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N° 646 Septembre 2023

Concorde
En croisière à Mach 2
sur l’Atlantique
L 19853 - 646 - F: 8,20 € - RD

Guerre froide AirVenture 2023 Dassault Dewoitine

Tragédie : Participation Les Américains Le D.513,


les Soviétiques record pour un fascinés par “mon plus
abattent un 747 Oshkosh torride ses succès beau loupé”
8,20 € mensuel DOM/S : 9.20 € - BEL/LUX : 9 € - CH : 13.30 FS – CAN : 14.10 $cad – ESP/ITA/GR/PORT CONT/ANDORRE : 9.40 € - N CAL/S : 1230 xpf – POL/S : 1350 xpf – MAR : 62 DH – Ile Maurice : 9.30 €
SOMMAIRE N° 646/SEPTEMBRE 2023
Le supersonique a-t-il un avenir ?
A
n’en pas douter si je vous parle de Concorde
je vais provoquer la nostalgie parmi vous. Les
moustachus se souviennent de son premier vol,
de son entrée dans le monde du supersonique, et pour
les plus chanceux d’un Paris-New York à Mach 2,02. Il
y a 20 ans Concorde tirait sa révérence. Avant même le
début de son exploitation commerciale il fut question
d’un successeur. Ce fut un serpent de mer. Les projets
se succédèrent. Tous restèrent des avions de papier.
BOOM
Au Salon du Bourget 2023, l’équipe américaine de
Sierre Alpha au-dessus Boom faisait la promotion de son projet “Overture”. Un transatlantique à Mach 1,8
de l’Atlantique. pour 80 passagers. Airbus et Boeing sont sur d’autres projets et le supersonique
Composition de Romain Hugault. civil n’est pas à l’ordre du jour. “Overture” sera-t-il le successeur de Concorde ?
Je vous souhaite une bonne lecture ! Le Fana

Les méthodes de l’avionneur analysées


Espace Clichy, immeuble SIRIUS
9, allée Jean-Prouvé. 92587 CLICHY CEDEX
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4 Actualités 48 avec soin outre-Atlantique
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Dassault, un succès
8 Courrier
Patrick Casasnovas
PRÉSIDENTE DU DIRECTOIRE
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qui fascine
Frédéric de Watrigant
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ET RESPONSABLE DE LA RÉDACTION : 10
50 ans de Ferté-Alais les Américains
Patrick Casasnovas Nos lecteurs Quand les Américains se penchent
ÉDITEUR : Karim Khaldi
RÉDACTION
Tél. : 01 41 40 34 22
se souviennent de près en 1973 sur les raisons
Deux frères ennemis dans le ciel du succès de Marcel Dassault.
Rédacteur en chef : Alexis Rocher
Rédacteur en chef adjoint : Xavier Méal de La Ferté : les 109 rivalisent avec
Rédacteur graphiste : François Herbet, Un dessin, une histoire
Secrétaire de rédaction : Antoine Finck
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les “Spitfire”. Souvenirs, souvenirs. 58 Le Tellier 200 ch
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Un gros canon à bord d’un hydravion.
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de fibres recyclées :
20
Concorde Sierra Alpha 60
63 %. Certification :
PEFC/EU ECO LABEL. Le conquérant Le chaînon manquant
Eutrophisation :
0,003 kg/tonne.
de l’Atlantique L’aile elliptique à la française,
ou comment Émile Dewoitine dessine
1973 : le Concorde Sierra Alpha et fait voler un ambitieux chasseur.
se lance à la conquête de l’Atlantique. Rejoignez
Il faut prouver que le supersonique Le Dornier 217 Le Fana

est fiable, rentable. 72 sur Facebook


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ses raids sur l’Angleterre.
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des textes et illustrations qui lui sont envoyés
sous la seule initiative de leurs expéditeurs. XAVIER MÉAL USAF
ACTUALITES
Bonnie, reine d’AirVenture 2023

XAVIER MÉAL
Ci-dessus, Grand
L’édition 2023 d’AirVenture, Champion de
le grand rassemblement la catégorie
d’avions de loisir organisé Warbirds-
annuellement à Oshkosh, dans le Deuxième
Wisconsin, par l’Experimental Aircraft Guerre
Association (EAA), s’est déroulé sous mondiale,
un soleil torride, ce qui lui a valu une le P-47D Bonnie
affluence record, avec notamment 380 restauré
warbirds et 1 400 avions “Antique” par AirCorps
et “Classic” exposés. Dans la catégorie Aviation.
warbirds de la période Deuxième Guerre
mondiale, le trophée de Grand Champion Le Wavo YKC
est allé au Republic P-47D-23RA de Roger James.
XAVIER MÉAL
matricule 42-27609, qui porte la livrée
du Bonnie de l’as William “Bill” Dunham
du 460th Fighter Squadron du
348th Fighter Group, propriété de la Bruce
Eames Collection du Dakota Territory Air
Museum, restauré par la société AirCorps Le Cessna 195
Aviation à Bemidji dans le Minnesota, de Dillon
qui a fait une énorme impression aux et Mike Baron.
professionnels. Le trophée de vice-Grand
Champion dans cette même catégorie est
allé au Stinson L-5B matricule 44-17184
du Fagen Fighters WWII Museum, restauré
par la société MD Aero de Mark Denest.

Le Cessna 172 de Pat Le Cessna 172


Harker Grand Champion XAVIER MÉAL de Pat Harker.
Dans la section Antique (avions civils
d’avant août 1945) de la catégorie
Vintage, le titre de Grand Champion
est allé au Waco YKC de Roger James,
venu de New Carlisle, dans l’Ohio,
et celui de Grand Champion
de la catégorie Classic (avions
de septembre 1945 à 1955)
au Cessna 195 restauré par Dillon
et Mike Baron, de Perry Dans le Missouri.
Enfin, dans la catégorie Contemporary
(avions de 1956 à 1970), le titre
de Grand Champion est allé à l’incroyable
Cessna 172 de Pat Harker, de Forest
Lake, dans le Minnesota.
4
XAVIER MÉAL
En bref
Huit épaves de “Hurricane” Le “Mirage” F1C n° 30 monte
exhumées en Ukraine désormais la garde sur E-Valley
Le 26 juin dernier, une stèle mettant en scène le
Au début du mois de juillet, des spécialistes du musée “Mirage” F1C n° 30 a été inaugurée à l’entrée de l’ancienne
national de l’Aviation d’Ukraine, qui effectuaient des fouilles base 103 de Cambrai reconvertie en site industriel.
dans un ravin près de Kiev, ont découvert une bombe L’installation de cette stèle a été rendue possible grâce à
non explosée datant de la Deuxième Guerre mondiale… l’action conjuguée des équipes de Fabrice Galloo, directeur
Puis leurs détecteurs de métaux ont indiqué la présence développement du projet e-Valley, du Centre d’études
de huit épaves de Hawker “Hurricane”. stratégiques aérospatiales (Cesa) dirigé par le général
Le Royaume-Uni a envoyé ces avions durant le conflit dans Les experts du
le cadre d’un programme de soutien militaire allié à l’URSS, musée national
financé par les États-Unis : le programme Lend-Lease (prêt-bail). de l’Aviation
Les huit cellules ont apparemment été poussées dans un ravin d’Ukraine
après avoir été dépouillées de tout équipement utile ou précieux, vont s’atteler
à identifier
tel qu’instruments et canons, dans le cadre des exigences
chacune des
du programme Lend-Lease ; les avions ont été délibérément détruits
épaves une fois
et enterrés afin que les Soviétiques n’aient pas à rembourser les
qu’elles auront
États-Unis, l’URSS étant tenue de payer tout équipement militaire
toutes été
donné demeuré intact après la fin des hostilités. exhumées.

DR

de brigade aérienne Emmanuel Boiteau et de sa division


Patrimoine et Traditions, ainsi que de la base aérienne 721
de Rochefort d’où est originaire le “Mirage” F1C, jadis
utilisé pour la formation des élèves sous-officiers
de l’armée de l’Air et de l’Espace.
E-Valley est un projet ambitieux de reconversion
de l’ancienne base aérienne de Cambrai, dans la région
des Hauts-de-France, en un parc e-logistique dédié
au e-commerce et au commerce hybride.
Le “Mirage” F1C n° 30 est sorti des usines Dassault en 1974
et a servi au sein de l’escadron de chasse 1/12 Cambrésis.

Spectacle aérien à Chartres


DR
le 24 septembre
Le 24 septembre aura lieu sur l’aérodrome de Chartres -
Project Warbird veut Métropoles un spectacle aérien organisé par l’Aéro-Club
de France et de l’aéro-club Chartres Métropole. La Patrouille
restaurer en état de vol de France en sera la vedette. Plus d’informations sur :
https://www.chartres.fr/meeting-aerien
un LB-30 “Liberator”
Une entité américaine baptisée Project Warbird a annoncé
début juillet son intention de restaurer et de faire voler
un LB-30 “Liberator” (désignation des tout premiers exemplaires
de ce qui allait devenir le B-24.) Elle a pour cela acquis le
Consolidated LB-30 matricule AL557 et en a ramené les premiers Les premiers
éléments sur sa base d’Anderson, en Caroline du Sud. éléments du
Ce “Liberator” a été utilisé par la Royal Air Force pendant la Deuxième LB-30 matricule
Guerre mondiale et sera restauré dans cette configuration. Devenu AL557 sont
civil après la guerre, il s’était écrasé à Kalikat Creek, en Alaska, en arrivés
à Anderson,
1958, et été abandonné. Il avait été récupéré en 1990 par l’Alaska
en Caroline ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE
Aviation Heritage Museum et été vendu en 1996 au Lone Star Flight
du Nord,
Museum de Galveston, au Texas – revendu quelques mois plus tard
à la société World Jet de Don Whittington. En 2021, Harold Jansen
au début Visitez les réserves du musée
du mois de l’Air et de l’Espace
avait acheté le projet et l’avait entreposé près de Houston. de juillet.
DR
lors des Journées du patrimoine
À l’occasion des Journée européennes du patrimoine, les 16
et 17 septembre, le musée de l’Air et de l’Espace du Bourget
ouvrira ses collections et ses coulisses au public. Les visiteurs
auront notamment la possibilité de visiter les réserves et les
ateliers d’entretien et de restauration des avions, situés à
Dugny, en bordure de piste de l’aéroport de Paris-Le Bourget.

5
ACTUALITES
Grand cirque de warbirds et de jets des dé
avec le Me 262 en vedette, à Air Legend les
Un très “Grand cirque” est et jamais entendu en France ! Les amateurs
annoncé sur l’aérodrome de multimoteurs seront servis, avec, donc,
de Melun-Villaroche les 9 et le B-17, mais aussi le superbe DC-3 suisse
10 septembre, avec le spectacle aérien Air et son trio de Beech 18, le Junkers 52
Legend qui fera défiler dans le ciel tous de l’AJBS, les P-38 “Lightning” et B-25
les après-midi un plateau de warbirds “Mitchell” des Flying Bulls, le PBY “Catalina”
et d’avions militaires modernes… venu de Grande-Bretagne.
gargantuesque ! La grande vedette Les amateurs de jets seront aussi servis,
annoncée sera le Messerschmitt 262 de et copieusement qui plus est, avec Hawker
la Fondation Messerschmitt. Mais elle ne “Hunter”, MS.760 “Paris”, CM.175 “Zéphyr”,
sera pas la seule ! Le B-17 “Forteresse F-86 “Sabre” de Frédéric Akary, MiG-15
volante” Sally B, unique exemplaire en du Norwegian Air Force Historical Squadron,
état de vol en Europe et qu’on ne voit DH 100 “Vampire”, Aero L39 “Albatros”
que très rarement en France, viendra de de la patrouille Fun & Fly, et, donc, en grande
Grande-Bretagne. Côté warbirds à moteurs vedette le Messerschmitt 262.
à pistons sont également annoncés les Une partie plus moderne verra évoluer dans
P-40N de France’s Flying Warbirds, Yak-3 le ciel melunais l’A400 M Tactical Display,
F-AZOS résident, “Skyraider”, plusieurs le Rafale Solo Display, la Patrouille de
P-51 venus d’Allemagne, de Belgique ou France, mais aussi des “Rafale” M et
encore d’Autriche comme le Nooky Booky un E-2C “Hawkeye” de l’Aéronautique
des Flying Bulls, F4U-4 “Corsair” des Flying navale. Sera également de la partie le
Bulls, de Suisse le Morane 406, unique en duo tactique de “Rafale” Requin Mike.
état de vol dans le monde et de l’écurie Le spectacle sera aussi au sol, avec de
britannique Ultimate Fighters ses Hawker nombreuses animations pour les petits
“Fury” ISS, HA-1112 “Buchon” et “Spitfire” comme pour les grands, et de nombreux
Mk XIV. Ajoutez à ce dernier le “Spitfire” stands commerciaux, des camps militaires
Mk XIV de W Air Collection, venu en voisin d’époque RAF et USAF. La liste des avions
de La Ferté-Alais, et le PR XIX de Christophe participants n’est à ce jour pas encore
Jacquard venu de Dijon ; il se profile un trio bouclée, et il n’est pas impossible que
de “Spitfire” à moteurs “Griffon” jamais vu quelques surprises viennent s’y ajouter.
AVIATION PHOTOCREW

Le P-38 des Flying Bulls


est le seul
en état de vol en Europe.

HARRY MEASURES

6
En bref
buts, Nouvelle livrée
pour le “Spitfire” Mk XIV G-SPIT
9 et 10 septembre ! Le “Spitfire” Mk XIV matricule MV293, immatriculé G-SPIT de
la collection Anglia Aircraft Restorations de l’homme d’affaires
Graham Peacock a reçu une nouvelle livrée au début du mois
de juillet. Ou plus exactement a retrouvé la livrée qu’il portait
au sein de la force aérienne indienne en 1947. À l’origine
restauré par The Fighter Collection de Stephen Grey, il vole en
tant que warbird depuis 1992. Graham Peacock l’a acheté en
2016. Il était précédemment aux couleurs du “Spitfire” Mk XIV
matricule MV268 de l’as Johnny Johnson, avec les codes JE-J.

ULTIMATE WARBIRD FLIGHTS

Le “Sea Fury” de Navy Wings volera


Le Me 262 de la fondation à nouveau, mais avec un moteur
Messerschmitt sera la grande Pratt & Whitney
vedette du spectacle.
Navy Wings (anciennement Royal Navy Historic Flight) a
annoncé début juillet que ses mécaniciens travaillent à
remettre en état de vol le Hawker “Sea Fury” FB11 matricule
VR930. Suite à l’atterrissage en catastrophe du “Sea Fury”
T.20 [biplace] matricule VX281 en avril 2021 et à sa quasi-
destruction, le conseil d’administration de Navy Wings a
débattu de la meilleure façon de procéder avec le monoplace
FRÉDÉRICK GAUCHEY VR930, et a ainsi conclu : “Après avoir suivi les conseils
d’ingénieurs, de pilotes et d’autres experts de l’aviation
de collection, notre association a décidé que pour continuer à
faire voler l’avion en toute sécurité, nous devions remplacer
Plusieurs “Rafale” le moteur Bristol “Centaurus” par un moteur Pratt & Whitney
de l’Aéronautique navale R-2800…” Cette décision est déjà controversée, et a déjà
ouvriront le spectacle aérien. provoqué de vifs commentaires, auxquels a rapidement
répondu Navy Wings : “Il est clair qu’il y a atteinte à
l’authenticité, donc cela a été une décision difficile à prendre
pour notre organisme. Néanmoins, nous pensons qu’il
s’agit de la façon de faire la plus responsable pour garantir
que notre FB11 puisse être apprécié lors de spectacles
aériens à travers le pays. Le Pratt & Whitney R-2800 est
un moteur contemporain du Bristol “Centaurus” et a été
utilisé pour propulser des avions tels que le F4U “Corsair”,
le F6F “Hellcat” et le P-47 “Thunderbolt”. Ce moteur reste
largement utilisé dans le monde de l’aviation patrimoniale,
nous prévoyons donc certains avantages de durabilité et
de sécurité. Nous attendons la livraison du moteur en octobre
et travaillerons pendant l’hiver pour l’adapter à l’avion.”

NAVY WINGS

7
LE COURRIER
Octave Lapize, du vélo au Nieuport
Un ami professeur d’histoire sévèrement étriller : Paliès, blessé Octave Lapize
m’a envoyé quelques photos à la cuisse, put ramener son fut champion
à propos d’un certain Octave Nieuport 24bis criblé de balles cycliste avant
Lapize. Personnellement, je ne à son terrain tandis que Lapize, de devenir pilote
connaissais pas ce pilote – et pourtant grièvement blessé, se posa dans de chasse…
je vous lis assidûment ! les lignes françaises et fut conduit
Thomas Seynaeve à l’hôpital de Toul où il rendit
l’âme le jour même. Son chef
d’escadrille, le lt Pierre Weiss,
lui organisa des obsèques
grandioses à la hauteur
de sa célébrité, et fit même
décorer l’épave de son Nieuport
envoyé au parc pour réparations.
Son vainqueur était … et d’être
vraisemblablement l’oberleutnant abattu
Robert von Greim, pilote le 14 juillet
Les deux faces d’un morceau 1917 aux
à la Jasta 34, qui revendiqua ce
du Nieuport de Lapize. commandes
jour une victoire aérienne au sud
DR/COLL. THOMAS SEYNAEVE de son
de Nomeny, non loin de Toul
Nieuport 24bis. DR
– la troisième des 28 victoires
qu’il remporta durant la guerre.
Devenu un des généraux
de la Luftwaffe durant
la Deuxième Guerre mondiale,
il en fut même nommé le chef
suprême par Hitler dans
son bunker le 26 avril 1945
après la disgrâce de Göring,
évacuant la capitale encerclée
dans un avion piloté par Hanna
DR/COLL. THOMAS SEYNAEVE
Reitsch. Capturé par les troupes
américaines quelques jours
David Méchin plonge plus tard, il se suicida en prison
immédiatement dans ses archives. le 24 mai après avoir appris
Voici son retour : “Vainqueur du qu’il allait être livré aux
Tour de France en 1910, triple troupes russes.”
DR
vainqueur du Paris-Roubaix
et médaille de bronze aux Jeux
olympiques de Londres en 1908,
Octave Lapize était un champion Des P-51 “Mustang” et pas des F-6 !
cycliste très célèbre durant la
Belle Époque. Bien qu’exempté Dans le Fana de l’Aviation “Impossible d’en donner
par l’armée à cause de sa surdité n° 645, page 10, sur une photo une explication logique”.
d’une oreille, il était désireux de l’on voit deux “Mustang” du groupe Les Américains parlaient
servir et s’engagea volontairement de reconnaissance 2/33 Savoie apparemment toujours
pour la durée de la guerre le sous l’appellation F-6D. L’appellation Le carnet de vol du P-51. Pour mémoire
14 août 1914. On l’affecta au du “Mustang” était bien P-51 dans indique bien la désignation F-6
service automobile d’un régiment les écritures officielles et non F-6D. P-51 et non pas correspondait à une sous-version
du train avant qu’il ne se porte En 1952 j’étais mécanicien avion précisément de “Mustang” équipée de
volontaire pour l’aviation et dans cette unité à Cognac. la version caméras. L’armée de l’Air en
obtienne son brevet de pilote Mon carnet de vol était tenu à jour par de l’appareil. utilisa une petite cinquantaine.
(n° 1720) le 8 octobre 1915. le bureau OPS du groupe 2/33 et
Nommé caporal, puis sergent, il l’appellation du “Mustang” était
servit près d’une année comme bien P-51 dans les écritures.
moniteur en école à Avord, puis Pierre Piron
devient pilote à l’escadrille F 203
sur Farman F.40 le 20 avril 1917 En effet le
avant de passer à l’escadrille spécialiste de la 33e escadre
N 90 basée à Toul le 18 mai sur Patrick Ehrhardt souligne
chasseurs Nieuport. Le 14 juillet dans sa bible sur le sujet,
1917, il partit dans une patrouille Retour sur 33, que les
de chasse menée par le documents officiels de
lieutenant Louis Paliès. Les deux l’époque parlent tous de
hommes engagèrent un groupe de P-51 “Mustang” et non pas
chasseurs ennemis mais se firent de F-6. Il souligne :
PIERRE PIRON

8
Où allait
le Blériot XI
n° 220 ? Le Blériot XI
Voici trois photos issues n° 220 s’est
de plaques de verre stéréo. posé suite
Les seules infos : “Monoplan en panne à une panne
route de Pochy”. La scène se passe près de
au nord-est de Châteauneuf-sur-Loire Châteauneuf-
(Loiret) près de vignes. D’où venait sur-Loire.
DR/COLL. B. MEUNIER
et où allait ce Blériot XI n° 220 ?
Cordialement.
Bruno Meunier

Notre expert David


Méchin répond à votre
interrogation : “Entre 1912
et 1914 (et même après), l’école
de pilotage d’Avord n’était pas
très loin et formait des pilotes sur
Blériot. Il est très probable que ce
Blériot militaire en soit issu, et se
soit posé à Châteauneuf-sur-Loire
suite à un problème mécanique, Il est précisé
attirant une foule de curieux sur la dérive
et un photographe de village. une charge
Mais je n’ai pas d’informations maximale
particulières sur le Blériot 220”. de 275 kg.
DR/COLL. B. MEUNIER

L’appareil
venait
probablement
de l’école
de pilotage
d’Avord.
DR/COLL. B. MEUNIER

Un avion pour Le “Phantom” II


équipait
deux patrouilles la patrouille
des
Thunderbirds
J’ai lu quelque part que avec le F-4E…
les chasseurs “Phantom” II
équipaient deux patrouilles
américaines simultanément.
Auriez-vous des informations ?
Gaël Bompten

Affirmatif !
Le “Phantom” II équipa
à la même époque les Blue
Angels de l’US Navy et les
Thunderbirds de l’USAF. Ainsi
il fut possible de voir aux États-
DR/COLL. JACQUES GUILLEM
Unis entre 1969 et 1973 deux DR/COLL. JACQUES GUILLEM

patrouilles sur “Phantom” II. … et celle


Particularité : les Blue Angels des Blue Angels
évoluaient sur F-4J, version avec le F-4J.
embarquée sur porte-avions,
alors que les Thunderbirds
disposaient de F-4E.
9
CERNY-LA FERTÉ-ALAIS
50 ans de meeting
“Spit” contre 109
“Spitfire” et Messerschmitt 109
se sont succédé à La Ferté Alais.
L’occasion d’étudier au sol les différentes
versions et de jauger en vol les deux
frères ennemis…
Par Jean-Pierre Touzeau

L
es premières fois où j’ai en- L’élément déclencheur se fit par
tendu parler de La Ferté- l’intermédiaire d’un entrefilet à la fin
Alais, cela devait être au gé- de l’éditorial du Fanatique de
nérique des Faucheurs de L’Aviation n° 126 de mai 1980 : «Tous
marguerites. Ce feuilleton à La Ferté-Alais pour le traditionnel
diffusé au milieu des années 1970 meeting de printemps où l’on annonce
retraçait l’aventure des pionniers de des avions fameux comme … le
l’aviation au travers d’un héros fictif. “Spitfire”. » Il ne m’en fallait pas plus.
Pour être franc, bien que déjà fana de Le jour J arriva et je me rendis pour
vieux avions, ce n’était pas vraiment la première fois au terrain, Incroyable,
J.J. BASSET
le genre de machines qui m’intéres- il était là. Et malgré son hélice qua-
saient le plus. Je voulais voir du dripale et ses six pipes échappements,
“Corsair”, du “Mus- DR/C . J -P T
OLL EAN IERRE OUZEAU c
c’était bien un Mk I.
tang”, du 109, mais P importe, j’étais
Peu
principalement des sous
s le charme, et
“Spit fire” (et oui p ne pas en perdre
pour
déjà !). J’avais déjà eu u miette, je m’ins-
une Le précieux
l’o c c a s io n d’e n t
tallai juste derrière sésame
contempler un exem- l barrières et y res-
les de Jean-Pierre
plaire au cours d’une tai
t collé la journée Touzeau
sortie scolaire au e
entière. De la mise en en 1980.
musée de l’Air de r
route au posé des
Meudon, mais il m’en r
roues, je ne le perdis
fallait plus. À présent p une seconde des
pas
je voulais en voir vo- yeux.
y Confirmation :
ler un. Mais où et comment : à cette c’était bien la plus belle machine vo-
époque c’était plutôt compliqué. lante jamais construite.

JEAN-CLAUDE BLONDELLE
JEAN-PIERRE TOUZEAU

Le “Spitfire” Mk Ia
qui impressionna tant
Jean-Pierre Touzeau en 1980.

10
Le HA-1112 “Buchon” n° de série
C4K-40 (à gauche) en patrouille
avec le “Spitfire” Mk IX ML417
à La Ferté-Alais en 1989.

Le HA-1112 Le “Spitfire” Mk IX MH434


vu ci-dessus devenu en 1995.
un Me 109 G-10 en 1995.

JEAN-CLAUDE BLONDELLE
JEAN-CLAUDE BLONDELLE

Toujours le HA-1112,
cette fois-ci à sa première
apparition en 1987.
50 ANS DE MEETING

Stephen Grey dans


son “Spitfire” Mk IX en 1987.

Le “Spitfire” FR XIVe MV293


en 1993.

JEAN-CLAUDE BLONDELLE

Le Me 109 G-2 en 1993.

GABLIER IMBERT
Le Me 109 G-4
immatriculé
D-FWME.

Le “Spitfire”
LF Mk XVIe
en 1993.
JEAN-CLAUDE BLONDELLE
JEAN-PIERRE BURIN

En 2004,
défilé du “tire-
bouchon” suivi
du Me 109 G-2,
un ancien
HA 1109 …

12
À LIRE, À VOIR
Des chiffres des années 1950. Il est Faites de la place dans vos contrées exotiques et bien
question ici de budget, de bibliothèques, l’ouvrage y a sûr son lot d’avions – la
choix dans les dépenses. indubitablement sa place. panoplie est vaste, allant
Nous voici au cœur du “Catalina” au MiG-19 en
des grandes décisions Le prix de la passant par le “Crusader”
dans les dotations en puissance aérienne, et un C-130 “Hercules”
matériels. Beaucoup histoire financière qui goûte aux joies de
d’événements prennent des forces aériennes l’appontage sur porte-
une tournure différente si françaises des avions. On ne vous en dit
l’on veut bien se pencher origines au début pas plus, Molotok-41 ne
et analyser ce qui motive des années 1950 répond plus et il faut savoir
les décisions budgétaires. Par Michel Fleurence pourquoi. À découvrir ici !
C’est particulièrement vrai La Documentation Dassaultl Rafale
f l
avant les deux guerres française Par Babak Taghvaee
Voici une étude mondiales. Que ressort-il 667 pages, 25 € Chez Key books
absolument passionnante. de tout ceci sur le long ISBN 978-2-11-157790-9 95 pages, 22,95 €
Et pourtant il s’agit de terme ? La France a ISBN 978-1-80282-591-6
chiffres, de tableaux, depuis toujours largement Rafale
d’analyses financières.
Ici pas de témoignages
soutenu financièrement
la dimension aérienne Babak Taghvaee propose
Buck Danny
racontant nimbés de de la guerre. Elle en fit dans la langue de Pourquoi un vénérable
panache des combats un pan important Shakespeare une synthèse Junkers 52 apponte sur
ébouriffants ou les périples de sa puissance militaire sur le Dassault “Rafale”. le porte-avions américain
d’un avion légendaire. tout en y voyant le moyen Classique : lancement Roosevelt en 1958 ? Voici
L’ensemble que propose d’entretenir un volet du programme, entrée une énigme qui trouvera
cette publication dense industriel non négligeable en service dans la Marine sa solution dans cette Molotok-41
pourrait être rébarbatif, pour son économie. Cette nationale puis l’armée nouvelle aventure de Buck ne répond plus
et pourtant c’est une publication apporte une de l’Air. Arrivent ensuite Danny dans la collection Par Lebras, Marniquet
analyse économique de la vision globale qui permet les exportations. Voilà “Classic”. Un grand et Zumbiehl
mise en place d’une force de mieux comprendre de quoi avoir une vision classique avec une affaire Chez Dupuis
aérienne en France depuis les choix en matière globale de cette réussite louche, son lot d’espions, 48 pages, 15,50 €
1908 jusqu’au début d’aéronautique en France. technique et industrielle. de traites, sans oublier les ISBN 9782361183325
DR/COLL AAMD

Concorde pour toujours


Les défis de Concorde,
L
Il y a 20 ans se déroulaient les derniers vols (Association des professionnels de 100 passagers, à Mach 2,
1
de Concorde. Air France et British Airways Concorde et du supersonique) proposee de Paris à New York
d
mettaient à la retraite le premier supersonique deux publications sur Concorde. PPar
Pa a Philippe Borentin
commercial. Une page se tournait. La tragédie Les défis de Concorde est une eett Pierre Grange
de l’accident de juillet 2000 laisse un arrière- bonne synthèse sur l’avion et son Édité
ÉÉddi par l’Apcos
goût amer à une grande aventure industrielle. exploitation commerciale et permet 43 pages,
43 p 22 €
On ne compte plus les publications sur le de comprendre comment un avion
sujet. Citons tout de même celle, excellente, transportait 100 passagers à
signée par Pierre Sparaco dans le Docavia Mach 2 entre paris et New York.
n° 44 ou, moins connue, Le dossier vérité du La seconde publication est le
Concorde signé de Claude Alain-Sarre. Cette semestriel Concorde Référence (n° 6)..
dernière est une attaque en règle contre le Plusieurs thèmes au programme, dontt uun une
ne
programme du supersonique avec de solides interview illustrée de Lucio Perinotto ou la
arguments appuyés sur les archives. Concorde présentation d’une grande visite technique.
va susciter longtemps un grand intérêt et la Les deux publications se trouvent sur le site
nostalgie du voyage supersonique. L’Apcos concordereference.fr

Concorde e
Référence n° 6
38 pages sur
abonnement :
2 numéros 25 €

Concorde affronte
14 le grand froid en 1975.
SUPERSONIQUE
Concorde Sierra Alpha
Le conquérant
de l’Atlantique
Il y a 50 ans le Concorde Sierra Alpha
établit une magistrale traversée de
l’Atlantique. Il démontre que le transport
supersonique civil est une réalité.
Tous les espoirs commerciaux sont
alors possibles. Sierra Alpha assure
la promotion de l’avion en Amérique et
lors des salons du Bourget. Voici l’histoire
d’un Concorde qui tient une place
centrale dans l’histoire du supersonique.
Par Alexis Rocher

L
orsqu’il est lancé en 1962, le page 23). La porte arrière type
programme Concorde pré- Caravelle a été supprimée et été rem-
voit une importante phase de placée par une porte de soute laté-
mise au point avec d’abord rale. Toutefois la structure et plu-
deux prototypes suivis de sieurs équipements et systèmes sont
deux avions de présérie (lire les Fana déjà ceux de la version de série.
de l’Aviation nos 592 et 593). Chaque Sierra Alpha sort du hangar pour la
étape permet d’affiner les études, la première fois le 28 septembre 1972.
configuration générale, dans la pers- L’aménagement intérieur est dif-
pective de la version de série. férent de celui des deux prototypes
Britanniques et Français se par- qui n’emportaient que des installa-
tagent l’assemblage des prototypes tions techniques. Sierra Alpha com-
et des avions de présérie, avec à prend deux cabines : la partie avant
chaque fois des sous-ensembles fa- pour des équipements d’essais en
briqués par chaque pays. Le 2 mars vol ; à l’arrière se trouvent 32 sièges
1969, le premier vol du prototype 001 en cuir, un petit salon et une cuisine
immatriculé F-WTSS lance les es- (galley) permettant d’accueillir des
sais. Il est rejoint le 9 avril par le se- passagers. Il est en effet prévu d’ins-
cond prototype (G-BSST). taller des invités à bord, dans les
meilleures conditions possible, pour
Conçu pour accueillir assurer la promotion de l’avion.
des passagers… … Sierra Alpha décolle
Le Concorde de présérie 01
(G-AXDN) vole pour la première
le 10 janvier 1973
fois depuis Filton le 17 décembre Le 10 janvier 1973, Sierra Alpha
1971. F-WTSA, Sierra Alpha, le deu- vole pour la première fois. Jean
xième Concorde de présérie, est lui Franchi est commandant de bord,
assemblé à Toulouse. Il a les formes Jean Pinet copilote. Yves Pingret
et les dimensions des futurs avions tient le rôle de mécanicien navigant
de série, notamment avec une nou- d’essais, Claude Durand celui d’ingé-
velle géométrie pour la pointe ar- nieur navigant. Jean Belson est l’ingé-
rière désormais plus longue, un nieur d’essais pour la Snecma et
empennage vertical plus haut, des s’occupe des réacteurs. Une sortie
nouvelles tuyères (lire encadré sans histoire. Le 12 janvier, pour son

DR/COLL. AAMD

20
Décembre 1975 : Sierra Alpha
affronte le grand froid de Gander,
à Terre-Neuve, pour des essais
sur piste enneigée.

21
CONCORDE SIERRA ALPHA

“ Le côté gauche aux


couleurs d’Air France,
et l’autre à celles
de British Airways ”
deuxième vol, Sierra Alpha est super-
sonique (Mach 1,26). André Turcat,
pilote du premier vol du 001 en mars
1969, est à ses commandes le 22 jan-
vier pour le vol n° 6. Mach 2 est atteint
le 30 janvier lors du vol n° 8.
Les bons débuts de Sierra Alpha
coïncident pourtant avec l’accumu-
lation de nuages noirs autour de
Concorde. Fin janvier, Pan Am et
la TWA annulent leurs options. Le
doute s’installe sur la rentabilité
économique de l’avion. L’équipe Assemblage
Concorde sait qu’il faut absolument du nez basculant
contre-attaquer. Sierra Alpha est et de la visière.
AÉROSPATIALE/ASSOCIATION AIRITAGE
en première ligne. Il doit démontrer
que le supersonique était fiable. américaine a annoncé que le vol su- France depuis 1938, vole ainsi avec
L e programme d’essais des personique est interdit au-dessus de Jean Franchi le 28 mai. Si le bilan du
Concorde étant bien avancé, Sierra ses terres. Concorde ne pourra pas Salon est considéré comme encoura-
Alpha effectue une simulation de traverser les États-Unis à Mach 2… geant pour les équipes Concorde
traversée transatlantique le 23 fé- Il perd ainsi un avantage décisif par avec Sierra Alpha, l’accident tragique
vrier. Il réalise une grande boucle de rapport aux avions subsoniques. du Tupolev 144 le 3 juin provoque
3 050 milles nautiques (5 648 km) au- L’”Olympus” La promotion de Concorde est une douche froide dans cette course
dessus de l’Atlantique au large de Mk 602 toutefois toujours d’actualité. Sierra au supersonique civil commercial à
avant son
l’Irlande et l’Islande. L’avion vole Alpha réalise lors de ce salon plu- laquelle se livrent les deux appareils.
installation sur
pendant 2 h 07 min à Mach 2. sieurs vols de démonstration avec des Le 8 juin, Sierra Alpha effectue
le Concorde 02,
délégations à bord. Lionel Casse, une un aller-retour entre Toulouse et
futur
Vols de démonstration Sierra Alpha.
sommité parmi les pilotes d’Air Orly avec à bord à l’aller les ministres
au Bourget de 1973
Le 12 mars, un nouveau pilote
prend les commandes en place
gauche, Pierre Dudal, pilote du
Centre d’essais en vol, avec à ses
côtés Gilbert Defer. Dudal est le
pilote de marque Concorde au CEV.
Il joue un rôle important dans le pro-
cessus de certifications de l’avion. Il
vole à 31 reprises à bord de Sierra
Alpha. Pierre Bolliet, lui aussi pilote
pour le CEV, est plus particulière-
ment en charge des vols de certifica-
tions systèmes (pilote automatique,
freinage etc.) de 1973 à 1975.
Le 6 mars, pour le vol n° 19,
Sierra Alpha parcourt une distance
de 3 400 milles nautique (6 296,8 km).
Deux jours plus tard, Jean Pinet
accueille dans le cockpit le pilote
d’Air France Maurice Bernard,
chargé d’étudier la mise en service
de Concorde dans la compagnie
aérienne, qui a commandé l’année
précédente quatre Concorde.
Sierra Alpha participa au Salon
du Bourget de 1973 du 24 mai au
4 juin, à une époque où le contexte
est de plus en plus morose pour
Concorde. Fin mars, l’administration
AÉROSPATIALE/ASSOCIATION AIRITAGE

22
L’assemblage
du Sierra Alpha
dans l’usine
Saint-Martin-
du-Touch
de Toulouse.
Le fuselage
central, fabriqué
en Angleterre,
va joindre l’avant
et l’arrière
de l’avion.
AÉROSPATIALE/ASSOCIATION AIRITAGE

des Transports français et améri- d’abord à Dallas, au Texas, puis à des pilotes Jean Franchi et Gilbert
cains, au retour le ministre des Washington. Pour l’occasion Sierra Defer, et des mécaniciens navigants
Affaires étrangères chinois. Alpha est peint du côté gauche aux Yves Pingret et Ugo Venchiarutti.
couleurs d’Air France et de l’autre à Trois PNC (personnel navigant
Première tournée celles de British Airways. Cette commercial) sont du voyage, dont
double identité ne laisse pas indiffé- Claude Montpoint, mis à disposition
américaine rent André Turcat comme il le sou- par Air France, qui organise tout le
Une démonstration importante lignera malicieusement plus tard : service à bord.
est programmée en septembre 1973. “Nous prenions soin aux aéroports L’importance du déplacement
Sierra Alpha doit aller d’Orly à de tourner le “bon” flanc vers le dans la promotion du supersonique
Caracas, au Venezuela. L’étape sui- public (comprendre celui d’Air se mesure aux personnalités pré-
vante doit le mener aux États-Unis, France)”. L’équipage se compose sentes, notamment Henri Ziegler,

Les ensembles
Une histoire d’éjection
de tuyères… type 11
Avec Sierra Alpha apparaissaient installés sur le
les tuyères définitives des réacteurs Concorde 001
“Olympus” 593. Les tuyères des exposé au musée
“Olympus” furent l’objet de longues de l’Air et de
recherches pour les rendre les plus l’Espace.
efficaces possible, les moins chères,
tout en restant légères. Comme
toujours dans l’aéronautique, le gain
en masse se traduisait en effet par une
augmentation de la charge marchande,
donc de la rentabilité. Trois modèles ALEXIS ROCHER

se succédèrent sur Concorde. Les deux La tuyère


prototypes disposèrent d’un ensemble à reverse
d’éjection type 10 puis 11. Il permettait aval, dite TRA,
d’assurer l’inversion de poussée, installée sur
tout en diminuant le bruit. Sierra Alpha Sierre Alpha.
et les Concorde de série adoptaient Elle apportait
l’ensemble d’éjection type 28, un gain non
dit aussi TRA (tuyère à reverse en aval). négligeable
Sa mise au point fit appel et fut installée
au constructeur américain TRE. sur les Concorde
Elle jouait les mêmes rôles de série.
mais pour une masse moins importante,
permettant un gain de près de 20 %
de la charge marchande.
ALEXIS ROCHER

23
CONCORDE SIERRA ALPHA

Sierra Alpha va
bientôt recevoir
ses tuyères.
En arrière-plan
les premiers
Concorde
de série.

Sierra Alpha
effectua son
premier vol le
10 janvier 1973.
C’est le second AÉROSPATIALE/ASSOCIATION AIRITAGE

exemplaire président de la Snias (Société natio- teur à la British Airways Overseas, Des officiels américains
de présérie. nale industrielle aérospatiale), à ce sans oublier Bernard Lathière, di-
Le premier titre directement en première ligne recteur des transports aériens au
conviés à bord
avait volé quant aux aspects commerciaux. À ministère des Transports. Des jour- Le 18 septembre Sierra Alpha
en Grande- ses côtés un directeur du marketing nalistes complètent les 32 passagers rejoint Caracas en 6 h 23 min, après
Bretagne le de la BAC (British Aircraft Corpo- de ce voyage si particulier. Il faut une escale de 44 minutes à Las
17 décembre ration), le partenaire britannique marquer les esprits, conquérir Palmas, aux Canaries. Le jeudi
1971. Les deux
sur Concorde. Se joignent à eux l’Amérique en prouvant aux com- 20 septembre, Sierra Alpha se pose
prototypes
Georges Galichon, président d’Air pagnies aériennes que c’est un tran- sur ce qui se présente alors comme
volaient depuis
France, John Ross Stainton, direc- satlantique fiable. le plus grand aéroport du monde, à
1969.

24
Sierra Alpha au Salon
du Bourget de 1973.

DR/COLL. JACQUES GUILLEM

égale distance entre Dallas et Fort- sés au profit d’invités. À chaque fois sur le Point d’Interrogation. Le 23,
Worth au Texas. Sierra Alpha avait Sierra Alpha est supersonique. Le Sierra Alpha rejoint Washington en
décollé de Caracas et rejoint Dallas lendemain, nouvelle présentation à 2 h 16 min. Un aréopage d’officiels
en 2 h 25 min pour un vol de Dallas-Fort Worth pour marquer américains est convié à bord : le
4 121 km. À bord se trouve Edward l’ouverture de “l’aéroport de l’an sénateur du Texas Lloyd Bentsen,
Acker, président de la compagnie 2000”. Le public américain est ravi. le président de l’aviation civile amé-
Braniff International, dont le siège Les officiels ne manquent pas de ricaine Krupinski, Robert D. Timm,
est à Dallas et qui a toujours trois souligner que Costes et Bellontes de l’agence américaine de gestion
Concorde en option. Le 21, deux étaient passés par Dallas en 1930 du transport aérien (Civil Aero-
vols de démonstration sont organi- après leur traversée de l’Atlantique nautics Board). Les ambassadeurs


AÉROSPATIALE/ASSOCIATION AIRITAGE DR/COLL AAMD
L’équipage
du premier vol.
Au premier plan
de gauche
à droite :
Jean Pinet et
Jean Franchi.
Au second plan,
de gauche
à droite :
Yves Pingret,
Jean Beslon et
Claude Durand.

25
CONCORDE SIERRA ALPHA

Sierra Alpha est supersonique


le 12 janvier 1973 et atteint Mach 2
le 30 janvier pour son huitième vol.

DR/COLL. AAMD

de France et du Royaume-Uni sont


également en cabine. Il s’agit d’une
“ Deux moteurs se sont espoirs commerciaux pour Concorde
avec la première crise pétrolière.
grande opération de charme auprès C’est désormais une certitude :
des Américains. éteints au décollage… Le l’avion sera coûteux à exploiter.
L’année 1974 commence par une
Traversée de l’Atlantique réallumage automatique grande campagne dans le froid de
l’Alaska. Il faut vérifier le comporte-
supersonique
Le 26 septembre sonne l’heure a fonctionné ” ment de l’avion par - 40 °C. Sierra
Alpha décolle le 7 février pour une
du retour. Pour son 81e vol, Sierra première étape à Keflavik en Islande.
Alpha traverse l’Atlantique en ajoute : “Les compagnies aériennes Le 13, l’avion arrive à Fairbanks en
2 h 45 min à la vitesse de croisière gagneront de l’argent avec cet avion.” Alaska. Le même jour il redécolle et
supersonique – 3 h 33 min au total. Ce 26 septembre, Sierra Alpha fait un circuit de 3 h 10 min. Le 15,
C’est une grande première pour rejoint Toulouse une fois ses passa- Sierra Alpha est à Anchorage, un peu
Concorde. L’avion a décollé avec un gers débarqués à Orly. Maurice
poids total de 176 t, dont 86 de kéro- Bernard retrouve Jean Pinet aux Sierra Alpha
sène. À l’atterrissage, le superso- commandes à cette occasion. Les arrive à Dallas-
nique pèse 99 t, dont 9,5 de carbu- mois d’octobre et de novembre sont Fort Worth le
20 septembre
rant. Ce qui passe pour une consacrés à des vols d’essais (vols
1973. L’appareil
performance exceptionnelle est pré- nos 83 à 104). Pour son vol n° 91, le
fait sensation sur
senté comme le futur vol standard 24 octobre, Sierra Alpha est piloté
les pistes du tout
sur l’Atlantique nord. Concorde est par Brian Trubshaw. Il avait piloté le nouvel aéroport.
le nouveau transatlantique. premier Concorde britannique pour Il faut
Cette fois-ci sont à bord Robert son premier vol ; il était l’équivalent absolument
Galley, ministre des Armées, Gus d’André Turcat. Quelques jours plus séduire le public
Weiss, conseiller du président Nixon tard c’est Gordon Corps, pilote d’es- américain
pour les questions aéronautiques, sais de la CAA (Civil Aviation à l’heure où la
ainsi que des délégations de Braniff, Authority) britannique qui pilote commercialisation
British Airways et Air France. Henri l’avion. Ce 26 octobre, Sierra Alpha du supersonique
Ziegler est toujours présent. passe le cap des 100 heures de vol en bat son plein.
Concorde est un supersonique com- supersonique (vol n° 94).
mercial fiable et cela doit se savoir.
La presse est à l’arrivée. Jean Franchi Le 001 rejoint le musée
déclare : “Un vol sans incident, dans
les temps et les prévisions de consom-
de l’Air et de l’Espace
mation.” “Les détracteurs de cet Une page se tourne dans les es-
appareil n’avaient pas raison”, confie sais de Concorde le 19 octobre quand
M. Robert Galley aux journalistes le prototype 001 rejoint le musée de
dès son débarquement. “Ce voyage, l’Air et de l’Espace du Bourget. Le
estime un peu péremptoire Henri 6 décembre, c’est Sierra Bravo
Ziegler, marque un tournant défini- (Concorde 201 im matriculé
tif dans la carrière commerciale de F-WTSB) qui intègre les essais en
Concorde. L’ère des contestations est effectuant son premier vol. Sierra
terminée.” Le directeur des trans- Alpha est immobilisé entre le 21 no-
ports aériens au ministère des vembre et le 30 janvier 1974. La fin
Transports, Bernard Lathière, de l’année 1973 cloue au pilori les
26
DR/COLL. AAMD
La route suivie
plus au sud. L’étape est l’occasion de par Sierra slush (neige à moitié fondue) sur une Le 19 février c’est le retour à
voler 2 h 31 min pour soumettre en- Alpha lors couche épaisse. On nous a autorisés Toulouse pratiquement par le même
core tous les systèmes et équipements de son vol à décoller sur cette piste-là et, pen- itinéraire – en chemin Sierra Alpha
à des températures extrêmes. Washington- dant la phase de décollage, bien sûr, passe à la verticale exacte du pôle
Paris. Il traversa il y a eu ingestion d’eau et de slush Nord géographique.
Un épisode qui aurait l’Atlantique dans les moteurs puisqu’il n’y avait Début mai les quatre réacteurs
en 3 h 33 min, aucune protection des roues à “Olympus” Mk 602 bénéficient d’un
pu mal tourner dont 2 h 45 min l’époque. Deux moteurs se sont chantier améliorations. Il ne s’agit
Yves Pingret se souvient d’un à vitesse éteints en pleine phase de décol- pas encore de la version de série, mais
épisode qui aurait pu mal tourner : supersonique, lage… Heureusement on avait le elle présente plusieurs modifications
“Quand on était à Anchorage, pour le tout avec 32 réallumage automatique qui fonc- substantielles par rapport à celles qui
les essais, on nous a décalés d’une passagers triés tionnait ; les moteurs sont repartis propulsent les prototypes. L’une des
piste. La bonne piste était déneigée sur le volet. d’eux-mêmes et on a sauvé l’avion et plus importantes passe par le rempla-
et la moins bonne était pleine de nous-même…” cement de la chambre de combustion


JEAN CLAUDE CAILLOU/COLL. AAMD

27
CONCORDE SIERRA ALPHA

cannulaire par une chambre de type au-dessus de l’Atlantique. Sierra Essai “piscine”
annulaire. Son effet le plus visible est Alpha se pose, repart et revient fina- des déflecteurs
de produire des fumées beaucoup lement à Boston 5 minutes avant le anti-projection
moins importantes. Sa poussée est 747 qu’il a rattrapé et dépassé. Tout en 1975.
augmentée, permettant de meil- un symbole ! Mais c’est une victoire
leures performances. C’est une avan- à la Pyrrhus selon l’expression consa-
cée importante dans la perspective crée (1) : le 747 est déjà en service et
d’une version de série. le gros-porteur, certes moins rapide,
Fin mai s’engage une nouvelle est déjà rentable.
campagne d’essais. Cette fois-ci il Fin juin les vols d’essais se font à
s’agit de vérifier l’aptitude de l’avion partir de Prestwick et Brétigny-sur-
à voler en condition commerciale, Orge. Le 29 juin Sierra Alpha em-
c’est-à-dire souvent et avec la régula- barque un prestigieux passager à
rité d’un métronome pour être le plus Istres : le Shah d’Iran. Il vient d’assis-
rentable possible. C’est ainsi que ter à une présentation des avions
Sierra Alpha relie à cinq reprises Dassault au cœur de leur centre
Paris-Charles de Gaulle à Rio de d’essais en vol. Ce n’est pas la pre-
Janeiro avec une escale à Dakar mière fois qu’il voyage à bord de
entre le 27 mai et le 5 juin. Lors de Concorde ; en juin 1972, il avait ap-
quatre vols, Brian Trubshaw est ins- précié le vol à bord du supersonique
tallé sur le siège de droite avec à de passage à Téhéran. Britanniques
gauche Jean Franchi ou Jean Pinet. et Français espèrent toujours vendre
Du 13 au 18 juin se déroule une deu- Concorde à l’Iran. Sierra Alpha re-
xième série de vols d’endurance, joint Téhéran en 2 h 36 min – dont
cette fois-ci sur le trajet Paris-Boston- 2 h 08 en supersonique. André Turcat
Miami. Les escales techniques ne et Jean Pinet sont aux commandes.
durent pas plus de 40 minutes. Le Shah se montre intéressé par
l’avion mais n’ordonne aucune com-
La course mande pour Iran Air.
Le 20 octobre Sierra Alpha part
contre le Boeing 747 pour une grande tournée sur les côtes Sierra Alpha
affronte avec
Le 17 juin 1974 se déroule une
succès les
course un peu particulière. Sierra
(1) Dans l’Antiquité, Pyrrhus était températures
Alpha décolle de Boston alors qu’un
ce roi grec célèbre pour ses victoires polaires
Boeing 747 part de Paris au même dans les batailles contre Rome de l’Alaska
instant. Les deux avions se croisent mais qui perdit fi nalement la guerre. en février 1974.
AÉROSPATIALE/ASSOCIATION AIRITAGE
DR/COLL. AAMD

du Pacifique de l’Amérique depuis Cinq Concorde en cours d’assem- rant entre 10 et 29 minutes chacune.
Heathrow. L’avion passe par Gander, blage restent à vendre. Il faut impé- Nouvelle série d’essais d’ingestion
(Terre-Neuve), Mexico, San rativement poursuivre sa promotion d’eau et de slush à Fairford début
Francisco, Los Angeles, Acapulco, commerciale. Sierra Alpha est en mai. À la fi n du même mois s’an-
Lima, Bogota, Caracas. Le 28 oc- première ligne. nonce une nouvelle participation au
tobre, Sierra Alpha se pose à Paris Sierra Alpha reprend ses vols le Salon du Bourget. Cette fois-ci
après un périple de 42 830 km. Selon 8 février 1975. Le 12 il effectue un Sierra Alpha est présenté seulement
une habitude bien ancrée, chaque vol Concorde aller-retour pour Casablanca. Le au statique. C’est désormais Sierra
est toujours l’occasion d’inviter des devait pouvoir mois de mars se passe avec des vols Bravo (F-WTSB, Concorde 201) qui
passagers prestigieux, des représen- décoller par assez courts, autour d’une demi- tient le rôle de vedette. Le Tu-144 est
- 40 °C. Essais
tants de compagnies aériennes. Le heure, parfois moins comme le 26, de retour après le drame de 1973. Le
réussis début
maire de San Francisco ne manque avec le même jour trois sorties du- supersonique a encore un avenir

1974 !
pas de souligner que Concorde n’est
pas plus bruyant que les autres jets.
La foule se presse sur les bords de
piste pour assister aux arrivées et aux
décollages de Sierra Alpha.
Embouteillages assurés !

Des louanges…
mais pas de commandes
Malgré les louanges, le carnet de
commandes reste pourtant désespé-
rément vide. Le dernier vol de 1974
se déroule le 23 novembre. Cette
année s’achève sur un constat finan-
cier et commercial imparable. Les
gouvernements français et britan-
niques sont en effet d’accord : aucune
dépense supplémentaire ne serait
engagée au-delà du Concorde n° 16.
AÉROSPATIALE/ASSOCIATION AIRITAGE

29
CONCORDE SIERRA ALPHA

DR/COLL. AAMD
Sierra Alpha
jurent ses promoteurs. Début oc- effectua 314 au point des freins…” Ces freins qui son premier vol trois ans auparavant :
tobre, Sierra Alpha traverse à nou- vols entre 1973 résistent mieux à la chaleur des frot- Jean Franchi, Gilbert Defer, Yves
veau l’Atlantique et se rend à Ottawa et mai 1976. tements sont moins lourds que les Pingret et Claude Durand se re-
avec André Turcat aux commandes. Il apporta une précédents en acier, encore un gain trouvent pour l’occasion. Les équipe-
Concorde participe à l’inauguration contribution de poids non négligeable. Le 5 dé- ments et installations d’essais sont
du nouvel aéroport de Montréal essentielle dans cembre Sierra Alpha part pour immédiatement démontés après ce
Mirabel le 4 octobre. Les specta- la certification Gander pour des essais sur piste vol. Les 32 sièges, le coin salon et la
teurs du supersonique ne manquent de Concorde enneigée. Le 11 décembre, Sierra cuisine de la cabine arrière sont trans-
pas de souligner que le retour sur fin 1975. Alpha traverse pour la dernière fois férés dans Sierra Bravo (2).
Paris le 6 octobre se fait 25 ans jour l’Atlantique en retournant à Le 20 mai, Sierra Alpha décolle
pour jour après l’inauguration de la Toulouse (vol n° 311). L’année 1975 de Toulouse-Blagnac et rejoint un
ligne par Air France. Le 6 octobre est particulièrement importante peu plus d’une heure plus tard Orly
1950, le “Constellation” avait mis pour Concorde. L’avion reçoit son avec Jean Franchi et Gilbert Defer
12 h 45 là ou Concorde réalise la tra- certificat de navigabilité français le aux commandes. C’est le 314e vol de
versée en 3 h 31 min, dont 2 h 31 min 9 octobre, puis le britannique le l’appareil. Sierra Alpha affiche
en supersonique. 5 décembre. L’avion est bon pour le 656 heures de vol, dont 281 heures et
service commercial. Sa fiabilité est 20 minutes en supersonique.
Des nouveaux freins démontrée. Pour Sierra Alpha, avion L’atterrissage se fait dans de mau-
d’essais, sonne l’heure de la retraite. vaises conditions météo, et l’avion
et les derniers vols Nouveau vol de 3 h 39 min le mord le bord de piste. Son homo-
Sierra Alpha reprend ses essais 27 janvier 1976 avec une boucle à par- logue britannique G-AXDN vole
de vols courts à Toulouse. Ils tir de Toulouse-Blagnac avec aux pour la dernière fois le 20 août 1977.
concernent de nouveaux freins en commandes André Turcat. Le 29 jan-
carbone. Yves Pingret raconte : vier Sierra Alpha réalise son dernier D’Orly
“C’était la première fois qu’ils étaient vol d’essais, 2 h 20 min de vol à partir
installés sur Concorde. Cela a été, de Toulouse avec dans le poste de
à Athis-Mons
pour les gens du sol, une catastrophe. pilotage le même équipage que pour Sierra Alpha est cédé à Aéroport
Il fallait trouver des lois de régulation de Paris pour être exposé et recevoir
de freinage ; le carbone ce n’est pas des visiteurs. Les réacteurs sont dé-
quelque chose de très solide, c’était
des disques. On partait, tout était “ Cet avion se meut montés, de nombreuses pièces sont
récupérées pour servir de rechange
bien, on faisait une accélération, on
freinait, on cassait tout, il fallait re-
comme nage une raie, au profit de la flotte de Concorde qui
commence son exploitation commer-
tracter l’avion, revenir au parking et
les pauvres gens qui étaient au sol, ondulant vers l’avant ciale. L’appareil perd sa double déco-

noirs de charbon, devaient les chan-


ger. Et cela a duré le temps de la mise et sur les côtés ” (2) Le Concorde 201 Sierra Bravo est
exposé à Aeroscopia, à Blagnac.

30
Deux légendes
de l’aviation
se croisent sur
l’aéroport de
San Francisco le
22 octobre 1974 :
Concorde
et un DC-3.
GETTY IMAGES/BARNEY PETERSON

Sierra Alpha
arrive à Athis-
Mons en
avril 1988 après
avoir traversé
une route
depuis Orly.
DR/COLL AAMD

ration au profit des nouvelles cou- client, les cinq derniers Concorde aérien de l’aéroport d’Orly, pour
leurs d’Air France. Il est désormais sont cédés chacun pour un franc sym- agrandir le parking P7 on a dû faire
installé sur le parking P7 avec la bolique à Air France (trois avions) et un choix entre les visites guidées et le
Caravelle 01 et, jusqu’en 1977, la British Airways (deux avions). terrain qui abritait le prototype de la
maquette grandeur nature du A lexandre Pozder, membre Caravelle F-BHHH et le Concorde
Concorde exposée au Salon du fondateur de l’association Athis Sierra Alpha. Tout manque de finir
Bourget de 1967. C’est une attraction Aviation et actuel vice-président du chez les ferrailleurs quand une
majeure de la visite de l’aéroport musée Delta (lire encadré page 32), autorité décide d’éliminer purement et
d’Orly. Il reçoit son 85000e visiteur raconte la suite de l’histoire : “En simplement les avions. Un groupe de
en 1980. C’est alors que, faute de 1986, suite au développement du trafic contrôleurs de la navigation aérienne,

ALEXIS ROCHER ALEXIS ROCHER


Le poste
de pilotage
de Sierra Alpha
(à gauche)
est l’objet
d’un grand
programme de
restauration pour
se rapprocher de
sa configuration
d’origine.
Ci-contre la
cabine passager
de Sierra Alpha,
elle aussi
bichonnée
par l’association
du musée Delta.

31
CONCORDE SIERRA ALPHA

ALEXIS ROCHER
Sierra Alpha
dont notre ami Jacques Guillem, des exposé au fermer le musée. Sierra Alpha n’est Avec Sierra Alpha, Concorde
futurs membres de l’association et des musée Delta, plus accessible jusqu’en 2014. Les marquait encore un peu plus la réus-
employés de l’aéroport d’Orly se sont installé juste à visites reprennent en 2015. La restau- site technique du supersonique
opposés aux engins de destruction côté des pistes ration de l’avion se poursuit. Elle après les premiers essais des proto-
pour qu’ils ne puissent s’approcher du de l’aéroport passe par le réaménagement des ca- types. La traversée de l’Atlantique
Concorde. Malheureusement, la d’Orly. Le bines pour ressembler au plus près à Mach 2 était désormais une forma-
Caravelle n’a pas pu être sauvée. supersonique aux équipements démontés en 1976. lité. Cette vitesse n’était désormais
Devant cette opposition, pour couper se visite. En 2015, nos amis anglais d’Heri- plus l’apanage des pilotes d’essais ou
court à cette situation, Bernard tage Concorde nous offrent 14 instru- des militaires.
Lathiere, PDg d’ADP [Aéroports de ments manquants. À partir de 2016, Ses nombreuses démonstrations
Paris], a décidé de céder l’avion à la un grand soin est consacré au poste de commerciales dans le monde res-
ville d’Athis-Mons. L’association pilotage avec l’aide de Boramy Thong, tèrent par contre lettre morte. Sierre
Athis Aviation accueille Sierra Alpha. qui réalise plusieurs copies d’instru- Alpha illustre en fait parfaitement
ments très réalistes, le professeur le destin de Concorde.
Une restauration Tamas Regert réalise le dessin du pan- Pour conclure, laissons le mot de
neau hydraulique/électrique qui sera la fin à Yves Pingret lorsqu’il évoque
toujours en cours réalisé par nos amis hongrois par une l’appareil :
En avril 1988, Sierra Alpha découpe au laser et complété par des “J’étais dans un “Mirage” III
quitte le P7 tracté à travers le parking, éléments imprimés en 3D. Le câblage d’accompagnement et mon objectif
traverse la route et rejoint les chemins est réalisé par Laurent pour rendre était de voir si on perdait quelque
de roulement de l’aéroport pour at- fonctionnel le light test [test des fila- chose ou pas, de voir comment évo-
tendre l’attribution d’un terrain de ments dans les annonceurs de panne]. luait l’avion vu de l’extérieur. De là,
36 000 m2 sur l’ancienne piste 02/20 L’équipe travaille actuellement j’ai vu quelque chose que personne
loué par la ville d’Athis-Mons à sur la remise en fonction de la visière ne pourra jamais voir ; cet avion se
ADP. Les visites commencent en et de la pointe avant qui sont activées meut comme nage une raie, ondulant
mars 1989. Entre 2010 et 2012, il par une pompe hydraulique de vers l’avant et sur les côtés (…) C’était
retrouve ses couleurs portées lors de 4 000 psi [pounds per square inch, superbe de le voir dans le ciel comme
ses essais. En 2012, les travaux de la livres par pouce carré] offerte par la une raie dans la mer, c’était particu-
nouvelle ligne de tramway obligent à société HUD&AU FLUID.” lièrement exceptionnel”. ■

Le musée Delta
Nicolas Roland Payen, René L’Helguen (maire d’Athis-
Mons) Gaston Jankievicz (maire de Paray-Vieille-Poste)
et un groupe d’enthousiastes décident de créer en 1986
l’association Athis Aviation. Au bout des pistes d’Orly,
s’organise autour de Sierra Delta au fil du temps une
exposition d’avions sur le thème de l’aile delta. C’est ainsi
que trois “Mirage” III sont présents en 2023. Le musée
expose en particulier des documents et des études
du prolifique concepteur d’avions Nicolas Roland Payen
et une réplique de son PA.100. Le 30 septembre prochain,
une cérémonie marquera les 50 ans de la traversée de
l’Atlantique par Sierra Delta. N’hésitez pas à venir à cette
occasion – ou une autre fois – pour découvrir ce musée.
Musée Delta. 1, avenue Bernard Lathière,
La réplique du Payen PA.100, 91200 Athis-Mons.
une des études de Nicolas Plus de renseignements sur :
Roland Payen. https://museedelta.wixsite.com
ALEXIS ROCHER

32
GUERRE FROIDE
soviétique “l’Empire du mal”, réfé-
Égaré dans l’espace aérien soviétique rence directe à l’univers Star Wars.
Le 23 mars bouleverse l’équilibre

KAL 007
Est-Ouest. En vue de déstabiliser
son adversaire, Ronald Reagan ex-
pose à la télévision l’initiative de
défense stratégique : la mise en place

ne répond plus
d’armes spatiales aptes à intercepter
en vol tout missile nucléaire. Fondé
sur des capacités de frappe équiva-
lentes, l’équilibre de la terreur est
déstabilisé. La parité stratégique à
laquelle tient beaucoup Moscou est
renversée. L’empire totalitaire,
Le 1er septembre 1983, un Boeing 747 frappé durement par l’échec d’une
de la Korean Air Line est détruit en vol. économie planifiée, est alors tenu
d’une main de maître par la vielle
À bord 269 personnes, équipages garde du parti communiste et la
police secrète.
et passagers, tous victimes Au Kremlin, Yuri Andropov,
de la guerre froide. Par Philippe Wodka-Gallien
l’ancien chef du KGB, a succédé à
Leonid Brejnev à sa disparition le
10 novembre 1982. Pour ajouter à la

L
e 1er septembre 1983, il y a 40 tique de fermeté à l’égard de Moscou. nervosité des Soviétiques, l’Otan
ans jour pour jour, la tragé- Plusieurs dossiers occupent les chan- met en place une doctrine plus offen-
die du KAL 007 marque l’un celleries sur fond de courses aux sive en Europe. Celle-ci consiste,
des points culminants de la armements nucléaires : la crise des dans un scénario d’invasion de l’Al-
guerre froide, avec la crise Euromissiles, la question des droits lemagne de l’Ouest par les troupes
des missiles de Cuba et la construc- de l’homme en Union soviétique et du pacte de Varsovie, à frapper les
tion du mur de Berlin. Le bilan hu- la guerre en Afghanistan. seconds échelons avec les nouvelles
main, 269 civils innocents, ajoute à armes air-sol de précision. Le Shape,
l’atmosphère d’extrême tension L’Union soviétique vue Immatriculé le commandement suprême de
entre le camp occidental et l’Union HL7442, le l’Otan, diffuse alors le message
Soviétique. L’épisode a frappé les
comme “l’Empire du mal” Boeing 747 d’une victoire possible du camp occi-
opinions, en commençant par le ly- D ans ce pays enclavé, les sud-coréen, ici dental en cas d’affrontement armé.
céen devenu 30 années plus tard Occidentaux ont pris le parti pour la en juillet 1980, L’US Navy, elle aussi, est à l’offen-
contributeur du Fana de l’Aviation. rébellion contre les troupes sovié- impliqué dans sive. Elle met en pratique “la stratégie
la tragédie du
Au tournant des années 1980, le tiques, les Américains fournissant oblique”. Élaborée par l’amiral James
1er septembre
tempo est fixé par Ronald Reagan, conseillers et armements. La même Watkins, le Chief of Naval
1983. Il s’agit
président des États-Unis. Il pratique année, le 8 mars, dans un discours, Operations, elle prévoit, non de me-
de la version
depuis son élection en 1980 une poli- Ronald Reagan voit dans l’Union 230B.
ner un combat en haute mer, mais de

34
“ Le 747 est repéré ; il destination Séoul, en Corée du Sud.
À son bord, 246 passagers confiés aux
ce que lui conteste Washington.
Pétropavlosk abrite une base de
lance son Sukhoï 15 vers bons soins de 23 membres d’équi-
page. Une escale carburant s’impose
sous-marins nucléaires lance-en-
gins et l’état-major compte en faire
à Anchorage en Alaska. Destination un espace protégé pour les sous-ma-
la cible, accompagné Gimpo, l’aéroport de Séoul. Peu
après le décollage, le 747 infléchit sa
rins lanceurs d’engins. Allié de
Washington, le Japon avait dû
d’un MiG-23 ” route de 11° vers le nord. L’erreur
n’est pas relevée en cockpit : la navi-
concéder Sakhaline et les îles
Kouriles au Soviétique aux der-
gation n’a pas encore recours aux niers jours de la Deuxième guerre
cibler depuis les porte-avions les satellites GPS pour recaler une tra- mondiale. D’ailleurs, les sous-ma-
bases navales, les sites militaires, jectoire, mais sur des centrales de rins de l’US Navy effectuent des
notamment ceux de la presqu’île de navigations inertielles qu’il s’agit de incursions dans cette zone. Il en fut
Kola ainsi que la rade de Vladivostok. programmer au sol. Il n’existe en ainsi du Halibut, spécialement
En avril, en application de cette pos- outre aucun radar de contrôle civil dédié aux opérations de renseigne-
ture, trois porte-avions manœuvrent pour indiquer son erreur à ll’équipage.
équipage. ment. Le com-
me
au large du Kamtchatka, ce qui pro- L’avion se T N Y T
HE EW ORK IMES
mandant de
ma
voque le décollage de Tupolev 22 de trouve d’em- bord,
bo colonel
manière à montrer la capacité de ri- blée plus à de réserve de
poste. François Mitterrand décrit en l’ouest que l’aviation
l’a mi-
quelques mots la situation devant le La destruction pour un vol litaire
lit sud-co-
Bundestag : “Les pacifistes sont à du 747 fit nominal. réen
ré ne, ne
l’Ouest et les missiles sont à l’Est.” Le les grands titres E n su i- pouvait
po igno-
10 août, il lance l’opération Manta au dans le monde vant le rer
re le risque.
Tchad, projection interarmées desti- comme ici le New cap 245, à En av r i l
née à stopper au Nord les troupes li- York Times. 21 h 34, l’avion 1978,
1 déjà, le
byennes du colonel Kadhafi, allié de passe à la ver-- Boeing
B 707
Moscou. Reflet de son temps, un tube ticale de laa du
d vol 902
sature la bande FM : Cruel Summer. presqu’île du u de
d la KAL
Voilà pour l’ambiance stratégique. Kamtchatka,, avait violé accidentel-
puis survole la mer d’Okhotsk et lement le ciel soviétique. Lancé à
Destination finale entre poursuit sur 1 000 km vers l’île de sa poursuite, un MiG avait tiré sur
Sakhaline sans être pour autant le 707, le forçant à un atterrissage
Sakhaline et Kamtchatka inquiété ou averti. La région est spé- en catastrophe sur un lac gelé.
À New York, sur le parking de cialement militarisée tant elle est un Sur la base aérienne de Dolinsk-
John F. Kennedy, ce 31 août, le com- enjeu stratégique pour l’URSS. Sokol, le major Gennadij Nicolae-
mandant Chun Byung-In s’installe Espace maritime international se- vitch Osipovitch est cette nuit-là
dans le 747 du vol KAL 007, avec son lon le droit de la mer, cette immense officier de quart. Le 747 étant re-
copilote, Son Dong-Hui et Kim Eui- baie, de la surface de la France péré dans l’espace aérien sovié-
Dong, ingénieur de vol. Immatriculé métropolitaine, est revendiquée tique, il lance son Sukhoï 15 vers la
HL7442, ce Boeing 747-230B a pour comme mer territoriale par Moscou, cible. Chef de patrouille, il est ac-


DR
KAL 007 NE RÉPOND PLUS

Un Sukhoï 15 du type de celui qui a


détruit le Boeing 747 de la Korean Ailines
le 1er septembre 1983. Ce type d’appareil
détient le meilleur score des interceptions
réussies aux frontières de l’Union Soviétique.

DOD

compagné par un MiG-23. Son récit 747, déséquilibré par la rupture deux avions RC-135 pouvaient évo-
est publié dans une série d’articles d’une aile, effectue une descente en luer à proximité. Dans la région,
publiée par Izvestia en 1990. spirale. Aucune chance d’en réchap- venu d’Offet Field, un RC-135 en
Avec son avion, il rejoint l’in- per, l’autre missile explosant sous la version “Cobra Ball”, la configura-
trus et se place sur son arrière, alors dérive. L’appareil percute l’océan tion développée pour suivre les tirs
que celui-ci est sur une trajectoire 55 km au large de l’île Moneron, de missiles balistiques, aurait fort
qui le conduit déjà hors de l’espace tuant tous ses occupants, les débris bien pu être missionné pour suivre
aérien soviétique. Le Boeing est à se dispersant à 174 m de profondeur. un essai de missile nucléaire SS-25
10 600 m d’altitude à une vitesse de lancé par le polygone de Plessetsk.
1 000 km/h. Pourtant, l’intercep- Propagande soviétique Très possible également, la pré-
teur reçoit un premier ordre sence d’un “Rivet Joint”, version de
d’abattre l’avion. L’officier raconta
et guerre secrète recueil électronique “Sigint”
qu’il chercha d’abord à avertir Forcément, dès lors qu’un avion (Signal Intelligence) du RC-135 en
l’équipage par un tir de semonce, reçoit le label 007, la tragédie renvoie appui du “Cobra Ball”. La nuit ren-
une rafale qui consomme 200 obus. Le major à tous les fan- dant compliquée
Aucune réaction du 747 n’est obser- Gennadiy tasmes de la l’identification vi-
vée. L’avion prend ensuite de l’alti- Osipovitch, guerre secrète. Il suelle, on peut
tude, manœuvre inter prétée le pilote du est effectivement émettre l’hypo-
comme un refus d’obtempérer. Sukhoï 15 ayant incontestable que thèse d’une confu-
Faute d’obus à effet traçant, les tiré les deux la zone est l’objet sion du pilote
deux pilotes n’auraient rien vu. missiles fatals sur de toutes les at- entre un jumbo-
le Boeing de la tentions du rensei- jet et les quadri-
Aucune chance KAL. L’officier est gnement améri- moteurs type 707
resté persuadé cain. À ce titre, il du renseignement
d’en réchapper que sa hiérarchie est fort probable américain.
À 22 h 26 GMT, alors que le ne lui aurait donc qu’il y ait eu Pour savoir ce
jumbo-jet est sur le point de sortir de pas ordonné confusion avec un qui s’est passé, il
l’espace aérien soviétique, l’ordre de d’abattre le 747 RC -135 de faut se conformer
destruction est renouvelé. Le major s’il n’avait pas l’USAF, des appa- aux rapports d’en-
Osipovitch se place en position de tir été un avion reils militaires
DR
quête de l’OACI
et délivre un missile air-air, puis un espion. fréquents à proximité des frontières (Organisation de l’aviation civile in-
second en direction de l’avion de en limite extrême de l’espace aérien ternationale). Un premier rapport est
ligne. Arme de type K-8, (désigna- international, pour recueillir les si- publié après la tragédie. Au titre de
tion “Anab” par l’Otan), cet engin à gnaux électromagnétiques des dé- la politique d’ouverture de la nouvelle
guidage radar semi-actif porte 40 kg fenses adverses. Alors que le 747 de Russie, le président Boris Eltsine re-
d’explosif. Dès les explosions déclen- la KAL poursuivait entre le Kamt- met les boîtes noires à l’OACI, ce qui
chées par les fusées de proximité, le chtka et l’île de Sakhaline, un, voire donne un nouveau rapport en 1992.
36
alors même qu’est prévu le déploie-
ment prochain des missiles “Cruise”
et “Pershing” en Europe destiné à
contrecarrer les SS-20 [missile balis-
tique nucléaire de moyenne portée,
NDLR]. Le 5 septembre, Ronald
Reagan s’adresse à la nation depuis
le bureau ovale. Il qualifie la catas-
trophe de “massacre de la Korean Air
Lines”, de “crime contre l’humanité”,
et “d’acte de barbarie d’une brutalité
inhumaine”. Rompu à l’exercice mé-
diatique, l’ancien acteur lâche ses
coups : “L’URSS ne doit pas seule-
La carte
ment des comptes à la Corée du Sud
restituant la
trajectoire du vol
et aux États-Unis, elle en doit à l’hu-
KAL 007 entre manité tout entière.” Il enfonce le clou
Anchorage et en ajoutant que jamais les États-Unis
Séoul dans la ne se sont comportés ainsi lors des
nuit du 31 août survols intempestifs d’avions de ligne
au 1er septembre soviétiques qui, étrangement, se sont
1983. Le tracé a écartés de leur plan de vol pour sur-
été reconstitué voler les sites stratégiques du terri-
à partir des toire des États-Unis.
enregistrements Le jour suivant, l’Union sovié-
des boîtes noires tique admet avoir abattu le Boeing,
restituées par affi rmant que la chasse ignorait la
la Russie après nature civile de l’intrus. Les autori-
la disparition tés soviétiques, sur la défensive, re-
de l’Union fusent de reconnaître leur entière
soviétique. responsabilité. Moscou requalifie le
CIA
KAL 007 en avion espion cherchant
La première analyse de l’OACI avait dans le 707 Air Force One, il fait une ainsi à partager la responsabilité
été rendue compliquée par le refus déclaration et met l’Union soviétique avec les pratiques de Séoul. Sous la
des autorités soviétiques de remettre au pied du mur en dénonçant la tragé- contrainte, le maréchal Nikolai
les boîtes noires. Pourtant, elle die. Cap sur la base d’Andrew et la Ogarkov, chef d’état-major, tient une
converge avec la seconde analyse qui Maison Blanche. Il convoque son conférence de presse le 9 septembre
admet que le 747 est bien entré par conseil de sécurité. et soutient que le 747 s’était délibé-
accident dans l’espace aérien sovié- L’affaire devient d’emblée améri- rément écarté de sa route, ceci pour
tique. Le pilote automatique était cano-soviétique, une opportunité conduire une mission “planifiée par
ainsi calé sur le guidage magnétique dans le rapport de force qui s’engage les services de renseignements”. De


après le décollage d’Anchorage. En
vol de nuit, en espace maritime, sans
repère extérieur visible, l’équipage
n’avait ni remarqué son erreur, ni, en
toute logique, effectué les corrections
de trajectoire nécessaires.

La Maison Blanche
à l’offensive
Parmi les passagers, on compte 62
citoyens américains, dont Larry
McDonald, représentant de la
Géorgie au Congrès. La National
Security Agency, structure en charge
de surveiller et d’analyser les activités
radio et radar à l’échelle planétaire,
confirmera la méprise des Soviétiques.
Les détails rassemblés par la commu-
nauté du renseignement peuvent en
quelques heures être portés à la
connaissance du président des États-
Dans le Bureau ovale
Unis. Ce jour-là, Ronald Reagan est
à la Maison Blanche, Ronald
avec son épouse Nancy dans sa rési-
Reagan, président des États-Unis,
dence de vacances en Californie. La s’adresse le 5 septembre
situation impose de rentrer d’urgence à la nation américaine.
à Washington. Sur la base navale de
Point Mugu, juste avant d’embarquer
NATIONAL ARCHIVES

37
KAL 007 NE RÉPOND PLUS

à l’évènement. Cette édition com-


prend même l’interview de l’ambas-
sadeur américain à Moscou, un di-
plomate maîtrisant admirablement
la langue de Molière. Paul Lefèvre,
sur le plateau, tente de décrire les
derniers moments des passagers,
tous passant brutalement de la séré-
nité d’un vol qui se devait sans his-
toire à l’enfer d’une issue fatale,
ajoutant de l’émotion à l’épisode.

Une défense sol-air


soviétique défaillante
Dans les mois qui suivent, rien ne
change sur l’agenda de la guerre
froide. L’armée de l’Air ne change
rien à ses procédures et à son système
d’alerte. Sur demande de la Maison
Blanche, la Federal Aviation
Administration décide d’interdire à
l’Aeroflot les vols depuis et vers les
États-Unis ; telle est la principale
sanction infligée à l’URSS. La com-
DOD
Le maréchal pagnie soviétique poursuit cependant
fait, il est aisé d’imaginer qu’à cette caine est chauffée à blanc par une Nikolaï ses opérations sur l’Amérique du
fin le Boeing ait embarqué des équi- presse virulente. Ogarkov, Nord vers le Mexique et le Canada.
pements de renseignement. Le La destruction de l’avion n’est Chef d’état- Ses liaisons vers les États-Unis ne
28 septembre 1983, Iouri Andropov, pas considérée comme un acte de major, se plie à furent rétablies que le 29 avril 1986.
devenu président du Præsidium du guerre pouvant faire l’objet d’une l’exercice d’une Effet symbolique, Andreï Gromyko,
Soviet suprême en juin de la même riposte militaire. Officiel lement, conférence ministre soviétique des Affaires
année, et donc chef hef de l’État, sou- l’URSS
l’URS n’est pas en de presse étrangères, ne peut se rendre le
tient que l’appa- T IME
guerre contre l’Otan. pour justifier 20 septembre 1983 à la session an-
reil de la KAL Des chchasseurs améri- le geste de nuelle des Nations unies à New York,
était au centre cains décollent pour- la défense son avion se voyant interdit d’atterris-
d’une “opération tant d’Okinawa, aérienne sage aux États-Unis.
de provocation mett
mettent le cap du de l’Union Que lit-on sur le moment dans la
sophistiquée des- Sakh
Sakhaline, puis re- Soviétique. presse professionnelle de défense
tinée à obtenir unee vien
viennent à leur française, représentée alors par la
augmentation dess base de départ sans Imagerie et revue mensuelle Défense &
crédits militaires”. ”. ent
entrer dans l’es- dramaturgie Armement ? La rédaction prend du
Selon la rhétorique ue pac
pace aérien sovié- de la presse recul pour observer froidement les
soviétique, la des- s- tiq
tique. Mais dans américaine évènements. Le numéro de no-
truction de l’avion on c eet t e g u e r r e au lendemain vembre 1983 pointe ainsi l’extrême
s’explique par une ne d’
d’image, le ré- de la tragédie, centralisation de l’Armée rouge. La
“a d m i n i s t r a t i o n gi
gime soviétique avec effet majeur hiérarchie soviétique, se méfiant de
Reagan aventuriste, ste, a le mauvais sur l’opinion ses aviateurs, a veillé à interdire
militariste et dange- nge- rrôle. Le journal publique. toute autonomie de décision des
reuse”. Surfant sur d’A
d’Antenne 2 du équipages. C’est ainsi que les fré-
l’absence d’empathie athie 3 septembre animé par Christine quences de l’équipement radio de
des Soviétiques, l’opinion améri- Okrent consacre plus de 20 minutes bord sont présélectionnées au sol
avant la mission, empêchant ainsi
Ce diagramme aux pilotes d’entrer en contact direct
montre que avec un avion civil. Il s’agit d’empê-
le Boeing cher toute tentative de passage à
de la KAL 007
l’Ouest, un intrus pouvant être
a divergé très
abattu par les intercepteurs occiden-
rapidement
taux. Les procédures sont d’autant
de sa route
nominale,
plus resserrées que Moscou s’était
soit deux retrouvée humiliée à l’occasion de la
minutes après fuite à l’Ouest le 6 février 1976 de
le décollage Victor Belenko avec son MiG-25,
d’Anchorage. l’avion se posant sans encombre sur
l’aéroport d’Hakodate sur l’île
d’Hokkaido, au Japon. Selon les ex-
perts du Pentagone s’exprimant dans
Défense & Armement, “les pilotes
soviétiques sont à peine plus que des
NASA

38
“ Le scénario cet exercice, les autorités de Moscou
prennent peur, redoutent une at-
Pour l’aviation commerciale, l’er-
reur n’est plus guère possible à comp-

d’apocalypse raconté taque préventive et mettent leurs


forces nucléaires en alerte.
Le 23 novembre marque l’arri-
ter du début des années 1990, le
Pentagone acceptant de mettre à la
disposition de l’aviation civile le canal
par le groupe Nena vée des nouveaux missiles nu-
cléaires en Allemagne et au
civil du réseau de satellites de naviga-
tion GPS. Les radars militaires ont
dans 99 Luftballons ” Royaume-Uni. Le scénario d’apo-
calypse est réécrit par le groupe
également vu leur zone de couverture
étendue entre l’Alaska et la Russie
Nena dans 99 Luftballons, une afin de prévenir tout avion qui sorti-
missiles guidés”. Le général améri- chanson qui raconte une guerre rait de son couloir aérien. À Moscou,
cain Bernard Rogers, chef suprême accidentelle entre l’Est et l’Ouest. les choses bougent : le 11 mars 1985,
de l’Otan, s’exprime dans le numéro Dans le prélude de l’épisode 6 de la Mikael Gorbatchev est élu à la tête du
de décembre dans une interview de série télévisée allemande Deutsch- parti communiste d’Union soviétique.
Philippe Grasset. Selon lui, la des- land 83, la tragédie du vol KAL 007 Il élimine la vieille garde et répond
truction du KAL 007 “a montré est évoquée dans les termes d’un positivement à Ronald Reagan qui
l’énorme faiblesse que constitue la avion soupçonné d’espionnage à la vient de lui proposer une relance des
centralisation de l’appareil sovié- manière des actualités radio. négociations de désarmement. ■
tique”. Il note aussi que le Boeing a
été intercepté bien tard, plus d’une
heure après avoir survolé la totalité Un RB-47 de l’USAF, version
du Kamtchatka puis avoir traversé la de renseignement du bombardier
mer d’Okhotsk, région stratégique stratégique.
pour l’URSS. La revue nous rappelle
qu’en 1978, un 707 coréen était déjà
entré dans l’espace aérien soviétique.
La défense aérienne avait mis tant de
temps pour réagir que des sanctions
avaient frappé le commandement
local, ce qui explique l’action erra-
tique du contrôle au sol ce 31 août
1983. Il y a bien eu faille dans la dé-
fense aérienne et le 747 en est une
victime collatérale. La situation de USAF
l’outil militaire soviétique est si dé-
gradée qu’un avion de tourisme
Cessna 172 décollant d’Helsinki tra-
verse 800 km de territoire soviétique Avions de renseignement :
pour se poser sur la place Rouge à le jeu risqué de la corde raide
Moscou. Ridiculisant la défense so- Le vol KAL 007 a les statistiques contre lui. Victime collatérale, le 747 est le premier avion civil détruit
viétique, l’exploit est signé le 28 mai par accident par la force aérienne soviétique. La tragédie s’ajoute ainsi à la série d’avions espions
1987 par Mathias Rust, un pilote détruits par l’aviation soviétique alors qu’ils étaient entrés dans l’espace aérien national. L’épisode
privé allemand alors âgé de 19 ans. le plus célèbre reste la destruction de l’avion U-2 le 1er mai 1960 par un missile SA-2 au-dessus de
En frappant les civils d’un vol l’Oural. Le 13 juin 1962, un DC-3 “Sigint” suédois est abattu en mer Baltique. Le 2 septembre 1958,
commercial, la catastrophe s’appa- un “Hercules” d’écoute électronique opéré par la National Security Agency (NSA) est abattu par un
rente en échantillon à l’apocalypse MiG-17 dès son entrée en Arménie, alors territoire soviétique. L’enquête a démontré que l’avion a été
nucléaire réservée à la planète. victime d’une embuscade, de fausses balises de navigation ayant été disposées pour qu’il sorte
de sa route. Le 1er juillet 1960, un RB-47H est détruit en mer de Barents. Le 2 avril 1976, au large de
L’espoir de sortir Sakhaline, un “Neptune” japonais franchit la frontière de l’URSS. Un Su-15 lance deux missiles mais
de la guerre froide l’intrus parvient à s’échapper. Le 20 avril 1978, un Su-15 intercepte un 707 de la KAL qui doit se poser
en catastrophe sur la presqu’île de Kola, au prix de deux morts et 10 blessés parmi les 97 passagers.
En octobre, en Allemagne, des Berlin est un enjeu majeur. De fait, les avions espions de l’Otan exploitent les couloirs aériens qui
manifestations pacifistes massives traversent la RDA pour enrichir son renseignement militaire et parfois s’écartent du cap autorisé.
cherchent à infléchir l’arrivée des Depuis février 2022 au déclenchement de la guerre en Ukraine, ces pratiques au relent de guerre
missiles américains. Au lendemain froide se sont intensifiées entremêlant Sukhoï et avions espions de l’Otan type RC-135. La catastrophe
de la tragédie, la télévision française inédite du KAL 007 fait référence. À chaque occurrence, exceptionnelle, la victime survole une zone
en profite pour discréditer le mes- contestée. La catastrophe du Boeing 747 fait écho à l’Airbus de l’Iran Air détruit le 3 juillet 1988 au-
sage du mouvement écologiste alle- dessus du golfe Arabo-Persique avec 290 passagers. La responsabilité en revient au croiseur USS
mand. Un épisode ajoute aux ten- Vincennes qui tire un missile en confondant l’avion de ligne avec un F-14 iranien à proximité. Ronald
sions du moment. Il ne sera dévoilé Reagan se voit forcé d’exprimer ses regrets. Depuis, GPS, transpondeurs et télécommunications ont
qu’après la chute du mur de Berlin le réduit le risque à presque zéro. Pourtant, en Ukraine, le 17 juillet 2014, un Boeing 777 de la Malaysian
9 novembre 1989. Entre les 2 et Airlines est pulvérisé par un missile “Buk” lancé d’une batterie opérée sans doute par des soldats
11 novembre, l’Otan conduit Able séparatistes à la gâchette un peu facile ; bilan : 283 passagers et 15 membres d’équipage tués.
Archer, un exercice de commande- Le 8 janvier 2020, un 737 des Ukraine International Airlines transportant 176 passagers est abattu
ment se clôturant par un tir nu- près de Téhéran. Avis aux passagers : suivez bien sur écrans votre trajet et, en cas de survol
cléaire. Rien d’original, mais l’opé- d’un pays à risque selon le classement de l’OACI, n’hésitez pas à demander à l’équipage d’infléchir
ration implique de manière inédite sa route. Témoignage à l’appui, il acceptera de bonne grâce. P.-W. G.
en simulation les hautes autorités de
Washington et de Londres. Face à
39
REPORTAGE

XAVIER MÉAL
Le P-51C Thunderbird et le P-47D
Bonnie étaient les deux restaurations
récentes les plus attendues à
AirVenture, avec le VC-121A
“Constellation” Bataan.

AirVenture 2023
Oshkosh torride
Où peut-on voir sur le même parking
un “Constellation”, un C-123 “Provider”
et un B-29 ? Où peut-on voir voler
dans le même coin de ciel trois MiG-17,
un MiG-23, un MiG-29, le F-18 accompagné
de “Corsair”, sans oublier le F-22 en
compagnie de P-51D ? À Oshkosh bien sûr !
Par Xavier Méal

41
AIRVENTURE 2023

T
ous les ans, cette petite Un Lockheed
ville du Wisconsin, par Martin U-2 de
ailleurs des plus paisibles, l’USAF est venu
devient le temps d’une survoler Oshkosh
semaine La Mecque de depuis sa base
l’aviation de loisir et de collection. de Beale,
Cette édition 2023 a été marquée par en Californie…
des températures torrides dues à une puis est reparti
météo des plus estivales et des dans la foulée !
chiffres de participation records. Si
le ciel en tout début de semaine était
glauque du fait des fumées des incen-
dies de forêts qui ravageaient alors
une partie du Canada, il est devenu
limpide le mercredi après le passage
d’un front pluvieux la nuit, et la fête
a alors battu son plein, dans une
ambiance aussi torride que la météo.
Tous les parkings étaient pleins, et
rarement a-t-on vu à Oshkosh autant
d’avions exposés, dans une atmos- Le MiG-23UB
phère festive portée par une écono- “Flogger”
mie américaine florissante. du Texan Dan
“Files” Filer,
Le “Super Guppy” ancien pilote NIGEL HITCHMAN

de l’US Navy,
Le “Super Guppy” de la Nasa, code l’utilise encore régulièrement :
pour aller sur Mars était une
de fuselage NASA 941 – avion pas “Nous transportons nombre d’élé-
des grosses
Le début de cette semaine de inconnu des Français… Brett ments de structures destinées à être
attractions
célébration de l’aviation a été mar- Pugsley, l’un des cinq pilotes de envoyées dans l’espace un peu par-
d’AirVenture
qué par la présence d’un dinosaure… 2023.
l’appareil, a expliqué que la Nasa tout aux États-Unis pour des projets

NIGEL HITCHMAN

Ce MiG-29 “Fulcrum“ privé est la propriété


de l’homme d’affaires américain
et milliardaire Jared “Rook” Isaacman.

NIGEL HITCHMAN XAVIER MÉAL

42
Le F/A-18F
“Super Hornet”
du East Coast
F/A-18F “Rhino”
Demo Team
de l’US Navy
en action.
NIGEL HITCHMAN

qui visent à ramener le pays sur le toujours des gens dans l’espace, nous fit son vol inaugural en 1953, le
Lune.” Et David Elliott, le mécani- voulons retourner sur la Lune, et si Boeing C-97G “Stratotanker” ma-
cien naviguant, de préciser : “ Nous tout va bien, après, nous irons sur tricule 52-0828 de l’US Air Force.
effectuons six à huit missions par an Mars !.” Le “Super Guppy” Plus tard, il devint le quatrième et
avec ce seul avion ; nous envoyons NASA 941 était à l’origine, lorsqu’il dernier exemplaire de la version fi-

Le “Super Guppy”
de la Nasa sous les feux
d’artifice du spectacle
aérien de nuit du mercredi.

43
AIRVENTURE 2023

nale du “Super Guppy” produite par


la société Aero Spacelines Inc ;
comme ses trois frères jumeaux, il a
été construit dans les années 1970
pour Airbus afin de transporter des
structures aux gabarits hors-norme
vers l’usine d’assemblage fi nal de
Toulouse et a fait son premier vol
après transformation en 1980. Il a
ensuite été acquis par l’Agence spa-
tiale européenne, puis par la Nasa à
la fin de 1997 pour transporter des
éléments de structure de la station
spatiale internationale vers le site de
lancement. Il est basé à Ellington
Field, près du Johnson Space Center,
non loin de Houston, au Texas.
Le Beech C-45 “Expeditor”
Les machines anciennes Bucket of Bolts
de la Commemorative
en mettent plein les yeux Air Force dans un air troublé
par les fumées des incendies
Les amateurs de machines an-
canadiens lors de la journée
ciennes s’en sont mis plein les yeux,
d’ouverture d’AirVenture 2023.
à n’en plus pouvoir. Une véritable
orgie… une vingtaine de “Mustang”,
sept “Corsair”, deux P-40, deux
“Bearcat”, un “Skyraider”, un Yak-9,
trois B-25, des T-6 par dizaines pour
ne citer que les plus populaires, mais
aussi MiG-17, MiG-23, MiG-29, une
dizaine de L-39 et bien d’autres types
de jets. Sur le parking dévolu à la
catégorie “Antique”, les avions
XAVIER MÉAL
d’avant août 1945, les doigts de la
main ne suffisaient pas à compter les
Waco, Beech “Staggerwing” et
autres Stinson. Une des belles sur-
prise a été l’arrivée du Waco 9 à
moteur OX-5 du collectionneur cali-
fornien Walt Bowe, tout juste sorti
de restauration.
Mais pour les fanas de grosses
machines, les vedettes attendues
étaient le VC-121A “Constellation”
Bataan de la collection Lewis Air
Legend, le P-47D Bonnie de la
Bruce Eames Collection du Dakota
Territory Air Museum, et le P-51C
Thunderbird de Warren Pietsch.
A près s’être fait attendre
quelques jours pour cause de rem-
placement d’une paire de cylindres
sur un de ses moteurs Wright
R-3350-75 sur l’aérodrome de
Madison, dans le Wisconsin, où il
avait été prépositionné depuis
Chino, en Californie, le majestueux
“Constellation” est arrivé le jeudi en
début d’après-midi et a immédiate-
ment attiré autour de lui une foule
avide, qui l’a accompagné jusqu’à son
installation sur la ConocoPhillips
Plaza, le parking en dur central où
sont exposés tous les avions de très
grande taille et les vedettes du jour.
L’historique et élégant quadri-
moteur porte la livrée qui était la
sienne lorsqu’il transportait le géné-
ral MacArthur d’une base à l’autre

44
XAVIER MÉAL

Le très attendu P-47D


Bonnie a remporté
le trophée de Grand
Champion de la catégorie
Warbirds de la Deuxième
Guerre mondiale.
AIRVENTURE 2023

durant la guerre de Corée. Ce der-


nier l’avait baptisée Bataan du nom
de la péninsule de Bataan aux
Philippines à partir de laquelle il
avait organisé la dernière ligne de
défense de l’archipel contre l’inva-
sion japonaise en 1942, jusqu’à ce
que le président Roosevelt lui or-
donne de faire retraite en Australie.
Du côté de Warbird Alley, le par-
king central de la zone dévolue aux
warbirds, l’effervescence a atteint son L’EAA a assemblé un trio
comble quand le P-47D Bonnie et le de MiG-17 privés pour un
P-51C Thunderbird ont été exposés de ses spectacles aériens
côte à côte. Les deux machines, res- de l’après-midi.
taurées par la société AirCorps
Aviation, étaient impatiemment at-
NIGEL HITCHMAN
tendues par les aficionados.
Pour qui avait l’odorat un tantinet
sensible, il flottait autour du
Thunderbird un léger parfum de
diluant… car la livrée bleu cobalt du
racer était encore en train de sécher,
l’avion n’étant sorti de l’atelier de
peinture que quelques jours aupara-
vant ! Ce “Mustang” est un des très
rares aujourd’hui en livrée civile, et
un quasi-mythe non seulement pour
avoir remporté le Bendix Trophy, la
course transcontinentale des
National Air Races, en 1949, aux
mains de Joe DeBona, mais aussi
parce qu’à l’époque il appartenait à
l’acteur James “Jimmy” Stewart, qui
avait combattu dans les rangs de l’US
Army Air Forces durant la Deuxième
NIGEL HITCHMAN
Guerre mondiale. Engagé en mars Le Grumman
1941, ce dernier avait effectué sa pre- prénom de celle qui allait plus tard C-1A “Trader” gorie Warbirds-Deuxième Guerre
mière mission de combat le 13 dé- devenir son épouse. AirCorps, fi- Miss Belle mondiale. Le public non plus d’ail-
cembre 1943 à la tête du 445th Bomb dèle à sa réputation, a produit une était venu leurs, qui a battu le pavé du matin
Group, une frappe sur la base de restauration tout simplement de Topeka, au soir autour de ce qui est un véri-
sous-marins de Kiel. Par la suite, il époustouflante ! Et les juges de dans le Kansas. table chef-d’œuvre de restauration.
devint chef d’état-major du l’Experimental Aircraft Asso- La cuvée AirVenture 2023 à
2nd Combat Wing de la 2nd Air ciation ne s’y sont pas trompés, qui Oshkosh était… exceptionnelle.
Division de la 8th Air Force. “Jimmy” lui ont décerné le très convoité tro- Rendez-vous du 22 au 28 juillet
Stewart avait terminé la guerre avec phée de Grand Champion de la caté- 2024 pour la prochaine. ■
20 missions de combat.

Une restauration Le superbe Waco 9


inouïe pour Bonnie de Walt Bowe, tout juste
sorti de restauration.
À côté de l’élégant et chatoyant
Thunderbird, le P-47D-23RA ma-
tricule 42-27609 avait des allures de
sinistre brute par sa stature massive
et sa livrée à dominante noir mat.
Sur la base d’une épave récupérée
en Papouasie-Nouvelle-Guinée
dans les années 1990, la restaura-
tion a nécessité huit années de tra-
vail et a été parachevée par l’appli-
cation de la livrée que portait le
matricule 42-27884 que pilota sur le
théâtre des opérations du Pacifique
le major Bill Dunham, triple as et
commandant du 460th Fighter
Squadron du 348th Fighter Group.
Dunham avait baptisé Bonnie cha-
cun des trois P-47 qu’il pilota, du
NIGEL HITCHMAN

46
NIGEL HITCHMAN
Le VC-121A
“Constellation”
Bataan
de la collection
Lewis Air
Legend n’a fait
qu’une courte
apparition
à AirVenture.

L’USAF avait
dépêché
à Oshkosh,
entre autres,
un Lockheed
C-5M “Galaxy”.
NIGEL HITCHMAN

47
HISTOIRE
Les méthodes de l’avionneur
analysées avec soin outre-Atlantique
Dassault,
un succès
qui fascine
les Américains
En septembre 1973, un rapport américain
dithyrambique est publié sur Dassault.
Son objectif est de comprendre les raisons
du succès du constructeur français.
Par Claude Carlier

L
es réalisations de la société en France, mais pas à l’étranger. Si
des avions Marcel Dassault quelques déclarations et écrits de
des années 1950 aux années Marcel Dassault permettent de lever
1970 constituent un cas le voile sur ses méthodes, ce sont
unique dans la construction surtout des analyses américaines qui
aéronautique française, et peut-être apportent d’importantes explica-
même mondiale. La personnalité et tions, particulièrement intéres-
la compétence de son fondateur, la santes, car provenant du pays qui est
qualité de ses collaborateurs et celle le principal concurrent de ses avions.
de ses appareils en font une société
mythique. À l’image de Marcel Une demande
Dassault, c’est une société discrète,
peu portée à communiquer sur son
de l’USAF
fonctionnement. C’est ainsi que des En 1968, l’US Air Force de-
questions ne manquent pas de se mande à la Rand Corporation, cé-
poser sur les raisons de ses succès, lèbre organisme de recherche cali-
généralement de manière négative fornien, d’étudier la société Dassault.

Marcel Dassault
en 1971 lors
des essais
du “Mercure”.
Sa société affiche
une grande
réussite qui
impressionne
les géants
américains de
l’aéronautique.

DASSAULT AVIATION

48
DASSAULT AVIATION
Septembre 1965 :
le col. Charles “Chuck”
Yeager (à droite) visite avec
une délégation de l’USAF
les installations Dassault
d’Istres. 49
LES AMÉRICAINS FASCINÉS PAR DASSAULT

Au milieu des années 1960, l’aile à géométrie variable


intéresse les bureaux d’études dans le monde.
Dassault fait voler le monoréacteur “Mirage” G en 1967.

DASSAULT AVIATION

La demande est motivée par le


constat que cet industriel “à l’échelle
“ Le secret est dans ce domaine que la politique des
prototypes a fourni de si bons résul-
américaine est une très petite société tats. Mettant à profit leur situation
qui a généralement la réputation
d’être l’une des firmes occidentales
de construire sur ce particulière, les Avions Marcel
Dassault ont de bonnes raisons de
les plus efficaces dans le domaine de
la conception et de la fabrication des
qui est connu, penser que s’ils sont capables de
mettre au point et de démontrer la
avions. De plus, abstraction faite des
appareils que le gouvernement des démontré, fiable ” valeur d’une amélioration technique,
le gouvernement remboursera les
États-Unis a achetés pour les livrer à dépenses correspondantes dont ils
l’étranger ou que l’Union soviétique que ces hommes passèrent de la noti- ont pris la responsabilité.
a fournis à ses alliés, Dassault a ex- fication du contrat au premier vol en Dans certaines circonstances,
porté plus d’avions à hautes perfor- 13 mois.” Les ingénieurs Dassault ne fonde pas les qualités de
mances dans plus de pays que n’im- En août 1969, des pilotes d’essais de Dassault son matériel sur un contrôle tech-
mettent
porte quel autre constructeur, et ce à de l’USAF viennent évaluer le “Mi- nique, mais s’en remet strictement à
au point
des prix qui défi ent généralement rage” G doté d’ailes à géométrie l’opinion des pilotes d’essais. De
le dispositif
toute concurrence. variable. Leur rapport est élogieux même, en échange, l’opinion et les
de pivotement
À bien des égards, ces avions sur l’avion et sur les méthodes de remarques d’ordre qualitatif des pi-
de la voilure.
pouvaient se mesurer avec n’importe fonctionnement de la société fran-
quel appareil au monde, à l’excep- çaise : “Il faut souligner la faculté
tion éventuellement de certains mo- qu’a la firme Dassault de trouver des
dèles américains ou russes nettement solutions simples et effi caces aux
plus coûteux. Depuis le début des spécifications ou aux demandes de
années 1950, Dassault a construit l’administration.
plus de 20 versions de base du chas- Nous avons constaté que la so-
seur “Mirage”, sans compter les pro- ciété Marcel Dassault et l’adminis-
totypes d’étude ou opérationnels de tration ne construisent pas des avions
modèles à décollage et atterrissage sur le papier, à partir de spécifica-
verticaux ou à géométrie variable.” tions uniquement rédigées sur le
papier, ainsi qu’il est fait fréquem-
Dassault très à l’écoute ment aux États-Unis. Ils essaient
d’améliorer ce qu’ils ont déjà en main
de ses pilotes d’essais pour répondre aux nouvelles spéci-
Alors que se déroule l’enquête de fi cations, usant ainsi d’une solide
la Rand Corporation, plusieurs expérience et fondant leurs progrès
autres analyses américaines laissent sur des techniques connues et le res-
entrevoir sa future tonalité. En mars pect des grandes règles fondamen-
1969, la revue Space & Aeronautics tales. Ils agissent ainsi à la fois en ce
fait observer : “Chacun des 439 ingé- qui concerne des modifications de
nieurs de Lockheed qui travaillaient fond et aussi pour des changements
à la transformation de l’“Electra” de peu d’importance par rapport aux
[Lockheed L-188, avion de transport matériels existants.
civil, NDLR] en P-3A “Orion” serait Très souvent, la société va au-de-
bien surpris s’il savait que la réalisa- vant des nouvelles spécifications et
tion du chasseur “Mirage” III est due utilise ses propres ressources finan-
au travail de 55 ingénieurs, 50 dessi- cières pour démarrer les études et
nateurs et 95 ouvriers spécialisés, et mises au point nécessaires. C’est
DASSAULT AVIATION

50
lument remarquables et, ainsi que je
lui en ai fait part, l’activité de Dassault
est considérée aux États-Unis comme
la manière de diriger et de développer
l’organisation d’une usine de
constructions aéronautiques. C’est
certainement un hommage à rendre
à MM. Dassault et Déplante.”
En octobre 1970, le général com-
mandant l’Air Force System
Command déclare au mensuel aéro-
nautique suisse Interavia : “Le secret
est de construire sur ce qui est connu,
démontré, fiable. En ce qui concerne
Dassault, cette méthode marche ex-
cessivement bien et il est probable
que nous verrons des chasseurs
“Mirage” dans plus de forces aé-
riennes mondiales que nous ne le
souhaiterions en réalité.”
Marcel Dassault, qui s’exprime
US AIR FORCE
Le General rarement, a jugé utile de fournir à
lotes d’essais sont immédiatement ment dévoué à la société elle-même Dynamics F-111 son directeur du service de presse
prises en considération par les ingé- et à sa politique, et très attaché à américain vole des éléments de réponse sur la mé-
nieurs de Dassault qui effectuent les M. Dassault lui-même.” en décembre thode Dassault. Ainsi dans sa note
corrections nécessaires. Ceci est en- 1964. Il devait du 23 janvier 1970 : “J’ai une façon
core un sous-produit de la situation Les ingénieurs français équiper l’USAF de travailler plus économique que
particulière de la société. Parce qu’il et l’US Navy. celle des grandes sociétés améri-
n’y a qu’une seule entreprise avec un
très polyvalents caines. En effet, en Amérique, les
patron et pratiquement un chef pilote En septembre 1970, Edward H. ingénieurs sont très spécialisés alors
d’essais seulement, la société obtient Heinemann, célèbre ingénieur aéro- qu’en France, des écoles comme
des résultats homogènes avec un nautique, alors vice-président de l’École centrale des arts et manufac-
minimum d’opinions contradic- General Dynamics Corporation, tures ou l’École supérieure d’aéro-
toires. Ceci, associé à la participation écrit à René Lucien, président-direc- nautique forment des ingénieurs
des militaires français dès l’origine teur général de Messier (trains d’at- complets , c’est- à- dire qu’ils
du projet, aboutit à des résultats effi- terrissage) : “Je dois dire que les pro- connaissent l’aérodynamique, la
caces et homogènes. grès réalisés par Dassault depuis résistance des matériaux, l’installa-
Séquence
Nous avons constaté que le per- notre dernière visite au bureau tion des réacteurs, l’utilisation des
de pivotement
sonnel de la société était très compé- d’études de M. Déplante [directeur de l’aile
équipements. Si bien que plusieurs
tent, fier de ses créations, extrême- général technique] en 1953 sont abso- du F-111. de mes ingénieurs sont capables de
faire tout seuls un avion, alors qu’en
Amérique, pour faire un appareil, il
faut des centaines d’ingénieurs.

Un nombre restreint de
programmes concurrents
Il faut dire aussi que je ne concur-
rence les sociétés américaines que
sur un nombre de programmes très
restreints tels que les chasseurs bom-
bardiers et les avions d’affaires, alors
que l’Amérique fait bien d’autres
choses telles que les bombardiers
stratégiques, de nombreux types
d’avions de transport généralement
très réussis, des avions militaires
Mach 3 et au-delà, des fusées, des
satellites, etc.
Je pense donc que l’Amérique,
disposant de très grands moyens, a
raison de s’organiser comme elle le
fait, et que la France ne disposant que
de peu de moyens, a également raison
de s’organiser comme elle le fait.
Chacun travaille suivant ses moyens.”
Marcel Dassault complète en
expliquant sa méthode : “Mon suc-
cès dans les chasseurs bombardiers

US AIR FORCE

51
LES AMÉRICAINS FASCINÉS PAR DASSAULT

vient de ce que j’ai toujours procédé aurait été complètement raté, et c’est
par étapes. J’ai commencé vers les grâce à la filiation de tous mes avions
années 1950 avec l’“Ouragan” qui que j’arrive à les réussir.”
était un chasseur bombardier
Mach 0,75, puis avec le “Mystère” IV, Le rapport
chasseur-bombardier Mach 0,9,
puis avec le “Super Mystère” B1 at-
de la Rand Corporation
teignant Mach 1. Enfin, je suis passé Le rapport de la Rand Corpo-
au “Mirage” III, avion Mach 2, en ration est remis en décembre 1971 et
1958, c’est-à-dire il y a douze ans. rendu public en septembre 1973 (1).
C hacun sait que pour faire Il s’agit de l’étude la plus complète
Mach 2 ou un Mach supérieur, il sur la société Dassault de cette
faut une épaisseur d’aile de 3 à 4 % époque. Dans la préface, il est pré-
par rapport à la profondeur. Or, cisé que “l’objet de cette étude est
avec la formule delta, tout en ayant d’examiner et d’évaluer la politique,
3 ou 4 % d’épaisseur relative, on a la stratégie, les procédés et les rela-
une valeur absolue d’une aile rela- tions extérieures qui semblent être la
tivement épaisse. Ceci fait du base de cette réputation ainsi que des
“Mirage” III un avion rustique, lé- réalisations qui l’ont confirmée. En
ger, particulièrement solide, fait fait, cette étude doit avant tout per-
pour résister aux balles et aux éclats mettre d’identifier les qualités M. Dassault a refusé de créer une
d’obus. Comme j’en ai construit Dassault qui, après une certaine capacité de production qui pourrait
plus de 1100, son prix actuel est très adaptation, pourraient jouer un rôle constituer une menace concurren-
bas par rapport aux avions concur- bénéfique dans un contexte améri- tielle pour le secteur nationalisé de
rents. Les prix D A
ASSAULT VIATION cain
c tout en éva- l’industrie aéronautique française.
varient énormé- luant
l les chances de En général, on admet que M. Dassault
ment suivant que réussite
r d’une telle préfère que la société reste petite et
l ’é q u i p e m e n t tentative”.
t qu’elle dépende le moins possible de
électronique est Dans le premier Tom N. Kastner, la production, ce qui implique que le
plus ou moins cchapitre intitulé pilote américain gros de la fabrication soit sous-traité
perfectionné. ““Dassault : l’homme du Naval Air aux autres sociétés françaises de
Sur ces 1 100, eet la société”, la Test Center, construction aéronautique.
il y en a à peu près RRand Corporation pilota le
un tiers pour la eestime que “sans “Mirage” G en De multiples facteurs
France, et deux ddoute, la société des novembre 1968,
tiers pour l’expor- AAvi o n s Ma rc e l puis en juin d’explication
tation. Les princi- DDassault, plus que et juillet 1969. On attribue souvent ce choix à la
paux clients, en ttoute autre société prudence que la double expérience du
d e h or s d e l a dde construction aé- passé [période Bloch avant-guerre,
France, sont la ronautique du NDLR] inspire au propriétaire de la
Suisse, la Bel- mmonde occidental, seule société privée de construction
gique, Israël, le cconstitue un prolon- aéronautique dans un pays où il existe
Liban, l’Australie, l’Afrique du Sud gement de la personnalité de son
et le Pérou, fondateur et propriétaire […] qui a (1) Robert Perry, A Dassault Dossier.
Si j’avais voulu, en 1950, faire un une conception unique de la crois- Aircraft Acquisition in France.
“Mirage” III, il est probable qu’il sance de sa société. R-1148-PR, septembre 1973, 40 pages.
DASSAULT AVIATION

Le pilote Thomas J. Cassidy


et des officiels de l’US Navy
Un “Mirage” G imaginé aux couleurs de l’US Navy.
À la fin des années 1960, la marine américaine
cherchait un chasseur à aile à géométrie variable
et s’intéressa aux essais de l’appareil.

EAU
RATIN
ALAIN

un très fort secteur nationalisé. […] intéressants et peu coûteux suscep- D’après M. Dassault, sa société
Mais il y a d’autres facteurs. Dassault tibles d’être lancés en série. Mais est en mesure de développer un
base sa ligne de conduite sur la consta- contrairement à la plupart des sociétés avion pour le sixième du prix qu’il
tation que la fabrication d’avions est de construction aéronautique améri- faudrait à une société américaine et
en elle-même irrégulière alors que la caines, qui ne voient dans le dévelop- environ le tiers du prix qu’il faudrait
demande pour des D A
ASSAULT VIATION ppement qu’un prélude à d’autres sociétés françaises de
avions de construction iinévitable mais plutôt construction aéronautique. Il ex-
améliorée et techni- ffastidieux de la pro- plique ce phénomène surtout par le
quement avancée est dduction , Dassault fait qu’il s’en remet à des ingénieurs
relativement stable – à ssemble considérer la Thomas de très haut niveau mais non spécia-
condition que le coût pproduction comme un J. Cassidy lisés. Chez Dassault, chaque ingé-
ne soit pas trop élevé. ttravail d’appoint des- appartenait nieur en chef a la réputation de pou-
De nombreux fac- ttiné à combler les la- à l’unité voir construire un avion complet ;
teurs, notamment son ccunes que le dévelop- d’expérimen- pour la plupart, l’étude d’un sous-
budget limité, em- ppement peut laisser tation VX-4 ensemble majeur tel que l’empen-
pêchent l’armée de ddans le plan de charge. de l’US Navy. nage ou la voilure est devenu un
l’Air française d’ache- Pour ce qui travail de routine”.
ter de grandes séries de cconcerne les program- La plus parfaite illustration de
nouveaux avions. mmes aéronautiques cette polyvalence est apportée, au
Pourtant cette armée multinationaux, milieu des années 1960, quand une
de l’Air paraît avoir un MM. Dassault n’a jamais équipe d’une trentaine d’ingénieurs
appétit insatiable pour tout le matériel cessé de se tenir à l’écart et de s’opposer travaillant sur le “Mirage” III est
aéronautique avancé qu’elle peut à toute participation française, et cela transférée à la nouvelle usine de
obtenir avec un budget restreint. nullement pour l’unique raison qu’il Martignas-sur-Jalle, en Gironde,
Dassault par contre semble avoir une avait des contre-projets Dassault à pro- pour concevoir le missile balistique
capacité illimitée de créer des modèles poser, encore que ce fut souvent le cas. MD.620 pour Israël. ▲
DASSAULT AVIATION

Les équipes d’essais de Dassault


et de l’US Navy à la fin
de l’expérimentation
du “Mirage” G en 1968.

53
LES AMÉRICAINS FASCINÉS PAR DASSAULT

Dassault poursuivit ses études autour


de l’aile à géométrie variable avec
les bimoteurs “Mirage” G8 monoplace
(à gauche) et biplace (à droite).

DASSAULT AVIATION

Pour la Rand Corporation, la l’autre de ces possibilités ne Le rapport souligne l’impor-


collaboration étroite entre construc- convient aux deux partenaires. tante différence entre Dassault et les
teur et utilisateur permet souvent Cette coopération permet égale- sociétés américaines en ce qui
d’éviter des demandes inconsidé- En mars 1972, ment d’alléger les contrôles admi- concerne les effectifs affectés au
rées : “Dassault et les divers services Neil Armstrong, nistratifs. Dans le cas du “Mi- bureau d’études, aux prototypes,
du ministère de la Défense semblent accoudé sur le rage” IV, l’équipe mise en place par aux essais en vol : “Il paraît pratique-
être conscients du fait que les per- bord du poste le gouvernement n’a pas excédé 40 ment superflu de faire la comparai-
formances se paient et agissent en de pilotage personnes et, pour le “Mirage” III, son avec le personnel mis en place
conséquence. Du moment qu’une du “Jaguar” A, une vingtaine de personnes. Aux aux États-Unis. Qu’il suffise de rap-
exigence est trop poussée, Dassault se fait États-Unis, les équipes sont de cinq peler qu’en pareil cas, les équipes
présenter
n’est plus en mesure de fournir ou à dix fois plus importantes et pèsent américaines seront au moins cinq
l’avion avec
alors le coût dépasse les moyens lourdement dans la souplesse de fois et à l’occasion même dix fois
une délégation
fi nanciers disponibles. Ni l’une ni réalisation des matériels.” plus importantes. C’est l’austérité qui
DASSAULT AVIATION
américaine.

XOXOXOXOXOOXOX
constitue la toile de fond de la poli-
tique de Dassault dans le développe- Intégrer une petite
“série
base du premier au dernier avion et
des contraintes autovalidées sur l’in-
ment des avions. En termes améri-
cains ou britanniques, l’effectif des de nouvelles corporation de la technologie à gros
risques dans un nouvel avion, pour
techniciens est minimal tandis que le la simple raison que cette technologie
personnel administratif est réduit à
sa plus simple expression. Les
caractéristiques à une est nouvelle ou séduisante abstraite-
ment. Aucun de ces critères ne carac-
moyens sont pour ainsi dire “spar-
tiates” et seules les installations d’es-
construction existante ” térise les méthodes récentes de déve-
loppement en Amérique. La
sais et machines-outils de fabrication procédure de Dassault pour aller du
constituent des ressources compa- deux avions ont été développés sen- “Mirage” III standard à des versions
rables à celles de l’industrie aéronau- siblement sous des priorités iden- telles que le “Mirage” IIIV Adav
tique américaine.” À la différence tiques et des calendriers d’exécution [avions à décollage et atterrissage
des autres constructeurs occiden- similaires ; tous deux ont accusé des verticaux, NDLR] et le G à géométrie
taux, Dassault attache plus d’im- glissements de délai d’environ 10 % variable démontrent que des concepts
portance au développement qu’à la mais le “Mirage” IV a effectivement techniques radicalement différents
production, pratique une politique répondu aux exigences opération- peuvent être introduits dans des ver-
du personnel typiquement euro- nelles en quelque trois années de sions améliorées successives de
péenne, s’en tient à une stratégie de moins que le F-111.” l’avion de base, sans courir de gros
développement par prototypes, pré- La Rand Corporation résume : risques d’échec du programme.”
fère la construction évolutive par “Les qualités particulières de l’orga- Selon la Rand Corporation, “la
étapes aux méthodes de développe- nisation Dassault semblent reposer méthode de construction Dassault
ment généralement préconisées sur une politique soigneusement consiste à concentrer momentané-
dans le reste du monde occidental.” mise au point, sur une direction ha- ment tous les efforts sur quelques
La Rand Corporation souligne bile et clairvoyante, sur l’influence paramètres seulement ou à intégrer
que les études Dassault sont rapide- personnelle de M. Dassault et sur des une petite série de nouvelles caracté-
ment converties en prototypes dans principes de construction où la tech- ristiques à une construction exis-
la mesure où l’ampleur de l’effort nologie de faible risque et la simpli- tante. Une construction totalement
technique nécessaire est limitée. De cité de conception se conjuguent avec nouvelle est rare. Si elle s’impose, elle
même, les essais en vol du prototype les hautes performances.” Le “Mirage” a tendance à être très classique, ne
peuvent être très fructueux si les G8 01. présente que quelques éléments tech-
données recueillies se rapportent en La filiation Les Américains nologiques radicalement nouveaux
grande partie aux dispositifs nou- s’intéressèrent et comprend, si possible des sous-
veaux les plus importants du proto-
des avions Dassault aux études systèmes éprouvés (moteurs, train
type : “C’est probablement là que La société Dassault pratique une de Dassault. d’atterrissage, avionique), etc.”.
réside le secret du tour de force re- politique de développement évolu- Le constructeur Le rapport Rand cite la famille
marquable qui a consisté à mener le tionniste qu’elle nomme politique LTV proposa “Mirage” comme l’exemple le plus
bombardier “Mirage” IV du stade des “petits pas”. Pour la Rand ainsi significatif de la constitution d’une
conceptuel à la mise en service opé- Corporation, il s’agit d’une “des ca- à l’US Navy famille d’avions. Du “Mirage” III
un concurrent
rationnelle en près des deux tiers du ractéristiques les plus difficiles à imi- sont dérivés les “Mirage” IIIC, B, E,
au F-14
temps exigé pour le F-111 (avion ter peut-être, qui exige une continuité R, 5. Toutes ces versions possèdent
“Tomcat”
comparable en taille et en perfor- du travail d’étude, un transfert le même réacteur et les mêmes élé-
dérivé du
mance) et environ 10 % du prix. Les continu des éléments techniques de ments de cellule que le “Mirage” III


“Mirage” G8.

DASSAULT AVIATION

55
LES AMÉRICAINS FASCINÉS PAR DASSAULT

Un “Mirage” F1 américain ? Boeing s’intéressa


au chasseur dans la perspective de le proposer
à l’USAF comme chasseur léger.

d’origine. Les modèles exportés sont tré qu’en procédant par étapes soi- veaux. En termes de frais de main-
identiques, mis à part les quelques gneusement défi nies et en partant d’œuvre d’étude et de développement
modifications demandées par d’une base bien connue, la réalisa- initial, ces avions coûtèrent énormé-
chaque force aérienne étrangère. tion du projet d’ensemble est beau- ment plus cher que le “Mirage” IIIG.”
La même philosophie permet la coup plus aisée.” La société française a commencé
réalisation du “Mirage” G à géomé- ses études cinq années après Convair-
trie variable. En 1969, les pilotes de Le “Mirage” G General Dynamics pour son F-111,
l’USAF qui ont évalué l’appareil avion d’une taille plus grande et
écrivent : “Les entrées d’air du
montré en exemple d’une électronique très élaborée,
“Mirage” G ont d’abord été essayées Pour les Américains, l’une des mais a achevé la mise au point de la
sur le “Mirage” IIIE. Le “Mi- plus grandes réussites techniques de cellule avant les Américains. Le pro-
rage” IIIT a été l’avion d’essais per- Dassault est l’avion à géométrie va- cessus d’évolution progressif a per-
mettant de voir ce que donnerait riable “Mirage” G réalisé en moins mis de limiter les risques financiers.
pour le vol supersonique un appareil de 16 mois : “L’étude et la construc- Les techniques nouvelles pouvant
à moteur double flux avec postcom- tion du “Mirage” G à géométrie va- présenter des aléas ont été testées en
bustion. Le “Mirage” F2 a fait office riable avaient mobilisé l’ensemble du Le “Mirage” F1 vol à partir de matériels déjà éprou-
de pionnier pour étudier un avion à personnel d’études qui travaillait sur fait face au vés. En octobre 1970, le géné-
aile haute, fixe, contrôlé par un sta- l’étude de la voilure, l’étude du pivot, F-16 pendant ral James Fergusson, commandant
bilisateur, et a abouti à un appareil l’effet du déploiement et du replie- le Salon du l’United States Air Force System
Mach 2 de haute qualité. Aussi, tout ment des ailes. Précédemment, deux Bourget 1975. Command, déclare à Interavia :
ce qu’il a été nécessaire de faire sur le avions américains à géométrie va- Les Américains “Pour 28 millions de dollars,
“Mirage” G a consisté à combiner riable (Convair-General Dynamics réagirent Dassault a construit le “Mirage” G.
ces facteurs connus avec le méca- F-111 et XF10F-1 de Grumman) au succès Je l’ai vu décoller, manœuvrer, mou-
nisme d’une aile mobile. comportaient des particularités des “Mirage” voir ses ailes et atterrir, et j’ai été pour
Avec le F-111, nous avons tenté comme de nouveaux moteurs, une avec un le moins impressionné.”
chasseur
de faire tout cela à la fois tout en es- nouvelle conception des canalisa- La Rand Corporation estime
beaucoup plus
sayant de satisfaire les spécifications tions, de nouveaux concepts des sys- que son rapport “devrait présenter
léger que
et tout en incorporant dans notre tèmes de commande, de nouveaux un certain intérêt pour les divers
leurs appareils
projet un équipement électronique circuits hydrauliques et électriques et alors
services de l’Air Force et des bu-
des plus évolués. Dassault a démon- une multitude de sous-systèmes nou- en service.
reaux chargés des méthodes de re-

DASSAULT AVIATION

56
U
ATINEA
ALAIN R

DASSAULT AVIATION
Marcel Dassault
cherche et de développement, des doyer en faveur de l’approche Dassault au Salon concours A-9/A-10 ainsi que pour le
achats ainsi que de la préparation à l’égard du développement et de la du Bourget développement du prototype d’un
des décisions. Nous pouvons dire production se fit jour aux États-Unis devant chasseur léger (F-16/F-17)”.
qu’au fond, les aspects de la réussite vers le début des années 1960. Cette la maquette du Le rapport Rand conclut : “Il
Dassault assimilables à des pra- approche doit être créditée d’une in- “Mirage” G4. paraît possible d’adopter certains
tiques ou procédures transférables fluence considérable dans la décision principes de base de Dassault au
concernent essentiellement l’orga- de 1970 visant à développer des chas- développement des avions aux États-
nisation gouvernementale, la défi - seurs légers, en faisant appel à la tech- Unis, ce qui pourrait se répercuter
nition des exigences et la spécifica- nologie existante. Ces chasseurs éven- favorablement sur les coûts et appor-
tion du système ainsi que le contrôle tuellement seraient adoptés par ter des avantages à long terme pour
du programme. Il est peu probable l’USAF et l’US Navy vers la fin de la la stabilité de l’industrie aéronau-
que la méthode d’achat de systèmes décennie. L’avion P-530 “Cobra” de tique du pays. Tout en précisant que
d’armes actuellement appliquée aux Northrop fut sans nul doute dérivé des “l’adoption de ces principes entraî-
États-Unis puisse être rapidement lignes chères à Dassault et en tant que nerait certes une modification pro-
modifiée dans son ensemble, de concurrent du “Mirage”. […] Hawker fonde des structures des secteurs
façon à inclure ces pratiques de pro- et Saab-Scania reconnaissent l’in- Le “Mirage” F1 gouvernemental et civil de l’industrie
cédures. Par contre, pour commen- fluence de l’expérience Dassault dans poursuivit dans aérospatiale américaine”.
cer, il semble possible de traiter à la mise au point finale respectivement les années Le rapport de la Rand Corpo-
part certains achats de systèmes du “Harrier” et du “Viggen”. 1970 la réussite ration ne fait pas état d’une spécifi-
d’armes, par exemple les pro- commerciale cité actuelle particulière de la société
grammes concernant le développe- Des procédures des “Mirage” III Dassault : la conception d’avions
ment et la fabrication de chasseurs commencée militaires et d’avions d’affaires à par-
tactiques (et de chasseurs de supé-
transférables ? dans la tir des mêmes équipes et fabriqués
riorité aérienne) et d’affranchir ces La méthode consistant à passer décennie dans les mêmes usines. Cette dualité
achats des contraintes institution- un contrat pour le développement précédente. civil/militaire permet à la société de
nelles habituelles.” seulement, par opposition au contrat Ici la version s’appuyer sur des cycles de marchés
L a Rand Corporation estime englobant le développement et la F1E qui complémentaires et de réduire l’ex-
concourut
qu’“en fin de compte, il n’est pas im- production, était courante dans la position à la conjoncture. En 1971,
en 1975 contre
possible que Dassault puisse être la décennie après 1945. Son principe l’activité avions d’affaires Dassault
le F-16 pour
victime de son propre succès. Le plai- fut récemment réadopté pour le n’est qu’à ses débuts. ■
doter l’Otan.

DASSAULT AVIATION

57
UN DESSIN, UNE HISTOIRE

DANIEL BECHENNEC

dans la construction d’hydravions à


Le Tellier 200 ch coque. Son premier modèle, moto-
risé par un Hispano de 200 ch, est
un succès au point d’être immédiate-

Un hydravion
ment commandé le 8 novembre 1916,
sitôt après avoir réussi ses essais au
centre de Saint-Raphaël sous la sur-
veillance de la Commission d’études

canon !
pratiques de l’aéronautique (Cepa) :
il vole à 130 km/h pendant une durée
de 4 h 30 min et peut emporter deux
bombes de 52 kg, avec une mitrail-
leuse dans la tourelle avant.
Illustration Daniel Bechennec, texte David Méchin. 180 exemplaires sont produits
et livrés à compter du mois de mars

A
yant hérité de l’affaire sant un monoplan, mais ses affaires 1917 à une vingtaine de centres
familiale de construction aéronautiques périclitent et il en d’aviation maritimes (CAM) en
de coques de bateaux, perd le contrôle l’année suivante. France, en Afrique du Nord et en
Alphonse Tellier (1879- Profitant de son expérience en réa- Grèce, où il constitue la dotation
1929) devient en 1910 lisations navales, il fonde une nou- partielle en complément d’hydra-
constructeur aéronautique en réali- velle société en 1916 qui se spécialise vions Donnet-Dennaut ou FBA.
58
L’impressionnant
En juillet 1917, Tellier sort une mètres du point de plongée, laissant canon de 47 mm ries graves ; peut-être même ont-ils
version équipée d’un canon de remonter une tâche huileuse et des monté à l’avant été détruits”, rien de tel ne peut être
47 mm dans la tourelle avant, im- bulles. Son équipier, gêné par le de l’hydravion affi rmé par l’examen des archives
médiatement commandée et livrée soleil et la brume, ne peut attaquer, Tellier 200 ch allemandes. Seuls deux sous-marins
à compter du mois de janvier 1918, mais le convoi naval est prévenu et pour attaquer furent mis hors de combat par une
à raison de deux exemplaires par se détourne. Une seconde section de les U-Boote qui action partielle de l’aviation mari-
CAM, pour 110 appareils produits. deux hydravions est envoyée sur place menaçaient time pendant la Première Guerre
à 9 h 25 et découvre deux périscopes les convois. mondiale. L’attaque à laquelle ont
Le chef de patrouille dont l’un est bombardé par les deux pris part des hydravions Tellier
appareils. Les bombes tombent à n’aura été qu’un coup d’épée dans
repère un U-Boot une quinzaine de mètres de la cible l’eau, mais si aucun résultat connu
Le 10 août 1918 à 7 h 30, deux et laissent un fort remous… Manqué ! n’est à créditer à l’actif de ces appa-
hydravions du CAM de La Pallice Mais à 16 h 15, deux sections de deux reils, que ce soit à la bombe ou au ca-
(La Rochelle) survolent un convoi hydravions sont de nouveau sur les non, là n’est pas l’essentiel : le convoi
naval à 14 milles (26 km) à l’ouest de lieux et l’une repère un nouveau pé- naval a été efficacement protégé des
la Cotinière, au large de l’île d’Olé- riscope, de nouveau bombardé. U-Boote, constamment harcelés
ron. Le chef de patrouille repère M algré l’optimisme de la par les hydravions, et incapables
un kiosque de U-Boot et passe à Direction générale de la guerre de produire leur attaque. Là est la
l’attaque alors que le sous-marin sous-marine (DGSM) qui conclut vraie victoire de tous les pilotes ano-
plonge… Il largue ses deux bombes qu’“il est vraisemblable que le ou nymes de l’aviation maritime de la
qui tombent à une cinquantaine de les sous-marins ont reçu des ava- Première Guerre mondiale. ■

59
MONOGRAPHIE

DR/ESPACE AIR PASSION/ASSOCIATED PRESS


Première partie.
Dewoitine D.513 À l’origine du fameux D.520, il y eut
“un beau loupé”, le D.513, premier chasseur
Le chaînon moderne à train rentrant d’Émile Dewoitine.
Sur la base des travaux antérieurs de Jean Cuny

manquant et Raymond Danel, voici son histoire revisitée


et enrichie à la lumière des notes et carnets
de son pilote Marcel Doret. Par Bernard Bombeau

Les grandes lignes du moderne D.513


révèlent déjà celles du futur D.520.
Mais pour ce malheureux prototype
toulousain, voué aux oubliettes de
l’histoire, le “Capitole sera aussi près
de la roche Tarpéienne que la roche
Tarpéienne du Capitole”.

61
LE DEWOITINE D.513

A
u printemps 1934, sous
l’impulsion du général
Denain, ministre de
l’Air, la Direction des
Émile Dewoitine
constructions aériennes
eut la révélation
présenta les grandes lignes d’un nou- du D.513 en
veau programme de monoplaces de découvrant le
chasse (C1) devant remplacer les Heinkel 70 au
Nieuport 62, Dewoitine D.500 et Grand Palais
leurs dérivés à peine entrés en ser- en 1934. Cet
vice et déjà techniquement dépassés. avion postal
Soumis aux constructeurs le 13 juil- performant à
let 1934, amendé en août et en dé- l’aérodynamique
cembre, le programme C1 fut enfin particulièrement
figé le 16 novembre 1935 avec, pour élaborée
principales exigences, un moteur de s’avérera
la catégorie des 800 ch à 1 000 ch ; décevant comme
une vitesse maximale d’au moins appareil de
450 km/h (contre 400 auparavant) ; combat durant
une autonomie au moins égale à la guerre
2 h 30 min (à 320 km/h) ; un temps de d’Espagne.
DR/COLL. B. BOMBEAU
montée à 8 000 m n’excédant pas
15 minutes (6 minutes à 4 000 m – Saulnier MS.405, Nieuport 160, “avion postal” He 70, détenteur de
19 minutes à 10 000 m) et un plafond Loire 250, Bloch MB.150 et à un nou- huit records internationaux.
théorique de 11 000 m. veau Dewoitine, le D.513. L’appareil captivait par la modernité
L’armement devait comprendre de ses lignes et la pureté de ses
au choix, un canon (20 mm) et deux Subjugué formes. Un train escamotable, un
mitrailleuses (7,7 mm) ; deux canons ; moteur bien caréné, un fuselage soi-
ou quatre mitrailleuses. Encouragés
par le Heinkel 70 gné et, surtout, deux fines ailes ellip-
par d’alléchantes perspectives indus- C’est au Grand Palais, en arpen- tiques (1) lui conféraient des perfor-
trielles, de nombreux projets virent le tant les allées du XIVe Salon de mances enviables. Émile Dewoitine,
jour qui allaient donner naissance l’aéronautique, qu’Émile Dewoitine qui exposait sur ce même salon son
aux prototypes Blériot-Spad 710 (1892-1979) aurait eu, en décembre chasseur D.511 – dernier rejeton de
(biplan à empennages “papillon”), 1934, la “révélation” du futur D.513. la grande famille des D.500 – pres-
aux monoplans à ailes basses Morane- Heinkel y présentait son superbe senti pour le programme C1, en fut

Les premiers essais jugés très positifs lui permettent


Les concurrents d’entrer au Cema (Centre d’essais du matériel aérien)
dès février 1936 où il fait une excellente impression.
Doté de l’Hispano HS-12Crs, sa vitesse maximale
approche rapidement les 450 km/h. Suite aux premières
commandes de série début 1937, l’avion subit différents
chantiers qui conduiront l’année suivante au MS.406,
cheval de bataille de l’armée de l’Air en 1939, date à
laquelle il était déjà malheureusement dépassé. Sa
complexité structurale en ralentira fortement la production.
Notre photo représente le MS.405-01 dont l’état
d’avancement mi-1937 préfigure déjà le MS.406.
DR/COLL. B. BOMBEAU

Le Spad 710. Dernier chasseur biplan de l’ingénieur André


Herbemont, le type 710 à train rentrant et empennage
en “V” fut mis en chantier en 1935 hors tout programme
officiel. Seul biplace entré dans la compétition des C1
de 1934 (un mitrailleur arrière), sa formule surannée
semblait totalement anachronique en dépit de quelques
particularités dignes d’attention comme son train
escamotable étudié spécialement pour les ailes minces.
DR/COLL. B. BOMBEAU
Sa carrière fut brève et s’acheva tragiquement en
juin 1937 au cours d’un vol d’essais par la mort de son Le Loire-Nieuport LN.160/161. Entièrement métallique
célèbre pilote Louis Massotte. Notez sur notre document (sauf gouvernes entoilées), d’abord doté d’un pauvre
l’hélice bipale et le radiateur frontal dont est aussi doté HS-12Xcrs de 690 ch, le LN.160-01 vola à l’automne
l’HS-12Ycrs du Spad 710-01. 1935 avant de repartir en usine pour recevoir une voilure à
dièdre donnant naissance au LN.161 à moteur HS-12Ycrs.
Le Morane-Saulnier MS.405. Vainqueur du programme, Équipé de radiateurs dans la partie centrale des ailes
le MS.405-01 effectua son premier vol le 8 août 1935 et d’une verrière coulissante très en avance pour
avec un temps d’avance sur tous ses concurrents. son temps, le LN.161 était sans doute le plus rapide

62
DR/COLL. B. BOMBEAU
Le D.513-01
subjugué. Avant même que les portes tion D.512. Ces deux projets tran- à sa sortie première étude reprenait à son
du Grand Palais ne se referment, il chaient radicalement avec les réali- d’usine en compte une aile proche de celles des
ordonnait l’abandon du D.511 et lan- sations précédentes du brillant et décembre 1935. D.500/510, la seconde adoptait une
çait simultanément deux nouveaux talentueux ingénieur toulousain. L’avion est voilure elliptique fortement inspirée
projets de chasseurs sous la désigna- Les premières esquisses, sorties des dépourvu de celle du He 70 !
planches à dessins en janvier 1935, de congés de
(1) Voilure dont la diminution de la
avaient en commun un habitacle raccordement Du projet
fermé (exigé par le programme), un ailes-fuselage
courbure à ses extrémités minimise les
tourbillons marginaux et favorise un train rétractable (fortement sou- et équipé d’un
au prototype
écoulement aérodynamique homogène. haité), des volets d’intrados, un volumineux Des calculs, pour le moins empi-
Apparue au début des années 1930, la empennage sans haubanage et un train fixe riques, faisaient entrevoir des per-
formule, en dépit de ses limitations à tripode
basse vitesse, connut un éclatant succès moteur-canon Hispano-Suiza formances remarquables. Une inter-
12Ygrs de 860 ch. Toutefois, si la interchangeable. prétation approximative du bilan


sur le “Spitfi re” britannique.

des chasseurs du programme C1 (478 km/h).


Testé au Cema en 1937, il fit l’objet de rapports favorables.
Mais son prix de revient élevé et deux accidents graves
allaient compromettre ses chances. Trois prototypes furent
néanmoins construits dont le LN.161-03 de notre photo.

DR/COLL. B. BOMBEAU

Le Bloch MB.150. Arrivé tardivement dans la compétition


avec un moteur en étoile Gnome et Rhône 14K de 850 ch
et un curieux train d’atterrissage dont la garde au sol
s’avérera très insuffisante, le MB.150-01 ne vola qu’en
mai 1937, presque un an après sa sortie d’usine. Sa mise
DR/COLL. B. BOMBEAU au point fut longue et laborieuse ponctuée d’aller et retour
entre l’usine et le Cema. L’adaptation d’un GR-14N (890 ch)
Le Loire 250. Dernier chasseur “Loire” avant que la firme
et une profonde refonte de la cellule corrigèrent en partie
fusionne avec Nieuport, le Loire 250 effectua son premier
ses problèmes d’instabilité. Son développement déboucha
vol en septembre 1935 avec un gros mais capricieux moteur
en 1939 sur les MB.151 puis MB.152 commandés
en double étoile HS-14Ha donné pour 980 ch.
par l’armée de l’Air. Sur notre document, le MB.150-01
La voilure métallique était inspirée de celle de l’hydravion
photographié en 1938 avec le maquettage de ses deux
de chasse Loire 210 commandé par la Marine. Le pilote,
canons de 20 mm en voilure.
surélevé, disposait d’une excellente visibilité dans un poste
abondamment vitré. Bien que prometteur, le prototype, dont DR/COLL. B. BOMBEAU

on attendait une vitesse de 480 km/h, fut délaissé au profit


du LN.161 après la fusion avec Nieuport et la nationalisation
des deux firmes. Sur notre document, le Loire 250 est
présenté dans sa première version avant le remplacement
de l’hélice bipale en bois par une tripale métallique.

63
LE DEWOITINE D.513

aérodynamique du He 70 laissait
espérer une vitesse maximale (Vx)
Autour d’un fuselage de 7,38 m de
long, pas moins de sept voilures ellip-
“ Le moteur vibre
comprise entre 500 km/h et 537 km/h
à 5 000 m pour seulement 580 ch de
tiques et deux modèles d’empen-
nages furent ébauchés. Deux séries fortement à plusieurs
puissance motrice absorbée ! Bien d’essais eurent lieu sur maquettes fin
imprudemment, sans attendre les
résultats en soufflerie d’une ma-
avril et début mai 1935 dans la souf-
flerie Eiffel et chez Lioré et Olivier.
régimes. L’empennage
quette au 1/10 du premier projet,
Émile Dewoitine, conforté dans son
Les performances, calculées à partir
des polaires, révélèrent un sérieux
est mal calé. ”
intuition, lança fin février la excès d’optimisme. Dans le meilleur
construction de deux exemplaires du des cas, la vitesse maximale ne dé- prévisions. La déception était
D.512 à voilure elliptique. Afin de passait pas 500 km/h à 4 850 m d’alti- grande… Seule consolation, le D.513
les différencier, ils furent redésignés tude. La faute en incombait princi- entrait dans l’épure des 450 km/h
D.513-01 (prototype) et D.513-1 palement à la traînée additionnelle requis par le programme C1.
(tête de série). générée par le volumineux radiateur
Sous la direction d’André Vautier d’eau de l’Hispano. Que celui-ci fut Nouveau moteur,
et de Robert Castello, une équipe du en position ventrale ou frontale,
bureau d’études toulousain de la comme sur le prototype D.503 (autre
nouvelle hélice
SAF (lire encadré ci-dessous) fut ersatz du D.501), les performances La construction du 01 débuta en
chargée d’optimiser le concept. demeuraient bien inférieures aux mars 1935. Voulant uniformiser la
motorisation de ses futurs chasseurs,
le Service technique de l’aéronau-
La Société aéronautique française (SAF) tique (STAé) imposa le remplace-
Crée en 1928, suite à la mise en liquidation l’année précédente de la CAD (Construction ment de l’Hispano-Suiza 12Ygrs
aéronautique Dewoitine), la Société aéronautique française (SAF) est née d’une initialement prévu par un 12Ycrs
entente entre Émile Dewoitine et la Participation mobilière et immobilière (PMI), (n° 495.009) à canon axial de 20 mm
société financière de l’entreprise Brandt avec 81 % du capital. Son siège est à logé entre les rangées de cylindres.
Chatillon-sous-Bagneux (région parisienne) et ses moyens industriels sont ceux D’un poids à vide légèrement supé-
hérités de l’usine toulousaine de la CAD. En 1930, dans le cadre d’une tentative de rieur (10 kg) pour une puissance
réorganisation de l’industrie aéronautique, la PMI prend également le contrôle de sensiblement identique, le nouveau
l’avionneur Lioré et Olivier (LéO) qui entre dans le capital de la SAF à hauteur de 63 %. propulseur n’influait pas sur les per-
Selon les termes de l’entente, la SAF réalise à Toulouse les prototypes et les petites Vu de face, formances calculées.
séries d’avions Dewoitine mais, moyennant un droit de licence dégressif, laisse aux en ligne de Une hélice tripale Ratier Série
établissements Lioré et Olivier les fabrications les plus importantes. LéO se taille ainsi vol, le D.513-01 1.383 à pas réglable au sol lui fut
avec sa grande adaptée. Sorti d’usine aux derniers
la part du lion des commandes étatiques mais assure en contrepartie le financement
voilure de 12 m jours de l’année 1935 à l’issue de
de l’établissement toulousain sous forme d’avances remboursables. Dans cette
d’envergure 46 450 heures de fabrication, le
singulière organisation, Émile Dewoitine, actionnaire minoritaire, possède au sein de
affichant D.513-01 se présentait comme un
la SAF le double statut d’administrateur et de directeur technique en charge du bureau
un dièdre élégant monoplace de chasse métal-
d’études et de ses maigres moyens de production. Dans les faits, le groupe Lioré simple de 2°
et Olivier exerce une véritable tutelle sur l’entreprise toulousaine par le biais de son lique à fuselage de section ovoïde et
à l’extrados. poste de pilotage à conduite inté-
administrateur délégué (M. Arène). Cette alliance qui se voulait complémentaire en À noter
période d’opulence deviendra vite source d’affrontements entre Dewoitine et LéO dans rieure généreusement vitrée. Seul le
l’excellente
la crise que traversera l’industrie aéronautique de 1934 à 1935. Avec des fortunes radiateur d’eau, monté en position
visibilité vers
diverses, pas moins d’une vingtaine de prototypes, civils et militaires, porteront, durant frontale, troublait quelque peu l’es-
l’avant dont
cette période, la signature du talentueux et atypique ingénieur-constructeur toulousain. thétique d’une cellule moderne dé-
dispose
le pilote.
pourvue de tout haubanage.
DR/COLL. B. BOMBEAU

64
soufflerie n’avaient pas encore per-
mis de définir un raccordement
ailes-fuselage optimal pour amélio-
rer l’efficacité de l’empennage hori-
zontal et contrer un manque prévi-
sible de stabilité longitudinal. À
Plan de la première basses vitesses, l’absence de ces rac-
configuration du D.513 cords Karman limitait à 35° le débat-
avec le train fixe tement des volets d’intrados com-
et la béquille de queue. mandés par un vérin à air comprimé.
La cinématique du train d’atterris-
sage escamotable (type Vaslin)
s’étant d’emblée avérée complexe, il
fallut avoir recours à une solution
transitoire avec un train fixe à châs-
sis tubulaire occasionnant une traî-
née supplémentaire. À bien des
égards, le D.513-01 était loin d’être
un prototype abouti. Mais le temps
pressait. Dewoitine avait déjà trois à
cinq mois de retard sur ses princi-
paux concurrents.

Un premier vol
peu convaincant
C’est dans cette configuration, à
la masse au décollage de 1904 kg
(sans armement), que le D.513-01
Le radiateur sort de son hangar au matin du lundi
frontal et 6 janvier 1936 sur le terrain de
les petits Toulouse-Francazal. Marcel Doret,
radiateurs célèbre virtuose aérien, chef pilote
d’huile de la maison Dewoitine, s’installe
dépassant sous aux commandes. Les pieds écrasés
le capotage sur les pédales de freins, il tire pro-
de l’HS-12Ycrs gressivement sur la manette des gaz,
équipé de rétablit à 1 500 tr/min et sélectionne
J.M.G. l’hélice tripale les magnétos. Hélice au petit pas, il
Ratier 1383 entame alors la procédure habituelle
n° 1 à pas avant un premier vol : contrôle des
réglable au sol indications du compte-tours, vérifi-
avec laquelle
La voilure de forme elliptique, rons (aux extrémités d’ailes) et de cation des pressions et température.
le prototype
mono-longeron entièrement métal- volets d’intrados dans la partie cen- Jusque-là, tout va bien. Doret fait
effectua son
lique à revêtement travaillant en trale. Cependant, bien des choses signe d’enlever les cales et accélère
premier vol le
tôles de duralumin, disposait d’aile- restaient à finaliser… Les essais en 6 janvier 1936.
pour tester les freins. Il explique : ▲
DR/COLL. B. BOMBEAU

65
LE DEWOITINE D.513

“Suivant le programme habituel, je le ramène vers le terrain. Ce premier quille. Ces opérations immobili-
parcours toute la longueur du terrain vol n’a duré que 13 minutes ! Son sèrent l’appareil sept longues se-
à plusieurs reprises à des vitesses de compte rendu est pour le moins cin- maines durant lesquelles son
plus en plus élevées, sans quitter le glant : “Au roulage, en ligne droite, principal concurrent, le MS.405-01,
sol, et puis, fi nalement [j’effectue] le gouvernail de direction est nette- entama au Cema (Centre d’essais du
deux ou trois sauts de puce pour véri- ment insuffi sant, en cas de panne de matériel aérien) ses premières
fier le comportement des gouvernes freins, il serait impossible de se dé- épreuves officielles.
et le centrage de la machine”. (2) fendre contre un cheval de bois en Pendant ces travaux, Doret fut
fin d’atterrissage. Les amortisseurs accaparé par la mise au point du
Le compte rendu du train principal ne fonctionnent chasseur D.510.R (R pour Russie)
pas bien et celui de la béquille est et par celle – avec Jean Doumerc –
cinglant de Doret bloqué. Au décollage et à l’atterris- du D.620. Ce n’est que le 11 mars
De retour au hangar, les méca- sage, l’insuffisance du volet de direc- qu’il retrouva le D.513 modifié pour
niciens procèdent aux ultimes ajus- tion [gouvernail, NdA] se confirme. un vol de 30 minutes à la masse au
tements. L’essai au sol a duré 30 mi- Il est nécessaire d’augmenter la décollage de 2 250 kg. Il en consi-
nutes. Doret s’est fait une première course au cabré de l’empennage gna les paramètres : “Température
opinion sur ce nouveau prototype. [profondeur, NdA]. Le capotage au sol 13 °C. Hélice calage 0. Les
Le premier vol sera un vol de prise mobile de la conduite intérieure [ver- vibrations sont moins fortes depuis
en main. Avant de s’aligner face au rière, NdA] vibre fortement et le la révision chez Hispano mais sub-
vent, il effectue un dernier point système d’ouverture ne fonctionne sistent encore à différents régimes ;
fixe. Volets abaissés de 10°, compen- pas normalement. Les amortisseurs en montée plein gaz à 16 0 -
sateur et hélice calés au neutre, le de train ne fonctionnent pas bien et 180 km/h, en palier, à la reprise de
pilote lâche les freins, tire progres- celui de la béquille est bloqué”. 1 800 à 1 900 tr/min et en réduisant
sivement sur la manette des gaz, L’inventaire était peu rassurant. de 2000 à 1 700 tr/min (…) En mon-
contre le couple de renversement et L’équipe de piste para au plus pressé : tée, le radiateur est insuffi sant ; à
pousse sur le manche. Après avoir contrôle des gouvernes, réglage des 1 800 m la température de l’eau at-
longuement roulé, le D.513 se met amortisseurs, vérifications moteur. teint 98 °C et celle de l’huile 70 à
en ligne de vol et décolle dans la 100 °C”. En palier à 4 000 m et
puissance de ses 800 ch. Doret Moteur et hélice 2 260 tr/min, la vitesse indiquée ne
monte sagement en ligne droite et dépasse pas 330 km/h. “L’avion
réduit graduellement le moteur. Sur
en révision pousse fortement dans le pied
une planchette attachée sur sa cuisse Essais moteur Doret effectua entre-temps les gauche et penche à droite. Avec le
droite, un œil sur le badin l’autre sur à la fin de premiers essais du nouveau trimo- réglage d’empennage tout au cabré,
le compte-tours, il prend ses pre- l’hiver 1936 teur commercial D.620. Il reprit les il a tendance à piquer…”
mières notes : “Le moteur vibre for- sur le D.513-01 commandes du D.513 le 11 janvier Doret se plaint également d’un
tement à plusieurs régimes, particu- maintenant et réalise dix nouveaux vols jusqu’au manche à balai mal positionné, d’un
lièrement à la reprise et en réduisant. pourvu de 23 janvier pour un total de robinet d’essence qui fonctionne
L’empennage est mal calé, plus ses raccords 4 h 15 min. Les améliorations étaient mal, de fuites dans les vide-vite et…
l’appareil prend de la vitesse, plus il Karman. minimes. Il fut décidé de renvoyer d’une inquiétante odeur de carbu-
tire sous la main.” Doret juge préfé- Les radiateurs moteur et hélice pour révision chez rant dans le poste de pilotage ! Pour
rable de ne pas insister. Il remet refroidissent Hispano et Ratier. La cellule repar- autant, dès le lendemain il reprend
l’Hispano à son régime de croisière insuffisamment tit en atelier pour y recevoir les rac- les commandes. Le temps n’est pas
l’HS-12Ycrs
en effectuant un prudent virage qui cordements Karman enfin terminés, très beau et “le vent qui souffle en
et Doret se
un nouveau train fi xe habillé d’un rafales chahute un peu l’appareil”.
plaint d’une
volumineux carénage aérodyna- Doret effectue des étalonnages de
(2) Extrait de Trait d’union “forte odeur
avec le ciel de Marcel Doret, d’essence” dans
mique et une petite roulette de température de 1 500 à 2 120 m d’al-
Éditions France Empire, 1954.
l’habitacle. queue interchangeable avec la bé- titude et à différentes vitesses, de 230
DR/COLL. ESPACE AIR PASSION

66
MBEAU
BO
ÉLOÏSE

La version intermédiaire du D.513 avec radiateur


frontal, dérive arrondie, roulette de queue
et carénage de train d’atterrissage.

à 340 km/h, hélice calée à -2°. À pue à 5 200 m, les températures deve-
2 100 m, l’aiguille indique 90 °C pour nant trop élevées”. Les essais furent
l’eau et autant pour l’huile. Il observe
la persistance d’une “tendance à pi-
425,1 km/h : à nouveau interrompus. Avec à peine
7 heures de vols cumulés en deux
quer et à pencher à droite”. Il dé- l’improbable performance mois, le D.513 repartit en atelier (lire
taille : “Une vis de fixation du capot Cette journée du 16 mars 1936 intrigue… Dans leur encadré ci-contre).
moteur cassé, une ferrure du radia- ouvrage de référence Les avions Dewoitine (Docavia n° 17),
teur “criquée” et encore des fuites Raymond Danel et Jean Cuny fixent à cette date “un vol Nouveau radiateur
d’essence”. Le vol a duré 30 minutes. de détermination” ayant permis au D.513-01 d’atteindre
Les deux suivants (57 et 60 mi- 425,1 km/h en palier à 4 600 m et 421,8 km/h à 5 000 m.
et nouveau look !
nutes) sont effectués le 16 mars. Les Cependant, ni le carnet de Doret ni ses comptes rendus ne É m i l e D ewo it i n e ava it
problèmes d’instabilité et de chauffe font mention de vitesses aussi élevées qu’aucun instrument conscience de l’ampleur des pro-
persistent : en montée à 180 km/h et de mesures embarqué n’aurait, au demeurant, permis blèmes. Mais il en attribuait princi-
1 900 tr/min, l’eau atteint 95 °C à seu- d’enregistrer avec autant de précision. D’où viennent alors palement la cause à la forte traînée
lement 1 000 m. En palier à 5 000 m ces chiffres ? L’hypothèse la plus vraisemblable serait engendrée par le volumineux radia-
et 310 km/h, elle est encore à 92 °C une “confusion” entre les résultats des essais en vol et les teur frontal. Aussi, prenant en
(huile à 110 °C). Au cours du second déductions théoriques des bureaux d’études. La plupart compte les résultats des différentes
essai, le D.513 atteint 5 200 m et un des performances constructeur s’avéraient à l’époque maquettes passées en soufflerie, il
maximal de 300 km/h, moteur à nettement surévaluées. D’où une certaine inadéquation décida de modifier profondément le
2 380 tr/min (pression d’admission avec les résultats, par nature plus discrets, des centres dessin du fuselage. Dans un premier
880 mm). Doret note : l’avion “vibre, d’essais. Le travail des chercheurs s’enrichit au fil du temps temps, le radiateur frontal fut rem-
plein gaz ou réduits, et pousse tou- de la diversité des sources. Celles en notre possession placé par un radiateur ventral dont
jours fortement dans le pied nous incitent à la pondération. l’imposant capotage, englobant le
gauche (…) La montée est interrom- moteur, s’étendait du nez de l’appa-

DR/COLL. B. BOMBEAU

Cette vue arrière, volets d’intrados abaissés à 45°,


met en valeur la superbe voilure elliptique.

67
LE DEWOITINE D.513

reil jusqu’aux bords de fuite des ailes.


Ce carénage formant un véritable
“ Les badins ne
tunnel alimentait en air à la fois le
radiateur d’eau (puis d’éthy-glycol)
et deux nouveaux radiateurs d’huile
fonctionnent pas ;
couplés sous le fuselage.
Dans cette configuration, le
le moteur tourne à un
D.513-01 retrouva la piste le 15 avril
1936 avec une nouvelle hélice tripale régime trop bas… ”
Ratier Série 1413. Faute de train
escamotable, dont la rétraction Du 20 et le 25 avril, Doret effec-
s’avérait toujours aussi laborieuse, tue encore “huit mises au point” sur
le train fi xe fut conservé sans son le 01 pour mesurer les pressions aux
volumineux carénage. Les autres entrées d’air ; la courbe de stabilité
modifications interviendraient ulté- (plein gaz et réduit) et le calage des
rieurement car le temps pressait : empennages. Il note : “Essais très
hormis le saugrenu biplan Spad 710, difficiles, le peson mesurant les ef-
qui ne prit l’air qu’en juillet, tous les forts au manche n’étant pas assez
prétendants au programme C1 sensible. L’appareil reste instable et
avaient déjà volé ! Il fallait rapide- chauffe en palier et en montée.
ment obtenir des résultats. Fortes vibrations à la reprise après Avril 1936.
Les 15 et 18 avril, Doret effectua un plané moteur au ralenti.” Au Le D.513-01 est
deux vols de 33 et 48 minutes à la mieux de sa forme, à 1 000 m et de retour en
masse au décollage de 2 200 kg. En 2 200 tr/min au moteur, le badin piste. L’avant
palier à 2000 m, le badin indique n’indique encore que 360 km/h ! On du fuselage
350 km/h. Il tire sur la manette des démonte et on remonte les radia- a été modifié
gaz et sur le manche pour grimper à teurs, on ouvre, on referme le caré- afin d’éliminer
4 500 m où la vitesse chute à nage… Les vols s’enchaînent : avec le radiateur
320 km/h. Il constate : “Les paliers pleins complets, sans armement ni frontal
sont très difficiles à faire, la vapori- radio, béquille de queue verrouillée et d’introduire
sation formant glace sur le pare- en position basse ; la vitesse pla- un long et
brise (…). Le refroidissement du fonne toujours sous les 380 km/h ! disgracieux
radiateur est nettement insuffisant.” carénage
Doret n’insiste pas. D’autres essais Des données ventral qui
l’attendent sur le D.500 (n° 61) ainsi englobe
qu’un meeting le dimanche 19 avril
contradictoires le moteur et DR/COLL. ESPACE AIR PASSION

à Romorantin, dans le Loir-et-Cher, Entre le 6 et le 15 mai 1936, l’ensemble des sur les bords d’attaque (intrados/
sur son fameux D.272 de voltige, quinze nouveaux vols sont principa- systèmes de extrados). Autant d’essais émaillés
immatriculé F-AJTE. lement consacrés aux mesures de refroidissement. de problèmes techniques : fuites sur
Il conserve
Entre-temps, la SAF avait com- pressions d’entrée et de sortie du le radiateur d’eau ; ruptures de robi-
encore son
muniqué aux autorités compétentes “tunnel” (sous le carénage-moteur) ; netteries, etc. À la date du 15 mai, la
train caréné
un nouveau relevé de performances de pressions internes (entrées com- SAF fait état d’une vitesse maximale
et sa dérive
dont il ressort que la vitesse maxi- presseur / radiateurs) et de mesures d’origine.
de 435 km/h à 4 740 m au régime de
male atteinte durant les essais était
de 430 km/h (2 400 tr/min - 880 mm
de pression d’admission) à l’altitude
de rétablissement de 4 100 m. Au-
delà, la vitesse maximale chutait à
417 km/h à 4 500 m, altitude présen-
tée précédemment comme étant
l’altitude de rétablissement. Ces
chiffres, tout droit sortis du bureau
d’études, étaient encore inférieurs
aux minima imposés par le pro-
gramme C1 (450 km/h à 4 500 m).
Toutefois, le STAé les jugea en-
courageants ! Au point, le 11 avril,
d’ajouter officiellement le D.513 à la
liste des appareils “pouvant faire
l’objet d’un contrat au titre du pro-
gramme C1”. Mais aucun engage-
ment ne fut signé. Les services tech-
n iques est i mèrent que les
performances du D.513 étaient sus-
ceptibles d’améliorations. Mais ils se
montrèrent plus circonspects concer-
nant ses qualités de vol qu’ils exi-
geaient “au moins équivalentes à
celles du Dewoitine D.510”.
DR/COLL. ESPACE AIR PASSION

68
Mars 1936. Marcel Doret prend
la pose devant le D.513-01 désormais
équipé d’un train fixe largement
caréné. Accroché à sa cuisine droite,
la planchette sur laquelle il note
les paramètres et griffonne
ses impressions.

2 390 tr/min avec 860 mm de mercure avec le D.272 et de sa doublure le – béquille de queue sortie puis ren-
à l’admission. Elle annonce égale- D.530 (F-ANAX). Ce n’est que le trée – l’appareil frise l’accident : “Au
ment une série de vitesses ascension- 11 juin qu’il retrouve le prototype du premier essai, impossible de faire
nelles mesurées entre 1 000 m D.513 modifié. Deux vols sont effec- redescendre la béquille, l’atterris-
(1 min 19 s) et 5 000 m (7 min 21 s). Or, tués le jour même et deux autres le sage s’effectue sur la piste (en herbe)
ce même jour, le carnet de vol de lendemain pour un total de 3 heures. sans dommage pour l’appareil”.
Doret ne fait état que de trois vols Lors de ces nouveaux contrôles Béquille rentrée ou sortie, le D.513
qualifiés de “mise au point” destinés ne dépasse pas 345 km/h à 2000 m,
à mesurer la courbe de stabilité laté- moteur poussé à 2 320 tr/min ! Au
rale, les températures en montée et Mis en minorité, Dewoitine matin du 13 juin, le D.513 est de nou-
en palier. Ainsi, en palier, à 4 500 m claque la porte veau en atelier…
avec 2 420 tr/min au moteur (850 mm La situation de la SAF était devenue de plus en plus
à l’admission), la vitesse indiquée alarmante. Le manque de commandes, les retards de Un nouvel acteur :
n’est encore que de 325 km/h avec
une pointe à 345 km/h à 2000 m,
paiements et le nouveau système de primes accordées le Front populaire
aux prototypes sous condition de résultats plongeaient
2 280 tr/min au moteur et 880 mm à l’alliance LéO/SAF dans de graves problèmes de trésorerie. Les différents qui, depuis plu-
l’admission (eau 93 °C, huile 103 °C). Afin de mieux “encadrer” leur turbulent et coûteux sieurs mois, opposaient Émile
Dans leur totalité, ces trois vols partenaire, les dirigeants de Lioré et Olivier avaient Dewoitine aux représentants de
n’ont pas excédé 2 h 21 min. L’avion fortement resserré leur emprise sur une SAF largement Lioré et Olivier atteignirent leur
fait des allers et retours de la piste aux déficitaire. Les difficultés de mise au point du D.513 paroxysme au début de l’été. Mis en
ateliers. Ces enseignements fragilisaient la position d’Émile Dewoitine. Mis en minorité, minorité dans son entreprise, l’ingé-
conduisent, fin mai et début juin, à de démis de ses fonctions de vice-président et amputé nieur toulousain démissionna de ses
nouvelles modifications. L’orifice de d’une partie de ses prérogatives, il n’eut d’autre choix que fonctions en juillet 1936 et établit à
sortie du carénage est raccourci et de démissionner le 10 juillet 1936, entamant à l’encontre ses frais son propre bureau d’études
équipé d’un déflecteur. L’alimentation du groupement une longue procédure judiciaire pour rupture (lire encadré ci-contre). Ce même
des carburateurs est désormais rac- de contrat et non versement de redevances. Cinq jours mois, le Front populaire arrivait aux
cordée aux manches d’entrées fron- plus tard, il créait à Toulouse son propre bureau d’études. affaires, installant Édouard
tales (principale) et latérales (secon- Dans son édition du 24 septembre 1936, l’hebdomadaire Daladier au portefeuille de la
daires) des radiateurs. Les Ailes prophétisait : “M. Dewoitine a repris sa liberté. Défense et Pierre Cot à celui de
Entre le 16 mai et le 10 juin, Mais il n’est pas perdu pour l’aviation ; car, maintenant l’Air. Ce dernier entretenait des re-
Doret met à profit ce “temps mort” qu’il n’a plus à s’occuper de questions financières, il pourra lations cordiales avec Émile
pour multiplier les meetings (Saint- davantage se consacrer à son métier d’ingénieur”. Dewoitine dont il appréciait les
Germain, Orly, Toulouse, Bordeaux) compétences et l’esprit d’initiative.

69
LE DEWOITINE D.513

DR

La loi du 11 août 1936, inscrite dans de 1934 pour lequel deux appareils du raccordement. Faisant corps avec
le programme du front des Gauches, restaient en compétition ; le Morane- le fuselage, la dérive était jointe à sa
nationalisait un vaste secteur de Le D.513-01 fin Saulnier MS.405, déjà grand favori base par de larges congés suppri-
l’aéronautique mais laissait libre les octobre 1936 après sa présentation réussie au mant tout angle vif. L’ensemble hori-
bureaux d’études. D’autres horizons à l’issue de sa Cema, et le Dewoitine 513 dont les zontal était légèrement surélevé et
s’ouvraient à Émile Dewoitine qui transformation. services techniques attendaient des repositionné plus en avant. Ces im-
espérait en fi nir avec ce D.513 au- Notez sous résultats probants après ses récentes portantes modifications, associées
quel il ne croyait plus : “Mon plus les ailes modifications. au nouveau dessin de la partie mo-
beau loupé”, dirait-il plus tard. À l’installation teur, conféraient au D.513-01 une
peine installé au ministère de l’Air, des petites Le D.513-01 allure plus ramassée et une esthé-
Pierre Cot, conscient des retards de gondoles tique “moderne”. Début novembre,
notre aviation militaire, donnait son destinées “revu et corrigé” après cinq mois de chantier, le pro-
aval à un nouveau programme (A23) à recevoir Les différents essais en souffle- totype retrouvait la piste de
de chasseurs C1 devant dépasser les les deux ries avaient permis à l’automne 1936 Francazal, porteur d’une immatri-
500 km/h et monter à 8 000 m en mitrailleuses de “figer” le nouveau dessin de toute c u l at io n c iv i l e p rov i s o i re
moins de 15 minutes. Des perfor- MAC 34 la partie arrière du D.513. La lon- (F-AKHH). Il était alors équipé de
mances en accord avec le nouveau qui, comme gueur du fuselage était ramenée de l’hélice tripale (Ratier Série 1383)
projet que mûrissait Dewoitine et le canon 7,86 m à 7,45 m avec un nouvel em- montée à l’origine et le refroidisse-
de 20 mm
qui allait donner naissance, deux pennage vertical trapézoïdal (très ment du moteur était amélioré par
dans l’axe
ans plus tard, au D.520. Pour autant, semblable à celui du futur D.520) et l’usage d’un composé éthane-diol.
moteur, ne
l’annonce officielle d’un C1 “revi- un empennage horizontal elliptique Mais surtout, il disposait enfin d’un
seront jamais
sité” ne remettait pas en cause celui montées.
au bord de fuite échancré à hauteur train d’atterrissage escamotable

DR

70
Troisième
pas normalement. La roulette de rapidement de la vitesse. Le second
chantier
queue frétille, impossible de tenir essai, n’est guère plus heureux : un
de modifications.
Le prototype
une ligne droite.” Face au vent, l’ap- pneu éclate au roulage et l’affaire se
affiche un look pareil se met en ligne de vol mais, termine par “un rapide cheval de
revisité “au moment où la roulette retouche bois” ! Avec une nouvelle hélice
avec l’arrière le sol, elle fait un shimmy [vibra- (PF1650) calée au neutre, Doret
du fuselage tions, NDLR?] qui se communique reprend les commandes pour “trois
redessiné, à l’ensemble de la cellule”. L’essai est vols de prise en main” au matin du
un train interrompu, il n’a duré que 25 mi- 25 novembre. Mais, “les badins ne
d’atterrissage nutes. Agacé, le pilote commente : fonctionnent pas ; le moteur tourne
Messier “Je confirme ce que j’avais signalé à un régime trop bas, ne tire pas suf-
monojambe avant les essais ; une roulette de fi samment au décollage et a de très
et escamotable. queue n’est pas nécessaire sur un mauvaises reprises particulièrement
Cette avion de chasse.” au groupe gauche”. On remet ça
configuration Le 12 novembre, il est procédé à l’après-midi avec une autre hélice
préfigurait un nouveau test après montage d’un (PF1750) réglée à - 2°. Le D.513-01
la future version sandow de rappel sur la roulette ré- effectue trois vols dont un palier de
de série. calcitrante. “Aucune amélioration”, 5 minutes à 500 m et 2 000 tr/min.
constate Doret, “le shimmy s’est ac- Vitesse atteinte : 300 km/h. Doret
(Messier) doté de trappes articulées centué au point que la fourche a été rapporte : “Le compresseur d’air est
à l’emplanture aile/fuselage afin faussée. Un jeu anormal est apparu insuffisant.” Au septième décol-
d’obturer totalement le logement des Autre aspect dans le système de verrouillage du lage, “au moment où l’appareil com-
roues. Ces trappes articulées consti- du D.513-01 train. Les freins ne sont pas encore mençait à lever la queue, j’ai ressenti
tuaient un raffi nement aérodyna- avant son au point. Les ressorts pour l’ouver- des vibrations du train qui se sont
mique très avancé pour l’époque, retour en vol ture de la cabine sont insuffisants.” communiquées à la voilure. Après
mais leur fonctionnement et leur en novembre Après une dernière tentative, le vérifi cations, nous avons constaté
synchronisation allaient poser 1936. L’avion 13 novembre, “sans progrès notable”, que la jambe gauche était complète-
d’énormes problèmes. est maintenant le D.513-01 retrouve l’atelier… ment déverrouillée et ne tenait plus
Enfi n, au grand dam de Doret équipé de que par quelques dents de loup du
– habitué à “poser” à l’ancienne – la ses antennes Cette fois, système de relevage”.
béquille de queue escamotable avait radio dorsale Cette fois, c’en était trop ; l’avion
été remplacée par une roulette non (émission) c’en était trop ! et ses problématiques atterrisseurs
rétractable. Le D.513-01 affichait et ventrale Doret a enfin gain de cause. Dix repartirent en usine. On était loin des
maintenant un excédent de poids de repliable jours plus tard, le dimanche 22 no- performances présentées en début
plus de 160 kg pour une masse au (réception), vembre, la roulette de queue a été d’année pour un hypothétique D.513
décollage (sans armement) de ainsi que d’une remplacée par une béquille munie de série ! Doret prit quelques jours de
2 446 kg. Après avoir procédé au roulette de d’un sabot “type D.500”. Satisfait, congés qu’il mit à profit pour étudier
queue peu
réglage des amortisseurs, l’appareil il constate : “La conduite au sol est un futur raid à destination du Japon
appréciée par
effectue ses premiers essais au sol le beaucoup plus facile.” Le premier sur son Caudron C-635 “Simoun”
Doret pour des
10 novembre 1936. D’emblée, Doret décollage est cependant inter- (F-ANXM) récemment acquis. ■
essais sur piste
observe : “Les freins ne fonctionnent en herbe !
rompu, l’avion ne prenant pas assez À suivre

DR/COLL. B. BOMBEAU

71
MONOGRAPHIE
Le Dornier 217
De toutes
les missions
sur tous les fronts
Troisième partie et fin.
En 1944, les Do 17 poursuivent
les bombardements des villes anglaises
et des navires en Méditerranée, puis
dans l’Atlantique après le Débarquement.
Mais ils étaient sur le déclin et les pertes
se multipliaient.
Par Chriss Goss. Traduit de l’anglais par Xavier Méal.

L
e 21 janvier 1944, l’opération fait des défenses britanniques, soit
Steinbock – la campagne de suite à des pannes à l’aller ou au re-
bombardement contre Lon- tour. La seule revendication pour un
dres – fut lancée. Avant cette Do 217 fut déposée par le Sqn 488
date, les seules pertes de au cours de la première vague : un
Do 217 dans le nord-ouest de l’Eu- avion du 1./KG 2 qui était tombée
rope avaient eu lieu le 4 janvier à la dans la Manche.
suite d’une nouvelle visite surprise À la suite de ces grosses pertes et
des “Typhoon” des Squadrons en raison du mauvais temps, une
198 et 609 sur Gilze-Rijen.
-Rijen. attaque supplémen-
seule atta
Le Sqn 198 revendiqua qua taire ffut lancée dans la
la destruction d’un un nuit du 29 janvier : 12
Do 217 tandis que le au
autres Ju 88, deux
609 en revendiqua Ju 188 et un He 177
Insigne
quatre. Le KG 2 eet un Do 217 ne
de la Kampf-
signala la perte de rrentrèrent pas.
geschwader 100,
quatre avions et PPou r c e qu i
unité dotée de
plusieurs détruits cconcerne les équi- Do 217. En parallèle de son rôle
ou endommagés p
pages des Do 217, de bombardier,
par les mitraillages. les deux premières le Do 217N-1 (ici avec
Quatre membres es nuits de Steinbock
nuit ses antennes radar
équipages furent tués,ués, coûtèr
coûtèrent 22 tuées et et ses canons installés
affelka-
parmi lesquels le staffelka- DR deux captu
capturées au KG 2. À dans le nez) servait
pitän du 7./KG 2, et cinq autres cela il faut ajouter le retrait d’environ de chasseur de nuit et
blessés. 100 bombardiers vers l’Italie après le traquait les appareils
débarquement allié à Anzio le britanniques.
Déclin 22 janvier. Les forces disponibles
n’étaient plus adéquates. Néan-
et disparition moins, des attaques à petite échelle
Pour la première nuit de l’opéra- eurent lieu sur cinq nuits au cours
tion Steinbock, la Luftwaffe dispo- des deux premières semaines de
sait de 35 Do 217, 20 Me 410, 20 février, suivies d’attaques plus réus-
Fw 190, 30 He 177 et 170 Ju 88/188. sies, en utilisant des bombes de plus
À l’issue des deux vagues qui furent gros calibre, les nuits des 18, 20, 22,
lancées, 16 Ju 88, deux Ju 188, huit 23 et 24 février, mais toujours avec
He 177, un Fw 190, un Me 410 et de lourdes pertes. L’opération
quatre Do 217 furent perdus, soit du Steinbock cessa alors, et la Luft-

DR/VIA TAGHON

72
73
LE DORNIER 217

waffe se prépara à l’invasion alliée


durant les trois mois qui suivirent,
avec une force de bombardiers très
amenuisée, ne comptant plus que
peu de Do 217.

Le destroyer Janus coulé


par un Hs 293
Après le débarquement à Anzio
et à Nettuno, la seule unité de
Do 217 encore disponible était le
Stab II. Gruppe du KG 100 à Tou-
louse, dont les premiers succès inter-
vinrent le 23 janvier lorsque le des-
troyer HMS Janus fut coulé par un
Hs 293 et le HMS Jervis endom-
magé. Bien que 80 marins du Janus
aient été sauvés, au moins 161 furent
tués. La seule perte du II./KG 100
fut un avion qui s’écrasa au décol-
lage de Toulouse.
Au cours du mois suivant, le
II./ KG 100 revendiqua avoir coulé
neuf autres navires, dont le croiseur
léger HMS Spartan le 29 janvier, et Des bombardements
“désastreux
truits, dont le destroyer USS
Lansdale, et deux endommagés par
avoir endommagé sept autres, leur les III./KG 26, I et III./KG 77 et
dernier succès étant d’avoir coulé le
destroyer HMS Inglefield le 25 fé-
sur Hull II./ KG 100, la réalité était qu’un
navire de transport de troupes, deux
vrier. Le II./KG 100 perdit sept
Do 217E-5S et dénombra 22 morts
et Bristol sanctionnés cargos et un destroyer avaient été
coulés et deux autres navires endom-
parmi les membres d’équipages ex-
périmentés. La perte la plus grave par de lourdes pertes ” magés. Côté Allemands, les pertes
se chiffrèrent à deux Do 217E-5 du
fut enregistrée le 16 février 1944 : 6./ KG 100. L’un s’était écrasé à
l’avion du kommandeur, rentrant à du II./KG 100 qui devait passer sur Istres, blessant les quatre membres
Toulouse depuis Bergame, subit une He 177. Le 8 mars, lors de l’attaque d’équipage, tandis que l’avion du
défaillance moteur et s’écrasa ; il n’y d’un convoi maritime, un avion du staffelkapitän ne rentra pas. Les
eut aucun rescapé. 6./KG 100 fut perdu. Puis le 29 mars, seules revendications de victoire sur
Les seuls Do 217E-5 encore opé- une attaque coûta trois appareils, des Do 217 furent déposées par les
rationnels étaient ceux des 5./ KG 100 respectivement des Stab II, 5. et “Beaufighter” du Sqn 153.
et 6./KG 100 ; ce dernier resta dans 6. Staffel. Les attaques contre des Au nord, le mois mars vit quatre
le Sud de la France jusqu’à la fin avril convois culminèrent le 20 avril. Si attaques majeures contre Londres
1944, après quoi il rejoignit le reste cinq navires furent revendiqués dé- ainsi que Hull dans la nuit du 19, puis
DR/VIA TAGHON

Do 217N-1 de chasse de nuit


appartenant à la III./NJG 1 début 1944.

74
VINCENT DHORNE

Do 217N-2 de chasse de nuit de la 4./NJG 3,


intégralement peint en gris bleu clair RLM76,
photographié à Hagenau à la fin 1943.

une attaque désastreuse contre Bristol ment endommagé par des avions du au tour de Plymouth dans la nuit du
du 27 au 28. Les attaques sur Hull et Sqn 25 ; il s’écrasa à Schiphol à son 29 avril. Cette dernière attaque fut
Bristol relevaient de l’extravagance. retour), huit Ju 88, quatre Ju 188, trois inhabituelle, des Do 217KS du
Les bombes tombèrent tout autour de Me 410 et un He 177 furent perdus. III./ KG 100 ayant tenté d’attaquer le
Hull et des comtés environnants mais Hull fut la cible suivante, durant la cuirassé HMS Howe en utilisant des
un Ju 188, un He 177, deux Do 217M-1 nuit du 20 avril : quatre autres Ju 188, Fritz X. Le III./KG 100 n’avait réa-
– des 2. et 7./KG 2 revendiqués par les cinq Ju 88, deux Do 217M-1 (du lisé aucune mission opérationnelle
chasseurs de nuits des Squadrons 25 9./ KG 2) et un He 177 furent abattus. depuis le début d’octobre 1943.
et 264 – et cinq Ju 88 furent perdus. Après quelques semaines d’inacti-
Aucune bombe ne tomba sur Bristol De vaines tentatives vité, le Gruppe avait déménagé pour
mais trois Ju 188, deux Do 217 du Eggebek pour s’y entraîner puis était
III./ KG 2 et neuf Ju 88 furent perdus.
contre les ports parti pour Toulouse-Francazal à la
Durant les deux premières se- Il était évident qu’en plus de mi-février 1944 afin d’effectuer en-
maines d’avril, seules quelques sor- Londres, les ports étaient désormais core plus d’entraînements. L’attaque
ties furent réalisées, et à chaque fois ciblés dans une vaine tentative de de Plymouth fut sa première mission
sanctionnées par des pertes. La pre- contrarier le regroupement de la opérationnelle en sept mois.
Un Do 217N-1
mière grande attaque eut lieu dans la flotte d’invasion alliée. Portsmouth Le matin du 29 avril, 15 avions
peu avant
nuit du 18 avril et, à nouveau, un fit l’objet de quatre attaques ineffi- des 8. et 9./KG 100, chacun portant
son départ
Do 217M-1 (du 7./KG 2, probable- caces à partir du 25 avril, puis ce fut une seule Fritz X, décollèrent de


DR/VIA TAGHON
en mission.

75
LE DORNIER 217

DR/COLL. C. GOSS
Le Do 217K-03
Toulouse-Francazal pour Orléans. servit avec deux Ju 88 et deux Fw 190 furent le nombre de Do 217 de chasse de
Cet après-midi-là, les équipages sur le dos perdus, ainsi que deux Do 217 : un nuit était bien en dessous du nombre
furent informés de leur cible et de le planeur Do 217K-3 du 9./KG 100 s’écrasa de Bf 110 et Ju 88S utilisés pour cette
leur tactique. La difficulté était que DFS 228 de près de Totnes, dans le Devon, et le même mission. Cependant, les
les équipages n’étaient pas habitués reconnaissance Do 217K-2 du kommandeur s’écrasa NJG 4, NJG 100 et 4./ NJG 200 uti-
à tirer la Fritz X de nuit, et pour à haute au sud de Plymouth – le Sqn 406 fut lisaient toujours les Do 217N ; le
beaucoup, y compris le komman- altitude. crédité des deux. NJG 4 les arrêta en juin 1944, le
deur, ce serait leur première attaque NJG 100 en octobre 1944 et le
avec cette bombe planante. L’objectif Bientôt le débarquement 4./ NJG 200 en mai 1944. Le Nacht-
devait être éclairé par le I./KG 66, aufklärungsstaffel utilisait aussi tou-
mais les avions de ce dernier eurent
en Normandie jours ses quelques Do 217, mais plus
du retard… ou les Do 217 arrivèrent Loin de la Méditerranée et du pour longtemps, d’autant plus que le
plus tôt que prévu ; lorsque le pre- nord-ouest de l’Europe, les missions 3. Nachtaufklärungsstaffel fut retiré
mier appareil se présenta sur de Do 217 étaient très rares. Le du théâtre des opérations en mai
Plymouth, aucune fusée éclairante Do 217J avait alors été presque com- 1944 en attendant d’être rééquipé
ne se matérialisa et la ville resta en- plètement remplacé par le Do 217N, avec l’Arado 234.
veloppée de brume et de fumée. De le J étant davantage utilisé par l’unité Le débarquement en Normandie
faibles dommages furent infligés et de formation NJG 101. Même alors, n’était plus qu’une question de temps,

Le Do 217PV1 fut conçu comme bombardier


à haute altitude avec un poste de pilote
pressurisé. Il était propulsé par deux
DB 603N. Il vola le 6 juin 1942 mais son
développement fut abandonné au profit
d’avions plus modernes.

DR/COLL C. GOSS

76
Le Do 217
lors d’essais
avec des torpilles
sous les ailes.
DR/COLL. C. GOSS

et la Luftwaffe ne faisait plus guère effecteur des trajets plus longs de- Il ne restait plus que le I./KG 2, avec
impression. Bristol fut ciblée les 14 et puis l’Allemagne avec le risque de pas plus de 16 appareils, comme
15 mai, avec pour résultat cinq Ju 88, rencontrer des avions alliés. Gruppe du Geschwader volant tou-
cinq Do 217 du 7./KG 2 et sept Ju 188 Les missions de bombardement jours sur Do 217.
perdus en deux nuits. S’agissant des et de largage de mines débutèrent au
Do 217, ils furent tous abattus par des soir du 6 juin 1944, avec deux vagues Des pertes légères…
chasseurs de nuit. qui se répétèrent sur plusieurs nuits.
Le déclin du Do 217 en tant que Au début de juin 1944, il n’y avait
par manque de Do 217
bombardier conventionnel com- plus que le III./KG 2 sur Do 217 et Du fait de la réduction du nombre
mença le 6 juin 1944. En raison de ces attaques furent rarement me- de Do 217 encore opérationnels, les
la supériorité aérienne alliée, le nées avec plus de neuf avions. Le pertes furent légères : en juin 1944, 11
KG 2 opérait depuis janvier 1944 à 22 juin 1944, le III./KG 2 remit ses Do 217 furent perdus auxquels s’ajou-
partir d’aérodromes bien à l’inté- avions au I./KG 2 et déménagea à tèrent 11 autres en juillet 1944. Août Ce Do 217M-1
rieur de l’Allemagne ; pour atteindre Friedrichshafen où ses pilotes de- 1944 serait le dernier mois d’opéra- fut perdu
au dessus
la Normandie, les équipages de- vaient être transformés sur Do 335 tions sur Do 217 pour le I./ KG 2, avec
de l’Angleterre
vaient soit rejoindre des bases fran- – ce qui ne se fit jamais en définitive. au moins 12 appareils perdus en action
dans la nuit
çaises ou néerlandaises suffi sam- Cependant, ses équipages s’en al- ou sur accidents. Il semblerait que le
du 20 avril
ment à l’abri des avions alliés, soit lèrent former le V./NJG 2 sur Ju 88. dernier Do 217 à être abattu le fût le

1944.

DR/COLL. C. GOSS

77
LE DORNIER 217

5 septembre : trois Do 217 furent signa-


lés perdus – un pilote du 352nd FS
américain signala en avoir abattu un
près d’Apeldoorn. Ce qui restait du
KG 2 fut alors basé en Allemagne et
le Geschwader dissous le 3 octobre.
Une unique unité se débattait
pour poursuivre le combat et utiliser
le nouveau Do 217M-11. Propulsé
par des V12 DB 603 A-2, il était
équipé d’hélices quadripales et sa
soute à bombes avait été modifiée
pour accueillir la queue de la Fritz X.
Son armement défensif comprenait
trois MG 131, deux MG 81, et un dou-
blet de MG 81Z dans la queue. Le
6./ KG 100 fut équipé de ce nouveau Ce Do 217M-1 fut
type et prit la place du 8./ KG 100. endommagé lors d’un raid
le 4 septembre 1943, puis
En action fut perdu en janvier 1944
au retour d’une attaque
contre les navires contre Londres.
A près le débarquement en
DR/VIA SAUNDERS
Normandie, le III./KG 100 entra en
action contre les navires. Le 8 juin,
il fut crédité d’avoir endommagé le
Puis, le 15 juin, un Do 217K-3 du
7./KG 100 fut abattu par la défense
“ Suite au
navire de débarquement HQ (head- antiaérienne au large de Cherbourg
quarter, quartier général) HMS
Bulolo et d’avoir coulé le destroyer
et deux appareils du 9./KG 100 (un
K-2 et un K-3) s’écrasèrent lors du vol
débarquement en
HMS Lawford. En contrepartie, le
Stab III./KG 10 0 perdit un
de retour. Tous les membres d’équi-
pages périrent. Un avion de plus fut
Provence, le III./KG 100
Do 217K-3 et le 6./KG 100 un
Do 217E-5. Les deux furent abattus
perdu en juin 1944 – un Do 217K-3
du 7./KG 100 sur la tête de pont le attaque Saint-Raphaël ”
par la défense antiaérienne dans la 25 – mais le pire était encore à venir.
baie de Seine. Deux nuits plus tard, Le 4 juillet, lors d’une attaque ma- nuit affirmèrent avoir détruit deux
le 6./KG 100 perdit ses deux pre- jeure sur l’estuaire de l’Orne par tous Do 217 ; le Sqn 21 revendiqua de son
miers Do 217M-11 tandis que le les avions disponibles du III./KG 100 côté avoir endommagé un Do 217
9./ KG 100 perdait un Do 217K-3 : les et des He 177 des I./KG 40, le Stab dans la région de la Loire. Sur les 22
trois avions furent victimes de la III./KG 100 perdit un Do 217K-3, et membres d’équipage, seulement
défense antiaérienne ; deux s’écra- le 7./KG 100 un K-3 et deux M-11, et deux du 7./KG 100 et un du 8./KG 100
sèrent sur le chemin du retour et un les 8. et 9./KG 100 un K-3 chacun. Les furent capturés. Il est possible que la
dans la baie de Seine. Squadrons 125 et 456 de chasse de revendication du Sqn 21 soit un avion
DR/COLL. C. GOSS

Ce Do 217 en mauvaise posture symbolise


les pertes en fin de guerre.

78
dommagé ou coulé trois navires de
débarquement et un destroyer. Trois
avions furent perdus du fait de la
défense antiaérienne : un Do 217M-1
du 7./KG 100 s’écrasa au large de
Pampelune et son équipage, avec
celui d’un Do 217K-3 du 9./KG 100,
fut interné par l’Espagne. Un
Do 217M-11 du 8./KG 100 fut porté
disparu sans laisser de trace. Deux
jours plus tard, le III./KG 100 fut
condamné à rentrer en Allemagne,
ce qu’il fit les 18 et 19 août, avant
d’être dissous. La dernière perte du
KG 100 fut enregistrée le 19 août
1944 lorsqu’un Do 217 fut abattu à
Auzon, alors qu’il volait vers l’Alle-
magne, par un F6F-5 “Hellcat” de la
VF-74 de l’US Navy.
Il est possible que certains des
avions et des équipages furent
conservés par l’Erpro bungs-
kommando 36 renommé Versuchs-
DR/VIA DAVIS
Do 217K-1 kommando/KG 200 à la fin de 1944.
du 9./KG 100 signalé perdu au-dessus du 4.Nachtauf- partenaient au 9./KG 100, le troi- Le 10 mars 1945, il rapporta compter
de l’estuaire de la Gironde. klärungsstaffel sième au 8./KG 100. neuf Do 217 pour appuyer les at-
D’autres missions furent réali- sur le front de Tout au long du mois d’août 1944, taques sur les ponts du 13 mars 1945,
sées tout au long de juillet 1944 l’Est en 1944. les attaques se poursuivirent au large mais le détail complet de ce qui se
avec un éventuel succès le 6 seule- des côtes de Normandie ainsi que produisit n’est pas connu. Il semble
ment et des pertes les 17 et 20. contre les ponts de Pontaubault et que le 12 avril 1945, les Do 217 du
Cependant, le 21, on passa des opé- Pontorson. La première attaque eut Versuchskommando/KG 200 effec-
rations de nuit à des opérations de lieu dans la nuit du 3 août, par six tuèrent leur dernière mission en ten-
jour. Ce matin-là, un croiseur et au Do 217 du III./KG 100. Cette série tant de frapper des ponts sur la ri-
moins deux destroyers furent repé- d’attaques coûta neuf autres Do 217. vière Oder avec des Hs 293.
rés au large de Brest. Six avions Pour les huit mois restants de la
chargés chacun d’un Hs 293 décol- Le Do 217 présent guerre, les seules unités qui semblent
lèrent de Toulouse-Blagnac ; au avoir utilisé le Do 217 dans un rôle
sud-ouest de Ushant, ils repérèrent
dans de rares unités opérationnel furent les II./NJG 101
non seulement leurs cibles mais Puis, à la suite du débarquement et 1., 2. et 4. Nachtaufklärungsstaffel.
également six “Mosquito” des en Provence, le 15 août 1944, le Les détails précis des opérations
Squadrons 406, 235 et 248. Les III./ KG 100 fut envoyé attaquer effectuées par ces unités de recon-
deux premiers avions perdus ap- Saint-Raphaël et rapporta avoir en- naissance sont inconnus. ■

15 août 1944 : une bombe planante


lancée par un Do 217 coule le navire
de débarquement LST-282 au cap Dramont.

ADMIRAL H. K. HEWITT. NH 51437 NHHC

79
MAQUETTES Par Hangar 47

Le CH-37C “Mojave” Granny Goose. “Ma mère-grand, que vous avez de grands yeux et de grandes dents !”

leurs jolis “Wildcat” et “Airacobra”. Inutile de revenir sur les excellentes


qualités de ces deux maquettes, mais notons les options de décalques
CH-37C “Deuce USMC” proposées ici : une paire de P-400 camouflés du 347th FG ornés
d’impressionnantes mâchoires, et deux autres P-39D à la robe olive
Special Hobby, 1/72 drab et aux marquages plus discrets ; tandis que les F4F-4
appartiennent à des unités
Réédition d’une basées sur deux porte-avions ns
maquette datée d’une de l’US Navy, ou au sol
quinzaine d’années pour les Marines. Les
et depuis disparue des rayons, décorations sont sobres
cette édition est complétée mais le “Wildcat” du
de nouveaux réservoirs major Marion E. Carl arbore
supplémentaires. Elle se un tableau de chasse
compose de plastique injecté, de résine finement moulée et de métal comptant 19 victoires !
photodécoupé. On remarque d’abord la grande taille de l’engin, et la fine
gravure de ses surfaces avec quelques renforts en relief. Le poste Notre appréciation : une boîte au contenu très intéressant
de pilotage est bien aménagé avec un tableau de bord imprimé sur film sur le plan historique avec des options originales.
et des harnais en métal. Le reste du fuselage est vide. Le train
et les nacelles ne sont pas faciles à assembler. Les grilles de ventilation
manquent de réalisme. Les têtes de rotor en résine sont bien détaillées
mais compliquent un peu les collages. D’une manière générale,
P-39N “Airacobra”
l’assemblage demande soin et expérience, les repères de positionnement Arma Hobby, 1/72
étant peu visibles ou même absents. Les décalcomanies, de très bonne
qualité, offrent trois options sur une base vert foncé uni. Revoici le
magnifique
Notre appréciation : avec son allure de gros insecte irradié, “Airacobra” de
cet hélicoptère lourd ne manque pas d’attrait même si le montage cette marque, en versionn
de la maquette n’est pas des plus simples. P-39N, et la boîte
permet d’en reproduire
toutes les
Cactus Air Force particularités.
F4F-4 “Wildcat” & P-400/P-39D Les pièces alternatives
(six ou 12 pipes d’échappement, hélices, armement de capot) pour
Arma Hobby, 1/72 d’autres versions sont cependant toujours là. Deux types de bombes ou
un réservoir viendront se placer sous l’appareil. Des masques adhésifs
La marque polonaise a regroupé dans cette boîte consacrée prédécoupés sont inclus pour la verrière. Quatre décorations sont
aux appareils ayant combattu à Guadalcanal deux modèles incluses, dont deux versions d’une même machine soviétique, ainsi
analysés précédemment. On y retrouve donc de quoi assembler qu’une française du GC 1/4 Navarre, et enfin une américaine pourvue
80
d’une redoutable mâchoire. J’en avais d’ailleurs fait le sujet
de mon dessin dans le n° 626 ! Jean Barbaud
AF-2 “Guardian” “Fire Bomber”
Special Hobby, 1/48
Notre appréciation : la maquette comporte toujours son niveau de
détail digne du 1/48. Avec la sortie prochaine d’un “Hurricane” à cette Cette nouvelle
elle
échelle, on peut espérer qu’Arma Hobby agrandira aussi son P-39 ! édition de la
maquette
du “Guardian” sortie
Beechcraft Model 18 il y a neuf ans est
consacrée à sa
Revell, 1/48 version bombardier
d’eau. Un moteur
Revell en résine et des
poursuit éléments en métal
sa politique photodécoupé complètent les pièces en plastique. Avec des instruments
de reprise des en décalcomanies et des harnais en métal le poste de pilotage est bien
maquettes d’origine détaillé. Le compartiment arrière est simplifié mais fort peu visible
ICM avec ce petit par ses petits hublots. Les logements de train sont cloisonnés.
bimoteur fort Les surfaces présentent une gravure simple mais réaliste.
célèbre en raison Deux types de réservoir ventral peuvent s’intégrer sous le fuselage.
des emplois Les masques et décalcomanie fournis concernent deux machines
multiples, civils ou tout alu et une troisième orange et blanc.
militaires, qu’il a pu
endosser et des nombreux exemplaires toujours en état de vol. Suivant Notre appréciation : bonne maquette pour cet énorme
les standards de la marque ukrainienne la gravure des surfaces, simple monomoteur, livrées civiles originales.
et fine, est réaliste. Les gouvernes entoilées demandent un rapide
ponçage. Sept sièges meublent le poste de pilotage et la cabine bien
visibles à travers les nombreux vitrages et accessibles par la porte
moulée séparée. Les logements de train sont convenablement
Rufe Dual Combo
reproduits. Les moteurs sont simplifiés. La bonne conception Limited Edition. Eduard, 1/48
des pièces facilite le montage. Pour qui préfère présenter
ses maquettes train rentré, une grappe regroupant trois socles adaptés Eduard a pour
aux échelles 1/48, 1/72 et 1/144 est ajoutée. habitude dee
Les décalcomanies offrent le choix entre une livrée militaire américaine sortir ses
“tout alu” et une décoration civile rouge et blanche. nouveaux modèles en
version limitée “Duall
Notre appréciation : sorti chez ICM il y a presque dix ans, ce Combo” avant de less
Beech n’est pas aussi détaillé que les dernières productions de la décliner en éditions
marque, mais il permet d’obtenir facilement une reproduction fidèle de prix décroissant.
et réaliste d’un joli bimoteur ; les livrées possibles sont innombrables, La boîte proposée
en particulier dans le registre civil, un bon point. ici contient deux
maquettes
ents
plastique, des éléments
“Mirage” IIIC “Armée de l’Air” photodécoupés prépeints, des masques pour les vitrages et les
hinomarus, un livret de montage détaillé et des décalcomanies pour
Special Hobby, 1/72 huit options de peinture. La maquette est bien entendu superbement
détaillée, en particulier dans le poste de pilotage. Les gouvernes sont
Cette moulées séparées. Le moteur trouve sa place sous un capot découpé
maquette en six pièces (un bâti de montage est fourni pour les assembler).
récente Les trois flotteurs peuvent s’installer en fin de montage, après peinture
présente des si nécessaire. La verrière est prévue ouverte ou fermée.
surfaces finement Un ber est également prévu pour installer l’hydravion. Citons enfin
gravées et un la gravure remarquablement réaliste des surfaces incluant un rivetage
niveau de détail complet. Les décalcomanies permettent de choisir deux des huit
suffisant dans options proposées : trois avions gris vert clair uni et cinq autres
le poste de camouflés en vert foncé. Les capots moteurs sont noir bleuté.
pilotage, les
logements de train, Notre appréciation : version de luxe pour ce doublet
les entrées d’air et la tuyère. Les bords d’attaque et bords de fuite d’une superbe maquette ; sujet original et très élégant.
monoblocs ont une épaisseur réaliste. La boîte contient un très grand
nombre de missiles et réservoirs divers pour occuper les cinq points
d’attache sous la voilure. Le montage ne semble pas poser L’agenda du maquettiste
de difficultés. Les décalcomanies de grande qualité proposent
cinq possibilités de décoration : deux avions tout aluminium, Ces annonces gratuites sont réservées aux manifestations propres
un troisième camouflé bleu uni et un dernier sable et brun à Djibouti. au maquettisme. Vous pouvez adresser votre texte par courriel à
fanaaviation@editions-lariviere.fr en mentionnant “agenda maquettes”
Tous les marquages nécessaires sont prévus. dans l’objet. Prenez garde de n’oublier ni la date ni le lieu.

Notre appréciation : maquette de très bonne qualité et facile à


assembler pour reproduire avec précision un magnifique chasseur.
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