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N° 642 Mai 2023

Patrouille de France
L’âge d’or
des “Mystère” IV
Témoignages inédits de pilotes
L 19853 - 642 S - F: 8,20 € - RD

Potez 53 “Super Sabre” Restauration Salmson 2A2

Un petit bolide Supersonique Un Piper “Cub” Pionnier


fait le bonheur de dès son premier sous les couleurs sur les routes
son constructeur vol en 1953 de l’US Navy de l’Aéropostale
8,20 € mensuel DOM/S : 9.20 € - BEL/LUX : 9 € - CH : 13.30 FS – CAN : 14.10 $cad – ESP/ITA/GR/PORT CONT/ANDORRE : 9.40 € - N CAL/S : 1230 xpf – POL/S : 1350 xpf – MAR : 62 DH – Ile Maurice : 9.30 €
SOMMAIRE N° 642/MAI 2023
Bon anniversaire la Patrouille !
L
a Patrouille de France célèbre cette année ses
70 ans. Pour l’occasion Le Fana de l’Aviation et
Planète Aéro s’associent pour vous proposer un
grand panorama sur cette patrouille qui attire toujours
autant les foules. Nous avons retrouvé pour votre plus
grand plaisir le témoignage du général Capillon dans
lequel il explique avec moult détails la création de la
patrouille et ses premiers meetings aériens à la fin des
années 1950. Préparez-vous à un plongeon dans le bain
de l’histoire. De quoi être songeur quand il raconte
La Patrouille de France que les “Mystère” IV franchissaient à tout moment le
sur “Mystère” IV. mur du son ! Autre avion, autre temps… Impossible
Composition de Daniel Bechennec. d’imaginer le “bang” résonner aujourd’hui au Salon
DR
du Bourget ! Les successeurs de Capillon sur “Alpha
Jet” gardent le même feu sacré. Et surtout, surtout, souligne Capillon, “n’oubliez pas
les mécaniciens” sans qui la Patrouille de France n’existerait pas.
Je vous souhaite une bonne lecture ! Le Fana
Espace Clichy, immeuble SIRIUS
9, allée Jean-Prouvé. 92587 CLICHY CEDEX
E-mail : redac_fana@editions-lariviere.com
PRÉSIDENT DU CONSEIL DE SURVEILLANCE

4 Actualités
Patrick Casasnovas La première campagne du GC III
PRÉSIDENTE DU DIRECTOIRE
Stéphanie Casasnovas 58 Normandie (mars-novembre 1943)
DIRECTEUR GÉNÉRAL
Frédéric de Watrigant Une épreuve du feu
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
10 Courrier
ET RESPONSABLE DE LA RÉDACTION :
Patrick Casasnovas glorieuse, mais
ÉDITEUR : Karim Khaldi
RÉDACTION
12 Livres chèrement payée
Tél. : 01 41 40 34 22
Rédacteur en chef : Alexis Rocher Deuxième partie. Juillet 1943 voit
Rédacteur en chef adjoint : Xavier Méal
Rédacteur graphiste : François Herbet, 13 Abonnements les premières victoires du Normandie.
Secrétaire de rédaction : Antoine Finck
Secrétariat : Nadine Gayraud Les premières pertes de pilotes aussi.
Les 70 ans de la Patrouille de France
SERVICE DES VENTES 18 Une campagne impitoyable s’engage.
(réservé aux diffuseurs et dépositaires)
Jennifer John-Newton L’âge d’or Le Salmson 2A2
Tél. : 01 41 40 56 95
des “Mystère” IV 68
IMPRESSION : Imprimerie Compiègne. Bonne surprise
Avenue Berthelot 60200 Compiègne.
Papier issu de forêts
gérées durablement.
supersoniques sous l’uniforme
Origine du papier : En 1957, le lieutenant Capillon reçoit
Allemagne. Taux Deuxième partie. À la fin de la guerre,
de fibres recyclées : l’ordre de créer à Dijon la Patrouille
63 %. Certification : les Salmson 2A2 défrichent les routes
PEFC/EU ECO LABEL. de France. Comment faire ?
Eutrophisation : commerciales. Commence l’épopée de
0,003 kg/tonne.
Le Potez 53 et la Coupe Deutsch l’Aéropostale.
32 de la Meurthe en 1933
Ce jour-là… 25 mai 1953
Le coup de poker 76 Premier vol du “Super Sabre” Rejoignez
Le Fana

DIFFUSION : MLP
gagnant de Potez Un coup d’éclat sur Facebook

Printed in France/Imprimé en France


SERVICE PUBLICITÉ Henry Potez se lance dans la course Le “Super Sabre” entre dans
Directeur de publicité : Christophe Martin sur Twitter
Assistante de publicité : Nadine Gayraud de vitesse avec un petit bolide. Pari l’histoire en passant le mur du son
Tél. : 01 41 40 34 22 gagnant ! Le Potez 53 décroche la lors du premier vol.
E-mail : PubFana@editions-lariviere.com
PETITES ANNONCES CLASSÉES Coupe Deutsch de la Meurthe 1933.
Tél. : 01 41 40 34 22

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ET VENTE PAR CORRESPONDANCE
38 Les nouveautés du mois.
(ANCIENS NOS/DOCAVIA/MINIDOCAVIA)
Tél. : 03 44 62 43 79 Le petit nuage bleu
E-mail : abo.lariviere@ediis.fr et sur
CHEF DE PRODUIT ABONNEMENT :
Carole Ridereau Tél. : 01 41 40 33 48
de l’US Navy
TARIFS ABONNEMENT : Quand un Piper “Cub” endosse
France : 1 an soit 12 nos + 2 HS version papier
et numérique : 153,92 € l’uniforme de matelot de l’US Navy
Montant du prélèvement mensuel : 7 €
Autres pays et par avion : nous consulter pour notre plus grand plaisir. Pour vous abonner :
Correspondance : Fana de l’Aviation,
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Le Fana de l’Aviation est une publication
46 Opération Turquoise, 22 juin-22 août 1994
des ÉDITIONS LARIVIERE ; S.A.S. au capital
de 3 200 000 € ; dépôt légal, 2e trimestre 2023.
Commission paritaire : n° 1027 K 82003.
Une saison en enfer Au sommaire
du prochain numéro
ISSN : 0757-4169 Deuxième partie. La France met en
N° de TVA intracommunautaire : ■ Les F-16 Israéliens (1980-1982)
FR 96 572 071 884 place de toute urgence des moyens ■ Le Boeing E-4
CCP 11 5915A Paris
RCS Nanterre B572 071 884. aériens pour faire face au drame. ■ La Patrouille de France
12, rue Mozart, 92587 CLICHY CEDEX de 1957 à 1959 (2/2)
Tél. : 01 41 40 32 32 – Fax : 01 41 40 32 50. ■ Normandie-Niémen (3/3)
Toute reproduction, même partielle,
des textes et illustrations publiés dans Le Fana ■ L’opération Turquoise (3/3)
de l’Aviation, est interdite sans accord préalable
de l’éditeur. La rédaction n’est pas responsable
des textes et illustrations qui lui sont envoyés
sous la seule initiative de leurs expéditeurs. AC
ACTUALITES

Un avion espion des plus historiques


vole à nouveau en Grande-Bretagne

MARTIN NEEDHAM
Le L-12A
Le 27 mars dernier, le Lockheed Cotton avait vu un autre avion peint de dévier des plans de vols pour photographier G-AFTL a
L-12A “Electra Junior” immatriculé cette couleur pratiquement disparaître des aérodromes et des installations militaires. retrouvé la
G-AFTL a fait son premier vol après le décollage, concluant que la couleur Le 28 août 1939 – l’Allemagne allait envahir livrée qu’il
après restauration à Sywell au Royaume-Uni, se fondait bien avec celle du ciel. Cette la Pologne le 1er septembre – , le G-AFTL fut portait en
aux mains de Pete Kinsey. Le bimoteur a été couleur fut utilisée sur un certain nombre le dernier avion civil à quitter l’Allemagne. Au 1939, quand il
remis en état de vol par la société Air Leasing d’avions de reconnaissance photographique Royaume-Uni, il fut utilisé pour des missions était utilisé par
de Richard Grace, pour son propriétaire de la RAF avant l’introduction du célèbre de reconnaissance pendant la Drôle de l’espion Sydney
Graham Peacock. Il était arrivé démonté PR Blue. La deuxième innovation était une Guerre, jusqu’en juin 1940. Le 19 septembre Cotton pour
des États-Unis le 25 mars 2022. fenêtre latérale en forme de goutte d’eau, 1940, alors qu’il était à Heston, il fut des missions de
Sorti de l’usine Lockheed de Burbank, montée sur le cockpit, qui permettait à Cotton endommagé par un bombardement. Expédié reconnaissance
en Californie, en 1936, le L-12A numéro de regarder droit vers le bas, ce qui était aux États-Unis, il y fut réparé et vendu. En photographique
de série 1203 fut d’abord immatriculé crucial pour faire de la photographie précise. 1974, il fut acheté par le cameraman aérien sur l’Allemagne.
NC16077 pour le compte de la Continental Utilisé à partir de mai 1939 pour effectuer Art Scholl et utilisé pour le tournage du film
Oil Co. En avril 1939, il fut acquis par des vols de reconnaissance au-dessus de Doc Sauvage Arrive ou pour une mini-série
l’homme d’affaires australien Sydney l’Europe, l’un des faits les plus marquants de sur Amelia Earhart produite par NBC. Il fut
Cotton, également connu comme aviateur, l’histoire de cet avion réside dans les survols revendu en 2003 à l’Américain Ben Runyan
qui officiait secrètement pour le MI6 entrepris en juillet-août 1939 au-dessus de qui perdit la vie en Yak-52 en 2008. Un groupe
(les services secrets du Royaume-Uni). l’Allemagne : sous couvert de transporter des de copropriétaires français en fit l’acquisition
Immatriculé G-AFTL, il fut équipé de personnalités, Sydney Cotton n’hésitait pas à en 2015, mais ne l’importa jamais en France.
réservoirs de carburant supplémentaires
de 70 gallons (265 l) qui firent passer la Le Lockheed
distance franchissable de 700 à 1 600 milles L-12A G-AFTL
(1 126 à 2 575 km). L’avion comportait à Heston en
1939 ou 1940.
par ailleurs un certain nombre d’autres
innovations, y compris des supports dans
les ailes et le fuselage pour les caméras F.24
cachées derrière des portes coulissantes
électriques et deux autres inventions de
Cotton. Une autre innovation était la couleur
de l’avion, un vert œuf de canard (duck
egg green) très pâle appelé “camotint”.
DR

4
En bref
Un nouveau “Spitfire” Une épave de Fw 190
exhumée en Hongrie
a retrouvé le ciel en Angleterre Au début du mois de mars, le ministère de la Défense
Le Supermarine “Spitfire”Mk IX matricule TE517, immatriculé hongrois a annoncé que des fouilles commencées en
G-RYIX, a effectué son premier vol post-restauration le 5 avril décembre dernier avaient permis d’exhumer les restes
aux mains de Dan Griffith depuis l’aérodrome de Biggin Hill, près de d’un Fw 190 ayant servi dans la force aérienne hongroise
Londres. Il est le 15e “Spitfire” restauré par Biggin Hill Heritage Hangar/ pendant la Deuxième guerre mondiale. Le chasseur s’est
The Spitfire Company et porte les couleurs qui étaient les siennes écrasé près de la ville d’Ajka en 1945. C’est la première
lorsqu’il était piloté par le Tchèque Otmar Kucera, commandant du fois qu’une épave de Focke-Wulf 190 portant l’insigne
Squadron 313 de la Royal Air Force. Après la guerre, le TE517 servit
avec la force aérienne israélienne. Son épave fut récupérée par le
collectionneur Robs Lamplough en Israël en 1976 et la restauration
du chasseur fut entamée au début des années 1980, puis poursuivie Dan Griffith
à partir d’avril 1985 par feu Charles Church qui décéda en 1989. En ramène le
“Spitfire“ Mk IX
1992, il fut immatriculé G-CCIX et sa restauration fut reprise jusqu’à ce
TE517 à Biggin
que la cellule fût vendue à l’Américain Kermit Weeks en 1992 – sans
Hill à l’issue de
quitter la Grande-Bretagne. Il fut vendu une nouvelle fois en 2005
son premier vol
avant d’être acquis en 2009 par The Spitfire Company (BH) Ltd qui a
d’essai, le
commencé sa restauration en état vol en 2020. 5 avril dernier.

DR

national hongrois est retrouvée en Hongrie. De nombreuses


parties facilement identifiables de l’avion ont été retrouvées
à 3-4 m de profondeur, y compris le gouvernail, l’aile, le
moyeu de l’hélice et les pièces du moteur. Les restes du chef
de peloton Géza Strókay, le pilote, ont vraisemblablement
également été exhumés avec les morceaux de l’avion. Il est
documenté que deux Fw 190 hongrois ont été perdus dans
la région en 1945. Tous deux participaient à une mission
de soutien rapproché avec le 102e escadron de chasseurs-
bombardiers sur le front de l’Est. Le “Fóka” (lion de mer)
FLYASPITFIRE.COM/MIKE BANNISTER était le nom donné à l’avion par la force aérienne hongroise
qui en a utilisé 72 entre novembre 1944 et mai 1945.

Le “Mirage” III de Payerne fera Un ancien Rallye 100S “Canari”


de l’Aéronautique navale à Tarbes
ses tout derniers vols en mai
Par communiqué le 27 mars dernier, le musée Clin d’Ailes,
basé à Payerne en Suisse, a annoncé que son Dassault
“Mirage” IIIDS immatriculé HB-RDF (ex-J-2012 des Troupes
d’aviations suisses) ne volera plus. L’Office fédéral de l’aviation
civile (Ofac) n’a pas renouvelé le certificat de navigabilité
du “Mirage”, arguant de réacteurs arrivés en fin de potentiel
et du vieillissement de certaines pièces et composants.
Le musée Clin d’Ailes a néanmoins obtenu une autorisation spéciale
afin d’effectuer deux ultimes vols le 25 mai prochain. Une fois
ces derniers vols effectués, le HB-RDS ne prendra plus l’air.
Rendez-vous
Construit en 1982, le J-2012 avait volé au sein des Troupes d’aviation HÉRITAGE AVIONS MORANE-SAULNIER
le 25 mai
suisse de 1983 à 2003. Depuis 2008, il volait à nouveau grâce au
à Payerne pour À Tarbes, début avril, l’association Héritage Avions Morane-
musée Clin d’Ailes qui proposait des baptêmes payants à bord de le dernier vol Saulnier a reçu par la route le Morane-Saulnier “Rallye”
ce biplace. Il était le dernier “Mirage” III privé encore en état de vol. du HB-RDF.
DR
100S code de fuselage 65. Le “Rallye” 100S est la version
employée par l’Aéronautique navale de 1974 à 2013 sur ses
bases de Lanvéoc-Poulmic, Fréjus-Saint-Raphaël, Cuers
et Rochefort. Ces avions furent surnommés “Canari” du fait
de leur couleur jaune, surnom qui fut aussi l’indicatif radio de
ceux de la 50S. L’objectif pour l’association Héritage Morane
Saulnier est de le remettre en état de vol au bénéfice d’un
certificat de navigabilité restreint d’aéronef de collection
(CNRAC). À Morlaix, l’association Armor Aéro Passion a
de son côté pour projet de remettre en vol le “Rallye” 100S
code de fuselage 66.

5
ACTUALITES

CYRILLE DAVESNE

L’AeCF remet son second Prix Balsan


Le 3 avril dernier, dans les salons Ci-dessus,
de l’Aéro-Club de France, sous “Rafale” M au
la présidence de Catherine catapultage
Maunoury, Olivier Lavielle, président du jury sur le Charles
de Gaulle par
du Prix Jacques Balsan, et Philippe Lacroute,
Cyrille Davesne,
président de la commission Histoire, Arts
1er prix de la
et Lettres, ont récompensé les lauréats
catégorie Futur.
de la seconde édition de ce prix de la
photographie aéronautique ; 300 photos Ci-contre, le
avaient été soumises cette année. Les cliché de Pierre
lauréats du premier prix des trois catégories Gelon, 2e prix
ont reçu un Panasonic Lumix S5 II et divers de la catégorie
autres cadeaux présentés par les nombreux Présent.
sponsors (AirLegend, Dassault, Squadron
303, Barnstormer, Transavia, entre autres). Ci-dessous,
Catégorie Passé - L’aéronautique C-47 à Air
de collection : Legend par
Arnaud
– 1er prix : Elsa Carto alias “Cookaynne”
Vanmullen,
(artiste graphique)
2e prix
– 2e prix : Arnaud Vanmullem
de la catégorie
– 3e prix : Erwan Garel
PIERRE GELON Passé.
Catégorie Présent – l’aéronautique civile
et/ou légère contemporaine : prix de la catégorie “Passé” du Prix de
– 1er prix : Lionel Maingueneau la photographie Jacques Balsan.” La
– 2e prix : Pierre Gellon “photo” en question est un montage, une
– 3e prix : Paul Basque composition graphique, réalisée sur la
Catégorie Futur - L’aéronautique militaire base d’une photographie “d’une maquette
et/ou spatiale contemporaine : métallique”, sur laquelle ont été appliqués
– 1er prix : Cyril Davesne de nombreux effets graphiques grâce
– 2e prix : Julien Mortreuil à un logiciel spécialisé. Un internaute
– 3e prix : Régis Krol (photo du Rafale Solo particulièrement averti a même retrouvé
Display publiée dans le compte rendu sur Internet la photo originale du Hugues
du meeting Air Legend de Melun H-1 “Racer”, dont l’auteur n’est pas l’artiste
dans Le Fana de l’Aviation n° 635). graphique qui a soumis sa composition à
Quelques jours après cette soirée, l’Aéro-Club de France… De quoi alimenter
l’Aéro-Club de France s’est fendu d’un les débats de la commission Histoire, Arts et
communiqué sur sa page Facebook, “à Lettres (HAL) de l’Aéro-Club de France avant
la suite de l’émoi suscité par le premier le lancement du prochain concours.
ARNAUD VANMULLEM

6
En bref
Adieu Mister Guillem L’historique usine Wright de Dayton
ravagée par un incendie
Jacques Guillem n’est plus. Nous savions notre grand ami
condamné depuis plusieurs mois ; il s’est éteint le 1er avril. Le 26 mars dernier, l’historique usine de la Wright Company
Nous avons déjà dit combien, depuis le début des années 1980, sa à Dayton, dans l’Ohio, a été considérablement endommagée
présence nous était précieuse. Son décès, bien qu’attendu, nous par un incendie qui s’est déclaré tôt le matin. L’usine, qui est
bouleverse. Notre Grand Jacques (plus d’1,80 m) avait quelque actuellement gérée par la National Aviation Heritage Area,
chose d’extraordinaire, joyeusement partagé entre d’égales a été construite en 1910-1911 et présentait “d’importantes
passions : l’Afrique, la photo, l’aviation. caractéristiques de construction originales de l’époque
Nonchalant, avouant n’avoir jamais connu d’inquiétude dans un des frères Wright, notamment le toit en bois et la structure de
cockpit, même lorsque des circonstances difficiles exigeaient support”. Supposée être la plus ancienne usine de fabrication
la plus vive attention, il entrait dans nos bureaux avec le plaisir
du gourmand qui découvre une belle table (et gourmand, à
table, il était !). Contrôleur aérien, pilote privé titulaire de plus de
3 500 heures de vol, il avait une parfaite connaissance de l’aviation
commerciale. Doué d’une prodigieuse mémoire, il connaissait Jacques Guillem
par cœur les spécifications et les performances de la plupart des arpente
avions commerciaux au point de pouvoir discuter quasiment d’égal l’aérodrome
à égal avec leurs pilotes. Nous nous amusions à des devinettes : des Mureaux
devine ce que je vois… Un matin, depuis Athènes nous l’avons lors d’un
appelé parce que nous avions devant nous une grande rareté en meeting
Europe, un Convair 640 de couleur brune avec une immatriculation en 2017.
très récente. Il réfléchit quelques minutes et soudain s’écria : Il puisait dans
“(…) mais il l’a vendu ! Il était jaune, c’est un Convair 640 qui…, son immense
etc.”, et de nous débiter le pedigree de cette machine dont le collection de
DR
précédent opérateur était espagnol. Cette anecdote n’est qu’un photographies
petit exemple de ce dont il était capable. Un magicien qui sortait pour, d’avions au monde, l’usine de la Wright Company a produit
tous les avions du monde de son chapeau. Il nous réjouissait. notamment, environ 120 avions avant d’être vendue par Orville Wright
Très attentif à ce qui se publiait sur l’aviation, il nous a beaucoup proposer en 1915. Achetée par la ville de Dayton en 2018, elle a été
aidés lorsque, traversant une période pénible, nous décidâmes les fameux officiellement inscrite au registre national américain des lieux
de réformer Le Fana de l’Aviation. Plus que jamais, son amitié “Albums” historiques en septembre 2019. Des travaux de préservation et
fut alors notre force. Notre revue porte ainsi sa marque. du Fana de de restauration étaient en cours depuis. La cause de l’incendie
Il fut aussi de bon conseil pour des pilotes de quelques avions l’Aviation, ou et l’étendue des dégâts ne sont pas encore connues.
la non moins
anciens dont il connaissait mieux qu’eux les caractéristiques
pour avoir beaucoup lu, souvent entre les lignes, et pour avoir
fameuse “Malle Le dernier pilote tchèque ayant
mystérieuse
longuement discuté auparavant avec leurs précédents exploitants.
de Mister combattu durant la Deuxième
Photographe impénitent d’avions, autant dire même boulimique, Guerre mondiale est décédé
Guillem”.
il possédait une vertigineuse J -P TEAN IERRE OUZEAU

collection d’images dont il Le dernier pilote tchèque vivant qui a combattu le IIIe Reich
nous faisait aussi profiter, alors qu’il servait dans la Royal Air Force pendant la Deuxième
nous, vous et bien d’autres. Guerre mondiale, Emil Bocek, est décédé à l’âge de 100 ans,
Nonchalant, malgré quelques le 25 mars dernier. Né le 25 février 1923, Emil Bocek avait
rares et violentes colères qui fui la Tchécoslovaquie en 1939 à l’âge de 16 ans lorsque son
duraient peu, il transpirait un pays avait été occupé par les troupes allemandes. Il avait
bonheur de vivre d’autant plus ensuite combattu les nazis en France, puis s’était rendu en
contagieux que, de contact
facile, ce grand solitaire
(jusqu’à ce qu’il se trouve
une épouse) était d’excellente
compagnie. Une vieille chanson
pourrait bien le résumer : “Dans
la vie faut pas s’en faire, moi je
n’m’en fais pas…” Cela nous
changeait. Sa venue était un
moment de détente, même si
le respect des horaires ou de
nos demandes n’était pas son
fort. Car, malheureusement, DR
sa nonchalance était aussi le
masque derrière lequel il se Grande-Bretagne, où il avait d’abord servi comme mécanicien
cachait face aux rigueurs de au sein du Squadron 312 de la RAF avant de rejoindre
la vie. Jacques est désormais le Squadron 310 en tant que pilote, en 1944, sur “Spitfire”.
pour l’éternité dans les nuages Ces deux escadrons étaient composés de pilotes
où il a toujours voulu vivre. tchécoslovaques. Il effectua 26 vols opérationnels et reçut
À Nadine, à ses enfants plusieurs décorations. En 2016, lors d’un vol en “Spitfire”
vont toutes nos pensées. biplace, il avait déclaré à la télévision britannique :
Michel Bénichou “Le “Spitfire” est un avion incroyable, un avion parfait.”
et Alexis Rocher

7
ACTUALITES

Le F-16 Solo Display belge en invité ved


L’édition 2023 du spectacle
annuel Le Temps des Hélices
de l’Amicale Jean-Baptiste Salis
sera la 50e à avoir lieu sur le plateau
de Cerny-La Ferté-Alais. Elle aura lieu les
27 et 28 mai, et aura un sérieux parfum
de Belgique avec la présence de la patrouille
Red Devils sur SF-260M Marchetti et du
F-16 Solo Display de la force arienne belge.
L’accès se fera de 7 h 00 à 20 h 00 le samedi
et le dimanche ; il est réservé aux seules
personnes autorisées les 26 mai et 29 mai.
Le matin vous pourrez visiter l’exposition
statique de 9 h 00 à 12 h 00 ou faire un
baptême de l’air en avion ancien de 8 h 30
à 12 h 00 (lire encadré page 9). L’après-
midi, le spectacle aérien se déroulera de
13 h 00 à 18 h 30, avec un programme
identique les deux jours.
Seront à l’affiche les traditionnels tableaux
des Faucheurs de marguerites et Le Temps
des as-mars 1917 – véritable marque de
La Ferté-Alais. Pour le grand spectacle, un
tableau de voltige simultanée à trois Bucker
“Jungmeister” offrira une nouveauté qui Le F-16 Solo
promet de marquer ! Autre nouveauté : Display
une des toutes premières apparitions de la force
aérienne
d’Alternative Duo, un duo de Fournier
belge.
RF-4 (lire Le Fana de l’Aviation n° 637).
De Grande-Bretagne viendront les quatre
FORCE AÉRIENNE BELGE
Druine “Turbulent” du Turbulent Team pour
leur impayable numéro de cirque aérien.
Pour ceux qui aiment les “gros oiseaux
de guerre”, le “Spitfire” F-AZSJ de Dijon
fera un duo avec le “Spitfire” Mk XIV basé à
La Ferté-Alais et qui n’a encore jamais été
vu en spectacle aérien ; seront également
présents C-47, le “Skyraider” Sandy
F-AZHK d’Avignon et le P-40 de France’s
Flying Warbirds de Melun, avec quelques
invités étrangers comme le Curtiss H-75
“Hawk” de The Fighter Collection
et le Morane 406 suisse.
Pour l’emblématique tableau Tora, Tora,
Tora, une dizaine de T-6 ont été convoqués,
ainsi que des effets pyrotechniques et
sonores jamais entendus. Quant au tableau
Good Morning Vietnam, il sera composé Le F4U-5N
de trois North American T-28 en plus des Casques
des habituels Douglas AD-4N “Skyraider” de Cuir.
et North American OV-10 “Bronco”
de Montélimar.
XAVIER MÉAL ALTERNATIVE DUO
L’Aéronautique navale dépêchera plusieurs
“Rafale” M et un “Falcon” 10, l’aviation
légère de l’armée de Terre (Alat) une SA 340
“Gazelle” et un SA 330 “Puma”, tandis que
Acheter vos billets sur Internet
l’armée de l’Air et de l’Espace sera présente pour vous faciliter l’accès
en force avec la Patrouille de France,
le Rafale Solo Display (RSD) et l’équipe Pour fluidifier au maximum le trafic dans la côte menant à l’aérodrome, pensez à
de voltige de l’armée de l’Air (EVAA). acheter vos billets à l’avance sur Internet : https://letempsdeshelices.fr/billetterie/
Une autre belle surprise sera la présentation Il y aura la possibilité d’en acheter sur place, mais la file risque d’être longue…
d’un Lockheed Martin C-130J “Super Les spectateurs ayant acquis des billets en prévente pourront accéder plus
Hercules” de l’escadron franco-allemand rapidement aux parkings. Les billets d’accès pour les camping-cars sont vendus
Rhein/Rhin. par Internet. Attention, pas de camping possible sur l’aérodrome.
À ne manquer sous aucun prétexte !
8
Infos pratiques
ette à La Ferté-Alais !
Le conseil du Fana
Réservez votre baptême Venir assister au spectacle le samedi plutôt que
le dimanche : les accès seront moins encombrés.
de l’air en avion ancien Quoi qu’il en soit, prenez de la marge si vous venez
en voiture, car les embouteillages sont à prévoir,
Aero Vintage Academy proposera des baptêmes de l’air en surtout si la météorologie a été annoncée bonne !
Travel Air, PT-17 Stearman (ci-dessous) et T-6. Il est plus Venez tôt si possible, les accès sont ouverts dès 7 h 00.
que prudent de réserver bien à l’avance votre vol, non pas N’oubliez pas de prendre avec vous protection solaire,
par le site web AVA, mais en téléphonant au 01 64 57 52 89 ainsi que chapeau ou casquette… et les protections
ou par e-mail à contact@aerovintageacademy.com. auditives pour les plus jeunes.
Vous pourrez aussi faire un baptême sur le MS.893
“Rallye” de l’AJBS (vente uniquement sur place). Acheter vos billets à l’avance !
Pour les amateurs de voilures tournantes, ABC Il ne sera pas possible d’acheter les billets sur place.
Hélicoptères proposera également des baptêmes ! Il en coûte 32 euros par adulte et 15 euros par enfant
(de 12 à 16 ans) pour à la fois accéder à l’enceinte générale
et visiter le parking avion le matin. L’accès est gratuit pour
les moins de 12 ans, sur présentation d’une pièce d’identité.
Les billets peuvent être achetés à l’avance sur le nouveau site
Internet de l’AJBS : https://letempsdeshelices.fr/billetterie/.
Billet camping-cariste (visite exposition statique incluse)
par personne, valable pour les deux jours : 76 euros.
Pas de camping possible sur le terrain d’aviation ; ceux qui
veulent dormir sous la tente peuvent le faire aux campings
de Boissy-le-Cutté, Itteville, La Ferté-Alais, Mondeville.

S’y rendre sans se perdre


Un bon moyen d’éviter les longues files d’attente est
d’emprunter le train au départ de Paris-Gare de Lyon,
FRÉDÉRICK VANDENTORREN jusqu’à La Ferté-Alais (RER D ROPO puis BOVO à Corbeil-
Essonnes, direction Malesherbes). Attention, un train
La nouvelle par heure uniquement ; l’aller simple coûte 5 euros,
patrouille temps de trajet :1 heure et 20 minutes.
Alternative Duo La gare est à 20 minutes à pieds de l’aérodrome ;
sur Fournier RF-4 un fléchage sera mis en place.
fera à La Ferté- Sinon, ci-dessous, l’itinéraire pour vous y rendre en voiture.
Alais ses débuts
en spectacle
aérien.

ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE


La Patrouille
de France sera
de la fête
le samedi
et le dimanche.

9
LE COURRIER
“Falcon” avec canards merci pour ces
précisions sur le programme
du “Falcon” 2000. Ce best-seller
L’article sur le “Falcon” 2000 “Avanti” à réaction équipé d’un plan est toujours au catalogue de
dans Le Fana n° 640 suscite canard à commandes actives. Serge Dassault en version modernisée.
la réaction d’un connaisseur, Dassault est sceptique et préfère
Pierre Parvaud : “Dès novembre 1983, attendre des réacteurs plus puissants
le bureau d’études de Dassault sur un projet plus conventionnel utilisant
se penche sur le remplaçant du un maximum de composants
“Falcon” 20 avec le réacteur disponible du “Falcon” 900.
à l’époque, le Garrett TFE 731-5 C’est ainsi que naît le “Falcon” X dont
de 4 500 livres de poussée [2 040 kg]. la maquette est dévoilée le 8 juin
Pour proposer une cabine à plancher 1989 au Salon du Bourget, permis
plat de 1,83 m sous plafond, soit 2,30 m par l’apparition du réacteur CFE 738
de diamètre extérieur, une masse au et par le nouveau dessin du tronçon
décollage de 9,8 t, un rayon d’action de fuselage arrière supportant les
de 2 600 NM [milles nautiques, réacteurs. Le même jour est dévoilé
4 815 km] avec huit passagers à le nouveau logo Dassault, un trèfle à
Mach 0,84, il faut maîtriser trois grands quatre feuilles évoquant le talisman
pas technologiques : laminarité de Marcel Dassault dans un encadré
augmentée sur toutes les surfaces, en forme de delta, symbolisant le
masse à vide allégée par utilisation de dynamisme et l’esprit d’ouverture
matériaux composites, et commandes de l’entreprise. Il est rebaptisé
de vol électriques actives. “Falcon” 2000 au salon NBAA d’Atlanta
La réponse du bureau d’études est d’octobre 1989.”
le projet FX2C, une sorte de Piaggio Pierre Parvaud DR/COLL. P. PARVAUD

La dernière malle mystérieuse de Mister Guillem


La réponse du mois dernier les hommes d’affaires”. Avec la disparition de Jacques Guillem s’en vont
Bravo à tous les lecteurs qui ont répondu à l’ultime photo mystère sa malle mystérieuse et cette rubrique qui animait vos recherches.
proposée par l’ami Jacques Guillem. Randy Volpe nous écrit de suisse : Le défi du mois
“Votre avion mystère est le très rare Rhodes Berry “Silver Sixty”, un effort En hommage, voici la première photo de Jacques Guillem qui entamait
fait en 1959 pour créer une version du Douglas B-26 plus spacieux pour une collection extraordinaire. D’après vous de quand date-t-elle ?

Quand Jacques Guillem a-t-il


photographié ce DC-4 espagnol
au Bourget ?

JACQUES GUILLEM

10
Hercules (EAA 601), j’ai eu l’occasion de voler
sur “Noratlas” lors d’un vol de réception
En complément du courrier de après modification radio qui permettait
Didier Gaitte paru dans Le Fana le décollage et l’atterrissage aux
n° 640, je vous envoie deux photos du instruments (une chaîne de modification
moteur “Hercules” en coupe qui était installée dans le hangar à côté
montrent le mécanisme qu’il décrit dans du nôtre). J’ai fait connaissance à cette
son article, photos prises lors de ma occasion du brûleur Avialex, ou tout du
visite en 2008 au musée écossais de moins de l’absence de fonctionnement,
East fortune. Pour la petite histoire, nous car en faisant le plein, l’essence a refoulé
possédions, dans la section propulseurs dans l’aile et donc hors de question
du lycée technique aéronautique de Ville d’allumer le chauffage. Comme dit Didier
d’Avray avant qu’il devienne IUT en Gaitte : “Il fait froid à 3 000 m.”
septembre 1968, un cylindre dudit Le voyage consistait à aller à Poitiers,
moteur avec un mécanisme faire trois touch and go, puis même
LE FANA DE L’AVIATION
qui permettait de faire fonctionner chose à Bricy et retour à Châteaudun. Une très rare
la chemise intermédiaire
et bien voir l’ouverture et la fermeture
Le temps a paru long… Quant au
brûleur Avialex, j’ai eu la surprise d’en
apparition du
Klagenfurt.
Gros poisson
des lumières servant de soupapes. faire plus ample connaissance dans mon L’apparition du Klagenfurt dans
J’ai toujours été sidéré de voir cette travail, lorsque j’étais responsable de Le Fana n° 641 a provoqué de
Le moteur
ingéniosité et de me dire qu’il avait la plateforme d’essais de l’usine A.M.A nombreuses réactions. Jean-Paul
Hercules avec
équipé moult avions pendant et après (Jaeger) de Vendôme. J’ai vu revenir des Chaumette : “Un grand merci à la
ses cylindres
la Deuxième Guerre mondiale. Pendant brûleurs dont la chemise était fondue. rédaction du Fana pour la merveilleuse
à chemises
mon service militaire sur la Ba 279 Michel Glabier nouvelle : Le Klagenfurt Klf 255 (et non
louvoyantes.
pas Kif…) est ressorti de l’eau où
l’avait noyé l’oberst Fritz Nichtbaul.
Bravo au professeur Aprilscherz qui a
exhumé et fait imprimer sur peau de
poisson toute la documentation, le cuir
d’avril étant le meilleur. De quoi
compléter avantageusement l’article
paru, il y a… 50 ans dans
Le Fanatique de l’Aviation n° 43…
Ein Prosit ! Continuez comme ça,
la revue est un bonheur !”
François Gourdol : “Je kiff ce poisson
volant d’avril ! Vous avez fait fort
– peut-être à cause du schnaps !”
Bref, nous ne pouvions pas ne pas
rendre hommage à nos prédécesseurs
qui sortirent il y a 50 ans le fameux
Klagenfurt, devenu avec le temps notre
Nessie, notre monstre du Loch Ness
qui apparaît régulièrement, notamment
quand la consommation de whisky
entraîne le passage d’éléphants
roses ou de souris blanches selon
l’expression idiomatique. Un jour le
Klangenfurt reviendra…
MICHEL GLABIER

Faites-nous
vivre vos Ferté !
Rendez-vous cette année
les 27 et 28 mai pour célébrer
la 50e édition du meeting aérien
Le Temps des Hélices à Cerny-La Ferté
Alais. Dans cette perspective,
Le Fana de l’Aviation vous propose
chers lecteurs de publier dans
le numéro de juin vos plus belles photos
des avions marquants,
de vos souvenirs impérissables lors
des précédentes éditions. À vos albums, Le Messerschmitt Bf 109 G-2 “6 noir”
à vos cartons d’archives. Faites-nous de l’Imperial War Museum vu en 1993.
vivre vos Ferté !
LAURENT RAFFIANT

11
À LIRE, À VOIR
Itinéraire entre 1939 et 1945, Airnautic. Un sujet original elles sont racontées de Buck Danny dans le
d’un pilote notamment la défaite de
juin 1940, les combats
tant cette compagnie
ne peut se targuer
avec son lot d’anecdotes
et de jargon de pilote.
Pacifique en 1943. Tout
commence dans l’enfer
contre les Britanniques à d’une longue existence ; Tout est expliqué, de Guadalcanal, avec son
travers le bombardement elle exploita une flotte décortiqué ; une lot de “Zero” et autres
de Gibraltar ou la terrible d’avions plutôt rares dans introspection intéressante avions japonais – à noter
campagne de Syrie, sans le ciel de l’hexagone entre au-delà du récit factuel un “Gekko” de chasse
oublier le débarquement 1957 et 1965, comme sur les raids en Bosnie ou de nuit. Buck Danny se
des Alliés en Afrique du Vickers “Viking”, les exercices de combats retrouve ensuite en P-38
du Nord en novembre du Douglas DC-2 et du aériens. Un témoignage et participe à l’interception
1942. Autant d’épisodes Boeing “Stratoliner”. Un puissant sur l’état d’esprit et la destruction de l’avion
douloureux avant que dossier très complet fait des pilotes de combat. qui transportait l’amiral
la guerre ne reprenne, le tour du sujet, le tout Yamamoto. Le tout sur
cette fois-ci aux côtés accompagné de belles arrière-fond de la Première
des Alliés en 1944. photos. À noter aussi Guerre mondiale et
un grand article sur des spectacles aériens
Félix Ortolan la compagnie Aéro- des Barnstormers dans les
L’Ardhan (l’association Mémoires de guerre Service au Congo entre années 1920. On ne vous
pour la recherche de (1939-1945) 1967 et 2015. en dit pas plus. Plongez
documentation sur Les Cahiers de l’Ardhan avec délices dans les
l’Histoire de l’Aéronautique n° 42, 64 pages, 16 € Icare n° 264 aventures de la période
navale) consacre son 42e ISBN 978-2-913344-52-5 139 pages, 22 € classique de Buck Danny !
cahier à la carrière de Sur abonnement
Félix Ortolan. Un itinéraire ou dans certains kiosques.
intéressant dans la La compagnie
mesure où ce pilote fit la
campagne de France sur
Airnautic Pilote
le bombardier en piqué
Loire-Nieuport 411, passa
de combat Dans le cockpit
sur Martin 167F lors de Quand les historiens se L’excellence
la campagne de Syrie pencheront sur le métier dans l’inconnu
en 1941, puis sur Lioré de pilote de combat dans Par Siegfried Usal
et Olivier 451 en Afrique les années 1980 et 1990, Éditions du Panthéon
du Nord. La dernière ils ouvriront sans doute 341 pages, 23,9 €
campagne de Félix Ortolan les pages de ce livre. ISBN 978-2-7547-6334-9
se déroula sur SBD Siegfried Usal partage ici
“Dauntless” au-dessus
de la poche de Royan en
son expérience de pilote
de “Mirage” 2000 puis Buck Danny Buck Danny,
1945. Ces mémoires de
guerre livrent tout un état
de F-18 canadien, depuis
son passage par l’École
dans le fils du Viking noir
Par Yann et
d’esprit et permettent de Notre vénérable confrère de l’air jusqu’à la fin le Pacifique Giuseppe de Luca
mieux comprendre ce qui Icare se penche dans son de sa carrière. Plusieurs Chez Dupuis
se passa dans les unités n° 264 sur la compagnie opérations de combat Séquence nostalgie 48 pages, 15,5 €
de l’Aéronautique navale aérienne française scandent ces années ; avec cette aventure ISBN 97-1-0347-6746-5
JACQUES GUILLEM

Potez 84, échec et mat


Voici l’histoire d’un échec commercial cuisant. 1930. Ce livre ausculte le programme
Henry Potez n’était pas le seul à viser le du Potez 84 en plongeant dans les archives.
remplacement du légendaire DC-3 dans les C’est toute la politique industrielle et aéronautique
années 1950. Il lança plein d’espoir le Potez 84 française des années 1960 qui est ici analysée,
et s’acharna à le vendre. Ce fut un échec décortiquée. C’est ainsi que le nom
retentissant. L’avion ne plaisait pas ou peu. de Chirac apparaît. Une publication
Les différentes versions proposées au fil des dense, qui va au fond des choses Potez 84
P
années ne changèrent rien. Ce fut le dernier avion et offre une vision globale Le dernier avion
L
d’Henry Potez, prestigieux avionneur des années d’un programme aéronautique. d’Henry
d Potez
Par
PPaa Pierre Parvaud
Chez
Chh Skyshelf
C
2 pages, 34 €
258
25
ISBN
IS 978-90-832184-7-2
IS

Potez 840 vu lors


d’un Salon du Bourget.
12
TÉMOIGNAGES
Les 70 ans de la Patrouille de France
L’âge d’or
des “Mystère” IV
supersoniques
Première partie.
De 1957 à 1961 la Patrouille de France
évolue sur le “Mystère” IV supersonique.
Bernard Capillon, son premier leader,
raconte sa mise en place.
Maurice Larrayadieu le rejoint en 1959.
Ce fut une période tumultueuse
marquée par les rivalités entre patrouilles,
notamment liées aux passages du mur
du son en meeting.
Témoignages inédits de Bernard Capillon
et Maurice Larrayadieu réunis par Alexis Rocher

E
n 1957, Bernard Capillon est chasse la responsabilité de la mise
lieutenant à la 2 e escadre sur pied d’une patrouille acrobatique
basée à Dijon : “J’étais parti qui se présentera au Salon interna-
en Algérie mettre en place tional du Bourget cette année. Cette
l’EALA (Escadrille d’avia- patrouille portera le nom de
tion légère d’appui) 1/72 sur T-6. Je Patrouille de France”. Nous sommes
reviens à Dijon un début février.
peu avant Noël Chaque comman-
1956. Après les dant d’escadron
fêtes, le comman- constituera une
dant de la 2e es- patrouille de Le capitaine
cadre, le com- quatre avions et Bernard Capillon
mandant Souviat, nous déciderons en 1959.
fait son rapport après 15 jours d’en- Il était à la tête
avec les trois com- traînement qui de de la Patrouille
de France
mandants d’esca- ces jeunes gens
depuis 1957.
dron qui “redes- nous retiendrons.
cendent” le lundi Il y avait un seul
midi et qui an- impératif : le leader
noncent : “Nous de cette patrouille
SIRPA
avons pour direc- devait sortir de
tive de constituer une patrouille acro- l’École de l’air et être lieutenant com-
batique qui s’appellera la Patrouille mandant d’escadrille. Ô Merveille ! Il
de France”. Effectivement, une note y en avait un qui remplissait cette exi-
de l’état-major à la 2e escadre dit gence dans chaque escadron. Au 1/2
schématiquement : “Nous avons (les Cigognes) le lt Castagnos, au 2/2
décidé de confier à la 2e escadre de (Côte-d’Or) le lt Parisot, au 3/2 Alsace

18
SIRPA
À partir de 1957 la Patrouille de France
évolua sur le Dassault “Mystère” IV.

19
LES 70 ANS DE LA PATROUILLE DE FRANCE

“ “Ils ne sont pas cibles au sol, NDLR] à 36 avions


comme ça se faisait à l’époque. Le
commencé à travailler ensemble. Un
cinquième personnage s’imposait
quatrième vol, le premier à quatre quand même, à l’évidence il fallait
fanas.” C’est redescendu, avions, base 5 000 pieds [1 524 m], a
lieu le 28 février.
avoir au moins un leader rempla-
çant. C’est comme ça que mon cama-
fulgurant : “Ils le feront Notre rendez-vous est le 1er juin.
J’insiste beaucoup là-dessus car on
rade de promotion Claude Castagnos
a été le cinquième. Souvent on a dit
quand même” ” voit bien la confi ance qu’on nous
portait et notre impréparation par
après : “C’est la patrouille de
Capillon”, mais c’est aussi celle de
rapport aux standards auxquels Castagnos. Nous avons fait les
nous sommes arrivés depuis. Quinze choses ensemble, avec les équipiers.
moi-même. Nous avons reçu la direc- jours après nous étions verticale ter- Je dois beaucoup à Castagnos dans
tive suivante : “Êtes-vous volontaire rain. Je règle tout de suite le cas du cette affaire. Il aurait pu ressentir une
pour être leader de la Patrouille de 2/2, la patrouille de Parisot, qui a petite amertume, freiner ceci ou cela,
France ?” Les trois réponses ont été fait un passage et deux évolutions. mais absolument pas, nous avons
fulgurantes : Non ! Motif, en tout cas Nous savions qu’il ne voulait pas. tout fait ensemble.
pour ce qui me concerne : quand on Son cas a été vite expédié. Il y avait Nous sommes le 9 avril et tout
dit à quelqu’un qui n’est absolument un jury composé du commandant est décidé. Le cdt Delachenal était
pas préparé : “Voulez-vous être capi- d’escadre, souverain, et d’un autre là et nous a donné des directives
taine de l’équipe ?”, il y a une crise de “technicien”, son camarade, le claires, précises : “Une patrouille
modestie que l’on rencontre peu dans cdt Delachenal, qui était le conseiller acrobatique, il faut que ce soit
l’aviation de chasse mais qui existe de [commandant de la 3e escadre de quatre avions soudés pour rouler
temps à autre, même à Dijon. chasse ; lire plus loin son rôle dans ensemble, décoller ensemble, tour-
Très sincèrement ce fut notre cas, la Patrouille de France, NDLR]. ner ensemble. Rien ne bouge. Vous
nous n’avions pas de dispositions faites les figures comme si c’était un
particulières. Nous n’avions pas été “Ne pas dissocier seul avion. Le public adore ça”.
remarqués dans telle ou telle circons- J’aime le général Delachenal, mais
tance. On répondait aux critères
une équipe” je dois dire que c’était un conseil
lieutenant, école de l’Air, comman- Les uns et les autres nous pen- totalement erroné, périmé.
dant d’escadrille. Sur six comman- sions que, au regard de ces trois pa-
dants d’escadrille, nous étions trois trouilles, le commandant d’escadre La Patrouille de France
à remplir ces conditions – sans ou- prendrait tel leader, tel équipier
blier “célibataire si possible” à cause gauche, tel équipier droit, tel charo-
supersonique
des absences. La réponse des trois gnard [le pilote qui prend position Le premier meeting a eu lieu le
commandant d’escadron est remon- derrière l’avion du leader, et qui en 14 avril. C’était une séance de mise
tée instantanément vers le comman- cas de problème, est apte à pouvoir en jambes à l’occasion d’une cérémo-
dant d’escadre : “Ils ne sont pas fa- le remplacer, NDLR]. Ce ne fut pas nie à Lahr [base aérienne 139. Située
nas.” C’est redescendu, non moins le cas. Nous avons fait sans doute une en Allemagne, elle est occupée par
fulgurant : “Ils le feront quand présentation honorable pour un tra- l’armée de l’Air jusqu’en 1967 puis
même” ! Et c’est ainsi que Castagnos vail d’escadre, mais probablement par les Canadiens, NDLR]. La
au 1/2, Parisot au 2/2 et moi-même encore fort modeste. À l’atterrissage, séance était constituée d’un travail à
au 3/2 ont pris leur disposition. Nous le commandant d’escadre a décidé quatre avions. On changeait relati-
avions le choix de nos équipiers dans que ce serait la patrouille de Capillon. vement peu de formations. On faisait
l’escadron. Castagnos a joué le jeu, Point. Cela partait du principe de ne du box [formation à quatre avions]
moi aussi. Mon camarade Clovis pas dissocier une équipe qui avait et de l’échelon. Le cinquième avion
Parisot un peu moins. Il ne voulait
pas. En bon militaire il a exécuté, il
est allé faire une séance d’entraîne- “Les “Skyblazers”
ment. Point. Le commandant d’es-
cadre a dit : “Rendez-vous dans 15 étaient parfaits”
jours verticale terrain.” Bernard Capillon évoque la patrouille des “Skyblazers”
qu’il côtoyait souvent à l’époque : “Les Américains avaient
Une confiance malgré deux patrouilles. Les “Thunderbirds” aux États-Unis,
et les “Skyblazers” en Europe sur F-100 “Super Sabre”.
l’impréparation Ils faisaient preuve d’un très grand professionnalisme.
Nous voilà donc partis. J’ai pris Ce qu’ils faisaient n’était pas extraordinaire, mais c’était
trois équipiers. Le célèbre Joulia, parfait. Quand ils faisaient une figure elle était parfaite ;
bien connu dans le milieu du quand ils montraient une formation elle était parfaite.
“Mirage” III par la suite, Arrault à Le plus beau box au monde était américain.
droite et derrière Legros. Nous Leur série n’était souvent pas aussi bien que celle d’autres
sommes en février 1957. Mon pre- patrouilles, mais ce qu’ils faisaient était sans reproche.
mier vol est le 14 février. Mais c’était 20/20. Ils avaient un avion extraordinaire. Le F-100 c’était
une tâche parmi d’autres ; j’étais tou- le premier appareil avec postcombustion. Quand elle était
jours commandant d’escadrille. Mon engagée, c’était le succès assuré. Quand la patrouille
deuxième vol a lieu le 19 février, le passait à basse altitude ça avait un effet extraordinaire.
troisième le 21. Entre-temps, nous C’était une patrouille de professionnels avec un avion
faisons toutes sortes de missions, y supérieur aux autres. Plus gros, plus lourd, plus bruyant.
compris des sweep [rechercher et Un peu à l’échelle des Américains !” DR/COLL. DOUGLAS GORDON
détruire des avions ennemis ou des
20
La Patrouille de France
au Salon du Bourget de 1957.

ECPA

était utilisé lors de la séance pour 30 000 pieds [9 144 m], remontait en Le Salon du Bourget
faire le “bang”. et s’arrangeait pour passer une deu- de 1957
Nous décollions à cinq avions. xième fois le Mach au moment de
L’un disparaissait en montant en alti- l’éclatement. Un succès assuré ! Le 1er juin nous étions au Meeting
tude. Nous arrivions dans le dos du Sinon nous étions du international au Bourget. Nous
public au moment plus pur classicisme.” sommes arrivés sans complexe par-
même où le cin- Les “Mystère” IV ticulier. À cette époque il y avait plu-
quième appareil sont décorés. Ber- sieurs patrouilles acrobatiques, et
piloté par Casta- nard Capillon ra- disons-le cette année-là, une solide
gnos passait le conte : “Le chef des compétition. Nous n’avons pas été les
Mach en visant le moyens techniques Aviation meilleurs, loin de là. Les “Skyblazers”
terrain, de telle sorte de la base de Dijon Magazine américains étaient présents (lire en-
que ça fasse un était le lieutenant- de juillet 1957 cadré page 20). Deux patrouilles se
“bang” le plus fort colonel Bossu, plus fait sa une sont singulièrement distinguées. Les
possible. Plus ça ta- connu sous le nom avec la Patrouille “Black Arrows”, la patrouille an-
pait fort, plus les d e “B o b o s s e ”, de France. glaise sur “Hunter”, ont fait du beau
gens étaient contents. “mécanicien de travail, en changeant plusieurs fois
La foule en délire ! chasse” disait-il. de formation. Le “Hunter” était un
Les gens pensaient Grand dessina- avion qui avait des facilités extraor-
que c’était nous les teur, il a dessiné dinaires pour faire de la voltige. Il
quatre avions qui arri- les peintures avait plus de puissance [par rapport
M AGAZINE
VIATION
vions en supersonique. A telles que nous les avons au “Mystère” IV, NDLR] et des vo-
C’était l’ouverture de la séance, que encore. L’idée était de souligner le lets qu’il pouvait garder déployés
nous terminions avec l’éclatement. caractère national d’une part, et de jusqu’à 10° à toutes les vitesses.
E ntre-temps Castagnos, qui mieux suivre les avions en vol Ça faisait quelque chose de plus
avait passé Mach 1 du côté de d’autre part.” enlevé, ça cadençait beaucoup ; ça

Le “Super Sabre” de la patrouille


des “Skyblazers”.

21
LES 70 ANS DE LA PATROUILLE DE FRANCE

VINCENT
DHORNE

Le “Mystère” IV piloté par Bernard Capillon


alors leader de la Patrouille de France.

“respirait” dans la patrouille ! Un effet extraordinaire. Mais ce parlé de rien jusqu’au café. Il m’a dit
Surtout il y avait la patrouille ita- n’était rien à côté des fumigènes. La alors : “On dit que la patrouille n’a
lienne [les “Cavallino Rampante”, patrouille italienne a été la seule à pas fait ceci ou cela. Quel est votre
NDLR], un peu des “furiosi” [tra- avoir des fumigènes blancs cette point de vue ? De quoi avez-vous
duire : des furieux]. Elle a fait un année. C’était extraordinaire pour besoin ?” J’avoue que quand on est
véritable tabac. Elle était sur F-86E suivre les avions, faire un beau bal- lieutenant, ça fait plaisir. On nous a
“Sabre”, bien conduite par le capi- let dans le ciel. alors véritablement dynamisés,
taine Melotti. Grâce aux perfor- N ous avons fait pendant ce donné confiance. Le temps passant,
mances de l’avion et à la vigueur du Salon, selon le commentaire que j’ai volant beaucoup, nous nous sommes
leader, ils ont fait une très belle pré- eu, “un beau travail d’escadre”. beaucoup améliorés.
sentation. Comme le samedi ils Nous voilà de retour à Dijon, sans
avaient bien marché, le dimanche complexe de pilote, mais avec un 1958, la Patrouille
ils ont fait leur éclatement entraînement insuffi sant par rap-
1 500 pieds [457 m] plus bas que le port aux autres patrouilles. Le
de France en sommeil
minimum qu’ils s’étaient fixés. gén. Stehlin, à la tête du 1er comman- En 1958, comme il n’y avait pas
C’est-à-dire qu’il a failli planter la dement aérien tactique (CATac), est de Salon du Bourget, l’état-major a
patrouille ! Le charognard est passé venu à Dijon. Simple lieutenant, décidé de mettre en sommeil la
entre les arbres après l’éclatement. j’étais invité à sa table. Nous n’avons Patrouille de France. On n’avait pas

Quand la Patrouille de France


décorait les casquettes…
Bernard Capillon raconte comment la Patrouille de France a adopté les
fumigènes : “Il a été décidé qu’il était nécessaire de mettre des fumigènes sur les
“Mystère” IV, à l’instar des Italiens. C’était très important. On a modifié un avion
en enlevant les deux caissons à munitions derrière le pilote pour les remplacer
par des réservoirs pour les fumigènes. Le fumigène débouchait à l’arrière, à
quelques centimètres de la tuyère. Les Italiens avaient fait blanc, on fera mieux : La Patrouille
bleu, blanc, rouge. On a eu bien des malheurs. Le blanc est facile à faire. Il suffit de France
de mettre de l’huile de vidange et de le faire brûler à la bonne température. avec fumigène
Les deux autres couleurs étaient difficiles à réaliser. Tout le monde s’y est mis. un 14 juillet.
Ça a coûté beaucoup d’argent. Finalement on a acheté des pigments en
Allemagne. On avait pour finir une fumée toujours blanche, belle. Et puis on avait
du bleu et du rouge. Mais alors avec des nuances qui couvraient une sacrée
gamme : la couleur dépendait de la température, qui dépendait de la position
de la manette des gaz ! Du coup on avait souvent du pointillé. On faisait du
pointillisme. Mais nous étions très contents et très fiers d’avoir nos fumigènes !
Nous voilà fiers comme Artaban lors de notre première présentation avec
fumigène à Dijon devant un parterre avec casquettes blanches. Nous sommes
passés assez bas, très bas. Nous avons fait un regroupement à sept.
Deux avions, qui étaient les plus hauts, passaient à hauteur du hangar.
Deux avions perpendiculaires venaient le long de la piste, en dessous
des autres. Et moi je passais encore en dessous… Je ne suis pas sûr
que les avions avaient la hauteur nécessaire pour sortir leurs trains
d’atterrissage ! Une séance réussie avec nos nouveaux fumigènes.
En me posant je ne comprenais pas bien en voyant les gens s’épousseter.
Toutes les casquettes étaient piquetées de bleu et de rouge indélébiles !” SIRPA

22
JEAN NOËL
Atterrissage
bien compris la leçon ! En 1957 étions plus raisonnables. Nous y en box lors dosser toutes les responsabilités. Il
nous n’avions pas le bon niveau au sommes “allés” une seule fois, pour du Salon faut le faire !
Salon. On repartait pour faire la montrer que nous savions aussi le du Bourget Nous avons beaucoup travaillé
même chose en 1959 ! Le comman- faire ! Nous avons quasiment res- en 1957. les changements de formations.
dant de la 2e escadre avait lui com- pecté les règles. Les Américains ont Voler serré c’est bien, mais il fallait
pris. Le cdt Saint Martin s’est litté- eux fait la série “mauvais temps”… montrer que nous pouvions changer.
ralement “assis” sur cette directive les règles, les règles ! En 1958, nous avions le bon niveau
et nous a fait confi ance. J’avais ex- je crois, même si nous n’étions pas
pliqué au gén. Stehlin l’année “Fiers de voler Les pilotes
aussi spectaculaires que le bruit des
d’avant qu’il était difficile d’être en quatre F-100 américains. Nous
même temps pilote opérationnel et
sur un avion français” de la Patrouille étions sans complexe. Nous étions
de France en
être pilote à la Patrouille de France. Deuxième souvenir de 1958 à surtout fiers de voler sur un avion
1958.
Message reçu. J’étais second d’esca- Salon-de-Provence. La patrouille français, pas sur les F-84 et F-86
De gauche à
dron, mais mon capitaine ne m’a était officiellement en sommeil. Mais américains. Nous savions faire aussi
droite debout :
pratiquement jamais vu. Nous il fallait s’entraîner un peu. Nous Abadon,
bien que les Anglais avec leur
étions séparés. On nous a donné un nous sommes présentés à sept devant Ponsol, “Hunter”. Le “Mystère” IV avait des
hangar pour s’installer. Une autre le chef d’état-major. Je ne serais pas Castagnos, commandes vol remarquables, il
orientation a fait que nous sommes grossier en rapportant les propos du Legros, était très agréable à piloter. Mais il
devenus une patrouille à quatre + gén. Gelée, chef d’état-major de Capillon. manquait de poussée, ça nous a très
trois remplaçants. Enfi n dernière l’armée de l’Air, qui a dit en voyant À genoux souvent gênés. Les “Mystère” IV ont
décision : avoir des fumigènes (lire la belle séance, pour être poli : “Je l’ai Joulia et été remarquablement disponibles.
encadré page 22). dans le dos.” Le cdt Saint Martin Marras Nous n’avons jamais fait en trois ans
N ous avons fait beaucoup était avec nous, à la radio, prêt à en- une présentation avec un avion en


(devant).
moins de meetings puisque nous
étions offi ciellement en sommeil.
De temps en temps cependant on
sortait. Nous avons été au meeting
de l’Otan à Bitburg, en Allemagne,
où se retrouvaient sept ou huit pa-
trouilles. Ça s’est bien passé. Je
pourrais parler des “pousse-au-
crime” dans cette affaire… Le pla-
fond était de 3 20 0/3 50 0 pieds
[975/1 068 m]. Le problème était :
série “beau temps” ou série “mau-
vais temps” ? Nous avions tous
décidé entre leaders que ça serait la
série “mauvais temps” puisque per-
sonne n’avait la place pour faire
une boucle. Les Anglais ont atta-
qué. Au deuxième passage ils sont
partis en boucle dans une forma-
tion et sont sortis des nuages dans
une autre formation. Ils ont fait la
série “beau temps”, dont la moitié
était invisible. Là-dessus les
Italiens ont suivi, et ils ont fait aussi
la même chose. “J’étais bien forcé”,
m’a dit le leader italien ! Nous
SIRPA

23
LES 70 ANS DE LA PATROUILLE DE FRANCE

moins (1). Nous avions chacun notre


avion, j’avais le n° 290. C’est un peu
“ La découverte ramment à des altitudes de 40 000
pieds [12 192 m] pour leurs missions.
comme les voitures, quand c’est tou- Il arrive que, lors du retour vers le
jours le même chauffeur, incontesta-
blement c’est mieux.
enthousiasmante de terrain, pendant une longue des-
cente dans des nuages épais, l’équi-
Le cdt Saint Martin avait fait de
la patrouille une affaire personnelle.
la voltige à très basse pier ne distingue que le bout d’aile
de son leader…
Pour 1959 il avait donné des direc-
tives : “Au meeting du Bourget 1959, altitude (…) ” Arrivant à Dijon en 1953, j’ai été
sollicité pour occuper une place
je voudrais un ballet aérien, quelque d’équipier dans la patrouille acroba-
chose qui sorte de l’habitude, dont verte de l’avion de chasse à réaction tique de l’escadron de chasse 1/2
on entendra parler. Je lui dis : sept a immédiatement montré la facilité Cigognes, formée par un box de
c’est pas mal, mais les Anglais vont de pilotage de celui-ci : simplicité de quatre “Vampire” que dirigeait le
être neuf. Il répond : “Acquis, vous la commande du moteur, puissance cne Georges Labaye. L’avion ne
allez être neuf.” augmentée, absence de couples pa- posait aucun problème de pilotage.
rasites, agrément des commandes de Il fallait seulement, pour la cohésion
Maurice Larrayadieu vol. Rapidement, de la formation,
le commande- éviter les accélé-
rejoint la Patrouille ment a encouragé rations négatives.
C’est à cette époque que Maurice la création de pa- Après une di-
Larrayadieu rejoint la Patrouille de trouilles acroba- zaine de vols, il a
France. Il avait déjà pratiqué la vol- tiques dans les été possible de
tige en patrouille sur “Vampire” et Capillon unités : il y avait présenter une
“Ouragan” : “L’arrivée des “Vam- en 1959. u n i m p or t a n t exhibition conve-
pire”, avion britannique, dans les avantage, pour nable pour des
escadres en 1949, a subitement tous les pilotes, à meetings à l’exté-
donné des idées – disons des pers- retrouver la maî- rieur. L’arrivée de
pectives prometteuses – aux chefs de trise du vol en for- l’“Ouraga n”,
ces unités. Il est vrai que la décou- mation proche, premier avion à
indispensable S IRPA
réaction français
pour la traversée d’importantes for- en unité, nous a engagés à poursuivre
(1) Lire à ce propos la bible sur le mations nuageuses, tout en conser- au plus tôt notre mission de présen-
sujet, l’excellent Mystère IV de Michel
Liebert, Éric Moreau et Cyril Defever, vant la cohésion des formations de tation acrobatique. Le pilotage de cet
chez EM 37 Éditions. chasseurs – celles-ci opéraient cou- avion n’était pas très différent de celui
DANIEL BECHENNEC
tion des F-84 de la 3e escadre dirigés
par le cdt Delachenal. Maurice
Larrayadieu poursuit : “En février
1959, j’étais commandant d’esca-
drille à l’escadron de chasse 3/2
Alsace. Le cne Bernard Capillon est
heureux de m’accueillir dans cette
équipe afi n de le soulager dans la
recherche, l’évaluation et l’entraîne-
ment des nouveaux équipiers. Une
mission qui me va comme un gant.
Après trois missions en slot (ou cha-
rognard…) derrière Capillon pour
défi nir le cadre de notre présenta-
tion, je vole quelque temps en leader
avec des équipiers dégrossis, puis en
2e charognard derrière Castagnos.
Nous avons prévu de faire trois mee-
tings fin avril, avec neuf avions.
Il a été convenu avec le comman-
dement de la 2e escadre de chasse à
laquelle nous restons rattachés, que
nous continuerons, individuelle-
ment, à assumer notre mission de
SIRPA
La 2e escadre chasse dans les escadrons, qui
du “Vampire” : le réacteur Rolls- de chasse avait s’est achevée avec la réalisation de manquent de leaders, tout en effec-
Royce “Nene” était plus puissant, une patrouille quatre meetings nationaux (deux sur tuant l’entraînement spécifiquement
mais l’avion plus lourd. Gage de sé- sur “Vampire”. “Vampire”, deux sur “Ouragan”). Patrouille de France, en fin de jour-
curité, l’“Ouragan” était équipé d’un Pour moi ce fut la découverte enthou- née par exemple. Cela paraît lourd
siège éjectable, Après une dizaine de siasmante de la voltige à très basse mais en revanche nous serons dis-
vols de prise en mains de cette nou- altitude, en patrouille et en solo. C’est pensés de tours d’alerte et d’astreinte,
velle monture, nous avons été impa- en 1953 que Jacques Noetinger parle et cerise sur le gâteau, nous conser-
tients de tâter de la voltige en pa- de la Patrouille de France pendant le verons ainsi notre qualification opé-
trouille sur celui-ci. L’année 1953 meeting d’Alger lors de la présenta- rationnelle sur l’avion.


SIRPA
Daniel Bechennec
illustre la période
où la Patrouille
de France
était confiée
à l’escadron
de chasse 3/4
Flandre
sur “Ouragan”.

Maurice
Larrayadieu
rejoint
la Patrouille
de France
en 1959.

25
LES 70 ANS DE LA PATROUILLE DE FRANCE

SIRPA
La Patrouille
À l’usage, nous verrons que le de France Ils feront en sorte que nous soyons toujours présenter en vol le maxi-
système marche. Les commandants évolua à neuf délivrés de tâches administratives, mum (en réalité la totalité) des
d’escadre successifs seront nos meil- “Mystère” IV à normales en unité, et nous donneront avions, bientôt rendus non inter-
leurs supporters, et accepteront une partir de 1959. priorité pour l’entretien lourd et la changeables parce que peints aux
grande souplesse, en particulier dans réparation des avions. Il s’avérera couleurs de la Patrouille de France,
la saison, bien chargée, des meetings. que cette organisation permettra de et équipés de fumigènes !

La “Patrouille de France”
à Oran en 1959.
SIRPA

26
Passage jeunes équipiers pour savoir com-
sur le dos ment ils dominaient leur appréhen-
des “Mystère” IV. sion, voire leur peur, et pour les
conseiller (je les assurais que j’étais
aussi passé par là…). La réponse
était toujours semblable : une forte
appréhension momentanée était sur-
montée par une crispation énorme
de tout le corps, tendu comme un arc
(il faut surtout garder une position
stable : s’agiter est vu comme un dan-
ger par les autres !). La répétition de
cette épreuve surmontée au long des
vols amène paradoxalement une
confi ance salutaire : on peut donc
dominer cette tension…
Je suis cependant attentif à ne
pas conserver un équipier qui ne
guérirait pas de ce problème : il n’est
pas déshonorant d’abandonner !
J’avais la réputation d’avoir, en lea-
der de voltige, un pilotage doux, et
j’étais crédible, étant également moi-
même équipier. Il faut avancer avec
prudence, en amenant progressive-
ment les pilotes à la montée verticale
sous accélération. Dès qu’un équi-
pier est stable, à droite, ou à gauche,
ou en charognard, on le “coince”
avec un autre avion, piloté par un
SIRPA
ancien, apte à dégager rapidement si
Capillon me confie la mission de dans le passage par la verticale (loo- le jeune s’agite dangereusement. Au
dégrossir les nouveaux pilotes en pings) et le passage sur le dos (ton- bout d’une dizaine de missions on
voltige. En principe, tous les pilotes neaux), qui donnent… des émotions, arrive à présenter deux équipiers de
de chasse ont un entraînement suffi- et parfois des illusions sensorielles chaque côté, puis on descend pro-
sant pour évoluer en patrouille sous désagréables. Je sondais souvent, gressivement à basse altitude, tou-
accélérations. La diffi culté réside hors des vols et des débriefings, mes jours avec prudence !
Les pilotes
de la Patrouille
Le décollage
de France en formation en V
en 1959.
Les missions d’entraînement au
De gauche
programme du meeting vont se suc-
à droite :
céder presque chaque jour : en lea-
Arrault, Abadon,
Ponsot, Capillon,
der, j’entraîne mon VIC (formation
Mouzimann,
en V avec un équipier de chaque côté)
Fille-Lambie, dans des loopings attaqués de plus
Legeun. en plus bas et gagne leur confiance.
Sur l’échelle, En équipier, je vole en 2e charognard
de haut derrière Castagnos, lui-même
en bas : 1er charognard de Capillon. Nous
Castagnos, progressons sans heurts, et enchaî-
Larrayadieu, nons beaucoup de figures avec des
Canepa, Paumier accélérations de 4 à 6 g, et des vitesses
et Mascle. de 250 à 800 km/h.
Décrivons un décollage en VIC :
les deux équipiers se placent de
chaque côté de mon avion et il y a
environ un mètre entre nos bouts
d’ailes : la piste ne fait que 45 m de
large… À mon signal visuel, nous
mettons, sur freins, la puissance
moteur, et chacun observe la bonne
montée en régime de celui-ci, et l’ab-
sence d’alarme. Nous lâchons les
freins et les équipiers ne regardent
plus que leur leader pendant la
course de décollage, lequel se produit
à près de 300 km/h.

SIRPA/COLL. LARRAYADIEU

27
LES 70 ANS DE LA PATROUILLE DE FRANCE

SIRPA/COLL. LARRAYADIEU
Maurice
Capillon a introduit une nou- Larrayadieu appareils devant moi avait une dans la position de charognard,
veauté : le décollage en box. Pour et son panne de moteur pendant le décol- c’est-à-dire à 2 m sous la tuyère de
cette manip’, j’insère, sur la piste, le “Mystère” IV. lage : je ne pourrais certainement pas Capillon – après quelques essais,
nez de mon avion entre lui et son Chaque pilote éviter la collision ! C’est ce que l’on réussis, le leader a convenu que nous
équipier droit et la manœuvre décrite avait un avion appelle “une impasse”, en aviation. n’utiliserons cette configuration que
précédemment s’effectue à quatre attribué. Dès que les trois avions devant moi rarement : pour les grands meetings
avions. J’évite de songer à ce qui ont gagné 2 ou 3 m d’altitude, je dé- internationaux… Par contre,
pourrait se passer si l’un des deux colle à mon tour et viens me placer lorsque nous aurons finalisé le projet

OURTH/COLL. B. BOMBEAU

28
“ àNotre première sortie
neuf avions (…).
Les équipiers sont
revenus un peu émus ”
de grande patrouille à 12 avions, soit
trois box de quatre, nous décollerons
systématiquement en formation dite
en fingers : les quatre avions occu-
pant la position des quatre grands
doigts d’une main, jusqu’à l’envol :
pas d’impasse, cette fois.
Le cne Castagnos,
L’inquiétude dès que l’un pilote pendant
d’eux bouge un peu… la guerre
d’Indochine, fut
En ce mois d’avril 1959, le 2, pré- abattu et fait
cisément, nous avons effectué notre prisonnier.
première sortie à neuf avions : pour Il rejoignit
les trois leaders à la queue leu leu cela la Patrouille
ne changeait rien, mais les équipiers de France
sont revenus un peu émus : leur en 1957.
SIRPA/COLL. LARRAYADIEU
champ visuel est “plein de ferrailles”,
disaient-ils, et dès que l’un d’eux éventuelle de mes freins après l’atter- Le 21 nous nous sommes pro-
bouge un peu… ils s’inquiètent ! rissage ! Nous avons donné notre duits à Lahr devant notre grand chef,
Puis Capillon a introduit l’atter- première présentation le 11 avril, au le gén. Stehlin [major général des
rissage en box : c’est toujours moi qui meeting Nato [Otan] de Bitburg, en armées, chef d’état-major de l’armée
suis dans la “boîte”. Un peu plus Allemagne, et avons fait très bonne de l’Air entre 1960 et 1963, NDLR].
difficile du point de vue du pilotage impression. Puis le 19 devant le L e mois de mai 1959 a été
que le décollage, mais plus rassurant. gén. de Gaulle, président de la chargé : meetings de Chaumont
Ne pas songer cependant à la panne République : réussite acquise. (base américaine) le 7, meeting de

La Patrouille de France
et ses neuf “Mystère” IV lors
du Salon du Bourget de 1959.

29
LES 70 ANS DE LA PATROUILLE DE FRANCE

Le “Mystère” IV laissa
des bons souvenirs aux pilotes
de la Patrouille de France.

SIRPA

Beaune le 10, et celui de Montpellier permanent du pilote de chasse rend gures plus ébouriffantes que com-
le 31. Deux à trois vols chaque jour ; automatique cette notion de relati- plexes, il nous voyait aux retours de
c’était la base de notre entraînement. vité. Le commandant d’escadre, missions calmes et confi ants dans
Afin d’offrir plus de spectacle, nous responsable au premier chef de la notre progression. Le Salon du
avons mis au point la voltige syn- sécurité des vols, a pris la décision Bourget 1959 approche. C’est le
chronisée de trois patrouilles de d’assister aux débriefings de ce grand rendez-vous de l’année pour
trois avions : chaque leader imbri- genre de mission. Et s’il a nourri la Patrouille de France. ■
quait ses figures dans celles des deux quelque inquiétude devant nos fi - À suivre
autres : lorsque Capillon effectuait
une boucle, par exemple, les deux Bernard
autres leaders inséraient leur bar- Capillon Capillon, de la tête
rique, face à face et imbriquées. en 1959,
Tout était réglé en fonction de ce que alors capitaine. de la Patrouille
faisait Capillon, chef de ballet. Cela de France à celle
paraissait “osé”, mais j’ai découvert
les capacités incroyables du corps de la Snecma
humain : je ressentais continuelle- Bernard Capillon passa par
ment l’exacte mesure du temps l’École de l’air en 1950. Après
écoulé, et ce, relativement aux un passage aux États-Unis, il
autres patrouilles, ce qui me permet- intègre la 2e escadre de chasse sur
tait de les situer dans l’espace, sans “Ouragan”. Après avoir commandé
les voir en permanence ! la Patrouille de France de 1957 à
1959, il reste à Dijon et passe sur
“Les avions arrivaient “Mirage” IIIC à la tête de l’escadron
de chasse 3/2 Alsace. Il rejoint
face à moi à 800 km/h” ensuite les unités sur “Super
Lorsque je rencontrais les avions Sabre”. Devenu général en 1975,
de Castagnos, qui venaient face à il intègre l’état-major de Valéry
moi à plus de 800 km/h dans la Giscard d’Estaing. Il devient chef
brume ou le soleil, afi n de monter d’état-major de l’armée de l’Air
nos deux loopings parallèles, sépa- entre 1982 et 1986. Le général
rés de 100 m, exactement face au Capillon passe ensuite dans le
public, la moindre des choses était civil et devient PDg de la Snecma
de savoir si l’un de nous deux arri- entre 1987 et 1989. Il décède le
vait bien en temps voulu ou en re- SIRPA
2 septembre 1993
tard. Heureusement, l’entraînement
30
COMPÉTITION
Le Potez 53 et la Coupe Deutsch
de la Meurthe en 1933
Le coup de poker
gagnant de Potez
En 1933, Henri Potez tente un pari
en alignant son premier avion de course,
le Potez 53, dans la Coupe Deutsch
de la Meurthe… Par Nicolas de Lemos

E
n arrivant dans le hall de “causerie” à l’Aéro-Club de France,
l’entre-deux-guerres du mu- 6-8 rue Galilée, dans le 16e arrondis-
sée de l’Air et de l’Espace, le sement de Paris, des journalistes
Breguet XIX “Grand Raid”, aéronautiques interpellent Henri
le célèbre Point d’Interroga- Potez : “Monsieur Potez, pourquoi,
tion, saute immédiatement aux votre société ne participe pas à
yeux, et si l’on tourne légè- la Coupe Deutsch de la
rement la tête vers la Meurthe ? Vous en êtes
droite, on aperçoit un largement capable.”
avion aux lignes Henri Potez trouve
pures, de couleur cette idée géniale
bleue avec le et s’en la isse Emblème
chiffre 10 peint en convaincre. Les de la société
blanc sur le fuse- c ond it ion s de Potez.
lage. Nous sommes cette course
sans aucun doute étaient particulière-
devant un avion de ment difficiles car
course, un sprinteur qui elles demandaient, en
ne demande qu’à s’élancer. même temps que la plus
Il s’agit du Potez 53 de Georges DR grande vitesse possible avec un
Détré, vainqueur de la Coupe moteur de cylindrée limitée, une
Deutsch de la Meurthe en 1933. distance franchissable importante
Georges Détré
L’histoire de cet avion com- (lire encadré page 37). D’autre part,
pose devant
mence par une anecdote. En effet, l’obligation d’atterrir avec sensible-
son Potez 53,
le 8 décembre 1932, lors d’une soirée ment la pleine charge à bord condui-

le n° 10.

MONDE ET CAMÉRA/MAE WIDE WORLD PHOTOS /THE NEW-YORK TIMES/MAE

32
On peut admirer cette ligne épurée du Potez 53 n° 10.
Rien ne la parasite.

33
LE POTEZ 53 ET LA COUPE DEUTSCH DE LA MEURTHE

sait à réaliser un ensemble qui ne soit


pas spécifiquement une machine
destinée à parcourir une distance
donnée en un minimum de temps à
l’exclusion de toute autre considéra-
tion, mais un appareil réunissant les
qualités d’un avion classique.

Des caractéristiques
bien précises
E n janvier 1933, le bureau
d’études dirigé par le directeur tech-
nique Louis Coroller entreprend
l’aménagement du futur Potez 53.
L’avion doit avoir une ligne épurée ;
il ne faut aucun parasite et le train
d’atterrissage doit être escamotable
afin d’avoir un gain de vitesse – avec
un train rentrant, la vitesse aug-
mente de 10 et 15 %, soit environ
40 km/h. Les amortisseurs sont
MONDE ET CAMÉRA/MAE
oléopneumatiques. De nombreux Le Potez 53
tests ont été effectués en soufflerie, n° 10, moteur Le poste de pilotage est étroit, plu- quasiment pas du décollage à l’atter-
avec des modèles à grande échelle ; tournant, sieurs verrières sont testées. Elle rissage. Le volume d’essence n’est
l’avion étant lisse, il ne rencontre ne demande doit être en mesure d’être larguée en que de 320 l ; le réservoir d’huile est
quasiment plus de frein aérodyna- qu’à partir. vol afin de faciliter l’évacuation du placé devant, dans un compartiment
mique. Le raccord de la voilure au pilote. On ajoute un système de ven- spécial séparé du moteur par un
fuselage par carénage permet une tilation, la température dans la ca- pare-feu à forte ventilation.
augmentation de la portance de bine étant élevée. Le centrage est
12 %. La voilure basse se compose étudié avec des réservoirs vides et Moteur et hélices
de deux ailes qui se rejoignent sur pleins, afin de calculer où placer les
un plan central faisant corps avec le réservoirs dans l’habitacle. Le car-
à l’étude
fuselage. Ce dernier est de forme burant est installé dans les deux L’étude du moteur est confiée à
circulaire à l’avant, ovoïde à l’ar- couches de la structure en sandwich une équipe Potez sous la direction
rière. Les membrures sont en épi- du fuselage ; ainsi les deux positions de Claude Menetrier. Elle en sort un
céa, le revêtement en contreplaqué. du centre de gravité ne changent moteur 9 cylindres en simple étoile,

Au premier plan, Gustave Lemoine pose


devant son Potez 53 n° 12 et en arrière-plan,
Georges Détré devant son Potez 53 n° 10.

MONDE ET CAMÉRA/MAE

34
DR/COLL. MAE
Le Potez 53
suralimenté par un compresseur. Il grand pas maximal qui privilégie les de Georges ment, à deux minutes d’intervalle et
porte la désignation de Potez 9B et performances en croisière. Détré est dans l’ordre des numéros de course
développe 310 ch. Deux types d’hé- La société Potez met quatre mois en vol, avec portés sur les avions, fixés par tirage
lices en bois bipales sont retenus et pour fabriquer l’avion. Le 26 avril l’objectif au sort. Le temps comptera à partir
passent une série de tests. Elles sont 1933, le pilote d’essai Gustave de gagner. du moment où le concurrent aura
retouchées et, finalement, celle qui a Lemoine décolle à bord du Potez 53 passé la ligne de départ en vol.”
le plus grand diamètre est choisie. à Meaulte, dans la Somme. Lors de Le 8 mai 1933, les qualifications
Elle est plus adaptée au décollage et la phase d’essais, plusieurs décollages qui consistent à parcourir 100 km à
présente un gain de vitesse de avec des poids de plus en plus élevés une vitesse supérieure de 200 km/h
15 km/h pour un régime moteur in- sont effectués afin de déterminer le débutent. Les deux Potez 53 sont qua-
férieur à 100 tr/min. Chez le concur- régime à adapter pendant la course. lifiés. Seulement sept appareils sur les
rent Caudron, c’est une hélice Ratier Pour la première fois dans une 13 inscrits sont qualifiés en France. Le
à pas variable qui est retenue. Potez course d’avions en France, le règle- huitième concurrent, le Comper
utilise une hélice à pas fixe réglée au ment stipulait que les aéronefs cou- “Swift” à moteur “Gipsy”, a passé son
rant pour la France devaient être de épreuve de qualification en Angleterre
couleur uniforme bleu France, piloté par Nicholas Comper – concep-
conformément à une pratique de teur de l’avion – avec une vitesse
longue date en course automobile. moyenne de 236,5 km/h (voir tableau
Le Comper “Swift” anglais est éga- des concurrents ci-dessous).
lement peint en bleu, car Georges Le 24 mai, c’est le drame, lors
Averseng, qui a engagé cet appareil, d’un vol d’essai, le capitaine Ludovic
est Français. Arrachart sur son Caudron se tue en
passant au-dessus de Maisons, près
Des règles pour que d’Étampes ; à la suite d’un arrêt du
moteur – boulon de commande de
le public puisse suivre carburateur non goupillé –, l’appa-
Afin que le public puisse suivre reil s’écrase sur un passage à niveau.
facilement la course, et alors qu’il Le 25 mai, le Caudron à moteur
n’est pas possible de faire partir tous Régnier de Vallot est endommagé.
les concurrents en même temps, les Il se retourne au sol, une de ses roues
règles suivantes ont été adoptées : bloquée. Le pilote s’en sort indemne,
“Les départs pour le premier vol de mais l’appareil est gravement en-
1 000 km sont donnés individuelle- dommagé ; il est déclaré hors course.

Les concurrents de la Coupe Deutsch-de-la-Meurthe en 1933


Date de qualification Avion Moteur Pilote Temps Vitesse moyenne
8 mai Potez Potez Gustave 26min30s3/5 225,563 km/h
9 mai Farman Farman André 27 min 43 s 216,476 km/h
12 mai Potez Potez Georges 24min15s1/5 247,338 km/h
12 mai Caudron Renault Raymond 18min36s4/5 322,349 km/h
12 mai Farman Renault Maurice 22 min 31 s 266,469 km/h
14 mai Caudron Régnier Henri 22 min 49 s 262,975 km/h
14 mai Caudron Renault Ludovic 20 min 16 s 296,052 km/h

35
LE POTEZ 53 ET LA COUPE DEUTSCH DE LA MEURTHE

Il y a donc six concurrents au


départ le 28 mai à 9 heures, mais le
plafond est trop bas et le vent souffle
dans une mauvaise direction.
Comme il n’est pas possible de re-
commencer à 10 heures et que le
règlement du concours prévoit une
durée maximale de 11 heures,
l’épreuve est reportée au lendemain,
pour ne pas terminer la nuit.

Le départ est lancé,


chacun son tour
Le lundi 29 mai, 8 heures, le ciel
est clair, le vent souffle dans la
bonne direction. Le départ définitif
commence à 9 h 46 ; Comper
s’élance, suivi 4 minutes plus tard
part Salel. À 9 h 55, c’est au tour de
Delmotte. À 9 h 59, Arnoux roule
sur une centaine de mètres mais
l’atterrisseur se brise ainsi que
l’hélice. Puis à 10 h 05 Détré vole,
ALEXIS ROCHER
suivi de Lemoine à 10 h 10. Potez a Le Potez 53 au
choisi une charge de carburant plus musée de l’Air n’a donc pas pu être homologué, perd son filtre à huile et sort égale-
élevée, pour parcourir les 1 000 pre- et de l’Espace, aucun des points de contrôle ment après le cinquième tour. Il ne
miers kilomètres sans faire le plein alors exposé n’ayant détecté son passage 34 mi- reste donc plus que trois concurrents
tous les cinq tours. Salel mène la au sol dans nutes après son départ. De plus, il à partir du sixième tour. Détré passe
première étape ; Détré parti avant- la galerie abandonne après le cinquième tour en tête, suivi de Delmotte et de
dernier est quatrième avec une vi- de l’entre- lorsque son tuyau de jauge de pres- Comper, ce dernier ayant un retard
tesse moyenne de 321,4 km/h. deux-guerres. sion d’huile éclate. de près de deux tours sur les deux
Lemoine, qui a embué ses lunettes Au second Salel reste en tête pendant les pilotes français.
au départ, prend ensuite l’ombre plan, quatre tours suivant, suivi de Les premiers 1 000 km ont été
d’un nuage pour une forêt, se perd le Caudron Delmotte et Détré. Comper est dé- parcourus par Détré en 3h05m07s,
et ne boucle pas le premier tour. Il “Luciole”. passé dès le deuxième tour. Salel par Delmotte en 3 h 08m 0 s 3/5 et par

Le Potez 53 n° 12 dévoile son Potez 9B


qui développe 310 ch.

JACQUES DE LA BRETONNIÈRE

36
Dorénavant, vous pouvez admirer le Potez 53
suspendu dans le hall de l’entre-deux-guerres.
ALEXIS ROCHER

Comper en 4 h 08 m 43 s. Après l’ar- Delmotte atterrit à 18 h 27 min 46 s, De g. à d. : Henri Potez pense recommencer
rêt obligatoire d’1 h 30 min, Détré est avec une vitesse moyenne de Henri Potez, l’exploit en 1934, Ses équipes pro-
le premier à reprendre l’air à 317,040 km/h. Comper quant à lui Mme Suzanne duisent les Potez 532 et 533, qui ne
14 h 40 min 48 s, puis Delmotte à atterrit à 20 h 22 min 3 s ; son temps Deutsch de sont rien d’autre qu’un Potez 53 amé-
15h28s. La deuxième manche de total, déduction faite des temps d’ar- la Meurthe lioré, avec un fuselage rallongé. Mais
1 000 km se déroule sans problème. rêt, est de 8 h 20 min 54 s et sa vitesse et Labouchère, les résultats ne sont pas ceux es-
Détré franchit le premier la ligne moyenne de 239,550 km/h. Georges Détré comptés ; les Caudron triomphent
d’arrivée à 17 h 47 min 26 s couvrant Le pari est gagné. Il aura fallu à le vainqueur (lire Le Fana de l’Aviation n° 534).
de la Coupe
ainsi les 2 000 km en 6 h 11 min 45 s, peine quatre mois au bureau d’études Ainsi, le Potez 53 reste dans l’his-
Deutsch
à la v ite s se moyen ne de pour produire un avion de course. toire de l’aviation de course comme
de la Meurthe
322,800 km/h. Arrivé deuxième, Profitant de cette gloire soudaine, le seul Potez vainqueur. ■
et Mme Détré.

La Coupe Deutsch de la Meurthe


Henry Deutsch de la Meurthe fit fortune dans le pétrole. Il
créa de nombreux prix et coupes, mais celle qui porte son
nom resta célèbre pendant 30 ans. Elle fut mise en jeu la
première fois le 25 août 1906 et fut relancée à plusieurs
reprises au cours de l’entre-deux-guerres. Elle devint
ainsi l’une des manifestations les plus importantes de
son époque. La première Coupe Deutsch de la Meurthe
remonte à 1906 (25 août 1906-3 septembre 1920). Il
s’agissait d’une compétition internationale de vitesse
ouverte chaque année du 1er mars au 31 octobre et
couru comme un défi : durant ce laps de temps, chaque
concurrent était autorisé à se présenter aux jours et heure
de son choix pour effectuer un circuit de 190,400 km
de long, commençant et se terminant sur la terrasse du
château de Saint-Germain-en-Laye et passant par Senlis,
Meaux et Melun. La deuxième édition eut lieu du 1er octobre
1921 au 30 septembre 1922. Il s’agissait encore une
fois d’une épreuve de vitesse pure, mais qui se déroulait
désormais à une date précise. Ouverte sur une période
de trois ans, la compétition était internationale ; chaque
pays ne pouvait toutefois mettre en ligne plus de trois
concurrents. La troisième Coupe Deutsch de la Meurthe fut
remise en jeu du 29 mai 1933-19 mai 1935.
Créée en 1933 par l’Aéro-Club de France et de Suzanne
Deutsch de la Meurthe (fille d’Henry), la troisième édition
restait une course de vitesse pure, mais cette fois-ci
réservée aux avions d’une cylindrée inférieure à 8 l.

DR/L’AÉROPHILE

37
RESTAURATION

XAVIER MÉAL
Jean-Yves
Cercy et
François
Hébrard aux
commandes
du J3C-65
devenu Piper
NE-1 du French
Wing
de la CAF.

Piper NE-1
Le petit nuage bleu
de l’US Navy
Le Piper J3C-65 du French Wing
de la Commemorative Air Force s’est
réincarné en NE-1, une variante peu
connue du célébrissime “Cub”.
Par Xavier Méal

39
PIPER NE-1

E
n 2003, le French Wing de la
Commemorative Air Force
(CAF) fit l’acquisition du
Piper J3C-65 n° 15243 de
1946, immatriculé F-GHLQ,
qui avait été restauré en 1993. L’avion
avait alors été baptisé Spirit of Lewis
en hommage à Lewis Bateman,
membre britannique du French
Wing décédé en 2000, qui avait été
un soutien indéfectible au démar-
rage de l’association. Ancien méca-
nicien sur Fairey “Firefly” pendant
la guerre de Corée, il était devenu un
brillant ingénieur aéronautique à
l’origine de la famille des Airbus.
Bernard Delfi no, fondateur et
premier président du French Wing,
décédé en 2013, expliqua alors ainsi
le choix de ce nom : “Au début du
French Wing (alors nommé French
Supporter Squadron), un de nos
membres, Lewis Bateman, citoyen
britannique amoureux de la CAF
résidant près de Toulouse, devint l’un
de nos membres les plus actifs et les
plus passionnés. Il aida l’association
autant qu’il put pendant plusieurs
années et de façon très efficace. Sa
gentillesse et son intérêt pour le Wing Le Piper NE-1
devinrent vite légendaires, et nous lui BuAer n° 26381 l’US Army Air Corps (USAAC) une utilisation dans les phases initiales
devons plusieurs projets couronnés photographié version militaire de son Piper J3C-65 de l’entraînement au pilotage.” Il fut
de succès jusqu’au jour où il fut vic- vers 1942-1943, “Cub”. Initialement désigné O-59 (O en conséquence utilisé pour la sélec-
time de la maladie et emporté bien possiblement pour observation), le biplace mono- tion des élèves pilotes et l’entraîne-
trop tôt il y a une dizaine d’années. sur la NAS plan reçut la nouvelle désignation ment de base.
C’est donc en son honneur que nous Hampton L-4 (L pour liaison) à partir d’avril
avons baptisé le Piper “Cub”, acquis Roads, 1942 ; il différait du J3C-65 par son … ainsi que
après son décès, par un jeu de mots en Virginie. fuselage légèrement modifié avec un
aéronautique, Spirit of Lewis, en Il porte toit vitré et un prolongement vers
le Marine Corps
référence au Spirit of St Louis de toujours son l’arrière des surfaces latérales vitrées, Les NE-1 n’étaient donc rien
Charles Lindbergh ; j’ai alors ima- appellation mais également par quelques équipe- d’autre que des J3C-65 semblables
giné créer un modeste logo représen- commerciale ments spécifiques. au modèle de 1941 avec des feux de
tant une luciole (firefly en anglais) civile “Piper L’US Navy s’intéressa également navigation alimentés par batterie
qui était le nom de son avion préféré, Cub” sur au petit biplace à moteur Continental (une option d’usine). Ils furent livrés
du temps où il débuta dans l’aviation, la queue. O-170-3 refroidi par air de 65 ch, à l’US Navy recouverts de la livrée
plus exactement dans l’aéronavale mais ne s’embarrassa pas de le faire traditionnelle “jaune Lock Haven”
britannique, la Fleet Air Arm, où il modifier et se contenta de donner la du “Cub”. Comme beaucoup prove-
s’occupait de la maintenance de ce désignation NE-1 aux 230 exem- naient de l’inventaire existant chez
très bel avion.” plaires commandés (BuAer no 26196 Piper, certains portaient le fameux
Peu après l’acquisition du “Cub”, à 26425), auxquels elle ajouta plus éclair noir sur les côtés du fuselage
un concours du plus beau projet de tard une commande de 30 NE-2 et d’autres le logo Bear Cub sur la
décoration fut lancé, que Roy – des L-4H tels que ceux commandés queue. Ils étaient devenus militaires
Grinnell, peintre officiel de l’AFAA par l’USAAC mais avec des modifi- simplement par adjonction de la
(American Fighter Aces Association) cations d’équipement – dont dix cocarde à boule rouge centrale sur
qui regroupe les pilotes américains furent annulés avant livraison. l’extrados et l’intrados des deux ailes
ayant obtenu la distinction d’as en Le N de la désignation est une – mais pas sur le fuselage.
combats aériens, et membre du lettre code pour training (entraîne- P endant le service, certains
French Wing, avait remporté avec une ment), et le E pour Piper, selon le furent repeints localement en gris-
illustration d’un NE-1, le Piper “Cub” système de l’US Navy. Le dernier des bleu et gris clair. À la fi n de 1944,
employé par… l’US Navy durant la 250 NE fut livré le 9 août 1945. La l’US Marine Corps (USMC) exploi-
Deuxième Guerre mondiale. première base à recevoir le NE-1 fut tait environ un tiers des NE-1 en
la Naval Reserve Air Base (NRAB) inventaire, essentiellement pour
Le “Cub” intéresse Anacostia, dans le District de l’entraînement de base de ses futurs
Columbia. Le BuAer n° 26196 y fut pilotes. Quelques exemplaires de
l’US Navy… testé du 18 mai au 18 juin 1942 ; le Piper furent employés par la
Durant la Deuxième Guerre mon- rapport d’essais stipule dans son 1st Marine Division durant l’inva-
diale, la Piper Aircraft Corporation paragraphe 17 : “Le NE-1 est consi- sion du cap Gloucester sur l’île de
de Lock Haven, en Pennsylvanie, pro- déré être un remplacement tempo- Nouvelle-Bretagne dans l’archipel
duisit en réponse à une commande de raire du N3N satisfaisant pour une Bismarck le 15 décembre 1943, et
40
Le NE-1 essayé puis termina sa course par un cheval
de bois et fut totalement détruit. Le
en “parasite” pilote en fut quitte pour quelques
En 1944, l’US Navy et la Piper semaines d’hôpital.
Aircraft développèrent un concept Le second Piper OE conserva
de Piper NE-1 “parasite”, c’est-à- son train d’atterrissage et, au hui-
dire suspendu sous le ventre d’un tième vol d’essai, son pilote réussit à
dirigeable de la classe M pour être revenir s’amarrer sous le Blimp. Les
largué en vol afi n d’effectuer des sept fois précédentes il avait été
missions de liaison. Des plans obligé de rejoindre le plancher des
furent également élaborés pour vaches. Les ingénieurs et pilotes
armer une version télécommandée d’essais avaient surnommé l’avion
du NE-1 équipé d’une charge de Glimpy, qui peut se traduire par
profondeur, afin de le larguer Le Petit Boiteux… En mai 1944, l’US
lorsque des sous-marins ennemis Navy mit fin à ce projet jugé peu pra-
seraient repérés – un drone avant tique. Glimpy demeura jusqu’en
l’heure ! Des essais furent menés 1952 sur la base aéronavale où il vola
au mois de mars 1944 depuis la comme avion de servitude et de sou-
Naval Air Station Lakehurst, dans tien aux essais en vol. Lors de son
le New Jersey. Deux NE-1 furent retrait du service, il portait toujours
spécialement modifiés : un système son patronyme de Petit Boiteux.
d’attache fut ajouté sur le dessus
des avions et le système de double Avec le ZP-32
commande fut déposé. Le train
d’atterrissage du premier exem-
et ses dirigeables
plaire fut supprimé, l’avion devant La peinture de Roy Grinnell re-
rejoindre le dirigeable Blimp de présente le NE-1 BuAer n° 26359,
lutte anti-sous-marine (ZNP-M) à dans les couleurs qu’il portait entre
l’issue de sa mission. décembre 1942 et juin 1943 lorsqu’il
US NAVY
Ces deux avions modifiés re- était affecté au ZP-32 Squadron à
par le 1st Marine Provisional çurent la nouvelle désignation OE. Moffett Field dans la baie de San
Observation Group lors du débar- Les essais furent laborieux : lors du Francisco. L’A i rsh ip Patrol
quement sur les îles Russell en août premier, le Piper ne se décrocha pas ; Squadron 32 – plus tard re-désigné
1944. Il semblerait cependant qu’ils au second il se décrocha mais après Blimp Squadron (ZP) 32 –, ou ZP-32
étaient du type L-4 et avaient été six tentatives d’accrochages infruc- en abrégé, mettait en œuvre depuis
procurés par la 5th Air Force des tueuses, il dut se résoudre à tenter de cette base des ballons dirigeables
USAAF. L’US Navy et l’US Marine rejoindre le plancher des vaches. Ne pour des missions de patrouilles
Corps se sont débarrassés de leurs disposant plus de son train d’atterris- maritimes, d’escorte de navires et de
NE en décembre 1947. sage, le Piper glissa sur son ventre lutte anti-sous-marine. Herb Par- ▲
Le Piper NE-1
BuAer n° 26197
fut le premier
employé
pour effectuer
des essais
de largage
et de
récupération
sous un
dirigeable
Blimp. Son
pilote ne réussit
pas à venir le
raccrocher sous
le Blimp et dut
se poser en
catastrophe…
mais sans train
d’atterrissage…
Le Piper termina
sa course par un
cheval de bois et
le pilote en fut
quitte pour un
séjour à l’hôpital.

US NAVY

41
PIPER NE-1

Le Piper NE-1
baptisé Glimpy
(Le Petit
Boiteux), ici le
27 mars 1944,
fut le second
employé
pour les essais
sous Blimp,
en l’occurrence
le ZNP-M-1…
et conserva
son train
d’atterrissage.

US NAVY

e
sons, le président de la Moffett Field 164 Piper “Cub” livré à l’US Navy avait pour nom NAS Sunnyvale ; elle
Historical Society Museum, avait sur le terrain de Lock Haven, en avait été rebaptisée en l’honneur de
reçu en don de la famille d’un marin Pennsylvanie, conformément aux l’amiral William Moffett après sa
ayant servi au sein du ZP-32 un al- termes du contrat 2873-A. Deux mort le 4 avril 1933, à bord du diri-
bum photos dans lequel se trouvent semaines plus tard, le 13 juin, après geable géant USS Akron.
quelques photos du NE-1 légendées un voyage de 4 000 km – l’histoire ne
“The Little Blue Cloud” (Le Petit dit pas comment ce dernier a été Petit nuage,
Nuage bleu). Son historique a été effectué – il fut pris en compte sur la
reconstitué à partir de son history RAB (Reserve Air Base) d’Oakland,
mais grand voyageur ! Le Piper NE-1
card (fiche de suivi de mouvement de en Californie (à l’est de San Le 15 décembre 1942, le NE-1 BuAer n° 26359
l’US Navy) pour le French Wing par Francisco, de l’autre côté de la baie). BuAer n° 26359 fut enregistré sur les photographié
à Moffett
un historien amateur, John Scott. Le 11 novembre, il traversa la baie et registres de l’Airship Squadron 32,
Field en 1943,
Le 29 mai 1942, le NE-1 BuAer fut affecté à la Naval Air Station ou ZP-32, une unité de dirigeables
lorsqu’il servait
n° 26359 entra en service en tant que Moffett Field. En 1931, cette base établie sur cette base quelques mois
avec la ZP-32.

VIA FRENCH WING

42
AÉRO SERVICES RESTAURATION
AÉRO SERVICES RESTAURATION
Chez Aéro
plus tôt, le 31 janvier. L’antenne sup- Services
plémentaire allant d’un bout de mât Restauration,
au-dessus du cockpit avant jusqu’à à Libourne,
l’aileron trahit l’installation d’un avant entoilage
équipement radio non standard, ce (ci-contre à
qui suggère qu’il fut utilisé comme gauche) et
avion de liaison affecté au comman- après entoilage
dant d’unité. C’est là qu’un marin du (ci-dessus).
ZP-32 lui donna le surnom Le Petit Les lisses
Nuage bleu. en bois (plus
En août 1943, il fut transféré au fines que les
BlimpHedron 3, ou Blimp Mainte- longerons
nance Squadron 3, unité en charge de du fuselage)
la maintenance des dirigeables des supportent
ZP-31, ZP-32 et ZP-33, au sein du le revêtement
Fleet Airship Wing 3 (FAW 3), égale- en toile.
ment stationné sur la NAS Moffett
Field. Le FAW 3 était l’escadre de
dirigeables Blimp en charge de la côte
ouest des États-Unis menacée par les
sous-marins japonais ; les FAW 1 et 2,
respectivement stationnés sur les
AÉRO SERVICES RESTAURATION
NAS Lakehurst, dans le New Jersey,
et NAS Richmond, en Floride, super- l’île d’Okinawa, affecté à l’une des Service Squadron, unités qui ont rem-
visaient la zone Atlantique et faisaient nombreuses stations navales, d’oc- placé les CASU) de la NAB Orote.
la chasse aux U-Boote allemands. tobre 1945 au 25 novembre 1945, Sa radiation intervint le 31 octobre
En novembre 1944, le BuAer avant d’être pris en compte par le 1946, après six ans, six mois et deux
n° 26359 quitta Moffett Field pour CASU (F) 11 (Combat Aircraft jours de bons et loyaux services dans
être entreposés sur la NAS Alameda, Service Unit-Forward 11) d’Okinawa, l’US Navy.
au nord de la baie de San Francisco, puis transféré au groupe général
où il demeura sans affectation jusqu’à d’avions d’Okinawa, puis à un autre Confié à des
la fin de l’hiver. Puis en février 1945, service indéfini. Il reprit du service
il fut affecté au groupe d’avions de la actif sur la NAB Yanomaru, dans le
professionnels
NAS Pearl Harbor avant de transiter sud de l’île, sur la côte pacifique, de À la fin de 2021, année du 25e
en mars par l’île de Guam. D’avril à février 1946 au 15 mars 1946, puis anniversaire du French Wing, son
juin 1945, il fut affecté à la NAB déménagea pour la NAB Awase voi- J3C-65 a été convoyé par des membres
Orote Airfield, dans la partie ouest sine, avant de repartir pour Guam le de l’association vers Libourne pour y
de Guam. Signalé en transit en sep- 21 juin 1946. Il fut alors pris en être restauré dans les ateliers d’Aéro
tembre 1945, il rejoignit finalement compte par le FASRON 13 (Fleet Air Services Restauration, la société de

43
PIPER NE-1

44
Raphaël Renard. Le F-GHLQ a été
démonté, désentoilé, inspecté – les
pièces qui devaient être changées ont
été remplacées – le fuselage sablé,
peint, puis rentoilé et recouvert de la
livrée deux tons du NE-1 BuAer
n° 26359. Pendant ce temps, Fabien
Gressier et VF Aero Maintenance, au
Plessis-Belleville, ont donné une cure
de jouvence au moteur. Le tout pour
un peu plus de 30 000 €, somme que
le French Wing a économisé au fil des
années, fruit de plusieurs opérations
de promotions et de récoltes de dons.

La transformation
continue
Le J3C-65 Après un convoyage retour riche
French Wing en péripéties – surtout météorolo-
de la CAF giques – Stéphane Duchemin, pré-
évoque
sident du French Wing depuis
désormais
neuf ans (membre de la CAF depuis
le peu connu
26 ans) a “réceptionné” le Petit
Piper NE-1
de l’US Navy,
Nuage bleu au Plessis-Belleville le
ici non loin 27 décembre dernier. Pour autant, il
du Plessis- ne compte pas limiter le projet NE-1
Belleville. au seul aspect cosmétique du Little
Blue Cloud : “C’est un projet très
cher à mon cœur. Il concentre toutes
nos valeurs et concrétise des années
de préparation et de travail par les
membres du French Wing.
Mais il n’est pas achevé, et conti-
nue avec le remplacement de la
planche de bord par une originale.
Pour ce faire, nous recherchons un
compte-tours Waltham P/N 496163,
une US Gauge P/N 496159 (indica-
teur de pression d’huile), une US
Gauge P/N 496160 (indicateur de
température d’huile), un 40 to
140 mph P/N 496139 (indicateur de
vitesse), un Airpath Type 60 P/N
450625 (compas magnétique à bulle),
une manette de réchauffage cabine.
Leur achat mais surtout leur révision
à Lock Haven sont coûteux. Nous
avons estimé le coût de ces travaux
complémentaires à 20 000 €.” Toute
aide sera donc la bienvenue ! ■

Le French Wing
Née en 1996, l’association loi 1901
French Wing est l’unité française de
la Commemorative Air Force (CAF)
américaine. Le French Wing réalise
des recherches historiques et produit
un documentaire intitulé “Histoire
et Devoir de Mémoire” qui publie
des interviews de vétérans qui sont
d’abord destinées au jeune public,
visibles sur sa chaîne YouTube et
depuis son site Internet. Il fait aussi
voler depuis 2003, donc, un Piper
J3C-65 en livrée de NE-1.
XAVIER MÉAL

45
RWANDA
Opération Turquoise,
22 juin-22 août 1994
Une saison en enfer
Deuxième partie.
En juillet 1994, partout au Rwanda, les FAR reculent.
Face à elles, le FPR avance très vite et fait fuir
des millions de réfugiés hutus vers le Zaïre. Le pays
connaît alors une nouvelle tragédie. Par Hugues de Guillebon

L
e 14 juillet 1994, la fête natio- Nos mécanos étaient curieux de voir
nale est fêtée sur toutes les ce modèle et se sont penchés dessus.
bases françaises de l’opéra- Ils se sont alors rendu compte qu’elle
tion Turquoise. À Goma, n’avait pas eu d’entretien depuis au
une “Gazelle” des FAR se moins 60 ou 70 heures de vol, mais
pose sur l’aéroport. Elle transporte qu’elle fonctionnait parfaitement ;
le Premier ministre Kambanda et le quelle fiabilité !”
ministre de la Défense Bizimana
venus prendre contact avec les auto- Une “Gazelle”
rités zaïroises pour négocier le repli
du GIR, le gouvernement intéri-
très bien équipée Le 14 juillet,
maire rwandais, au Zaïre (lire Jean-Luc Brissaud complète : la “Gazelle”
Le Fana de l’Aviation n° 621). “Nous avons pu discuter avec les SA342L1
La “Gazelle” est pilotée par le deux pilotes rwandais. Certains n° 2163 des
lt Bernardin Nsengamungu et le d’entre nous les avaient connus lors FAR codée
col. André Kanyamanza, comman- de leur formation en France. Ils nous 10K12 se pose
dant l’escadrille d’aviation rwan- ont raconté que leurs têtes étaient à Goma avec
daise [les deux pilotes seront assas- mises à prix par le FPR. Quant à la des ministres
sinés par le FPR fin 1996 lors de “Gazelle”, c’était un modèle intéres- rwandais.
l’attaque des camps de réfugiés hutus sant : elle pouvait être armée de ro- En arrière-plan,
le Boeing 707
du Kivu, NdA]. Jean-Yves Claris- quettes et était particulièrement bien
3D-ASB
Sauvage se souvient de cet épisode : équipée – même mieux que les
d’Express
“Nous n’avions pas dans l’Alat de nôtres – pour faire du vol sans visi-
Cargo est
“Gazelle” de ce type, une SA 342L1. bilité avec des systèmes VOR DME

déchargé.

JEAN-LUC BRISSAUD DR/COLL. JEAN-MARC DENUEL

46
Ravitaillement en vol
de “Mirage” F1CT au-dessus
du Zaïre. Kisangani étant
éloigné de 500 km
de la région de Goma,
les missions nécessitaient
au moins un ravitaillement
à l’aller. Chargés de l’appui
des troupes françaises au
sol, ces appareils étaient
toujours équipés de lance-
roquettes et de lance-
leurres thermiques.

47
OPÉRATION TURQUOISE

et ILS, ainsi qu’une antenne BLU L’arrivée soudaine de centaine


pour le contact avec les troupes au de milliers de réfugiés dans la ville
sol [DME : distance measuring de Goma nécessite des reconnais-
equipment, dispositif de mesure de sances approfondies pour situer les
distance. ILS : instrument landing axes précis d’arrivée, ainsi que les
system, système d’atterrissage aux zones susceptibles de les accueillir.
instruments. BLU : bande latérale Jean-Yves Claris-Sauvage raconte :
unique, NdA].” “Des milliers et des milliers de gens
Il poursuit : “Ce jour-là, il devait arrivaient et se piétinaient. Ils se sont
y avoir à Goma une cérémonie avec d’abord installés au bord de la piste
des officiels zaïrois et un défilé. de l’aéroport. Je suis alors parti en
J’étais d’alerte Evasan. Soudain, “Gazelle” faire un vol de reconnais-
nous avons vu arriver des personnes sance pour évaluer la masse des réfu-
sur une route qui bordait le terrain giés qui arrivait. J’ai survolé une
d’aviation. Elles étaient d’abord une marée humaine d’un million de per-
dizaine. 200 à 300 m derrière elles, sonnes qui allait déferler sur Goma…
DR/COLL. JEAN-CLAUDE LAFOURCADE
un autre groupe de 50 personnes C’était apocalyptique !”
suivait. Puis 50 m derrière, 300 per- Les “Gazelle” vont aussi effec- du ciel l’ampleur de l’exode. Des mil-
sonnes. Puis encore 1000, et ainsi tuer des missions de reconnaissance liers de personnes semblent littéra-
de suite, pour ne plus s’arrêter… au nord de Goma où sont signalés lement glisser des flancs des volcans
C’étaient des Hutus rwandais qui des mouvements de population qui dans un flot qui ne fait que s’ampli-
fuyaient à pied l’avancée du FPR et profitent des montagnes et de fier jour après jour. Les “Gazelle”
venaient se réfugier au Zaïre. Sur l’épaisse végétation pour passer la prennent de l’altitude pour ne pas
l’aéroport, c’était l’affolement : il frontière zaïroise. Un responsable de effrayer les réfugiés avec leur arme-
fallait contenir les réfugiés qui ne l’UNHCR [Haut Commissariat des ment et les coordonnées des plus
savaient pas où aller et les empêcher Nations unies pour les réfugiés, importants rassemblements sont
d’envahir la piste. Cela faisait trois NDLR], est emmené pour découvrir relevées. La Croix-Rouge affi rme
jours qu’on nous parlait de leur arri- alors qu’il s’agit du plus ample mou-
vée sur Goma, mais nous ne nous vement de population jamais ob-
attendions pas à ce qu’ils soient
aussi nombreux. Aucune décision “ Dernières servé depuis sa création.
À Goma, les marins de la Patmar
n’avait été prise pour les canaliser
vers des camps, rien n’avait été pré-
informations : des coups [patrouille maritime] sont sur la
brèche. Le magazine Cols bleus de
paré. Pendant quatre jours, du 14 au
17 juillet, jour et nuit, un flot inin- de feu ont retenti à septembre 1994 relate cette journée :
“Il est six heures, le jour se lève et les
terrompu de réfugiés se déversa premières rotations du fl ux logis-
ainsi sur Goma.” proximité de l’aéroport ” tique de l’opération Turquoise ré-

À partir
du 14 juillet,
un flot
ininterrompu
de réfugiés
hutus fuyant
l’avancée du
FPR s’agglutine
autour
de l’aéroport
de Goma.
33E ER/COLL. PHILIPPE DUMON

La “Gazelle” BWL
du 3e RHC
sur le terrain
de Goma.
Le 17 juillet,
les hélicoptères
doivent se replier
sur Bukavu pour
éviter d’être
touchés par
les tirs du FPR.

JEAN-YVES CLARIS-SAUVAGE BERNARD LUNETTO

48
Le 16 juillet,
le pont aérien
du programme
alimentaire
mondial se met
en place à Goma.
Sur cette photo,
l’Il-76 UR-76393
affrété par
le CICR, le Comité
international
de la Croix-
Rouge.

sonnent sur la piste située à moins de poste de commandement interar- La mission de reconnaissance
200 m de nos tentes. La veille, le mées de théâtre. À 8 heures, l’équi- au-dessus de la ville commence.
CCOA (centre de conduite des opé- page est à l’avion, nous commen- Mais quelques minutes avant de
rations aériennes) nous avait or- çons à égrener la check-list. Durant mettre le cap sur Kisangani, le
donné une mission pour le début de la mise en route, nous voyons le CCOA nous ordonne de nous repo-
la matinée. Les premiers bonjours long de la route bordant le parking ser à Goma. Cette matinée aura été
s’échangent, mais aussi les dernières un flot continu de réfugiés déambu- décidément bien singulière ! Dès
informations : “Les premiers réfu- lant sac sur la tête ou enfant sous le 14 heures, l’ordre de décollage immé-
giés rwandais sont aux portes de bras. Simultanément, le CCOA diat nous parvient avec de nouveau
Goma, des coups de feu ont retenti à nous prévient par la tour qu’à l’issue une mise en place à Kisangani.
proximité de l’aéroport.” du vol, il faudra partir sur Kisan- L’“Atlantic” est en vol 45 minutes
gani. Au roulage, il nous faut éviter plus tard pour une nouvelle recon-
Un homme évité de de justesse un homme visiblement naissance de la ville et un départ vers
perdu qui, marchant sur le taxiway, le centre du Zaïre. Goma est envahie
justesse sur le taxiway ne semble pas évaluer les dangers par les réfugiés rwandais, toutes les
Finalement, les ordres tombent : qu’il encourt. Grâce à un passage routes sont saturées et, après un sur-
l’“Atlantic” décollera dès que paré en reverse, nous stoppons ; l’homme vol de 20 minutes environ, nous met-
pour survoler la ville et donner des est à moins d’un mètre de l’hélice. tons le cap vers notre nouvelle base.”
informations sur la situation et le Nous en sommes quittes pour une Bernard Lunetto, mécanicien
nombre de réfugiés au PCIAT, le belle frayeur ! navigant à bord de l’“Atlantic”, se


Très vite,
les abords
de la piste
de Goma
sont envahis
de réfugiés,
rendant les
mouvements
très périlleux.
On peut voir sur
la piste à droite
des réparations
effectuées
par le génie
de l’Air.

49
OPÉRATION TURQUOISE

VINCENT
DHORNE

JEAN-LUC BRISSAUD
Le 17 juillet, le
souvient également : “Les réfugiés “Puma” n° 1663 Les réfugiés allaient partout et massif à Goma, en particulier sur le
sont arrivés en masse. Nous savions participe à un n’avaient aucune conscience du dan- terrain d’aviation, contraint la force
qu’ils s’approchaient de la région exercice SAR ger. En redécollant de Goma pour Turquoise à transférer tous ses
mais les renseignements dont nous à l’ouest de Kisangani, nous avons dû faire un avions à Bukavu. L’“Atlantic” part
disposions ne nous permettaient pas Goma pour écart brusque en pleine accélération lui sur Kisangani. Ne restent à Goma
d’en connaître le nombre, ni quand déposer un pour éviter des réfugiés qui traver- que les voilures tournantes. Dans la
ils arriveraient précisément. Le pilote “éjecté” saient la piste. Cela a généré un pro- ZHS, les Hutus continuent égale-
14 juillet, ce fut d’un coup noir de dans la forêt blème sur les roues avant qui ont été ment à affluer. Ils y seront bientôt
monde ! Nous ne les attendions pas zaïroise ; il doit déformées.” 2 millions. Quant aux FAR, elles ne
si vite et si nombreux ; rien n’avait été être récupéré parviennent plus à organiser une
prévu pour les recevoir en si grand par les “Puma” Un point de la situation position retardatrice cohérente et
nombre. Ils avaient tout perdu et de l’armée permettent juste à l’immense co-
n’avaient rien à manger ou boire de l’Air. sur le terrain horte de réfugiés de parvenir au
depuis des jours, et beaucoup d’entre Comment se présente la situation Zaïre. Fatigués et démoralisés par la
eux étaient blessés ou avaient la dy- sur le terrain ? Après la prise de défaite, les militaires rwandais se
senterie. On voyait toute leur dé- Ruhengeri par le FPR le 14 juillet où fondent maintenant dans la foule.
tresse sur leurs visages. s’étaient réfugiés beaucoup d’habi- Les FAR préfèrent passer au Zaïre
Dès qu’ils sont arrivés, nous tants de Kigali, la population hutue par Goma car elles savent qu’elles
avons décollé avec l’“Atlantic” pour fuit vers Goma. En une journée, seront désarmées par les Français si
essayer de les positionner autour de 200 000 Rwandais y trouvent refuge. elles traversent la ZHS.
Goma et estimer leur volume, puis Ils seront rejoints par 400 000 autres Le lendemain, le “Puma” “Pi-
nous nous sommes reposés pour le 15 juillet et autant le lendemain. rate” est mis en alerte. Il décolle pour
déposer les photos. Comme la piste La situation humanitaire devient Cyangugu. De là, il effectue une re-
n’était plus sécurisée et commençait dramatique. Le GIR est toujours à connaissance armée près de
à être envahie de réfugiés, on nous a Gisenyi mais la ville va tomber sous Gikongoro où un groupe du COS se
demandé de partir sur Kisangani. peu aux mains du FPR. Cet afflux fait accrocher à Kamweru par le FPR
BERNARD LUNETTO

Les moyens du génie de l’Air à Goma. Tout a été acheminé


par gros-porteurs. Pour guider les avions, les Français ont installé
un radar de campagne sur l’aéroport.

50
Le SA 330 “Puma” n° 1197 COA est le “Pirate” de l’opération
Turquoise. Il est armé d’un canon Giat M621 de 20 mm
approvisionné par 240 obus.

qui tente de s’infiltrer dans la ZHS. par intérim Théodore Sindikubwabo taire, débute le 16 juillet le pont aé-
Une mitrailleuse du FPR tire dès que et aux ministres rwandais accompa- rien du programme alimentaire
les forces spéciales bougent. Elles gnés d’éléments de la Garde prési- mondial instauré par le haut-com-
demandent un appui-feu pendant dentielle de passer au Zaïre où ils missariat aux réfugiés des Nations
qu’elles décrocheront. Finalement, le sont désarmés, suivis par de très unies pour apporter l’aide humani-
groupe des forces spéciales réus- nombreux réfugiés. De leur côté, taire sur Goma. On craint déjà
sit à décrocher pendant la les CRAP [commandos de qu’éclate une épidémie de choléra
nuit et est récupéré par recherche et d’actions qui deviendrait très rapidement in-
deux “Puma” sous dans la profondeur, contrôlable. La présence de la force
JVN (jumelles de vi- NDLR] du 2 e REP Insigne Turquoise sur l’aéroport va per-
sion nocturne). Au organisent l’extraction commémoratif mettre de faciliter l’acheminement
même moment, des pa r “ P u m a” de de la base de l’aide alimentaire et le travail des
autorités gouver- Dismas Nsengiya- aérienne ONG. Des gros-porteurs et des
nementales remye, un ex- de Kisangani avions-cargos de tout type com-
rwandaises Premier ministre au Zaïre. mencent à arriver sur Goma.
trouvent refuge DR
hutu et de sa famille,
dans la ZHS à Cyangugu, ancien opposant au pré- La tension monte
dans le secteur Légion. Le 16 juillet, sident Habyarimana, menacés par
le lt-col. Hogard, qui n’a pas reçu des miliciens hutus.
d’un cran
l’ordre de les appréhender, leur L’action que mène la France Mais dès le lendemain, le 17 juil-
donne 24 heures pour quitter la zone pour mobiliser la communauté in- let, la tension monte d’un cran. Les
et partir au Zaïre. Mais la frontière ternationale et les ONG sur le sort FAR reculent encore devant l’avan-
zaïroise est fermée pour empêcher des réfugiés commence à porter ses cée du FPR. Le front s’établit main-
les réfugiés d’entrer dans le pays. Les fruits. Alors que le dispositif aérien tenant à proximité de Goma et en
Français négocient alors avec les qu’elle a mis en place a déjà permis limite de la ZHS que le FPR tente
Zaïrois, ce qui permet au président d’acheminer 400 t d’aide alimen- de forcer. Les hélicoptères “Gazelle”
JEAN-LUC BRISSAUD
reçoivent l’ordre de mettre en place
Le 17 juillet au au poste de commandement du
soir, le “Puma” RICM (régiment d’infanterie et
“Pirate” évacue chars de marine) à Kibuye une pa-
Goma sous le
trouille de deux appareils en mesure
feu et attendra
d’intervenir rapidement suite à un
l’ordre de tir qui
accrochage entre les marsouins et le
ne viendra pas.
Il s’était entraîné
FPR. Les coordonnées des lieux de
le 1er juillet combat et d’interventions possibles
1994 (photo). sont rapidement communiquées aux
À gauche, pilotes qui ont la surprise de croiser
l’adj. Lebeuze ; sur place Jean d’Ormesson, envoyé
à droite, le spécial du Figaro, venu couvrir les
cdt Claris- évènements. Le “Puma” qui trans-
Sauvage. porte le journaliste doit être dé-
tourné pour évacuer sur Goma un
marsouin blessé au col de Ndaba où
le 1er escadron du RICM subit pen-
dant deux heures le feu intense des

51
OPÉRATION TURQUOISE

mitrailleuses de 14,5 mm et des mor-


tiers du FPR très supérieur en
“Puma” SAR de l’armée de l’Air
n’étaient pas très chauds pour y aller
“ Dès la phase de
nombre. Le col. Sartre se fait dépo-
ser en “Puma” parmi les soldats en
dans l’éventualité où un pilote de-
vrait s’y éjecter. Un colonel de l’ar- décollage, nous avons
difficulté et les AML-90 effectuent mée de l’Air m’a demandé si nous
une manœuvre de débordement
pour dégager les éléments au contact.
pouvions, nous, pilotes de l’Alat,
récupérer un pilote en territoire hos-
été pris pour cible
Dans le même secteur, une com-
pagnie du 3e RIMa commandée par
tile. J’ai répondu par l’affirmative. Il
m’a alors demandé :
par des mortiers ”
le cne François Lecointre – futur – Et si ça tire ?
chef d’état-major des armées de 2017 J’ai répondu : D’autres obus frappent les réfugiés
à 2021 – arrête un bataillon complet – On a le “Puma” “Pirate”. agglutinés sur les routes près de la
des FAR qui veut traverser la ZHS Dans les vallées, on monte, on frontière. Dans la panique, plusieurs
et le contraint à son désarmement. tire et on redescend. En face, ils dizaines meurent piétinés par la
Dans la débâcle, beaucoup de déser- n’ont pas le temps de se retourner et foule terrorisée. Les autorités zaï-
teurs des FAR s’ajoutent aux mili- c’est plus difficile pour la DCA en- roises prennent la décision de fermer
ciens pour piller et racketter la popu- nemie et les missiles sol-air de nous l’aéroport de Goma au trafic autre
lation locale. tirer dessus. Si c’est de nuit, on fait que militaire, contraignant le HCR
du tir de nuit sous JVN et laser, tous à suspendre le pont aérien qui venait
Les “Mirage” F1 de feux éteints.” juste de s’amorcer.
Ce même jour, des bruits sourds Devant l’insécurité et la proxi-
Kisangani mis en alerte d’obus de mortiers se font déjà en- mité des tirs, l’état-major de
Suite aux accrochages qui aug- tendre à Nyundo, à proximité Turquoise décide d’évacuer
mentent avec le FPR, les “Mirage” F1 de Gisenyi ; le FPR est aux en urgence les hélicop-
de Kisangani sont mis en alerte. Afin portes de Goma. Les tirs tères sur Bukavu, de
de se préparer à toute éventualité, un du FPR font leurs pre- l’autre côté du lac
exercice de récupération d’un pilote mières victimes parmi les K i v u . Je a n - L u c
“éjecté” au Zaïre est monté le 17 juil- réfugiés en attente de Brissaud se souvient : Badge de l’armée
let pour les “Puma” SAR de l’armée passer la frontière zaï- “La nuit précédente de l’Air opération
de l’Air. Pour entraîner les équipages, roise. Alors que des di- déjà, ça n’avait pas Turquoise.
un pilote est emmené par un “Puma” zaines de milliers de ré- arrêté de tirer près de
de l’Alat dans la forêt zaïroise, à fugiés font encore la Goma à l’arme lourde
60 km à l’ouest de Goma. Il active sa queue et ne bougent qu’à et au mortier. Le
balise de détresse et la SAR doit ap- raison de quelques cen- 17 juillet vers 16 h 30, ça
pliquer la procédure pour le retrou- taines de mètres par heure, “rafalait” de partout.
ver. Les signaux sont correctement les explosions se rapprochent. Soudain, des obus de mor-
DR/COLL. PHILIPPE DUMON
repérés et les “Puma” de l’armée de Le FPR est maintenant sur les tier sont tombés en bout de
l’Air récupèrent le pilote sans diffi- contreforts de Goma à Gisenyi et piste, en plein sur les réfugiés. Les
culté. Même en pleine forêt, comme commence dans l’après-midi à pilon- coups augmentaient et se rappro-
toujours en Afrique, de nombreux ner l’autre côté de l’aéroport de chaient. Nous avons reçu l’ordre de
villageois s’approchent, intrigués. Goma. Des obus de mortier tombent mettre en alerte le “Puma” “Pirate”
“Comme ça tirait fort au Rwanda, sur les centaines de milliers de réfu- et perçu nos gilets pare-éclats. Puis
complète Jean-Luc Brissaud, les giés amassés près de la piste. le FPR a commencé à nous tirer des-
33E ER/COLL. PHILIPPE DUMON
L’aéroport
de Kisangani
avec un Il-76
(au centre)
et un “Transall”.
À gauche dans
l’herbe, l’épave
du Boeing 707
zaïrois 9Q-CJW
abandonné
depuis 1991.

52
Simulacre de ravitaillement
à très basse altitude
au-dessus du “persil” zaïrois
d’un “Mirage” F1CT armé
de lance-roquettes F4.

DR/COLL. JEAN-MARC DENUEL

sus. Le gén. Lafourcade a alors pris pour cible par des mortiers. J’ai Nous avons alors commencé à
donné l’ordre de faire partir sans plus d’abord vu un obus exploser à orbiter sur le lac, hors de portée des
attendre les “Puma” et les “Gazelle” l’avant droit, puis deux autres explo- tirs, en attendant qu’on nous com-
pour éviter qu’ils ne soient touchés. ser dans l’eau quand nous sommes munique la position des mortiers et
arrivés au-dessus du lac Kivu. Les qu’on nous donne l’ordre de riposter.
Moins vulnérables de pilotes de “Gazelle” m’ont raconté Les tirs du FPR venaient de la col-
qu’ils avaient également vu des tra- line de Gisenyi, de l’autre côté de
nuit, tous feux éteints çantes nous suivre. En vol, nous l’aéroport. Les “Gazelle” “Canon”
J’ai décollé à bord du “Pirate” avons aperçu des explosions juste nous suivaient. Les deux autres
avec le cdt Claris- Sauvage , derrière les “Gazelle” et les autres “Puma” étaient déjà partis directe-
l’adj. Gaïa, mécanicien navigant, et “Puma” qui nous suivaient . ment sur Bukavu où il y avait le déta-
l’adj. Lebeuze, tireur canon. Dès la Personne n’a été touché, mais je me chement du COS. La nuit tombant,
phase de décollage, nous avons été demande encore comment ! les équipages des “Gazelle” ont reçu
DR/COLL. DIDIER DUVAL
Fresque peinte
l’ordre de desserrement sur Bukavu
sur un mur car ils n’étaient pas qualifiés JVN.
de l’aérogare Le FPR a continué à arroser le ter-
de Kisangani. rain d’aviation pendant environ
Les mécaniciens deux heures. De nuit, tous feux
des “Mirage” éteints, avec le viseur laser installé
F1CT étaient du sur le canon, nous pouvions dési-
3/13 Alsace alors gner l’objectif très précisément et
que les pilotes étions moins vulnérables ; nous
étaient du 1/13 étions forcément entendus, mais il
Normandie- était difficile de nous localiser. De
Niémen. plus, avec leurs balles traçantes,
nous voyions très précisément les
départs des tirs. Pour les mortiers,
c’était plus compliqué, car nous dis-
tinguions moins bien les départs de
coup, plus brefs. Nous sommes res-
tés un long moment au-dessus du
lac, en attente de l’autorisation d’in-
tervenir, mais l’ordre n’est jamais
venu. Puis les tirs de mortiers se sont
calmés, mais nous sommes restés à
proximité un moment, au cas où.
Vers 18 h 30, en limite d’autono-
mie, nous avons quitté la zone pour
Bukavu sous JVN. À peine arrivé, le

53
OPÉRATION TURQUOISE

chef de détachement m’a renvoyé en


mission pour récupérer des glacières
pleines de poches de sang à l’Emmir
de Cyangugu pour les transporter à
Goma où de nombreuses victimes
des tirs attendaient de toute urgence
d’être transfusées. Je suis alors parti
dans un autre “Puma” avec le maré-
chal des logis chef Boros et
l’adj. Feuillet sous JVN.
Après avoir traversé le lac Kivu,
nous avons abordé la ville de Goma
par le nord-ouest. Il y avait des tirs
d’armes automatiques partout. Nous
volions tous feux éteints mais en fi-
nale, des séries de traçantes tirées par
le FPR se sont dirigées sur nous ;
c’était très impressionnant ! Elles
étaient mal ajustées car les tireurs ne
voyaient rien ; ils tiraient au bruit.
Dès le posé, le sang a été récupéré par
33E ER/COLL. PHILIPPE DUMON
les médecins et, après avoir fait le
plein, nous sommes repartis sans soudain, c’est le scramble [décollage cours qui ont dû se déplacer pour se
attendre pour Bukavu, en embar- sur alerte, NDLR] : “Faites décoller repositionner. Nous n’étions pas pré-
quant avec nous quelques mécanos les “Mirage” F1 !” Nous sommes venus de ce changement, mais
qui étaient restés sur place, pas fran- passés d’une torpeur comateuse à un comme nous l’avions vu manœuvrer,
chement rassurés par la situation…” “Mirage” F1CR état de fébrilité extrême. C’est en cou- il n’y a pas eu de problème. À peine
Les hélicoptères ne sont pas les au-dessus de la rant comme des fous vers les avions a-t-il décollé que je me suis aligné,
seuls appareils concernés par la tour- forêt zaïroise que nous avons appris que Goma suivi de “Picci” et des deux F1CR.
nure des évènements. Ce jour-là, saisi par son était sous le feu des mortiers du FPR. Si la situation l’exigeait, nous
l’“Atlantic” est à Goma. Il était venu coéquipier. Nos deux F1CT armés de lance-ro- avions assez de pétrole pour effec-
de Kisangani déposer un passager. Ces appareils quettes seront les premiers à partir, tuer un peu d’attente et une passe de
Le commandant de bord arrive en interviendront suivis de deux F1CR dont les équi- tir sans ravitailler. J’ai donc demandé
courant à l’appareil : “Tirs sur la le 17 juillet pages étaient également en alerte. Le aux F1CR qui nous suivaient de re-
piste, vous laissez tout sur place, dé- 1994 à Gisenyi C-135FR était déjà sur la piste et, joindre le “Tanker”, de faire le plein
collage immédiat !” L’“Atlantic” pour une pour quelques nœuds de vent en plus, puis de nous relever sur zone.
démonstration
vient à peine de décoller de Goma a demandé à remonter la piste pour L’enchaînement était parfait. Nous
de force
quand il est annoncé sur les fré- décoller en sens inverse, provoquant avions prévu de ravitailler à l’issue,
au-dessus
quences radio des tirs de mortier aux une gesticulation des moyens de se- prêts à pouvoir relever les F1CR à
du FPR.
abords de la piste. Tous les avions
civils encore présents à Goma dé-
collent en l’espace d’une demi-heure.
Seul reste sur place un 707 cargo suite
à un problème technique. En vol,
l’“Atlantic” peut assurer le rôle de PC
volant. Il reste sur zone à haute alti-
tude. Si des “Mirage” F1 doivent
foncer sur Goma, il pourra ainsi les
suivre grâce à son radar et les guider
sur zone, ce qui leur permettra d’arri-
ver directement en basse altitude sur
une position précise.

Les “Mirage” contactés


par l’“Atlantic”…
Didier Duval, commandant le
détachement “Mirage” F1CT, a éga-
lement vécu ces évènements :
“17 juillet : journée calme, torpeur,
moiteur. J’étais en alerte avec le
cne Piccirillo, la fatigue se faisait
sentir. Les chefs étaient à Goma.
L’après-midi tirait à sa fin, bientôt
nous ne pourrions plus décoller car
il allait faire nuit et le terrain n’était
pas équipé pour cela. Je m’assoupis-
sais sur mon lit, cependant encore
harnaché. Bien m’en avait pris car
33E ER/COLL. PHILIPPE DUMON

54
ver sur le circuit d’attente et nous giés à Goma, j’avais vu une Jeep avec
avons alors laissé notre place pour à son bord un officier français griè-
ravitailler à notre tour. Pendant ce vement blessé au ventre. C’était un
temps, et après un moment d’attente, officier de liaison de l’état-major que
nos camarades sur F1CR ont reçu j’avais rencontré le matin même et
l’ordre d’effectuer un passage bas au- qui venait d’être touché à Goma.”
dessus des rebelles, ce qui aura pour Alors que l’arrivée du FPR à la fron-
le moins contribué à les calmer. tière le 17 juillet a donné lieu à des
Après le ravitaillement, nous étions tirs désordonnés et incontrôlés de-
à nouveau prêts à revenir pour tirer puis le Rwanda et dans Goma même,
si besoin, mais ce ne fut pas néces- le lt-col. Maurin, chef d’une équipe
saire, les tirs de mortier sur Goma de liaison, en déplacement dans la
ayant cessé. Le retour s’est effectué banlieue de Goma avec des repré-
au plus vite et nous nous sommes sentants de l’ONU, est touché par
malgré tout posés de nuit, juste à la une balle perdue en plein cœur. Il est
tombée, mais par une nuit sans évacué immédiatement à l’antenne
nuage, avec une belle visibilité. chirurgicale installée sur l’aéroport
Mission accomplie.” de Goma. Il est pris en charge par les
médecins Ponce et Rigal pour une
… effectuent un passage opération à cœur ouvert particuliè-
rement urgente et délicate qui va lui
bas au-dessus des rebelles sauver la vie. Un avion du Glam
Ravitaillement
notre tour, sachant que la nuit appro- en vol Jean-Claude Lafourcade com- [Groupe de liaisons aériennes minis-
chait à grands pas et qu’il ne fallait au-dessus plète : “L’inter vention de s térielles, NDLR] est commandé en
pas tarder. Nous sommes arrivés très du Zaïre “Mirage” F1 a été déterminante pour urgence par le gén. Lafourcade pour
rapidement sur zone, guidés par du “Mirage” arrêter l’agression du FPR sur Goma. une évacuation sur Paris.
l’“Atlantic”, prêts à intervenir. Nous F1CR 33-CB J’ai prévenu Kagamé qu’après un Le lt-col. Jean-Pierre L’Hote,
avons pris par radio les coordonnées du 1/33 Belfort passage à basse altitude, nous ouvri- alors n° 3 du Glam, raconte la suite
de l’objectif auprès d’un contrôleur par le C-135FR rions le feu ; les tirs ont alors cessé…” (1) : “L’équipage est constitué très vite
avancé au sol et préparé l’attaque. En n° 738 de la Jean-Marc Denuel se souvient avec la seule ressource possible, le
fait, nous ne savions pas si nous al- 93e ERV. également de cette journée : “Ce cne Lastère, copilote, au côté du
lions devoir tirer nos roquettes ou jour-là, j’étais sur Goma. Au mo- cap. Maury. L’équipe médicale est très
faire un simple passage de dissuasion ment du bombardement, je suis expérimentée compte tenu de la gra-
en très basse altitude et très grande monté dans l’“Atlantic” qui décollait vité de cette évacuation : un médecin-
vitesse. Puis nous avons attendu pour Kisangani. En vol, nous avons colonel cardiologue aidé d’un réani-


l’ordre… qui ne venait toujours pas ; contacté les “Mirage” pour qu’ils
le pétrole diminuait. fassent un passage basse altitude sur
(1) À retrouver dans Histoire du Glam,
Les F1CR ont annoncé qu’ils l’endroit d’où partaient les tirs. Je me Des ailes au service de l’État, d’Alain
étaient maintenant prêts à nous rele- souviens aussi qu’au milieu des réfu- Bévillard, Éditions Privat, 2015.

Les moyens aériens français engagés dans l’opération Turquoise


Marine code/matricule Avions d’appui air-sol
Avion de patrouille “Jaguar” A 64/7-IS
Breguet 1150 “Atlantic” 49 “Jaguar”A 115/7-HF
“Jaguar”A 117/7-HO
Armée de Terre
“Jaguar”A 119/7-IP (détruit le 01/08/1994)
Hélicoptères de combat Alat
“Mirage” F1CT 244/13-SD
SA 341F “Gazelle” BWL
“Mirage” F1CT 251/13-SJ
SA 341F “Gazelle” BWM
“Mirage” F1CT 255/13-QK
SA 341F “Gazelle” BWS
“Mirage” F1CT 278/13-QA
Hélicoptères de manœuvre Alat
Avions de reconnaissance
SA 330 “Puma” COA “Pirate”
“Mirage” F1CR 603/33-CB
SA 330 “Puma” COB
“Mirage” F1CR 620/33-CT
SA 330 “Puma” CNC
“Mirage” F1CR 635/33-NS
Hélicoptères de manœuvre COS “Mirage” F1CR 651/33-NB
SA 330 “Puma” AUM
Avions de ravitaillement
SA 330 “Puma” AUN
C-135FR 737/93-CI
SA 330 “Puma” AUP
C-135FR 738/93-CJ
SA 330 “Puma” AUS
SA 330 “Puma” AUU
Plus une flotte composée de deux Casa CN-235, de 12 C160 “Transall”
Armée de l’Air et de trois “Hercules” C-130 de la FAP, la force aérienne de projection,
Hélicoptères SAR au plus fort de l’opération, auxquels il faut rajouter plusieurs gros-
SA 330 “Puma” 67-AZ porteurs An-124 et Il-76 loués en Russie, en Biélorussie ou en Ukraine
SA 330 “Puma” non identifié pour compenser l’absence de gros-porteurs en France.

55
OPÉRATION TURQUOISE

mateur et d’un infirmier de la base de


Villacoublay, auxquels s’ajoute une
“ L’approche se fait sage allumé au tout dernier moment
est de très faible intensité, la visibilité
convoyeuse de l’air, le lt féminin étant de surcroît mauvaise !
Bretton. L’appareil est le “Falcon” 50
n° 5 F-RAFI. Il décolle de Villa-
dans le stress, non dans Piste en vue, atterrissage très
ferme à 2 h 15, debout sur les freins,
coublay et fait escale à N’Djamena.
Dès le décollage de N’Djamena, la
l’axe, de nuit, sans vue poussière, encore de la poussière,
arrêt de la machine et… juste devant,
liaison radio est établie avec le
contrôle aérien de Brazzaville qui du sol… ” une femme avec son bébé, au milieu
de la piste, qui s’appuie sur l’aile de
annonce que le terrain de Goma est l’avion. L’aide sécurité cabine, le
fermé ! Aussitôt contactées les opéra- sont remarqués sur l’aéroport et caporal Maury, descend pour qu’elle
tions aériennes du commandement qu’une approche, non dans l’axe de se pousse, le commandant de bord
du transport aérien militaire par radio piste, mais décalée de 30 à 40° est ayant coupé un moteur afin d’éviter
HF, confirmation est donnée, mais recommandée, compte tenu de l’in- tout risque pour elle.
avec une précision importante : Goma certitude la plus complète qui règne Le “Falcon” 50 roule comme il
sera ouvert exceptionnellement pour en ce moment sur le terrain et dans peut et sur deux moteurs jusqu’au par-
cette seule mission Evasan dès qu’elle ses abords. L’équipage ne dispose que king dans la nuit noire. Une fois
arrivera. En route pour Goma, l’équi- de peu de moyens de radionavigation l’avion arrêté, les moteurs sont coupés.
page passe au-dessus de Kisangani. au sol : seul un VOR marche encore Des rafales de traçantes passant au-
Les autorités contactées précisent que mais avec des oscillations rendant les dessus de l’avion. Ils sont encerclés et
Goma, où de très nombreux réfugiés informations insuffi santes pour un la situation est loin d’être maîtrisée.
sont repérés un peu partout, est encer- atterrissage en toute sécurité. Une Une voiture aux phares scotchés aux
clée par des éléments inconnus et in- trajectoire est décidée en utilisant les trois quarts arrive. L’escale dure une
contrôlés, que nos “Mirage” F1 ont informations inertielles disponibles heure et demie, avec des tirs observés
dû intervenir avec des passages à très L’antenne à bord du “Falcon” 50, mais la ma- et entendus toutes les cinq à dix mi-
basse altitude au-dessus du terrain chirurgicale nœuvre est difficile car il fait nuit et nutes. En fait, le terrain est sous la
pour dissuader tout agresseur poten- aérotrans- un volcan situé dans l’axe de piste et protection d’un commando parachu-
tiel et montrer nos forces. portable très proche rend toute remise de gaz tiste de l’Air équipé de jumelles à vi-
à Goma. délicate, voire dangereuse… sion nocturne. Tous les avions norma-
Le “Falcon” 50 Trois épaves Le commandant de bord, pour lement stationnés pour l’opération en
d’avions zaïrois raison de sécurité fait éteindre toutes cours dans ce pays ont reçu l’ordre de
d’évacuation encerclé gisent à côté : les lumières de bord, occulter les décoller pour d’autres terrains compte
Approchant de la destination, de gauche hublots, couper tous les moyens ra- tenu de la situation. Seul reste un
l’équipage du “Falcon” 50 contacte à droite un dio non indispensables. L’approche Boeing 707 cargo bloqué pour cause
la tour de contrôle où il ne reste qu’un Dornier 27, se fait dans le stress, non dans l’axe, de problèmes moteurs. L’équipage du
seul contrôleur équipé, comme il le un Beechcraft de nuit, sans vue du sol, avec l’idée Glam croise les deux pilotes concer-
constatera au sol, de gilet pare-balles “Bonanza” d’une remise de gaz plus que diffi- nés, apeurés et éveillés, errant en
et d’un casque lourd. Il ne peut qu’an- et un cile… Mais à 1 000 pieds [305 m], des pleine nuit, à proximité du PC du déta-
noncer qu’il fait beau… Puis, lors Rockwell 685 lumières sont en vue. L’équipage se chement. Le personnel encore sur le
“Commander”
d’un second contact, que des coups rassure, mais il s’agit en fait de lu- camp est fatigué, sous casque lourd et
9Q-CZH.
de feu sont tirés de partout, que le lac mières de la ville proche, pas de celles gilet pare-balles, dans des installations
À gauche,
Kivu est plein de cadavres, que beau- de la piste. Et pour cause, elle est de fortune ; il fait chaud, le stress est
la Renault 4L
coup de mouvements incontrôlés décalée d’au moins 30° et son bali- grand. À la sortie du camp, c’est une
de piste.

ALAIN TOUL

56
Le “Falcon” 50 n° 5 F-RAFI
du Glam réalise le 17 juillet
à Goma une évacuation
sanitaire à haut risque d’un
officier français grièvement
blessé

DR/COLL. PIERRE PARVAUD

marée humaine de “zombies” qui se de 120 mm de la section de mortiers ment rwandais s’est replié au Zaïre.
déplace. L’équipage fait le plein maxi- lourds du 11e RAMa du cne Philippe Le nouveau gouvernement mis en
mal et met en route dès que le blessé Loïacono ripostent à l’obus explosif place par le FPR au Rwanda, déjà
est à bord et conditionné. La piste est depuis le stade de Kibuye. reconnu par la communauté interna-
ouverte par une voiture de comman- tionale, demande à la France de quit-
dos, avion tout éteint, aucun feu exté- La France doit quitter ter immédiatement le pays. Bilan de
rieur, dans la peur de tirs possibles. Le l’attaque du FPR sur Goma : une
décollage se fait à 3 h 45 en mettant les
le pays immédiatement centaine de réfugiés tués, victimes
moteurs à pleine puissance conservée Le tir d’obus éclairants permet des obus de mortiers ou des balles
jusqu’à 8 000 ou 9 000 pieds [2 438 ou aussi aux AML-90 d’ouvrir le feu sur tirées depuis Gisenyi, ou bien piéti-
2 743 m] pour permettre une montée des éléments infiltrés fortement ar- nés par la foule paniquée. L’antenne
en grande pente.” més qui subissent de lourdes pertes. chirurgicale parachutiste effectue les
Au même moment au nord de la Dans l’obscurité, les Français Les réfugiés opérations les plus urgentes toute la
ZHS, la situation est aussi très tendue. peuvent suivre les tentatives d’infil- campent nuit. Le génie creuse des trous à la
Les AML-90 du RICM du trations du FPR grâce aux caméras autour de pelleteuse où sont empilés les ca-
lt Dominique Arrambourg se font infrarouges “Mira” des missiles anti- Goma dans davres. Dans cette ville de 120 000
des conditions
accrocher à Nyakabuye. Le FPR tente char “Milan”. L’accrochage va durer habitants, maintenant submergée par
déplorables.
d’ouvrir une brèche dans le dispositif toute la nuit. À l’aube du 18 juillet, la plus d’un million de réfugiés apeurés,
Ils seront
de Turquoise par un tir de mortier sur ville de Gisenyi est entièrement aux c’est le chaos total… ■
un million à
les positions françaises. Les mortiers mains du FPR. L’ancien gouverne- À suivre
entrer au Zaïre.

33E ER/COLL. PHILIPPE DUMON

57
HISTOIRE
La première campagne du GC III
Normandie (mars-novembre 1943)
Une épreuve
du feu glorieuse,
mais chèrement
payée
Deuxième partie.
L’engagement des pilotes français contre
les Allemands est total dans le ciel soviétique.
Mais les pertes s’accumulent et deviennent
préoccupantes…
Par Yves Donjon.
Auteur de Ceux de Normandie-Niémen,
administrateur du Mémorial Normandie-Niémen.

L
e 2 juin, le groupe quitte en charge des détails. Évadé d’Indo-
Mozalsk pour rejoindre le chine en octobre 1942, le cne Pierre
terrain de Khationki, situé Pouyade avait réussi à gagner l’An-
5 km plus au nord, où est déjà gleterre début février 1943 et s’était
installé le 18e régiment de la immédiatement engagé dans les
Garde. Les pilotes – toujours mieux FAFL. Promu commandant le
choyés que les mécaniciens – se re- 1er avril suivant, il avait été chargé
trouvent logés dans un village à 4 km par le gén. Martial Valin, comman-
du terrain. Quant aux mécaniciens, dant en chef des FAFL, de recruter
ils doivent se construire des abris et des renforts pour le GC III
des cabanes en branchages. Toute- Normandie nouvellement arrivé sur
fois, un pilote, le cdt Jean Tulasne, le front de l’Est, et au sein duquel les
fait exception. Pour être le premier pertes risquaient d’être lourdes.
à décoller en cas d’alerte, il installe S’étant exécuté, le cdt Pouyade était
sa paillasse sur l’aérodrome, à moins parvenu à recruter les huit pilotes
de 20 m de son avion, dans un trou avec lesquels il rejoint le Normandie
de 2 m2, qu’il recouvre de rondins de ce 9 juin 1943.
bois et de terre, où l’air et la lumière De droite
ne pénètrent que par une petite lu- L’amitié des commandants à gauche :
carne au ras du sol… Les renforts
tant attendus arrivent le 9 juin, en la
Tulasne et Pouyade Albert Durand,
Jean Tulasne
personne du cdt Pierre Pouyade, Paul de Forges était célèbre au et Albert Littolff
accompagné de huit pilotes : le sein des ailes françaises et auprès du avec des officiers
cne Paul de Forges, les lt Henri grand public ; en 1935-1936, il avait soviétiques,
Boube, Gérald Léon, Jean de réalisé des raids aériens, notamment en juillet 1943,
Tedesco, le s/lt Léo Barbier, les Paris-Madagascar et Paris-Chan- pendant la
asp. André Balcou, Jacques Mathis dernagor (Inde française). Henri bataille d’Orel.
et Firmin Vermeil. Notons aussi la Boube, “vieux” pilote de 37 ans, Littolff disparut
venue de l’asp. Anatole Corot qui avait rallié les FAFL en Angleterre au combat le
assurera les fonctions d’interprète en février 1943. Gérald Léon, évadé 16 juillet, Tulasne
– étant d’origine russe – et d’officier de France en juin 1940, avait com- le lendemain.

MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN

58
59
PREMIÈRE CAMPAGNE DU GC III NORMANDIE

battu avec le GC I Alsace en Libye


et en Syrie, puis en Angleterre. Jean
de Tedesco, issu de l’École de l’air,
évadé de France en juin 1940, avait
servi dans des Squadrons de la RAF
et avait deux victoires homologuées
à son actif. Léo Barbier, 34 ans, bre-
veté pilote militaire en 1932, avait
participé à la campagne de France,
puis après avoir été mis en congé
d’armistice, s’était évadé par l’Es-
pagne, avait rejoint l’Angleterre et
s’était engagé dans les FAFL en
novembre 1942. André Balcou, en-
gagé dans l’armée de l’Air en 1938, Pierre Pouyade
provenait des Forces aériennes de sur le balcon
Madagascar, où il avait rallié les de la Mission
FAFL en novembre 1942. Jacques militaire
Mathis et Firmin Vermeil, engagés française à
dans l’armée de l’Air en 1935 et Moscou, quai
1934, tous deux âgés de 28 ans, Kropotkine.
MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN
étaient parvenus ensemble à fran-
chir clandestinement la frontière Versailles-Villacoublay et avaient sont camouflés les avions. L’horizon
espagnole, le 10 octobre 1942, et à obtenu le brevet de pilote militaire le se perd vaguement dans une im-
rejoindre l’Angleterre. À Londres, même jour, le 7 juillet 1934. Par ail- mense plaine ondulée à l’infini, où,
les deux camarades d’évasion leurs, Pierre Pouyade a également la de-ci de-là, se dressent des petits bos-
s’étaient engagés dans les FAFL le grande joie de retrouver le s/lt Adrien quets et, au loin, une grande forêt.
même jour, le 8 janvier 1943. Bernavon, qui était son équipier – et En l’air, rien ne signale le terrain à
Les commandants Tulasne et ami – au sein de l’escadrille de chasse l’attention, pas même une isba. Nous
Pouyade sont particulièrement heu- qu’il commandait en Indochine, sommes à proximité des premières
reux de se revoir, les deux hommes durant l’année 1942. lignes, entre Kalouga et Briansk, sur
étant liés d’amitié depuis plus d’une le flanc nord du saillant d’Orel, tenu
douzaine d’années. Ils avaient fait Un simple champ où sont solidement par les Allemands.”
leurs études au Prytanée militaire de Les 15 et 16 juin, deux nouvelles
La Flèche où ils avaient obtenu le
camouflés les avions victoires officielles (les 10 e et 11e)
baccalauréat. Puis, ils avaient été Des Yak-9 sous De Khationki, Pierre Pouyade viennent s’ajouter au palmarès du
élèves-officiers dans la même promo- camouflage. fera la description suivante : Normandie ; elles sont à mettre au
Le Normandie
tion de l’École spéciale militaire de “Khationki, c’est comme tous les crédit de Littolff-Castelain et
reçoit ses
Saint-Cyr. Ensuite, les deux jeunes terrains d’aviation soviétiques du Preziosi-Albert.
premiers
officiers avaient opté pour l’aviation, front, un simple champ, en bordure Le 19 juin, le nom de Normandie
Yak-9 début
étaient passés par l’École de l’air de juillet 1943.
d’un bois de bouleaux et de pins où apparaît pour la première fois dans

MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN

60
“ Nos pensées sont le front de l’Est, le Yak-9 est plus ra-
pide que ses adversaires. Doté d’une
nord et Belgorod au sud, mettant
aux prises quelque 6 000 chars – la

toutes tournées vers bonne vitesse ascensionnelle, extrê-


mement maniable, d’un pilotage fa-
cile, il rivalise sans problème avec les
plus grande bataille de chars de tous
les temps –, 4 000 avions et deux
millions d’hommes.
la France, nos familles, Me 109 et les Fw 190, malgré un ar-
mement limité à un canon de 20 mm L’avion de Tedesco aperçu
nos amis ” et une mitrailleuse de 12,7 mm.
L’apport de ces nouveaux appareils
piquant vers le sol…
permet la réorganisation du groupe Le 12 juillet voit le début de
un communiqué officiel soviétique. et la création de deux véritables esca- l’opération Koutouzov, contre-of-
Le journal La Pravda publiera dans drilles, dont la fensive militaire
son édition du 9 juillet le nom des 1 re Rouen, est de l’Armée rouge,
cinq aviateurs français du Normandie confiée au dans la région
décorés de l’ordre de la guerre pour cdt Pouyade, et la d’Orel, à laquelle
le salut de la Patrie : Jean Tulasne, 2 e Le Havre, au le Norma ndie
Albert Littolff, Albert Durand, Le s/lt Noël cne Littolff. Le prend immédia-
Marcel Lefèvre et Louis Duprat. Castelain trouva Normandie tement part. Ce
Sous-officier mécanicien de carrière la mort compte alors 22 12 juillet, à 8 h 00
avant-guerre, Louis Duprat s’était le 16 juillet 1943, pilotes, mais deux du matin, 14 Yak
évadé de Djibouti en septembre 1940, le même jour que sont hospitalisés du Normandie
à bord d’un Potez 29 en direction le cne Littolff, et cinq ne sont pas décollent pour
d’Aden, et s’était engagé dans les son chef et ami. encore déclarés accompagner 18
FAFL. Avec le GB I Lorraine, il opérationnels. Les Petlyakov Pe-2 en
avait participé, comme mécanicien derniers Yak-1 mission de bom-
mitrailleur, à la campagne de Libye, vont être progres- bardement.
M N
ÉMORIAL -N
ORMANDIE IÉMEN
avant d’être affecté au GC III comme sivement restitués Malgré une Flak
chef de hangar. Considéré comme aux Soviétiques. active, tous les appareils rentrent
étant l’âme technique du Normandie, Ce même 5 juillet 1943, Hitler sans avoir été touchés. Le lende-
le cdt Tulasne le propose au grade de déclenche l’opération Zitadelle, main, à l’occasion d’une mission
sous-lieutenant en avril 1943. offensive devant permettre aux d’a c c o mpa g nement d e d i x
La réception d’avions neufs pro- forces armées allemandes de re- Iliouchine Il-2 “Chtourmovik” (sur-
mis en renfort se fait attendre et il est Ce fut lors prendre l’initiative contre l’Armée nom mé “le Bossu” par les
nécessaire d’entraîner les pilotes d’un combat rouge après les échecs successifs de Soviétiques et “la Mort noire” par
nouvellement arrivés sur les Yak contre des la Wehrmacht devant Moscou et les Allemands), le cne Littolff, les
existants, ce qui réduit le nombre de Ju 87D comme Stalingrad. Un affrontement gigan- s/ lt Castelain et Durand abattent
sorties opérationnelles. Entre le celui-ci et des tesque – entré dans l’histoire sous chacun un Me 110.
Fw 190 que
17 juin et le 8 juillet, le Normandie la dénomination de bataille de Le 14 juillet, à 7 h 30, Normandie,
disparurent
n’effectuera que 96 sorties, soit seu- Koursk – va se dérouler dans le sud- unité minuscule sur l’immensité du
Castelain
lement quatre par jour en moyenne. ouest de la Russie, sur un immense territoire soviétique, voit flotter le
et Littolff,
Le 23 juin, en patrouille avec saillant de 23 000 km2 entre Orel au drapeau français lors d’une prise


le 16 juillet.
Didier Béguin, le cdt Tulasne engage
un Fw 190 qu’il abat au-dessus de
Bouda ; il vient de remporter sa pre-
mière victoire confirmée. Celle-ci lui
vaudra une citation et une palme de
bronze à sa croix de guerre.

Une réorganisation
avec l’arrivée du Yak-9D
Le 5 juillet, conformément au
télégramme du cne Albert Mirlesse
(adjoint au gén. Ernest Petit, chef de
la Mission militaire française à
Moscou), le Normandie réceptionne
un premier lot de 12 Yak-9D flambant
neufs. Le Yak-9D, dérivé du Yak-7DI
(“Dalny Istrebitel”, chasseur à long
rayon d’action), possède une aile plus
légère de 100 kg – le lourd longeron
en bois ayant été remplacé par deux
longerons en aluminium – et une
envergure réduite par rapport à celle
du Yak-1. Équipé du moteur Klimov
M-105PF développant 1 210 ch, il at-
teint 600 km/h à 4 300 m.
Dans la tranche d’altitude où se
déroulent la majorité des combats sur
MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN

61
PREMIÈRE CAMPAGNE DU GC III NORMANDIE

d’armes entre Français et Soviéti-


ques, en l’honneur de la fête natio-
nale française. Le cne de Forges lit
un bel ordre du jour du cdt Tulasne
et un ordre de nominations de méca-
niciens. La cérémonie très simple ne
dure qu’une dizaine de minutes ; une
grande émotion étreint les partici-
pants. Didier Béguin écrira dans son
journal : “Nos pensées sont toutes
tournées vers la France, nos familles,
nos amis. Les reverrons-nous jamais
un jour ?” Le drapeau tricolore va
flotter sur ce petit coin de “terre
française” durant toute la journée.
À 14 h 00, sept Yak emmenés par
le cdt Pouyade décollent pour une
m i s sion de prote c t ion de
“Chtourmovik” dans la région de
Balkov. Quatre Me 110 qui se trouvent
en couverture de l’objectif sont atta-
qués par les Français. Un appareil est
descendu par Albert, un second est
abattu en collaboration par Pouyade
MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN
et Béguin ; les deux victoires sont
confirmées par les troupes au sol. Cérémonie du neur… Les recherches entreprises au français rencontrent une formation
Tous les “Chtourmovik” regagnent 14 juillet 1943, sol ne donneront aucun résultat et le de Fw 190 et engagent le combat.
leur terrain, mais, malheureusement, avec de gauche corps de Jean de Tedesco ne sera ja- Castelain se trouve séparé de
le lt de Tedesco ne rentre pas de mis- à droite : Risso, mais retrouvé. Littolff, son chef de patrouille, mais
sion. Lors de l’engagement, Albert a Léon, Laurent, parvient à se placer et à tirer un 190
aperçu un Yak-9 piquant vers le sol en Balcou, Bon, Le combat engagé qui monte en chandelle dans la
dégageant de la fumée, probablement Tulasne, queue d’un Yak inconnu. Le chas-
l’appareil de Jean de Tedesco qui est Pouyade, avec des Fw 190 seur allemand prend feu et explose
porté disparu. Il paye ce jour-là de son Barbier, Boube, D’autres missions se déroulent en l’air. Castelain attaque également
Preziosi, Albert,
sang la fierté de témoigner la pré- en ce 14 juillet. À 19 h 50, un groupe un Ju 87 bombardant les troupes
Vermeil
sence de “sa” chère École de l’air dans de neuf Yak avec Tulasne à sa tête amies, sans parvenir à l’abattre. À
et Bernavon,
tous les cieux où le destin de la France décolle pour protéger des Il-2 dans court de carburant, il se pose sur un
sur le terrain
était en jeu. Pour Jean de Tedesco, ce de Khationki.
le secteur de Kirekovo. Après terrain voisin et regagnera Khationki
n’était pas payer trop cher un tel hon- quelques minutes de vol, les pilotes de nuit en Po-2. Cette journée de fête

Un Polikarpov Po-2 (ou UT-2) à l’atterrissage.


Celui du Normandie était principalement utilisé
par le lt Jean de Pange pour des missions de liaisons.

62
Alexandre
Laurent qui fut
le seul pilote
du Normandie
à épouser
une Soviétique.
MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN

nationale se conclut par un banquet Le 16 juillet est caractérisé par de l’aube à la tombée de la nuit. Lors
auquel sont invités une vingtaine une activité très intense : nom- d’une mission de la matinée, Littolff
d’of f ic ier s sov iét ique s . L e breuses missions, nombreux com- et Castelain descendent deux
gén. Zakharov félicite chaleureuse- bats tournoyants contre des chas- Me 110. Parallèlement, Pouyade,
ment les pilotes du Normandie et lit seurs allemands et nouvelles Preziosi, Béguin, Durand, Risso et
un télégramme de félicitations du victoires confirmées. Malheureu- Vermeil attaquent un Fw 189 qui
gén. Gromoff, nouveau comman- sement, ce 16 juillet va également bombardait les troupes amies.
dant de la 1re armée aérienne. être une journée particulièrement L’appareil allemand ne résiste pas à
Le lendemain, lors d’une mis- noire pour le Normandie… Dès l’attaque des six Yak et s’abat dans le
sion de protection de six Il-2, effec- 3 h 00 du matin, les pilotes se lèvent secteur de Krasnikovo. Tous les
tuée dans de mauvaises conditions après une trop courte nuit n’ayant chasseurs français rentrent au ter-
météo, le cdt Tulasne et le cne de pas permis de récupérer ; les hommes rain sans avoir été touchés.
Forges abattent chacun un Me 110 sont harassés. Depuis le début de À 14 h 00, huit Yak décollent
au-dessus d’Orel. l’offensive les missions s’enchaînent sous les ordres de Tulasne pour une ▲
MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN
Jean Tulasne et
le commandant
Dymchenko
au cours du
printemps 1943.

63
PREMIÈRE CAMPAGNE DU GC III NORMANDIE

VINCEN
T DHORN
E

Yak-9 portant la décoration hypothétique de l’appareil


du commandant Pouyade à la fin de l’été 1943.
Il arbore le blason de l’unité, tel que sur son futur Yak-9T.

mission de couverture des troupes d’être dénoncé, de la nécessité d’entre- La nouvelle des disparitions si-
au sol dans la région de Krasnikovo. prendre une action de résistance. multanées de Littolff, Castelain et
Les pilotes français aperçoivent C’est ce que nous fîmes, avant de Bernavon provoque stupeur et
une quinzaine de Ju 87 “Stuka” prendre la décision de nous enfuir consternation parmi le personnel du
(abréviation de “Sturtzkampf- ensemble vers la Chine. Au dernier Normandie. Le cdt Tulasne jure de
flugzeug”, qui signifie “bombardier moment il ne put me rejoindre dans venger Albert Littolff, son adjoint,
en piqué” en allemand) se dirigeant l’avion que j’avais préparé à cet effet son fidèle compagnon d’armes de-
sur Krasnikovo. Littolff, Castelain et je m’envolai seul. Il devait réussir à puis l’époque du GC I Alsace au
et Léon s’en prennent au dernier s’échapper quelques semaines plus Moyen-Orient.
peloton. Pouyade et Bernavon se tard et me retrouver en Chine après
lancent à leur suite, tandis que des aventures extraordinaires. Il était Tulasne et Vermeil ne
Tulasne et Albert restés en protec- venu en URSS tout simplement pour
tion haute se retrouvent aux prises me suivre, parce que j’étais son ancien
regagnent pas le terrain
avec deux Fw 190 venus d’une alti- chef et son ami… Le jour de sa der- Le lendemain, 17 juillet 1943,
tude supérieure. Tulasne abat un nière mission, nous étions ensemble une première sortie s’effectue à
Fw 190, Pouyade descend un Ju 87, à la poursuite d’un groupe de Ju 87 5 h 10. Le cdt Tulasne mène dix Yak
Léon est victorieux au détriment de “Stuka”, lorsqu’il fut abattu par un en protection de Pe-2 devant bom-
deux Fw 190, et enfin Paul de Fw 190 quelque part au nord d’Orel.” barder la gare de Biela-Berega, sur
Forges s’of f re u n Me 10 9. Sur le terrain Les recherches entreprises dès le la voie ferrée de Briansk à Orel.
Malheureusement, trois pilotes ne de Khationki, lendemain n’apporteront aucune Pressé d’en découdre avec l’ennemi,
rentrent pas : le cne Littolff, les en juillet 1943. information sur ce qu’il est advenu Tulasne attaque un Me 110 sans
s/ lt Castelain et Bernavon. De gauche des trois aviateurs portés disparus. résultat. Plus tard dans la matinée,
à droite : Dix-sept ans après sa disparition, le un engagement a lieu avec des
La même soif de vaincre Littolff, corps d’Albert Littolff sera retrouvé Fw 190 ; le s/lt Albert abat l’un des
Sibirine,
dans l’épave de son Yak et restitué à chasseurs allemands.
un ennemi odieux Durand,
la France en octobre 1960. Il fut in- Malgré la fatigue, le cdt Tulasne
Pintchouk,
A insi disparaissent Albert humé au carré militaire du cimetière sort une nouvelle fois à 17 h 10 à la
Castelain,
Littolff et Noël Castelain, deux amis Albert et Risso.
Saint-Pierre de Marseille. tête de neuf Yak pour escorter des
unis jusque dans la mort par la même
soif de vaincre un ennemi odieux,
pour lesquels l’honneur et la liberté
étaient les deux raisons d’exister.
Concernant Adrien Bernavon, le
cdt Pouyade – devenu général – décla-
rera après la guerre : “J’avais fait sa
connaissance fin 1940, sur le navire
qui nous amenait en Indochine pour
faire campagne contre la Thaïlande.
Nous avions vite sympathisé. En
même temps qu’un camarade char-
mant, c’était déjà un chasseur de
classe qui avait obtenu plusieurs cita-
tions au cours de la campagne de
France. Il était à mon escadrille, et
pendant un an et demi nous avions
patrouillé ensemble sur nos
Morane 406 au Cambodge, au Sud
Annam et au Tonkin. Comme moi, il
avait assisté, la rage au cœur, à l’occu-
pation japonaise, et il était des rares
avec qui je pouvais parler, sans crainte
MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN

64
“Chtourmovik” dans le secteur de
Znamenskaïa. Les Yak sont pris à
“ Il faut excuser l’ardeur Dès le lendemain de la dispari-
tion de Jean Tulasne, le commande-
partie par une nuée de Fw 190 ; pas
moins d’une trentaine de chasseurs excessive de ces jeunes ment du Normandie est confié à
l’officier de l’unité le plus ancien dans
allemands sont présents. L’asp. Ver- le grade le plus élevé, en l’occurrence
meil, équipier de Béguin, est perdu
de vue dès le début du combat. Les
gens… et comprendre le cdt Pouyade : “Tulasne disparu, il
me fallait prendre sa place. Quelle
commandants Tulasne et Pouyade,
accompagnés de l’asp. Bon, montent
leur impatience ” lourde tâche et quelle responsabilité !
Aussi pénibles que soient nos deuils
en chandelle en direction d’un cu- et leur souvenir, il faut pourtant bien
mulus salvateur. Pouyade passe à culièrement lourd avec la perte de revenir à la réalité, c’est la bataille en
gauche du nuage, Tulasne à droite. six de ses pilotes et non des cours. Au sol, l’immense contre-of-
200 m plus loin, Pouyade se retrouve moindres. À l’échelle de l’effectif, fensive a réussi… Les unités d’avia-
seul et a perdu c’est une catas- tion russes sont décimées comme la
tout contact avec trophe en plus nôtre, mais elles ont l’avantage de
les autres pilotes d’un drame ; le posséder un réservoir inépuisable de
en l’air. Isolé, il Normandie est pilotes qui comblent rapidement
reprend le cap du décapité. Aussitôt leurs vides. Pour nous, ce n’est pas la
terrain de l’annonce de la même chose, et chaque perte est ir-
Khationki, espé- disparition du Jean Tulasne, remplaçable.”
rant y retrouver cdt Tulasne, le premier Le lt Gérald Léon reçoit le com-
Tulasne. gén. Zakharov commandant mandement de la 1re escadrille
L ’av ion du vient rendre visite tactique du Rouen ; le lt Didier Béguin celui de la
lt Béguin reçoit un au personnel du Normandie, 2e escadrille Le Havre.
obus dans l’aile Normandie sous disparut le L e 19 juillet, après presque
17 juillet 1943.
près du fuselage, le choc. Fraternel quatre mois de présence au front, le
un autre dans le et direct, Normandie obtient sa 30 e victoire
plan fixe horizon- G u e o r g u y confirmée. Cependant, le groupe est
tal et un troisième Zakharov s’ex- au bord de l’épuisement. Il ne reste
dans le moteur. prime en ami, plus que 11 pilotes aptes au combat
Bien que blessé à M N
ÉMORIAL -N
ORMANDIE
mais aussi en tant
IÉMEN
– valides et entraînés – et dix Yak-9,
la cuisse, et mal- que chef. Il ex- auxquels s’ajoute un dernier Yak-1.
gré le moteur de son Yak endom- plique aux Français que “la tactique
magé, Béguin rentre en rase-mottes, du combat individuel n’est plus va- Les “recommandations
survolant des combats de chars, et lable lorsque d’importantes forma- Sur le terrain
parvient à se poser sur le ventre en tions s’affrontent dans le ciel. de Khationki, amicales” de Zakharov
zone amie. Tulasne et Vermeil ne L’essentiel, dans le combat moderne, en juillet 1943. Le 21 juillet, le gén. Zakharov
regagnent pas le terrain et leurs ca- c’est l’esprit de collectivité et d’en- De gauche convoque à la division le cdt Pouyade
marades ne reçoivent aucune nou- traide”, dit-il avec insistance. Le à droite : pour lui faire des “recommandations
velle les concernant. Les deux pilotes gén. Zakharov a reçu des instruc- de Forges, amicales”. Pierre Pouyade raconte :
sont portés disparus ; on ne les re- tions venues de très haut : le Durand, “Il me fait part de sa crainte que notre
Preziosi,
verra jamais. Normandie doit survivre à tout prix unité soit bientôt réduite à zéro et des
Bon, Léon,
Entre le 13 et le 17 juillet, le car cette unité, si petite soit-elle en conséquences que ma disparition
Mathis, Michel
Normandie a effectué 112 missions effectif, représente un symbole très éventuelle entraînerait… Il me de-
(chef des
de guerre et obtenu 17 victoires offi- fort, dont la portée politique n’est mécaniciens)
mande d’abord de ne pas voler, pour
cielles, mais il paye un tribut parti- pas négligeable. et Albert.
l’instant, ou qu’avec son autorisa-
tion. Il ajoute que, l’offensive tirant
à sa fi n, il va nous laisser souffler
quelques jours en attendant l’arrivée
des renforts qui sont vaguement an-
noncés. Nous en profi terons pour
entraîner les jeunes et régler quelques
problèmes. Car il y en a.
Le premier concerne la discipline
de vol, ou plutôt certaines différences
de conception du vol en opérations
existant entre aviateurs soviétiques et
français. Le général estime que l’ex-
cès d’individualisme, dû à notre tem-
pérament, nous amène à trop nous
disperser et à prendre inutilement des
risques ou des initiatives frisant l’in-
discipline de vol. Il y a un peu de vrai
là-dedans, je l’admets… Il faut excu-
ser l’ardeur excessive de ces jeunes
gens… et comprendre leur impa-
tience d’obtenir une première victoire
ou d’en ajouter une à celles qu’ils ont
déjà… Notre recrutement et notre

MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN

65
PREMIÈRE CAMPAGNE DU GC III NORMANDIE

MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN
Un groupe de
entraînement ne sont pas non plus mécaniciens pas qu’ils sont sur la brèche depuis commandés par le capitaine ingé-
étrangers à notre comportement. français le mois de mars, dans des conditions nieur en chef Sergueï Agavelian,
Nous venons en effet d’un peu par- et soviétiques de travail et de vie extrêmement pose un double problème de com-
tout, la plupart de la chasse, mais au travail sur difficiles – et le cdt Pouyade sait préhension et de commandement.
aussi du bombardement ou de la re- un Yak-1 qu’il est illusoire de compter sur Le renvoi dans leurs foyers des
connaissance. Les nouveaux ont peu du Normandie, d’éventuels renforts. Non seulement mécaniciens français et leur rempla-
volé ou n’ont pas volé depuis 1940. durant la France libre n’est pas en mesure cement par du personnel exclusive-
Quelques-uns sont de très jeunes pi- le printemps d’y faire face, mais en plus elle re- ment soviétique réglerait d’un seul
lotes, avec quelques heures à peine de 1943. cherche du personnel mécanicien coup toutes les questions. Nous re-
transformation sur avion de chasse. en vue de la mise sur pied de nou- viendrons plus loin en détail sur la
L’entraînement sur le front n’est pas velles unités, suite à la libération de situation des mécaniciens français
non plus l’idéal… De plus, en raison l’Afrique du Nord. En outre, la pré- du Normandie. ■
de notre méconnaissance de la langue sence de mécaniciens soviétiques, À suivre
russe, nous disposons en vol d’une
longueur d’onde spéciale. D’avion à Le capitaine
avion, nous parlons donc français ingénieur en
entre nous, mais rien qu’entre nous… chef Sergueï
Agavelian
Nous sommes en quelque sorte isolés
commandait
du monde dès le décollage. Dans ces
l’ensemble
conditions, il arrive que, en vol, nous
des mécaniciens
soyons amenés à prendre des dispo- soviétiques
sitions ou des initiatives pouvant être du Normandie.
prises, à tort ou à raison, pour un
manque de cohésion ou de l’indisci-
pline. Il acquiesce volontiers et l’inci-
dent est clos définitivement…”

Les mécaniciens
français débordés
Au cours de cet entretien, le
gén. Zakharov aborde un autre
point également préoccupant ; ce-
lui-ci concerne les mécaniciens
français du Normandie. Déjà trop
peu nombreux (42 hommes, dont
deux officiers) pour une seule esca-
drille, ils sont débordés – n’oublions
MÉMORIAL NORMANDIE-NIÉMEN

66
MONOGRAPHIE
Salmson 2A2
Le guerrier
de retour au civil

DR
Salmson 2A2

U
ne mission militaire aé- n° 4533 14 autres exemplaires acquis ulté- Fourrey, est capturé et passé par les
rienne française compre- immatriculé rieurement, soit au total 53 machines armes. Raoul Fourrey, ancien insti-
nant instructeurs et F-ALZI, envoyées en Pologne. Ces escadrilles tuteur de 23 ans, sera d’ailleurs le
avions est envoyée en appartenant serviront surtout à former des avia- seul aviateur français tué au combat
Tchécoslovaquie pour aux lignes teurs polonais mais vont aussi réali- contre les communistes.
l’aider à combattre la Hongrie bol- Latécoère, vu ser des missions de surveillance de Après l’hiver 1919-1920 les avia-
chevique dans un court confl it en à Casablanca l’Armée rouge qui approche de la teurs français quittent la Pologne en
mai et juin 1919. 50 Salmson 2A2 lui en mars 1921. Pologne en reprenant les zones éva- laissant leurs appareils aux pilotes
sont livrés mais ne sont mis en ligne Il s’agit d’un cuées par l’armée allemande. polonais qu’ils ont formés. Seule la
qu’après les combats, restant servir autre appareil SAL 580 est maintenue en ligne en
dans l’aviation tchécoslovaque transformé en Des missions de devenant la 18e Eskadra de l’aviation
jusqu’en 1924. “Berline”, mais polonaise (Lotnictwo Wojskowe)
Au même moment arrive en de manière reconnaissance lointaines tandis que les SAL 581 et 582 sont
Pologne “l’armée bleue” du différente que L’escadrille SAL 582, installée dissoutes et fusionnées avec d’autres
gén. Haller, composée de soldats pour le F-ALAO, sur le terrain de Vilnius à la fi n du unités – les 6 e, 14e et 16 e Eskadra
polonais instruits et équipés en car comportant mois de mai 1919, va ainsi réaliser mettront en service quelques
France pendant la Grande Guerre. trois fenêtres plusieurs reconnaissances loin- Salmson en complément d’autres
Sept escadrilles françaises les ac- latérales au lieu taines et, le 12 juin 1919, un de ses appareils. Toutes ces unités vont
compagnent, dont trois de corps de deux. Salmson est abattu par la DCA bol- prendre part aux combats contre
d’armée équipées de Salmson 2A2, chevique sur la ville de Smolensk. l’Armée rouge lors de la première
les SAL 580, 581 et 582, fortes cha- Son équipage franco-polonais, phase de la guerre russo-polonaise
cune de dix appareils, plus neuf en composé du lt pilote Wiktor Wolski qui voit la Pologne mener une offen-
réserve, auxquelles s’additionneront et du s/lt observateur Raoul Marcel sive en Lituanie et Biélorussie

68
Deuxième partie.
À la fin des combats sur le front occidental en 1918,
le Salmson 2A2 est engagé contre la Russie soviétique
lors de plusieurs offensives. Puis il retrouve la vie
civile, faisant le bonheur des compagnies aériennes
qui naissent un peu partout en France. Par David Méchin

Le Salmson 2A2
n°164x sur
la base de Tours
en août 1920.
Moins moderne
que le Breguet 14
qui possède
un moteur plus
puissant et
une structure
en duralumin,
le Salmson 2A2
disparaît
rapidement
des inventaires
de l’aéronautique
militaire
au début des
années 1920.

LOUIS MAUFRA

69
LE SALMSON 2A2

jusqu’en mai 1920. Faute de pièces


détachées, les Salmson sont globa-
“ Latécoère a imaginé en rouge. Semenov va réussir à survivre
en Mandchourie en devenant l’obligé
lement retirés des unités du front au des Japonais, réussissant à être le
mois de juillet alors que l’Armée
rouge envahit la Pologne et atteint
1918 un service de liaison dernier général blanc à être liquidé
par les services secrets soviétiques en
les portes de Varsovie avant de s’en
faire repousser par une contre-of-
postale vers les colonies 1946 après l’invasion de la Mand-
chourie par l’Armée rouge.
fensive polonaise au mois d’août.
Servant ensuite à l’instruction, les françaises d’Afrique ” Juste après la guerre, les missions
aéronautiques françaises tentent de
derniers Salmson polonais sont reti- vendre des surplus de guerre à des
rés du service en janvier 1921. ment et simplement volées par le États restés neutres dans le conflit ;
À l’autre bout de la Russie, général cosaque (ataman) Grigory le Salmson 2A2 fait l’objet de pré-
d’autres Salmson sont livrés aux ar- Mikhaylovich Semenov, contrôlant sentations à l’étranger, sans débou-
mées blanches de la guerre civile. Au avec le soutien du gouvernement cher sur d’importantes commandes
printemps 1919, l’am. Alexandre japonais la région allant de puisque seulement quatre exem-
Koltchak combat les Bolcheviques Vladivostok au lac Baïkal, et qui se plaires sont cédés au Pérou en no-
avec ses armées en Sibérie centrale comporte plus en bandit de grand vembre 1919 et un seul à l’Espagne
autour de la ville d’Omsk et fédère chemin que comme allié fidèle de en février 1920.
– du moins officiellement – toutes les Koltchak. L’ataman Semenov se
autres armées blanches présentes en constitue avec ses Salmson 2A2 sa Produit en série
Russie. Négligeant la question de son petite force aérienne de trois esca-
aviation, il en prend conscience drilles (Otryad). Mais l’Armée rouge
au Japon
quand la France lui envoie l’esca- Le Salmson 2A2 progresse vers l’est et Koltchak est Il connaît toutefois un vif succès
drille 583 sur Sopwith 1A2 qui réa- n°43xx exécuté le 7 février 1920 à Irkoutsk. dans un pays allié, le Japon. Membre
lise pour son compte quelques re- (fabriqué par Les forces bolcheviques ap- de l’Entente, l’empire du Soleil levant
connaissances aériennes très Latécoère) de prochent ensuite de la Sibérie orien- a envoyé 10 de ses aviateurs combattre
efficaces au mois de juillet 1919, l’escadrille tale et l’armée de Semenov va se au sein de l’aéronautique militaire et
avant de plier bagage le mois suivant. SAL 580 disloquer – nombre de ses propres l’aviation navale pendant le conflit. En
Koltchak décide alors de comman- envoyée en aviateurs ralliant d’ailleurs l’Armée 1919, une importante mission aéro-
der un total de 84 avions en France. Pologne en rouge avec leurs appareils le 20 juillet nautique française dirigée par le
1919 avec 1920. C’est pourtant un Salmson 2A2 col. Faure débarque au Japon avec
Aux mains d’un bandit l’armée Haller,
composée
qui lui sauvera personnellement la une soixantaine de pilotes et mécani-
mise en l’évacuant de la ville de ciens qui ont pour mission d’instruire
de grand de chemin de soldats Tchita vers celle de Dauriya près de des pilotes et techniciens japonais afin
polonais
Un lot de 25 Salmson 2A2 arrive la frontière chinoise contrôlée par de mettre au niveau la force aérienne
instruits et
dans le port de Valdivostock à la fin l’armée japonaise le 20 octobre 1920, locale équipée de vieux Farman
équipés en
de l’année 1919 mais l’amiral n’en après un vol de près de 450 km. Les d’avant-guerre. Dans leurs bagages les
France pendant
verra jamais la couleur car les caisses la Grande
Salmson 2A2 restants vont être in- Français amènent des chasseurs
contenant les appareils sont pure- Guerre.
cendiés où capturés par l’Armée Nieuport et Spad, deux Breguet 14 et

DR

70
brevets avec Salmson, puis répartit la
production entre sa société et l’atelier
de l’armée de Tokorozawa (au nord-
ouest de Tokyo) qui sort son premier
exemplaire à la fin de l’année 1920.
Kawasaki fait prendre l’air à son pre-
mier appareil le 9 octobre 1922 et en
construit un total de 300 exemplaires
(qui portent le numéro de série japo-
nais au-delà de 1 000) jusqu’en 1927
dans son usine de Kakamigahara
près de Gifu, sur des lieux où a été
ouverte en 1919 l’école de pilotage
militaire de la mission Faure (lire
Le Fana de l’Aviation n° 600).
La production japonaise n’est pas
connue avec précision car on ignore
le nombre d’appareils réalisés par
l’armée à Tokorazawa, certains his-
toriens japonais parlant de 600 exem-
plaires s’ajoutant à ceux de Kawasaki,
DR
Salmson 2A2 soit une production totale de 900
surtout 29 Salmson 2A2 qui vont ins- mencer à organiser la filiale de pro- Otsu-1 de exemplaires, ce qui en fait le premier
truire nombre d’équipages japonais duction aéronautique du groupe l’Aviation appareil réellement produit en masse
jusqu’au départ de la mission fran- Kawasaki. D’autres voyages d’études impériale au Japon. Le Salmson 2A2, baptisé
çaise en avril 1920, et même après. 51 entre la France et le Japon sont orga- japonaise sur Otsu-1, devient l’appareil de corps
exemplaires supplémentaires sont nisés et les cadres de la société le terrain d’armée standard de l’armée japo-
achetés en France alors que s’organise Salmson découvrent avec stupeur de Gifu dans naise dans les années 1920 et n’est
une production locale. que les ingénieurs des ateliers de les années retiré du service en première ligne
Au mois d’août 1919, Matsukata l’armée japonaise, qui ont acheté une 1920. qu’en 1933, ayant participé aux divers
Kojiro , le président de la grande licence de production du moteur épisodes d’agression de l’armée japo-
entreprise Kawasaki Dockyard Co. Salmson 9 Za, ont organisé clandes- naise en Chine tels que l’incident de
Ltd, qui souhaite se diversifier dans tinement une chaîne de production Mundken en septembre 1931 et l’inci-
la construction aéronautique, revient de l’avion, présentant celle-ci comme dent Shangaï de février 1932. Ils
de France après avoir visité les usines un simple “atelier de réparation” ! Le restent ensuite dans les écoles de
d’aviation locales, dont celle de nouveau directeur de la branche aé- pilotage ou sont revendus au secteur
Salmson, avec deux Salmson 2A2 ronautique de Kawasaki, Takezaki civil – on en trouve encore à l’école
dans ses bagages et une licence de Tomokichi, intervient avec diploma- des mécaniciens de l’armée au début
production, ce qui lui permet de com- tie pour résoudre la question des de la Deuxième Guerre mondiale.
Salmson 2A2
de l’aviation
Mis en vente
tchécoslovaque dès l’armistice
en 1920, produit
Le Salmson 2A2 connaît encore
par la société
quelques années de service dans
Latécoère.
l’aéronautique militaire de l’après-
Ces appareils ne
participèrent pas
guerre, étant rapidement relégué à
à la courte guerre l’instruction dès l’arrivée des appa-
contre la Hongrie reils plus modernes comme les
communiste en Breguet 19 ou Potez 15. Les derniers
mai-juin 1919. exemplaires sont retirés du service
vers le mois de septembre 1923.
Beaucoup appareils, issus des sur-
DR/COLL. BOHUMÍR KUDLIČKA
DR plus militaires, sont mis en vente dès
Salmson 2A2 fabriqué par Latécoère, acheté l’armistice au profit du marché civil
par l’amiral Kolchak, chef des armées blanches et vont faire le bonheur des pre-
de Russie, et saisi par l’Ataman Semenov en Sibérie mières petites compagnies aériennes
orientale fin 1919. L’appareil est équipé de skis. qui se montent un peu partout en
France, puisqu’on compte 72 exem-
plaires ayant reçu une immatricula-
tion civile.
Le premier utilisateur en nombre
est également un des constructeurs
de l’appareil, à savoir l’industriel
tou lou s a i n P ier re - G e o rge s
Latécoère. Le 22 novembre 1918, il
se voit résilier son marché de
construction de 1 000 Salmson 2A2
qu’il n’a pas eu le temps d’honorer

71
LE SALMSON 2A2

HIN
MÉC
DAVID

Salmson 2A2 Otsu-1 de l’Aviation


impériale japonaise.

en totalité (512 appareils réalisés au René Cornemont, vétéran du front tiques, ou CGEA, en 1921), en com-
11 novembre 1918, selon le quoti- d’Orient, avec Pierre-Georges pagnie de 15 premiers Breguet 14
dien La Dépêche) et se retrouve Latécoère lui-même en passager, qui cédés par l’État. Les 41 passagers
probablement avec un stock de à bord d’un Salmson 2A2 relient transportés par les Salmson en 1919
pièces détachées ou d’appareils ina- Toulouse à Barcelone. (dont seulement trois payants…) ont
chevés sur les bras. Anticipant la fin Un réseau d’aérodromes-escales bien du mérite car ils voyagent à l’air
du conflit, l’industriel a imaginé en se met en place le long de la côte libre, à la place anciennement occu-
1918 un service de liaison postale espagnole et, le 8 mars 1919, en tant pée par l’observateur. Aussi, en
vers les colonies françaises que passager à bord du Salmson 1920, nombre de Salmson de la
d’Afrique, voire au-delà. 2A2 n° 4578 produit par sa société Cema sont transformés en “Berline”
et piloté par l’ancien as du bombar- avec la construction d’une cabine
Les règles du service dement Henri Lemaître, Pierre- fermée pour y loger deux passagers
Georges Latécoère décolle de derrière le pilote, dans des condi-
de liaison postale fixées Toulouse ; après trois étapes sur ses tions de transport à peine amélio-
Latécoère dépose le 11 novembre terrains de Barcelone, Alicante et rées, la cabine restant traversée par
1918, le jour même de l’armistice, les Malaga, il se pose le lendemain à les courants d’air, voire par l’huile
statuts de sa nouvelle société, la Cema Rabat où il remet au maréchal qui suinte du poste de pilotage ! Les
(Compagnie de navigation aérienne Lyautey, gouverneur du Maroc, un Salmson 2A2 des lignes Latécoère,
Espagne-Maroc-Algérie), et le 2 dé- exemplaire du journal Le Temps dont trois sont perdus lors d’acci-
cembre 1918 ratifie une convention daté du 7 mars et un bouquet de vio- dents mortels, vont graduellement
avec l’État fixant les règles du service lettes à son épouse… Lyautey, im- se faire supplanter par les Breguet 14
de liaison postale. L’État lui promet pressionné, favorise la signature qui s’avèrent bien plus fiables, leur
la mise à disposition de 50 Caudron d’un contrat de transport postal avec structure métallique y étant sans nul
C.23 et 10 Salmson 2A2 : il n’obtien- la jeune société qui permet à celle-ci, doute pour quelque chose. En dé-
dra jamais les premiers et c’est sur les encore très fragile, de se développer. cembre 1921, on ne compte plus que
Salmson 2A2, pour l’essentiel des Durant l’année 1919 ce sont les 17 Salmson 2A 2 contre 49
exemplaires issus de ses usines tou- Salmson 2A2, dont un total de 32 va Breguet 14. La petite flotte de
lousaines, que va commencer la cé- recevoir une immatriculation civile, Salmson des lignes Latécoère se
lèbre aventure des lignes aériennes qui vont assurer le principal des vols maintient encore plusieurs années
Latécoère. Le vol inaugural est réa- de la Cema (devenue Compagnie grâce à l’achat de pièces détachées
lisé le 25 décembre 1918 par le pilote générale d’entreprises aéronau- dans l’abondant stock des surplus de
DR
Salmson 2A2
baptisé Otsu-1
par l’Aviation
impériale
japonaise.

72
DR
Un
guerre de l’État. Vieillissants et ren- mier tronçon entre Paris et du Salmson 2A2 de 1919 à 1921 : Salmson 2A2
dus obsolètes par les premiers appa- Strasbourg, prolongé jusqu’à l’Aéro-Transport Ernoul, société Otsu-1 en 1931.
reils conçus et fabriqués par les Prague à la fi n de l’année 1920. quelque peu effacée de la mémoire
usines Latécoère, ils sont réservés Ils représentent alors la moitié du collective par Latécoère qui est son
au transport exclusif du courrier parc aérien de la Franco-Roumaine voisin ; son terrain de Quint-
puis retirés du service en 1923. comptant à ce moment 31 appareils. Fontsegrives n’est qu’à 2 km de la
Seuls quelques-uns des Salmson sont piste de Montaudran.
Vers l’Europe de l’Est transformés en “Berline” et leurs C ’est en juillet 1919 que
courageux passagers ne peuvent M. Anatole Ernoul, un ancien direc-
avec la Franco-Roumaine généralement voler qu’en plein air, teur d’une droguerie, fonde la so-
L ’autre “grande” compagnie et sous des latitudes beaucoup moins ciété l’Aéro-Publicité se donnant
aérienne de l’époque, la compagnie clémentes que celles survolées par pour but de jeter des prospectus sur
Franco-Roumaine de navigation les lignes Latécoère… De ce fait ces les rues de Toulouse et d’offrir des
aérienne, fondée en 1919 par l’an- appareils sont rapidement réservés vols d’agrément au-dessus de la ville.
cien pilote mutilé de guerre Pierre au transport exclusif du courrier dès Dès le mois d’octobre suivant il crée
de Fleurieu, avec l’appui du ban- l’arrivée des Potez VII disposant une seconde société, l’Aéro-Trans-
quier d’affaires Roumain Aristide d’un moteur Lorraine de 360 ch plus port du Midi et du Sud-Ouest
Blanck, achète un lot de Salm- puissant et d’une cabine arrière fer- (ATMSO), qui ambitionne de trans-
son 2A2 parmi les surplus de mée. En juin 1922, il en reste 14 en porter des passagers entre Toulouse
guerre, dont 15 d’entre eux re- service sur une flotte totale de 71 et Bordeaux en une heure et demie.
çoivent une immatriculation civile. appareils. Il y en a encore six en état Il installe son “aérogare” dans la
Utilisés au tout début de l’aventure de vol au mois de janvier 1925, tou- ferme de la Ribaute, sur la commune
aérienne de la Franco-Roumaine, jours gardés en réserve. Le dernier de Quint-Fonsegrives, en bordure de
dont le chef pilote est l’as de la d’entre eux n’est officiellement ré- l’actuel aérodrome de Lasbordes. Il
chasse Albert Deullin, les Salmson formé qu’en 1929. y fait monter deux hangars
ne sont présents qu’au tout début de Une troisième compagnie aé- Bessonneaux sur le terrain pour y
l’ouverture des lignes, sur le pre- rienne va faire un usage important loger ses six premiers Salmson 2A2

DAVID MÉCHIN
Réplique d’un
Salmson 2A2
Otsu-1 au musée
de Gifu.

73
LE SALMSON 2A2

HIN
MÉC
DAVID

Le Salmson 2A2 n°4570 des lignes


Latécoère transformé en “Berline”,
exploité en 1920.

achetés parmi les surplus militaires


et conduits par une équipe de quatre
siasme dans un long article de son
expérience du survol de la ville rose.
“ Une petite compagnie
pilotes menés par Pierre Carretier, La petite compagnie monte en
l’ancien as des as du Salmson 2A2
qu’il a piloté à l’escadrille SAL 39.
puissance et compte un total de 14
Salmson 2A2 ainsi qu’un Nieuport 81
où Saint-Exupéry prend
Ernoul se démène pour faire
connaître sa société et envahit de
pour les vols publicitaires. Son chef-
pilote Carretier étant rappelé par
ses premiers cours,
publicités les colonnes du quotidien
La Dépêche, précisant que “le
l’armée en 1920, elle recrute de nou-
veaux pilotes dont deux futurs à ses frais ”
confortable devant nécessairement grands noms de l’aviation civile,
en pareille matière, être joint à l’utile Dieudonné Costes et Paul Codos. Ce de septembre 1920, ce qui accroît les
et à l’agréable, M. Ernoul fournira dernier témoigne de ses vols : difficultés des pilotes pour s’y poser.
aux passagers de l’Aéro-Transport “Lorsqu’on évoque cette période de M. Ernoul doit négocier auprès du
des vêtements confortables et chauds, l’aviation commerciale, il est souvent propriétaire des animaux, un certain
gratuitement mis à leur disposition”. question de “défrichage”. Ici ce mot M. Bély, pour que ses ruminants
Cette délicate attention est loin avait son plein sens. Notre aéro- quittent le terrain dont il est supposé
d’être un luxe car les courageux pas- drome principal, celui de Toulouse, avoir la jouissance exclusive…
sagers, dont deux peuvent prendre se réduisait en effet à une espèce de Multipliant les annonces et spon-
place dans le compartiment du mi- pâture qu’il fallait faucher périodi- sorisant les évènements sportifs lo-
trailleur, voyagent en plein air et sont quement. De plus, ses dimensions caux, l’Aéro-Transport Ernoul orga-
soumis aux aléas de la météo ! Le restreintes et son dégagement impar- nise même un meeting aérien à la
15 juin 1920, M. Ernoul met les petits fait rendaient les départs acroba- Croix-Dorade le 27 février 1921 avec
plats dans les grands lors de l’inau- tiques. Les pannes ne se comptaient une billetterie organisée dans tous
guration de sa ligne régulière plus. Certains d’entre nous établis- les grands commerces de Toulouse.
Toulouse-Montpellier à laquelle ont saient même des records dans ce Les six pilotes de la société y
été conviés sur le terrain de la domaine. Dedieu, qui venait de prennent l’air dont le Nieuport
Ribaute le préfet de Haute-Garonne, l’escadrille des Cigognes, fut obligé, conduit par Dieudonné Costes, pré-
le maire de Toulouse M. Feuga, ainsi quatre fois consécutives, de se poser senté à juste titre au public comme
qu’un journaliste de La Dépêche, en campagne.” l’as du front d’Orient, qui réalise le
M. Contet, qui se voit offrir un Le terrain de la Ribaute est d’ail- simulacre d’un combat aérien contre
voyage vers Bordeaux et s’enthou- leurs envahi par les vaches au mois l’appareil appartenant au quotidien
Salmson 2A2
vu à un concours
d’avions
de tourisme
sur le terrain
du Bêle à Nantes,
le 22 ou 23 juillet
1922.
Au second plan
un Breguet 14.

LOUIS MAUFRA

74
HIN
MÉC
DAVID

Salmson 2A2 n° 449 de la société ATMSO


(Aéro-Transport du Midi et Sud-Ouest), plus connue
des Toulousains sous le nom d’Aéro-Transport Ernoul.

La dépêche ! Le clou du spectacle qui réalise des vols à la demande. On autres qui ont été rachetés par la
reste néanmoins le saut de la jeune note que c’est l’un d’eux (F-AIHC) société des Moteurs Salmson
parachutiste Renée Jacquart (27 ans) qui, le 8 mai 1927, aux mains du pi- comme appareils de démonstration.
qui émerveille le public. Si le mee- lote Jean Denis, escorte en vol Celle-ci poursuit son aventure aéro-
ting est un grand succès, l’avenir de jusqu’à Étretrat le Levasseur PL-8 nautique après la guerre en produi-
la compagnie est très incertain, mal- de Nungesser et Coli qui décolle du sant surtout des avions de tourisme
gré d’aménagement d’un second Bourget pour sa tentative de traver- comme le Salmson D1 “Phygane” ou
aérodrome à Francazal et le projet sée de l’Atlantique… le D6 “Cri-cri” sortis dans les années
d’extension des lignes vers Marseille À Strasbourg, la petite compa- 1930, tout en continuant à construire
puis l’Italie. Elle annonce facturer gnie Transaérienne de l’Est exploite des moteurs et en se diversifiant dans
ses vols à 60 centimes le kilomètres également un Salmson 2A2 pour ses la production automobile, et ce
et, au mois de mai 1921, indique baptêmes de l’air et leçons de pilo- jusqu’à sa mise en faillite en 1962. Carte postale
avoir transporté durant les trois der- tage ; Antoine de Saint-Exupéry y Une de ses filiales toujours active de publicitaire
niers mois un total de 411 passagers, prend ses premiers cours à ses frais. nos jours perpétue le nom de montrant des
dont 72 dames, et sans le moindre On en compte encore un volant Salmson dans l’activité qui vit le passagers des
accident. Mais c’est insuffisant pour jusqu’au mois d’août 1922 aux mains début de la société : la production de lignes Ernoul
attendant leur
assurer la rentabilité de la société qui d’un propriétaire privé, et deux pompes hydrauliques. ■
vol, lors de
ne vivote que grâce aux aides pu-
la cérémonie
bliques. Quand celles-ci ne sont pas
d’inauguration
renouvelées, M. Ernoul n’a d’autre de la ligne le
choix que de mettre la clé sous la 15 juin 1920.
porte ; le 25 juillet 1921, le tribunal Un journaliste
de Toulouse prononce la liquidation du quotidien
judiciaire de la société Aéro- La Dépêche se vit
Transport Midi Sud-Ouest, procé- offrir un voyage
dure qui sera finalisée en 1925. ce même jour
et dut essuyer
Des journaux livrés de la grêle et
par “service express” de la pluie dans
son habitacle
On compte encore 11 Salmson à l’air libre…
2A2 avec une immatriculation ci- Enthousiaste, il
vile mis en œuvre par d’autres com- raconta avoir été
pagnies aériennes, comme la séché par le vent
Compagnie générale transaérienne, relatif !
ARCHIVES MUNICIPALES DE TOULOUSE
fondée en 1909, qui en dispose de
deux exemplaires immatriculés
F-OCGT et F-UCGT. Cette société Salmson
est absorbée en 1921 par la 2A2 n° 4365
Compagnie des messageries aé- immatriculé
riennes (CMA) qui en possède deux F-FRBO
autres exemplaires et les emploie de la compagnie
sur son service de fret et de courrier Franco-Roumaine,
entre Paris et l’Angleterre – où l’un en 1919. Ces
s’écrase à Lymne le 26 avril 1921 –, avions étaient
transportant quelques passagers plus réservés
mais surtout des journaux livrés par au transport
“service express”. Sur un autre coin du courrier,
de l’aérodrome du Bourget volent les passagers
trois autres Salmson 2A2 transfor- voyageant plutôt
més en “Berline”, appartenant à la sur des SEA 4
compagnie Air Transport (CAT) à cabine fermée.
DR

75
CE JOUR-LÀ… 25 mai 1953
Premier vol du “Super Sabre”
Un coup d’éclat
Le “Super Sabre” entre dans l’histoire
en passant Mach 1 dès son premier vol
le 25 mai 1953. En pleine guerre de Corée,
les Américains frappent fort avec
le premier chasseur supersonique en palier.
Par Henry Stone

À
l’origine du “Super brations affectent en effet les pales
Sabre” se trouve son ré- du compresseur ; l’air s’écoule mal
acteur. Rien ou presque dans le réacteur, ce qui provoque
n’aurait été possible des phénomènes de pompage et
sans le J57 signé Pratt & des baisses importantes de la pous-
Whitney. À la fin des années 1940, les sée en sortie de tuyère, voire son Coup d’éclat pour
ingénieurs du motoriste travaillent extinction. Pour résoudre les pro- l’USAF le 25 mai 1953 :
sur des réacteurs de grande puis- blèmes, les ingénieurs divisent en le “Super Sabre”
sance. L’idée consiste à dépasser les deux le compresseur, avec deux est supersonique
10 000 livres de poussée (4 535 kg), arbres séparés reliés à la turbine en palier dès son
sans pour autant agrandir la taille qui animent chacun une partie du premier vol.
du réacteur ; il faut rester dans une compresseur. C’est une réussite ;
cellule la plus étroite possible d’un la puissance augmente, la fiabilité
chasseur supersonique pour élimi- aussi. Dans le même temps s’ajoute
ner un maximum de traînée. la postcombustion. Le principe L’entrée
Les recherches donnent le J57, consiste ici à brûler du carburant à d’air frontale BOEING

plus complexe que les premiers la sortie de la tuyère. La consomma- soulignait L’avancé technologique est telle
l’origine
réacteurs. Pour faire schématique, tion est importante, mais l’effet est que le prestigieux Trophée Collier
du YF-100,
le secret se trouve dans le compres- prodigieux en termes d’augmenta- de 1952 est décerné à Leonard S.
descendant
seur à l’avant, qui peine à passer du tion de la poussée. De quoi donner Hobbs, ingénieur en chef de United
supersonique
régime de démarrage au fonction- une accélération ponctuelle mais du F-86
Aircraft Corporation – à laquelle
nement à plein rendement. Des vi- importante en combat aérien. “Sabre”.
appartient Pratt & Whitney – pour
“la conception et la production du
turboréacteur J57”.

Un chasseur
supersonique
La puissance offerte par le J57
intéresse immédiatement le bureau
d’études de North American qui
cherche à améliorer son chasseur
à aile en flèche, le F-86 “Sabre”.
L’heure est à l’urgence, la guerre de
Corée vient d’éclater. L’apparition
du MiG-15 soviétique est une très
mauvaise surprise (lire Le Fana de
l’Aviation n° 628). Le F-86 n’est pas
dépassé mais il est évident qu’il faut
faire mieux et vite. Le MiG-15 prouve
que les Soviétiques sont dans la course
et peuvent sortir à tout moment un
chasseur encore plus performant.
Il faut être supersonique, passer le
mur du son en palier. L’avion-fusée
expérimental Bell X-1 peut le faire,
mais il est loin de pouvoir devenir
BOEING

76
un chasseur opérationnel. Pour ce 45° de flèche) vise au-delà de Mach 1 American et passent commande de
supersonique, les ingénieurs de North avec son J57 et ses 6 t de poussée. Le deux prototypes en soulignant que
American conservent la configuration chasseur abandonne les six mitrail- cette première étape ouvre une série
globale du “Sabre” sur leurs premiers leuses du F-86 pour quatre canons de à court terme.
projets, avec l’entrée d’air frontale et 20 mm. Les responsables de l’US Air Le 7 décembre 1951, l’USAF
l’aile en flèche. Le “Sabre” 45 (pour Force ne tergiversent pas avec North annonce que le nouveau chasseur

Le “Super Sabre”
bénéficia du réacteur J57,
particulièrement puissant
avec la postcombustion
enclenchée.

BOEING

77
PREMIER VOL DU “SUPER SABRE”

BOEING
Le YF-100
prend la désignation de F-100 “Super “Super Sabre” que la chose est possible. Mais mais supersonique, qui ajoute :
Sabre”. Ainsi commence la géné- se montra comment va se comporter l’avion ? “OK, deux bières.” Pari réussi ! Ce
ration des chasseurs des Century performant Welch décolle, suivi par Everest. premier vol de 57 minutes est un
Series (chasseurs de la série 100) lors de ses Les deux appareils font deux pa- grand succès. Le lendemain rebe-
Fin avril 1953, le premier pro- essais. L’avion liers à 20 000 pieds (6 096 m) puis lote, le YF-100A est de nouveau
totype arrive sur la base d’essais était toutefois 35 000 pieds (10 668 m). Welch dé- supersonique. Début juillet le pro-
d’Edwards. Sa conception et sa touché par clenche alors son “arme secrète”, la totype est déjà en piqué à Mach 1,4.
fabrication se sont faites au son des des problèmes postcombustion. Le YF-100 laisse Fin 1953, c’était le plus rapide des
canons de la guerre de Corée. Le d’instabilité sur place le “Sabre” à Mach 0,9. chasseurs au monde. Bien des pro-
25 mai s’annonce sans nuages, un qui pouvait L’avion s’éloigne, puis retentit dans blèmes restaient à régler, mais le
temps parfait pour un premier vol. le rendre la radio le “bingo” de Welch désor- “Super Sabre” se présentait bien. ■
George “Wheaties” Welch s’ins- dangereux.
talle à bord, un vétéran de l’attaque
de Pearl Harbor le matin du 7 dé-
cembre. Il avait décollé de toute
La famille des “Super Sabre”
– le F-100A, un chasseur pur :
urgence, revendiquant quatre avions cette première version du F-100A souffrit de nombreux problèmes lors de sa mise
japonais. Pilote d’essais pour North en service ;
American, la rumeur veut qu’il ait – RF-100A, l’avion espion :
passé Mach 1 sur le “Sabre” avant six exemplaires furent modifiés pour emporter des caméras afin de mener
Chuck Yeager sur le X-1. des missions de reconnaissance de l’autre côté du rideau de fer (programme
Slick Chick, lire Le Fana de l’Aviation n° 501) ;
Le pari : deux bières – le F-100C pour l’attaque nucléaire :
au bar de l’escadrille avec cette version North American s’éloignait de la chasse pour passer
au bombardement avec des points d’emports supplémentaires ;
Ce 25 mai, il fait un pari avec le – le F-100D, sur tous les fronts :
lieutenant-colonel “Pete” Everest, principale version du “Super Sabre”, le F-100D voyait ses capacités d’attaque
le commandant de l’Air Force au sol améliorées. Cette version fut livrée au Danemark, à la Turquie et à la France
Flight Test Center, qui l’accom- (100 exemplaires) ;
pagne à bord d’un “Sabre”. Enjeu : – F-100F, un biplace polyvalent :
deux bières au bar de l’escadrille. avec le F-100F, le “Super Sabre” pouvait entraîner les pilotes en devenant biplace.
Le YF-100 doit passer Mach 1 en 339 exemplaires furent livrés à l’USAF et aux autres utilisateurs du “Super Sabre” ;
palier lors de son premier vol. Si – QF-100, le chasseur devenu cible :
aujourd’hui c’est quasiment un avec le QF-100, les “Super Sabre” retirés du service furent modifiés en drone
passage obligé pour un chasseur, à pour servir de cible au profit de chasseurs plus modernes ou de système
l’époque la performance est unique. de défense sol-air.
Les essais en soufflerie montrent
78
Un F-100F du 48TFW de l’USAF
à Benwaters en 1966.
DR/COLL. J. GUILLEM

L’armée de
l’Air reçut 100
“Super Sabre”,
comme ce F-100D
matricule 54-2125
ici à Djibouti
en 1978.

DR/COLL. J. GUILLEM

Un F-100C du
7272nd Fighter
Training Wing
sur la base
de Wheelus,
en Libye.

DR/COLL. DOUG GORDON

L’un des rares


RF-100A, version
du chasseur
modifiée avec
des caméras
pour des
missions
de reconnaissance.

DR/COLL. DOUG GORDON

79
MAQUETTES Par Hangar 47

Hep taxi ! Aux arènes SVP !

Bell AH-1G “Cobra” Les postes de pilotage monoplace ou biplace équipés des verrières
adéquates, ainsi qu’une option de nez “reco” pour un RF-5E, sont
Revell, 1/32 fournis. Des missiles pourront venir se positionner en bout d’aile, et des
réservoirs sont également prévus. On pourra faire l’impasse sur les deux
Revell reprend ici le pilotes hydrocéphales et détailler un peu plus la bonne base fournie pour
récent “Cobra” d’origine les postes de pilotage. Côté décorations, on nous propose ici un duo
ICM, un gage de qualité. d’appareils de l’US Navy arborant des camouflages gris et bleus de type
Le premier examen révèle une “Adversaries”. La VFC-111 reprend la tradition des Sundowners,
gravure “mixte” des surfaces, en ornant ses dérives
c’est-à-dire une combinaison de soleils couchants
d’éléments en creux et en relief stylisés ; deux types
correspond aux surfaces du différents sont fournis
véritable “Cobra”. Le poste de pilotage est bien détaillé, des sur la planche
décalcomanies complètent la reproduction des tableaux de bord, et la de décalques, ainsi
verrière moulée en cinq pièces peut rester ouverte. Le compartiment que les deux gueules
situé devant la turbine est également aménagé. Deux types de tourelle de requins
avant sont proposés, et les points d’attache situés sous la voilure indispensables !
auxiliaire peuvent emporter quatre types de charges externes. Le
moyeu du rotor et ses nombreuses biellettes sont reproduits avec soin. Notre appréciation : au moment où les modèles Kitty Hawk
Pour déplacer l’hélicoptère au sol, des paires de roues se fixent sur les au 1/32 de ces appareils refont surface, offrez-vous ce petit duo
patins ; ces éléments sont prévus dans la boîte. À cette échelle la taille bien moins encombrant… mais bien plus rigolo !
du “Cobra” est assez impressionnante, mais le montage ne devrait pas
poser trop de difficultés au vu de la bonne conception des pièces et de
la précision du moulage. Les décalcomanies donnent le choix entre
deux avions vert olive uni, un pour l’US Army et l’autre pour les
US Air Force 75th Anniversary
Marines. Le second affiche une tête de cobra peinte sur le nez. Revell, 1/72
Notre appréciation : maquette moderne pour ce célèbre Ce coffret
hélicoptère de combat. Les pièces non utilisées concernent une version regroupe
ultérieure. Les hélicoptères au 1/32 ne sont pas très nombreux ; celui-ci les maquettes
devrait faire le bonheur des amateurs de voilures tournantes. de trois machines
emblématiques de l’US
Air Force, de la colle,
F-5E/F-5F un pinceau et cinq
petits pots de peinture
Compact Series Freedom Model kits (dilution et nettoyage
à l’alcool). Les postes
La marque chinoise continue à enrichir sa gamme d’avions de pilotage sont assez
caricaturés. Cette boîte contient deux modèles comprenant simples avec des décalcomanies pour reproduire les tableaux de bord.
une large base commune et un choix de fuselages. Les surfaces sont gravées avec finesse, en particulier sur le F-89.
80
Le F-16 est bien connu, convenablement détaillé sans être canons sous les ailes. C’est d’ailleurs la version illustrée en couverture
au standard des productions modernes. Neuf points d’attache du hors-série n° 70 du Fana de l’Aviation, et qui était surnommée
sur la voilure permettent d’installer au choix bombes, réservoirs “l’ouvre-boîte volant” ! Cette maquette comprend 73 pièces très
et missiles divers. Deux décorations sont proposées à base de deux finement gravées dont une verrière à éléments multiples, un filtre
tons de gris. Si le poste de pilotage du F-117 est basique, la soute tropical Vokes, ainsi que plusieurs pièces en résine pour l’armement. La
à bombes est reproduite avec son chargement. Le F-89 est plus mise en place des canons nécessitera un peu d’expérience pour
intéressant avec un poste de pilotage biplace convenable, une très la chirurgie légère à effectuer sur les ailes. Une fois encore, le niveau
belle gravure, un chargement impressionnant à installer sous les ailes de détail du poste de pilotage est extrêmement soigné. Des masques
et des livrées très colorées à base d’aluminium et de rouge adhésifs prédécoupés, pour faciliter la peinture de la verrière, sont
et d’intéressants motifs sur le nez. inclus. Cinq options de décorations, finement imprimées par Techmod,
vous permettront de représenter cinq machines anglaises opérant
Notre appréciation : un ensemble intéressant pour aborder le en Birmanie, en Angleterre ou en Afrique du Nord. D’autres déclinaisons
maquettisme sur un thème porteur et pour un prix très raisonnable sont certainement prévues.
puisque tout est fourni pour assembler et peindre ces trois modèles.
Notre appréciation : le “Hurricane” semble revenir en force
cette année, à toutes les échelles. Un nouveau sans-faute au 1/72
B-24D “Liberator” pour Arma Hobby !

Revell, 1/48
Le
P-51D-10 “Mustang”
vénérable Eduard Weekend, 1/48
B-24
Revell nous revient, Encore
toujours seul sur et
le marché à cette toujourss
échelle. Pour un une magnifique
moule âgé de illustration pour
40 ans, ses la boîte de cette
qualités ne sont édition “tout
pas ridicules. plastique”
Bien sûr les du récent
panneaux de revêtement sont figurés en relief mais un outil adapté et “Mustang”
quelques heures de soin permettront aux plus motivés de rectifier les Eduard dont les
surfaces. Une bonne base d’aménagement est fournie pour l’ensemble étonnantes qualités ont déjà été analysées dans cette rubrique :
du fuselage, soute à bombes incluse. Les moteurs sont simplifiés à gravure parfaite pour une maquette entièrement et finement détaillée.
l’extrême mais font illusion. Le train d’atterrissage est solide, ses Les décalcomanies offrent quatre options : trois avions aluminium avec
logements disposent d’un aménagement basique. Il ne sera pas inutile des marques individuelles vertes, rouges ou bleues, et un quatrième
de renforcer l’assemblage du fuselage à la jonction des ailes et il faut camouflé en vert foncé (dark green britannique ou olive drab
prévoir une tonne de lest à l’avant si on ne souhaite pas se contenter américain, la notice laisse le choix…)
de l’artifice de l’échelle d’accès pour soutenir l’empennage du gros
bombardier. Malgré la taille de certains éléments la maquette est assez Notre appréciation : sans aucun doute la meilleure maquette
simple et le montage ne pose pas de problème particulier. La boîte à cette échelle pour le P-51 ; impressionnant.
contient un tracteur chenillé de remorquage et cinq figurines, quatre
mécanos et un pilote, une tradition à l’époque. La grande feuille
de décalcomanies reprend les deux livrées déjà connues, le Flak Alley
vert olive et The Squaw de couleur sable.
L’agenda du maquettiste
Ces annonces gratuites sont réservées aux manifestations propres
au maquettisme. Vous pouvez adresser votre texte par courriel à
Notre appréciation : une grosse maquette dont le sujet ne fanaaviation@editions-lariviere.fr en mentionnant “agenda maquettes”
manque pas d’attrait. Dans l’attente d’un hypothétique successeur dans l’objet. Prenez garde de n’oublier ni la date ni le lieu.
ce modèle impressionnant par sa taille satisfera le plus grand
nombre et fournira une bonne base de travail pour les plus exigeants. Bissegem-Courtrai (Belgique), 23 avril 2023, 26e exposition
de maquettisme-concours-bourse à OC Troubadour, Vlaswaagplein 3, 8501
de 9 h 30 à 17 h 30. Rens. : Website, Facebook, Instagram : IPMS Moorsele
“Hurricane” Mk IID ou courriel : ipmsmoorsele@telenet.be
Bollwiller (68), 30 avril 2023, 21e Expo-Bourse de maquettes et modèles
Arma Hobby, 1/72 réduits, salle polyvalente. Rens. Tél. : 06 07 62 97 65 (Lieber Denis).
Soumoulou (64), 6 et 7 mai 2023, Exposition de maquettes-miniatures-
Dans diorama, hall d’Ossau, de 9 h 00 à 18 h 00.
cette Rens. : 06 84 22 53 10/06 17 31 54 60, louis.roger2@wanadoo.fr,
boîte, modelistecvo@orange.fr
le fabricant Dieppe (76), 6 et 7 mai 2023, 5e Salon Maquett’ n’ Caux organisé
polonais nous par maquettes Fan Club, salle des congrès, le samedi de 14 h 00 à 19 h 00,
offre un nouveau le dimanche de 10 h 00 à 18 h 00. Rens. : mfc76dieppe@gmail.com
modèle de son ou Tél. 06 47 88 77 80 (P. H. Legras).
très beau Saint-Martin-de-Crau (13), 10 et 11 juin 2023, Salon de la maquette
“Hurricane”, et du modélisme, salle Mistral, organisé par RMCC, de 10 h 00 à 17 h 30.
Rens. Tél. : 0 618 661 256, decompte@cegetel.net ou sur www.rmcc13310.net
cette fois armé
de nacelles-
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