qu’elle puisse affecter à ses porte-avions. Elle doit endurance et une facilité d’emploi reconnues de tous. Une cellule
se contenter de biplans Sea Gladiator ou de Blackurn solide, un moteur increvable, un blindage efficace et des armes de
Skua sous-motorisés et autre Fulmar ! Cet état de bord précises et puissantes (une fois réglés les problèmes d’enrayage
fait menaçant de s’éterniser, faute d’un remplaçant des débuts de production) constituent ses atouts majeurs. Ce « chat
crédible, c’est avec soulagement qu’elle récupère une sauvage », dont l’aspect évoque davantage un tonneau de bière qu’un
commande française portant sur 81 Grumman G-36A. Extrapolés félin enragé, va conquérir de haute lutte sa place dans l’histoire de
du F4F-3 en voie d’équiper l’aéronavale américaine, ils deviennent l’aviation, en intervenant sur certains des théâtres d’opérations les
sous l’égide de la Fleet Air arm des Martlet Mk. I. plus importants de la Seconde Guerre mondiale. S’inscrivant dans
Malgré certaines améliorations et bien que récemment conçu (1937), la lignée des biplans de combat produits avant-guerre par la firme
le F4F est déjà en passe d’être dépassé en termes de performances Grumman, il préfigure celle de ses successeurs, à commencer par
en novembre 1940. C’est à cette date qu’il entre en service actif le très réussi Hellcat.
au sein du No. 804 Squadron britannique ainsi qu’à bord des porte- Ce maillon essentiel dans l’histoire du constructeur, comme dans
avions américains. Reste qu’à l’instar du Curtiss P-40, son homologue celui du l’aviation embarquée, recelait en effet dans son ADN toutes
de l’Army, le F4F ou FM-2 va demeurer en production jusqu’en mai les caractéristiques chères au bureau d’études de Grumman : Simple,
1945 et en première ligne jusqu’au dernier jour du conflit ! solide et qui marche.

22
Grumman F4F
Wildcat

main par le pilote d’usine Robert Hall, l’avion est ensuite


testé par les spécialistes de la Navy.
Après plusieurs mois d’évaluations et de tests mar-
qués par des pannes et différents problèmes liés de
nouveau au refroidissement du moteur, une nouvelle
confrontation a lieu au printemps 1938. Le Grumman
amélioré s’y révèle plus rapide que le Brewster, mais
celui-ci s’avère plus maniable et plus fiable. En défini-
tive et après avoir tergiversé pendant deux ans, une
commande de 53 F2A-1 est passée par la Marine le 2
juin 1938. Profitant de ces atermoiements, Grumman
bénéficie de son côté d’un important lot de consolation
avec la commande d’une nouvelle série de F3F. Mais
la direction de la firme de Bethpage (état de New-York)
n’est pas satisfaite.
En effet, indépendamment de succès ponctuels, tels
que ceux enregistrés avec les amphibies J2F et G-21
(JRF pour la Navy), qui permettent à l’entreprise de
continuer à travailler, Grumman vise toujours et avant
tout le juteux marché des chasseurs embarqués. Avec
l’accord du Bureau of Aeronautics, les recherches sur
le XF4F se poursuivent donc tout au long de l’année
1938. Celles-ci vont aboutir grâce à un nouveau moteur
ORIGINE, DÉVELOPPEMENTS  Prototype XF4F-2
photographié en 1937. plus puissant, le Pratt & Whitney R-1830-76 de 1 200
ET PRODUCTION EN SÉRIE L’air de famille de ce biplan
« contrarié », juché sur son ch, ainsi que la généralisation de l’essence aromatique à
train d’atterrissage maison, 100 d’indice d’octane qui, entre autres qualités, prévient
En 1935, la Navy lance un appel d’offres pour rempla- avec ses prédécesseurs le phénomène de surchauffe bien mieux que l’ancien
F2F et F3F est évident !
cer son F3F alors en phase d’essais. Deux projets sont standard d’indice 87
retenus. Il s’agit d’une part du biplan XF4F-1 (G-16) de Sauf mentions contraires, Le prototype du XF4F-3 (G-36), BuAer 0383 (qui n’est
toutes photos : US Navy / US Nara
Grumman qui constitue l’ultime évolution de la lignée autre que l’ancien XF4F-2, accidenté au printemps pré-
du FF-1 et, d’autre part, du Brewster XF2A-1. Ce der- cédent), officiellement commandé en octobre 1938,
nier – tout comme le XFN-1, une version navalisée du effectue son premier vol trois mois plus tard. Avant
Seversky P-35 écartée au dernier moment – repré-  Un F4F-3 sans marque d’être détruit par accident en décembre 1939, il subit à
sente l’avenir en adoptant une construction entièrement distinctive d’unité dans la la satisfaction de toutes les parties une batterie de tests
livrée arborée au début de
métallique, un train rentrant, un cockpit fermé et une la guerre du Pacifique. On et d’essais en vol au terme desquels 54 exemplaires
formule monoplan ; formule que la Navy appelle de ses note l’absence d’armement sont commandés en août 1939, juste quelques jours
et de système de visée.
vœux, après l’avoir dédaignée trois ans plus tôt, en avant que n’éclate la Seconde Guerre mondiale.
rejetant le XFT-1 de Northrop. En juin 1936, le choix Au premier janvier 1940, l’US Navy dispose donc d’une
du Bureau of Aeronautics se porte logiquement sur le centaine de monoplans de chasse livrés ou en com-
Brewster. Cependant Grumman, dont le projet pèche mande. Voilà qui est peu pour équiper les flottilles de sept
par sa configuration tout autant que par des problèmes porte-avions ! 108 F2A-3 vont donc faire l’objet d’un
de surchauffe de son nouveau moteur de 800 ch, n’a nouveau contrat. Cependant, compte tenu des ensei-
pas démérité. À tel point qu’un mois à peine après que  Prototype du Wildcat gnements de la guerre d’Espagne, des premières leçons
le XF2A-1 ait été déclaré vainqueur de la compétition, (BuAer 0383) testé en tirées de la campagne de Pologne et des engagements
vol en avril 1939. Avec ce
la Navy, sans doute soucieuse de ne pas mettre tous XF4F-3, on s’approche sporadiques qui se déroulent sur le front de l’ouest, il
ses œufs dans le même panier, demande au construc- de la définition de série. apparaît que cette solution ne saurait être qu’un pis-aller.
teur du XF4 d’en poursuivre
le développement, moyennant
d’importantes modifications de
structure ainsi qu’une évolution
du groupe motopropulseur.
Le premier vol du nouveau
XF4F-2 a lieu en septembre
1937. Il s’agit désormais d’un
monoplan tout en métal mu par
un Pratt & Whitney SC-G Twin
Wasp R-1830-66 de 1 050 ch.
L’appareil se caractérise par
son aspect tout en rondeurs.
L’armement est constitué de
quatre mitrailleuses : deux
M1919 Cal.30 de capot, syn-
chronisées et tirant à travers
le champ de l’hélice, et une
M2 Cal.50 dans chaque aile.
Implantées à mi-fuselage, ces
dernières donnent au nouvel
appareil, juché sur le train d’at-
terrissage escamotable « maison
» à voie étroite, une silhouette
très particulière. D’abord pris en

23
F4F-3 / G36 A / MARTLET MK. I
En novembre 1940, le F4F-3 est la
première version à entrer en service
actif au sein de la Navy. Il est doté
d’un Pratt & Whitney R-1830-76
Twin Wasp entraînant une hélice
tripale Curtiss Electric. Pourvu
d’ailes fixes, il est armé de quatre
mitrailleuses M2 Cal.50 et il peut
emporter deux bombes légères. Ses
performances en altitude sont (en
principe) garanties par l’installation
d’un compresseur à deux étages et
deux vitesses. C’est à l’époque un
dispositif très moderne, mais dont
les débuts ne seront pas pleinement
satisfaisants. C’est cette raison,
et non une prétendue volonté des
Le chasseur américain ne soutient en effet pas la comparaison Américains de protéger leurs secrets technologiques, qui conduit la
avec les meilleures productions domestiques, tel que le P-40, ni a France, qui manifeste son intérêt pour la version d’exportation dési-
fortiori avec des matériels comme le Bf 109 E ou le Spitfire Mk. gnée G-36 A, à choisir un autre moteur. Il s’agit en l’occurrence du
I. En d’autres termes, le F4F-3, dont les qualités de vol et les per- Wright R-1820 G-205 Cyclone associé à un compresseur à un seul
formances ne sont pas si différentes de celles de son concurrent, étage et à une hélice Hamilton Standard Hydromatic. Le Cyclone
se trouve lui-même dépassé avant même d’être entré en service ! est un 9 cylindres en simple étoile. Outre le fait qu’il équipe déjà les
Basé sur dessin qui ne brille guère par son audace, la fabrication des Curtiss H-75 A4 commandé par à l’Armée de l’Air, ce moteur est
F4F, FM-1 et 2 fait appel à des techniques éprouvées. Chasseurs plus léger et plus facile d’entretien que le 18 cylindres en double
embarqués monoplans et monoplaces dotés d’un moteur en étoile, étoiles du R-1830. La version A2 du G-205 prévue pour donner 1
ils disposent d’un train rentrant et d’une verrière coulissante fer- 200 ch se révèle toutefois limitée à une puissance réelle ne dépassant
mant l’habitacle. La modernité toute relative dont témoignait en guère les 1 000 ch. Ce différentiel avec les versions dotée de Pratt
1940 la combinaison de ses caractéristiques est atténuée par & Whitney, qui atteint lui sa puissance nominale, n’aura toutefois
l’aspect traditionnel (gouvernes entoilées) voire un peu obsolète qu’un effet limité au niveau des performances que l’Aéronautique
(recours massif à la force musculaire plutôt qu’hydraulique pour la navale n’aura de toute façon pas l’opportunité d’apprécier…
manœuvre du train d’atterrissage et des ailes) de de ces éléments En effet, après l’armistice de 1940, les 81 G-36A de la commande
qui, pris séparément, donnent d’emblée au Wildcat un aspect un française sont repris par les Britanniques. Pris en compte par la
peu suranné. Blackburn Aeroplane & Motor Company, les avions vont connaître
Après que le concept ait été arrêté avec le F4F-3, différents déve- quelques modifications : changement de l’instrumentation afin de
loppements ont été envisagés. Quelques-uns n’aboutiront à rien, la rendre lisible dans le système impérial, modification du sens de la
d’autres à des séries limitées, certains enfin à une production manœuvre de la manette des gaz et réinstallation des quatre mitrail-
de masse. leuses M2 d’origine, là où le client précédent avait prévu d’installer
 Souvent décrié, le
Brewster Buffalo (ici un
F3A-2) concurrent du
Wildcat possédait en
fait des caractéristiques
très voisines.

 Le BuAer 0383
photographié de trois quarts
avant mettant en évidence
les armes de capot (Model
1919 Cal. 30). Elles viennent
visiblement d’être testées !

24
Grumman F4F
Wildcat

est dépourvu de blindage et de réservoir auto-obturant.


Son armement reste le même et seule l’adoption d’un
compresseur à simple étage beaucoup plus rudimentaire
l’en distingue. L’avion gagne en fiabilité ce qu’il perd en
performance, s’agissant au moins du vol en altitude.
Prévu en cas d’amerrissage et testé sur les premiers F-3,
le système de flottabilité conçu autour d’airbags posi-
tionné sur les extrados est définitivement abandonné.
Au cours de l’été 1941, les premiers Martlet Mk. II
commandés à la fin de l’année précédente sont livrés à la
Fleet Air Arm. Propulsés par un R-1830 S3C4-G (déno-
mination civile du R-1830-90) assisté d’un compresseur
simple à deux vitesses, ils reprennent la configuration
générale des F4F-3A. Ils s’en distinguent néanmoins
par les équipements de guerre qui font encore défaut
au Wildcat, ainsi qu’un armement renforcé porté à six
mitrailleuses au lieu de quatre. Ils disposent enfin d’ailes
repliable « sto-wing » qui ne seront adoptés aux USA
qu’avec le F4F-4 développé en parallèle. Seuls les
dix premiers Mk. II réceptionnés en seront – dans un
premier temps – privés, ce qui atteste si besoin est de
la modularité de la cellule.
Celle-ci est encore mise en évidence avec le Martlet
Mk. III. Il s’agit de 3A privés de dispositif d’appontage
six Darne MAC 34 de 7,5 mm. Le gouvernement de sa  Le train d’atterrissage du car prévus pour être livrés à la Grèce qui ne dispose
XF4F-2 breveté par Leroy
Majesté, intéressé à l’origine par une version proche de Grumman sera celui de tous d’aucun porte-avions. Après l’invasion de ce pays en
la définition choisie par son allié continental et identifié les Wildcat. Solide, il rendait avril 1941 les 30 exemplaire en transit sont repris par la
comme G-36 B, s’oriente alors vers un modèle s’ap- cependant l’avion très Royal Navy qui les utilisera au moyen-orient à partir de
sensible au vent de travers
prochant davantage du standard F4F-3 adopté par les lors des roulages. On note bases terrestres au sein des N° 805 et 806 Squadrons.
Américains. En attendant ces Martlet Mk. II, les Mk. le double fenestron : sur le
F4F-3, il n’en restera plus
I entrent en service au milieu l’automne 1940. Aux qu’un seul de chacun côté. F4F-4 / MARTLET MK. IV
appareils initialement destinés à la France ont été agglo-
mérés les dix exemplaires « terrestres » dépourvus de Entrée en service au moment de l’attaque japonaise
crosse d’appontage commandé par le gouvernement contre Pearl Harbor le F4F-4 est la version définitive
belge, quelques jours seulement avant l’invasion de son du chasseur Grumman. Profitant du retour d’ex-
territoire par la Wehrmacht. périence des Britanniques, il dispose d’un viseur
Mk. VIII, d’un pare-brise blindé, de plaque d’acier
 Le produit « fini » ne
F4F-3A / MARTLET MK. II ET III manque pas d’élégance.
protégeant le pilote, de réservoirs auto-obturants
Ici, un F4F-3 (BuAer 1844) et d’une capacité limitée d’emport de bombes (2
De l’autre côté de l’Atlantique, une variante du F4F-3 en instance de livraison en x 100 livres) ou de réservoirs auxiliaires. Ces der-
1941. On note le système
équipée d’un Pratt & Whitney 1830-90 est également en de visée aussi encombrant niers peuvent être montés sous la partie interne
développement. Comme le modèle de base, ce F4F-3A que rudimentaire. non mobile d’une voilure désormais repliable.

25
Tous ces amendements, bien que profitables, alour-  Le G-36 A était destiné mieux avec 6 ou même 8 !» - Une logique imparable
à l’Aéronautique Navale ;
dissent une machine dont la vitesse en pallier s’érode, son armement devait être
qui conduira la Navy à revenir à un armement allégé
tandis que ses qualités reconnues et saluées de grim- constitué de six Darne avec le FM-1.
peur s’effondrent. La surcharge pondérale dont souffre de 7,5 mm, dont deux de La Royal Navy commande et réceptionne 220 F4F-4 qui
capot. L’avion était doté d’un
le F-4 est en outre aggravée par l’augmentation de moteur Wright R-1820. deviennent sous son égide des Martlet Mk. IV. Équipés
sa puissance de feu : L’avion est en effet armé de d’un Wright R-1820-40B au lieu du Pratt & Whitney
six Colt Browning M2 au lieu des quatre constituant R-1830-86 de série, leur vitesse de pointe n’atteint
la norme depuis les débuts. À la différence des F-3, même plus les 500 km/h et leur taux de montée pla-
où la gueule de l’arme dépassait du bord d’attaque, fonne à moins de 600 m/min. Dans ces conditions, ils
elle se trouve avec le F-4 (et les versions ultérieures) constituent la variante sans doute la plus médiocre de
noyée dans l’épaisseur de l’aile. Dans la configuration toutes celles produites.
originelle, les 12,7 mm étaient montées deux par deux
en dehors du cône de l’hélice, sur le segment intérieur FM-1 ET 2 / WILDCAT MK. V ET VI
de la voilure correspondant aux limites de ses parties
mobiles. Les deux mitrailleuses supplémentaires (une de Dans le courant de 1942, Grumman se lance dans le
chaque côté) se trouvent déportées vers l’extérieur. La développement de son nouveau chasseur, le XF6F,
dotation en munitions est en revanche drastiquement officieusement désigné pendant un temps « Super
réduite. Avec 240 coups par arme contre 450 aupa- Wildcat ». Afin de se concentrer sur cette tâche, la
ravant, soit un approvisionnement à hauteur de 1 440 firme de Bethpage termine la production des F4F-4
 Comme des oiseaux
projectiles contre 1 800 jusqu’alors, cela représente sans ailes... Un « batch » de
et des derniers TBF avant d’un passer la licence de
moins de 20 secondes de tir contre 34 sur les F-3. F4F-3 quasiment terminés production à la General Motors Corp. et à sa filiale
Cette disproportion a fait dire à un pilote des Marines : les attendent pour prendre Eastern Aircraft.
leur envol en direction du
« Si on n’est pas fichu de mettre un tir au but avec Pacifique où les hostilités Dans un premier temps cette union contre nature de
quatre mitrailleuses, il n’y a pas de raison qu’on fasse viennent de débuter ! l’avion et de l’automobile, impulsée par les autori-
tés américaines, fait grincer des dents chez les deux
partenaires. Ils vont toutefois s’attacher à aplanir rapi-
dement des difficultés liées avant tout à des cultures
industrielles très différentes.
Doté de capacités d’emport supplémentaires mais
d’un armement fixe ramené à quatre mitrailleuses
(alimentées par 430 coups), le FM-1 est par ailleurs
similaire au F4F-4. Le premier sort des chaînes de la
Eastern, établies à Linden, dans le New Jersey, pas
très loin de Bethpage, en décembre 1942. Pendant
les six mois suivants sa production monte en régime
alors que décroît concurremment celle du fabriquant
« historique ».
En mai 1943, le dernier Wildcat assemblé chez Grumman
est achevé. Une page se tourne alors qu’apparaît une
nouvelle version portant la patte de la General Motors :
le FM-2. Il s’agit d’un Wildcat profondément remanié
que ses pilotes se plairont à qualifier de Wilder Wildcat
soit « le plus Sauvage de tous » ; tout un programme !
Si la production en grande série du FM-2 est de la respon-
sabilité du sous-traitant, sa conception relève encore de
la maison-mère, qui fait voler son XF4F-8 le 8 novembre
1942. L’appareil dispose d’une dérive agrandie, de points
d’emport pouvant accueillir jusqu’à six roquettes de 3,5
ou 5 Inches HVAR ou encore 500 livres de bombes.
La principale évolution consiste cependant à adopter
le nouveau Wright Cyclone R-1820-56 de 1350 ch.

26
Grumman F4F
Wildcat
Grumman F4F-3
VF-7
USS Wasp (CV-7) 1940

Grumman F4F-3
VF-3
USS Lexington (CV-2), 1942

Martlet Mk. V
No. 822 Squadron
HMS Searcher, 1944

General Motors FM-2


VC-88
USS Hoggatt Bay (CVE 78), 1944

General Motors FM-2


VC-10
USS Gambier Bay (CVE-73), 1944

27
toutes les versions antérieures. Le dernier exemplaire
de cette série est livré à l’US Navy en mai 1945, soit
deux ans exactement après que Grumman a cessé de
produire « son » Wildcat.
Après avoir réceptionné 311 FM-1, la Fleet Air Arm
reçoit 340 FM-2. D’abord connu comme des Martlet,
ils redeviennent des Wildcat respectivement Mk. V et
VI en janvier 1944, à la faveur d’une rationalisation (ou
d’une « américanisation ») du système de désignation
britannique.

PRODUCTIONS LIMITÉES
ET EXPÉRIMENTATIONS
La recherche d’un appareil de reconnaissance photo
doté de bonnes performances conduit Grumman à pous-
ser des études en ce sens sur le Wildcat. Plusieurs
séries limitées en découleront.
Au premier rang des faibles tirages on relève le F4F-7.
Associé à un compresseur à un étage, celui-ci se révèle  Un Martlet Mk. IV (F4F-4 Il s’agit d’un modèle tout à fait remarquable, étudié
équipé d’un R-1820) en
d’un diamètre plus important que le R-1830, ce qui attente de livraison pour avant l’entrée en guerre des Etats-Unis et destiné
réduit encore un peu plus la vision du pilote vers l’avant. le compte de la marine à la grande reconnaissance. Si l’appareil qui prend
Bruyant et produisant plus de vibrations que le Twin britannique ; cette version l’air pour la première fois le 31 décembre 1941 est
est sans doute la plus
Wasp, il confère au FM-2 de meilleures performances médiocre de toutes en équipé d’une voilure dépourvue du « Sto Wing », cela
à basse altitude, ce qui est désormais essentiel compte termes de performances. ne résulte pas d’un oubli et encore moins du hasard.
tenu de l’éventail des missions qui l’attendent au rang L’aile du F-7 n’est en effet pas celle d’un vulgaire
desquelles ne figure la défense aérienne de la flotte. Ces F-3 mais en réalité un vaste réservoir. La voilure du
« grands sauvages » devront en effet s’attaquer aux nouvel appareil peut en effet accueillir 2 100 litres de
menaces navales et sous-marines, œuvrer au soutien carburant portant sa capacité interne totale à 2 630
rapproché des troupes et à la reconnaissance tactique à litres, ce qui lui confère une extraordinaire autonomie
vue ou au moyen de caméra. Développant une vitesse de 4 150 miles ultérieurement ramenée à 3 700 miles
de pointe de près de 514 km/h, le FM-2 est capable (5 955 kilomètres) soit 25 heures de vol en régime
de grimper à 1 110 m/min, ce qui constitue un record économique ; certainement un soulagement pour ses
pour le modèle qui n’a rien perdu de sa maniabilité.  La grande innovation pilotes : « La perspective de voler pendant une journée
du F4F-4 est son aile
Il constituera à ce double titre et assez paradoxale- repliable selon le procédé
complète était peut être séduisante pour les états-ma-
ment un concurrent sérieux pour quiconque viendrait « Sto-Wing ». Cette photo jors mais beaucoup moins pour les pilotes », souligne
lui chercher des noises ! Avec une moyenne mensuelle prise en 1942 permet de le Lieutenant Louis Bauer de la VF-2.
se rendre compte des
oscillant entre 150 et 200 machines, l’Eastern livrera dimensions relativement En réalité, le vol le plus long à l’actif du modèle est une
en définitive 4 467 FM-2 soit davantage que le total de réduites de l’appareil. transcontinentale reliant les deux côtes des États-Unis

28
Grumman F4F
Wildcat

en un peu plus de 11 heures. Destiné aux missions  Démonstration du sera limitée. Devant être à l’origine amenés à agir de
gonflement d’un radeau de
stratégiques à très longue distance, le F-7, qui sera survie, dont on distingue
concert avec le laboratoire flottant USS Curtiss, ils
désigné F-7P en 1944, est équipé d’un pilote auto- l’espace de rangement seront en réalité disséminés au sein de certains Carrier
matique Sperry et d’une unique camera Fairchild F-56 sur le haut du fuselage, Air Groups ou d’unités basées à terre. En 1942, au
en arrière du poste de
montée à l’arrière du poste de pilotage. Il n’y a plus pilotage. Les premiers F4F- moins trois d’entre eux opèrent ainsi dans le Salomon.
en effet à cet endroit de plaques de blindage. Pour 3 ont aussi bénéficié d’un Outre des détachements à bord des USS Entreprise
absorber l’augmentation de masse d’un appareil qui a système de flottaison, en (CV-6) et Saratoga (CV-3), le BuAer 5263 est affecté
cas d’amerrissage, à base
pleine charge jauge désormais plus de 5 tonnes, il a été d’airbags positionnés sur à la VMO-251 sur Guadalcanal, où il côtoie des F4F-3P.
nécessaire de se débarrasser du superflu : armement, les extrados. D’une utilité Ces derniers sont des appareils de reconnaissance tac-
douteuse, ce dispositif
viseur, blindage. Si en conditions de combat le « gros sera abandonné.
tique développés sur la base d’un simple kit de conversion
chat » se comporte comme un fer à repasser, à vide, adaptable sur le terrain. Doté d’une caméra de 30 inches
il retrouve une maniabilité et un taux de montée assez les 18 appareils ainsi modifiés, qui conservent leur arme-
remarquables. Avec cette version spécialisée Grumman  Gros plan sur l’avant ment et leur blindage, ne connaîtront une utilisation
du fuselage d’un F4F-
a donc presque réinventé le Zero ! L’utilisation opéra- 3 et son moteur P&W opérationnelle qu’au sein de cette seule unité, pour le
tionnelle des 21 F-7 produits (BuAer 5263 à 5283) R-1830 en double étoile. compte de laquelle ils ne prendront en définitive que fort
peu de photos ! À la même époque, au moins un F4F-4
est modifié selon le même schéma pour être rattaché
au groupe aérien du Ranger (CV-4) opérant au large du
Maroc dans le cadre de l’opération « Torch ». Outre les
versions de reconnaissance, d’autres expérimentations
ont été conduites.
C’est ainsi que cédant à une mode commune affectant
à la fin des 1930 les principales puissances navales,
Grumman, à l’instar de Supermarine, propose une version
à flotteurs de son chasseur vedette. Le Wildcat F4F-3S «
Catfish » est modifié en 1942, par l’adjonction de deux
flotteurs, de stabilisateurs sur le plan fixe et d’une quille
à l’arrière du fuselage. Pas plus que les quatre Spitfire
convertis dans le même esprit par les Britanniques, le
« Catfish » ne connaîtra pas de développement opéra-
tionnel. Seuls leurs adversaires japonais persévéreront
dans ce domaine particulier de l’hydravion de chasse.
En 1944, le « Catfish » est ferraillé : la multiplication des
porte-avions d’escorte et l’habilité des Seabees (phoné-
tique de CB pour Construction Battalions) ayant rendu
le concept caduc.

29
AUX COMMANDES DU WILDCAT
De loin, l’oiseau ne payait pas de mine ! Et de près, pas
davantage ! L’accès au poste de pilotage se faisait au
moyen d’un système de marche pied et de prise de main
situés de part et d’autre du fuselage. Il fallait ensuite
prendre appui sur l’emplanture de l’aile pour accéder au
« bureau ». À défaut d’être complètement ergonomique
et parfaitement fonctionnel, celui était spacieux. La vue
sur l’avant pouvait y être considérée comme bonne.
En revanche, la vision latérale surtout vers le bas et
malgré la présence de fenestrons ménagés à cet effet
demeurait tout juste moyenne. Il n’y avait en revanche
aucune visibilité sur le secteur arrière ! Cette occurrence
gênante pour un avion de combat sera partiellement com-
pensée par le montage d’un rétroviseur auquel nombre
d’aviateurs doivent la vie…
Dans certaines phases de vol, le Wildcat requérait toute
l’attention de celui qui en avait les commandes. C’était
particulièrement vrai au décollage ou l’effet de couple
devait être vigoureusement contré. À l’atterrissage,
l’avion se révélait allergique aux vents de travers. Au
roulage, enfin, ses freins avaient tendance à chauffer très
rapidement. Il n’était pas très rapide et son rayon d’action
Dans le registre des prototypes, on relève en 1941 le  Le FM-2 est la dernière n’avait rien de sensationnel : « Nos patrouilles n’excé-
variante produite en
XF4F-5. En fait deux F-3 dotés de R-1820-40, puis d’un- grande série, leur nombre
daient pas deux heures et encore on rentrait alors avec
54 et enfin un -48 associé à un compresseur à 2 étages. dépassant celui de toutes des réservoirs quasiment vides. Pour ma part le souvenir
En 1944, Eastern propose le F2M-1. Doté d’un XR-1820- les autres versions réunies. d’un amerrissage forcé dû à une panne sèche m’incitait
Extérieurement l’appareil
70 de 1 350 cv, d’une verrière à vision intégrale et d’un est immédiatement à la plus grande prudence... » (Lieutenant Henry Adlam
train d’atterrissage classique : ayant de faux airs de T-28, reconnaissable du fait de sa de la Fleet Air Arm). Ses performances en piqué n’étaient
l’appareil n’entrera jamais en production. À l’état d’avion dérive agrandie et affinée. pas non plus spectaculaires, en tous les cas, inférieures à
de papier, le concept est en effet jugé potentiellement  Un FM-1 qui n’est celles de presque tous ses contemporains, à l’exception
inférieur aux F6F et F4U alors en production, ainsi qu’au autre qu’un F4F-4 produit des machines japonaises. En revanche il se révélait plus
sous licence par Eastern.
XF8F nouveau félin en gestation chez Grumman et pré- maniable que la plupart d’entre eux, exception faite une
cisément installé sur le même créneau… fois de plus des nippons ! « Dans le cadre d’un parcours
On note enfin sur le modèle du démonstrateur Bell L-39 chronométré avec départ lancé à une vitesse stabilisée
qu’une épure destinée à doter le Wildcat d’ailes en flèche de 260 km/h, le Seafire Mk. IIC finissait par devancer un
(et d’un train tricycle) a été proposée en 1945 en vue Wildcat, mais pas de façon éclatante. À basse altitude, il
d’essais. Le projet resté en l’état était sans doute moins se révélait certes plus rapide que le chasseur américain
délirant que beaucoup d’autres. En effet, un tel « ton- mais sa marge de supériorité était réduite à moins de 20
neau » ainsi pourvu, mais propulsé par un turboréacteur km/h. Le Seafire avait l’avantage d’une vitesse ascension-
deviendra la norme un peu plus tard avec des appareils nelle supérieure. Cependant, en combat tournoyant, le
comme le MiG 15, le Saab J-29 ou par le Pulqui argentin. Wildcat virait systématiquement plus court, ce qui lui don-
Il faudra attendre 1951 pour que Grumman adopte enfin nait un avantage certain. En piqué les performances des
une aile en flèche avec le F9F-6 Cougar. À Bethpage, on deux appareils étaient proches, avec un léger avantage
aime se hâter, mais avec lenteur. au Grumman. Au niveau de l’armement notre préférence

30
Grumman F4F
Wildcat

Memento
Désignation Moteur Ailes Production Unités produites Utilisateur
G-36 A / Martlet I Wright R-1820 G- 205 Fixes 1940 91* Royal Navy
F4F-3 Wildcat P &W R-1830-76/86 Fixes 1940/41 285 USN/USMC
G-36 B / Marlet II P &W R-1830-S3C4-G Repliables 1941 100 Royal Navy
F4F-3A P &W R-1830-90 Fixes 1941 65 USN/USMC
Martlet III P &W R-1830-90 Fixes 1941 30 Royal Navy
F4F-4 Wildcat P &W R-1830-86 Repliables 1941/42 1 169 USN/USMC
Marlet IV Wright R-1820-40B Repliables 1941/42 220 Royal Navy
F4F-7 P &W R-1830-86 Fixes 1941/42 21 US Navy
FM-1 P &W R-1830-86 Repliables 1943/43 839 USN/USMC
Wildcat V Voir FM1 idem idem 311 Royal Navy
FM-2 Wright R-1820-56 Repliables 1943/45 3 720 USN/USMC
Wildcat VI Voir FM-2 idem idem 340 Royal Navy
*81 +10 ex belges

des virages aussi serrés soient-ils. Dans tous les autres


domaines, l’Allemand qui s’affirme comme un superbe
chasseur-bombardier l’emporte sans difficultés. En cas
de rencontre la seule chose que peut espérer un pilote
allié, c’est d’énerver suffisamment son homologue de
la Luftwaffe et de le pousser à larguer ses bombes… »
L’appréciation portée lors des essais comparatifs avec un
Wildcat VI est encore plus accablante pour le Bf 109 G
: « Si l’on considère maintenant le Bf 109 G6, le Mk. VI
conserve l’avantage en combat mais celui-ci est moins
marqué que dans le passé. Le 109 est à tous points de
vue un meilleur appareil que son challenger, néanmoins
bien piloté celui-ci peut lui réserver encore de mauvaises
surprises. »
Bien qu’à l’aise en évolutions serrées dans le plan horizon-
tal, le Grumman est affecté d’une importante limitation.
Les vrilles n’étaient en effet pas faciles à rattraper, elles
restent prohibées jusqu’à l’introduction du FM-2. Au
crédit du Wildcat, on relève toutefois un comportement
sain à l’atterrissage, d’excellentes caractéristiques de
décrochage et une solidité à toute épreuve de la cel-
allait naturellement à sa batterie de mitrailleuses lourdes  Le « Catfish » est le lule et des moteurs. S’agissant au moins du premier
fruit d’une expérience
plutôt qu’à la combinaison canons/mitrailleuses légères sans lendemain, destinée
point c’est ce que confirme Eric Brown : « J’ai toujours
du chasseur britannique. » à doter la Navy d’un dit et je maintiens que le Martlet disposait du meilleur
Comparé au Sea Hurricane Mk. IIC – comme lui héritier hydravion de combat. comportement à l’atterrissage qu’il m’ait été donné de
d’une lignée de biplans célèbres – les choses paraissent connaître. La vision sur l’avant était bonne et l’adaptation
plus équilibrée ; Eric Brown à qui l’on doit ces com- au vol à basse vitesse excellent. Le train d’une solidité
mentaires ajoute :« C’étaient deux machines assez à toute épreuve pouvait supporter les traitements les
comparables en termes de performances et de puissance plus brutaux. La crosse d’appontage était bien étudiée.
de feu avec peut-être un léger avantage au Hurricane. Ce Dans ces conditions il fallait vraiment le faire exprès pour
dernier avait un meilleur taux de roulis mais son concur- rater le câble. »
rent le surclassait en montée. En combat tournoyant le
Hawker prenait l’avantage sur le Grumman et conservait
quoi qu’il arrive la faculté de se dégager en effectuant un
demi-tonneau suivit d’un piqué, manœuvre durant laquelle
DU PÔLE AU PACIFIQUE !
il faisait preuve de capacités d’accélération supérieures Dans le Pacifique, confronté à des chasseurs souvent
à celles du Martlet. » plus rapides et toujours plus maniables, le Wildcat a
S’agissant de ses ennemis, Brown note : « Face au Bf malgré tout tiré son épingle du jeu en conduisant les
109 F, Le Wildcat accuse un déficit en palier de plus aviateurs de l’US Navy ou de l’USMC à élaborer des
de 100 km/h. Ce différentiel croit avec l’altitude. En tactiques de combat efficaces afin d’utiliser au mieux ses
combat rapproché le Wildcat peut cependant prendre le meilleur sur atouts en matière d’armement et de protection (blindage et réservoirs
son adversaire disposant en outre et pour ce faire d’un armement plus auto-obturants).
puissant. Le chasseur allemand conserve cependant toujours l’initiative Surclassé en termes de performances pures – « affronter un Zero en
d’engager ou de rompre à sa guise. » En résumé, à basse altitude, le duel c’est accepter de se battre en état d’infériorité numérique », comme
« Friedrich » apparaît comme légèrement supérieur au Wildcat. le dira Joe Foss – le Wildcat ne l’a finalement jamais été sur le terrain.
En 1942-43, le risque de voir des Martlet Mk. IV affronter des Fw Les victoires qu’il y a remporté ont toujours excédé les pertes subies.
190 conduit le centre d’essais (Aircraft and Armement Expérimental Toutefois ce n’est pas dans le Pacifique, où il écrira en 1942 les plus
Establishment) de Boscome Down à opposer l’un de ses appareils à belles pages de son épopée, que ce chasseur entre en action pour la
un Fw 190 A4 capturé. Et là, ce n’est plus du tout la même histoire ! première fois. Cet événement se produit en réalité, 18 mois plus tôt,
« Le rayon de virage est le seul domaine où le Martlet surpasse le aux confins du cercle polaire ! Et nous y reviendrons en détail dès le
Focke Wulf. Or, aucune bataille n’a jamais été gagnée en faisant prochain numéro ! 

31
UNITÉ
1939
1945

L’escadre de tous les records


Profils couleurs : Jean-Marie Guillou par Christian-Jacques Ehrengardt et Yann Mahé

32
JG 52

M
algré toute la prudence qui s’impose en termes de revendications, la JG 52 est bel et bien l’escadre
de chasse de tous les records : elle détient celui du nombre de victoires aériennes, celui du nombre
d’Experten (32 de ses pilotes ont dépassé les 100 victoires !), et compte dans ses rangs l’as des as,
toutes nations et toutes périodes confondues, en la personne d’Erich Hartmann. Opérant presque
exclusivement sur le front de l’Est, la JG 52 est responsable, à elle seule, de la destruction de près d’un quart des
avions que les Soviétiques admettent avoir perdus pendant la Seconde Guerre mondiale, soit un total de 10 600 à
11 300 victoires selon les sources, un bilan qu’elle n’aurait pu atteindre si elle avait été déployée pour la défense
du Reich face à l’USAAF et à la RAF. Retour sur une épopée sans précédent.

L’
origine de la JG 52 remonte à la création en novembre réaction franco-britannique à l’invasion de la Pologne programmée le
1938 d’un groupe de chasse à Ingolstadt-Manching, en 1er septembre, le I./JG 52 abandonne ses Bf 109 D à deux escadrilles
Bavière, le I./JG 433 de le Hauptmann Dietrich Graf von orphelines : la 1./JG 71, jusque‑là volant sur Avia B‑534 tchécoslo-
Pfeil und Klein-Ellguth. Aux pilotes fraîchement émoulus vaques, et la 11.(N)/JG 72, une pseudo-Staffel de chasse de nuit sur
des écoles sont amalgamés des cadres de la Legion Arado Ar 68 F, toutes deux réunies à Böbligen afin de former les deux
Condor. C’est ainsi que la 1. Staffel est commandée tiers du futur II./JG 52. Le déclenchement de la guerre et l’effervescence
par un certain Adolf Galland (transféré juste avant les hostilités au II. qui en découle en haut lieu contrarient la mise sur pied de l’escadre
(Schlacht)/Lehrgeschwader 2), la 2. et la 3./JG 433 respectivement et la prise effective de fonction de Merhart von Bernegg qui ne peut
par les Oberleutnant Wolfgang Ewald et Alfons Klein, chacun titu- intervenir qu’à la fin septembre.
laire d’une victoire aérienne en Espagne. Ce dernier est cependant En dépit de ces retards, les escadrilles opérationnelles de la JG 52
tué avec 10 autres passagers et hommes d’équipage dans le crash entament leurs patrouilles et reconnaissances de routine sur un front
du Ju 52/3m du groupe, pris dans une tempête de neige, le 18 de l’Ouest on ne peut plus calme, alors que les combats se déroulent
février 1939. Un autre vétéran de la Legion Condor, l’Oberleutnant en Pologne. C’est à cette occasion que le Leutnant Paul Gutbrod
Helmut Kühle lui succèdera. Entièrement équipé en Messerschmitt (5./JG 52), survolant le secteur de Kehl (sur la rive droite du Rhin, face
Bf 109 D, le I./JG 433 est transféré fin mars à Böblingen, où il est à Strasbourg) le 8 septembre, abat un Mureaux 115 du GAO 553 en
officiellement rebaptisé I./JG 52 le 1er mai, Pfeil und Klein-Ellguth étant deux passes. Gutbrod est ainsi crédité de la toute première victoire
confirmé à sa tête. En juin, l’unité gagne le terrain de Wengerohr, de la Luftwaffe à l’Ouest, ce qui lui vaudra l’attribution de la Croix de
dans la vallée de la Moselle, face au Luxembourg, où se multiplient fer 2e classe ! Quant aux occupants du Mureaux, le sergent Simon
à un rythme démentiel manœuvres et exercices, puis elle rallie celui Piacentini, pilote, et, le lieutenant Jean Davier, observateur, ils ont le
de Wangerooge, sur la plus orientale des Îles de la triste privilège d’être les premiers aviateurs de l’armée
Frise-Orientale. de l’Air à être tués au combat durant le conflit… Le 6
octobre, le I./JG 52 ajoute une nouvelle victoire à son
q Messerschmitt Bf 109 E palmarès, lorsque le Leutnant Hans Berthel descend l’un
EN PROTECTION DU WESTWALL du II./JG52, plus exactement
de la 6. Staffel dont l'insigne
des tout nouveaux LeO 451 (n° 6) en mission de recon-
DURANT LA SITZKRIEG à l'aigle, tout juste adopté
en ce printemps 1940,
naissance au-dessus de la Ruhr. Sitôt la présence du
bimoteur français rapportée dans le ciel allemand, deux
est visible sur le capot
Ce n’est que le 19 août, à peine trois semaines avant moteur. Cette photo a Schwärme ont décollé de Bonn-Hangelar pour l’intercep-
l’entrée en guerre, que le Geschwaderstab voit le jour, manifestement été prise ter : Berthel l’a vu le premier et aussitôt pris en chasse,
également à Böblingen. Le Major Hubert Merhart von durant la Sitzkrieg à Spire, parvenant à toucher l’un des moteurs malgré les tirs de
à en juger par l'église à
Bernegg, ancien commandant du J/88 de la Legion l'arrière plan qui semble bien riposte du mitrailleur arrière. Touché à mort, le LeO 451
Condor, devient alors le premier Kommodore de la être la Cathédrale Notre- s’est alors écrasé au sol et les membres d’équipage,
Dame-de-l'Assomption-
JG 52. Rééquipé en Bf 109 E avant son transfert à Bonn- et-Saint-Étienne.
tous blessés, ont été capturés (l’un d’eux décédera par
Hangelar, le 29 août, pour faire face à une éventuelle (EN-Archives) la suite des suites d’une amputation).

33
par l’Oberleutnant Wolfgang Ewald, un ancien
de la Legion Condor alors Staka 2./JG 52.
Le Hauptmann Siegfried von Eschwege sera
nommé Kommandeur le 9 février 1940.

TIMIDE CAMPAGNE
DE L’OUEST
Le mauvais temps hivernal est propice à
quelques légers remaniements, mais le 1er
mars 1940 est marqué par le plus impor-
tant d’entre eux : la création du III./JG 52 à
Straußberg, qui est placé sous les ordres du
Hauptmann Wolf-Heinrich von Houwald, venu
du I./JG 26. Comme la majorité des nouveaux
groupes établis à cette époque, celui‑ci est
créé par dédoublement des deux autres [2].
Cependant, ce III. Gruppe échappe à l’autorité
de Merhart von Bernegg, car, début avril 1940,
il est placé sous l’autorité du Stab/JG 53 afin
de parfaire sa formation. Pour la JG 52, la
Durant la seconde semaine d’octobre, le II./JG 52 touche p Günther Rall, ici en « Drôle de Guerre » s’achève sur une ultime confronta-
enfin une 6. Staffel et un Kommandeur, en la personne tant que Leutnant à la tion, le 23 avril, qui voit sa seule perte à l’ennemi, quand
4./JG 52 à Mannheim
du Hauptmann Hans-Günther von Kornatzki. Le 13, un pendant l’hiver 1939-40, l’Oberfeldwebel Franz Essl, dont l’avion a été endommagé
Blenheim Mk. IV du No 114 Squadron est envoyé au tapis fera la plus grosse partie par des Curtiss, effectue un atterrissage sur le ventre
par le I. Gruppe non loin de la frontière germano-luxem- de sa carrière à la JG 52, dans ses lignes. Côté succès, la récolte est assez maigre,
d’août 1939 à avril 1944.
bourgeoise, et devient ainsi sa toute première victime de Crédité de 275 victoires en puisque les deux groupes de la JG 52 n’ont obtenu au
la RAF. Le 8 novembre, le II. Gruppe fait coup double 621 missions de guerre, il total que 6 victoires (la dernière étant un Potez 637 du
termine le conflit comme
en abattant un ballon d’observation (Oberleutnant Heinz Kommodore de la JG 300 GR I/52 abattu le 24 mars au-dessus de Deux-Ponts) !
Schumann, Staffelkapitän de la 4./JG 52) sur la rive et titulaire des Glaives. Toutefois, les choses sérieuses ne vont pas tarder à
(Coll. J.V. Crow)
opposée du Rhin face à Karlsruhe, et un Morane MS.406 commencer, car le « Fall Gelb » est imminent.
au terme d’un combat tournoyant au-dessus de Bitche Au 10 mai 1940, le jour de l’offensive à l’Ouest, la
(Leutnant Karl Faust, 5. Staffel). Mais la Sitzkrieg n’est { Des Messerschmitt situation de la JG 52 est la suivante :
Bf 109 E de la 8./JG 52 à
pas pour autant une promenade de santé et c’est Pfeil und Zerbst, où le III. Gruppe Stab 3 Bf 109 E Mannheim-Sandhofen
Klein-Ellguth lui-même qui va l’apprendre à ses dépens. est envoyé se reconstituer
I./ 45 Bf 109 E Lachen-Speyerdorf
en août 1940 après ses
Le 21 novembre, alors que le I./JG 52 s’est récemment confrontations difficiles avec II./ 49 Bf 109 E Spire
établi à Lachen-Speyerdorf, le Gruppenkommandeur les Spitfire durant la bataille
d'Angleterre. (EN-Archives)
III./ 40 Bf 109 E Mannheim-Sandhofen
fête dignement ses 32 ans, puis décide d’emmener son
ailier pour une mission de routine au‑dessus du front. Intégrés au V. Fliegerkorps, le Stab et les deux premiers
Mal lui en prend : attaqué par des Curtiss H-75A du q Bel alignement de groupes sont affectés à la protection des frontières du
GC II/4, il est abattu par le sergent Antoine Casenobe ; Bf 109 E de la 8./JG 52 Reich et du flanc gauche du Heeresgruppe A, dans un
gravement brûlé, sa carrière de pilote est terminée [1]. Le à Zerbst, parmi lesquels secteur compris entre Verdun et Sedan, puis jusqu’à
on reconnaît le n° 13 de
lendemain, l’escadre déplore son premier mort avec le la Staffel, en gros plan Charleville (15 mai) et Compiègne (22 mai) après la
crash accidentel de l’Unteroffizier Hans-Joachim Hellwig page suivante. La « barre percée. De son côté, toujours subordonné au Stab/JG 53,
ondulée » derrière la
dont le Bf 109 « 4 rouge » est victime d’une défaillance Balkenkreuz identifie le le III./JG 52 ne sera engagé que le 17 mai et se consacre,
mécanique. Quant à Pfeil, il est temporairement remplacé III. Gruppe. (EN-Archives) en attendant, surtout à la défense de la Sarre et de la

34
JG 52

[1] Affecté en mai


1944 en tant qu’officier
des opérations à la
4. Jagddivision, il sera
victime d’une embuscade
de maquisards
français et décédera
des suites de ses
blessures le 14 juillet.

[2] Toutefois, on
remarquera que, d’ici au
10 mai 1940, l’industrie
aéronautique et les
écoles de la Luftwaffe
auront fonctionné à plein
temps, puisque la JG 52
alignera 138 Bf 109 E
(dont 102 disponibles)
et 112 pilotes (dont
92 opérationnels).

[3] Selon P. D. Cornwell


(The Battle of France,
Now and Then – After
the Battle, 1007), il
s’agirait du sergent Otto
Hanzlicek du GC II/5.

Rhénanie. La tâche des pilotes de l’escadre Alors que le I./JG 52 quitte le 1er juin la zone Pendant la campagne de France, le Stab n’a
opérant dans le secteur du Heeresgruppe A est des combats et rejoint Zerbst, sur l’Elbe au remporté aucune victoire, le I. Gruppe une
essentielle, car il s’agit d’interdire le ciel à l’en- sud-ouest de Berlin, pour protéger le centre seule, le II. Gruppe tout de même 27 et le
nemi au-dessus du Schwerpunkt de l’offensive industriel de l’Allemagne, ce même jour, III. Gruppe seulement 10, pour un total de trois
allemande. Le 14 mai, alors que les bombar- Houwald et ses hommes passent sous l’au- tués et un prisonnier à l’ennemi. Ce tableau
diers alliés tentent de détruire les ponts sur la torité du Stab/JG 52. Toujours le 1er juin, le II./ de chasse est plutôt mince par rapport à celui
Meuse qu’empruntent les Panzer de Guderian, JG 52 déplore la disparition du Leutnant Paul des autres Jagdgeschwader, mais la JG 52
les pilotes du II. Gruppe s’acquittent parfaite- Gutbrod, le premier pilote victorieux à l’Ouest, a hérité davantage de missions défensives
ment de leur mission, descendant pas moins tombé à Belval-Bois-des-Dames (Ardennes) qu’offensives en France, sans même parler
de 11 appareils ennemis – dont huit Fairey après avoir heurté une ligne à haute tension des III. et I. Gruppen qui se sont relayés dans
Battle – au cours de la journée. Le lendemain, et vraisemblablement achevé au sol par des de lointains vols de protections de sites stra-
le groupe revendique quatre MS.406 au nord- troupes coloniales françaises. tégiques à l’intérieur des frontières du Reich
ouest de Charleville, portant son score à 19 À ce moment-là, Hitler, fort de son écla- en prévision de raids aériens alliés qui ne se
victoires. Le 18, le III./JG 52 fait enfin son tante victoire à Dunkerque sur la British sont jamais produits.
baptême du feu. Un jeune Leutnant de 22 ans, Expeditionary Force obligée de rembarquer
appartenant à la 8. Staffel, descend son pre- en catastrophe, s’apprête à donner le coup
mier avion à cette occasion : « C’était notre de grâce à la France (« Fall Rot » du 5 juin). DÉCONVENUES
premier contact avec l’ennemi. Nous étions
tous terriblement excités et nous avons immé-
Peu engagée dans ces nouvelles opérations,
l’escadre de Bernegg ne connaît plus que des
FACE AUX SPITFIRE
diatement tout oublié de ce que l’on nous avait combats aériens sporadiques, et remporte Le lendemain de l’armistice avec la France,
enseigné. Les tactiques, la discipline à la radio, ses derniers succès le 9 juin, lorsque deux alors que s’annonce la Bataille d’Angleterre,
tout est passé à la trappe ! Tout le monde MS.406 sont abattus du côté de Rethel, suivis le Stab de la JG 52 s’installe au Touquet,
hurlait à la radio. J’étais en sueur. » En s’adju- de deux Hurricane dans le secteur de Laon. face aux falaises crayeuses de la Perfide
geant l’un des trois Curtiss Hawk abattus lors La victoire étant désormais assurée, le II./ Albion, mais tous ses groupes sont encore
de cette sortie – l’un des coéquipiers signale JG 52 quitte Laon pour rejoindre le Stab à au pays, toujours pour des missions de
qu’il a vu le pilote sauter en parachute [3] –, Luxembourg-Sandweiler le 11 juin, et le III./ défense du ciel allemand : le III. Gruppe ne
Günther Rall est officiellement crédité de la JG 52 s’envole de La Selve (Aisne) pour gagner se pose à Coquelles que le 22 juillet, et les
première de ses 275 victoires, qui en feront Hoppstäden deux jours plus tard. C’est désor- I. et II. Gruppen ne rallieront respectivement
le quatrième as de l’Histoire de l’aviation. mais l’heure du bilan pour toute l’escadre. Coquelles et Peuplingues que début août.

Messerschmitt Bf 109 E-1


9./JG 52
Neubiberg, Allemagne, juin 1940

35
Arrivé le premier dans le Pas‑de-Calais, le III./JG 52 p Le Messerschmitt par le Hauptmann Alexander von Winterfeld, venu du III./
ne tarde pas à faire la connaissance du Spitfire et la Bf 109 E du Hauptmann JG 2, le Gruppe est logiquement renvoyé se reconstituer
Wilhelm Ensslen,
confrontation tourne vite au drame pour les Allemands. Staffelkapitän de la à Zerbst le 1er août. Il disparaît virtuellement des tablettes
L’après-midi du 24 juillet, l’escorte de bombardiers sur 9./JG 52, pendant la Bataille de la Luftwaffe : après avoir stationné sur différentes
d’Angleterre. Cette escadrille
le chemin du retour au niveau de Margate, sur l’estuaire est la seule du groupe bases en Allemagne, il sera transféré le 12 octobre en
de la Tamise, se solde, pour un seul adversaire abattu, à n’avoir perdu aucun Roumanie, à Bucarest-Pipera, afin de protéger les champs
par la perte de quatre Bf 109 E ! Et pas n’importe les- pilote pendant son court pétroliers de Ploiesti. Rebaptisé I./JG 28 jusqu’au 4 janvier
engagement (une semaine).
quels, puisque que trois d’entre eux appartiennent au (©ECPAD/France/1940/ 1941, date à laquelle le groupe reprendra sa dénomi-
Gruppenkommandeur Wolf-Heinrich von Houwald, et à Photographe inconnu) nation, il y coulera des jours pour le moins paisibles.
deux Staffelkapitäne, les Oberleutnant Herbert Fermer Ses pilotes, comme le Major Gotthard Handrick (l’ancien
(7. Staffel) et Lothar Ehrlich (8. Staffel), tous morts sous Kommodore de la JG 26, qui en prend le commande-
les balles de ces Spitfire du No 54 Squadron. Le qua- ment le 7 octobre) et l’Oberleutnant Günther Rall (Staka
trième est l’appareil de l’Unteroffizier Erich Frank, tué lui 9./JG 52), devront ronger leur frein et attendre le 25 mai
aussi. Le lendemain, quatre autres Emil, surpris par des q Les Bf 109 E-1 du pour renouer avec les combats, lorsque le III./JG 52 sera
III./JG 52 parqués sur
Spitfire du No 610 Squadron alors qu’ils accompagnent l'aéroport de Bucarest- dirigé sur Molaoi, dans le Sud Péloponèse, pour appuyer
des Stukas au large de Douvres, ne rentrent pas ; parmi Pipera aux côtés d'avions les forces allemandes en Crète. Sans véritable opposition
les manquants, outre un pilote non identifié, figurent de transport civil roumains aérienne, il sera principalement utilisé pour des missions
(à gauche) au printemps
l’Oberleutnant Willy Bielefeld, Staffelführer par intérim de 1941. Les chasseurs de mitraillage des troupes néo-zélandaises et même de
la 7./JG 52, et l’Oberleutnant Wilhelm Keidel, le rempla- allemands arborent les lutte antinavire lorsque la Royal Navy évacuera celles-ci
çant de Fermer… tué la veille. Seul l’Unteroffizier Reiss, marques tactiques de vers l’Égypte, avant de retourner en Roumanie le 12 juin
l'opération « Marita » : capot,
ayant réussi à se poser sur le ventre à Elvington Court, gouvernail de direction, 1941, sans avoir enregistré la moindre perte à l’ennemi…
a survécu, mais il a été capturé. Avec cinq officiers tués gouvernes de profondeur, ni la moindre victoire…
bande de fuselage et
en à peine 24 heures, l’encadrement du III./JG 52 est bande d'aile jaunes. La Bataille d’Angleterre est un peu plus favorable au
alors saigné à blanc ! Tandis que Houwald est remplacé (EN-Archives) I./JG 52, qui, rejoignant le front après la mission aussi
importante qu’honorifique d’escorte du Ju 52 d’Hitler
lors de ses déplacements au mois de juillet (discours à
l’opéra Kroll et festival de Bayreuth), revendique quatre
victoires dès son premier jour de combat sans endurer
la moindre perte. Du 2 août au 30 octobre, le groupe
sera crédité de 72 victoires, mais laissera néanmoins
6 tués et 16 prisonniers au cours de son séjour à
Coquelles. Un pilote sort du lot, l’Oberleutnant Karl-
Heinz Leesmann, Kapitän de la 2. Staffel, qui termine
la campagne avec 14 victoires. Le 26 août, Eschwege
cède son poste de Kommandeur au Hauptmann
Wolfgang Ewald. Après un retour en Allemagne, le
I./JG 52 retrouve les côtes de la mer du Nord et sta-
tionne sur plusieurs aérodromes néerlandais, d’où il
effectue de nombreuses missions de chasse-bombarde-
ment. Il a ainsi l’occasion de revendiquer 42 victoires,
permettant à Leesmann de devenir « der Experte » de
l’escadre avec 22 succès. Le 24 mai 1941, ce dernier
remplace Ewald et est aussitôt promu Hauptmann.
Entre le 6 août 1940 (date de son arrivée à Peuplingues)
et le 9 juin 1941 (date de son retrait définitif du front de

36
JG 52

à la 4./JG 52. En huit semaines de combat, il remporte sept victoires,


mais à quel prix : « Pour mes sept victoires remportées au‑dessus de
la Manche, j’ai été abattu à trois reprises. Chaque fois, j’ai réussi avec
beaucoup de mal à me poser en catastrophe. Et toujours au même
endroit, près du cap Gris‑Nez. Le plus drôle, c’est qu’à chaque fois
je suis tombé sur le même chirurgien de l’Armée, et la troisième fois,
je crois bien qu’il a hésité à m’examiner. [...] On aurait certainement
pu croire que je le faisais exprès. » Début janvier 1941, le II./JG 52
parviendra à se débarrasser de cet encombrant pilote, qui semble col-
lectionner davantage les succès féminins que les Spitfire, sans parler
de son individualisme forcené et son anticonformisme, en le transférant
au I./JG 27, où il deviendra l’« Étoile d’Afrique ». Le 3 novembre 1940,
le Hauptmann Erich Woitke (autre champion olympique de décathlon
en 1936 et membre de la Legion Condor, comme Gotthard Handrick)
prend le commandement du groupe.
Dans son souci de rajeunir les cadres, le 19 août 1940, Göring rem-
place Merhart von Bernegg par le Major Hans Trübenbach à la tête de
la JG 52. Si son palmarès n’a rien d’éblouissant (il arrive avec 3 vic-
toires remportées avec le I.(J)/LG 2, dont il était Kommandeur depuis
novembre 1938), il a 34 ans et se montre beaucoup plus agressif
que son prédécesseur. Le Stab/JG 52 a quand même réussi le tour
de force de traverser la première année de guerre sans remporter la
moindre victoire. Et pour cause ! Merhart von Bernegg, qui était l’unique
« pilote » du Geschwaderstab, n’a effectué aucune mission…

LE GRAND BAL À L’EST


Au printemps 1941, alors qu’Hitler se consacre aux préparatifs de
l’invasion de l’Union soviétique, la JG 52 est très dispersée, l’OKL
ayant utilisé ses trois groupes au gré des besoins opérationnels, parfois
à des centaines de kilomètres les uns des autres. Les pilotes n’ont
donc pas pu se forger une identité commune au niveau de l’escadre,
comme cela a été le cas avec la plupart des autres Geschwader.
Beaucoup n’ont d’ailleurs jamais vu leur Kommodore von Bernegg,
qui, en outre, suivait les choses d’assez loin. Ces différents éléments
l’Ouest), le II./JG 52 va se balader entre le Pas‑de-Calais, le Danemark, font que le palmarès de la JG 52 s’en est fortement ressenti, avec
la Belgique et les Pays‑Bas, déménageant 14 fois en dix mois ! Son un rapport victoires/pertes le plus défavorable de toute la chasse alle-
second séjour à Peuplingues (25 septembre-5 novembre) se révèle mande à cette époque. Les bons pilotes ne manquaient pourtant pas :
particulièrement catastrophique : pour 12 victoires (dont la 5e d’un on a vu que Rall était présent depuis le début, Gerhard Barkhorn a
certain Oberleutnant Johannes Steinhoff), il perd 2 tués et 10 prison- rejoint la 6. Staffel début août 1940, Hermann Graf a été affecté à la
niers ! Le 27 septembre est à marquer d’une pierre noire, car pour 9. Staffel début octobre, tout comme Walter Krupinski à la 6., sans
trois Spitfire revendiqués, il laisse sept avions et cinq pilotes aux mains compter les Dickfeld, Köppen, Leesmann, Simsch, Steinbatz, Steinhoff,
des Britanniques… Signalons qu’entre-temps, le 6 septembre, un jeune Wachowiak et autres Zwernemann. La campagne à l’Est allait révéler
Fähnrich du nom de Hans-Joachim Marseille a été muté du I.(J)/LG 2 tous ses talents…
z Ce tout jeune Fähnrich
au regard enjôleur, du nom
de Hans-Joachim Marseille,
arrive à la 4./JG 52 début
septembre 1940, précédé
par une peu flatteuse
réputation et un livret
militaire aux annotations
chargées. Il n’y reste que
trois mois avant d’être
transféré au I./JG 27, où son
destin d'as des as du théâtre
d'opérations africain l’attend.
(ww2images.com)

t Les Messerschmitt
Bf 109 F-2 de la 6./JG 52
sur le terrain polonais de
Sobolevo en juin 1941,
au moment de l'opération
« Barbarossa ». L'appareil
du premier plan est celui
de Gerhard Barkhorn. Ce
dernier allait obtenir 301
victoires sur le front de l'Est !
(EN-Archives)

37
Au 22 juin 1941 au matin, la situation de l’escadre est la suivante : p Ces Messerschmitt il signe un premier fait d’armes en
Bf 109 F-4 du III. Gruppe s’adjugeant 36 avions soviétiques les
Stab Maj H. Trübenbach 4 Bf 109 F Vienne-Aspern (Autriche) stationnent entre deux
missions aux côtés
2 et 3 juillet, dont cinq reviennent au
I./ Hpt K-H. Leesmann 35 Bf 109 F Katwijk (Pays-Bas) de Henschel Hs 126 seul Oberleutnant Johannes Steinhoff,
II./ Hpt E. Woitke 39 Bf 109 F Suwalki/Sobolevo (Pologne) d'observation, appareils en de la 4. Staffel, le Leutnant Gerhard
fin de carrière, mais toujours
III./ Maj G. Handrick 43 Bf 109 F Bucarest-Pipera (Roumanie) utiles dans la coopération Barkhorn et l’Unteroffizier Willi Nemitz
avec les Panzer. Le nombre en revendiquant deux chacun.
Ainsi, au moment où commence « Barbarossa », la JG 52 est encore élevé de sorties face à des Quant au III./JG 52, il demeure en
VVS surprises en pleine
éclatée sur deux fronts, avec le Stab basé en Autriche et qui n’a autorité phase de modernisation Roumanie durant les premiers jours
que sur son troisième groupe et sur le I.(J)/LG 2. Le II./JG 52 est, quant sur le plan matériel et de « Barbarossa », protégeant le stra-
manquant de pilotes
à lui, rattaché au Stab/JG 27. Handrick est toujours mentionné comme expérimentés expliquent tégique terminal pétrolier de Constanta
Kommandeur du III. Gruppe, mais, en fait, il a été promu Kommodore de les succès tonitruants des tentatives de bombardements
la JG 77 deux jours plus tôt. Il est remplacé officiellement le 23 juin par des Experten de la JG 52 des Soviétiques. Du 24 au 26 juin,
dans ce qui est la dernière
le Major Albert Blumensaat. Blitzkrieg de la Wehrmacht. le groupe abat, pour le prix d’un seul
De fait, le premier jour de l’offensive à l’Est, seul le II./JG 52 est engagé (EN-Archives) Bf 109 F perdu, 35 bombardiers
sous l’autorité du JG 27. Il participe surtout à l’attaque d’aérodromes ennemis (un est le fait de Rall), dont
soviétiques, et les rencontres avec l’ennemi dans le ciel ne se traduisent 18 descendus rien que le 26, ce qui
que par de faibles résultats : 16 victoires attribuées au groupe de le vaut aux pilotes du Major Handrick un
Hauptmann Woitke en ce 22 juin 1941, chiffre à comparer aux 322 homo- télégramme de félicitations de Göring
loguées lors de l’ouverture de la chasse à l’étoile rouge. Le II. Gruppe en personne. Le 1er août, passé aux
est ensuite chargé de protéger l’avance des divisions du Panzergruppe 3 ordres du Major Albert Blumensaat, il
(Generaloberst Hoth) qui fonce à travers la Lituanie dans le but d’envelopper sera transféré en Ukraine, où il enre-
Minsk par le nord. Durant la bataille d’encerclement de Białystok–Minsk, gistrera 38 victoires durant sa première
semaine d’engagement, surtout dans
le secteur du Dniepr.
Le 23 juillet, Karl-Heinz Leesemann
devient le premier pilote de l’es-
cadre à décrocher la Ritterkreuz ; en
l’occurrence, en récompense de sa
u Le Messerschmitt
Bf 109 F-4 de l'Oberleutnant 22e victoire contre… un Blenheim
Hans-Jörg Zimmermann, depuis Leeuwarden, aux Pays‑Bas, où
Staka de la 7./JG 52, se trouve toujours le I./JG 52 !
photographié sur le terrain
de Poltava en septembre Car la dispersion de l’escadre reste
1941, alors qu'il est porteur une constante et continue à nuire à
de 7 marques de victoire
sur le gouvernail. sa cohésion, alors même que de nom-
(EN-Archives) breux talents commencent à éclore.
En effet, le Stab récupère sous son
t L'Oberleutnant Hermann
Graf, qui a rejoint la 9./JG 52 autorité les I. et II. Gruppen en date
en mai 1941 bien que frisant du 20 octobre, sauf que le III./JG 52,
la limite d'âge et dont il
est désormais le Kapitän,
qui vient de contribuer à la gigantesque
pose à côté du gouvernail victoire de Kiev, lui échappe à nouveau
de son Bf 109 F-4, sur en allant se ranger sous la bannière du
lequel vient d'être peinte la
barre de sa 111e victoire, Stab/JG 3 puis du Stab/JG 77. Or, ce
un avion soviétique abattu dernier est incontestablement le plus
le 30 juin 1942 dans le performant des trois groupes. Il se
secteur de Kharkov.
(EN-Archives) taille la part du lion et fait de l’ombre

38
JG 52

u Avant son affectation


à la tête de la JG 53 en
novembre 1943, au sein
de laquelle il participera
surtout aux combats d'Italie
puis à la défense du Reich,
Helmut Bennemann, est
l'une des étoiles montantes
du I./JG 52 : sur ses 93
victoires, 88 sont obtenues
sur le front de l'Est avec
la 2. Staffel et le Stab de
ce groupe. On le voit ici, à
droite, en train d'échanger
quelques mots avec les
« rampants » occupés à
barioler à la peinture verte
le nez jaune, par trop
visible, de son Bf 109 F.
Bennemann a survécu à
la guerre et est mort le 17
novembre 2007 à 92 ans.
(EN-Archives)

[4] À ne pas confondre


avec Karl-Heinz
Leesmann. Leßmann est
un ancien des Zerstörer.

[5] Dont Baumgarten


abattu en combat aérien,
le 20 novembre 1941.

aux autres Gruppen, même si l’Oberleutnant en haut de l’affiche en cette fin d’année 1941 : dans un fossé. Je me suis brisé la colonne
Johannes Steinhoff, Staka 4./JG 52, reçoit Oberleutnant Günther Rall (36), Leutnant Adolf vertébrale à trois endroits. J’étais paralysé.
la Croix de chevalier de la Croix de fer le Dickfeld (31), Leutnant Hermann Graf (31), D’une infirmerie de campagne, j’ai été transféré
30 août après sa 36e victoire ; d’ailleurs, il Feldwebel Edmund Roßmann (30), Feldwebel à Vienne dans un hôpital très bien équipé, où
trônera en tête du palmarès de l’escadre, attei- Leopold Steinbatz (25), Unteroffizier Friedrich l’on m’a confectionné un corset spécial et où
gnant les 51 victoires au 2 décembre 1941. Wachowiak (25), etc. une infirmière s’est particulièrement occupée
Néanmoins, entre le 22 juin et le 5 décembre Günther Rall, Staka 8./JG 52, ne tarde pour- de moi. » Alors que les médecins pensent qu’il
1941, le III./JG 52 revendique à lui seul tant pas à quitter ses camarades. Le 28 ne remarchera plus jamais, Günther Rall, au
460 victoires – dont 86 pour le seul mois de novembre, il livre un combat tournoyant à des terme d’une longue rééducation, reviendra à
novembre, pour la perte de seulement 6 avions I‑16 entre Rostov et Taganrog. Il revendique sa la tête de sa 8./JG 52 en août 1942 !
et 2 pilotes blessés – et se classe en qua- 36e victoire à 15h05, mais à cette époque de Lorsque « Barbarossa » s’achève aux portes
trième position du palmarès des Gruppen de l’année, la nuit tombe vite. Dans l’obscurité, il de Moscou dans les bourrasques de neige,
la Luftwaffe, derrière les IV./JG 51, II./JG 3 et ne voit pas arriver un autre Polikarpov dans son la JG 52 a accumulé 875 victoires sur le
III./JG 77 ; il ne déplore, en contrepartie, que dos : « Je m’étais bien sorti de mon combat front de l’Est. Quelques changements ont eu
14 tués et disparus. Parmi ses Experten figure tournoyant, mais j’ai pris une rafale dans le lieu, à commencer par le remplacement de
le Feldwebel Gerhard Köppen (8./JG 52), moteur, qui a brutalement fait chuter les tours. Trübenbach par le Major Willhem-Otto Leßmann
qui termine l’année avec 48 victoires ; le J’ai réussi à regagner les lignes allemandes, au poste de Kommodore, le 11 octobre [4].
18 décembre, il recevra la Ritterkreuz, troi- mais j’ai dû me préparer à un atterrissage d’ur- Après la blessure de Leesmann, intervenue
sième pilote de la JG 52 à en être décoré. gence sur un sol bosselé. Je me suis posé sur le 6 novembre après un combat aérien, le
Et bien d’autres noms du III./JG 52 se trouvent le ventre, mais l’avion a glissé et s’est planté I./JG 52 est commandé par un intérimaire,
l’Oberleutnant Carl Lommel. Enfin, c’est un
peu la confusion au III./JG 52, où le remplaçant
désigné de Blumensaat (parti le 23 septembre),
le Hauptmann Hubertus von Bonin, ne prendra
pas ses fonctions avant le début de l’année
1942, laissant le Hauptmann Franz von Hörnig
à la tête du groupe dans l’intervalle.
Dans le cadre de la Croisade contre le bol-
chévisme, une Staffel composée de volontaires
croates est créée et rattachée au III./JG 52
sous la dénomination de 15.(kroat.)/JG 52, le
20 septembre 1941. Équipée en Bf 109 E‑7,
elle dispose d’une petite douzaine de pilotes
sous les ordres de l’Oberstleutnant Franjo Džal
et opère d’abord dans le centre de l’Ukraine
avant de gagner les bords de la mer d’Azov.
Sur les 15 victoires qu’elle revendique avant la
fin de l’année, elle n’est officiellement créditée
que de 6 (dont 4 homologuées au Leutnant
Ewald Baumgarten, officier de liaison de la
Luftwaffe !) pour la perte de deux pilotes [5].

39
Messerschmitt Bf 109 F-4
Oberleutnant Gerhard Barkhorn
Kapitän 4./JG 52
Grakovo, Union soviétique, 22 juin 1942

CRIMÉE ET « FALL BLAU » u En haut : L'Oberstleutnant


Franjo Džal, Kapitän de la
les Experten vont faire exploser leurs compteurs :
3 victoires pour Graf le 30 avril, 6 le 1er mai, puis 7 le
15.(kroat.)/JG 52, à bord de
Au début de l’année 1942, le Stab et les deux premiers l'un des Bf 109 G-2 de son lendemain… Le 5 mai, en abattant un MiG‑1, sa 85e
Gruppen sont envoyés à l’arrière, à Dugino ; ils seront escadrille, orné de l'insigne victime, Köppen reprend 8 longueurs d’avance, mais la
de la force aérienne croate
transférés à Jesau (Saxe) pour un long repos de près de (le U signifie Ustasa, le parti compétition entre les deux as prend fin tragiquement
trois mois. Le III./JG 52 n’a pas cette chance, puisqu’il pronazi d'Ante Pavelic au quelques heures plus tard, quand Köppen doit sauter en
reste sur la brèche dans le secteur Sud du front russe. pouvoir à Zagreb). Rentré en parachute au‑dessus de la mer d’Azov après un combat
Croatie où il exercera divers
En janvier, il est basé à Kharkov, où son Kommandeur, commandements au sein contre des Pe‑2 ; recueilli par une vedette soviétique, il
Hubertus von Bonin, arrive enfin, juste à temps pour de l'aviation de son pays, disparaîtra à tout jamais. Mais Graf doit se méfier, car,
Džal sera capturé en mai
informer le Leutnant Hermann Graf qu’il vient de recevoir 1945 par les partisans en
derrière, il y a de la concurrence. En effet, quand cessent
la Ritterkreuz (24 janvier) après sa 42e victoire. L’ailier tentant de rallier l'Autriche, les opérations en Crimée, le 12 mai, le Leutnant Adolf
de ce dernier, le Feldwebel Leopold Steinbatz, se verra condamné à mort par le Dickfeld (Stab III.) en est à 75, le Feldwebel Leopold
nouveau gouvernement
lui aussi décerner la prestigieuse décoration le 14 février. communiste de Tito et exécuté Steinbatz (9.) à 63, le Feldwebel Friedrich Wachowiak (8.)
Sous les ordres d’un chef chevronné et agressif, s’ap- en septembre. (EN-Archives) à 53, l’Oberfeldwebel Josef Zwernemann (7.) à 44…
puyant désormais sur de nombreux cadres expérimentés, u En bas : Rien de tel qu’une
En à peine deux semaines, la 9./JG 52 a revendiqué
le III./JG 52 ne tarde pas à monter en puissance, s’ar- bonne cigarette pour se 93 victoires sans la moindre perte ! Si Graf peut être
rogeant dans les six premiers mois de l’année 1942 la remettre de ses émotions ! sacré roi de la « chasse à l’outarde » avec 31 succès,
Le Major Gordon Gollob, de
totalité des quinze décorations attribuées à des membres retour de sa sortie du 29 août on ne peut manquer de signaler l’exploit d’Adolf Dickfeld
de l’escadre. Les palmarès individuels suivent une courbe 1942 qui lui a permis d’être qui en remporte 11 dans la seule journée du 8 mai ! Ce
ascendante parfois vertigineuse. Le 27 février, Gerhard le premier as de la Luftwaffe jour‑là, d’ailleurs, le III./JG 52 fête sa 1 000e victoire,
à atteindre le nombre de
Köppen (7. Staffel) est le premier pilote de la JG 52 à 150 victoires, inspecte les le total de l’escadre dépassant alors allègrement les
recevoir les Feuilles de chêne, en récompense de ses coups qu'il a lui-même 1 500. C’est à l’occasion de ces opérations en Crimée
encaissés. (E-N Archives)
72 succès. Fin avril, le III./JG 52 est convié à participer que la 9./JG 52 a été surnommée « Karaya », comme
à la « chasse à l’outarde » (Unternehmen Trappenjagd), q Le Bf 109 G-2 de Hans l’explique Alfred Grislawski, alors Feldwebel au sein de
une opération lancée par la 11. Armee pour déloger les Waldmann, as du II./JG52 la Staffel : « Alors que nous étions en Crimée, Ernst
(134 victoires au total),
derniers défenseurs de la péninsule de Kertch. Face à n'est pas rentré intact de Süß [6] est revenu de permission avec un phonographe à
une aviation soviétique dépassée par les événements, sa dernière sortie ! manivelle et quelques 78 tours. Malheureusement, aucun

40
JG 52

de ceux‑ci n’a survécu au voyage ! Le seul disque que


l’on a pu trouver sur place jouait une chanson en russe,
dont on ne comprenait qu’un seul mot qui revenait sans
arrêt : Karaya. À force de l’entendre, on la connaissait
par cœur phonétiquement, et Süß s’est mis à la chanter
en vol. Karaya est alors devenu l’indicatif radio de notre
Staffel, puis son surnom. »
Le 13 mai, l’Armée rouge ayant devancé les plans offen-
sifs allemands pour l’été (« Fall Blau ») en perçant le front
au sud de Kharkov, le III./JG 52 est appelé à la rescousse.
Basé à Kharkov-Rogan, il impose sa loi aux VVS dès les
deux premiers jours avec 94 victoires remportées (dont
13 pour Graf et 14 pour Dickfeld) sans la moindre perte !
Cette performance permet à Hermann Graf de devenir
le premier membre de la JG 52 et le septième de la
Luftwaffe à passer la barre symbolique des 100 victoires
(104 pour être précis), si bien que les Feuilles de chêne lui
sont décernées le 17 mai et… les Glaives deux jours plus
tard pour sa 106e victoire ! Graf devient l’une des stars
de la propagande de Goebbels, mais bon nombre de ses
camarades n’auront pas le droit aux feux des projecteurs.
Adolf Dickfeld passe à son tour le cap des 100 victoires
et reçoit officiellement les Feuilles de chêne le 19 mai
pour sa 101e victoire, bien que les archives allemandes
montrent qu’il n’a atteint ce nombre que le 16 août, à
son retour d’une permission de trois mois en Allemagne ;
il aura beau atteindre les 128 avant son départ à la JG 2,
fin septembre 1942, il ne décrochera jamais les Glaives
(total : 136 ?). En revanche, l’Oberfeldwebel Leopold
Steinbatz, l’ailier de Graf, tué par la DCA à Voltchansk le
15 juin 1942 après sa 99e victoire, sera honoré de cette
distinction suprême (à cette époque) à titre posthume.
Quant au Leutnant Friedrich Wachowiak, dont le palmarès
oscille entre 120 et 140 victoires, il devra se contenter
d’une simple Ritterkreuz avant d’être tué sur le front de
l’Invasion, le 16 juillet 1944.
La poche d’Izioum – consécutive à la contre-offensive
terrestre allemande à Kharkov – liquidée par l’Ostheer,
celle-ci est enfin en mesure de déclencher le « Fall Blau ».
C’est ainsi que Stab, I./JG 52 et II./JG 52 sont rappelés
au front aux côtés du III. Gruppe à la mi-mai en prévision
de l’offensive en direction du Caucase. Pour la première
fois de son existence, l’escadre est enfin rassemblée
dans le même secteur, au sud-est de Kharkov, et sous
l’unique autorité du Geschwaderstab. Au 1er juin 1942, La seconde bataille de Kharkov a retardé l’exécution du
la situation est la suivante : « Fall Blau », que Hitler prévoyait de lancer dès le mois
de mai, afin d’éviter que la Wehrmacht ne soit surprise
Stab Maj W. Leßmann 4 Bf 109 F Barvenkova par l’hiver comme cela avait été le cas l’année précé-
I./ Hpt K-H. Leesmann 39 Bf 109 F Grakovo dente, et la grande offensive d’été est enfin déclenchée
II./ Hpt J. Steinhoff 28 Bf 109 F Barvenkova le 28 juin 1942. Si les puits de pétrole du Caucase en
III./ Maj H. v. Bonin 24 Bf 109 F Barvenkova sont l’objectif final, Hitler finit par s’intéresser également
15./ Obstlt F. Džal 6 Bf 109 F Sarabous à la grande ville de Stalingrad, sur la Volga, si bien qu’il
divise ses armées en deux. La JG 52 subit le même sort :
Johannes Steinhoff a pris la succession d’Erich Woitke les II. et III. Gruppen suivront le Heeresgruppe A dans le
à la tête du II. Gruppe en date du 1er mars. En effet, ce Caucase, tandis que le I. Gruppe fera l’essuie-glace en
dernier est passé en cour martiale pour n’avoir pas tenu fonction de la situation, se promenant de Kertch à Orel
compte d’une alerte signalant un raid aérien soviétique et même jusqu’à Rjev, à 150 km à l’ouest de Moscou.
sur Dugino, ce qui a entraîné la mort de plusieurs per- Le 22 juillet, l’escadre manque de perdre son nouveau
[6] Le Leutnant Ernst
sonnels du groupe ; démis de ses fonctions, il est mis Kommodore, Herbert Ihlefeld, victime du blocage d’un
Süß (RK le 04.09.42)
à l’épreuve comme simple pilote à la 5./JG 27 [7]. Le 2 sera tué en combat aileron de son Fieseler Storch au décollage de Taganrog ;
juin, la Geschwader perd le Major Leßmann, descendu aérien à la 9./JG 11, sérieusement blessé, il ne retrouvera son poste que début
par la DCA adverse près de Brigadirovka. Il est remplacé mitraillé par des P‑38 septembre. En attendant, le commandement de la JG 52
au bout des suspentes
par l’Oberstleutnant Friedrich Beckh, l’ancien Kommodore de son parachute, selon
est confié au Major Gordon Gollob, détaché de la JG 77.
de la JG 51, qui rongeait son frein dans les couloirs certains témoins, le « Mac Gollob » en profite pour arrondir son palmarès
du RLM. Malheureusement pour lui, son séjour sera de 20 décembre 1943 ; il et devient le premier pilote de chasse à atteindre les
courte durée, puisque, le 21 juin, il sera à son tour vic- comptait 68 victoires. 150 victoires le 29 août.
time de la DCA soviétique à Koupiansk et devra se poser [7] Il se rachètera Le 10 juillet, le III./JG 52 touche ses premiers Bf 109 G‑2
dans les lignes ennemies ; il sera porté disparu. Le Major par la suite, puisqu’il à Kharkov, suivi du I. Gruppe dix jours plus tard, puis
Herbert Ihlefeld quittera alors le Stab/JG 51 pour prendre commandera le III./JG 1, du Stab et du II. Gruppe peu après. Cette machine,
en charge la JG 52. Le 14 juin, le Hauptmann Helmut avec lequel il sera tué supérieure à tout ce que les Soviétiques peuvent lui oppo-
le 24 décembre 1944.
Bennemann prend le commandement du I. Gruppe. ser, redonne un coup de fouet à la chasse allemande.

41
t L’Oberleutnant
Hermann Graf reçoit
les félicitations pour sa
150e victoire, remportée
le 4 septembre 1942,
soit seulement six jours
après que Gordon
Gollob a réussi pareille
performance. Il porte
ici la Ritterkreuz mit
Eichenlaub, à laquelle
il ajoutera les Glaives
quinze jours plus tard.
(©ECPAD/France/1940/
Photographe inconnu)

x De retour au front après le


grave crash de son Bf 109 F
qui lui a valu plusieurs
fractures de la colonne
vertébrale le 28 novembre
1941, l'Oberleutnant Günther
Rall (au centre) pose
devant son n° 13 avec deux
camarades de sa 8. Staffel :
Karl « Charlie » Gratz (à
gauche, qui sera crédité de
138 victoires avec la JG 52) et
Friedrich Wachowiak (à droite,
entre 120 et 140 victoires
selon les sources), eux
aussi décorés de la Croix de
chevalier de la Croix de fer.
(EN-Archives)

Évitant les combats tournoyants, les pilotes utilisent les points forts de de l’escadre ne sont pas en reste : 13 Ritterkreuze sont distribuées au
leur nouvelle monture – sa vitesse en piqué et sa vitesse ascensionnelle cours du trimestre (dont la majorité à des membres du III. Gruppe), plus
– pour plonger sur leurs victimes et ne faire qu’une seule passe. Ils ne 2 Feuilles de chêne. Les récipiendaires de celles‑ci sont le Hauptmann
tardent pas ainsi à renouer avec les triomphes de l’été précédent. Les Johannes Steinhoff (le 2 septembre) pour sa 101e victoire et le Leutnant
chiffres parlent d’eux‑mêmes : Heinz Schmidt (16 septembre) pour sa 102e. À la fin de ce mois,
19 pilotes dépassent les 50 succès, le bal étant mené par Graf (202),
Victoires homologuées loin devant Steinhoff (110), Schmidt (108) et l’Oberfeldwebel Josef
07.42 08.42 09.42 Total Pertes(*) Zwernemann (94). Quant à Günther Rall, bien que meurtri par ses
Stab/JG 52 7 44 6 57 – douleurs au dos et ne pouvant monter seul dans son avion, il a fait un
I./JG 52 61 107 78 246 8 retour fracassant à la 8. Staffel, en mettant seulement une semaine
II./JG 52 130 141 89 360 10 pour faire passer son score de 36 à 65 victoires au-dessus du Terek,
III./JG 52 49 253 320 622 9 et en dépassant la barre des 100 en moins d’un mois, ce qui lui vaut
la remise de la Ritterkreuz le 3 septembre ; le 26 octobre, Hitler lui
Totaux 247 545 493 1 285 27
remettra les Feuilles de chêne en personne.
(*) Tués, disparus et prisonniers.

Dans ces conditions, les palmarès des Experten s’envolent et les récom-
penses pleuvent sur la JG 52. Premier concerné, Hermann Graf, qui est ENTRE STALINGRAD
le premier pilote de chasse à atteindre (et dépasser) les 200 victoires, le
26 septembre, notamment après une série de 10 succès dans la seule
ET CAUCASE
journée du 23 ! Dix jours plus tôt, il a déjà reçu les Diamants (premier Toujours scindée en deux, la JG 52 doit affecter plusieurs de ses
des deux pilotes de la JG 52 à en être décoré), quand il n’en était éléments à la progression de la 6. Armee vers Stalingrad. Le 13 sep-
qu’à… 172 ! Aussitôt promu Major, il est interdit de vol. Les autres as tembre, les 6. et 9. Staffeln forment ainsi un Kommando Stalingrad
qui s’installe à Pitomnik, terrain situé en périphérie Ouest
de la ville. Il y est rejoint le 22 par le I. Gruppe, ces
deux unités de la JG 52 étant placées sous les ordres
du Stab/JG 3.
Le 8 octobre, parmi les pilotes de remplacement versés
à l’escadre, se présente un blondinet à la silhouette élan-
cée et au visage poupin – qui lui vaudront le surnom de
« Bubi » (le « gosse ») –, tout juste âgé de 20 ans, qui
se nomme Erich Hartmann. Orienté vers le III. Gruppe, il
est affecté à la 7. Staffel. Il devient l’ailier du Feldwebel
Edmund Rossmann, un vétéran de… 24 ans, titulaire
de la Ritterkreuz (19 mars 1942) et de 72 victoires. En
dépit de débuts peu reluisants (il vomit son Bf 109 au
sol après avoir violé toutes les règles d’engagement dès
sa première sortie le 14 octobre, ce qui lui vaut une mise
à pied de trois jours avec les « rampants »), le jeune
Hartmann remporte sa première victoire – un Il‑2 – le
5 novembre. Commence alors la lente mais vertigineuse
ascension de celui qui deviendra le plus grand as de tous
les temps, toutes nations confondues [8].
Par ailleurs, le 27 octobre, le III. Gruppe se voit adjoindre
une nouvelle escadrille composée de volontaires slo-
vaques : la 13.(slow.)/JG 52. Celle‑ci, encore équipée de

42
JG 52

Bf 109 E‑7, est commandée par le Hauptmann Andres p En juillet 1942, le II./JG 52 au fin fond de la ville, la 6. Armee de Paulus s’est retrou-
Dumbala et s’installe à Maïkop. Sa première victoire lui reçoit ses premiers Bf 109 vée piégée par la violente contre-offensive soviétique du
G-2. Ceux-ci arborent
sera homologuée au‑dessus de Touapse le 12 décembre. un curieux mouchetis 21 novembre. Aussitôt, le II. Gruppe prend ses quar-
Elle remplace, en quelque sorte, la 15.(kroat.)/JG 52, reti- sur le capot, sans doute tiers à Morosovskaïa, d’où il envoie des détachements
pour masquer la peinture
rée des opérations le 15 novembre après avoir remporté jaune. À l’occasion de sa
à Pitomnik et Oblivskaïa. Le 10 décembre, la JG 52
160 victoires et perdu 6 pilotes tués ou disparus ; son transformation, ce groupe revendique sa 4 000e victoire, mais ses succès sont
grand as est le Leutnant Civilic Galic avec 27 victoires. abandonne sa large bande en trompe-l’œil, car les VVS prennent lentement mais
jaune sur le fuselage
Le 29 octobre, en remportant sa 64 e victoire, le arrière et repeint la barre sûrement l’ascendant sur la Luftwaffe dans la bataille de
Hauptmann Rudolf Resch (Staka 6. Staffel) signe la horizontale représentative Stalingrad, tant sur le plan quantitatif – ce n’est pas une
1 000e du II. Gruppe. Le 7 novembre, le III. Gruppe du II. Gruppe. On note les surprise – que sur le plan qualitatif, ce qui est nouveau.
casseroles segmentées.
passe la barre des 2 000 ! (EN-Archives) Ainsi, la 100e victoire de l’Oberleutnant Gerhard Barkhorn,
Le 1er novembre, de retour à la tête de sa Geschwader obtenue le 19 décembre (le 11 janvier 1943, il décrochera
mais mal remis de ses blessures, Herbert Ihlefeld est les Feuilles de chêne pour son 120e succès), apparaît-elle
remplacé par le Major Dieter Hrabak, l’un des grands anecdotique, tant les Experten sont impuissants à
meneurs d’hommes de la chasse allemande, qui a large- retourner le sort des armes en faveur de la Wehrmacht.
ment fait ses preuves au II./JG 54. Pendant ce temps, le
Geschwaderstab et le II. Gruppe sont installés à Maïkop [8] Ces dernières années, le nombre de victoires de
pour protéger à la fois les puits de pétrole de la ville Hartmann a donné lieu à des controverses enflammées.
et l’avance des armées germano-roumaines dans le S’il est à peu près certain que son palmarès, comme celui
d’autres pilotes, a été artificiellement gonflé, il n’en reste
Caucase [9], tandis que le I. Gruppe opère depuis Stary pas moins que, même si on le divise par quatre – ce qui
q Deux Bf 109 G-2
Oskol (oblast de Belgorod) sous les ordres du Luftwaffe du I./JG 52, avec, au semblerait néanmoins très exagéré –, il reste encore
Kommando Don. premier plan, celui du supérieur à celui des plus grands as alliés et même à
C’est à Stalingrad que se joue le sort de la campagne à Gruppen Adjutant du Stab, celui de Richthofen, référence absolue en Allemagne.
reconnaissable au chevron
l’Est de 1942 et la bataille est fort mal engagée pour les précédant la Balkenkreuz. [9] Voir à ce sujet Aéro-Journal n° 21 (avril 2011).
Allemands. Après s’être embourbée dans une Rattenkrieg (EN-Archives)

43
t Autre composante
de la JG 52 créée par
incorporation de volontaires
originaires d'un pays allié
de Berlin, la 13.(slow.)
Staffel dont on voit ici un
Messerschmitt Bf 109 G-6.
Les performances des
pilotes slovaques de cette
escadrille, bien qu'arrivés
plus tard sur le front de
l'Est, sont supérieures
que celles de leurs
homologues croates, avec
216 victoires contre 160.
(EN-Archives)

x Ce Messerschmitt
Bf 109 G-2/R6 - Rüstsatz
à deux canons MG 151/20
de 20 mm en gondole,
s'apprête à décoller d'un
terrain qui pourrait être
celui d'Anapa, dans la
tête de pont du Kouban.
(EN-Archives)

Le front est si étendu et les moyens alle- nous en devenions obsédés ; nous étions deve- menacé d’encerclement dans le Caucase.
mands si réduits, que c’est « Ivan », nus très agressifs sans jamais penser à nos À la mi‑janvier 1943, le II./JG 52 est envoyé
désormais, qui a l’initiative. Alfred Grislawski propres pertes. » à Rostov-sur-le‑Don pour protéger le flanc
se rappelle cette période : Au 31 décembre 1942, le Stab en est à 51 vic- droit de la 1. Panzer-Armee, tandis que le
« Pendant la bataille de Stalingrad, Hermann toires (celles de Gordon Gollob étant exclues), III. Gruppe se partage entre Armavir (sur
Graf est parti sur place avec la moitié de la le I. Gruppe à 875, le II. Gruppe à 1 206 et le Kouban) et Nikolaïev (sud de l’Ukraine).
Staffel, tandis que je suis resté sur le front du le III. Gruppe à 2 098, soit un total de 4 230, Quant au I. Gruppe, il s’échappe in extremis
Caucase avec le reste. Nous ne disposions qui fait de la JG 52 la plus prolifique de toutes de Rossoch (oblast de Voronej) au moment
que d’une vingtaine d’avions pour défendre les Jagdgeschwader de la Luftwaffe. Pour où des chars soviétiques pénètrent sur
le secteur de Groznyï, sur la mer Noire. Nos mémoire, la 13.(slow.) compte 3 succès et son terrain pour aller se poser à Urasovo
contacts avec les autres unités étaient rares, la 15.(kroat.) 160. (oblast de Belgorod). Malheureusement,
parce qu’il était trop dangereux de parquer trop à peine arrivés sur place, les hommes de
d’appareils sur un même terrain. Le JG 52 a Bennemann sont rapidement encerclés par
remporté le plus grand nombre de victoires, BATAILLES DU KOUBAN un régiment de cavalerie et pris sous le feu
parce que nous agissions comme une sorte de
“brigade de pompiers” affectée aux points les
ET DE KOURSK des mortiers ennemis ! Le 20 janvier, les
pilotes décollent avec chacun un mécano
plus chauds du front : le chaudron d’Ouman, La chute de Stalingrad entraîne un repli pré- tassé dans l’arrière du fuselage en direction
Kharkov, Touapse, Feodosia, la Crimée… en cipité des unités de la Luftwaffe vers l’ouest. de Stary Oskol ; le reste du personnel au sol
fait, partout où les Russes se présentaient en Toutefois, un nouveau danger se fait jour : regagnera les lignes allemandes après une
nombre. De ce fait, les occasions de détruire le verrou sur la Volga ayant sauté, c’est marche de 120 km dans la neige par ‑25°C.
des avions russes étaient si nombreuses que maintenant tout le Heeresgruppe A qui est Le 25 janvier, le I./JG 52 s’installe à Kharkov,

44
JG 52

u Photo couleur d'un


Bf 109 G-6 de la 1./JG 52 à
Besonovka au moment de
l’opération « Zitadelle ». Le
camouflage par tâches de
RLM 02, 74 et 75 sur fond de
RLM 76 est ici bien visible.
Durant les premiers jours
de la bataille de Koursk, les
succès des escadrilles de
chasse de la Luftwaffe sont
stupéfiants, comme aux plus
belles heures de la Blitzkrieg.
Cela ne va guère durer...
(DR)

y Tout sourire, Erich


« Bubi » Hartmann se
fait photographier le 2
octobre 1943, accoudé
sur l'empennage de son
Bf 109 G-6, alors que son
tableau de chasse s'élève à
121 victimes. Il y a encore
de la place sur sa gourverne
de direction pour peindre
encore bien des barres de
victoire, mais l'as va se faire
fort d'y remédier très vite !
(EN-Archives)

ville abandonnée le 16 février, puis reprise un mois plus tard par le du I. Gruppe par intérim, s’offre une douzaine de victimes à lui seul,
SS-Panzer-Korps ; il combattra dans ce secteur jusqu’à la mi‑mai. talonné par l’Oberleutnant Walter Krupinski de la 7. Staffel avec 11
Le 24 mars, Steinhoff, appelé à prendre le commandement de la victoires qui lui permettent d’atteindre le total de 90. Hartmann se
JG 77, est remplacé par le Hauptmann Helmut Kühle à la tête du contente d’un « modeste » quadruplé, mais il ajoute 14 succès les
I./JG 52. Pour la Geschwader, la guerre se déplace au sud, et ses trois quatre jours suivants, portant son score à 35. Le 7 juillet, la JG 52
groupes sont fortement impliqués dans les combats qui se déroulent atteint 6 000 victoires, mais le mois de juillet lui coûte pas moins de
depuis le nord de la mer d’Azov jusqu’à la péninsule de Kertch et 29 pilotes, un autre record. Mis en échec par la profondeur du dispo-
la tête du pont du Kouban. Entre la mi‑avril et la mi‑mai, les I. et sitif de l’Armée rouge et confronté simultanément au débarquement
II. Gruppen ainsi que la 13.(slow.) Staffel s’installent à Anapa, sur allié en Sicile qui l’oblige à envoyer des renforts en Italie, Hitler met
la rive de la mer Noire, tandis que le III. Gruppe est basé à Taman, un terme à « Zitadelle » le 13 juillet. Les Allemands l’ignorent, mais
à l’extrême pointe Ouest du Kouban. Durant cette campagne, la la Wehrmacht a alors définitivement perdu l’initiative à l’Est. Entre
montée en puissance des VVS engendre des pertes importantes cette date et début septembre, les I. et III./JG 52 déménagent huit
dans les rangs de l’escadre, avec 23 pilotes tués ou disparus et 14 fois, preuve d’une totale instabilité du front, et échouent à Anapa,
blessés entre avril et juin ! Et pas des moindres, puisque la JG 52 où ils rejoignent le II./JG 52 pour le premier et à Varvarovka (au nord
perd quatre Staffelkapitäne tués (Rudolf Miethig de la de Donetsk, Ukraine) pour le second.
3. Staffel, Helmut Haberda de la 5., Karl Ritzenberger [10] Un Staffelführer
Quelques changements interviennent au sein des états-ma-
de la 6., et Ernst Ehrenberg de la 9.) et même, mais est un pilote désigné à jors : le 5 juillet, Hubertus von Bonin, promu Kommodore
de manière temporaire, le Kommandeur du I. Gruppe, l’échelon du Gruppe ou de la JG 54, cède le commandement du III. Gruppe au
Helmut Bennemann, grièvement blessé dans l’explo- de la Geschwader pour Hauptmann Günther Rall, et, le 31 août, le Hauptmann
conduire une escadrille
sion d’une bombe incendiaire ; il est suppléé par le Gerhard Barkhorn prend les rênes du II. Gruppe. De son
au combat, généralement
Hauptmann Johannes Wiese. Toutefois, les Experten en l’absence de côté, le Kommodore, Dieter Hrabak, franchit la barre des
réussissent encore à reprendre le dessus, notamment Staffelkapitän, mais 100 victoires le 2 août. Le 20 août, « Bubi » Hartmann
le 26 mai, quand 43 victoires sont homologuées à sa position n’est a très chaud : en descendant sa 90e victime, un Il‑2,
pas officiellement
l’escadre (dont 5 au Leutnant Berthold Korts, la nou- reconnue par le RLM.
il est atteint par des morceaux enflammés et doit se
velle étoile montante de la 9. Staffel, qui en a pris le poser d’urgence sur le ventre… dans les lignes ennemies.
commandement le 10 mai, après la mort du Hauptmann
Ernst Ehrenberg, qui avait lui‑même succédé à Hermann
Graf) ; les Slovaques revendiquent 6 victoires, dont
2 attribuées à leur futur as, l’Unteroffizier Jan Reznak.
Quant au jeune Erich Hartmann, promu Leutnant le
31 mars et Staffelführer [10] de la 7./JG 52 début mai,
il engrange de l’expérience et enrichit peu à peu son
palmarès : le 23 mai, il revendique son 17e succès.
Toutefois, un atterrissage forcé consécutif à une col-
lision en vol avec un LaGG‑3, deux jours plus tard, le
contraint à passer un mois et demi en convalescence.
Début juillet, l’opération « Zitadelle » contre le sail-
lant de Koursk étant imminente, le I./JG 52 remonte à
Besonovka (entre Kharkov et Belgorod) et le III./JG 52
à Kharkov-Rogan. Le 5 juillet, l’offensive allemande
débute. La Luftwaffe interdit le ciel aux Chtourmovik
pour faciliter l’avance des Panzer et frappe un « grand
coup » : elle revendique 432 victoires aériennes ! C’est le
record absolu pour une seule journée de combat toutes
périodes confondues. Johannes Wiese, le commandant

45
Jan Gerthofer (27), qui ont tous trois reçu la Croix de
fer de 1re classe. Il est à noter, toutefois, que le second
contingent, arrivé au front en juin 1943, n’a pas eu la
valeur technique ni morale du premier : le Major Andres
Dumbala, qui a commandé cette unité de bout en bout,
a reçu en renfort des pilotes peu motivés, dont trois ont
même déserté.
Concernant le I./JG 52, le Major Johannes Wiese
succède définitivement à Helmut Bennemann comme
Kommandeur le 13 novembre. La fin novembre est
propice aux Experten de l’escadre. Le 28, Günther
Rall devient le second pilote de la Luftwaffe à compter
250 victoires ; le 30 novembre, Gerhard Barkhorn entre
dans le cercle des « bicentenaires » ; et le 13 décembre,
Erich Hartmann atteint les 150. Le 4 décembre, la JG 52
revendique son 8 000e succès et figure largement en tête
du palmarès des Jagdgeschwader.

Au moment où arrive un peloton de soldats soviétiques, il fait semblant FOURNAISE À L’EST


d’être inconscient. Laissé sous la garde de deux sentinelles, il réussit
à leur fausser compagnie et à regagner ses lignes ! Le 29, alors que Au 1er janvier 1944, la situation est la suivante :
Günther Rall devient le troisième as à obtenir 200 victoires (ce qui lui
vaudra la Ritterkreuz le 12 septembre), le Leutnant Berthold Korts, Stab Obstlt D. Hrabak 1 Bf 109 G-6 Nikolaïev
titulaire de 113 victoires, est porté disparu après un combat contre I./ Hpt J. Wiese 30 Bf 109 G-6 Apostolovo
des P‑39 dans le secteur de Kharkov, le jour même de la proclama- II./ Hpt G. Barkhorn 42 Bf 109 G-6 Bagerovo
tion officielle de sa Croix de chevalier. Erich Hartmann prend sa place III./ Hpt G. Rall 27 Bf 109 G-6 Novo-Zaporojié
comme Staka de la « Karaya Staffel ».
La contre-offensive soviétique consécutive à la bataille de Koursk L’année débute fort mal pour le groupe de Günther Rall. Le 9 janvier à
entraîne le repli des troupes allemandes derrière le Dniepr, obligeant l’aube, il est attaqué sur son terrain de Malaya-Viska par une colonne
les Allemands à évacuer la tête de pont du Kouban le 15 septembre, de T-34 qui défoncent au moins huit avions (7 Bf 109 G et 1 Klemm
le I./JG 52 escortant les Ju 52 Mausi qui nettoient le détroit de Kertch Kl 35), détruisent une partie des installations et font plusieurs morts
« pollué » par les mines marines soviétiques. Tandis que le III. Gruppe dans les rangs du personnel technique, avant d’être repoussés par
est appelé à Kirovograd (Ukraine), où Hartmann reçoit la Ritterkreuz l’intervention opportune de Fw 190 d’assaut. L’alerte a été chaude,
pour sa 148e victoire le 29 octobre, les deux autres groupes et le Stab et le reste du Gruppe est immédiatement replié sur Novokrasnoe.
s’installent en Crimée, totalement isolée par l’Armée rouge. Or, celle-ci Le dégel, embourbant les avions – d’un côté comme de l’autre –,
accentue sa pression sur le Dniepr, ce qui contraindra le I./JG 52 à paralyse les activités aériennes pendant une bonne partie des deux
rejoindre à son tour Kirovograd fin novembre. L’hiver qui arrive figera premiers mois de l’année. Cela n’empêche toutefois pas Gerhard
néanmoins les positions pendant quelque temps. Barkhorn d’atteindre les 250 victoires le 13 février, et Erich Hartmann
Fin octobre, la 13.(slow.)/JG 52 disparaît des états de la Luftwaffe. de faire passer son palmarès de 192 à… 202 le 26 ; ils sont immé-
Ses Bf 109 G‑4 sont restitués à la JG 52, et le personnel rentre au diatement récompensés, le premier par les Glaives et le second par
pays. En quelque 2 000 sorties, les pilotes slovaques ont été crédités les Feuilles de chêne (en même temps que celles‑ci sont décernées
de 216 victoires pour la perte de 7 pilotes, leur grand as étant Jan aux Hauptmann Johannes Wiese et Oberleutnant Walter Krupinski).
Reznak, avec 32 succès homologués devant Izidor Kovarik (28), et Le 4 mars, les Soviétiques font leur première tentative de percée
z 13 février 1944. Le
Gruppenkommandeur du II./
JG 52, Gerhard Barkhorn,
rentre à bord de son G-6
après avoir obtenu sa
250e victoire - un Yakovlev
Yak‑9 -, succès commémoré
par l'incontournable pancarte
de félicitations dont raffole
la Propaganda-Kompanie
pour ses actualités et
ce toast bien mérité
avec ses camarades.
(EN-Archives)

t Gros plan sur le Bf 109


G-6 WNr. 15999 du
I. Gruppe, manivelle de
démarrage du Daimler-Benz
DB 605 A à sa place.
(EN-Archives)

46
JG 52

premières missions de la matinée, qui lui ont quand


même permis de peindre sa 273e barre sur le gouvernail
de son 109, effectue la sortie de trop pour escorter les
Ju 87 de Rudel, puisqu’il est abattu par un Airacobra.
Barkhorn réussit tout de même un atterrissage sur le
ventre dans ses lignes ; il s’en sort avec une lésion
articulaire au genou et un déboîtement de la rotule.
Dans l’hôpital de campagne où il a échoué, l’opération
est impossible avec les moyens disponibles : il doit être
amputé. Il restera hospitalisé en Allemagne jusqu’au
mois d’octobre. Helmut Lipfert assurera l’intérim.
Au mois de juin arrive l’ordre de libérer une Staffel par
Gruppe pour affectation comme quatrième escadrille
aux groupes de la défense du Reich. La 2./JG 52, trans-
formée sur Fw 190, devient la 12./JG 11, et les 4. et
7./JG 52, conservant leurs Bf 109, sont rebaptisées
8. et 12./JG 3.
Le 22 juin 1944, les Soviétiques déclenchent leur plus
violente offensive de la guerre (opération « Bagration »),
qui leur permet de déferler sur près de 700 km en moins
de deux mois, en laminant au passage le Heeresgruppe
Mitte. Fin juillet, les trois Gruppen de la JG 52 sont
rassemblés en Pologne. Pour autant, les Experten n’en
vers les Carpates, ce qui contraint les I. et III. Gruppen z Les mois passent et le continuent pas moins à se battre : le 4 juillet, Hartmann
à jouer les essuie-glaces sur toute l’étendue du front matraquage du Reich par reçoit les Glaives décernés quelques jours plus tôt pour
la 8th Air Force continue
Sud, passant rarement plus de quatre jours sur un même de plus belle, la JG 52 sa 239e victoire, alors qu’il en est déjà, à cette date,
aérodrome. Le 13, le Leutnant Hans Dammers, l’un des étant contrainte de céder à 269 ! Le 20 juillet, le Hauptmann Wilhelm Batz est
la 7. Staffel, à laquelle
nombreux titulaires de la Ritterkreuz de la 9. Staffel, appartient le Bf 109 G-10
décoré des Feuilles de chêne pour son 175e succès ;
percuté volontairement par un chasseur qui vient de « 2 blanc », pour casser il atteint les 200 le 17 août. Une semaine plus tard, le
constituer sa 113e victime, saute, mais son parachute du Viermot. L'unité devient Leutnant Hans-Joachim Birkner, ailier successif de Rall
alors la 12./JG 3.
est arraché par l’empennage de son propre avion, ce qui (EN-Archives) et Hartmann, reçoit à son tour la Ritterkreuz pour ses
accélère sa chute ; grièvement blessé, il décède quatre 98 victoires, total qu’il a atteint en moins de dix mois.
jours plus tard. En revanche, le III./JG 52 consolide Le 15 août, les Gruppen de la JG 52 passent brusque-
son avance grâce à sa 3 500e victoire homologuée ment de deux à… quatre Staffeln, changement qui
le 21 mars. s’opère dans une certaine confusion et sans grands
Pendant ce temps, Barkhorn et ses pilotes tentent moyens supplémentaires. Le 20 août, les Soviétiques
l’impossible pour redresser une situation par trop com- pénètrent en Roumanie et mettent en place un gou-
promise en Crimée, et ce n’est pas l’arrivée en renfort du vernement à leur solde qui retourne ses armées contre
III. Gruppe, le 10 avril, qui changera la donne. Les deux son ancien allié. Le lendemain, Lipfert doit organiser le
groupes multiplient les sorties depuis l’aérodrome de repli de son unité, menacée d’encerclement à Bacau ;
Sébastopol-Kherson, mais, le 8 mai, l’évacuation de il parvient à mettre ses 19 Bf 109 à l’abri à Reghin
la péninsule commence. Le II. Gruppe perd 21 Bf 109 (au nord de Târgu-Mures). Des Mustang, mitraillant le
dans l’histoire, pour la plupart victimes des nombreux terrain le 31 août, n’en laisseront que 7 d’intacts. À
raids aériens soviétiques, dont celui du 7 mai qui ne lui cette date, avec la mort de Oberleutnant Otto Fönnekold
laisse qu’un seul avion en état de vol : l’Oberleutnant (5. Staffel), abattu par des P-51 en maraude, le II./JG 52
Helmut Lipfert, Staka 6./JG 52, tente de décoller avec, q Le Bf 109 G « 9 noir »,
ne comptera plus que deux officiers !
mais il est descendu par la DCA ; il quittera la Crimée de la 8. Staffel, fait l'objet Au milieu de cet amoncellement de nuages noirs, les
tassé dans l’arrière du fuselage d’un autre Bf 109 ! des derniers préparatifs pilotes de la JG 52 trouvent le moyen d’apercevoir
des « hommes en noir »
Pendant ce temps, le III./JG 52 a changé de avant le décollage. un petit coin de ciel bleu réconfortant : le 24 août,
Kommandeur : muté à la défense du Reich, Günther Rall (EN-Archives) Hartmann décolle pour la deuxième fois de la journée.
cède officiellement son poste au Hauptmann
Wilhelm Batz, le 18 avril ; toutefois, celui‑ci,
blessé quelques jours plus tôt, n’est pas en
état de l’occuper, et l’intérim est tenu par
Erich Hartmann – dont la tête à été mise à
pris 10 000 roubles par les Soviétiques –
jusqu’au 28 mai.
Le 11 mai, la JG 52 est entièrement réunie
en Roumanie, bien qu’éclatée sur différentes
bases : Stab et I. à Mamaia, II. à Zilistea et
III. à Zarnesti. Là, les hommes de Hrabak
font connaissance avec un nouvel adver-
saire : les quadrimoteurs de la 15th Air
Force et leurs non moins redoutables P‑51
Mustang d’escorte. C’est en effet la pre-
mière fois que la JG 52 se confronte aux
Américains, et des B-24 en feront les frais…
L’escadre se bat alors sur deux fronts, car
son principal et plus récurrent ennemi reste
l’aviation de l’Armée rouge. Le 31 mai,
Gerhard Barkhorn, exténué par ses neuf

47
La première fois, il est revenu avec 6 victoires : il en
compte maintenant 296. Plus que quatre ! Au sol, on
attend impatiemment le retour de « Bubi », comme
le raconte son fidèle mécano, l’Unteroffizier Heinz
« Bimmel » Mertens :
« Le cuisinier s’activait avec ardeur. Comme tout bon
cuisinier militaire, il préparait un gros gâteau au chocolat
sur lequel il allait écrire à la crème “Félicitations pour
la 300e”. Un autre se promenait dans le potager pour
cueillir ça et là ce dont il avait besoin pour confectionner
une couronne pour l’Oberleutnant, feuilles de mélèze,
marguerites… ; il était pressé, le chef venait de décoller
une seconde fois. Il ne lui manquait que quatre victoires.
Les mécaniciens attendaient aussi en transpirant. Le
grand bouclier n’était pas encore prêt. Six hommes
s’étaient échinés à y écrire un texte, jusqu’à ce qu’ils
acceptent de laisser faire le peintre, qui savait mieux
que quiconque placer les mots sans déborder du cadre.
Pendant ce temps, un personnel enthousiaste s’était
déjà massé pour fêter l’événement. À bout de souffle,
l’homme à la couronne avait trébuché au milieu du
champ de patates. Celle‑ci ne serait pas tout à fait ronde,
un détail que l’Oberleutnant serait le dernier à remarquer.
Un chariot est arrivé avec une caisse de bouteilles dont p L’Oberstleutnant Dieter à Jürgenfelde. Mais avec sa trentaine de Bf 109,
le goulot dépassait d’un coussin de fleurs de toutes Hrabak vient féliciter il éprouve de grosses difficultés face aux VVS et revient
le Hauptmann Adolf
les couleurs. Une vingtaine d’appareils photo et une Borchers, Kommandeur un mois plus tard en Pologne. Avant la fin de l’année,
caméra étaient prêts à immortaliser cet événement sans du I./JG 52, qui, en trois Ritterkreuzträger disparaissent au combat (Hans-
abattant sa 118e victime,
précédent dans l’histoire de l’aviation. Tout était prêt, a remporté la 10 000e
Joachim Birkner, 117 victoires, tué ; Heinrich Sturm,
l’Oberleutnant Hartmann n’avait plus qu’à arriver… » victoire de la Geschwader, 158 victoires, tué ; Friedrich Obleser, 120 victoires,
Et il arrive ! Or, il ne fait pas quatre, mais cinq passages le 2 septembre 1944. gravement blessé), un luxe que la JG 52 ni même la
(Coll. H. Obert)
à basse altitude au‑dessus de la piste. Non seulement Luftwaffe ne peuvent guère se permettre par les temps
Hartmann a remporté sa 300e victoire, mais il en a ajouté qui courent.
une de mieux (un Pe-2) ! Le lendemain, il est convoqué { Ce Bf 109 G-10 a été
à la « Tanière du loup » pour y recevoir les Diamants mis à l’abri de l'Armée

LA FIN
rouge par l’un des pilotes
des mains du Führer. Signe des temps, l’as n’est pas du II./JG 52 qui se sont
interdit de vol, comme tous ses prédécesseurs ayant réfugiés à Neubiberg en
zone américaine, le 8 mai
joué un rôle de pionnier en matière de palmarès, mais 1945. En pure perte, car, Le 5 janvier 1945, Gerhard Barkhorn, qui a réintégré
seulement renvoyé dans ses foyers pour deux mois. en vertu des accords entre l’unité avec une prothèse trois mois plus tôt, est le
Le 2 septembre, le Hauptmann Adolf Borchers, qui les Alliés, la plupart d’entre deuxième et dernier pilote allemand à atteindre les
eux seront remis aux
commande le I. Gruppe depuis le 11 juin, remporte la Soviétiques. On note les 300 victoires. La cérémonie sera à l’image du pilote :
10 000e victoire de la JG 52 (sa 118e personnelle) ! Ces 7 victoires sur la dérive. très modeste. Pourtant, l’as ne recevra jamais les
(Coll. J. V. Crow)
succès de prestige ne parviennent plus à cacher la tour- Diamants… Dix jours plus tard, Barkhorn est muté
nure catastrophique des événements de cet été 1944, u Une fierté légitime dans comme Kommodore de la JG 6, ce qui entraîne
l’escadre livrant désormais des combats d’arrière-garde laquelle pointe une gêne les changements suivants au sein de l’escadre : le
aisément perceptible pour
depuis la Pologne (I. et III.) et la Hongrie (II.), coincée cet as d’une modestie louée Hauptmann Wilhelm Batz prend le II./JG 52, abandon-
entre les VVS à l’est et l’USAAF à l’ouest et au sud. par tous ses camarades : nant le III./JG 2 à Adolf Borchers, dont le poste de
Le 1er octobre, Dieter Hrabak rejoint la JG 54 et passe et pourtant, ce cliché, pris Kommandeur du I./JG 52 est confié à Erich Hartmann.
le 17 avril 1945, montre
la main à l’Oberstleutnant Hermann Graf, de retour Hartmann – qui n’a pas À cette époque, la fin est proche car l’Armée rouge
d’une convalescence de six mois. C’est aussi le jour encore 23 ans ! – au pied de enclenche l’offensive finale. Or, Graf n’a plus que 75
son Messerschmitt recevant
où Hartmann quitte la « Karaya Staffel » pour prendre les félicitations pour sa 350e
chasseurs à sa disposition, et la pénurie de carburant les
le commandement de la 4. Staffel. victoire (un Yak-9). L’as des cloue souvent au sol, alors même que les effectifs des
En ce début de mois d’octobre, l’Armée rouge pénètre as n’a jamais été abattu et a « hommes en noir » (mécanos) diminuent à mesure des
été envoyé au sol à chaque
en Prusse-Orientale, premier territoire du Reich envahi fois uniquement du fait des besoins en fantassins de la Heer ! Sans parler de l’arrivée
par les Soviétiques, si bien que le III./JG 52 est envoyé débris de ses victimes. (DR) des nouveaux pilotes à peine formés, véritables chair

Messerschmitt Bf 109 G-6


Hauptmann Erich Hartmann
Stab I./JG 52
Veszprem, Hongrie, février 1945

48
JG 52

à canon pour les Lavochkine et les Yakovlev. Dans ces conditions, l’abri en Autriche, le 1er avril. Vingt jours plus tard, son Kommandeur,
le rendement et l’efficacité des escadrilles de la JG 52 décroissent Wilhelm Batz, ajoute les Glaives à sa Ritterkreuz. Et pour cause :
d’une manière très sensible, d’autant que ses Staffeln sont étirées il en est à 237 victoires. Les autres groupes trouvent refuge en
sur toute l’étendue du front. Tandis que le II. Gruppe est toujours Tchécoslovaquie. Dans le ciel de ce qui est encore pour quelques
en Hongrie (Vezprem), les deux autres et le Stab se trouvent dans jours un protectorat nazi, Hartmann poursuit sa moisson. Le 17 avril,
la région de Breslau, l’un des objectifs principaux des Soviétiques. il atteint les 350 victoires.
Le II. Gruppe quitte la Hongrie, devenue intenable, pour se mettre à Le 8 mai, les I. et III./JG 52 s’installent à Nemecky Brod (Deutsch-
Brod), à 60 km au sud‑est de Prague, et le II. à Zeltweg (Autriche),
d’où plusieurs pilotes gagneront Neubiberg, en zone occidentale, dans
les premières heures de la journée, afin d’échapper à l’Armée rouge.
En cours de matinée, lors d’une ultime reconnaissance dans la région
de Brno, Erich Hartmann s’offre sa 352e et dernière victime, un Yak‑9.
L’as des as revient se poser à Deutsch-Brod, où Graf, choisissant de
rester avec ses hommes, a refusé d’obéir aux ordres du General der
Flieger Hans Seidemann, commandant le Luftwaffenkommando VIII,
l’enjoignant de s’enfuir avec Hartmann à Dortmund pour se mettre
à l’abri de la vindicte des Soviétiques. C’est ainsi que les Stab, I. et
III./JG 52 détruisent tous leurs avions à Deutsch-Brod et forment
une colonne de près de 2 000 soldats et civils qui prend la route en
direction des lignes américaines. Ce Sturmregiment Graf franchit
la frontière à Pisek dans la soirée et se rend à la 90th US Infantry
Division. Cependant, le 24 mai, en vertu d’un accord tacite entre
Moscou et Washington, les Américains livrent tous les captifs de la
JG 52 en leur possession à Staline.
Jugé pour « crimes de guerre » et « sabotage de l’industrie aéronau-
tique soviétique », Hartmann sera condamné à 25 ans de travaux
forcés ; envoyé dans un camp en Oural, il écopera de 25 ans de
plus comme meneur de grève. En octobre 1955, il sera finalement
remis en liberté et rejoindra l’année suivante la Bundesluftwaffe nais-
sante. Quant à Hermann Graf, son séjour en captivité donnera lieu
à de vives controverses, ses anciens camarades l’accusant d’avoir
collaboré avec les Soviétiques. Rejeté de l’association des anciens
aviateurs allemands à son retour en 1950, il s’installera dans son
Bade-Württenberg d’origine comme représentant d’une maison de
matériel électrique.
Ayant revendiqué à elle seule près d’un quart des avions que les VVS
ont admis avoir perdu durant la Grande guerre patriotique, la JG 52
a été cité quatre fois au Wehrmachtbericht, a produit deux des plus
grands as de l’aviation, titulaires chacun de plus de 300 victoires
(Hartmann et Barkhorn), en compte trois autres ayant franchi la
barre des 200 (Rall, Batz et Graf), et a donné à la Luftwaffe deux
récipiendaires des Diamants de la Ritterkreuz, un palmarès unique
dans toute l’histoire de l’aviation. 

49
INNOVATIONS

1945
1975

NUL N'EST
PROPHÈTE...

 Remise de gaz pour un Sea Venom de la


Royal Australian Navy Fleet Air Arm. Compte
tenu de la poussée du réacteur 23,6 kn et

... EN SON PAYS


de son inertie, ce genre de figure pouvait se
révéler scabreuse selon la configuration de
l’avion. L’Aquilon fut la version de l’appareil
mise en œuvre par la Marine Nationale,
première approche de la chasse « tout-
temps » avant l’arrivée des « Crouze ».

La Royal Navy, innovatrice hors-pair


Profils couleurs : Jean-Marie Guillou par Pascal Colombier

Q
uand on a peu de moyens il convient d’avoir des idées et le sens de l’anticipation.
C’est ainsi que quelques ingénieurs britanniques et officiers de la Royal Navy vont,
après-guerre et dans court laps de temps, imaginer puis prouver l’efficacité de trois
développements essentiels qui aujourd’hui encore font du porte-avions un outil de
projection de puissance incomparable. Mais comme souvent les précurseurs de ces outils nouveaux
n’en seront pas les premiers utilisateurs.

D
urant l’hiver 1944-45, un comité composé d’officiers Farnborough pour tenter d’apporter les réponses techniques à ces
supérieurs de la Royal Navy, commence à réfléchir à nouveaux défis. En avril 1945, la Catapult Section du RAE devient le
l’utilisation des premiers avions à réaction sur porte- Naval Aircraft Department sous la direction d’un ingénieur civil, Lewis
avions et aux éventuelles modifications à apporter aux Boddington. Son équipe composée d’ingénieurs civils et militaires ainsi
bâtiments. Plusieurs problèmes apparaissent. que de pilotes est chargée de s’attaquer à ces problèmes.
• Ces appareils se posent à des vitesses supérieures à ce Dès la fin de l’été 1945, les installations nécessaires à la mise en
qui est connu à l’époque : compte-tenu de la faible poussée et du temps œuvre des avions à réaction dans de bonnes conditions de sécurité
de réponse très long des premiers turbo-réacteurs, l’appontage devra et qui caractérisent encore aujourd’hui les porte-avions modernes sont
se faire avec beaucoup de gaz sans guère de réserve de puissance. identifiées. Il faudra attendre 10 ans pour les voir mises en place
• Pour les mêmes raisons les avions à réaction, plus lourds, nécessitent ensemble sur l’USS Forrestal.
des catapultes plus puissantes que les installations hydrauliques alors
en service.
• Leur consommation de carburant est beaucoup plus élevée que les INNOVER OU ADAPTER ?
appareils à hélice. Il faut trouver tous les moyens indirects d’accroître
leur autonomie. Au sein de l’US Navy le Vice Admiral Marc A. Mitscher, patron de
Tout est à redéfinir, les vitesses d’approche, les angles de descente, la Fast Carriers Force de la Pacific Fleet, recommande au début de
les procédures et circuits d’appontage... Le comité se tourne vers l’année 1945 la création d’un organe de réflexion sur l’évolution des
les équipes civiles et militaires du Royal Aircraft Establishment de porte-avions à la lumière des enseignements de la guerre du Pacifique.

50
...
Nul n'est prophète
... en son pays

Le Deputy Chief of Naval Operations (Air) le Captain


Rassieur est chargé d’étudier l’impact de l’utilisation
des nouveaux avions à réaction sur les porte-avions
des classes Essex et Midway. Rassieur part du principe
que le porte-avions et son groupe aérien constituent
un seul et même système d’arme dont le but principal
est de générer un maximum de sorties aériennes. Pour
ce faire, il faut plus de catapultes par porte-avions
et celles-ci doivent pouvoir être utilisées simultané-
ment. Il apparaît alors qu’il faut déplacer les ascenseurs
pour libérer des espaces pour les catapultes et les
manœuvres sur le pont d’envol.
En juin 1945, Rassieur soumet son projet au « comité
Mitscher ». Un mois plus tard, ce comité recom-
mande un nouveau design pour les ponts d’envol et
en parallèle le Bureau of Aeronautic (BuAer) étudie
alors la mise en œuvre d’appareils turbo-propulsés sur
porte-avions (notamment des bombardiers lourds).
En février 1946, le Vice-Chief of Naval Operations, le
Vice Admiral Dewitt C. Ramsay, demande au Buships
(chargé du design des bâtiments de la marine) d’étudier
un nouveau concept de porte-avions tenant compte de
ces observations. Le Bureau avait anticipé la demande
et rend un projet en avril 1946 sous la dénomina-  Vue d’artiste du avions et prendre ainsi un virage qu’elle avait raté 20
CVA-58 United States en
tion « C2 » (une extrapolation du Midway destinée 1948. Outre des chasseurs
ans plus tôt – quand, rattachée à la RAF, la Fleet Air
à emporter des bombardiers lourds). Mais le Buships à réaction le bâtiment est Arm n’avait pu faire développer des avions embarqués
a également dans ses cartons un autre bâtiment : le conçu pour mettre en œuvre performants. L’US Navy de son côté lutte pour la survie
entre 16 et 24 bombardiers
CVB-X destiné à succéder aux Essex. Néanmoins, le bimoteurs porteurs d’une de sa flotte de porte-avions d’escadre et cherche avant
CVB-X (Carrier Vessel Attack-58 United States) est bombe nucléaire de 4,5 tout à adapter l’outil existant à la nouvelle mission
annulé en mars 1949 par le Secrétaire à la Défense tonnes. La configuration phare des armées américaines, la mise en œuvre de
des quatre catapultes
Louis A. Johnson sur fond de lutte d’influence entre correspond à une nécessité l’arme nucléaire, grâce à des appareils à long rayon
l’Air Force (qui pousse en avant le bombardier stra- apparue avec les midway : d’action de 30 tonnes de masse au catapultage.
mettre en œuvre le plus
tégique B-36) et la Navy. Le CVA-58 devait pouvoir vite possible un maximum
accueillir des bombardiers bimoteurs et disposait d’as- d’avions à masse accrue.
censeurs latéraux. Sauf mention contraire, toutes
photos US Nara / LOC / US Navy ROYAL NAVY ET US NAVY,
Dès le début, les orientations prises par les deux
marines sont différentes. Les Britanniques veulent  Le HMS Warrior de la
DES VOIES DIFFÉRENTES...
innover et repenser la conception des bâtiments pour classe Colossus et sister-ship Les Britanniques entament leur réflexion en travaillant
de l’Arromanches sert aux
y adapter les avions à réactions. L’US Navy de son premiers essais du flexdeck. sur un concept qui aujourd’hui ferait sourire. Pour solu-
côté se focalise sur la mise en œuvre des bombardiers Il est trop petit et pas assez tionner l’appontage des «veaux» qu’étaient les premiers
rapide pour une utilisation
nucléaires, nouvelle variable de la stratégie militaire opérationnelle des avions à
appareils à réaction, les Britanniques imaginent de les
américaine. Il en va, pensent ses chefs, de sa péren- réaction. Il faudra attendre la faire apponter sur un coussin d’air. Dans le même temps
nité face à la nouvelle USAF. Les buts poursuivis mise en service des bâtiments les ingénieurs du RAE commencent à imaginer un sys-
d’une taille suffisante; classe
par les amiraux américains divergent radicalement de Audacious (HMS Ark Royal et tème optique pour guider le pilote lors de cette phase.
ceux de leurs collègues britanniques. La Royal Navy Eagle) ou modernisés (HMS À partir du 7 juin 1945, le NAD mène les premiers essais
entend maîtriser les défis techniques préfigurant le Victorious) pour opérer les de faisabilité concernant l’appontage de ces nouveaux
Phantom ou les Buccaneer.
futur pour pouvoir mettre en œuvre de nouveaux (Royal Navy/MOD) appareils en utilisant le flexible deck ou pneumatic deck.

51
De plus, fin juin, Boddington et ses collègues ont d’ores
et déjà imaginé deux solutions aux problèmes identifiés
l’hiver précédent : une nouvelle forme de piste d’appon-
tage permettant de freiner rapidement les appareils et
un système optique permettant un guidage plus précis
lors des approches.
Les avions n’utilisent pas un train d’atterrissage clas-
sique mais des chariots largables (cette idée sera mise
en œuvre plus tard sur le prototype français Baroudeur).
Catapultés sur un tel chariot, ils appontent et se posent
sur le ventre sur un matelas composé de boudins cylin-
driques (des tronçons de lances à incendie) gonflés
disposés transversalement sur le pont d’envol. Par des-
sus on dispose un revêtement souple sur lequel glisse
l’avion après avoir engagé un brin d’arrêt. Une piste
en béton de 60 mètres de long recouverte de modules
gonflables est ainsi réalisée sur le site de Farnborough.
Le Rear Admiral Matthew S. Slattery, chef du Naval
Reaserch Department estime, dès avril, que le flexdeck
représente une bonne solution pour dégrossir la question
de l’appontage des jets sur porte-avions [1]. De surcroît,
les premiers essais en grandeur réelle confirment que
les appareils à turbo-réacteur ont besoin de beaucoup
plus de vitesse ou de vent relatif que les appareils  Moment historique le telle méthode ? Brown se déclarera étonné que les
3 décembre 1945, Eric «
alors en service pour décoller et apponter ; enfin, dans Winckle » Brown apponte le
Américains ne suivent pas les Britanniques dans cette
certaines configurations, ils ne peuvent plus utiliser les De Haviland Sea Vampire voie alors que des spécialistes du BuAer ont observé
installations existantes sur les porte-avions britanniques. Mk.10 LZ551/G sur le porte- de près les travaux entrepris à Farnborough. Ce qu’il
avions HMS Ocean. La
Les tests menés à Farnborough à partir de mars 1947 très faible garde au sol des ignore, c’est que le patron du BuAer, le Rear Admiral
avec des planeurs Hostpur réformés montrent que les volets semble difficilement Alfred M. Pride (un ancien de la « bande à Moffett » [2]
boudins bougent beaucoup lors des prises de contact de compatible avec les qui en 1921 à Hampton Roads participa en qualité
contraintes de l’appontage.
l’avion et que l’usure du revêtement, le rubber deck, est (Bonhams/BNPS) d’ingénieur aux travaux de mise au point des brins
très rapide. Néanmoins, ces préliminaires aboutissent au d’arrêt et des premières catapultes) est farouchement
premier essai grandeur nature le 29 décembre 1947. Le [1] En 1926, ce opposé à ce concept, jugé exotique et peu opérationnel.
pilote est Eric Brown, une légende de la Fleet Air Arm, dernier était un des Finalement, des deux côtés de l’Atlantique [3] on écarte
promoteurs des porte-
qui est le premier pilote au monde à apponter un jet (du avions d’escorte.
cette solution qui, outre des questions de fiabilité, pose
modèle Vampire) sur le porte-avion HMS Ocean le 3 d’insurmontables problèmes de manutention des avions
décembre 1945. Mais le 29 décembre 1947, il manque [2] Le Rear Admiral privés de trains d’atterrissage.
de se tuer sur la piste expérimentale de Farnborough. William A. Moffett fut le Alors que la Royal Navy travaille sur des moyens per-
premier chef du BuAer
Le pilote n’est pas échaudé par cet échec : en 1948, en 1921 qu’il contribuera mettant de faire opérer des jets depuis un porte-avions,
Brown enchaîne alors une quarantaine d’appontages. à créer. Il sera à la tête l’US Navy se focalise sur l’emport de l’arme nucléaire
Le 3 novembre de la même année, il apponte un Sea d’une petite équipe stratégique par l’aviation embarquée. C’est ainsi que
d’officiers visionnaires
Vampire sur le flexdeck du porte-avions HMS Warrior. nait le North American AJ-1 Savage. Les Américains
ou enthousiastes à
Dans ses comptes-rendus, Brown souligne que le pro- l’origine de la naissance ont une stratégie en trois temps :
cédé lui parait mature et peut constituer un bon moyen et du développement de • Concevoir un bombardier embarqué capable de
palliatif en cas de non résolution des problèmes sur les l’aéronavale américaine. concurrencer les B-29 dans l’emploi de l’arme nucléaire:
trains d’atterrissage classiques. [3] 23 essais sont
le Savage et ensuite lui donner un successeur propulsé
Cet épisode du flexdeck peut paraître étrange mais à réalisés à Patuxent par réacteurs (le futur Skywarrior).
l’époque, compte-tenu des performances des avions River sur un revêtement • Modifier les trois Midway pour l’accueil des bombar-
à réaction, apponter sur un porte-avions avec un tel conçu par Firestone diers bimoteurs.
Tire and Rubber co.
appareil relève de l’exploit. De plus, les pilotes n’ont • Imaginer un nouveau porte-avions encore plus grand
pas tous le même niveau d’expertise que Brown. Dès [4] Appontage loupé où capable de mettre en œuvre le Skywarrior.
lors, on recherche le moyen le plus « sûr » pour cette l’appareil ne parvient Dans sa lutte pour le maintien de son aéronavale dans
problématique, à savoir qu’un autre problème se pro- pas à accrocher un l’immédiat après-guerre, l’enjeu pour l’US Navy est consi-
dispositif d’arrêt.
file… quelle est l’efficacité opérationnelle réelle d’une dérable. Elle doit prouver qu’elle peut égaler l’USAF et

De Havilland DH-100 Sea Vampire


Lieutenant Commander Eric Brown
HMS Warrior
1948

52
...
Nul n'est prophète
... en son pays

 Un F2H Banshee sur l’ascenseur arrière de l’USS


Essex en 1951. Les Essex sont les derniers porte-
avions américains à pont d’envol à revêtement en
bois. Les plateformes élévatrices axiales deviennent
trop petites pour mettre en œuvre des avions de
plus en plus grands. Les refontes des Essex et des
Midway porteront notamment sur le déplacement en
encorbellement de certains de leurs ascenseurs.

dès le début des années 1950, les premiers tests de mise en œuvre - notamment en cas de non prise de brins - est de le faire se poser sur
des P2V-3C Neptune débutent sur les Midway. une piste disposant d’une angulation de quelques degrés sur bâbord.
En cas de « bolter [4] » l’avion, plein gaz, peut décoller et entamer
un nouveau circuit sans venir heurter ceux garés sur l’avant. En effet
... POUR MIEUX SE RETROUVER compte-tenu de la masse et de la vitesse des appareils en question
les systèmes de barrières d’arrêts utilisés alors sont insuffisants pour
Les impasses auxquelles mène le flexdeck obligent les Britanniques à garantir leur arrêt en cas d’urgence.
changer leur fusil d’épaule. Ils le font très rapidement et avec beaucoup Dans le même temps aux États-Unis, le Rear Admiral Pride demande
d’opportunisme. Le 7 août 1951 se tient une conférence à l’initiative au Naval Air Test Center de Patuxent River d’étudier le meilleur moyen
du Captain Campbell : les Britanniques remettent à plat les travaux de faire opérer un jet sur porte-avions. Les Américains reprennent l’idée
menés depuis 1947 en vue de trouver une solution efficace pour faire de la piste oblique envisagée de manière confidentielle vingt ans plus
apponter les jets, et Boddington participe à cette conférence. Les pre- tôt pour le projet mort-né de croiseur porte-avions cher à Moffett.
mières réflexions aboutissent à l’idée que le meilleur moyen de faire Cependant, un mois après la conférence du 7 août 1951,
apponter un appareil à réaction en garantissant une sécurité maximale Campbell évoque la piste oblique devant une délégation américaine.

 Le North American AJ-1


Savage (prototype vu à
« Pax » River en octobre
1949) représente une
tentative de l’US Navy pour
contrebalancer l’ascendant
pris par l’USAF dans le
domaine du bombardement
nucléaire. Il dispose
d’un rayon d’action de
750 nautiques avec 5,4
tonnes de charge militaire
et doit pouvoir opérer à
partir des porte-avions
de nouvelle génération.

53
À l’époque les contacts entre les deux services sont
très suivis et en novembre 1948 les Américains ont
communiqué aux Britanniques la liasse de plans com-
plète du Midway et le plan de pont (à piste axiale mais
avec des ascenseurs latéraux) de l’United States. Un
mois plus tard les Américains annoncent le projet de
modification du pont du Midway en vue des premiers
essais. Ils optent d’emblée pour un angle de 8° contre
4° chez les Britanniques. Outre le fait que cet angle
supérieur nécessite des travaux de structure plus impor-
tants, il permet d’augmenter dans de fortes proportions
la surface de parking sur le pont d’envol. Or bien plus
que les Britanniques, les Américains pratiquent le deck
parking sur leurs porte-avions et ce depuis les années
20. Une piste oblique est dessinée sur le Midway au
printemps 1952 pour les premiers essais. En janvier
1953 des tests à la mer sont menés à Gantanamo par le
Carrier Air Group 8 embarqué sur l’Antietam, le premier
porte-avions modifié pour recevoir une piste oblique
grâce à l’adjonction d’un petit sponçon sur bâbord. Pour
le Lieutenant Commander Harold Buell (commandant
de la VF-84) les tests sont particulièrement concluants.
Les essais de la piste oblique sont concomitants avec
l’apparition de la seconde innovation majeure de cette
époque, la catapulte à vapeur.
Avec la mise en service programmée du Savage le p Des F9F-6 Cougar de la VF-103 survolent l’USS Coral Sea (3ème porte-avions
BuAer estime qu’il devient nécessaire de dépasser les de la classe Midway) en 1954. Le Cougar fut utilisé pour les essais du flexdeck à
Patuxent River. Les Flying Cougars voleront sur Crusader en 1957 et reprendront
limites des catapultes hydrauliques alors en service. En leur nom d’origine The Sluggers, depuis 1995 le «Fighting 103» a repris les
janvier 1949 le Rear Admiral Pride arrive à la conclusion traditions d’une des plus célèbres flottilles de l’US Navy, les Jolly Rogers.
que le système de remplacement pourrait être celui q Un Douglas F4D-1 Skyray en dotation au Naval Air Test Center de Patuxent River en avril 1956
utilisant les gaz en expansion résultant de la détonation sur l’USS Forrestal. L’avion est sur le point d’être mis en service et le porte-avions vient à peine de
l’être. La Navy vit alors la révolution du supersonique et bientôt arriveront les missiles. Les nouvelles
d’une charge explosive. Ce système rencontre des pro- configurations des porte-avions facilitent la mise en œuvre de ces avions encore sous-motorisés.
blèmes techniques mis en lumière lors d’une campagne
d’essais s’étant déroulée à l’été 1949. La gestion de
l’expansion des gaz le long d’un cylindre de plusieurs
dizaines de mètres ne va pas sans poser des problèmes
de progressivité de la poussée. Cette dernière, très
violente et justement peu progressive, génère de fortes
contraintes sur les cellules des appareils catapultés,
sans parler de la sécurité liée à la manipulation et au
stockage des charges. Il faut trouver un système à la
fois puissant et fiable capable de fonctionner sur un
rythme rapide et une longue durée. Les Américains
savent à l’époque que la Royal Navy travaille sur les
catapultes à vapeur. Ces travaux sont dirigés par un
réserviste de la Royal Navy, le Commander Colin C.
Mitchell. En 1951, le porte-avions HMS Perseus en
est équipé, les résultats correspondent aux attentes: la
catapulte est plus puissante mais aussi plus souple car
la pression de la vapeur dans les cylindres est réglable
et de plus çà marche bien. À l’initiative de l’attaché
naval (Air) américain à Londres le Rear Admiral Apollo
Soucek, le HMS Perseus fait une démonstration à l’arse-
nal de Philadelphie en janvier 1952. Les deux marines
n’utilisent pas les mêmes pressions de vapeur dans
leurs appareils évaporatoires : les Britanniques ont des
circuits limités à 350 psi (livres par pied carré) quand les au point un système optique de guidage des avions vers
Américains utilisent des pressions de 600. Après des la piste oblique. Le principe est d’utiliser une source
réticences, ces derniers admettent que le système bri- lumineuse réfléchie par un miroir stabilisé pour don-
tannique peut s’adapter sans problème sur leurs porte- ner au pilote un angle de descente constant de 3°.
avions. En 1953 la piste oblique devient opérationnelle En mars 1952 les équipes de Farnborough qui ont
et deux ans plus tard l’USS Forrestal commence ses auparavant travaillé sur un système de guidage radar
essais à la mer avec 4 catapultes à vapeur. mettent au point un prototype qui est installé sur l’HMS
Dans le même temps les Britanniques, toujours sous la Illustrious en octobre. Donald Eugen, pilote de l’US
houlette de Campbell, poursuivent leurs travaux sur la Navy alors en échange à l’Empire Test Pilots School de
[5] Littéralement « boule
conception d’un système optique d’aide à l’appontage. Farnborough, est le premier pilote au monde à apponter
de viande ».
La problématique demeure la même : faire apponter avec à l’aide de la « meetball [5] ». Véritablement conquis,
un maximum de sécurité des avions peu réactifs aux [6] « Short Takeoff and Eugen fait un rapport très favorable au Chief of Naval
gaz dont les pilotes ne sont pas tous expérimentés… Landing », appareils Operations et au Naval Tactical Air Center. Dès l’été
à décollage et à
Durant l’été 1951, le Lieutenant Commander Hillary atterrissage court.
1955, l’USS Bennington est équipé d’un prototype de
Goodhart (qui travaille dans l’équipe de Campbell) met miroir d’appontage.

54
...
Nul n'est prophète
... en son pays

MISE EN PERSPECTIVE
On peut se demander pourquoi ces trois
innovations furent développées en Grande-
Bretagne alors que c’est aux États-Unis que
sont accomplis les plus grands progrès en
matière d’aéronavale au cours des années
30 et 40. Une partie de la réponse se trouve
sûrement dans le fait que certains officiers
supérieurs de la Royal Navy instruits par la
situation problématique de la Fleet Air Arm
en 1939 entament dès l’hiver 44/45 une
réflexion complète et sans tabous sur les
apports à l’aviation militaire de la propulsion
par turbo-réacteur et de son usage sur porte-
avions, chose que ne fait pas l’US Navy. En
effet, la Marine américaine a de nombreuses
préoccupations à la fin des années 40 :
• démontrer que les porte-avions, les rois de
la guerre du Pacifique, peuvent servir eux
aussi à la projection de l’arme nucléaire à
l’image des B-29 de l’USAF.
• assurer la survie de l’aéronavale et la péren-
nité de la Marine dans une guerre interser-
vices particulièrement âpre en période de
restrictions budgétaires dans l’immédiat
après-guerre.
• préparer l’ère des missiles et de la propulsion
nucléaire.
Les chefs de l’US Navy sont détournés des
recherches sur lesquelles se concentrent les
Britanniques par des préoccupations d’ordre
stratégique. Compte-tenu du nombre de porte-
avions d’escadre disponible (24 Essex et 3
Midway tous âgés de moins de 10 ans) ils
songent avant tout à adapter l’outil existant
sans envisager les ruptures technologiques
sur lesquelles travaillent leurs alliés. Ainsi
par exemple, les Américains s’investissent
beaucoup dans la mise au point d’une barrière
susceptible de supporter la masse d’un appa-
reil à réaction sans se départir du choix de la
piste axiale. En effet, les « cousins » auront
beaucoup plus de mal que les Britanniques à
remettre en cause ou à faire évoluer des choix
techniques rodés qui ont fait leurs preuves
dans le Pacifique. Les Britanniques, de leur
côté, n’ont pas ce problème. En 1945, équi-
pés d’avions américains et conscients de la
faiblesse de conception de leur porte-avions,
ils partent quasiment d’une feuille blanche. les trois améliorations sur un même bâtiment,  Ci-dessus : L’USS Forrestal en achèvement à flot
Cette rigidité américaine se retrouve dans le l’USS Forrestal. Si les USS Forrestal et l’USS en décembre 1954. Les fosses des catapultes de 75
mètres et les emplacements des quatre ascenseurs
choix de la catapulte à vapeur. Il faudra la Saratoga sont conçus initialement avec un sont bien visibles. Avec les quatre Forrestal ainsi que
démonstration du HMS Perseus, la détermi- pont d’envol droit comme des porte-avions les trois Midway et les Essex modernisés, l’US Navy
dispose fin des années 1950 d’une flotte homogène
nation de Soucek et aussi le départ de Pride classiques extrapolés des Midway, ils sont de porte-avions capables d’opérer les chasseurs à
du BuAer en 1952, pour faire admettre la modifiés sur cale et disposent d’une piste réaction de deuxième génération comme le Crusader.
supériorité de la solution britannique. À une oblique orientée à 8°, de quatre ascenseurs
époque où l’arme nucléaire est susceptible de latéraux, de quatre catapultes à vapeur de
supplanter toutes les autres, les amiraux amé- 75 mètres (les C-11 dérivées de la BXS-1 endroit, au bon moment : Boddington,
ricains et les bureaux techniques ne réalisent britannique) et d’un miroir d’appontage et ce Campbell, Brown, Goodhart et Mitchell. Ces
pas aussi rapidement que leurs homologues bien avant l’HMS Ark Royal. hommes ne s’embarrassent pas de considé-
britanniques que l’apparition des avions à rations oiseuses ; dès qu’une option révèle
réaction va révolutionner le design et l’utili- ses limites, elle est écartée en suivant une
sation opérationnelle des porte-avions. Mais, à CONCLUSION seule logique : « trouver quelque chose qui
partir de 1950, les missions de frappes air-sol doit fonctionner ».
menées par l’aéronavale durant la guerre de Lorsqu’il sort de l’arsenal de Newport News Autre ironie de l’histoire, depuis 1975 la
Corée constituent un révélateur aux consé- en octobre 1955, l’USS Forrestal doit ses Grande-Bretagne a fait le choix des porte-aé-
quences capitales. Disposant de moyens innovations principalement aux ingénieurs ronefs et des appareils STOL [6] abandon-
financiers incomparablement plus importants de Farnborough. Pied de nez de l’histoire, nant le concept de porte-avions classique
que leurs alliés les Américains seront alors les durant cette période ce sont les Britanniques que ses ingénieurs avaient tant contribué
premiers à mettre en œuvre simultanément qui disposent des bons individus, au bon à faire évoluer. 

55
CAMPAGNE

1919

COCARDE
contre étoile rouge
L’aéronautique militaire contre les bolcheviques
Profils couleurs : David Méchin par David Méchin

P
arvenu au pouvoir le 16 novembre 1917, Georges Clémenceau a la lourde responsabilité
de diriger un pays épuisé par la guerre et dont nombre de ses représentants politiques
plaident pour une paix de compromis avec les Empires centraux. L’inflexible homme
politique, surnommé « Le Tigre » depuis son passage au gouvernement de 1906 à 1909,
va acquérir le nouveau surnom de « père la victoire », en imposant la poursuite de la lutte à une
nation gagnée par le doute, jusqu’à l’armistice du 11 novembre 1918.

Si
cette date marque la fin de la Première Guerre mon- troupes à l’ouest et de manquer de peu d’enfoncer le front français
diale, seuls les soldats présents dans les tranchées au printemps 1918. Il considère les dirigeants bolcheviques comme
courant des Flandres jusqu’à la Suisse pourront rapi- « un gang de bandits », et écrit à leur propos : « La Russie représente
dement retrouver dans leurs foyers. Pour tous ceux le plus gros problème auquel nous ayons à faire face. L’Ours n’est
de l’armée d’Orient, qui a vaincu les troupes germa- pas une menace pour le moment, mais il est gros et fort, et pourra
no-bulgares en Grèce et qui occupe maintenant une nous causer des problèmes dans les années à venir (…) L’idée fixe
vaste portion des Balkans, allant de la Yougoslavie à la Roumanie, des Russes est que le communisme va inonder le monde sous la
il faudra attendre, car un nouvel adversaire émerge des plaines de direction du Kremlin. Par conséquent, dans les années à venir (…) je
Russie : le bolchevisme [1]. pense que le gouvernement soviétique, ayant solidifié ses positions
Clémenceau a des idées bien arrêtées sur les nouveaux occupants à l’intérieur, n’aura plus de limites. Il piétinera les nations faibles. Il
du Kremlin, dont il ne pardonne pas la sortie de la guerre en mars les pillera ; il signera des accords solennels s’ils servent ses objectifs
1918, ce a permis à l’Allemagne de redéployer un grand nombre de – et il les violera délibérément. »

56
Cocarde e
contre étoile roug

C’est ainsi qu’à peine la victoire acquise contre  Officiers français de Sébastopol, où des navires de la Marine Nationale
de l’escadrille 590 en
l’Allemagne, avant même la signature de l’armistice, compagnie d’aviateurs
se mutinent, finit d’être évacué le 29.
l’ordre sera donné à l’armée d’orient d’engager la lutte tchèques en 1919. À gauche, C’est dans ce contexte qu’interviennent les pilotes fran-
contre les bolcheviques. Forte de 18 escadrilles, l’avia- le lieutenant Frédéric Stary, çais. Fin 1918, l’aviation d’orient a fondu avec les
pilote d’origine tchèque
tion de l’armée d’orient est une force importante qui breveté en France en 1916 démobilisations, et cinq escadrilles ont dû être dissoutes.
accompagne les unités françaises ; celles-ci avancent et ayant combattu sur le front Avec les quatre escadrilles franco-grecques qui passent
dans les Balkans, que sont en train d’évacuer les troupes français jusqu’en 1918. sous le contrôle du gouvernement hellénique, et trois aux
allemandes, austro-hongroises et bulgares. Dans le même Sauf mention contraire, serbes, il reste six escadrilles à la disposition de l’armée
toutes photos : Coll. B. Kudlička
temps, une nouvelle « ligne de front » se dessine autour d’orient. Deux (les 505 et 509) font partie des troupes
du Danube, en Roumanie, contre la Russie bolchevique, d’occupation à Constantinople, une (508) part en Serbie.
mais aussi la Hongrie, où un gouvernement communiste Trois autres vont être envoyées soutenir l’action des
a pris le pouvoir. troupes du général Berthelot en Ukraine : les 504 (six
Breguet 14 + trois SPAD), 507 (douze SPAD), et 510
(douze Breguet 14). Le gouvernement grec apporte son
ESCARMOUCHES SUR LE DNIESTR soutien avec l’escadrille 534 (six Breguet + trois SPAD)
qui se joint à l’expédition.
Avril – juillet 1919 Le manque de moyens logistiques retarde le départ de
L’intervention décidée par Clémenceau s’exécute en ces escadrilles de Salonique pour Odessa, et ce n’est que
[1] Pour l’instant, le
décembre 1918, avec l’aide des Grecs, qui espèrent le 12 mars 1919, qu’un navire quitte Salonique avec le
gouvernement de Lénine
le soutien français pour l’annexion de territoires turcs. est engagé dans une matériel du parc d’aviation. Après escale à Constantinople
Dans une grande improvisation, la marine française fran- guerre civile l’opposant le 15, le matériel arrive à Odessa le 17, où le débarque-
chit le détroit du Bosphore pour débarquer des troupes aux armées blanches qui ment s’effectue en trois jours. Bien qu’incomplète, la
se forment aux quatre
à Odessa, Sébastopol, Kherson, Kertch et Marioupol. coins de l’ex-empire
504 est déjà sur place ainsi qu’une escadrille polonaise
Le président du conseil a largement sous-estimé l’état des Tsars. formée par les français, plus trois escadrilles d’avions
de démoralisation des divisions françaises, pressées de des armées blanches et une composée d’hydravions.
rentrer chez elles et peu motivées à l’idée de repartir en Un premier SPAD XIII est remonté le 1er avril 1919 et
guerre. La logistique fait également défaut, les moyens confié aux Grecs de la 534.
de marine marchande manquant pour ravitailler ces Il n’y en n’aura pas d’autres : les bolcheviques avancent
soldats, qui doivent affronter un hiver très froid, et qui vite et l’ordre d’évacuer la ville tombe le 3 avril. Les
trouvent sur place un véritable chaos. Les régiments mécaniciens français remballent et improvisent un convoi
allemands sensés occuper le pays et y maintenir l’ordre vers la gare avec des camions allemands capturés. Mais
se sont volatilisés ; des réfugiés encombrent les villes les cheminots pro-bolcheviques sont en grève et il faut
et les autorités blanches qui doivent les contrôler n’ont se résoudre à regagner le port. L’aviation évacue par
en réalité aucune autorité, quand elles ne se montrent bateaux : un convoi dépose sa cargaison à Constantza,
pas hostiles à ceux venant les secourir. l’autre à Constantinople. Le 14 avril, le chef du Parc reçoit
Quand approchent les bolcheviques au mois de mars l’ordre de se rendre à Galatzi (actuellement Galați, en
1919, les garnisons françaises sont affaiblies et mal  Breguet 14 de l’escadrille Roumanie, sur le Danube) où il arrive avec son matériel
510 en 1918, dans la
ravitaillées. Plusieurs unités refusent de tirer sur l’en- région de Salonique. Les le 17 avril ; celui-ci est complété d’une nouvelle cargaison
nemi. Clémenceau n’a d’autre choix que de décider escadrilles de l’armée de matériels techniques en provenance de Salonique,
l’évacuation de ses unités de toutes les villes d’Ukraine d’orient vont poursuivre qui permet de faire fonctionner les escadrilles avec effi-
la guerre en 1919 contre
(la première, Kherson, dès le 9 mars), pour les replier au les bolcheviques russes et cacité. Celles-ci s’installent dans deux localités proches
sud du fleuve Dniestr, en Bessarabie (actuelle Moldavie) hongrois, respectivement du Dniestr : Arcis pour la 504 (Actuellement Artsyz,
à partir de la Bessarabie
annexée par la Roumanie alliée et défendue par ses et du Banat yougoslave. Ukraine), et Kichinev (actuellement Chişinău, capitale de la
troupes. Odessa est évacuée le 6 avril 1919 et le port (Coll. de l’auteur) Moldavie) pour la 510, tandis que la 534 reste à Galatzi.

57
comprend 5 % de convaincus, 50 % de gens attirés
par le besoin et 45 % par l’intérêt. L’aviation n’est pas
franchement bolchevique et fait l’objet d’une certaine
suspicion. Pour éviter les désertions avec les appareils,
on a institué le principe de la responsabilité collective :
ainsi, pour un pilote qui s’enfuie, ce sont tous les pilotes
de l’escadrille qui sont fusillés ! »
Les deux hommes appartiennent à une unité spéciale
de quatre LVG à moteurs de 230 ch comprenant trois
pilotes, instituée pour faire des liaisons aériennes avec
la Hongrie communiste. Sur leur terrain de Proskurov
stationne la 21e escadrille de l’armée rouge, qui semble
n’avoir une valeur militaire que toute relative au vu de
sa composition : un LVG (ancien et en mauvais état), un
SPAD français capturé à Odessa, un Caudron très ancien,
trois Nieuport 120 HP (deux sont montés), et un Farman
XXX. Il n’y a que quatre mauvais pilotes dans l’unité qui
ne volent pratiquement pas, car l’essence fait presque
complètement défaut. L’arrivée du régime bolchevique
a plongé l’industrie aéronautique dans le chaos ; aucun
appareil neuf n’est produit et l’aviation rouge ne peut
compter que sur les stocks de l’ex-armée tsariste, elle-
L’escadrille de chasse 507, comptablement présente,  Vue d’un Breguet 14 même équipée de matériels dépassés : durant l’hiver
ne sera jamais reconstituée. Une escadrille polonaise en B2 de l’aviation française 1918-1919, les bolcheviques parviennent à mettre la
photographié à Bucarest
cours de formation est également dépendante du parc en 1919. À leur départ main sur 502 avions et 1320 moteurs dans des dépôts
d’aviation : ce dernier va désormais recevoir plusieurs de Bessarabie, en 1919, à Moscou, Smolensk, Rybinsk et Iaroslavl, plus 250
d’importants stocks
livraisons de Breguet 14 B2 neufs en caisses ; ils arrivent d’appareils sont laissés
avions français et anglais dans les ports de Mourmansk et
directement de France, par voie ferrée. La question de à l’armée roumaine par Arkhangelsk. En grande majorité, des chasseurs Nieuport
l’approvisionnement en matériel est donc résolue pour les troupes françaises. et biplaces Farman ou Voisin – des antiquités en 1919.
(Coll. de l’auteur)
l’aviation de l’armée du Danube dont la direction est Sans parler du fait qu’il ne reste plus guère de pilotes de
assurée depuis Budapest par le commandant de Serre. l’ancienne armée tsariste pour les prendre en charge : la
La seule question qui inquiète l’état-major est la force quasi-totalité des officiers, représentant eux-mêmes les
réelle de l’armée bolchevique, pour savoir si celle-ci 2/3 des quelques 871 pilotes militaires recensés par le
envisage de franchir le Dniestr. Une indication sur l’état gouvernement bolchevique au 14 décembre 1917, ont
de l’aviation ennemie leur vient le 28 avril 1919 avec la fait défection dans les armées blanches.
capture d’un biplace LVG rouge qui s’est posé à Zalău, en Il n’y aura donc pas de soutien aérien pour l’armée
Transylvanie, où son équipage s’est perdu. Ayant décollé rouge, qui n’a pas la force de se lancer dans une guerre
de Proskurov (actuellement Khmelnyskyï, Ukraine) dans le contre l’armée roumaine épaulée de troupes françaises
but de rallier Budapest pour y transmettre des documents et grecques. Les quelques tentatives de traversée du
au gouvernement communiste hongrois, l’équipage s’est Dniestr ne vont pas être renouvelées, et l’annexion de
égaré dans les nuages et a été de contraint de se poser en la Bessarabie est de facto reconnue par le gouvernement
Transylvanie, où il a été capturé. Interrogés séparément de Lénine malgré les ultimatums qu’il lance au gouver-
par les militaires français, le pilote Rudolf Pier, ancien nement roumain.
pilote de l’armée de Kerenski, et l’observateur Bernard Les aviateurs français vont rapidement s’en rendre
Gretz, journaliste, ne font aucune difficulté pour révéler compte. L’escadrille 510, qui survole la partie nord du
tout ce qu’ils savent sur l’armée rouge, dont ils font Dniestr, constate le 20 mai 1919 la présence d’un LVG
théoriquement partie. Vraisemblablement soulagé de et un Nieuport 80 hp près du cimetière de Tiraspol, l’un
son sort, l’observateur indique que « le parti bolchevique d’eux étant même aperçu en vol. Le général Franchet

SPAD XIII n°11247


Escadrille 510, Lieutenant Julien Monier
Roumanie 1919

58
Cocarde e
contre étoile roug

Nieuport 24bis n°5086


3e escadrille bolchevique
Russie, juillet 1919

d’Esperey, chef de l’armée d’orient, s’est déjà fâché le 16 et trouve une activité nulle sur l’ensemble du front.
mai sur le manque de combattivité de ses aviateurs et a Il survole Tiraspol, et tire une trentaine de balles sur
ordonné que tout avion ennemi soit abattu. Le comman- des travailleurs à la sortie nord de Slobozia (en aval
dant de Serre donne suite à la requête du commandant de Tiraspol). C’est finalement le 12 juin que Maurice
suprême par une note à l’escadrille 510 indiquant qu’un Lashermes va parvenir à ses fins en mitraillant l’avion
Breguet 14 B2 va être monté au Parc avec les lance- bolchevique qui est retrouvé entre la gare et le cime-
bombes anglais. Il doit être confié au lieutenant Maurice tière de Tiraspol. Selon le bulletin de renseignements
Lashermes, le meilleur pilote de chasse à la disposition de de la 30e division d’infanterie, « L’avion bolchevique a
l’aviation française en Roumanie, titulaire de 3 victoires été mis complètement hors de service. Il y avait une
homologuées et 4 probables dans l’armée d’orient, où il quarantaine de balles dans le moteur. Ce dernier a été
a été l’équipier de l’as des as de Salonique, Dieudonné envoyé à Odessa. » Lashermes est plutôt enthousiaste
Costes. Lashermes reçoit l’ordre de détruire cet avion de sa victoire ; il se demande dans une carte postale
rouge, et, comme pour le motiver, le commandant de adressée à ses proches, si elle lui sera homologuée.
Serre précise qu’il aura droit à une permission pour rentrer Il semble que non, mais ce qui est sûr, c’est qu’il a
en France une fois cette mission accomplie. gagné son ticket de retour pour la France, qu’il n’a pas
Il va se mettre à l’ouvrage, mais à bord de son SPAD vue depuis le mois de juin 1917.
XIII de chasse. Le 29 mai 1919, alors que les bolche- Quant à l’armée bolchevique, les reconnaissances ulté-
viques ont été repoussés deux jours plus tôt en tentant rieures menées en amont et aval du Dniestr montrent
de traverser sur la ville voisine de Bender, il effectue qu’elle ne semble pas disposée à le franchir. Le 16
une reconnaissance sur Tiraspol et y découvre une  UFAG CI de l’ex- juin 1919, un Breguet 14 monté par le sous-lieutenant
aviation austro-hongroise,
batterie. Il rentre avec 3 balles dans son appareil issues remis en service par Arnault, avec le capitaine de Moustier en observateur, réa-
de tirs d’armes individuelles. C’est à peu près la même les forces armées du lise une longue reconnaissance depuis l’embouchure du
gouvernement communiste
chose que récolte de lieutenant Bergeaux, chef de de Béla Kun en 1919.
fleuve à Ovidopol, survole les villes d’Odessa et Mayaky,
l’escadrille 510, qui, le 2 juin, fait une reconnaissance (Coll. B. Totschinger) puis remonte le cours d’eau jusqu’à Tiraspol et Kichinev.

59
Fokker D VII
8 Vörös Repülöszazad
Hongrie communiste, été 1919

Les deux hommes ne voient que des travaux de positions par sa hiérarchie, qui le sermonne sur son manque de
défensives, ainsi qu’une tente d’aviation sur le terrain tact. Les soldats Core et Muller, qui travaillent au parc
d’aviation d’Odessa. Seuls des pontons à Mayaky laissent d’aviation, n’auront pas autant de mansuétude : le
penser à un franchissement du fleuve, mais le lieu ne 17 mai, furieux de ne pas avoir eu leur ration de vin,
semble pas être le meilleur endroit pour mener une offen- ils se mettent en grève et incitent leurs camarades à
sive car la zone est facilement défendable sur la rive sud. l’insurrection. Ils sont aussitôt jetés en prison… De
On peut se poser la question de savoir si l’armée française manière générale, l’ambiance n’est plus à la discipline
aurait été à même de supporter une nouvelle guerre dans l’aviation, comme s’en rend compte à la fin juin
dans le cas où les « Rouges » avaient été en mesure 1919 un officier d’état-major qui effectue une tournée
d’attaquer ? À l’époque des mutineries de la Mer noire, d’inspection ; l’homme découvre la 510 à Kichinev
où des troupes françaises ont refusé de combattre les « dans le plus grand désordre avec le matériel négligé
Bolcheviques dans les ports d’Ukraine, les actes d’in- et les officiers logeant en ville où ils ne pensent qu’à
subordination gagnent aussi l’aviation, ce qui est de s’amuser. » En colère, Franchet d’Esperey ordonne
nouveau, puisque ce corps avait été exempt de telles immédiatement que le lieutenant Bergeaux soit relevé
réactions pendant la Grande Guerre. Le 12 mai 1919,  Chasseurs SPAD de son commandement !
le lieutenant Economacos, chef de l’escadrille grecque VII et Nieuport 24 de Le limogeage de Bergeaux à la tête de la 510 se révèle
l’escadrille 523 de l’armée
534, se plaint du comportement d’un pilote français, le d’orient, passée sous le toutefois sans grande importance pour l’unité, car il inter-
sous-lieutenant Jacquart, qui lui « emprunte » sa voiture contrôle du gouvernement vient au moment du retrait des unités françaises, relevées
serbe et photographiée
de service à des fins personnelles, tout en le traitant avec à Novi Sad en 1919.
par des unités roumaines. Dès la fin du mois de juin,
le plus grand mépris. L’officier est mollement réprimé (Coll. B. Ciglic) la 510 est repliée au parc de Galatzi. Le 2 juillet, l’ordre de

60
Cocarde e
contre étoile roug

de Hongrois) et surtout de la Roumanie qui gagne la


Transylvanie comprenant une forte minorité hongroise.
Le gouvernement de Budapest préfère démissionner plutôt
que de reconnaître ce diktat. Une nouvelle administration,
dirigée par le communiste Béla Kun, prend le pouvoir laissé
vacant et rejette cet état de fait. Dans un premier temps,
ce geste lui vaut une certaine adhésion populaire, qu’il
va rapidement perdre à cause des exactions commises
par les « gardes rouges » et la collectivisation à marche
forcée du pays. Reste que Béla Kun s’assure du soutien
de nombre d’officiers et de soldats de l’ancienne armée
austro-hongroise, qui servent dans la nouvelle armée
rouge, plus par nationalisme que par adhésion aux idées
communistes. Pour l’entente, la menace militaire repré-
sentée par cette entité en formation n’est pas à négliger,
car les stocks d’armes sont abondants et l’envie d’en
découdre est présente.
Du point de vue aéronautique, les communistes hongrois
sont dans une bien meilleure position que leurs homo-
logues russes. L’aviation austro-hongroise s’est battue
jusqu’en 1918, a bénéficié de l’aide technique allemande
se replier sur Sofia, en Bulgarie, tombe. L’escadrille 504  Salmson 2A2 à Prague, et dispose d’une base industrielle pour produire des
amené par la mission
rejoint Galatzi le 7 juillet. Le 1er août 1919, le parc livre militaire française. Ces
appareils neufs. Comme s’en rendra compte le service de
tous ses Breguet 14 en stock au gouvernement roumain. appareils ne seront pas renseignement français, l’aviation rouge hongroise, dirigée
Le mois suivant, l’armée du Danube évacue le pays. utilisés en opération par le lieutenant-colonel Petroczi, comporte une cinquan-
lors de la campagne
contre les communistes taine d’appareils, dont des biplace Hansa-Brandenburg
hongrois en juin 1919. C.I et UFAG C.I, ainsi que de chasseurs Aviatik-Berg D.I
FACE AUX et Fokker D.VII, répartis entre huit escadrilles de quatre
COMMUNISTES HONGROIS à six avions, dont deux unités de chasse qui stationnent
à Budapest. Une escadrille d’hydravions et une école de
Mars-août 1919 pilotage complètent l’ensemble.
Tandis que les troupes françaises de l’armée du Danube Les troupes françaises ne sont pas très loin, occupant
font face aux bolcheviques russes le long du Dniestr, le Banat, une région aux populations très hétérogènes
d’autres unités nationales sont opposées à un autre gou- comprenant une forte minorité hongroise. Leur position
vernement communiste, celui de Hongrie. Cette nation,  Les Tchécoslovaques la plus septentrionale est la ville hongroise de Szeged.
reçoivent également de
l’une des deux composantes de l’empire Austro-hongrois chasseurs SPAD qu’ils vont Dirigée par le général de Lobit, « l’armée de Hongrie »
des Habsbourg, fait partie du camp des vaincus, comme mettre en ligne dans leur est surtout composée de régiments coloniaux, dont
force aérienne durant les
les pays de l’entente lui rappellent cruellement en fixant années 1920 – on aperçoit
l’effectif ne cesse de fondre en raison des démobili-
ses nouvelles frontières. De fait, la Hongrie est considé- au second plan, derrière sations. Du point de vue de l’aviation, un parc aérien
rablement amputée au profit de la nouvelle Yougoslavie les trois SPAD VII, un s’est installé à Novi Sad, rassemblant les escadrilles
Salmson 2A2 et plusieurs
(région du Banat), de la nouvelle Tchécoslovaquie (par avions Hansa-Brandenburg serbes et l’unique unité française, la 508, qui le 14
la Slovaquie dont une partie est peuplée majoritairement d’origine austro-hongroise. mars 1919 reçoit l’ordre de gagner la ville de Szeged.

61
Elle y est opérationnelle le 23 et effectue immédiatement des recon- sud ; la seconde permettrait d’établir une liaison territoriale avec la
naissances sur le territoire Hongrois tenu par les communistes. Son Russie bolchevique.
chef, le lieutenant Picot, n’a que trois Breguet 14 en état de vol à sa La jeune armée tchécoslovaque est rapidement mise en difficulté
disposition. À bord de l’un d’eux, le 25 mars 1919, il survole Budapest et recule. La « mission militaire française de Bohème » va devoir
avec pour observateur le lieutenant Charmette. Ce qu’ils y voient sera rapidement mettre la main à la pâte pour prêter main-forte aux
confirmé par les autres avions de l’escadrille : il n’y a pas de mouve- tchécoslovaques bien mal en point, et principalement le détachement
ments vers les troupes françaises au sud du pays, qui à l’exception de d’aviateurs présents sur place depuis le 9 avril 1919 sur le terrain de
quelques échanges de tirs entre avant-postes, n’auront pas à affronter Kbely près de Prague, où se trouvent quelques pilotes-instructeurs et
les communistes. un nombre important d’appareils en caisse (Breguet 14, Salmson 2A2,
En fait, Béla Kun fait face à une menace plus importante : déterminé à SPAD VII et XIII) formant l’escadrille BR 590 dirigée par le capitaine
prendre possession par la force des territoires qui lui ont été attribués Georges Lachmann. Ce vieux baroudeur d’active, as aux 7 victoires
par les traités de paix, le gouvernement roumain passe à l’attaque à la aériennes remportées en France, en Italie et en Russie, a déjà com-
fin du mois d’avril. Les troupes hongroises, désorganisées et se battant battu les bolcheviques en évacuant la Russie en pleine guerre civile
sur un territoire majoritairement peuplé de Roumains, sont défaites en 1918. Aux commandes de son SPAD XIII, il va emmener cinq
et battent en retraite. Au début du mois de mai, Béla Kun demande Breguet 14 A2 (pilotés par le S/Lt Jean Dupré, l’Adj Honoré Soubira
la cessation des hostilités, en déclarant qu’il reconnaît sans réserve et les Sgts Joseph Pouliquen, Georges Pariset et François Forgues)
les prétentions territoriales des roumains. Les troupes françaises ont s’installer le 6 juin 1919 à Vajnory près de Bratislava. Tous sont
observé cet affrontement en spectatrices, les avions de l’escadrille 508, des pilotes volontaires autrement plus motivés que les aviateurs de
des Breguet 14 et même un vieux Dorand AR, survolant régulièrement l’armée du Danube, comme en témoigne Joseph Pouliquen, le futur
les lignes. Ils sont renforcés le 11 mai 1919 par l’escadrille de chasse commandant du groupe Normandie-Niemen : « Après la guerre [de
serbe 523 arrivant de Novi Sad. Elle reçoit l’ordre sans équivoque 14-18], nous avons reçu des circulaires dans les escadrilles. On ne
d’abattre les appareils hongrois qui s’aventurent parfois sur Szeged savait pas bien ce qu’on allait faire de nous. Il y avait des missions
pour y lancer des tracts invitant la population à se soulever contre militaires qui se créaient un peu partout. Je me suis porté volontaire
l’occupant français. et j’ai été pris pour la Tchécoslovaquie (…) Je me suis
battu contre Bela Kun, contre les bolcheviques, ce qui
m’a donné ma croix de guerre TOE dont je suis très
AFFRONTEMENTS EN SLOVAQUIE fier car peu d’officiers de réserve l’ont. (…) Je voulais
continuer à voler, on nous a dit qu’il allait y avoir de la
Juin 1919 bagarre contre les russes. Nous étions logés au Carlton
Si les appareils de l’armée de Hongrie n’auront pas à de Bratislava. Notre solde était supérieure à celle du
combattre des avions frappées de l’étoile rouge, d’autres ministre de l’air tchécoslovaque. Et nous avions le
machines françaises vont avoir à le faire à l’autre bout prestige des français, malgré le fait que nous étions en
de la Hongrie. Ayant conclu un cessez-le-feu sur le  Les pilotes polonais ont territoire étranger. Car nous croisions dans la rue des
également à leur disposition
front roumain, Béla Kun va en ouvrir un autre face à la plusieurs chasseurs SPAD officiers hongrois qui nous regardaient comme des vain-
jeune Tchécoslovaquie, qu’il attaque le 20 mai 1919, XIII, bien supérieurs à tout queurs et qui ne nous aimaient pas beaucoup. Quand on
ce que les bolcheviques sont
en Slovaquie et Ruthénie. La première de ces régions en mesure de leur opposer. entrait dans les théâtres pour voir les opérettes, c’est
est majoritairement peuplée de Hongrois dans sa partie (Coll. de l’auteur) tout juste s’ils ne cherchaient pas la bagarre en nous

62
Cocarde e
contre étoile roug

provoquant d’un coup de coude, surtout si comme il se doit nous  Nieuport 24 bis ex- l’aviation sur le front Slovaque, comprenant
étions avec une jolie fille. Je me souviens que j’avais emporté bolchevique, décoré d’une également deux escadrilles tchèques volant
magnifique Diane, qui a
de France une culotte rouge d’infanterie, sans la bande noire de été posé dans les lignes
sur des Hansa-Brandenburg C.I issus des
l’officier. Je ne la portais jamais, mais un jour mon uniforme étant polonaises le 6 juillet stocks de l’aviation austro-hongroise. Les
au teinturier j’ai mis cette culotte rouge pour aller au terrain. Pour 1919 par son pilote, Julius pilotes français n’ayant pas d’observateurs
Gilevich, déserteur et ex-
aller jusqu’au parc où étaient les voitures, on avait l’habitude de chef de la 3e escadrille ni de mitrailleurs brevetés, vont couramment
s’arrêter dans une pâtisserie pour manger des gâteaux. Depuis ce bolchevique. On le voit ici voler avec leurs mécaniciens assis en tourelle,
jour, tout le monde a sorti la sienne, c’était l’Empire [de Napoléon], revêtu des couleurs de ses ou avec des officiers tchèques.
nouveaux propriétaires
c’était l’Armée française ! Quand je suis parti, mes camarades polonais (Coll. P. Mrozowski) La situation des troupes tchécoslovaques reste
m’ont demandé que je leur laisse cette culotte rouge, car ils la précaire et les quelques Breguet 14 français
mettaient à tour de rôle en allant voir une fille... » q Breguet 14 A2 peint ne pourront pas renverser la situation. Ils vont
aux couleurs polonaises,
A peine arrivé avec ses hommes, Lachmann laisse le commande- vu à Cracovie. (Muzeum néanmoins se révéler très utiles, notamment
ment de la BR 590 au lieutenant Roussin, car il est nommé chef de Lotnictwa Polskiego) du fait de leurs reconnaissances, qui vont
permettre au commandement de mesurer
l’avance ennemie et de déployer ses troupes
en conséquence.
Les Breguet effectuent aussi de nombreuses
missions de bombardement sur les gares et
les voies ferrées, perturbant le ravitaillement
et la logistique de l’ennemi ; même si ces
attaques se font de manière assez artisanale,
comme s’en souvient Joseph Pouliquen : « Il
n’y avait pas de bombes sous les ailes, car on
n’avait pas de système de largage. On jetait
à la main des projectiles autrichiens. Mais
on pouvait viser juste, car on passait à 100
mètres au-dessus d’un train ou au-dessus
d’une gare de triage, et l’observateur ou le
mécanicien – le mien s’appelait Coutème –
prenait la bombe à ailettes avec une poignée
et la laissait tomber. On s’est pris plusieurs
fois des balles de mitrailleuse dans les ailes,
et je suis parfois revenu troué comme une
passoire. Le tout était de ne pas se prendre
une balle dans les fesses ou dans le crâne ! »

63
Les Breguet vont intervenir sur Komarno et le Danube, ainsi que sur à l’est du pays. Les troupes hongroises reculent sous la surveillance
Nové Zamky et Levice plus au nord, apportant un appui-feu significa- des Breguet de l’escadrille 590 vers la ligne de démarcation négociée.
tif aux troupes tchèques qui s’y battent et démoralisant les troupes Durant cette courte campagne, du 13 au 30 juin, les sept Breguet
ennemies. La gare de Nové Zamky est bombardée à plusieurs reprises et les deux SPAD de la 590 ont effectué quinze reconnaissances et
le 7 juin et les bolcheviques se replient. Pour augmenter l’efficacité vingt-huit bombardements (136 bombes lancées) en 38 missions ; ils
des frappes, trois terrains auxiliaires sont utilisés à Horny Bar, Nemes ont été épaulés par l’escadrille tchèque sur Hansa-Brandenburg qui a
Ocsa et Nitra. effectué onze vols durant lesquels 42 bombes ont été lancées.
L’aviation rouge hongroise est bien présente et le 14 juin a lieu le seul Le gouvernement communiste hongrois a échoué à s’ouvrir un corridor
combat aérien de la campagne quand un Breguet est attaqué par un vers la Russie bolchevique, afin de recevoir son aide. Ses jours sont
Aviatik-Berg D I (n°348.46) piloté par Joszef Matyasffy qui revendique comptés : la terreur instaurée par les Gardes rouges à l’intérieur du pays
la victoire, bien que l’appareil français piloté par le sergent Forgues soit favorise les défections dans son armée et augmente les ralliements au
rentré à sa base – le mitrailleur Robert Ellner est décoré de la croix de gouvernement contre-révolutionnaire de Szeged.
guerre tchèque pour avoir résisté à l’attaque. Le 15 juin, la plupart des Le régime va se désagréger après 133 jours d’existence, quand les
avions français prennent part avec les Hansa-Brandenburg C.I tchèques Roumains attaquent de nouveau au mois d’août 1919, franchissant la
à la bataille autour de la ville de Levice, sans pourvoir apporter d’appui rivière Tisza pour s’emparer de la ville de Budapest, contre l’avis des
décisif. Il leur faut défendre le 20 juin la localité de Nové Zamky, un puissances de l’Entente et de Paris. Reste qu’avec la fin de la menace
incident international survenant quand est bombardée par erreur une communiste, l’armée française de Hongrie n’a plus de raison d’être
raffinerie d’huile minérale appartenant à la Standart Oil – sans doute et ses unités sont rapidement dissoutes pour laisser la place à des
par l’équipage Pouliquen / Ellner (tchèque). missions militaires aux effectifs bien plus réduits.
L’action des Breguet 14 indispose l’aviation ennemie au point que
celle-ci organise le 21 juin un raid audacieux contre le terrain avancé de
Nemes Ocsa. Six Chasseurs Fokker D.VII et Aviatik-Berg D.I, escortent LA MISSION MILITAIRE FRANÇAISE
un unique Hansa-Brandenburg C.I transportant deux pilotes comme
passagers, supposés s’emparer de deux Breguet 14 au sol pour les
EN POLOGNE
ramener en vol en Hongrie... Ils ne découvrent qu’un terrain vide et Avril-septembre 1919
s’en retournent bredouilles, n’emmenant comme butin que le « T » Un troisième théâtre d’opérations va voir l’engagement de
d’atterrissage en tissu. l’aviation française durant l’année 1919 : celui de la jeune
république de Pologne, qui se bat dès sa naissance contre
la Russie bolchevique. L’armistice du 11 novembre 1918,
LA FIN DE LA RÉPUBLIQUE causant l’évacuation des troupes allemandes, laisse un vide
DES CONSEILS que comblent les soldats d’une jeune Pologne aux frontières
non définies, et les troupes de la guerre civile russe d’où
q Joseph Pouliquen
Le conflit va s’arrêter par un cessez-le-feu arraché à de l’escadrille 590, aux émergent les bolcheviques.
Bela Kun le 24 juin 1919, après que le gouvernent commandes de son Breguet Du point de vue de l’aviation, les Polonais saisissent d’impor-
14 A2. Il deviendra le premier
français l’ait menacé d’une attaque conjointe avec des commandant du Normandie tants stocks d’appareils sur les troupes austro-hongroises et
divisions roumaines, françaises et serbes, au sud et Niémen en 1942 ! surtout allemandes, 237 selon un inventaire mais permettant

64
Cocarde e
contre étoile roug

Breguet type 14 A2 n°09122


Escadrille 590
Tchécoslovaquie, été 1919

(10 Breguet 14 A2 chaque), BR 66 (15 Breguet


14 B2), SPA 162 (15 SPAD VII), SAL 580, 581
et 582 (10 Salmson 2A2 chaque), soit un total
de 101 appareils en tenant compte des avions
de réserve, plus de nombreux autres que com-
mandera le gouvernement polonais.
À l’époque, le gouvernement polonais n’affronte
pas encore les bolcheviques qui sont occupés
par la guerre civile, en revanche il a maille à partir
avec le gouvernement ukrainien, pratiquement
dépourvu d’aviation, contre lequel des affron-
tements ont bien lieu. L’emploi des pilotes fran-
çais est soumis à des restrictions politiques et si
ceux-ci ont accompli des missions opérationnelles,
elles se sont probablement limitées à de simples
reconnaissances.
Le but des nombreux pilotes français reste avant
tout la formation des aviateurs polonais qui doivent
les remplacer aux commandes de ce matériel de
guerre. Ils sont aidés par une école d’aviation qui
s’installe le 12 mai 1919 à Varsovie, équipée d’ap-
au maximum de mettre en ligne une cinquantaine d’appa- p Aviateurs français pareils d’instruction. Au mois de septembre et octobre
et tchèques posant
reils opérationnels, menés par des pilotes polonais ayant devant un Breguet 14
1919 toutes ces escadrilles passent sous commandement
servi dans l’aviation austro-hongroise et russe. de l’escadrille 590. polonais et les pilotes français retournent chez eux ou
Ils recevront un renfort appréciable au mois d’avril 1919 resteront cantonnés à un rôle de conseillers. Ils ne pren-
avec l’arrivée de France de « l’armée bleue » du général dront aucune part dans la guerre opposant la Pologne
q Sur le terrain de Vajnory,
Haller, formée en France et comprenant une composante près de Bratislava, le à l’armée rouge de Trotski durant l’année 1920 dont le
aérienne dirigée par le Lt-Col François de Vergnette, le général Mittelhauser, chef tournant sera la bataille de Varsovie au mois d’aout, et
de la mission militaire
chef de la mission militaire française étant le général Paul française à Prague, décore
qui sera remportée par la Pologne.
Henrys. Il y a sept escadrilles comprenant une minorité des aviateurs français et
de pilotes polonais brevetés en France : les BR 39 et 59 tchèques de l’escadrille 590.

UNE COMPOSANTE
DE LA PUISSANCE
MILITAIRE FRANÇAISE
L’action des aviateurs français en Europe de l’est durant
l’année 1919 a joué un rôle appréciable dans la fixation
des nouvelles frontières issues du traité de Versailles
et a permis d’apporter un appui militaire conséquent
à la Roumanie et aux nouvelles nations que sont la
Yougoslavie, Tchécoslovaquie et Pologne. L’influence
militaire et politique française sera prépondérante dans
ces pays qui vont constituer la « petite entente » dirigée
contre la Russie communiste et se doter d’appareils fran-
çais durant les années 1920. Mais aussi hégémonique
qu’ait pu être la France au lendemain de la première
guerre mondiale, son déclin industriel aura raison de toute
son influence politique et militaire qui tombera face à la
montée de l’Allemagne nazie durant les années 1930. 

65
AVION

1942
1945

JUNKERS
JU 287
Le bombardier expérimental de la Luftwaffe
Sauf mention contraire,
toutes photos EN-Archives par Jean-Claude Mermet

En
1945, en France, dans le numéro de septembre de la revue p Le pré-prototype Ju 287
V1, vu à son emplacement
Science et Vie [1], on pouvait lire, dans un article consacré aux de départ sur le terrain
de Brandis, le jour de
avions à réaction, l’extrait qui suit : « Le Rechlin 66 (allemand) son premier vol le 8 août
serait un monoplan « canard » à aile basse ou médiane, de faible 1944. Sont bien visibles
le Skz RS+RA et les
allongement avec flèche prononcée et bords marginaux pointus. Le fuselage « couleurs thermiques »
sur le fuselage, apposées
serait assez épais et les cotes de cet avion – envergure, 19 à 20 m ; longueur, uniquement sur le côté droit.
17 à 18 m ; envergure du stabilisateur, 6 à 7 m ; corde maximum de l’aile, 4,50
m – sont considérées comme provisoires. » Toutefois, à l’époque, Science et
Vie n’a pas accès à toutes les informations relatives à cet avion, car celui-ci est
bel et bien un appareil avec une aile en flèche négative, c’est-à-dire tournée u Le planeur sans queue
vers l’avant. C’est l’histoire fascinante de cette innovation technique que nous S.9 est l'une des premières
productions de Willy
allons décrire dans ces pages, histoire qui ne s’est pas arrêtée le 8 mai 1945... Messerschmitt. Cet appareil
à ailes en flèche négative
évoluait grâce à des
ailerons placés sur le bord
d'attaque près des saumons.
Il n'eut aucun succès.

66
Junkers
Ju 287

É
tudié, dès le lancement du projet, en tant que bombardier, conçu. Il faut attendre 1913 pour que Jacob Emil Noeggerath recrée un
le Junkers Ju 287 peut être considéré comme le premier avion à aile en M, dont la construction est supervisée par le Dr. Theodor
bombardier à réaction au monde, même si, chronologique- Dieterle dans les ateliers Gustav Otto Flugmaschinen-Werke à Munich.
ment parlant, la version bombardier de l’Arado Ar 234, à Cependant, à ce stade, l’aile en flèche positive ou négative n’a pas
l’origine un avion de reconnaissance, a volé plus tôt que encore fait l’objet d’études aérodynamiques approfondies par manque de
le pré-prototype Ju 287 V1. Pourquoi cette dénomination moyens techniques avancés, si bien qu’une aile à flèche purement néga-
de pré-prototype ? Tout simplement parce que ce dernier, lors de son tive, résultat de tests, n’est pas utilisée avant l’apparition successive
élaboration, n’est, dans l’esprit des concepteurs, qu’une maquette des planeurs Messerschmitt S.9 en 1921 et Kirchner La Pruvo en 1927
volante (Fliegende Attrape) à l’échelle 1:1 de l’avion définitif qui innove lors de leur participation à la célèbre compétition de la Wasserkuppe.
par ses ailes en flèche négative. Avant-guerre, lors du lancement du projet de nouveau bombardier chez
Junkers, le seul théoricien allemand de l’aile en flèche est le Dr. Ing.
Adolf Busemann. Depuis 1938, des essais comparatifs en soufflerie,
DRÔLE DE DÉCOUVERTE… d’ailes droite, en flèche positive et en flèche négative, ont lieu à l’AVA
(Aerodynamische Versuchsanstalt) de Göttingen. Ces ailes sont de
L’histoire commence par une mission aérienne photographique, accom- toutes petites dimensions, allant seulement de 56 à 90 mm d’enver-
plie par les Flight Sergeants L. G. Oliver and G. Yeats le 19 avril 1944, gure, et sont testées dans des tunnels de soufflerie miniaturisés eux
à bord de leur de Havilland Mosquito (LR414) du No 540 Squadron aussi (!). Il en résulte qu’une flèche positive élève le nombre de Mach
basé à Benson dans l’Oxfordshire. Lors de l’exploitation des clichés, critique [3] au détriment de la portance aux basses vitesses, donc, lors
un nouvel avion est découvert à Rechlin, appareil qui, camouflé par des phases de décollage et d’atterrissage.
des filets ou autres artifices, ne peut pas être détaillé avec précision. Les ingénieurs de Junkers étudient, avec des maquettes et dans les
La référence « Rechlin 66 » lui est alors attribuée [2]. De retour d’une souffleries de Dessau, les effets de la compressibilité qui agissent
mission au-dessus de Stettin le 31 mai, à bord du Spitfire XI (PL790), principalement sur la traînée et la dérive par augmentation de leur
le Leutnant Charles F. « Chuck » Parker prend à son tour plusieurs valeur. Le flux d’air est visualisé à l’aide de fils collés sur les surfaces
photographies du terrain de Rechlin. Leur développement révèle une des ailes. Il apparaît alors que les extrémités décrochent en premier
nouvelle fois la présence du « Rechlin 66 », non camouflé cette fois, à cause de l’augmentation importante de l’épaisseur de la couche
mais sans moteurs apparents. Ce à quoi correspond exactement cet limite due au glissement latéral de l’air le long du bord d’attaque avec
avion ne peut toujours pas être entièrement déterminé... même s’il a accroissement de la masse aux extrémités (composante du flux d’air
un lien de parenté indéniable et irréfutable avec le Junkers Ju 287, parallèle au bord d’attaque). Les ailerons sont ainsi moins efficaces,
dont les deux pré-prototypes seront finalement découverts à l’état de même que l’hypersustentation, pour les mêmes raisons. Résultat :
d’épaves, lors de l’occupation du terrain de Brandis par les troupes les distances de décollage ou d’atterrissage sont plus importantes
américaines. Cependant, une énigme persiste : celle du « Rechlin 66 ». pour les avions. Les conclusions du DVL (Deutsche Versuchsanstalt
Pour la résoudre, un petit retour en arrière s’impose... der Luftwaffe ou Institut de recherche de l’armée de l’air allemande)
de Berlin et de l’AVA de Göttingen sont ainsi confirmées et validées
par... Junkers ! L’aile en flèche positive n’a donc pas que des avantages
UN NOUVEAU BOMBARDIER et ses limitations sont assez gênantes avec des réacteurs manquant
AVEC UNE AILE EN FLÈCHE NÉGATIVE encore de puissance. Chez Junkers, on en est bien conscient, si bien
que tous ces travaux de recherches sont placés sous la direction
En 1942, l’aile en flèche négative est loin d’être une nouveauté. En effet, du Dipl. Ing. Hans Wocke. Celui-ci propose alors d’employer une
dès les débuts de l’aviation, même théorique, elle est récurrente dans flèche négative, qui, positionnant les extrémités en avant de l’em-
les nombreux brevets déposés qui sont tous basés sur l’étude des ailes planture, inverse les phénomènes. Les essais en soufflerie confirment
d’oiseaux ou de chauve-souris. Beaucoup d’aéronefs sont alors équipés le bienfondé de cette théorie, sauf qu’aux performances annoncées
d’ailes en M (vues en plan) qui allient flèche négative et flèche positive en du nouveau bombardier, l’aile subit, à partir de Mach 0,7, des tor-
partant du fuselage vers les extrémités. L’Éole de Clément Ader est ainsi sions telles que la conception d’une aile fine en devient impossible.

[1] N° 336, article de G.


Gedovius, secrétaire
général du Centre
de documentation
aéronautique
internationale.

[2] Les Britanniques


dénommaient les
avions ennemis encore
inconnus par le nom
du terrain où ils avaient
été découverts et un
numéro correspondant
à leur envergure
apparente en pieds.

[3] En aérodynamique,
le nombre de Mach
critique d’un aéronef
est le nombre de Mach
le plus bas à partir
duquel l’écoulement de
l’air atteint la vitesse
du son en un point au
moins de l’appareil.

67
Ju EF 116
Année du projet : 1943
Aile à flèche négative de 23,5° à 50% de la corde

Morphologie
Envergure 26,50 m
Longueur 22,10 m
Poids à vide 4 000 kg
Équipage 2

Motorisation
4 x Junkers Jumo 109-004 H de 1 300 kgp chacun
Performances
Vitesse maximale 980 km/h
Rayon d’action 5 500 km

Junkers sera ainsi obligé d’adopter une aile à grand


allongement pour garder une certaine finesse relative
p Maquette de soufflerie du Junkers EF 116 à double flèche du bord d’attaque,
tout en renforçant sa structure. Il faudra attendre de d’abord positive à 45°, puis négative à -15° pour rétablir l’efficacité des ailerons.
nombreuses décennies et l’emploi de matériaux compo- (Coll. Nowarra)
sites pour résoudre ce problème… Toutefois, outre de
présenter une épaisseur suffisante pour accueillir aisément
des réservoirs de carburant, l’aile à flèche négative peut q Photos de la maquette de bureau du Junkers Ju 287 Stuka. La parenté avec son illustre
aussi être placée vers le milieu du fuselage, ce qui permet mais dépassé prédécesseur est évidente, de même que les nouveautés et autres innova-
tions apportées par ce modèle : train d'atterrissage rentrant, armement défensif en tourelle
d’allonger suffisamment le nez de l’avion pour y loger
et surtout empennage pivotant vers le bas pour dégager le champ de tir de celle-ci !
une soute de grandes dimensions
Une formule mixte, essayée chez Junkers sur le Ju EF 116,
consiste à monter sur une aile à flèche positive de 45°
(50% de la corde) à l’emplanture, des parties externes
à flèche négative de -15° afin de rétablir l’efficacité des
ailerons (c’est-à-dire une aile en W vue en plan). Ce type
d’aile est également adopté pour le projet Blohm und
Voss BV P. 188, un concurrent supposé du Ju 287,
sans qu’il n’y ait la moindre preuve irréfutable d’une
réelle compétition entre ces deux appareils.
Notons que le Ju EF 116 servira à essayer toutes les
configurations d’aile en flèche. En outre, les résultats
obtenus en soufflerie conduiront à retenir la solution du
recours aux ailerons également comme volets d’atter-
rissage lors de la sortie des volets hypersustentateurs.
Enfin, pour retarder encore plus longtemps le décrochage
à l’emplanture, il est préconisé d’y ajouter des becs de
bord d’attaque.

LE PREMIER JUNKERS JU 287


La numérotation des avions acceptés par le
Reichsluftfahrtministerium (RLM, ministère de l’Air) se
fait par séquence de numéros. En 1935, Junkers s’est
vu affecter la séquence 85 à 90 ; le fameux Stuka a ainsi
reçu le n° 87. Tacitement, le RLM accorde également ces
mêmes numéros, mais affectés du chiffre des centaines,
aux versions évoluées du modèle d’origine, même assez
différentes, si elles restent dans la catégorie initiale [4].
C’est ainsi que deux descendants du Ju 87 sont désignés
Ju 187 et Ju 287.
Le premier, d’abord connu sous le nom de Ju 87 F, est
donc un Ju 87 Stuka amélioré sur le plan aérodynamique
et possédant, en plus d’un train rétractable, un empen-
nage qui pivote à 180° pour dégager le champ de tir de
la mitrailleuse défensive tirant vers l’arrière, arme servie,
comme sur le « 87 », par le radio-navigateur.
Ce nouveau Ju 187 n’apportant finalement que peu
d’améliorations, car encore très proche de son prédéces-
seur assez anguleux, Junkers l’abandonne en faveur du
Ju 287 qui possède un fuselage nettement plus aérody-
namique, une aile plane, une verrière mieux dessinée, une

68
Junkers
Ju 287

z & p Photos de la empennage horizontal en flèche positive à 30°. Toujours


maquette d’aménagement
en bois du Ju 287 Stuka.
dans le cadre du EF 122 B, une seconde disposition
des moteurs est étudiée. Pour le moins originale, elle
tourelle avec armes jumelées tirant vers l’arrière et dont q En bas : Maquette de consiste en un réacteur de chaque côté du nez et un
le champ de tir est lui aussi dégagé de tout obstacle par soufflerie du Ju EF 122 B autre sur chaque extrados des ailes (au niveau du bord
le pivotement de l’empennage. Le train d’atterrissage est deuxième configuration de fuite afin d’éviter de contrarier l’écoulement de l’air
avec les réacteurs placés
rentrant, les roues se logeant à plat dans l’aile, la jambe sur les ailes à hauteur des sur l’extrados). Notons que ces moteurs sont montés
repliée restant extérieure mais soigneusement carénée. bords de fuite afin d'éviter sur des « berceaux » qui absorbent leurs vibrations.
Comme sur le Ju 87 D, deux radiateurs dépassent sur de perturber l'écoulement Les deux réacteurs de nez ne sont pas parallèles entre
de l'air. Cette photo est de
les intrados. novembre 1943. (Coll. Bradic) eux, mais sont divergents, avec un angle de 3° par
Nous sommes en 1942, en pleine campagne de Russie, rapport à l’axe du fuselage, de manière à éloigner de
et le RLM ne retient pas ce projet, car la mise en place q Ci-dessous : Photo de celui-ci le flux de sortie de la tuyère. L’empennage est
la maquette de soufflerie
d’une chaîne de production pour un nouveau modèle de du Junkers EF 122 B, monodérive et reprend grosso modo le dessin de celui
bombardier en piqué risquerait de perturber la construc- première configuration. du Junkers Ju 388.
tion des modèles déjà existants, et finalement assez
satisfaisants, au détriment de l’approvisionnement des
escadrilles.

LE SECOND JUNKERS JU 287 :


LE JU EF 122
En fin d’année 1942, la disponibilité et la fiabilité des
réacteurs s’améliorant, le RLM émet une commande
pour un bombardier quadriréacteur, dont la vitesse doit
être largement supérieure à celle de n’importe quel avion
de chasse en service : le nouvel appareil doit donc être
capable d’une vitesse moyenne d’au moins 750 km/h.
Cette demande fait référence aux études menées sur
les vitesses voisines de celle du son par le DVL et les
autres instituts de recherche allemands.
Au vu des résultats de ces investigations, le DVL pré-
conise une aile en flèche positive de 35°. Néanmoins,
comme nous l’avons évoqué, Junkers avait déjà entamé
ses propres recherches sur les ailes en flèche, si bien
que le bureau d’études affirme qu’une flèche négative
serait mieux adaptée à ce nouveau bombardier, devant
être assez lourd, donc assez lent au décollage. Dans les
archives de Junkers, ce projet est dénommé EF 122 [5].
Plusieurs maquettes de soufflerie sont construites, en
deux déclinaisons, avec les plans détaillés à l’échelle
(du 1/15 au 1/100) s’y rapportant : les EF 122 B et C ;
il n’y a pas de EF 122 A.
Le premier est un quadriréacteur classique, avec les
moteurs montés en nacelle sous les ailes à flèche néga-
tive de -19,9° à 25% de la corde et -23,5° à 50%, et un

[4] C’est ainsi que, chez Junkers, nous aurons


les Ju 86 et 186, les Ju 88, 188, 288, 388 et
488, ainsi que Ju 90, 190, 290 et 390.

[5] Au contraire des autres firmes aéronautiques allemandes,


tous les projets de Junkers reçoivent le préfixe EF pour
Entwicklungsflugzeug (avion de développement).

69
accouplement aérodynamique des réacteurs. C’est cette
dernière qui sera retenue pour la série, certainement par
facilité de production.

LES PROTOTYPES DU JU 287


La conception des prototypes du Ju 287 se déroule
en deux phases bien distinctes. Elle commence tout
d’abord par la construction de deux maquettes des
démonstrateurs définitifs à venir, en grandeur réelle et
fonctionnelles, qui sont d’ailleurs ainsi dénommées par le
RLM lui-même en février 1944 dans sa pré-commande
de ces deux avions. Nous les nommons « pré-proto-
types », si l’on peut s’exprimer ainsi. Ces « maquettes
volantes » ne suivent pas le dessin du Ju EF 122 et
donneront naissance aux Ju 287 V1 et V2, effective-
ment construits. La seconde phase démarre avec la
construction du Ju 287 V3 qui découle bel et bien, lui,
des plans initiaux. Ce dernier n’aura pas le temps d’être
achevé et sera capturé par les Soviétiques à Dessau.
La commande initiale du ministère de l’Air prévoit 20
prototypes, réduits à six au mois de mai. Toutefois,
« il est envisagé la livraison de 100 Ju 287 A-1 d’ici à
août 1945, et 100 avions par mois à partir de décembre
1945 ». Le Ju 287 V1 doit être propulsé par quatre
réacteurs Jumo 004 B‑1 ; le Ju 287 V2 recevra des
BMW 003 A‑1 à la place des Jumo 004 B‑1 d’ailes et
son empennage horizontal devra être abaissé de 30
cm par rapport à celui du V1. Les prototypes V3 à V6
seront quant à eux totalement nouveaux et leurs six
réacteurs BMW 003 A‑1 seront regroupés par trois
sous chaque aile. Les V5 et V6 doivent être équipés
Enfin, la version définitive du EF 122 B se distingue p Ci-dessus : Plan d’une tourelle de queue FHL 131 Z.
de la précédente par ses réacteurs d’aile placés sous d'époque de la section Signalons qu’à cette époque, le Junkers Ju 287 est en
cette dernière, toujours au niveau du bord de fuite, et cabine du 288 V203. compétition avec le He 343 que le Prof. Ernst Heinkel
(Coll. Nowarra)
non plus sur les extrados. Pour rétablir de la portance défend becs et ongles contre le Ju 287, submergeant
à l’emplanture d’aile aux très basses vitesses, le bord p En haut : Photo de la le RLM de lettres vantant tous les mérites de son avion
d’attaque est équipé de becs automatiques. maquette de soufflerie à venir, qui, en réalité, est un Arado Ar 234 agrandi 1,5
Du fait de l’abandon du Ju 287 Stuka, le numéro RLM du Ju EF 122 B, fois. [Voir Aérojournal hors série n°25]
configuration définitive.
8-287 [6] est affecté aux futurs prototypes et avions
de série de ce jet de bombardement, mais par discré-
tion et, aussi pour dérouter éventuellement les services LES PRÉ-PROTOTYPES
de renseignements ennemis, les deux premiers exem-
(VORVERSUCHSMUSTER)
plaires recevront les désignations de couverture Ju 288
V201 et Ju 288 V202. Dans les archives de Junkers, OU « FLIEGENDE ATTRAPEN »
pour compliquer les choses, il existe aussi un schéma (MAQUETTES VOLANTES)
dénommé Ju 288 V203, qui représente une verrière à Pour gagner du temps du fait de l’urgence de la demande
la « 288 » (le vrai) [7]. du RLM, les Ju 287 V1 et V2 (dans la documentation
Enfin, le EF 122 C se présente sous la forme d’un de Junkers, ces avions sont dénommés « Fliegende
hexaréacteur conservant les deux propulseurs de nez Attrapen » soit maquettes volantes en français, voire
mais avec quatre autres logés sous les ailes, groupés en « Vorversuchsmuster », soit pré-prototypes) seront
nacelle de deux. Deux nacelles différentes sont étudiées. constitués d’éléments provenant de Heinkel He 177 A‑3
La première renferme complètement les deux moteurs pour le fuselage avant, de Junkers Ju 388 L‑1 [8] pour le
et est très bien profilée ; la seconde est un simple fuselage arrière, mais sans la tourelle de queue dont le

Junkers Ju EF 122
© Hubert Cance - Aérojournal - 2018

70
Junkers
Ju 287

domaine contiendra le parachute-frein. Le train d’atterris- z Plan du Junkers et pour cause, à celle du He 177 A‑3. Le 28 mai, le
sage fixe sera constitué de roues de Junkers Ju 352 A Ju 287 V3 (EF 122 C). Ju 287 V1 échappe miraculeusement à un bombarde-
Disposition des réacteurs
pour le train principal et de roues de… Consolidated du 21 avril 1944.
ment de Brandis effectué par 19 Boeing B‑17 Flying
B‑24 Liberator pour le double train avant ! Les roues sont Fortress de la 8th Air Force, sur les 1 341 bombardiers
carénées aérodynamiquement et les jambes principales { Plan du Junkers Ju 287 que compte cette mission [9].
sont renforcées par de fortes contre-fiches profilées. V3 (EF 122 C). Disposition Finalement, le prototype sort de son hangar à la
des réacteurs, notamment
Certains panneaux vitrés du nez sont remplacés par en Drillingstriebwerk,
mi-juillet. L’avion porte le Skz (Stammkennzeichen ou
des dômes d’observation, et tout ce qui touche à l’ar- datant du 2 mars 1944. immatriculation d’origine) RS+RA. Il est peint selon le
mement est purement et simplement supprimé. Le site schéma de camouflage réglementaire en segments de
de Brandis bei Leipzig – un centre d’essais secondaire la Luftwaffe en teintes RLM 70 et RLM 71 sur le dessus
des Junkers-Werke – ayant une piste plus longue qu’à et RLM 65 sur le dessous. La partie de l’intrados des
Dessau, les éléments constitutifs du premier pré-proto- ailes comprise entre le fuselage et le train principal est
type sont livrés et modifiés en vue du futur assemblage recouverte d’une peinture thermique noire, ainsi que
à partir, semble-t-il, de mars 1944. L’aile, qui est donc toute une surface sous les emplantures dépassant de
nouvelle, demande une adaptation au fuselage du He [6] Le préfixe 8 indique
part et d’autre de l’aile. En arrière des réacteurs du
177 qui est renforcé par deux fortes sections situées les aéronefs, le préfixe fuselage, de nombreuses petites barres, regroupées
en chaque extrémité de la corde à l’emplanture. Des 9, les moteurs. en carrés arrangés en damier et tracées à la peinture
becs de bord d’attaque automatiques sont ajoutés à la thermographique, permettent de mesurer la température
[7] Les désignations
jonction aile-fuselage. des prototypes du
sur le fuselage, à la sortie des tuyères. Le Ju 287 V1
La construction du Ju 287 V1 (alias Ju 288 V201) « vrai » Ju 288 s’arrêtent est soumis à tous les essais possibles et imaginables :
commence durant la seconde moitié de mai 1944, au au Ju 288 V103. entrée en résonnance des réacteurs à certains régimes,
plus tard aux environs du 21. Il n’est pas prévu que vibrations de l’aile, déplacements au sol, tractage...
[8] D’autres sources
ce prototype soit équipé de tous ses appareillages de indiquent de Ju 88 G-2. C’est à cette dernière occasion qu’il est découvert que
bombardement encore en perfectionnement, et il ne le double train avant ne se synchronise pas lors des
possède pas de soute à bombes équipée, qui, sur les [9] Stragegic Operations changements de direction et doit par conséquent être
avions de série, devra loger un minimum de 3 000 (Eighth Air Force): accouplé par une tige située entre les roues, mais éga-
Mission 376.
kg de charge militaire. Cette soute sera équivalente, lement guidé au sol par un mécanicien !

71
Ju 287 V1
Plans au 1/72e © Hubert Cance - 2018
Aile à flèche négative de 23,5° à 50% de la corde
Année du projet : 1943

Morphologie
Envergure 20.10 m
Longueur 18,30 m
Hauteur 4,70 m
Surface alaire 58,30 m²
Allongement 6,93
Poids :
À vide 10 900 kg
Carburant 4 080 kg (5 100 litres)
Lubrifiant 40 kg
Équipage (2 membres) 200 kg
Charge militaire 1 000 kg
Charge maximale admissible 5 320 kg
Poids au décollage 17 820 kg
Charge allaire 305,60 kg/m²
Rapport poids/puissance 527,80 kg/kN
Rapport poids/poussée 5,18 kg/kgp

Motorisation
4 réacteurs Jumo 004 B-1 et 3 Walter
HWK 509 pour le décollage.
Poussée statique d’un
réacteur : 8,44 kN (860 kgp)

Morphologie
Envergure 14,20 m
Performances
Longueur 9,75 m
Hauteur 3,25 m
VitesseSurface
maximalealaire 620 km/h à 6 000 m m²
29,00
VitessePoids
de croisière
: 600 km/h à 6 000 m
Vitesse de montée
À vide 13,70 m/s au niveau de la4mer
063 kg
Plafond pratique
Maximal 9 400 m kg
5 230
Rayon d’action 980 km à 6 000 m
Autonomie 1,5 heure à 6 000 m
Distance de décollage 610 m
Distance d’atterrissage 460 m
Vitesse d’atterrissage 170 km/h

72
Junkers
Ju 287

x Le Ju 288 V201,
nom de camouflage du
Ju 287 V1, lors de son
montage dans le hangar
IV à Brandis. Les différents
éléments constitutifs sont
très reconnaissables. La
photo date de la seconde
quinzaine de mai 1944,
époque de la livraison des
réacteurs Jumo 109-004 B-1,
sur le point d'être avionnés.

[10] Dans la littérature


ancienne, le premier
vol du Ju 287 V1 est
systématiquement
indiqué au 16 août 1944.
Cependant, un document
de l’E-Stelle de Rechlin
indique bien le 8 août
(E’Nr. 2056, § Ju 287
du 12 août 1944). Cette
date du 16 provient de
Le Junkers Ju 287 V1 effectue son premier vol le 8 vol, incluant changement du centre de gravité, change- l’erreur commise dans
août 1944 aux mains du Flugkapitän Siegfried Holzbaur, ment d’angle d’attaque avec les volets baissés, poussée un article du magazine
accompagné de l’ingénieur de vol Karl Wendt [10]. Le de vitesse jusqu’à 650 km/h, atterrissage en charge de Der Flieger de mai 1950,
erreur confirmée par le
poids au décollage est de 17 tonnes et la propulsion 300 kg/m² (bien contrôlé au demeurant). De même, les Pr. Hertel dans le numéro
est assurée par les quatre réacteurs Jumo 004 B‑1 et essais effectués à diverses incidences de vol montrent de novembre suivant.
trois fusées d’aide au décollage Walter HWK 509 de que les ailerons perdent de l’efficacité à partir de 15°,
1 000 kgp chacune. Deux sont larguées dès l’envol, la et que les ailes extrêmes commencent à décrocher à [11] Onze vols
seulement ont été
troisième continuant de fonctionner jusqu’à extinction. partir de 18° (ce qui provoque la chute du nez, l’avion formellement confirmés
L’avion est jugé sans particularités remarquables avec redevenant toutefois rapidement contrôlable). Très par Stephen Ransom
de bonnes performances. La stabilité sur les trois axes peu de temps après le premier vol, afin de matérialiser et Peter Korrel (Ju 287,
confirme les résultats obtenus en soufflerie. Cependant, l’écoulement de l’air sur les surfaces de l’avion, des Ian Allan Publications,
2009). En outre,
la vitesse atteinte est de 370 km/h. Par prudence, elle brins de laine sont collés sur les extrados et une partie Holzbauer situe deux
est formellement limitée à 550 km/h. des flancs du fuselage. Une caméra, montée en avant autres vols en février
Les seize vols suivants [11], accomplis jusqu’à la fin du de la dérive, permet ainsi de filmer la direction des 1945 après la reprise
mois de septembre et variant d’une vingtaine de minutes flux d’air. Un des derniers vols du Ju 287 V1 explore du programme, mais
cela est peu probable.
à une heure, permettent d’explorer un vaste domaine de quant à lui le comportement de l’aile à Mach 0,92.

Junkers Ju 287 V1
Brandis, Allemagne, août 1944

73
Le phénomène de compressibilité est bien supporté,
mais les extrémités d’ailes se tordent avec une aug-
mentation du coefficient de montée, ce qui amplifie
l’incidence aux saumons de manière trop importante
par rapport à l’emplanture. Il en résulte une détérioration
de la stabilité sur l’axe longitudinal. La solution consis-
terait à renforcer la structure de l’aile pour diminuer
le phénomène, mais celui-ci reste dans le domaine de
l’admissible pour les performances demandées. Ces
vols d’essai sont tous conduits par les Flugkapitäne
Siegfried Holzbaur et Hans Pancherz, accompagnés
des ingénieurs de vol Karl Wendt et Werner Joop. En
résumé, voici les impressions de Holzbaur (extrait de
rapport) : « Le décollage, sans les fusées Walter, est lent
et l’avion doit être maintenu en ligne droite grâce aux
freins de roues, jusqu’à ce que le gouvernail devienne
efficace. Pendant l’approche à l’atterrissage, les moteurs
doivent être maintenus à 6 000 t/min pour avoir de la
réserve en cas de reprise. Le freinage par parachute est
efficace et les effets ressentis sont très acceptables.
En conclusion, on peut dire que l’avion est très facile
à piloter. (...) Les performances de l’avion ne sont pas
représentatives de la version définitive ».
À l’issue du dernier vol-test à Brandis, le Ju 287
V1 doit être transféré au centre d’essais de Rechlin
(Erprobungsstelle Rechlin) où l’écoulement de l’air sur les
ailes sera tout particulièrement étudié [12]. Cependant,
l’Oberkommando der Wehrmacht décrète bientôt l’aban-
don des programmes de nouveaux bombardiers, afin
que Junkers et les autres constructeurs aéronautiques
ne se consacrent plus qu’à la production d’avions de
chasse. Cet ordre, effectif à compter du 30 septembre,
entraîne l’arrêt des essais sur le Ju 287.
Le Ju 287 V2, lui aussi présent à Brandis – mais sans
ses moteurs – à ce moment-là, subit le même sort que
son aîné, à savoir qu’il est parqué et camouflé sous les
arbres bordant le terrain. Ce second pré-prototype, codé
RS+RB, se distingue du précédent par l’empennage
horizontal abaissé de 30 cm et les contre-fiches du train
principal inversées, c’est-à-dire tournées vers l’intérieur.
Il devait être hexaréacteur : toujours avec un réacteur
de chaque côté du nez (Jumo 004 B‑1) et les quatre
autres (BMW 003 A‑1) regroupés en nacelles de deux
accrochées sous les intrados à hauteur du bord de fuite
des ailes. Cette machine se distingue également du point
de vue du camouflage, car les carénages supérieurs des
jambes de son train avant sont en RLM 65. Par ailleurs,
les Balkenkreuze de son fuselage sont du type adopté à
partir du 15 août 1944, c’est-à-dire uniquement formées
des équerres blanches.
p Ci-dessus : Ce
plan rapproché du Ju
287 V1 montre bien
la flèche négative.

p En haut : Belle vue


en vol du pré-prototype
Junkers Ju 287 V1
dévoilant clairement la
configuration de l’avion.

u Le Ju 287 V1 équipé d'une


caméra en avant de la dérive
pour filmer les déviations
des fils de laine collés sur
les extrados et qui suivent
le sens de l'écoulement
de l'air. On remarquera la
fusée d'aide au décollage
sous le réacteur droit. Celle
qui est disposée sous le
réacteur avant-droit est
à peine visible, juste en
avant du réacteur de l'aile.
(Collection de l'auteur)

74
Junkers
Ju 287

{ Le premier pré-prototype Ju 287 V1 immortalisé lors de sa sortie


d’usine à la mi-juillet 1944.

y Le Ju 287 V1 est préparé pour son premier vol : on procède au


remplissage des réservoirs de carburant. Le groupe de démarrage
est prêt et les câbles de traction de l'avion ne sont pas encore
retirés. (Archives Aéro-Journal)

L’histoire des pré-prototypes du Ju 287 reconstituée,


à quoi correspond le « Rechlin 66 » découvert par les
Britanniques ? Si l’on suit bien la chronologie ci-dessus,
le « Rechlin 66 », photographié pour la première fois le
19 avril 1944, ne pouvait donc être ni le Ju 287 V1 ni
le Ju 287 V2. Était-ce le mystérieux Ju 288 V203 ?
Difficile à dire. Ce pouvait aussi bien être une maquette
d’aménagement grandeur nature, sans moteurs, qui,
affectée à l’E-Stelle de Rechlin, aurait servi à divers
essais statiques. Peut-être, un jour, cette énigme sera-
t-elle résolue ?

UN VRAI PROTOTYPE :
LE JU 287 V3
Le 24 avril 1945, la 1st US Army entre dans Dessau
et, peu de temps après, s’empare des Junkers Motoren
und Flugzeug-Werke. Le personnel de l’usine présente le
matériel aéronautique en cours d’étude et les quelques lui démontrer ce que représente, en matière de progrès
[12] Selon les
prototypes en construction, dont le EF 126 et le Ju 287 témoignages de
techniques, ce prototype de bombardier Ju 287 V3. Cet
V3, ce dernier terminé à 50%. Quelques éléments des Holzbaur et de Pancherz, appareil, qui définit la série Ju 287 A-0/A-1, doit être mû
Ju 287 V4 et V5 sont également visibles. De façon le Ju 287 V1 n’a par six réacteurs Jumo 004 B‑1, dont quatre regroupés
surprenante, les Américains se désintéressent de ces jamais quitté Brandis, par deux sous chaque aile et les deux autres situés de
contrairement à ce qu’il
matériels qui ne sont pas perdus pour tout le monde... est traditionnellement part et d’autre du nez. Une autre disposition prévoit le
En effet, lorsque l’administration soviétique prend le rapporté. regroupement des réacteurs, soit des Heinkel HeS 011
contrôle des Junkers-Werke le 1er août, après le retrait soit des Jumo 012, par trois sous chaque aile (formule
des troupes américaines, il n’est nullement besoin de dite Drillingstriebwerk). Nous y reviendrons.

Junkers Ju 287 V2
Brandis, Allemagne, avril 1945 (montré avec ses moteurs)

75
Ju 287 V2
Plans au 1/72e © Hubert Cance - 2018
Aile à flèche négative de 23,5° à 50% de la corde

76
Junkers
Ju 287

1 3

[13] La loi des sections 2


sera redécouverte aux
États-Unis en 1952 par
Richard Whitcomb, qui
la peaufinera à l’extrême
grâce à son propre 4
tunnel de soufflerie
supersonique dessiné
par lui-même. La « loi
Whitcomb », ou Aera
Rule, implique de
considérer la combinaison
aile-fuselage comme
un tout aérodynamique,
c’est-à-dire que la
surface de chaque
section de l’avion, section
d’aile comprise, le cas
échéant, ne doit pas être
supérieure à la surface
maximale de la section la
plus grande du fuselage
seul. Cette loi sera 1 - Aperçu de la nacelle et du Jumo 004 B-1 du côté droit du fuselage.
intégralement appliquée Vus de dessus, les réacteurs sont divergents vers l’arrière. (DR)
pour la première fois
sur le Convair YF-102 2 - Gros plan sur le carénage de roue, relativement grossier, photo
en 1954. Le résultat de qui permet aussi d'apercevoir les traits de peinture thermique en
cette loi est la fameuse arrière du réacteur latéral droit. (DR)
« taille de guêpe » (ou
Coca-Cola Bottle Shape) 3 - Le bec de bord d’attaque de l’emplanture d’aile. (DR)
des fuselages des
LES PROJETS ISSUS DU JU 287
avions supersoniques.
4 - Vue de la pointe arrière du fuselage et de l’attache du
parachute de freinage.
[14] Patentanschrift
932410 vom 21. März Cette deuxième option semble anodine au premier coup Une version biréacteur du Ju 287 est étudiée pendant
1944. Pantentanmeldung d’œil, mais les techniciens de Junkers, s’étant rendu l’année 1944 sous la dénomination de Ju EF 125.
bekanntgemacht compte qu’elle augmentait le Mach critique, ont poussé L’empennage est en flèche positive et la propulsion
am 3. März 1955.
Patenterteilung
leurs investigations en ce sens lors des études en souf- doit être assurée par deux réacteurs Junkers Jumo 012
bekanntangemacht am flerie, débutées en mai-juin 1943 avec le Ju EF 116, ou BMW 018. Des maquettes ont permis des études
4. August 1955. (Brevet précurseur du EF 122. Or, l’étude très avancée des effets en soufflerie et la vitesse maximale escomptée est de
932410 du 21 mars de compressibilité sur la forme de cette nacelle triple a 1 100 km/h en léger piqué.
1944. Enregistrement du
brevet annoncé le 3 mars permis à Junkers de développer sa propre « loi des sec- Par ailleurs, un document du DVL, daté du 25 février
1955. Brevet délivré le tions » [13], plus tard appelée « loi des aires », dont les 1945 [15], contient l’étude de trois avions à très
4 août 1955 (au Dr. Ing. principes ont été entérinés par un brevet déposé le 21 long rayon d’action encore à l’état de projets : le
Heinrich Hertel et aux mars 1944, qui ne sera accordé que… le 4 août 1955 ! [14] Messerschmitt Me P. 1107, le Horten Ho XVIII et le
Dipl. Ing. Otto Frenzel
et Werner Hempel). Ainsi, par rapport aux deux pré-prototypes, le Ju 287 V3 Junkers Ju 287 S [16]. Ces appareils font partie du
a un fuselage entièrement nouveau qui reprend la forme programme Amerika Bomber dont la finalité est de
[15] Die ersten générale du Ju EF 122 C, mais avec une verrière et un disposer d’un jet capable de bombarder les États-
Strahlflugzeuge der
nez semblables à ceux des Ju 288 et Ju 388 (il existe Unis et plus particulièrement New York. En l’état, le
Welt, par Wolfgang
Wagner, éditions Bernard même la maquette d’un fuselage ayant un réacteur de Ju 287 A ne remplit pas les critères demandés pour
& Graefe, 1998. chaque côté du nez et reprenant la verrière du Ju 488). un raid aérien aussi lointain, si bien qu’il requiert de
Quoi qu’il en soit, ce troisième prototype possède un profondes modifications pour se muer en bombardier
[16] Sonderkommission
Flugzeugzellenbau,
train d’atterrissage tricycle entièrement rétractable et stratégique. L’appareil obtenu, baptisé Ju 287 S serait
Entwiklungs- rentrant dans le fuselage. La roue avant se loge sous la un quadriréacteur propulsé par des Heinkel HeS 011
Hauptkommission cabine de pilotage, la jambe pivotant vers l’arrière, tandis d’une poussée totale de 5 200 kgp. Les calculs pro-
« Flugzeuge », que les roues principales de gros diamètre remontent mettent un rayon d’action de 4 430 km à 11 300
Sonderkommission
« Kampfflugzeuge », verticalement, après pivotement à 90° par rapport à m d’altitude. La masse à vide de l’avion resterait la
verantwortlich für den la jambe, en arrière de la soute à bombe, les jambes même que celle du EF 131, soit 11 900 kg. La charge
vergleich im Auftrage der remontant quant à elles en tournant vers l’intérieur et légè- militaire devrait pouvoir être contenue dans un volume
DVL Berlin-Adlershof, rement vers l’arrière. L’aile n’apporte aucune nouveauté, de 4 m³, ce qui est étrangement peu, si bien que cer-
am 25. Februar 1945.
puisqu’elle est très semblable à celle des pré-prototypes. tains ont pensé à l’emport d’une bombe atomique...

77
Maquette de bureau du fuselage du Junkers Ju 488 nanti des réacteurs
latéraux, préfigurant le prototype Ju 287 V3. Là aussi, vues de face et de
dessus permettent de discerner que les réacteurs sont divergents vers l’arrière.
(Coll. Nowarra)

Junkers Ju EF 125
© Hubert Cance - Aérojournal - 2018

Junkers Ju 287 S
© Hubert Cance - Aérojournal - 2018

78
Junkers
Ju 287

Ju 287 V3 (armé)
Année du projet : 1943
Aile à flèche négative de 23,5° à 50% de la corde

Morphologie
Envergure 20.10 m
Longueur 18,60 m
Hauteur 5,40 m
Surface alaire 58,30 m²
Allongement 6,93
Poids :
À vide 11 900 kg
Carburant 7 700 kg (9 625 litres)
Lubrifiant 60 kg
Équipage (3 membres) 300 kg
Toujours est-il que Junkers se fait fort de pouvoir pro- p Plan d’usine du Ju 287 A-1 Charge militaire 1 520 kg
duire le Ju 287 S sans difficulté, étant donné que le de série. Notez l'emport Charge maximale admissible 9 580 kg
Ju 287 V3 est en construction et que cela ne saurait figuré, en soute, d'une Poids au décollage 21 080 kg
bombe de 1 000 kg et d'une Charge allaire 361,50 kg/m²
tarder pour le Ju EF 131... qui sera finalement terminé Bombentorpedo. (Coll. Nowarra) Rapport poids/puissance 377,80 kg/kN
par les Soviétiques ! Rapport poids/poussée 3,70 kg/kgp

[17] Comme le RLM Motorisation

UN JUNKERS À L’ÉTOILE ROUGE : n’existe plus (et


pour cause !), les
6 Jumo 004 D-1 et 3 Walter HWK 509 pour le décollage.
Poussée statique d’un réacteur : 9,30 kN (950 kgp)
LE JU EF 131 Soviétiques autorisent
la firme Junkers à
L’issue de la guerre en décide en effet autrement et ce continuer d’utiliser ses Performances
propres références Vitesse maximale 860 km/h à 6 000 m
sont donc désormais les Soviétiques qui sont maîtres pour les projets en Vitesse de croisière 800 km/h à 11 000 m
du complexe de Dessau. Or, ceux-ci décident dans un cours ou à venir. Vitesse de montée 16,50 m/s au niveau de la mer
premier temps de laisser au travail l’usine Junkers, en Plafond pratique 11 000 m
remettant en état les bâtiments essentiels, la soufflerie Rayon d’action 1 800 km à 9 000 m
q Photo de la maquette
et les bancs d’essai des réacteurs qui avaient été détruits Autonomie 2,15 heures à 6 000 m
du Ju EF 131. (DR) Distance de décollage 950 m
Distance d’atterrissage 550 m
Vitesse d’atterrissage 185 km/h

devant l’avance des Alliés. Les ingénieurs et les ouvriers


spécialisés retrouvent ainsi leurs postes de travail avec
mission première de reprendre la construction de certains
matériels qui étaient en cours de montage au moment de
la capitulation. Et pour cause, Moscou sait très bien qu’ils
représentent le dernier cri en matière d’aéronautique !
Toutefois, devant la perte définitive de supports tech-
niques due à l’annulation du programme du Ju 287 à la
fin de septembre 1944, et la destruction de nombreux
éléments du prototype V3 en construction, les experts
soviétiques décident de reporter tous les efforts vers le
projet Ju EF 131 [17] en gestation pour la Luftwaffe à la
fin de la guerre, et dont au moins une maquette de pré-
sentation a été photographiée, au plus tard en décembre
1944. Sous l’égide des Soviétiques, c’est donc un nouvel
appareil et son prototype qui voient le jour.

79
Ju EF 131
Construit en 1946 à Dessau avec les réacteurs en
Drillingstriebwerke sous les ailes.
Envoyé ensuite à Ramenskoïe près de Moscou
pour essais en vol.
Année du projet : 1943
Aile à flèche négative de 23,5° à 50% de la corde

Morphologie
Envergure 20.10 m
Longueur 18,60 m
Hauteur 5,40 m
Surface alaire 58,30 m²
Allongement 6,93
Poids :
p & q Deux photos de la maquette du Ju EF 131 avec les moteurs en Drillingstriebwerk. (DR) À vide 11 900 kg
Carburant 7 700 kg (9 625 litres)
Lubrifiant 80 kg
Équipage (3 membres) 300 kg
Charge militaire 3 020 kg
Charge maximale admissible 11 100 kg
Poids au décollage 23 000 kg
Charge allaire 393,80 kg/m²
Rapport poids/puissance 368,60 kg/kN
Rapport poids/poussée 3,60 kg/kgp
Motorisation
6 réacteurs Jumo 004 C-1 ou 6 réacteurs « russes »
Jumo 012.
Poussée statique d’un réacteur Jumo 004 C-1 : 10,40
kN (1 060 kgp)
Poussée statique d’un réacteur Jumo 012 : 24,50 kN
(1 500 kgp)
Performances
Vitesse maximale 850 km/h à 9 000 m
Vitesse de croisière 900 km/h à 11 000 m
Vitesse de montée 20 m/s au niveau de la mer
Plafond pratique 11 300 m
Rayon d’action 1 900 km à 11 000 m
Autonomie 2,15 heures à 11 000 m
Distance de décollage 1 020 m
Distance d’atterrissage 570 m
Vitesse d’atterrissage 186 km/h

documents sur l’appareil seront mis au jour, révélant


que cet avion « soviétique » est bien de conception
totalement germanique, car mis au point par un bureau
d’études entièrement composé d’ingénieurs allemands.
Du reste, le 22 octobre 1946, ladite équipe de chez
Junkers, composée des Dipl. Ing. Brunolf Baade, Hans
Wocke, Fritz Freytag et du Dr. Scheibe, est « invitée »
à travailler en URSS pour une période de dix ans dans
des bureaux d’études construits spécialement pour eux,
Le Ju EF 131 V1 est terminé vers la mi-1946 et vole pour la première leurs familles étant logées dans des demeures adjacentes. Sur place,
fois dans le courant de l’été, certainement le 8 août, aux mains du plusieurs prototypes sont prévus (au moins trois), mais rien n’indique
Flugkapitän Jülge. Après ce vol, l’avion part pour l’Union soviétique, à que les V2 et V3 ont été réellement construits. De cet avion, naîtra
destination de Ramenskoïe, à 38 km au sud-est de Moscou. Les réac- en 1946-1947 un autre successeur, le EF 140 étudié comme avion
teurs sont disposés par trois sous chaque aile en Drillingstriebwerke. de reconnaissance, mais dépassé par les nouvelles techniques, lui non
C’est pendant la période de la Perestroïka (1985-1991) que de nombreux plus, n’aura pas de suite.

Junkers Ju EF 131 V1
© Hubert Cance - Aérojournal - 2018

80
Junkers
Ju 287

y L'OKB-1 EF 140 (OKB-1 pour Bureau d'études expérimental n° 1) à réacteurs


Rolls-Royce Nene, est l'ultime réalisation, germano-soviétique pour le coup, du
Ju 287. L'avion est abandonné au profit des Tupolev Tu-14 et Iliouchine Il-28.

ÉPILOGUE
Après de bons et loyaux services pour le
compte de Moscou, et selon les accords
conclus sur les prisonniers de guerre, l’équipe
Junkers est libérée en 1954 avec possibi-
lité de retourner en Allemagne. Fritz Freytag
et Brunolf Baade s’installent en République
démocratique allemande dite « Allemagne
de l’Est », où, après avoir rejoint la VEB
(Volkseigener Betrieb, entreprise possédée
par le peuple) Flugzeug-Werke Dresden, ils
mettent au point le Baade B-150 (OKB-1
Type 150), un bombardier biréacteur, et le
Baade B-152, un quadriréacteur commercial
à ailes en flèche positive et réacteurs en
nacelles. Bien que réussi, ce dernier sera vic-
time de restrictions budgétaires drastiques.
En 1960, Freytag passe en République
fédérale allemande et devient responsable
du programme Nord-VFW-Fokker Transall
C-160. Hans Wocke ralliera également la
RFA où, chez Hansa-Flugzeugbau (HFB), il
concevra le HFB 320 Hansa Jet, un avion
de transport à ailes en flèche négative ! 
p & x Photos de deux
maquettes différentes du
bombardier Junkers Ju 287
A-1 de série. (Coll. Nowarra)

81
*ATTENTION : les tarifs et les formules d'abonnement
ATTENTION :
de ce bon de commande sont valables jusqu’au 1er août 2018. Les stocks variant très vite, nous vous
DOM-TOM conseillons de visiter notre site internet
Abonnements (à partir du n°66 inclus) France UE, Suisse & Autres dest. Quantité TOTAL afin de prendre connaissance des
produits disponibles.
 Je m’abonne à AÉROJOURNAL pour 1 an, soit 6 numéros 35,00 € 40,00 € 45,00 € x ______ = €
Bon de commande à retourner à :
 Je m’abonne à AÉROJOURNAL pour 2 ans, soit 12 numéros 65,00 € 75,00€ 85,00 € x ______ = €

 NOUVEAU : ABONNEMENT BIMESTRIELS + HORS-SÉRIE CARAKTÈRE


Abonnement d'un an à AÉROJOURNAL, 75,00 € 90,00 € 100,00 € x ______ = € Service abonnements
soit 6 numéros, à partir du n°66 inclus Résidence Maunier
+ 3 numéros hors-série, à partir du n°31 inclus 3 120 route d’Avignon
13 090 Aix-en-Provence
DOM-TOM
Hors-séries France UE, Suisse & Autres dest. Quantité TOTAL FRANCE
HS n°11 : Phantom israéliens au combat (ref.571) 11,50 € 14,50 € 18,50 € x ______ = €
HS n°16 : L'IL-2 Chtourmovik (ref.576) 14.90 € 18.90 € 22.90 € x ______ = € Votre commande pourra vous parvenir
sous plusieurs plis ; les délais de
HS n°17 : Le B-17 Fortress : 1943-1945 (ref.577) 14.90 € 18.90 € 22.90 € x ______ = € traitement et d’acheminement par La
HS n°18 : Le B-17 Fortress : The Mighty Eigth (ref.578) 14.90 € 18.90 € 22.90 € x ______ = € Poste varient de 6 à 20 jours.
Merci de votre compréhension.
HS n°22 : Fw190 Jabos au combat (ref.582) 14.90 € 18.90 € 22.90 € x ______ = €
HS n°23 : Les as de la Luftwaffe (ref.583) 14.90 € 18.90 € 22.90 € x ______ = €
Nom : ................................................
HS n°24 : Les as de l'US Navy (ref.584) 14.90 € 18.90 € 22.90 € x ______ = €
Prénom : ............................................
HS n°25 : Arado 234 (ref.585) 14.90 € 18.90 € 22.90 € x ______ = €
Adresse : ...........................................
HS n°26 : Le F6F Hellcat (ref.586) 14.90 € 18.90 € 22.90 € x ______ = € ........................................................
HS n°27 : Le Heinkel He 162 Volksjäger (ref.587) 14.90 € 18.90 € 22.90 € x ______ = € ........................................................
HS n°29 : Les chasseurs Yakovlev (ref.12029) 14.90 € 18.90 € 22.90 € x ______ = € ........................................................
HS n°30 : Mai-Juin 1940 (ref.12030) 14.90 € 18.90 € 22.90 € x ______ = € Code postal : ....................................
Ville : ...............................................
Anciens numéros (8 € pièce, toute destination) : Pays : ..............................................
 n°19 : La renaissance de la Luftwaffe (Réf. 104)  n°41 : Kampfgeschwader KG 200 (Réf. 541) E-mail : ............................................
 n°20 : 1st Air Commando (Réf. 105)  n°42 : KG 200 « Beethoven » (Réf. 542) Tél. : ................................................
 n°23 : Le bombardier en piqué (Réf. 523)  n°43 : Les As de l’armée impériale japonaise (Réf. 543) Merci de nous fournir un numéro de
 n°25 : Le Menschel RS 123 en opérations (Réf. 525)  n°44 : Monstres marins : le Martin PBM Mariner Réf. 544) téléphone ou un email afin de pouvoir
 n°26 : Jagdgeschwader, les escadres de chasse (Réf. 526)  n°45 : Jagdverband 44 (Réf. 545) vous contacter en cas de rupture de stock.
 n°27 : Stafers and big guns (Réf. 527)  n°46 : L’aéronavale impériale en guerre (Réf. 546)
Règlement :
 n°28 : Opération « OVERLORD » (Réf. 528)  n°47 : Les Stukas de Rommel (Réf. 547)
 n°29 : Les briseurs de barrages (Réf. 529)  n°52 : 49th Fighter Group au combat (Réf. 552)  Chèque à l’ordre de Caraktère
 n°30 : Les cavaliers de l’apocalypse (Réf. 530)  n°53 : La menace fantôme, V1 contre RAF (Réf. 553)  Virement Swift
 n°31 : Dissuasion à la française (Réf. 531)  n°57 : Le Heinkel He 177 Greif (Réf. 11057)  Mandat postal
 n°32 : Chasseurs de U-Boote (Réf. 532)  n°58 : Sturmflieger - À l’assaut des Forteresses (Réf. 11058)  Carte Bancaire :
Numéro : .........................................
 n°33 : Les ailes volantes des frères Horten (Réf. 533)  n°59 : Berlin 43/44 - Peur sur la ville (Réf. 11059) Date d’expiration : ...........................
 n°34 : La chasse allemande face à l’Ouest (Réf. 534)  n°60 : Wilde Sau (Réf. 11060) Signature :
 n°35 : Regia Aeronautica dans la bataille d’Angleterre (Réf. 535)  n°61 : Berlin 43/44 - Au coeur du brasier (Réf. 11061)
 n°36 : Pilotes belges sur Hawker Typhon (Réf. 536)  n°62 : El Alamein (Réf. 11062)
 n°37 : Kamikaze, la vanité de l’héroïsme (Réf. 537)  n°63 : Luftprodktion, le défi industriel (Réf. 11063)
 n°38 : Jagdgeschwader, les escadres de formation (Réf. 538)  n°64 : Hs 129, le tueur de chars (Réf. 11064)
 n°40 : Insurrection en Irak (Réf. 540) Attention ! Les Eurochèques, cartes Maestro
Nombre de numéros sélectionnés : _______ x 8 € = € et Visa-Electron ne sont pas acceptés.
Pour éviter toute erreur, merci de bien vouloir
écrire lisiblement.
TOTAL (abonnements + hors-séries + anciens numéros) : €
Dans ce hors-série, le grand spécialiste de la thèse d’une « aviation invaincue », premier au dernier jour de la campagne ?
l’aviation française de la Seconde Guerre dont les exploits auraient contribué de Certains équipages ont été abattu trois
mondiale, Christian-Jacques Ehrengardt, manière significative à la victoire de la fois – et même quatre fois –, mais ils
traite de la déroute subie par l’armée de l’Air RAF pendant la Bataille d’Angleterre. n’ont jamais renoncé. La « propagande »
en mai-juin 1940. Ce fascicule se présente La seconde partie met en lumière le a braqué ses projecteurs sur les as de la
sous la forme de deux parties distinctes. sacrifice et l’abnégation des aviateurs chasse, Accart, Marin La Meslée, Pomier-
La première partie constitue une sorte de français, qui, malgré des circonstances Layrargues, Le Gloan..., dont les exploits
réquisitoire à charge contre une aviation accablantes, n’ont jamais renoncé à ont éclipsé ceux plus discrets, moins média-
mal organisée, mal commandée, dominée faire leur devoir. Qui d’autre que ceux tiques, de véritables héros aussi obscurs
intellectuellement et technologiquement de l’aviation d’assaut ont pu incarner cet que modestes. L’auteur est fier d’avoir pu
par la Luftwaffe. L’auteur met ainsi à mal esprit de pugnacité qui les a animés du leur rendre cet hommage.
 PZL P.50 Jastrząb
Vue d'artiste. Ce chasseur ne sera jamais
produit du fait de l'invasion allemande

 PZL P.45 Sokół


Vue d'artiste. Projet de chasseur léger
inachevé en septembre 1939

 PZL P.55
Vue d'artiste. Projet d'intercepteur.
Le prototype aurait du voler au printemps 1940

 Hawker Hurricane Mk. I


Vue d'artiste. La commande polonaise
ne sera pas honorée à temps
Profils © R. Barraza, Aérojournal 2018

Vous aimerez peut-être aussi