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istoire
25 ans d’H
ensemble...
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La connaissance d’un mythe EDITO


débute par celle d’un homme

Votre numéro 228 Lorsque j’avais rencontré l’as Pierre Clostermann en 2004, nous avions beaucoup parlé avia-
tion, Spitfire, Tempest, combat aérien… Mais il m’avait avoué être incapable de répondre
en kiosque le 22 février 2019 !
précisément à une de mes questions sur ses victoires. « Vous comprenez, m’avait-il dit,
Les Farges - 15 rue des Ligures pendant la guerre moi je faisais mon boulot de pilote de chasse : je tirais sur des avions.
87110 LE VIGEN. France
Mais ensuite, ce n’était plus moi qui m’occupais des confirmations. Du coup, je ne connais
Tel : (00.33) 05.55.31.08.28.
E-mail : contact@avions-bateaux.com pas avec certitude le détail de mon palmarès. La seule chose dont je suis sûr, c’est que les
Revue Bimestrielle éditée par les Éditions LELA PRESSE Anglais m’ont homologué 23 appareils détruits. Je ne revendique que cela. Rien d’autre ! »
LIMOGES 387 641 202 00032 C’est pour cela que je pense que « Cloclo » aurait apprécié cette étude dans laquelle je
détaille pour la première fois l’intégralité de son tableau de chasse
RESPONSABLE CLIENTÈLE : Sylvie BROQUET
DIRECTEUR DE LA RÉDACTION : Michel LEDET mais aussi sa manière de combattre. J’ai pu l’effectuer en croisant
DIRECTEUR DE PUBLICATION : Michel LEDET l’ensemble des sources disponibles, en particulier ses deux carnets
COMITÉ DE RÉDACTION : Christophe CONY, Michel LEDET de vol dans la Royal Air Force et les journaux de marche des cinq
RÉDACTEUR EN CHEF : Christophe CONY
Tél : 04.93.58.09.53 Squadrons dans lesquels il a combattu au cours du conflit. Tous
sont très évocateurs. J’espère donc que vous aurez autant de plai-
PRINCIPAUX COLLABORATEURS : sir à lire cet article que j’en ai eu à l’écrire, et j’en profite pour vous
Pierre CORTET (+), Claude ARCHAMBAULT, Jean BARBY,
Matthieu COMAS, Jean-Louis COROLLER, Alain COSTE, souhaiter de passer une très bonne année 2019…
Jean-Louis COUSTON (+), Pascal FAUCARD, Jean-Luc
FOUQUET, Bertrand HUGOT, Serge JOANNE, Jean-Marie
KRAUSENER, Jacques MOULIN, François NEVEU, Lionel
Christophe Cony
PERSYN, Alain PIGEARD, Bernard PHILIPPE, Jacques
ROBINEAU, Marc ROSTAING, Jacques SACRÉ (+)
Vous aimez votre magazine, soutenez-le en vous abonnant !
COLLABORATEURS ÉTRANGERS :
ALLEMAGNE : P. Heck. H.-W. Neulen, H.Thiele. ARGENTINE :
J.F. Nunez Padin, S. Bellomo. AUTRICHE : R. Reisinger, La rédaction d’Avions recherche documents et photographies concernant les dif-
Tom Cooper. Belgique : J.-L. Roba, E. Mombeeck, P. férentes versions du Potez 63 : photos d’usine (prototypes et avions de sé-
Saintes, P. Taghon. BRÉSIL & PORTUGAL : M. Canongia rie), photos en unités, détails, carnets de vol, etc. Nous recherchons une ou des
Lopes. BULGARIE : S. Boshniakov, M. Andreev. CANADA :
D. Bernad, G. Beauchamp. CROATIE : D. Frka. ESPAGNE : photographies de l’unique Potez 63 F-ARIR d’Air Bleu ainsi que du Potez 631
J. Arraez Cerda, C. O’Donnell Torroba. ÉTATS-UNIS : F-ARQV. En plus de cela, nous recherchons également de la documentation tech-
F.W. Bailey, D.Y. Louie, G. von Rauch. FINLANDE : K. nique sur la version de bombardement, le Potez 633.
Stenman. GRANDE-BRETAGNE : M. Passingham, P.
Jarrett, D. Nicolle, N. Franks, A. Thomas. GRÈCE : A. Merci de contacter Michel Ledet (mi.lela.presse@gmail.com) ou Matthieu Comas
Karatzas. ITALIE : G. Alegi, G. Apostolo, G. Garello, R. (mattcom@hotmail.fr) ou appeler le 05.55.31.08.28. Tous les documents prêtés
Gentilli, G. Massimello. JAPON : K. Osuo, S. Nohara. seront bien sûr rendus. Toute aide est bienvenue. Merci d’avance.
NORVÈGE : S. Gulli. PARAGUAY : A.L. Sapienza. PAYS-
BAS : K. van den Berg, M. Schep, T. Postma. POLOGNE :
W. Luczak. ROUMANIE : I. Robanescu, C. Craciunoiu.
RUSSIE : V. Koulikov, SPM/G. Sloutski, V. Kotelnikov, M.
Maslov. SLOVÉNIE : M. Marusko. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE :
B. Kudlicka, J. Rajlich. TURQUIE : B. Rifat. SERBIE ET SOMMAIRE
YOUGOSLAVIE : S. Ostric
4 Courrier des lecteurs
ILLUSTRATEURS :
Couverture : Lionel LABEYRIE. Profils couleur : Andreï
YOURGENSON, Thierry DEKKER (http://dekker-artwork. 6 Pierre Clostermann
blogspot.com/), Serge JAMOIS, Michel MARTRAIX, L’instinct du chasseur
Bogdan PATRASCU, Pierre TILLEY. Dessins techniques :
Iulian ROBANESCU, Shigeru NOHARA Récit complet, par Christophe Cony
PUBLICITÉ à l’adresse de la rédaction
MISE EN PAGE : Jean-Baptiste Delcambre
48 FIAT CR 42 Falco
IMPRESSION : MAQPRINT LIMOGES 87 - FR Dans la bataille d’Angleterre !
3e partie, par Luigino Caliaro
La reproduction, même partielle, des articles et
des illustrations de ce magazine est soumise à
autorisation préalable de l’éditeur et des auteurs 56 Les liaisons d’état-major en 1939-1940
All contents copyrights LELA PRESSE Récit complet, par Matthieu Comas
N° ISSN : 1243-8650
N° Commission Paritaire : 0922 K 88015 70 Les escadrilles françaises sur le front de Vénétie
Diffusé par MLP
5e partie : janvier 1918
Parc d'Activité de Chesnes - 55 bld de la Noirée - Par Luigino Caliaro et Roberto Gentilli,
38070 ST QUENTIN FALLAVIER. avec la collaboration de Christophe Cony
04.74.82.14.14 / www.mlp.fr

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B-1070 Bruxelles, Belgique 3e et dernière partie, par Pierre Brouez
Tél : 00.32.02.555.02.18 - Fax : 00.32.02.555.02.19

PRINTED IN FRANCE En couverture :


Pour en savoir plus Pierre Clostermann attaquant à bord de son chasseur
et commander nos produits sur notre site Hawker Tempest une hydrobase allemande début mai
(paiement sécurisé par WEBAFFAIRE) : 1945. (peinture de Lionel Labeyrie)
www.avions-bateaux.com
site mis à jour toutes les semaines
4
les Fernaufklärer en 1939-1940
Courrier
des lecteurs Il est toujours intéressant de traiter des sujets sortants
de l’ordinaire et celui sur les Fernaufklärer sur la France
pendant la « Drôle de Guerre » va dans le bon sens. Néan-
moins je souhaite apporter quelques précisions sur cer-
taines photos car le nombre élevé d’avions tombés dans le
Grand Est pendant cette période sème un peu le trouble
Le Do 17 P-1 « F6+FM »
pour parfaitement les légender.
tombé à Moiremont le 23
novembre 1939. L’insigne,
AVIONS 226 page 79 : il s’agit du Dornier Do 17 P-1
encore sur le fuselage, est
« F6+FM » (W.Nr. 3595) de la 4.(F)/122 tombé juste à
porteur des mêmes défauts
l’ouest de Moiremont, village à la limite de la Marne et de la
que ceux visibles page 83
Meuse, nez de l’avion vers le Nord, le 23 novembre 1939.
d’AVIONS 225.
Les pilotes du GC I/5 sont venus de Suippes observer les
(archives EC 2/3 via Bertrand
résultats de l’attaque réussie par le F/O C.D. Palmer du No
Hugot)
1 Sqn comme il est rapporté page 82 d’AVIONS 224. No-
tons que la distance Suippes – Moiremont n’est que de 30
km. Un reportage cinématographique de cet avion existe
dans le Journal de guerre n° 12, semaine du 23 décembre
1939 (à 10’ 26»).
http://www.ecpad.fr/journal-de-guerre-12-semaine-du-
23-decembre-1939/
Photo de groupe du GC I/5
prise sur le dessus du Dornier
AVIONS 225 p. 82 : la présence d’un Anglais en discussion
« F6+FM ». On reconnait à
avec le général Huntziger confirmerait qu’il s’agit de « leur »
gauche Edmond Marin la
victoire ; un autre cliché avec le général Huntziger se trouve
Meslée et troisième Jean-Mary
p. 37 de « Battle of France Then & Now ». Les deux photos
Accart.
supérieures de cette page montrent ce même avion avec un
(archives EC 2/3 via Bertrand
détail intéressant, la couleur claire des casseroles d’hélice
Hugot)
non visibles sur le film. La visite du GC I/5 est sans aucun
doute postérieure au reportage cinématographique et à la
visite conjointe du général Huntziger, d’un général 2 étoiles
et d’un supérieur anglais car l’avion a commencé à être
dépecé (casserole droite, capot-moteur). Je ne sais pas s’il
n’existe une photo de la victoire de Rey – Marin la Meslée
du jeudi 11 janvier 1940 à Haucourt-la-Rigole sur le Dornier
Do 17 P-1 de la 3.(F)/11. Le JMO du GC I/5 précise que
« l’avion a pris feu quelques temps après l’atterrissage. »

Bertrand Hugot

Deux autres vues du Do 17 P-1


« F6+FM » (W.Nr. 3595)
de la 4.(F)/122.
(photos Wenisch via Bernard
Philippe)

Notre ami William Nungesser,


qui pose ici devant la réplique
du Spad XIII du Capt James
N. Hall au 103rd Aero Sqn, a
fait sensation le 21 septembre
dernier sur la base de Wright-
Paterson (Ohio) lors de l’inau-
guration du monument à la
mémoire des aviateurs améri-
cains en 1914-1918. Resplen-
dissant dans la tenue de l’as
Charles Nungesser, il a ensuite
fait une conférence remar-
quée sur la première victoire
aérienne remportée par son
lointain cousin français !
5

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PIERRE CLOSTERMANN

L’instinct du chasseur
Par Christophe Cony (profils de Thierry Dekker)

Le 18 avril 1945, à l’occasion Un seul but : Navarre et Fonck, les héros de l’aviation française…
du retour en opérations du No Il faut dire que son oncle Robert Aubry, à qui l’ont
3 Sqn après un stage de tir au devenir aviateur confié ses parents, est un ancien pilote de la Grande
Royaume-Uni, le célèbre pho-
Guerre. Quant aux vacances, elles sont ponctuées
tographe Charles E. Brown
est mandaté par la RAF pour Pierre, Henri, Clostermann est né le 28 février par de longues parties de pêche, une passion qui lui
immortaliser le plus grand 1921 à Curitiba, petite ville de l’état brésilien du a été très tôt transmise par son grand-père mater-
as de l’escadron, un certain Paraná ; il est le fils unique de Jacques Clostermann, nel. Au cours d’un séjour sur l’étang de Biscarosse,
Pierre Clostermann… Le voici diplomate à São Paulo, et de Madeleine née Carlier.
en vol sur son Tempest Mk V C’est à quatre ans qu’il découvre l’aviation lorsqu’un
NV994 « JF-E » à proximité Breguet 14 de la CGEA – future Aéropostale – vient
de la petite cité de Riesenbeck
se poser sur la plage de Guarujá à Santos, au sud-
(au sud-est de Rheine) dont on
est de São Paulo. J’accompagnais mon père et, cu-
aperçoit le clocher de l’église.
L’Allemagne est déjà à genouxrieux, je m’étais approché de l’avion dont les capots
comme le montrent tous les étaient remis en place. L’hélice lancée péniblement
à la main, le moteur Renault démarra soudain dans
ponts détruits sur le parcours
du canal Dortmund – Ems. l’énorme pétarade et le vacarme des douze cylindres
(RAF Museum) déchaînés (…). Hurlant de frayeur, je me réfugiai
dans les jambes paternelles [1]… Sanglé dans sa
veste de cuir, le pilote Paul Vachet coupe le contact
[1] « Une vie pas comme puis s’approche d’eux : Ah ! Monsieur le consul, je
les autres », éd. Flammarion crois bien que vous n’avez rien à craindre, votre fils
2005. ne sera jamais pilote ! Vachet ne sait pas encore que
près de vingt ans plus tard il devra féliciter Pierre
pour ses premières victoires aériennes…
Pierre ajustant son parachute
devant un Bücker Bü 131
Jungmann de l’aéroclub du La même année, il est mis en pension en France, le
Brésil à Manguinhos, sort classique à l’époque des enfants de diplomates
au nord de Rio. en poste à l’étranger. Étudiant à l’école religieuse
(toutes les photos : coll. Pierre Notre-Dame de Boulogne à Auteuil, il profite de ses
Clostermann, sauf autre mention) temps libres pour dévorer les récits sur Guynemer,
7
en 1935, l’adolescent effectue son baptême de l’air à Face à son destin
bord de l’hydravion géant Latécoère 521 Lieutenant
de Vaisseau Paris. Ayant réussi ses deux baccalau- En juin 1940, l’effondrement brutal de la France lui
réats latin-sciences et sciences-langues à quinze et fait l’effet d’un coup de tonnerre. J’appartenais à la
seize ans avec dispense d’âge, Pierre part rejoindre génération des fils de 14-18. Pour nous, l’Armistice
ses parents à Rio de Janeiro où son père est désor- était difficile à avaler. Par-dessus le marché, j’étais
mais consul. Au Brésil, tout en passant cette fois un Alsacien, de mère Lorraine et issue d’une longue li-
bac de philosophie, il s’inscrit à l’aéroclub local où gnée militaire ! Quelque temps après, il reçoit de son
il obtient dès le 27 novembre 1937 son brevet de père une lettre qui lui demande de rechercher tous
pilote. Mes parents m’ont offert le diplôme. Pour le les articles de presse traitant d’un certain général
reste, je gagnais mon argent de poche en écrivant
des articles dans différents journaux [2]. Curieuse
ironie de l’histoire pour celui qui deviendra le plus
célèbre des pilotes de chasse français libres, son
moniteur Arthur « Karl » Benitz et les appareils qu’il « Cloclo » est breveté pilote
pilote – des biplans d’acrobatie Bücker Jungmann et fin 1937, à 16 ans et 1/2…
Jungmeister – sont tous allemands !

Après avoir obtenu une bourse de la Pan American


Airways, Pierre gagne les États-Unis à l’été 1938 afin
d’y passer les diplômes de pilote commercial et d’in-
génieur aéronautique. Il suit à San Diego les cours
de la Ryan School of Aeronautics, une école de pilo-
tage qui propose également des formations d’ingé-
nieurs et de mécaniciens. Lorsque la guerre éclate Le 1er novembre 1939, sen-
en Europe en septembre 1939, Clostermann décide sation à Rio de Janeiro avec
de s’engager bien que n’étant pas encore majeur et l’arrivée du quadrimoteur
demande audience au consul général de France à NC 2234 n° 01 Camille
Los Angeles. Celui-ci le reçoit en lui lançant : « Alors, Flammarion parti à la
vous aussi, vous voulez sauver la France ? », recherche du cuirassé de
poche allemand Graf Spee !
puis (il) m’a gentiment renvoyé. Tant pis ! Il lui fau-
De gauche à droite : Jacques
dra donc attendre ses vingt ans révolus, c’est-à-dire Néri, Paul Codos, Henri
mars 1941, pour entrer à l’École de l’Air et enfin pilo- Guillaumet et un jeune
ter les Curtiss H-75 et autres Dewoitine 520 dont il étudiant nommé Pierre
rêve. Pour l’instant et entre deux cours sur la méca- Clostermann qui écrit sous
nique des fluides, le jeune homme se contente d’ef- un pseudonyme ses premiers
fectuer de l’acrobatie sur Ryan ST, ce qui n’est déjà articles en portugais pour le
pas si mal. D’autant qu’il peut passer ses loisirs sur Correio da Mañha…
les plages de Malibu à regarder défiler les starlettes
de Hollywood…

[2] Interview de Pierre


Clostermann (1994) parue
dans Air Actualités n° 552 en
juin 2002.

Portant sur sa poitrine l’in-


signe de l’aéroclub du Brésil,
Pierre s’appuie sur un North
American NA-46 (BT-9), un
des prédécesseurs à train fixe
du fameux T-6 Texan
d’entraînement.
8
trième année d’études n’est pas terminée… Ayant
confié sa décision au directeur de son école, celui-
ci se montre compréhensif et lui permet huit jours
plus tard d’obtenir après un solide examen oral son
diplôme d’ingénieur en aéronautique. Dès lors, plus
rien ne le retient aux États-Unis. Mais pour regagner
Rio au plus vite il lui faut d’abord traverser le conti-
nent américain d’Est en Ouest. Donald A. Hall, l’in-
génieur qui dessina quinze ans auparavant le Ryan
NYP Spirit of Saint Louis, travaille alors au bureau
d’études de Consolidated Aircraft dont l’usine est à
proximité immédiate de la Ryan School ; il écrit à
Charles Lindbergh (vice-président de la Panam) et
huit jours plus tard Clostermann reçoit par la poste
un billet gratuit Miami – Rio de Janeiro auquel est
épinglée une carte de visite de l’illustre vainqueur
de l’Atlantique avec les mots Good luck ! Le trajet
San Francisco – Miami est effectué en août 1941
en Douglas DC-3 des Eastern Airlines ; c’est ensuite
l’arrivée à Rio via Panama et Natal en hydravion
Sikorsky S-42 de la Pan Am.
Fasciné par le dérisoire de Gaulle, qui appelle depuis Londres les Français à
canon installé sur le paquebot continuer le combat. Après avoir déniché dans la bi- Au Brésil, il lui faut encore quatre mois pour orga-
Rangitata, lors de la traversée niser le départ des dames vers l’Afrique du Sud d’où
bliothèque de son école une coupure du Washington
vers l’Angleterre « j’étais
Post dans laquelle paraît la fameuse formule « La elles rejoindront Brazzaville [4] devenue la capitale
l’image même de Tintin par-
tant à la guerre ! » dira-t-il… France a perdu une bataille, mais elle n’a pas perdu de la France Libre. L’ambassade de France étant dé-
la guerre », il l’envoie à Jacques qui lui répond en sormais administrée par les autorités de Vichy, c’est
substance de Rio un mois plus tard : Je pars re- grâce au soutien de celle de Grande-Bretagne que
joindre le général de Gaulle avec le colonel Valin [3]. leur transfert est rendu possible. L’attaché de l’Air
Je te confie ta mère et madame Valin  ; charge-toi britannique lui fait ensuite gagner l’Uruguay comme
d’organiser leur voyage vers Brazzaville. Puis dans reporter, officiellement pour y couvrir la coupe de
un long post-scriptum son père ajoute : Tu es main- football sud-américaine pour le compte du British
tenant un grand garçon. On n’a pas souvent l’occa- News Service ! Il passe la Noël 1941 dans un petit
sion de faire quelque chose pour sa patrie. Dans le hôtel de Montevideo, dans l’attente du bateau qui
fond, c’est très rare. Alors rappelle-toi que l’histoire lui permettra de rejoindre l’Angleterre. En janvier
ne repasse pas les plats. Tu es libre de tes choix, 1942, c’est chose faite. Il embarque clandestine-
mais j’espère que tu seras à Londres dès que tu le ment à bord du MV Rangitata, un paquebot néo-zé-
pourras. Valin s’occupera de te faire rentrer ou bien landais de 16 737 tonnes dont il sera 40 jours durant
Ci-dessous et page suivante en dans une escadrille FAFL s’il y en a déjà de formée l’unique passager. L’Atlantique sud est franchi en so-
haut à gauche : le journaliste ou une escadrille anglaise dans la RAF. litaire malgré la menace ennemie ; le sister-ship du
interviewé… Présenté sur ces Rangitata, le Rangitane, a pourtant été coulé plus
clichés officiels comme « an-
Les dés sont jetés ! Ce n’est pas un Dewoitine que d’un an auparavant par le corsaire allemand Orion…
cien correspondant du British
News Service en Amérique du pilotera Pierre, mais un Hurricane ou un Spitfire de À la première escale, Freetown en Sierra Leone, le
Sud », Pierre Clostermann la Royal Air Force – cette RAF dont il a pu régu- navire se remplit de troupes sud-africaines et intègre
fournit en ce 24 mars 1942 lièrement lire les exploits au cours de la « bataille un convoi qui est escorté jusqu’à l’arrivée à Liverpool
quelques détails sur son rallie- d’Angleterre ». Un problème se pose cependant : en mars 1942.
ment aux FAFL. s’il est déjà titulaire de sa licence de pilote profes-
(IWM) sionnel américain avec 315 heures de vol, sa qua- Élève pilote
dans la Royal Air Force
Lorsqu’il débarque sur le quai avec ses cannes à
pêche sous le bras – dame ! Il a confiance en la vic-
toire alliée, pourquoi se priverait-il de ce plaisir ? –
Pierre est pris en charge par un policier et deux
officiers des services de sécurité qui l’escortent en
train jusqu’à Londres. Là, il est conduit à la Patriotic
School où il est longuement interrogé par le MI-5
jusqu’à ce que ses interlocuteurs soient bien per-
suadés qu’il n’est pas un espion allemand… Le 18
mars 1942, il peut enfin signer son engagement (nu-
méro matricule 30 973) dans les Forces Aériennes
Françaises Libres ; son cursus scolaire et ses heures
de vol lui valent d’être promu d’office sergent.
Quelques jours plus tard, il vient se présenter « ému
et tremblant » au général de Gaulle, première ren-
contre avec un chef imposant qui le marquera à ja-
mais : Cet homme qui me fait face a quelque chose
en lui d’inexplicable. Je suis à l’âge où l’on est scep-
tique et ce n’est qu’un homme, mais je sais soudain
9

que je le suivrai, qu’il me guidera vers des chemins ser. Tout va bien, il a passé l’épreuve haut la main. Un Tiger Moth Mk II en vol
droits, escarpés peut-être, mais droits, au service de L’instructeur lui précise quand même en lui rendant au-dessus de la campagne
la France (…) ! son carnet : Si ça vous intéresse, le déclenché est britannique. C’est le premier
type d’appareil de la RAF
interdit en Tiger Moth. Il perd sa queue ! Au rythme
dont « Cloclo » prendra les
Puis c’est le cheminement classique du futur élève- d’un à trois vols par jour, Pierre enchaîne jusqu’au 8 commandes…
pilote : visite médicale, test d’anglais (passé bien sûr juin – seul ou en doubles commandes – 43 heures et (DR)
brillamment – il parle aussi le portugais, l’espagnol 30 minutes de vol, toutes à bord de DH.82 sauf une
et l’italien) et enfin tests d’aptitude au pilotage afin séance d’acrobaties de 30 minutes en solo, le 3 juin,
de déterminer son éventuelle affectation. Son pre- sur un monoplan à train fixe Miles Magister Mk I.
mier vol se déroule le 1er mai 1942 sur un biplan L’appréciation du chef-pilote instructeur de la No 6
De Havilland DH.82 Tiger Moth (serial BB706), le EFTS à l’issue de ce mois de formation se résume [3] En mars 1940, le Cdt
fameux « Tigre Mou », à la No 6 Elementary Flying en un mot  : «  average  », dans la moyenne… Ce Martial Valin a été affecté à
Training School de Sywell située au nord-est de qui est un peu vexant. Il accomplit dans le même la mission militaire française
à Rio de Janeiro. Promu colo-
Northampton. Après 40 minutes qu’il termine par temps treize séances – 9 heures – de simulateur
nel à titre mission, il a rallié le
un magnifique tonneau déclenché, son instructeur de vol, ou Link Trainer. Du 10 au 16 juin, le jeune général de Gaulle qui l’envoie
le S/Ldr Turner lui fait déjà signe de revenir se po- homme effectue un bref passage à la No 28 EFTS de à Brazzaville, puis en mars
1941 en Angleterre où il se
verra confier la formation des
Forces Aériennes Françaises
Libres (FAFL). Il sera nommé
général de brigade et chef
des FAFL à l’été suivant.
[4] Son père y dirigera du-
rant la guerre les services de
renseignement de la France
Libre en Afrique australe.

… Suivi de près par le célèbre


Link Trainer, bien pratique
pour continuer à s’entraîner
lorsqu’il ne fait pas beau !
(DR)
10
Le 20 août 1942, Pierre profite d’un des rares jours de soleil à Cranwell devant des Miles Master Mk I et Mk II. Il
va effectuer ce jour-là deux vols sur le N7552 bâché au premier plan, dont le second se terminera par un atterrissage
forcé. Le Master Mk I se distingue de la version Mk II par son moteur en ligne Rolls-Royce Kestrel de 715 ch.

Tennis à Cranwell. Tout le


matériel, chaussures, balles,
raquettes, est fourni par
l’école !

Wolverhampton, au nord-ouest de Birmingham, où Miles Master qu’il utilise à Cranwell sont nettement
l’on teste à nouveau son potentiel au cours de sept plus puissants que les « Tigres Mous » et leurs
vols sur Tiger Moth [5] totalisant 5 h 5 min. 130 ch puisqu’ils sont équipés d’un moteur Bristol
Mercury en étoile de 870 ch dans leur version Mk II,
Après une semaine d’attente à Camberley, le camp celle qu’il pilote presque systématiquement. Pierre
de transit des FAFL, notre sergent se voit convoqué à ressort de Cramwell le 26 octobre, crédité cette fois
l’Air Ministry où on lui annonce que ses compétences en pilotage de la mention « above the average »
le désignent pour devenir instructeur en Rhodésie ou (au-dessus de la moyenne) assortie d’excellentes
au Canada. Devant son refus, il est sélectionné pour notes à l’écrit ; par exemple 48 sur 50 en interpré-
suivre les cours d’élève-officier au Royal Air Force tation des photos et 100 sur 100 en reconnaissance
College de Cranwell, l’école de l’Air britannique, des appareils. Durant ce cours n° 39, il n’a connu
où il arrive le 26 juin. Il y reste quatre mois à se que deux incidents : un atterrissage forcé lors d’une
perfectionner au pilotage et à la navigation dans le séance d’acrobaties le 20 août sur le Master Mk I
-À mon cher Papa adoré brouillard typiquement britannique du Lincolnshire, N7552, suite à une fuite de glycol, et un autre le
avec toute l’affection de son
accumulant plus d’une centaine d’heures de vol sup- lendemain, près du petit village de Wellingore, sur le
« petit » Pierrot. Pierre Henri
Clostermann – 25.7.1942 – plémentaires [6]. Les monoplans à train rentrant Mk II DL196 [7].
Somewhere, in a RAF Station.

Les participants du cours


n° 39 au RAF College de
Cranwell, fin septembre 1942.
Au second rang, cinquième en
partant de la gauche, le Sgt
Pierre Clostermann.

[5] Clostermann aura piloté 17 DH.82A différents à la No 6 EFTS : serials [7] Clostermann a piloté 32 Master différents au RAF College : Mk I N7552 ;
N6773, R5027, R5113, R5115, R5202, T5676, T5677, T6057, T6161, T6389, Mk II DK822, DK829, DK830, DK832, DK836, DK838, DK859, DK934,
T7391, T7700, T7790, T7881, BB706, BB715 et BB788, plus 5 autres à la DK974, DK978, DK984, DK986, DL120, DL123, DL124, DL192, DL193,
No 28 EFTS : R4878, R5240, R5835, T5629 et T5835. DL194, DL196, DL284, DL285, DL286, DL292, DL341, DM381 (EM381 ?),
[6] Exactement : 125 h et 20 min réparties en 97 h 30 min de jour et 20 h DL822, DL830, DL832, DL833, DL837 ; Mk III W9094 ; plus deux vols sur
45 min de nuit, plus 23 séances de Link Trainer d’une durée de 20 h 30 min. les bimoteurs Oxford Mk I T1057 et Mk II X6979.
11
Un instructeur (à gauche) et son élève-pilote devant un Spitfire
Mk IIA à la No 61 OTU de Rednal, dont le code TO est bien visible.

On l’expédie finalement le 20 novembre 1942 à


la No 61 Operational Training Unit [8] de Rednal,
au Pays de Galles, qui est une école de chasse sur
Spitfire. Il y retrouve un autre volontaire français,
Jacques Remlinger, qu’il avait déjà croisé à Sywell
et qui devient très vite son meilleur ami. « Cloclo »,
comme l’ont baptisé ses camarades, effectue son
premier vol sur Spitfire à bord du Mk IIA « TO-S »
le 23 novembre, une expérience qui le marquera
pour la vie tellement cette machine lui semble un
chef d’œuvre d’harmonie et de puissance. Durant
les deux mois que dure le stage, achevé le 17 janvier
1943 sur la petite base satellite de Montford Bridge,
ce ne sont plus que vols en formation, exercices de
combat, cours de tactique, tirs aériens et sur cibles
au sol... En plus de ses 46 h 35 min de vol sur divers
types de Spitfire – Mk IA, Mk IIA et Mk IIB [9] –,
Pierre a accompli six séances sur simulateur pour
un total de 7 h 50 min. Il sort de l’école à nouveau Affecté au Flight « A » de Martell, Clostermann
reclassé « dans la moyenne », mais l’essentiel est avec l’inconscience de ses vingt-deux ans est per-
fait : il est désormais sergent pilote de chasse ! suadé qu’il va très vite s’illustrer aux commandes
du Spitfire, l’orgueil de la RAF. L’apprentissage sera
un peu plus long que prévu comme le montrent ces
Au No 341 Sqn « Alsace » extraits particulièrement humoristiques du journal
de marche du groupe « Alsace », dus à la plume du
Clostermann est envoyé en Écosse où il rejoint le lieutenant Philippe Béraud :
26 janvier 1943 à Turnhouse son affectation : le No
341 (Free French) Squadron « Alsace » qui se forme Le 24 février 1943
sur Spitfire Mk VB. Il y effectue son premier vol,
une reconnaissance de secteur, le 2 février à bord Les « Glider Pilots » arrosent quelque chose... au
du « NL-E ». Jacques, quant à lui, a gagné depuis Mess. Maridor va leur demander « Quoi ? » Il rentre
un mois le No 602 Squadron britannique. Vivant en saoul le soir tard et ne sait toujours pas à quel propos.
Grande-Bretagne depuis son enfance, il est vrai qu’il (…) Le sergent Clostermann se déclare satisfait de lui.
parle mieux anglais que français ! L’ « Alsace » est En novembre 1942, Pierre
dirigé par une des grandes figures de la France Libre, Le sergent Clostermann rencontre le commandant qui retrouve à la No 61 OTU
le commandant René Mouchotte ; ses adjoints sont l’engueule « rapport » à « une des petites conneries » un ex-condisciple français
eux aussi deux pilotes d’exception, les capitaines journalières. Il revient en déclarant : « Le Commandant de Cranwell : Jacques
Christian Martell [10] et Michel Boudier [11] qui a été glacial. Mais correct, oui... correct. » Remlinger, qui devient vite
commandent respectivement la première et la deu- son meilleur ami.
xième escadrille (« A » et « B » Flight en anglais). Le 25 février 1943

À la suite de la troisième disparition de sa bicyclette,


le lt Maridor a déclaré de sa voix calme : « Puisque
c’est comme ça, je ne travaille plus. » Le lt Maridor
après 20 jours de squadron totalisait alors 1 heure
de vol et 6 heures de présence du flight. 5 jours de
permission et 14 jours d’une disparition qui serait
complète sans une présence aussi assidue que
bruyante aux heures de repas. Il a tenu parole. (…)

Clostermann est content de lui.


Maridor tient parole.

[8] En abrégé OTU, unité d’entraînement opérationnel.


[9] On relève ainsi les codes TO-O, TO-P, TO-Q, TO-R, TO-S,
TO-T, HX-M, UU-A, UU-C, UU-D, UU-E, UU-H, UU-I et UU-X.
[10] De son vrai nom Pierre Montet, « Christian Martell »
étant un nom de guerre destiné à protéger sa famille restée En janvier 1943, le Sgt
en France d’éventuelles représailles. Clostermann est affecté à un
[11] La biographie de cet as aux 8 victoires confirmées est escadron de chasse français
récemment parue dans AVIONS n° 224 « Spécial As », avec libre en cours de formation,
celles du « baron rouge » Manfred von Richthofen, Hans le No 341 (Free French) Sqn
Philipp, Alex Vraciu et Maurice Becquet. « Alsace ».

Le Cne Christian Martell, commandant la 1re escadrille


« Mulhouse », explique une perte de vitesse au Lt Philippe
Béraud. Un des « moustachus » du « A » Flight, Béraud
sera tué le 17 avril 1943 ; c’est lui qui rédigeait le journal de
marche de l’ « Alsace ».
12

La première victime de Pierre


Clostermann dans la RAF,
une mouette qu’il n’a même
pas touché selon ses cama-
rades (2 mars 1943)… Mais
comme il l’écrira plus tard
dans son livre « Une sacrée
guerre ! » : La modestie des
pilotes de chasse n’a d’égale
que la haute opinion qu’ils ont
d’eux-mêmes.
(EC 1/30 « Alsace » via
Bertrand Hugot)

Le 26 février 1943 Après dix minutes d’engagement, Gremlin « throug


the gate » essaie vainement de prendre de la déflec-
Le sergent Clostermann « score » la 2ème victoire tion sur son propre leader (simple mistake).
du Flight A en ramant un tracteur au cours d’un très
« low » et très « level attack » [12]. Le conducteur de Tandis que dans un autre coin du ciel, Maridor
tracteur sans doute très expérimenté tondeur d’aé- et Martell s’accrochent mutuellement en hurlant
rodrome est parvenu à échapper à notre pilote. Ce « Salaud de Boudier, je t’aurais ! » Maridor rentre
succès presque complet a été durement rapporté écœuré. Apparemment il avait encore un avion qui
dans son « log book ». Le premier nous a déclaré ne marchait pas. Il vocifère, gesticule, jusqu’à ce
Cloclo entre deux sanglots (après 900 heures de vol qu’il obtienne la promesse qu’on va lui retirer ses
on comprend l’émotion du pilote devant son premier mitrailleuses. L’officier mécanicien espère très fort
succès que nous tous qui le connaissions bien, at- que Maridor ne retrouve jamais sa bicyclette et qu’il
tendions « at any time »). (…) tiendra sa promesse.

Clostermann a l’air moins content de lui. Le sergent Clostermann rentre outré et peu satisfait
[12] Aux commandes du Maridor tient toujours parole. de lui-même (fait très rare).
Spitfire Mk VB « NL-H ». - Mon lieutenant, explique-t-il, j’ai fait mon tir sur une
[13] Sur le Spitfire Mk VB Quatre jours plus tard, le 2 mars : mouette. Je n’ai pas pu l’avoir, pourtant, je tirais au
« NL-K », au cours d’un canon [13].
entraînement aux missions Le lieutenant Maridor (91 Sq. C de G. Palmes va- Nous lui avons suggéré une faute de déflection. Le
Rhubarb et à l’attaque. riées. DFC) part en chasse avec le Lt Martell. Ils ren- même sergent Clostermann, d’un très joli dessin,
contrent le Lt Boudier et le Gremlin du « B » Flight. nous illustre sa mésaventure. Seule sa modestie
coutumière et bien connue doit être tenue respon-
sable du manque de conformité entre les faits et
le dessin (rapport aux plumes qui tombent). Après
étude du film, l’oiseau est définitivement rentré à sa
base.

Le 20 mars 1943, l’ « Alsace » quitte l’Écosse pour


Marcel Bouguen, René
être affecté au 11e groupe du Fighter Command sur
Mouchotte et Henri de Bordas
s’amusent en mars 1943 d’un
la base de Biggin Hill, au sud-est de Londres, la plus
des dessins de « Cloclo » prestigieuse de la Royal Air Force. Il y remplace le
devenu l’illustrateur attitré No 340 Squadron « Île de France » dont il récupère
du journal de marche de avec satisfaction les puissants Spitfire Mk IXA. Après
l’escadron. 65 vols d’entraînement sur Spitfire Mk V, Pierre effec-
tue sa première sortie de guerre le 24 du mois, une
reconnaissance de secteur à bord du « NL-D ». Ce
vol est suivi le 28 mars d’un départ sur alerte vers les
plages de Douvres avec le « NL-E », puis le même
jour d’une patrouille sur ce qui deviendra son appareil
personnel : le Spitfire Mk IXA « NL-B » serial BS538.
13

Prise à Biggin Hill le 1er mai


1943, voici une photo inédite
du réglage des armes du pre-
mier Spitfire IXA « NL-B »
de Pierre Clostermann.
L’appareil, placé en ligne
de vol par les armuriers du
No 3101 Servicing Echelon,
s’apprête à faire feu sur
des cibles situées à 45 m (50
yards) de façon à ce que son
tir converge à 228 m (250
yards) devant lui. Il s’agit
probablement du BS538, un
ancien Spitfire Mk V converti,
hérité du No 340 Sqn « Île de
France » et qui sera utilisé par
l’ « Alsace » jusqu’au 5 mai.
Il sera ce jour-là endommagé
(Cat. B) sur l’île de Wight par
le S/Lt Pierre Laurent suite à
une panne moteur.

Si le sergent Clostermann ne participe pas à la pre- C’est seulement le 17 que l’escadron est engagé
mière sortie de l’unité sur la France occupée, le 3 par la Luftwaffe, lors du Circus 286 dont « Cloclo »
avril, il est de celle du lendemain, le Ramrod 51 au ne fait pas partie. Hélas pour les Français, la
cours duquel les 341e et 611e Squadrons escortent chasse allemande se montre ce jour là la plus forte
jusqu’à 40 km à l’intérieur des terres 70 Forteresses puisqu’elle abat dans le secteur du Havre les lieu-
volantes partant bombarder les usines Renault de tenants Raoul-Duval (prisonnier), Béraud (tué) et
Boulogne-Billancourt. Ailier du capitaine Martell lors Pabiot (sauf). L’ambiance au groupe s’en ressent
cette mission sans histoire, il doit se poser au retour à évidemment, même si depuis deux jours il a eu le
West Malling en compagnie du sous-lieutenant Borne, plaisir d’être rejoint par Jacques Remlinger arrivé du
tous deux s’étant retrouvés à court de carburant. No 602 Squadron avec déjà plusieurs dizaines de

F
B C D E
A

Le 15 mai 1943, la base de Biggin Hill est la première à atteindre le chiffre magique de mille victoires homologuées. On reconnaît le S/Ldr « Jack » Charles
(A) commandant le No 611 Sqn, le W Cdr « Al » Deere (B) commandant le Wing de Biggin Hill, le Gp/Capt « Sailor » Malan (C) commandant la base de
Biggin Hill, le Cdt René Mouchotte (D) commandant le No 341 Sqn, le Cne Michel Boudier (E) et le Cne Christian Martell (F) par-dessus l’épaule
de qui se dresse la tête de « Cloclo » ! (IWM)
14
participe au Circus 299, un Sweep sur Rouen au
cours duquel il est l’ailier du commandant Mouchotte
lors de l’escorte de deux Squadrons de bombar-
diers Boston. La formation est interceptée par les
Messerschmitt Bf 109 G et les Focke-Wulf Fw 190
A des I. et II./JG 2 dont trois sont descendus par
Mouchotte, le capitaine Boudier et le sous-lieutenant
Bouguen. Tout en protégeant consciencieusement
Les deux vainqueurs de la
son leader, Clostermann se met lui aussi en évidence
millième victoire : le « pa-
tron » du No 341 Sqn le Cdt comme il l’inscrit dans son carnet : Grande bagarre.
René Mouchotte (à gauche) et Le squadron descend 3 boches. Je me fais serin-
celui du No 611 Sqn le S/Ldr guer par un 109 G au ras de la flotte. Je tire aussi
Edward Charles. et le manque. Je me pose à Tangmere. Trouille ! (ce
(coll. Norman Franks) 109 m’est accordé endommagé plus tard [14]).

Deux jours plus tard, lors d’un vol d’essai, Pierre


doit faire un atterrissage forcé, hélice en croix, son
moteur ayant stoppé à 6400 mètres d’altitude. C’est
finalement à la mi-juin, au moment où il est promu
[14] Ce Bf 109 lui sera en sergent-chef, que sont livrés les premiers Spitfire
effet homologué «  endom- Mk IXB plus performants que les précédents grâce
magé » le 17 juin suivant. Il à leur moteur Rolls-Royce Merlin 66 à injection
s’agit sans doute du Bf 109 [15] ; si les pilotes sont contents, les mécaniciens
G-4 W.Nr. 19435 de l’Uffz. le sont moins car ils doivent maintenant entretenir
Werner Grundig de la 5./JG trois types d’avions et de moteurs différents puisque
2 qui doit effectuer un atter-
l’unité utilise encore des Spitfire Mk VB pour l’entraî-
rissage forcé à Croissanville,
20 km au sud-est de Caen,
nement ! Clostermann accomplit son premier vol sur
après avoir été touché en le nouveau type le 3 juillet à bord du serial EN630
combat (65% de dégâts). missions à son actif et un Fw 190 endommagé le 8 qui deviendra définitivement son appareil personnel,
[15] Fin 1943 les Spitfire avril précédent. Le 11 mai, de retour du Circus 295 codé NL-B, à partir du 20 de ce mois.
Mk IXB seront officiellement (une escorte de six B-25 Mitchell), Pierre rate son
désignés LF IX, les Mk IXA atterrissage. Le capitaine Martell en colère l’interdit Le 15 juillet, après avoir escorté douze Boston du
(moteur Merlin 61 – 63 – 63A) de mission opérationnelle pendant cinq jours et lui No 107 Sqn partant bombarder l’aérodrome de Poix
devenant des F IX et les types
intime l’ordre d’effectuer sur le champ deux séries à l’occasion du Ramrod 142, Pierre doit poser sur le
IX à moteur Merlin 70 (très
haute altitude) des HF IX. de vols acrobatiques sur un vieux Spitfire Mk VB  ! ventre le Spitfire IXA « LN-H » suite à un problème
La mauvaise humeur de son chef ne dure pas long- de train. Douze jours plus tard en fin d’après-midi,
temps car celui-ci ouvre le palmarès du 341e trois les pilotes de l’ « Alsace » ainsi que ceux du No 485
jours plus tard en abattant un Fw 190 au sud de Squadron sont durement engagés par des Fw 190
Dixmude... À son retour au combat le 17 mai, Pierre

Pierre Gallay et « Cloclo » sont d’alerte immédiate… On


remarque le petit carénage en goutte d’eau présent sur les
premiers Spitfire Mk IXA du côté gauche, juste derrière
la casserole d’hélice. Il abrite le démarreur à cartouche
Coffman.

Posant avec Jacques Remlinger, Pierre dévoile l’insigne qu’il


a fait peindre sur son nouveau Spitfire IXA « NL-B » : un
pélican baptisé Le Gueulard.
15
Dessin original du Gueulard, bec grand ouvert, qui n’en finit
pas de pourchasser des croix gammées… Ne gueulez pas ! lui
disait toujours Christian Martell qui lui conseilla ce surnom
en apprenant qu’il désirait baptiser son chasseur.
(Pierre Clostermann, coll. Christophe Cony)

de la Jagdgeschwader 2 au-dessus de la Normandie,


alors qu’ils protègent dix-huit B-26 Marauder du 323rd
BG ayant pour objectif l’aérodrome de Triqueville.
Tandis que le sergent René Brunot abat un chas-
seur ennemi, le capitaine Martell et le sergent-chef
Clostermann réalisent chacun un doublé. Ceux du
485e font à peine moins bien en annonçant quatre
Fw 190 « sûrs » et un « endommagé » [16]. Les
deux victimes de « Cloclo » tombent à 18h40 au sud
de Trouville. Laissons-le décrire son premier succès
confirmé, obtenu alors qu’il tentait de dégager le
capitaine Martell :

Deux boches se glissent en ciseaux dans sa queue.


J’ouvre le feu bien qu’ils soient hors de portée  ; je mètres de distance… Vite j’écrase la détente de mes [16] Son doublé peut figurer
les manque, mais les oblige à dégager vers moi… canons. Miracle ! Son fuselage s’illumine d’explo- parmi les trois Fw 190 A-6
C’est ma chance ! Je fais une chandelle rapide, et sions. Ma première rafale est au but, et durement. suivants, dont les pilotes ont
avant qu’ils puissent Le Focke Wulf tous été tués : W.Nr. 530149
compléter les 180° (Lt. Reinhold Thiel) du Stab
prend feu sur-le-
de leur virage je suis « Soudain le Focke-Wulf éclate champ. De longues
JG 2 tombé à Notre-Dame-
de-Courson ; W.Nr. 530139
– à bonne portée flammes intermit-
cette fois – derrière comme une grenade ! » tentes s’échappent
(Lt. Horst Zettel) du Stab I./
JG 2 écrasé à Gonneville-sur-
le deuxième. Je de ses réservoirs Mer et W.Nr. 550161 (Uffz.
redresse. Une légère pression sur le palonnier, et crevés, léchant le fuselage. Çà et là des lueurs in- Fritz Stückemann) de la 2./JG
je l’encadre dans le collimateur. J’en crois à peine candescentes se noient dans la lourde fumée noire 2 tombé à Annebault.
mes yeux, c’est une correction facile à moins de 200 qui enveloppe l’appareil… Le pilote allemand se

Les débris de la première vic-


toire aérienne confirmée de
Pierre Clostermann, obtenue
le 27 juillet 1943 aux dépends
d’un Fw 190 A-6 de la JG 2.

Voici ce qui arrive quand on rêve un peu trop aux belles brunes… Illustration par « Cloclo » du combat du 17 mai 1943 à
l’issue duquel il déposera sa première revendication de victoire. On peut noter que l’insigne du pélican est également peint
du côté droit du capot-moteur. (EC 1/30 « Alsace » via Bertrand Hugot)
16
Supermarine Spitfire Mk IXA « NL-B » du Sgt Pierre Clostermann, No 341 Sqn,
Biggin Hill juin 1943.

lance dans un virage désespéré. Dans l’air froissé sauve ; dépassé par le duo, il tire l’ailier à bout por-
par le bout de ses ailes, deux fins filets blancs de tant entre Saint-Pol et Mardyck. Il est 18h45, Pierre
condensation se forment… Soudain le Focke Wulf Clostermann vient de remporter sa troisième victoire
éclate comme une grenade  ! Un grand éblouisse- confirmée [18]. Hélas, malgré les bons résultats
ment, un nuage noir et les débris voltigent autour de l’escadron au cours de cette mêlée générale –
de mon avion… Le moteur tombe comme une boule capitaine Boudier : un Fw 190 sûr, sous-lieutenant
de feu. Une des ailes arrachées par la déflagration Laurent : un Fw 190 probable et un endomma-
descend plus lentement, virevoltant sur elle-même, gé, aspirant Buiron : un Fw 109 endommagé –, il
[17] « Le Grand Cirque 2000 montrant alternativement son intrados jaune pâle et manque le sergent Magrot et surtout le commandant
», éd. Flammarion 2001. son extrados vert olive [17]… Mouchotte qu’on ne reverra jamais vivant.
[18] La 3./JG 26 perd le Fw
190 A-5 W.Nr. 152532 écrasé
La disparition du comman- Au retour à Biggin Hill le commandant Bernard
à Saint-Nicolas et la 5./JG 26
Dupérier [19], ancien chef du No 340 Sqn « Île de
le Fw 190 A-4 W.Nr. 142379 « dant Mouchotte France » qui vole en surnuméraire au 341e, met
5 noir » (pilote Uffz. Heinrich
Krieg) tombé 2 km au sud de immédiatement aux arrêts Clostermann pour avoir
Saint-Venant après combat La carrière du futur as vient de démarrer sur les cha- « abandonné son leader ». Également suspendu de
avec des Spitfire. peaux de roue... Le 25 août, Mouchotte qui apprécie
[19] Nom de guerre du ba- ce jeune sergent-chef extraverti et plein d’allant fait
ron Bernard Sternberg de de lui son équipier lors d’une « reconnaissance mé-
Armella, qui terminera la téorologique » très spéciale, puisqu’elle consiste à
guerre avec 7 victoires aé- détecter dans le secteur de Sommery le train chargé
riennes sûres, 1 probable et de chars Tigre d’une brigade blindée allemande. Les
4 avions endommagés.
deux hommes trouvent bien le train qu’ils attaquent
en rase-mottes, mais aussi la Flak qui manque de
peu de descendre « Cloclo ». Deux jours plus tard,
Pierre ignore qu’il décolle pour ce qui sera sa der-
nière mission en formation au No 341 Squadron,
une escorte de B-17 de la 8th Air Force (Ramrod 8)
partant pilonner l’ouvrage spécial de Watten, un site
de lancement de V1, au nord de Saint-Omer. Il est
René Mouchotte et le W/Cdr de nouveau l’ailier du commandant Mouchotte.
« Al » Deere, commandant du
Wing de Biggin Hill.
La chasse allemande, plutôt tranquille depuis
quelques semaines, intervient cette fois en force
alors que les Spitfire volent à 5500 mètres, l’alti-
tude critique du changement automatique d’étage
de leurs compresseurs. Alors que son chef exécute
un virage serré très cabré pour faire face aux Focke-
Wulf des JG 2 et 26, le moteur de « Cloclo » coupe
net. Séparé du reste de sa formation, il part en perte
de vitesse et ne peut relancer le Merlin que mille
Le Fw 190 abattu par mètres plus bas, au beau milieu des Fw 190 dont
Clostermann le 27 août 1943. deux tentent de lui « faire la peau ». Sa lenteur le
17

Détails des dégâts causés


par des éclats à l’hélice et à
l’aile du Spitfire de Pierre
Clostermann lors de la recon-
naissance du 25 août 1943
menée avec le Cdt Mouchotte.

vol de groupe, Pierre écrira par la suite ne jamais


avoir expliqué l’attitude de celui qui allait devenir le
nouveau patron de l’ « Alsace », si ce n’est par sa
nature soupçonneuse et peut-être envieuse envers
les succès de ses camarades. Il est vrai que Dupérier
avait déjà fait scandale fin 1941 en osant remettre
en cause le palmarès du grand as Français Libre Jean
Demozay. L’affaire était à l’époque remontée jusqu’à dants de la base et du Wing de Biggin Hill, proposent
l’Air Vice-Marshal Trafford Leigh-Mallory (comman- à Clostermann de le transférer dans une autre unité.
dant du 11e Fighter Group) qui avait très mal pris Celui-ci demande à rejoindre le No 602 Squadron où
ces accusations, et il avait fallu toute la diplomatie il va pouvoir retrouver Remlinger qui y est revenu
du général Valin pour éviter que des sanctions ne depuis le 19 août. De janvier à septembre 1943,
soient prises à son égard... Pierre a effectué 174 vols au sein de l’  « Alsace »
dont 46 opérationnels.
Sa mise à pied réduit drastiquement l’activité Le Cdt Bernard Dupérier, qui
de Pierre, qui n’inscrit plus dans son logbook que prendra la direction de
trois vols de reconnaissance météo et trois séances
Le No 602 Sqn l’ « Alsace » après la dispa-
rition de René Mouchotte
d’acrobatie pendant les quatre semaines suivantes. « City of Glasgow » et écartera aussitôt
Mais il trouve encore le moyen de faire parler de lui « Cloclo » des opérations.
lors de ce qui sera son ultime sortie opérationnelle Arrivé au « A » Flight du No 602 Squadron le 26
au sein du No 341 Squadron ! Le 25 septembre, septembre 1943, Pierre y effectue dès le lendemain
il décolle à l’aube pour une mission de calibration ses deux premiers Sweeps sur le Spitifire LF VB
de la station radar « Appledore » qui contrôle le BM529 « LO-Q » : l’escorte de douze B-25 Mitchell
Wing de Biggin Hill. Prévenu par radio de la allant bombarder la gare de triage de Rouen-
présence d’un appareil ennemi au-dessus Sotteville, puis la protection de 72 B-26
de lui, « Cloclo » le laisse approcher avant Marauder revenant de frapper l’aérodrome de
de cabrer brusquement et de virer derrière Conches. Le vieux Spit LF VB qui équipe le
son adversaire, un Messerschmitt Bf 109 G 602e, avec ses ailes raccourcies et son com-
qui après l’avoir loupé est parti en vrille presseur optimisé pour la basse altitude,
en cherchant à s’échapper. Il touche à a mauvaise presse auprès des pilotes Blason du No 602 « City of
qui l’ont baptisé le « clipped, cropped Glasgow » Sqn, avec la devise
plusieurs reprises le Gustav qui pique
Cave Leonem Cruciatum
à 05h12 vers le sol, à mi-chemin entre and clapped Spitty » (le Spit raccourci,
(« Méfie-toi du lion crucifié »).
Beauvais et Saint-Omer, secoué par des rogné et crevé). Le futur as n’effectue
explosions régulières. Curieusement, que trois autres missions de guerre à
cet avion qu’il revendique clairement bord du BM529, toutes le 3 octobre,
avoir endommagé dans son carnet avant de passer comme ses camarades
de vol n’apparaît pas dans l’Operation sur Spitfire Mk IXB  ; sa monture per-
Record Book [20] du No 341 Squadron. Est-ce sonnelle devient dès lors le MH512, lui aussi codé
une ultime brimade du commandant Dupérier ? LO-Q. Depuis le 1er octobre, le sergent-chef (F/Sgt)
Impossible à dire, mais son adversaire lui sera bel et Clostermann a été nommé aspirant, c’est-à-dire Pilot
bien homologué « endommagé » le 18 octobre sui- Officer (P/O).
vant. Conscients qu’il a le potentiel pour devenir un [20] ORB : équivalent britan-
très bon pilote de chasse (avec plus de discipline, se L’escadron, qui ne dépend plus du Fighter nique, en un seul volume, du
rappellera Pierre) mais surtout des problèmes cau- Command mais du No 83 Group de la Tactical Air journal de marche et d’opé-
sés par les circonstances de la mort de Mouchotte, Force, s’entraîne en vue du futur débarquement rations (JMO) ainsi que du
le Group Captain « Sailor » Malan et le Wing sur le continent et les pilotes couchent donc sous relevé journalier des services
Commander « Al » Deere, respectivement comman- la tente à Newchurch puis à partir du 12 octobre aériens (RJSA) français.
18

Supermarine Spitfire Mk IXB « LO-Q » (MH512) du P/O Pierre Clostermann,


No 602 Sqn, Detling octobre-novembre 1943.

Cet appareil sera abattu par la Flak le 1er juillet 1944, son pilote (F/Lt H.J. Cleary) tué.

à Detling, également dans le Kent. Le 602e partage


ce terrain (125 Airfield) avec les Spitfire Mk IXB
du No 132 Sqn et les Hurricane Mk IV anti-tanks
Compagnon de Clostermann du No 184 Sqn. Son Squadron Leader « Mike »
pendant dix mois au 602e, Beytagh est remplacé dans le même temps par le
le P/O James McConachie
commandant du « B » Flight « Max » Sutherland
s’appuie ici en novembre 1943
à Detling sur un des canons avec qui Clostermann entretiendra toujours d’excel-
de 20 mm de son Spitfire lents rapports. Le 16 octobre, pour sa 49e mission
LF IX. Il obtiendra sa seule de guerre (une reconnaissance météo dans le sec-
victoire confirmée le 2 juillet teur Blankenberge – Ostende), il revendique sur le
1944, le jour même où Pierre MH512 un Bf 109 endommagé alors qu’il mitraillait
remportera ses dernières sur sous le feu de la Flak des barges dans un canal au
Spitfire... sud de Dunkerque. Cet appareil sur lequel on sait
peu de choses ne lui a apparemment pas été homo-
logué comme le confirment les divers clichés publiés
dans cet article ; s’il le mentionne dans une courte
Les 7 et 8 décembre 1943,
note au début de son second carnet de vol en juin
le S/Ldr Ronald Sutherland
accompagné de huit pilotes 1944, en se trompant d’ailleurs sur la date de sa
et « rampants » écossais du revendication (27/10/43, une journée au cours de
laquelle il ne vole pas), « Cloclo » lui-même ne le S’il vole à présent régulièrement sur le Spitfire LF
No 602 Sqn vient passer deux
jours dans la ville marraine de reprendra pas dans la liste de ses victoires compilée IX « LO-K » (MH504), c’est aux commandes d’un
l’escadron, Glasgow. L’équipe à la fin de son premier tour d’opérations en sep- Tiger Moth qu’il doit effectuer deux atterrissages for-
du 602e, avec son commandant tembre 1944. cés les 9 et 12 décembre, l’un à Kirkby la Thorpe et
à gauche, est ici reçue par l’autre sur le terrain de football de Maidstone… Le
l’ancien maire de la ville Sir
La fin de l’année 1943 s’avère plus calme pour 7 janvier 1944, le P/O Clostermann refait parler de
Patrick Dollan (au premier lui lors du Ramrod 433 qui voit 24 Spitfire des No
plan) ; on y remarque le P/O Pierre qui ne participe ni à la fameuse attaque du
cargo forceur de blocus Münsterland le 24 octobre, 132 et 602 Squadrons protéger plus de 400 B-17 et
John Blair et le F/Sgt James
ni au grand combat qui voit les « Lions de Glasgow » B-24 rentrant d’Allemagne où ils sont allé bombar-
McConnachie, respectivement
5e et 3e en partant de la droite. affronter le 21 décembre une quarantaine de Fw der les usines IG Farben de Ludwigshafen. Pilotant
(No 602 Sqn) 190 du II./JG 26 dans la région de Cambrai [21]. son MH504 « LO-K », il surprend à 13h50 trois Fw
190 à travers les nuages et réussit à tirer une rafale
de deux secondes sur l’un d’eux malgré un pare-
brise qui se couvre de glace. Il note sur son carnet :
J’endommage (ou peut être démolis) un FW-190
au-dessus de Rue. Je me pose à Lympne sans une
goutte d’essence. J’ai eu chaud. Grande bagarre. Le
chasseur allemand, touché à l’aile et au fuselage, lui
sera homologué « endommagé » à une quinzaine de
kilomètres à l’est d’Abbeville [22].

[21] Le 602e obtient 2 victoires sûres, plus 1 probable pour


le troisième français de l’escadron, le Cne Pierre Aubertin.
[22] La Luftwaffe admet la perte de trois Fw 190 A-6 dans
ce secteur : W.Nr. 470206 « 1 blanc » de la 5./JG 26 (Lt.
Rolf Saligmann tué) vers Halloy, 5 km à l’est de Doullens ;
W.Nr. 470233 «  7 blanc  » de la 5./JG 26  (Uffz. Gerhard
Falkner parachuté blessé), 800 m au sud de Boisbergues, 8
km à l’ouest de Doullens ; W.Nr. 550727 « 2 noir » de la 6./
JG 26 (Lt. Kurt Vavken tué) à Cocquerel, 12 km au sud-est
d’Abbeville.
[23] Opération « Posthorn », du 10 au 12 février 1944.
[24] Bf 109 G-6/R3 W.Nr. 20357 « A6+XH » de la 1.(F)/120
(Oblt. Helmut Quednau tué).
19

Clostermann dans un des Spitfire Mk VII « strato » du


Skeabrae Station Flight. Peint en gris-bleu clair, le serial Le Spitfire LF VB « LO-D » (BL686) posé sur le ventre le 7 mars 1944 par le F/O Bruce
MD114 qui porte encore le code « DU-G » de son précédent Oliver, quelques heures avant l’accident de Clostermann qui confondra d’ailleurs cette photo
utilisateur le No 312 Sqn. (coll. Bertrand Hugo) avec celle du « crash » de son propre avion dans « Le Grand Cirque ».

Cap sur les Orcades ! du porte-avions britannique parti à l’attaque du trafic


naval allemand au large de la Norvège septentrio-
Dix jours plus tard, le 17 janvier, l’escadron est mis nale [23].
au repos pour trois mois dans les îles Orcades, un
petit archipel situé au nord de l’Écosse. Il laisse à Pour s’occuper pendant le séjour aux Orcades,
Detling ses Spitfire LF IX qui feront le bonheur du Pierre Clostermann met au point avec son complice
453e escadron australien arrivé sur place deux jours Jacques Remlinger la « tournée des œufs » qu’il
plus tard... Le terrain de Skeabrae, nouveau logis entame le 17 février à bord du Tiger Moth de la
du 602, est en hiver une succursale du pôle Nord base, raflant tous les œufs qu’il peut trouver dans
remarque Pierre qui a pourtant la chance de ne pas les fermes de l’archipel. Cet apport énergétique
faire partie du « B » Flight détaché encore plus au obtient au début l’adhésion de tous mais au bout
Nord, à Sumburgh dans les îles Shetland... L’unité est de quinze jours de ce régime à tous les repas, son
chargée de protéger la grande base navale de Scapa chef d’escadrille écœuré lui annonce que des plumes
Flow, une tâche assez tranquille puisque celle-ci est commencent à lui pousser dans le dos ! Rompant la
déjà fort bien défendue. Le personnel constate avec monotonie quotidienne, le P/O « Ian » Blair parvient
déplaisir qu’il doit de nouveau se contenter de vieux le 20 février à abattre un Messerschmitt Bf 109 G de
Spitfire LF VB, bien qu’il ait aussi à sa disposition reconnaissance équipé de réservoirs sous les ailes
les quelques Spitfire Mk VII d’interception à haute [24] avant de devoir poser sur le ventre le Spitfire
altitude du Station Flight local. Le 19, « Cloclo » Mk VII « DU-G » (MD114) touché par les débris de Bruce Oliver, l’autre
effectue sa première sortie sur ce nouveau théâtre sa victime. Le lendemain, c’est au tour de « Cloclo » « héros » du 7 mars 1944…
d’opérations : une patrouille au crépuscule à bord d’étrenner le Spitfire Mk VII « DU-Z » lors d’une pa-
du LF VB serial AB209. Quatre jours plus tard, il a la trouille de nuit dont l’atterrissage s’avère scabreux…
joie de passer une journée avec ses compatriotes à Le temps souvent mauvais provoque son lot d’acci-
bord du cuirassé Richelieu tandis que le S/Ldr R.A. dents dont le plus grave frappe le 2 mars deux per-
Sutherland, le F/Lt J.O. Carpenter et le F/O M.D. missionnaires du 602 embarqués à bord d’un bimo-
Morgan font de même sur le HMS Furious. Le bâti- teur De Havilland Dominie qui se rend de Sumburgh
ment français, qui a rejoint après une refonte com- à Glasgow. L’appareil s’écrase peu avant d’arriver à
plète aux États-Unis la Home Fleet à Scapa Flow, destination sur une colline où il prend feu, blessant
participera quelques jours plus tard à la couverture sérieusement le F/O A.W. Manson et plusieurs autres

Supermarine Spitfire LF VB « LO-V » (EP767) du No 602 Sqn,


Skeabrae (îles Orcades) février-mars 1944.

Cet appareil sera accidenté par le P/O Pierre Clostermann le 7 mars ; il rejoindra après réparations la Bomber Support Development
Unit le 11 décembre 1944 et sera enfin livré au Portugal en juin 1947.
20
Les pilotes du No 602 Sqn à leur retour à Detling fin mars
1944. Le S/Ldr Max Sutherland est le second en partant de
la gauche, avec derrière lui le commandant du « A » Flight
Ken Charney. Derrière le canon d’aile du Spitfire LF IX,
Jacques Remlinger ; assis nonchalamment contre le cockpit,
Pierre Clostermann.
(No 602 Sqn)

son carnet : Je me pose de nuit avec les roues ren-


trées – mon train refusait de se verrouiller. Grande
panique. Je m’en tire avec un bleu au genou. Son
Spitfire LF VB « LO-V » (EP767) est bon pour l’ate-
lier de réparations... Plus tôt dans la journée, le F/O
Bruce Oliver a fait encore mieux en effectuant deux
atterrissages forcés d’affilée  ! Parti en patrouille à
l’aube avec le F/O Danny Morgan, il a dû se reposer
aussitôt, une pipe d’huile du serial AR376 ayant pris
feu juste après le décollage. Il est reparti à 07h45
sur le BL686 « LO-D » dont le moteur l’a lâché à son
tour quarante minutes plus tard, le contraignant à
atterrir en catastrophe sur la petite île de Shapinsay.
C’est « Cloclo » qui est allé chercher l’infortuné pi-
lote aux commandes du Tiger Moth. Le rédacteur de
passagers. Trois jours plus tard, un Ju 88 trop auda- l’ORB du No 602 Squadron concluera avec une iro-
cieux se fait descendre par une batterie de canons nie grinçante : Toute trace de constipation restante
Bofors juste avant d’être rejoint par la patrouille P/O après le premier épisode, à ce moment-là, avait été
R.J. « Bob » Gourlay – F/Sgt R.W. Hook, ce qui rend complètement éliminée.
Le 27 avril 1944, le Spitfire les deux hommes furieux…
LF IX MH708 « LO-P » du
No 602 Sqn est guidé hors
Retour dans le Sud
Le 7 mars, Pierre connait une forte émotion pour
de son dispersal à Ford. À
l’arrière-plan, deux autres
son dernier vol de guerre aux Orcades. De retour Le 12 mars 1944, c’est enfin le retour du 602e à
Spitfire de l’unité puis des d’une patrouille effectuée entre 18h50 et 20h16 en Detling où l’escadron touche à nouveau des Spitfire
Mustang III (P-51B) des No compagnie de Jacques, à la recherche d’un Ju 88 LF IX. L’unité accomplit à partir du lendemain et
19, 65 et 122 Sqn. fantôme, il est victime au moment d’atterrir d’une jusqu’au 20 mars un stage à l’Armament Practice
(IWM) pompe à fluide hydraulique cassée et inscrit sur Camp (polygone de tir) de Llanbeder, au nord du
21
pays de Galles, pour y mettre au point le bombarde-
ment en piqué des sites de lancement des bombes
volantes V1 à l’aide de projectiles de 250 kilos. Le
22 mars, « Cloclo » reprend les missions opération-
Pierre dans un Spitfire « Free
nelles à bord d’un nouveau « LO-K », le MJ305 qui
French » du No 602 Sqn sur
devient sa monture pendant quatre semaines. Le lequel la croix de Lorraine
30 du mois (noté par erreur 9 avril dans son car- est bien visible, sans doute
net !), c’est pourtant à bord du MK611 « LO-A » en mai 1944. Il s’agit vrai-
que l’aspirant Clostermann effectue avec le capitaine semblablement du LF IX
Aubertin, le P/O J.W. Kelly et le F/O B.J. Dumbrell serial MH526 « LO-D » qui
une Ranger sur le secteur de Bruxelles. Une bonne connaîtra une longue carrière
partie du parcours s’effectue en vol rasant, au milieu dans l’escadron puisqu’il
ne sera transféré dans une
des éclatements de la Flak : un voyage excitant,
autre unité que le 3 octobre
comme le rapporte l’ORB du No 602 Sqn, mais sans 1944 alors qu’il y était affecté
apercevoir quoi que ce soit… depuis le 6 octobre 1943.

Le 13 avril, Pierre et ses camarades font partie –


avec ceux du 132e – de la première mission de bom-
bardement en piqué menée par des Spitfire sur la
France, en l’espèce le Noball 84 situé à Bouillancourt-
en-Séry, au sud-est du Tréport. Le lendemain ont
lieu deux nouvelles sorties Noball, dont la deuxième
constitue sa centième mission offensive  ; le futur
as va effectuer quinze autres missions de ce type
jusqu’à la fin du mois de mai, en alternance avec les
traditionnels Sweep. Depuis le 18 avril, le No 602
Le nez d’un Spitfire LF IX du
Sqn est venu prendre ses quartiers sur l’aérodrome 602 Sqn au début du débar-
de Ford, près de Brighton. « Cloclo » change encore quement en Normandie. Les
d’avion le 6 mai, récupérant cette fois le MH526 canons d’ailes ont été peints
« LO-D » qu’il va régulièrement utiliser jusqu’au 14 en blanc.
juin 1944. Le 10 du mois, lors d’une escorte de B-26 (coll. Chris Thomas)
Marauder sur la gare de triage de Creil, le I./JG 26
abat le P/O M.W. Frith mais le S/Ldr R.A. Sutherland
s’offre un Fw 190 « sûr » et un autre « probable ».

Les 16 et 17 mai, puis à nouveau le 2 juin,


Clostermann accompagne le commandant du 15e
Sector qui chapeaute les 122e et 125e Wings, le Le débarquement
Group Captain « Jamie » Rankin, au quartier général en Normandie
des forces aériennes alliées à Uxbridge ; il participe
en tant qu’aide de camp à l’élaboration des plan- Le 6 juin, « Cloclo » ne peut donc participer qu’à
nings des opérations préliminaires de la chasse pour la dernière patrouille du jour, effectuée entre 21h30
le Débarquement. De retour dans son unité, il lui et 23h10 au-dessus de Carantan, Isigny, Valognes et
est interdit de voler au-dessus des territoires occu- Saint-Lô. Il note dans son carnet : Les Américains se
pés jusqu’au Jour-J passé de dix heures. Les secrets font sonner à Bayeux. Des LTC et des tanks brûlent
dont il a désormais connaissance – en particulier sur les plages. Il multiplie les sorties dans les jours
les informations concernant les premières heures suivants, toujours en couverture des plages du débar-
du Débarquement – ne doivent surtout pas tomber quement sauf dans la soirée du 8, lorsqu’il écrit : Je
entre les mains allemandes ! En attendant de pou- pars seul à la recherche de 12 Stirlings paumés dans
voir reprendre l’air, il effectue à partir du 3 juin 1944 les environs du Havre, les retrouve et les ramène à
cinq séances de vol aux instruments sur Link Trainer Ford. Les malheureux quadrimoteurs, chargés de
(3 heures au total) à la No 5 (Pilot) Advanced Flying larguer du ravitaillement vers Caen, s’étaient perdus
Unit de Ternhill. dans les nuages ! Privés d’adversaires car les premiers

Supermarine Spitfire LF IX « LO-D » (MH526) du P/O Pierre Clostermann, No 602 Sqn, Ford 6 juin 1944.
Affecté au 602e en octobre 1943, cet avion ne quittera l’escadron qu’un an plus tard. Il sera livré à l’Italie en juin 1947.
22

Le Spitfire LF IX MJ276 jours du débarquement n’entraînent qu’une faible mion sous lequel il s’était réfugié était chargé d’obus
« LO-C » posé en urgence par réaction de la Luftwaffe, Pierre et Jacques décident de 20 mm ! Le lendemain matin, c’est la panique
le F/O G.L. Robinson le 15 le 15 juin d’aller mitrailler l’aérodrome de Saint-André générale quand une quinzaine de Fw 190 et de Bf
juin 1944 sur l’ALG A.6 de
de l’Eure, à une trentaine de kilomètres au sud-est de 109 passent au-dessus du terrain, sans pouvoir être
La Londe, un terrain avancé
construit par les Américains Paris. « Max » Sutherland accepte de leur laisser carte rattrapés malgré le décollage en urgence de tous les
au nord-est de Sainte-Mère- blanche, même si ce n’est pas très réglementaire… appareils disponibles. De retour à Ford dans la jour-
Église. Au premier plan à che- Partis à 10h57 selon leur rapport de combat, les deux née, il prend pour la première fois les commandes
val, le Lt Herbert J. Moore de hommes surgissent au-dessus du terrain grouillant du MJ586 « LO-D » qui va devenir jusqu’à la fin de
la 9th Air Force. L’avion arbore d’appareils à 11h40. Un Bf 109 est justement en train son tour d’opérations son nouveau Spitfire person-
24 missions de bombardement de se poser, que Clostermann abat aussitôt au sud de nel. Le 17, c’est avec lui qu’il effectue une ultime
peintes devant le pare-brise. la piste principale [25]. De son côté Remlinger détruit sortie de bombardement en piqué à l’est de Fruges,
(USNA)
deux He 111 au sol, dont un « probable », malgré dans le Pas-de-Calais. Le débarquement ayant plei-
[25] Sans doute le Bf 109 une Flak désormais déchaînée. Ce sont les premières nement réussi, les missions commencent à se diver-
G-6 W.Nr. 163609 « 3 jaune » revendications du No 602 Sqn depuis le Jour-J ! Les sifier et une de ses deux sorties du 18 juin consiste à
du Stab JG 3 (Ofhr. Alfred autorités vont fermer les yeux sur cette incartade qui escorter 54 bombardiers Mitchell de la RAF qui vont
Rossmeissl parachuté blessé) leur apporte la confirmation que les Allemands font attaquer un dépôt de munitions au nord-ouest de
tombé aux Andelys, 31 km au bien parvenir des renforts sur le « front d’invasion ». Le Bourg.
nord-est d’Évreux.
[26] Bf 109 G-6 W.Nr. 412681 Pierre peut enfin fouler le sol français dans la soirée, Le 24 juin, « Cloclo » se pose de nouveau en
« 2 blanc » de la 1./JG 27 (pi-
lorsqu’il se pose avec le NH345 sur le terrain avancé France (sur l’ALG B.9 de Lantheuil) à l’issue de sa
lote Lt. Siegfried Günthert tué)
tombé dans le secteur de Caen. de Bazenville (ALG B.2). Il regrette vite d’avoir pour patrouille. Le 25 à l’aube, tandis qu’on ravitaille son
l’occasion mis son uniforme de sortie tant la piste appareil pour la première sortie, il a la satisfaction
Un Bf 109 G abattu par un dégage de poussière et passe la nuit à la belle étoile, de voir un Spitfire norvégien descendre un « 109 »
chasseur allié en juin 1944. inconfortablement salué par les bombes allemandes à proximité du terrain… Son vainqueur est le W/
(USNA) dont l’une le rate de peu… Heureusement, car le ca- Cdr George Keefer, commandant du No 126 Wing
RCAF. Pierre l’imite dès le 26 au départ de Longues
(ALG B.11), le terrain sur lequel vient de s’installer
le No 602 Sqn : Volant comme 1 Bleu, j’ai décollé
en alerte vers 11h10. J’ai immédiatement grimpé à
travers les nuages (8-10/10e entre 600 et 2100 m).
Immédiatement un Me 109 a fait une passe frontale
sur moi. J’ai tiré mais l’ai raté. Je suis parti patrouil-
ler au nord de Caen. J’ai vu 4 Me 109 sous moi à
travers un trou dans les nuages. J’ai tiré sur celui
de gauche, ouvrant le feu avec une déflection de
15° et me rapprochant rapidement. À la seconde
rafale mes coups ont porté sur l’aile gauche, avec
pour effet que le canon sous l’aile est tombé. L’a/e
(avion ennemi, NdA) a grimpé sec dans un nuage en
lâchant une épaisse fumée noire. Je l’ai suivi, tirant
sur les vagues contours de l’appareil ennemi. L’a/e
est subitement passé sur le dos (à 1000 m dans les
nuages) et a piqué en perdant des pièces [26].

Le contrôleur aérien l’envoie ensuite au sud de


Cabourg où se rassemble une forte formation enne-
23
À gauche : un sport que
Clostermann et ses camarades
du No 602 Sqn vont beaucoup
pratiquer en Normandie, le
mitraillage des véhicules de la
Wehrmacht. (USNA)

Ci-contre : l’ennemi mortel


des avions alliés lors des
attaques au sol, la terrible et
omniprésente Flak. Ce mon-
tage quadruple de 20 mm (2
cm Flak Vierling 38) capturé
en Normandie a revendiqué
huit appareils alliés.

Missions journalières à
mie : À peine arrivé au-dessus de Caen-Carpiquet, nom sera celui qui reviendra le plus souvent dans Longues-sur-Mer (ALG B.11),
j’ai été engagé par 4 Focke Wulf 190 dont le chef l’ORB du No 602 Squadron au chapitre des avions un terrain avancé occupé par
le No 602 Sqn du 25 juin au
de patrouille m’a attaqué en chandelle par en des- abattus…
12 août 1944. Pour damer la
sous. J’ai fait face, ouvrant le feu à 800 mètres d’une piste, une jeep tire un rouleau
rafale continue jusqu’à ce que la portée soit réduite Le 28 juin, « Cloclo » réalise sur le MJ586 deux agricole alourdi par deux
à 40 mètres. Une série d’explosions s’est produite missions dont il mélange un peu les détails dans son bombes de 227 kg. Au volant
sur le bord d’attaque de l’aile gauche du FW. Le ca- logbook… Lors de la première, une reconnaissance le F/O Dudley Osbourne,
pot du moteur s’est détaché, fracassant le gouver- armée entre Caen et Falaise entre 11h30 et 12h25, contrôleur aérien, accompagné
nail de direction. L’a/e est il mitraille trois camions de des P/O J.W. Scott au premier
entré en vrille et malgré les
efforts apparents du pilote
« Le capot du moteur la Wehrmacht, une magni-
fique voiture d’état-major
plan et C.A. Rice à droite,
deux pilotes australiens du No
453 Sqn. Le Spitfire LF IX
s’est écrasé près du hangar
sud-ouest de l’aérodrome.
du FW s’est détaché, dont les officiers s’épar-
pillent dans un fossé et
« LO-D » à gauche est le MJ586
de Clostermann, le « LO-B »
J’ai réussi à me débarras-
ser des trois autres. Si son
fracassant le gouvernail enfin un QG allemand bien
camouflé dans les arbres.
chargé d’une bombe qui
décolle au fond à droite étant le
Bf 109 demeurera « pro-
bable », le Fw 190 va lui être
de direction » Lors de la seconde, une
reconnaissance armée dans
MK624 sur lequel Pierre a volé
à quatre reprises au mois de
rapidement confirmé comme sa cinquième victoire mai précédent. On notera que
le secteur Argentan – Bernay entre 18h50 et 19h50,
la « tour de contrôle » improvi-
aérienne. Pierre Clostermann fait désormais partie il mitraille encore deux camions puis attaque trois sée n’est autre qu’une guérite
du clan très fermé des « as » et il ne va pas s’arrêter Fw 190. Il en accroche un en particulier, l’assassine de sentinelle repeinte !
en si bon chemin puisqu’à partir de cette date, son mais il se file dans les nuages. Cet appareil qui n’est (IWM)
24

Les Spitfire LF IX du No 602 pas mentionné dans l’ORB du No 602 Sqn lui sera son erreur, il replonge dans la couverture nuageuse
Sqn décollant de Longues crédité « probable » ; il s’agit peut-être du Fw 190 pendant cinq minutes puis pique pour rentrer à sa
dans un nuage de poussière. A-7 W.Nr. 340026 « 11 jaune » de la 1./JG 11 (pilote base. Trois minutes plus tard, il aperçoit un avion
(coll. Chris Thomas) Uffz. Hans Jaeger tué) qui est tombé à Madré ou à volant au ras du sol en direction du Sud-Est le long
Villaines-la-Juhel, au sud-ouest d’Argentan. d’une route. Lorsqu’il s’en rapproche, il constate qu’il
s’agit d’un Fw 190 gris clair, à croix noires et portant
Le 29 juin en début de soirée, treize Spitfire LF une barre rouge sur la queue. Il lui tire plein arrière
IX du 602e partent effectuer une reconnaissance une courte rafale entre 270 et 90 m, à la suite de
armée dans le secteur de Rouen. Pris à partie par quoi le monoplace effectue un atterrissage forcé au
la Flak, notre officier s’égare dans les nuages à nord de Rouen et prend feu. C’est sa sixième vic-
bord de son « LO-D ». Émergeant seul du coton, toire aérienne ! Constatant que sa cinémitrailleuse
il repère un groupe de huit Fw 190 qu’il prend tout n’a pas fonctionné, l’as refait un passage sur l’épave
d’abord pour des appareils alliés. S’apercevant de secouée d’explosions, au cours duquel il prend dix

« Ken » Charney et « Cloclo »


se serrent la main pour la
presse après leur combat
victorieux du 2 juillet 1944,
au cours duquel le premier
nommé a remporté sa 5e vic-
toire confirmée.
25
secondes de film. Il constate que Les habitants d’un
petit village à côté sont fous de joie, lançant leurs
chapeaux en l’air etc... Égaré et à court de carbu-
rant, il rentre ensuite sur le cap que lui fournit le
contrôleur aérien, tirant au passage sur un camion.

Le 30, rebelote lors d’une reconnaissance armée au


sud des lignes entre Briouze et Saint-Lô, toujours sur
le MJ586 « LO-D ». Alors qu’il mitraille des camions-
citernes avec le P/O McConachie, le contrôle signale
des avions allemands dans le secteur ; il grimpe Pierre donne à manger à des
oies normandes pour les pho-
aussitôt à travers les nuages, lâchant McConachie
tographes du Daily Mail...
qui ne peut le suivre. À sa sortie Pierre voit surgir
un Messerschmitt Bf 109 G qui s’apprête à faire un
mauvais sort à deux Spitfire à sa gauche. Il attaque
immédiatement : Je lui décoche trois rafales de
canon, toutes au but. Au moment où je vais lui don-
ner le coup de grâce un autre 109 me tombe sur le
dos et me crève une canalisation d’huile. Je réussis
à échapper et ramène mon avion couvert d’huile.
L’appareil lui sera crédité « probably destroyed ».
L’ORB du 602e, notant qu’il se trouve certainement
sur son terrain de chasse favori, ajoute l’escadron
est fier de le compter parmi nous.

Mais le jour de gloire du No 602 Squadron et de


« Cloclo » est encore à venir. Le 2 juillet 1944, trois
missions effectuées dans l’après-midi vont amener
les pilotes de l’escadron à revendiquer douze appa- réservoirs supplémentaires et on piqué pour nous
reils ennemis ! Clostermann décolle à 15h42 sur le attaquer. 1 Rouge et moi avons viré vers eux et j’ai
MJ305 « LO-K » avec six camarades, comme ailier touché de face l’un d’eux. Puis j’ai suivi mon N° 1 at-
du Flight Lieutenant Kenneth Charney ; le dispositif taquant un FW 190 qu’il a descendu. À ce moment-
est intercepté à 16h03 par une importante formation là un autre a attaqué mon N° 1 en se plaçant entre
de Fw 190 juste au sud de Cabourg. Au cours de la lui et moi. J’ai ouvert le feu à 230 m derrière le boche
[27] Le 20 août 1944, le No
mêlée qui s’ensuit, il parvient à toucher cinq de ses qui piquait, avec environ 10 degrés de déflection,
83 Group dont dépend le No
adversaires dont un lui est homologué « sûr » et d’une rafale d’une seconde et demie. L’a/e a été tou- 602 Sqn requalifiera deux des
les quatre autres « endommagés » [27]. Voici son ché à l’emplanture de l’aile droite qui s’est repliée Fw 190 endommagés, l’un
rapport de combat : J’ai décollé en alerte comme sur le fuselage. J’ai ensuite tiré à la volée sur divers (celui qui a perdu sa verrière
2 Rouge. Après quelques minutes de vol vers l’Est 190, notant des coups au but sur trois autres dont en vol) comme « détruit » et
j’ai vu à 9 heures au-dessus de nous une masse l’un a perdu sa verrière. La plupart de ces coups l’autre comme « probable-
d’une quarantaine de FW 190 qui ont largué leurs ont pu être placés au moment où les 190 redres- ment détruit ». Cette double
confirmation figure dans le
carnet de vol de l’as.

Le S/Ldr Ronald Sutherland


photographie le meilleur de
ses pilotes dans son MJ586
début juillet 1944. L’as reven-
dique à cette époque 17 appa-
reils (7 sûrs, 3 probables et 7
endommagés) dont 2 seront
requalifiés le 20 août suivant.
26

Joli profil du MJ586 « LO-D » en juillet 1944. Le chasseur sera généralement piloté par le F/O Bruce Oliver après le retrait des opérations de Clostermann.
(coll. Chris Thomas)

saient brusquement pour éviter le sol. Mon canon stade de dépression nerveuse où l’on n’a plus peur
En bas à droite : gauche s’est enrayé et je suis rentré à la base sous de rien, où l’on n’a plus conscience du danger. C’est
dans l’habitacle d’un Spitfire les nuages. J’ai vu deux appareils brûlant au sol 8 aussi le moment où les réflexes n’existent plus, où
LF IX en Normandie, à 16 km au sud de Cabourg, pas très loin du canal l’on pilote mécaniquement dans une sorte de béati-
« Cloclo » qui porte ici son de l’Orne. Ma cinémitrailleuse fonctionnant, j’ai pris tude artificielle produite par la benzédrine [28] et la
uniforme français apparait les
5 secondes de film. PS. Des observateurs au sol ont fatigue… C’est la recette pour se faire tuer. En tenant
traits marqués.
vu deux avions s’écraser lors du combat. compte du fait que l’as a oublié de noter dans son
logbook deux patrouilles les 29 juin et 2 juillet 1944
Les vols ininterrompus depuis un mois l’ont pour- – ce qui en dit long sur son état –, Pierre a accompli
Gros plan sur le tableau de
chasse de Pierre Clostermann
tant usé, aussi bien nerveusement que physique- lors de son tour d’opérations 158 sorties offensives
qui détaille l’ensemble de ses ment. Le lendemain, son tour terminé, il est retiré dont 3 de nuit consistant pour moitié en escortes de
revendications, moins celle du des opérations... Après avoir perdu huit kilos, il est bombardiers ; le reste se répartissant en Sweeps,
16 octobre 1943 qui ne lui a au bord de l’épuisement et ce retrait arrive à point bombardements en piqué, reconnaissances armées,
pas été homologuée. nommé : Cela me fait peine de quitter mon esca- reconnaissances météo, chasses libres et Rangers.
(coll. Chris Thomas) drille, surtout maintenant, mais je suis arrivé à ce Il a aussi effectué 25 sorties défensives dont 2 de
27

Supermarine Spitfire LF IX « LO-D » (MJ586) du P/O Pierre Clostermann, No 602 Sqn, Longues-sur-Mer (ALG B.11) 2 juillet 1944.
Arrivé à l’escadron le 15 juin 1944, cet avion sera transféré le 16 août suivant à l’état-major du 127e Wing.

nuit consistant en décollages sur alerte, accumulant 31 juillet avant de disparaître dans la Manche le 29 [28] La Benzedrine, large-
au total 310 heures et 20 minutes de vols de guerre. août. Jacques Remlinger, quant à lui, termine son ment utilisée par les deux
propre tour d’opérations dans un tourbillon d’at- camps durant la Seconde
Tandis qu’il patiente en attendant le bateau qui va taques au sol, sa grande spécialité. Guerre mondiale, est une
amphétamine destinée à
le reconduire en Grande-Bretagne pour y poursuivre
éviter l’endormissement.
un repos bien mérité, Ronald Sutherland qui s’est Le 7 juillet 1944 le Marshal Charles Portal, com- Si elle accroît les capacités
blessé en jeep à l’issue d’un repas normand un peu mandant de la Royal Air Force, vient rendre visite physiques et psychiques, elle
trop bien arrosé avec les trois Français de l’esca- aux unités basées à Bazenville en compagnie du provoque aussi une augmen-
dron est temporairement remplacé par le Squadron ministre de l’Air britannique Sir Archibald Sinclair. tation de la confiance en soi,
Leader Johannes Le Roux, un sud-africain enragé Ce dernier remet à l’aspirant Pierre Clostermann la une excitation générale, une
qui revendiquera huit chasseurs allemands du 15 au Distinguished Flying Cross qui lui a été décernée anorexie et un état dépres-
sif à court terme. Ses effets
pour avoir détruit « au moins 11 avions ennemis » –
sur la santé étant désastreux
on notera au passage que pour la RAF, seuls les avi- à moyen et long terme, elle
ons endommagés sont considérés comme douteux... sera interdite en 1959.
Dans la soirée, « Cloclo » qui a enfin reçu son return
ticket embarque en compagnie du F/Lt Frank Wooley
à bord de la barge de transport de tanks LCT 322
pour traverser la Manche ; les deux hommes seront
suivis au début du mois d’août par Jacques qui aura
eu l’occasion d’ajouter à son palmarès, le 16 juillet,
un Fw 190 endommagé en combat aérien au nord-
ouest de Bayeux.

Le 7 juillet 1944 à Bazenville,


à l’occasion d’une inspection
du No 602 Sqn par des auto-
rités supérieures, « Cloclo »
est décoré de la DFC par Sir
Archibald Sinclair, le ministre
de l’Air britannique. Derrière
eux, le F/Lt Charney surveille
du coin de l’œil un Fw 190 qui
passe en rase-mottes sur le
terrain voisin !
Les « enfants terribles » de la RAF devant un Spitfire à
Longues-sur-Mer en juillet 1944.
28

Deux des Spitfire LF V de


la Central Gunnery School
de Catfoss où Clostermann
effectue un stage en août 1944.
Au premier plan le « D-P », à
droite le « D-A ».
(coll. Chris Thomas)

Séjour à l’arrière Le lendemain, nouveau vol sur un Spit XIV de l’Air


Fighting Development Unit [29] précédé d’une prise
Durant sa permission Pierre effectue quand même, en mains de son adversaire de toujours, un Focke-
à partir du 12 juillet, dix nouvelles séances d’entraî- Wulf Fw 190 A capturé dont il remarque le merveil-
nement – 6 heures – sur simulateur de vol à la No leux contrôle latéral. Une sortie sur Spitfire Mk XII,
5(P) AFU. Il est ensuite envoyé à la Central Gunnery la première variante à avoir été équipée d’un Griffon,
School de Catfoss, l’école supérieure de tir de la est perturbée le 17 par des problèmes de moteur. Le
[29] En abrégé AFDU, une RAF basée sur la côte orientale du Royaume-Uni, 20 août, l’as a le plaisir d’apprendre que deux des
unité dédiée au développe- où il réalise son premier vol le 5 août. Après treize Fw 190 qu’il a endommagés le 2 juillet précédent ont
ment des tactiques de com-
séances d’entraînement diverses, pour la plupart sur été requalifiés par les services d’homologation, por-
bat et aux tests des appareils
ennemis. de vieux Spitfire, il inscrit à l’issue d’un exercice de tant son score à 8 victoires sûres et 4 probables. Ce
tir aérien le 12 août : 107 buts sur 350 balles tirées, n’est que le 22 qu’il reprend l’air, cette fois pour tes-
un résultat plutôt honorable… Un court aller-retour ter pendant 35 minutes un Messerschmitt Bf 109 qui
en Fieseler Storch pour la France (à Chartres) le 13, ne l’impressionne pas du tout (pas fameux, note-t-il
et le 15 il peut enfin tester pendant 40 minutes le dans son carnet). Une dernière séance d’acrobaties
dernier-né de chez Supermarine : le Spitfire Mk XIV le 23 août, sur le Spitfire LF IX «  B 25  », clôt son
à moteur Rolls-Royce Griffon de 2050 ch et hélice à séjour à Catfoss. Il y a effectué vingt vols totalisant
cinq pales. Son commentaire est simple mais élo- 15 h 25 min. Même s’il ne va désormais plus voler
gieux : Avion génial (« terrific A/C »). pendant cinq mois, Pierre continuera à « se faire la

Le Focke-Wulf testé par


« Cloclo » à la CGS le 16 août
1944 est sans doute ce Fw 190
A-5/U8 serial PN999 du No
1426 Flight, l’unité chargée de
présenter les avions ennemis
aux pilotes alliés. Il s’agit du
W.Nr. 2596, ex « 6 blanc » de
la 1./SKG 10 posé par l’Uffz.
Werner Öhne à Manston le 20
juin 1943.
(coll. Christophe Cony)
29
Affecté à la rédaction du Bulletin des forces aériennes françaises en Grande-Bretagne en
septembre 1944, le S/Lt Clostermann fait admirer son uniforme de fantaisie à son camarade
le Lt Tournier ainsi qu’à quelques jeunes « groupies » du QG des FAFL... Ses bottes lacées
« à la Guynemer » et ses culottes de cheval plairont nettement moins au général de Gaulle
quand il tombera dessus !

Alors que la 2e DB vient


juste de libérer Strasbourg,
Clostermann et Remlinger,
accompagnés d’un aumônier
de la RAF, débarquent fin
novembre 1944 pour le match
de rugby Angleterre – Pays
de Galles qui aura lieu le 25.
Pierre vient de se casser le nez
contre un lampadaire durant
une alerte aérienne et Jacques
qui s’est de nouveau laissé
pousser la moustache arbore
un beau coquard reçu en
jouant au football…

main » en accomplissant du 27 août au 29 octobre franche ambiance de l’escadrille ; celle de l’état-ma-


1944 treize séances d’entraînement sur Link Trainer jor ne me convient pas précisément, et les trois mois
à la No 53 OTU de Kirton-in-Lindsey ; au total 17 h que j’y ai passés au service de presse (…) ont été
5 min consacrées essentiellement aux procédures pénibles. C’est de l’action qu’il lui faut !
radio et à la navigation.
Sur les conseils de Jacques, en poste
Promu sous-lieutenant, il est effet af- depuis septembre au QG du Fighter Couverture du 11e Bulletin des
fecté à l’état-major des forces aériennes Command à Stanmore, il obtient en FAFL en Grande-Bretagne,
françaises en Grande-Bretagne à la décembre 1944 une entrevue avec paru en novembre 1944, dans
mi-septembre 1944. Son expérience le W/Cdr Peter Wickham, patron des lequel « Cloclo » publie les
de journaliste l’amène à rejoindre la affectations au Fighter Command, qui premiers extraits du « Grand
rédaction du Bulletin des FAFL, instal- lui promet son appui pour retourner en Cirque ».
(coll. Christophe Cony)
lée à Londres, au sein de laquelle il re- opérations au sein du No 122 Wing de
trouve des hommes comme Raymond la 2nd Tactical Air Force, une escadre
Tournier, l’illustrateur Louis Masquelier d’élite équipée des nouveaux « super-
et l’écrivain Romain Gary, tous an- chasseurs » Hawker Tempest. Malgré
ciens du groupe de bombardement une demande officielle transmise par
« Lorraine ». Notre rôle consistait la RAF au ministère de l’Air français,
à transformer pour la consommation de la presse c e l u i - c i refuse le transfert de Clostermann que le
parisienne et américaine, et sans trop énerver la général de Gaulle tient à conserver en vie comme
censure britannique, les maigres communiqués de un certain nombre d’autres héros des FAFL. Mais
la RAF en hymnes triomphants célébrant l’héroïsme « Cloclo » est tenace : il arrive en janvier 1945 à
des pilotes français à l’occasion d’un fait d’armes arracher un accord de principe au général Martial
de nos escadrons de chasse. C’est dans le cadre Valin et rejoint aussitôt les rangs de la RAF. Jacques
du Bulletin n° 11 qu’il publie sous les pseudonymes Remlinger, moins chanceux, demeure sous le com-
transparents de « Pierre Henri » et « P.H.C. », en mandement de l’armée de l’Air ; il devra attendre
novembre 1944, les deux premiers extraits de ce trois mois de plus pour rejoindre le No 340 Sqn « Île
qui deviendra son fameux best-seller « Le Grand de France » le 14 avril 1945…
Cirque » ainsi qu’un article intitulé « La vérité sur le
Focke-Wulf 190 » qu’il termine en ces termes avisés : Le retour sur Tempest
En conclusion, le FW-190 est un chasseur rapide,
bien armé et maniable qui cependant exige un haut Début février 1945, Clostermann vient donc se
standard de pilotage pour rendre de bons résul- convertir à la No 55 OTU d’Aston Down (dans le L’homme qui a converti
tats… Pour la Luftwaffe, ce n’est plus un problème Gloucestershire) au pilotage d’un chasseur à moteur Clostermann au pilotage des
de matériel qui se pose, mais un problème de per- Sabre, en l’occurrence celui du Hawker Typhoon, le chasseurs à moteur Sabre :
sonnel. Si son travail est évidemment de tout repos, prédécesseur du Tempest. Manier cet appareil à la Tom McGovern, alias « Black
Pierre reconnait qu’il a hâte de retrouver la saine et fois lourd, puissant et instable n’a rien de commun Mac » ou par dérision
avec la conduite presque instinctive d’un Spitfire... « Immaculate Mac » en raison
de son teint basané… Avant
Malgré les conseils avisés de l’instructeur Tom
de devenir instructeur à la No
McGovern, un as du « Tiffy », son premier vol le 9 55 OTU, ce pilote australien
février lui cause quelques sueurs froides ! Tout se a accompli un tour d’opéra-
termine cependant bien et il peut noter dans son tions sur Typhoon aux No 195
carnet de vol : Gros veau, mais franc à l’atterris- et 181 Sqn. Il en entamera un
sage. Le lendemain, à l’issue d’une séance d’acroba- second peu après « Cloclo »,
ties au cours de laquelle il a effectué un simulacre de comme Flight Commander
au No 247 Sqn sur Typhoon,
Pierre Clostermann (au dernier rang, quatrième en par- mais sera abattu par la Flak
tant de la gauche) photographié en février 1945 lors de et fait prisonnier dès sa deu-
son passage à la No 55 OTU d’Aston Down. Le P/O A. H. xième sortie le 19 mars 1945.
Warminger est troisième à ses côtés. (ww2images.com) (coll. Chris Thomas)
30

Fiche technique :
Tempest Mk V (février 1945)

Type. Monoplace de chasse de supériorité aérienne à


basse et moyenne altitude.
Moteur. Un Napier Sabre IIB de 24 cylindres en H
sans soupapes.
Puissance maximale. 2420 ch à 3850 tr/min au
niveau de la mer et 2050 ch à 3850 tr/min à 4200 m.
Dimensions. Envergure 12,50 m. Longueur 10,22 m.
Hauteur 4,27 m au sol et 4,90 m en ligne de vol.
Surface alaire 28,06 m².
Masses. À vide 4088 kg. En charge normale 4850 kg.
En charge maximale 5220 kg.
Performances.  Vitesses maximale au régime nor-
mal : 660 km/h à 1370 m et 700 km/h à 5800 m.
Vitesse de croisière maximum : 627 km/h à 6100 m.
Vitesse de croisière économique : 459 km/h à 6100 m.
Vitesse ascensionnelle au poids en charge maximum :
6100 m en 7 min 30 s. Plafond pratique : 11 280 m.
Le monstrueux moteur Napier Sabre, un engin de 24 cylindres en H sans soupapes qui Autonomie en croisière économique : 1094 km (maxi-
dévore de l’essence à 130 d’octane et développe pas moins de 2420 ch dans la version IIB mum 1947 km avec deux réservoirs externes de 204
équipant les Tempest Mk V en 1945… Équipé d’un compresseur à un seul étage, il s’essouffle litres chacun).
cependant assez vite en altitude et ne fournit plus « que » 2050 ch à 4200 m. En comparai- Armement. 4 canons Hispano Mk V de 20 mm nor-
son, le Packard-Merlin V-1650-7 (Merlin 68) à compresseur à deux étages du fameux P-51D malement approvisionnés à 150 coups par arme.
Mustang développe 1720 ch à 1900 m et 1695 ch à 5900 m.

combat aérien et du vol en rase-mottes, il s’étonne sur le EJ689 le 25 février (tirs air-sol et vols sur la
lui-même en constatant que les Typhoon peuvent campagne à basse altitude) sont suivies le lendemain
[30] Clostermann a successi-
tourner (« Typhoons can turn !! »). Deux sorties en d’une dernière, sur le NV918 « 7S-F », pour s’entraî-
vement volé à la No 55 OTU
sur les Typhoon codés L, N,
formation les 13 et 14 février clôturent son séjour ner à la lecture de carte. Ces appareils que l’on dé-
B, Z et Y. [30]. Au bout de 4 h 30 min de vol, il est prêt à signe parfois comme des Series 2 correspondent en
l’étape suivante : le Hawker Tempest… fait aux trois derniers lots de production portant des
serials en EJ, NV et SN ; ils diffèrent des Series 1 –
Pierre passe alors à la No 83 Group Support Unit, en fait des avions du premier lot portant des serials
Les deux premiers un « pool » de pilotes et d’avions prêts à rempla- en JN – par leur moteur Napier Sabre IIB légèrement
Tempest sur lesquels Pierre
cer au pied levé les pertes des unités dépendantes plus puissant, leurs canons Hispano Mk V à tubes
Clostermann a volé en février
1945 : le EJ760 « 7S-H » (au du 83e Group. C’est sur la base de Dunsfold, dans courts, leur structure de fuselage arrière renforcée,
second plan) et le NV918 le Surrey, qu’il effectue ses deux premiers vols sur leurs nouveaux ailerons et la possibilité d’emporter
« 7S-F ». Il effectuera au total Tempest Mk V le 21 février 1945, à bord des EJ760 deux réservoirs supplémentaires largables de 45
cinq vols, soit 5 h 20 min, à la « 7S-H » et EJ689 « 7S-L ». Le chasseur lui plaît gallons chacun, soit 204 litres. Malgré un poids en
No 83 GSU de Dunsfold. (coll. d’entrée comme le montre son seul commentaire : charge de presque cinq tonnes, les performances à
Chris Thomas) Avion au poil. Deux nouvelles sorties d’entraînement basse et moyenne altitude du Tempest Mk V sont
31

Hawker Tempest Mk V « 7S-H » (EJ760) de la No 83 Group Support Unit, Dunsfold février 1945.
Livré à la No 83 GSU le 29 septembre 1944, cet appareil sera transféré en août 1945 à la No 5 School of Technical Training
comme cellule d’instruction 5703M.

stupéfiantes  puisqu’il atteint 700 km/h à 5800 m  ! compte à l’époque 12 victoires sûres plus 2 au sol
À titre d’exemple, les P-51D Mustang et Spitfire Mk sur Tempest. Mais il est abattu et capturé le jour
XIV volent à peine 670 km/h à cette hauteur car ses même de l’arrivée de Clostermann ! Son successeur
célèbres rivaux ont tous deux été optimisés pour la va être le commandant du « B » Flight, l’as « Jesse »
haute altitude… Hibbert (5 victoires) qui accueille avec plaisir le ren-
fort que constitue Pierre – a Frenchman of conside-
Un passage très bref rable experience selon l’ORB du 274e –, affecté le 1er
mars au « B » Flight en tant que Flight Lieutenant
au No 274 Sqn (capitaine) surnuméraire. Il y arrive sept jours seu-
lement après un autre pilote français, le F/Lt Régis
Le 28 février 1945, le jour même de ses 24 ans, Deleuze [31], tué par la Flak le 25 février à sa pre-
« Cloclo » rejoint enfin le 122e Wing sur la base de mière mission… Un troisième et dernier Français les
Volkel en Hollande. Cette escadre dépendant du No avait précédés sur Tempest au No 274 Sqn : le com-
83 Group comprend cinq Squadrons de Tempest mandant Jean Vaissier, hélas grièvement blessé au Le F/Lt Pierre Clostermann à
Mk V (No 3, 56, 80, 274 et 486) plus un de Spitfire décollage le 8 décembre 1944. son arrivée au No 274 Sqn en
Mk XIV, le No 41 qui la quittera dès le 7 mars. Le mars 1945.
commandant administratif du Wing est le Group Le 2 mars, « Cloclo » effectue une reconnaissance (R.V. Denis via Chris Thomas)
Captain Patrick G. Jameson, que seconde en tant de secteur en compagnie du F/Lt D.M. Nicholls, puis
qu’officier volant le Wing Commander Richard E.P. il participe à sa première sortie sur l’Allemagne : un
Brooker titulaire de 7 victoires aériennes sûres et 2 grand Sweep sur le secteur Rheine – Osnabrück à [31] Deleuze avait abattu 8
probables. « L’as des as » du 122e Wing est le S/Ldr bord de l’avion de son Squadron Leader, le NV722 V1 au cours du second se-
David Fairbanks, surnommé « la terreur du Rhin », codé JJ-M. Les 24 Tempest des No 3, 80 et 274 Sqn mestre 1944.
un pilote américain qui commande le No 274 Sqn et rentrent bredouilles, Pierre ayant été le seul à aper-

Une autre vue du Tempest « 7S-H » à Dunsfold. Pour l’anecdote, c’est sur cet aérodrome que sont toujours tournés
la plupart des essais automobiles de la célèbre série télévisée « Top Gear »…
(coll. Chris Thomas)
32

Monture habituelle du
S/Ldr Hibert, le Tempest
Mk V NV722 « JJ-M » sera
piloté à deux reprises par
Clostermann, en particulier
lors de sa première sortie sur
l’Allemagne le 2 mars 1945.
(coll. Chris Thomas)

cevoir trois Bf 109 qui se sont très vite échappés il s’envole seul à bord du Tempest « JJ-W » (EJ893)
[32] Cette victoire probable dans les nuages. L’ORB du No 274 Squadron résume pour tester ses armes dans la région de Nordhorn.
lui sera confirmée deux mois l’opinion générale : le Boche sait bien ce qui est bon La chance est avec lui puisque malgré le temps cou-
plus tard, le 24 mai 1945. pour lui, et ces sorties en masse ne semblent pas vert, il repère au ras du sol quatre Bf 109 en échelon
être propices au moindre incident. Trois jours après, refusé qui se préparent à faire un mauvais parti aux
quatre Typhoon qu’il vient tout juste de croiser. Il
a le temps de tirer trois rafales avec 60 à 40° de
déflection sur le plus proche avant que les autres
ne réagissent. Il sème ses poursuivants dans les
nuages avant de revenir sur les lieux du combat où
il aperçoit sa victime en train de brûler, un parachute
déployé à proximité de l’épave qu’il photographie
Rapport de combat de la pre- à plusieurs reprises pour être certain d’en obtenir
mière victoire de Clostermann l’homologation. Commentant sa victoire, l’ORB du
sur Tempest, qu’il remporte le 274 estime « qu’il a dû se perdre » pour tomber sur
5 mars 1945 en désobéissant quatre Bf 109 vers Hengelo, d’autant qu’il est rentré
aux ordres donnés… « très embêté » à l’idée que son escapade soit consi-
(PRO via Chris Thomas)
dérée comme irrégulière… L’affaire n’ira pas plus loin
pour cette fois.

Un nouveau vol d’essai de ses canons, transformé


en « chasse libre » dans la région de Rheine le 6
mars, permet à « Cloclo » qui accompagne le S/Ldr
W.J. Hibbert de dénicher malgré la Flak quatre trains
et quatre réservoirs de mazout de 170 000 litres cha-
cun ; si les réservoirs sont déjà en flammes, les deux
hommes ne s’en prennent pas aux locomotives car

Hawker Tempest Mk V « JJ-M » (NV722) du S/Ldr Walter J. Hibbert,


commandant du No 274 Sqn, Volkel (B.80) mars 1945.
Endommagé en avril et passé après réparation au No 486 Sqn,
cet appareil recodé SA-Q sera abattu par la Flak le 2 mai 1945.
33

Les pilotes du No 274 Sqn en


mars 1945. Le commandant
de l’unité Walter Hibbert
tient le blason de l’escadron
au premier plan, tandis que
« Cloclo » s’appuie noncha-
lamment sur deux de ses
camarades, troisième en par-
tant de la gauche…
(coll. Chris Thomas)

toute attaque au sol a été interdite aux chasseurs du primer toute mention du résultat de cette mission
122e Wing depuis la perte de « Foob » Fairbanks. Cet dans les ORB du Squadron et du Wing. Le rapport
ordre daté du 1er mars interdit aussi toute pénétra- de combat de Pierre ayant disparu des archives du
tion dans l’espace aérien allemand à des formations Public Records Office – comme tant d’autres – à la
inférieures à seize appareils, ce qui fait que les can- fin des années 80, il est difficile d’en savoir plus sur
non tests se multiplient bizarrement depuis lors... Le ces victoires même si « Jesse » Hibbert en personne
lendemain, Pierre qui effectue justement un essai les a confirmées en contresignant son carnet de vol
d’armement avec le F/O B. Walker entend à la radio sur la ligne où elles sont reprises… Le lendemain,
le contrôle annonçant que des Boches se posent à Pierre ne participe pas au Sweep de l’escadron sur le
Nordhorn. Il abandonne aussitôt son équipier pour triangle Münster – Hamelin – Hamm ; il se contente
se précipiter sur place et voir les deux derniers chas- d’effectuer un cannon test (un vrai, cette fois !) de
seurs allemands rouler au sol à son arrivée, salué 20 min aux abords de Volkel. Le 17 mars, lorsque le
par la Flak ! À son retour, le Squadron Leader lui No 274 Sqn déménage pour rejoindre à Gilze-Rijen
fait aimablement mais fermement remarquer qu’il (B.77) le 135e Wing en manque de Tempest, l’as
commence à prendre un peu trop de liberté avec le n’en fait plus partie : un accord a été trouvé avec Après Bernard Dupérier en
déroulé de ses missions. le commandant du No 56 Sqn, le S/Ldr MacKichan 1943, « Jesse » Hibbert va
qui accepte de le prendre en surnuméraire dans son être le second commandant
Après quatre sorties sans résultat, Clostermann qui « B » Flight sous les ordres du F/Lt Francis MacLeod. d’unité à virer « Cloclo »
de son Squadron
n’a toujours pas d’avion personnel participe dans Mais plus question d’en faire à sa guise ! Du 2 au
à la mi-mars 1945.
l’après-midi du 14 mars à deux Sweeps de seize 15 mars 1945, Pierre Clostermann a accompli onze (coll. Chris Thomas)
Tempest des No 80 et 274 Sqn sur Hanovre puis sur missions de guerre au sein du 274e, plus trois essais
le secteur Osnabrück – Hamm. Lors du second, en- d’armement dont on a vu à quoi ils lui servaient,
tamé à 16h50 sur le « JJ-R » NV660, il fausse com- pour un total de 16 h 30 min de vol.
pagnie à « Jesse » Hibbert en emmenant avec lui ses
ailiers pour aller jeter un œil du côté du terrain de
Wunstorf, 100 km plus à l’Est, où il espère trouver Au No 56 « Punjab » Sqn
des « 109 ». Ne dénichant rien sur place, il décide
de poursuivre vers le Nord quand soudain, à mi- Le 18 mars, aux commandes du Tempest EJ708
chemin de Brême, une trentaine de Messerschmitt « US-W » du F/O William MacLaren, l’as va rendre
Bf 109 leur tombent dessus près de l’aérodrome de visite à ses camarades français du No 145 Wing dont
Hoya ! À l’issue d’une Grosse bagarre avec (les) les Spitfire LF IX et LF XVI sont basés à Schijndel
chasseurs boches, il peut inscrire sur son carnet (B.85), au nord d’Eindhoven. Belle occasion pour
qu’il en assomme trois : un confirmé, un « probably frimer un peu… écrit-il dans « Le Grand Cirque ».
destroyed » [32] et un endommagé, ajoutant que Hélas pour lui, après avoir survolé l’aérodrome en
malgré le renfort d’autres Tempest Nous perdons rase-mottes et à pleine vitesse dans un fracas de
trois types mais le squadron descend 2 D. 2 P. 4 jugement dernier, il oublie de sortir son train à
end. – un D. un P. et un E pour moi. l’atterrissage et n’est sauvé in extremis que grâce
à l’intervention du capitaine Jacques Andrieux, le
Cette fois, c’en est trop ! Fou de rage, Hibbert inter- commandant du No 341 Sqn présent sur la tour de
dit de sortie de groupe « Cloclo » ; et pour être cer- contrôle, qui tire une fusée rouge sous son nez !
tain que l’attitude irresponsable de ce « chien fou » C’est un « Jaco » hilare qui accueille « Cloclo »
ne déteigne pas sur les autres pilotes, il fait sup- nettement moins fier à sa descente d’avion…
34
Le lendemain, Pierre effectue sa première sortie de citerne, deux longs camions chargés de troupes. Je
guerre au 56e, de nouveau sur le EJ708, une escorte détruis un avion de reconnaissance Fieseler 156 et
de Typhoon du No 121 Wing à l’issue de laquelle les j’intercepte une batterie lourde tractée (3 canons de
Tempest « poussent » jusqu’au secteur de Rheine 150 mm) sur laquelle je fais trois passes de mitrail-
où Pierre aperçoit sur la piste huit Messerschmitt lage. Son rapport de combat donne quelques détails
262, les seuls qu’il rencontrera jusqu’à l’armistice. supplémentaires sur sa première victoire au sol : Je
Hélas pour lui, aucun ne décolle pour lui laisser une volais comme Nalgo jaune 3 pour une reconnais-
chance de l’encadrer dans son viseur… sance armée dans le secteur de Münster. Après
avoir attaqué plusieurs objectifs au sol, j’ai vu un
Le 23, l’interdiction des attaques au sol est enfin Fi.156 parqué entre deux maisons à la lisière d’un
levée car la traversée du Rhin par les armées alliées grand terrain herbeux. Trois véhicules d’état-major
doit être lancée le lendemain et ce sont les Tempest camouflés stationnaient à proximité. Le moteur de
du 122e Wing qui sont chargés de la protéger. Il l’A/E tournait. J’ai effectué un long piqué sur une
enchaîne en deux jours cinq missions sans résultat pente faible et j’ai tiré une longue rafale des quatre
en protection de la tête de pont, puis le 26 deux canons. L’A/E a immédiatement pris feu et une
« reconnaissances armées » au cours desquelles jambe du train d’atterrissage s’est effondrée. La flak
il peut détruire sept locomotives et plusieurs véhi- de 20 mm a ouvert le feu depuis le bord du terrain
cules. Le 28 mars, le naturel finit par reprendre le alors que je rompais. Un survol à 1800 m après mon
dessus et Clostermann quitte sa patrouille pratique- attaque m’a montré l’A/E et une des maisons qui
ment dès le départ. Il inscrit dans son carnet de vol : brûlaient. Je revendique un Fi.156 détruit.
L’armée allemande semble en pleine déroute. Les
routes sont littéralement couvertes de véhicules en Plus tard dans l’après-midi, il recommence en
fuite. C’est du massacre, mais on est sonné terrible- abandonnant très tôt la patrouille emmenée par
ment en revanche par la Flak. J’attaque 2 transports MacKichan pour dénicher vers Münster une colonne
de onze Sturmgeschütz III qu’il mitraille aussitôt.
Il constate avec surprise que l’un des blindés, sans
doute effrayé par son attaque, se jette dans un fos-
sé où il se retourne ! Plus tolérant que « Jesse »
Hibbert, « Little Mac » le laisse faire tant que cela
ne met pas en cause la sécurité de ses équipiers…
Le 30, reprenant ses « chasses libres », il écrit : Je
tourne pendant 5 minutes autour du fameux aéro-
drome de Lippstaad [Lippstadt, NdA]. Au sol il y
avait un Arado 234 à réaction et 15 Messerschmitt
109. Le courage m’a manqué. Cela aurait pu être
stupide d’attaquer étant donné la formidable DCA.
Le 31 mars, « Cloclo » touche enfin un avion person-
nel, le serial EJ536 « US-W » aux commandes du-
quel il détruit six locomotives dans le secteur Brême
– Hanovre, rentrant avec un avion dont l’aile droite
commence à prendre feu après avoir été touchée
par la Flak.

Interdiction de rail ! Un
cliché pris par la cinémi-
trailleuse d’un Tempest
de la 2nd Tactical Air Force
lors de l’attaque d’un train
dans le secteur Kassel –
Hamm au printemps 1945.
(IWM)

Cette photographie inédite


montre des mécaniciens du
No 56 Sqn devant le Tempest
Mk V « US-W » (EJ536) que
Clostermann va régulière-
ment piloter du 31 mars au 5
avril 1945. Entré en service
début juillet 1944 comme
« US-R » puis « US-B »,
l’avion rentre d’Angleterre où
il avait été évacué le 22 février
1945.
(coll. Chris Thomas)
35

« Cloclo » appuyé sur son


Tempest personnel après
sa 12e victoire confirmée,
obtenue le 2 avril 1945. Les 4
avions qu’il a probablement
détruits jusqu’à cette date
figurent aussi sous le pare-
brise du « US-W ».

Le 2 avril, c’est à bord du NV968 « US-G » que l’as Cloppenburg et Ahlhorn. Quand j’ai redressé à 1200
effectue entre 18h10 et 20h00 sa vingt-neuvième m après ma première attaque, j’ai vu deux avions
mission de guerre sur Tempest : Je volais comme ennemis décoller de ce dernier aérodrome, dont la
Nalgo 2 Jaune dans une reconnaissance ar- Flak nous tirait dessus. J’ai prévenu à la radio et j’ai
mée sur le secteur Brême – Hanovre. attaqué, choisissant le second avion ennemi qui ren-
Nous avons attaqué des MET sur la trait son train en grimpant au-dessus de la piste ; je
route principale entre les aérodromes de l’ai attaqué par en dessus et par l’arrière. J’ai tiré

Hawker Tempest Mk V « US-W » (EJ536) du F/Lt Pierre


Clostermann, No 56 Sqn, Volkel (B.80) début avril 1945.
Transféré à la No 151 Repair Unit le 20 juillet 1945, cet avion y sera
ferraillé en novembre 1946.
36
une rafale de 3 secondes à 370 m, me rapprochant sol : Je mitraille 4 Junkers chasseurs de nuit sur
jusqu’à 45 m. J’ai vu mes balles toucher la piste l’aérodrome de Wunstorf. Un prend feu, ainsi que
[33] Le P/O « Jimmy Boz »
mais en remontant le nez tout en tirant à une altitude le camion citerne les ravitaillant, et j’en endommage
Bosley, son Tempest NV927
« US-Z » gravement touché
d’environ 10 m, j’ai arrosé l’avion ennemi que j’ai trois autres. 2 trains à Hannover [Hanovre, NdA].
par la Flak, réussira cepen- identifié comme étant un FW 190 long-nez. L’avion En milieu de journée, nouvelle reconnaissance sur
dant à rentrer à la base. ennemi a basculé sur sa gauche et a piqué jusqu’au le secteur Osnabrück – Uchte emmenée par le nou-
sol. Il a glissé au sol en se désintégrant et ses restes veau commandant du « B » Flight, le F/Lt « Joe »
ont pris feu dans le périmètre de l’aérodrome. Mon Payton. Alors que les six Tempest volent à 1000 m
appareil était couvert d’huile échappée du 190. dans un ciel très couvert, « Cloclo » aperçoit tout
d’un coup sept Fw 190 D-9 passer juste au-dessus
Le 190 restant était dans le circuit mais en raison d’eux. Il vire brutalement dans leur direction, largue
de ma vitesse je n’ai pas pu tourner assez court pour ses réservoirs supplémentaires et se lance à leurs
l’engager. Il y avait une aire de desserrage dans les trousses, laissant sur place le reste de la patrouille
bois à environ 450 m de la fin de la piste, avec des qu’il ne peut que prévenir par radio. Rattrapant peu
bimoteurs dispersés. Poursuivant mon attaque j’ai à peu la formation ennemie, il fait une passe frontale
ouvert le feu sur ces avions ennemis qui étaient des sur le leader qui disparaît sous lui, touché à l’em-
Ju 188. Il y en avait 4 ou 5 et j’ai mis des coups au planture de l’aile gauche et au fuselage ; après un
but sur deux d’entre eux. Les coups étaient centrés demi-tonneau, il peut tirer une longue rafale entre
autour des ailes et des capots moteurs. Aucun de 180 et 40 m de distance et avec 90 à 60° de déflec-
ces avions ennemis n’a pris feu. Mon avion a alors tion sur un autre « long-nez » qu’il touche cette fois
été touché par un obus de Flak de 20 mm. J’ai mis le à l’extrémité de l’aile droite. Les « Dora » restants
cap sur la base, détruisant 3 camions et remorques devenant agressifs, il se tire gracieusement dans les
sur le chemin du retour. nuages. N’ayant pu utiliser sa cinémitrailleuse, ses
deux victimes seront simplement classées « endom-
Le futur Grand Charles Le lendemain, Clostermann accomplit trois sorties magées ».
quelques jours avant son de « reconnaissance armée » sur le EJ536, emme-
affectation en unité. Le nant lors de la dernière trois équipiers vers Lingen où Après une explication qu’on devine orageuse rentré
Tempest NV994 a été livré les choses se gâtent : Nous faisons un quart d’heure à Volkel, MacKichan jette à son tour l’éponge : que
le 5 avril 1945 à la No 83 de rase-mottes sous une pluie battante. Visibilité très cet officier incontrôlable aille se faire voir ailleurs  !
GSU de Dunsfold où il est
limitée. Une flak absolument atroce. Jimmy Bosley La solution est vite trouvée en le transférant au
ici photographié juste avant
que ses cocardes d’ailes ne
est gravement touché [33]. Je m’en tire par miracle, No 3 Sqn qui effectue justement un stage de tir de
soient cerclées de jaune. Il va deux obus rebondissant sur mon aile. Séparé des quinze jours en Grande-Bretagne. Cela le calmera…
rejoindre le 14 avril le No 3 deux ailiers qui lui restent, sans doute en raison du Du 18 mars au 5 avril 1945, Clostermann a effectué
Sqn à Warmwell où Pierre mauvais temps, Pierre se venge en démolissant cinq 23 missions de guerre au sein du No 56 Sqn pour
Clostermann se l’attribuera camions dont une citerne qui flambe. Le 5 avril 1945, un total de 33 h 50 min de vol, plus deux vols non
avec le code JF-E… parti en reconnaissance à l’aube à la tête de quatre opérationnels de 40 min. Le lendemain 6 avril, le
(coll. Chris Thomas) Tempest, Pierre effectue une nouvelle attaque au journal de marche de l’unité fêtant une très bonne
37

Le Tempest Mk V NV994, le
premier des fameux « JF-E »
de Pierre Clostermann,
immortalisé le 18 avril 1945
par Charles E. Brown depuis
un petit Taylorcraft Auster
de la RAF. On remarque que
la lettre E est plus claire que
le reste du code, ce qui est
logique puisqu’elle n’a été
peinte que quatre jours plus
tôt. Son séjour sur le continent
achevé, le célèbre photographe
rentrera en Grande-Bretagne
le lendemain.
(RAF Museum)

journée (deux Fw 190 abattus par MacKichan et un dant du No 80 Sqn Evan Mackie, mais l’escadron et
par Payton) ne va même pas daigner mentionner le son chef ont remplacé le No 3 en stage à Warmwell
départ du Français, alors qu’il souhaitera la bienve- et Mackie ne rejoindra effectivement l’escadre que
nue à cinq nouveaux pilotes tout en regrettant que le 2 mai 1945. Dans l’intervalle, les divers Squadron
ses rangs se soient fort dégarnis suite à plusieurs Leaders vont se charger de mener le Wing au com-
tours d’opérations terminés et (à) la perte de quatre bat. « Cloclo » va bénéficier en ce qui le concerne de [34] « Cloclo » a accompli au
sous-officiers. plus de liberté en tant que commandant d’escadrille. total 9 h 45 min de vol au No
17 APC de Warmwell, dont 6
Le 19, il emmène dans l’après-midi huit Tempest en
h 25 min d’exercices de tir et
Derniers jours au No 3 Sqn : reconnaissance armée sur Brême et Hambourg, puis de bombardement.
repart en début de soirée mitrailler l’aérodrome de
la légende des Tempest Rotenburg (40 km à l’est de Brême) avec deux volon-
« JF-E » taires, le F/Lt J. Bone et le F/O J.I. Adams. Passant
à travers les tirs de la Flak, le trio se défoule sur
Le No 3 Sqn a la particularité d’avoir détruit à l’été quatre bombardiers quadrimoteurs Heinkel 177 dont
précédent près de 300 V1 grâce à ses Tempest, ce deux leur seront confirmés (on voyait les flammes à
qui place l’unité largement en tête de ce palmarès 40 kilomètres), les deux autres demeurant « proba-
très particulier. L’escadron, commandé par le S/Ldr blement détruits » au sol.
« Bruce » Cole, stationne sur le polygone de tir de
Warmwell où il parfait l’instruction de ses pilotes à Le 20 avril, Pierre conduit en fin de matinée un
l’attaque au sol et au tir aérien. Ses avions ont reçu premier Sweep sans résultat de huit Tempest sur la « Cloclo » s’offre une
sur place des lance-bombes grâce auxquels l’entraî- Baltique. Comme la veille, il enrôle deux volontaires cigarette devant le NV994
nement au bombardement en piqué et en vol rasant pour aller rôder à la nuit tombante dans son secteur après l’atterrissage à Rheine,
à débuté le 4 avec de bons résultats. Clostermann favori. Voici son rapport de combat : Je comman- le 18 avril 1945.
rejoint le Squadron comme commandant du « A » dais la section Filmstar blanc dans une patrouille au (RAF Museum)
Flight où il remplace le F/Lt J.E. McCairns transféré
au No 56 Sqn ; il y réalise son premier vol le 8 avril
sur un Spitfire pour un exercice de tir avec déflec-
tion à l’aide du viseur gyroscopique, puis entame le
lendemain les bombardements sur Tempest. C’est
le 14 qu’il perçoit son appareil personnel, le NV994
« JF-E » avec lequel il effectue jusqu’au 17 avril
quatre séances de tir au canon et une de bombar-
dement en piqué [34]. Le 18 du mois, la formation
quitte Warmwell pour rejoindre le No 122 Wing sur le
continent, non plus à Volkel qui est maintenant trop
éloigné du front, mais à Rheine-Hopsten (B.112)
en Allemagne. Si les lance-bombes ne seront fina-
lement pas utilisés en opération, cet entraînement
à l’attaque au sol va se montrer fort utile dans les
derniers jours de la guerre…

Le W/Cdr Richard Brooker ayant disparu en combat


le 16 avril, son successeur désigné est le comman-
38

Le « JF-E » NV994 photogra- crépuscule entre Brême et Hambourg, à très basse après ça, je me suis retrouvé à basse altitude au-
phié à Fassberg où le No 122 altitude. Vers 20h30, au SO de Hambourg alors que dessus des docks de Brême en train de chasser un
Wing est venu s’installer le 27
nous volions vers le SO, j’ai aperçu un tir intense de FW 190 tout en étant moi-même pris en chasse par
avril 1945.
DCA légère venant d’une colonne blindée amie der- six autres. Une Flak intense a ouvert le feu depuis
rière nous. Aussitôt d’autres armes de DCA légères le secteur des docks. Après trois minutes d’un com-
ont ouvert le feu sur nous. Il pleuvait fort à ce mo- bat tournoyant confus au cours duquel mon appareil
ment et nous avons dégagé dans des nuages bas a été touché, je me suis retrouvé juste au nord de
vers 250 m. Je suis redes- Brême derrière un FW 190
cendu plus loin et je me suis qui ne semblait pas avoir
retrouvé au milieu de six « Le FW 190 a basculé remarqué ma présence. J’ai
FW 190 qui mitraillaient des ouvert le feu plein arrière à
[35] Vraisemblablement
les Fw 190 D-9 des Uffz.
objectifs au sol. Un combat et est tombé une distance de 370 m et je
général a suivi au milieu de n’ai noté aucun résultat sauf
Erich Schumacher et Joseph
Simmer, de la 7./JG 26, dispa- la Flak légère, auquel une tout droit en feu » que l’avion ennemi a aussi-
rus en soirée le long de l’au- autre formation de six FW tôt fait un atterrissage sur le
toroute Brême – Hambourg 190 s’est jointe. Je me suis retrouvé à environ 250 m ventre. Je l’ai alors mitraillé au sol par deux fois et il
au nord de Soltau. derrière un FW 190, avec une correction de 30° ; j’ai a pris feu. Je revendique deux FW 190 détruits [35].
tiré deux longues rafales et j’ai vu un grand éclair. Le
FW 190 a basculé à environ 30 m et est tombé tout Ces 13e et 14e victoires aériennes, ses dernières,
droit en feu près d’une de nos colonnes blindée. Peu sont les seules remportées par le 122e Wing en

Hawker Tempest Mk V « JF-E » (NV994) du F/Lt Pierre Clostermann, No 3 Sqn,


Rheine-Hopsten (B.112) 20 avril 1945.
Endommagé ce jour par des Fw 190 et la Flak, l’appareil reviendra en opérations le 25 avril.
39

ce 20 avril 1945 et le rédacteur de l’ORB ne peut


s’empêcher d’adresser des félicitations admira- Les pilotes du No 3 Sqn.
tives au casse-cou de l’escadre : Un jour plutôt bon Quatrième en partant de la
couronné par la destruction de deux FW 190 par gauche au premier rang, le
le Français fou. Mais ces succès ont un prix. Si le S/Ldr Robert Cole, entouré
NV994 « JF-E » a été touché par la Flak puis par un de ses commandants d’esca-
« Dora », Clostermann a lui-même encaissé un éclat drille le F/Lt Hugh Hugues et
le F/Lt Pierre Clostermann.
d’aluminium et un fragment de balle dans le mollet
Main sur la poitrine, le
droit. Perdant son sang, l’as réussit quand même premier à gauche est le P/O
à ramener son appareil qui commence à cracher australien John Adams, qui
des étincelles jusqu’à Hopsten où il se pose avec abattra un Fw 190 le 30 avril
sang-froid sur le ventre car le système hydraulique et endommagera un Me 262
contrôlant le train d’atterrissage est inopérant [36]. (plus un Ju 88 détruit au
Le choc brutal lui vaut un bon « casse-croûte colli- sol) le 2 mai 1945. Au second
mateur » dont il se sort avec un nez et une mâchoire rang, troisième à gauche, on
reconnaît le F/Lt Norman
endoloris. Un second Tempest, le NV978 « JF-C »,
Walker, surnommé « Curly »
est endommagé mais son pilote (F/Lt A.G. McIntyre (le frisé) pour des raisons évi-
ou F/Lt G.R. Duff ?) s’en sort sans mal. dentes ! Les restes de Bf 109
exposés sur le sol sont fière-
Hospitalisé pendant quelques jours à l’hôpital mili- ment barrés de l’inscription
taire n° 18 d’Eindhoven, Clostermann ne reprend sa « 3 Squadron – Born 1912 –
place à l’escadron que le 3 mai, alors que le Wing a Still Going Strong » (3e esca-
déménagé pour Fassberg (B.152) depuis le 27 avril. Il dron, né en 1912 et toujours
aussi vaillant).
s’est choisi comme monture un Tempest tout neuf, le
SN222 qui est sans doute codé JF-S puisqu’il est arri-
vé au No 3 Sqn en remplacement du NV663 « JF-S »
abattu le 29 avril [37]. Cet appareil, comme la plupart en laissons deux autres en fumée. Il ajoute 17 ca- [36] Remis en état en
de ceux portant un serial en SN, dispose d’une nou- mions à son tableau de chasse avant de repartir avec quelques jours, le NV994
velle hélice Rotol en lieu et place de la De Havilland trois autres Tempest pour une reconnaissance des reprendra ses missions au No
des Tempest des lots précédents. Le jour-même, l’as côtes sud du Danemark qui coûte 8 camions supplé- 3 Sqn dès le 24 avril.
effectue trois missions. Il résume la première dans mentaires à la Wehrmacht. À 16h20, Pierre décolle à [37] Le SN222 a été livré le
2 mai 1945 en compagnie
son carnet : Patrouille à l’aube. J’attaque une posi- la tête de quatre Tempest avec pour objectif l’hydro-
du SN221 dont on sait qu’il a
tion de DCA et un aérodrome avancé boche d’où des base de Grossenbrode, sur la Baltique, où transitent reçu le code JF-Z.
groupes de FW 190 bombardent nos troupes la nuit. entre autres les hydravions du Stab Fliegerführer 6 et
Lorsque nous attaquons les boches chargeaient les du Seenotgruppe 81. En comptant ceux qui sont pré-
bombes. Un des taxis que j’attaque explose, et nous sents sur l’aérodrome adjacent, ce sont près de 200

À son retour de blessure début mai 1945, le F/Lt Clostermann s’approprie un des nouveaux Tempest à hélice Rotol, le SN222 identique au SN212
« JF-T » visible ici. On remarque bien la casserole d’hélice plus allongée et moins pointue, de même que les supports transparents des réservoirs
supplémentaires. Spécialement carénés, ceux-ci font l’objet des plus grands soins car ils coûtent une fortune !
(RAF Museum)
40
appareils de la Luftwaffe qui tentent désespérément
d’échapper aux Soviétiques en allant se réfugier au
Danemark…
Le premier des deux rap-
ports de combat soumis par Je commandais Filmstar Squadron dans une re-
Clostermann le 3 mai 1945, connaissance armée, et j’ai été dirigé par Kenway
dans lequel il revendique
sur un aérodrome et une base aéronavale près de
trois Fw 190 peints en noir et
chargés de bombes jaunes. Les Heiligenhafen. J’ai vu approximativement 100 appa-
deux avions « endommagés reils ennemis, pour la plupart sur des slips et au sol.
en fumée » seront requalifiés J’ai attaqué du Sud vers le Nord, touchant 2 BV 138
« probables ». et 1 DO 24 sur un slip. Le DO 24 est tombé dans l’eau
(PRO via Chris Thomas) et s’est brisé. J’ai ensuite coulé un DO 24 amarré à sa
balise. J’ai repris de l’altitude et comme il n’y avait pas
de Flak j’ai décidé d’effectuer une seconde attaque
du Nord vers le Sud. Cette fois j’ai choisi des cibles
[38] Après réparation, le sur l’aérodrome lui-même. J’ai mis des coups au but
SN222 demeurera en service sur 2 AR 234 [lire 232, NdA] et à très courte distance
au No 3 Sqn jusqu’à ce qu’il sur un JU 352. Le JU 352 s’est cassé en deux et son
s’écrase par mauvais temps à aile gauche s’est brisée. J’ai vu en début de matinée
Schwagstorf le 27 juin 1946, du lendemain les deux DO 24 coulés et l’épave du JU
tuant le F/Sgt J.W. Coates.
352. Je revendique deux DO 24 détruits, 1 JU 352 Le 7, c’est Pierre Clostermann en personne qui
détruit, 2 BV 138 endommagés, 2 AR 232 endomma- commande les dix Tempest chargés d’escorter le
gés. Tous au sol ou sur l’eau. Dakota du général Miles Dempsey, commandant de
la Deuxième Armée britannique, vers Copenhague
Le 4 mai, l’as accomplit de nouveau trois missions, où celui-ci va recevoir la reddition officielle des
toujours sur le SN222, emmenant d’abord à l’aube troupes allemandes du secteur. Il a encore la sur-
sept Tempest pour une reconnaissance de convois prise de voir débarquer le 8 mai 1945 à Fassberg
Le 8 mai 1945, sept Me
au cours de laquelle il découvre un croiseur lourd des visiteurs plutôt inattendus : les Messerschmitt
262 se rendent aux forces
britanniques sur la base de allemand et (…) attaque un sous-marin au large de 262 du III./JG 7 emmenés par le Major Wolfgang
Fassberg, parmi lesquels le Kiel. La seconde est une reconnaissance armée qui Späte, un as aux 99 victoires aériennes, venus se
Me 262 A-1a WNr. 111690 « 5 ne donne rien, mais il se venge lors de la dernière en rendre aux forces britanniques afin d’éviter de tom-
jaune » dont « Bruce » Cole et attaquant avec huit Tempest la base aéronavale de ber entre les mains des Soviétiques. Plusieurs jours
« Johnny » Forster examinent Schleswig où il détruit au mouillage deux hydravions d’agapes en commun prouveront que la fraternité
ici la tuyère gauche. Cet avion Dornier 18 (dont l’un en feu) pour son 47e et dernier entre pilotes de chasse n’est pas un vain mot !
est celui du Staffelkäpitan de vol de guerre au 122e Wing. Le F/Lt Longley reven-
la 2./JG 7, l’Oblt. Fritz Stehle
dique de son côté un Bf 110 détruit au sol ainsi qu’un
qui vient de remporter à son
Do 24 détruit et un endommagé sur l’eau, plus deux
L’apprès-guerre et
bord la dernière victoire de la
guerre en abattant un chas- He 115 endommagés, tandis que le W/O W. Malia les homologations
seur russe au nord-ouest de ajoute un BV 138 détruit au mouillage. La guerre
la Tchécoslovaquie. Au fond, se termine dans le secteur car à 18h30, les repré- Le 12 mai, le 122e Wing doit effectuer un vol de
le Me 262 A-1a WNr. 110800 sentants allemands signent l’acte de reddition sans démonstration au-dessus de la base aéronavale
« 7 jaune » de l’Uffz. Günther condition des forces de la Wehrmacht présentes en de Bremerhaven ; Pierre décolle avec un avion de
Engler a déjà été repeint aux Allemagne du Nord, aux Pays-Bas et au Danemark. remplacement car son SN222 a une fuite d’huile
couleurs anglaises ; il sera
Du 19 avril au 4 mai 1945, « Cloclo » n’a effectué [38]. C’est alors que deux des douze Tempest du
endommagé à l’atterrissage
à Lübeck le 29 mai par le en raison de sa blessure que dix missions de guerre No 3 Sqn entrent en collision. L’hélice de l’un d’eux
W/Cdr Warren Schrader, au sein du No 3 Sqn, soit 15 h 25 min de vol. Il ter- cisaille le fuselage de son avion qui tombe en vrille
commandant du No 616 Sqn mine son deuxième tour d’opérations avec un total et ce n’est que par miracle qu’il s’en parachute à
équipé des nouveaux jets général de 230 sorties de guerre en 376 heures et 5 temps. Lorsqu’il arrive hébété à terre, c’est pour
Gloster Meteor Mk III. minutes de vol. constater que le F/Lt W.R. Robertson s’est écra-
41
sé en sautant trop bas du EJ588 « JF-N » tan-
dis que le Sgt W. Campbell est mort dans l’épave
du SN166 « JF-G » (?). Spectacle horrible, écri-
ra-t-il. Je n’ai jamais frôlé la mort d’aussi prêt  !
L’as ne vole plus pendant douze jours après ce
dramatique accident, reprenant seulement le
24 mai les commandes de son bon vieux NV994
« JF-E » qu’il baptise Le Grand Charles et fait
orner de ses victoires sous le pare-brise. Le 28,
il effectue un aller-retour à Drope (B.105) pour
y rencontrer l’Air Vice Marshal Harry Broadhurst,
commandant du No 83 Group, qui lui annonce
que le Roi d’Angleterre vient de signer le décret
accordant une barre à sa DFC pour avoir « dé-
truit douze nouveaux avions ennemis ». Je fais
peindre en vitesse la casserole de mon hélice (…)
en rouge vif pour frimer (illégalement !). Sur place,
il peut faire admirer son chasseur aux prisonniers
La guerre est finie, les tenues
des membres du No 3 Sqn
sont plus décontractées…
Deuxième à gauche, le grand
« Bay » Adams (1,88 m).
« Cloclo » fume la pipe car
les cigarettes disponibles à
l’époque étaient infectes ! Au
second rang, toujours le crâne
chauve de « Curly » Walker.

« Cloclo » posant peu après


l’armistice sur son NV994
orné de l’ensemble de ses
revendications à cette date :
21 victoires confirmées et 7
probables. Cet appareil sera
le seul de ses deux « JF-E » à
être baptisé Le Grand Charles,
en hommage au général de
Gaulle.

Un Tempest du No 122 Wing à


la casserole d’hélice repeinte
vu devant un des hangars
détruits de la base allemande
de Fassberg (B.152). Les
avions alignés à droite portent
déjà l’écusson du No 3 Sqn
sur la dérive, signe que le
cliché a lui aussi été pris après
l’armistice mais avant le 20
juin 1945, date à laquelle
l’escadron vient se baser à
B.160 Copenhague-Kastrup.
Il s’agit de la seule photo
connue montrant le « JF-E »
NV994 Le Grand Charles
avec son fameux nez rouge,
la couleur traditionnellement
réservée au commandant du
Flight « A ».
42

Hawker Tempest Mk V « JF-E » (NV994) Le Grand Charles du F/Lt


Pierre Clostermann, No 3 Sqn, Copenhague mi-juin 1945.
Appareil sévèrement endommagé le 1er juillet suivant en se posant à
Vaerlose. Revenu après réparations en unité en février 1946, il sera trans-
formé en remorqueur de cibles quatre ans plus tard et revendu à Hawker
(probablement pour pièces détachées) en 1955.

français en cours de rapatriement et repart en « EDM » de l’as Evan D. Mackie. Le 20, « Cloclo »
faisant un décollage « à l’américaine » en leur se rend à Copenhague sur le Messerschmitt Bf 108
[39] Le G/Capt Patrick G. honneur. Taifun « PGJ » [39] pour organiser le transfert du
Jameson, commandant du 122e Wing invité par le roi Christian X de Danemark.
No 122 Wing, apprécie les Le 1er juin, il emmène deux passagers à Drope à
avions allemands puisqu’il bord du Fieseler Storch du No 145 Wing et poursuit Arrivé à Copenhague-Kastrup, Clostermann doit
dispose aussi d’un Ju W34 jusqu’à Paris aux commandes d’un Caudron Goé- faire le 23 juin un aller-retour à Schleswigland
codé PGJ...
land. Neuf jours plus tard, pour la réception du (B.164) malgré un temps dégoutant. Il note : Je
maréchal Joukov par le général Eisenhower et vais chercher de la pénicilline pour un pilote
le maréchal Montgomery, une immense pa- qui a eu un accident hier. Je m’en tire par mi-
Le 14 juin 1945, « Cloclo » rade aérienne de plus de mille avions est or- racle. À Schleswig, j’examine les restes des
effectue un aller-retour ganisée par les alliés au-dessus du GQ amé- avions boches que nous avons attaqués. Le
Fassberg - Drope sur le ricain de Francfort. Pendant 2 h 35 min, meeting du 122e Wing a finalement lieu
Tempest « EDM » (SN228) c’est l’occasion pour Pierre, qui com- dans l’après-midi du 1er juillet au-dessus
personnel du W/Cdr Ops du
mande la Section Jaune du 122e Wing, de l’aérodrome de Kastrup (B.160) noir
122 Wing, Evan D. Mackie.
Codé à ses initiales, l’appareil de « suer sang et eau » à éviter de per- de monde. Mais le temps, de nouveau
de ce grand as néo-zélandais cuter les Mosquito et autres Spitfire qui très mauvais, contraint les appareils à
arbore sur la dérive l’insigne remplissent le ciel autour de lui… Le aller se reposer sur le petit terrain de
du 122 Wing (cf. incrustation). 14, nouvelle visite à ses amis fran- Vaerlose, au nord-ouest de la capitale
(coll. Chris Thomas) çais à Drope, cette fois sur le Tempest danoise, qu’il ne connait pas. Pierre
43

Pierre Clostermann posant


fin juin 1945 dans son
célèbre « JF-E » Le Grand
Charles sur la base danoise
de Kastrup. Le palmarès
peint sous l’habitacle s’est
accru de quelques homolo-
gations supplémentaires…
Au second plan, le SN221
« JF-Z » du F/Lt « Ken »
Hugues, livré le 2 mai pré-
cédent. Le blason du No 3
Sqn (Tertius primus erit : le
troisième sera premier) a été
ajouté sur la dérive de tous
les appareils dans la nuit
du 8 au 9 mai 1945, avec le
rouge des cocardes repeint
en plus vif qu’à l’origine.

fait une erreur de jugement et « avale » la première Wing, une escadre de reconnaissance canadienne
partie de la piste en herbe ; son avion dont le train équipée de Spitfire RF IX, RP XI et Mk XIV. Le 8 août,
d’atterrissage ne descend qu’à moitié s’écrase sur le le Squadron rejoint finalement à Lübeck le No 124
ventre, quitte la piste et termine dans une rivière, Wing dirigé par le plus grand as de la RAF, le Group
Le second et dernier
le laissant une nouvelle fois choqué mais indemne. Captain « Johnnie » Johnson (41 victoires sûres et 5
« JF-E » NV724 vu sur la
Bien qu’il écrive dans son carnet Mon pauvre probables). Mais les jours du Flight Lieutenant Pierre base de Lüneburg (B.156)
« Grand Charles » est réduit en miettes. Ça me brise Clostermann dans la Royal Air Force sont comptés ; entre le 18 juillet et le 8 août
le cœur, le NV994 sera récupéré par la No 419 R&SU la Seconde Guerre mondiale terminée, l’as qui a 1945, avec les Spitfire Mk
et renvoyé chez le constructeur pour réparations. compris que l’accident du 1er juillet était le dernier XIV du No 39 Wing cana-
avertissement du Destin qui se lassait demande sa dien à l’arrière-plan. L’avion
Le lendemain, « Cloclo » rentre en Angleterre pour démobilisation, qui devient effective le 27 août 1945. n’est pas neuf comme le
s’y choisir à Dunsfold un nouveau « JF-E », le NV724 Il n’aura accompli que deux vols en août, une sortie montrent les flancs du capot
bien encrassés ; il était en
sur lequel il revient à Copenhague le 7 juillet. Deux «  d’entraînement avancé  » le 2 et enfin un aller-
effet entré en service en
tests les 9 et 13 juillet lui montrent qu’il s’agit d’une retour à Schleswig le 17 pour y rencontrer une der- février 1945 au No 486 Sqn
bonne machine : Bon moteur. Stable en piqué à nière fois l’AVM Broadhurst. avec le code SA-V, qu’il avait
1300 KH mais lent en croisière. Le 18 du mois, il faut quitté le 12 mars pour la No
deux essais au No 3 Sqn pour gagner au milieu d’un De mai 1943 à juillet 1944 et de mars à mai 1945, 151 RU en raison de pro-
orage épouvantable sa nouvelle base de Lunebourg durant ses deux tours d’opérations, Pierre Clostermann blèmes moteur.
(B.156) où l’escadron est rattaché au No 39(Recce) a déposé 50 demandes d’homologation (27 aériennes (coll. Chris Thomas)
44

Probablement le plus célèbre et 23 au sol) auprès des autorités de la Royal Air Force. ses succès signée le 1er novembre 1945 par Harry
des clichés de Hawker Une seule de celle-ci, celle du 16 octobre 1943, ne lui a Broadhurst, désormais officier de l’Air en charge
Tempest ! Le 27 août 1945, pas été accordée. Des 49 qui lui ont été homologuées à de l’administration (AOA) du Fighter Command,
jour de son départ de la
des degrés divers – destroyed, probably destroyed ou comporte à cet égard comme à d’autres un cer-
RAF, Pierre Clostermann
se fait photographier par damaged –, 6 ont été requalifiées (upgraded) dans les tain nombre d’erreurs. Clostermann n’est d’ailleurs
son camarade le F/Lt F.L. deux mois suivant leur obtention : pas un exemple unique. Ainsi Jean Demozay, pre-
Latham sur son nouveau -le 20 août 1944, deux des Fw 190 endommagés le mier grand as « Français Libre » en 1941-1942 : les
« JF-E », le NV724 livré à 2 juillet précédent sont devenus un « détruit » et un Britanniques lui reconnaissent 21 avions détruits dont
l’escadron le 8 juillet précé- « probablement détruit » ; 2 au sol, 3 avions probablement détruits dont 1 au
dent... L’appareil ne porte -le 24 mai 1945, le Bf 109 probable du 14 mars pré- sol et 11 avions endommagés dont 8 au sol ; l’état-
pas l’inscription Le Grand cédent a été confirmé comme « détruit » ; major des FAFL – probablement pour « gonfler » les
Charles mais il a maintenant
-en juin 1945, les deux Fw 190 endommagés au sol résultats obtenus – a transformé dans ses citations
reçu une croix de Lorraine
sur le radiateur. le 3 mai précédent ont été considérés comme « pro- tous ces chiffres en victoires aériennes  ! Les auto-
bablement détruits », le Do 24 endommagé sur l’eau rités françaises ne se contentent pas d’amalgamer
étant confirmé « détruit ». les victoires aériennes et les victoires au sol, elles
mélangent aussi bien les succès sûrs et probables
Toutes ses victoires ont été obtenues à titre indivi- en l’air... On peut citer le cas de Jean Maridor, fait
duel, sauf les quatre He 177 du 19 avril 1945 qui ont officier de la Légion d’Honneur à titre posthume le
été détruits en coopération avec le F/Lt J. Bone et 30 décembre 1944 pour « sept victoires aériennes et
le F/O J.I. Adams. Il a participé à plusieurs missions de nombreux bateaux et autres objectifs détruits »
au cours desquelles des victoires ont été rempor- alors qu’il lui a été homologué par la RAF 4 appareils
tées par d’autres pilotes que lui, mais sans qu’il y ennemis sûrs, 2 probables et 3 endommagés, plus 7
collabore et en reçoive donc le crédit. La liste de V1 détruits en combat aérien.

Hawker Tempest Mk V « JF-E » (NV724) du F/Lt Pierre Clostermann, No 3 Sqn, Lübeck mi-août 1945.
Avion posé sur le ventre par le F/Lt C.E. Hall le 10 novembre 1945 à Fassberg,
le train étant rentré à l’atterrissage.
45
Pour compliquer un peu plus les choses, les auto- plus cette fois que de 19 + 2 – mais au même rang
rités britanniques ne font plus de différence à la fin que de grands as comme Michel Dorance et Camille
de la guerre, dans leurs citations, entre appareils Plubeau qui ont remporté comme lui 14 victoires
détruits en vol et au sol. La RAF avançant sur le aériennes sûres et 4 probables. Il faut cependant
continent européen a en effet demandé à ses chas- noter que seul Demozay a remporté plus de victoires
seurs de détruire tout ce qui circule, en l’air comme individuelles que lui, les autres pilotes ayant établi
au sol, au sein des territoires encore occupés par les une bonne partie de leur palmarès en collaboration
Allemands. Elle imite en cela l’USAAF qui, depuis le avec leurs équipiers.
8 février 1944, a donné l’ordre aux chasseurs de la
8e Air Force de détruire tout appareil ennemi en l’air homme politique,
comme au sol. L’homologation de ces destructions
« terrestres » est une bonne façon d’encourager industriel et écrivain
les pilotes à affronter la redoutable Flak allemande.
Beaucoup d’aviateurs britanniques, particulièrement Revenu en France, le lieutenant Clostermann est
au sein du 122e Wing, vont ainsi ajouter des avi- déçu par la société qu’il y retrouve. Hébergé par Le Lt Pierre Clostermann en
ons détruits ou endommagés au sol à leur palmarès son oncle à Corbeil car ses parents sont encore en officier de la Légion d’Hon-
officiel. La seconde DFC (DFC and bar) attribuée en Afrique australe, il s’octroie trois semaines de pêche neur, un portrait envoyé à ses
mai 1945 au S/Ldr Robert Cole, commandant du No à la truite en remontant la Seine afin de s’habituer parents pour la Noël 1945.
3 Sqn, mentionne ses « six victoires » mais ce pilote en douceur au rythme de la vie civile… Robert Aubry
a en fait obtenu la moitié de ce score au sol ! Le l’emmène passer le réveillon de Noël 1945 chez
F/Lt Harold Longley, lui aussi du No 3 Sqn, rece- des amis dans la Marne. C’est là qu’il rencontre
vra la DFC en juillet 1945 pour « six victoires » qui Jacqueline Renaudat, âgée tout juste de quinze
se répartissent en 3 avions abattus en combat aé- ans. C’est le coup de foudre ! Les deux jeunes gens
rien et 3 appareils détruits en l’air ou sur l’eau. Le se marieront le 24 juin 1947. Le couple aura trois
W/Cdr Evan Mackie, dernier commandant opération- enfants, Jacques, Jean-Pierre et Michel. Mais avant
nel de l’escadre, choisira de ne pas représenter les cela son vieil ami Paul Vachet, l’ancien pilote de l’Aé-
cinq appareils ennemis qu’il a détruits au sol dans ropostale, lui offre l’aventure : trois mois de pêche
les derniers jours de la guerre ; mais il fera quand au gros dans l’Amazone, le début d’une passion qui
même décorer son Tempest avec 25 swastikas cor- ne fera que se renforcer au fil des ans puisqu’il de-
respondant aux 23 victoires aériennes sûres et 2 viendra délégué de la fédération mondiale de pêche
probables qu’il a accumulées depuis 1942, jugeant en mer (IGFA) en 1966. Sur ordre du général de
comme « Cloclo » qu’une victoire « probable » est Gaulle, « Cloclo » est rapatrié en France début 1946
avant tout une victoire « vraisemblable »… afin se porter candidat aux élections législatives en
Alsace. J’avais bien d’autres projets, mais comment
Si l’on prend en compte l’ensemble des victoires qu’il dire non au Général ? écrira-t-il…
a remportées en l’air et au sol, Pierre Clostermann
(23 avions détruits et 9 probablement détruits) est Les aviateurs Français Libres que Charles de Gaulle
en tête du palmarès des pilotes de chasse français pourrait proposer en exemple à la Nation sont hélas
de la Seconde Guerre mondiale devant Marcel Albert de moins en moins nombreux : le Wing Commander
(23 + 3), Jean Demozay (21 + 3), Pierre Le Gloan Max Guedj, un pilote de Mosquito titulaire du pres-
(18 + 2), Louis Delfino (16 + 5), Jacques André (16 tigieux Distinguished Service Order, a été tué au
+ 4), Edmond Marin la Meslée (16 + 4), Roland de combat le 15 janvier 1945 ; le lieutenant-colonel
la Poype (16 + 2) et Roger Sauvage (16 + 1). Si l’on Jean Demozay a disparu sur accident le 19 décembre
ne considère que les victoires aériennes, « Cloclo » 1945 ; le commandant Marcel Albert, Héros de
figure en neuvième position du palmarès derrière l’Union Soviétique, n’a quant à lui pas les faveurs du
les pilotes déjà cités – le score de Demozay n’étant pouvoir car il a combattu aux côtés des communistes

Sur le parking de Reims


Aviation à Prunay en 1972,
Pierre Clostermann pose avec
le bimoteur « Push-Pull »
Cessna FP 337H Pressurized
Skymaster G-BAGP.
46
ment porté à l’écran dès l’année suivante et adapté
à plusieurs reprises en bande dessinée, les derniers
albums sortis étant l’œuvre du dessinateur Manuel
Perales. Ingénieur à Paris au sein de la société de
son oncle de 1946 à 1949, il est aussi secrétaire gé-
néral de la société d’entreprises de travaux publics
Renaudat entre 1947 et 1956. Parti s’installer en
1950 avec sa famille près de Casablanca, au Maroc,
il y fait construire avec l’aide de son beau-père une
usine de charpentes métalliques qui exporte vers le
reste du continent africain. Mais ce « gaulliste libé-
ral » devient la cible d’un groupement précurseur
de l’OAS, « Présence Française », qui tente à plu-
sieurs reprises de l’éliminer physiquement ainsi que
sa femme. Pierre doit céder aux objurgations de ses
parents et de sa belle-famille. Il vend tous ses biens
sur place et rentre en France en 1954.

En avril 1956, le député Clostermann est volon-


taire pour servir en Algérie comme commandant de
réserve. Affecté à l’escadrille de liaison et d’observa-
Devant le Hawker Tempest (il démissionnera d’ailleurs bientôt de l’Armée de tion (ELO) 4/45 à Oran, il assure jusqu’en 1957 un
Mk V NV778 du RAF l’Air). Ayant accepté cette mission d’un genre nou- total de 116 missions d’observation et de guidage
Museum de Hendon, décoré
veau pour lui, Pierre Clostermann est promu ca- de l’aviation de chasse en 348 heures de vol aux
avec des autocollants blancs
par le cinéaste Daniel Costelle
pitaine puis est élevé par le général au grade de commandes d’un MH 1521 Broussard, appareil parti-
pour représenter son fameux Commandeur dans l’Ordre de la Légion d’Honneur, culièrement robuste qui lui sert à développer le rôle
« JF-E » NV994 au No 3 par décret du 6 juin 1946. Pour faire de lui le « pre- de « PC volant ». Sa participation à la guerre d’Algé-
Sqn. L’appareil avait en fait mier chasseur de France », la citation qui accom- rie lui vaut d’être promu lieutenant-colonel et Grand
été modifié en remorqueur pagne sa décoration indique qu’il était commandant Officier de la Légion d’Honneur. Il est embauché
de cible Tempest TT.5 après de groupe sur Tempest et porte son palmarès à « 33 comme directeur commercial par la Société Nouvelle
la guerre. Il a été repeint en victoires aériennes dont 14 en coopération  »… Ou des Avions Max Holste qui s’associe en février 1960
1991 dans ses marques des
quand la politique se mêle de réécrire l’histoire ! L’as au premier constructeur d’avions légers au monde,
années cinquante : métal
naturel pour les surfaces
sera successivement élu député du Bas-Rhin (1946), la Cessna Aircraft Company, pour la fabrication
supérieures et jaune zébré de de la Marne (1951), de la Seine (1956), de la Seine- d’avions légers à Reims et leur commercialisation en
noir pour les surfaces infé- et-Oise (1962) et enfin des Yvelines en 1967. C’est France et en Europe. Deux ans plus tard, quand la
rieures. ainsi que, élu, je suis tombé les pieds en avant dans firme change sa raison sociale pour celle de Reims
vingt-cinq années de députation qui ont duré jusqu’à Aviation, Pierre est directeur adjoint ; il en devient
la mort du Général. Après lui, la politique ne présen- le PDG en 1970, tout en assurant aussi les fonctions
tait plus aucun intérêt pour moi et je démissionnai en de vice-président de Cessna… À son départ à la re-
cours de mandat ! traite en 1982, plus de 6000 avions seront sortis des
chaînes de l’usine de Reims-Prunay, qui produit aussi
Toujours encouragé par de Gaulle, Pierre entame en sous-traitance des éléments destinés aux Avions
simultanément une carrière d’auteur à succès en Marcel Dassault.
publiant sous une forme romancée ses souvenirs
de guerre, « Le Grand Cirque », en 1948. L’ouvrage Mais là ne s’arrêtent pas les activités de l’as, dont
sera traduit en une quarantaine de langues et vendu la verve et le talent de conteur ont trouvé tout au
à plus de trois millions d’exemplaires ! Il sera égale- long de sa vie leur aboutissement dans l’écriture. Ont

Dès sa première édition, en 1948,


le roman « Le Grand Cirque » va
être un immense succès.
(photo Christophe Cony)

La grande « mafia » des pilotes


de chasse à nouveau réunie !
Pierre Clostermann, Saburo
Sakaï, Francis Gabreski,
Günther Rall et Witold
Urbanowicz photographiés
en 1983 à Maxwell AFB
(Montgomery, Alabama), l’école
d’état-major de l’US Air Force.
Comme d’habitude, « Cloclo »
épate la galerie…
47
ainsi vu le jour divers romans et livres de souvenirs : Pour les lecteurs qui voudraient en savoir davantage sur la
« Feux du Ciel » en 1951, « Une chasse dans le ciel » carrière civile de Pierre Clostermann, un seul conseil : lire le
en 1954, «  Appui-feu sur l’Oued Hallaïl  » en 1958, n° 151 d’AVIONS !
« Une sacrée guerre ! » en 1990, « L’histoire vécue –
Je tiens à remercier tout particulièrement pour leur aide
un demi-siècle de secrets d’états » en 1998 et enfin généreuse mes amis Chris Thomas (spécialiste de la 2nd
en 2005 « Une vie pas comme les autres », qui fait TAF, du 122e Wing et du Hawker Tempest) et Bertrand
suite à une réédition revue et augmentée de son plus Hugot (spécialiste des FAFL et du No 341 Sqn « Alsace »),
célèbre ouvrage, « Le Grand Cirque 2000 ». Tout cela sans qui cet article n’aurait pu être si complet et surtout…
sans oublier la traduction française du célébrissime sans qui beaucoup de mystères n’auraient pu être résolus !
« Jonathan le Goéland » ! Il n’a jamais trouvé le temps Merci également à Jean-Claude Mermet et à Matti Salonen
d’écrire un livre sur une autre de ses passions : l’his- pour leur documentation et à Matthieu Comas pour avoir
accepté de recopier intégralement le second logbook de
toire des Indiens d’Amérique… Pierre Clostermann,
« Cloclo ». Je précise à ce sujet que ce carnet est consul-
« Cloclo » pour ses amis et ses innombrables admi- table sur RDV au Musée de l’Ordre de la Libération (Paris)
rateurs, est décédé le 22 mars 2006 à Montesquieu- mais que, selon la convention passée avec la famille de
des-Albères dans les Pyrénées-Orientales. Pierre Clostermann, il est interdit de le photographier sous
peine de poursuites. D’où le travail de Romain de Matt dont
FIN il s’est acquitté parfaitement !

Palmarès du F/Lt Pierre Clostermann


(entre parenthèses : victoires au sol)

N° Date Heure Type Lieu Avion piloté/Remarques


end 17/05/1943 10h35/10h50 Bf 109 G-6 3 km E Caen Spitfire IXA NL- ?
01 27/07/1943 18h40/18h45 Fw 190 Triqueville Spitfire IXB EN630 NL-B
02 27/07/1943 18h40/18h45 Fw 190 S Caen Spitfire IXB EN630 NL-B
03 27/08/1943 18h45/19h10 Fw 190 Saint-Pol-sur-Mer/Mardyck Spitfire IXB EN630 NL-B
end 25/09/1943 05h12/05h25 Bf 109 G-6 6 km E Hazebrouck Spitfire IXB NL- ?
end 16/10/1943 ? Bf 109 Blankenberge/Ostende Spitfire IXB MH512 LO-Q [A]
end 07/01/1944 13h50 Fw 190 15 km E Abbeville Spitfire LF IX MH504 LO-K
04 15/06/1944 11h40 Bf 109 1,5 km S ter. de Saint-André-de-l’Eure Spitfire LF IX MK611 LO-A
pb 26/06/1944 11h25 Bf 109 G E canal de l’Orne Spitfire LF IX MH526 LO- ?
05 26/06/1944 11h30 Fw 190 S terrain de Carpiquet Spitfire LF IX MH526 LO- ?
pb 28/06/1944 18h50-19h50 Fw 190 Argentan/Bernay Spitfire LF IX MJ586 LO-D
06 29/06/1944 19h40 Fw 190 N Rouen Spitfire LF IX MJ586 LO-D
pb 30/06/1944 15h15 Bf 109 Vire/Briouze Spitfire LF IX MJ586 LO-D
pb 02/07/1944 16h03/16h10 Fw 190 S Cabourg Spitfire LF IX MJ305 LO-K [B]
07 02/07/1944 16h03/16h10 Fw 190 8 km S Cabourg Spitfire LF IX MJ305 LO-K
08 02/07/1944 16h03/16h10 Fw 190 8 km S Cabourg Spitfire LF IX MJ305 LO-K [C]
end 02/07/1944 16h03/16h10 Fw 190 S Cabourg Spitfire LF IX MJ305 LO-K
end 02/07/1944 16h03/16h10 Fw 190 S Cabourg Spitfire LF IX MJ305 LO-K
09 05/03/1945 17h20 Bf 109 vers Hengelo Tempest V EJ893 JJ-W
10 14/3/1945 16h50/18h15 Bf 109 vers Hoya Tempest V NV660 JJ-R [D]
end 14/3/1945 16h50/18h15 Bf 109 vers Hoya Tempest V NV660 JJ-R
11 14/3/1945 16h50/18h15 Bf 109 vers Hoya Tempest V NV660 JJ-R
(01) 28/03/1945 13h45 Fi 156 13 km SO Münster (au sol) Tempest V NV970 US-O
12 02/04/1945 19h10 Fw 190 D terrain d’Ahlhorn Tempest V NV968 US-G
(end) 02/04/1945 19h10 Ju 188 terrain d’Ahlhorn (au sol) Tempest V NV968 US-G
(end) 02/04/1945 19h10 Ju 188 terrain d’Ahlhorn (au sol) Tempest V NV968 US-G
(pb) 05/04/1945 Aube Ju 88 G terrain de Wunstorf (au sol) Tempest V EJ536 US-W
(end) 05/04/1945 Aube Ju 88 G terrain de Wunstorf (au sol) Tempest V EJ536 US-W
(end) 05/04/1945 Aube Ju 88 G terrain de Wunstorf (au sol) Tempest V EJ536 US-W
(end) 05/04/1945 Aube Ju 88 G terrain de Wunstorf (au sol) Tempest V EJ536 US-W
end 05/04/1945 12h15 Fw 190 D Hamelin Tempest V EJ536 US-W
end 05/04/1945 12h15 Fw 190 D Hamelin Tempest V EJ536 US-W
(pb) 19/04/1945 18h00-19h20 He 177 terrain de Rotenburg (au sol) Tempest V NV994 JF-E [E]
(pb) 19/04/1945 18h00-19h20 He 177 terrain de Rotenburg (au sol) Tempest V NV994 JF-E [E]
(02) 19/04/1945 18h00-19h20 He 177 terrain de Rotenburg (au sol) Tempest V NV994 JF-E [E]
(03) 19/04/1945 18h00-19h20 He 177 terrain de Rotenburg (au sol) Tempest V NV994 JF-E [E]
13 20/04/1945 20h30 Fw 190 D 16 km SO Hambourg Tempest V NV994 JF-E
14 20/04/1945 20h35 Fw 190 D N Brême Tempest V NV994 JF-E
(pb) 03/05/1945 06h30 Fw 190 8 km E Oldenburg (au sol) Tempest V SN222 (JF-S ?) [F]
(pb) 03/05/1945 06h30 Fw 190 8 km E Oldenburg (au sol) Tempest V SN222 (JF-S ?) [F]
(04) 03/05/1945 06h30 Fw 190 8 km E Oldenburg (au sol) Tempest V SN222 (JF-S ?)
(end) 03/05/1945 16h30 BV 138 hydrobase de Grossenbrode (au sol) Tempest V SN222 (JF-S ?)
(end) 03/05/1945 16h30 BV 138 hydrobase de Grossenbrode (au sol) Tempest V SN222 (JF-S ?)
(05) 03/05/1945 16h30 Do 24 hydrobase de Grossenbrode (au sol) Tempest V SN222 (JF-S ?) [G]
(06) 03/05/1945 16h30 Do 24 hydrobase de Grossenbrode (au sol) Tempest V SN222 (JF-S ?)
(end) 03/05/1945 16h30 Ar 232 hydrobase de Grossenbrode (au sol) Tempest V SN222 (JF-S ?)
(end) 03/05/1945 16h30 Ar 232 hydrobase de Grossenbrode (au sol) Tempest V SN222 (JF-S ?)
(07) 03/05/1945 16h30 Ju 352 hydrobase de Grossenbrode (au sol) Tempest V SN222 (JF-S ?)
(08) 04/05/1945 15h30 Do 18 hydrobase de Schleswig (au sol) Tempest V SN222 (JF-S ?)
(09) 04/05/1945 15h30 Do 18 hydrobase de Schleswig (au sol) Tempest V SN222 (JF-S ?)
[A] Non homologué. [B] Appareil revendiqué « endommagé », requalifié « probablement détruit » le 20 août 1944. [C] Appareil revendiqué « endom-
magé », requalifié « détruit » le 20 août 1944. [D] Appareil revendiqué « probablement détruit », requalifié « détruit » le 24 mai 1945. [E] En coopération
avec F/Lt J. Bone et F/O J.I. Adams. [F] Appareils revendiqués « endommagés » au sol, requalifiés « probablement détruits » en juin 1945. [G] Appareil
revendiqué « endommagé » au sol, requalifié « détruit » en juin 1945.
Soit au total : 14 victoires confirmées, 4 victoires probables et 8 avions endommagés en l’air (+ 1 avion endommagé non homologué) ainsi que 9 appa-
reils détruits, 5 appareils probablement détruits et 9 appareils endommagés au sol.
48

FIAT CR 42 « Falco »

La légende italienne
Troisième partie, par Luigino Caliaro (traduction de Christophe Cony et profils de Thierry Dekker)

Le Ten. Giulio Cesare Giun- Dans la bataille d’Angleterre ! la Luftwaffe sur la Manche. Le 10 septembre 1940
tella fait chauffer le moteur fut donc formé le CAI (Corpo Aereo Italiano) sous
de son FIAT CR 42 « 85-7 » Quelques mois après la fin de la campagne de le commandement du Generale Rino Corso Fou-
(MM56xx) à Ursel en no-
France, Mussolini, pensant que la Grande-Bretagne gier. Celui-ci venait tout juste d’achever une mission
vembre 1940.
(toutes les photos : coll. Giorgio était désormais « dans les cordes », estima que d’étude sur ce front, au terme de laquelle il avait
Apostolo, sauf autre mention) pour des raisons de prestige il était nécessaire que proposé que l’on envoie seulement du personnel
l’Italie apporte sa contribution au combat que l’Alle- italien car les Allemands disposaient de matériels
magne livrait alors au-dessus de l’Angleterre. Malgré mieux adaptés à ce théâtre d’opérations.
[1] Chef d’état-major. l’avis contraire du Capo di Stato Maggiore [1] de la
Regia Aeronautica, le Generale Pricolo, il décida de Mais sa suggestion ne fut pas retenue et le 27
déployer un corps aérien pour opérer aux côtés de septembre furent dévoilées les unités composant

Les CR 42 du 18° Gruppo


prêts à quitter l’aéroport de
Turin-Mirafiori pour gagner
la Belgique, le 6 octobre 1940.
49

Le Magg. Ferruccio Vosilla,


commandant du 18° Gruppo,
lors du vol de transfert vers
le front de la Manche. Son
MM4462 porte un fanion de
commandant de groupe sous
l’habitacle ainsi qu’une large
bande blanche non réglemen-
taire sur le fuselage.
(coll. Jean-Louis Roba)

le contingent : le 56° Stormo CT (caccia terrestre), chines des commandants d’escadrille étant pour leur
créé en regroupant le 18° Gruppo de l’ex 3° Stormo part pourvues d’un poste émetteur-récepteur.
avec cinquante biplans CR 42 Falco et le 20° Gruppo
du 51° Stormo, équipé de monoplans FIAT G 50bis Les appareils du contingent italien entamèrent leur [2] Devant être démonté à
Freccia. La force de bombardement se composait transfert dès le 27 septembre mais en raison des leur arrivée.
des bimoteurs FIAT BR 20M Cicogna des 13° et 43° conditions météorologiques les trois escadrilles du
Stormo BT (Bombardamento Terrestre) ainsi que 18° Gruppo (83a, 85a et 95a Sq.) ne purent partir que
des trimoteurs CANT Z 1007bis Alcione de la 172a le 6 octobre, suivies par une partie du personnel au
Squadriglia RST (Ricognizione Strategica Terrestre). sol dans les trois Ca 133 assignés au groupe tandis
Les liaisons et le support logistique étaient réservés que le restant voyageait en train. La première partie
à quelques Caproni Ca 164 et Ca 133, l’effectif total du trajet amena les biplans à Munich, où de nouveau Ci-dessous à gauche :
du CAI se montant à plus de 4500 hommes. Pour le le mauvais temps les bloqua jusqu’au 17. Après une le FIAT « 95-4 » peu après
son arrivée sur le sol belge.
vol de transfert d’Italie vers la Manche, tous les CR escale à Bruxelles le 18 octobre, les FIAT arrivèrent
(coll. Jean-Louis Roba)
42 reçurent un réservoir supplémentaire [2] placé le lendemain à leur destination : Ursel, en Belgique.
derrière le siège du pilote et l’une des deux mitrail- Lors de l’ultime partie du voyage, un officier de la Le CR 42 « 85-12 » du Serg.
leuses de 12,7 mm fut remplacée par une arme de Luftwaffe était présent pour guider les pilotes ita- Cavallar a terminé sur le nez
7,7 mm pour gagner du poids. Quelques appareils liens qui furent extrêmement surpris à leur arrivée son vol de reconnaissance du
furent équipés d’un récepteur radio IMCA, les ma- de constater que le terrain avait été parfaitement secteur en octobre 1940 !
50

Briefing avant une mission


pour les pilotes du 18° Gruppo
à Ursel fin octobre 1940. On
constate que les capots-mo-
teurs des CR 42 ont été peints
en jaune pour se conformer
aux marques de reconnais-
sance de la Luftwaffe sur ce
front. Troisième en partant
de la gauche au premier rang
(de face et sans gilet de sau-
vetage), le Cap. Gino Lodi,
commandant de la 95a Sq. Le
quatrième, de profil, est le
Cap. Edoardo Molinari com-
mandant de la 83a sq.

camouflé par les Allemands, avec des abris dissimu- seurs eux-mêmes, mais aussi avec les bombardiers
lés au milieu des sapins et des hangars déguisés en qu’ils allaient devoir escorter et les appareils de la
bâtiments de ferme. Luftwaffe. Par contre, les pilotes allemands se mon-
trèrent fort coopératifs en fournissant à leurs collè-
Après quelques vols de reconnaissance du secteur, gues transalpins des cartes aériennes détaillées et
il devint vite évident que le Falco était totalement des informations précieuses sur les tactiques em-
inadapté à ce théâtre d’opérations. L’habitacle ou- ployées par la RAF, tout en distribuant généreuse-
vert créait de nombreux problèmes dont le pire était ment aux équipages des gilets de sauvetage et des
le froid glacial en cette saison ; les instruments dis- effets de vol adaptés – ce qui montrait aussi à quel
ponibles étaient insuffisants pour naviguer au-des- point l’organisation italienne était rudimentaire. Sur
sus de la Manche en hiver ; le pire étant le manque leur suggestion, les CR 42 reçurent également une
de postes radio émetteurs-récepteurs, qui handica- plaque de blindage de 25 kg derrière le siège pour
pait considérablement la coordination entre les chas- protéger le pilote.

Les CR 42 de la 83a Sq. font


chauffer leurs moteurs avant
une escorte de bombardiers.
L’état du terrain, encore
correct, semble indiquer qu’il
s’agit de la mission du 29
octobre.
51

Le Falco « 85-12 » (MM5699)


du Serg. Cavallar va
s’élancer.

Un des abris « avions » bien


camouflés d’Ursel.

Après quelques missions de patrouille le long de


la côte belge, la première sortie de guerre des CR
42 sur l’Angleterre fut programmée pour la nuit du
27 octobre. Partis au crépuscule et dans des condi-
tions météorologiques loin d’être idéales, les trente-
huit biplans FIAT des trois Squadriglie ne parvinrent
jamais à prendre contact avec les BR 20 qu’ils de-
vaient escorter ; ceux-ci continuèrent donc seuls
vers leur objectif, Ramsgate, qu’ils ne trouvèrent pas
et rentrèrent à Ursel. Un CR 42 fut endommagé à
l’atterrissage en raison du mauvais état de la piste.
Le 29 octobre, trente-neuf Falco du 18° Gruppo es-
cortèrent, en collaboration avec les G 50bis du 20°
Gruppo, quinze BR 20M du 43° Stormo effectuant
un raid sur le port de Ramsgate. La mission fut cette
fois un plein succès, les chasseurs italiens rejoignant
les bombardiers au-dessus de Bruges et protégeant
ceux-ci tout au long de l’attaque ; la seule opposition
rencontrée fut celle de la DCA.

Le 1er novembre, trente-six CR 42 du 18° Gruppo


accomplirent une mission de chasse libre le long de
la côte anglaise, mitraillant divers objectifs d’oppor-
tunité à Ramsgate, Canterbury et Douvres avant de
revenir se poser à la nuit tombante. Puis les condi-
tions météorologiques suspendirent toute activité
jusqu’au 8 novembre, date à laquelle le groupe ef-
fectua une mission de patrouille côtière entre Os-
tende et Hook van Holland (à l’ouest de Rotterdam).
Certains pilotes de la 85a Squadriglia aperçurent
bien un bimoteur de reconnaissance britannique,
mais ils furent incapables de le rattraper… Le lende-
main, vingt-neuf CR 42 décollèrent pour une mission
d’escorte mais après une heure de vol, alors qu’ils
étaient au milieu de la Manche, ils reçurent l’ordre
de rentrer à Ursel car les bombardiers venaient
d’abandonner en raison du mauvais temps. Le 10,
quelques sections de quatre biplans patrouillèrent
encore le long de la côte belge tandis que deux Falco
décollaient pour intercepter un appareil inconnu qui
se révéla finalement être allemand.

Autre vue d’un abri d’Ursel, avec à l’arrière-plan un hangar de réparation maquillé en ferme.
52

FIAT CR 42 Falco MM6976 « 85-16 » du Serg. Magg. Antonio Lazzari


de la 85a Squadriglia du 18° Gruppo, Ursel novembre 1940.
Appareil contraint à un atterrissage forcé le 11 de ce mois,
suite à un problème de pas d’hélice, près de la gare
de Corton dans le Suffolk.

Aidés par le personnel de


piste, des mécaniciens du 18°
Gruppo mettent en place un
CR 42 de la 85a Sq.

« opération Cinzano », le véritable objectif, devaient être attaquées par dix


FIAT BR 20M du 99° Gruppo escortés par quarante-
le désastre du 11 novembre deux FIAT CR 42. Mais la mission débuta sous de
mauvais auspices, les quarante-six FIAT G 50bis éga-
La première rencontre avec la chasse anglaise eut lement prévus ratant leur rendez-vous avec les bom-
lieu le 11 novembre 1940, lors d’une vaste mission bardiers en raison d’une épaisse couche nuageuse.
Le M.llo Giuseppe Ruzzin au combinée de chasse et de bombardement Lorsque les bimoteurs se présentèrent avec
départ à bord de son FIAT
baptisée par les Italiens « opération Cinza- un quart d’heure de retard, les Freccia et les
« 85-9 ». Il sera un des rares
pilotes à se voir homologuer
no ». Selon le plan, les Cant Z 1007bis de Bf 109 allemands à court de carburant avaient
un Hurricane le 11 novembre la 172a Squadriglia accompagnés d’appareils déjà dû prendre le chemin du retour, laissant
1940, remportant ainsi sa 5e allemands devaient effectuer une opération donc seuls les CR 42 pour assurer l’escorte…
victoire individuelle (dont 4 de diversion sur l’estuaire de la Tamise tandis Les choses finirent de se gâter lorsqu’une
en Espagne), plus 6 partagées. que les installations portuaires de Harwich, trentaine de Hawker Hurricane interceptèrent
la formation au-dessus de Harwich.

À l’issue d’un engagement confus mais féroce, les


pilotes de chasse italiens revendiquèrent la destruc-
tion de neuf chasseurs britanniques, plus quatre
« probables », les mitrailleurs des BR 20M réclamant
un Hurricane supplémentaire ; en réalité, seuls deux
Hurricane furent endommagés ! Par contre, trois CR
42 et trois BR 20M avaient bel et bien été abattus…
Même si les revendications des pilotes britanniques
étaient presqu’aussi fantaisistes que celles des Ita-
liens puisque les No 46, 249 et 257 Sqn (plus le
No 41 sur Spitfire) furent crédités de neuf BR 20
détruits ainsi que de cinq CR 42 détruits, quatre pro-
bablement détruits et trois endommagés. En ce qui
concerne les Falco, le MM6978 du Sergente Enzo Pa-
nicchi (83a Sq.) disparut corps et bien, probablement
abattu en mer, deux autres CR 42 devant effectuer
des atterrissages forcés sur le sol britannique en rai-
son de problèmes techniques. Pas d’hélice déréglé,
le MM6976 « 85-16 » du Sergente Maggiore Antonio
53

Le CR 42 « 95-15 » du Cap.
Gino Lodi, commandant de la
95a Sq., s’apprête à décoller
avec au second plan l’appareil
du Magg. Vosilla, « patron »
du 18° Gruppo.

Filmée par une caméra allemande, cette séquence dramatique montre le retour mouvementé
du FIAT CR 42 « 95-10 » qui s’écrase à Maldeghem le 11 novembre 1940.
(coll. Jean-Louis Roba)
54
FIAT CR 42 Falco MM5701 « 95-13 » du Serg. Pietro Salvadori de la 95a Squadriglia du 18° Gruppo, Ursel novembre 1940.
Appareil contraint à un atterrissage forcé le 11 de ce mois, suite à un problème moteur, sur une plage proche du phare
d’Orfordness dans le Suffolk. Cet avion est aujourd’hui exposé au musée de Hendon.

Lazzari cassa son train en se posant au Deuxième round


nord de Lowestoft tandis que MM5701
« 95-13 » du Sergente Pietro Salvadori
sur Folkestone
atterrissait intact sur une plage d’Orford-
ness, vaincu non par la RAF mais par une sur- La seconde et dernière confrontation avec la
chauffe moteur due à la rupture d’une canalisation chasse adverse se déroula le 23 novembre, lorsque
d’huile en cours de mission… Le pire était encore à douze Spitfire interceptèrent vingt-neuf CR 42 du
venir puisque le mauvais temps combiné au manque 18° Gruppo effectuant une sortie de chasse libre
de carburant obligea pas moins de dix-neuf biplans entre Margate et Folkstone de concert avec vingt-
à se poser en catastrophe à peine la côte belge at- quatre G 50bis du 20° Gruppo et des Bf 109 E de
teinte ! Au moins dix d’entre eux, trop endommagés, la Luftwaffe. Les chasseurs italiens opéraient entre
durent être réformés. 6000 et 7000 m, les Allemands se chargeant de la
couverture haute. Arrivés au-dessus de Dungeness
Ci-dessous Le 18 novembre 1940, les CR 42 du Tenente Spec- après avoir poursuivi en vain des Hurricane, les
et page suivante en haut : ker et du Maresciallo Giuseppe Ruzzin furent détachés FIAT G 50bis à court de carburant durent rentrer
eux vues du FIAT CR 42 à leur terrain de Maldegen tandis qu’un affronte-
avec des G 50bis sur l’aérodrome de Vlissingen (Fles-
« 85-13 » du Serg. Magg.
singue), sur l’île de Walcheren aux Pays-Bas. Leur rôle ment débutait plus au Sud-Est, vers Folkestone.
Felice Squassoni photographié
lors d’une patrouille au-dessus devait être celui d’intercepteurs et de chasseurs noc- Les Spitfire du No 603 Sqn, parvenus à gagner de
de la Belgique. turnes. Le détachement effectua quelques patrouilles l’altitude sans se faire remarquer, avaient plongé
(coll. Giorgio Apostolo et départs sur alerte, ainsi qu’une unique mission de sur les Falco qui ne se laissèrent pas intimider et
et coll. Jean-Louis Roba) chasse de nuit, avant de rentrer en Belgique. acceptèrent le combat. Les pilotes italiens, cette
55
fois libres de toute protection rapprochée contrai-
rement au 11 novembre, purent exploiter à fond
la maniabilité de leurs petits biplans. Ils se mon-
trèrent de sérieux adversaires, revendiquant cinq
victoires sûres à l’issue d’une bataille de quelques
minutes seulement. Les pilotes du 603e réclamèrent
en ce qui les concerne la destruction de huit CR 42,
plus deux endommagés. Seuls deux Falco avaient
en réalité été abattus : le MM5694 du Tenente Gui-
do Mazza de la 83a Sq. et le MM5665 du Sergente
Maggiore Giacomo Grillo de la 95a Sq. ; mais trois
autres pilotes de la 83a Squadriglia durent faire un
atterrissage forcé au retour en Belgique. L’avantage
demeurait du côté britannique, ceux-ci ne déplo-
rant qu’un Spitfire Mk II endommagé [3].

Durant la quinzaine suivante, le mauvais temps


empêcha de lancer toute autre mission d’envergure
à part quelques patrouilles le long de la côte belge
et des départs sur alerte sans résultat. La seule
exception eut lieu le 28 novembre, quand vingt-
trois FIAT G 50bis du 20° Gruppo, accompagnés
par une petite formation de Bf 109 E et suivis par
vingt-quatre CR 42 du 18° Gruppo, accomplirent
une patrouille offensive sur Ashford, Maidstone et
Dungeness sans rencontrer d’opposition aérienne.
Le terrain d’Ursel fut attaqué pour la première fois
dans la nuit du 19 au 20 décembre par un Blen-
heim solitaire. Le lendemain 21, le 18° Gruppo
reçut l’ordre de rentrer au pays avec ses CR 42 afin
de rejoindre une nouvelle affectation en Afrique du
Nord. Le même jour, douze Falco effectuèrent leurs
dernières patrouilles entre Ostende et Bruges. Les
préparatifs du vol de retour ayant été achevés, les
FIAT CR 42 restants du 18° Gruppo décollèrent du
terrain enneigé d’Ursel le 10 janvier 1941 ; après
une escale à Francfort, ils arrivèrent en Italie le len-
demain.
Le MM6975 « 83-15 » dont les pantalons de train ont été démontés s’est posé en catastrophe
À suivre… sur une plage belge le 23 novembre 1940. Son pilote le M.llo Felice Sozzi (de la 83a Sq. comme
l’indique la première partie du code) est parvenu à le ramener à bon port bien qu’ayant reçu
[3] Le P7389 du P/O Archie Winskill. trois balles dans la poitrine ; il sera décoré sur le champ de la Medaglia d’argento al valor
militare. (coll. Jean-Louis Roba)

Des mécaniciens aident le


CR 42 MM5692 de la 83a Sq.
à s’extraire de la boue du
terrain d’Ursel. Il va bientôt
être temps de rentrer au pays
après une piteuse presta-
tion dans les brumes de la
Manche…
(via Luigino Caliaro)
56

LES LIAISONS
D ’ É TAT- M A JOR
Par Matthieu Comas (profils de Yann Le Gall)

L’histoire du Maillet 201, développée par Phi-


lippe Ricco dans AVIONS n° 222, 223 et 226,
nous permet de lever un coin de voile sur les
unités volantes rattachées aux grands états-
majors.

C’est totalement par hasard À la mobilisation apparaissent, comme prévu par les deux sections vont être équipées de six Maillet et
que nous avons pu trouver les plans, une centaine de sections d’avions esta- six Simoun. La requête est acceptée et les livraisons
ces magnifiques esquisses
fette au sein de l’Armée de l’air [1]. Plusieurs sont débutent depuis Orly et l’EAA 301, mais pas avant
représentant le Maillet 201
n° 12 et un Caudron C.635 directement rattachées aux grands états-majors et novembre 1939. C’est au sein de ces deux unités
Simoun dans leur environne- disposent d’effectifs spécifiques. Deux d’entre elles que les Maillet vont principalement servir [2]. Voici
ment d’opération au groupe nous intéressent particulièrement : la section 1/104, leur histoire, reconstituée avec les quelques pièces
aérien du GQG. Leur auteur rattachée au GQG (Grand quartier général) Air du historiques que nous avons pu rassembler.
est Charles Kiffer (1902-1892), commandant Pélissier, et la section 2/104, rattachée
affichiste de renom travaillant au GQG Terre du capitaine Gaible.
dans les années 30 pour Mau-
rice Chevalier mais aussi pour
Ces deux unités touchent à la mobilisation dix
Georges Guétary, Charles
Trénet, Édith Piaf, etc. Selon Caudron Simoun, mais ceux-ci ne s’avèrent pas
sa biographie, il a été mobilisé totalement adaptés à la tâche demandée. En consé-
dans un service ayant pour quence, le 9 septembre 1939, le général Vuillemin
mission de repeindre et demande au ministre de l’Air la mise à sa disposition
camoufler les avions à Rouen. des douze Maillet 201 jusque-là réceptionnés par le
A l’aune de ces croquis, il est Centre de réception des avions de série (puis des
plus probable que cela a été au dix-huit à venir) afin d’en équiper les sections GQG
Bourget ou à Orly ou ces des-
pour remplacer les avions Simoun actuellement en
sins ont sans doute été réalisés.
(coll. M. Comas) service, dont la visibilité, nulle vers l’arrière est par-
ticulièrement dangereuse pour les vols à proximité
des lignes. Cette demande engage une modification
des tableaux d’effectifs de guerre et officiellement,

Insigne de l’État-Major de l’Armée de l’air. (DR)

[1] Ce sujet sera prochainement traité dans son ensemble et en détail dans AVIONS.
[2] Contrairement à ce qui a pu être régulièrement écrit jusqu’à aujourd’hui, aucun Maillet
201 ne sert donc au sein des écoles en 1940.
57

Les liaisons du GQG Air : de Dès le 22 décembre 1939, dans le cadre de la ratio-
nalisation des éléments de liaison [3], il est envi-
la section 1/104 au groupe sagé la constitution d’un « Groupe aérien du grand
aérien du GQG Air quartier général aérien  » dont la création est offi-
ciellement entérinée le 1er février 1940. Son rôle est
À la déclaration de guerre, la section 1/104 – dé- double : mettre en œuvre les moyens nécessaires
diée au GQG Air stationné à Saint-Jean-les-Deux- aux liaisons du GQGA, mais aussi assurer l’entraî-
Jumeaux – s’installe sur le terrain de Coulommiers nement aérien du personnel naviguant affecté ou
avec très vraisemblablement sa dotation initiale de détaché au GQGA. Le groupe est en conséquence
dix Caudron Simoun et de dix pilotes dont le com- organisé en quatre sections. La dissolution des sec-
mandant Jean Pélissier et le lieutenant Antoine tions 4/109 et 7/127 [4] va permettre la constitution
Cuny. Dès le 1er septembre 1939, ses appareils sont des trois premières. La quatrième section est, quant
envoyés pour camouflage à Dugny avant que les à elle, directement issue de la 1/104 dont elle garde
opérations actives ne débutent. Comme on vient les prérogatives et l’effectif plus étoffé. Il en résulte Le Cdt Jean Pélissier, patron de
de le voir, elle subit une première réorganisation fin l’organisation théorique suivante (voir carte) : la section 1/104 puis second du
septembre avec une nouvelle dotation de six Simoun Cdt Peillard au groupe aérien du
et six Maillet 201. Ces derniers n’arrivent pas avant Commandant : Cdt Peillard [5] GQG Air comme patron de la 4e
section. Il a intégré l’aviation en
novembre 1939 et seuls trois numéros sont connus :
1918 après avoir été grièvement
31 (accidenté le 31 décembre 1939) et peut-être les 1re section blessé dans l’infanterie en 1915.
28 et 29 (détruit le 3 décembre 1939 à Vaire par Avions destinés aux liaisons et à l’entraînement du Réserviste au 34e RAO, il prend
le sergent Coulot). L’un des Maillet est par ailleurs général commandant en chef des Forces aériennes, le commandement de la 1/104 à
reversé au lieutenant-colonel René Fonck, l’as des des officiers de son cabinet et des officiers généraux la mobilisation. Il aura un rôle
as alliés durant la Grande Guerre (75 victoires confir- de l’EMG et du bureau du personnel. Un officier na- important dans la Résistance
mées), avant d’être remplacé. On sait malheureuse- viguant : lieutenant Cuny ; deux pilotes. Dotation : comme chef des FFI de Seine-
ment peu de chose de cette période, si ce n’est que trois C.635 Simoun, un MS 230, un Maillet. Station- et-Oise avant de s’opposer à
Rol-Tanguy qui le relèvera de
la 1/104 est épaulé par la section estafette 7/109 nement : Coulommiers.
son commandement. Lt-Col au
qui aurait dû recevoir elle aussi des Maillet, ce qui ne Ministère de l’Air après-guerre,
semble pas avoir été le cas. Jean Pélissier est décédé en 1985.
(coll. SHD-Air)
Le Maillet 201 « 12 » affecté à la 1/104 dont on aperçoit un bout de l’inscription sur la dérive,
puis au GQG Air. On peut remarquer son camouflage zébré, typique de la majorité des Maillet.
L’homme à l’emplanture de l’aile pourrait être le Sgt Fourquez.
(coll. P. Ricco)

[3] Entre décembre 1939 et


février 1940, la quasi-totalité
des sections d’avions esta-
fettes crées à la mobilisation
sont dissoutes. Elles sont
remplacées par des sections
d’avions de liaison à effec-
tif plus réduits, directement
intégrées aux unités (FACA,
Secteurs de l’air, etc.).
[4] La section 4/109 a été
formée à Tours sous la direc-
tion du Lt Lecomte. La 7/127
a elle été formée à Avord,
selon toute vraisemblance
aux ordres du Cne Bras.
[5] Charles Peillard, ancien
de la Spa 154 et titulaire de
deux victoires sur des ballons
en 1918.
58
1-Le Lt Antoine Cuny, venant
1 2 3 4 5
de la 1/104, prend le com-
mandement de la 1re section
du groupe en février 1940. En
plein repli, il fera un aller-
retour à Alger entre le 16 et le
20 juin (retour à Agen) à bord
du C.445 n° 158.
(coll. DGAC)
2-À 25 ans, le S/C Jean Bras-
sard est l’un des plus jeunes
2e section Caudron C.445 Goéland, onze Caudron C.635 Simoun,
de la troupe de pilotes consti-
tuant le groupe du GQGA. Avions destinés aux liaisons et à l’entraînement des deux Potez 540, dix Maillet 201, deux (puis trois) Mo-
Cela ne l’empêchera pas de généraux inspecteurs et de leurs adjoints (créée à par- rane-Saulnier MS 406, trois Potez 58 (non prévus au
voler beaucoup et sur tous les tir de la section d’avion estafette 4/109, en intégrant TEG) et quatre Morane-Saulnier MS 230.
types d’appareils... C’est lui des appareils déjà en dotation pour les inspections).
qui repliera le Maillet 201 n° Un officier naviguant  : lieutenant Jechoux  ; deux pi- Dans l’ensemble, le commandant Peillard se heurte
19 à Agen. lotes. Dotation : un Potez 540, un Goéland, quatre principalement à des problèmes logistiques et d’orga-
(coll. DGAC) Simoun, trois MS 406, un Maillet. Cette section est nisation puisqu’il manque de place... À Coulommiers,
3-A l’instar du S/C Brassard,
censée prendre place à Lognes, mais est déplacée où stationnent la direction et les 1re et 3e sections du
le Sgt Henri Beer volera énor-
mément à la fin de la cam- théoriquement le 20 avril 1940 à Meaux-Esbly. En réa- groupe, les deux hangars disponibles sont partagés
pagne, aussi bien sur NAA-57 lité ses appareils vont se répartir entre le Bourget et avec la section de liaison des forces de coopération
que sur Maillet 201. Il fera Coulommiers. du Nord-Est [7] qui dispose de sept appareils dont un
son dernier vol répertorié le Goéland. Peillard ne peut donc mettre la totalité de ses
21 juin vers Agen à bord du 3e section avions à l’abri [8] … Il demande donc à que ce que les
NAA-57 n° 156. Avions d’entraînement des officiers de l’EMG & du bu- tous les appareils de la section voisine, à l’exception
(coll. DGAC) reau du personnel. Un officier naviguant  : capitaine du C.445, soit envoyés à Pierre-Levée et abrités par la
4 et 5-Deux des pilotes de la
Bras ; deux pilotes. Dotation : deux Goéland, cinq section du GQG Terre 2/104 (voir plus loin). Cela sera
4e section du groupe aérien
du GQGA : le S/C Edmond Simoun, cinq Maillet, cinq MS 230. Stationnement : effectivement le cas, l’ordre du général Têtu tombant
Jouzier et le Sgt Frédéric Coulommiers. le 11 avril 1940, mais il ne concernera que trois appa-
Fourquez. reils en attendant la fin de construction de hangars à
(coll. DGAC) 4e section Pierre-Levée.
Directement issue de la 1/104 et gardant les pré-
rogatives de liaison du GQGA ainsi que son effectif, Pour sa part la 2e section doit théoriquement station-
qui pourrait être de quatre Maillet et dix Simoun. C’est ner à Lognes avant d’être déplacée à Meaux-Esbly le
bien elle qui assure la majorité des missions opération- 20 avril, mais aucun des deux terrains n’est en mesure
nelles de l’unité. Officiers pilotes : commandant Pélis- d’accueillir ses avions ! Résultat, les appareils sont
sier et lieutenant Lecomte [6] ; pilotes : sergents-chef répartis entre le Bourget (deux Potez 540, un C.445
[6] Le Lt Augustin Lecomte, Jouzier, Brassard, Charpentier et sergents Fourquez et et un Potez 25) et Coulommiers. Cette dispersion n’est
provenant de la 4/109, est Beer. Stationnement : Pierre-Levée, à proximité de la pas sans créer quelques crispations. Ainsi le général
un ancien pilote de chasse de
Ferté-sous-Jouarre. Aubé, inspecteur général de la défense aérienne, se
1918.
plaint de ne pas pouvoir utiliser le Potez 540 n° 180
[7] Ex section d’avions-esta-
fettes 3/109 de la 1re Armée
Si l’unité est officiellement constituée en février 1940, dont il dispose et réclame la mise à disposition d’un
(Lt Thibaut). Voir plus loin la elle ne prend concrètement forme qu’au début du mois pilote dédié. On notera enfin, qu’en plus d’assurer sa
partie la concernant directe- de mars 1940, après quelques chassés croisés pour propre subsistance, la 2e section a la charge technique
ment. récupérer des avions. En complément des appareils des appareils de l’inspection générale des forces aé-
[8] Le terrain de Coulom- venant de la 1/104 et sur lesquels il est difficile d’avoir riennes d’Outre-mer stationnés à Meaux-Esbly ! Quant
miers est par ailleurs occupé une vision claire, plusieurs affectations sont effectuées. à ses Morane 406, ils sont pour des questions pra-
à cette date par le GC III/7. Au total, nous avons pu répertorier (voir tableau) trois tiques stationnés à Pierre-Levée.
59

De passage à l’escale de Dax


le 29 mars 1940, voici le Potez
540 n° 180 (matricule C-351)
de l’Inspection Générale de
la Défense Aérienne avec à
son bord le général Aubé. Cet
appareil dépend du GQG Air.
(photo René Leguie,
coll. B. Hugot)

Le C.445 n° 34 (T-898), ici


accidenté en juillet 1939, va
rentrer après réparations
dans l’effectif du GQG Air.
Son dernier vol sera effectué
le 25 mai vers Coulommiers.
(coll. M. Comas)

La mécanique est un autre casse-tête, les appareils


étant nombreux en quantité comme en types, qui plus
est dispersés comme on vient de le voir. Or le groupe
ne dispose que de 14 mécaniciens brevetés au lieu
de 42 ! Le 12 mars, le commandant Peillard demande
donc au général Vuillemin la création d’une section
spécialisée du parc capable d’entretenir ses sept types
d’appareils. Faute de moyens, Vuillemin refuse le 25
mars, arguant qu’une telle priorité ne peut être don-
née à une unité non combattante au vu des déficits.

Malgré ces différents écueils, le groupe aérien vole


et fait beaucoup voler. En mars 1940, 318 heures de
vol sont effectuées et 454 heures en mai ! Malgré ce
rythme, seuls deux incidents sont à déplorer. Le pre-
mier le 7 avril, avec l’accident du Maillet 201 n° 12 lors
d’un vol du sergent Brassard et du colonel Heurtaux à
Étampes. Quelques jours plus tard, le 24 avril, le capi-
taine Roux accidente le Maillet n° 32 au retour d’un
vol à Saint-Simon. L’appareil est enlevé quelques jours
plus tard par la section 6/104 de Dugny-Le Bourget ;
il disparaîtra ensuite dans la tourmente.

Très rare photo du Caudron C.635 n° 306, un des appareils


de la dotation initiale de la section 1/104. Dès la mobilisa-
tion, les Simoun sont envoyés au Bourget pour recevoir
leur peinture de guerre, un simple camouflage par-dessus
la peinture aluminium d’usine. Ils reçoivent aussi un code
tactique (ici « 8 ») et l’intitulé de leur unité sur la dérive. Ce
Simoun intégrera par la suite le groupe aérien du GQG Air.
Son dernier vol a lieu le 14 juin vers Briare aux mains du
S/C Grandjean. Il sera ensuite récupéré par une autre unité
puisqu’on le retrouve à Perpignan à l’Armistice.
(coll. C.-J. Ehrengardt)
60
n° 180 du général Aubé, piloté par l’adjudant-chef
Cordier, se replie sur Tours. Il transporte son illustre
Extrait du carnet de vol du passager pour quelques vols de liaison et nous per-
Cne Lacroix, alors affecté dons ensuite sa trace… Le n° 204 (pilote lieutenant
au GQG. Ce carnet montre Papin) suit à peu près le même parcours avant de
parfaitement le double rôle devoir être abandonné sur panne le 30 mai à Bricy.
du groupe aérien qui se par-
tage entre l’entraînement
À Avord les vols continuent, se concentrant naturel-
des navigants affectés en
état-major (vol avec le Cdt
lement en de multiples allers-retours à Pierre-Levée
de la Horie sur le Maillet n° et Coulommiers, mais aussi vers Briare – Bonny-sur-
22) et liaisons (vol avec le Loire où le point Y prend ses quartiers. Le 22 mai,
Sgt Lacker de l’unité à bord la 4e section prend la direction de Briare afin de se
du Maillet n° 13 le 22 mars). retrouver au plus près du nouveau commandement.
On notera que le carnet de Le groupe aérien du GQG Air se retrouve donc phy-
vol n’est pas signé du groupe siquement séparé en deux. La 4e section envoyée
mais bien de l’État-Major.
à Briare comprend le commandant Pélissier (C.635
(coll. B. Hugot)
n° 510), le lieutenant Lecomte (Potez 58 n° 11), le
sergent-chef Jouzier (C.635 n° 145), le sergent-chef
Brassard (C. 635 n° 306 dès le 21 mai), le sergent-
La déflagration du 10 mai 1940 est naturellement chef Charpentier (Maillet n° 21), le sergent Fourquez
ressentie directement par le groupe, les vols d’en- (C.635 n° 288) et le sergent Beer (Potez 58 n° 11).
[9] Le point Z cesse défini-
tivement de fonctionner le traînement disparaissant quasi définitivement au Le commandant Peillard les accompagne à bord du
9 juin, le point Y prenant la profit du travail de liaison. Après une semaine de MS 230 n° 522. D’autres appareils seront ensuite
direction des opérations à combat, le 17 mai, il est décidé de replier l’unité de envoyés en renfort, en provenance d’Avord.
cette date. Coulommiers vers Avord tout en laissant cependant
[10] Ces NAA-57 sont parmi une section sur place. Dans le même temps le GQGA Durant la période de stationnement à Briare de
les tout derniers de la série. prépare son déplacement à Bonny-sur-Loire qui va nombreuses liaisons ont lieu, y compris vers l’an-
devenir le point Y. En réalité les premiers appareils cien point Z. Le GQG en profite aussi pour refaire
quittent Coulommiers dès le 16 au soir, faisant escale quelques vols d’entraînement. Le 26 mai, le sergent
à Châteauroux tandis que le gros des troupes suit le Fourquez (Maillet n° 27) et le sergent-chef Char-
18 à force de multiples allers-retours. Au total, près pentier (C.635 n° 306) sont envoyés à Étampes en
d’une trentaine d’appareils sont repliés vers Avord ! liaison auprès du groupement de bombardement
(au minimum sept Maillet 201, douze C.635, deux 18. Apparemment « réquisitionnés » par les bom-
C.445, deux Potez 58 et six MS 230). Quelques-uns bardiers ils ne seront de retour que le 3 juin pour
restent néanmoins sur place afin d’assurer les der- Fourquez et le 4 pour Charpentier, le tout après une
nières liaisons avec le Point Z qui continue malgré réclamation en bonne et due forme par le GQG !
tout à fonctionner [9].
C’est aussi à cette période, que, suite aux premières
De leurs côté, les Potez 540 de la 2e section déta- missions de temps de guerre, il est de nouveau fait
chés au Bourget se débrouillent individuellement. Le état des risques supportés par les équipages sur des

Le Caudron C.635 n° 510 du groupe aérien du GQGA, dont il porte la diagonale rouge sur la
dérive. Récupéré par le groupe début mai, ce Simoun porte le camouflage des usines Caudron.
Il a été abandonné en bon état et dans des circonstances inconnues à Bordeaux fin juin 1940.
L’occupant est déjà à l’œuvre pour le mettre à ses couleurs…
(coll. AOMC)
61

Le Maillet « 18 » abandonné dans les hangars de la base


aérienne d’Avord. On peut remarquer la cocarde de grande
taille et le style plus épais du 18 de fuselage par rapport aux 11
et 17 visibles pages suivantes. Nous avons mis en corrélation le
numéro de fuselage et le numéro de série sous toute réserve, le
n° 18 étant bien replié puis laissé à Avord par le Sgt Brassard.
(coll. P. Taghon)

Simoun et des Maillet qui manquent cruellement Derniers jours à Agen


de visibilité vers l’arrière. Le général Bergeret de-
mande donc la transformation du groupe sur North- À partir du 18 juin 1940, une partie de l’effectif
American. Au 6 juin, cinq NAA-57 ont été touchés rejoint Agen où va s’installer le GQG le 23. Si une
(n° 135, 155, 156, 157, 159 [10]) à Briare et vont partie des appareils est laissé à Clermont, le groupe
servir jusqu’à la fin de la campagne. Ils ne seront dispose encore de quatre C.445 (dont les n° 163,
par contre pas complétés… On notera enfin que les 243 et 244), cinq C.635 (n° 67, 440, 485, 509 et
tout derniers vols vers Pierre-Levée ont lieu les 9 510), quatre NAA-57 (n° 155, 156, 157, 159) et un
et 10 juin, avec le repli des derniers appareils vers Maillet 201 (n° 19). En complément sont touchés
Briare : NAA-57 n° 156 ; C.635 n° 311, 306, 309, neuf Hanriot 182 provenant pour la plupart de l’EAP
143 ; C.445 n° 163 ; MS 230 n° 866. 16 d’Agen (n° 6, 7, 13, 17, 19, 206, 226, 267, 292) Le C.635 Simoun n° 509 à
qui vont assurer avec les NAA la majorité des der- sa sortie des usines Caudron
À Avord, une partie des appareils sont desserrés à nières liaisons avant l’armistice. d’Issy-les-Moulineaux. Il
est affecté début mai 1940
partir de la fin mai sur les petits terrains annexes du
au groupe aérien du GQGA
Colombier et d’Aubilly ; ils continuent à assurer des et sera replié à Aulnat par
liaisons et des vols d’entraînement malgré des condi- le Cdt Peillard. Le 17 juin,
tions que l’on imagine difficiles. Après une quinzaine c’est le général Vuillemin en
de jours répartis entre Briare et Avord, le groupe personne qui en prend les
doit de nouveau suivre le repli du GQG Air qui va commandes pour rejoindre
passer par Riom et Vichy avant de se rendre définiti- Bordeaux. Il s’en servira une
vement à Agen. Dans un premier temps, l’ensemble nouvelle fois le 21 juin, tou-
jours pour faire un aller-
du groupe aérien se réunit à Avord à partir du 14
retour à Bordeaux depuis
juin avant de se diriger vers Clermont-Aulnat près Agen. (coll. M. Comas)
de Riom. Le premier jour huit appareils peuvent
être rapatriés de Briare et les pilotes repartent le
soir même à bord du Goéland n° 158 pour conti-
nuer le repli le lendemain et jusqu’au 16. Au total, là
encore, c’est au moins une trentaine d’appareil qui
est rapatrié à Clermont à force d’aller-retour entre
les terrains ! Pour l’anecdote, le 15 juin – en plein
repli – le sergent-chef Brassard jouera les taxis aux
commandes du C.635 n° 193 pour la patrouille DAT
polonaise de Clermont, en emmenant le lieutenant
Grzecsak et le sous-lieutenant Czaplinski à Nevers y
chercher des pièces détachés et de l’armement pour
leurs chasseurs Koolhoven FK-58…

Un Maillet 201 non identifié replié en zone Sud, très probable-


ment à Agen. Le cliché étant malheureusement très sombre, il
est apparaît impossible de l’identifier avec plus de précision…
Il apporte néanmoins un détail intéressant : l’application (tout
juste visible) du matricule militaire à l’intrados.
(coll. B. Hugot)
62

Le Curtis H-75A-3 n° 302 est


récupéré dans des conditions
relativement obscures par le
groupe aérien du GQGA en
juin 1940, sans doute à Avord
ou à Bourges. Le Cdt Peillard
vole à son bord le 14 juin puis
on perd sa trace jusqu’à son
repli à Agen.
(coll. M. Comas)

Le MS 406 n° 227 du géné-


ral d’Harcourt, inspecteur
de la chasse, qui le repliera
lui-même vers Aulnat le 15
juin 1940. La cigogne de la
Spa 103 fait naturellement
référence au commandement Les chasseurs du groupe GQGA mois de juin. L’immobilisation de ces trois chasseurs,
de d’Harcourt en 14-18. Pour dont le rôle aurait pu être tenu par des appareils de
l’anecdote, le général Ber- Comme on l’a vu plus haut, la 2e section du groupe liaison classique, est surprenante. À l’évidence, leur
geret du GQG signalera fin a la particularité de disposer de trois monoplaces présence s’explique surtout pour des « convenance
avril 1940 « des excès en ce Morane-Saulnier MS 406 détachés à Pierre-Levée, personnelles », des chasseurs se devant d’aller ins-
qui concerne les affectations tous en place à la mi-mars à disposition de l’Inspec- pecter en avion de chasse [11]...
d’avions personnels à certains tion de la Chasse. Le n° 227 est réservé au général
Chefs (…) ces excès vont d’Harcourt tandis que les MS 406 n° 602 et 717 se On perd la trace du n° 717 après un dernier vol à
faire l’objet de mesures res-
trictives. » … Naturellement
partagent entre ses adjoints le lieutenant-colonel Pierre-Levée le 12 juin avec le capitaine Reyné, mais
pas appliquées aux donneurs Heurtaux, le capitaine Reyné et le lieutenant Koe- on retrouve les n° 602 et 227 à Avord le 15 juin,
d’ordres eux-mêmes. Nous chlin-Schwartz. À Pierre-Levée, les chasseurs effec- date à laquelle ils sont convoyé par d’Harcourt et
sommes en France ! tuent quelques liaisons avec leurs pilotes mais ils Reyné vers Aulnat. Entretemps, le Curtiss H-75A-3
(coll. SHD-Air) servent principalement à l’entraînement jusqu’au n° 302 est récupéré le 13 juin (vraisemblablement
à Avord ou Bourges) et essayé le lendemain par le
commandant Peillard. On perd par la suite sa trace
mais l’appareil est présent à Agen à l’Armistice, sans
doute replié par un membre du GQG.

Sur ses quelques mois d’existence, il apparait que


l’unité du commandant Peillard a rempli son rôle du
mieux qu’elle le pouvait tout en ne subissant aucune
perte. D’abord morcelée puis repliée dans des condi-
tions complexes, ayant beaucoup plus d’appareils
que de pilotes, elle semble avoir réussi à maintenir
cohésion et efficacité. Le plus surprenant reste le
nombre d’heures effectuées durant cette période  :
454 en avril, 469 en mai et plus de 620 en juin !

[11] Rappelons pour mémoire qu’à cette époque le géné-


ral d’Harcourt a 55 ans mais surtout que l’état-major vide
les CIC de leurs MS 406 pour tenter de combler les trous
en première ligne. Ces cas ne sont malheureusement pas
uniques.
63

Voici sans doute le Maillet


201 le plus connu, car il a
été photographié à plusieurs
reprises. Le 11 du fuselage
est trompeur car il s’agit
en réalité du Maillet n° 19 !
Appartenant au groupe aérien
du GQGA, cet avion est replié
à Agen le 23 juin par le Sgt
Brassard après avoir fait une
bonne partie de la campagne.
On peut noter plusieurs points
intéressants. Il porte tout
d’abord une diagonale rouge
sur la dérive, marque de
certains appareils du groupe
aérien du GQGA. Si le nez et
l’avant du fuselage portent le
camouflage zébré typique des
Maillet, toute la partie arrière
a été retouchée et une cocarde
de plus grande taille que celle
appliquée en usine a été appo-
sée. L’Adj Marcel Guillemyn
qui pose à ses côtés n’appar-
tient pas à l’unité.
(coll. P. Ricco et L. Gruz)
64

Ces quelques gros plans du


Maillet n° 19 codé 11 nous
permettent d’appréhender
le système d’ouverture de la
verrière, qui coulisse le long
du fuselage.
(coll. P. Ricco et L. Gruz)

Voici un dernier Maillet 201 totalement inédit du groupe aérien du GQGA : le n° 24 codé 17. Stationné à Pierre-Levée, il vole très régulièrement avec le
groupe avant de rejoindre Briare. Le 14 juin, il est replié vers Aulnat par le Cne Étienne de l’État-Major, en passant par Bourges et Châteauroux. Il dispa-
raît ensuite de l’unité, stocké à Clermont. Pris en plein soleil, ce qui a tendance à « brûler » les contrastes, ce cliché permet cependant d’apprécier dans son
ensemble la ligne de l’appareil. Il révèle quelques détails précieux, dont les inscriptions de gouvernail (avec le numéro de série peint au pochoir) et la bande
rouge diagonale tout juste visible sur la dérive. Comme pour le Maillet n° 19 codé 11, on constate qu’il n’y a aucune corrélation entre le numéro tactique de
fuselage et le numéro de l’appareil. (coll. Debever)
65

À Agen, le groupe aérien du


GQG Air « emprunte » à
plusieurs reprises des Hanriot
182 à l’EAP 16 de la ville. Le
n° 267 « 14 » que l’on voit ici
effectue ainsi un vol le 21 juin.
(coll. SHD-Air)

La section 2/104, La réorganisation des avions estafettes mise en


place en décembre n’impacte pas la section. A mini-
les liaisons du GQG Terre ma, son numéro aurait dû disparaître afin qu’elle de-
vienne la Section d’avions de liaison du GQG Terre.
À l’entrée en guerre, la section 2/104 est comme Le fait qu’elle travaille avec une unité de l’armée de
la 1/104 mobilisée sur la base du Bourget. Opéra- Terre, à laquelle elle ne peut donc pas être adminis- Le Cne Edmond Gaible, qui
tionnelle dès le 1er septembre, elle dispose de neufs trativement rattachée explique très certainement cet dirigera la 2/104 de septembre
navigants : capitaine Gaible, lieutenant Droulez, état de fait unique. Quoiqu’il en soit, les opérations 1939 à juin 1940.
adjudants Deniau, Baraban, Enjalbal et Fourcam- continuent entre service postal et taxi pour officiers. (coll. DGAC)
pé, sergents Lespagnol, Fourquet et Schiffmacher.
Conformément à sa dotation théorique, elle dis-
pose de onze Caudron Simoun : n° 102, 120, 213,
289, 290, 304, 305, 308, 309, 178, 179 auxquels
s’ajoutent les Caudron Luciole F-ANTH et F-APBI
qui ne resteront pas dans l’effectif. Rapidement, les
hommes et avions s’installent à Pierre-Levée où ils
se mettent au service du GQG Terre basé à la Ferté-
sous-Jouarre. Les missions qui se succèdent se résu-
ment principalement à du transport d’officiers et de
courrier dans le nord et dans l’est de la France. Les
vols sont nombreux et quotidiens pour les pilotes
qui accumulent déjà 339 heures à la fin du mois de
septembre et autant en octobre.

Suite à la demande du général Vuillemin qui sou-


haite une réorganisation à six Simoun et six Mail-
let, le premier de ces appareils (n° 20) est convoyé
depuis Orly le 27 novembre par l’adjudant-chef De-
niau. Il est suivi par les n° 28 (le 1er décembre, sans
doute convoyé par un pilote de l’EAA 301), 23 (3
décembre par le capitaine Gaible), 15 (5 décembre
par le sergent Schiffmacher), 30 (7 décembre par le
lieutenant Droulez) et 26 (2 janvier 1940 par le capi-
taine Gaible). Le n° 28 quitte rapidement l’effectif,
peut-être pour la 1/104. On le retrouve accidenté
mi-mars 1940 à Soissons-Saconnin où il est trans-
porté au parc 3/112 par la compagnie de dépan-
nage 9/106. En contrepartie seuls quittent l’unité les
Simoun n° 102, 120 et 304.
Deux pilotes de la 2/104, dont à gauche l’A/C Enjalbal,
posent avec un de leur « client » de l’Armée de terre devant
l’un des C.635 de la section.
(famille Enjalbal)
66
[12] Le RJSA donne un vol Le 4 mars 1940, le Maillet 201 n° 15 est accidenté doute abandonné à Pierre-Levée [12]. Le 22 mai,
sans retour à Berck, mais le par le capitaine Dedieu-Anglade (hors unité) qui em- le sergent-chef Schiffmacher et le sergent Goidin
témoignage d’un des méca- portait comme passager le capitaine Dor du centre décollent à bord du Maillet n° 20. Ils ne rentreront
nos ainsi que la citation de
d’essais de Cazaux. Il semble que tout le monde soit pas et, jusqu’à aujourd’hui, les circonstances de
Lespagnol indiquent que
l’appareil est bien revenu à
indemne mais le Maillet disparaît par la suite on peut leur disparition restent inconnues. Sans doute ont-
Pierre-Levée.
donc penser qu’il a été détruit. Le 13 avril, l’unité ils été abattus par la Flak, Schiffmacher étant fait
[13] Le Cne Jobert, de l’ar- perd le Simoun n° 309 qui est envoyé en révision au prisonnier. Le lendemain, le sergent Lespagnol part
mée de Terre, ne sera pas parc 12/118. À la mi-mai, le Maillet n° 23 est reversé en liaison avec le capitaine Jobert [13] à bord du
identifié immédiatement car à Orly pour équipement de la section de liaison du Maillet n° 30. Là encore ils ne rentreront pas, victime
il portait une veste de vol groupement 23. Il sera accidenté à Orly le 26 mai des armes allemandes à proximité de Boulogne. Les
emprunté à un autre pilote de par le sergent Charollais avant d’avoir pu rentrer en deux hommes sont tués.
l’unité… et contenant des ef- service… Au même moment, trois pilotes arrivent
fets personnels qui n’étaient
en renfort, le sergent-chef Laffineur et les sergents Quelques mois plus tard, l’un des mécanos de l’unité
pas les siens.
Liagre et Le Bellec. écrira à la mère du sergent Roland Lespagnol [14] :
[14] Document famille Les-
Le 22 mai au soir Roland était prévenu d’une mis-
pagnol.
Avec le déclenchement des hostilités, les missions sion pour le lendemain et je devais l’accompagner,
vont se multiplier tout comme les risques puisque étant son mécanicien. Le 23 mai vers 16 heures, il
même s’ils volent à basse altitude (très rarement au- est parti sans moi emmenant le capitaine Jobert,
dessus de 200 mètres), les petits monomoteurs de officier d’état-Major du GQG. (…) La mission devait
liaison sont bien vulnérables s’ils sont repérés par la les mener à Lille où la situation était grave, nul ne
chasse ennemie ou la Flak…. Et l’unité va payer le l’ignorait. (…) Je ne puis préciser s’il avait ordre de
prix fort. Le 21 mai, le sergent Lespagnol se rend à passer par la côte, quant au capitaine Jobert il n’ap-
Berck à bord du Maillet n° 26, sans doute en mis- partenait pas à l’aviation mais à l’armée de Terre. Je
sion de courrier. Il subit son baptême du feu et est vous apporte un fait qui à mon sens a la plus grande
touché à plusieurs reprises aux plans et aux empen- importance. 15 minutes après le décollage de Ro-
nages. Son appareil ne revolera d’ailleurs pas, sans land et alors qu’il était encore visible à l’horizon, un

Sans marques ni numéro, ce Maillet 201 laissé aux mains


de l’occupant appartient certainement à la section 2/104
puisqu’il ne porte aucun des attributs distinctifs du groupe
aérien du GQG Air. Il peut s’agir d’un des appareils aban-
donnés à Pierre-Levée ou peut être du n° 20 à bord duquel le
S/C Schiffmacher est fait prisonnier le 22 mai 1940. Le mys-
tère restera entier jusqu’à ce qu’une photo puisse nous faire
découvrir son numéro de dérive ou son matricule d’intrados.
On peut remarquer le camouflage en serpentins de l’extra-
dos mais aussi l’impression d’extrême fragilité qui ressort
de la partie visible du fuselage, celui-ci ne protégeant en rien
les pilotes pourtant obligés d’évoluer au ras du sol pour se
protéger de la chasse adverse tout en se mettant à la merci
des armes de petit calibre présentes au sol...
(coll. Debever et P. Ricco)
67
ordre téléphoné émanant selon toute probabilité du L’A/C Jean Baraban, qui effectuera de nombreux vols sur
QG annulait la mission arguant des difficultés de la Simoun fin juin 1940 entre Bordeaux et Agen. Le 24, il
semble que son appareil (C.635 n° 139) rencontre quelques
mener à bien, le péril devenant certain.
problèmes puisqu’il effectue un essai moteur depuis Méri-
Je ne puis me faire juge mais à mon humble avis, gnac. Il est impossible de dire si Baraban a pu rejoindre ses
Roland aurait pu être rejoint car son appareil n’était camarades avant l’entrée en vigueur de l’Armistice. Pour
pas ultra rapide. Il y avait des avions susceptibles de l’anecdote, Jean Baraban était le beau-frère d’un autre
le rattraper ¼ d’heure après son départ puisque son pilote de l’unité, René Enjalbal.
itinéraire était connu. Il faisait beau, un avion pouvait (coll. DGAC)
le rejoindre et lui signifier de faire demi-tour ou au
besoin (il devait passer à la verticale de Chantilly)
alerter un avion de ce terrain pour arrêter sa course. L’unité prend alors en charge la section des forces
Nous sommes restés tous ahuris que de tels ordres de coopération Nord-Est et participe naturellement
n’aient pas été donnés par le commandement res- au repli de ses appareils, en particulier de ses Maillet
ponsable. n° 11 et 29. Le repli s’effectue ensuite vers Vichy,
Je ne puis hélas me faire pleinement juge et je le Clermont, Agen puis Toulouse. Les liaisons conti-
regrette car le lendemain un appareil du même type nuent par ailleurs, en particulier vers Bordeaux. À
est parti vers Lille piloté par le sergent-chef Schiff- l’armistice la section 2/104 est néanmoins dispersée
macher avec le sergent Goidin [en fait la entre Agen, Montauban et Toulouse où elle semble
veille, NdA] mécanicien originaire de devoir finalement se replier, même si seuls trois
Lille. Eux non plus nous ne devions plus appareils y sont finalement arrivés (C.635 n° 178,
les revoir. 449 et 308 avec respectivement Droulez, Le Bellec et
Un détail que vous ignorez peut-être Laffineur). L’adjudant-chef Baraban s’est apparem-
encore. Roland, la veille ou l’avant-veille ment retrouvé coincé à Bordeaux après une panne
Le Sgt Le Bellec. Arrivé en
de cette mission qui devait nous pri- du C.635 n° 213. Il fait un renfort à la 2/104 courant mai
ver de lui était rentré seul de mission essai moteur le 24 juin avec le 1940, il volera énormément
sur Maillet avec des traces d’obus ou n° 139 de la section Nord-Est, sur Maillet 201 pour en
plutôt de mitrailleuses tirées du sol mais sans décoller et doit donc assurer les replis.
dans le Nord. Balles l’ayant atteint rejoindre par la route. (coll. DGAC)
ou plutôt son avion aux plans droit
et aux empennages. Rolland, si gai,
si « gosse » comme nous l’aimions
avait fêté son baptême du feu et je
le vois encore photographier ces
traces.

In fine, des Maillet 201 de la dota-


tion initiale il n’en reste plus aucun
au début du mois de juin 1940.
Quant à l’effectif global, il est encore
réduit le 31 mai lorsque le C.635 n°
290 est accidenté à l’atterrissage après
un faux départ par le lieutenant Bugué… En
compensation la section reçoit en renfort le Simoun
n° 449 mais cela reste insuffisant pour les besoins
réels de l’unité. En conséquence le 11 juin, l’État-
Major demande l’affection de trois nouveaux pilotes
de Simoun et un renforcement en avion (C.635 et
NAA). Mais avec l’approche des troupes allemande,
il est bien tard et le repli débute à partir du 9 juin
vers Briare ou le GQG va s’installer. Sont convoyés
les Simoun n° 213 (lieutenant Droulez), 178 (ad-
judant Baraban), 289 (adjudant Enjalbal), 308
(sergent Liagre) et 449 (capitaine Gaible).

Exceptionnelle photo du Sgt Lespagnol qui sera tué à bord


du Maillet n° 30 le 23 mai en compagnie du Cne Jobert
dans le secteur de Boulogne. La famille du pilote pourra
récupérer quelques restes de son appareil, dont la manette
des gaz que l’on peut voir ici… Il semble que Rolland Les-
pagnol porte sur la poitrine l’insigne de l’EMAA. Le 30 mai
1941, il sera cité au JO : « sergent pilote plein d’allant et de
sang-froid, toujours volontaire pour les missions délicates.
A effectué de nombreuses liaisons aériennes au profit du
commandement. Notamment le 20 mai 1940 [le 21 en réalité,
NdA], où il a pu atterrir à proximité d’un PC d’armée à demi
encerclé et mener à bien sa mission en ramenant un avion fort
endommagé par les tirs de DCA adverses. A trouvé une mort
glorieuse, le 23 mai 1940 en essayant d’atteindre malgré le feu
ennemi la région encerclée où il devait conduire un officier de
liaison du GQG ».
(famille Lespagnol)
68
au parc 12/118. Le 18 mars, le général Têtu de-
mande le renfort de sa section de liaison. Sa requête
est acceptée et sont mis à disposition le Maillet
n° 11 à Villacoublay ainsi que le Simoun n° 139.
À une date indéterminée le C.445 n° 67 est aussi
intégré à l’effectif.

Comme on l’a vu plus haut, son stationnement


à Coulommiers n’est pas sans poser problème au
groupe aérien du GQGA qui manque de place. Il est
donc décidé qu’à partir du 16 avril 1940, la section
soit placée sous l’autorité de la 2/104 et stationnée
à Pierre-Levée. Seul le Caudron Goéland reste à
Coulommiers avec l’adjudant-chef Jacquemin. Dans
un premier temps, un seul Simoun et deux Maillet
prennent position à Pierre-Levée avant d’être rapi-
dement rejoint par le reste des appareils.

À partir de cette période, la section fait cause


commune avec la 2/104 (voir chapitre précédent)
Malgré sa piètre qualité, Section de liaison qui participe notamment au repli de plusieurs de
ce cliché est extrêmement ses appareils. À ce titre, il semble que le Maillet
intéressant. Si l’on ne peut du commandement des n° 11 subisse entre le 15 et le 25 juin un accident à
identifier ce Maillet formelle- forces aériennes de Vichy où il sera abandonné brisé. De ses appareils
ment, il est probable que nous
coopération du Nord-Est ont retrouvera le Maillet n° 29 à Vichy (replié par la
sommes en face du n° 26 sur
lequel le Sgt Lespagnol de la
2/104) ; quant au n° 25 on perd sa trace sans doute
2/104 a reçu son baptême du Cette section est malheureusement celle sur la- laissé sur la route de la retraite. Il en va de même
feu le 21 mai 1940 lors d’une quelle nous avons le moins d’éléments. Voici néan- du C.635 n° 331. Le Simoun n° 139 est abandonné
mission à Berck. Touché à moins ce que l’on peut en dire. À la mobilisation, la de son côté à Bordeaux, le dernier vol répertorié du
plusieurs reprises aux plans
section 3/109 du lieutenant Thibault est constituée n° 214 étant celui de son repli vers Clermont-Aulnat
et aux empennages, il a réussi par la 2/104.
à rentrer à Pierre-Levée. Son à Tours avant de rejoindre le terrain de Coulommiers
appareil n’a pas revolé, sans où elle est au service de la 1re Armée Aérienne. Au
doute abandonné sur place 1er décembre 1939, elle dispose de cinq pilotes (dont Autres unités
comme semble l’indiquer les le commandant) et de neuf avions. Au moment de la
impacts à l’arrière du fuse- restructuration des sections estafettes, elle devient Les trois formations que nous venons de découvrir
lage. On remarque aussi la la section de liaison du commandant des forces aé- sont évidemment celles ayant utilisé en nombre les
cocarde de petite taille, qu’on riennes de coopération Nord-Est du général Têtu. Ce petits Maillet 201. On a aussi trace des Maillet n° 10
ne retrouve pas sur les avions
dernier est basé à la Ferté-sous-Jouarre où il travaille et 23 (ce dernier venant de la 2/104) à la section
du GQG Air.
(coll. Debever) avec le général Georges. de liaisons du groupement de chasse 23. Tous deux
seront accidentés et nous n’en savons guère plus.
De l’effectif global, nous ne connaissons que l’adju- De même, l’affectation opérationnelle des Maillet
dant-chef Jacquemin et le commandant de l’unité. n° 4 à 9 n’est pas connue à ce jour. Seul certitude, ils
Début 1940, cette section dispose semble-t-il des ne sont pas en zone libre à l’armistice !
Simoun n° 214 et 331, des Maillet n° 25 et 29 et des
Luciole F-ANTH et F-AMSI qui sont alors en révision FIN

Article réalisé avec l’apport


indispensable et précieux de
Bertrand Hugot et Philippe
Ricco. Merci à messieurs
Debever et Delattre pour leur
apport iconographique ainsi
qu’aux familles des protago-
nistes.

Malheureusement non iden-


tifiable car son numéro est
illisible, ce Maillet 201 replié
vers le Sud ne porte pas de
marque spécifique et n’a subi
aucune retouche de peinture.
Tout nous porte donc à penser
qu’il s’agit d’une des appa-
reils de la 2/104, peut-être le
n° 29… mais sans la moindre
certitude.
(coll. Delattre)
69
Liste des avions recensés aux sections de liaison des Etats-Majors

Section 1/104 puis Groupe Aérien du GQG Air 267 Provient de l’EAP 16 d’Agen. Un vol unique le 21/06/1940. A Agen à l’Armistice
N°/matricule note 292 Provient de l’EAP 16 d’Agen. Un vol unique le 21/06/1940. A Agen à l’Armistice
C.445 Goéland Potez 540 - 2e section
34 (T-898) En dotation en mars 1940. Dernier vol le 25 mai vers Coulommiers 180 Pilote A/C Cordier. Avion de l’inspection de la DAT (général Aubé). Dernier vol
vers Tours le 04/06/1940
158 Sert aux liaisons Le Bourget - Coulommiers. Replié à Agen
204 Pilote Lt Papin. En dotation en mars 1940. Sans doute en panne. Réceptionné le
163 Vols à partir du 29/04/1940. Replié à Agen
08/05/1940. Sans doute abandonné sur panne à Bricy le 30/05/1940
224 (F-464) Pris en compte le 01/06/1940. Dernier vol le 16/06/1940 vers Avord. A Toulouse
209 Deux vols uniques les 9 et 10/06/1940. Probablement non affecté à l’unité
à l’Armistice
NAA-57 - appareils touchés à Briare début juin 1940
243 (F-483) Récupéré le 17/06/1940 à Aulnat. Replié à Agen
2 Premier vol le 07/06/1940. Replié à Aulnat
244 (F-484) Briare > Avord 15/06/1940. Quelques vols à la mi-juin. A Lézignan à l’Armistice
154 Uniquement replié de Briare à Avord le 14/06/1940
283 Récupéré à Orléans le 14/06/1940. Replié à Brive
155 Premier vol le 05/06/1940 (Briare). Replié à Agen
7544 (de- Stationné à Pierre-Levée, replié à Avord
venu n° 18 156 Premier vol le 04/06/1940 (Briare). Replié à Agen
F-APYU) 157 Premier vol le 04/06/1940 (Briare). Replié à Agen
C.635 Simoun 159 Premier vol le 05/06/1940 (Briare). Replié à Agen
67 Affecté le 28/02/1940. Replié à Agen MS 230
143 En dotation en mars 1940, dernier vol le 15/06/1940 vers Aulnat 519 Stationné à Coulommier. Replié à Avord
145 Accidenté le 17/10/1939 à Nonville. Vient de la 1/104. En dotation en mars 1940, 522 Stationné à Coulommier. 4e section à Briare. Replié à Aulnat le 15/06/1940
dernier vol le 16/06/1940 vers Aulnat
561 Stationné à Coulommier. Replié à Avord
146 En dotation en mars 1940, replié le 15/06/1940 vers Aulnat
867 Stationné à Coulommier. Replié à Aulnat le 15/06/1940
193 En dotation en mars 1940, provenant de l’école d’Avord. Dernier vol répertorié
866 Stationné à Coulommier. Replié à Avord
le 15/06/1940 vers Aulnat. A Albi à l’Armistice
872 Stationné à Coulommier. Replié à Avord
194 En dotation en mars 1940, stationné à Pierre-Levée. Dernier vol répertorié le
15/06/1940 vers Aulnat. A Istres à l’Armistice C.510 Pélican
245 Provient de la 4/109 ? Premier vol le 27/04/1940. Replié à Aulnat le 17/06/1940 F-AQMH récupéré le 22 juin à Agen. Sur place à l’Armistice
287 En dotation en mars 1940. Replié à Aulnat le 16/06/1940. A Châteauroux à Chasseurs (Curtiss & Morane) - 2e section
l’Armistice MS 406 n° 227 Général d’Harcourt. Replié à Aulnat
288 En dotation en avril 1940. Stationné à Pierre-Levée. 4e section à Briare. Dernier MS 406 n° 602 Replié à Aulnat
vol le 02/06/1940 vers Avord
MS 406 n° 717 Plus de trace après le 12/06/1940
306 En dotation en mars 1940, stationné à Coulommier. 4e section à Briare. Dernier
vol à Briare le 14/06/1940. A Perpignan à l’Armistice, codé «8» H-75A-3 n° 302 Perçu le 13/06/1940. replié à Agen
359 (F-ARCL) Premier vol le 15/04/1940. Replié à Aulnat le 16/06/1940
440 Récupéré à Aulnat le 17/06/1940 (ex-DALAC). Replié à Agen Section 2/104 GQG Terre
485 Prmier vol le 15/03/1940. Stationné à Coulommier. Replié à Agen C.635 Simoun
491 Premier vol le 15/03/1940. Stationné à Coulommier. Dernier vol vers Pierre- 102 Dotation initiale. Reversé en décembre 1939
Levée le 25/05/1940 120 Dotation initiale. Reversé en décembre 1939
501 Premier vol le 15/03/1940. Reste à Pierre Levée au moment du repli. Dernier vol 178 Dotation initiale. replié à Toulouse
le 24/05/1940
179 Dotation initiale. Dernier vol le 15/05/1940. reversé au Groupement de chasse
509 Premier vol le 08/05/1940. Stationné à Coulommier. Replié à Agen 23. Accidenté le 07/06/1940 à Valendon
510 Premier vol le 02/05/1940. Stationné à Pierre-Levée. 4e section à Briare. Replié 213 Dotation initiale. Abandonné à Bordeaux ?
à Agen puis abandonné à Bordeaux
273 Un vol unique : repli de Briare à Aulnat le 15/06/1940
511 Premier vol le 08/05/1940. Stationné à Coulommier. Replié à Aulnat
289 Dotation intitiale. Replié à Ussel
Potez 58
290 Dotation initiale. Accidenté le 31 mai à Jouarre
3 Stationné à Pierre-Levée. Replié à Avord
304 Dotation initiale. Reversé en décembre 1939
11 Stationné à Pierre-Levée. 4e section à Briare. Replié à Aulnat le 15/06/1940. A
Toulouse à l’Armistice 305 Dotation initiale. Dernier vol le 21/05/1940 à Jouarre. Reversé au GC 23

13 Dernier vol le 23/04/1940 308 Dotation initiale. Replié à Francazal le 23/06/1940

Maillet 201 309 Dotation initiale. Envoyé en réparation le 13/04/1940. A Aulnat le 18/06/1940

12 Premier vol le 03/03/1940, Accidenté le 07/04/1940. Réparé, réapparait à Briare. 449 Perçu le 05/06/1940. Replié à Francazal
Dernier vol vers Avord le 14/06/1940 Maillet 201
13 Dernier vol le 23/04/1940 à Coulommier. Plus de vol jusqu’à sa réapparition lors 15 Perçu le 05/12/1939. Accidenté le 04/03/1940
du repli le 16/06/1940 vers Aulnat
20 Perçu le 27/11/1939. Abattu le 22/05/1940
14 Dernier vol le 18/04/1940
23 Perçu le 03/12/1939, reversé le 14/05/1940 au Groupement 23
16 Dernier vol le 16/04/1940
26 Perçu le 02/01/1940. Dernier vol le 21/05/1940 vers Berck, touché par la Flak.
17 Stationné à Coulommier. Replié à Aulnat le 16/06/1940 Probablement abandonné à Pierre-Levée
18 Stationné à Coulommier. Replié et abandonné à Avord 28 Perçu le 01/12/1939. Reversé à une date inconnue.
19 Stationné à Pierre-Levée. Replié à Agen le 23/06/1940, codé «11» 29 Vient de la section CFACN. Premier vol le 01/06/1940. Dernier vol le 17/06/1940
21 Stationné à Pierre-Levée. 4e section à Briare. Replié à Aulnat le 16/06/1940 vers Vichy. Sans doute sur place à l’Armistice (accidenté)

22 Stationné à Coulommier. Replié à Aulnat le 15/06/1940 30 Perçu le 07/12/1939. Abattu le 23/05/1940

24 Stationné à Pierre-Levée. Replié à Aulnat le 14/06/1940, codé «17»


27 Stationné à Pierre-Levée. 4e section à Briare. Abandonné à Briare ? Section de liaison du commandement des forces aériennes de coopération du Nord-Est

29 Accidenté le 03/12/1939 > réparé, présent à la 2/104 (après passage à la section C.635 Simoun
CFACN) le 01/06/1940 67
31 Accidenté le 31/12/1939 139 Mis à dispostion le 18/03/1940. Abandonné à Bordeaux
32 Accidenté le 24/04/1940 à Pierre-Levée. Abandonné par le parc 6/104 214 Dotation initiale
Hanriot 182 331 Dotation initiale. Replié à Aulnat par la 2/104
6 Provient de l’EAP 16 d’Agen. Un vol unique le 22/06/1940. A Agen à l’Armistice Maillet 201
7 Provient de l’EAP 16 d’Agen. Premier vol le 20/06/1940. A Agen à l’Armistice 11 Mis à dispostion le 18/03/1940. Abandonné accidenté à Vichy
13 Provient de l’EAP 16 d’Agen. Deux vols. A Agen à l’Armistice 25 Dotation initiale. Abandonné à ?
17 Provient de l’EAP 16 d’Agen. Deux vols. A Agen à l’Armistice 29 Replié à Vichy par la 2/104
19 Provient de l’EAP 16 d’Agen. Un vol unique le 21/06/1940. A Agen à l’Armistice Luciole
206 Provient de l’EAP 16 d’Agen. Deux vols. A Agen à l’Armistice F-ANTH dotation initiale
226 Provient de l’EAP 16 d’Agen. A Agen à l’Armistice F-AMSI dotation initiale
70

Le Lt Georges Bonnet, pilote à l’AR 14, devant le Dorand


« 9 » portant l’insigne de son escadrille
(une chimère noire tenant un écusson à croix de Lorraine)
à San Pietro in Gu début 1918.
(coll. MAE)

LES ESCADRILLES FRANÇAISES


SUR LE FRONT DE VÉNÉTIE
(1917-1918)
Ordre de bataille au 1er janvier 1918 Cinquième partie, par Luigino Caliaro et Roberto
Gentilli, avec la participation de Christophe Cony
Commandement de l’Aéronautique d’Armée
(traduction de Lucien Morareau et profil de David
Aéronautique d’Armée Castelfranco-Veneto CdE Houdemon Méchin)
Spa 69 San Pietro in Gu Cne Malavialle
N 82 San Pietro in Gu Cne Échard
Activités en 1918
Aéronautique du 31e CA Castello di Godego Cne de Lavergne
AR 44 31e CA Castello di Godego Cne Kuentz Au cours des mois de décembre 1917 et janvier
Sop 36 47 DI
e
Castello di Godego Cne Contal
1918, les troupes du 12e CA s’installent en deuxième
ligne et continuent leur entraînement. Le 6 janvier,
Sop 206 109e RAL Castello di Godego Cne Janet
la 64e DI est mise à la disposition du 31e CA où elle
Sop 221 101e RAL Nove Lt de Dartein
remplace la 47e DI dans la région du mont Tomba,
38e Cie d’aérostiers 31e CA Casa Barco Lt Maquet ce qui permet de mettre au repos presque complet
25e Cie d’aérostiers 47e DI Asolo Cne Verneuil l’escadrille Sop 36. Pendant la même période, les
60e Cie d’aérostiers 64e DI Conco (Fontanelle) Lt Dorange Allemands retirent quatre divisions et leur corps al-
Le ballon de la 60 Cie d’aérostiers assure depuis le 30 décembre les missions du groupe-
e pin d’Italie, ne laissant sur place que deux divisions.
ment d’artillerie de Bassano, ascensionnant sur le plateau au nord de Marostica à Fontanelle. Dès le 19 janvier, le général Pétain a demandé à
Aéronautique de la 46e DI Clemenceau, président du Conseil, de faire retourner
en France les 12e et 18e CA et de ne plus envoyer de
AR 14 46e DI San Pietro in Gu Lt Chardennot
renforts aux armées d’Italie et d’Orient. Clemenceau
19 Cie d’aérostiers
e
46e DI Bolzano Lt Vénard [1]
lui donne raison mais répond qu’il devra patienter
Aéronautique du 12e CA Castelgomberto Cne Massol car l’Italie envoie en France nombre de travailleurs…
AR 22 12e CA Castelgomberto Cne Aron Le 15 janvier, le commandement de la 10e Armée
AR 254 12e CA Castelgomberto Lt Monchalin est transféré de Padoue à Vicence. Ce même jour,
Sop 214 120 RALe
Castelgomberto Lt Le Sueur les troupes italiennes attaquent le mont Asolone,
essayant de reproduire le succès des Français au
40e Cie d’aérostiers 12e CA Sovizzo Lt Jeannin [1] mont Tomba, mais ils n’obtiennent pas les mêmes
[1] Orthographiés par erreur « Vencer » et « Janin » dans AVIONS 226. résultats.
71

Deux aviateurs italiens


prennent la pose devant un
Dorand de l’AR 44 sur le ter-
rain de Castello di Godego (à
l’ouest de Trévise) début 1918.
(coll. Roberto Gentilli)

En janvier 1918, les escadrilles d’Armée continuent au nord d’Alano. Cette victoire, d’abord considérée
les missions de reconnaissance photographique, comme probable, va finalement être homologuée par
en collaboration avec des Italiens, sur le massif du le Bulletin de la guerre italien [2]. Un Sopwith 1 A2
mont Grappa et le bassin de l’Asiago. L’aviation du de la Sop 221, en panne de moteur, est le même jour
31e CA a repris contact avec l’ennemi qui s’est re- contraint à un atterrissage forcé à San Vito, près de
tiré de plusieurs kilomètres après la prise du mont Bassano.
Tomba, attaquant les batteries d’artillerie et procé-
dant au relevé photographique des zones conquises. L’aviation de corps d’Armée effectue ses nom-
En voilà un qu’il valait
L’AR 14, escadrille de la 46e DI, et la Sop 206 qui breuses missions habituelles. Dans les rapports quo-
mieux ne pas embêter, en
travaille pour les groupes d’artillerie déployés à tidiens apparait la désignation « Groupement Robin l’air comme au sol ! Le Sgt
Bassano et à Breganza au profit des troupes ita- – Sop. 221 », du nom du général commandant la Ercole Balzac, de la Spa 69,
liennes, vont soutenir leurs attaques en continuant 64e DI, à laquelle est également rattachée la 60e va remporter en Italie deux
les relevés photographiques du plateau, de la vallée Cie d’aérostiers. Ce nom sera utilisé jusqu’à la fin victoires homologuées (plus
de Brenta et de la Grappa, qui seront ensuite fournis du mois de février. L’activité aérienne des Français un avion détruit au sol) ; il en
aux Italiens. L’aviation du 12e CA (AR 22, AR 254 et est tout aussi intense dans les jours qui suivent. ajoutera une troisième sur le
Sop 214) va assurer la surveillance face au plateau C’est à cette période qu’entrent en action, avec des front français le 25 juin 1918.
Boxeur professionnel dans
et participer à l’instruction des troupes italiennes et résultats dévastateurs, les bombardiers allemands
le civil – il a déjà disputé 24
françaises. Les ballons français vont eux aussi être AEG G.IV de la Bogohl 4. Dans la nuit du 1 au er
combats avant la guerre –, ce
très actifs, réglant les tirs des batteries de siège 2 janvier, ces bimoteurs attaquent méthodiquement talentueux poids moyen sera
italiennes et ceux des canons français. Le 12e CA Castelfranco où se trouve le Quartier général fran- plusieurs fois champion de
a jusqu’alors été en instruction en deuxième ligne çais, causant avec plus d’une centaine de bombes la France et accèdera au titre de
mais, à la fin du mois de janvier, il relèvera le 31e mort de vingt personnes ; ils lâchent aussi une ving- champion d’Europe en 1920…
CA en première ligne. La 23e DI va taine de projectiles sur le terrain de (coll. Christophe Cony)
quitter Malo pour le secteur de la Castello di Godego, endommageant
Piave où elle remplacera la 65e DI cinq appareils de la Sop 36 et de
se repliant sur Peschiera, tandis que l’AR 44. Par contre, l’activité des
la 2e DI quittera Sommacampagna avions de reconnaissance et des
pour se positionner dans la région chasseurs ennemis est jugée en Fanion original de la Sop 221
de Malo. Entre les 26 janvier et le décroissante très nette. en Italie.
(coll. Rémy Longetti)
1er février, l’AR 22 déménagera de
Castelgomberto pour Castello di Le 3 janvier, l’AR 22 effectue trois
Godego, le terrain le plus proche de missions avec des observateurs
la Piave et, le 2 février, la 40e compa- de la Sop 214 dont les avions
gnie d’aérostiers s’installera près de sont tous indisponibles (le dernier [2] À juste raison puisque
Montebelluna. d’entre eux, perdu dans la brume, l’appareil abattu est sans
s’est brisé en se posant en cam- doute un Rumpler C.IV de la
Mais revenons-en au début du mois… Le pagne) et dix-sept missions diverses sont réalisées FA(A) 219 (équipage : Uffz. P.
1er janvier 1918, l’Aéronautique d’Armée lance 20 mis- par les deux escadrilles de chasse. Le 4 janvier, en Hildebrandt, blessé et Ltn.d.R.
sions dont une de reconnaissance photographique, se posant à contre-sens à Castello di Godego, le Johannes Weckert, tué) tom-
bé vers Moriago à 12h30 ou
conduisant à un engagement dans l’après-midi. Vers Pomilio PE n° 3981 de la 139a Squadriglia venu de
bien un biplace de la RHBZ 1
14h00, le sergent Ercole Balzac de la Spa 69 s’en San Pietro entre en collision avec le Dorand n° 349 (équipage tué : Ltn.d.R. Karl
prend à un biplace ennemi à 4200 m au-dessus de de l’AR 14. L’avion français est détruit mais l’équi- Koelschtzky et Ltn.d.R. Robert
la région d’Alano di Piave. Il l’attaque à nouveau à page italien, composé du sergente pilote Tremolada Wiegard) tombé sur les Alpes
2800 m et le voit tomber désemparé, probablement et du tenente observateur Guido Aldi, s’en tire vénitiennes.
72
Lizé, commandant l’artillerie de la 10e Armée, alors
qu’il prodiguait les premiers soins à des blessés. Ce
même jour à 14h50 se produisent deux engage-
ments aériens au nord de Grappa, mais sans résul-
tats. Lâché par son moteur en plein brouillard, un
Spad de la Spa 69 est détruit en percutant un arbre
lors d’un atterrissage forcé à Fanzolo et son pilote
est assez sérieusement contusionné.

D’abondantes chutes de neige du 6 au 9 jan-


vier gênent pendant un temps les opérations aé-
riennes, sans pour autant empêcher les escadrilles
de prendre de nombreuses photos et de faire des
reconnaissances à vue dans leurs secteurs respec-
tifs. Le 8 à 13h30, une patrouille française attaque
deux biplaces autrichiens dans la région d’Asiago. Un
des appareils est vu piquant verticalement avec son
observateur blessé. L’aviation ennemie est jugée très
active mais avec peu de mordant ; cependant, le
10 janvier vers 16h00, trois Dorand [3] de l’AR 14
en mission photographique sont attaqués par trois
chasseurs ennemis au nord de Valstagna ; après
dix minutes de combat, l’un de ceux-ci est abattu
L’insigne de l’escadrille 221
indemne. Le bilan de la journée est de 22 sorties en dans la région de San Marino tandis que les autres
sur le fuselage d’un Sopwith
1 A2 début 1918.
14 patrouilles pour la chasse de 29 missions pour les s’enfuient, permettant aux Français d’achever leur
(coll. Roberto Gentilli) appareils de reconnaissance, dont 6 pour ceux de mission de reconnaissance même si l’appareil des
l’AR 22 qui emportent à nouveau deux observateurs sergents Dufresne et Blanchaud a été touché à 126
de la Sop 214. Le 5 janvier Castelfranco est à nou- reprises, y compris par une balle incendiaire dans
veau bombardé. Une bombe tue le général Lucien l’altimètre de l’observateur. Curieusement, les ar-

Joli profil de l’AR 1 n° 366 de l’AR 14 à San Pietro in Gu en janvier 1918. L’insigne de l’escadrille, sur cet avion codé 0 qui doit être celui du
commandant d’unité (le Lt Georges Chardenot), n’est pas de la couleur habituelle.
(coll. Roberto Gentilli)
73

chives du 31e CA reconnaissent non pas une, mais Avril), mentionneront une patrouille de sept avions L’AR n° 441 de l’escadrille 22
deux victoires françaises dans la région de Quero… ennemis auxquels ils ont tenu tête bien qu’ayant eu à Castelgomberto en janvier
Un Dorand de l’AR 44, piloté par le sous-lieutenant (leur) appareil gravement endommagé par le feu de 1918. Cet appareil camouflé y
Bérard avec le sous-lieutenant Angenoust comme l’adversaire. Par contre, un Sopwith de l’escadrille a été convoyé depuis Vérone
le 4 de ce mois par l’Adj Félix
observateur, est sérieusement atteint par la DCA 214 se met en vrille à 200 m d’altitude après son dé-
Fratoni.
ennemie (un éclat ayant percé le réservoir et cassé collage de Castelgomberto et s’écrase au sol. Cette (coll. SHD-Air)
le bord d’attaque) mais il peut revenir à sa base. faute de pilotage coûte la vie à son auteur, le sergent
Paul Lénis, tandis que son observateur le sous-lieute-
L’intense activité aérienne française finit bien sûr par nant Jean Choux est assez grièvement blessé. Enfin,
occasionner des pertes. Le 11 janvier, un avion du un Dorand de l’AR 254 à l’entraînement est brisé au
Groupement Robin – Sop 221 est attaqué par deux cours d’un atterrissage forcé en campagne suite à
monoplaces ennemis rouges et encaisse quinze une panne de moteur, équipage indemne. Le même
coups de mitrailleuses mais il parvient à s’échapper jour à 11h30, l’équipage du Dorand n° 380 de l’AR [3] Équipages : Sgt Dufresne
et son équipage est indemne ; les citations à l’ordre 22 (adjudant Touéry – lieutenant Maudet) ne peut – Sdt Blanchaud, Sgt Plocque
de l’armée reçues plus tard par l’équipage (maré- être rejoint par les deux AR de son escadrille chargés – Lt Thomas, Lt Dezerville –
chal des logis Marcel Meunier et lieutenant Léon de l’escorter. Il part donc seul effectuer sa mission Lt Puisolle.

Ce Sopwith 1 A2 de la Sop
221 a été photographié sur le
terrain de Nove début 1918.
(coll. AUSME)
74

L’AR 1 n° 380 de l’escadrille photographique mais doit rentrer sous la menace parvient parfois à empêcher les appareils de recon-
22 à Castello di Godego vers la de trois avions ennemis ; ses adversaires engagent naissance italiens et français de mener à bien leurs
fin janvier 1918. Attaqué le 11 alors un combat avec un appareil inconnu, combat missions. Le 12 janvier, les chasseurs français par-
du mois par la chasse ennemi, à l’issue duquel un avion non identifié tombe en ticipent à un engagement sans succès sur le mont
cet appareil est sauvé grâce à
flammes. Un des pilotes ennemis est peut-être le Forano. Le même jour, un Sopwith de la Sop 221 a la
l’intervention courageuse d’un
pilote de Sopwith Camel bri- StabFw. Richard Müller de la Flik 15/F autrichienne mauvaise surprise de rencontrer trois Albatros mais
tannique qui y laissera sa vie. qui revendique un Nieuport entre Monte Sprung et il parvient à leur échapper. Trois autres accidents
(coll. Dino Uliana) Fontanelle, mais il n’a pas été possible d’identifier le sont à déplorer dans la semaine du 5 au 12 ; ils
pilote qui s’est sacrifié pour sauver le biplace fran- concernent deux Sopwith de la Sop 36 et de la Sop
çais [4]. 214 ainsi qu’un Nieuport de la N 82. Tous ces appa-
reils sont brisés en se posant en campagne suite
[4] Trois Sopwith Camel du Pendant cette période, la chasse ennemie est par- à une panne de leur moteur Le Rhône 120 HP et
RFC ont été perdus ce jour-là, ticulièrement active entre Asiago et le Grappa et le commandant de l’aéronautique de la Xe Armée se
mais dans d’autres secteurs.
Il est cependant possible que
le Camel B2436 du No 45 Sqn
abattu à Scomigo par l’Oblt.
Josef Loeser (commandant
de la Jasta 39) et dont le
pilote, le 2Lt Douglas W. Ross
a été tué, soit le chasseur que
les Français ont vu s’abattre.
Selon les Britanniques, il opé-
rait en mission d’escorte et
s’est abattu au sud de Fior di
Sopra (au sud de Vittorio).

Vue aérienne oblique des


lignes de front sur le Mont
Valbella, prise le 18 janvier
1918 par un Sopwith de
l’escadrille 221.
(coll. ASDM)
75
montre inquiet de voir que même ses chasseurs sont
atteints du « mal du Le Rhône », en particulier ceux
fabriqués par les firmes Kellermann (série 50 000) et
Darracq (série 101 000).

La semaine du 13 au 20 est de nouveau marquée


par le mauvais temps même si les escadrilles fran-
çaises volent autant que possible. À titre d’exemple,
l’aviation du 31e CA réalise 24 missions en une seule
journée. Le 19 janvier, le commandant de l’AR 22
envoie le Dorand n° 1387 en mission de protection
avec l’équipage sergent Broqua – maréchal des logis
Tisserand, mais l’appareil est contraint à un atter-
rissage forcé à la suite d’une panne de moteur. Le
pilote est indemne, son mitrailleur étant légèrement
blessé. Le 20 janvier, la nouvelle AR 254 est déclaré
prête ; elle est envoyée à Vérone et mise à la dispo-
sition des centres d’instruction du lac de Garde. Peut-
être déconcertés par le manque de préparation des
Italiens, les Français organisent une formation conti-
nue pour développer la coopération entre l’aviation et
les troupes au sol. Pendant cette période, la 65e DI
est relevée par la 23e DI, elle-même remplacée par en pleine campagne. Touché, l’AEG G.IV 1110/16 de Le Cne Malavialle, comman-
la 24e DI. Ces mouvements vont entrainer quelques la Bosta 21 doit se poser à San Gaetano, en zone dant de la Spa 69 ici photo-
graphié en France en 1917, va
modifications dans la répartition des moyens aériens britannique [5].
comme beaucoup de ses pilotes
puisque l’AR 22 sera transférée à Castello di Godego être victime d’une panne de
au cours de la dernière semaine du mois. Du 27 au 29 janvier, les Italiens lancent une offen- moteur le 25 janvier 1918.
sive sur le plateau dans la région du col d’Echele et (coll. SHD-Air)
Le 25, fait inhabituel, le lieutenant Cottin de l’AR du mont Valbella. Le 27 janvier, la Sop 214 subit un
22 emmène trois officiers du Génie à bord de son nouvel accident mortel, le maréchal des logis pilote
Dorand n° 311 pour un vol de 45 minutes. Deux Jacques Lemaître et le sous-lieutenant observateur
incidents sont à mentionner : un Sopwith de la 206 Georges Douffiagues sont tués lorsque leur avion
se brise à l’atterrissage mais l’équipage est sain et s’écrase et prend feu au retour d’une mission. Ce
sauf. De son côté le capitaine Malavialle, comman- même jour, la chasse effectue 23 missions dont une
dant de la Spa 69, est victime d’une panne de mo- se traduit par un engagement sans résultat avec
teur ; il tente un atterrissage forcé mais heurte deux des appareils ennemis au-dessus de la vallée de
Nieuport italiens en fin de roulage. Les appareils la Brenta, tandis que les différentes escadrilles de
[5] L’équipage du Ltn.
sont détruits mais là encore le pilote est indemne. biplaces réalisent un total de 37 sorties. D’autres
Johannes Schammer (dont
Dans la nuit du 25 au 26, la 4e escadre de bom- accidents sont à signaler : un avion de l’AR 44 est le Ltn.d.R. Alfred Höh) est
bardement allemande attaque à plusieurs reprises le victime d’une glissade sur l’aile au décollage et est fait prisonnier ; son avion est
terrain de Castello di Godego mais la DCA française détruit (équipage indemne), un Sopwith de la 206 récupéré par les Anglais qui
réussit à contrer son action et les bombes tombent est détruit l’atterrissage et enfin, un Nieuport de lui affecteront le code AG4.

Accident d’atterrissage pour


ce Sopwith (n° 5130 ?) de la
Sop 206 à Castello di Godego,
peut-être le 25 ou le 27 jan-
vier 1918, bien que les tenues
semblent assez légères.
(coll. Roberto Gentilli)
76

Touché par la DCA française la N 82 prend feu au sol à San Pietro in Gu en rai- mises à la disposition du commandement de la DCA.
lors de l’attaque du terrain son d’un retour de flammes du moteur  ; le pilote, Le 28 janvier, le Bulletin de guerre italien accorde deux
de Castello di Godego, dans l’adjudant Jean Chalambel, est gravement brûlé aux victoires aux Français mais les archives relatives à
la nuit du 25 au 26 janvier
mains et au visage. cette journée sont inexistantes. Fort heureusement,
1918, l’AEG G.IV 1110/16
de la Bogohl 4 (Bosta 21) est les citations obtenues par les vainqueurs permettent
capturé avec son équipage. Dans la nuit du 27, Castello di Godego est à nouveau de reconstituer leur combat... Il apparaît qu’une
Bien qu’il soit ici repeint aux bombardé mais sans dégâts réels. À Castelfranco par patrouille de la N 82, rejointe par une patrouille de
couleurs françaises et entouré contre un dépôt de munitions explose après avoir la 79a Squadriglia, a tout d’abord abattu sur Asiago
d’aviateurs italiens, il sera été frappé. Les bombardements ennemis deviennent un biplace qu’escortaient sept monoplaces (ho-
finalement récupéré par le préoccupants et, à la fin du mois de janvier, deux mologué un mois et demi plus tard à l’adjudant
Royal Flying Corps… compagnies de mitrailleurs arrivent de France et sont Jean Rimbaud comme sa 1re victoire personnelle).
(coll. AUSSMA)

[6] Les victimes des Français


pourraient être deux appa-
reils autrichiens qui, après
un combat contre deux
« Sopwith » au-dessus de
Montello, sont contraints à
des atterrissages forcés sur
le terrain de Gajarine : le bi-
place du Zgsf. Rudolf Herdin
et de l’Oblt.I.d.R. Wilhelm
Schandlbauer (avion détruit,
équipage indemne) et l’Aviatik
D.I 138.27 du Korp. Andreas
Kulcsar de la Flik 4/D.

Photographie aérienne de
la zone de Quero, prise par
un appareil de l’AR 44 le 25
janvier 1918.
(coll. Roberto Gentilli)
77
Carnet de vol du Lt Jean Philippe en Italie en janvier 1918.
Comme les autres observateurs de l’AR 22, Philippe a gagné
Castello di Godego dès le 26 du mois, les appareils ainsi que
l’échelon roulant de l’escadrille ne rejoignant ce terrain que
du 30 janvier au 1er février. Dans l’intervalle, les observateurs
de l’AR 22 volent sur des appareils de l’AR 44.

Poursuivant leur mission, les deux patrouilles ont


ensuite mis en fuite au-dessus du mont Beretta cinq
avions ennemis dont l’un, tombé désemparé, va fi-
nalement être confirmé à l’adjudant André Vaillant
(2e victoire). Ce double succès [6] est partagé avec
deux futurs as italiens, le sergente Marziale Cerutti
(4e et 5e victoires confirmées) et le sergente Antonio
Reali (2e et 3e victoires) dont les victimes sont tom-
bées selon les archives italiennes entre Bertiaga et
Valle Vecchia à 13h45 et au nord du Monte Melago
à 14h10.

Le 29 janvier, la chasse effectue 24 sorties dont


la mission photographique quotidienne et engage
un combat sans résultat avec un appareil ennemi.
Le Spad du sergent Léon Brouillard rentre avec des restent pas inactives. Avec la participation de l’avia-
éclats d’obus de DCA dans la voilure et une jambe tion, elles effectuent des exercices combinés avec
de train brisée. Le brigadier Marcel de Glarélial de d’autres formations et qui sont donnés en exemple
la N 82 est victime d’une panne de moteur (capot par les Italiens. Le commandement du IIIe Gruppo
arraché par rupture de bielles et de colonnettes de italien ordonne d’ailleurs ses unités, les 61a et 134a
culbuteurs) et détruit son avion en se posant en Squadriglie, non seulement de faire participer le plus
campagne vers Thiene, au nord de Vicence. Après possible d’officiers (commandants d’unités inclus)
les lourdes pertes subies les jours précédents – dix- à ces exercices où ils sont toujours courtoisement
sept avions selon le Bulletin de guerre italien contre accueillis par les Français, mais également de faire
seulement six italiens, dont quatre par accidents –, participer leurs avions afin de mieux apprendre...
l’aviation ennemie a réduit notablement son activité.
Le 30 janvier est une autre journée d’intense
À la fin du mois de janvier commence la relève des activité. Le capitaine Raoul Échard et le lieutenant
L’Adj André Vaillant rem-
unités terrestres en ligne. Le 31e CA est remplacé Guillaume Busson de la N 82 sont à nouveau victimes porte le 28 janvier 1918 en
par le 12e CA. La 23e DI, sous les ordres du général de ruptures de bielles de leur moteur Le Rhône 120 Italie sa 2e victoire homologuée
Bonfait, se déploie sur la Piave pendant que la 65e DI HP mais malgré un capot arraché ils peuvent atter- à la N 82. Il en ajoutera deux
s’installe à Sommacampagna à l’ouest de Vicence. rir sans casse à Castello di Godego. Le 31 janvier, autres à la Spa 159 fin 1918.
Mais même au repos, les divisions françaises ne trois Albatros D.III attaquent le ballon de la 25e Cie (coll. Philippe Guillermin)

Un Nieuport 120 HP de la N 82 en
vol sur le front alpin début 1918.
(coll. SHD-Air)
78

Deux vues de l’AR 1 commence à s’entrainer à Castelgomberto. À


n° 1349 de l’esca- cette époque, les forces aériennes françaises
drille 44 à Castello di se composent de douze escadrilles, trois de
Godego. L’insigne de
monoplaces d’Armée dont une à Venise (la N
l’unité (un sanglier
assis dans un écusson
561), trois d’artillerie et six divisionnaires. Le
hexagonal) est bien Spad XIII qui vient d’être mis en service a la
visible sur le fuselage, réputation d’avoir donné de mauvais résultats
de même que le jume- en France et déplorables en Italie, à cause
lage de mitrailleuses de nombreux accidents, tous dus à leurs mo-
Lewis au poste arrière. teurs Hispano-Suiza de 200 HP non contrôlés
(coll. Roberto Gentilli) après leur arrivée de France et à la rareté des
bougies les équipant ; et comme les Spad
VII 180 HP deviennent eux aussi capricieux
[7], ce sont les trois-quarts des missions assi-
gnées à la Spa 69 doivent être interrompues
sur pannes ! Comme en France, les Nieuport
XXIV et XXVII sont jugés comme des appa-
reils honnêtes, mais inférieurs aux Albatros
[7] Apparemment D.V. Pour les Sopwith, leur problème vient
suite au jeu pris par du moteur Le Rhône, bien adapté pour les
les goujons de fixa- chasseurs mais qui ne l’est pas pour des bi-
tion des moteurs des places : 14 ont déjà été perdus lors d’atter-
Spad construits par de rissage en campagne et 20 autres le seront
Marçay.
en février… Ces accidents ont entraîné la
mort de trois hommes, de nombreux autres
ayant la chance de s’en tirer seulement avec
des blessures légères.

En ce qui concerne l’aérostation, son uti-


lisation est limitée dans les zones monta-
gneuses, mais sur le front de la Piave, elle
mais ils sont immédiatement repoussés par les tirs est plus utile qu’en France à cause de meilleures condi-
de la DCA. Peu mentionné, le travail effectué par les tions météorologiques. Les ballons sont aussi utilisés
aérostiers français au profit des batteries alliées est pour l’instruction des officiers désirant devenir observa-
pourtant remarquable, avec des ascensions durant teurs d’aviation. Le 28 janvier, une délégation du Sénat
plus de six heures par des températures glaciales. français composée de messieurs Cavin, Le Hérissé et
Cornet, vient en Italie et y demeure jusqu’au 8 février,
Fin janvier 1918, l’AR 44, l’escadrille du 31e CA rendant visite aux escadrilles françaises.
armée à 15 appareils est scindée en deux unités de
10 appareils, donnant ainsi naissance à l’AR 275 qui À suivre…
79

BULLETIN DE COMMANDE/SOUSCRIPTION
(port compris)

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80 ACTUALITÉS ACTUALITÉS ACTUALITÉS ACTUALITÉS

BOEING
EA-18G
GROWLER

UN GROGNEUR PARMIS LES FRELONS


Dépourvu de l’équipement Première partie, par Stéphane Nicolaou
électronique offensif, le Growler
BuNo 166642 a servi aux essais Dès 1993, McDonnell Douglas s’est penché sur le remplacement des brouilleurs électroniques
de transport de charge. Il est ici
Grumman EA-6B Prowler dont la longévité exceptionnelle ne pouvait durer éternellement.
photographié le 12 août 2018
au-dessus du polygone de com- Certes, l’ultime version de son électronique, l’Advanced Capability (ADVCAP), n’a pas encore vu
bat électronique de China Lake, le jour mais néanmoins le vieillissement des cellules condamne le Prowler à longue échéance.
en Californie. À l’extrémité En fait l’ADVCAP, financé par Northrop Grumman et McDonnell, doit dans une seule nacelle
des ailes on distingue sur cette furtive de 900 kg remplacer les trois ou quatre nacelles du EA-6B. D’abord désigné F-18C2W,
vue de face les deux nacelles l’avion projeté devient le F/A-18G et reçoit le surnom de « Growler » (Grogneur) qui est offi-
de réception ALQ-218, puis en cialisé le 12 octobre 2003. L’US Navy refusant de financer l’ADVCAP dont le coût est prohibitif,
allant vers l’intérieur deux mis- les constructeurs se rabattent sur les équipements de l’Improved Capability III (ICAP III) desti-
siles antiradiations AGM-88D
née aussi à la dernière version du Prowler.
HARM, deux nacelles de brouil-
lage ALQ-99, deux bidons de
1810 litres, deux missiles air-air
AIM-120C AMRAAM plus une 1
nacelle ALQ-99 sous le fuselage.
L’ensemble constitue sa charge
maximale.
(toutes les photos : US Navy)

Le premier FA-18F (BuNo


165166) a servi d’appareil
d’essais mais aussi à la pro-
motion du Growler dont il a
exhibé faussement le nom. En
(1) et (2), il porte une livrée
stylisée de la VAQ-129 ; en (3)
celle de la VAQ-209.
ACTUALITÉS ACTUALITÉS ACTUALITÉS ACTUALITÉS 81

3 2

Un programme très complexe 17 mai 2005, dépourvu des nacelles fixes ALQ-218
dont il disposera fin mars 2006. Il est rejoint par le
Même si les différences aérodynamiques semblent FA-18E BuNo 165779 codé SD101 spécialisé dans les
de peu d’importance, Boeing s’attache à démontrer essais de flottement et par le FA-18E BuNo 165167
qu’une cellule de Super Hornet peut supporter trois SD213 qui réalise au sol les essais de catapultage et
nacelles ALQ-99 sans difficulté. Du 15 novembre d’appontage avec de multiples charges, même asy-
2001 à août 2002, le premier FA-18F (BuNo 165166) métriques, le Growler devant opérer à des masses
réalise des essais positifs avec les nacelles, plus deux dépassant largement celles des Super Hornet. Pour
bidons, jusqu’à Mach 0,9. Pain béni pour les com- les premiers essais de largage un quatrième appareil
municants qui diffusent à l’envie des photos en vol est utilisé, le FA-18E BuNo 165537 SD100 qui effec-
d’un appareil pas encore commandé ! De quoi leur- tue 14 vols avant que le programme ne s’achève en
rer n’importe quel sénateur ou parlementaire peu juin 2007. Le domaine aérodynamique a été très lar-
au fait des sujets militaires, soit la majorité d’entre gement ouvert en 346 vols sans employer des EA-
eux... Trois Super Hornet, portés plus ou moins au 18G…
standard aérodynamique du Growler, sont affectés à
la flottille d’essais VX-23 des « Salty Dogs » (Chiens Le premier Growler, BuNo 166641, sort d’usine le
Réalisé à partir d’une cellule
Salés) stationnée au NATC de Patuxent River. 3 août 2006 ; il effectue son premier vol le 15 août, de FA-18F (F-134), le proto-
réalisant quelques vols de contrôle avant d’être livré type du EA-18G BuNo 166641
Le premier, le FA-18F BuNo 165875 (F35) codé à la VX-23 le 22 septembre 2006. Il dispose de la (EA-1) décolle pour son pre-
SD120 effectue le premier vol de son programme plupart des équipements électroniques qu’il faut mier vol devant les usines de
d’essais des qualités de vol et de performances le maintenant évaluer. Saint Louis, le 15 août 2006.
82 ACTUALITÉS ACTUALITÉS ACTUALITÉS ACTUALITÉS

Redésigné NEA-18G, le BuNo


166642 a été attribué
à la VX-31 et porte le modex
DD500 en 2011.

La toute première difficulté rencontrée par les ingé- compte des sautes de fréquence des radars adverses.
nieurs de Boeing et de Northrop Grumman reste de La position des radars hostiles émettant du sol est
réaliser un appareil dont l’équipage passe de quatre à calculée par interférométrie, c’est-à-dire en mesurant
deux, même si la plupart du temps le Prowler effectue les différences d’angle de la forme des ondes par rap-
sa mission avec deux NFO (Naval Flight Officers). Le port à la position du Growler en temps réel. La focali-
cœur de l’ICAP III est le récepteur ALQ-218 dont les sation obtenue permet de dépenser peu d’énergie. À
antennes principales sont placées dans des nacelles la place de la soute à canon de la version chasseur,
en bout d’aile, secondées par deux autres placées dont l’EA-18G est dépourvu, on trouve l’ALQ-218, le
Le DD500 largue des leurres à l’avant et à l’arrière du fuselage. Les informations LR700 et l’ALQ-227 de brouillage des communications
ALE-47 au-dessus du champ recueillies sont traitées par un calculateur LR700 ainsi que ses antennes. L’ALQ-218 transmet les infor-
de manœuvres de la NAWS de capable de sélectionner immédiatement le type de mations tactiques sur les quatre écrans du NFO et sur
China Lake. brouillage adapté pour chaque menace, en tenant le seul accordé au pilote.
ACTUALITÉS ACTUALITÉS ACTUALITÉS ACTUALITÉS 83

À gauche :
insigne de la Naval Air
Weapons Station de China
Lake.

Versé à la VX-9 des


« Vampires », le second
EA-18G (BuNo 166856
XE572) survole le 24 août
Pour augmenter encore le volume d’information 2008 la vallée de l’Owens, en
en temps réel, l’EA-18G est relié à un satellite de Californie du Sud, avec
communication tactique et fonctionne avec le réseau le FA-18F XE240 de la même
unité d’essais.
d’échange de données Data Link 16. Les nacelles de
brouillage ALQ-99 présentent des formes légèrement
modifiées afin d’encaisser des accélérations élevées.
L’antenne de brouillage des basses fréquences est
dans le radôme, les autres sont alignées dans la
nacelle. Une des innovations les plus importantes de
l’ICAP-III est sa capacité de maintenir des communi-
cations radio en UHF alors que les brouilleurs fonc-
tionnent. Baptisé INCANS (Interférence Cancellation
System), ce système est disposé à l’avant de l’em-
planture de l’extension de l’aile gauche. Comme les -Le 3 juin 2008, livraison du BuNo 166858 codé
Super Hornet, le Growler dispose du radar APG-79 NJ550 à la VAQ-129, la flottille de formation des
qui n’opère qu’en l’absence de brouillage, mais qui équipages basée sur la NAS de Whidbey Island et
collecte des informations très précises sur la situa- qui est alors associée aux essais.
tion au sol et dans les airs. Il informe aussi bien les -Le 7 juin 2008, le BuNo 166856 participe à des es-
deux missiles antiradiations AGM-88C (HARM) que sais d’intégration à Nellis AFB.
les deux missiles air-air AIM-120C (AMRAAM). -23 juillet 2008, premier tir d’AIM-120C, missile air-
air à moyenne portée à China Lake.
-Début août, premier tir d’AGM-88C, missile antira-
Quatre ans d’essais dar.
opérationnels -Du 31 juillet au 5 août 2008 : premiers essais en
mer à bord de l’USS Dwight D. Eisenhower (CVN-69) Le BuNo 166858 (G-4) NJ550
est le premier exemplaire doté
Évidemment, la mise au point et l’intégration de par le BuNo 166855 NJ551 et un autre NEA-18G. Ils
de l’électronique offensive.
tous ces équipements requièrent un temps considé- accumulent avec pas moins de 319 approches, 62 Durant une période sur la
rable si bien que l’appareil n’est déclaré « bon de catapultages et autant d’appontages. NAF d’El Centro, en octobre
guerre » qu’en 2011. Les principales étapes sont les Pourtant les problèmes de maintenance prolongent 2008, il expérimente les tac-
suivantes : les essais et les très importantes difficultés causées tiques de combat air-air.
84 ACTUALITÉS ACTUALITÉS ACTUALITÉS ACTUALITÉS

par le radar APG-79 ne sont pas résolues quand le


Growler entre en service opérationnel à la VAQ-132.
-29 juillet 2009 : l’évaluation et les essais opéra-
tionnels initiaux (IOT&E) admettent le modèle sous
condition d’amélioration de la maintenance de cer-
tains ordinateurs.
-Septembre 2009 – janvier 2010 : en 89 sorties cor-
respondant à plus de 150 heures de vol, sont véri-
fiées les corrections des problèmes repérés durant
l’IOT&E de 2008, en particulier sur l’ALQ-218. Le
Growler est jugé opérationnellement efficace, mais
son électronique exige trop d’heures de mainte-
nance.
-Novembre 2010 – juin 2011 : en 115 heures et 69
vols, l’évaluation de la configuration du logiciel H6E
montre des progrès significatifs qui le rendent opéra-
tionnel, bien que les heures de maintenance restent
excessives. Ces essais sont aussi l’occasion d’évaluer
l’intégration du Growler au système civil d’atterris-
sage aux instruments, indispensable pour les unités
expéditionnaires.

La très grosse difficulté que le Growler partage


avec les Super Hornet Block 2 provient du radar à
balayage électronique actif APG-79, qui souffre de
l’instabilité prononcée de son logiciel et offre des
performances très inférieures à celles demandées.
Le problème ne sera résolu difficilement qu’en 2016,
mais il n’empêche pas que le Growler soit déclaré
« bon de guerre ».

Les Vikings instruisent


La VAQ-129 des « Vikings » est la flottille de forma-
L’EA-18G BuNo 166855 (G-1) NJ551 de la VAQ-129 a servi pour les premiers essais en mer à tion et de remplacement du Growler, après avoir été
bord de l’USS Eisenhower (CVN-69), début août 2008. celle du Prowler depuis 1972. Basée elle aussi sur
Pour commémorer le centenaire de l’aéronavale américaine en 2011, le cinquième EA-18G Growler (BuNo 166899) a reçu une livrée semblable à celle que
portaient les avions de l’Air Group 85 qui opérait en 1944 depuis l’USS Shangri-La (CV-34). Il est ici accompagné du EA-6B Prowler BuNo 160609 qui porte les
couleurs des Douglas TBD-1 Devastator employés durant la Bataille de la Mer de Corail. Ces deux appareils de la VAQ-129 volent sur fond de Mont Rainier.
ACTUALITÉS ACTUALITÉS ACTUALITÉS ACTUALITÉS 85

Le 13 juillet 2010, l’EA-18G


BuNo 168272 NJ565 accom-
plit le 200 000e appontage de
l’USS Vinson (CVN-70).

la NAS de Whidbey Island dans l’État de Washing- commençant par la VAQ-132. Cette mission se pro-
ton, elle accueille son premier exemplaire le longe jusqu’en avril 2016, époque à laquelle les
9 avril 2007. Il s’agit du second NEA-18G quatorze flottilles sont passées du Prowler
BuNo 166642 codé NJ522 ; il est bientôt au Growler. Simultanément, la VAQ-129
rejoint par le premier EA-18B de produc- touche des officiers pilotes, ou NFO, qui
tion dépourvu de l’électronique offensive, viennent d’assurer un tour dans l’adminis-
le BuNo 166855 NJ551, qui va servir à la tration et reprennent un service en pre- Insigne de la VAQ-129.
familiarisation des futurs pilotes-instruc- mière ligne. Les cursus sont allégés quand
teurs avec leur nouvelle monture. Deux les pilotes ont préalablement volé sur
FA-18F le secondent dans cette tâche. La Super Hornet ou que les NFO ont l’expé-
VAQ-129 reste aussi étroitement associée rience du Prowler.
aux essais. Le 3 juin 2008, le BuNo 166858 NJ550
est le premier exemplaire livré avec une électronique Si la VAQ-129 dispose d’une quarantaine d’EA-
complète. On a vu aussi que le NJ551 participe aux 18G, c’est d’abord pour former de nouveaux équi-
premiers essais en mer fin juillet – début août 2008. pages, tout droit issus des écoles. D’une durée de 52

Reste que le premier rôle des « Vikings » consiste


à former des instructeurs dont la plupart possèdent
une longue expérience sur Prowler et doivent
s’adapter à une cellule très différente. Ils vont donc
suivre des cours à la VFA-106 et à la VFA-122 qui
forment les pilotes sur Super Hornet et vont s’inspi-
rer très largement de leur méthode d’enseignement.
À partir de 2009 la VAQ-129 assure la transforma- L’ancien et le nouveau :
tion progressive des flottilles opérationnelles, en l’EA-18G Growler BuNo
168898 NJ546 de la
VAQ-129 survole en avril
2014 la Chaîne des Cascades,
sur la côte ouest de l’Amé-
rique du Nord, en compagnie
de l’EA-6B Prowler BuNo
163396 NE500.

Détail de la décoration du BuNo 168371 NJ571 portée en 2012.


86 ACTUALITÉS ACTUALITÉS ACTUALITÉS ACTUALITÉS

L’EA-18G NJ560 en finale


au cours de qualifications sur
l’USS Reagan (CVN-76) en
février 2009.

semaines, les cours débutent par un vol effectué sur maine alors que sur le Prowler son rôle se limitait au
un EA-18G standard équipé de doubles commandes, pilotage. Vu la quantité d’informations à gérer, une
désigné officieusement EA-18GT. Ensuite les élèves coordination parfaite doit régner avec le NFO afin de
pilotes effectuent des vols de familiarisation en com- pouvoir les hiérarchiser très rapidement comme par
pagnie d’un NFO instructeur, avant de se consacrer exemple choisir entre la chasse ou la guerre élec-
à la mission de protection aérienne. L’usage d’un tronique, ce qu’aucun ordinateur ne peut accomplir.
Le 15 juillet 2016, l’EA-18G
radar air-air est une première pour l’élève qui bé-
BuNo 168898 NJ524 s’en- néficie aussi d’heures sur simulateur. Cette mission L’enseignement de la guerre électronique com-
traîne pour la première fois secondaire prend un tiers du temps d’instruction ; mence par des cours d’un niveau élevés, puis par
avec un Rockwell B-1B du le reste est consacré à l’attaque électronique car le des vols en situation sur des bases équipées de mis-
24th BW d’Elsworth AFB. pilote doit pouvoir intervenir activement dans ce do- siles sol-air russes (Ellsworth AFB, Mountain Home
ACTUALITÉS ACTUALITÉS ACTUALITÉS ACTUALITÉS 87
AFB et la NAS Fallon). Enfin l’instruction s’achève par Au total, la VAQ-129 forme annuellement une soixan-
une qualification sur porte-avions qui comporte des taine de pilotes et autant d’EWO parmi lesquels on
appontages nocturnes, une première pour les nou- trouve des équipages australiens dispensés des qualifi-
veaux venus. Quant aux NFO, le parcours pour qu’ils cations sur porte-avions, de même que les quelques of-
deviennent des EWO (Electronic Warfare Officers) ficiers du 390th Electronic Combat Squadron de l’USAF.
est tout aussi long que pour les pilotes. L’appren- Celle-ci souhaite conserver un lien avec le type de mis-
tissage commence par l’étude des cinq écrans de sions assurées par le Growler, mission qui lui avait été
présentation et de leurs commandes et il faut du supprimée par mesure d’économie en juin 1988.
temps pour être capable de jongler sans effort avec
tant de matériel mis à leur disposition... Suivent des À suivre…
cours sur la guerre électronique et l’art de brouiller
les radars ou les communications adverses. Il leur
Bureau of Aeronautics Numbers du Growler
faut aussi bien distinguer la surveillance de l’attaque
électronique que repérer quelle est la menace priori- 166855 à 166858 4
taire pour un groupe volant sur l’objectif. C’est aussi 166893 à 166900 8
l’EWO qui décide de l’emploi des missiles antiradar 166928 à 166946 19
AGM-88E. 168250 à 168274 25
168371 à 168392 22
168765 à 168776 14 À gauche :
l’EA-18G DD531 de la VX-31
168893 à 168904 12 mène des essais de compa-
168931 à 168942 12 tibilité électronique avec le
169124 à 169147 14 F-35C NJ104 de la VFA-101
169148 à 169159 12 Australie au-dessus du désert de Mojave
en août 2014.
169206 à 169220 15
169400 à 169409 10

Ci-contre et ci-dessus :
les Growler NJ512 et NJ5072
de la VAQ-129 lors de qua-
lifications en mer à bord
de l’USS Vinson, le CVN-70,
en juillet 2017.
88

LES FERNAUFKLÄRER SUR LA FRANCE


PENDANT LA « DRÔLE DE GUERRE »

Troisième et dernière partie,


par Pierre Brouez

Un « crayon volant » (Do 17


P-1 W.Nr. 4013) vu de profil à
Avril 1940 ment de la Luftwaffe (Oberkommando der Luftwaffe,
ou ObdL) opèrent sur la Grande-Bretagne mais « né-
la fin de l’hiver 1939-1940.
Le 1er avril est une nouvelle journée néfaste pour cessité fait loi » et de plus en plus d’appareils de ces
les Fernaufklärer. unités attachées au commandement de la Luftwaffe
volent désormais sur la France, les Pays-Bas et la
A/ Un rare Do 215 de la 2./Aufkl.Gr. ObdL est atta- Belgique.
qué sur Longwy par les S/Lt Georges Lefol et Sgt
L’épave du Do 17 P Jean Girou du GC I/5. Bien qu’endommagé, il peut B/ L’Armée de l’Air se distingue de nouveau lorsque
« 6M+EM » de la 4.(F)/11 opé- revenir se « vomir » à Wiesbaden. Deux aviateurs deux bimoteurs Potez 631 de l’ECMJ I/16, une esca-
rant sur Rocroi, abattu près sont blessés mais le bimoteur pourra être réparé. drille de chasse multiplace de jour, mitraillent le Do
de Mézières le 1er avril 1940. Normalement, les escadrilles du haut commande- 17 P W.Nr. 4033 de la 4.(F)/11 qui opère sur Rocroi.
Le bimoteur peut s’échapper mais il tombe sur les
A/C Marcel Renaudie et Sgt de la Gasnerie du GC
II/2. Le « 6M+EM » est pris en tenaille par les deux
Morane et, désemparé, pique. Les deux chasseurs
français le perdent de vue mais un équipage de
Potez va signaler l’avoir vu raser le sol pour se po-
ser. Des recherches sont lancées et, après plusieurs
jours, l’épave sera retrouvée en pleine forêt près de
Mézières, au lieu-dit « La Fourche-aux-Bouleaux ».
L’équipage du Dornier gît toujours à proximité. Il y a
malgré tout un survivant, le Fw. Helmut Altmann, qui
déclarera aux autorités allemandes après sa libéra-
tion en juin 1940 : J’avais décollé avec mes cama-
rades de Kirchgöns près de Giessen pour mener un
vol de reconnaissance. Sur Charleville, nous fûmes
pris en chasse par des appareils de type Morane.
Notre machine fut abattue. Le pilote fut blessé alors
que nous évoluions à huit mille mètres. Je pris les
commandes et tentai l’atterrissage sur le ventre.
89

Deux Do 17 P de la 3.(F)/11
portant l’insigne de leur esca-
drille sous l’habitacle.

Lorsque nous nous posâmes, nous percutâmes des nier en faisant barrage. Un Hurricane est endom-
arbres. Je fus éjecté de l’appareil et perdis connais- magé, les autres sont repoussés et le Fernaufklärer
sance. Je souffrais de diverses blessures, fractures peut mener sa mission à bien...
et brûlures et demeurai inconscient six semaines.
Comme je l’appris par les Français, je fus retrouvé Le 2 avril, mésaventure quelque peu semblable
sur les lieux six jours après avoir été abattu. J’entrai pour trois Morane-Saulnier MS.406 du GC II/3 qui
ainsi en captivité le 6 avril à Bourneaubort [com- poursuivent sur Metz des Do 17 protégés par des Bf
prendre Pouru-au-Bois, NdA], à dix kilomètres à l’est 110 ; mais ils font chou blanc sans pouvoir même
de Sedan. Quand je sortis de mon coma, je me trou- obtenir un contact. Un autre bimoteur est poursui-
vais dans un hôpital français, je ne sais où. Le Fw. vi par une seconde patrouille du GC II/3, toujours
Scholz, le radio, avait reçu sept balles dans le ventre sans succès. Finalement, le Cne André Naudy peut
et était décédé dans le même hôpital comme les s’approcher d’un «  Do 215  » et enflammer un de
Français me l’ont raconté. Le pilote, l’Uffz. Franke, a ses moteurs après pas moins de sept attaques au
été enterré sur place dans le cimetière civil de Fran- canon. Cet appareil lui sera crédité comme une vic-
cheval. Je suis ainsi le seul survivant de mon équi- toire confirmée. Il doit cependant s’agir d’un Do 17
page. Je n’ai rien à dire de mal en ce qui concerne P de la 4.(F)/121 que l’on signale attaqué près de
mon séjour à l’hôpital. Je fus soigné aussi bien que Pirmasens par des MS.406 du GC I/2 et posé en
possible. urgence sur un moteur à Lahr (équipage indemne,
Altmann est non seulement l’unique survivant mais avion réparé). Un autre Do 17 P, de la 3.(F)/123
également un étonnant miraculé puisque, projeté au cette fois, revient se poser à Hanau avec un blessé à
sol, grièvement blessé et inconscient, il a survécu bord après avoir été endommagé en combat.
pendant six jours en dépit du froid ambiant. On aura Il semble que, désormais, les Do 17 volent dans
noté qu’il avait pris d’office les commandes du Dor- un premier temps en petits groupes, pour bénéficier
nier, les observateurs ayant suivi un entraînement de la protection temporaire de chasseurs, avant de
de base de pilotage dans le cas où il leur faudrait s’égailler vers leurs objectifs.
remplacer peu ou prou leur pilote mis hors combat. La chasse allemande devient de plus en plus agres-
À noter que le pilote, l’Uffz. Otto Franke, est signalé sive. Ce 2 avril, une patrouille de cinq Hurricane des
décédé le 5 avril et le Fw. Karl Scholz le 7 avril. No 1, 85 et 87 Sqn aperçoit un Do 17 isolé et lance
son attaque. Mais plus haut, des Bf 109 E du III./JG
C/ À Kirchgöns, un Do 17 P de la 4.(F)/11 s’écrase 53 veillent. Un combat acharné s’engage sur Saint-
lors d’un vol de nuit probablement suite à un arrêt Avold et un pilote britannique est contraint de se
moteur. L’équipage de trois hommes est tué. parachuter de son Hurricane.

Ce 1er avril, trois Hurricane du No 1 Sqn repèrent un Le 7 avril, un Do 17 P de la 1.(F)/123 est pris à par-
Do 17 de la 3.(F)/11 qui bénéficie d’une imposante tie par la chasse française alors que l’équipage du Lt.
escorte de neuf Bf 110 C du I./ZG 26. Volant 1200 Oswald tente de vérifier les mouvements ferroviaires
mètres plus haut, les Britanniques espèrent bénéfi- autour de la gare de Laon. Une patrouille légère du
cier de leur avantage et piquent. Mais les Zerstörer GC III/6 (S/Lt Villemin et Sgt Gabriel Pimont) at-
les ont repérés et protègent avec efficacité le Dor- taque la première le bimoteur, le poursuivant cepen-
90

Trajet de reconnaissance
pour un Do 17 P de l’Aukl.Gr.
ObdL le 7 avril 1940. Son par-
cours lui fait survoler le sud
de la Belgique et le nord de la
France. Un mois plus tard, les
troupes de terre profiteront
amplement des informations
obtenues grâce à ces clichés.

dant de trop loin pour pouvoir tirer efficacement. Les Le lendemain 8 avril, deux Do 17 P sont détruits
deux chasseurs s’obstinent pourtant, allant jusqu’à dans des accidents. Un appareil de la 3./(F)/123
la limite de leur carburant, ce qui oblige Pimont à se s’écrase à Hanau lors d’un vol de nuit, tuant ses deux
poser en campagne près de Cambrai. C’est sur cette aviateurs, tandis qu’un bimoteur de la 4.(F)/123
ville qu’une patrouille du GC III/2 (A/C Barrio, S/C percute des arbres près de Stommeln (équipage de
René Pizon et S/C Guy Bouttier) prend le relais. Bar- trois hommes tué).
rio attaque en venant du soleil mais son moteur le
lâche et, perdant de la vitesse, il ne peut réitérer son Le 9 avril, lors d’un « vol d’exercice de nuit »,
attaque. Le pilote allemand, le Stfw. Kühhorn, fait un He 111 de la 3./KG 54 s’écrase avec son équi-
piquer son Dornier vers des nuages. Bouttier dont page en se reposant à Quackenbrück. Or, en ce
le collimateur est en panne vide en vain ses char- mois d’avril, la Totenkopfgeschwader est à son tour
geurs. Pizon se montre plus agressif mais le tir précis impliquée dans la « Papierkrieg », ses bombardiers
du mitrailleur allemand, le Fw. Strattmann, frappe à partant larguer des tracts sur Paris, Cherbourg,
plusieurs reprises son appareil, le forçant à revenir Metz, etc. Un équipage aurait été perdu. Proba-
à son aérodrome. Le Dornier, abandonné avec un blement celui-ci puisqu’il s’agit de la seule mention
moteur fumant, sera accordé comme « probable » d’une perte à l’Ouest. Les missions de ce type sur le
aux pilotes français. Mais Kühhorn, volant sur un France semblent souvent avoir été reprises comme
seul moteur, va parvenir à ramener son appareil et « Nachtübungsflug » (exercices de nuit) ce qui per-
ses camarades sans autre mal à Langendiebach. met difficilement de les identifier…

Des pilotes de la RAF sont


venus inspecter les restes
du He 111 « 7A+GL » de la
3.(F)/121, descendu le 11 avril
1940 à Amifontaine par leurs
collègues français du
GC III/6.
91
Le 11 avril, la chasse de l’Armée de l’Air réussit à sans faire de rencontre. À 8200 m, je ressentis tous
intercepter deux intrus : les symptômes du manque d’oxygène et revins via
-trois pilotes du GC III/6 (Lt Vuillemin, Sgt Pimont Sainte-Ménehould vers Vassincourt. Je perdais de
et Sgt Maigret) abattent le He 111 H-1 « 7A+GL » l’altitude quand j’entendis un terrible « bang ». Son
(W.Nr. 2305) de la 3.(F)/121 alors qu’il vole sur le hélice venant de se désintégrer, Richey plane jusqu’à
secteur Sedan – Verdun. L’appareil s’écrase en Vassincourt. Nous n’avions pas de nouvelles de Kil-
flammes à Amifontaine, près de Berry-au-Bac, où martin. Nous avons donc tous attendu au mess. (…)
l’on ne relèvera qu’un survivant parmi les quatre Soudain, un Hurricane passa fort bas et battit des
membres d’équipage ; ailes en signe de victoire. Nous avons reconnu le
-cinq pilotes des GC I/5 (S/Lt Boitelet et Sgt Tallent), «  D  » de Johnny. Il se posa et nous nous précipi-
III/6 (S/Lt Steunou et S/C Boymond) et III/7 (Adj tâmes pour lui demander : « C’était quoi ? ». « Un
Delarue) conjuguent leurs efforts pour envoyer au 109  !  ». C’était là notre septième victoire. Lors du
tapis le Do 17 « 6M+AM » de la 5. (F)/122. Les trois repas, nous avons eu des nouvelles de Killy. Il était
aviateurs allemands sont tués dans l’épave tombée à près de Paris et nous revint en soirée. John Kilmartin
la ferme de Moscou, près de Wez-Thuisy. a, pour sa part, combattu le Ju 88 A qu’il a réussi à
Le 19 avril, un des premiers Ju 88, ici de la endommager. Cependant, le mitrailleur a incendié le
4.(F)/121, est intercepté par les MS.406 du GC II/7 moteur de son Hurricane qu’il doit poser en urgence
près de Fribourg-en-Brisgau. Le rapide bimoteur re- sur le territoire des Clérimois, près de Sens.
vient cependant sans mal à son aérodrome.
Le bimoteur, blessé, continue sa route… C’est
Le 20 avril, un Do 17 de la 4.(F)/14 est victime pour tomber sur les Bloch 151 du GC III/9 ! L’Asp
d’une méprise sur Aix-la-Chapelle en essuyant des Georges Lamouroux force le Junkers à se poser à
tirs de Bf 109 E de la 3./JG 27. L’appareil est endom- Ozolles où l’équipage de quatre hommes est cap-
magé et un de ses occupants blessé. turé sain et sauf. Selon un rapport britannique : Sur
base d’un compte-rendu téléphonique le 20 avril à
Un Ju 88 A de la 4.(F)/121, parti sur le secteur 18h15 selon lequel un He 111 ayant un équipage
Saint-Dizier – Langres, est d’abord attaqué par le No de cinq hommes était tombé à Châlons-sur-Saône,
1 Squadron comme le décrit Paul Richey : Je parlais je me suis immédiatement rendu au QG de la Zone
avec Killy sur l’aérodrome de Vassincourt lorsque d’Opérations Aériennes sud à Dole. Lors de l’inter-
nous entendîmes le bruit particulier des moteurs rogatoire des prisonniers de guerre (PG), ce qui suit
allemands. Je lui montrai le ciel mais il sautait déjà est à noter :
dans son appareil. Il décolla comme une fusée alors -l’avion était un Ju 88 avec quatre aviateurs ;
que moi-même je courais toujours vers mon appareil -l’avion quitta Böblingen pour une reconnaissance
qui n’avait pas encore été complètement ravitaillé. générale. À environ 10h30 près de Romilly, un
Je fis stopper le plein d’essence et repris l’air à mon chasseur engagea le combat. Le feu fut déclenché
tour. Je regardais Killy et le « Hun » mais, au lieu de des deux côtés à 6000 mètres et le moteur droit fut
l’attaquer, Killy avait viré vers le Sud-Est sans que presque immédiatement mis hors d’usage ;
je sache pourquoi. Je grimpai à 6100 m mais ne vis -l’Ofw. Herbert Keimer, le pilote, voulut éviter le com-
personne. Je manquais d’oxygène (on n’avait pas bat et fit virer l’avion sur le moteur gauche pour s’en
eu le temps de remplacer la bouteille) et choisis de revenir. Rapidement, après ce virage, il semble que
voler « à l’épargne » en ne l’employant qu’à partir le pilote ait perdu tout repère. Les évènements ne
des 5500 m (en fait, il fallait l’ouvrir à 4500). J’orbi- sont plus très clairs dès ce moment-là mais il est
tai sur Vitry-le-François et Châlons-sur-Marne mais certain que l’avion ennemi commençait à perdre de

Le point de chute du Do 17
« 6M+AM » abattu par cinq
chasseurs français le 11 avril
1940 près de Metz.
(coll. EC 02.003)
92

L’épave en feu du Ju 88 A-1 l’altitude dans le voisinage de Langres où le chas- à une certaine distance de l’avion, quelques docu-
W.Nr. 681, quelques minutes seur attaquant avait été perdu de vue ; ments et effets personnels étant dérobés par des
après s’être posé sur le ventre -on ne sait toujours pas pourquoi, à ce moment, l’avion civils en dépit de la présence des soldats :
au lieu-dit « Les Drouillards »,
emprunta un cap presque complètement vers le Sud -tous les prisonniers, à l’exception du mitrailleur,
sur la commune d’Ozolles (au
sud-est de Charolles), victime mais il est certain qu’il se posa à 11h30 à Charolles ; l’Uffz. Joachim Adam, avaient effectué quinze à
d’un Bloch 151 du GC III/9 le -dix minutes environ avant cet atterrissage forcé, le vingt vols sur la France, étant par conséquent expé-
20 avril 1940. moteur gauche, peut-être atteint auparavant par le rimentés. Les Français aussi bien que moi-même ne
(coll. Y. Soudit) chasseur, s’arrêta et prit feu ; comprenons dès lors pas leur changement de direc-
-suivant les prisonniers de guerre, ils eurent tout tion. Invités à montrer l’endroit où ils se posèrent, ils
juste le temps d’évacuer l’avion avec leurs effets de désignèrent tous un lieu différent dont aucun n’était
vol contenant certains documents et instruments, en deçà des cent kilomètres ;
lesquels ont été saisis et sont actuellement entre les -suivant une carte capturée intacte, ils effectuaient
mains des autorités françaises ; une mission photographique des objectifs suivants :
-les aviateurs furent alors capturés par des soldats 1) Sarrebourg ; 2) Toul ; 3) Saint-Dizier ; 4) Romilly ;
5) Épinal ; 6) Langres ; 7) Châtillon ; 8) Belfort ; 9)
Besançon  ; 10) Dijon  ; 11) Châlons-sur-Saône. À
l’exception des n° 5 et 8, tous les points sont mar-
qués au crayon rouge ;
-la Staffel, la n° 121, est à Böblingen depuis no-
vembre. Elle est mixte avec cinq Ju 88 et six Do 17.
Les Ju 88 n’étaient présents que depuis deux mois ;
-tous les prisonniers déclarent que la grande majo-
rité des officiers et aviateurs de Böblingen sont d’ac-
tive. On ne mentionne que deux ou trois réservistes ;
-les prisonniers évoquent avec un peu d’orgueil des
Venu sur place le lendemain, vols météorologiques qu’ils ont effectué récemment
l’Asp Georges Lamouroux sur la France, de nuit, et souvent profondément sur
pose fièrement devant la le pays ;
queue de sa victime. -tous les membres de cet équipage ont combattu en
(coll. Y. Soudit)
Pologne et, à la fin de cette campagne, sont tous
revenus au dépôt de Prenzlau avant de gagner Bö-
blingen en novembre ;
-l’Oblt. Klaus Pritzel, le chef de bord, semble décla-
rer avec assurance qu’à la fin du printemps « Hitler
entreprendrait une grande offensive sur le front occi-
dental ». Pressé de questions, il a dit que le 21 juin
pourrait être la date de cette offensive ;
-les prisonniers étaient d’un bon type allemand ty-
pique des jeunes gens étant dans la Luftwaffe de
93
nos jours. Mais leurs réponses à des questions poli- abandonnent le combat, faute de munitions, laissant
tiques ne montraient pas la même compréhension le Boche en mauvaise posture.
des traditions allemandes et des raisons pour les- Endommagé, le bimoteur codé V4+DA est alors
quelles ils se battaient que celles affichées par les pris à partie sur Visé par trois Gloster Gladiator du
prisonniers de guerre d’il y a vingt-cinq ans. I/I/2 de l’Aé.Mi. Il se pose finalement à Bunde dans
Suspicieux, le narrateur britannique demande que le Limbourg néerlandais. L’équipage est interné aux
l’on vérifie les dires des Allemands selon lesquels Pays-Bas mais un correspondant de guerre présent
ils ont été victimes d’un Morane-Saulnier MS.406 : dans l’appareil décède le lendemain de ses bles-
L’avis des prisonniers relatif à un Morane est faible sures ; il sera inhumé à Maastricht quatre jours plus
et ne doit pas être considéré comme fondé avant tard avec les honneurs militaires. Lors de cette pour-
une enquête plus poussée… suite, le C/C tchèque Vaclav Cukr est contraint de
poser son MS.406 à Rosée (près de Philippeville) où
Le No 1 Sqn connait simultanément un autre en- il est lui aussi interné. Vingt jours plus tard, lors de
gagement lorsque le F/Lt Hanks, le P/O Mould, le l’invasion de la Belgique, il sera renvoyé en France
Sgt Berry et le Sgt Albonico interceptent un He 111 et deviendra un as aux commandes d’un Dewoitine
disposant d’une escorte conséquente fournie par la D.520. Les Français ayant poursuivi le Heinkel pro-
JG 2. Dans le combat qui s’ensuit, les Britanniques fondément sur la Belgique tout en échangeant des
revendiquent le Heinkel et trois « 109 » mais rien ne tirs, une protestation officielle devrait être émise par
permet de confirmer ces « claims ». le gouvernement belge. Cependant, le souvenir de
la mort du Lt Henrard est toujours présent à l’esprit
Un He 111 H-2 du Stab/KG 1, envoyé prendre de la population et l’armée belge a certainement
des photos entre Reims et Paris, est intercepté par compris l’inanité de ces indignations diplomatiques
le GC II/3 comme le décrit le journal de guerre à une époque où le danger d’une guerre de mouve-
de l’escadrille : Samedi 20 avril : jour anniversaire ment se précise sans que l’on puisse faire quelque
du Führer… Le temps aujourd’hui est propice aux chose…
missions aériennes. (…) 09h31. Un avion ennemi Peu après, une seconde patrouille du GC II/3 inter-
laissant derrière lui une grande traînée blanche ap- cepte sur Dunkerque un « Do 215 » qu’elle pour-
paraît à l’horizon. Le décollage de la patrouille est suit en vain jusqu’à Bruxelles. Les belligérants ne se
accéléré. Bientôt le chef de patrouille Poincenot et donnent même plus la peine de feindre de respecter
son équipier Loï prennent le contact avec le Boche l’espace aérien des pays neutres tant la tension est
(8.500 m.) et nous annoncent à la radio un superbe palpable en cette fin avril !
Heinkel 111. Du sol, nous suivons les évolutions de
ces trois avions. Le Boche persiste dans l’exécution De son côté, le Stab III./KG 2 est amputé tempo-
de sa mission ce qui permet au capitaine Clausse rairement d’un appareil lors d’une mission de lar-
de faire décoller une seconde patrouille et de la pla- gage de tracts sur Pont-à-Mousson. Égaré lors de
cer judicieusement à la verticale de Charleroi. Le la nuit du 20 au 21 avril, le Do 17 Z « U5+BD »
Heinkel se voyant poursuivi et après une attaque de franchit la frontière helvétique vers 01h15. L’appareil
Poincenot fait demi-tour ce qui permet à Loï de lui orbite un temps sur Bâle avant de se poser sur l’aé-
couper la route et de se rapprocher. Le Boche conti- rodrome de Birsfelden probablement éclairé en sa
nue à fuir mais au bout de quelques minutes est faveur pour faciliter sa manœuvre. En atterrissant,
intercepté par la patrouille du S/Lt Troyes qui aussi- l’avion est légèrement endommagé mais l’équipage
tôt lui livre combat. La poursuite se prolonge sur le de quatre hommes est sauf. Les aviateurs sont inter-
territoire belge jusqu’à Hasselt. Les quatre Morane nés. Le lendemain, ils refuseront de faire décoller

Le He 111 H-2 « V4+DA »,


posé sur le ventre dans un
verger à Bunde (aux Pays-
Bas) le 20 avril 1940.
94

Le 22 avril 1940, le GC I/5


abat un Do 17 P de la 3.(F)/11
qui ira s’écraser à Rancimont
(Belgique). L’appareil est
homologué au S/Lt Rouquette,
à l’A/C Bouvard et
au S/C Morel.

l’appareil pour le bénéfice des militaires suisses qui Reims lorsque les Curtiss H-75 du S/Lt Warnier et
se passeront néanmoins de leur concours, un pilote du Sgt Tallent surgissent du soleil. Ils ne peuvent
local convoyant sans encombre le bombardier à Dü- être repoussés car la mitrailleuse arrière se bloque.
bendorf. Il y sera repeint aux couleurs de l’aviation Le pilote plaque alors son bimoteur au sol et vole à
suisse puis longuement testé. Si les hommes vont cinq ou six mètres d’altitude, sautant les obstacles
très vite être renvoyés dans le Reich, le « U5+BD » en tous genres qui se présentent devant lui. Les
ne sera retourné que le 19 septembre 1940 à ses chasseurs lâchent finalement prise et le Dornier peut
propriétaires, unique cas de restitution d’un appareil revenir à Langendiebach. Le radio a été légèrement
militaire posé en Suisse neutre lors de la Seconde blessé, une balle ayant arraché son serre-tête et tail-
Guerre mondiale... lé une large estafilade sur son front. Un centimètre
plus avant et il était tué ! Le Staffelkapitän viendra
Le jour suivant, le 21 avril, le Do 17 P « 4U+EH » en personne féliciter l’équipage pour avoir ramené
de la 1.(F)/123 revient très avarié après une ren- l’appareil troué par cent dix impacts...
contre avec une patrouille légère du GC I/5. Le
Dornier piloté par l’Uffz. Hauburg a pour mission de Le 22 avril, nouvelle victoire pour l’Armée de l’Air
photographier les aérodromes dispersés autour de lorsque le GC I/5 attaque un Do 17 P de la 3.(F)/11

Bien que l’appareil soit


totalement disloqué, un seul
membre d’équipage a été tué.
95

En mai 1940,
un aviateur
allemand traver-
sant Neuchâteau
photographiera
la tombe de
l’Uffz. Siegfried
Beisbarth tué à
Rancimont.

Le Do 17 « 7A+BM » de la
4.(F)/121, égaré sur la France,
vient se poser à Tintigny le 25
avril 1940.

Le bimoteur porte nettement


son numéro de série 173 sur
le nez.

L’appareil et son équipage ont


très vite été capturés par des
soldats belges.
96
qui va s’écraser sur le sol belge. Selon un rapport toire de Léglise. (…) L’équipage rentrant de mission
du GQG : Le 22 avril, à 7h17, un avion allemand aurait été attaqué à grande altitude sur la région de
de reconnaissance Dornier 17 immatriculé FN+GL Sedan par trois avions français de chasse MS.406.
s’est abattu au sud-est de Neufchâteau sur le terri- Pour échapper à  ces tirs, le pilote a piqué afin de
se soustraire à une attaque par en dessous. Les
chasseurs français ont dû abandonner la poursuite
temporairement mais sont parvenus à rattraper l’ap-
pareil allemand volant à basse altitude sur la région
d’Anlier-Léglise. Les Morane ont tiré. Le mitrailleur
arrière a riposté. Une balle a atteint le pilote alle-
mand à la nuque provoquant vraisemblablement la
mort instantanée. L’appareil s’est alors abattu en se
disloquant complètement au contact du sol. Il n’a pas
pris feu. Malgré l’impact particulièrement violent,
deux aviateurs blessés sont capturés. Dans l’épave
on trouvera des tracts qui auraient dû être lancés
au cours de la reconnaissance. Une fois de plus, il
apparait nettement que les Français ont sciemment
poursuivi le bimoteur sur la Belgique. Mais les res-
ponsables militaires belges doivent s’en faire une
raison, d’autant plus qu’une carte trouvée dans les
débris du Dornier semble indiquer que, loin d’avoir
violé l’espace aérien par erreur, son équipage devait
revenir en Allemagne via Neufchâteau tout en pre-
nant probablement des clichés du secteur. Or, c’est
Un des tracts stigmatisant l’alliance franco-britannique trouvés dans le « 7A+BM ». Ici, via les Ardennes que, environ deux semaines plus
Napoléon à Sainte-Hélène voisine avec Jeanne d’Arc sur le bûcher à Rouen... tard, les Panzer vont réussir la percée de Sedan !

Le 23 avril, un Do 17 P attaché à l’escadrille de


reconnaissance rapprochée 1.(H)/13 est intercepté
près de Metz par treize Curtiss H-75 du GC II/5.
Sauvé par l’intervention d’une douzaine de Bf 109 E
du I./JG 52, il peut revenir à son aérodrome avec un
aviateur blessé et un moteur endommagé.
Ce jour-là, un Do 17 Z de la 7./KG 2 engagé en
reconnaissance et largage de tracts sur la France
s’écrase à Avenay, victime probable d’un ennui mo-
teur. Un des aviateurs tente bien de se parachuter
mais il est tué comme ses trois camarades.

Le 25 avril, rebelote lorsqu’un Do 17 P vient se


poser en Belgique mais, cette fois, en une seule
pièce... Le « 7A+BM » (W.Nr. 0173) de la 4./(F)/121
s’en revient d’une longue reconnaissance photogra-
phique sur le centre de la France lorsque le temps se
bouche. Égaré et avec un avion à bout de carburant,
l’Oblt. Peter Döring, observateur et chef de bord,
L’intérieur de l’appareil, considéré comme propre et très fonctionnel. croit reconnaître la vallée du Rhin (!) et fait poser
l’appareil à Tintigny, quelques kilomètres au-delà de
la frontière française. Des soldats belges accourent
mais l’équipage les confond avec des membres de
l’Arbeitsdienst, le service allemand du travail, au
vu de leur uniforme kaki. Les aviateurs sont du
coup aisément appréhendés avant d’être envoyés à
Bruxelles. Le 10 mai 1940, jour de l’invasion de la
Belgique, remis aux forces britanniques, ils partiront
pour la Grande-Bretagne tandis que leur avion, tou-
jours intact et demeuré sur place, sera détruit avec
des explosifs. Les Belges ne vont donc disposer que
de peu de temps pour étudier un fort bel exemplaire
de Fernaufklärer disposant d’un remarquable en-
semble d’appareils photographiques : Un de 19 F à
main et deux automatiques à commande à distance,
l’un de 30 cm, l’autre de 50.

Le Do 17 est de plus en plus supplanté comme


Fernaufklärer puisque, ce même 25 avril 1940, un Ju
88 A-1 de la 4.(F)/121 est légèrement endommagé à
Echterdingen après un incendie moteur.
Le poste de pilotage du Do 17 de Tintigny.
97

Un des Ju 88 A-1(F) tout


neufs de l’Aufklärungsgruppe
121 à Krefeld. La version de
reconnaissance du Ju 88 est
identifiable, sous cet angle, à
l’absence de freins de piqué
sous la voilure.

Mai 1940 allemand détruit le radiateur du Hurricane, contrai-


gnant Dunn à se poser brutalement près de Rethel.
L’Europe vit désormais ses derniers jours de paix Victime d’une fracture du crâne, il sera évacué le
relative. lendemain en Angleterre où il décédera le 1er juin
Le 5 mai, un Ju 88 A de la 3.(F)/121 est endom- 1940. Le bimoteur, bien qu’endommagé, peut reve-
magé au décollage de Langendiebach, un moteur nir à son terrain.
s’étant arrêté. Une probable maladie de jeunesse... Un Ju 88 A-1(F) tout neuf de la 1.(F)/123, engagé
L’équipage est indemne mais l’avion sera déclassé. sur le secteur Chartres – Tours à la recherche d’aé-
Le 7 mai, alors qu’un He 111 de la 2.(F)/122 rodromes, est contraint de se poser sur le ventre
s’écrase à Drensteinfurt lors d’un exercice combiné à Azy après un nouveau problème de moteur. Les
de nuit (équipage tué), un Do 17 P de la 3.(F)/123 quatre aviateurs sont capturés indemnes. Aupara-
revient endommagé après un combat avec des chas- vant, ils ont pu mettre le feu à leur appareil.
seurs. Son équipage est par contre indemne. Enfin, un Do 17 Z du Stab/KG 2 revient se poser
Le 9 mai, dernier jour de cette « Drôle de Guerre », à Homburg, très endommagé par des chasseurs. Il
le P/O Dunn – remis depuis longtemps de sa « cap- semble qu’il revenait d’une mission sur la France. Si
tivité belge » – et le Sgt Nowell du No 87 Sqn effec- l’appareil est détruit à 80%, son équipage est néan-
tuent une patrouille au départ de leur nouvelle base moins indemne.
de Senon. Ils revendiquent un Bf 110 qui ne leur
sera pas confirmé. Deux Do 17 sont alors aperçus. Le 10 mai 1940, le Fall Gelb, l’invasion à l’Ouest,
Un Do 17 P de la 4.(F)/121, revenant d’une mis- démarre …
sion sur des aérodromes, est mitraillé par Dunn sur
Lunéville. Un aviateur est blessé mais le tir défensif

Le personnel de la 4.(F)/122 accueille son tout premier


Junkers Ju 88 A-1(F).

Retour d’une mission sur la France pour un Ju 88 de la


4.(F)/122. De gauche à droite : Oblt. Günther Pannwitz
(chef d’escadrille), Dr. Bränenkamp (météorologue), Oblt.
Friedrich Hoppe (Staka 2.(F)/122, en visite) et deux autres
membres d’équipage. Le Major Pannwitz sera tué le 21
juillet 1944 près de la Sardaigne comme Kommandeur de
l’Aufkl.Gr. 122. Le Major Hoppe lui succèdera.
98

Les vols allemands -l’Oblt. Wilhelm Ohmsen, capturé à Staple le 2


novembre 1939, reviendra à l’unité. En avril 1942,
sur la France durant comme Hptm., il mènera la Wekusta 1, puis la
la « Drôle de guerre » 3.(F)/122. Le 10 avril 1943, il sera porté disparu lors
d’un vol dans le secteur nord du front de l’Est.
Comme on le sait de nos jours, la « Drôle de -L’Oblt. Werner Theil, capturé le 21 novembre 1939,
guerre » ne l’a pas été pour tout le monde… Si les mènera en 1941 la 4.(F)/11 après avoir été promu
fantassins sont demeurés pour la plupart l’arme au Hptm. Comme Major, il aurait terminé la guerre au
pied, les aviateurs des nations belligérantes – et Höhere Kdo der Kampf- und Aufklärungsfliegerschu-
même neutres ! – ont eu fort à faire et subi parfois len.
des pertes sérieuses ; parmi eux les équipages de -Le Lt. Kurt Behnke, capturé le 23 novembre 1939,
reconnaissance lointaine. Si les incursions des appa- mènera fin 1941 la 1.(F)/124  ; puis, promu Hptm.
reils franco-britanniques sur le territoire du Reich en 1943, la 1.(F)/120. Il semble avoir survécu à la
ont été nombreuses et parfois sanglantes, ces ren- guerre.
seignements ramenés au prix de nombreux efforts -Le Lt. Theodor Rosarius, capturé près de Calais le
ont été inutiles en raison de la passivité alliée. Par 13 janvier 1940, connaîtra une fort belle carrière
contre, lorsque le 10 mai 1940, la Wehrmacht dé- puisque, en fin de guerre, il mènera la 2./Versuchs-
clenche le Fall Gelb, ses unités vont trouver face verband Ob.d.L., le célèbre « Cirque Rosarius » ras-
à elles un terrain largement « déminé » en grande semblant les avions alliés capturés en état de vol.
partie grâce aux photos ramenées par les Do 17, -L’Oblt. Adolf Leupolt, ancien de la Légion Condor
He 111 et Ju 88 des Fernaufklärer. La victoire al- capturé le 2 mars 1940, sera en 1943 au NAGr 12 et
lemande de mai-juin 1940, la fameuse Blitzkrieg, semble également avoir vu la fin de la guerre.
doit dès lors beaucoup à ceux que l’on peut taxer -L’Oblt. Klaus Pritzel, capturé à Ozolles le 20 avril
d’ « aviateurs de l’ombre », ces discrets artisans de 1940, passera en 1942 à la 2.(F)/ObdL puis mènera
la grande campagne à l’Ouest trop souvent et injus- la Wekusta 76. Ayant reçu la Ritterkreuz et promu
tement passés sous silence. Major, il commandera plusieurs escadrilles de recon-
naissance avant de terminer la guerre à la tête du
FaGr 2. Entré à la Bundesluftwaffe, il prendra sa re-
Quelques destins traite comme Obstlt. ; il est décédé le 22 mars 1974
à Rheydt.
Après la chute de la France, tous les prisonniers al- -Le Lt. Franz Oswald, observateur de Ju 88 capturé
lemands détenus dans les camps de l’Hexagone vont le dernier jour de la « Drôle de Guerre », partagera
être libérés, la plupart des aviateurs reprenant leur un temps sa captivité française avec le fameux as de
place au sein de la Luftwaffe. Une grande différence la chasse Werner Mölders. Suivant les conseils de ce
donc d’avec les combats sur la Grande-Bretagne. À dernier, il entrera dans une école de pilotage et fera
titre d’exemple, voici quelques carrières d’une poi- alors tout le restant de sa carrière à la Schlacht, vo-
gnée d’entre eux : lant entre autres sur Hs 129 et combattant en URSS,
en Afrique et en Italie. Il recevra la Ritterkreuz
le 24 octobre 1944, étant crédité d’une cin-
quantaine de blindés détruits. Il est décédé à
Munich le 13 janvier 2003.

FIN

Remerciements à Claude Archambault (identifica-


tions de photos), Jean-Louis Roba, Peter Taghon
et Yves Soudit (documents divers) ainsi qu’à Matti
Salonen (informations sur les pertes).

Sources

-Bundesarchiv-Fribourg : série RW2. Interrogatoires


de prisonniers de guerre libérés.
-Collectif Avions, Le Morane MS.406. Lela Presse
2002.
-Mohrt Michel, Marin la Meslée. Ed. P. Horay 1952.
-Nederlandse Koninklijke Luchtmacht (divers au-
L’Oblt. Klaus Pritzel remis
teurs), Illusies en incidenten. s.d.
aux gendarmes de Charolles
-Rabeder Harald, Die Knullenkopfstaffel (1.(F)/123).
le 20 avril 1940.
Flechsig Verlag 2016.
(coll. Y. Soudit)
-Rabeder Harald, Ommert Stefan et Schlee Alois,
Der Adler mit dem Fernrohr (2.(F)/123). Flechsig
Verlag 2017.
-Roba Jean-Louis, Cieux de Guerre (R. de Hemri-
court). De Krijger 1998.
-Roba Jean-Louis, La RAF en France. Les Hurricane
T.I. Batailles Aériennes n° 66. Lela Presse.
-SHD-Air Vincennes. Interrogatoires de prisonniers
allemands.
99

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vous preniez une résolution culturelle...
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