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La marine de guerre / A.

Sauvaire-Jourdan ;
préface de l'amiral
Fournier
Sauvaire Jourdan, A.. La marine de guerre / A. Sauvaire-Jourdan ; préface de l'amiral Fournier. 1910.

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A. S an v aire Jour dan

La Marine
de Guerre
PREFACE
DE

L'AMIRAL FOURN1ER

ILLUSTRATIONS

D'ALBERT SEB1LLE

PARIS

L 1B R A I R i E V (/ 1 B E il T
63, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 63
OUVRAGES PUBLIES A LA MEME LIBRAIRIE

Dans la même collection que


LA MARINE DE GUERRE :

E. CAUSTIER. — Les Entrailles de la Terre couronné l'Académie


(ouvrage par

française). (l\c édition.)

D' CHARPENTIER. — Les Microbes (ouvrage couronné par l'Académie française).

G. DARY. — A travers l'Électricité. (4e édition.)

P. DOUMER. — L'Indo-Chine française : Souvenirs (ouvrage couronné par l'Aca-

démie française). (2e édition.)

H. HAUSER. — L'Or (ouvrage couronné par l'Académie française). (2e édition.)

J. LECORKU. — La Navigation aérienne (ouvrage couronné par l'Académie française).

(5e édition.)

G.-L. PESCE. — La Navigation sous -marine. (2e édition.)

Dr RICHARD. — L'Océanographie (ouvrage couronné par l'Académie des sciences).

CHARTRES. IMPRIMERIE DURAND, RUE FUT.BERT.


A. Sauvaire Jour dan

La Marine
de Guerre
PRÉFACE

DE

L'AMIRAL FOURN1ER

ILLUSTRATIONS

D'ALBERT SEB1LLE

PARIS

LIBRAIRIE V' UIB E RT


63, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 63
Tous droits 3e reproduction
et de traduction réservés

pour tous pays.:

Copyright by Vuibert igio.


AU VICE-AMIRAL FOURNIER,

EN TÉMOIGNAGE DU PLUS RESPECTUEUX ATTACHEMENT.

Je vous demande, Amiral, la permission de vous dédier ce livre.


J'ai voulu, en l'écrivant, apporter ma modeste contribution à l'oeuvre

entreprise par la Ligue Maritime française et. quelques hommes au

patriotisme éclairé, qui cherchent à répandre dans le public et spécia-


lement dans la jeunesse, une connaissance plus approfondie de cette
marine à laquelle vous avez dévoué votre vie.
J'ai essa37é de montrer qu'elle est nécessaire à une nation comme
la nôtre, et aussi de faire ressortir la grandeur de son rôle, et sa
beauté.
J'ose espérer que vous approuverez mon effort.

A. SAUVAIRE JOURDAN.
POUR LA CARRIÈRE MARITIME

MON CHER AMI,

Rien reconnaissant de votre flatteuse dédicace, je vous félicite


d'avoir pris à tâche de rendre la carrière maritime attrayante à la
jeunesse française et intéressante pour tous nos compatriotes, en
traçant dans ce livre un tableau suggestif, agréablement coloré, de
la vie des marins dans nos ports, sur nos escadres et nos divisions
navales.
Vous avez, de plus, complété très utilement cette oeuvre de vulga-
risation par une description détaillée des types distincts de notre flotte
et un exposé de leur mise en oeuvre dans les,exercices préparatoires à
leur utilisation militaire contre l'ennemi.
J'apprécie également A^otre sagesse de n'avoir pas insisté sur cer-
taines doléances et controverses dont s'alimentent trop souvent les
polémiques de presse ou autres, car elles ont pour fâcheuse consé-
quence de laisser au public l'impression qu'il chercherait vainement
à comprendre les choses de la marine, puisqu'elles soulèvent de per-
pétuels conflits, même entre les professionnels.
La confusion en résultant dans les esprits jette du discrédit sur
notre flotte et contribue à en détourner des vocations déjà hésitantes
devant les
perspectives d'une carrière à laquelle le fléchissement de
notre puissance navale, pour les raisons que l'on connaît, avait enlevé
tout idéal.
Ces conflits d'opinions, provenant en général de conceptions injus-
tifiéesou de parti pris, sont surtout regrettables quand ils nuisent à
notre défense nationale. Il en est ainsi de la campagne de presse a}rant
eu pour effet de retarder l'essor de notre flottille.sous-marine et qui,
d'ailleurs, était vouée à la défaite, aujourd'hui manifeste, dans sa lutte
inégale contre le bon sens et la vérité : deux adversaires toujours sûrs
de vaincre, avec l'aide du temps.
VIII PREFACE

Il est heureux qu'il en soit ainsi, car le succès de cette injuste cam-
pagne contre nos submersibles aurait pu avoir pour funeste résultat
de priver la France d'une arme redoutable. C'est en effet la plus
efficace : soit pour prêter à nos cuirassés dans les mers de l'Europe
un précieux concours, de nature à compenser leur infériorité numé-
rique inévitable en face des coalitions écrasantes dont ils pourraient
être menacés; soit pour assurer, au besoin, en leur absence, la protec-
tion de nos points d'appui et de nos côtes contre toute tentative de
blocus, de bombardement ou de débarquement.
Ne devrait-on pas, devant ces considérations, répudier dans les
milieux officiels l'usage des subterfuges habituels aux détracteurs
systématiques de nos flottilles ?
M. le vice-amiral Roué
de Lapeyrère n'est heureusement pas de
caractère à dissimuler la vérité dans ses explications à l'appui de son
programme naval, inspiré, du reste, par un égal souci de compléter,
en unités nouvelles de premier ordre, dans la mesure et les pro-
portions essentielles, à la fois nos escadres cuirassées et nos flottilles
offensives.

L'intérêt
national, surtout en France, après les périodes de dépres-
sion traversées récemment par notre marine, est évidemment de tenir
le public au courant de tous les progrès de notre état naval, afin de
l'intéresser à leur développement et de former son jugement par d'utiles
enseignements, tout en le stimulant
par un sentiment légitime de
fierté patriotique. N'apprendra-t-il pas notamment, avec satisfaction,
en lisant ces lignes, qu'à la suite des dernières grandes manoeuvres,
les amiraux et les commandants de notre flotte ont été, enfin, unanimes
à constater l'impuissance actuelle clés cuirassés à se garer des attaques
de nos
submersibles, alors même que ceux-ci agissent isolément,
comme le « Papin », resté seul contre tous à la fin de ces grandes
manoeuvres, et cependant torpillant encore des vaisseaux antagonistes,
malgré la meute des contre-torpilleurs attachés à sa poursuite.
N'est-ce pas en effet la preuve que, de notre côté, ces petits assail-
lants sont habilement dirigés et exercés à dissimuler leur approche à
l'ennemi?
Les conditions des manoeuvres en question étaient d'ailleurs moins
favorables à nos submersibles que celles du temps de guerre, où ils
trouveraient l'avantage d'être répartis judicieusement, en grand
nombre, dans le cadre resserré" de nos mers intérieures, de manière
PREFACE IX

que les vaisseaux ennemis, a}rant découvert accidentellement l'un


d'eux, soient exposés, s'ils veulent l'éviter, à tomber sur un autre
encore dissimulé et les guettant sous les eaux dans une embuscade
voisine.
Quoiqu'il en soit, la sincérité de l'aveu unanime que je viens de
signaler est d'autant moins contestable qu'il a été arraché par la force
des choses, même aux officiers dont l'opinion s'était montrée jusque-là
nettement hostile à nos flottilles.
, Dans un ordre
d'idées analogue, il importe de mentionner aussi
que nombre d'amiraux et de commandants de notre flotte ont heureu-
sement cessé, à la suite de leurs propres observations, de se buter
contre les procédés nouveaux de tactique navale mis en essai depuis
quelques années. Ce résultat est rassurant, car ces innovations avaient
pour objet, sans parler d'autres avantages, de compléter les anciennes
méthodes d'évolutions, la plupart devenues impraticables sur le champ
de bataille.
Ainsi : elles devaient
permettre à une armée navale nombreuse
d'exécuter encore toutes les manoeuvres de combat nécessaires dans
le cas, toujours à craindre, où les fumées des chaudières s'épaissis-
sant d'un vaisseau à l'autre, rendraient invisibles une partie d'entre
eux et leurs signaux, pendant de longs intervalles.

*
* *

Si je fais allusion à ces discussions souvent passionnées, c'est


uniquement, vous le pensez bien, pour indiquer du même coup
qu'elles tendent heureusement à prendre fin.
Chacun semble
comprendre maintenant, dans notre marine, qu'il
faut à la France, à la fois : une puissante flotte de haut bord, abondam-
ment outillée, énergiquement entraînée en vue des nécessités de la
guerre navale moderne et, pour la seconder, une nombreuse flottille,
en bonne partie sous-marine.
Ces obligations, trop longtemps méconnues, s'appuient sur les

multiples raisons que je me suis efforcé de faire valoir sous leur vrai

jour dans mon livre récent : « la Politique navale ».


Elles résultent des groupements environnants de peuples en armes,
divisés par des rivalités de races et d'intérêts, ou par d'âpres convoi-
tises, et dont
notre stratégie navale doit évidemment tenir compte
dans ses prévisions, comme de tout péril national.
Mais la répartition des points d'appui de notre flotte, au milieu de
PREFACE

ceux de ses adversaires éventuels, la conduit


également à prévoir une
action combinée de ses escadres avec ses flottilles, de façon à tirer
de leur ensemble, au prix des moindres risques, l'effort offensif maxi-
mum, en utilisant le mieux possible, dans ce but, la •configuration et
la situation géographiques de notre littoral.
Or, ce littoral est, à cet égard, exceptionnellement favorisé par la
nature, car il est baigné :
Au Nord et au Sud, par des mers intérieures étroites et accidentées,
les plus propices à l'emploi des mines et des embuscades sous-
marines ;
A Y Ouest, par les eaux libres de l'océan Atlantique, où les cuirassés
et les grands navires retrouvent la sécurité de leurs routes vers le
large, en dehors du rayon d'action de ces engins.

. L'unité de vues,
sur le point de s'établir enfin dans notre flotte, et
l'harmonie générale devant en résulter dans l'ensemble de ses services,
étaient bien désirables, non seulement pour rendre à la carrière mari-
time son prestige très affaibli dans ces dernières années, mais aussi
parce que l'avenir ouvre, devant nous, des horizons chargés d'orages.
Le monde semble sur le point de se diviser en deux vastes grou-
pements .antagonistes par des rivalités, momentanées ou irréductibles,
mais revêtant chaque jour un caractère plus alarmant.
Il est à craindre, par exemple, que l'alliance naissante du panger-
manisme et du panislamisme, convoitée par le parti militaire prédomi-
nant à Constantinople, n'ait pour de provoquer
conséquence une con-
flagration générale, si l'Empire britannique, qu'elle menacerait jusque
dans ses fondements, ne se décidait pas à prendre à son tour, pour
son salut, la seule mesure efficace et, peut-être encore, préventive :
La création d'une puissante armée nationale.
Cette armée tutélaire réclamée, récemment encore, avec une insis-
tance et une solennité impressionnantes, par les généraux et amiraux
anglais les plus illustres, serait destinée à être jetée au besoin' en
Egypte et sur certains points stratégiques, pour y couvrir le canal de
Suez et fermer l'accès de l'Asie centrale, en assurant aux Russes
l'appui nécessaire d'une diversion irrésistible sur le flanc opposé de
l'armée turque.
Est-ce en effet seulement en accumulant « Dreadnought » sur
« Dreadnought » dans ses ports, au prix même de tout son or, que la
PREFACE XI

Grande-Bretagne pourrait empêcher les forces militaires réorganisées


et formidablement soutenues alors de l'Empire ottoman, d'étendre en
avant-garde à travers le continent asiatique, sous le croissant du Pro-
phète, jusqu'à la Perse et à l'Empire
le rayon offensif et domi-
indien,
nateur de la coalition germanique aspirant ardemment à frapper, là,
sûrement, sa rivale, à la source même de ses richesses et de sa puis-
sance ?
Que fera l'Angleterre devant l'évidence qu'elle n'a aucun autre
moyen de trancher à son avantage cet angoissant dilemme : « to be or
not to be y>?
C'est l'énigme du moment.

En tout
cas, une lutte de cette nature, en mettant aux prises
les flottes de combat de toutes les nations, ainsi que le ferait celle dont
nous menace l'antagonisme latent mais obstiné des Etats-Unis d'Amé-
rique et du Japon, donnerait à la guerre navale, par l'ampleur de son
cadre, la variété de ses objectifs, la multiplicité de ses mo}rens d'action
et leurs effets foudroyants, un caractère épique incomparable.
Enfin, aucune guerre ne serait aussi féconde en occasions,
pour les officiers de valeur, d'exercer au plus haut point leurs qualités
natives d'initiative individuelle, si répandues en France et les plus
précieuses contre l'ennemi.
Attachons-nous donc à évoquer
aux yeux de la jeunesse française,
non seulement le spectacle suggestif de la vie maritime, ainsi que vous
l'avez si bien fait dans ce livre, mais aussi la vision plus sombre des
luttes grandioses, peut-être inévitables, auxquelles notre flotte doit
se préparer sans répit.
C'est le moyen le plus sûr de stimuler, en cette vibrante jeunesse,
avec le goût du métier de la mer, l'attrait des responsabilités et des

risques, si puissant dans les âmes fortement trempées, très accessibles,

précisément, aux aspirations aventureuses de notre race, afin d'attirer


sur nos vaisseaux et dans nos flottilles, par d'ardentes vocations, une
élite d'officiers conscients de la grandeur de leur rôle mondial et de
son importance capitale dans les destinées de la France !

Vice-Amiral FOURNIER
LA MARINE DE GUERRE

CHAPITRE r.
I

LE PORT DE GUERRE

— Le -—• Les « m'enfatort ». — L'heure


Aspect spécial de nos villes maritimes. quai de Toulon. des permis-
sionnaires et celle du canot-major. — Le — L'arsenal. •— Le et ses attributions.
pointu. préfet maritime
—Nos cinq; arrondissements maritimes. -^ et sa digue. — La rade de Brest. — Le raz de Sein..—
Cherbourg
Dangers semés aux abords de Brest. —Les — Lorient. — Bénédiction
grandes marées des côtes de Bretagne.
des Courreàux de Groix. — Rochefort et ses rades. Elles forment un point de refuge qu'on ne saurait aban-
donner. — Toulon. —- Histoire de ce port en 170,3. — Bizerte et l'arsenal de Sidi-Abdallah. — L'or-
tragique
des arsenaux. —Directions. — La salle d'armes navire sur sa pale.. —
ganisation et, ses magnificences;—Le
Gomment on procède au lancement. — L'achèvement à flot. — Bassins de radoub et docks flottants. —:
Défense de l'arsenal. — de fond et de blocus. — Les mines sous-marines à Port-Arthur. — Le
Torpilles
désastre du Petropavlovsk. — Les effets d'une — La défense des
" panique. jwrts par les torpilleurs et les sous-
' '
marins.. ;,,.',. „ .

Un habitant de l'intérieur de la France


que le hasard ou sa bonne fortune amène
dans un port de guerre peut se croire transporté dans un monde àjDart. Tout ce qui
l'entoure, tout ce qui s'agite autour de lui, les personnes comme aussi les édifices,

porte un cachet particulier, la marque de la mer : tout y sent le goudron, pourrait-on


dire, en se servant d'ailleurs d'une image qui n'est plus très exacte, puisque l'usage
de cette matière, autrefois employée pour le calfatage des carènes en bois, se
trouve aujourd'hui réduit à fort peu de chose.
Dans l'hôtel même où notre voyageur aura pris son gîte, au café où il ira s'asseoir,
dans la boutique où il fera ses emplettes, des mots nouveaux, empruntés au Arocabu-
laire maritime, sonneront pittoresquement à ses oreilles. Il ne sera question que
d'embarquement» de canot-major, de permissionnaires, des bordées que ceux-ci ont
courues ou courront.
Du domaine des marins, cette langue spéciale, pleine de sel, a passé dans le civil et
il faudra apprendre à notre'voyageur'que le bout dé corde dont sa malle est ficelée

s'appelle désormais un jilin.


Dans sa promenade à travers les vieilles rues pittoresques et sur le quai enso-
SATJVAIRE JOUKDAN. I
LE PORT DE GUERRE

leillé de Toulon, il éprouvera en foule des sensations fortes et neuves. Au bout d'une

ruelle, par laquelle lui arrive l'acre senteur de la mer, trop souvent hélas ! mélangée
à d'autres qui ne la valent pas, entre les murs des antiques maisons sur lesquels Puget
a posé sa griffe, il apercevra les mâts et les voiles rouges des pointus ('), l'eau

glauque de la darse et dans l'azur limpide du ciel le profil serein des montagnes qui
ferment la rade.
Le vieux port, édifié par Vauban et où se pressaient autrefois les galères du roi
et les vaisseaux aux allures majestueuses, est maintenant à peu près vide de tout

appareil militaire. Sans abandonner son droit de propriété, la Marine en concède

l'usage à la population civile. Le quai qui le borde est un des coins les plus joyeux
et les plus animés du
monde. Il
est à peu près
de plain-pied avec la mer.
Aucun véhicule n'y passe,
et tout le jour, à l'abri des
tentes bariolées qui la pro-
tègent du soleil, circule
ou flâne une foule bigar-
rée, faite de touristes en

extase, de marins affairés,


de bateliers qui, en style

pompeux, vantent pour


une visite de l'escadre ou
une chez le
promenade
FIG. I. — Le quai du port et les pointus (Toulon). « père Louis » ( 2) les mé-
rites du Guillaume Tell ou

de la Belle Artémise. De vieux retraités, officiers ou premiers maîtres, incapables de

se passer du spectacle de cette mer qui a bercé leur vie, déambulent lentement, au

sous les admirables cariatides de Puget, en racontant interminablement


cagnard,
leurs campagnes, et les passe-droits dont a souffert leur carrière. La langue pro-
si colorée, si vivante, a baptisé ces ronchonneurs du mot qui
vençale, perpétuels
si souvent revient dans leurs récriminations. Ce sont les « m'enfatort » (3).

De rieuses et alertes blanchisseuses, leur panier de linge au bras, cherchent le

du X** et affrontent sans sourciller, avec un plaisir évident même, les


canot-major
attendent le signal
seize paires d'yeux des matelots qui, les avirons prêts à armer,
du départ. Les officiers, avant de gagner les canots dont les poupes garnies de tapis

bleus aux ancres rouges s'alignent au bord du quai, forment des groupes où s'échan-

« La deuxième division va partir pour le Levant! » Quels veinards !


gent les nouvelles.
On discute sur les résultats du dernier tir au canon. On félicite un tel dont le « pour

nommées en effet,
spéciales à la côte française de la Méditerranée,
Embarcations ainsi parce qu'elles sont,
(')
pointues à leurs deux extrémités.
( 2) Restaurant fameux situé au fond de la rade de Toulon.
» (on m'a fait tort).
( 3) Du provençal : « m'en fa tort
LE PORT DE GUERRE

cent » a été superbe! Et toute cette animation, cette exubérante et gaie


jeunesse
exhalent une
impression réconfortante d'activité virile, de ce quelque chose de fort
et de sain, de grand et de noble aussi
qui est le propre de la vie maritime.
Mais huit heures piquent aux cloches des navires en rade. Salué parles
coups de
fusil des factionnaires, les sonneries des clairons et des musiques, le fier pavillon
aux trois couleurs monte lentement aux mâts. C'est, pour les officiers, le signal de
la rentrée à bord.

Quelques dernières poignées de mains chacun dans le


s'échangent, ei^barque
canot de son bâtiment, où tombe toujours en bombe, à la dernière seconde, quel-
que retardataire qui débpuche.en courant des ruelles étroites.

FIG. 2. — La vieille darse (Toulon).

« Poussez » a commandé l'officier le plus ancien. Et sous l'effort des seize avirons,
dont les pelles font voler une
poussière humide, les canots se hâtent vers la rade,
sous le regard calme des mouettes et des goélands alignés en rangs sur les
pressés
pannes (') de la darse.
Le quai retombe alors dans la paix et le silence toujours relatif, qui conviennent
en un lieu où vivent des natures ardentes et promptes à la parole. La moindre dis-
cussion, la plus petite aventure donnent naissance, dans la pittoresque population
qui ne quitte guère le bord de l'eau, patrons de pointus, cireurs de bottines, com-
missionnaires dépenaillés, matelots de tartanes qui déchargent du sable, à un débor-
dement de paroles, de cris, de gestes tels qu'un promeneur non averti pourrait
croire à une émeute, ou tout au moins à d'effroyables Il n'en est rien.
querelles.

(') Poutres reliées par des chaînes servent à fermer coins des darses réserve à certainï
qui quelques qu'on
usages.
h LE PORT DE GUERRE

Sur un lazzi, une galéjade, les rires éclatent aussi bruyants, et chacun va s'étendre
au bon soleil, en attendant la première occasion, jamais lointaine, de recommencer
le tumulte.
Mais l'heure triomphale du quai, c'est vers le soir, à l'instant où le soleil bais-
sant enveloppe de tons lilas infiniment doux la nappe moirée des eaux de la darse,
les montagnes lointaines
du cap Sicié, les coques des
monstrueux cuirassés qui
s'endorment en rade.
Des chaloupes remor-

quées par des canots à va-


peur, des pointus coquet-
tement inclinés sous leur

gracieuse voile latine, se

pressent à l'entrée de la
darse. Là, veille un officier
marinier, sabre au côté,
chargé de faire
respecter le

règlement qui veut que


toute embarcation ralen-
tisse sa marche en passant
devant le poste. Canots et
chaloupes chargés à couler
bas accostent le quai et y
déversent la foule pompon-
née, astiquée, des permis-
sionnaires. Un peuple sym-

pathique les reçoit, amis,


parents, payses, simples cu-
rieux, et le quai se trouve
en un instant envahi par
les gars au col bleu. C'est
le moment de la grande
FIG. 3. — « M'enfatort » sur le quai. liesse, surtout dans les pre-
cariatides de l'Hôtel de ville de Toulon miers
(Les par Puget.) jours du mois, alors

que reste encore au fond


des poches peu de cet argent que le capt'ain a remis en cérémonie.
quelque
D'alléchantes boutiques, dont on chercherait en vain spécimens dans les d'autres
villes de l'intérieur, offrent au matelot des tentations auxquelles il ne sait guère
résister. On y voit s'étaler tout ce qui entre dans la composition du sac : effets retail-

lés, coquets assurément


plus que ceux de l'administration, et qu'à la première ins-
le capitaine de compagnie aura bien vite reconnus et proscrits avec accom-
pection
d'une légère punition ; pompons de bérets ; rubans à légendes dorées ;
pagnement
LE PORT DE GUERRE

mouchoirs aussi grands qu'un hunier de l'ancien temps et sur lesquels est dessiné ou
peint le cuirassé ou le torpilleur à bord duquel on vit ; gourmettes à tripoli ; usten-
siles perfectionnés d'astiquage, que les zélés achèteront pour mieux faire reluire la
I 1. I- L J- /1\
jjuucie uu la ruiiiuurue i i

confiée à leurs soins.


D'autres tentations
moins saines, auxquelles
ils succombent aussi trop
souvent, s'offrent encore
à nos matelots sous la
forme d'innombrables éta-
blissements où l'on boit.
La pullulalion de ces mai-
sons est prodigieuse, et si,
au point de vue pittores-
que, on peut trouver amu-
santes les enseignes enlu-
minées qui les décorent,
FIG. li. — Le quai Cronstadt et les canots-majors (Toulon).
les engageantes promesse»
leur devanture à la clientèle, il est impossible de ne pas regretter
que présente
leur nombre et surveiller la qualité
que la loi n'intervienne pas pour restreindre
des boissons qu'on y consomme. Aujourd'hui, cette qualité est si inférieure que ces
nreuvages peuvent sans

exagération être qualifiés


de simples poisons.
La population civile
d'un port de guerre prend
elle-même et tout naturel-
lement des allures mari-
times. Que ce soit la classe
élevée, le monde du com-
merce ou celui des arti-
sans, tout se rattache à la
marine par mille liens ;
liens de famille ou de rap-

ports mondains, liens d'in-


FIG. 5. — Un à la voile en rade de Toulon.
térêts surtout, car la vie pointu

a une cite maritime com-


les effets se font nécessairement sentir sur
porte un mouvement financier énorme dont
le commerce et l'industrie locaux.
Le centre de tout de guerre, son pivot, sa raison d'être, c'est l'arsenal.
port

(') Rampe.
LE PORT DE GUERRE

L'ARSENAL ET LES ARRONDISSEMENTS MARITIMES

L'arsenal maritime répond à un besoin évident. La construction des navires de


leur ravitaillement,
guerre et plus encore peut-être leur entretien, leurs réparations,
nécessitent des établissements spéciaux où soient rassemblés tous les moyens de

procéder à ces diverses opérations.


Ces établissements sont naturellement la propriété de l'Etat qui les crée, les in-
stalle, les administre ; et comme les travaux qui s'y effectuent sont essentiellement
militaires ; comme, par ailleurs, il a fallu entourer ces magasins, ateliers, cales,
des défenses nécessaires pour en assurer l'inviola-
dépôts, etc., et la rade elle-même
bilité, on a été amené à placer cet ensemble qui constitue l'arsenal sous le comman-
dement d'un officier général de la marine.
en chef, non seulement
Cet amiral porte le titre de préfet maritime et commande
le territoire qui entoure le port de guerre,, les défenses qui l'intéressent directement,
mais encore tous les ouvrages militaires de la ville elle-même et le littoral de l'arron-
dissement qui dépend du port.
Les côtes de France sont, à cet effet, divisées en cinq arrondissements maritimes
dont quatre sur l'Océan et le cinquième sur la Méditerranée.
Le icr arrondissement maritime a pour
centre Cherbourg. Une digue, travail gigan-

tesque entrepris sous Louis XVI, avec ardeur sous l'énergique


continué impulsion de

Napoléon Ier, a transformé une côte inhospitalière, semée d'écueils, balayée par des
courants violents et n'offrant que l'embryon d'une rade ouverte à tous les vents, en
un magnifique arsenal dont les travaux continuels augmentent constamment la valeur.
La position de Cherbourg, placée comme une sentinelle à l'ouverture de la Manche,

pour surveiller dé plus près ce qui se passe dans ce détroit célèbre, est d'une ex-;
trente importance au point de vue stratégique.
L'arsenal de Cherbourg a été, ces années dernières, spécialisé dans la construction
des sous-marins, délicate que ses équipes d'ouvriers très, entraînés exé-
opération
cutent avec une remarquable rapidité. Ces sous-marins sont d'ailleurs particulière-
ment bien placés en ce point
d'où ils opéreraient dans la Manche. Ils en interdiraient
aisément le passage à une force naArale.
Pour faciliter encore ces opérations, un certain nombre de ces bâtiments station-
nent à Dunkerque
et à Calais, avec quelques torpilleurs? Cherbourg et Dunkerque
ne comptent pas moins de 22 sous-marins, et ce chiffre s'accroîtra encore sensiblement
à mesure que les unités en construction prendront la mer.
Les côtes du icr arrondissement maritime s'étendent de la frontière belge jusqu'à la
rivière Ay, sur la côte ouest du Gotentin, en face l'île de Jersey.
Brest est le chef-lieu du 2e arrondissement, qui comprend le littoral depuis Gran-
Allle. jusqu'à Quimper. Là encore, nous .retrouvons une côte sauvage, éminemment

inhospitalière, battue de toutes les tempêtes, criblée de récifs, d'îlots rocailleux que
la mer couvre et découvre inlassablement, et entre lesquels des passes étroites et
LE PORT DE GUERRE
7

sinueuses, parcourues régulièrement en sens inverse par de terribles courants de


marées, s'offrent aux navigateurs aventureux.
Mais à l'encontre de Cherbourg, où tout a dû être créé de main d'homme, la na-
ture a ménagé au milieu de ce chaos de pierre et de granit, une des plus belles rades
du monde ('), protégée des coups de la mer par des terres qui l'abritent de tous côtés
et de ceux de l'ennemi par un long et étroit goulet qu'il n'oserait s'aventurer à franchir.

FIG. 6. — Les abords de la rade de Brest.

Le seul reproche que l'on puisse adresser à la rade de Brest est fondé sur ses trop
vastes dimensions. Le vent qui y souffle souvent avec une grande violence, du S.-O.
et du N.-O., trouve devant lui un champ suffisant et y soulève de vraies lames, dan-

gereuses pour les embarcations et très gênantes pour les communications et les ravi-
taillements.
Aussi a-t-on été conduit à créer, au moyen de digues, une véritable seconde rade,
dite rade-abri, où les bâtiments jouissent du calme nécessaire aux opérations utiles.

(') 10 kilomètres de diamètre en moyenne.


LE PORT DE GUERRE

Brest est également point un


stratégique admirable. Il tend vers l'Océan son

goulet comme pour y projeter les flottes qui se seront préparées au départ dans son
arsenal, ou pour recevoir et protéger, dans l'admirable abri de sa rade, celles qui y
chercheraient un refuge.
La nature a amoncelé devant l'entrée de Brest et bien loin au large, tous les ob-
stacles redoutés des marins. Des écueils innombrables y sont semés ; les courants de
marées très violents, et les vents du S.-O. y soulèvent une mer dange-
fréquemment
reuse, enfin la brume vient souvent à l'embarras du navigateur
trop ajouter qui doit
entrer dans le port.
Devant le goulet, deux chaussées ou chaînes de rocs s'étendent treize milles
jusqu'à

FIG. — Le goulet et la rade de Brest.


7.

au large. Sur celle du Nord, que la couleur d'un des récifs a fait nommer la chaussée
des Pierres noires, s'élèvent plusieurs îles dont la plus grande, Ouessant, forme la

pointe avancée des écueils et porte le phare puissant qui annonce aux marins l'appro-
che des dangers.
La chaussée du Sud est la terrible chaussée de Sein émerge aussi l'île de ce d'où
nom, célèbre dans les fastes druidiques et dont les habitants, tous pêcheurs naturel-
lement, ont conservé les caractères de la rude race celte qui cadrent si bien avec le
site sauvage et dur où s'écoule leur existence.
A l'extrémité ouest de la chaussée de Sein, sur une roche que recouvre complètement
la mer haute, on a dressé,
par un de ces miracles que peut tenter la science moderne,
un autre phare, celui d'Ar-Men, aussi puissant que celui d'Ouessant ; il permet aux
navires venant du Sud de savoir
qu'ils ont doublé la pointe de la redoutable chaussée,
LE PORT DE GUERRE

et qu'ils peuvent en sécurité, incliner leur route, soit pour aller chercher l'ouverture
de la Manche, soit pour entrer à Brest.
Trois passes donnent, à travers ce semis d'écueils, accès jusqu'à la rade de Brest.
C'est d'abord le raz de Sein, que, à peu près seuls, les navires à vapeur peuvent affron-
ter à certaines heures de la marée, en raison de la vitesse extraordinaire le
qu'y prend
courant.
Cette vitesse atteint de 5 à 6 noeuds ou g à 1 ikm à l'heure.
Vu de la côte le raz présente alors d'un fleuve dont les eaux se
l'aspect grand
précipitent avec une ra-

pidité vertigineuse que dé-


cèle le remous énorme
formé autour d'une balise
en maçonnerie portée par
un écueil placé juste au
milieu du passage.
La seconde passe est
celle de l'Iroise qui s'ouvre
directement devant le gou-
let et découvre la route du

large entre les deux gran-


des chaussées ;latroisième,
celle du Four ou From-
veur, très sinueuse et se-
mée de roches, qui permet
de se glisser vers le Nord,
entre la terre et le système
d'îlots et de récifs dépen-
dant d'Ouessant. La navi-
FIG. 8. — L'arsenal et la rade-abri de Brest.
gation dans les parages
du Finistère est, on le con-
çoit par le peu qui vient d en être dit, fort délicate, même quand on a sous fa main
un de ces excellents pilotes rencontre très au large, et qu'on
qu'on peut compter
sur la vue des nombreux et très perfectionnés artificiels
moyens que le service des
Ponts et Chaussées y a placés ('), tels que phares, balises de tous genres, signaux à
terre pour alignements, etc.
Tout ceci fait de guerre, alors que les phares seront
comprendre
qu'en temps
éteints, les balises et signaux
enlevés, à l'exception de quelques-uns, fort secrets, à

l'usage des navires français, les tentatives que pourrait faire l'ennemi pour forcer de
nuit l'eritrée de la rade de Brest seraient vouées à un échec certain. D'ailleurs, le
blocus effectif de ce port sera rendu très difficile par le fait que trois portes s'ouvrent

(') Par une anomalie assez singulière, la Marine n'est pas en France chargée du balisage et de l'éclairage des
c'jtes qui paraissent cependant rentrer si bien dans ses attributions. Ce service est confié aux ingénieurs des Ponts
et Chaussées.
IO LE PORT DE GUERRE

devant les navires essayant de sortir ou d'entrer,


amis et qu'enfin le séjour à la mer
d'une escadre bloquante dans cet Océan sauvage et sans abri, où les coups de vent

portent en côte et atteignent un degré de violence inouï, peut être mis au rang des
impossibilités.
Brest, en raison de la valeur
stratégique de sa rade, a toujours eu une importance
En réalité, il constitue notre principal port de guerre sur l'Océan.
particulière.
L'arsenal, oeuvre de Vauban, dont la touche se reconnaît si bien à l'ordon-

nance sévère et large des constructions, est formé par le lit approfondi et par les

FIG. — Le pont tournant à Brest.


g.

bords de la rivière Penfeld, sorte de fiord malheureusement trop sinueux pour les
besoins de la marine moderne.
Le spectacle
que présentent la rivière et son appareil militaire est des plus curieux.
On peut prendre ce plaisir, sans fatigue, du magnifique pont tournant, d'une hauteur
de 2 5™, qui établit la communication entre les deux rives de la Penfeld et s'ouvre
sous l'effortde quatre hommes pour laisser passer les navires munis de hautes mâtures.
On a alors sous les yeux le parc de l'artillerie et les piles de vieux canons de tous

modèles, les immenses casernes des équipages, les magasins dont l'architecture
sobre n'exclut pas la grâce. Cette grâce se retrouve dans les motifs ornementaux

placés aux portes des monuments et aussi sur la place du major général,
des bureaux
sous la forme d'une charmante statue de Pomone, dont l'élégante silhouette a fait
rêver bien des promotions d'élèves de l'Ecole navale rangés à ses pieds, deux fois

par semaine, pour de prosaïques exercices du fusil.


L'entrée de la rivière est commandée par
l'antique et si pittoresque château, qui
fut la citadelle, la des ducs de Bretagne, la résidence de leurs gouverneurs et
prison
LE PORT DE GUERRE I I

qui, sans autre valeur actuellement qu'une grande valeur historique, sert à loger une

partie de la garnison.
Les ateliers, magasins, bassins de radoub s'échelonnent sur une longueur de plu-
sieurs kilomètres sur les rives de la Penfeld. Quant aux cales de construction, on s'est

ingénié à les placer aux points où des courbes de la rivière


permettaient de disposer
d'une longueur d'eau suffisante pour effectuer les lancements. Encore faut-il employer
toutes sortes de moyens spéciaux pour empêcher les navires entrant à l'eau de
s'échouer ou s'écraser contre la berge opposée.
Toutes ces installations, excellentes pour l'époque où elles ont été créées et suffi-
santes encore tant que la

longueur des navires de

guerre n'excédait pas ioo


mètres, donnent de gra-
ves mécomptes mainte-
nant que nos croiseurs
cuirassés i ô^'" de long
ont
et nos cuirassés i54mavec
26ra de largeur et des dé-

placements de 19 ooo ton-


nes (').
Aussi a-t-on décidé de

reporter les parties essen-


tielles de l'arsenal, qui
FIG. 10. —• Brest: le château.
avaient grand besoin d'être

modernisées, sur un vaste terre-plein assis sur la côte nord de la rade, à Laninon.
C'est là que les bâtiments en service trouveront, dès que les travaux seront terminés,
des appontements bien disposés où ils pourront se ravitailler de toutes manières,
de la mer et du clapotis la rade-abri et des bassins de
protégés par les digues de
radoub (2).

La partie des côtes qui s'étend de Dunkerque à l'embouchure de la Loire est, de


tout le littoral français, celle sur laquelle les différents dus aux marées se
phénomènes
font le plus vivement sentir.
Ceci s'explique par le voisinage de la Manche dans laquelle s'engouffre, comme
dans le goulot d'un entonnoir, la lame de marée soulevée par l'attraction lunaire.

L'étranglement du détroit produit des effets


qu'on ne retrouve pas sur les côtes où
l'épanouissement régulier de cette lame s'effectue sans qu'elle rencontre d'obstacles.
Un des plus curieux parmi ces phénomènes est celui qui se produit au moment des

équinoxes dans l'estuaire de la Seine et qui est connu sous le nom de mascaret.

(') a3 4oo pour les prochains.


( 2) Une station de sous-marins de grand tonnage a été récemment installée à Brest. On n'avait pu le faire
jusqu'à pfésent parce que les courants violents à l'emploi
qu'on rencontre aux abords de cette rade s'opposaient
des sous-marins de faible puissance dont on disposait.
12 LE PORT DE GUERRE

C'est un spectacle impressionnant que vient contempler une foule considérable


accourue des départements voisins et de Paris môme. Théodore Licquet en a donné
une description restée :
classique

dit-il, au temps des équinoxes que le mascaret offre le spectacle le plus imposant et
C'est,
le plus solennel. Peu d'instants avant l'heure de la marée, on dirait que le fleuve, tourmenté
d'un malaise général, pressent l'approche de la grande convulsion qu'il va subir ou qu'il s'ap-
prête au combat que va lui livrer l'Océan.
Un bruissement considérable se fait entendre. Une ligne blanche s'aperçoit dans le loin-
tain à la surface des eaux ; c'est la barre. Elle arrive superbe et rugissante ; sa rapidité s'ac-

FIG. II. — Cuirassé manoeuvrant sortir du port de Brest.


pour

croît bientôt dans sa marche. Elle se brise en mugissant contre l'avant des navires, déborde
les talus, inonde les prairies des deux rives, se divise ou se rapproche selon qu'elle rencontre
ou franchit les obstacles, devient furieuse et terrible quand elle heurte les bancs de Quille-
boeuf, s'apaise ensuite par degrés et vient expirer enfin à 70 tieues de l'embouchure
du fleuve.

C'est à Caudebec que le phénomène du mascaret prend son intensité maximum.


Il y est vraiment très impressionnant. L'immense vague, qui barre le fleuve presque
en entier, a près de 3oom de largeur et 3m de hauteur. Elle parcourt près de iom à
la seconde. D'autres vagues moins importantes la suivent. On les nomme des
etelles.

L'explication scientifique du mascaret reste un peu obscure. On conçoit cepen-


dant qu'au moment où commence le mouvement ascendant de la mer, le flot, il
s'établisse comme une lutte entre le courant puissant du fleuve qui pousse vers la
mer, et la mer elle-même qui se gonfle et cherche à rétablir son niveau. Il en résulte
LE PORT DE GUERRE l3

la formation de vagues plus ou moins fortes, suivant que l'amplitude de la marée


est elle-même plus ou moins
grande, et lorsque cette dernière prend le dessus, ces

vagues domptent le courant du fleuve, s'élancent dans son lit et le remontent jusqu'à
une grande distance (28ok™ pour la Seine).
Le mascaret s'observe encore à l'embouchure de certains
grands fleuves, tels le
Gange et l'Amazone, mais en France il ne se produit que sur la Seine.
Les différences de niveau aux grandes marées d'équinoxes atteignent en certains

points de la côte normande et bretonne, comme Saint-Malo, le chiffre de i3 ou r/j™.

L'aspect de la rade formée par l'estuaire de la Rance est à cet instant


des plus pitto-

resques. Alors qu'à mer haute elle ressemble à un grand lac paisible et uni, on en
voit surgir, à mesure que la mer se retire, des multitudes de rocs noirs et déclnquetés,
dont une partie est mise complètement à sec tandis que les autres se hérissent de
toutes parts au milieu d'une cuvette dont les bords se sont singulièrement rétrécis.
Il semble alors que l'accès d'unpareil nid à récifs doive être impraticable. Mais un

système très complet de balises


et d'alignements permet cependant aux navires de
trouver leur voie dans ce dédale. .
Près du. port de Saint-Malo se dresse la vieille tour de Solidor au pied de laquelle
est placé l'embarcadère des bateaux à vapeur qui transportent voyageurs et mar-
chandises d'une
rive à l'autre de la Rance. C'est aArec une véritable stupéfaction que
les touristes Voient, suivant l'état de la marée, le vapeur accoster soit au pied de là
tour, soit presque à son sommet.
, Les courants produits par ces grandes dénivellations sont naturellement en rap-

port avec leur hauteur et aussi avec l'étroitesse des chenaux qui les canalisent. La
violence de celui du raz de Sein est encore dépassée par le torrent qui parcourt dans
les deux sens le détroit s'étendânt entre
la presqu'île du Cotentin et les îles nor-
mandes, et qui porte le nom de passage de la Déroute ou encore raz-Blanchard. Là
aussi, ce courant constitue un obstacle très sérieux à la navigation, soit qu'il la
ralentisse, soit même qu'il y apporte un empêchement absolu, comme c'est le cas

pour les navires à voile. Il faut noter d'ailleurs que si on peut mettre ce courant
dans son jeu, il vous favorise au contraire singulièrement.
L'idée ingénieuse de profiter des courants de marée dans la mesure possible a
conduit un très distingué pilote de la flotte, M. Hëdouin, qui les connaissait à fond,
à dresser des cartes donnant, pour toutes les marées de l'année et pour chaque
heure de ces marées, la direction et la force du courant dans la Manche et sur les
côtes avoisinantes.
Ces cartes, officiellement adoptées par la Marine, sont extrêmement précieuses
pour les bâtiments ayant à naviguer dans ces parages difficiles, et qui, en se diri-
geant suivant leurs indications, peuvent éviter les courants contraires, profiter de
ceux qui sont favorables et, somme toute, abréger la durée de leurs traversées.

Le 3° arrondissement maritime est formé de tout le littoral de


Quimper aux
Sables d'Olonne. Son chef-lieu, Lorient, a été construit par la Compagnie des Indes
aux temps d'ailleurs éphémères de sa grandeur.
là, LE PORT DE GUERRE

La rade sur les bords de laquelle l'arsenal est établi est formée par l'estuaire de la
rivière Blavet, qui malheureusement l'envase un peu trop. L'entrée de la rade assez
étroite était défendue par la vieille et pittoresque citadelle de Port-Louis sous les
murs de laquelle les vaisseaux étaient tenus de défiler pour éviter l'écueil de la
Jument. Nos bâtiments
modernes, très longs, éprouvent quelques difficultés à suivre
ce chenal sinueux, dans lequel d'assez nombreux, accidents se sont produits. Aussi,
en fait, il est difficile de considérer Lorient comme un port où les grandes unités
venir se ravitailler ; l'arsenal a été spécialisé pour la construction des
puissent
croiseurs cuirassés.
de Groix, distante de neuf milles de l'embouchure
L'île du Blavet, joue pour le port
de Lorient le rôle de sentinelle aA7ancée, tout comme Ouessant pour Brest. Le canal
qui la sépare du continent, le Courreau de Groix, a été longtemps le théâtre de mi-
raculeuses pêches à la sardine, comme d'ailleurs les eaux de Concarneau et de Douar-
nenez. Quoique cette industrie soit bien déchue, on voit encore
chaque année, à
l'époque où la sardine paraît, une longue théorie de barques ornées de feuillages,
de pavillons, suivre en procession une embarcation plus somptueuse, d'où un prêtre
donne au Courreau une bénédiction solennelle.
Rochefort est le chef-lieu du 4? arrondissement maritime, qui s'étend des Sables
d'Olomie à la frontière
d'Espagne. L'arsenal et la ville sont placés à 3o kilomètres de
l'embouchure de la rivière Charente, à laquelle,, en raison de son cours si peu étendu,
on n'ose ATaiment pas appliquer le nom de fleuve, quoiqu'elle y ait évidemment
droit, au sens géographique du mot.
Entre Rochefort et la mer, la profondeur de la Charente est-suffisante pour per-
mettre la circulation des navires de guerre de dimensions moyennes, mais on trouve
à son embouchure une barre sur laquelle ils ne peuvent passer qu'à-marée haute
ou à peu près, ou même seulement aux grandes marées d'équinoxe.
Mais la faible profondeur et les sinuosités de la rivière prohibent absolument F ac^
ces de l'arsenal aux bâtiments modernes, cuirassés ou croiseurs cuirassés. Rochefort
a donc perdu, en tant que port de guerre, la plus grande partie de sa valeur, et depuis

plusieurs années on parle périodiquement de sa suppression.


Nous n'avons point ici à prendre parti dans une discussion qui a naturellement
suscité de violentes polémiques. NouspouATons dire cependant que si Rochefort tel
au point de vue maritime, il eii
qu'il existe n'a plus par lui-même grande valeur
reprend une considérable en raison du voisinage des belles rades des Trousses et de l'île
d'Aix aboutit la Charente. Il faut considérer
que depuisla baie de
en effet
auxquelles
Quiberon, placée à portée de Lorient et d'ailleurs fort mal défendue, on ne trouve:
vers le Sud jusqu'à la frontière d'Es-
plus sur notre côte Atlantique, en descendant

pagne, aucun autre point de refuge que les deux rades en question. Une escadre,
un bâtiment isolé, désemparé après un combat, n'ayant pu gagner Brest et cher-
chant à échapper
à l'ennemi, ne pourront nulle part ailleurs, trouver un refuge en
même temps que des possibilités de ravitaillement et de réparation. ;
Il serait donc très peu sage de priver notre flotte de cet abri dont l'importance a
d'ailleurs toujours été unh'orsellement reconnue. Les rades des Trousses et de l'île
LE PORT DE GUERRE '...! 5

d'Aix doivent conserver ce caractère de points de refuge et être défendues en consé-:


quënce. Mais il serait alorsillogique de ne pas laisser subsister sur les rives de ces
rades ou à leur portée immédiate un arsenal, une usine quelconques un centre d'ap-
provisionnement où ces navires trouveront le moyen de se réparer, de se ravitailler
en charbon,vivres, munitions, avant de retourner au combat.
Rochefort est le troisième de nos établissements maritimes
dans les parages du-
quel on trouve des sous-marins. Ces petits bâtiments sont groupés à la Palliée, port
créé de toutes pièces (*) il y a une vingtaine d'années au Nord de la Rochelle. Ils y
sont à portée de la mer et en face des pertuis qui conduisent aux rades qu'ils
auraient à protéger des agressions ennemies, le cas échéant.
C'est de la rade de l'île
d'Aix, dont il avait d'ailleurs lui-même reconnu l'impor-
tance steatégique et sur les bords de laquelle il avait fait édifier des
ouvrages formi-
dables pour, cette époque, que l'empereur tenta de quitter la France pour
Napoléon
gagner les États-Unis. Ce fut là que se déroulèrent, en juillet 1810, les derniers épi-
sodes de l'épopée napoléonienne. ''>:.
Quelques fidèles, pleins jjour sa personne de ce dévouement fanatique que le
grand homme savait inspirer, avaient tout disposé pour que le passage parût assuré
à travers l'escadre anglaise qui bloquait les pertuis.
Ces braves furent les commandants Philibert et Ponée, des frégates Saale et Mé-
duse, mises à la disposition de l'Empereur déchu. Le capitaine Baudin, plus tard
amiral, et dont un de nos cuirassés jiortait récemment le nom glorieux, commandait
à ce moment les corvettes Bayadère et Infatigable mouillées à Royan. Il proposa de
faire embarquer Napoléon sur un bâtiment américain, le Pike, exceptionnellement

rapide(2).
Il s'offrait à livrer combat à la croisière anglaise et à sacrifier les deux corvettes pen-
dant que le Pike passerait à toutes voiles. Ce fut encore le lieutenant de vaisseau
Besson, qui proposait de noliser une goélette danoise, Magdelaine, à bord de laquelle
l'Empereur aurait été caché dans un baril vide.
On sait comment toutes ces propositions furent écartées et les raisons qui poussè-
rent l'Empereur à se confier à la magnanimité du « plus puissant et du plus généreux
de ses ennemis »;(J). On sait aussi hélas ! comment fut récompensée cette confiance,
dont la grandeur était digne de celui qui l'exprimait!

Le 5e arrondissement maritime toute la côte française du nord de la


comprend
de la frontière
Méditerranée:, espagnole à la frontière^italienne.
Toulon en est le chef-lieu. Sa magnifique rade forme une sorte d'immense port
naturel où les bâtiments sont à l'abri du mauvais temps et des vues du large. Un
formidable système de défenses terrestres et maritimes le rend inviolable. Une digue
en barre l'entrée entre la pointe de Saint-Mandrier et la Grosse Tour, et l'interdit ainsi
aux torpilleurs ennemis trop osés. On y a ménagé une passe courbe pour les mou-

(') Sur les plans de l'ingénieur hydrographe Bouquet de la Grye.


( 2) Henry HOUSSATE, I8I5.
( 3) Lettre de l'Empereur au Prince régent d'Angleterre,
i6 LE PORT DE GUERRE

vements des grands bâtiments, forcés en conséquence de présenter leur flanc aux

puissantes batteries de 3ocm de la côte, qui tireraient sur eux à bout portant.
On ne trouve à Toulon aucune des difficultés de navigation que présente l'accès
des autres ports de guerre.
Point point de récifs sur lesquels une mer grise vient se briser en hur-
d'écueils,
lant. Point de marée et par conséquent point de courant, peu de brumes, un ciel

presque toujours serein, une température égale et douce grâce à laquelle les travaux

FIG. la. — Les abords de la rade de Toulon.

divers et rudes du métier maritime sont singulièrement adoucis, voilà quelques-uns


des avantages que Toulon offre aux marins.
L'histoire de Toulon présente un épisode des plus dramatiques. C'est celui

qui se rapporte à l'occupation, le 28 août 1793, de la rade et de l'arsenal par


l'escadre anglaise de l'amiral Hood et la division espagnole de l'amiral Langara.
La population toulonnaise avait vu peser sur elle, au cours des années 1792 et

1793, l'effroyable et sanglante tyrannie du club terroriste dit de Saint-Jean.

Les scènes les plus atroces se déroulèrent dans ces jours de deuil. Les bandits du club et
leurs partisans se livrèrent à des actes de sauvagerie sans nom (').
Le comte de Flotte, commandant de la marine, ainsi que trois capitaines de vaisseau, avaient
déjà, par leurs soins, été pendus ou assommés. Ce sont ces massacres que Dubois Crancé,
alors à Toulon comme chef d'état-major d'Anselme, dans l'armée du Var, commentait en
disant : « Nous avons écrasé quelques punaises ».

Maurice LOIR, Etudes d'histoire maritime. éditeur.


(') Berger-Luvrault,
LE PORT DE GUERRE
il

De la lanterne où il avait expiré, le comte de Flotte avait été descendu, puis

FIG. l3. — L'arsenal et la rade de Toulon.

mutilé à coups de piques. Les autres victimes avaient été pendues les unes
SAUVA IRE JOURDAIN-. a
LE PORT DE GUERRE

par le cou, les autres par les deux pieds ou par un seul et hachées à coups de
sabre.

Un citoyen ('), le sieur Reboul, fut décapité; on lui ouvrit la bouche pour y verser du vin,
on lui mit une pipe entre les dents, puis on alla déposer cette tête outragée et souillée sous
le cadavre du malheureux, pendu parles poignets.
Dans le sang qui coulait des blessures du capitaine de vaisseau de Rochemore, un ouvrier,
le chaudronnier Bary, se lava les mains aux applaudissements de la foule.

On pense bien que l'anarchie avait gagné l'arsenal, où fonctionnait et régnait en


maître absolu un club d'ouvriers qui ne le cédait en rien à son confrère de la ville.
L'arsenal offrait le spectacle d'une usine en grève. Les commis préposés aux

appels des onvriers, menacés d'être pendus à la moindre observation, n'osaient pas
noter les absents qui, bien entendu, se faisaient payer tout de même. En octobre

I7920> les journées d'ouvriers et les ouvrages à prix fait, avaient coûté 215777
livres alors que les travaux réellement exécutés n'étaient pas évalués à plus de
20 000 livres.
Voici comment un honnête homme du peuple, fourvoyé dans cette cohue de ma-
landrins, apprécie, dans une lettre datée du i5 mai 1793, ce qui se passe sous ses

yeux:

Je vous dirai ( 3) que nous sommes ici 5o 000 hommes et en outre 6000 ouvriers ; avec
tout ça l'ouvrage ne se presse pas, car ça fait frémir de voir dans un port tant de monde à
rien faire. Il se font donner leur solde et ils s'en vont dans les auberges du matin jusqu'au soir,
ainsi que les ouvriers de l'arsenal, qui ne travaillent pas trois heures par jour, ainsi que les
marins. Je frémis tous les jours de voir voler les journées à la Nation.

Le même désordre, la même anarchie régnent dans la flotte mouillée en rade et que
commandent les amiraux Truguet et Trogoff. Ceux-ci s'adressent au tout-puissant
club pour avoir des ordres et lui rendent compte des opérations entreprises. C'était
le club qui donnait les instructions pour aller réprimer les corsaires sur la côte, faisait

juger, condamner, exécuter officiers et matelots, comme le commandant Basterot


de la Melpomène et le canonnier Jérôme Laurent dont la conduite n'avait pas eu l'heur
de plaire. Enfin, contre la tyrannie féroce de ces forcenés, se produisit la réaction qui
devint à son tour maîtresse de Toulon. A l'exemple de Marseille, Draguignan,
Toulon et les villes de 70 départements proclamèrent la Convention coupable d'avoir
usurpé la souveraineté nationale. Contre ce mouvement fédéraliste, la Convention

prit des mesures militaires qui furent couronnées de succès, et Toulon notamment,
après la défaite des fédéralistes marseillais à Orange, à Salon et à Lambesc, se vit

assiéger et serrer de près par les troupes de Carteaux.


Pour échapper aux horreurs qu'il était facile de prévoir, Marseille avait entamé
avec l'amiral Hood, commandant l'escadre anglaise, des pourparlers pour obtenir

(') HENRY, Histoire de Toulon pendant la Révolution.


( 2) M. Loin, Op. cil.
(3) lbid., Id.
LE PORT DE GUERRE t g

des secours militaires. Celui-ci, d'ailleurs, les refusa sous prétexte que la rade n'était

pas assez sûre ni suffisamment armée pour soutenir le choc des troupes delà Con-
vention.-En réalité, ce qu'il convoitait, et il ne se gênait nullement pour le laisser
entendre, c'était la magnifique rade de Toulon qui seule, disait-il, «pouvait rendre
son appui efficace ».
Marseille n'hésita pas à engager la municipalité de Toulon à accepter ces offres

perfides faites au nom des puissances coalisées qui ne voyaient la fin des maux de la
France que dans le rétablissement de la monarchie.
Dans la déclaration formelle signée par lord.Hood et datée du 23 août 1793, à
bord du Victory, l'article 4 stipulait d'ailleurs que le port de Toulon et les vaisseaux
qu'il renfermait seraient rendus à la France aussitôt la paix faite.
Faut-il trop s'étonner que de pareilles propositions aient pu être entendues ?
Certes le crime des Toulonnais restera inexcusable à tout jamais. Mais il serait

injuste de le juger avec notre mentalité.


L'idée de patrie n'avait pas, à celte époque, jeté dans le sol et dans les coeurs fran-
çais, les puissantes racines qui les lient aujourd'hui en un seul bloc.
De plus et surtout, les hommes qui livrèrent Toulon vivaient depuis deux ans
dans une atmosphère si trouble, avaient vu s'accomplir sous leurs yeux de tels for-
faits, avaient été les victimes dans leurs biens, dans leurs familles et leurs personnes
d'une si sanglante tyrannie, qu'on peut expliquer leur affolement et aussi comprendre
comment ils perdirent la notion du droit chemin. La Convention usurpait un pom^oir
jusque-là confié à la royauté ! Où était alors le droit et le devoir ?
Quoi qu'il en soit, l'accord fatal fut signé le 23 août 1793 entre le parlementaire
anglais, le lieutenant Ed. Cooke, et le comité des Sections. L'armée navale française
composée de 18 vaisseaux, 6 frégates, 5 corvettes, en fut aussitôt informée et reçut
l'ordre de se rallier sous les remparts de l'arsenal.

Après de violents débats, une longue indécision, la plupart des vaisseaux,


abandonnés cependant d'une partie de leurs équipages qui refusaient de s'associer à
la trahison, obéirent et laissèrent le passage libre à l'escadre combinée anglo-espa-
gnole ; celle-ci, comptant 44 vaisseaux, prit tranquillement mouillage dans la rade de
Toulon, le 27 août 1793.
On sait d'ailleurs ce qu'il advint de celte occupation et comment sous la menace
des canons que le commandant de l'artillerie de l'armée de Garteaux,
le jeune Bona-

parte, avait installés sur les hauteurs qui dominent la rade, l'étranger dut l'évacuer
le 19 décembre 1793, non sans avoir détruit ou endommagé par le fer et par le feu
le plus possible des armes et des navires que renfermait l'arsenal.
Jetons un voile sur ces cruels souvenirs !
A proximité de Toulon, à quelques milles vers l'Ouest, on trouve l'admirable rade
des îles d'Hyères, où les flottes du monde pourraient se donner rendez-vous et qui offre
à nos escadres, à nos torpilleurs et sous-marins le plus merveilleux champ d'exercice.
Des ouvrages fortifiés très sérieux, permettraient en temps de guerre, à nos forces
navales, de s'y concentrer à l'abri.
L'arsenal de Toulon occupe les bords delà rade du côté nord et est. Les anciens
20 LE PORT DE GUERRE

établissements de Vauban ont naturellement subi les transformations nécessitées


par
les progrès constants de la marine, et de nouveaux bassins sont venus s'ajouter à
ceux qu'il avait fait creuser. Les cales où se construisaient les vaisseaux devinrent

rapidement trop petites et


depuis longtemps tous les services de la construction
navale ont été transportés aux pieds du faubourg du Mourillon où ils constituent un

petit arsenal séparé du grand par la vieille darse, concédée à la navigation et aux ser-
vices publics.

En dehors des cinq établissements que nous venons de passer en revue, la Marine
en possède un autre qui
peut être classé comme le
sixième arrondissement ma-
ritime. C'est celui de Bi-
zerte, ou plus exactement
celui de Sidi-Abdallah,
construit de toutes pièces
sur la côte sud du magni-
fique lac de Bizerte.
Il était d'une extrême im-

portance, au point de vue

stratégique, de nous ména-

ger dans la partie sud de la


Méditerranée dont il faut

que nous restions les maî-


tres, un point d'appui qui,
faisant face à Toulon, nous

permît d'entretenir les for-


ces nécessaires. Ce point
ne pouvait être
d'appui
mieux placé qu'à Bizerte,
FIG. i4. — Lac de Bizerte et arsenal de Sidi-Abdallah.
et auand bien même l'oc-

cupation de la Tunisie et son rattachement à la sphère d'influence française,


consacrés par le traité du Bardo du 12 mai 1881, n'auraient eu d'autre résultat

que de nous donner Bizerte, il faudrait encore les considérer comme une des meil-
leures, des plus utiles opérations coloniales que nous avions entreprises^
Taillant en plein drap, ayant à faire une oeuvre nouvelle, appropriée aux besoins
de
delà marine moderne, les fondateurs de l'arsenal de Sidi-Abdallah y ont créé le port
Commencés en juillet les travaux, causes et
guerre-type. 1898, retardés par diverses
notamment par l'extraordinaire inertie, allant formelle, de
jusqu'à l'opposition
M. Pelletan, ministre de la Marine, sont achevés aujourd'hui.
L'arsenal de Sidi-Abdallah a été creusé sur le rivage du lac dans sa partie la

plus éloignée de la mer. Situés ainsi à plus de i5km de la côte, les ateliers et maga-
sins n'ont rien à redouter des projectiles d'une flotte ennemie. La profondeur du
LE PORT DE GUERRE 21

lac est telle que sans qu'il ait été nécessaire


de le draguer ailleurs que dans la partie
avoisinant immédiatement la plage où est installé l'arsenal, les plus gros navires y
circulent à l'aise. Le lac lui-même constitue la rade indispensable devant tout port
de guerre, son goulet est formé par un canal de i 5oom de longueur qu'on a creusé

pour faire communiquer le lac et la mer. On a paré aux dangers d'embouteillage


que présente une pareille disposition en construisant sur le rivage de la mer des

FIG. I5. — Le de Bizerte.


goulet
Station de sous-marins cl, de torpilleurs à la Baie Pontv.

digues qui forceraient les navires suspects à se présenter en travers, comme à Tou-

lon, aux puissantes batteries de la côte qui sauraient les arrêter.


La création de Bizerte et de Sidi-Abdallah fait le plus grand honneur à la France.
Il n'est que juste de citer les noms des deux principaux cette grande ouvriers de

oeuvre, le contre-amiral à laquelle il s'était


Merleaux-Ponty, qui est mort à la tâche
voué corps et âme, et son collaborateur infatigable, le général Marmier, qui a
établi le plan des défenses de la place et les a fait exécuter.
En dehors de ces sixgrands arsenaux maritimes, la France possède encore en
Cochinchine, à Madagascar, au Sénégal, des points d'appui fortifiés, où nos bâti-
22 LE PORT DE GUERRE

ments trouveraient en temps de guerre un refuge assuré et les moyens de se reposer


et de se ravitailler en vivres, charbon, munitions.
Le point d'appui de l'Indo-Chine est situé à Saigon môme, à gokm de l'embou-
chure du fleuve Donaï et par conséquent dans une situation à ne rien craindre des

attaques de l'ennemi ('). L'entrée du fleuve est d'ailleurs défendue par les forts et
batteries placés sur les hauteurs du cap Saint-Jacques.
Il y a à Saigon un arsenal réduit mais complet, avec bassin de radoub, ateliers
et magasins. On y emploie, en grand nombre, les ouvriers indigènes.
A Madagascar, c'est dans l'immense rade de Diego-Suarez située à la pointe nord
de l'île que le point d'appui
a été installé ; enfin, celui
de la côte occidentale d'Afri-

que est admirablement placé


à Dakar, à l'extrémité de
l'avancée que le continent
africain pousse vers l'Ouest.
On comptait, lorsqu'on dé-
cida son installation, qu'il
serait précieux à ceux de
nos croiseurs envoyés à la
recherche des bâtiments de
commerce ennemis et qui
se trouveraient dans ces

parages à un excellent poste


d'observation sur une des

plus grandes routes mari-


times du monde, celle d'Eu-

rope au cap de Bonne-Espé-


rance (2).
FIG. 16. — Arsenal de Sidi-Abdallah. La question de ces points
j' : __i J u :
u. au JUI cal uucuc ucucauui

préoccupent le monde maritime. Les conditions de la guerre navale, les soins exigés

par les navires modernes les rendent absolument indispensables à une nation qui
veut être à même
d'opérer sur mer en un point quelconque du globe. Il est facile
d'ailleurs de se rendre compte que les efforts de toutes les grandes puissances mari-
times tendent depuis quelques années à se ménager le plus grand nombre possible
de ces refuges et bases de ravitaillement.

L'Angleterre, grâce à ses nombreuses colonies, n'a eu qu'à choisir les points les
mieux situés. Elle a créé trois véritables arsenaux : à Gibraltar et Malte dans la Médi-

(') Sauf du côté de terre.


( 2) Cette conception du rôle des croiseurs en temps de guerre est actuellement en défaveur, et l'utilité de Dakar
moins évidente. Mais il faut compter sur les revirements
qui se produisent fréquemment en matière de stratégie
navale et qui lui rendraient, le cas échéant, toute son importance.
LE PORT DE GUERRE 23

terranée, à Hong-Kong dans la mer de Chine. De plus, elle dispose de plusieurs points
de ravitaillement fortifiés, disséminés sur tout le globe. Elle peut donc lancer sans
crainte ses flottes à un bout quelconque du monde. Celles-ci sont assurées d'y trou-
ver partout aide et assistance.

L'Allemagne elles États-Unis, nouveaux venus à la grande politique maritime et

n'ayant pas ou peu de colonies, se trouvent à cet égai'den état d'infériorité manifeste.
Après avoir essayé d'un établissement sur la côte chinoise, à Kiao-Tchéou, un de
ces points qu'il a été de mode pendant quelques années, « d'emprunter » à l'Empire
Chinois sous la formule fallacieuse du bail, la première de ces puissances semble
avoir renoncé à lui donner un grand développement. En dehors de cet embryon de
point d'appui, elle ne possède rien.
Les États-Unis, à la Suite de leur guerre avec l'Espagne, ont hérité de l'arsenal
de Cavité, dans la baie de Manille, auquel ils travaillent à donner l'importance cor-
respondant à celle de leur magnifique flotte.
On sait Gomment la Bussie, après avoir diplomatiquement conquis Port-Arthur
qui répondait si bien à la nécessité où elle est de posséder en Extrême-Orient un

port en tout temps libre de glaces, a dû céder cette base navale de ses rêves à son
vainqueur et se contenter de Vladivostok qui né remplit qu'à moitié les conditions
requises pour un bon point d'appui.
On voit somme toute que nous sommes, à ce point de vue, en bonne situa-
tion. Nos trois,points de refuge nous assurent la faculté de ravitailler nos forces
navales dans l'océan Indien et les mers de Chine. C'est seule-
l'Atlantique,
ment dans l'océan Pacifique que nous sommes démunis. Les lieux favorables à
l'installation d'un bon point d'appui ne nous y font cependant pas défaut et iLfaut
espérer que les raisons d'économie qui ont causé l'abandon d'un projet de base
navale en Nouvelle-Calédonie fléchiront un jour devant l'importance de cette situa-
tion (').

(J) Voici, à titre de renseignement, laliste des lieux où les principales puissances maritimes ont établi des
arsenaux ou des points d'appui :
Allemagne. —• Arsenaux : Wilhelmshaven, Kiel, Danzig. .
Bases secondaires : Helgoland, Cuxliaven, Flensburg, Murwick.
— Arsenaux
Angleterre. métropolitains: Plymoulh, Devonporl, Portland, Porlsmouth, Douvres, Chatam,
Sheernessj Rosyth (en création), Pembroke, Haulbowline, Berehaven.
Arsenaux hors de la métropole : Malle, Gibraltar, Hong-Kong.
Bases navales : Bombay, Bermudes, Sydney (Australie).
— Arsenal : Pola.
Autriche-Hongrie.
Bases navales : Sebenico, Cattaro.
Espagne. — Arsenaux : Le Ferrol, Cadix, Cartbagène.
Etals-Unis. — Arsenaux : New-York, Portsmoulb. —
(côte Atlantique) Norfolk, Boston, Leaguo-Island, (côte
Pacifique) : Mare-Island, Bremerton.
Bases secondaires : Washington, Pensacola, Newport, Charleslon, Key-West, New-Orléans, San Juan de
Porto Rico, Guanlanamo (Cuba), PearlHarbour(Hawaï), Cavité, Olougapod (Philippines), ïuluila(Samoa).
Italie. — Arsenaux : La Spezzia, Gênes, Naples, Tarenle, Brindisi, Ancône, Venise, La Maddalona (Sardaigne).
Japon. — Arsenaux : Yokosuka, Kuré, Sasebo, Maizuru, Port^Artbur.
Bases secondaires : Ominalo, Takeshiki, Makung (Pescadorcs).
Russie. — Arsenaux : Revel, Riga, Port Alexandre III, Libau, Sveaborg, Kronstadt, Helsingfors, Abo, dans la
— dans la mer Noire ; — dans le Pacifique.
Baltique ; Sevastopol, Nicolaïeff, Vladivoslock,
24 LE PORT DE GUERRE

L'organisation de nos arsenaux maritimes est la même Le vice-amiral


partout.
préfet maritime, commandant en chef, est secondé dans la des opérations conduite
militaires terrestres par un général commandant le front de terre,
qui a la garnison
sous ses ordres. Pour la partie maritime, il possède un à la tête duquel
État-Major
est placé un contre-amiral, chef d'État-Major, des
qui s'occupe plus spécialement
questions d'ordre militaire et commande le front de mer ; un autre contre-amiral,

portant le titre de
major-général, est

chargé, avec les officiers de tous grades


qui lui sont adjoints, de veiller à la
bonne marche de l'arsenal ainsi qu'à sa
défense directe.
Sous l'autorité supérieure du préfet
maritime, les services de l'arsenal sont
divisés en un certain nombre de Direc-
tions.
Laplus importante est celle des
Constructions navales, qui s'occupe de
tout ce qui concerne la construction,
l'entretien, la réparation des navires.
Les officiers qui dirigent ce service

compliqué et capital sont des ingé-


nieurs des Constructions corps navales,
militaire sur la constitution duquel nous
reviendrons plus loin. Ils ont sous leurs
ordres la totalité des ouvriers de l'arse-
nal employés dans les nombreux ateliers
où s'exécutent les travaux se rapportant
à ce service.
FIG. — Intérieur de l'arsenal de Toulon : une vieille
17.
cale couverte. La Direction de l'Artillerie est com-
mandéepar un officier supérieur du corps
des ingénieurs d Artillerie navale ayant sous ses ordres un certain nombre d otliciers.
Leur compétence s'étend sur tout ce qui a trait à l'armement des bâtiments en artil-
lerie et aussi en petites armes : fusils, revolvers.
mousquetons,
Les haches et sabres s'ajoutaient, il y a quelques années encore, à cette nomencla-
ture. Les temps sont lointains des combats où on montait à l'abordage, la hache au

poing. On a enfin supprimé ce matériel démodé, simple souvenir des temps héroïques
où la valeur et le courage personnels se manifestaient par des actes directs, plus
faciles d'ailleurs peut-être dans l'enivrement et la chaleur de la lutte corps à corps,

que ceux exigés aujourd'hui par l'accomplissement d'un devoir moins affairé entre
bs parois hermétiquement closes de compartiments étanches.
SAUVAIRE JOURDAN PL. I.

Le salut aux couleurs.


LE PORT DE GUERRE 25

Donc, canons, munitions de toutes sortes, artifices pour


signaux, fusils, etc.,
sont l'affaire de la Direction de l'Artillerie, qui les emmagasine, les délivre aux na-
vires, et en surveille l'installation. Comme conséquence, celte direction a également
la charge de l'établissement particulier, appelé pyrotechnie, soigneusement exilé dans
une partie déserte de l'arsenal, et où s opèrent la préparation des explosifs, l'intro-
duction de ces explosifs dans les obus et une foule de manipulations de même ordre
aussi délicates et dangereuses que possible.
La fabrication des canons, pas plus que celle des projectiles, ne se fait dans les ar-
senaux, nous verrons uaus un cnapiire
suivant les conditions dans lesquelles
l'une et l'autre s'effectuent (').
La Direction de l'Artillerie règne en-
core sur la salle d'armes. Celle-ci est
une des curiosités qu'on ne manque pas
de montrer aux visiteurs de nos arse-
naux. Dans une ou plusieurs grandes
salles sont réunis les fusils, mousque-
tons, revolvers, baïonnettes, etc., qui
serviraient, le cas échéant, à armer les

équipages des navires en réserve. Na-


turellement, toutes ces armes sont soi-

gneusement rangées dans un ordre par-


fait qui donne à la salle un aspect
guerrier particulier. Mais on a eu soin
en outre de garder aussi toutes les

armes, ou du moins
spécimens de des
toutes les armes, qui ont été mises entre
les mains de nos matelots depuis qu il
FIG. 18. — Reliques des temps passés. Vieux vaisseau en bois
servant de caserne flottante. existe une marine française ; on a con-
slitué ainsi une sorte de musée extrême-
ment curieux, non seulement par la variété des instruments de combat qu'on y
trouve, mais aussi par leur arrangement auquel s'est livrée l'ingéniosité des armu-
riers. C'est ainsi qu'on y voit des palmiers, des lustres, des panoplies aux formes
les plus variées et les plus inattendues, confectionnés avec des baguettes, des chiens
de fusil, des pièces d'armes de toutes sortes ; les grappins qui servaient à maintenir
le vaisseau abordé, les grenades à mains que les gabiers perchés sur les vergues
faisaient pleuvoir sur le pont de l'ennemi pour y désorganise? la résistance, au mo-
ment où les pelotons d'abordage, massés sur le gaillard d'avant et les bastingages, se

préparaient à sauter à son bord.


Les travaux de construction et d'entretien des établissements divers qui constituent
l'arsenal : bassins, quais, ateliers, casernes, constructions de tous genres que l'on

(') Chapitre iv,


J6 LE PORT DE GUERRE

trouve dans son enceinte, sont confiés


spéciale aune
qui porte le nom deDirection
Direction des Travaux hydrauliques et à la tête de laquelle sont placés des ingénieurs
des Ponts et Chaussées, temporairement détachés au service de la marine.
Un directeur des mouvements du port, officier supérieur de la marine, est chargé
d'assurer la sécurité, à tous points de vue, des navires amarrés dans l'arsenal, soit que
ces bâtiments aient à s'y mouvoir d'un quai à un autre, qu'ils doivent se rendre au
bassin de radoub, entrer dans l'arsenal ou en sortir, soit qu'ils attendent, en réserve,
une destination.
Il a sous ses ordres, pour faire exécuter ces mouvements, exercer une surveillance
assidue, outre un certain nombre d'officiers, un corps spécial de marins, nommés
vétérans, particulièrement entraînés à ce genre de manoeuvres et de travaux souvent
délicats qui consistent a taire évoluer au moyen d amar-
res,dans des passes étroites et des espaces resserrés,
des cuirassés d'énorme masse.
La grande préoccupation du directeur des mouve-
ments du port, c'est l'incendie. Tous nos arsenaux da-
tent de longtemps. Les très vieilles constructions,

presque toujours entassées dans un espace trop resserré,


s'offrent au feu dans les meilleures conditions pour de
grands désastres.
D'autre part, les navires désarmés, en réparation ou


en réserve, les vieilles coques en bois dont on trouve
FIG. 19. Un grappin d'abordage.
encore quelques exemplaires comme pontons, les ma-

gasins, pleins de matières dont beaucoup sont très inflammables, constituent égale-
ment des éléments d'incendie bien dangereux, en raison surtout de l'armée d'ou-
vriers, souvent fumeurs peu prudents, qui parcourt sans cesse les constructions,
navires et magasins.
Et, en fait, les incendies sont fréquents dans nos arsenaux, ou tout au moins les
commencements d'incendie. Un corps spécial de pompiers est affecté à chaque arsenal ;
aidés de fortes pompes à vapeur ils arrivent en général à temps pour les combattre.
les grands sinistres n'y sont malheureusement
Cependant pas assez rares. C'est ainsi
que ces dernières années ont vu deux importants incendies éclater dans l'arsenal de
Toulon. Le premier a détruit les vieilles et pittoresques constructions où se confec-
tionnaient autrefois les cordages, le second les cales de construction édifiées par
Vauban les vaisseaux en bois et qui avaient d'ailleurs
pour perdu toute valeur à ce

point de vue.
Le service des vivres
occupe une place importante dans l'arsenal. C'est la consé-

quence du fait que l'Administration de la Marine doit pourvoir à la nourriture de tous


les équipages présents au port et à l'approvisionnement des navires armés. Ceux-ci ont

généralement à bord six mois de vivres qui comprennent les denrées les plus variées.
Les navires présents sur rade ou dans le port font prendre tous les matins dans
l'arsenal les vivres frais de la journée. Chacun d'eux détache à cet effet une embar-
cation, le canot des vivres, dans lequel on entasse les quartiers de viande et les sacs
LE PORT DE GUERRE

de pains délivrés par l'administration au maître commis aux vivres. Il ne faut d'ailleurs

pas confondre ce canot chargé des vivres officiels avec la pittoresque poste aux choux.
Cette appellation bizarre autant que traditionnelle à l'embarcation, petite
s'applique
ou grande, mise à la disposition des cuisiniers, maîtres d'hôtel, agents de service des
différentes tables d'un navire pour aller prendre à terre les denrées diverses qui figu-
reront aux
repas du jour sous des formes
ou moins habilement
plus variées.

Pittoresque tous les jours, le retour à bord de la poste aux choux l'est plus

particulièrement encore quand le bâtiment se trouve en pays lointain. L'embarcation


est alors remplie de fruits, légumes, animaux exotiques aux formes, à la couleur, à

Fin. 20. — La poste aux choux.

l'arome étranges; de fleurs brillamment colorées, car, pour être marin, on n'en est

pas moins sensible au charme de la fleur.


Ce goût se manifeste d'ailleurs souvent dans les chambres ou au carré des
officiers par des essais de culture décorative
qui prospèrent jusqu'au jour où des
embruns salés, projetés par un coup de vent, viennent anéantir les espoirs floraux.
En me basant sur une longue et patiente expérience, je recommande, à ce point
de vue, à mes futurs camarades, la culture de la patate. Placée en suspension dans
une noix de coco remplie d'eau, elle pousse rapidement un feuillage épais, dont la
verdure peut rappeler pour les imaginations fertiles les forêts lointaines et les parcs
ombreux.
Mais à la poste aux choux, dont le retour présente
revenons son intérêt maximum
les jours où on doit appareiller pour une traversée de quelque durée. Dans la
chambre (') du canot s'élève alors une pyramide, une montagne de victuailles. Les

Partie arrière de l'embarcation où se trouvent les bancs sur s'asseoient les passagers.
( 1) lesquels
28 LE PORT DE GUERRE

légumes les plus divers voisinent avec la volaille de toutes plumes dont les cris d'effroi
se mêlent aux bêlements des moutons, des cabris liés par les pattes ou aux grogne-
ments suraigus de petits porcs ahuris. Sur le tout s'entassent régimes de bananes,

paniers de mangoustans, sacs-de glace, dans un désordre affreux qu'accentue encore


le roulis de l'embarcation.
Un directeur du service de Santé, médecin en chef de la marine, s'occupe, dans
l'arsenal, de constituer les approvisionnements et d'assurer aux bâtiments la déli-
vrance des médicaments et ustensiles médicaux divers que les règlements allouent
aux navires.
C'est
également sous sa surveillance que les médecins de la marine en service à
terre donnent dans les grands hôpitaux, dont chacun de nos ports possède au moins
un exemplaire, les soins les plus éclairés et les plus paternels aux marins et géné-
ralement à tout le personnel de la Marine.
Comment ne pas placer ici l'expression du regret qu'a provoqué parmi nos matelots
la disparition des religieuses qui remplissaient dans-nos hôpitaux avec tant de dévoue-
ment, tant de douceur, tant de bonne grâce, leur admirable mission de charité.
Nos arsenaux d'outre-mer sont organisés sur le même principe ceux de la
que
métropole ; on y retrouve les mêmes services, les mêmes directions, mais le tout est,
comme il convient, réduit dans une proportion relative à l'importance de l'établis-
sement.
L'ensemble de nos arsenaux
métropolitains emploie 21 060 ouvriers répartis
comme il suit : Cherbourg : 3 5oo, Brest : k 770, Lorient : 3 7/10, Rochefort : 2290,
Toulon : 5 260, Bizerte : 1 5oo (1).
Les usines
de Guérigny, où sont montés les canons de. marine, et d'Indret,
où sont construites les machines des navires, appartiennent également à l'administra-
tion de la marine. Elles emploient, la première 845, la seconde 1 3io ouvriers.
Ces ouvriers, divisés en équipes, exécutent les travaux de tous genres ordonnés par
les ingénieurs des Constructions navales sous la surveillance d'un personnage qui
est tout simplement un contremaître, ou un chef ouvrier, mais que le besoin du dé-
corum propre à notre caractère national a fait baptiser de l'appellation pompeuse
d'agent technique. La filière est la suivante :
Ouvrier ; chef ouvrier ; agent technique ; surveillant technique ; chef surveillant

technique ; adjoint technique : adjoint principal technique.


On se plaint beaucoup et ajuste titre du rendement du travail des ouvriers des
arsenaux. Il est certain que, dans quelques ports tout au moins, il est tombé depuis
quelques années à bien peu de chose. Pour essayer de justifier ce manque de zèle, les
ouvriers invoquent la médiocrité, réelle d'ailleurs, de leurs salaires. L'Étal, de son
côté, fait ressortir que l'infériorité des soldes de ses ouvriers des arsenaux compa-
rées à celles des corporations semblables qui travaillent pour l'industrie, est com-

pensée largement par les avantages qui accompagnent les salaires et dont les princi-

(') Nos arsenaux d'outre-mer emploient, en outre, environ 6 ooo ouvriers dont une bonne partie sont des
indigènes.
I.E PORT DE GUERRE 2g

paux sont : retraite assurée, pas de chômage, soins médicaux et exemption du rappel
sous les drapeaux en cas de guerre. Cette dernière disposition est un peu étonnante
à première vue, puisqu'elle constitue une dérogation à ce principe sacré que tout

Français en état de porter les armes doit les prendre quand le drapeau est engagé.
Elle s'explique cependant par le fait que le temps de guerre sera une période d'ex-
trême activité pour les arsenaux maritimes où devront s'exécuter le plus rapidement

possible l'armement, la mobilisation, les réparations, le ravitaillement de navires qui


iront au feu et en reviendront. Il est d'ailleurs prévu que, dans ce cas, les ouvriers
des arsenaux seront militarisés, c'est-à-dire j^lacés exclusivement sous le régime mili-
taire avec tous les devoirs et obligations disciplinaires et autres que ce mot com-

porte.

CONSTRUCTION, LANCEMENT ET AMENAGEMENT DU NAVIRE

La construction d'un navire de guerre de nos jours


est, surtout, un travail de

montage. Lorsque les plans du bâtiment, établis par les ingénieurs des Construc-
tions navales, étudiés et approuvés par les bureaux techniques, sont définitivement
achevés dans leur ensemble et dans leurs détails, on commande aux grandes usines
métallurgiques les fers, tôles, plaques de cuirasses, etc., nécessaires. A l'appui de
ces commandes, on fournit à ces usines les dessins et épures qui leur permettront de
donner à toutes ces pièces non seulement leurs dimensions exactes, mais aussi leur
forme, leur cintrage parfois si compliqué.
Pour arriver à leur fournir des données précision d'une
minutieuse, on dessine
le bâtiment à ses dimensions réelles, sur le plancher d'une immense salle que possède

chaque arsenal et qui se nomme salle des gabarits. Chaque pièce, chaque tôle,

chaque membrure devant entrer dans la confection du navire y est tracée en plan et
en élévation, à la place exacte qu'elle doit occuper et c'est sur celte épure grandeur
nature qu'on relève les dessins et plans cotés de détail qui sont envoyés aux fournis-
seurs. -,
Lorsque toutes ces pièces ont été confectionnées ou même au fur et à mesure de
leur achèvement, elles sont
expédiées vers l'arsenal où il a été décidé que le navire
serait construit, et les ouvriers en entreprennent le montage.
La construction du navire consiste donc surtout à river ensemble les innombrables

pièces que les voies ferrées déversent chaque jour à pied d'oenvre. Aussi un vacarme
infernal s'élève-t-il de l'énorme hangar sous lequel on abrite la construction, ou JDIU-
tôt les ouvriers qui s'y livrent. Ce tapage provient des centaines de machines à
river (') actionnées par l'électricité et dont le martellement extra-rapide produit
l'effet d'un roulement sur un tambour gigantesque. Dans ces conditions, toutes les

(') L'opération de river consiste à lier ensemble deux plaques de tôle, j)ar dos rivets, sortes de chevilles
en métal qu'on introduit à chaud dans les trous pratiqués sur les bords des deux tôles à unir, et dont on mate les
deux extrémités à coups répétés do marteau, de façon à produire de chaque côté un bourrelet en forme de
champignon.
3o LE PORT DE GUERRE

pièces étant prêtes d'avance, le montage du navire s'opère rapidement. C'est ainsi que
les constructeurs anglais, supérieurement outillés il est vrai, arrivent à monter des
bâtiments de 18 à 20000 tonnes en huit ou neuf mois. Nos chantiers se sont d'ail-
leurs, à ce sujet, piqués d'honneur et la construction de nos derniers cuirassés, du type
Danton, a constitué, au point de vue de la durée du travail, un progrès considérable.
Ces navires ne sont pas restés plus d'un an sur cale.
Il faut dire, en outre,
pour être très véridique, qu'au moment où on le met à l'eau,
le navire, chez nous comme ailleurs, est loin d'être terminé, même en ce qui con-
cerne la coque. Il ne comprend souvent, à ce moment, que la partie inférieure jus-
qu'au pont cuirassé supérieur ; le reste se monte ensuite, pendant la période dite
d'achèvement à flot.
On agit ainsi pour plusieurs raisons, dont les principales sont d'abord qu'il y a
intérêt a dégager le plus tôt

possible la cale de construc-


tion, puis qu'on cherche à
ne pas dépasser pour le

poids du navire avant sa


mise à l'eau, la limite au
delà de laquelle on risque-
rait de provoquer des affais-
sements de la cale ou des
avaries au moment du lan-
cement si la marée était trop
FIG. 21. — Le Voltaire lancé sans son pont supérieur.
AB, can supérieur de la cuirasse. forte.
CD, can inférieur.
Ce qui reste à achever à flot est figuré en grisé. C'est ainsi que nos der-
mers cuirasses, qui peseui
18000 tonnes tout armés, n'en pesaient que 7000 environ au moment de quitter
leur cale.

Quoi qu'il en soit, lorsque la coque, toute vide, le chaudron, pour employer le
terme adopté par les constructeurs, est arrivée au point d'achèvement qu'on a déter-
miné, on prend les dispositions pour le lancement.
Cette opération est un des spectacles les plus impressionnants voir.
qui se puisse
Aucune, peut-être, ne donne une plus frappante et plus complète idée du génie de
l'homme.
En quelques secondes, une masse énorme, haute comme nos plus hautes maisons,

longue de 200m, large de 3om, lourde de 7 ou 8 millions de kilogrammes, quitte, au


moment précis que lui a fixé la science humaine, l'abri où elle a été édifiée, glisse
devant nos yeux avec une surprenante facilité et gagne, sans dépasser dans son mouve-
ment la vitesse assignée, l'élément où s'écoulera son existence et sur lequel elle fera
fièrement flotter le pavillon de la Patrie.
La première précaution d'un architecte naval chargé de la construction d'un navire
sera de calculer très minutieusement l'inclinaison à la .cale, sou-
qu'il devra donner
bassement en maçonnerie sur lequel le bâtiment sera construit.
LE PORT DE GUERRE àl

Il est facile en effet


de comprendre l'importance de ce point. Si la pente est trop
faible, et telle qu'elle ne compense pas les frottements dus au poids de la lourde

coque, celle-ci refusera peut-être de quitter son chantier, ce qui sera très fâcheux.
Si au contraire l'inclinaison est trop forte, on peut craindre que, dans le cours de
la construction et le jour où le poids du bâtiment atteindra une valeur suffisante,
celui-ci, brisant toutes les entraves, ne procède de lui-même à un lancement aussi

prématuré que désastreux.


Sans aller jusqu'à cet accident, une déclivité
trop prononcée pourrait en provoquer
un analogue au moment du lancement réel et

compliquer beaucoup les suites de l'opération, en


raison de la grande vitesse de cette masse énorme.
La pente varie suivant les circonstances. Elle
est en moyenne de /jo à 8onim par mètre.
Cet élément si important étant déterminé avec
le soin qu'il mérite, la cale est établie et la con-
struction du navire commence. De grandes grues
aux longs bras, placées à proximité du chantier,
ou mieux encore un ou deux ponts roulants qui
se promènent sur des rails le long de la cale,
amènent au-dessus de la position qu'elles doivent

occuper les pièces diverses de la membrure, de la

quille, les innombrables plaques de tôle que les


riveuses électriques assemblent aussitôt.
Ces tôles sont unies les unes aux autres suivant

plusieurs dispositions. On peut les juxtaposer


FIG. 22. — Un étambot de cuirassé. tout simplement. Elles sont alors assemblées à

franc-bord et unies par une bande de tôle de faible

largeur, qui couvre le joint et qu'on rive sur chacune des plaques.
D'autres fois, on les dispose de telle sorte que le bord de la plaque supérieure
vienne recouvrir celui de la plaque inférieure. Elles sont alors rivées directement
l'une à l'autre. C'est le système d'assemblage à clins.
Les parties extrêmes de l'avant et de l'arrière doivent présenter
(étrave) (étambot)
des garanties particulières de solidité. Elles constituent les deux bouts de l'énorme

poutre métallique creuse que forme en réalité le navire et doivent pouvoir résister aux
efforts que le bâtiment aura à supporter, dans ces deux directions.
principalement
L'étrave, particulièrement, est exposée à recevoir des chocs provenant d'abordages,
et il est nécessaire sans faiblir. Quant à l'étambot, il ser-
qu'elle puisse les supporter
vira de point d'attache au gouvernail, sur lequel d'énormes s'exerceront à
pressions
tout instant. Les hélices lui infligeront en outre des vibrations multipliées, auxquelles
il doit être en état de résister.
Pour ces motifs, l'étrave est faite d'une seule pièce d'acier forgé sur laquelle vien-
nent se raccorder les membrures de la quille, les virures du bordé et la cuirasse de
la flottaison et de l'avant.
32 LE PORT DE GUERRE

L'étambot, en raison de sa forme extraordinairement contournée, ne peut être fait

d'un seul morceau. On le confectionne en trois pièces qu'on boulonne ensemble.

On emploie l'acier forgé ou moulé.


Sous les flancs du navire, à quelques mètres de distance de la quille centrale, on
une autre quille en bois, dont le but est de protéger les tôles
place de chaque bord
des flancs en cas d'échouage. De plus, sur la partie immergée de la coque qui se

trouve le plus loin de l'axe du navire, on fixe encore de chaque côté une quille de

roulis destinée à réduire des mouvements transversaux. Ces quilles sont


l'amplitude
des espèces d'ailerons rigides dont la largeur atteintun mètre pour les grands navires
et qui s'étendent sur la moitié de la longueur du bâtiment.

On comprend aisément, sans qu'il soit utile d'insister, le rôle que jouent ces

organes.
Au total, on voit les grands navires modernes portent cinq quilles. Toutes
que
ces pièces, en saillie
au dehors de la co-

que, présentent des


inconvénients : elles

augmentent la résis-
tance à la marche,
créent des difficultés

pour les entrées aux


bassins de radoub,
etc. Mais on estime

que les services qu'el-


les rendent justifient
néanmoins leur pré-
sence.
Sur les membrures
ou couples, on place
FIG. 23. — Les cinq quilles d'un navire moderne.
extérieurement le re-
vêtement en tôle,
que l'on assemble comme je l'ai expliqué et qui s'appelle le bordé.
Ce bordé constitue la partie essentielle de la coque parce qu'il forme la liaison longi-
tudinale du navire, qui est, somme toute, je l'ai déjà dit, une poutre creuse rigide.
Comme cette poutre est très haute et très longue, il y a intérêt pour contrebalancer
les efforts de flexion, à donner
plus de force aux deux bords supérieurs et inférieurs
de la poutre. C'est pourquoi les tôles du bordé sont généralement d'une épaisseur
double dans les fonds du navire et à la hauteur du pont supérieur.
Avec les anciens navires en bois, cette
question si importante de la résistance à la
flexion était difficile à résoudre. On doublait celle qu'offrait le bordé extérieur appli-
qué sur les couples, par un autre revêtement qu'on de ces couples clouait à l'intérieur
et qu'on appelait le vaigrage.
Les couples étaient ainsi pris entre deux plans de pièces de bois. L'emploi des tôles
d'acier a permis de se passer du vaigrage, en grande partie tout au moins, et aujour-
LE PORT DE GUERRE 33

d'hui, ce revêlement intérieur ne se place plus que dans les fonds du navire et sur
une partie seulement de sa longueur.

Depuis quelques années, on s'est préoccupé de rechercher scientifiquement les


formes qu'il convenait de donner aux carènes des navires pour les mettre dans les
meilleures conditions de vitesse. On a créé, à cet effet, des bassins munis d'un outil-

lage spécial et très ingénieux où on mesure la résistance de l'eau sur des modèles
de coques en paraffine. On arrive ainsi à déter-
miner les formes de coque qui se prêtent le
mieux au mouvement.

Presque toutes les marines possèdent des


bassins d'essai des carènes, qui ont permis de
faire dans cet ordre d'idées des progrès surpre-
nants.
Celui de la marine française est situé à Paris.

La construction du navire s'achève. Le chau-


dron, plus ou moins complet, suivant le poids

auquel on s'est arrêté, se dresse sur la cale, sup-

porté par les tins et par la forêt d'accores qui


ont été placées sous ses formes arrondies au fur
et à mesure que la construction s'avançait. Sur
ses flancs, à la hauteur que l'eau atteindra, une

large bande de bois le couvre ; c'est le matelas


en chêne ou en teck sur lequel on posera plus
tard les plaques de cuirasse qui arriveront toutes
FIG. 26. — Cuirassé sur cale avant le lancement.
prêtes des usines où elles ont été fondues.
Le jour choisi pour le lancement approche.
On fait au navire sa première toilette. Ses énormes flancs, sous lesquels disparaît une

armée d'ouvriers, sont peints d'une


jolie couleur verte ; la partie de la coque, au
au-dessus de l'eau, est passée au minium.
contraire, qui doit rester
Des guirlandes de feuillage, de nombreux pavillons nationaux décorent le vaste
dort encore. Le navire lui-même en est habillé.
hangar sous lequel le monstre
Des tribunes sont dressées le long de la cale pour recevoir les personnages officiels,
avide de ce spectacle se presse, s'en-
tandis que la foule, toujours impressionnant,
tasse dans les espaces restés libres et sur toutes les hauteurs d'où on peut apercevoir

quelque chose.
Pour ce jour-là, l'accès de l'arsenal, rigoureusement interdit d'habitude-, est ouvert

à tout venant. Des troupes échelonnées empêchent cependant les curieux de vaga-

bonder là où ils n'ont que faire.


Les procédés actuellement pour le lancement des navires peuvent se
employés
ramener à deux types, le lancement sur quille ou sur savate, le lancement sur

berceau.
Dans le premier le bâtiment repose, par sa quille, garnie d'une pièce de
système,
SAU VAIKE JOURDAN. 3
34 LÉ PORT DE GUERRE

bois nommée savate, sur une coulisse qui constitue une sorte de rail sur lequel la
savate et le navire glisseront au moment du lancement. Une forte couche de suif
mélangé à du savon est interposée entre
la savate et la glissière (').
Le navire est, en somme, en équilibre sur cette coulisse, ce qui, à première vue,
paraît assez dangereux. Mais toutes les précautions sont prises pour éviter le chavire-
ment. Outre
que la coulisse par sa largeur de ira,8o environ offre une assiette suffi-
sante, et que les poids à bord sont mathématiquement distribués de part et d'autre
de l'axe, on place encore sous les quilles latérales dont j'ai parlé
plus haut, deux

FIG. 25. — Lancement sur savate.

M, agrafe de la savate avec la maçonnerie de la cale. — S, trait de scie de la savate.


Sous le ventre du navire «ont disposées les clés de retenue (fig. 27).

dont ces quilles restent ou quatre centi-


écartées de trois
glissières supplémentaires
mètres. Si aucun incident ne se produit, ces supports restent inutilisés, mais si au
cause
contraire il arrivait que le bâtiment s'inclinât pendant la descente, par une
fortuite, telle que le vent violent soufflant du travers, un effort dissymétrique occa-
sionné par l'eau au moment où l'arrière du navire y pénètre, la coulisse du bord
intéressé viendrait au contact de la fausse quille et maintiendrait la stabilité du

système.
Dans le second procédé, le navire s'en va vers la mer, non plus sur un seul rail,
mais sur deux, espacés de quelques mètres l'un de l'autre. Il repose sur les chemins
de glissement par l'intermédiaire d'une sorte de berceau en madriers qui épouse

On use de 8 à ooookB de ce mélange la mise à l'eau d'un cuirassé.


(') pour
LE PORT DE GUEHRE 35

étroitement ses formes à l'extrême avant et à l'extrême arrière et sur il est


lequel
solidement maintenu par son poids.
Dans ce cas, il n'y a aucune crainte à avoir 230ur la stabilité, et à ce point de vue,
ce système, offrant une sécurité semblerait devoir être préféré au pré-
plus complète,
cédent. Mais celui-ci l'emporte par son extrême simplicité et son économie, contre
lesquelles ne prévalent pas les chances d'accident, d'ailleurs si minimes, qu'il paraît
présenter.
Pour retenir le navire sur sa cale jusqu'au moment voulu, on emploie un certain

FIG. 26. — Lancement sur berceau.

nombre de moyens communs aux deux procédés. Ce sont d'abord les accores, puis
des verrous de retenue, des clés, et des tins secs ou de sable.
Les verrous sont
des doigts dans des mortaises
sur
métalliques engagés pratiquées
quelqu'une des pièces de bois, berceau, savate, qui font corps avec le navire et qui
s'opposent à son mouvement. Ces verrous se manoeuvrent et sont
hydrauliquement
retirés, le moment venu, en faisant tourner des manettes placées près de l'ingénieur
chargé des opérations.
Les clés agissent de la même manière. Ce sont de simples arcs-boutants portant
par une de leurs extrémités sur le sol, butant par l'autre contre la savate ou le ber-
ceau. On les fait tomber à coups de masse lorsque l'ordre en est donné.
Les tins secs sont des pièces de bois cubiques que l'on encastre de distance en dis-
tance dans des coulisses sectionnées à cet effet. Ces tins, l'on ne suiffe
que pas, font
36 LE PORT DE GUERRE

au dernier
frein par adhérence. On les enlève à coups de masse également moment
et on supprime ainsi la résistance qu'ils présentaient au mouvement.
Les tins de sable, invention toute moderne, agissent de la même façon, seulement
le frottement du bois est remplacé par celui du sable que contient une sorte de caisse
cubiaue en tôle à narois
mobiles. Ce sable, forte-
ment comprimé dans cette
boîte, en déborde légère-
ment et subit le portage
de la quille. Pour faire

disparaître ce frottement,
on écarte, au moyen de
leviers ad hoc, les parois
de la boîte dans laquelle
le sable s'affaisse et dispa-
raît.
Le moment fixé pour le
lancement approchant, on
FIG. 27.
— Les clés qui retiennent le navire sur sa cale.
procède à l'enlèvement
C, clé. P, butée (i\éc au flanc du navire.
L, sens du lancement. A, sens d'abatage de la oM. méthodique des accores,
en les faisant tomber sv-

métriquement de chaque côté du navire. Des équipes d'ouvriers munis de masses


se postent à cet effet au pied de ces arcs-boutants et, sur un roulement de tambour
ordonné par l'ingénieur chargé du lancement, font sauter les coins qui les retiennent.
La bonne exécution de
cette opération a une

importance considérable,

parce qu'en fait, c'est

quand on enlève ces ma-


driers que le bâtiment
vient reposer sur les che-
mins de glissement, et il
est de toute nécessité que
le mouvementde descente,
deux ou trois
qui atteint
centimètres, se produise
dans de bonnes conditions
et tout à fait verticale- FIG. 28. — Détails d'un tin sec.

ment.
Enfin, lorsque l'heure précise fixée pour la mise à l'eau est arrivée, on supprime

rapidement les clés, les tins secs ou de sable, on rentre les tenons des verrous de

retenue, et dans le cas de lancement sur quille, on scie la savate, dont l'extrémité est

maintenue en tête de la cale, dans un massif de maçonnerie.


LE PORT DE GUERRE 37

Le plus généralement, le bâtiment dès qu'il est délivré


se met en route de ses der-

nières entraves. Souvent même, impatient de s'élancer, il n'attend pas que la savate,
sciée. Il en arrache les dernières fibres avec
quand il y en a une, soit entièrement
une violente détonation.
Mais il arrive aussi qu'on
est obligé de produire ar-
tificiellement le premier
pas du navire ; cet inci-
dent est prévu et on tient
tout prêt pour y parer, un

puissant vérin hydraulique


dont le piston est appliqué
contre l'étrave ; on dé-
colle ainsi le navire qui se
met en route vers la mer.
C'est alors qu'éclate un
enthousiasme, une sorte
— Lancement du navire.
de délire dont, si blasé FIG. 29.

qu'on soit, il est vraiment


du suif et
difficile de se défendre. Dans un nuage de fumée
produit par réchauffement
la combustion des poutres sous le frottement énorme, le navire glisse
quelquefois
au milieu des cris de joie, des applaudissements, des fanfares, dé-
majestueusement,
ferlant dans le vent les plis des pavillons qui le couvrent.
L arrière écarte la mer, la
refoule, la soulève ; forcée
de recevoir brusquement un
hôte aussi colossal, celle-ci
ondule comme après une
tempête et, sortant de ses li-
mites, envahitla côte opposée.
Les embarcations, char-
gées de curieux et de cu-
rieuses, secouées par les va-
gues, s'entrechoquent, se
remplissent à moitié; les cris
d'effroi se mêlent aux accla-
mations; les chapeaux, les
écharpes s'agitent et saluent
le premier pas de ce navire,
qui peut-être porte dans ses
FIG. 3O. — Détails d'un verrou hydraulique de retenue. flancs de grandes destinées.
L, sens du lancement. Q, une do» quilles latérales.
FQ, fausse quille. Cu, couette vive.
Puis les oscillations des
Cm, couette morte ou glissière. du verrou
la foule s'é-
G, cylindre hydraulique. eaux diminuent,
coule, et la mer, rentrée dans
son lit, caresse paisiblement la carène dont le premier embrassement avait été si impétueux (').

E. PACINI, La Marine, i844-


(•)
38 LE PORT DE GUERRE

Mais hélas ! tout ne se passe pas toujours aussi correctement et aussi joyeusement.
Une opération où entrent en jeu des forces colossales que l'homme doit tour à tour
déchaîner et maîtriser, ne va naturellement pas sans quelques aléas. Des incidents
malheureux viennent quelquefois déjouer les calculs des ingénieurs.
Il en est un dont on a vu plusieurs exemples. Il consiste dans l'arrêt du navire

pendant le lancement.
La marine française compte trois ou quatre de ces arrêts. Le dernier en date et
le plus fameux, en raison de la qualité du bâtiment, se rapporte au cuirassé Danton,
dont la mise à l'eau, à Brest, échoua une première fois le 22 mai 1909, par suite, a-t-on
dit, de la fonte prématurée du suif qui laissa en contact immédiat la savate et la
coulisse de glisse-
ment ; mais aussi

peut-être parce que


l'inclinaison de la
cale avait été calculée
un peu juste (55mm
par mètre).
Si fâcheux que soit
cet accident, il n'est

pas d'exemple, je
crois, qu'on n'ait pas
finalement réussi à
mettre à l'eau les
navires récalcitrants.
Mais c'est au prix
d'un effort considé-
FIG. 3I. — Lancement avec bouclier de retenue.
rable, puisqu'il faut

recommencer tout le travail préparatoire de la mise à l'eau, et notamment soulever


le navire, au des accores, pour refaire le graissage des pièces qui doivent
moyen
glisser les unes sur les autres.
Un autre genre d'accident, plus fâcheux encore, est celui qui s'est produit en
à Castellamare, au lancement d'un grand paquebot, Princesse-Yolande. Le
1907,
navire gagna l'eau le plus facilement du monde, lesté, il cha-mais, insuffisamment
vira aussitôt et coula sur le fond, d'où il ne fut jamais possible de le relever.
11 est fort rare qu'on dispose, en avant delà cale, d'une étendue de mer suffisante

pour laisser aller le navire aussi loin que l'entraîne son élan, mais quand cette con-
dition se présente, le spectacle prend toute sa beauté. de course,
Le bâtiment, à bout
mouille alors une ancre, sur laquelle il attend les remorqueurs qui le mèneront au

quai. Mais, le plus souvent, il faut l'arrêter dans un espace assez court, au moyen de

procédés mécaniques.
arsenal, chantier de construction agit, à ce sujet, suivant ses
Chaque chaque
habitudes prises en raison des dispositions des lieux.
Un frein très énergique est constitué par un masque en bois, sorte de bouclier de
LE PORT DE GUERRE
39

3o à ^o mètres que l'on fixe transversalement


carrés sur l'étambot du navire, et

qui s'oppose à sa marche dès qu'il entre dans l'eau.


A Brest, où on dispose de peu de place, on emploie le bouclier concurremment
avec les oosses cassâmes.
Ce sont des amarrages fixés
de place en place sur les
chaînes de retenue du na-
vire, et qui se brisent suc-
cessivement à mesure que
ces chaînes se tendent.
Ces bosses sont en général
au nombre d'une ving-
taine.
Un autre procédé d'ar-
rêt consiste dans l'emploi
de poids qui traînent à
terre à mesure que le na-
FIG. 3a. — Les bosses cassantes servent à arrêter l'élan du navire.
qui
vire s'éloigne. Ces traî-
neaux sont presque tou-

jours des paquets de chaînes dont le frottement sur le sol est considérable.
Enfin, il reste encore, pour arrêter l'erré d'un navire la ressource
trop fougueux,
de radeaux ou de drômes que l'on place sur le parcours du bâtiment et qui, entraînés

par fui, otlrent une résis-


tance énergique.
Lorsqu'il est nécessaire

que le bâtiment ne puisse

pas dévier de la ligne


droite, on le guide au mo-

yen de deux aussières (')

parallèles fixées d'une part


en tête de la cale, d'autre

part sur la rive opposée.


Ces câbles traversent le
bâtiment de bout en bout
et forment comme deux
rails le long desquels il
FIG. 33. — Les paquets de chaînes.
A, B, points d'attache de la chaîne destinés à être rompus successivement.
glisse.
P, point fixe.
(.Cet appareil est installé -sur les doux bords.) Dès
qu'il a été mis à
l'eau, le navire de guerre
entre dans la période d'achèvement à flot, à laquelle succédera celle des essais, puis
l'entrée officielle dans les rangs de la flotte.

(') Une aussi'ere est une corde de fort diamètre, très employée pour l'amarrage des navires et les manoeuvres
de force, Elle est faite de brins de chanvre ou d'acier.
Ao LE PORT DE GUERRE

C'est l'achèvement à flot se fait l'installation à bord du matériel


pendant que
considérable et de tout ordre qui lui permettra de naviguer et de combattre.
Les machines ont été construites et montées dans des usines de l'Etat ou particu-
lières ; elles arrivent à l'arsenal
parles voies ferrées. Leur montage s'opère par les
soins des ouvriers et sous la surveillance des ingénieurs des maisons qui les ont con-
struites et qui en garderont la responsabilité complète jusqu'au moment où les essais,
exécutés sous les yeux d'une commission dite de recette, auront démontré qu'elles
remplissent de tous points les condi-
tions inscrites au cahier des charges.
Les chaudières, généralement four-
nies par l'industrie, sont introduites
au moyen d'une des grues puissantes
de l'arsenal, par la vaste ouverture
ménagée dans les ponts du cuirassé.
Elles prennent leur
place, soigneu-
sement indiquée par les plans, dans
les rues des chaufferies, dont elles
forment les façades. On les lie soi-

gneusement les unes aux autres et

plus soigneusement encore au fond


du bâtiment avec lequel elles doivent
faire corps pour éviter qu'au roulis
ou au tangage, le réseau de tuyaux

qui s'échappe de leurs flancs ne fati-

gue et n'arrive à laisser fuir la vapeur


brûlante qu'ils renferment.
La Direction de l'Artillerie, con-
curremment avec celle des Construc-

FIG. — Cuirassé son artillerie. tions navales, s'occupe de la mise en


34. embarquant

place des tourelles, des canons et des


innombrables accessoires qu'ils comportent, pendant qu'une nuée d'ouvriers de toutes

spécialités travaillent dans tous les coins de la coque aux mille installations que
comporte un navire de guerre.
Tous ces emménagements se font sous la direction générale d'un capitaine de vais-

seau, nommé au commandement du navire lorsque un certain degré d'armement est


atteint. Il est aidé par quelques officiers des spécialités, du canonnage, des torpilles,

qui veillent
à ce que chaque chose soit mise à sa place.
le moment où on songe à commencer les essais, le fournisseur
Lorsque approche
une vitesse déterminée, veut
des machines, qui s'est engagé à faire donner au bâtiment
le placer à cet effet dans les meilleures conditions possibles. Il demande donc qu'on
débarrasse la carène du navire des herbes et végétations marines qui l'ont envahie
les longs mois passés au repos dans les eaux stagnantes de l'arsenal.
pendant
En conséquence, on conduit le cuirassé au bassin de radoub où il sera mis à sec,
LE PORT DE GUERRE kl

sa quille reposant sur une série de blocs de bois le fond du


qui garnissent
bassin et sa coque soutenue de tous côtés des arcs-boulants sur les
par appuyés
parois.
Chaque arsenal possède un certain nombre de ces bassins de radoub ou cales
sèches, dans lesquels les navires de guerre doivent venir faire nettoyer leur tous
coque
les six ou sept mois
(').
Ce sont de vastes fosses étanches, aux
parois revêtues de maçonnerie, que l'on
ferme à volonté par une porte, une fois le navire entré, et que l'on assèche ensuite au
moyen de pompes puissantes.
Ces fermetures, sont constituées
qu'on appelle bateaux-portes, par un caisson
en tôle, capable de flotter librement et

que l'on coule au moment voulu, en in-


troduisant dans sa coque une quantité
d'eau qui s'évacuera automatiquement
quand le bassin sera vide. Les bords infé-
rieurs et latéraux du bateau-porte se logent
dans des feuillures dans les
pratiquées
parois des bassins du bas-
; lorsque l'eau
sin a été pompée, la porte est fortement

poussée dans son logement par le poids de


l'eau extérieure et fournit ainsi une étan-
chéité presque parfaite.
Lesgrandes dimensions atteintes par
les bâtiments de guerre et encore plus
par les paquebots modernes ( 2) ont rendu
nécessaire le creusement de bassins ca-

pables de les contenir. C'est une grosse


dépense à laquelle on s'est même décidé
un peu trop tard chez nous, puisque ac-
tuellement, au moment où quelques-uns


de nos cuirassés de 18 ooo tonnes se pré-
FIG. 35. Cuirassé en cale sèche.

parent à entrer en service, nous ne pos-


sédons encore que quatre formes de radoub en état de les recevoir, et encore ne
sont-elles utilisables que grâce à des travaux d'élargissement tardivement entre-

pris.
En creusant ces bassins immenses, on a prévu le cas où on aurait à y radouber
des navires de dimensions moindres. On a alors installé, dans la longueur du bassin,
un ou deux logements supplémentaires pour les bateaux-portes, ce qui permet, soit
d'éviter des frais de pompage en utilisant un bassin de longueur réduite, soit de
caréner à la fois deux ou trois unités de petites dimensions.

(') C'est le petit ; le s'exécute une fois an.


carénage grand carénage par
Les des différentes marines 1 de et les et
( 2) Dreadnought ont 170" longueur paquebots anglais Olympic Tita-
nic, 287 m.
ho. LE PORT DE GUERRE

La nécessité de nettoyer et repeindre fréquemment les carènes métalliques des


navires modernes a conduit à chercher, pour les mettre à sec, un appareil moins
coûteux que les bassins de radoub. On y est parvenu en imaginant des docks

flottants.
Ce genre de monument
se compose d'un caisson métallique horizontal, flanqué de
deux caissons verticaux construits sur les bords longitudinaux du premier. L'en-
semble de l'appareil peut être immergé en introduisant de l'eau dans les compar-
timents des caissons. On fait ainsi descendre l'ensemble du système à la profon-
deur voulue,
puis on amène le navire que l'on veut soulever sur le caisson
horizontal. On chasse alors, au moyen de pompes, l'eau de tous les compartiments
où elle a été introduite. La flottabilité du dock, calculée en conséquence, est
telle qu'en remontant il soulève le navire maintenu en équilibre au moyen d'arcs-
boutants.
Ce genre d'appareil a sur le bassin de radoub l'avantage d'un prix de revient très
intérieur, et aussi celui de
la mobilité. On en con-
struit actuellement qui
peuvent porter les navires
de guerre les plus lourds,
et on sait que certains
cuirassés actuels pèsent
25 ooo tonnes. Quelques-
uns de ces docks ont été

envoyés très loin du point


où ils avaient été con-
struits. C'est que le
ainsi
secrétaire de la Marine des
Etats-Unis n'a
pas hésité
FIG. 36. — Navire de guerre sur un dock llottant.
à envoyer, il y a quatre
ans, de New-York à Ca-

vite, dans la baie de Manille, un dock flottant de 200m de long, capable de soulever
20 000 tonnes. La traversée de ce navire étrange, autour de la moitié du monde,
s'est effectuéeà la remorque et sans aucun incident. On a même osé le faire passer

par le canal de Suez, où, en dépit de formes peu faites pour lui assurer une grande
rectitude de marche, il s'est fort bien comporté.
En France, nous n'avons
pas de grands docks, qui nous seraient cependant aussi
utiles qu'ils le sont à d'autres. En revanche, nous en possédons un certain nombre
de petits pour le carénage des torpilleurs.
Les grands docks flottants ont eux-mêmes besoin d'être carénés et repeints, sans

quoi les tôles immergées arriveraient vite à l'usure. On a adopté pour les nettoyer
une très ingénieuse disposition : ils sont sectionnés en plusieurs tronçons, dont cha-
cun est successivement mis au sec sur les autres.
LE PORT DE GUERRE 43

DÉFENSE DE L'ARSENAL

L'arsenal et sa rade doivent offrir un asile inviolable aux navires qui viendront s'y
reposer, s'y ravitailler en temps de guerre.
On se préoccupe donc de les entourer de défenses telles que l'ennemi ne puisse

songer à s'en emparer, ni même à y jeter le trouble par des bombardements à longue
distance. Tout un système de forts et de batteries détachés est installé à cet effet. De

plus, un grand nombre de canons de moindre


calibre sont placés dans les passes que des

torpilleurs pourraient essayer de franchir de


nuit. On éclaire
ces passes au moyen de pro-

jecteurs électriques qui, outre la facilité qu'ils


donneraient de canonner ces petits bâtiments,

aveugleraient encore leurs commandants au

point de rendre leurs reconnaissances impos-


sibles.
Mais, en plus des défenses placées à terre,
on installe encore des réseaux de torpilles, dites
de fond, qu'on peut faire éclater à volonté sous
la coque des bâtiments qui se présenteraient
au-dessus d'elles.
Ces torpilles sont de vastes récipients en
fonte, de forme
aplatie, reposant sur le fond,
et qui contiennent une charge de 25o à 700k(I
de fulmi-coton humide.
La déflagration de cette charge s'effectue par
FIG. 37.

Projecteur datis un réduit sur la côte l'intermédiaire d'une petite quantité de fulmi-
de torpilles de fond).
(observatoire
coton Darfaitement sec, renfermé dans une
boîte étanche placée au centre de la charge
humide. Deux conducteurs qui y pénètrent, produisent son inflammation, le mo-
ment venu, au moyen d'une amorce électrique.
Ces torpilles extrêmement puissantes sont disposées en travers du passage qu'elles
doivent barrer. On en mouille môme souvent deux lignes parallèles: dans ce cas, les

torpilles sont en quinconce, de façon à ne laisser subsister aucun chemin par lequel
l'ennemi pourrait, par l'effet du hasard, se glisser.
On estime que chacune de ces torpilles défend un cercle de trente-deux mètres. C'est
sur cette donnée qu'est basée la distance à laquelle on les place les unes des autres.
Le
système imaginé faire exploser à volonté ces engins terribles est fort
pour
ingénieux et mérite que nous nous y arrêtions un instant.
Le problème à résoudre est en effet assez délicat. Il s'agit de faire sauter la seule
dans le rayon d'action de laquelle Je navire ennemi se trouve et non une
torpille
44 LE PORT DE GUERRE

autre ; et cette situation n'est


pas facile à déterminer, étant donné que l'on ne peut
naturellement laisser flotter au-dessus de chaque torpille une bouée qui indiquerait
bien sa place, mais aurait l'inconvénient de la montrer aussi à l'ennemi.
Voici alors comment on procède (fig. 38).
On installe sur la côte deux postes, aussi bien dissimulés que possible, dont l'un
est placé sur le prolongement de la ligne des torpilles, c'est le poste extérieur, l'autre
sur la perpendiculaire à cette ligne, c'est le poste intérieur. Les conducteurs élec-

triques de toutes les torpilles passent par ces deux postes.


Lorsque le navire à torpiller approche de la ligne, il est surveillé par le poste inté-
rieur qui ferme le circuit de la tor-

pille dans le champ de laquelle il le


voit s'avancer. Le poste extérieur
lui, à qui le soin de provoquer l'ex-

plosion est réservé, suit également


la marche du bâtiment et lorsqu'il
le voit s'engager sur la ligne, il
ferme le circuit général. Par ce

moyen, le courant qui produit l'in-


flammation passe dans le circuit de
la seule torpille qu'il y ait intérêt à
enflammer.
Cette courte explication suffit à
démontrer la nécessité de bien ca-
cher à l'ennemi les postes où s'ac-

complissent ces manoeuvres.


Car son premier soin, s'il les

pouvait voir serait de les dé-


de loin,
truire àcoups de canon, avantde s'en-
FIG. 38. — Défense d'une rade deux de torpilles
par lignes
de fond.
gager sur les lignes de torpilles qui
seraient alors devenues inoffensives.

Quelques-unes des lignes de torpilles qui défendent l'entrée de nos ports de guerre
sont toujours prêtes. De temps en temps, le service des défenses sous-marines
les relève pour juger de l'étal dans lequel elles se trouvent ou renouveler la charge
de fulmi-coton.
La présence de ces formidables engins à l'ouverture de nos rades n'est pas d'ail-
leurs sans présenter quelque danger. C'est ainsi qu'il est arrivé à plusieurs reprises,
à Cherbourg notamment, que des torpilles ont éclaté sous l'influence de décharges

électriques orageuses. Heureusement, aucun accident grave n'en est résulté (*).
Il existe un autre système de torpilles destinées également à interdire l'approche
d'une côte à l'ennemi. Ce sont les fameuses torpilles de blocus, qui, sous le nom

(')Iln'ena pas été de même à Toulon, où, en août 1910, trois marins ont été tués par l'explosion d'une torpille
de fond relevait la visiter.
qu'on pour
LE PORT DE GUERRE 45

de mines sous-marines, ont tant fait d'elles au cours de la guerre russo-


parler
japonaise.
Le principe de leur fonctionnement est tout différent de celui des torpilles de fond.
sert d'ancre,
Betenues entre deux eaux par une corde ou orin et un poids qui
elles flottent à une hauteur telle que les coques des navires importants doivent les

choquer.
Sous ce choc un système mécanique se déclanche ; il provoque l'inflammation
d'une charge d'explosifs puissants qui, éclatant au con-
tact même de la coque, produit des effets désastreux.
Ce d'inflammation varie avec les systèmes
moyen
divers de torpilles employées par les différentes marines.
Avec les uns, c'est une boule que le choc fait sortir
d'une coupelle qui la soutenait, et qui tombant dans un
vide entraîne un cordon qui fait détoner une
espace
amorce.
Avec d'autres, la torpille, sphérique, porte sur sa ca-
de pointes dont chacune
rapace un certain nombre agit
sur un détonateur. D'autres, enfin, renferment dans un
tube en verre fragile, qui se rompt lorsqu'un corps étran-
la torpille, un acide qui en s'écoulant
ger vient heurter
sur une substance chimique produit la mise en feu de

l'engin.
Ces torpilles ne sont, en somme, que des modèles
FIG. 3g. — Schéma d'une agrandis des bombes à renversement ou à choc que les
torpille
de blocus. anarchistes de tous les pays affectionnent et dont ils font
F, charge de fulmi-coton.— G, G', vides
assurant la ftottabilité. — K, logement le plus détestable usage.
du mécanisme immobilisant la boule au
moment de la mise à l'eau. — O, chaîne
Les torpilles de blocus ont joué un rôle très important
reliait t la torpille au poids R qui repose
sur le fond. — P, boule en plomb qui, dans les opérations navales qui se sont déroulées devant
en tombant de la coupelle C, tire le fil
de mise de feu ; l'amorce A provoque
la Les
Port-Arthur au cours de guerre russo-japonaise.
l'explosion.

partis en ont fait un usage


deux considérable, les Busses
interdire aux Japonais l'accès des baies qui avoisinaient Port-Arthur, comme
pour
celles de Ta-Lien-Ouan et de Dalny, l'amiral Togo pour empêcher la sortie des cui-

rassés russes. Toutes les nuits, les torpilleurs nippons venaient semer leurs engins

destructeurs devant l'entrée de la rade et tous les jours des équipes de petits bâti-

ments russes, contre-torpilleurs ou


remorqueurs, traînant derrière eux des filets,

cherchaient à les faire éclater et à déblayer ainsi un chenal où les bâtiments de

combat ensuite s'engager sans trop de danger.


pouvaient
de mouiller ces engins délicats n'était d'ailleurs pas sans péril. C'est
L'opération
et Boyarine sautèrent sur un barrage de torpilles
ainsi que les navires russes Yénisseï
étaient en train d'installer.
qu'ils
Mais celles-ci causèrent une autre catastrophe dont les conséquences furent des
Le cuirassé Petropavlovsk, au cours d'une sortie, heurta une de ces tor-
plus graves.
amie ou ennemie, il fut toujours impossible de le savoir, et disparut, entraînant
pilles,
46 LE PORT DE GUERRE

avec lui le célèbre amiral Makharoff, dont la vigueur et l'indomptable courage


auraient peut-être donné une autre fin à l'histoire de la flotte russe de Port-
Arthur.
Il faut entendre le récit
de ce dramatique de la bouche de cet admirable
épisode,
commandant Séménov, qui nous a laissé sur les événements maritimes de cette guerre
une relation des plus émouvantes, à laquelle nous aurons à plusieurs reprises l'occa-
sion de revenir (').
Je ne veux pas omettre de dire ici quel service a rendu à la marine française le

capitaine de frégate de Balincourt, qui a traduit et publié ces carnets de notes prises

par le commandant Sé-


ménov au cours des

dramatiques événements

auxquels il a été si com-

plètement mêlé (2).


Voici tout d'abord une
scène qui donne une idée
de l'affection inspirée à
ses équipages par ce chef
qui savait les conduire au
feu.
L'escadre russe est sor-
tie de Port-Arthur pour
refouler l'escadre japo-
FIG. (\O. — Schéma de là mise à l'eau d'une ligne de torpilles de blocus. naise.
A, torpilles prêtes à être jetées à la mer. Le
Petropavlovsk, sur
T, torpille tombant à la mer.
II, rail auquel sont suspendues les.torpilles.
lequel flotte le pavillon
de l'amiral Makharoff,

élonge a te toucher, le croiseur Diana dont Semenov est second.

« Fixe!
» commande-t-on sur le croiseur. L'amiral nous fit face à bâbord de la passerelle
supérieure ; il portait un pardessus à col d'astrakan ; sa barbe blonde flottait au vent.

Bonjour, mes enfants ! cria-t-il d'une voix puissante, en articulant chaque syllabe.
— la Diana avec un ensemble énergique
Bonjour, Excellence, répondit réglementairement
et joyeux.
— Que Dieu vous donne l'heure
propice !
— Merci. Votre... Mais la réponse rythmée du règlement s'arrêta soudain pour éclater en
un hourra formidable.
L'amiral, déjà éloigné du bout de la passerelle, avait disparu à nos yeux; il revint à la
rambarde pour agiter sa casquette en souriant.

Les aventures et les malheurs de la iro Hotte russe du sont racontés on trois volumes ayant pour
(') Pacifique
titres : Sur le chemin du d'un cuirassé. Carnet de notes du de frégate
sacrifice. L'expiation, L'agonie capitaine
Séménov, le commandant DE BALINCOURT. Challamel, éditeur.
par
L'amiral commandant de la a» flotte russe du admirable dont les carnets
(*) Hodjestvenski, Pacifique, figure
de notes de Séménov montrent les immenses de marin et de chef, a aux deux écrivains sa
qualités témoigné
en laissant testament à son à Balincourt, les épaulettes à
reconnaissance, par Séménov, sabre, qu'il portait
Tsushima.
LE PORT DE GUERRE h

« Hourra ! » tonnait l'équipage, dont les hommes grimpaient les uns sur les autres pour
apercevoir « bon papa ».
« Hourra ! » criaient les officiers, oubliant toute étiquette et mêlés aux hommes, en
agitant
aussi leurs casquettes.
C'était la dernière fois que nous devions revoir notre cher amiral !

L'escadre russe sort, l'escadre


japonaise s'éloigne sans avoir tiré le canon, le

Petropavlovsk, dans son mouvement de retour, se dirige sur un point où, pendant la
nuit, ues siinoueties suspectes ont ete aper-
çues, et où l'amiral avait ordonné qu'on dra-

guât, pour voir « si les Japonais n'auraient pas


laissé quelques saletés ! »
Mais cet ordre paraît avoir été oublié.

J'étais, écrit Séménov, en train de donner quel-


ques ordres au maître d'équipage, quand un roule-
ment sourd me fit tressaillir en même temps que
tout le croiseur. C'était comme si on avait tiré un
coup de 3o5mm tout à côté.
Je nie retournai stupéfait, sans comprendre. Le
roulement se répéta plus formidable encore.
Qu'y avait-il?
Le Petropavlovsk ! Le Petropavlovsk ! gémissait-
on autour de moi d'un ton si lugubre, si terrifié,
que je me précipitai en abord, le coeur tordu d'un
affreux pressentiment.
Je vis un gigantesque nuage de fumée jaunâtre
(la pyroxiline ! la soute à torpilles ! pensai-je) ('),
et dans ce nuage penchait, étrangement suspendu
FIG. il. — Navire mouilleur de torpilles.
en l'air, tournoyant d'abord, puis retombant, le
mât de misaine... ; à gauche du nuage, l'arrière du
bateau, comme il était toujours, comme, si rien ne s'était passé à l'avant. Un autre coup !
des tourbillons de vapeur masquèrent la fumée jaunâtre... Les chaudières! L'arrière du cui-
rassé se dressa si brutalement, si perpendiculairement, qu'on eût dit qu'il coulait, brisé par
le milieu : une seconde on aperçut les hélices tournant encore en l'air !... Y eut-il une explo-
sion encore? Je ne sais plus; mais il me sembla que ce pauvre arrière du Petropavlovsk, à
peine visible dans les nuages de fumée et de vapeur, éclata tout entier, et qu'une véritable
trombe avait jailli comme du cratère d'un volcan... Il me sembla aussi que, même quelques
instants après que les derniers débris eurent été engloutis, la mer continuait encore à vomir
du feu.

De tout l'équipage du Petropavlovsk (900 hommes) on ne sauva que 73 matelots et 7 offi-


ciers, dont le grand-duc Cyrille Vladimirovitch.

Cet horrible désastre, qui décapita la flotte russe en lui enlevant le chef sur la

(') Il paraît certain que la torpille touchée par le Petropavlovsk n'aurait pu, a elle seule, produire les terrifiants
effets oeue décrit Séménov. Il est admis que les vibrations de son explosion ont déterminé la conllagration des
soutes à poudres du cuirassé russe, ce qui explique la formation du nuage de fumée jaune, caractéristique de la
déflagration de la pyroxiline.
48 LE PORT DE GUERRE

bravoure et le patriotisme duquel elle comptait, faillit être, dans la-même journée,
doublé d'un second malheur du même genre.
Les gros cuirassés, laissant les petites unités s'occuper du sauvetage, s'étaient

groupés pour résister à un retour offensif possible des Japonais.

Soudain, le bruit sourd d'une nouvelle explosion de torpille se fit entendre. Le


cuirassé Pobieda Arenait de heurter un autre de ces dangereux engins et commençait
à s'incliner.
Heureusement pour lui, la torpille avait fait explosion sous la grande soute à char-
bon, pleine de combustible, qui avait amorti la force du choc. Le navire, à la bande
de 6 à 7 degrés, put regagner le port.
Mais cet incident, survenant une heure à peine après le cataclysme du Petro-

pavlovsk, ébranla si fort les cerveaux à bord des autres navires de l'escadre qu'il pro-
duisit dans cette force navale une sorte de panique dont les résultats eussent pu être
effroyables et que nous laisserons encore à Séménov le soin de raconter, parce que
son récit montre d'une façon frappante à quels excès d'aberration peut à certains
moments se laisser aller la machine humaine.
La torpille qui frappa le Pobieda AÙent d'éclater.

La ligne fut aussitôt rompue et l'escadre se massa en paquet.


Soudain de tous côtés, des coups de canon ! Entre les navires pressés en désordre, les
colonnes d'eau des obus s'élevaient en trombe de tous les côtés,... les projectiles sifflaient au-
dessus de nos têtes, et leurs éclats résonnaient contre les'murailles... notre croiseur aussi
ouvrit un feu désordonné.
J'étaissur la passerelle supérieure avec l'officier canonnier.
Stupéfiés par l'inattendu de l'événement nous nous regardâmes en nous interrogeant de
l'oeil sans comprendre ce qui se passait.
Qu'est-ce? fit-il.
Ce que c'est? C'est la panique ! répondis-je.
Sans un mot nous nous élançâmes en bas. Sur la passerelle inférieure, sortant du blockhaus,
apparut le commandant.
Pourquoitire-t-on? Qui en a donné l'ordre? Arrêtez-les ! vous voyez bien qu'ils sont deve-
nus fous!
Autour de nous, il.se passait quelque chose d'inouï.
Des cris de : « C'est la fin ! Voilà les sous-marins ! Nous allons tous mourir ! Tirez ! Sauve
qui peut ! » couvraient le tonnerre de la canonnade.
L'équipage affolé s'emparait des hamacs ('), s'arrachait les ceintures de sauvetage et se pré-
parait à sauter par-dessus bord.
« Cessez le feu ! Sonnez le roulement ! » hurlait l'officier canonnier, traînant sur le pont
par le collet le clairon, qu'il avait trouvé, blotti dans un coin. Il s'éleva alors un filet de son-
nerie de clairon, faible et indécis.
« Comment souffles-tu? as-tu perdu tes poumons? » criais-je. « Encore, sonne plus fort,
sonne sans t'arrêter ! »
Les Sons se faisaient plus clairs et plus fermes; mais personne ne les écoutait.
Quelque chose de gros passa entre les cheminées. Gomme on le sut plus tard, c'était un de
nos voisins qui nous gratifiait d'un obus.
Je courus dans les batteries.

Les hamacs dans la marine russe sont disposés pour pouvoir flotter et servir de soutien à un homme. ;
(*)
LE PORT DE GUERRE 4Q

.;' « Messieurs les officiers, empêchez-les de tirer! Arrachez-les de leurs pièces! » Mais les
paroles n'agissaient plus sur les chefs de pièce, cramponnés à leurs canons, envoyant obus
sur obus sans viser, contre un ennemi invisible. Il fallut employer la force.
Quelque étrange
que cela puisse paraître, c'est la force physique brutale qui réussit à calmer des gens à qui
la peur de la mort avait fait perdre la tête.
L'ordre enfin fut rétabli, la canonnade cessa. L'équipage, ayant recouvré son sang-froid,
l'air honteux et troublé, commença à remettre en place les hamacs, les ceintures de sauve-
tage et tout en ordre dans la batterie. .;_;.
Quelques-uns, timidement, avec bésitation, essayaient de parler aux officiers, s'excu-
! sàierit, avaient eu Urte lacune, que quelqu'un avait crié et qu'ils avaient
pour expliquer qu'ils
suivi.

Mais ce ne fut seulement


les rangs de la flotte russe
dans
pas que les torpilles de
blocus firent des ravages. L'escadre japonaise subit également
plusieurs pertes, parmi
lesquelles les plus importantes furent celles des cuirassés Yashima et Hatsuse qui
sombrèrent pendant le blocus de Port-Arthur.
Le nombre de ces torpilles mouillées tant par les Russes
que par les Japonais fut
d'ailleurs énorme. Et comme on ne pût jamais déterminer les points où on les avait
laissé tomber, ce coin de la mer Jaune est resté extrêmement les
dangereux pour
navires obligés d'y naviguer pendant les premières années qui la guerre. ont suivi
Ce danger n'a d'ailleurs pas disparu complètement aujourd'hui encore. Il s'est même
étenduà des parages assez éloignés delà presqu'île de Port-Arthur, parce qu'un certain
nombre des orins qui retenaient ces torpilles entre deux eaux se sont usés et
rompus
et que les torpilles, celles du moins qui n'étaient
pas munies d'un système d'inflam-
mation à renversement, se promènent à la surface de la mer,
poussées par les vents
et les courants. On en a ramassé jusque sur les côtes de Chine et du Japon.
Les résultats donnés par les torpilles de blocus pendant cette guerre ont poussé les
nations maritimes à perfectionner leur outillage dans cet ordre d'idées. C'est ainsi
que
presque toutes les marines possèdent actuellement ou construisent des navires spé-
cialement disposés pour porter un grand nombre de ces engins et pour les mouiller

pour ainsi dire automatiquement, le navire continuant sa marche.

La défense d'un arsenal comporte encore généralement un centre de défense mobile,

composé de torpilleurs ou contre-torpilleurs et de sous-marins. Le rôle dés derniers

prend une importance plus grande à mesure décroît celui des premiers ; ils
que
constituent sur eux en effet un progrès important de
puisqu'ils peuvent s'employer
jour, et mêmejusqu'à un certain point la nuit, alors que les torpilleurs sont à peu
près exclusivement une arme utilisable dans les ténèbres. Nous reviendrons sûr
la description des torpilleurs et des sous-marins dans un autre ; et nous nous
chapitre
bornerons pour le moment à constater que l'invention du torpilleur, il y a quelque

yingt-çinq ans, a porté un grand trouble dans les règles traditionnelles de la guerre
navale en supprimant la possibilité du blocus des côtes ou des ports dont la garde
était confiée à un nombre suffisant de ces petits bâtiments.
Tous nos arsenaux possèdent des flottilles de torpilleurs, dont une partie, constam-
SADVAIRK .TOUEDAK, /l
5o LE PORT DE GUERRE

ment tenus armés, circulent incessamment sur le secteur de la côte qu'ils auraient à
défendre, de façon à en connaître les moindres recoins et à pouvoir agir dans les passes
les plus étroites, les plus sinueuses, au milieu des récifs et des bas-fonds.
Le commandement de ces unités est confié
à de jeunes officiers pour lesquels il
constitue une excellente école de navigation, très pénible souvent, mais où s'acquièrent
et se développent toutes les qualités de sang-froid, de prudence, de décision et d'en-
durance qui leur rendront facile plus tard le commandement d'unités plus impor-
tantes.
CHAPITRE II

LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES

Antiquité du navire de guerre. — Birèmés et trirèmes. — Controverses sur les rames. — Drakkars normands.
— Les nefs des croisés. —Prix d'un passage pour la Terre sainte. "— La Monl-Joye de saint Louis. —- Trans-
formations produites dans le bâtiment de combat par l'introduction des pièces à feu. — Galères et galériens.
"
—r Galéasses. —Les caravelles de Colomb. —Les vaisseaux du xvïiesièçle.—Lebàtiment de guerre au siècle
de Louis XIV; -r- Le Soleil royal.. — d'un vaisseau et de son armement. — Rôle des
Puget. Description
— Révolution — L'hélice. — Le — La cuirasse. — Les
frégates. par la vapeur. Napoléon de Dupuy de Lôme.
croiseurs rapides en 1876. — Le navire moderne. — Croiseurs — Croiseurs cuirassés. •— Le ton-
protégés.
— — État.
nage du cuirassé.— Les Dreadnought. L'antagonisme naval entre l'Angleterre et l'Allemagne.
actuel de la marine française. — Nos futurs cuirassés. — Déclin du" — Rôle de plus en plus impor-
torpilleur.
tant du croiseur sous-marin.

DE L'ANTIQUITE AU XVIIe SIECLE

Il est vraisemblable que dès que les hommes eurent à se battre entre eux, et ceci
doit nous ramener, n'est-ce pas? à peu près à l'époque où nos premiers parents
furent chassés de l'Eden, ils pensèrent à le faire sur l'eau comme sur terre. Il serait
donc malaisé de chercher la date
précise à laquelle furent construits les premiers
navires de combat. Il n'y a pas de doute en tout cas que leur conception, comme
celle de la navigation en général, remonte à la plus haute antiquité.
Dès les temps d'Homère, le navire de combat étaitdéjà arrivé à un degré de perfec-
tion notable, puisque, au dire du vieil aède, les vaisseaux que les Béotiens construi-
sirent pour aller reprendre de l'autre côté de l'eau la volage Hélène portaient 120
hommes et étaient manoenvrés par 5o rameurs. il n'y a rien
Évidemment, là de

comparable à nos cuirassés de a5ooo tonnés ou à nos paquebots sur lesquels 2 5oo
à 3 000 personnes vivent à l'aise, mais il est clair que ces bâtiments n'étaient point
non plus de simples barques.
Les progrès dans l'art de la construction navale furent rapides. Les Grecs et les

Phéniciens, adonnés au grand négoce maritime, arrivèrent


rapidement à un type de
navire d'une vitesse relativement élevée obtenue par un accroissement considérable
du nombre des rameurs. On avait ainsi des birèmes à deux rangs de rames, des tri-

rèmes, en possédaient
qui trois, etc.
De longues et savantes controverses se sont produites de nos jours sur la signifi-
cation de ces mots à deux rangs, à trois rangs de rames. La possibilité d'installer
52 LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES

trois étages de rameurs superposés, séparés les uns des autres par un plancher ou un

pont, a été justement contestée par les marins : la rame supérieure, d'une longueur
démesurée, eût été très difficilement maniable, et comme la rapidité du mouvement
est indispensable pour que le coup d'aviron produise son effet, ces longues rames,
dont on ne saurait obtenir qu'un mouvement compassé, auraient plutôt retardé le
navire que contribué à sa vitesse.
L'amiral Jurien de la Gravière, qui a pris une part importante aux discussions sur
ce sujet, avait donné une explication ingénieuse. Napoléon III, fort intéressé par ces
d'archéologie navale, fit construire en 1861 une trirème de 3gm de long
questions
qui portait i3o rameurs et qui fit à Cherbourg des essais sensationnels.
Le si intéressant ouvrage de Pacini, édité en i844. nous fournit, sur la façon pro-
Dame dont étaient dispo-
sés les rameurs, une ex-

plication qui mérite d'être


conservée parce qu'elle
est très concluante pour
des marins.
Le dessin que nous
donnons (fig. ^2), repro-
duction de celui que l'ha-
bile dessinateur M. Fatio
a mis à l'appui de la
théorie de Pacini. nous

dispense d'entrer dans


de plus longues explica-
FIG. 4a. — des rameurs de la trirème. (Reproduction d'un dessin
Disposition tions. On y voit comment
de Morel-Fatio.)
trois rangs de rames su-
très bien être manoeuvrées trois hommes assis sur un seul et
perposées pouvaient par
même banc. Les trois de chaque banc prenaient
rames leurs points d'appui, d'ailleurs
saillie au dehors du navire,
différents, sur des pièces de bois nommées aposlis, faisant
la
plus élevées pour la rame supérieure que pour la seconde, plus élevées pour
seconde que pour la première.
Nous ne pouvons non plus nous dispenser de mentionner de l'amiral
l'opinion
autorité en cette matière ardue, et d'après laquelle les rames
Serres, qui fait également
d autant
disposées sur trois rangs étaient maniées par
des matelots placés sur des sièges
élevés et plus rapprochés de l'axe du navire étaient chargés de la rame
plus qu'ils
intermédiaire ou inférieure. C'est le système des trois vogues, thranite,
supérieure,
à l'emploi non simultané de chacun des rangs de
zygite et thalamite, correspondant
rames.
des rames, sur lesquelles il est d'ailleurs vrai-
Quoi qu'il en soit de ces dispositions
on peut se demander comment
semblable que la vérité absolue ne sera jamais connue,
excellent donner
ce genre de propulsion, par les temps calmes, pouvait quelques
satisfactions cas le plus fréquent, les vagues et le roulis contrariaient le fonc-
lorsque,
LE XAVIHK DE C.UEIIRR A TRAVERS LES AGES 53

tionnement des avirons.


Et cependant, les relations les plus dignes de foi montrent

que la vitesse de 5 noeuds à l'heure atteinte. Dans


(près de iokm) était couramment
ces bâtiments, militaire était représenté tours placées aux
l'appareil par de petites
extrémités du navire, d'où les archers et les frondeurs pouvaient lancer leurs traits
et leurs pierres. De plus, on plaçait à l'avant, au niveau de l'eau, ^n éperon d'airain
destiné à crever la coque du navire ennemi.
Les hommes d'armes formant la garnison accrochaient leurs boucliers sur une

banquette qui courait de l'avant à l'arrière en dehors des aposlis, et ils combattaient à
l'abri de cette sorte de rempart.
Il semble bien que la rame était réservée aux seuls bâtiments destinés à transporter
les guerriers. Les navires de commerce portaient uniquement des voiles, dont d'ailleurs
les trirèmes étaient éga-
lement munies. Ces voi-
les carrées étaient soute-
nues par une vergue qui
s'orientait de façon à re-
cevoir la brise en pointe
et à permettre de navi-

guer tout au moins avec


le vent du travers. Les
barbares normands qui
envahirent une
grande
partie de l'Europe aux
TOI* et IXe siècles se ser-
vaient pour leurs incur-

FIG. 43. — Un drakkar. sions de vaisseauxà rames


et à voiles qu'ils appe-
laient drakkars. C'est qu'ils remontèrent
à bord la Seine jusqu'à
de ces bateaux Paris,
où le souvenir de leurs cruautés et de leurs ravages est resté si longtemps vivace
l'invocation :
qu'au xvc siècle, 6oo ans après, on trouvait encore dans l'office gallican,
« A furore normannorum, libéra nos, Domine ! (') ».
Ces drakkars étaient façonnés de manière à présenter l'image terrifiante de

monstres, de dragons.
éperons Leurs
en figuraient l'effroyable tête, leurs flancs

continuaient le corps, et leur arrière représentait la croupe recourbée ( 2) de l'animal


fabuleux. On peut s'imaginer la terreur qui s'emparait des habitants de la côte ou des
rives des fleuves lorsque paraissaient les flottes de ces fantastiques vaisseaux, aux formes

barbares desquels répondaient trop bien les moeurs des équipages qui les montaient.
saint Louis décida d'aller enlever la Terre sainte aux mécréants, il s'adressa
Lorsque
sa petite armée aux Génois et aux Vénitiens, très versés dans l'art
pour transporter
de la navigation et qui, à peu près seuls, possédaient, en nombre suffisant, le type de

De la fureur des Normands, délivrez-nous, ! E. PACINI, La Marine.


(') Seigneur

( 2) Ibid.
54 LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES

navires pouvant convenir à une aussi aventureuse expédition Q. Marseille cependant


fournit également un grand nombre de navires aux croisés et retira de ce commerce
des bénéfices importants.

Deux modes de contrats étaient en usage en pareil cas ( 2) ; la location avait lieu, soit par
bateau entier, soit par place, comme de nos jours. En 1268, Marseille loua ainsi plusieurs
bâtiments au roi, moyennant une rétribution de 800 marcs par bateau, et au moment de la
septième croisade, le comte de Forez paya pour sa nef g85 marcs, Jean de Dreux 1 o5o
marcs et l'évêque de Tours 2 600 livres (3).
Dans le second cas, le prix était fondé sur le nombre de places occupées et variait suivant
que les passagers étaient installés dans l'un des deux châteaux disposés à l'avant et à l'arrière
du navire, ou dans le premier
et le second entrepont. Une
place coûtait 60 sols dans la
première catégorie, 35 dans
la seconde et 2 5 dans la troi-
sième. Le prix de passage
d'un cheval et d'un écuyer
était de 55 sols, celui d'un
simple pèlerin 19 sols seule-
ment.

Ces vaisseaux, qui s'ap-


pelaient des nefs, n'étaient

plus du tout les anciennes


trirèmes. D'ailleurs, con-
struits en vue du com-
FIG. bit. — Coupe d'un vaisseau des croisés. (Restauration de Jal d'après les
données du Contractas merce uniquement, ils
navigii.")
n'avaient que des voiles
et point de rameurs. Quelques-uns étaient de grandes dimensions. Joinville en cite

qui portaient plus de 1 000 passagers et d'autres jusqu'à 100 chevaux.


La caractéristique principale de ces navires était leur grande largeur qui atteignait
presque la moitié de leur longueur. Aussi les appelait-on également vaisseaux ronds.

La Mont-Joye, 1
qui portait saint Louis, avait 27" de quille, /lom de longueur totale, i4m de
largeur, om de creux au milieu. Les châteaux avant et arrière s'élevaient à i3m au-dessus de
la quille. Il y avait deux ponts et au-dessus le pont supérieur se composait de deux demi-plan-
chers courant le long du bord et laissant au milieu voir le premier pont. Les chevaux étaient
logés dans la cale.
Le navire était gréé de deux mâts portant deux voiles latines dont les vergues étaient de
longueur égale à celle du bâtiment.
A l'extrémité des mâts étaient des postes pour des veilleurs ou des combattants nommés
gabies, d'où nous est venu le mot de gabier.

(') La flotte de saint Louis 1 800 unités.


comptait
( 2) Rapport du comité d'installation de la classe 33 du musée à l'Exposition Universelle de à
rétrospectif 1900
Paris. Matériel de la navigation. Armand DE CAILLAVET.
Rapporteur,
( 3) MARCHAND, Le commerce de Marseille avec le Levant les croisades.
pendant
LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES 55

Ces nefs avaient une bonne marche. On cite une nef vénitienne qui alla d'Angleterre à
Barcelone en quatorze jours, ce qui serait une traversée très acceptable pour un navire à voiles
de nos jours, et les marins de cette époque ne naviguaient pas mal puisque saint Louis ne perdit
que trois nefs dans son expédition (').

A l'arrière du Mont-Joye était une chambre de parade, le paradis, réservée au roi.


Une autre servait d'appartement à la reine Marguerite et à ses femmes. Les paradis
étaient éclairés par de petites fenêtres
percées dans la poupe du bâtiment.
Pacini nous donne sur les conditions
dans lesquelles s'exécutait le voyage des croi-
sés et la façon dont on passait le temps à la mer détails assez peu édifiants.
quelques
Une foule de passagers d'allure des femmes mêmes encombraient les
équivoque,
nefs surchargées. Sans

respect pour le saint roi


qui y était logé, ils enva-
hissaient les abords du

paradis et leur
présence
provoqua parfois des scè-
nes scandaleuses et même

sanglantes (2).
Aussi les marchands
dont les bâtiments por-
taient des pèlerins en
Terre sainte insistaient-
ils pour ne pas prendre
FIG. 45. — La lièale. de femmes à bord.
Lette règle tut même
consacrée dans les statuts de la Commune de Marseille.
Il faut croire que le souvenir de ces désordres a inspiré la mesure générale en
vertu de laquelle le sexe faible se voit rigoureusement consigner de nos jours encore,
sauf en quelques circonstances particulières, l'accès des navires de guerre.

de la poudre à canon,
L'invention au xiv" siècle, amena de grands changements
dans l'armement et l'aménagement des navires de combat. On commença par pla-
cer à bord des nefs des couleuvrines, des bombardes, des sacres, qui armaient

uniquement les châteaux à l'avant et à l'arrière; puis en 1A10, l'ingéniosité d'un


constructeur français nommé Descharges, que son nom destinait évidemment aux

bruyantes inventions de l'artillerie, permit d'en armer les flancs des navires en y

perçant des sabords dans les différents


entreponts qui devinrent ainsi des batteries.
Par des transformations et des progrès lents mais continus, les nefs se muaient en
vaisseaux de plus en plus grands et lourds, réservés à la navigation dans l'Océan dont

(') Navires d'autrefois et d'aujourd'hui. Conférence faite par M. Clerc-Rampal au Yacbt-Club de France, le 21
mars igo5.
( 2) PACINI, La Marine,
56 LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES

leurs formes élevées et la robustesse de leur construction les rendaient à


plus aptes
affronter les grandes houles et les violents coups de vent.
Dans la Méditerranée, le type du bâtiment de combat dérivait de la tri-
toujours
rème, mais était devenu la galère, qui en conservait presque exactement la forme.
Les calmes dans cette mer et le peu de hauteur des lames qu'on y ren-
fréquents
contre le plus souvent avaient en effet permis de conserver les avirons et par consé-
quent perpétué l'usage de navires ras sur l'eau qui, seuls, s'en servir. Les
peuvent
galères, souples, agiles, très maniables au combat, convenaient d'ailleurs
parfaite-
ment comme
type de navire de guerre, si bien que jusqu'au xvne siècle elles compo-
sèrent dans la Méditerranée la presque totalité des flottes militaires.

Quelques-uns de ces bâtiments sont restés célèbres, tant par la beauté de leurs
formes que par la richesse de leur ornementation. Telles étaient la Béale et la Dau-

plune, dont les modèles


ne sont pas des moindres

parmi les trésors du Mu-


sée de la Marine ('). Les

galères portaient deux


mâts avec voiles latines,
mais les rames étaient
leur mode de propulsion
ordinaire. La Béale en
bordait vingt de chaque
côté, sur chacune des-

quelles tiraient quatre ou


six hommes. Ce qu'é-
FIG. 46. — Une galéasse. taient ces galériens, on le
sait de reste, et le dur mé-
tierqu'ils faisaient ne constituait le plus souvent la juste des méfaits
que punition
dont leur conscience était Il semble cependant certain
aussi
chargée. qu'on envoyait
quelquefois ramer aux galères des gens qui, pour des raisons n'avaient
quelconques,
pas eu le don de plaire au pouvoir. Ceux-là étaient vraiment à plaindre.
Mais, par notre temps de crimes impunis, de relâchement moral, de fausse et
funeste sensiblerie, on se prend à regretter où les criminels
quelquefois l'époque
échappés à la trouvaient sur les bancs de la chiourme, sous la coui bâche du
potence
comité, un très juste châtiment dont la à la vérité moins séduisanfe
perspective,
que celle d'un séjour dans nos prisons modernes, devait être un très efficace remède
préventif aux débordements de l'armée du crime.
La chiourme, à de rares combat ou dit M. Clerc-
exceptions près, poursuite,

(') Je ne puis manquer de signaler en passant la triste situation de ce musée, unique au monde, qui ren-
ferme, avec les spécimens des oeuvres de nos grands sculpteurs et architectes navals, des trésors d'archéologie
maritime de toutes sortes. En dépit de quoi, personne ne s'y intéresse en dehors d'un groupe de personnalités
dévouées. Le Louvre, où il a trouvé un asile qu'on lui rogne tous les jours, a décidé de s'en défaire, et pour obéir
à cet ukase, on reléguera le Musée de la Marine n'importe où, dans quelque local où faute de place, faute de
crédits aussi pour l'entretenir, il finira par disparaître.
SAUVA1RE JOURDAN PL. Il

Le Soleil royal au combat de Bévéziers (1690).


LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES
57

Rampai, ne nageait pas tout entière ; on désarmait un tiers ou la moitié des avi-
rons et les galériens se relayaient. Quand on voguait tous ensemble, la vitesse attei-

gnait sans le dépasser le chiffre traditionnel de 5 noeuds la première heure, tombait


à 4 noeuds la seconde heure, et à 2 ou 3 noeuds à partir de la troisième. On ne pou-
vait pas continuer au delà de cinq ou six heures.
Une particularité des galères était qu'on n'y trouvait point de logement. Tout le
monde couchait sur le pont, faute de place dans l'intérieur de la coque qui était
étroite, peu creuse et à peine suffisante pour contenir les vivres et le matériel indis-

pensables.
La galère Béale, dont on peut voir un beau dessin (fig. 45), était réservée au roi,
au général commandant
les galères, aux grands
personnages du règne de
Louis XIV. L'illustre sculp-
teur et architecte naval

Puget en avait dessiné et


exécuté les ornements,
vrais chefs-d'oeuvre dont
les originaux peuvent en-
core être admirés au Mu-
sée de la Marine.
La galéasse fut un com-

promis entre la galère fine



FIG. 47. Les caravelles de Colomb. et subtile de la Méditerra-
née et la nef de l'Océan.

Elle beaucoup d'artillerie dans ses châteaux de proue et de poupe et


portait
n'armait de ium de long, maniaient avec six ou
qu'un rang d'avirons, que peine
attelés à chacun d'eux. De plus elle trois mâts à voiles
sept forçats portait
latines.
seuls pouvaient
Les galéasses furent très employées par les Vénitiens. Les nobles

les commander et ils devaient sur leur tête de ne pas refuser le combat à 25
jurer
galères ennemies.
Les xve et xvie siècles furent, entrede la navigation.
tous, Ils virent
les siècles les

découvertes et les marins illustres, Diaz, Colomb, Vasco de Gama, etc.(1).


grandes
Le plus célèbre d'entre ces grands hommes, Colomb, usa, pour le voyage qui
devait rendre son nom à jamais immortel, d'un genre de vaisseau très approprié au

but qu'il se proposait. Les caravelles que lui fournit le roi d'Espagne étaient des bâti-

ments très marins, de supporter les mauvais temps, et d'un tonnage


pontés, capables
avoisinant 200 et 25o tonnes. Rappelons ici. les noms de ces navires fameux.

qui devait avoir 70 hommes


C'étaient la Santa Maria que montait Colomb, d'équi-

page, la Pinta et la Nina.

(') CLERC-RAMPAL, Conférence.


58 LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES

TEMPS MODERNES

Le xvne siècle vit de dans l'architecture navale. Les


s'accomplirgrands progrès
vaisseaux de guerre à plusieurs
rangs de canons, à plusieurs batteries font leur appa-
rition. en comptaient
Quelques-uns jusqu'à cinq. Tel était le vaisseau anglais Souverain
des mers lancé en avec le vaisseau la Couronne, fut considéré
1687, qui, français
comme le chef-d'oeuvre naval de cette époque. Ces bâtiments outre un
portaient,
mât incliné à l'avant, le beaupré sur lequel s'établissaient une ou deux voiles carrées,
quatre autres mâts dont les deux derniers servaient de point d'appui à une vergue et
à une voile latine. Le
château de l'arrière res-
tait encore très élevé et
toutes ses parties étaient
couvertes de sculptures
et d'une ornementation
extrêmement luxueuse.
C'est à cette époque
que disparaissent les mâts
d'une seule pièce qui
avaient été uniquement

employés jusqu'alors. On
les eut désormais en trois
FIG. 48. — Le Souverain nés mers. tronçons, ce qui d'abord
facilitait leur fabrication,
et présentait des avantages évidents lorsqu il s agissait de les
remplacer en cas
d'avarie. En outre, la disparition progressive des formes surélevées, comme celle
des châteaux d'avant et d'arrière,
permit de rechercher une meilleure marche en aug-
mentant la surface de la voilure ; il fallait pour cela pouvoir allonger les mâts, et ce
n'eût pas été possible en les faisant d'un seul tronc d'arbre.
Le siècle de Louis XIV, si grand sous d'autres rapports, le fut aussi pour ce qui
concerne l'art de la construction navale militaire. Les ordonnances de 1689 vinrent

apporter l'ordre et la méthode là où, jusqu'à présent, la fantaisie ou, pour mieux
dire, la science particulière de chaque constructeur avaient seules régné.
Les Conseils des Travaux s'organisent('), l'Ecole du génie maritime se fonde, les

ingénieurs qui en sortent procèdent à la confection des plans des navires et se trans-
mettent les traditions.
Le plus bel échantillon de la marine des premières années du règne de Louis XIV
est le Soleil royal, qui présentait sur la Couronne de nombreuses améliorations,
notamment en ce qui concerne l'avant. Celui-ci s'est en effet relevé de manière à se

(') GLERC-RAMPAI., Op. cil.


LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES 59

mieux défendre delà mer et à servir de point au beaupré dont la bonne tenue
d'appui
intéresse celle de la mâture tout entière.
L'arrière s'est encore abaissé. Il reste cependant majestueux et bien propre à figu-
en ces
rer le faste et la grandeur d'un règne et d'un monarque qui ont détenu le record
matières, le langage assez irrespectueux d'un siècle où ces grands dehors
pour parler
sont abandonnés.
Trois lanternes dorées couronnaient les angles et le milieu de la
magnifiques
des balcons en faisaient le tour à chaque étage, et de gracieuses tou-
poupe; sculptés
relles, des néréides et couvertes d'ornements et d'attributs marins, mas-
portées par
le raccordement des flancs du navire avec cette poupe somptueuse(1).
quaient
L'armement du Soleil se composait de 112 canons de bronze lançant d'une
royal
seule bordée 1 35o livres
de fer. Il portait 1 200
hommes d'équipage.
Le commencement du

règne de Louis XV fut

pour la marine une pé-


riode d'effacement, mais
avec le ministre Choiseul
elle reprit sa place dans
les préoccupations du
Gouvernement. De très

grands progrès furent en-


core apportés dans la
construction des bâti-
FIG. 49. — La Couronne (i63a). mentsde guerre qui pri-
rent, à peu de chose près,
l'aspect qu'ils ont conservé jusqu'à la disparition du vaisseau à voiles. La guibre,

partie extrême de l'avant du navire, taillée en éperon pour diviser l'eau, se relève

jusqu'à hauteur du pont supérieur ; le beaupré, qui s'y appuie et s'y lie solidement,
est dépouillé de ses voiles carrées et ne porte plus que les voiles triangulaires
appelées
focs, qui facilitent grandement les évolutions du navire, en faisant tourner son avant ;
la voile latine portée par le mât d'artimon et qu'on appelait l'ourse disparaît pour
faire place à la brigantine.
En 1760, les Etats de Bourgogne offrirent au roi Louis XV un vaisseau à trois
batteries ou ponts et qui reçut leur nom" (2). C'était un bâtiment magnifique dont
la solidité et la perfection de construction furent prouvées par sa longue et glorieuse
carrière. Radoubé et remanié lors de la guerre il portait sous la Répu-
d'Amérique,
blique le pavillon aux trois couleurs et s'appelait la Montagne. L'amiral Villaret de

(') On peut voir au musée de la Marine un très beau modèle du Soleil royal, exécuté sous Louis-Philippe et
où se retrouvent reproduits avec une fidélité scrupuleuse, tous les ornements, toutes les sculptures que Coysevox
avait dessinés pour le vaisseau lui-même. (Clerc-Rampal.)
( 2) PACINI, Op. cit.
6o LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES

le montait au combat du i3 prairial.


Joyeuse Après cette terrible lutte, le vaisseau
rentra à Brest, emportant dans sa membrure ooo boulets ennemis, sans compter les
marques nombreuses de ceux qui l'avaient traversée.
On le radouba de nouveau, et il reprit la mer. En i8/Jo, entièrement refondu il
est vrai, sous le nom de l'Océan il portait encore, après quatre-vingts ans d'existence,
le pavillon de l'amiral commandant l'escadre de la Méditerranée.
Voilà une carrière comme n'en connaissent et n'en connaîtront nos
jamais plus
modernes cuirassés, mis à la vieille ferraille dès qu'ils ont ans d'existence.
vingt
Les vaisseaux,
jusqu'à l'appli-
cation de la vapeur, dans la pre-
mière moitié du xixe siècle, étaient
tous conçus suivant le même plan
et se distinguaient seulement par
le nombre de canons qu'ils por-
taient et des batteries qui les ren-
fermaient.
La cale, espace compris entre
le pont inférieur et la carène,
était divisée en compartiments
où se logeaient les munitions de
mer, de guerre et les vivres.
Une seule soute à poudres était

placée à l'arrière. Les boulets


étaient entassés dans des puits, à
l'avant. Autour du pied du grand
mât, qui reposait comme les au-
tres dans des mortaises prati-
quées dans la quille, se trouvaient

quatre corps de pompe destinés


à épuiser l'eau qui avait pénétré
à l'intérieur du navire.

FIG. 5O. — L'arrière du Soleil Au-dessus de la cale se trouvait


royal.

l'entrenont, dont la partie supé-


rieure dépassait la flottaison et s'éclairait par une ligne de hublots qu'on fermait soi-

gneusement au moyen de verres lenticulaires dès qu'on prenait la mer. L'entrepont


était utilisé pour les logements ; une partie de l'équipage y accrochait ses hamacs ; à
l'avant et à l'arrière, on trouvait les chambres des maîtres et des officiers.
Au-dessus de l'entrepont s'étageaient les trois ponts réservés exclusivement à l'artil-
lerie ; les flancs du bâtiment percés de sabords laissaient passer les gueules des canons
sur lesquelles se refermaient à volonté d'épais panneaux en bois appelés mantelets de
sabord. Ces mantelets se rabattaient la nuit en rade pour mettre à l'abri des intem-

péries les matelots dont les hamacs se suspendaient dans les batteries, et à la mer

lorsque celle-ci était assez forte pour menacer de s'engouffrer par les sabords.
LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES (il

Faute d'avoir pris cette précaution, tout au moins pour leur batterie basse, nombre
de bâtiments ont sombré sous une rafale, qui les inclinait de façon à plonger dans
l'eau la ligne inférieure de leurs sabords.
Le plus célèbre de ces naufrages est celui du vaisseau anglais Boyal Georges que
l'amiral Kempenfeld avait ramené à Plymouth, en 1789, chargé de prises de la plus

grande valeur (l).

FIG. 5I. — Le Soleil royal.

On mit les voiles au sec, en les hissant, sans avoir la précaution d'attacher les bras ( 2) des
vergues. Tous les sabords étaient ouverts, le vaisseau à moitié déchargé était fort mal lesté :
une brise s'éleva subitement du travers, orienta les voiles abandonnées à elles-mêmes et fit
coucher le vaisseau qui se remplit par ses sabords et coula à fond; neuf cents hommes et
l'amiral lui-même y périrent. La fin tragique de ce beau vaisseau est relatée sur le monu-
ment qui lui a été élevé dans la basilique de Saint-Paul de Londres.

Cet exemple, qu'il serait facile de tant d'autres, montre bien que pour le
d'appuyer
marin il n'est jamais de repos absolu. Le soldat qui, après une manoeuvre, une cam-

pagne ou un combat, rentre dans ses quartiers ou sa caserne, y trouve la sécurité

complète ; il lui reste tout au plus le souci de nettoyer ses armes et de les préparer à
servir de nouveau. Le marin doit être en défiance ; la lutte est constante
perpétuelle

(') PACINI, La Marine.

( 2) Cordages qui aboutissent aux extrémités dos vergues et servent à les orienter sur un bord ou sur l'autre,
suivant la direction du vent.
62 LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES

avec l'élément le
et d'où, à chaque moment, peut surgir le danger, la
qui
porte,
catastrophe qui emportera le bâtiment avec ceux qui le montent. On conçoit que cette
vie où les sens sont ainsi constamment tenus en éveil doit, mieux que toute autre,
aiguiser au plus haut point
les qualités de sang-froid,
d'observation, de décision,
en un mot tremper les
coeurs.
L'artillerie d'un vaisseau

ponts était
à trois disposée
comme il suit :
La batterie basse ou pre-
mière batterie contenait
les canons longs du calibre
de 3o, la deuxième ceux de
3o courts. La batterie

hauteportaitlescaronades.
FIG. 5a. — Les Etals de Bourgogne à trois
(vaisseau ponts, 1760). Sur le pont supérieur
du vaisseau, que l'on appe-
lait les gaillards, à l'air libre, on plaçait encore une batterie de caronades ; si bien qu'en
somme les vaisseaux à trois et au total 120 canons.
ponts portaient quatre batteries,
Dans chaque batterie, autour des sabords, étaient disposées les armes de main,

pistolets, fusils, haches,


destinées à l'armement des
servants de chaque pièce
en cas d'abordage. On y
trouvait encore un fanal

pour les combats noctur-

nes, un seau à incendie


et une baille dans laquelle
on lavait l'écouvillon, cha-

que fois qu'il avait été in-


troduit dans l'âme de la

pièce. A l'arrière, la du-


nette, dernier étage du na-
vire, unique reste du vieux
FIG. 53. — Le vaisseau La Montagne (ex-Etats de Bourgogne') au combat du
château d'arrière, renfer- i3 prairial 1794.
mait les appartements de Ce fut le premier bâtiment qui porla le drapeau tricolore.

I amiral quand le bâti-


ment en portait un, du commandant dans le cas contraire.
C'est sur la dunette que se tenait l'officier de quart ; de là il commandait la ma-
noeuvre des voiles d'une voix qu'il fallait forte pour que, dans le mugissement du vent,
elle pût parvenir aux gabiers perchés aux sommets des mâts ou à l'extrémité des vergues.
LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES 63

Le commandant avait le droit de choisir son officier de manoeuvre, celui


qui,
sous sa direction, faisait exécuter
les appareillages, les mouillages ou les mouvements

importants. Ce poste de confiance comportait une voix tonitruante, et cette qualité


était pour beaucoup dans le choix du commandant.
Il faut faire remonter à cette nécessité pour les officiers de faire porter haut et loin
leur voix de commandement, l'usage, conservé d'ailleurs fort longtemps et consacré

par les règlements, de ne garder de barbe que ce qui ne pouvait pas gêner l'émission
des sons, c'est-à-dire de supprimer tout ce qui entourait la bouche, et avant tout la
moustache.
Sur le pont des bâtiments de guerre, au milieu du fouillis en inextri-
apparence
cable des cordages, dans

lequel cependant les ga-


biers savaient mettre aux

jours d'inspections et de
fêles un ordre si artisti-

que, on plaçait encore les


canots. Reposant sur le

pont se trouvait la cha-

loupe, forte embarcation,


lourde et solide, capable
de supporter le poids
d'une grosse ancre, et
dans laquelle, les bancs
enlevés, on emboîtait
FIG. 54. — L'Océan (i84o). (Ex-États de Bourgogne, ex-Montagne.') deux autres canots plus
petits. Les autres se his-
saient à des arcs-boutants appelés porte-manteaux, placés au-dessus du couronnement
et sur les flancs à l'arrière.
Les vaisseaux à trois ou deux ponts étaient seuls appelés à l'honneur de la bataille

rangée, d'où leur nom de vaisseaux de ligne. Les bâtiments légers étaient employés
à porter les ordres, à répéter les signaux sur le flanc des flottes, à courir à la décou-
verte, à tenir le contact de l'ennemi et à le harceler.
Les frégates, si gracieuses avec leur coque légère et leur immense voilure, étaient

particulièrement propres à toutes ces missions. Elles avaient en outre la charge, fort

périlleuse, d'aller chercher au milieu de la tourmente les vaisseaux qui paraissaient


prêts à succomber sous le feu de l'ennemi, de les prendre en remorque et de les
entraîner à l'abri.
Au-dessous des frégates, et ne portant plus alors d'artillerie que sur le pont des

gaillards, c'est-à-dire à découvert, on trouvait les corvettes, bricks, goélettes et


cotres que différenciaient leurs dimensions et la forme de leurs voilures.

Le bâtiment à voiles semblait avoir atteint la perfection, tant pour les dispositions
de la coque, la répartition et la puissance de l'artillerie, que pour les dimensions des
64 LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES

mâts et la surface de la voilure, lorsque l'invention de la vapeur et son application à


la navigation vinrent révolutionner l'art naval.
Il fallut cependant longtemps pour que la nouvelle invention détrônât le vent
comme moteur des navires de guerre. C'est à peine si son triomphe définitif remonte
à trente ans. Jusqu'à celle époque, les marins voulurent bien considérer la
vapeur comme un moyen
commode assurément de
faire marcher les bâti-
ments, mais toujours se-
condaire, et ne passant

qu'après la voile. On ne
saurait d'ailleurs leur re-

procher ce sentiment, en
vertu duquel les bâtiments
de guerre ont gardé de
hautes mâtures et des voi-
lures plus ou moins com-

plètes jusqu'aux environs


FIG. 55. — Corvette à roues Sphynx. de 1875.
L adaptation de la va-
fut en effet lente. Les avaries, les pannes, qu'on me pardonne ce
peur à la navigation
vocable moderne, étaient fréquentes et d'importance, la force des premières machines
si peu considérable que lèvent debout ou même une forte houle l'annihilait. De plus,
les aubes placées sur les flancs des navires, et qui ne cédèrent la place que vers 18/10
à l'hélice inventée par le
constructeur naval français

Sauvage, étaient d'un em-

ploi presque incompatible


avec l'idée de combat, tant
elles se trouvaientexposées
aux coups de l'ennemi.
Pour toutes ces raisons,
il faut comprendre et ad-
mettre que les marins de
cette époque qui s'étend
aux deux premiers tiers du

xix" siècle ne crurent pas
FIG. 56. Le Napoléon.

pouvoir se reposer abso-


lument sur un modede propulsion soumis à de pareils aléas et voulurent conserver
les mâtures le raisonnement les attachait autant qu'une tradition aimée.
auxquelles
Le premier navire à hélice de la marine française fut l'aviso le Napoléon, qui fut
le Corse et que construisit M. Normand, du Havre, en i8/|3. Ce
plus tard appelé
chez nous le nouveau
coup d'essai l'ut un coup de maître qui acclimata définitivement
LE NAVIRE DE GUERREiA TRAVERS LES AGES 65

Le Napoléon une machine de 200 chevaux


propulseur. portait qui lui donnait une vi-
tesse de 10 noeuds.
A cette époque, le commandant français Labrousse de pratiquer à l'arrière
imagina
des bâtiments une sorte de puits qui permettait de remonter l'hélice vou-
lorsqu'on
lait naviguer à la voile. On

supprimait ainsi la grande


résistance que l'hélice et
ses ailes présentaient.
En 18/17, M- Guizot,
ministre de la Marine par
intérim, ordonna la mise
en chantier d'un grand
vaisseau, dont les plans
avaient été établis par Du-
puy de Lôme, jeune offi-
cier du génie maritime,
dont le nom restera célè- —
FIG. 57. Frégate cuirassée Gloire (1860).
bre dans l'histoire de la
marine irançaise et dans celle de la construction navale universelle. Ce vaisseau, le
ioo canons et était mû
Napoléon, portait par une machine de i ooo chevaux dont la
constituait une nouveauté
puissance qui eut un immense retentissement. Le Napoléon,
à ses essais en août i852, la belle vitesse de 12 noeuds et demi à l'heure.
atteignit
Dupuy de lx>me ne
s'endormit pas sur les lau-
riers que lui avait valus
son Napoléon. En i858,
il fit construire plusieurs
frégates dont la flottai-
son et les flancs étaient
couverts, de bout en
bout, de plaques de fer.
C'était une idée qui avait

germé à la fois en France


et aux Étals-Unis et y
avait reçu des solutions
différentes.
FIG. 58. — Le Sfax, premier croiseur rapide (187G). La Gloire, la première
des frégates cuirassées de

Dupuy de Lôme, fut prête en 1860. Sa cuirasse de fer forgé de 12™ d'épaisseur
était impénétrable pour l'artillerie de cette époque. Sa vitesse de i3 noeuds lui assu-
rait une marche très supérieure à celle de tous les navires de guerre parmi ses con-
temporains, enfin ses formes lui donnaient toutes les qualités d'un vrai bâtiment de
mer avec une grande facilité d'évolution.
SAUVAIRE JOURDAN. 5
66 LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES

Si le progrès, en matière de construction navale, pouvait rester la propriété de


celui à qui il est dû, ou de la nation qui, la première, l'applique, si en un mot il

pouvait se breveter, la France serait devenue à cette époque et restée pour longtemps,
avec la flotte nouvelle dont la Gloire et le Napoléon furent les prototypes, la maî-
tresse incontestée des mers.
Les fort divisés de Sécession, et sous des
Etats-Unis, par la guerre l'aiguillon
événements, marchèrent, en fait de navires cuirassés, dans une tout autre voie que
la France. La nécessité de pénétrer dans les baies peu profondes et les estuaires des
fleuves leur fit créerle garde-côtes ou monitor, sorte de bâtiment à faible tirant d'eau,
de dimensions moyennes, couvert d'une cuirasse en dos de tortue qui enveloppait
complètement toute la

partie du navire située au-


dessus de l'eau. Ces bâti-
ments portaient un petit
nombre de gros canons
cachés derrière les murs
d'une tourelle cuirassée.
C'étaient en réalité de
véritables forts flottants,
mais peu faits pour la na-

vigation au large.

L'Angleterre avait suivi


avec le plus vif intérêt les

progrès énormes que,



FIG. 5g. Le Duguay-Trouin (1877). sous l'impulsion d'un
constructeur de génie, la
marine française avait accomplis en quelques années. Elle se hâta de se lancer dans
à son tour
la voie qui lui était indiquée et construisit une flotte de navires à hélice
cuirassés.
Dès lors, la marine à voiles était condamnée.
Celle la remplaçait commença, bientôt après son apparition, l'évolution
qui
que nous voyons se continuer sous nos yeux et dont il est difficile de prévoir le
terme.
Les progrès rapides qui s'accomplirent dans la construction et le fonctionnement
des machines permirent tout d'abord de
songer à augmenter leur puissance et
la vitesse des navires à bord desquels on les plaçait. Là encore, la marine française
innova. Les croiseurs Sfax, Duguay-Trouin, mis en service vers 1876, atteignaient
16 noeuds, ce qui, pour des bâtiments de cette taille tout au moins, ne s'était jamais
vu.
On suivait la même voie pour les cuirassés, mais leur masse plus considérable
ne leur permettait pas de dépasser i4 noeuds. Pour réduire cette masse, on avait
renoncé à la cuirasse complète couvrant tout le flanc du navire et limité
cependant
la protection du blindage à la flottaison.
LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES 67

D'un autre côté, on arriva très vite à se rendre


compte que des navires sans aucune

protection étaient fatalement voués à la destruction si un obus les frappait dans le

voisinage de la flottaison, ou même si, pénétrant au-dessus, il éclatait à l'intérieur


de la coque ; ses éclats démoliraient et mettraient hors d'usage les machines et autres

appareils vitaux.
C'était le cas de nos croiseurs plus ou moins rapides. On imagina alors de leur
donner une sécurité relative en plaçant sur une certaine hauteur à la flottaison une
double coque. De très nombreuses cellules remplissaient l'intervalle entre les deux

coques, et dans ces cellulesmêmes on tassait une matière


végétale, la bourre de coco,

qui a la propriété de se resserrer après qu'un corps étranger a traversé sa masse, et

d'intercepter d'une façon suffisante, sinon complète, les rentrées d'eau que peut ame-
ner le passage d'un projectile. Mais cette mesure était insuffisante, parce qu'elle
n'écartait pas le danger
de l'éclatement de l'obus
dans l'intérieur. On la

compléta en inventant le

pont cuirassé (fig. 60).


Celui-ci est une carapace
en acier d'épaisseur suffi-
sante pour défier le choc
des obus, dont l'effet est
d'ailleurs réduit par la

grande incidence sous la-

quelle ils peuvent l'attein-


dre. Cette carapace en dos
FIG. 60. — Vue d'un pont cuirassé en dos d'âne. d'âne couvre toute la partie
intérieure du navire où
sont renfermés les organes essentiels, machines, chaudières, soutes à munitions,
arbres porte-hélices, appareils à gouverner, etc. Elle vient rejoindre les flancs
du navire en dessous de la flottaison, en un point où l'on n'a plus à craindre
l'arrivée directe des boulets en raison de la couche d'eau qui recouvre et défend la

coque.
On eut ainsi le croiseur protégé.
Par une pente fatale, on fut entraîné rapidement à penser qu'il serait avantageux
de mettre le croiseur en état de lutter victorieusement contre les bâtiments du même

type que posséderait l'ennemi. Le moyen le plus sûr ne consistait-il pas à donner à
son artillerie la protection déjà assurée à ses organes vitaux et à sa flottaison? C'était
l'évidence même. L'idée du croiseur cuirassé était née.
Le premier de ces navires fut encore construit en France. C'est le Dupuy-de-Lôme
lancé en 1890 et qui vient à peine d'achever sa carrière. Toute son artillerie était ren-
fermée dans des tourelles blindées à 1 oomm et une cuirasse de 11 omm couvrait sa ligne de
flottaison et une partie de ses flancs. Ce type nouveau eut un grand succès. Toutes
les marines construisirent à l'envi des croiseurs cuirassés qui, par l'évolution ordi-
68 LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES

naire, devinrent, avec les années, de plus en plus grands, déplus en plus cuirassés,
de plus en plus puissants.
Si bien, qu'à l'heure actuelle, on trouve dans les marines allemande, anglaise, des
croiseurs cuirassés dont le déplacement atteint et dépasse 22 000 tonnes et équivaut à
celui des plus puissants cuirassés. La différence qui subsiste encore entre les deux

genres de navires réside en une vitesse supérieure et une artillerie moins puissante
chez le croiseur cuirassé.

Quoi qu'il en soit, les deux types tendent de plus en plus à se confondre en un
seul. Déjà, d'ailleurs, on voit poindre pour le croiseur cuirassé la dénomination de
cuirassé rapide qui lui convient très bien, et il est vraisemblable, qu'après un

règne d'une vingtaine d'années, le croiseur cuirassé va disparaître en tant que type

particulier.
Jusque vers l'année 1904, le tonnage maximum des cuirassés se maintint, dans
les principales marines,
aux environs de 13 000
tonnes. C'étaient, de l'avis

général, les bâtiments dont


les dimensions permet-
taient de faire le meilleur

usage au point de vue de


la manoeuvre, des facilités
d'évolution, et auxquels
convenaient aussi les dis-

positions actuelles des

ports, rades et arsenaux.

FIG. CI. —Le Dupuy-de-Lôme, premier croiseur cuirassé (1890).


Leur tirant d'eau corres-

pondait à celui des lieux où


ils avaient généralement a mouiller et leur longueur a celle des bassins de radoub
existants.
Il semblait donc que le type du cuirassé, au moins dans ses dispositions générales,
fût définitivement arrêté.
Survintla guerre russo-japonaise. Ses leçons sévères furent étudiées, au point de
vue nautique, par les ingénieurs maritimes avec un soin d'autantplus ardent qu'elles
étaient les premières sur lesquelles il fût permis de juger la valeur du matériel naval
moderne.
Ce qui s'en dégagea fut une nouvelle révolution dans la construction navale et le
commencement d'une ère qu'on peut appeler celle des Dreadnought.
La guerre russo-japonaise n'était pas encore terminée lorsque le bruit se répandit

que l'Angleterre préparait, dans le secret le plus absolu, la construction d'un cuirassé

qui étonnerait le monde.


C'était le Dreadnought, avec lequel l'Amirauté anglaise ouvrait la voie des cuirassés
monstres, voie dans laquelle les autres puissances se virent bien obligées de la suivre. Ce
bâtiment se distinguait de ses prédécesseurs surdeuxpoints principaux, par son tonnage,
NAVIRE DE GUERRE
LE A TRAVERS LES AGES »9

d'abord, qui dépasse 18000 tonnes, et par son armement uniquement composé de
10 pièces de 3ocra (*) enfermées par paires en cinq tourelles. De plus, par une
autre innovation, tout au moins pour une unité de cette importance, les machines
alternatives étaient remplacées par quatre turbines développant au total une puissance
de 25 000 chevaux. La vitesse obtenue était de 21 noeuds.
Le Dreadnought, avec toutes ces nouveautés, était une de ces expériences comme
seules peuvent se permettre d'en faire les marines riches. Celle-ci réussit d'ailleurs
à souhait et, comme on y comptait, donna à l'Angleterre une avance considérable sur
tous ses rivaux maritimes, alliés entre eux ou non. Son formidable cuirassé, en état
d'ailleurs, par sa vitesse, d'accepter ou de refuser le combat, présentait sur tous ses
rivaux une supériorité si
écrasante qu'il eût pu à
lui seul en affronter plu-
sieurs à la fois.
Le coup de maître réa-
lisé par l'Amirauté an-

glaise venait d'ailleurs à


son heure. Depuis quel-
ques années, elle voyait
poindre, à son horizon
de l'Est, une rivale inat-
tendue et inquiétante.
Sous l'énergique im-

pulsion de son empe-


FIG. 62. — Le Dreadnought, cuirassé anglais (1907). reur, sous sa parole en-
flammée, l'Allemagne,
convaincue de 1 énorme intérêt la mer une nation en pleine
que présente pour
prospérité économique, s'était décidée à jouer sur les océans un rôle qui correspon-
dît à la grandeur des destinées rêve.
qu'elle
Elle se mit sans retard
à la besogne, et, par un effort immense dont la continuité
est à elle seule une admirable leçon, elle se hissa en quelques années à une situation
maritime qui, dès aujourd'hui, la place sans contestation au deuxième
possible
rang dans l'échelle des puissances navales.
On comprend aisément l'émoi que produisit en Angleterre soudaine
l'apparition
d'une rivale qui dissimule à peine ses ambitions de domination maritime.
Le succès du
Dreadnought calma un moment cette émotion. L'Angleterre prenait
avec ce type une avance qui lui assurait, années tout au moins, la
pour quelques
conservation de la prédominance maritime.
Mais ces quelques années de calme relatif ont et les autres
passé ; l'Allemagne
puissances navales ont suivi l'exemple de l'Angleterre et à leur tour construit des

Le Dreadnought encore de destinées à agir contre les et


(') porte cependant 27 petites pièces 76°'™ torpilleurs
5 tubes lance-torpilles sous-marins.
LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES

Dreadnought : la première de ces nations en a mis en chantier un tel nombre, sans

parler de ceux qu'elle prépare, que l'ère des inquiétudes s'est promptement
rouverte en Angleterre et y a même, à certains moments, tourné à l'angoisse. L'Ami-
rauté s'est alors à son tour mise à l'oeuvre, sous la pression d'une opinion publique
surexcitée ; elle a accumulé les mises en chantier, pressé les constructions com-
mencées, et non sans effort, a réussi, somme toute, à maintenir au pays une supé-
riorité incontestée.

Qu'adviendra-t-il de l'antagonisme qui se déclare entre deux si puissantes nations ?


Le verrons-nous dégénérer en une guerre qui, sans aucun doute, bouleverserait'

l'Europe? C'est le secret d'un avenir qui, au train dont vont les choses, ne saurait être
lointain !
Le principe du cuirassé monstre une fois admis, on en est arrivé fort Arite à ne plus
se contenter du tonnage de 18000 tonnes. Chacun voulant enchérir sur son A7oisin
et entasser sur une seule unité le plus grand nombre possible de gros canons, on
est arrivé à 20000, puis à 23 000 tonnes ; c'est le chiffre de nos cuirassés actuelle-
ment en construction. Les derniers cuirassés américains du type Arkansas jaugent
26 000 tonnes et ceux qui suivront atteindront 3o 000 tonnes.
Cette course au clocher doit d'ailleurs trouver son terme ; peut-être est-il atteint

pour quelques nations dont les ports, rades, canaux neprésentent pas la profon-
deur nécessaire à l'accès de mastodontes calant plus de 10 mètres.

ÉTAT DE LA MARINE FRANÇAISE. — LES TYPES QU'ON Y RENCONTRE. |

Comme toutes les autres, la marine française traverse une période de transforma-
tion. Les cuirassés
de tonnage moyen (12 000 tonnes) qu'elle avait construits jus-
qu'en 1900 ont passé de mode, comme je viens de le dire, et pour les remplacer,
elle a mis en chantier une flotte au goût du jour.
Actuellement, cette flotte moderne ne comprend encore que 12 unités.
En commençant par les derniers venus, on y trouve les 6 bâtiments de 18000
tonnes qui portent les noms de Danton, Diderot, Condorcet, Mirabeau, Voltaire,
Vergniaud. Ce sont
de très beaux et très puissants navires armés de l\ pièces de
3ocm et de 8 de nàcm, disposées deux par deux en tourelles fermées. 26 pièces légères
de 75 et hrJmm destinées à repousser les attaques des torpilleurs et deux tubes lance-

torpilles sous-marins complètent la liste des moyens offensifs de ces bâtiments. .


Une cuirasse, dont l'épaisseur varie de 270™"" à 80™™ suivant qu'on considère la

partie supérieure ou inférieure, couvre la flottaison sur toute la longueur du navire


et descend jusqu'à un mètre au-dessous de l'eau.
Une autre cuirasse de 2iomm en moyenne couvre une partie des flancs et double
la protection des fûts des tourelles qui sont eux-mêmes cuirassés.
Pour éviter de graves inconvénients révélés par l'aArenture du cuirassé russe Césa-
revitch au combat du 10 août igo4 devant Port-Arthur, on a fait bénéficier les
LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES 71

bases des cheminées de la protection de la cuirasse, de façon à assurer un


tirage
suffisant dans le cas où la partie supérieure des cheminées serait percée ou
détruite (').
Tous les aménagements et détails militaires de ces bâtiments ont été étudiés et
établis avec le soin qu'on y apporte d'habitude chez nous. Il en résulte que ce sont
d'excellents navires de combat, qui resteront, même en présence d'unités plus pesantes
et plus puissamment armées, capables de faire très bonne figure. Tous ces bâtiments
sont mus par des turbines réparties en trois machines isolées, développant au total
22 5oo chevaux. La vitesse maximum est de 20 noeuds. Un
approvisionnement de
2 000 tonnes de charbon leur donne un rayon d'action de 8 000 milles ou près de
i5 5oo , en employant
naturellement la vitesse
dite économique, celle où
l'on dépense le moins de

combustible, et
qui ap-
proche de 11 noeuds.
On a fait, en cette
matière d'approvisionne-
ment de charbon, des

progrès considérables. On
se contentait, ily a quinze
ans, de 6 à 800 tonneaux

pour des bâtiments dont


les consommations
FIG. 63. — Cuirassé du type Danton. fortes. Si bien
étaient

que l'idée de se trouver


au large avec des navires à court de charbon était les commandants d'escadre
pour
une préoccupation constante, de paralyser, de la manière la plus fâcheuse,
capable
leur initiative en cas de guerre.
La série précédente, avec laquelle la marine française a fait ses premiers pas dans
la voie des grands également six unités nommées Patrie, Bépubli-
tonnages, comprend
Vérité, Liberté, Démocratie, de i5ooo tonnes.
que, Justice,
Ces navires tiennent encore au passé ( 2) par la composition de leur armement qui,
contrairement au principe actuellement à la mode du « tout gros calibres » « AU

», l\ grosses pièces de 3ocm, 10 du calibre de I9cm ( 3) et une


big guns comporte

dans cette éventualité la consommation du charbon, je


(') Pour donner une idée du chiffre que peut atteindre
ce cuirassé,
citerai le cas du cuirassé russe Césarevitch; après le combat du 10 août devant Port-Arthur, séparé
du reste de l'escadre qui avait repris la route du port où son destin devait se dénouer, se dirigea vers la rade
allemande de Kiao-Tchéou ; il y arriva le lendemain et fut désarmé jusqu'à la fin de la guerre. Pendant cette
des torpilleurs japonais. Pour y échapper,
nuit, il eut à subir à neuf reprises les attaques, d'ailleurs infructueuses,
il essaya de faire de la vitesse, mais ses cheminées crevées ou abattues ne permettaient plus au tirage de fonc-
tionner normalement et sa vitesse tomba rapidement à t\ noeuds. Cependant la consommation de charbon s'éleva
au chiffre formidable de l\%o tonnes pour vingt-quatre heures.
en effet, que la présence de
( 2) Ce passé redeviendra peut-être un jour le présent. Beaucoup de marins estiment,
l'artillerie moyenne à bord d'un navire est un élément de puissance indiscutable.
18 pièces de i6cl".
( 3) La Patrie et la République, au lieu des IQCI", portent
LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES
72

artillerie légère comptant 26


pièces. Les deux premiers 5 tubes lance-
portent
torpilles, les quatre autres, 4 seulement. Ils sont poussés par trois machines alterna-
tives, d'une force totale de 18 000 chevaux, qui leur ont donné aux essais une vitesse
avoisinant 20 noeuds. Ils ont également un
approvisionnement considérable de
charbon, qui leur permet de parcourir 8 4oo milles ou i5 5ookm à la vitesse de
12 noeuds.

Après ces 12 cuirassés


qui constituent à eux seuls, pour le moment, notre flotte de

ligne moderne, viennent encore quelques unités qui ne pourraient évidemment pas
figurer avec avantage dans une rencontre où ne paraîtraient que des cuirassés du type

Dreadnought. Mais il faut bien noter que, pour un certain nombre d'années encore,
les grandes marines auront à utiliser des navires de modèles semblables aux nôtres,
ni plus ni moins démodés,

que ces navires devront,


en raison de leurs moyens
d'action plus faibles, être
constitués en escadres au-
tres que celles où figure-
ront les Dreadnought et

Super-Dreadnought et qu'à
ces escadres il nous sera
tout à fait loisible d'oppo-
ser des forces navales com-

posées d'unités de valeur

FIG. 64. — Le cuirassé Démocratie analogue. C'est donc, pour


(1906).
le moment encore, une
fallacieuse de compter celle qui consiste à ne faire entrer en ligne
façon que que nos
12 derniers cuirassés.
Il faut ajouter à ceux-ci :
Un très bon bâtiment, le Suffren, resté seul de son type depuis la catastrophe où a

péri l'Iéna, son similaire. Le Suffren, lancé en 1899, jauge 12 700 tonnes, et porte
4 pièces de 3ocm, 10 de i6cm et 8 de iocm.
Derrière lui apparaît une division homogène des Charlemagne, Gaulois,
composée
Saint-Louis, mis à l'eau en 1897, jaugeant 11 3oo tonnes, armés de 4 pièces de 30™,
iode i4cm et 8 de iocm. Enfin le Masséna, le Bouvet, le Carnot, le Jauréguiberry,
de 12000 lancés en 1898, 1896, 1895,
tonnes, 189/4, doivent encore être comptés
comme susceptibles de rendre de bons services contre des ennemis de même
valeur.
Avec ces navires, nous
atteignons la limite d'âge généralement inmosée aux cui-
rassés et qui est de vingt années. Ce n'est pas dire qu'après vingt ans de service, un
bâtiment de ce type soit hors d'état de naviguer. Point du tout. La solidité de la con-
struction en acier recule au contraire cette date à un âge indéterminé. Mais les

progrès, ou du moins les incessants de la construction navale militaire,


changements
ne permettent plus d'envisager cuirassé encore ans une
qu'un possède après vingt
LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES 73

valeur militaire telle qu'elle vaille les sommes toujours considérables exigées par l'en-
tretien d'une unité, surtout vieillie.
D'une de garde-côtes
douzaine cuirassés, le ministère de la Marine a décidé de ne

plus garder qu'une unité, le Henri IV, lancé en 1899. jaugeant 9000 tonnes et

portant 1 canon de 27"" et 7 de i4"". Ce bâtiment séjourne à Bizerte où il joue le


rôle de fort flottant. Tous les autres, même ceux lancés ou refondus après 1890, sont

impitoyablement rayés de la liste navale, par application de ce principe que toutes


les ressources de la marine doivent être consacrées à ses unités de combat propre-
ment dites.
Les arsenaux de Brest et de Lorient construisent actuellement 2 cuirassés de
23 4oo tonnes, qui porteront comme artillerie principale 12 canons de 3ocm et
comme artillerie secondaire 22 pièces de i4cm. Les canons de 3ocm sont répartis
par paires en 6 tourelles.
De ces 6 tourelles, 4 seront
dans l'axe, à l'avant et à l'ar-
rière. Par une disposition,
nouvelle chez nous, mais

expérimentée déjà ailleurs,


les deux tourelles axiales
intérieures seront plus éle-
vées que celles des extrémi-
tés, de façon à pouvoir tirer

par-dessus (').
Les deux dernières tou-
relles seront placées sur les
flancs.
FIG. 65. — Le Jean-Bart. (Programme de 1910.) Ces bâtiments pourront
donc utiliser 10
pièces de
3ocm par le travers, 8 en chasse et autant en retraite. Ils seront mus par des turbines
et doivent donner (2). 21 noeuds
La marine française compte actuellement une flotte imposante de croiseurs cuiras-
sés. Nous avons vu d'où procédait ce type de navires et comment on tendait à y
renoncer, ou du moins à le confondre avec le cuirassé dans un type unique, plus ou
moins rapide.
Nos premiers croiseurs cuirassés, construits de 1891 à i8g3, étaient de petits bâti-
ments dont le déplacement ne dépassait pas 6 000 tonnes (c'est celui du Dupuy-de-
Lôme, dont nous avons parlé plus haut), et qui, excellents pour leur époque, ne

(') Revenant enfin à la saine et logique tradition, l'amiral Boue de Lapeyrère,ministre de la Marine, a décidé de
donner aux bâtiments mis en construction sous son Ministère des noms de marins célèbres ou d'officiers morts
au feu. C'est ainsi que les deux cuirassés en construction à Brest et à Lorient porteront les noms glorieux de
Courbet et Jean-Bart.
( 2) Le programme de l'amiral Boue de Lapeyrère comporte une escadre de 7 unités de a3 4oo tonnes, dont les
deux premières sont, comme il a déjà été dit, en chantier. Les cinq autres y seront mises prochainement ; il faut
l'espérer tout au moins.
LE NAVIRE DE GUERRE A. TRAVERS LES AGES
74

répondent plus aujourd'hui au service qu'on demande à ce genre de naAires. Aussi


ont-ils disparu du service actif pour passer à l'état d'Écoles flottantes.
Tout le reste de notre flotte de croiseurs cuirassés comptant 18 unités date des
douze dernières années. Ces navires peuArent donc être considérés comme en état de
rendre longtemps encore d'excellents services et constituent une fraction importante
de notre puissance navale, dont on oublie
trop généralement de tenir un compte suf-
fisant, lorsqu'on suppute la A^aleur de notre matériel naval.
Ils se répartissent en quatre séries, ou quatre
comptant trois
unités chacune. Les

Gueydon, Monlcalm, Dupetit-Thouars, déplacent 9 5oo tonnes. Leurs trois machines


ont une force totale de 20 000 cheAraux, produisant une vitesse de 21 noeuds. Leur
armement consiste en 2 pièces de 19e" 1 en tourelles, 8 de i6cm en casemates et 4 de
10™. Ils ont été lancés en 1900.
Les Gloire, Condé, Marseillaise, Amiral-Aube, tiennent la mer "depuis 1901, Ils
sont une répétition du
type précédent avec des dimensions légèrement supérieures.
Leurs moyens d'attaque sont les mêmes, avec 2 pièces de ïocm en plus. Mais cette
artillerie est mieux protégée. Une partie des canons de 16cm se trouvent, en effet,
en tourelles fermées.
AArec les Jules-Ferry, L.èon-Gambetta, Victor-Hugo, Jules-Michelet, lancés de 1904
à 1908, nous arrivons aux tonnages de 12 5oo tonnes avec trois machines de 29 000
chevaux et 23 noeuds de Aitesse. Le rayon d'action est de 12 000 milles à 10 noeuds,
soit 22 oookm.
L'armement croît naturellement avec le tonnage. Ilse compose de 4 pièces de
igcm jumelées en deux tourelles à l'avant et à Tanière, 16 de i6cm dont 12 en tourelles,
4 en casemates. Sur le Jules-Michelet cependant, on a sacrifié 4 pièces de i6cm pour
obtenir une légère augmentation de Aitesse. Ce navire a donné en effet 23n,65.
La dernière série comprend Y Ernest-Benan, le Wàldeck-Bous-
l'Edgar-Quinèt,
seau, lancés de 1908 à 1910. Ce sont de très beaux et très puissants bâtiments de
i3 600 tonnes, poussés à la vitesse de 23 noeuds par trois machines de 87 000 chevaux
et munis de combustible pour pai'courir IT 000milles, soit 21 oookm à 10 noeuds.
h'Ernest-Benan a le même armement que le Jules-Michelet. Les deux derniers sont
armés de i4 pièces de 19e™, dont 10 en tourelles, 4 en casemates.
Il faut encore
parmi citer
nos croiseurs cuirassés la Jeanne-d'Arc, lancée en 1899,

qui est restée seule de son type et n'a jamais donné que des résultats médiocres.
Tous ces bâtiments sont protégés contre les obus par un double cuirassé,
pont
une forte ceinture de flottaison montant plus ou moins haut, mais assez pour défen-
dre la majeure partie des flancs. Ils portent tous une nombreuse artillerie légère
contre les torpilleurs, et un nombre de tubes lancé-torpilles sous-marins variant de
deux à quatre.

AArec leur tonnage et le perfectionnement toujours croissant de leurs, organismes,


les navires modernes coûtent très cher. C'est ainsi que nos cuirassés de 23 4oo ton-
nes actuellement en construction une dépense de jb millions environ
exigeront par
unité. '.'....-.'
LE NAVIRE DE GUERRE A TRAArERS LES AGES 75

Pour ce prix on avait autrefois 25 Araisseaux à trois ponts, le prix moyen de ces
navires étant d'environ trois millions.
Dans ces conditions la flotte d'un pays pèse d'un poids considérable sur ses res-
sources budgétaires, et on conçoit la nécessité où l'on se trouve de consacrer soi-

gneusement la majeure partie, sinon la totalité, des ressources réservées à la marine


de guerre, aux types de bâtiments qui seuls seront utiles au pays en lui permettant
de disputer cette maîtrise de la mer qui lui sera nécessaire.
On tend donc de plus
en plus dans toutes les marines à ne construire que le nom-
bre strictement indispensable d'unités secondaires. C'est ainsi que le croiseur pro-
tégé tend à disparaître, ou du moins à n'être plus représenté que par un petit nom-
bre de bâtiments, destinés à servir dans les escadres, comme éclaireurs et répétiteurs
de signaux.
Notre flotte compte encore dans ses rangs trois belles unités de ce type. Ce sont le
Châteaurenault, leGuichen, le Jurien de la Gravier e, dont les deux premiers jaugent
8 200 tonnes, le dernier 5 700 (*).
Lancés en 1898, ces bâtiments, dont on ne Arerra plus les pareils, répondaient à
l'idée qu'en cas de guerre avec une puissance notoirement supérieure au point de
vue naval, et l'Angleterre était seule dans cette situation vis-à-vis de nous à cette
la guerre de course, c'est-à-dire la destruction des naAires de commerce de
époque,
l'ennemi, pourrait être pratiquée aA'ec utilité.
Les 3 croiseurs en question, avec leur Aitesse de 23 noeuds et leurs belles qualités
de naAires de haute mer, étaient éminemment
propres à ce genre d'action, et leur

apparition causa quelque émoi de l'autre côté de la Manche. Il y fut répondu d'ail-
leurs par la construction immédiate de naAires analogues, mieux armés et encore

plus rapides, qui auraient fini par aA~oir raison des nôtres. D'ailleurs, les idées sur
la guerre de course se sont tout à fait modifiées, au point qu'elle ne paraît plus deAroir
être jamais possible, et c'est encore une des causes pour lesquelles le type du croi-
seur est appelé à perdre de plus en plus son importance ancienne.
Nous trompons encore dans la liste de la flotte française : 8 croiseurs protégés, de

tonnage et de Aitesse inférieurs à ceux que je Ariens de citer. La plupart d'entre eux

ayant fait un service très actif et très pénible sur la côte du Maroc, arrivent, avant
même le terme
des Aingt années fatidiques, au bout de leur carrière, et on enA'isage leur
utilisation dernière comme pontons ou naAires poseurs de mines. Il en est de
même ou à peu près pour 16 petits croiseurs construits aATant 1900 et qui remplis-
saient dans nos escadres les fonctions de répétiteurs de signaux, ou de contre-

torpilleurs.
Ce dernier rôle est maintenant réservé dont notre marine
à un
type de bâtiments
possède 74 exemplaires, de déplacements Arariant entre 3oo et 716 tonnes. Les i3
derniers et tous ceux qui les suivront sont mus par des turbines. Les contre-torpil-
leurs étant chargés, comme leur nom l'indique clairement, de donner la chasse aux

(*) Les renseignements donnés dans ce chapitre sur les caractéristiques de nos navires de guerre ont été tirés
du Carnet des Flottes de combat en igio du capitaine de frégate DE BALINCOURT. Berger-Levrault, éditeur.
76 LE KAVÏRË DE GUERRE A TRAVERS LES AGES

torpilleurs. doiArent avoir une Aitesse supérieure à celle de leurs adArersaires éArentuels;
aussi Aroyons-nous tous ces petits bâtiments donner de 27 à 3i noeuds, ce dernier
chiffre, ainsi que le déplacement de 715 tonnes, étant d'ailleurs réservé aux contre-

torpilleurs du dernier, modèle construits en 1909, au nombre de 7. Tous portent


une artillerie de 6 pièces légères, d'un calibre suffisant
composée pour leur permet-
tre de percer les tôles dés torpilleurs. Un projecteur puissant faciliterait leur tâche
la nuit.
Enfin, armes à deux tranchants, ils sont aménagés de façon à pouAroir jouer eux-
mêmes, le cas échéant, le rôle de ces torpilleurs que leur principal objet est de
détruire. Ils sont munis, à cet effet, d'un certain nombre de torpilles et des tubes
nécessaires pour les lancer.
Le torpilleur est encore type un
de bâtiment qui s'efface, niais devant le sous-
celui-là. Son règne aura duré près de trente années. Son apparition
marin, apporta un
grand trouble dans le domaine naval où trônait sans conteste le cuirassé de haut bord.
On put croire, un le pygmée
instant, aurait
que raison du monstre, et des esprits
sérieux là possibilité de renoncer aux navires
envisagèrent d'escadres, qui semblaient
à la merci de leurs petits et de ne construire
adArersaires, plus que de ceux-ci. On

enAÙsageait ainsi la fin de toute guerre naArale, ou du moins sa réduction à quelques


rencontres de torpilleurs sôùs des pavillons différents.
Ce fut aussi le moment où on crut sérieusement à l'efficacité de petits bâtiments
du genre des torpilleurs, qui. munis d'un seul canon, d'assez gros calibre, s'en
iraient ainsi équipés, bombarder les ports ennemis, et semer la désolation le long de
ses côtes.
Il fallut reArenir
de ces utopies et reconnaître
promptement que ni les torpilleurs,
ni les bateaux-canons, ne pourraient arracher l'empire de la mer à la nation qui y
maintiendrait des escadres assez puissantes pour ne point craindre celles de ses
adArersaires, et qu'en définitive c'était encore et toujours à cette question de la maî-
trise de la mer que se ramenait le problème de la guerre naArale.
Dû le bateau-canon Les torpilleurs
coup, disparut. subsistèrent, parce que, déchus
des hauteurs où on aA~ait ATOU1Ules placer, leur rôle restait encore très utile pour la
défense des côtes et certaines opérations dans des mers resserrées.
Actuellement, là
marine française possède 3o torpilleurs dits de haute mer
' s'éleArant
parce que leur tonnage jusqu'à 180 tonnes leur permet quelques randon-
nées au large, et 2i3 torpilleurs dits de défense mobile, réservés à l'action le long
des côtes. La Aitesse des plus récentes unités de ces deux s'élève à 26
types
noeuds. ..
. Son rôle étant réduit
au seul qui lui convienne, celui de la défense du littoral dans
un rayon plus ou moins étendu, on conçoit très bien que le torpilleur doiAre. désor-
mais céder la'place au sous-marin. C'est ce qui se produit en effet, et dans les pro-

grammes de construction, on prévoit d'autant moins des premiers le nombre


que
des seconds augmente.
Nous sommes, en France, tout près d'y renoncer tout
à fait et peut-être est-ce un
tort. Il faut tenir compte en effet que les opérations nocturnes le torpilleur
pour
A TRAVERS LES AGES
LE NAA'IRE DE GUERRE 77

encore d'une sur le sous-marin. II y voit, aussi bien du moins qu'on


jouit supériorité
assez en tout cas pour pouvoir se guider avec plus de sûreté que
peut y voir la nuit,
son voisin de l'étage inférieur, dont le périscope ne donnera que des indications for-

cément assez vagues.


Des progrès sur ce point comme sur d'autres, progrès qu'il est permis d'espérer
Aiendront la situation, et donner avant longtemps au
prochains, peut-être changer
sous-marin une Aision suffisante la
plus nuit
grande facilité
et une d'évolution.

A ce moment-là le rôle du torpilleur sera réduit à bien peu de chose.


encore en deux catégories,
Les sous-marins qui font partie de notre flotte se divisent
sous-marins proprement dits et submersibles. Ces deux types diffèrent entre eux
une sorte de navire
par une ilottabilité plus ou inoins grande qui fait du submersible
tandis que la position normale du sous^
plus spécialement apte à nàvigueràla surface,
une grande tendance à l'unifica-
marin est la plongée ('). Mais là encore il se produit
tion ; des expériences très sérieuses ont démontré la supériorité du type submersible,

et c'est à sa construction désormais la marine


que se hmitera vraisemblablement

française. en soit, les 32 sous-marins dits répartis sur nos


Quoi qu'il proprement
côtes sont aptes au service de protection
encore très du littoral qui leur est attribué
et auquel des exercices incessants les préparent,
- Les submersibles actuellement en senice sont au nombre de 45. Tous sont, dus

à l'ingénieur des Constructions naArales français Laubeuf qui, dès les premiers jours
où la navigation sous-marine se fit l'apôtre du type à grande
prit tournure pratique,
flottabilité, ne parvint à faire admettre de longs et patients
qu'il cependant qu'après
efforts.
vue
Là encore s'est
produite l'évolution ordinaire. Notre pays occupe au point de
maritime une situation favorable. A cheval sur les deux mers du
exceptionnellement
monde les plus fréquentées, il Aroit passer à proximité de ses côtes, sinon toutes, du

moins les plus importantes des routes de mer par où se fait le commerce du monde

entier, routes que suivraient forcément les flottes de guerre au jour d'un conflit (2).
Tous les navires des nations du Nord de l'Europe passent par la Manche, dont nous
chemin des Indes
tenons puis devant Cherbourg
l'issue, et Brest. La Méditerranée,
et de cet Extrême-Orient où se débattent et se débattront de plus en plus les grands
de l'activité mondiale, est sous les vues de Toulon et de Bizerte.
problèmes
Ces heureuses dispositions, qui nous mettent aux portes des mers resserrées, nous

donnent la possibilité d'en permettre ou d'en interdire le passage, si nous possédons


un de navire sous-marin d'effectuer couramment les traversées,
type capable
menant à ces passages, de supporter les mers rencontrer, et d'y croiser
qu'on y peut
sans fatigues un temps suffisamment Aussi les efforts se sont-ils portés vers la
long.
réalisation d'un submersible ces qualités, et il n'est de dire
présentant pas exagéré
"
que nous y sommes pan'enus.

(*) Des explications plus complètes sur les caractéristiques des deux types se trouvent au chapitre vin, qui
traite de la navigation sous-mârine.

( 2) Lire à ce sujet l'ouvrage très intéressant et très documenté de l'amiral FOTJRKIEK : La Politique navale et la
flotte française. Berger-Levrault, éditeur.
LE NAVIRE DE GUERRE A TRAVERS LES AGES
78

Nos derniers bâtiments, jaugeant 700 tonneaux (*), ont les qualités de tenue à la
mer, de vitesse, d'habitabilité qui les rendent aptes à de longues randonnées et justi-
fient le nom de croiseurs sous-marins qu'on a proposé de leur donner.
Opérant par groupes sur lès grandes voies maritimes, on peut penser qu'ils en seront '
les maîtres. Associés aux escadres, tout au moins pour des expéditions pas trop loin-
taines, ils serontpour elles un renfort redoutable. Enfin, on peut envisager sans outre-
cuidance la possibilité pour eux d'atteindre un certain nombre de points du littoral
européen, où, en cas de conflits, leur présence et leurs opérations apporteraient
eAidemment un grand trouble. ..-"_.',

0) Type Archimede.
CHAPITRE III

LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE

sommaire d'un cuirassé. ^— Le caisson blindé renferme les organes vitaux du navire. -— Machines.
Description
— à gouverner.
Appareils
Le blockhaus. — Son — Le blockhaus du Césarevitch à la bataille du 10 août i go4. — La torpille
importance.
— Tube de lancement. — Sous le — L'efficacité —
automobile. pont cuirassé. delà torpille .automobile.
— Les derniers —
Quelques exemples démontrent qu?on peut s'en garer. progrès réalisés. L'éperon est aban-
donné.
Les moyens défensifs. — La cuirasse.,— La lutte de la cuirasse et du canon. — Cuirasses de fer. — Cuirasses
d'acier> — Procédé Harvey. — L'aciër-nickel. — La cémentation.— Les épreuves.des plaques.
Chaudières "cle divers modèles.,— Tubes de feu et tubes d'eau. — Le charbon.— Ce qu'en consomme un navire.
— Le rayon d'action. ^^Ravitaillement, en rade, à la mer. — L'exemple de la .flotte russe de Rodjest-
. venski. — La chauffé au pétrole. — des lions tuyautages de vapeur..— Machines. —
L'importance Usage
delà vapeur eil détente. —-Machines 1à multi]}les — Machines verticales, horizontales. —
expansions. Descrip-
tion d'une machine de 17 5oo chevaux. — Les turbines à action, à réaction. — Installation des turbines du
Danton. —Examen des machines' à turbines et alternatives. — Les moteurs à — Le
comparatif explosion.
moteur Diesel. •— Les moteurs à gaz.

AMENAGEMENT DU NAVIRE

Le cuirassé, que je prendrai comme type du navire de guerre moderne, est le

réceptacle d'une foule d'appareils tous plus, compliqués, tous plus délicats les uns

que les autres, accumulés, entassés, boulonnés dans tous les coins disponibles, avec
une telle profusion, dans les flancs d'un bâtiment de guerre de
qu'une promenade
nos jours ressemble assez bien à une visite dans les galeries d'une exposition de
machines-outils.
U a bien fallu
en effet appliquer les procédés mécaniques à la manoeuvre d'un
matériel dont le poids et les dimensions vont sans cesse en grandissant.
Nous sommes loin du temps où quelques bras robustes suffisaient à pointer, charger
les canons, à monter des soutes les projectiles et les sacs de poudre. En effet, nos

pièces de 3ocm pèsent 47oooks, celles de ig™, io8ookff.


Le poids des obus Ararie de 34o à 3oks ; celui d'une tourelle contenant deux pièces
de 3ocm av;ec leurs affûts et accessoires est de près de 700 tonnes.
Le canon de 3o qui constituait l'armement principal des anciens Araisseaux lançait
un boulet de i5kff environ.
Les chaînes et les ancres d'un cuirassé de 16000 tonnes pèsent iooook 5 ; celles
d'un vaisseau de 120 canons atteignaient à peine 7 000kff(1).

En comptant' seulement un maillon de chaînes d'une longueur de 3o mètres.


(')
8o LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE

Sur ce même vaisseau la manoeuvre des voiles et de l'artillerie exigeait un équipage


de 800 hommes. Le même nombre d'hommes suffit sur le plus puissant de nos
cuirassés, mais que la machine
à condition vienne suppléer qui manquent aux bras

pour virer le cabestan, hisser les embarcations, pointer les canons et même les écou-
villonner et les charger, monter jusqu'à eux les projectiles énormes et leurs charges
de poudre. Le tout sans tenir compte encore des services multiples que des bras ne
sauraient rendre : éclairage, ventilation, épuisement des voies d'eau, extinction des
incendies, etc.
Pour ne plus employer le bois, que l'acier a remplacé complètement, les construc-

FIG. 66. — des couples d'un navire de guerre et des cloisons étanches.
Montage

teurs de navires modernes,


lorsqu'ils veulent édifier un de ces énormes bâtiments

qui auraient paru fabuleux il y a trente ou quarante ans, n'en suivent pas moins,
dans les grandes lignes, les procédés de leurs devanciers.
On ne cherche plus dans les forêts, et on ne réserve plus comme arbres du roi, les
chênes aux puissantes ramures dont les fourches étaient reconnues aptes à former
l'ossature des vaisseaux ; on ne prépare plus dans les ateliers, à grands coups de
hache ou d'herminette, les savantes entailles, nommées écarts, où se complai-
saient les habiles charpentiers, et qui servaient à assembler, suivant des lignes com-

pliquées, les pièces d'une membrure.


Mais un travail analogue s'opère sur les plaques de tôles d'acier ou sur les cor-
nières à double T qui, elles aussi, tout comme les madriers de chêne, doivent se
modeler suivant les formes bizarrement contournées que présentent les flancs ou les
fonds d'un navire.
LE NAA'IRE DE GUERRE MODERNE 8l

Comme autrefois pour les couples en bois, les tôles qui forment la carcasse du
bâtiment et qui s'appellent toujours des couples, prennent leur point d'appui sur la

quille à laquelle elles sont liées indissolublement.


Ces couples, incurvés selon les indications précises que le plan du naAire a fournies
à l'usine d'où ces pièces sortent toutes préparées, forment comme les côtes de l'énorme
carcasse du bâtiment,qui peut être assez justement comparée à la partie supérieure
du corps humain, la colonne Arertébrale jouant dans ce dernier le rôle delà quille,
et les vertèbres celui des couples.
Si on A7eut pousser plus loin cette comparaison fort commode, on peut dire que
les muscles et la peau qui recouArrent les côtes humaines représentent les tôles ap-

pliquées sur les couples, et à leur tour les mécanismes divers renfermés dans la coque
du navire et destinés à le faire mouAroir
se peuArent assimiler aux organes vitaux,
coeur, poumons, estomac, qui remplissent la cavité thoracique.
Les couples du bâtiment reçoivent doncnh revêtement de tôles qui, en empêchant
l'eau de pénétrer à l'intérieur, donne au navire sa floLtabilité.
Des plans de, tôle horizontaux ou légèrement incurvés, placés à une certaine dislance
les uns des autres et solidement rivés sur les couples, donnent à l'ensemble de la
construction rigidité et solidité.
Ce sont les ponts qui, par ailleurs, sont nécessaires pour porter les logements et
l'artillerie. =
- de fortes cloisons,
Enfin, placées à intervalles assez rapprochés et perpendiculaire-
ment à la quille, diA'isent la coque en compartiments dits étanches, dont la con-
tenance est calculéepour que la flotlabilité du naAire, c'est-à-dire son existence,
ne soit pas compromise si un ou même plusieurs de ces compartiments sont envahis

par l'eau à la suite d'un échouage ou d'une a\rarie quelconque.


Il nous faut examiner maintenant les dispositions qui feront de la coque dont je
viens de décrire les lignes générales un bâtiment de guerre prêt à affronter les coups
de l'ennemi.
Sur les flancs de notre naAire et sur toute sa longueur, on placera une série

d'épaisses plaques d'acier qui protégeront la flottaison, partie Aitale où toute déchi-
rure provoque l'enA'abissement de la coque par l'eau. Cette protection de la flottaison
ne se borne pas à la ligne où l'eau lèche les flancs du navire ; pour qu'elle soit assurée
en toutes circonstances, les plaques de cuirasse descendent à plus d'un mètre au-des-
sous et s'éhYvent à deux mètres environ au-dessus.
La position de la ligne d'eau
dépend en effet de plusieurs causes. Si le bâtiment
est lège, par exemple après une assez longue naAigation qui aura réduit sa provision
de charbon, celte ligne sera située très bas ; elle remontera beaucoup plus haut en
revanche au départ du port, au moment où le bâtiment portera ses approvi-
sionnements au grand complet. Les roulis et de même la bande ou la. gîte Ç) que peut

prendre le navire sous une influence quelconque viendront également modifier à

(J) Termes indiquant l'inclinaison plus ou moins durable que prend un bâtiment pour une cause quelconque,
par exemple le déplacement, accidentel ou non, d'une partie de la cargaison, et, pour un navire à voiles, la pres-
sion du vent sur la voilure.

SA.TIVA.IKE JOURDAN. G
FIG. — Vue "
C7. d'ensemble d'un cuirassé du DANTON
type
1 Cuirasse.
15 Mât de pavillon.
2 Hublots. 27 Colonne AU aire
(Fanaux de nuit).
16 de drisses. pour signaux 41 Blockhaus,
3 Coupée. Vergues 28 Feu de commandement
17 Marocain les drisses (contre-amiral). 42 Observatoire de tir,
4 Sabords. (pour des pavillons de 29 Feu de commandement
(vice-amiral). 43 Patacrelle. •
5 Sabords signaux). 30
à charbon. Tangon, 44 de l'amiral).
18 Drisses de pavillon. Majorité (passerelle
6 Ëcubier. 31 Porte-manteau des embarcations.
19 Pavillon de proue au grandes 45 Tourelle cuirassée pour a canons de 3orm (avant).
7 Échelle de mouillage. 32 Porte-manteau d'embarcation
pilote. 20 Flamme de la marine de guerre.
46 Tourelle cuirassée pour 3 canons de 3oCD 1 (ar-
8 Echelle de 33 Vedette à
coupée. 21 Corne de combat vapeur. rière),
9 Cabestan. (poste du pavillon national). 34 Canot à vapeur. 47 Tourelle cuirassée 2 canons
22 Feu de mouillage. pour de' 24"".
10 Cheminées des chaufferies 35 Baleinière de
avant. 23 Feu de remorque. sauvetage. 48 4 canons de 75n"n en batterie,
11 Cheminées des chaufferies 36 Bouée de
arrière. 24 Feu de hune. sauvetage. 49 a canons de
75°"".
12 Cheminée d'évacuation des 37 Mât militaire.
machines. 25 Feu à éclat. 50 Capot de pointeur.
13 Cheminée des cuisines. 38 Projecteur.
nn T? » , 51 Antenne de T. S. F,
14 26 r eu de route \ rouée à bâbord. 39 et son habitacle.
Ventilateurs. t • . -r Compas
I . vert ? a tribord. 1
40 Capots des télémètres.
Litjue maritime française.

FIG. 68. d'un cuirassé du " ".


—Coupe type PATRIE

Caraclërîstiaues : Longueur i34m; 2Ûm ; Tirant d'eau 8m,38 ; Déplacement Ï4 8651 ; Force Vitesse d'action 8 4oo milles à 10 noeuds
Largeur 17600 ch.-vap. 19 noeuds; Rayon ;
Équipage 793 nommes dont 3o officiers. Prix de revient 36,5 millions.
Armement: !\ canons de 3ocm ; 18 canons de iCl'm ; 26 canons de k'1mM\ 5 tubes lance-torpilles.
Protection : Voir la figure 109.

1 Double coque. 13 Servo-moteur. 25 Coursive latérale faisant leB coffer- 36 Tourelles do 2 canons de [G'™.
communiquer accouplés
2 Kperon. 14 Puits aux chaînes. dams. 37 Casemate de 1 canon de i6qB>.
3 Gouvernail. 15 Projecteur. 26 Infirmerie. 38 Casemate.
4, 4, Hélices. 16 Appartement du commandant. 27 Chaufferies. 39 Artillerie secondaire (pièces de 't]"™).
5 Limite supérieure de la cuirasse. 17 Cabines des officiers. 28 Chaudières. 40 Tube L. T. mobile.
6 Limite inférieure de la cuirasse. 18 Carré des officiers. 29 Machinerie. 41 Tube L. T. fixe sous-marin.
7 Mât militaire. 19 des maîtres. 30 Ventilateurs. 42 Soute des 3o°".
Logement
8 Passerelle. 20 de
Logement l'équipage. 31 Cheminées. 43 Soute des IÔ*1*.
9 Blockhaus. 21 Cuisines. 32 44 Soutes.
Dynamos.
10 Chambre des cartes. 22 Cambuse. 33, 35, Tourelles cuirassées, armécB de deux canons 45 Soutes à charbon,
11 Chambre des montres. 23 de Citerne à
Magasin. accouplés So1"1*. 46 pétrole.
12 Timonerie. 24 Coursive centrale. du Citernes à eau.
34 Capot pointeur. 47, 48,
8/4 LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE

chaque instant la position de la ligne d'eau. La cuirasse devra couvrir la coque sur
la hauteur où la ligne de flottaison se déplace ; elle devra la couvrir encore bien
contre les obus qui viendraient la frapper au-dessous de
plus bas, pour la protéger
1 eau sans avoir, au préa-
lable, traversé une couche
de liquide assez épaisse
pour que leur choc soit
suffisamment amorti.
Au-dessus de cette cui-
rasse de ceinture, dont le
bord supérieur s'élève pra-

tiquement à environ deux


mèlres plus haut que la
ligne de flottaison, on

place, comme une sorle de


couvercle, une cuirasse
horizontale, ou mieux,
FIG. GO,. — Disposition du cuirassement formant caisson blinde.
légèrement incurvée, et
C, caisBOn blindé. Ps, [>ont blindé supérieur.
V, cuirasse de flottaison. I'(, pont blindé inférieur (en dos d'âne). cui-
Cs, can supérieur de la cuirasse. qu'on nomme le pont
rassé.
La partie de la coque immergée, la cuirasse de ceinture et le pont cuirassé forment
la partie essentielle du cuirassé. C'est une sorte de coffre, de caisson blindé (fig. 69),

qui théoriquement doit être à l'abri de toute avarie causée par les projectiles.
Aussi y renferme-ton les appareils vitaux du navire, ceux qu'il importe de sous-
traire aux atteintes des ODUS

parce que leur destruction


entraînerait, sinon la perte
du bâtiment, tout au moins
sa mise hors de combat et
son annihilation comme
arme de guerre.
Mais les boulets ne sont

pas les seuls ennemis qui


menacent la coque d'un bâ-
timent ; les torpilles de toutes
FIG. — Cloisonnement alvéolaire
70. (Ctearevilch).
sortes éclatant à son con-
CC, caissons contre l'effet des torpilles.
intérieures du caisson alvéolaire formées la prolongation
tact ou dans son voisinage PP, parois
du pont cuirassé B.
par

peuventégalementla crever.
r,n denors du combat meine, un acculent de navigation peut toujours la déchirer
contre un rocher. Les torrenls d'eau
qui pénétreront par ces ouvertures béantes
seront sans doute arrêtés par les cloisons étanches dont j'ai parlé plus haut et dont
notre cuirassé sera muni.
Mais on a pensé que cette disposition ne donnerait pas encore une sécurité absolue
LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE 85

et qu'il était bon de réserver aux cloisons étanches le rôle de la dernière ressource.
En conséquence, on tend de plus en plus à doubler et même à tripler la coque dans sa

partie inférieure. Les intervalles


entre ces diverses laissés
parois sont eux-mêmes
divisés par de petites cloisons en un nombre considérable de cellules complètement
isolées les unes des autres (fig. 70).

Qu'une torpille ou un écueil vienne déchirer et détruire un certain nombre de ces


alvéoles, le dommage sera localisé et la sécurité du bâtiment ne sera pas compromise

par la quantité d'eau relativement faible qui se sera ainsi logée dans ses côtes.

Le plus important des appareils enfermés dans le caisson blindé est la machine
avec ses nombreux acces-
soires, chaudières, arbres
de couche, etc.
Les navires modernes

possèdent plusieurs ma-


chines motrices. On s'as-
sure ainsi la possibilité
de marcher encore si une
ou même deux des ma-
chines sont avariées.

Chaque machine est

séparée des autres par une


cloison étanche. Il en est
de même pour les chau-
FIG. — Les chaises des hélices d'un cuirassé Danton.
71. type dières en chauf-
groupées
ienes.
Là, comme partout ailleurs, on cherche à localiser les avaries, qui pourraient, si
tous les organes étaient uniques, immobiliser le navire et le laisser à la merci d'un
ennemi entreprenant.
La règle actuellement adoptée consiste à munir le bâtiment de trois ou quatre
hélices, montées sur autant d'arbres de couche que font mouvoir un pareil nombre
de machines indépendantes. Ces arbres sont de fortes pièces d'acier qui sortent de la
coque à l'extrême-arrière, dans l'axe même et sur les flancs. Ces derniers, placés à
une assez grande distance de l'étambot, tourneraient dans de très mauvaises condi-
tions, en raison du porte-à-faux, si on ne les soutenait par des supports rivés sur la
carène et qu'on nomme chaises.
Au point même où les arbres porte-hélices traversent la muraille, on a dû placer
un appareil qui, tout en leur laissant la facilité de tourner sans frottements exagérés,
empêche l'eau de pénétrer dans lintérieur. Cet appareil porte le nom de presse-étoupe.
Le nombre des hélices ne dépasse pas trois pour les navires mus à la vapeur, mais
il est généralement supérieur lorsque les appareils moteurs sont des turbines.
C'est précisément le cas pour nos cuirassés du type Danton qui portent quatre hélices
montées sur quatre arbres.
86 LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE

Une foule d'organes vitaux trouvent encore place sous les ponts cuirassés et par

conséquent à l'abri des projectiles.


Ce sont, par exemple, les machines productrices de l'électricité répandue à profu-
sion dans tous les coins du navire et dont l'extinction serait un véritable désastre au
cours d'un combat.
Il faut se rendre compte, en effet, qu'aucune autre lumière ne pénètre dans les
fonds du navire et que les ténèbres profondes dans lesquelles la disparition de

l'éclairage les plongerait impossible à l'équipage


rendraient l'accomplissement des

multiples et impérieuses besognes aussi nécessaires pour la vie du navire que les
battements du coeur pour celle du corps humain. Les chauffeurs ne pourraient plus
charger les lourneaux des
chaudières, d'où arrêt des
machines par suile du

manque de vapeur ; il
deviendrait impossible
aux hommes chargés du
maniement des muni-
tions des canons, de les

manipuler dans les sou-


tes ; en un mot, ce serait
la fin du navire.
Il n'est pas nécessaire
d'insister sur les raisons

qui ont fait placer sous la


FIG. — Gouvernails d'un trois-ponts et d'un cuirassé moderne. flottaison et dans la partie
72.
du navire la plus abritée
les magasins contenant les projectiles et les charges de poudre et qu'on appelle les
soutes.
Il faut faire observer d'ailleurs, que ce nom s'applique à tous les espaces clos où
se renferme le matériel mobile qui entre dans l'armement d'un bâtiment. C'est ainsi

que l'on trouve généralement dans la cale, la soute aux vivres, également dénom-
mée cambuse, la soute aux prélarts qui a remplacé la soute aux voiles et où sont
renfermées les tentes, et quelques autres.
Le gouvernail, ou pour mieux dire l'ensemble des appareils qui servent à diriger le

bâtiment, est un organe si nécessaire que l'on prend toutes les précautions pour le
mettre à l'abri des accidents.
Ce gouvernail, dont la partie supérieure apparaissait au-dessus de l'eau sur les
anciens vaisseaux en bois et qui était de ce faitassez exposé aux boulets, estmaintenant
descendu au-dessous de la flottaison
et complètement caché.
La forme de cet auxiliaire de la navigation a également beaucoup
indispensable
varié. Une faible largeur lui suffisait autrefois pour faire évoluer les navires à voiles
dont la longueur ne dépassait pas 8om et dont le rapport de la longueur à la largeur
était d'environ 3, 5,
LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE

Les cuirassés modernes ont couramment i55m de long avec 2 6m'de largeur (*), la
'
surface de leur gouvernail a dû être augmentée considérablement pour arriver à les
faire tourner dans un espace raisonnable.
Il faut dire d'ailleurs que les facultés de giration de nos navires modernes sont
loin d'égaler, en dépit des expédients, celles de leurs devanciers, et que dans les cas'

urgents où il est nécessaire de tourner court, les commandants doivent différencier


là vitesse des hélices, ou même arrêter
complètement le mouvement de l'une d'elles

pour obtenir une évolution rapide que le gouvernail seul ne saurait leur assurer.
Dans le but d'augmenter le plus possible la surface du gouvernail, on emploie
souvent une disposition qui consiste à le composer de deux lames de tôle parallèles,
solidement reliées l'une à l'autre de façon à ne former qu'un bloc.
Legouvernail, dont la mèche ( 2) pénètre dans la coque par un trou placé sous
l'encorbellement de la partie arrière, prend son appui inférieur sur une forte pièce
de bronze qui prolonge la quille.
La barre s'emmanche sur la mèche. C'est sur elle
que l'on agit pour pousser le

gouvernail à droite ou à gauche. Si, à bord des embarcations ou des bâtiments de


faible tonnage, comme des yachts par exemple, il est possible de manoeuvrer le

gouvernail en agissant à la main sur cette barre, il en est tout autrement pour le

gouvernail d'un gros bâtiment dont la manoeuvre exige alors une force considérable.
On a même dû renoncer dans ce cas aux appareils multiplicateurs en forme de
treuils, qui suffisaient avec les bâtiments à voiles doués d'une Aitesse généralement
assez faible.
Nos navires modernes
atteignent facilement 20 noeuds ou 37km à l'heure. On con-

çoit que l'opération qui consiste à mettre le gouvernail en travers des filets d'eau
animés d'une pareille vitesse (plus de iom à la seconde) exige un déploiement de
force énorme.
On fait donc appel aux sources d'énergie que la volonté humaine sait utiliser, la

vajDeur ou l'électricité.
Des appareils appelés servo-moteurs, merveilles d'ingéniosité, permettent à un
seul homme, qui tourne sans aucun effort une petite roue, sur la passerelle du
navire, de faire mouvoir le gouvernail à droite ou à gauche.
En raison de l'importance extrême du rôle
cet organe dans la vie du
que joue
naA'ire, on a dû prévoir qu'une avarie quelconque pourrait à un moment donné se

produire dans une des parties, d'ailleurs assez délicates, des appareils qui actionnent
la barre, que ce soit dans le servo-moteur lui-même ou dans les longues rênes qui
lui transmettent les mouvements de la roue de manoeuvre. On a en
conséquence
installé à bord
plusieurs de ces appareils et multiplié les postes d'où on peut manoeuvrer
le gouvernail, en les plaçant tous, sauf celui qui sert dans la navigation courante,,
à l'abri des plus fortes cuirasses.
Les ponts cuirassés et le blindage des flancs protègent encore les postes à torpilles,

(')'Le rapport de la longueur à la largeur est porté à 6.

( 2) On appelle ainsi la tige verticale cjui surmonte le gouvernail et au moyen de laquelle on le manoeuvre.
88 LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE

dont nous reparlerons plus loin, ainsi que le tuyautage très important au moyen
duquel on épuiserait l'eau qui pourrait envahir un ou plusieurs compartiments de la

coque.
Dans ce but, un fort
tuyau nommé drain court le long de la quille à l'intérieur
du bâtiment en se ramifiant en autant de branches qu'il existe de compartiments
intéressés. Ce drain aboutit à de puissantes pompes centrifuges qui aspirent l'eau et la

rejettent à l'extérieur. Le débit de ces pompes atteint gooo tonnes à l'heure. On voit

qu'elles peuvent faire face à de grandes invasions d'eau correspondant à des déchi-
rures considérables de la coque.
Un sentiment d'humanitéque l'on comprendra aisément a encore fait placer sous
la flottaison le local où seraient transportés les blessés pendant le combat et où ils
recevraient, à l'abri tout au moins des obus et de leurs éclats, les soins du personnel
médical.

La partie du bâtiment qui vient d'être décrite, succinctement ne joue, on le voit,


aucun rôle direct dans l'oeuvre militaire dite, en vue de laquelle le
proprement
navire de guerre est conçu.

qui constitue
L'artillerie, au contraire sa force offensive, ne saurait prendre place
dans ce caisson blindé, qui s'élève de un ou deux mètres à peine au-dessus de l'eau.
On s'efforce, au contraire, de l'installer à une hauteur suffisante pour qu'elle soit
à l'abri de l'assaut des vagues : à lui donner, suivant le terme adopté, un commande-
ment satisfaisant.
Les pièces, que l'on tend de plus en plus à renfermer toutes dans des tourelles
cuirassées, sont donc placées sur le pont supérieur où on les distribue suivant un

plan savamment et minutieusement combiné.


Il faut en effet, d'une
que leur poids,
part, très considérable, soit réparti égale-
ment sur la surface du pont de manière à ne pas troubler l'assiette du navire, et,
d'autre part, que leur groupement donne dans toutes les directions la puissance de
feu la plus considérable possible.
On conçoit aisément combien
imprudent il serait
de laisser ainsi les tourelles
isolées sur le pont du naAire. Elles seraient bien protégées par leur épaisse cuirasse
contre les coups de l'ennemi qui les frapperaient horizontalement, mais on se

figure dans quel état les mettrait un obus qui, traversant les flancs du bâtiment peu
ou pas protégés comme nous leA7errons tout à l'heure, éclaterait au-dessous d'elles
et les ferait sauter en l'air aA'ec les canons et tout ce qu'elles renferment.
Pour parer à ce danger, on rend les tourelles tout à fait indépendantes du pont sur

lequel elles paraissent reposer ; elles sont en réalité par un pivot portées qui descend:
jusqu'à la quille, où il prend son point d'appui. Ce piArot tarverse donc le navire du
haut en bas, et, pour s'assurer qu'il ne sera pas atteint par les projectiles dans la partie
où il n'est pas protégé par la cuirasse ou la mer, on l'entoure d'un tube fortement
blindé.
L'armement, raison d'être du bâtiment de guerre, est, comme on le voit, mis au-
tant que possible à l'abri des accidents ; et en résumé, le cuirassé nous apparaît
LE NAAIRE DE GUERRE MODERNE «0

comme un fort flottant constitué


par une sorte de ponton couvert d'une armure
d'acier renfermant les organes vitaux du navire, ceux qui le feront marcher et évo-
luer, au-dessus duquel les canons enfermés dans leurs tourelles s'élèvent à une assez

grande hauteur, portés par des sortes de tours blindées.


La partie du navire qui surmonte le ponton n'est pas d'ailleurs complètement
abandonnée aux obus. Une cuirasse de moindre épaisseur que celle de la flottaison,
mais suffisante cependant, couvre les flancs sur une grande partie de la hauteur et

protège les services et le matériel installés au-dessus delà flottaison. Ceux-ci, pour
n'avoir pas l'importance des organes renfermés dans le caisson blindé, n'en méritent

pas moins d'être mis à l'abri des projectiles de calibres moyens tout au moins.
Ce matériel est celui qui se rapporte à la vie de tous les jours, logement des offi-
ciers et de l'équipage,
cuisine, boulangerie, em-
barcations, eau douce,
etc.
On tend de plus en
plus à suppri mer les mâts,
ou tout au moins à les
réduire au minimum
nécessaire pour faire
les signaux et porter les
antennes de télégraphie
sans fil. Nous plaçons
cependant encore sur
nos cuirassés, à l'excep-

FIG. 73.
— Vue extérieure d'un blockhaus. tion des derniers, un
mât dit militaire. C'est
ronde que l'on
une sorte de tour qui porte à son sommet
en acier, une plate-forme
arme de quelques canons de petit calibre destinés à combattre les torpilleurs enne-
mis. La grande hauteur à laquelle ces canons sont placés leur donne, à ce point de

vue, une grande utilité. Un projecteur est également installé sur le mât militaire ;
il éclairera
les torpilleurs que les petits canons mitrailleront.
Avant de terminer cette description sommaire du navire, il faut encore dire un
mot des passerelles sur lesquelles se tiennent les officiers chargés de la direction du
bâtiment. Ces plate-formes doivent d'embrasser la totalité de l'horizon, ce
permettre
qui implique une certaine élévation, au-dessus tout au moins des mille obstacles qui
encombrent le pont du bâtiment. On y réunit dans une sorte d'abri vitré, où les
hommes de barre et les officiers trouvent un asile contre l'inclémence du temps, tous
les appareils servent à transmettre les ordres de manoeuvres aux machines et
qui
dans les diverses parties du navire.
Ces passerelles, on le conçoit, sont des constructions légères que les premiers pro-

jectiles emporteraient. Aussi sont-elles construites uniquement pour la navigation en

temps de paix.
9° LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE

Pendant le combat, le commandant, les officiers


qui l'assistent et les matelots pré-
posés à la manoeuvre de la barre et des appareils de transmission des ordres, s'en-
ferment dans un réduit fortement qu'on nomme
cuirassé,
blockhaus.
Le blockhaus joue dans la vie guerrière du navire un rôle si primordial me
qu'il
paraît nécessaire d'en donner une description un peu détaillée.
On n'aurait pas admis autrefois que le commandant d'un vaisseau se tînt
pendant
l'action ailleurs
que sur sa dunette, en
grand uniforme, le porte-voix en main,
bien en vue de tous et
exposé autant que le
dernier matelot de son bien
équipage,
davantage même, aux balles et aux bou-
lets.
Sur ce point-là encore, que de change-
ments survenus ! Certes, nos officiers ont

gardé le caractère de leur


chevaleresque
devanciers et, en toutes occasions, ont su

prouver que les places où « ça pleuvait » ne


leur étaient pas autrement
désagréables.
Il a bien fallu cependant reconnaître que
les rafales d'acier qui s'abattent sur les

ponts des bâtiments dans les combats mo-


dernes ne permettaient pas d'exposer à une
mort certaine, dès le début d'une action,
l'homme sur qui repose le destin du navire.

Assurément, il est bien admis


que malgré
FIG. 7&. — Vue intérieure d'un blockhaus. toutes les précautions, le commandant

pourra disparaître et les règlements pré-


voient minutieusement la transmission des pouvoirs de grade en grade jusqu au der-
nier aspirant (').
Mais cette transmission ne se produira pas sans de graves inconvénients. Il se

perdra du temps avant que le commandant en second, prévenu que son chef est
mort ou hors de combat, ait pu se hisser jusqu'au blockhaus, juger sainement la
situation et faire acte de commandement en pleine connaissance de cause. Il s'en

perdra bien davantage encore si le tour échoit à des officiers qu'il faudra aller cher-
cher dans les tourelles ou les profondeurs du navire.
On pourra voir se reproduire alors l'aventure qui se déroula à bord du cuirassé russe
Césarevitch le 10 août ioo4.
L'amiral Witgheft, qui commandait l'escadre russe sortie de Port-Arthur pour
essayer de gagner Vladivostok, se tenait sur la passerelle avec son aide de camp,

(') Par une mesure toute récente, l'appellation d'aspirant a été réservée aux jeunes gens qui sont embarqués
sur le croiseur Ecole d'application, à leur sortie de l'École navale. Les anciens aspirants de ile classe se nom-
ment désormais : enseignes de vaisseau de a" classe. On nous excusera d'avoir conservé dans ce volume l'ancienne,
consacrée par des siècles de tradition.
appellation,
LE NAArIRE DE GUERRE MODERNE
91

au moment où le feu était intense. Un obus qui vint éclater sur le mât de misaine
les tua tous les deux.

Quelques instants après, un projectile de So^C) frappa le blockhaus du cuirassé


amiral, entre le chapeau et la muraille même de ce réduit.
A l'intérieur du blockhaus se trompaient le contre-amiral chef d'Etat-Major, le com-
mandant du bâtiment, deux lieutenants de Araisseau et quatre matelots. Tout ce monde
fut tué ou blessé grièvement et il ne resta plus sur la passerelle un homme debout.
Or, à ce moment même, la barre aArait été mise pour venir à gauche ; elle resta
dans cette position, etle bâtiment, n'étant plus gom^erné, tourna sur la gauche, jeta le
désordre dans la ligne dont il tenait la tête et finalement, tournant toujours, se diri-
gea vers la ligne ennemie.
Ce fut le signal d'une confusion qui aboutit à une retraite précipitée de l'escadre
russe Arers Port-Arthur d'où elle ne devait plus sortir... que sous le pavillon japonais.
A bord du Césarevitch, on fut quelque temps à s'ajiercevoir du drame qui s'était
déroulé sur la passerelle et qui laissait le navire sans direction. Puis il fallut préve-
nir le second, qui se hâta Arers le blockhaus ; mais pendant ce temps, le cuirassé,
abandonné par le reste de l'escadre à l'exception du cuirassé Beivizane qui avec
une rare intrépidité resta à son côté, tournait toujours. Il faillit tomber entre les
mains de l'ennemi.
On a donc jugé que le commandant du naAire, ainsi d'ailleurs que tous ceux qui
l'aident directement pendant le combat, deArait être mis tout autant que l'arme-
ment des canons à l'abri
des coups. Le blockhaus répond à ce desideratum.
Il ne faudrait pas conclure de l'exemple du Césarevitch que l'abri du blockhaus
soit illusoire. La catastrophe fut due au très malheureux hasard qui conduisit le pro-
jectile et le fit éclater au seul point vulnérable de la tour. S'il avait frappé quelques
centimètres plus bas, son effet eût été à peu près certainement nul.
Le blockhaus, tel qu'on le construit actuellement, est une sorte de réduit rond ou
ovale dont la muraille est faite d'une cuirasse assez épaisse pour défier les coups des

plus puissants obus. Cette tourne dépasse pas la hauteur des yeux d'un homme.
Elle est surmontée d'un incurA'é, également formé d'une plaque de blindage,
toit qui
ne s'appuyant que de place en place sur la muraille Arerticàle laisse subsister une
fente circulaire par où les personnes placées dans le blockhaus ont vue sur le large.
Onpénètre dans le blockhaus par une porte ménagée à l'arrière. Une plaque
de cuirasse placée Arerticalement à une distance suffisante de cette porte la défend
contre les projectiles.
On installe dans le blockhaus tous les appareils qui permettent de faire parvenir
aux différents services les ordres du commandant. Aussi ces réduits offrent-ils un

assemblage étrange de porte-voix, tubes acoustiques, appareils électriques divers, de


manettes et de roues, au moyen desquels on correspond avec les machines, les tou-
relles, le servo-moteur. Bien entendu, un appareil de commande à la barre et un

compas y sont aussi installés.

Comm 1 La lutte de la mer.


( 1) DAVELUYJ pour l'empire
LE NAA'IRE DE
g 2 GUERRE MODERNE

Il a fallu songer à mettre tous ces appareils de communication à l'abri des obus, non

seulement sur le pont, mais encore sur leur parcours leurs d'aboutis-
jusqu'à points
sement. A cet effet on leur fait suivre un trajet qui passe sous le pont cuirassé. Ils
sont amenés à cet abri par un tube blindé qui descend verticalement au-dessous
du blockhaus et aboutit à un poste central où les mêmes appareils de commande
sont installés en double ; ces derniers seraient utilisés si ceux du blockhaus étaient
détruits ou mis hors de service.

LES ARMES

Après aAroir esquissé à grands traits la silhouette générale du bâtiment de guerre,


nous passerons en revue aArec quelques détails ses principales parties, et notamment
tout le matériel spécialement destiné à servir pendant le combat, soit pour attaquer
l'ennemi, soit pour
proléger le bâtiment de ses coups.
Atout seigneur tout honneur 1 C'est donc par l'artillerie que nous devrions com-
mencer. Mais la grande importance de cette matière Araut qu'on y consacre un cha-
pitre entier ; il suivra celui-ci. Nous passerons donc maintenant à la description des
autres engins offensifs et défensifs que l'on trouAre à bord d'un bâtiment de ligne.

TORPILLES ET ÉPERON

Après le canon, arme principale du naAire de guerre, il faut placer la torpille.


Nous aA'ons déjà ATI ce que sont les torpilles de fond et de blocus destinées à la
défense des passes ; il nous reste à étudier la torpille automobile, appelée aussi

torpille Whitehead, du nom de son inventeur et principal constructeur, génial


ouATier autrichien à qui cette invention a Aralu une énorme fortune et une renommée
univer selle.

L'apparition de la torpille Whitehead a causé une véritable réArolution ; on


put croire quelque temps, et beaucoup crurent effectivement, que cet engin qui
allait, tout seul, porter fort loin contre les coques des naAires et y faire éclater une
forte charge d'explosifs, rendrait désormais inutile la construction des gros cuirassés

incapables de supporter son choc. Il sembla que de petits bâtiments rapides et invisibles
dans la nuit, qui slanceraient à la rencontre des escadres, et leur décocheraient
de loin leurs torpilles, suffiraient désormais
pour assurer la maîtrise des mers.
Ce fut la belle époque et le règne sans conteste du torpilleur. Mais on dut assez
vite revenir de l'espèce d'emballement qui séAit tout spécialement en France, et
reconnaître que les torpilles manquaient souA7ent leur but,que celles qui y allaient
n'explosaient pas toujours, et qu'enfin
on pouvait obvier aux grands dégâts causés
par leur éclatement en augmentant le nombre des cellules dans les fonds des
cuirassés, ou bien encore en interposant une légère cuirasse entre les deux coques
qui forment les fonds.

Cependant, malgré les premières imperfections auxquelles de nombreuses amé-


LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE 93

liorations ont remédié en partie, la torpille reste encore une arme fort redoutable, et
en dépit des critiques dont elle a été l'objet, on continue à en munir nos grosses
unités de combat (*).
On pense en effet que ces engins leur pourront être utiles en les aidant à se
défendre contre un ennemi qui les approcherait de trop près, ou en leur permettant

FIG. — d'une Whitehead.


75. Coupe torpille

a, hélice de surete. /, chambre des machines,


b, mécanisme d'inflammation g, flotteur arrière.
f, charge de fulmi-coton. h, engrenage des hélices.
d, chambre des régulateurs. ii, gouvernails.
e, réservoir à air comprimé. jj, hélices.

de détruire définitivement un adversaire démonté de son artillerie ou de ses


machines.
A cet effet chaque cuirassé porte quelques tubes, sortes de canons au moyen
desquels on projette la torpille, la chasse s'opérant par l'action d'une petite charge
de poudre ou une détente d'air comprimé qui ne sert qu'à pousser la torpille hors du
tube, après quoi elle se met en route d'elle-même comme on le verra dans un
instant.
Les tubes lance-torpilles sont
généralement placés sous le pont cuirassé et par consé-
quent sous la flottaison. On a dû adopter cette disposition pour éviter les désastres

qu'entraînerait l'explosion, sous le choc d'un projectile ennemi, soit des charges de

FIG. — extérieur d'une


76. Aspect torpille.

fulmi-coton contenuesdes torpilles,dans le cône


soit de leurs réservoirs où l'air est

comprimé sous une pression de 90 à 120 atmosphères.


Tout ce matériel, d'un maniement délicat et même dangereux, se trouve ainsi

placé à l'abri de la cuirasse et en sûreté par conséquent.


Le fait d'avoir à lancer les torpilles sous l'eau et la nécessité d'empêcher les
rentrées d'eau par les joints des tubes ou par les tubes eux-mêmes ont conduit à

adopter pour ces tubes un système assez compliqué de valves et d'obturateurs qui
en rendent, somme toute, la manoeuvre délicate.
La torpille Whitehead est une sorte de cigare d'acier, long de 5 à 6'", d'undiamè-

(') La Whitehead la marine française l'armement des cuirassés du Danton est


torpille adoptée par pour type
du diamètre de 56cm, munie d'un à 5 ooo mètres et possédant encore à 4ooo mètres une
gyroscope, portant
vitesse de 4o noeuds.
0,4 LE NAVIRE DB GUERRE MODERNE

tre Avariant de 45 à 55cm suivant le modèle


auquel elle appartient, divisé en sept
compartiments séparés les uns des autres par des cloisons.
En commençant par l'extrémité aATant, on y A^oit une partie conique qui contient
une puissante charge d'explosif (rooktf de fulmi-coton), dont la déflagration produira
des dégâts formidables.
Pour
aAroir une idée de la puissance de destruction de cette substance (*) il faut
saAroir que ik 6 de fulmi-coton équivaut en puissance à 4kfî de poudre noire.
Cette charge ne peut s'enflammer que sous la détonation d'une amorce au ful-
minate de mercure.
Pour la détonation,
amener il faut qu'un choc se produise sur un mécanisme
percutant vissé à l'extrémité du cône où est renfermée la charge.
On conçoit le danger extrême qui existerait si ce mécanisme de percussion était
armé et pouvait produire son effet dès l'introduction de la torpille dans son tube.
Il suffirait en effet du moindre heurt contre un obstacle quelconque, un morceau
de bois flottant, par exemple, rencontré dès la sortie du tube, du choc même de la
pointe sur l'eau, pour faire détoner là chargé et causer des désastres.
On obvie à ce danger en plaçant à l'extrême du mécanisme de percussion
pointe
une petite hélice que la Aitesse de la torpille fait tourner. La pièce d'acier qui porte
cette hélice, A'issée dans un logement à l'extrémité du mécanisme, se déplace sous
le mouArement de l'hélice et permet alors au percuteur, qu'elle avait jusque-là immo-
bilisé, déjouer dans son logement et de produire son effet, mais seulement aune
certaine distance de son point de départ, lorsque la torpille touchera le but sur
lequel
on l'a lancée.
Dans le compartiment qui suit le cône de charge sont logés deux des organes
destinés à régler les mouvements de la torpille et qui la forcent à suivre la trajectoire
assignée. Ces organes sont d'abord un pendule dont les mouArements, transmis par
un système de tringles jusqu'au gouA'ernail horizontal fixé à la queue de la torpille,
le font manoeuA^rer pour corriger les écarts dans le plan A7ertical elle se
auxquels
laisserait entraîner.
D'autre un piston hydrostatique
part, agissant sur le même gouvernail horizontal
ramène toujours à la profondeur fixée, généralement trois mètres, la torpille quiaurait
une tendance à naAiguer au-dessus ou au-dessous de cette profondeur.
Pour en finir avec les organes régulateurs, il faut citer ici le gyroscope, logé dans
le cinquième compartiment et qui, ainsi qu'on le dira plus loin, actionne le gouA^er-
nail Arertical et assure que la direction primitive sera fidèlement maintenue.
Ces deux gouvernails forment véritablement la queue du poisson la tor-
auquel
pille Whitehead être très justement
peut comparée.
Après les régulateurs, petites merveilles de mécanique sur les détails desquels je
ne puis insister sans entrer dans la complication, Aient le réser\roir cylindrique où on
comprime l'air nécessaire à la machine qui donne à son mouArenient.
l'engin
Ce réservoir est l'une des parties les plus délicates de la torpille. L'acier trempé qui.

(') Le fulmi-coton est un composé d'acide d'acide et de colon.


azotique, sulfurique
LE NAArIRE DE GUERRE MODERNE
g5

le compose doit offrir une résistance parfaite, sous peine d'accidents des plus graves.
L'air sous pression est amené, par des tuyaux que commandent les robinets né-
cessaires, jusqu'aux cylindres d'une machine minuscule, du modèle des machines à
vapeur, qui occupe le compartiment -suivant et dont les trois pistons actionnent un
arbre de couche unique.
Cet arbre traverse tout d'abord un cinquième compartiment, le flotteur arrière, qui
sert à assurer la flottabilité de la torpille dont le poids est considérable (53okff pour
la torpille de 45cm), puis un sixième dans lequel il communique son mouvement, au
moyen d'engrenages, à deux arbres secondaires.
Sur ceux-ci sont montées deux hélices, placées de part et d'autre de l'axe de la tor-
pille, et qui lui donnent son mouArement. Par suite de progrès successifs et d'inven-
tions nouvelles, les torpilles automobiles atteignent et même dépassent la Aitesse de
4o noeuds. De même, la rectitude de leur trajectoire, qui a bien longtemps laissé à
désirer, est deArenue presque absolue depuis que les usines Whitehead à Fiume leur
appliquent Un appareil, dénommé Obry, du nom de son hrventeur, et qui, basé sur
le principe du gyroscope, maintient inArariablement la route de la torpille dans la
direction qu'elle aArait au moment de son lancement.
Enfin, grâce à un autre perfectionnement qui consiste à réchauffer l'air au moment
où il est introduit dans la machine, le parcours de la torpille, longtemps borné à 5oo
ou 6oom, est porté maintenant à 4 ooo et 5 ooom.
Il semblerait qu'avec tous ces éléments de succès, une torpille deArrait toujours aller
droit à son but et y produire lés effets foudroyants que l'on attend d'elle.
Il n'en est pas ainsi et il faut compter aArec les circonstances qui .modifient
considérablement ses chances de réussite. C'est ainsi que l'officier chargé du lance-
ment doit tenir compte, tout comme un chasseur pour son gibier, de la direction
que suit son objectif et surtout delà vitesse qui l'anime. Ce sont là deux éléments
souvent et même la plupart du temps fort difficiles à déterminer, et dont l'appré-
ciation erronée envoie la torpille se perdre dans le Aide.
Les lancements de torpilles se feront, en temps de guerre, le plus souArent de nuit,
à bord de torpilleurs ballottés par la mer, dont les commandants auront à Areiller en
même temps à la manoeuvre de leur bâtiment lancé à a5 noeuds, au milieu des
fulgurantset aveuglants éclairs des projecteurs électriques, au milieu sans doute aussi,
delà grêle des projectiles petits, moyens et gros.
On juge du sang-froid que devTa posséder cet officier pour choisir, dans ce boule-
versement général, le moment précis où il faudra prononcer l'ordre décisif. C'est
-bien à lui assurément que s'appliquele Bobur et ses triplexdont le sagelîorace conseil-
lait aux simples marins des Aieux âges de munir leur coeur.
On ne sera pas étonné d'ailleurs, en considérant les circonstances au milieu des-
quelles se produit le lancement d'une torpille à bord d'un torpilleurau combat, cir-
constances que je Aiens d'esquisser, d'apprendre parles récits des opérations naAra-
les où cette arme a été employée qu'un bien petit nombre de torpilles atteignent le
but sur lequel elles ont été lancées. La premre en a été faite, d'une façon tout particu-
lièrement frappante, au cours de la guerre russo-japonaise, qui restera longtemps en-
NAVIRE DE GUERRE MODERNE
96 LE

core une source de renseignements précieux sur l'emploi des armes diverses de la
marine moderne.
Du côté russe aucun enseignement ne peut être tiré, car « il ne semble pas que
pendant onze mois un seul torpilleur russe ait lancé, ni même essayé de lancer, une
seule lorpille sur un bâtiment ennemi » (').

Quant aux torpilleurs japonais, on aura une idée de la justesse de leur tir et de
l'efficacité de leurs torpilles lorsqu'on saura, pour prendre un exemple, que pendant
les cinq nuits du 12 au 16 décembre IQO4 (2), ils lancèrent sur le cuirassé russe

Sevastopol, mouillé en rade de Port-Arthur, 180 torpilles dont une seule explosa à
l'arrière du bâtiment.
Au combat de Tsushima, après le coucher du soleil, lorsque la flotte russe était

déjà désemparée et vain-


cue, les torpilleurs japo-
nais, au nombre de 80,
entrèrent en scène, et étant
donné les faibles moyens
dont disposaient encore les
bâtiments russes pour les
repousser, il semble bien

qu'ils auraient pu en quel-


ques heures faire disparaî-
tre de la mer ce qui restait
de cette malheureuse flotte.
Or, malgré les circons-
tances exceptionnellement
FIG. 77. — Éperon et rostrum. favorables, 4bâtimentsseu.
lement furent torpillés.
Il faut dire encore, pour réduire à sa juste valeur cette arme qui a eu des parti-
sans trop que les torpilles
enthousiastes, à leur but, no- arrivèrent
japonaises qui
tamment celles qui furent lancées dans la surprise du 8 février 1904 contre les na-
vires russes mouillés devant Port-Arthur, ne produisirent pas les effets foudroyants
auxquels on s'attendait.
Le cuirassé Césarevitch, construit en France ( 3) d'après les conceptions modernes,
dut à sa double coque, à ses nombreuses cellules et à la cuirasse légère dont était
munie sa coque intérieure, de voir ses avaries suffisamment limitées lui
pour qu'il
fût comme d'ailleurs aux deux autres navires blessés
possible, par les torpilles japo-
naises, de rentrer dans l'arsenal par ses propres moyens et d'y être réparé.
11 serait néanmoins excessif de tirer de ce qui vient d'être dit la conclusion que la
torpille est un engin absolument inefficace. Les grands progrès réalisés en ces der-
niers temps augmentent sensiblement sa valeur, notamment celui qui a porté à

Gomm 1 Les leçons de la guerre


(') DAVELUY, russo-japonaise, p. i5g.
(») Ibid.. p. i63.

(>) Parla Société des forges et chantiers de la Méditerranée, aux chantiers de La Seyne-sur-Mer.
LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE g*]

1 la distance
., Sooo" qu'elle peut franchir, l'appareil qui assure la rectitude de sa tra-

jectoire, et l'accroissement de la charge de fulmi-coton contenue dans son cône avant.

L'éperon est passé de mode. Les souvenirs de l'ancienne marine, où l'abordage

jouait un rôle si important, donnèrent à penser que ce mode de combattre pouvait


être encore en honneur avec les bâtiments en fer. C'est ce même sentiment qui a si
longtemps fait maintenir dans l'armement de nos cuirassés les pistolets, les haches et
les sabres d'abordage aujourd'hui supprimés. L'esprit de nos marins une
éprouvait
certaine peine à se détacher de moyens d'action si brillamment employés par leurs
ancêtres au cours de siècles glorieux et d'ailleurs si appropriés au genre de bravoure

qui distingue notre race. Il a cependant fallu se rendre à l'évidence. L'abordage n'a

plus rien à voir avec les combats naArals modernes, lesquels se règlent à coups de
canon et à des distances toujours considérables. Un. commandant ne peut plus

songer à aller se placer côte à côte de son adA'ersaire pour l'enlever, le sabre ou
le revolver au poing; Le moindi-e contact entre niasses de i5 à 25ooo tonnes serait
funeste à l'un aussi bien qu'à l'autre des navires qui s'y risqueraient et personne
n'osera s'y aventurer. ,
Si au cours d'un engagement des abordages se produisent, il est bien probable

qu'ils seront involontaires. Il ne faudrait pas jurer cependant qu'on ne verra pas le
commandant d'un naAire désemparé, notoirement perdu, se jeter, dans un coup d'hé-
roïque désespoir, sur son adversaire victorieux, et chercher à entraîner celui-ci dans
sa ruine en crevant ses flancs.
Mais pour une si noble folie un éperon n'est pas nécessaire, une étrave quelconque
suffira.
On a donc supprimé, dans les bâtiments de combat construits depuis quelques
années, cet appendice pointu en forme de nez, fait d'une seule et massive pièce de
bronze, solidement appuyé sur la carène du navire et qui setrouA'ait placé sous l'eau
de façon à atteindre l'ennemi dans ses oeuvres AiA'esQ.
AArant de quitter l'éperon dont il ne sera peut-être plus jamais question que comme
d'une arme archaïque, il fautrappeler qu'il a eu à son actif le beau fait d'armes de
Lissa, en juillet 1866, où le cuirassé autrichien Ferdinand-Max courut sus à la fré-

gate cuirassée italienne Be d'Italia etia coula d'une éperpnnade bien réussie.

CUIRASSES

Après avoir moyens offensifs d'un navire de guerre moderne,


étudié les il nous
faut voir quels sont ceux dont il dispose pour échapper aux périls de diArers ordres
que les premiers lui font courir.
Du moment où l'idée se fit jour que des plaques de fer clouées sur Tes flancs des
vaisseaux mettraient ce qu'ils contenaient à l'abri des boulets, une compétition com-

, ,-(?) Les grandes marines, tout au moins, ont renoncé à l'éperon. Le Brésil et la République Argentine ont
'
cependant: voulu que: leurs grands Cuirassés en fussent encore munis.
"
SAIIVAIREJOTIRPÀN. 7
LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE
g8

mença qui n'est pas encore terminée et ne se terminera peut-être jamais. Ce fut la
lutte de la cuirasse et du canon !

Lutte de la cuirasse et du canon. — Les constructeurs débouches à feu se mirent


immédiaténient à l'oeuvre el inventèrent des pièces capables de percer les obstacles

qu'on prétendait leur opposer et d'accomplir, en .-dépit de toutes les fuses, leur mis-
sion meurtrière. ""':'.' ; |
Mais à peine avaient-ils imaginé une pièce plus puissante., augmenté les calibres, que
les ingénieurs des Constructions naA^ales ou les métallurgistes se précipitaient à leurs
creusets, fondaient des plaquespluséptussesi opposaient àleurs adArersaires des rnurs, des
remparts de fer que de plus monstrueux obus arrivaient à détruirequelque temps après.
Les principales étapes de cette lutte épique furent, dû côté des artilleurs, la sub-
stitution de l'acier à la fonte, l'accroissement constant des calibres, le remplacement
de la vieille et bonne poudre par des composés chimiques
noire doués d'une force
énorme, l'augmentation des vitesses des projectiles, le durcissement de
d'expansion
ces projectiles et enfin les dispositions inventées pour rendre lés obus plus mor-
dants et leur permettre d'entailler les plaques de cuirasse offertes à leurs coups.
A chacune
de ces étapes répondit un progrès dans l'art du cuirassement.
Gomme pour les canons, le fer fit rapidement place à l'acier ; puis l'épaisseur des
des chiffres im-
plaques de métal qu'on clouait sur les flancs des naAires atteignit
"-.' :
portants.
Si bien qu'à un certain moment, les naAires, surchargés par les énormes pièces qui

composaient leur armement et parle lourd matelas qui ceinturait leur flottaison',. îne-^
nacèrent de ne plus se mouvoir sous ce fardeau et qu'on parut avoir atteint la limite^
tant du calibre des canons
que de l'épaisseur des cuirasses. On ne songeait pas encore
à cette époque qu'il fût possible de dépasser pour le tonnage des navires de guerre
le chiffre de 8 à g ooo tonneaux.
Les premières cuirasses pour naAires datent de loin. Les Normands faisaient
oeuATe de blindage quand ils alignaient leurs boucliers autour des coques de leurs
drakkars pour se préserver des flèches ennemies, et une galère bordée de plomb figu-
rait en i53o dans l'escadre eiiAroyée contre Tunis par Charles-Quint(1).
Dixprames, recouArerles d'un cuirassement imaginé par le chevalier d'Arçon, figu-
raient en 1782 au siège de Gibraltar où elles jouèrent d'ailleurs de malheur, toutes

ayant été détruites (2).


A la suite
de cette expérience malheureuse, on renonça aux blindages jusqu'au
xixe siècle. En i84o, les obus, genre de.projectile inventé par le générarPaixhàns,
causèrent de tels ravages dans les murailles en bois, au cours d'essais entrepris par
la marine française, qu'il fallut bien penser à nouAreau au revêtement métallique.
Le mouvement fut précipité par le combat de Sinope, le 3o novembre 1858, où
une escadre turque en bois fut anéantie en moins d'une demi-heure par.lés obusiers
d'une escadre russe.

(*) LOIR et DE CACQUERAY, La marine et le progrès.


( 2) Ibidem. ,.
LE NAVIRE DÉ GUERRE MODERNE 99

Aussitôt, et sur l'ordre formel


l'empereur Napoléonde III, la marine française
construisit trois batteries flottanles revêtues de plaques de fer de ioom, qui se trouvè-
rent prêles au moment où la guerre éclata entre la Russie et la France alliée à l'An-

gleterre et à la Turquie. A l'attaque de la place de Kimburn, en Crimée, ces forts


flottants cuirassés firent merveille et se retirèrent à peu près indemnes après un dur
combat de cinq heures.
La cuirasse avait fait ses preuves. Il restait à l'appliquer à un véritable navire de
mer. Ce fut l'affaire du
célèbre ingénieur Dupuy
de Lôme, qui présenta et
fit agréer au ministre de
la Marine, en 1857, les

plans de la frégale Gloire,


dont les flancs étaient
uniformément recouvert s
d'un blindage de 120"""

d'épaisseur.
Il n'est peut-être pas
inutile de faire remar-

quer qu'après bien des

conceptions diverses, les

FIG. 78.
— Batterie flottante française Dévastation (une de celles <pii furent à Kimburn) constructeurs navals mo-
dernes ont une tendance

marquée à revenir aux idées de Dupuy de Lôme et que, par la répartition de l'ar-
mure sur la plus grande partie de leurs flancs, les croiseurs cuirassés de nos jours
se rapprochent singulièrement de la Gloire de 1857.
Les essais de ce beau bâtiment furent un triomphe.
Filant i3 noeuds, ce qui était énorme pour cette
époque, capable d'aflronter
seule le feu des flottes ennemies sans risque de voir un seul projectile traverser sa

muraille, portant une nombreuse et redoutable artillerie, la Gloire était le navire le

plus puissant du monde.


On pense que celte constatation fut amère
pour nos rivaux et principalement pour
l'Angleterre qui ne voyait rien moins que le sceptre des mers lui échapper. Aussi
toutes les nations maritimes se lancèrent-elles à sa suite avec ardeur, dans la voie que
le génie de la France leur avait ouverte et, dès lors, à part quelques petites unités
dont le service spécial ou les dimensions ne comportaient pas ce genre de protection,
on ne construisit plus nulle part un navire de combat qui ne portât cuirasse, peu ou
beaucoup.
Mais les artilleurs veillaient ! Grâce à leurs travaux, la Gloire et les vaisseaux qui
en dérivèrent immédiatement en présence de projectiles
se trouvèrent qui bientôt
traversaient sans effort leurs cuirasses de fer de i5orani. Il fallut en arriver à des épais-
seurs de 5oo et même 55omm pour être assuré que les flottaisons resteraient indemnes
en toutes circonstances.
100 LE NAAIRE DE GUERRE MODERNE

On setimrva alors
en présence d'une augmentation exçessiA^e des poids et on dut
réserver le cuirassement aux endroits pour lesquels il était strictement nécessaire,
c'est-à-dire à la flottaison et aux logements de l'artillerie, réduits, casemates et tou-
relles. L'introduction, de l'acier, perfectionné comme on le Arerra plus loin, dans la
construction des plaqués, a permis de diminuer fortement leur épaisseur tout en leur
consei-A-ant une résistance aussi grande.
Gagnant ainsi sur le poids, on a pu revenir en partie à la conception de Dupuy
de Lôme en augmentant notablement la surface cuirassée et par conséquent
mettre à l'abri des projectiles, de calibre moyen tout au moins,
la plus grande partie
des flancs. Dans l'état actuel de la métallurgie et de l'artillerie, on admet qu'une
cuirasse résiste aux coups tirés à très courte distance et normalement d'un canon
dont le calibre est egaf a

l'épaisseur de cette cui-


rasse. Or, il faut tenir

compte que dans le com-


bat cette dernière condi-
tion de tir normal se
réalisera très rarement,
la plupart des projecti-
FIG. — Schéma du cuirassement du type Danton, montrant l'amincissement
79. les quitoucheronlleblin-
de la cuirasse dans les hauts.

de la ceinture cuirassée : 270°°. de la cuirasse haute : GiiraIn. dage l'atteindront sous


Épaisseur Épaisseur
un angle tel qu'ils rico-
cheront souA-enl ou tout au moins, leur force
de pénétration sera réduite
que,
dans une notable proportion. De plus, on ne se canonnera pas à bout portant, et
la flottaison d'un navire est un but difficile à atteindre.
Pour toutes ces raisons, on en est arrivé, dans nos derniers cuirassés du type Dan-
ton (fig. 7g), à donner à la ceinture de flottaison une épaisseur maximum de 270°"",
la coque à l'abri des coups des plus gros calibres employés.
qui met pratiquement
Gette ceinture n'est pas d'ailleurs uniforme. On a pensé que les parties fuyantes
de l'avant et de l'arrière offriraient encore moins de prise aux obus que les parties
renflées du centre. Aussi la cuirasse A^a-t-elle en s'amincissant vers les extrémités, qui
ne sont plus blindées qu'à 170"™.
Pour une raison analogue, on diminue notablement l'épaisseur de la cuirasse sous
l'eau. On sait aA'ec quelle difficulté les projectiles traArersent une couche assez mince
. de liquide. Il suffit donc de laisser à la partie inférieure de la cuirasse qui descend
être assuré aurait raison des
àom,go sous l'eau une épaisseur de ioommpour qu'elle
arriveraient elle.
projectiles qui, par grande aventure, jusqu'à
Au-dessus de cette ceinture cuirassée, on place un blindage plus mince, qui se rac-
corde avec le premier et s'élève jusqu'à 6m,70 au-dessus de l'eau. En ce point, son
de 220mm au centre du bâtiment.et de i4o™ aux extrémités.
épaisseur n'est plus que
Enfin, une troisième à protéger
cuirasse, spécialement la partie avant du
destinée
navire contre les coups d'enfilade toujours à redouter, surmonte la cuirasse mince
dans celte partie, de telle sorte que, de FélraAre jusqu'à la passerelle, les flancs des
LÉ NAVIRE DE GUERRE MODERN*E IOI

naAires de ce type sont complètement cuirassés. L'épaisseur de ce dernier blindage


est de 64mm.
Pour renforcer encore
protection la
contre les coups d'enfilade et limiter la
course des éclats des obus qui auraient, pénétré dans la coque à travers la cuirasse
mince, on a installé deux IraA'erses cuirassées de 220ra"1àraAranl, de igomm à l'arrière.
Les tourelles sont blindées à 3oomm pour celles qui renferment les pièces de 3ocm
et à 220mm pour celles qui renferment les pièces de 24cm- On a ainsi protégé chaque
genre de canons contre les obus qu'ils lancent eux-mêmes. C'est une solution qui
semble à première vue un
peu naïve. On a compté que les obus de 3ocm épargne-
raient les tourelles des canons de 24cm. C'est peut-être aller un peu loin dans la
confiance !
Le blockhaus, cerATèau du naAire, doit pom^oir résister aux assauts les plus rudes ;
on le cuirasse à 3oomm.
Les ponts blindés, au nombre de deux, offrent une particularité qu'il est intéres-
sant de signaler.
Les projectiles qui penvent les frapper par suite de la valeur
agissent, de l'angle
de chute, plus par écrasement que par percussion. On emploie donc pour ces ponts
un acier plus élastique que celui des cuirasses Arerticales.

L'emploi relativement récent des obus à grande capacité d'explosifs a conduit à

placer un second pont cuirassé à une certaine distance du premier. Dans ce cas, le

pont inférieur est appelé pont pare-éclats. Il a pour mission d'arrêter les éclats pro-
duits par l'explosion d'un obus à la mélinile qui aurait creAré le pont cuirassé supé-
rieur, et d'empêcher qu'ils n'aillent atteindre quelqu'une des parties Aitales du

naAire, machine, chaudières, tuyautage de A^apeur, etc.


Le premier de ces deux ponts cuirassés est généralement appuyé sur le can supé-
rieur de la cuirasse de flottaison, le second Aient tahgenter le can inférieur de cette
même cuirasse.
A bord du Danton, le pont inférieur a une épaisseur de 45mm, le pont supérieur
de 48mm.

Après nous être rendu compte de l'invulnérabilité relative que le blindage assure,
aux bâtiments la composition de ce blindage.
qui en sont pourvus, nous examinerons
On a vu bien vite insuffi-
plus haut que le fer, si bien forgé qu'il fût, était devenu
sant devant les progrès de l'artillerie.
On en arrivait à des épaisseurs de 5oo et 55omm. Ces monceaux de métal acca-
blaient le bâtiment et n'offraient
qui les portait sous un poids formidable, qu'une
résistance médiocre aux plus puissants que les artilleurs leur
projectiles toujours
décochaient.

Procédés de fabrication. — Vers de donner à l'acier,


188g, on trouA'a le moyen

que jusque-là on n'avait pu utiliser en raison de sa fragilité, une homogénéité qui


le rendit parfaitement apte à figurer comme cuirasse sur les flancs des navires.
L'acier dont on se servit fut tout d'abord du métal ordinaire, mais comme l'artil-
102 LE NAATHE DE GUERRE MODERNE

lerie, profitant de l'aubaine, se mettait à employer lé même métal et donnait ainsi


à ses obus une puissance de perforation que la fontene possédait point, les métallur-
gistes cherchèrent encore à perfectionner leurs méthodes et y réussirent Q.
En i8go,
l'ingénieur Harvey inaugura une ère nouArélle en inventant un procédé
qui permettait de durcir les plaques d'acier.
Tous les blindages que l'on emploie actuellement dérivent de cette invention. On
fait seulement Varier les proportions dans lesquelles on infuse à l'acier nature les corps

étrangers, chrome, nickel, noir animal, qui lui'octroient le durcissement si recherché.


Certaines maisons fabriquent des plaques dont le métal n'est pas uniformément
durci. Celle des surfaces qui doit se présenter au projectile est carburée à haute dose,
ce qui lui donne un durcissement particulièrement intense. C'est le procédé de la
cémentation, grâce auquel les pointes des obus se brisent sur la face cémentée avant
que le corps du projectile ait pénétré dans la partie moins dure de la plaque. On
.conçoit dès lors que le projectile, démuni de sa pointe, rie peut plus aller bien loin.
La riposte des artilleurs à l'invention de l'harvèyage et de la cémentation ]nè
manque pas d'ingéniosité.
« Vous voulez briser nos pointes, ont-ils dit ; à Arotre aise. » Et ils munirent leurs obus
d'une première ogiA^e, sorte de capuchon ou de coiffe d'acier non moins durcie
que
les blindages, qui se plaçait sur l'ogiAre réelle du projectile. Ce sont les obus coiffés.
Ce capuchon se brise bien lorsqu'il rencontre la plaque cémentée, mais ce n'est
qu'après y avoir fait brèche, et la pointe réelle, poursuivantroeuArre commencée, arrive
aArec le corps de l'obus dans la partie de la plaque appelée sommier, qui est plus
malléable, et elle peut y faire son oeuArre de déArastation... ",
On pense bien que les opérations au moyen desquelles une coulée d'acier arrive à
former une plaque cémentée ne sont pas des plus simples : cuisson, recuisson,
trempe à l'huile, à Téau, trempe différentielle pour,les deux faces dé la plaque se
succèdent àl'enAi. Certaines maisons y consacrent trente jours. Au Grëusot, ion va
jusqu'à trois mois, j •.'.". _
L'usine Krupp emploie depuis i8g6,' pour la fabrication des blindages dont elle
fournit toute la flotte allemande et nombre de marines étrangères, des procédés spé-
ciaux grâce auxquels les plaques gardent une cohésion extrême. Il semble que ce
résultat soit dû en grande partie à la haute dose de nickel incorporé.
Quoi qu'il en soit, tous ces progrès ont produit ce résultat très appréciable que les
plaques dé fabrication nouArelle offrent à la pénétration des projectiles une résistance
soixante-trois fois plus grande que les plaques d'acier ordinaire ; ceci revient à dire
que pour une résistance égale on économise avec l'acier cémenté près des deux tiers du
"
poids. j ;

Épreuves des cuirasses. — Avant d'être sur les flancs du navire


placées qu'elles

(d) Les principaux établissements où se fabriquent les blindages sont en France ceux du Creusot et de
Saint-Ghamond. Les usines de l'État, à Indret et Guerigny, s'outillent en "vue dé cette fabrication. En Allemagne,
on trouve Krupp à Essen ; en Angleterre, Vickers, Arnistrong; en Italie, Terni ; en Russie, les usines Poutildv; au
Japon, les fonderies de Kuré.
Ï.E NAVIRE DE GUERRE MODERNE Iô3

doivent et avant d'.être liées à lui par d'énormes écrous qui traversent la
protéger
elle repose, les plaques sor-
plaque et l'épais: matelas en bois de teck (*) sur lequel
tant des usines où elles ont été confectionnées subissent une épreuve dont dépend
leur acceptation ou leur mise au rebut.
La marine française possède sur la plage de Gâvres, à la sortie de la rade de Lorient,
un immense champ de tir où se font les essais des nouArelles pièces d'artillerie et
aussi ceux des cuirasses.
On prend, au hasard, dans le lot-des plaques confectionnées pour un bâtiment,
obus du cali-
quelques spécimens sur lesquels on tire à très courte distance quelques
bre auquel la plaque en question doit résister.

*.*,'
' '

*
*

.•'."

Voilà donc notre cuirassé défendu contre les projectiles. Reste à leprotéger contre
son autre ennemi, la torpille.
:
Celle-ci se jirésente, déjà Aru, sous deux formes bien distinctes
nous IWons
i° La torpille dé fond ou celle de blocus, qu'un mécanisme spécial fait éclater sous
les flancs du navire lorsqu'il passe à proximité ou qu'il la frôle ;
2° La torpille automobile Whitehead ou dérivée du genre Whitehead.
Contre les effets destructifs de ces deux genres d'engins, on s'ingénie actuelle-
ment à préserver autant que faire se peut les navires, soit en multipliant les cellules

comprises entre les coques, ou mieux encore en établissant à une distance suffisante
de la coque extérieure, qui serait fatalement très éprouA'ée par une violente explo-
sion se produisant à son contact, une sorte de double cloison légèrement cuirassée.
On estime que sila première de ces cloisons était déchirée, la seconde assurerait en
tout cas l'étanchéité nécessaire et mettrait ainsi le naAire à l'abri des conséquences
fatales d'une voie d'eau si mal
placée.
Contre les torpilles automobiles, généralement réglées pour frapper les coques à
3'" ou 3m,5o au-dessous du niveau de l'eau, le système de protection dont il vient
d'être parlé conserve encore sa valeur ; mais il en est un autre dont pendant assez

longtemps la marine française a muni ses navires.


Ce système consistait en un vaste filet en mailles d'acier que des arcs-boutants
disposés à cet effet sur les flancs du bâtiment maintenaient verticalement déployé à 6m
de distance de la coque et plongeant dans l'eau jusqu'à 5m au-dessous de la flottaison.
Le but de ce filet qui portait le nom de son inventeur, l'ingénieur anglais Bulli-
vant, était d'arrêter la torpille et de la faire éclater à une distance suffisante pour
qu'aucun danger ne pût en résulter.
Mais on reconnut bientôt
que ce genre de protection ne pommait être employé

qu'au mouillage, où le cuirassé, comme enfermé dans cette sorte de cotte de mailles,

pouA7ait défier, en toute sécurité, les assauts des torpilleurs et laisser son équipage

reposer en paix.

est originaire du Siam et du Carn^


( 1) Ce bois, presque imputrescible, aussi fort et plus léger que lechêne,
. .
bodge. H coûte très cher. '.
io4 LE NAAIRE DE GUERRE MODERNE

A la mer, en route, le poids énorme des filets déployés et leur frottement dans
l'eau diminuaient la vitesse dans des proportions inadmissibles. De plus, la marche
du bâtiment rejetait vers l'arrière la partie inférieure du filet, qui remontait ainsi

considérablement, et la protection devenait à peu près illusoire. On renonça donc


assez vite à les employer pour les navires en marche.
On y renonça d'ailleurs, complètement, après quelques années d'usage, lorsque
les inventeurs eurent adapté à la pointe des torpilles automobiles un mécanisme qui
dans le filet une ouverture la torpille passait et arrivait tout de
pratiquait par laquelle
même à son but.
Ces appareils étaient soit des cisailles se déclenchaient sous l'action d'un res-
qui

FIG. 80. — Cuirassé avec son filet Bullivant.

sort et coupaient une des mailles du filet, soit une cartouche qui explosait au contact
de la maille et la détruisait.
C'est en i8g4 la marine le des
que l'on a abandonné, dans française, système
filets Outre les inconvénients ci-dessus signalés, on leur reprochait
protecteurs.
encore de présenter un réel
danger en cas de combat.
En effet, les filets, de crinoline autour du
lorsqu'ils n'étaient pas tendus en guise
navire, sur ses flancs où leurs supports ou tangons étaient rabatlus et eux-
reposaient
mêmes un mais très compliqué de filins d'acier et de
repliés par système ingénieux
palans.
Il était fort à craindreque toute cette ferraille, libérée de ses liens et plus ou moins
hachée s'enrouler autour des
par les projectiles, ne vînt au cours d'un engagement
hélices et paralyser le navire au fort de l'action.
Les marines n'ont suivi notre
étrangères pas sur ce point exemple. L'Angleterre
notamment est toujours restée fidèle au filet Bullivant. Elle l'a même perfectionné
I LE NAArIRE DE GUERRE MODERNE IOÔ

au point que, grâce à des installations spéciales, la manoeuwe consistant à déployer


les filets autour du navire s'accomplit au commandement de « oui nets » en moins
de cinq minutes. Il n'en faut pas daA'anlage pour les rentrer.
La Société Bullivant a en outre modifié l'enchevêtrement des mailles des filets,
de telle sorte
que les systèmes les plus perfectionnés de coupe-filets n'ont plus,
dit-on, d'effets sur eux, et que la protection qu'ils offrent est redeArenue efficace.
Par ailleurs, cette modification des mailles a entraîné une augmentation de poids
des filets. C'est à première vue un incoirvénient. Mais il trouve sa compensation
dans ce fait que le filet plus lourd résiste davantage à la traction du bâtiment en
marche et qu'il couATe encore très suffisamment ses flancs.
En
Angleterre, on est parvenu à les garder presque verticaux avec une vitesse de
10 noeuds. Dans ces conditions, leur utilité deAient incontestable pour le cas où l'on
veut tenir un blocus ou tenter une opération à proximité des côtes ennemies.
Nous avons déjà dit, en parlant des attaques exécutées par les torpilleurs japo-
nais contre le cuirassé russe Sevastopol, devant Port-Arthur, que ce bâtiment ne
succomba que sous plus de cent
torpilles. Cette débauche de torpilles fut nécessaire,
d'abord parce que beaucoup d'entre elles manquèrent le but, puis parce que le Sevas-

topol étant entouré de ses filets, toujours employés par l'Amirauté russe, il fallut

pour permettre à quelques-unes d'entre elles d'atteindre enfin la coque et de la cre-


ver, qu'un certain nombre d'autres eussent pratiqué dans les filets les brèches par où les
dernières purent passer.
Il n'est donc pas démontré que nous ayons agi très sagement en privant nos
navires de la protection des filets pare-torpilles : et il ne faudrait pas s'étonner que
l'on en munisse à nouA'eau nos prochains cuirassés.

L'APPAREIL DE PROPULSION

Il a été parlé dans le précédent chapitre des transformations subies par les appa-
reils qui permettent au navire de se déplacer.
Il nous reste à examiner ceux de ces appareils auxquels s'est arrêté le progrès et

qui, dans leurs grandes lignes tout au moins, sont semblables sur tous les navires du
monde.
En dehors de l'électricité et des dérivés du pétrole dont les applications sont encore
très réduites et dont il sera d'ailleurs question plus loin, la ATapeur reste encore la
seule source d'énergie utilisée pour la propulsion des navires.

CHAUDIÈRES

Cette vapeur se produit, on le sait, dans des chaudières de systèmes très divers.
Les premières chaudières
sérieuses employées à tubes de feu.
dans la marine furent
Ceci Areut dire que la flamme du foyer, aArant de s'échapper par la cheminée, parcou-
rait des faisceaux de tubes noyés dans la masse d'eau contenue dans les flancs de la
Io6 LE NAVIRE DE GUERBE MODERNE

chaudière. Cette
disposition spéciale proAroquait un échauffement de la masse liquide

plus rapide qu'aArec les chaudières primitives munies d'un simple foyer. Ces chau-
dières à tubes de feu et toutes celles qui furent basées sur ce principe ne fournissaient

que de la Arapeur à des pressions basses, qui s'éleA'èrent cependant lorsque l'alimen-
tation à l'eau douce remplaça l'alimentation à l'eau de mer.
Le type de chaudières à haute pression et à tubes de feu est la chaudière des loco-
motives, très favorable à une intense production de vapeur.
La marine française en a fait un long usage, tout au moins sur les grands bâti-
ments où ses dimensions ne constituaient
pas un obstacle absolu.
Pour
les torpilleurs et naAires analogues, aucun type de chaudières à tubes de feu
ne pouA7ait convenir, et on se tourna du côté des générateurs de vapeur à tubes
d'eau, dont quelques types commençaient à se montrer.
Dans ce système, ce n'est plus la flamme qui circule dans les tubes dont le corps
de la chaudière est traversé, mais bien l'eau elle-même. La flamme s'éleArant du

foyer lèche alors ces faisceaux de tubes, dont les dimensions sont assez faibles et

produit une vaporisation très rapide du liquide qui y est contenu en quantité relati-
Arement minime. Les tubes communiquant les uns avec les autres, il se produit dans
la chaudière une circulation d'eau intense, favorable à la production rapide d'une

grande quantité de Arapeur à haute pression.


Le système des chaudières à tubes d'eàu, parvenu a un haut degré de perfection,
est maintenant à peu près le seul employé en marine.
Le principe n'en est d'ailleurs pas npuA^eau, puisque Babcock, grand construc-
teur lui-même,
signale qu'une chaudière à tubes d'eau a été construite en Amérique
en 1766 par William Blakey, contemporain de WattQ, et qu'en 1806, SteA'ens en
plaça une à bord d'un bateau qui naAiguait sur l'Hudson.
Parmi les créateurs de la chaudière marine actuelle, il est juste de placer au pre-
mier rang le Français BelleAille qui, de i85o à 1880, se livra à des études acharnées
et à des expériences répétées qui ont abouti à un type de générateur umVersellement

employé aujourd'hui, en France comme à l'étranger.


Il faut citer encore la maison Normand et le capitaine de frégate du Temple qui
étudia et construisit, de 1868 à 1872, une chaudière à tubes d'eau, convenant spécia-
lement aux torpilleurs et qui a été le prototype d'une grande variété de générateurs
construits depuis vingt ans.
Les chaudières à tubes d'eau, ou aquatubulaires, qui sont à peu près les seules que
l'on emploie dans la marine française, se répartissent en deux groupes, suivant que
les tubes en question sont de gros ou de petit diamètre.
Parmi les premières se rangent les générateurs fournis par les maisons Delaunay-
BelleAille et Niclausse qui sont de beaucoup les plus employés, et parmi les secondes
les chaudières du Temple et leurs dériA'és.
Toutes ces chaudières sont à haute pression.
Elles'se composent en principe d'une série de tubes rectilignes ou incurvés, con-

( 4) Cours de machines de l'École navale, par 51. le mécanicien principal TOQUER,


LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE IO7

stituant des groupes de serpentins distincts dont les extrémités inférieures commu-

niquent avec un collecteur d'eau et les extrémités supérieures avec un collecteur de

vapeur.
L'ensemble de ces tubes, placé au-dessus d'un foyer, est renfermé dans une enve-

loppe en tôle et briques.


Les flammes du foyer doivent, pour gagner la cheminée, passer entre les rangées
de tubes où l'eau circulant sans cesse est transformée en vapeur lorsqu'elle atteint
leur partie supérieure. La vapeur de
tous les tubes s'accumule dans le col-
lecteur supérieur.
L'eau non encore vaporisée et qui
est entraînée, elle aussi, jusqu'au col-
lecteur supérieur, revient au collecteur
inférieur, appelé également collecteur
d'alimentation, en passant par deux co-
lonnes de retour d'eau d'où elle est

envoyée à nouveau dans les tubes.


Du collecteur supérieur, la vapeur

pénètre dans un réservoir, d'où elle

passe dans les différents tuyaux qui la


mèneront aux machines principales ou
auxiliaires.
Les chaudières à tube d'eau présen-
tent sur les chaudières à tubes de feu
des avantages dont les plus impor-
tants sont les suivants :
FIG. 81. — Générateur aquatuhulaire Niclausse. Elles comportent des récipients de
dimensions restreintes, qu'il est facile
de rendre très solides, à quoi les accidents
grâce sont peu nombreux, et, s il en arrive,
le petit volume d'eau qu'ils contiennent en réduit singulièrement la gravité. Les parois
de ces chaudières n'ont à supporter aucune pression puisque la vapeur ne sort pas des
tubes où elle est engendrée ; on ne peut donc voir se produire avec elles ces explo-
sions formidables, possibles avec les chaudières à tubes de feu, et qui ont causé dans
nombre de cas de véritables catastrophes où ont péri, avec tout ou partie de leurs

équipages, les bâtiments qui en étaient munis.


Avec les chaudières à tubes d'eau il peut arriver, il arrive quelquefois, qu'un tube
cède sous la chaleur effrayante du brasier
qui l'entoure. L'eau se répand sur le foyer
et l'éteint avec un dégagement de vapeur assez impressionnant. C'est, certes, un
accident fâcheux, mais dont les conséquences ne peuvent généralement avoir une

grande gravité.
Les chaudières à tubes d'eau ont encore sur celles à tubes de feu l'avantage très

important qu'à poids égal elles sont six fois plus puissantes. C'est ainsi que la chau-
dière cylindrique encore employée dans quelques-uns de nos navires pèse 64ks par
io8 LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE

cheval de puissance développée, alors que la chaudière Normand, par exemple, n'en

pèse que 10.


Cette grande économie de poids permet d'augmenter l'approvisionnement de
combustible et par suite le rayon d'action et la puissance militaire du navire (').

Le groupement des chaudières à bord. — Pour fractionner le danger que ferait


courir au navire une avarie dans ses
chaudières, par suite de l'irruption
d'un projectile qui aurait traversé la
cuirasse ou le pont cuirassé sous

lequel elles sont


cependant placées,
l'appareil évaporatoire des bâtiments
d'une certaine importance est divisé
en plusieurs groupes de chaudières

appelés chaufferies ; ces chaufferies

occupent des compartiments étanches,

séparés les uns des autres.


Les chaudières y sont placées par
rangées longitudinales ou transver-
sales. L'espace qui règne le long de
leur façade est appelé par les marins
la rue de chauffe, et c'est un spectacle
vraiment impressionnant qui frappe
le visiteur admis à circuler dans ces
rues lorsque les machines sont en
fonctionnement.
Sans avoir vu l'enfer, on peut ima-

giner qu'il doit présenter la même

apparence. De grands diables, nus ou


à peu près, noirs des pieds aux che-
veux, ruisselants de sueur, se démè-
nent dans un espace, à la base
étroit

FIG. 82. — Une rue de chauffe en action. d'immenses chaudrons dont le som-
met se perd dans les ténèbres.
A chaque instant, une porte de fourneau s'ouvre avec un bruit de ferraille
; la
lueur plus que rouge de l'ardent brasier qui gronde dans l'infernale marmite, se

projette un moment, aveuglante, sur des torses nus, sur des bras musclés.
Ces bras manient des instruments aux formes bizarres ; tantôt ils lancent dans la

gueule béante une pelletée de charbon, tantôt, armés d'un crochet longuement
emmanché, ils fouillent dans la masse embrasée qu'ils remuent en tous sens pour

l'empêcher de s'agglutiner.

(') Cours de machines de l'École navale, par M. TOQORR.


LE NAVIUE DE GUERRE MODERNE IOg

La chaleur est étouffante, comme on peut le croire. On essaie bien de la modérer


en faisant affluer de l'air frais
des tuyaux ad hoc où le refoulent
par de puissants ven-
tilateurs ; mais ce n'est qu'un palliatif insuffisant. L'air frais est aspiré aArec aA'idité

par les foyers et il semble que les chauffeurs n'ont pas le temps d'en respirer quel-
à
ques bouffées. Tout au plus peut-il arriver à ceux d'entre eux qui travaillent

proximité d'une de ces manches à vent, d'être glacés par derrière pendant qu'ils sont
rôtis par devant.
Ce labeur dure quatre heures.
On a inauguré, depuis quelques années, un système de chauffe méthodique afin
d'obvier aux inconvénients que présentait la chauffe individuelle, avec laquelle il y
avait dans la production de la vapeur et dans la
pression de cette vapeur, des

à-coups fâcheux pour la marche régulière des machines.


Dans la chauffe méthodique, le rôle du chauffeur se borne à lancer dans les foyers
un poids de charbon déterminé à l'instant fixé par le chef des feux. Il, existe des

appareils avertisseurs qui font résonner un timbre lorsque le moment est A7enu de

charger tel ou tel fourneau.


Certaines chaudières sont même munies, d'appareils semblables à des trémies, qui
amènent mécaniquement le charbon des soutes jusque sur la grille du fourneau. Mais
ce système en est encore à la période des expériences. On peut espérer qu'il rendra
de très précieux services, si on parvient à le réaliser dans des conditions vraiment

pratiques.

Le combustible. — Pour alimenter les chaudières de ses:navires, la marine fran-

çaise emploie le plus généralement du charbon de terre. On est arrivé cependant à


lui substituer dans une certaine mesure le pétrole. Nous reviendrons plus loin sur ce
mode de chauffe. ' :
dernier
On sait que les charbons de terre, appelés aussi charbons minéraux, proviennent
de la décomposition lente des végétaux enfouis dans les entrailles de la terre, au
cours des siècles lointains, par les bouleversements qui ont longtemps secoué notre

globe ou tout au moins sa surface.


Le charbon destiné à la maiùne lui est fourni
par différentes mines, qui l'approvi-
sionnent sous la forme d'agglomérés ou briquettes dans lesquels le charbon, réduit en
est mélangé à une certaine de brai et comprimé de façon à
poussière, quantité
prendre la forme d'une sorte de brique pesant environ 8k"e. On trouve avec cette dis-

position de grandes facilités pour l'embarquement du charbon et son arrimage dans


les soutes.
Lorsdes essais que tout navire exécute avant d'entrer effectivement au service,
on calcule très exactement la consommation du charbon aux différentes allures de la
machine. On détermine ainsi Y allure économique ; c'est celle qui exige la moindre

dépense de combustible pour un mille parcouru ; puis, comme non moins on.connaît
exactement la quantité de charbon contenue dans les soutes, on détermine aisément
le nombre de milles être parcourus, soit à là vitesse économique, soit à
qui peuvent
toute vitesse, soit aux vitesses intermédiaires.
1 IÔ LE NAVIRE Î>E GUERRE MODERNE

L'allure économique pour les bâtiments modernes est généralement aux emirons
de II noeuds. Le nombre de milles qu'ils à cette A'itesse constitue
pemrent parcourir
le rayon d'action. Pour nos cuirassés du type Danton, ce rayon d'action est d'emdron
8 100 milles ou i5 oookm aArec un approAasionnement de charbon de 2000 tonnes.
A l'allure économique, ces bâtiments dépensent 6oooks à l'heure.
A toute A'itesse, soit à 20 noeuds, la consommation monte au chiffre considérable
de igoookfF à l'heure. A ce taux, on Aroit qu'au bout de cent heures environ,
quinze
les soutes seraient bien près d'être vides, i
Le prix moyen de la tonne de charbon |en France étant de 3o francs, le mille à l'al-
lure économique reA"ient, pour ces mêmes naAares, à i6ft',3o, et à grande vitesse à
a8fr,5o. .•,.-.' '", j -.
On cherche tout naturellement à augmenter le plus possible la -provision de char-
bon des bâtiments. Le nombre de tonnes; de combustible constitue un
qu'il emporte
élément important de la valeur militaire ; d'un .navire de guerre. Cela se conçoit
aisément. Tel navire en effet, qui sera! à -court'de charbon au bout de trois ou

quatre jours de croisière et obligé de revenir au port pour en reprendre, se trouvera


dans l'obligation absolue de ne pas s'écarter de ce port à plus d'une distance déter-
minée et, par conséquent, hors d'état d'entreprendre une action de portée ou de
durée un peu considérable. Sa valeur se trouvera donc fortement amoindrie.
On a fait, à ce point de vue si intéressant, de sérieux
depuis A'ingt ans dans
progrès
la flotte française. Nos nouveaux cuirassés des types République et Danton prennent
de 2 000 à 2 200 tonnes de charbon, alors que les types précédents ne pommaient en

embarquer plus de 800 ; chez certains même, l'approvisionnement ne dépassait pas


600 tonnes.
Les soutes à charbon sont naturellement placées le plus des chauffe-
près possible
"
ries. Il en existe à bord deux catégories. !
Les soutes alimentaires sont contiguës aux chambres de chauffe et communiquent
directement aArec elles. Elles s'étendent, dans les naATires modernes, tout autour des
chaudières, et leur forment comme une cuirasse renforce encore
supplémentaire qui
leur sécurité.
Les soutes de réserve sont placées dans! les endroits disponibles, mais au-
toujours
dessous du pont blindé. On s'attache, bien entendu, à les mettre en communication
directe avec les soutes alimentaires, de façon à réduire au minimum le travail fati-

gant et rebutant qui consiste à transvaser lie charbon des unes dans les autres.

Malgré le soin à augmenter


apporté le plus possible la quantité de charbon que
un bâtiment, ce n'est jamais
peut porter que pour un nombre de jours assez faible

qu'il est pourvu de combustible. En temps de guerre, où les grandes vitesses'pour-


ront être employées souArent et soutenues!longtemps, AÙtesses a\Tec lesquelles la con-
sommation deAient énorme, les soutes se videront aArec une rapidité effrayante.
Ce ne sera pas un des moindres
parmi les soucis multiples hanteront le cer-
qui
veau du commandant d'une unité de combat et plus encore celui d'un chef d'escadre
en temps de guerre, que d'ordonner ses mom^emenls de combiner, ses plans de telle
sorte qu'une opération ne puisse pas être compromise de combustible,
parle manque
'
LE NAVIRE 'DE GUERRE MODERNE î I ï

et ils s'évertueront à saisir la moindre occasion favorable refaire le plein des


pour
soutes.
Aussi veiUe-t-on aujourd'hui, aArec un soin extrême, à la rapidité des ravitaille-
ments en charbon, de façon à abréger le temps pendant lequel les bâtiments sont pour
ainsi dire indisponibles.
On est arriATé d'ailleurs sur ce point à des résultats surprenants, soit en amélio-
rant le matériel et l'organisation des remorquages dans les ports, soit en étudiant de
très près l'installation à bord des voies et moyens par lesquels le combustible arrive
aux soutes, soit enfin et surtout en excitant l'émulation du personnel que l'on em-
ploie à cette dure corvée.
C'est ainsi que si votre chance vmis conduit à bord d'un navire de guerre en train
de charbonner, vous pourrez Aroir les jeunes officiers, parfois même les moins jeunes,

prendre place dans les longues chaînes par lesquelles les briquettes de charbon pas-
sent de mains en mains, pour arriver aux soutes où on les empile en bon ordre.
Dans la marine anglaise, où l'importance de cette opération a été reconnue depuis
très longtemps, et où des^efforts- constants sont faits pour la rendre toujours plus
rapide, il est db règle que le gravé chapelain lui-même, mêlé aux matelots, aux
officiers et aux gais midshipmen et confondu avec eux sous une égale couche de pous-
sière noire, mette la main à la besogne.
11 s'établit à ce sujet de grandes rivalités entre navires d'une même escadre ou
entre escadres différentes. Un commandant n'est pas peu fier, et son équipage avec lui,
quand il voit monter au grand mât du bâtiment amiral le signal qui le félicite d'avoir
embarqué le plus de charbon dans le temps minimum et conquis un enviable record,
En fait, grâce à une très noble émulation excitée par tous les moyens, à l'améliora-
tion des conditions matérielles de F-operàtion et. à l'emploi des appareils mécaniques,
comme lé système Tëmperley, au moyen duquel le charbon est versé sur le pont du
naArire par de grandes bennes nianoeuvrées des mâts de charge, on obtient en
par
cette matière des résultats tout à fait remarquables. '••''.,
C'est ainsi que les Anglais et' les Allemands
arrivés sont
à embarquer plus de
4oo tonnes à l'heure. En France, ce chiffre n'a jamais été atteint, mais on tend à
s'en rapprocher. -

On a cherché à soustraire les navires à court de charbon à l'assujettissement si


fâcheux du retour au port^ éii leur permettant de se ravitailler en combustible à la mer.
Divers procédés ont été essayés à cet effet. On a accosté âù bâtiment à ravitailler
un navire charbonnier dont les cales contenaient du charbon en sacs. Des appareils
Tëmperley faisaient passer ces sacs, réunis en paquets de dix, sur le pont du navire.
Les deux bâtiments accouplés marchaient doucement dans la direction la plus faA^o-
rable possible pour éA^ter le roulisY
Cette façon de faire
n'a pas donné de résultats bien satisfaisants, sauf en quelques
cas de calme plat. A la moindre mer, les mouvements des deux navires se désac-
cordent et deviennent vite assez désordonnés et assez violents pour que le souci
d'éviter de graves avaries les oblige à se
séparer.
On pratiqué quelquefois le ravitaillement en mettant à la remorqué du navire à
112 LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE

ravitailler celui qui doit lui passer son charbon. Dans ce cas, un câble d'acier est
tendu entre les deux navires que possible, les paquets
aussi haut de sacs pleins de
combustible sont amenés de l'un à l'autre au moyen d'un chariot métallique roulant
sur ce câble et manoeuvré par un va-et-vient.
Ce procédé, employé dans diverses marines, a donné des résultats acceptables.
Mais il est assez lent comme on peut l'imaginer et on ne peut guère, en l'employant,

embarquer plus de 3o tonneaux à l'heure.


Il reste encore aux amiraux trop éloignés de leurs points d'attache, la ressource
de se faire suivre par un convoi de navires charbonniers, ou de les trouver à un ren-
dez-vous fixé d'avance et

d'envoyer leurs bâtiments


mouiller avec quelques
unités de ce convoi dans
une baie déserte ou sous
le vent d'îles voisines,
où ils pourront peut-être
charbonner sans trop de
difficultés. Mais, dans ce

cas, intervient le manque


de chalands et de moyens
de transport ; il
prolon-
gera singulièrement une

opération qu'il sera né-

— du charbon à la mer.
cessaire alors d'accomplir
FIG. 83. Ravitaillement
avec les embarcations du

bord, de dimensions bien réduites et bien mal


disposés pour ce genre de travail.
Peut-être accoster les charbonniers le long des bâtiments de combat,
pourra-t-on
mais il faudra se séparer si le mauvaistemps se lève, ou si l'ennemi rôde aux alen-
tours. Le ravitaillement en mer ne peut donc guère être compté, en temps de guerre,
dans un cas pressé, d'être
que comme un expédient médiocre, susceptible néanmoins,

employé utilement.
L'extraordinaire voyage de la flotte de l'amiral Rodjestvenski, de Cronstadt aux
de ravi-
mers du Japon, est cependant un impressionnant exemple que les difficultés
taillement en temps de guerre être surmontées. Jamais la flotte russe ne
peuvent
en effet de combustible, ne pût compter en aucune façon sur
manqua quoiqu'elle
les ressources des points où elle relâcha, ressources dont les règles de la neutralité,

appliquées avec la dernière rigueur, la privaient absolument. En fait, après un der-


nier ravitaillement opéré dans la baie de Cam-Ranh, au moyen des navires charbon-
niers qui la suivaient, la flotte arriva à Tsushima avec ses soutes pleines.

— Le à celle du
La chauffe au pétrole. pétrole a une capacité calorifique supérieure
Il est beaucoup dans des soutes de dimen-
charbon. plus facile à manier, se renferme
sions réduites, et son emploi comme combustible économise beaucoup de main-
LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE 1 13

d'oeuA're, puisqu'il suffit, pour l'amener jusqu'aux fourneaux des chaudières, d'un

simple tuyau.
Il était donc tout naturel d'essayerce liquide à la production de la
d'appliquer
De nombreux essais ont été
tentés en France
vapeur. pour utiliser le pétrole, soit
seul, soit en même temps ! que le charbon, ce qui constitue le chauffage mixte.
Dans les deux, cas, le pétrole était projeté à l'état -pulvérulent sur les grilles des
fourneaux.
Ces essais n'ont
pas donné les résultats en attendait ; les inconvénients
qu'on
qu'entraîné la chauffe au pétrole, et parmi il faut placer au
lesquels premier' rang
le prix élevé de ce combustible, que notre sol ne produit la" tonne, contre
pas (jzf*
3ofr pour le charbon), dépassent de beaucoup les avantages, et il semble que l'idée
en ait été, sinon abandonnée, du moins reléguée au second plan.
Il faut bien dire cependant que la marine anglaise, qui ne se trouve pas en meil-
leure posture que nous pour la production du pétrole, en fait -un usage tous les

jours plus étendu pour la chauffé de ses chaudières et qu'elle s'en déclare très satis-
faite. Elle utilise évidemment dans ce- but des dispositifs que nous ne connaissons
pas encore et qui donnent des résultats meilleurs que les nôtres. Il faut penser que
nous arriverons-un jour à les posséder et que la chauffe au pétrole chez nous
prendra
aussi la place" importante qui parait lui être réserArée.

Le tuyautage de vapeur. — La haute tension à laquelle


la Arapeur est employée

presque uniquement aujourd'hui dans les machines marines, exige des tuyaux qu'elle
parcourt pour se rendre des chaudières aux différents organes où elle doit travailler,
une résistance considérable.
Cette résistance leur est donnée facilement en employant pour leur confection des
métaux solides, comme le cuivre ou l'acier. Néanmoins, une partie délicate de leur
structure réside dans les soudures est bien obligé de pratiquer
qu'on pour les assem-
bler. Malgré tous les soins apportés à rendre ces soudures aussi parfaites que possible,
c'est presque toujours sur ces points que se produisent des déchirures par où la va-
peur se répand dans les machines.
Les difficultés auxquelles on se heurte pour établir des tuyautages offrant toute
sécurité se compliquent du fait de la longueur qu'il faut donner aux tuyaux, dont les
bouts sont jointes les uns aux autres aussi soigneusement que possible, mais dont la
solidité peut être compromise si le bâtiment éprouve des fatigues qui le déforment, si

peu. et si momentanément que.ce soit.


Le tuyautage prend naturellement ses points d'appui sur les cloisons transArersales
ou sur les parois longitudinales des bâtiments et subit des déformations tout comme
la coque à laquelle.il est lié; n'offrant aucune espèce de résistance à ce genre d'ef-
fort, ilse fatigue très Arite, et un beau jour ii cède en un point quelconque sous la

pression de la Arapeur qu'il laisse fuir. C'est un désastre si la déchirure se produit à

proximité des chauffeurs et des mécaniciens.

,. La marine française a, hélas ! a regretter un très grand nombre d'accidents pro-


des fuites de Arapeur, tant aux chaudières -.
duits par que dans les tuyautages.
SAUVAIUIÏ JOUBDAN. 8
Il/i LE KAVIRE DE GUERRE MODERNE

ceux qui sont restés le plus tristement


Parmi célèbres, il faut citer l'explosion dé
chaudière de la frégate cuirassée Revanche, en 1875, qui causa la mort de /19 per-
sonnes ; celle du torpilleur Sarrazin qui, au commencement de 189/j, fit six victimes,
des Constructions navales Mangini.
parmi lesquelles l'ingénieur
Je ne peux rappeler ces pénibles souvenirs sans dire aussi de quelle bravoure, de

quel héroïque esprit de solidarité ont fait maintes fois la preuve nos marins du ser-
vice des machines et des chaudières, en courant, s'était pro-
après qu'une explosion
duite, fermer les robinets de communication de la Arapeur dans des compartiments
envahis fluide, et sauver ainsi, en supprimant la cause de l'accident, au
déjà parle
leurs camarades.
grand péril de leur propre vie, Gelle d'un grand nombre de
Voici, d'après un témoin oculaire, ce qui se passa à bord du Sarrazin. Un tube dé
chaudière creva au moment où la porte du fourneau venait d'être ouverte pour la
charge, et la flamme, refoulée par la vapeur, envahit la chambre de chauffe.
Il y avait là sept hommes et, pour leur permettre de fuir, il nei se présentait qu'un
étroit panneau auquel conduisait une.seule échelle A7erticale. Les uns après les autres>
on vit surgir six spectres, les cheA^eux, la barbe, les cils brûlés, la chair en lambeaux,
tordus de douleur. Ils tombent sur lé pont; on s'empresse autour d'eux, ne sachant

trop comment les soulager.


Tout
à coup, quelqu'un s'écrie: « Mais il en manque un ! Le second maître
mécanicien! » On ne peut cependant jdescendre dans cette fournaise, d'où la vapeur
continue à s'échapper à plein panneau ! A cet instant, on voitapparaître le second
maître. On l'entoure, on le porte, dans le poste d'équipage et quand on lui dit combien
on a été inquiet sur son sort, il répond simplement : « J'ai voulu, aArànt de monter,
lancer le Arenlilateur à toute vitesse (*.), puis je me suis réfugié dans la soute à
charbon. »
Ce héros en fut quitte pour neuf mois d'hôpital, après lesquels, ses blessures le. ren-
dant incapable de tout service, il fut emroyé à la retraite. Ses six camarades moururent
tous. .'''.
En 1899* le croiseur Chanzy, sortant de Toulon,
cuirassé venait de franchir la

passe, lorsqu'une déchirure de trente centimètres de longueur se produisit à un tuyau


de vapeur dans une chaufferie. Chauffeurs et mécaniciens s'enfuirent poursuivis par
le gaz brûlant ; seul un quartier-maître chauffeur resta Arolontairement dans la chambre
de chauffe, qu'il quitta seulement aprèslavoir fermé lasoupape d'arrêt de sa chaudière.
On le transportai l'hôpital de Saint-Mandrier, mais la Arapeur qu'il aA'ait respirée
'
avait fait son oeuvre et il mourut en y arrivant. -
Lors de l'explosion des soutes à munitions du cuirassé Iéna, à Toulon, le 12 mars

1907, un effroyable incendie se déclara qu'on ne put éteindre qu'en remplissant lé


bassin de radoub où se trouvait le navire. ! i
Le surlendemain seulement, après lavoir vidé le bassin, on put procéder à la
recherche des victimes de cette catastrophe. Au cours de la visite de là coque, On

(J) Celle manoeuvré, la-seule qui


' pût avoir quelque efficacité, devait produire Je refoulement des flammes
dans le fourneau de la chaudière.
LÉ KAVIRE-DË GUERRE MODERKE U5

constata que les feux de la chaudière, qui était en activité au moment de l'explosion,
avaient été soigneusement éteints, que les soupapes -des prises de A'apeur avaient été
fermées, qu'enfin toutes lés prescriptions réglementaires aAraient été prises méticu-
leùsement.
Ainsi, malgré de la lumière,
l'extinction en dépit de l'effroyable secousse qui avait
culbuté, broyé hommes et choses, dans le fracas des explosions successives, les trois
hommes qui étaient enfermés dans la chaufferie n'avaient songé à quitter leur poste
qu'après avoir pris toutes les mesures qu'ils estimaient nécessaires à la préserAration
de la chaudière qui leur était confiée.
,;Tout cela, qui constitue l'héroïsme au premier chef, .fut fait si simplement, ces
braves gens étaient si bien convaincus qu'ils n'avaient fait autre chose que leur devoir,
que .jamais peut-être on n'aurait connu leur admirable conduite si l'officier de qui je
tiens ce récit n'avait lui-même constaté le fait et ne l'avait mis en lumière (').
.Signalons .encore avant de quitter le domaine des chaudières et de leurs accessoires,,
si important à bord: d'un-navire, une singularité qui ne laisse pas d'intriguer les
visiteurs arrivés, au prix d'une ardue, par des panneaux étroits et le
gymnastique
long, de fort roides échelles en fer, jusque dans les fonds d'un bâtiment de guerre.
C'est le spectacle pittoresque que leur offre le fouillis: en apparence inextricable
des.tuyaux de toutes dimensions et de toutes couleurs, et dispa-
qui s'allongent
raissent dans les profondeurs ténébreuses des cales.-
; Voici Tex.phcation de cette débauche de peinture qu'on pourrait croire destinée à
récréer des yeux impressionnés par l'aspect sévère du milieu.
C'est affaire de commodité, Chaque tuyau reçoit une couleur différente, suivant le
fluide, qu 'il contient.

Le.rouge est réservé à ceux dans lesquels circule la vapeur, le hoir aux tuyaux
d':eau de.mei^; le bleuà ceux où coule l'eau douce, le Aiolet. au conduit où l'eau
circule sous pression, le vert indique le passage de l'air frais de ventilation, tandis que-
le ;rose,est,réservé à l'air vicié qui s'évacue.
Enfin, si vous voyez sur un tuyau des anneaux de peinture rouge et noire alternés,
vous saurez que c'est du pétrole qui y passe.

MACHINES

Il ne peut rentrer dans le cadre de cet ouvrage, dont l'objet principalest de s'occu-
per des engins employés à bord des bâtiments de guerre modernes, de refaire, après
tant d'autres qui se sont si bien acquittés de cette tâche, l'histoire des origines de la
navigation à vapeur.
Contentons-nous donc de saluer
au passage le père de la machine à Arapeur, le
célèbre Papin, qui réalisa son invention en 1690, l'Anglais Thomas Sàvery qui en 1698
construisit la première machine à vapeur ayant fonctionné utilement, et enfin James.

(*) Le second maître chauffeur Le Stum et le quartier-maître, chauffeur Le Baillet, qui se trouvaient dans
cette chaufferie: de Vléna, reçurent la médaille militaire.
I 10 LE NAArIRE DE GUERRE MODERNE

Watt l'inATenteur génial du condenseur, de la distribution de la A'apeur par tiroir,


du système bielle-manivelle qui transforme le mouvement alternatif du piston en
mouA'ement circulaire continu.

Ces grandes découA'ertes de Walt étaient acheA'ées en 1782 ; depuis cette époque rien n'a
changé dans la machine à vapeur, quant aux principes fondamentaux de son fonctionne-
ment Q.

Le marquis de Jouffroy en 1788 et l'Américain Fulton appliquèrent les premiers


en France cette magnifique inA'ention à la naA'igation.

Jusqu'en 18/io, le seul mode de propulsion pour les naA'ires fut l'aube. A cette

époque, comme il a été dit au


chapitre précédent, l'apparition de l'hélice, due à

Sauvage, réA'olutionna la marine en la dotant d'un engin que sa position au-dessous


de la flottaison mettait à l'abri des avaries produites par la grosse mer et des atteintes
des projectiles ennemis, et qui est resté le seul uinVersellement employé jusqu'à nos

jours.
C'est vers 1845 que les premières
seulement, machines réellement importantes
parurent dans notre marine de guerre. Leur force ne dépassait pas cependant
/15o chevaux, chiffre bien mesquin si on le compare aux 37 000 chevaux attelés
aux machines de nos derniers croiseurs cuirassés, mais qui paraissait considérable
à l'époque en question.
Il faut bien se rendre compte d'ailleurs, que pendant longtemps les marins admi-
rent la machine à A'apeur seulement à titre d'auxiliaire de la voile que des siècles
d'habitude faisaient considérer comme le propulseur fondamental d'un naA'ire. On
consentait à user de ces engins salissants et malodorants, dont le fonctionnement
laissait, il faut d'ailleurs à désirer,
bien le reconnaître,
beaucoup pour se tirer des
calmes ou se faire remorquer à un poste que l'on ne pouvait atteindre autrement ;
mais que A'întle vent, le bon Arent, et nos marins se seraient crus déshonorés, s'ils
n'aA'aient aussitôt éteint les feux de la marmite dédaignée, renfoncé la cheminée
dans les flancs du navire, et déployé à la brise fraîche les grandes ailes blanches de
leurs A'aisseaux, frégates ou bricks.
AArec elle, point d'avaries à redouter, ou tout au moins rienque celles qu'un long
apprentissage aArait appris à éviter ou à réparer, point d'explosion de chaudières, de
bris de roues dentées, d'aubes démolies par la mer, point de fumée nauséabonde qui
ternît les fraîches peintures et les cmvres polis et astiqués, point de charbon à

embarquer.
Ce n'est qu'aux emirons de 1875 que la tradition de la voile commença à décliner
fortement dans notre marine de guerre.
Les habitants de Toulon peuvent se rappeler le beau spectacle que leur offrit
encore à cette époque le A7ice-amiral Touchard, amenant jusque dans leur rade,
à la A'oile, l'escadre de la Méditerranée qu'il commandait, et qui était composée de
corvettes cuirassées.

(*) Cours de machines de l'Ecole navale, 1907-1908, par M. TOQUEU.


LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE 117

Ce déploiement de science manoeuvrière, d'habileté et de grâce


professionnelle,
aussi n'était plus, compatible avec la lourdeur
hélas, des masses sur on
lesquelles
s'obstinait à planter des mâts, et peu à peu voiles et vergues allèrent s'entasser dans
les magasins des arsenaux pour n'en plus sortir que sous forme de tentes et d'espars
à tout faire.
Les machines avaient d'ailleurs, au cours des années, subi
des perfectionnements
tels que leur fonctionnement était assuré en toutes circonstances et on était loin de
ces engins primitifs et rudimentaires avec lesquels on s'attendre aux
pouvait plus
surprenantes mésaventures.

Le principe de toutes les machines à vapeur modernes repose sur l'emploi de la

vapeur en cascade de détente.


Ceci veut dire que la vapeur
qui arrive directement de la
chaudière, sous une haute

pression, travaille dans un

premier cylindre dont elle fait


mouvoir le piston ; puis, au
FIG. 84. — Schéma d'une machine h vapeur horizontale. lieu d'être évacuée à l'air libre
a, cylindre. d, bielle. ou dans un condenseur où elle
b, piston. e, manivelle.
c, tige du piston. /, arbre. se transforme en eau, elle passe
dans un second cylindre plus
grand que le premier ; sa pression distendue y est encore suffisante pour mettre en
un piston calée sur le même arbre
mouvement qui agit sur une seconde manivelle
porte-hélice que le premier. La même vapeur sert ainsi deux fois.
Cette disposition constitue une machine à double expansion, et a été employée

jusqu'à ces dernières années.


Ensuite, on s'est aperçu que la vapeur n'avait pas encore perdu toute sa puissance
après un passage dans le deuxième cylindre et on songea à utiliser ce qui lui en
restait en lui faisant encore pousser un troisième et même un quatrième piston.
On a obtenu ainsi des machines à triple et à quadruple expansion.
Ces dernières ont d'ailleurs
été à peu près abandonnées, les avantages qu'on reti-
rait de cette quatrième détente ne compensant pas l'incommodité des installations

qu'elle exigeait, et on s'en tient actuellement à la triple expansion.


Dans ce cas, l'arbre porte-hélice est muni de trois manivelles calées à 120 degrés
l'une de l'autre, et sur s'attellent les bielles qui sortent de chacun des
lesquelles
trois cylindres.
Autant que faire se peut et que le permet la hauteur des ponts cuirassés sous les-
il est indispensable de mettre les machines à l'abri des projectiles, on choisit
quels
pour celles-ci l'installation dite verticale.
Dans cette disposition, les cylindres sont placés de façon à avoir leurs axes verti-

caux, la sortie de la bielle se faisant au-dessous du cylindre.


Il est facile de se rendre compte que, dans cette situation, les pistons ne frottent
n8 LE NAA'IRE DE. GUERRE MODERNE

plus que faiblement sur les.parois du cylindre et, d'une manière égale, sur tout leur
- !
pourtour.
Avec les machines où l'axedes cylindres était placé horizontalement, le frottement
du piston, et par conséquent son usure, se produisait toujours sur sa -génératrice infé-
rieure, d'où résultaient un manque d'étanchéité, des pertes dé A'apeur
et de puissance qu'on ne pouvait éviter.
que difficilement
Je prendrai comme modèle dans la courte description suiA'ante
d'une machine moderne,; l'appareil moteur dont sont munis nos
cuirassés du type République. ..,
Cet appareil moteur (') d'une puissance de 17 5oo cheA'aux com-
trois machines A'erticales à triple
prend expansion. Chaque machine
comporte quatre cylindres. Celte particularité est due à ce fait que
la A'apeur en quittant le deuxième cylindre se distribue également
entre deux autres cylindres où elle traA'aille à pression égale. ,
On obtient par cette disposition spéciale une nouvelle et appré-
ciable utilisation de la Arapeur. Il y a bien quatre cylindres, mais
trois degrés seulement d'expansion.
— Le nombre total
des cylindres
FIG. 85. Schéma est donc de douze.
d'une machine. à
pilon. Les trois machines dé la République sont placées, une au centre
du naA^re, les deux autres de chacrue bord.
Le sens delà rotation des trois hélices n'est
pas le même. Pour un observateur placé
hors du navire et regardant son arrière, deux d'entre elles, celle du centre et celle de
tribord tournent
de-gauche à droite, dans le sens des aiguilles
d'une montre, celle de bâbord de droite à gauche.
On a essayé par! cette disposition d'obvier à l'effet évolutif.

que produit le mouA'ement de rotation des hélices. Suivant que


leur pas est disposé! à droite ou à gauche, elles tendent à faire
tourner l'avant du im^re à droite ou à gauche. Cet effort est
"'' assez
faible, à la A'éiïté, mais son effet n'est point négligeable,
et sur les naAires munis d'une seule hélice, il se fait suffisam-
ment sentir
pour qu'il soit nécessaire de le contrebalancer
FIG. 86. -— Action retarda- constamment au moyen du gouA'ernail.
trice du gouvernail. Dé-
composition des forces. Or, la vitesse d'un naA'ire diminue toujours quand le gou-
A'ernail est déplace à droite, ou à gauche.
Ce phénomène s'explique très aisément si.on s'aAdse de décomposer, comme le
montre la figure 86, la force F que les filets d'eau A'enant de l'avant exercent, nor-
malement à sa surface, sur le gouvernail mis à tribord.
On voit en effet qu'une des composantes F' de cette force produit révolution du
riaA'ire en rejetant son arrière sur bâbord et par conséquent son avant sur tribord;
c'est le résultat connu
et escompté. Mais l'autre cômposantei F-' tend à s'opposer à
la marche en aA'ant et constitue une force retardatrice dont il y a intérêt à s'affranchir.

(') Cours de machines de l'Ecole navale, M. TOQUEK,


par
LE NAA'IRE DE GUERRE MODERNE > 1I
g

On a résolu la question sur les naA'ires à deux hélices en donnant à l'une le pas à
droite, à la seconde le pas à gauche, et en les faisant tourner en sens différent. AA'ec
trois hélices on est retombé dans un inconvénient qu'il a fallu subir.

Les cylindres des machines sont en fonte de fer ; chacun d'eux est entouré d'une

enA'eloppe également en fonte, nommée chemise. Entre le cylindre et sa chemise

règne un espace dans lequel circule une certaine quantité de vapeur destinée
à réchauffer le cylindre et à empêcher ainsi la Condensation par refroidissement
de la vapeur qui Aient pousser le piston. Celte condensation, introduisant de l'eau
dans le cylindre, gêne naturellement le mouvement du piston.
Les pistons, tous semblables, sont en acier moulé ; leur pourtour est muni d'une
couronne mobile en fonte ou en bronze que des ressorts appliquent contre la paroi
du cylindre pour s'opposer aux fuites de A'apeur.
La distribution de la vapeur dans les différents cylindres s'opère au moyen des

organes appelés tiroirs, sortes de boîtes métalliques qui, dans leur mouvement de
A'a-et-A'ient, découvrent et referment périodiquement les ouvertures par lesquelles la

A'apeur arriA'e au cylindre, et celles par lesquelles elle en sort après avoir proA'oqué
le mouA'ement du piston.

Ayant fait son office successivement dans les deux


premiers cylindres et simulta-
nément dans les deux derniers, la A'apeur est éA'acuée par de gros tuyaux jusqu'aux
organes nommés condenseurs. Ce sont des caisses cylindriques où la A'apeur subit le
contact indirect d'eau de mer froide, injectée par des pompes spéciales dans les fais-
ceaux de tubes qui traA'ersent ces caisses, et se transforme elle-même en eau.
Celte eau, aspirée par d'aulres pompes, retourne aux chaudières où elle est.de
nouA'eau réduite en vapeur qui reprend le chemin des cylindres et recommence
inlassablement le même circuit.
La circulation de l'eau de mer dans les tubes des condenseurs est produite par
une pompe spéciale.

Les turbines. — L'introduction de la turbine dans la propulsion des naA'ires a


causé une véritable révolution.
En principe, une turbineà vapeur se compose d'une ou plusieurs roues mobiles
fixées invariablement sur un arbre de couche et portant, à leur périphérie des aubes sur

lesquelles agit un courant de A'apeur convenableriaent dirigé. La vapeur, agissant sur


les aubes de même façon que l'eau tombant d'une certaine hauteur sur les aubes de
la roue d'un moulin, provoque la rotation de l'arbre de couche. Une enA'eloppe très
étanche entoure les aubes pour empêcher les fuites de vapeur.
Il est difficile d'entrer ici dans des détails trop circonstanciés sur ce nouveau genre
de machines. Ils nous entraîneraient à des
exposés techniques d'une aridité un peu
rebutante. Il faut cependant dire que les turbines sont à action ou à réaction, suivant

que la pression de vapeur qui les fait mouA'oir reste constante pendant son passage à
travers les aubes, ou que cette A'apeur se détend pendant ce traA'ail.
Les plus importants systèmes de turbines à action ont été établis par MM. Laval,
120 LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE

Râteau, Curtis ; la principale turbine à réaction est due à l'ingé-


Bréguet, Zoelly,
nieur anglais Parsons. Cest cette dernière surtout qu'on emploie pour la propulsion
des navires. Les cuirassés du type Danton notamment, en ce moment en achèvement,
seront mus au moyen de tur-
bines Parsons.
Sur ces bâtiments, chacun
des troisarbresportedeuxtur-
bines pour la marche avant.
La première reçoit la vapeur
venant directement des chau-
dières et est appelée pour
cette raison turbine à haute

pression ; la seconde, qui est


la turbine à basse pression,
FIG. 87.
— Turbine Parsons. utilise en détente la vapeur
qui a déjà travaillé dans la

première. C est en somme la même disposition que pour les cylindres à détente des
machines alternatives.
Il est absolument nécessaire, on le comprend aisément, que le propulseur d'un
navire puisse tourner en arrière aussi bien qu'en avant.
Ce problème se résout très facilement avec les machines alternatives, où il suffit de

changer le sens de 1 introduction de la vapeur


dans les cylindres pour que l'arbre de couche
tourne en sens inverse du mouvement ordinaire
et que l'hélice, suivant ce mouvement, produise
sur les filets d'eau l'effort contraire à celui de la
marche en avant.
Il n'en va plus de même avec les turbines. Celles-
ci, dont la rotation est provoquée par l'action de
la vapeur introduite sur des aubes de sens invaria-
ble, ne se prêtent qu'à un sens de rotation unique.
Le seul procédé pratique pour obvier à cette

imperfection, consiste à adjoindre aux turbines


de marche en avant d'autres turbines, montées
sur le même arbre de couche que les premières, FIG. 88. — du rotor et du stator
Disposition
et dans la turbine Parsons.
dont les aubes sont
disposées à de manière

produire le mouvement inverse des premières.


Cette solution comporte un inconvénient évident. Les turbines de marche arrière,
qui ne servent
qu'exceptionnellement, constituent tant qu'on marche en avant un

poids mort, qui absorbe une partie, faible il est vrai, du travail de la vapeur.
Cette considération amène les constructeurs à limiter l'importance des turbines de
marche arrière en donnant à leurs aubes juste le développement nécessaire pour que
l'erré du navire soit étalée suffisamment vite.
LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE 121

C'est Une donnée dont la connaissance est naturellement très importante pour le
commandant d'un navire. Aussi a-t-on fait de nombreuses expériences permettant
de la-déterminer!
C'est ainsi que pour nos navires tonnes, assez semblables
français de 18000 en
somme au Dreadnought anglais sur lequel les essais ont été faits, on pense que la
distance parcourue jusqu'à immobilité complète sous l'action des turbines de marche
arrière et à partir.du moment où l'ordre en a été donné, sera de'663m en parlant
d'une vitesse de 12 noeuds, de-Q^o" 1à-la'vitesse de 20 noeuds.

L'expérience-assez courte mais néanmoins très sérieuse que l'on possède déjà
sur les turbines, a permis de constater que là meilleure utilisation de ce,système-de
machines se produit lorsqu'on marche à la vitesse maximum. Celle éventualité,, qui
est la règle pour les paquebots, constitue, au contraire, l'exception pour les naA'ires de
guerre qui n'ont à user de leur grande vitesse que dans des cas rares, en dehors des-
quels la saine raison d'économie leur prescrit d'employer des A'itesses modérées, où
. la consommation du combustible est moindre.
Devant
l'impossibilité de faire travailler une turbine dans de bonnes conditions à
on a été
une A'itesse de rotation moindre que celle pour laquelle elle a été construite,
amené a placer sur les arbres de couche des navires de guerre, d'autres turbines
encore qu'on nomme turbines de croisière. Celles-ci sont mises en action unique-
ment et sont dès qu'il
pour marcher aux A'itesses dites économiques stoppées s'agit
de donner l'allure maximum.
Dans les premiers temps de l'emploi des turbines, le nombre de tours qu'on était

obligé de faire donner aux roues munies d'aubes était très considérable.
Les turbines de Laval tournaient
en effet, à l'origine, à3o 000 tours par minute ('),
et les turbines Parsons en 1884 donnaient encore 18 000 tours.
Il était naturellement de toute impossibilité de faire tourner à d'aussi folles allures
les arbres de couche et les hélices, et on dut employer des trains d'engrenage démul-

tiplicateurs.
On est arrivé actuellement à des nombres de tours infiniment moindres. C'est
ainsi que les turbines du Danton tournent à 3oo tours. On est même tombé à 180
tours pour lés turbines dés grands paquebots anglais Mauritania et Lusitania.
Dans ces conditions, la nécessité des organes réducteurs de vitesse a disparu et on
attelle directement les turbines sur les arbres porte-hélices.
Il a fallu néanmoins remplacer les grandes hélices usitées aA'ec les machines
alternatives et qui ne pouvaient supporter sans se briser de telles A'itesses de rota-
tion.-
On essaya tout d'abord d'employer de petites hélices en nombre éleA'é. C'est ainsi

que le premier navire à turbines, le Turbiniaanglais, portait neuf hélices réparties sur
trois arbres. On a depuis renoncé à placer plusieurs propulseurs sur le même arbre,
mais on a conservé lès arbres multiples au nombre de trois ou quatre.

qui sont en réalité les premiers grands


Sur le Danton et ses similaires, navires fran-

(') Cours de macliines'de l'Ecole navale, par M. TOQUER.


(22 LE NAA'IRE DE GUERRE MODERNE

çais auxquels on ait appliqué ce nouveau genre de machines, on trouve quatre arbres
:de couche portant quatre hélices.
L'espace occupé par l'appareil moteur est divisé en trois compartiments par deux
cloisons étanches longitudinales. Les compartiments latéraux contiennent chacun un
seul arbre portant une turbine à haute pression de marche avant et une de marche
arrière. Le compartiment central renferme les deux arbres intérieurs ; ces deux arbres
trois turbines chacun, une de marche arrière, une de croisière et une à
portent
basse pression de marche avant. Toutes les manoeuvres s'exécutent du compartiment
central.
Actuellement, on peut établir comme suit les termes de comparaison entre les ma-
chines alternatives et les turbines.
. La
suppression de certaines causes d'aA'aries assez fréquentes dans les premières,
comme les tiges de piston faussées, les échauffements aux articulations des bielles; la

rupture des bâtis qui portent les cylindres, etc., donne aux turbines une sûreté
de fonctionnement supérieure. -;-'-"-. ''--
Les turbines constituent évidemment un ensemble plus simple que les machines à

piston, de plus les manoeuvres à exécuter pour le départ et les changements d'allures
sont moins compliquées, n'exigent quele maniement d'un seul organe, et peuA'ent se
faire à distance, même d'un compartiment A'oisin delà machine, ce qui constitue
un avantage militaire très sérieux.(^:; ! .: , ..,....,.

. Mais, somme toute, ces avantages ne forment pas en faveur des turbines un total
écrasant.
C'est sur la comparaison des dépenses de charbon aA'ec l'un et l'autre système de

machines que l'on peut baser une opinion ferme en faA'-eur des turbines ou des
machines à piston. ,-. . ••;

L'expérience, assise sur des données certaines, démontre à ce sujet que l'allure

économique des turbines correspond à leur puissance maximum, et que l'économie


décroît très rapidement avec l'allure.

Au point de A'ue économique, les turbines conviennent donc mieux aux paquebots qu'aux
naA'ires de guerre, et, pour ces derniers, comme je l'ai déjà dit, on est obligé d'employer pour
les allures moyennes et faibles, des turbines de croisière ajoutées aux turbines principales,
de telle sorte qu'aux allures de routé qui sont les plus fréquentes ils auront en action plus
d'appareils qu'à l'allure maximum.'(*).

aux A'itesses moyennes


Donc:, et faibles; la turbine consommera plus de charbon

que la machine à cylindre. A l'allure maximum au contraire, les turbines se montrent

plus économiques dans la majorité des cas.


Ces constatations proviennent d'un très grand nombre d'essais qui ont été faits,
notamment dans les marines allemande et anglaisé, sur àes paires de navires

identiques et mus par des systèmes différents.

( 4) Cours de machines de l'Ecole navale, 2e année, par M. FÉLIX,


( 2) Ibidem-
LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE 123

Mais,
malgré les résultats de ces expériences, il est difficile encore de tirer des
conclusions fermes sur la valeur relative des deux genres de propulsion, parce que
les navires de guerre ou de commerce à turbines ont, en général, donné des A'itesses

supérieures à celles des navires munis de machines alternatives et identiques à eux

par ailleurs.
Ils déA'eloppaient doncune puissance plus forte avec la même dépense de charbon,
et c'est là au fond le meilleur point de comparaison, bien qu'il fasse rentrer en ligne
de compte, dans un chiffre global, non seulement la A'aleur du moteur, mais encore
le rendement des hélices.

En résumé, on doit croire que les turbines sont à l'allure maximum plus économiques
que les machines alternatives, l'économie pouA'ant atteindre 3o "/„ (*), et on peut affirmer en
outre que le rendement mécanique des turbines est supérieur à celui des machines à piston en
-raison de la simplicité de la transmission des mouvements.

Ces bénéfices
peuvent permettre de diminuer le poids des chaudières sur le navire
muni de turbines, tout en conserA'ant une même puissance, et de reporter l'écono-
mie de poids ainsi réalisée sur l'apjDroA'isionnement de charbon.
On compensera de cette façon le désaA'antage économique que les turbines offrent
aux faibles A'itesses et, tout compte fait, on obtiendra dans ces deux cas la même
distance franchissable.
Pour
ce qui est du poids et de l'encombrement, l'avantage reste encore aux tur-
bines. Le poids de l'appareil moteur du Danton (turbines) est de 828 tonnes pour
une puissance totale de 23 000 cheA'aux, le poids par cheA'al est donc de 36k(î ; pour
la République, ce-même poids est égal à h2kB. Il y aurait donc, pour les turbines, un

gain de i5%.
Les A'ibrations des coques, si importantes et si gênantes parfois sur les naA'ires mu-
nis de machines à piston, disparaissent complètement avec les turbines.
Le prix de ce dernier système est encore actuellement supérieur à celui du système
rival. Les turbines du Danton coûtent en effet 207* par cheA'al, soit pour 28000
cheA'aux L\ 761000*. alors que les machines alternatives de la République reviennent
à 145fl'seulement par cheA'al.
C'est la marine anglaise qui s'est, la première et très résolument, lancée dans la
voie nouvelle, en adoptant des turbines pour la propulsion des naA'ires de guerre.

Après l'essai fait sur le contre-torpilleur Turbinia de /|5 tonnes, qui, en 1897, donna
la A'itesse jusqu'alors inconnue de 3ï noeuds, elle adopta la turbine pour des bâti-
ments de plus en plus grands, et arriva enfin à en munir en 1907 son cuirassé
monstre, le Dreadnought, et ses similaires dont le tonnage atteint et dépasse 20 000
tonnes.
Voici, exprimées dans un mémorandum de l'Amirauté, en date de 1906, les rai-
sons qui ont dicté sa conduite à ce sujet:

La question du meilleur type de machine marine à employer a été l'objet d'un examen

Cours de machines de l'École navale, 2" année, par M, FÉLIX.


(')
I2/Ç LE NAA'IRE DE'GUERRE MODERNE .

approfondi. Bien que les turbines présentent des incoilvénients connus, on s'est cependant
décidé pouf ce genre de moteur à cause de sa légèreté, de la simplification des organes, dé la
diminution des causes d'avarie, de la douceur de la marche, de la facilité de conduite, et de
l'économie de combustible à grande vitesse.
Enfin, avec les turbines la protection est meilleure, puisqu'elles prennent moins de place en
hauteur.
Tous ces avantages contre-balancent et au delà les incom'énients.

Les moteurs à explosion.- — Les moteurs à combustion intérieure ont trop attiré
l'attention générale depuis quelques années, pour qu'il soit possible de n'en pas

parler, même au point de A'ue restreint:de la propulsion des naA'ires de guerre.


On connaît le priucipe très ingénieux sur lequel est basé le fonctionnement de ces

moteurs, dont l'invention, due au Français Forest, causa une véritable révolution en
donnant l'essor, pour ne parler que de celle-là, à l'industrie de l'automobile et perv
mit aux aA'iateurs de s'élancer à la .conquête de l'air.
Au lieu d'utiliser la chaleur
piwenant d'une source quelconque par l'intermé-
diaire d'un fluide, comme c'est le cas pour les machines à A'apeur, les moteurs à
combustion interne transforment directement l'énergie calorifique de la source (gaz,

pétrole, carbures divers) en faisant détoner ces combustibles dans lé cylindre du mo-
teur lui-même, comme c'est le cas dans les moteurs à explosion ordinaire, ou en le
brûlant lentemen t comme dans le moteur Diesel.
Voici comment les choses
se passent pour le moteur à explosion.
On introduit dans un cylindre de machine un mélange formé d'une certaine quan-
tité d'air et d'un corps combustible. Les proportions de ce mélange sont telles qu'il
est détonant.
On détermine son explosion par un moyen quelconque, étincelle électrique,
flamme ou échauffement intense. Les gaz que produit l'explosion et
qui sont à une

pression très élevée, projettent le piston du cylindre et par son intermédiaire la


bielle qui y est attelée et enfin l'arbre de couche. Le piston va jusqu'au bout de sa
course sous la poussée des gaz brûlés qui se détendent ; quand il revient dans l'autre

sens, entraîné par le mouvement des pièces lourdes qui tournent, volant, arbre, etc.,
il expulse les gaz désormais inutiles et se remet en position pour repartir à nouveau
sous l'explosion d'un nouveau
mélange détonant.
Le fonctionnement d'un moteur tel que je Aiens de le décrire succinctement est dit
à deux temps, parce qu'il faut deux courses du piston, une dans chaque sens, pour

que le cycle soit complet, et dans ce cas* sur les deux courses du piston, il y en a une
seule quipousse A'éritablement la bielle et donne une impulsion rotative à l'arbre dé
couche.
Mais on emploie
aussi beaucoup le moteur dit à quatre temps, dans lequel le cycle

complet comporte quatre courses du piston sur lesquelles une seule est motrice.
Dans le premier temps, le piston descend et aspire le mélange détonant qui s'in-
troduit dans le cylindre ; au deuxième^ temps le piston remonte et comprime ce

mélange dans un espace réservé à cet effet à la partie supérieure du cylindre ; au troi-
sième temps l'explosion se produit et les gaz en se détendant font redescendre le piston
LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE 125

(c'est la course motrice), enfin au quatrième temps le piston qui remonte expulse
les gaz brûlés.
Dans le cas du moteur à deux temps comme dans celui du moteur à quatre

temps, on A'oit que la machine est ce qu'on appelle à simple effet, c'est-à-dire que la
projection du piston se fait toujours dans le même sens, à l'inverse des machines à

A'apeur où le fluide est introduit successiA'ement sur les deux faces du piston et lui
donne l'impulsion dans les deux sens.
Les combustibles employés dans les moteurs à explosion sont les gaz d'éclairage,

d'acétylène et de gazogène ou gaz appelés pauA'res en raison de leur faible pouA'oir

calorifique, et enfin les gaz des hauts fourneaux, les liquidés proA'enant de la distil-
lationdes pétroles bruts, connus sous le nom de gazoline, et le pétrole lampant.
On se sert encore de l'alcool et du benzol.

L'appareil dans lequel s'opère le mélange de l'air et d'un des produits ci-dessus
énumérés s'appelle le carburateur, il doit être cité en raison du rôle primordial qu'il
joue dans les machines à explosion.
Le type du moteur à combustion est le moteur Diesel dont l'usage s'étend de plus
en plus dans la marine française pour les sous-marins (').
Voici le principe sur lequel repose son fonctionnement.
Ce moteur de telle sorte que le mélange
est disposé de l'air et du liquide combustible
ne deA'ienl pas susceptible de détoner. Au lieu de comprimer le mélange, ce qui
amènerait une forte éteValion de température elpar suite proA'oquerait l'explosion, on

comprime seulement de l'air pur dans le cylindre.


La pression de cet air est portée à 35 ou 4ok|ï, ce qui élèA'e sa température à 700
ou 800 degrés. A ce moment on introduit graduellement le combustible qui s'en-
flamme spontanément au fur et à mesure de son arrivée dans le cylindre.
La combustion s'opère ainsi pendant tout le temps que dure l'introduction du
combustible. On calcule donc cette dernière pour que, combinée aA'ec la période de
détente, elle amène le piston au bout de sa course.
Le moteur Diesel fonctionne à quatre
temps, exactement comme il est expliqué plus
haut. Il brûle les produits du pétrole sous une forme beaucoup plus complète que
les autres moteurs à explosion et la consommation qu'il en fait se réduit à 208 grammes
par cheA'al et par heure contre 35o et 400 grammes pour les autres moteurs.
Les moteurs à pétrole présentent ce grand avantage qu'ils permettent de suppri-
mer la chaudière, lourde, encombrante, de conduite généralement difficile et source
éA'entuelle d'accidents plus ou moins graves.
Leur rendement industriel est nettement supérieur à celui de l'ensemble chaudière-
machine à vapeur et atteint 20 à 25 0/0(2)-
Ils ont en revanche TincoiiAténient de nécessiter un combustible dont le prix est

(J) De très récentes expériences, faites en France et en Allemagne, permettent de croire qu'un 1res grand
avenir est réservé aux moteurs hases sur le principe du Diésol, pour ce qui concerne la propulsion des navires
en général. C'est ainsi qu'on étudie en. Allemagne l'installation, à bord d'un navire de guerre, d'une machine de
6 000 chevaux, composée de quatre machines Diesel de 1 5oo chevaux chacune.
( 2) Cours de machines de l'Ecole navale, par M. FJ';LIX.
126 LE NAVIRE DE GUERRE MODERNE

beaucoup plus élevé que celui du charbon, et cette considération s'est jusqu'ici oppo-
sée à leur emploi pour les grandes puissances.
Mais ils conviennent parfaitement pour les puissances faibles et moyennes et en
cette qualité ils sont appliqués avec grand avantage aux embarcations et aux sous-
marins, comme il sera dit
au chapitre qui traite de ces bâtiments.
Il est très possible qu'un avenir assez prochain voie employer pour la propulsion
des navires des moteurs à gaz, auxquels le gaz nécessaire serait fourni par des gazo-
gènes installés à bord (fig. 89).

FIG. — américain d'un cuirassé de iG 5oo tonnes à machines à gazogène


8g. Projet (sans cheminée)
armé de 10 pièces de 3ocm.

I. — du cuirassement.
Epaisseurs
II. — Calibre et disposition des canons. de cercles les aires battues
(Les portions marquent par chaque tourelle.)

On sait que ces gaz, appelés pauvres, sont obtenus en faisant agir la vapeur
d'eau et l'air, en quantité déterminée, sur du charbon incandescent. L'utilisation
des machines à gaz pauvre dans l'industrie est importante. Le matériel qui convient
à la production de ces gaz est d'une installation relativement facile et moins encom-
brant assurément que les chaudières nécessaires pour fournir la puissance équivalente
dans une machine à vapeur.
Au point de vue militaire, la solution de ce problème aurait une certaine impor-
tance.
On se range en effet, actuellement et de plus en plus, à l'avis qu'il faut faire du
cuirassé moderne une citadelle munie de la plus forte artillerie possible. Or,
jusqu'à
présent, avec les machines énormes dont on est obligé de le munir, qu'elles soient
d'ailleurs alternatives ou à turbines, une partie trop considérable du poids dont on

dispose est absorbée par ces machines, leurs chaudières et leurs accessoires. C'est
autant de moins qu'on peut consacrer aux canons et surtout à l'approvisionnement
LE NAA'IRE DE GUERRE MODERNE I27

des munitions. En le pont des bâtiments


outre, est encombré par de hautes et
larges cheminées qui empêchent absolument une partie au moins des canons enfer-
més dans les tourelles de tirer indifféremment d'un bord ou de l'autre du navire.

L'emploi de machines à gaz Q) modifierait tout cela. AA'ec elles plus de cheminées,
un minimum de constructions sur le pont autorisant une répartition des tourelles
telle que le feu de tous les canons puisse être dirigé sur un bord ou sur l'autre, dis-

ponibilité d'une marge importante de poids et de place à l'intérieur du naA'ire per-


mettant l'augmentation du nombre des pièces, de leur protection et du nombre de
militaire du
coups à tirer, en un mot un accroissement considérable de la valeur
naA'ire.

(f) Ou do moteurs genre Diesel. .


CHAPITRE IV
i

L'ARTILLERIE NAVALE

Le canon de marine moderne. — — De


quoi et comment est fait un canon. — La théorie
Quelques définitions.;
de la rayure. — Son utilité. — La dérivation. — Confection et usinage d'un canon. — Tirs d'épreuves. —

La vis et sa puissance. — L'obturateur. — Son rôlejprimordial. — L'artillerie à tir rapide. — Nelson en fut
— Artillerie — Le
l'inventeur et lui doit nombre de victoires. légère, moyenne, grosse. petit canon de YAmi-
-— Installation d'une tourelle de 3oom. —
ral-Souvarov, au combat- de Tsushima, qui tirait toujours!
— Eléments dont il faut tenir -^ Ce
Comment on pointe une de ces tourelles. — Le pointage: compte. qui se
— La conduite du tir. —- Les projectiles, — La mélinite. — Ses
passe quand on tire une pièce de 3ocm.
effets au combat de Tsushima. •— La "— Sa — Ses avantages et ses inconvé-
poudre sans fuhiée. composition.
nients. — Elle craint trop la chaleur. — — h'Iéna. —- Installation des soutes.
Quelques exemples d'accidents.
— Comment — Surveillance — Gom-
on cherche à y maintenir une température normale. qu'on y exerce.
ment sont confectionnées les charges des canons. — (îargousses, douilles, cartouches. — Noyage des soutes.

LES CANONS

dans la
Depuis que le canon se chargeant par la culasse a remplacé son ancêtre,
bouche duquel on introduisait la charge qu'il recrachait ensuite, des modifications
aussi nombreuses qu'importantes ont successivement été introduites, relatives à l'ap-
Nous n'entreprendrons
parence comme à la structure intérieure de cette arme. point
de retracer ici l'histoire de ces transformations; mieux vaut nous étendre avec

quelques détails sur l'artillerie actuellement employée.


Voici tout d'abord, à propos de nos pièces marines actuelles, quelques défini-
tions utiles:
La culasse d'un canon est sa partie arrière, et la bouche l'ouA'erture opposée; celle
par laquelle sort le projectile.
à vis
Le bloc métallique qui sert à fermer la culasse est une sorte de bouchon
qui se nomme vis-culasse.
Les tourillons sont deux masses de métal cylindriques qui font corps avec la pièce,
ils sont placés à peu près par le traA'ers dil centre de graA'ité des canons et servent à
faire reposer la pièce sur son affût. !
La partie de la pièce en aA'ant des tourillons se nomme la volée, celle en arrière le
Le renfort est notablement plus épais que la A'olée ; c'est dans l'intérieur dé
renfort.
celle partie en effet que se produit la déflagration de la charge de poudre, laquelle
fait supporter à la chambre où elle se produit un effort considérable ; il est par con-
cette partie du canon. Ce renfort est constitué par
séquent nécessaire de renforcer
L ARTILLERIE NAVALE
13g

des cercles ou bagues en acier que l'on appelle des frettes, on les enfile à chaud sur
le tube cylindrique qui forme le canon proprement dit. En se refroidissant, ces frettes

produisent un serrage sur le cylindre et font pour ainsi dire corps avec lui.
Les pièces de la marine portent généralement plusieurs rangs de frettes ainsi

placées les unes par-des-


sus les autres. Comme la
nécessité d'un renfort se
fait sentir davantage par
le travers de la chambre
à poudre que par le tra-
vers du logement du pro-

jectile pour lequel il est


cependant encore fort
utile, les frettes ont une

longueur variable, les

plus courtes se posent

par-dessus les plus lon-

gues, ce qui donne à la

partie centrale de la pièce FIG. 90.


— Le canon do l'ancienno marine se chargeant par la houche.

une forme tronconique.

Apres avoir examiné 1 extérieur de notre vovons comment se présente sa


pièce,
structure intérieure.
Dans la pièce, un évidement central constitue l'âme. En regardant cette âme par
l'ouverture de la tranche
de culasse, on voit une

partie filetée formant écrou


et destinée à recevoir la

pièce de fermeture ou vis-


culasse.
Le mécanisme de fer-
meture est, des plus sim-

ples el des plus ingénieux.


La vis-culasse se loge dans
un écrou ménagé à l'arrière
de l'âme ; cet écrou res-
semblerait tout à fait à un
écrou ordinaire, si on n'a-
FIG. — Le canon moderne se chargeant culasse.
QI. parla vait enlevé une partie de
ses filets de vis, suivant
trois bandes longitudinales. Il se présente donc sous la forme d'un tube portant sur la

paroi intérieure trois bandes filetées séparées par trois bandes lisses de même largeur.
La masse d'acier qui forme la vis-culasse porte également, de son côté, trois bandes
filetées et trois bandes lisses exactement des mêmes dimensions que celles de l'écrou.
SAUVAIBE JOVJRDAN. U
i3o L ARTILLERIE NAVALE

Pour fermer la culasse, on place le bloc de fermeture dans une position telle que
ses bandes filetées se présentent en face des bandes lisses de l'âme du canon, puis
on le pousse en avant, de façon à le faire pénétrer dans l'âme. Lorsque sa tranche

postérieure est près d'affleurer la tranche de culasse, un butoir arrête le mouvement.


Alors, au moyen de la poignée dont est munie la vis-culasse, on la fait tourner de

gauche à droite, d'un sixième de tour, ce qui engage les filets de vis du bouchon
dans ceux de l'écrou ; la culasse est ainsi fermée. Lorsque le coup sera tiré, le bou-
chon maintenu à sa place par les filets devis, tout comme le serait une vis ordinaire,

supportera, sans reculer,


le choc ou pour mieux
dire la pression énorme
des gaz de la poudre.
En continuant notre

inspection de l'âme de la

pièce, nous trouvons,

après lelogement de la
vis-culasse, la chambre à

poudre dont il a déjà été

parlé ; elle est cylindrique


et ses dimensions sont
calculées pour loger exac-
tement les gargousses ou
la douille en métal dans

lesquelles la poudre est

FIG. — Culasse d'une à tir renfermée.


92. pièce rapide.
a, vis-culasse. f, percuteur. Sui l'avant de la cham-
b, volet de culasse. [I, obturateur.
c, levier de commande. h, plancbcttc de chargement. bre à poudre se trouve
(/. extracteur. i, poignée du levier de commande.
e, axe de rotation. /. crémaillère commandant la rotation de la vis.
naturellement le loge-
ment du projectile, au-

quel fait suite la partie cylindrique de l'âme qui s'étend jusqu'à la bouche de la

pièce. C'est dans cette partie cylindrique que se placent les rayures, dont l'impor-
tance est capitale.

LES RAYURES

Ce fut vers i83o qu'un officier d'infanterie nommé Delvigne, inventeur d'une
carabine rayée, proposa aux ministères de la Guerre et de la Marine d'appliquer son
invention aux canons. La Marine seule accepta, mais les essais entrepris furent aban-
donnés, malgré les résultats très nets qu'ils fournirent au point de vue de la justesse
du tir et de l'augmentation de la portée, parce que les moulages employés pour faire
tourner le projectile exerçaient une pression telle sur la paroi de l'âme des canons

que plusieurs éclatements se produisirent.


Ces expériences, reprises en i85i avec un système présenté par l'officier italien
L'ARTILLERIE NAVALE I3I

Cavalli, furent
le point de départ de l'adoption définitive des rayures pour toutes
espèces de canons, et, par voie de conséquence, déterminèrent l'emploi des projec-
tiles oblongs terminés par une partie conique.
Le rôle de la rayure est facile à comprendre.
Le projectile qui, grâce à elle, a reçu dans l'âme de la pièce, comme il sera
expli-
qué plus loin, un mouvement de rotation plus ou moins rapide autour de son grand
axe, se visse en quelque sorte dans l'air pendant tout le temps de son parcours. Il
en résulte d'abord qu'il peut vaincre plus aisément la résistance de l'air, d'où
aug-
mentation de la portée ; on obtient aussi un grand accroissement de la stabilité du
projectile tout au long de sa trajectoire, d'où découle ce fait important qu'il se présente

FIG. 93. — Coupe d'un canon de marine suivant l'axe.


a, tube du canon. b, frette arrière. c, frotto de volée. d, vis-culasse.

toujours, tout au moins dans la partie intéressante de cette trajectoire, la pointe en


avant.
Il arrive donc sur le but et le frappe par son extrémité aiguë, condition
indispen-
sable de sa pénétration dans l'obstacle qu'il s'agit de détruire.
Enfin, cette stabilité du projectile donne au tir une justesse tout à fait inconnue
avec les boulets ronds ou ogivaux lancés sans rayure ; ces derniers
qui ont été utilisés
dans les obusiers aux derniers temps de l'artillerie à âme lisse,
parcouraient générale-
ment leur trajectoire en pirouettant sur eux-mêmes, au grand détriment, on le pense
bien, de leur efficacité.
Les premières rayures employées furent hélicoïdales ('). Le au démar-
projectile,
rage, recevait donc en même temps une double impulsion, celle qui le projetait en
avant et celle qui le faisait tourner. La conséquence était une fâcheuse de
absorption
force vive. Après de longs tâtonnements, on finit par adopter la rayure de forme pa-
rabolique qui se confond, au point de départ du projectile dans l'âme de la pièce,
avec la génératrice de cette âme et dont l'inflexion se fait suivant une progression
très ralentie. Le projectile, au moment du départ du coup, prend alors son élan
suivant une ligne droite qui s'infléchit ensuite en le forçant à tourner sur lui-même
(*).
Les rayures actuellement employées sont nombreuses, étroites et peu profondes.
Elles sont découpées dans l'âme et laissent entre elles des
épaisseurs de métal qu'on
appelle des cloisons.

(J) Cela signifie que l'inclinaison de leur courbe, c'est-à-dire l'angle qu'elles faisaient avec une génératrice de
l'âme du canon, était constante. Il en résultait que le projectile était obligé de tourner sur lui-même dès son pre-
mier mouvement en avant.
( 2) L'inclinaison dos rayures est de /J°. Lorsque le projectile sort de l'Ame, il a donc tourné approximativement
de la longueur de l'arc de 4° sur une circonférence ayant comme rayon la longueur de l'Ame.
i32 L'ARTILLERIE -NAVALE

Pour recevoir des rayures son mouvement le projectile


de rotation, est muni à sa
d'une ceinture de cuiA're rouge qui déborde sur le corps du pro-
partie postérieure
de la quantiténécessaire pour atteindre lé fond des rayures, au point même
jectile
où ces rayures commencent dans l'âme. Lorsque le coup est tiré, la ceinture est en-
taillée sur tout son pourtour par les cloisons qui forcent ainsi le projectile indissolu-
blement Hé à la ceinture, à prendre son mouvement de rotation. En plus dé la ceinture
ce qu'on appelle le montage, le projectile est encore soutenu
qui forme à elle seule
dans l'âme par un bourrelet de métal placé à la base de l'ogive. Le rôle de ce bourrelet
consiste à empêcher le projectile de battre dans la pièce.
Les rayures de toutes les pièces de"la marine française tournent de droite à gauche,

et le mouvement de rotation donnent au projectile est naturellement dans ce


qu'elles
même sens.
Un effet assez curieux du mouvement rotatif de l'obus est que, au lieu de se diri-
suivant l'axe de la pièce, il est porté à la direction
transversalement
ger tout droit
de sa trajectoire, d'une quantité assez faible il est vrai,mais néanmoins appréciable,
dans le sens de sa rotation. Ainsi pour toutes les pièces marines rayées de droite à

gauche le projectile sera déATté à gauche d'une quantité qui.s'élève jusqu'à 4o mètres
aux portées extrêmes et qu'on appelle la dérivation.La valeur de cette dériA'ation est

constante pour chaque calibre et mesurée pour les diverses distances. On en tient

compte soigneusement dans le pointage, nous le verrons plus loin, quand je dirai
comment il faut s'y prendre pour donner à une pièce la position nécessaire pour que
son projectile aille toucher un but déterminé.

DIFFÉRENTS MODÈLES

a passé le
Nous n'entrerons pas ici dans le détail des transformations par lesquelles
matériel de notre artillerie naA'ale depuis des canons se chargeant par la
l'adoption
culasse.
Il y aurait.là un exposé fastidieux et long, sans grand intérêt d'ailleurs. Il sera suffi-

sant d'indiquer les années qui ont été signalées par la création de types de canons

nouA'eaux, ou du moins de canons réalisant un progrès sur le type précédent. Ces

années sont : 1870, 1875, 1879, 1881, i884, 1887,.1888-91, 1891, 1892, i8g3,

1893-96, 1906, '191-0.-


Les modèles 1892, i8g3, -18g3-g6 se rapportent aux canons
1887, 1888-91, 1891,
à tir rapide.
Les derniers naAires de combat actuellement à flot dans la marine française por-
tent des canons des modèles 1906 (f).

CONSTRUCTION DES CANONS

A quelques détails les canons de la marine sont constitués de la même façon.


près,

dont deux unités sont actuellement en construction, seront


(J) Les cuirassés de 23 4oo tonnes (type Courbet"),
armés de canons d'un modèle nouveau, datant de 1910.
L ARTILLERIE NAVALE l33

Un tube en acier dans lequel est forée l'âme forme la partie centrale de la pièce. Ce
tube est noyé dans une masse de métal qui se nomme corps et recouvre le tube sur
toute sa longueur.
C'est
par-dessus le corps que se placent à chaud les frettes dont j'ai déjà parlé et

qui apportent un surcroît de résistance sur les points de la pièce où se produisent les
efforts violents de la déflagration de la charge.
Le tube porte à sa partie arrière le logement fileté de la vis-culasse. On n'emploie
plus, pour la confection de ces canons, que des lingots d'acier fondu obtenus par
le procédé Martin-Sie-
mens.
Les différents éléments
dont se compose une

pièce, tube, corps, frettes,


sont fabriqués par l'in-
dustrie(') et réunis à
la fonderie nationale de
Ruelle (près d'Angou-
lême). Ces éléments y
arrivent simplement dé-

grossis, et c'est à Ruelle

que se fait le travail d'usi-

nage, par lequel qn leur


donne les formes et les
dimensions voulues pour
qu'ils s'engagent les uns
dans les autres avec une

précision mathématique
et en produisant le ser-

FIG. g6. Canon au-dessus du puits à frettage. rage requis.
Cette mise au point
des éléments déjà dégrossis des opérations de tournage, d'alésage et de
comporte
rodage.
Par le tournage on enlève le métal est en trop à l'extérieur, de façon à donner
qui
à la pièce sa forme
cylindrique.
Ualésage est l'opération identique
pratiquée à l'intérieur de l'élément.
Dans ces deux opérations, l'outil laisse sur les surfaces qu'il a travaillées des stries,

qu'on fait disparaître au moyen du rodage pour lequel on emploie des briques d'é-
meri.
Pour être assuré que l'âme du canon aura bien exactement le diamètre voulu, on

(') L'établissement du Creusot, s'est fait une mondiale dans la fabrication des fournit
qui réputation canons,
une des éléments des de la marine Les établissements industriels en
grande partie pièces française. français qui,
du Creusot, fournissent les éléments dos canons sont : ChAtillon-Commentry, Claudinon
plus (Lo Chambon),
la société de Pamiers (Ariège).
i3& L'ARTILLERIE NAVALE

ne lui donne son alésage définitif qu'après l'assemblage de tous les éléments. On évite
ainsi les erreurs qui pourraient se produire du fait de la compression opérée pendant
le tube.
le montage par les pièces placées à chaud par-dessus
se font en donnant à la fixée hori-
Les opérations que je viens d'énumérer pièce,
zontalement sur un outil un mouvement uniforme de rotation ; un
appelé tour,
autre outil tourne, alèse ou rode, reçoit, lui, un mouvement de translation
qui
horizontal.
Les éléments étant ainsi amenés à leurs dimensions exactes, on procède à l'assem-

blage.
Toutes ces opérations se font dans un immense atelier, à toiture très élevée, bien
A l'une des extrémités se trouve la
éclairé par le haut, et que l'on appelle forerie.

FIG. — Canon de 3o'lm sur le tour.


g5.

fosse à tuber où s'effectuent les diverses manoeuvres de l'assemblage ; le reste du

hangar est occupé par les bancs de tournage, alésage, etc.


Des ponts roulants circulent tout au long de l'atelier et permettent d'amener au

point voulu les énormes pièces qu'il s'agit de réunir, et de leur donner toutes les po-
sitions nécessaires.
Pour introduire le tube dans le corps, ce dernier est suspendu verticalement dans
un gigantesque four, où il prend la température reconnue nécessaire ; puis on amène
au moyen de chariots à treuils le tube au-dessus du corps et dans son axe ; on le fait
descendre doucement, après s'être assuré qu'aucun corps étranger n'est resté ni sur
le tube, ni dans le corps.
Enfin, on place la virole en la vissant fortement au moyen d'un collier à leviers.
On procède ensuite à l'alésage définitif de l'âme, qui comporte également la confec-
tion de la chambre à poudre, du logement de l'obturateur ainsi que le filetage et le

sectionnage de l'écrou dans lequel se vissera la vis-culasse.


Pour finir, on trace
les rayures au moyen d'un outil qui travaille en marchant de
la chambre à poudre vers la bouche. La pièce est fixe et cet outil, mordant dans
l'acier de l'âme, reçoit un mouvement de translation et un mouvement de rotation
dont la composition donne justement le profil de la rayure.

Quand l'usinage d'un canon est terminé, on lui fait subir un tir d'épreuve.
Ce tir sert non seulement
à éprouver la pièce, mais encore à provoquer un portage
des différents éléments qui le composent et à assurer une cohésion parfaite.
complet
Il comporte sept coups, à chacun desquels on augmente le poids de la charge de
L ARTILLERIE NAVALE i-35

poudre et celui du projectile de façon à rendre l'épreuve plus dure de coup en coup.
On arrive ainsi à dépasser sensiblement les conditions du tir de combat. Si aucune

marque de fatigue ne se révèle ensuite à la très minutieuse inspection et à la A'érifi-


cation de ses diverses dimensions, on peut être assuré que la pièce est bonne à entrer
en service, .
Avant de l'expédier dans le port où elle attendra son embarquement sur un navire
de combat, on appose sur la tranche de culasse et sous forme d'initiales, un certain
nombre de renseignements se rapportant au calibre, au modèle, à l'établissement
usineur, à l'année où la pièce a été confectionnée.

Fermeture de culasse. — La fermeture de culasse constitue en somme l'élément

principal des canons modernes, il convient donc d'insister un peu sur son fonction-
nement.
Cette pièce, nous l'avons déjà vu, se présente sous la forme d'un cylindre d'acier

ayant le diamètre de l'âme, dont le pourtour est divisé longitudinalement en six


bandes dont trois sont lisses et trois filetées.

Quand la A'is-culasse est poussée au fond


de son logement, on la fait tourner d'un
sixième de tour en agissant sur un
leA'ier qu'elle porte à sa partie postérieure. Dans
ce mouvement, qui est celui par lequel la culasse se ferme en réalité, les filets de A'is
de la culasse et ceux de son logement pénètrent les uns dans les autres et il se pro-
duit exactement le même phénomène que pour une A'is quelconque qui serait Aissée
dans son écrou. On peut bien le retirer en le dévissant, on ne peut pas le retirer en
tirant sur là vis dans lé sens de son axe.
En vérité, notre admiration pour les énormes progrès de la science moderne a de

quoi se rassasier deA'ant les nombreuses et magnifiques découA'ertes qui ont réA'olu-
tionné le monde depuis un siècle, mais, en y pensant bien, ne devrions-nous pas en
réserver une part et une bonne part pour ces inventions qui nous semblent mineures,
et sans lesquelles cependant aucune des autres n'aurait pu être réalisée ?
Qu'on A'euille bien réfléchir à ce que serait, par exemple, le monde sans la vis !
La beauté de cette invention se manifeste dans mille détails de l'industrie humaine.
Il est peu de ses applications qui puissent mieux que celle qui nous occupe donner
une idée de la puissance réalisée par la A'is.
Voilà douze filets de vis qui ne sont même pas continus et qui supportent sans flé-
chir, sans laisser sortir de l'écroùla culasse qu'ils maintiennent, la pression formidable
des iooooo litres de gaz auxquels donne naissance la déflagration de iook(îde pou-
dre, charge d'un canon de 3ocm, et la poussée des 2 6oooooks que ces gaz opèrent
sur la tranche antérieure de la vis. •
Ces gaz, ainsi comprimés, cherchent, on le pense bien, à s'échapper de l'âme par
toutes les A'oies, petites ou grandes, directes ou détournées, qui s'offrent à eux.
Si on n'y mettait ordre, ils passeraient notamment par les interstices qui existent
forcément entre les filets de vis de la culasse et ceux de son écrou. Il se produi-
rait ainsi des retours de flamme très dangereux pour le personnel placé derrière la

pièce ; de plus, la culasse se dégraderait et serait mise rapidement hors d'usage. On


i36 L ARTILLERIE NAVALE

obvie à ces fuites en appliquant sur la tranche avant de la vis-culasse une rondelle
en cuivre munie d'un rebord, qui se loge exactement à l'endroit par lequel les gaz

pourraient s'échapper en arrière et bouche hermétiquement la fissure existant néces-


sairement entre la vis-culasse et son logement. Cette pièce, dont l'importance est,
on le voit, extrême, porte le nom d'obturateur. Sous la poussée des gaz, ses bords,

grâce à l'élasticité du métal


qui la compose, viennent s'appuyer énergiquement
sur la paroi de l'âme et sur le pourtour de la vis-culasse et s'opposent à toute tenta-
tive d'évasion de ces gaz vers l'arrière.
La paroi de l'âme du canon porte, à hauteur de la tranche avant de la vis-culasse

Culasse fermée. Culasse ouverte.

FIG. — Culasse à coin d'un canon à tir de 47""".


96. rapide

B, bloc. L, levier de manumvre.

quand elle est à son poste, un léger évidement circulaire dans lequel se loge l'obtu-
rateur. Lorsqu'on ferme la culasse, la vis-culasse est, au moment où on lui donne
sa rotation d'un sixième de tour, poussée en avant de quelques millimètres, par le fait
du vissage qui se produit. Elle vient donc appuyer fortement l'obturateur dans son

logement et assurer son fonctionnement.


L'obturateur est supprimé dans les pièces où la charge est renfermée dans une
cartouche de cuivre ; c'est alors la douille elle-même qui fait l'office d'obturateur.
La vis-culasse est percée en son centre d'un canal de petites dimensions par lequel
le feu de l'étoupille, produit comme nous le verrons plus loin, se communique à la

charge de poudre qui vient affleurer la tranche avant de celte vis.


Cette étoupille est un petit tube renfermant une certaine quantité de poudre noire
et un grain de fulminate de mercure. Ce dernier enflamme la poudre lorsqu'il détone
sous le choc du percuteur placé sur la tranche arrière de la vis-culasse.
On comprend sans peine combien il est important que le percuteur ne puisse

frapper l'étoupille aA'ant que la culasse ne soit absolument fermée ; autrement, les
filets de vis n'étant pas complètement engagés les uns dans les autres, la résistance
L ARTILLERIE NAVALE I37

offerte à la pression des gaz n'est plus suffisante, la culasse peut être rejetée en
arrière et des accidents terribles sont à craindre. Aussi s'est-on ingénié à placer sur la
culasse du canon un certain nombre
d'appareils mécaniques, pourde sûretés

employer le mot propre, qui ne permettent d'exécuter les mouvements de fermeture


de culasse et d'amorçage, ce dernier consistant à introduire l'étoupille dans son loge-
celui est complètement et parfaitement
ment, que lorsque qui doit le précéder
achevé.
La vis-culasse, nous l'avons vu, doit, pour remplir son office, recevoir un mouve-

FIG. — Culasse d'un canon de 3ocm avec sa console.


97.
Le mécanisme d'ouverture de la culasse est enferme dans la boite placée à sa gauche.

ment de translation quand elle pénètre dans la pièce, un second mouvement, de rota-
tion celui-là, pour fermer l'ouverture de l'âme. Elle doit de plus, lorsque la culasse
est ouverte, pivoter autour d'un axe vertical pour dégager l'entrée de l'âme par
laquelle on va introduire la charge. Ces trois mouvement, faciles à exécuter à la
main avec les culasses de pièces de petits et moyens calibres, ne le sont plus avec
celles de
gros canons pour lesquelles le poids de la vis-culasse atteint 1 o^4kB»
comme c'est le cas pour le canon de 3o''m. On emploie dans ce cas des organes
de manoeuvre, crémaillères, pignons dentés, vis sans fin, mus par des manivelles,

grâce auxquels ces mouvements s'accomplissent mécaniquement et aisément.


On a adopté pour les pièces de petit calibre 3~j, 4 7 et 65ram, une fermeture de
culasse à coin ou à bloc. Dans ce système, la fermeture de l'âme s'opère au moyen
d'un bloc d'acier en forme de coin plat qui peut monter et descendre dans une mor-
taise creusée à la partie arrière du canon. Des nervures ménagées dans la mortaise

guident son mouvement vertical, que provoque à volonté la manoeuvre par le


i38 L'ARTILLERIE NAVALE

chargeur d'un levier à deux branches. La manoeuvre de ce levier arme en même


temps le marteau ou le percuteur que le chef de pièce actionnera, quand il voudra
faire partir le coup, au moyen d'une gâchette de pistolet.

ARTILLERIE A TIR RAPIDE

C'est de l'année 1878 que date le premier canon à tir rapide. Ce fut un canon-
revolver de 37 °"n créé par la maison Hotchkiss pour lutter contre les bateaux tor-

pilleurs qui apparaissaient à cette époque comme un péril très menaçant. Le prin-

cipe une fois admis, on en vint très

rapidement à en souhaiter l'applica-


tion à des modèles plus puissants.
Mais il fallut alors chercher dans
un autre ordre d'idées. Le 37""" de
Hotchkiss se composait de cinq canons

ajustés côte à côte tout comme le


barillet d'un revolver ; un
système
rotatif les amenait successivement de-
vant le percuteur. Une pareille dispo-
sition ne pouvait en aucune façon con-
venir à des pièces d'un calibre plus
élevé à cause du poids considérable et

prohibitif qu'on aurait atteint. On

s'ingénia donc à développer par d'au-


tres moyens la rapidité du tir, reconnue
comme un indiscutable élément de
succès.
On y arriva en recourant à plusieurs
FIG. q8. — Canon à tir rapide. procédés, tels que : pointage plus aisé,
partant plus rapide ; emploi des douilles
A, canon. M, levierde manoeuvre de culasse.
B, berceau. P. , F,poignée et cordon de mise de feu
C, crosse. S, support.
métalliques contenant la charge en-
H, hausse. T, tourillons.
de lunette de pointage.
L, support
tière, poudre et projectile; adoption
de dispositions spéciales propres à uti-
User la force produite en batterie, et d'autres
par le recul pour la rentrée qui permet-
taient d'abréger les opérations d'ouverture et de fermeture de culasse.
Tirer plus vite que son adversaire, à condition cependant de tirer juste, constitue

pour celui des partis en cause qui a su s'acquérir cet avantage, une supériorité dont
on ne peut nier l'évidence.
C'est pour avoir démêlé cette vérité, pourtant bien claire,que Nelson put acqué-
rir sur nos escadres un
avantage si marqué, au point de vue du feu, et en dehors de
toutes autres considérations.
Ses canonniers, entraînés à la mer et par de constants exer-
par un long séjour
L ARTILLERIE NAVALE
i3g

cices, étaient arrivés en effet à tirer de chaque pièce un coup par minute, si bien

que nos vaisseaux, passant à portée, recevaient


en état trois bordées avant d'être
d'en envoyer une seule. L'écrasement de la flotte de Villeneuve à Trafalgar, de celle
de Brueys à Aboukir furent dus en grande partie à cette supériorité.
Ces leçons de l'histoire furent mises à profit par l'amiral Lalande ('), le comman-
dant fameux de l'escadre française du Levant en i84o ; il réussit à introduire dans
notre marine la charge précipitée, consistant à enfoncer à lafois dans l'âme de la pièce
la gargousse et le boulet, comme on le fait de nos jours avec la cartouche métallique
pour les canons à tir rapide.
En apportant aux différents mécanismes du canon les modifications que j'ai indi-
quées plus haut, on est parvenu à augmenter très notablement le nombre des coups

qu'il est possible de


tirer en un laps de

temps, mais cette ra-

pidité du tir ne doit

pas être jugée par les


résultats obtenus dans
les polygones, où les
données diffèrentcom-

plètement de celles du
tir en mer.
C'est ainsi que la

pièce de i6cra, par


exemple, qui peut ti-
rerjusqu'à huit coups
à la minute au po-

FIG. — 1 Pièce de marine montée sur affût à châssis, à pivot central. lygone, n'en pourra
99.
2 — — avant. tirer que trois ou
a, canon. e, commando de pointage
tourillons des canons. châssis. à bord, où il
b,
de visée.
f, quatre
c, appareils g, sellette.
d, corps d'affût et freins hydrauliques. h, chemin de roulement et pivot avant.
s'agit d'atteindre un
but mobile, et où la

plate-forme de tir, soumise au roulis, manque de stabilité.


Les dispositions le tir rapide ont été appliquées chez nous
spéciales qui permettent
aux canons jusques et y compris le calibre de i6cm.
Les vitesses de tir obtenues à bord,
moyennes, sont par dans des conditions
minute de huit coups pour le canon de iocm, de six pour celui de i4cra, de quatre pour
celui de i6cm, Pour les calibres inférieurs, qui constituent l'artillerie dite légère, on
arrive facilement à tirer quinze coups par minute.
L'appareil qui supporte un canon et qui permet, au moyen de mécanismes ingé-
nieux, de le diriger suivant des directions différentes, tant dans le sens horizontal que
dans le sens vertical, se nomme un affût.

LOIR et DECACQUERAV,La marine elle


(') progrès.
Mo L'ARTILLERIE NAVALE

II en existe types : l'affût


deux à châssis, pour porter les pièces munies de touril-
lons ; l'affût à berceau, pour celles qui n'en ont pas.
L'affût à châssis se compose de deux plaques en acier parallèles, reliées par de
fortes entretoises. Cet ensemble sur lequel le canon repose, je l'ai dit, par ses tou-
rillons, glisse au recul sur deux poutrelles également en acier, qui constituent pro-
prement le châssis.
Tout cet appareil tourne autour d'un axe vertical, qui peut se trouver placé soit
tout à fait à l'avant du châssis, soit en son milieu ; suivant le cas, on a alors un affût
à châssis à pivot ou à pivot central.
avant,
Pour faciliter le mouvement horizontal de pointage, le châssis est muni à l'avant
et à l'arrière de deux paires de roues en bronze, qui roulent sur une plaque de même
métal fixée sur le pont du navire et qu'on nomme circulaire.

FIG. IOO. — Pièce de marine sur affût à berceau.

a, corps du canon. h, sellette.


b, culasse. i,i, de pointage en direction.
appareil
c, berceau à manchon. IJt — — en hauteur.
d, tourillons du berceau à r k,k, masque.
e, cylindre de frein. /, commande de mise de feu.
récupérateurs à ressorts. m, appareil de visée.
g, châssis. ii. épauloir du pointeur.

Avec l'affût à berceau, le canon, ne portant pas de tourillons, repose par sa partie
centrale dans une masse d'acier qui l'enserre étroitement ; c'est son berceau, qui,
au moment du départ du coup, recule avec lui.
C'est alors le berceau qui coulisse dans les longrines d'une fixe
partie appelée
support d'affût, qui, elle, reste immobile.
L'affût fixe est boulonné à la plate-forme de la tourelle où le canon est placé, et
dans ce cas le pointage en direction en faisant tourner la tourelle elle-même,
s'opère
ou bien il repose par un train
de galets ou roulettes sur une circulaire boulonnée
au pont ; c'est alors en agissant sur la couronne de galets que l'on produit le mou-
vement de rotation de l'affût et de la pièce qu'il porte.
La violence du recul du canon est généralement amortie des freins
par hydrau-
liques, dont le principe, très est le suivant :
ingénieux,
L'ARTILLERIE NAVALE I 41

Sur l'affût, immobile


par destination, est fixé un cylindre rempli d'un liquide; dans
ce cylindre se meut un piston dont la tige est reliée immuablement au canon.
Au moment du départ du coup, le piston suit le mouvement du canon violemment

rejeté en arrière. Il comprime fortement le liquide placé entre sa tranche et le fond


du cylindre. Ce liquide étant incompressible provoquerait la
rupture du cylindre
si on ne lui offrait un moyen de s'écouler. Ce moyen lui est donné par des ouver-
tures ménagées dans le piston lui-même. La dimension des ouvertures est calculée
de telle sorte que la quantité de liquide qui peut s'écouler pendant le recul est assez
faible et que le recul lui-même est ainsi réduit à sa valeur minimum.
L'installation que je viens de décrire pour ainsi dire schétnatiquement n'est pas
d'ailleurs uniforme. Tantôt c'est le piston qui est fixé sur le canon et le cylindre sur
l'affût, tantôt c'est l'inverse.

FIG. loi. — Pièce de marine sur affût à berceau à manchon).


(lîerceau

a, canon. f, tige de piston de frein fixée à la crosse.


b, frette porte-crosses fixée au canon. g, contre-tige centrale fixée au bouchon avaut du cylindre de frein.
C, corps du berceau à manchon. h, récupérateur à ressort.
d, tourillon» du berceau à manchon. i, tige centrale de compression des ressorts fixée à la frette.
e, cylindre de frein hydraulique.

Quelle que soit d'ailleurs la disposition adoptée, il existe toujours à côté du frein
un mécanisme récupérateur, fonctionnant au moyen de ressorts ou d'air comprimé,
le recul une du travail fourni la pièce et qui,
qui emmagasine pendant partie par
aussitôt le mouvement en arrière terminé, ramène automatiquement le canon en
batterie, c'est-à-dire à la
position où, la nouvelle charge introduite dans l'âme, il
sera prêt à tirer de nouveau.
Toute cette organisation d'affûts à berceau, de freins modérant le recul, de récupé-
rateurs ramenant le canon à son poste, constitue à proprement parler, les moyens
Le temps économisé sur le chargement,
qui ont permis la réalisation du tir rapide.
le pointage et autres opérations nécessaires, a certes son importance, mais cette
économie n'eût pas permis de réaliser la rapidité de feu à laquelle on est arrivé
s'il ne s'y était ajouté le temps gagné dans les mouvements de recul et de mise en
batterie.
Le pointage en hauteur, c'est-à-dire la mise au point de la pièce dans le sens ver-
1^2 L'ARTILLERIE NAVALE

tical, s'opère au moyen d'arcs dentés fixés sur le canon dans lesquels viennent s'en-

gager des pignons mus par des vis sans fin et un volant.
Le pointage en direction d'amener le canon va faire feu dans la
permet qui
direction du but. Cette opération se pratique au moyen d'engrenages par l'inter-
médiaire d'un
pignon vertical agissant sur une couronne dentée fixée à la plate-
forme où reposent la pièce et ses accessoires. Une couronne de galets roulant sur

FIG. 102. — Vue d'une de 3ocm en tourelle.


pièce

une circulaire plane boulonnée sur le pont du navire facilite, comme je l'ai dit plus
haut, le roulement du châssis.
Les engrenages sont mis en mouvement, comme pour le pointage en hauteur,

par un volant que tient un des servants de la pièce et, en certaines circonstances,
notamment pour les canons à tir rapide, le pointeur lui-même.

INSTALLATION ET RÉPARTITION DE L'ARTILLERIE

L'artillerie dont sont armés nos navires est, suivant le calibre des canons, répartie
en artillerie légère, moyenne ou grosse.
L ARTILLERIE NAVALE I43

Les canons
légers sont du calibre de 37""", 47""", 65'""', 75mm. Ils sont destinés

uniquement à combattre les torpilleurs, et éminemment propres à cet usage en raison


de la grande rapidité que peut atteindre leur tir.
On emploie même quelques canons semi-automatiques avec lesquels le tir est à

peu près continu.


Pour toutes ces pièces, le pointage régulier est pour ainsi dire impossible. On a
affaire à un but qui se déplace avec une extrême rapidité et on ne peut songer à chan-

ger la hausse après chaque coup. On se contente donc de tirer au jugé en rectifiant
le tir par l'observation des points de chute des projectiles. On arrive ainsi assez aisé-
ment à tenir l'ennemi sous
le jet des obus, et on opère
un peu à la façon de l'arro-
seur public muni de l'appa-
reil et de la lance bien con-
nus. On a longtemps pensé
qu'il était nécessaire de don-
ner à l'artillerie légère un
commandement considéra-

ble, c'est-à-dire de la placer


le plus haut possible, et no-
tamment dans les hunes des
mâts militaires.
On est revenu de cette
FIG. IO3. — Comment on repousse une attaque de torpilleurs.
opinion. On a noté en effet,
à la suite de nombreuses

expériences, le torpilleur,
que oiseau de nuit, se découvre plus facilement de points
se détache sur le ciel, que de points élevés d'où on le voit se
placés bas, parce qu'il
projetant sur la mer toujours plus sombre.
De plus, on est arrivé rapidement à penser qu'il y avait grand intérêt à donner à

l'artillerie une protection, sinon aussi complète qu'à la grosse artillerie, du


légère
moins suffisante immédiate et absolue dès les premiers
pour éviter sa destruction
moments du combat.
Et ceci est très logique. Outre qu'il est bien inutile de placer à bord des bâtiments
on aura
de guerre un matériel ainsi sacrifié, il est certain que le moment où
recours à l'artillerie légère sera placé à la fin de la bataille, à la tombée de la nuit,

alors que, selon toute vraisemblance, de nombreux navires désemparés, éclopés,


isolément et seront pour les torpilleurs une proie toute désignée.
navigueront
Alors, l'artillerie légère devra entrer en jeu, et c'est pour cet instant, critique
entre tous, que par tous les moyens on aura dû chercher à la conserver.
possibles
La tendance moderne est donc de placer les petites pièces à l'abri derrière le blin-

dage mince De plus, on les répartit de façon que


qui couvre les flancs des cuirassés.
le navire en soit garni sur toutes ses faces et que le torpilleur attaquant soit reçu,

dans quelque direction qu'il se présente, par le feu le plus intense possible.
m L ARTILLERIE NAVALE

Sur cequi peut et doit advenir d'un bâtiment à bord on n'a pas
duquel
su ménager à l'artillerie légère une protection suffisante contre le premier feu,
nous sommes fort instruits nombre
par d'exemples que nous fournit encore
la bataille de Tsushima. Un certain nombre de bâtiments russes, démunis de toute
leur artillerie succombèrent dans la nuit
légère, qui suivit le combat, sous les attaques

répétées des torpilleurs japonais qu'ils durent subir sans pouvoir leur opposer une
arme quelconque.
A bord du cuirassé Amiral-Souvarov, les petites avaient été mises à l'abri
pièces

FIG. IO4. — Intérieur d'une casemate de 16''"').


(Canons

sous le pont cuirassé, leur faible poids de les transporter facilement,


permettant
mais les postes et les les recevoir étaient forcément restés
supports disposés pour
exposés au feu terrible des Japonais, et avaient
été détruits dès le début de l'action.
Une seule pièce de r]Qmm demeurait intacte, alors que toute autre artillerie n'existait
plus ; le malheureux bâtiment crevé de partout, amas informe de ferraille que dévorait
l'incendie, se soutenait à peine sur les flots, son haut. Et cette unique et misé-
pavillon
rable pièce, autour de laquelle s'étaient les rares survivants d'un
groupés équipage
de 800 hommes, tirait, tirait arrachant à ses vainqueurs, émus par tant de
toujours,
des cris d'admiration et inspirant à l'amiral
courage, Togo les lignes suivantes qui
figurent en son rapport officiel de la bataille :

La division de torpilleurs qui accompagnait nos croiseurs reçut l'ordre d'attaquer le Sou-
varov. Bien que presque calciné et cependant brûlant toujours, eût subi tant d'at-
quoiqu'il
taques et eût, dans le sens le plus exact du mot, servi de cible à une flotte entière, et bien
SAUVAIRE J0URDAN PL. III.

L'intérieur d'une tourelle (canons de 30 cm.) pendant le combat.


L'ARTILLERIE NAVALE ]/|5

qu'il ne pût plus armer qu'un tout petit canon, le fier nuire tirait toujours pour montrer sa
détermination irrévocable de résister jusqu'au dernier moment ; il continua en effet à tirer
tant qu'il put se tenir sur l'eau.
 la fin, vers 711du soir, après que nos torpilleurs l'eurent attaqué encore deux fois, il s'en
alla majestueusement par le fond^).

Existe-t-il, dans l'histoire maritime, un plus bel et plus simple hommage rendu
à l'héroïsme du vaincu?
par le Arainqueur

L'artillerie moyenne comprend les calibres de 10e" 1 à [6™ inclus. Son rôle géné-
ral est de détruire les parties non cuirassées du navire ennemi, d'abattre les super-
structures, les cheminées, mâts et passerelles, d'allumer des incendies partout où
faire se peut et enfin d'agir contre le personnel qui n'est pas à l'abri derrière les cui-
rasses et de le démoraliser.
On l'installe dans des tourelles, des casemates ou des réduits.
La disposition en tourelles est pour les pièces de ces calibres exactement la même

que pour les gros canons dont nous nous occuperons plus loin.
Les casemates sont des logements pratiqués sur le flanc des navires et disposés de
telle sorte que la pièce qu'ils contiennent ait le champ de tir le plus étendu possible.
Ce logement est cuirassé, non seulement sur sa face extérieure, côté d'ailleurs pro-
tégé par le blindage général du navire, mais encore sur les cloisons intérieures qui
l'isolent du reste du bâtiment, de façon à mettre le canon et ses servants à l'abri des

coups qui pourraient les atteindre de dos, après avoir traversé une partie non cuiras-
sée ou insuffisamment protégée de la coque.
Gomme la nécessité de pouvoir tirer dans un champ assez vaste comporte un
sabord de grandes dimensions horizontales par lequel les obus ennemis pour-
raient entrer facilement, on munit la pièce d'un masque demi-circulaire en acier,
véritable cuirasse mobile qui, montée sur l'affût, tourne avec lui et vient, lorsque la
pièce est prête à faire feu, boucher la partie du sabord que la volée de la pièce n'ob-
strue pas.
Les casemates cuirassées ont été fort longtemps en honneur. Actuellement, on sem-
ble avoir reconnu qu'elles présentaient quelques inconvénients, et la tendance mo-
derne est vers le logement de toute l'artillerie en tourelles. C'est en tout cas la

disposition qui a été adoptée pour nos derniers cuirassés du type Danton, et pour la

plupart des bâtiments étrangers récents (2).


La grosse artillerie comprend les calibres de 2/i"" 1 et au-dessus. Ces derniers se
réduisent d'ailleurs dans la marine française au 3ocm, au moins pour le moment.
Les anciens canons de 34cm qui onl armé quelques-uns de nos vieux cuirassés n'ont

pas été réédités (3).

(*) DE BALINCOUKT, L'agonie d'un cuirassé.


( 2) Les cuirassés de a3 4oo tonnes qui sont actuellement en chantier, auront cependant leur artillerie moyenne,
22 pièces de i4™\ en casemates.
( 3) D'après de récentes déclarations du ministre de la Marine, on étudie une pièce de 3/5cl" qui pourrait armer
nos futurs cuirassés. La plupart des marines en font d'ailleurs autant. L'Angleterre a adopté définitivement une
pièce de 34om dont sera armé son croiseur cuirassé de 26 000 tonnes; Lion, lancé en août -iyio.
SAUVAIIUÏ JOURDAN. .10
i46 L ARTILLERIE NAVALE

Toute la grosse artillerie


est logée en tourelles fermées et cuirassées.
Le principe auquel répond la tourelle est celui de la protection complète, et dans
toutes les directions, de toutes les parties et des accessoires de la pièce, ainsi que de
ses servants. On la place dans une position qui permet le pointage et le feu sur la

plus grande partie de l'horizon.


Tout ceci doit s'allier, bien entendu, à une mobilité aussi grande que possible,
nécessaire pour permettre un pointage et
un tir très accéléré.
Considérée dans son ensemble, la tou-
relle se compose d'un cylindre formé de

plaques de cuirasse circulaires et d'un pla-


fond également blindé. Dans ce cylindre
sont renfermées les pièces, généralement au
nombre de deux, montées sur leurs affûts
et entourées de tous les accessoires néces-
saires à leur utilisation.
Cette masse
est supportée par un fût-
pivot qui descend jusqu'au fond de la cale.
Comme il importe extrêmement que ce
pivot soit soustrait à toute atteinte des pro -

jectiles qui, en le faussant si peu que ce


soit, provoqueraient l'immobilisation de la
tourelle, il est placé à l'abri soit de la cui-
rasse de flanc, soit d'un
blindage spécial
dans les parties où la coque n'est pas cui-
rassée.
On utilise le fût-pivot, qui est bien en-
tendu creux à l'intérieur, pour faire par-
venir à la tourelle les munitions ; celles-ci
lui sont envoyées de la soute placée à cet
FIG. IO5. — Tourelle de Saint-Chamond,
équilibrée
armée de deux canons de 3ocm. effet dans la cale autour du pivot lui-
Diamètre intérieur : 6", 75. même.
C'est encore en agissant sur cet organe
essentiel de la tourelle qu'on donne à cette dernière son mouvement de rotation qui
amène les pièces dans la direction du but à battre.
Pour arriver à produire le mouvement de rotation avec toute la célérité désirable,
en dépit du poids même qu'il s'agit de mettre en mouvement(la tourelle avant du

Suffren pèse 700 tonnes) l'ingéniosité et la science des ingénieurs se sont donné car-
rière. Ils ont cherché tout d'abord et naturellement à réduire au minimum les
surfaces qui devaient frotter pendant la rotation.
Sur un certain nombre de nos cuirassés, ils étaient arrivés à supprimer ces frotte-
ments en employant de puissantes qui, où on vou- au moment
presses hydrauliques
lait se servir de la tourelle, soulevaient tourelle et fût-pivot ; le mouvement de rota-
L ARTILLERIE NAVALE
1^7

tion s'accomplissait alors, non plus sur du métal, mais sur de l'eau comprimée dans
une sorte de caisse placée au pied du pivot. La tourelle flottait ainsi dire et
pour
tournait, on le comprend, avec la plus grande facilité.

Quand le tir était terminé, on évacuait l'eau introduite sous dans les pots
pression
de presse, c'est le nom que portait la caisse où s'opérait le soulèvement, et la tourelle,
redescendant de quelques millimètres, sur des assises ménagées à sa base et
reposait
au passage du dans le pont supérieur.
fût-pivot
Pour nos derniers navires on a renoncé à cette et la rotation à bord
disposition,
des cuirassés des types Danton, et même de quelques unités
République plus anciennes,
s etlectue sur des couronnes de

galets, qui garnissent d'une part


le pied du fût-pivot et d'autre

part le pourtour de ce même fût


à son passage à travers le pont
cuirassé.
Cette disposition a pu être

adoptée sans difficulté le jour où


on a trouvé le moyen d'équilibrer
les tourelles. L'équilibrage d'une
tourelle consiste dans la réparti-
tion judicieuse des poids, de
façon que le centre de
gravité
passe par l'axe de la tourelle.
La rotation de la tourelle et de
tout ce qu'elle porte est provo-

quée par des chaînes enroulées


autour du fût-pivot, au niveau
FIG. 106. — Tourelle barbette de la Société des Batignolles, armée
d'un canon de igcm. d'un des ponts inférieurs. Ces
G, capot de pointage. V, vis de pointage en hauteur. chaînes aboutissent elles-mêmes
à des treuils que font mouvoir,
soit des appareils soit des moteurs
hydrauliques, électriques.
Dans les deux cas, les leviers commandent la manoeuvre de ces machines sont
qui
placés sous la main du chef de pièce à l'intérieur de la tourelle, et c'est lui qui pro-
voque, à sa seule volonté et instantanément, le mouvement dans le sens qu'il
désire.

L'équilibrage des tourelles,


qui réduit au minimum l'effort nécessaire pour obte-
nir la rotation, permet encore de pointer les tourelles, leur poids énorme,
malgré
à force de bras. C'est une précaution utile pour parer à une avarie tou-
quelconque
jours possible dans les appareils mécaniques, malgré tout délicats. Si minime qu'elle
puisse être, cette avarie immobiliserait la tourelle et priverait le bâtiment de son
arme principale au moment critique.
Le pointage à bras s'opère en agissant sur les treuils où s'enroulent les chaînes de

virage et sur l'axe desquels on fixe des manivelles.


1^8 L'ARTILLERIE NAVALE

Toutes les tourelles ne sont pas exactement du genre de celle je viens


que de
décrire succinctement. Il en est quelques-unes qui ne reposent pas sûr un fût-
pivot, mais bien sur
une grande couronne métallique où elles roulent au moyen de

galets. Il n'en existe pas moins dans ce cas un tube cuirassé placé au-dessous de la
tourellepour protéger le passage des munitions et éviter à la tourelle d'être mise hors
de combat par un projectile qui viendrait éclater sous son plancher.
Dans le but de diminuer un peu le poids considérable de la masse tournante, on

emploie aussi quelquefois des tourelles dites barbettes, dans lesquelles tout le cuiras-
sement inférieur, celui qui entoure l'affût, est fixe et boulonné sur le pont même
du navire.
La partie supérieure est au contraire mobile et tourne avec la plate-forme qui
supporte pièce et affût.
Tous les mouvements des appareils utilisés pour la manoeuvre des pièces de gros
calibre s'opèrent mécaniquement.
La force hydraulique ou électrique est employée pour mouvoir la pièce elle-même,
des engrenages servent pour l'ouverture, la fermeture de la culasse. Le projectile et
la gargousse pesant ensemble /(6ok(F pour le canon de 3ocm sont amenés jusque
devantla culasse par un appareil appelé basculeur et glissent à leur poste dans l'âme,

grâce à la position légèrement inclinée en avant qu'on donne à la pièce.

Le canon chargé, il faut le pointer.


étant
C'est le rôle du chef de pièce, assis sur une selle de bicyclette devant un capot

ménagé dans le plafond de la tourelle et par lequel il suit de l'oeil l'ennemi. Au

moyen des manettes de pointage en direction qu'il a sous la main, il dirige cons-
tamment la volée de son canon vers le but, pendant que s'accomplissent les opéra-
tions de nettoyage de la pièce après le coup tiré et son rechargement.
A côté des deux chefs de pièces assis sur leur sellette, puisqu'il est bien entendu

que toutes les tourelles modernes contiennent deux canons et que chacune a son
chef, se tient un officier, qui commande la tourelle et dont la tête est abritée par
une guérite ménagée dans la coupole. Il surveille les mouvements du but et a
devant lui, accrochés aux parois de la tourelle, une série d'instruments sur lesquels
'
viennent s'inscrireautomatiquement tous les renseignements nécessaires pour placer
la hausse du canon à la position convenable.
Le plus important de ces renseignements est la distance à laquelle se trouve l'en-
nemi. Un officier chargé de la direction du tir, sous les ordres, bien entendu, du
commandant, se tient dans une partie élevée du navire, le blockhaus par exemple, et,
au moyen d'instruments appelés télémètres ('), mesure à chaque instant cette distance.
Il l'envoie aussitôt aux différentes tourelles qui peuvent prendre part à l'action, et la
fait accompagner de renseignements complémentaires pour la correction de la
hausse (2).

. (') Le télémètre adopté par la marine française est celui des ingénieurs anglais Barr et Strpud.
î ( 2) L'envoi des ordres et des indications de pointage se fait au moyen de porle-yoix et d'appareils transmetteurs

hydrauliques inventés par un officier, le lieutenant de vaisseau Germain.


L ARTILLERIE NAVALE i4g

Ceci demande quelques mots d'explication.


Il est bien évident que les projectiles de dimensions considérables que lancent les
canons de marine sont soumis de façon appréciable, pendant tout leur parcours dans

l'air, à l'influence du vent qui, suivant la direction d'où il souffle, les pousse à

droite, à gauche, ralentit leur marche ou au contraire la facilite. Les expériences


faites à ce sujet ont permis de constater que la valeur des déviations ainsi produites
et qu'il était nécessaire
n'était point du tout négligeable de porter la pièce légère-
ment à droite ou à gauche pour les compenser. Une correction analogue s'impose
par suite de la vitesse propre du bâti-
ment qui tire et de celle du but sur

lequel on tire.
En somme, le
problème fort com-

plexe posé à l'officier chargé de la di-


rection du tir est, en tous points, sem-

blable] à celui qu'aurait à résoudre un


chasseur qui, de la fenêtre d'un wagon
lancé à grande vitesse, s'ingénierait à
tirer des oiseaux volant le long de la
voie dans des directions différentes.
La solution problème du est sans
contredit beaucoup plus ardue pour le
canonnier que pour le chasseur. Ce
dernier se contente d'apprécier au jugé
la quantité dont il doit déplacer son
arme pour atteindre son gibier, tandis
FIG. — Télémètre Barr et Stroud.
107.
que le premier est dans l'obligation de
baser son appréciation sur des observa-
tions précises, concernant la vitesse du vent à la seconde, sa direction, les vitesses
exactes du but et du navire tireur, les directions respectives de leurs routes et de
traduire tout ceci en chiffres. Ceux-ci iront s'inscrire sur le tableau des chefs de
tourelles de section
pour la correction des traverses de hausses, et finalement per-
mettront le pointage de la pièce.
Si on se rend compte que tous ces éléments varient d'une manière constante et
la plupart du temps très rapide, on se fera une idée du travailimposé de ce fait à
l'officier, d'ailleurs secondé par des aides,
qui est chargé de les mesurer.
Enfin, toutes les indications de pointage sont parvenues à la tourelle ; le servant à

qui ce rôle incombe a placé la hausse à la dislance donnée et le cran de mire de la


traverse de hausse au nombre de millimètres résultant de la combinaison des diverses
corrections dont je viens de parler. La pièce est pointée.
Le chef de pièce, l'oeil collé à la lunette d'approche fixée sur la hausse et qui lui

permet de discerner plus efficacement le point du navire ennemi sur lequel il doit
envoyer le projectile, la main sur le levier de mise de feu, suit les oscillations de la

ligne de mire, que le roulis des nuages à la mer.


promène
i5o L ARTILLERIE NAVALE

A lui de saisir l'instant si fugitif,


favorable, le moment précis où la flottaison de
l'ennemi se présentera dans le champ de la lunette,et alors, d'un coup sec du levier,
il provoquera la chute du percuteur et le départ du coup dans un fracas de tonnerre.
Le bruit est énorme assurément, mais d'un mode
grave et, somme toute, beaucoup
moins fatigant qu'on ne pourrait s'y attendre, en tous cas plus supportable que la
détonation de certaines pièces de petit calibre
qui sonnent comme des cloches et agissent de

façon fort
désagréable sur le tympan.
Néanmoins, le déplacement et les vibra-
tions de l'air sont assez forts pour qu'il ait
fallu songer à proléger l'appareil auditif des
servants des pièces. On leur donne à cet effet
une sorte de béguin en toile portant de chaque
côté un bourrelet qui vient s'appliquer sur les
oreilles.
Le commandant Loir(') décrit comme il
suit les phénomènes qui se passent dans l'âme
d'un canon de 3ocm au départ du projectile :

Les iooooo litres de gaz auxquels la charge de


i20ke de poudre sans fumée donne naissance, déve-
loppent dans l'âme de la pièce une pression de
2 700 atmosphères, qui soumet la fermeture de
FIG. 108. — Canonnier coiffé du bonnet parasoufUe culasse à une poussée de 2 6oooooke.
et tenant l'écouvillon à air comprimé (système
Marbeck). Sous l'action de ces gaz, qui s'exerce pendant
j5 dix-millièmes de seconde, le projectile de 3/Joks
sort de la bouche avec une vitesse de ooora à la seconde. Il emporte avec lui une force vive
de 12 5oooook 6, lui permettant de perforer, à 3 kilomètres de distance, une plaque d'acier
de 55cm d'épaisseur.
Pendant ce temps, les 48 oook" qui constituent le canon et la partie mobile de l'affût sup-
portent la réaction des gaz de la poudre et reculent de Q20mmen 25 centièmes de seconde.
Le frein hydraulique a opposé une résistance de 200 oook 6 pour amortir le recul, et enfin
le récupérateur a, dans ce mouvement, emmagasiné l'énergie nécessaire pour ramener lente-
ment, sans chocs, en trois secondes, le canon en batterie, à sa position de tir.
Cette énumération des forces colossales qui sont en jeu au moment du tir montre ce qu'est
devenue de nos jours la tâche de l'artilleur.
Malheureusement la médaille a son revers ; un tel canon est à peu près hors de service
après un tir à charge de combat de 200 à 3oo coups, suivant que la nitro-glycérine entre ou
non dans la composition de la poudre sans fumée qui constitue ses charges.
Il s'ensuit que cette bouche à feu, vraie merveille de l'industrie métallurgique, dont la con-
struction exige en moyenne vingt mois d'un labeur ininterrompu et entraîne une dépense de
3oo 000 francs environ, n'est qu'un géant à la vie éphémère, puisque la durée du travail
qu'il est en mesure de produire ne dépasse pas, au total, deux secondes et quart.

La mise hors de service dont il vient d'être question n'implique pas d'ailleurs,

(') LOIR et DE CACQUERAY, La marine et le progrès.


L'ARTILLERIE NAVALE I5I

d'une façon absolue, que l'usage de la pièce devient dangereux après cette limite
de 200 à 3oo coups tirés à charge de combat. Mais les diverses parties de l'âme ne

présentent plus le même relief; les rayures sont usées, le logement du projectile
dilaté, bref le tir avec une pièce ayant servi dans ces conditions ne donne plus la

justesse nécessaire et il est utile de la remplacer.


On a donc grand intérêt à ménager l'âme des canons et à réserver pour le combat
le tir à pleine charge (') ; d'autre part, il est absolument indisjDensable d'exercer les
qu'à la guerre. On a concilié
canonniers à tirer dans les mêmes conditions ces exi-

gences contraires en créant, en vue des exercices de tir, une charge spéciale, assez
réduite sans usure, et cependant suffisante
pour que le canon puisse la supporter
donner comme portée et justesse des résultats satisfaisants. Ces tirs d'exercice
pour
sont complétés chaque année par quelques coups à charge de combat.
La question de l'approvisionnement des munitions de l'artillerie est une. des plus

importantes qui se pose lors de rétablissement des plans d'un navire. Le ravitaille-
ment en munitions d'un navire de guerre au large est en effet une opération des
aussi rarement Elle ne
plus délicates et il importe d'avoir à y recourir que possible.
et presque toujours le retour
peut être accomplie que dans un mouillage tranquille,
au port d'attache s'imposera.
On a bien, il est vrai, prévu que des navires chargés de munitions suivront à la
merles escadres qui iront combattre, mais ce sera là une ressource peut-être pré-
caire, parce qu'un ennemi prévoyant mettra ses croiseurs aux trousses de ces pour-

voyeurs et les détruira sans peine,


D'autre d'un bâtiment de munitions un
part, la situation qui manquera pendant
combat et même après sera terrible. Il deviendra la proie du premier adversaire venu,
même beaucoup moins armé. .

Or, avec la rapidité du tir actuelle que l'on cherche encore à développer (2), la con-
sommation des munitions sera énorme en dépit du soin qu'on apportera à les écono-

miser, et les soutes se videront rapidement.


On s'est donc beaucoup préoccupé d'augmenter le plus possible, sur nos derniers
bâtiments, la contenance des magasins à munitions, et on est arrivé à leur donner une
durée de feu considérable.
Les Dreadnought i5o coups pour chacune de leurs pièces de
anglais portent
3ocm. Les cuirassés allemands sont approA'isionnés de la même façon.
C'est là une question capitale.

De deux bâtiments également armés et également puissants sous tous les autres
dans un combat à celui des
rapports, il est bien évident que l'avantage appartiendra
deux dont l'artillerie sera la mieux disposée, étant répartie de façon à pouvoir lancer

en jeu. Le prix d'un coup de canon de 3ocm


(') Il faut ajouter que la question d'économie entre également
à charge de combat est en effet de 3 000 francs. Ce prix tombe à 1 ooofl' pour le igcra et à ioofr j>our
le iocm.
'
Les tirent un de canon de 3ocm toutes les trente secondes. •
( 2) Anglais coup
102 L ARTILLERIE NAVALE

à tout moment, dans une direction quelconque, une masse d'acier supérieure à celle
de son adversaire.
Les idées sur la composition la plus avantageuse à donner à l'artillerie d'un navire
de premier rang ont beaucoup varié, chez nous comme à l'étranger. Tantôt on a
tout sacrifié à la grosse artillerie, tantôt on a voulu donner à côté d'elle une place

importante à l'artillerie moyenne.

FIG. 109.

Disposition de la cuirasse et de l'artillerie des cuirassés République et Patrie, de i4 900 tonnes.

I. Épaisseurs du cuirassement. II. Calibres des pièces. III. Disposition des pièces.

artillerie seule était de mode.


Nous venons de traverser phase où la grosse
une

Après la bataille de Tsushima, dont on a prétendu tirer, un peu précipitamment peut-


être, tous les enseignements l'Angleterre s'est lancée, avec la promptitude
possibles,
et la netteté qui caractérisent les décisions de son Amirauté, dans la voie
généralement
des énormes bâtiments d'énormes canons.
portant uniquement
Cet exemple a élé généralement suivi, avec plus ou moins d'enthousiasme, il faut

le dire, mais il a été suivi. A peine chez nous a-t-on esquissé une légère résistance

dont le résultat a été que nos cuirassés du type Danton n'ont plus comme les Dread-
et 24e"1)-
nought un calibre unique (3ocra), mais deux calibres (3o
L ARTILLERIE NAVALE l53

Ça n'en est pas moins uniquement de la grosse artillerie.


La répartition de l'artillerie sur nos derniers types cuirassés (fig. 109 et ï 10) est la
suivante :
La Patrie et la t\ pièces de 3o™ en deux tourelles
République portent placées aux
extrémités du navire, puis 6 pièces de 16™, dont chacune occupe une casemate
sur le caisson blindé et 12 autres
reposant pièces de i6cra en tourelles doubles placées
sur le pont supérieur.

FIG. IIO. — de la cuirasse et de l'artillerie des cuirassés Démocratie, Justice. Liberté. Vérité, de i4 900 tonnes.
Disposition

1. Épaisseurs du cuirassement. II. Calibres et disposition de l'artillerie.

On a ainsi deux
étages de feu permettant de tirer en pointe 10 coups de i6cm et
2 de 3ocm et par le travers 9 coups de 16™ et L\ de 3ocm.
Les cuirassés Démocratie, Vérité, Liberté, Justice, quoique de même type, ont subi
en cours de construction modifications de remplacer à leur
quelques qui ont permis
bord les 18 canons de 16™ par 10 de 19e" 1. La puissance de feu y a gagné quelque
chose, paraît-il, mais cet avantage a peut-être été compensé par la perte partielle de
du groupe de ces six bâtiments conçus pour aller ensemble à
l'homogénéité complète
la bataille et qui auraient dû par conséquent rester identiques.
Les pièces de igc,n de ces quatre cuirassés sont réparties, 4 en casemates et 6 en
tourelles simples, toujours sur deux étages.
Les six navires du type Danton(f\g. 111) ont heureusement échappé, eux, aux trans-
i54 L ARTILLERIE NAVALE

formations en cours de construction, si chères à notre marine; ils


portent tous 4
de 3ocm, montées suivant la formule immuable dans les deux tourelles axiales
pièces
sur
extrêmes, et 12 pièces de 24cm réparties deux par deux dans des tourelles placées
la périphérie.
la tourelle de l'avant soit, comme à l'ordinaire et en vue de la soustraire
Quoique
à l'assaut des lames, plus élevée que les autres, on peut dire que ces cuirassés ont un

seul plan de feux.


Les navires de notre future escadre, dont les deux unités Jean-Bart et
premières

FIG. III. — de la cuirasse et de l'artillerie des cuirassés Danton, Diderot, Condorcet, Mirabeau, Voltaire,
Disposition
de 18 3oo tonnes.
Vergniaud,

I. Épaisseurs du cuirassement. II. Calibre et disposition des pièces.

Courbet sont en construction le 1" août 1910, porteront uniformément


depuis
12 pièces de
3ocm réparties deux en six deux par tourelles, comme le montre la

figure 112, et 22 pièces de i4cm placées en casemates cuirassées.


Nos croiseurs cuirassés du type Gambetta, au nombre de six unités, sont armés de

4 pièces de ig0™ et de 16 de i6cm.


1" à bord de ces croiseurs, le rôle des 3ocm à bord des cuirassés et
Les 19e jouent,
sont eux placés deux par
comme deux dans les tourelles des extrémités. Douze des
i6cm sont également en 6 tourelles jumelées et les 4 dernières en casemates.
de 19e" 1
Letype suivant (Waldeck-Rousseau, Edgard-Quinet) porte i4 pièces
dans les tourelles axiales, 4 dans des casemates et 6 dans des tourelles simples.
On a réalisé sur ces derniers et plus récents navires un desideratum autour duquel
il a été beaucoup discuté. C'est celui de l'unité de calibre. Il est certain qu'on réalise
ce moyen un certain nombre de simplifications matérielles ; en outre, la totalité
par
L'ARTILLERIE NAVALE i55

de l'approvisionnement des munitions


disponible devient
pour un groupe quelconque
de pièces, ou même pour une seule pièce du bord, et permet de prolonger le feu
dans des conditions particulièrement heureuses, si, pour une raison quelconque, des-
truction d'une partie de l'artillerie, combat prolongé dans une seule et même direc-

FIG. 113. — de la cuirasse et de l'artillerie des cuirassés de a3 aoo tonnes, Jean-Barl et Courbet,
Disposition
actuellement en construction.

I. de la cuirasse. H. Calibre des pièces. III. Vue en plan de la batterie des pièces de i4°*.
Disposition

(Plans communiques par le Ministère de la Marine.)

tion, on ne peut faire usage pendant longtemps que d'un nombre réduit de
très
canons. Pour approvisionner et monter
l'artillerie du fond de la cale jusqu'aux
tourelles et casemates les obus et sacs de poudre on emploie des monte-charges mus
ou Ces appareils sont de divers modèles. Les uns appelés
à bras.
par l'électricité
norias amènent les projectiles un à un, les autres les hissent par paquets dans des
bennes. Ces derniers sont électriques, des systèmes Sauttcr et Harlé, ou Bréguet.
t 56 L'ARTILLERIE NAVALE

CONDUITE DU TIR

Ce n'est pas tout d'avoir de bons canons, bien approvisionnés, bien répartis, bien
servis. Il faut encore savoir tirer de tous ces excellents éléments le .meilleur parti et
faire à cette artillerie son effet maximum au moment opportun, tout en
produire
veillant toujours à ne pas gaspiller des munitions que leur rareté rend particulière-
ment précieuses.
C'est à cette tâche importante qu'est préposé pendant le combat l'officier de tir,
sous la direction du commandant du navire, auprès duquel il se tient
générale
d'ailleurs dans le blockhaus.
Entouré de quelques aides chargés de manier les télémètres, les touches des appa-
reils qui envoient les indications du pointage à toutes les pièces, ayant sous la main
les tableaux nécessaires pour calculer les corrections des hausses, cet officier est en
communication aussi directe avec une pièce de calibre moyen, dite
que possible
du but avec plus d'exactitude
pièce de réglage. Celle-ci lui sert à chercher
la distance
encore que ne peuvent la lui donner les télémètres.

Lorsqu'arrive le moment de commencer le feu, il fait tirer par cette pièce deux ou
trois coups en faisant varier la hausse jusqu'à ce que les projectiles arrivent bien au
but.
Ce moment est assez facile à discerner. En effet, tous les obus qui tombent à la mer
soulèvent d'énormes gerbes d'eau qu'on aperçoit de très loin.
Au moment tombe sur l'ennemi, on tient le réglage.
précis où le premier boulet
Instantanément, distance, corrections sont envoyées à tous les canons auxquels leur
de tirer, et le formidable ouragan de toute une bordée gronde sur le
position permet
flanc du navire.
Le moment est fugitif d'ailleurs, car les vitesses considérables dont sont animés,
souvent en sens inverse, le but et le tireur, modifient très rapidementles conditions
du tir; au bout de il faut de nouveau avoir recours à la pièce de
quelque temps,
réglage. •'..'
la nuit, ou tout
On a aussi prévu que l'on pourrait être appelé à livrer bataille au
moins à soutenir des engagements contre des croiseurs cherchant à tenir le contact
à cause de la très faible
d'une, force navale. Dans ce cas, le déjà bien indécis
tir,
vision aura du navire ennemi, le sera encore bien davantage, étant donné que
qu'on
le réglage du tir et l'observation des distances par le télémètre deviendront impos-
sibles.
On a cherché en partie à l'un du moins
à remédier de ces inconvénients, en fabri-

quant des obus qui portent au culot une assez forte charge de poudre éclairante, ana-
d'artifice.
logue à celle qu'on place dans les fusées des feux
Une disposition enflamme cette poudre au moment où le projectile quitte
spéciale
l'âme de la pièce, et celui-ci autour de lui, lorsqu'il arrive à bout de course,
projette
une lumière assez vive pour qu'on puisse voir s'il a touché le but ou apprécier.la

distance à laquelle il est tombé.


L'ARTILLERIE NAVALE •1;5'7

Bien entendu, c'est la pièce de réglage seule qui emploie ce genre de projectile.
La hausse dont on s'est servi pour le coup le plus heureux est celle qu'on adopte pour
le reste deTartillerie.
Afin de permettre aux canonniers de diriger leur ligne de mire sur le but, dans
les combats de nuit, on emploie un système de jietites lampes électriques qui éclaire
le sommet du guidon et le cran de la hausse avec une netteté suffisante pour que
le pointage soit possible.

LES PROJECTILES

Les canons de la moyenne et de la grosse artillerie employés actuellement en


France tirent les projectiles suivants :
i° L'obus de rupture en acier, coiffé ou non coiffé ;
2° L'obus de semi-rupture en açiér, coiffé, chargé en mélinite ;
3° L'obus en fonte chargé en mélinite ;
4° L'obus eh fonte chargé en poudre noire;
L'obus de rupture est en acier trempé. Il a pour rôle
de rompre les plaques de
cuirasse et d'éclater soit en les traversant, soit après les avoir traversées.
Etant destinéà supporter un effort énorme au moment du choc, le projectile de

rupture a des parois très épaisses, surtoutdans son ogive.


La chambre qui existe au centre de;l'obus est remplie de poudre noire fine.
La façon dont s'enflamme cette poudre au moment opportun est assez singulière.
L'obus ne porte aucune fusée ni aucun mécanisme percutant. On a calculé et
démontré expérimentalement que la chaleur développée dans cet obus par le travail
fabuleux qui se produit au moment où il traverse la plaque de cuirasse, et le frotte-
ment des grains de poudre les uns sur les autres quand l'élan du projectile est subite-
ment arrêté, suffisent à enflammer la poudre et à faire exploser le projectile.
L'obus de rupture est muni de la coiffe.
C'est une sorte de cajmchon, également en acier, qu'on place à chaud sur l'ogive
et qui est agrafé dans une rainure circulaire pratiquée à la base de l'ogive.
La coiffe est d'un acier moins dur que le corps de l'obus. Elle est destinée, comme
il a déjà été dit, à recevoir le premier choc contre la cuirasse, et à protéger à ce
moment la véritable ogive qui sans cela se briserait sur la surface durcie des plaques
de blindage.

La coiffe supporte donc le premier choc. Elle se fend ou se brise en traversant la croûte
durcie de la plaque de cuirasse, et l'obus dont la pointe est demeurée intacte traverse le reste
du blindage (').

L'obus de rupture tiré normalement, à distance moyenne, perce une épaisseur de


cuirasse sensiblement supérieure a son calibre. En faisant entrer en ligne de compte
l'angle, au choc et la distance, on considère généralement que cette épaisseur fixe la
limite de sa puissance de perforation.

. (K) Manuel du canonnier breveté.


i58 L ARTILLERIE NAVALE

En réalité, ce projectile est le véritable maître du combat. C'est

par son emploi que peut se décider l'issue de la


lutte. Les autres projectiles sont aptes en effet à
détruire les superstructures, certaines parties de
la coque cuirassées légèrement, à mettre hors
de combat et à démoraliser la partie de l'équipage

qui n'est pas à l'abri derrière la cuirasse épaisse,


et nous verrons plus loin quels terrifiants résul-
tats ils peuvent produire. Mais ce sont les obus
de rupture qui ont la puissance nécessaire pour
donner le coup de grâce et créer à la flottaison de
l'ennemi ces trous énormes, ces déchirures éten-

dues, par lesquels s'engouffreront des torrents


FIG. II3. — Obus
FIG. II 4. — Obus
de rupture coiffé, d'eau sous lesquels il doit irrémédiablement som-
de semi-rupture
de 14°™.
de i4cl".
brer.
a, coiffe.
a, coiffe.
rainure
b,
chambre
d'agrafage.
H poudre.
L'obus
de semi-rupture est également en acier. b, bouchon de coiffe.
c,
c, chambre à explo-
d, bouchon de ferme-
ture.
La chambre de chargement est plus grande que sifs.
d, fusée et amorçage.
celle du précédent, de façon à recevoir une plus

grande quantité d'explosifs. Ses parois et son ogive sont cependant assez fortes pour
percer les cuirasses d'épaisseur modérée avec lesquelles on protège
actuellement les flancs des navires. A l'encontre des obus de rup-
ture, l'obus de semi-rupture porte un mécanisme destiné à enflam-
mer la
charge d'explosif qu'il renferme. Ce mécanisme
est placé

quelquefois sur sa pointe et dans ce cas il est caché sous la coiffe


a acier aont ce projectile est toujours revêtu, comme
l'obus de rupture. Le plus souvent maintenant, on

dispose ce mécanisme sous le culot et dans des condi-


tions telles que l'explosion se produise alors seulement

que l'obus a déjà pénétré d'un mètre ou deux en


dedans de la cuirasse.
On juge des effets destructifs que peuvent causer les
projectiles éclatant ainsi au beau milieu du bâtiment.
La Marine possède encore un approvisionnement
d'obus en fonte dont l'importance décroît rapidement.
FIG. II5. Il a été en effet reconnu que la fonte n'avait pas
Obus à balles,
à charge ar- la résistance nécessaire et que les obus faits de cette c
rière , pour matière se brisaient FIG. II6.
canons à tir trop facilement contre les obsta-
Douille de combat
rapide de i4rm. cles et même dans l'âme des pièces. On de là"".
fi, balles.
quelquefois
a, opercule en car-
b, tube de charge- a décidé en conséquence que l'on n'emploierait plus ton et rondelle
ment.
en feutre.
vissée.
c, ogive
chambre à pou- que des obus en acier. b, pastille d'allu-
d,
dre. mage.
Les
projectiles en fonte qui existent encore sont ef étoupille.
/*, fusée. en fagoto.
pt poudre

chargés en poudre noire ou en mélinite.

Chargés en poudre, ils sont efficaces par leurs éclats contre le personnel,
L'ARTILLERIE NAVALE l5g

et par leurs effets incendiaires contre le matériel qu'abritent de simples tôles.


Mais le plus terrible agent de destruction est l'obus chargé en mélinite, qui défonce
tout ce qui se trouve autour de lui grâce à la force expansive des gaz que produit
l'inflammation de sa charge.
Le véritable
projectile est alors la charge intérieure bien plutôt que l'enveloppe
métallique!^1). Cette enveloppe se fragmente en petits morceaux qui sont projetés
dans toutes les directions avec une vitesse énorme et vont détruire au loin tout ce

qu'ils touchent.
De plus, le déplacement d'air, le souffle produit par l'explosion d'un obus de gros
calibre chargé en mélinite éclatant à moins d'un mètre au-dessus d'un pont cuirassé le
défonce, projette les plaques de blindage qui peuvent elles-mêmes atteindre alors
et mettre hors de service les chaudières et les machines.

L'explosion dé la mélinite a encore un effet désastreux sur le moral du personnel,

qui ne peut supporter longtemps les commotions effrayantes dont elle est accompa-

gnée ; enfin, les gaz produits par sa déflagration, étant en grande partie composés
d'oxyde de carbone, causent des intoxications aussi redoutables que la commotion.
Comme exenxple de tout ceci, je ne puis mieux faire que de donner encore

quelques extraits du récit poignant du commandant Séménov, sur ce qui s'est passé
à bord du bâtiment russe Àmiral-Souvarov, dans la journée du 27 mai igo5 (2).
Le combat était engagé depuis une heure environ. Déjà la ligne russe faiblissait
sous le feu d'enfer des Japonais.

.Les projectiles, dit le commandant Séménov, pi euvalent sans relâche; ils arrivaient et se
succédaient régulièrement à bord de notre malheureux navire.
Il me semblait que ce n'étaient plus des projectiles ordinaires qui frappaient nos flancs ou
s'abattaient sur notre pont, mais bien des mines entières et ces mines explosaient dès qu'elles
rencontraient la moindre chose.
Les plaques du bordé extérieur et de la superstructure étaient déchirées, tordues en masses
informes, dont les éclats mitraillaient le personnel : les échelles de fer, en se repliant, pre-
naient des formes de roues, et les canons étaient arrachés de leurs affûts.
Et tout cela n'eût été que peu de chose, si, en plus, ne s'était manifestée une élévation de
température affreuse et un dégagement de feu liquide qui inondait tout.
De mes yeux grands ouverts je voyais, sous le choc d'un obus, jaillir d'une plaque d'acier
une gerbe d'étincelles, et je n'hésite pas à déclarer que si la plaqué n'entrait pas en fusion,
toute la peinture n'en était pas moins volatilisée, laissant le métal complètement décapé.
Des objets difficilement inflammables, tels que des hamacs ou des bailles pleines d'eau,
brûlaient instantanément d'une flamme brillante comme des torches allumées. Même avec
des verres fumés on ne pouvait rien fixer, tant était troublée et déformée la silhouette de toute
chose par les vibrations de cette atmosphère infernale.

Ces projectiles diaboliques agissaient encore autrement que par la percussion,


l'incendie ou l'éclatement qui détruisaient hommes et choses à des distances considé-

(*) Cours d'architecture navale de l'Ecole navale, par M. MARGUILT, lieutenant de vaisseau;

( 2) DE BALINÇOURT, L'agonie d'un cuirassé. ,


i6o L'ARTILLERIE NAVALE

râbles. Ils pjroduisaient en détonant, une énormequantité de gaz délétères, asphyxiants,'


dont les effets complétaient l'oeuvre de destruction. Bien plus, ces gaz aspirés par les
ventilateurs dans les fonds du navire, au-dessous des ponts cuirassés, et
pénétrèrent
asphyxièrent tous ceux qui s'y trouvaient.

Le faux-pont ('), plongé dans l'obscurité par l'arrêt des dynamos, avait été envahi par
une fumée suffocante. Un silence de mort régnait dans cette obscurité enfumée et il est hélas !
bien probable que tous ceux qui étaient restés soUs le pont cuirassé, dans les compartiments
où l'air frais provenant des ventilateurs avait été remplacé par des gaz délétères, étaient alors
étendus morts ou du moins évanouis.
Les machines étaient stoppées, le manque de vapeur avait éteint la lumière et personne
ne pouvait plus s'aventurer en bas.
On peut affirmer, sans crainte d'exagération, que des 900 hommes qui avaient formé
l'équipage du Souvarov, il n'y avait plus de vivants que les quelques échappés que nous
voyions aux sabords de la batterie basse.

à balle,
II faut encore citer, parmi les projectiles que lancent nos canons, l'obus

qui joue le rôle de boîte à.mitraille perfectionnée.


H a la forme ogivale des autres obus et renfermé grand un nombre de balles en
d'une fusée qui
plomb et une charge de poudre. Il est muni, au sommet de l'ogive,
fonctionne soit au choc, soit lorsqu'il s'est< écoulé un temps déterminé depuis le

départ du projectile. Cette particularité lui fait donner le nom de fusée à double
effet. On peut employer le système à temps, pour faire éclater le projectile en l'air
en un point de sa trajectoire qu'if est facile de fixer, et au-dessus pari .exemple du

jiont d'un naA'ire ou de groupes à terre. Cet obus ne peut produire d'effet utile que
sur des êtres animés.
Les fusées agissant par percussion fonctionnent d'après le principe suivant.
Un cylindre en métal creux, renfermant une amorce et une petite charge de poudre,
est contenu lui-même dans le corps de la fusée en bronze où il peut glisser. Il se

maintient, pendant le trajet du projectile et en vertu de son inertie, sur le fond de la


fusée. Au moment du choc, ce cylindre
est brusquement projeté en avant et l'amorce

qu'il porte vient heurter une pointe métallique, sorte de clou barbelé, appelé rugueux.
L'amorce s'enflamme ainsi que la petite charge de poudre, et le feu se communique
à la charge de l'obus par des trous pratiqués dans le fond de la fusée.
Pour les projectiles chargés en mélinite, la petite charge de poudre est remplacée

par un détonateur au fulminate de mercure.


S'il s'agit des fusées dites à temps, qui ne doivent enflammer la charge du .pro-

jectile qu'après un parcours, ou, ce qui revient aumême, après un temps déterminé,
le feu est mis dès le départ du coup à une composition contenue dans un tube fusant
enroulé dans le corps de la fusée. On fait varier la longueur de ce tube fusant en
débouchant l'orifice ou l'évent convenable parmi ceux que la fusée porté sur son,
extérieur, et on conçoit ainsi arriver à faire éclater Tôbùs à
pourtour qu'on puisse
un moment précis de sa course.

(') DÉ BALINCOURT, L'agonie d'un cuirassé.


L'ARTILLERIE NAVALE 161

Voici un tableau donnant, pour chacun des calibres employés dans la marine
française, le poids du projectile et celui de la charge de poudre.

Poids de la cbarge
Poids du projectile. de poudre. Vitesse initiale.

Pour le calibre de 3ocm iook« 1


" 338k«Q) goo"
j) 1 2i6k« 52,cc 8i5m
27e"
» 2àcm i44k(F 5ok« 8oom
"
» igcm 75k« 20k« 8oora
» i6cm 45ks 2ok» 875™
» i4cm 3ok<f , 7^,2 770™
' » iocm i4kf! 3ke,7 74om
» 65mm 4kB 0^,875 7i5m
'
« -, 47rora ik«,5 ok"f,248 6io,n

On voit figurer dans le tableau ci-dessus, à côté du poids du projectile, celui de


la charge de poudre qui le lance dans l'espace, ce qui permet de constater que le
poids total de la charge d'un canon de 3ocm, par exemple, atteint 438ke et nous
force d'admirer l'ingéniosité, disons mieux, l'admirable agencement et la puissance
des appareils, si nombreux
pourtant et si complexes, grâce auxquels on arrive à
tirer, chaque minute, à peu près deux coups de ces énormes pièces.
La vitesse initiale inscrite dans ce même tableau, en regard de chaque projectile,
est un élément très important de la puissance d'une pièce.
Il n'est pas nécessaire de faire intervenir les mathématiques pour se rendre compte
qu'un-projectile de poids donné, frappera l'obstacle contre lequel il est lancé avec
une force d'autant plus grande que la vitesse dont il est animé est plus considérable.
Les artilleurs s'attachent donc à augmenter le plus possible cette vitesse, en portant
le poids de la charge de poudre au maximum qu'autorise la résistance de la pièce.
La vitesse initiale est celle dont le projectile est animé à sa sortie de l'âme du
canon. Elle est comptée en mètres par seconde. On la mesure de la façon suivante :
des cadres portant une sorte de filet aux mailles métalliques, très résistantes, sont

disjDosés à des distances soigneusement repérées sur le trajet de l'obus, les fils de
ces filets sont électriquement reliés à un appareil
chronométrique.
Lorsque, le coup étant tiré, le projectile passe dans les divers filets, il en coupe
les fils, le circuit électrique interrompu enregistre sur le chronomètre l'heure exacte
du passage de l'obus dans le cadre, et par différence on obtient le temps mis par lui

pour passer d'un cadre à l'autre.


On traite ces résultats au moyen de formules, dans lesquelles on tient compte de
la résistance de l'air et on calcule très aisément la vitesse à la sortie de l'âme ou
vitesse initiale.
Les progrès réalisés dans le domaine de l'artillerie durant ces dernières années,

(J) Des expériences sensationnelles exécutées en 1909 sur le cuirassé léna ont fait adopter un nouvel obus dit
alourdi qui, pour les pièces de 3ocm, pèsera 44ok8 avec une charge intérieure de 12 à i3k8 de mélinite. Pour
le 2/|cm, l'obus pèsera 2aoks. Ces projectiles prendront la place des deux genres d'obus actuels de rupture et
de semi-rupture.

SAUVAIRE JOUKDAN. '11


IÔ2 L ARTILLERIE NAVALE

de ceux le nombre de coups tirés en une minute, ont


en dehors qui ont multiplié
porté particulièrement sur l'amélioration très notable des vitesses initiales.
C'est ainsi, pour en donner un exemple, que le canon de 24cm du modèle 1870
lançait son projectile à une vitesse initiale de 46om, alors que cette vitesse atteint
actuellement 8oom. On juge de l'augmentation de puissance fournie à l'obus par
cette accélération de sa course.
Avant de quitter les projectiles, je dois citer, à titre rétrospectif et comme curio-
sité, les énormes obus que tançaient tes pièces

gigantesques de 42 à 45cm qui furent pendant


quelques années placées à bord de certains bâti-
ments français et de plus nombreux cuirassés

étrangers, notamment italiens.


Les premiers lançaient des projectiles de 780ke
avec 274 ke de poudre; les canons de 45cm pe-
saient 120 000kc, leurs obus atteignaient go8 kc,
avec une vitesse initiale de 45o m seulement. Ils

perçaient à 1 000 m de distance une cuirasse de


3ocm d'épaisseur.
Mais la faveur de ces canons de calibres
énormes ne dura pas. Ils écrasaient les bâti-
ments sous leur poids formidable, qui, de plus,
rendait leur maniement fort difficile. Ils furent
mis au rebut lorsque l'adoption des poudres à

FIG. — Ancien
combustion lente permit de donner la même
117. cuirassé italien du type Lepanto
et Italia armé de pièces de u3cm pesant nooook*. de perforation, et même des puis-
puissance
sances supérieures à des pièces de calibres beau-

coup moindres, en augmentant les vitesses initiales dans les proportions que j'ai
indiquées ci-dessus.

LES POUDRES

La recherche de ces vitesses initiales plus considérables a abouti, dans toutes les
marines, à l'adoption de poudres spéciales, dites à combustion lente, parce que l'in-
flammation de la masse qui constitue la charge s'opère progressivement et non plus
instantanément, comme c'était le cas pour la poudre noire. Le temps que dure
cette combustion est suffisamment long pour que le projectile reçoive sous son culot,
pendant toute la durée de son trajet dans l'âme de la pièce, la poussée progressive
des gaz produits par la déflagration.
En somme, au lieu de l'espèce de choc que subissait le boulet dans les pièces
courtes où on employait la poudre noire, la force qui pousse le projectile dans l'âme
des pièces modernes peut être comparée à celle de la vapeur, dont la détente continue

appuie sur le piston d'une machine et le force à se déplacer dans son cylindre.
L'ARTILLERIE NAVALE I63

Les poudres dont se sert exclusivement la marine française sont cataloguées sous
le nom de poudres B. Elles ne produisent pas de fumée.
Ce n'est pas sans raison que j'emploie le pluriel en parlant de notre poudre. Bien

qu'en effet elle soit une quant aux matières qui entrent dans sa fabrication, la pro-

portion de ces matières varie suivant le calibre des pièces auxquelles elle est destinée,
et il existe en réalité sept espèces de poudre B Q, qui diffèrent entre elles par la
lenteur avec laquelle elles se consument.
Ces poudres, comme d'ailleurs celles qu'ont adoptées les autres puissances, sont
le produit de la dissolution dans l'éther d'une quantité plus ou moins grande de
nitro-cellulose soluble, ou fulmi-coton. Le fulmi-coton lui-même est obtenu en trai-
tant le coton par l'acide azotique et l'acide sulfurique.
L'inventeur des poudres chimiques est le savant ingénieur français Vieille, qui fut
aidé dans ses recherches parle célèbre chimiste Berlhelot.

L'antique mot de poudre, qui évoque l'idée d'une poussière et s'appliquait si bien
au mélange .de soufre, de salpêtre et de charbon inventé par Roger BaconQ, ne con-
vient nullement aux produits de ces manipulations chimiques, lesquels se présentent
généralement sous la forme de lamelles brunâtres ayant l'aspect et la couleur de

petites bandes de coton commun.


Ces bandes sont réunies en faisceau
ou en petits fagots que l'on arrime dans une

gargousse ou dans une douille en métal. L'inflammation de la charge ne peut se faire


directement ; on est obligé d'employer un intermédiaire composé d'un petit sachet de
poudre noire que l'on attache à l'extrémité arrière de la gargousse et qui vient se

placer, au moment du chargement, devant l'orifice du canal de lumière de la Ac-


culasse par lequel lui arrive le feu de l'amorce au fulminate de mercure appelée
étoupille. Celle-ci est frappée, au moment voulu, par le percuteur de la pièce.
Par rapport à la poudre noire, les poudres chimiques présentent des avantages
considérables.
Le nom de poudres
générique sans fumée qui leur a été donné est la caractéris-

tique du plus important de ces aArantages. L'absence de toute fumée après le départ
du coup permet en effet de ne pas perdre de vue le but sur lequel on tire, alors

qu'avec la poudre noire il restait caché derrière un épais nuage, qui se dissipait plus
ou moins lentement selon la direction et la force du vent.

On-peut affirmer que le progrès énorme réalisé dans l'artillerie navale par l'intro-
duction dans l'armement des bâtiments des pièces à tir rapide n'a été rendu possible

que grâce à l'adoption des poudres sans fumée.


En second lieu, comme
je l'ai déjà dit, leur mode de combustion relativement lent

permet au projectile, soumis plus longtemps à la poussée du gaz, de prendre dans


l'âme des canons, allongés en conséquence, une Adtesse beaucoup plus grande, et

d'emmagasiner une force vive supérieure à celle que pouvait donner la poudre noire.

(*) Elles sont cataloguées sous les rubriques : B. Mn, B. M^, B. M2 ,- B. M7. Celles réservées auxfusils sont
étiquetées B. F., et celles des canons-revolvers, B. R.
( 2) Celte invention, dont on fait généralement honneur au moine Roger Bacon, peut aussi bien être attri-
buée au moine allemand Schwartz Ou à Albert le Grand.
16 4 L'ARTILLERIE NAVALE

Enfin, les nouvelles poudres, comparées à cette dernière, encrassent et usent


moins l'âme
des pièces. Elles prennent également moins facilement l'humidité, et ne
détonent pas au choc d'un projectile. j
!
Allumées à l'air libre, elles fusent lentement et sans danger d'explosion-
Mais, à côté de ces aArantages indiscutables, quels graves iilcqnA'énients !
Des expériences concluantes et des accidents hélas encore plus concluants, sur

lesquels je reviendrai dans quelques instants, ont démontré que la j poudre B est un

composé chimique fort délicat, et que les corps associés dont elle est formée ont
sous l'influence de quelques agents, dont les principaux et les plus redoutables sont
l'humidité; l'élévation de la température et l'âge de la poudre, une tendance extrê-
mement fâcheuse à se séparer et à produire alors des mélanges susceptibles de s'en-
flammer spontanément.
Contre l'âge on a pu prendre des mesures radicales et efficaces en prescrivant que
toute poudre fabriquée depuis un certain nombre d'années devait être détruite OU
tout au moins radoubée, c'est-à-dire refaite.
Il en va tout autrement pour les excès de température. Après maintes études, on
a fixé à 35° le chiffre maximum auquel il était prudent d'exposer la poudre B.
Or, s'il était facile de trouver sur les anciens naA'ires à voiles et | même encore sur
les premiers navires à A'apeur, des coins où la température, même; dans les pays tro-
picaux, ne dépassât pas cette limite, il n'en est plus du tout ainsi sur les navires mo-
dernes où l'acier et le fer, excellents conducteurs de la chaleur, régnent en maîtres;
où la coque, jusque dans ses moindres-recoins, est parcourue par d'innombrables
tuyaux, qui conduisent aux cent machines disséminées dans ses flancs des torrents de

A'apeur surchauffée.
En réaEté, jusqu'aux naA'ires construits en ces toutes dernières années (cuirassés
du type Danton et un peu ceux du type République), on n'était pas arrivé à obtenir que
la température se maintînt dans les soutes à poudres au-dessous dès 35° permis. Sur
nombre de bâtiments, après quelques jours de navigation, ou même simplement aus-
sitôt après l'allumage des feux, le thermomètre s'éleA'ait à 4o, voireimême à 5o et 6o°.

Or, au-dessus de 35°, les différentes matières employées dans la confection de la

poudre montrent une tendance à se dissocier. Des taches couleur yert-de-gris appa-
raissent sur les lamelles et indiquent un commencement d'oxydation.
Si le régime de chaleur augmente encore ou même simplement se prolonge, une
inflammation spontanée peut se produire d'un moment à l'autre et tous les désastres
sont à craindre. ; '
j .

Presque toutes les marines du monde ont eu, à un degré plus ou moins étendu,
à souffrir du manque de stabilité des poudres chimiques. I
Pour ne citer que les principaux parmi les accidents qu'on peut attribuer à cette
cause, je rappellerai l'explosion, en 1898, en rade de la Havane, du cuirassé
améri-
cain Maine, dont la perte fut, bien à tort, mise sur le compte d'une torpille que les
Cubains auraient placée sous la coque du bâtiment, ce qui jjroA'oqua d'ailleurs aux
Etats-Unis une terrible leA'ée de boucliers cônlre le gouvernement espagnol et finale-
ment amena la guerre. i
L'ARTILLERIE NAVALE l65

Les Japonais ont vu couler dans des conditions presque identiques, en rade de Sa-
sebo en igo5, leur cuirassé Mikasa, à bord duquel aA'ait flotté pendant toute la durée
de la guerre russo-japonaise le glorieux pavillon de l'amiral Togo.
En igo6,
une explosion spontanée causait également la perte du cuirassé brésilien

Aquidabanetde 212 hommes de son équipage. Dans la marine française, l'effroyable

catastrophe de l'Iéna, à laquelle je vais arriver, fut précédée d'avertissements singu-


lièrement précis.
Les principaux furent fournis par les poudres du cuirassé Amiral-Duperré et du
croiseur Forbin A'ers 1900.
Il se produisit abord de ces navires des combustions spontanées de poudres, qui
auraient pu provoquer un désastre si on ne s'en était pas aperçu à temps. Dans les
deux cas, grâce à l'admirable courage et à la présence d'esprit des officiers et des
matelots qui se trouvaient à proximité des soutes où des gargousses avaient com-
mencé à fuser, on put jeter celles-ci à la mer aA'ant qu'elles eussent déterminé l'in-
1 flammation des autres.
A borddu Forbin, le danger fut extrême. En effet, lorsque la fumée se dissipa et

que les douilles enflammées eurent été jetées par-dessus bord, on vit que les obus
qu'elles portaient avaient été projetés par les gaz delà combustion et étaient allés

frapper le plafond de la.soute aA'ec heureusement trop peu de force pour éclater.
L'explosion de ces obus n'eût pas manqué de faire exploser tout le stock de mu-
nitions et sauter, le bâtiment.
Le désastre qu'on avait pu éviter à bord de ces deux naA'ires se produisit fou-

droyant, le 12 mars igo7, Iéna, qui se trouA'ait dans un des bas-


à bord du cuirassé
sins de radoub de l'arsenal de Toulon. Les soutes à poudres de l'arrière firent explo-
sion, crevant et disloquant le bâtiment, couvrant les naA'ires A'oisins, la partie de
l'arsenal où est situé le bassin, de débris enflammés et même d'obus dont plusieurs
éclatèrent.
Huit officiers, parmi lesquels le capitaine de A'aisseau Adigard, commandant de
YIéna, et 110 matelots trouvèrent la mort dans celte catastrophe.
Une flamme, d'une température effroyable, semblable sans doute à celle que le
commandant Séménov A'oyait sortir à bord de YAmiral-Souvarov des obus japonais
et produisit
qui le frappèrent, accompagna ou même peut-être précéda l'explosion
les mêmes effets. Elle jaillit du cratère formé par les soutes et lécha la coque du na-
vire jusque par le travers de la passerelle. Tout ce quelle toucha fut A'olatilisé, car-
bonisé, ou porté à l'état d'incandescence, les êtres vivants instantanément réduits en

poussière.
Le contre-amiral Manceron, le pavillon flottait à bord de Yléna et dont l'ap-
dont
partement était situé presque directement au-dessus des soutes où l'explosion se pro-
duisit, échappa miraculeusement à la mort en sautant du balcon de sa galerie sur la

passerelle de la porte qui fermait le bassin de radoub. Il a raconté que, dès qu'il fut
revenu de l'étourdissement causé par le choc de la déflagration, il s'aperçut que les
tôles formant les parois de la pièce où il se trouvait avaient été instantanément por-
tées au rouge.
i66 L ARTILLERIE NAVALE

Après de longues études qui firent reconnaître le peu de profit que l'on retirerait
d'une réfection de Yléna, le cuirassé tragique fut sommairement remis en état de
flotter et utilisé comme cible en i gog dans des séries de tirs où ont été expérimentés
les effets des obus à la mélinite et étudiées maintes questions intéressant l'artillerie
et les cuirassés.
Les obsèques des 118 victimes de cette catastrophe se firent à Toulon, avec une

grande solennité. Le Président de la

République et une délégation des


Chambres conduisirent le deuil, suivis
des personnages représentant les sou-
verains d'Angleterre, d'Allemagne,
de Russie et du Japon.
Des discours qui furent prononcés,
je veux extraire quelques belles pa-
roles du vice-amiral Touchard, com-
mandant l'escadre de la Méditerranée
dont Yléna faisait partie, parce qu'elles
sont l'expression même de la gran-
deur des sentiments qui animent nos
marins dans les pires circonstances.

La vie de l'homme de mer, dit l'ami-


ral, a toujours été un combat contre les
éléments. Elle est devenue, nécessaire-
ment, la lutte quotidienne contre les
forces brutales que nous tenons asservies
pour l'utilisation des puissants moyens
de combat qui nous sont confiés.
Cette lutte, nous l'acceptons avec les
conséquences fatales des révoltes passa-
gères de la matière contre l'intelligence.
Nul de nous ne faillira à sa noble mission.
Fio. 118. — h'Iéna après l'explosion.

Ces lamentables accidents forcè-


rent les pouvoirs publics à chercher le moyen d'en éviter le retour ; en de
dépit
quelques opinions qui manquaient d'ailleurs de bases sérieuses, il fut reconnu à peu
près unanimement qu'en l'état, les poudres B étaient d'un usage dangereux. Les
enquêtes faites auprès des officiers canonniers des tirs révélèrent en outre
chargés
que, lors même
que leur séjour à bord n'offrait aucun danger, encore
elles fournis-
saient cependant dans l'âme des pièces où on les tirait des si constamment
pressions
différentes que les portées et la justesse du tir en étaient déplorablement modifiées.
Depuis celte époque, le service des poudres et les ingénieurs de l'artillerie navale
étudient les moyens de donner à la poudre B une stabilité
qui la rendra moins sen-
sible aux vicissitudes qu'il est à peu près impossible de lui éviter et lui assurera en
même temps une régularité de combustion bien nécessaire l'efficacité des tirs.
pour
L'ARTILLERIE NAVALE
167

En attendant que ces études aient fourni des résultats probants et définitifs, on
s'est ingénié à faire A'ivre ces poudres capricieuses dans un milieu qui leur convînt,
et à les soustraire notamment aux élévations de température auxquelles il est bien
certain que leur composition ne résiste pas et qui pourraient provoquer d'autres
catastrophes.
C'est par une meilleure installation des soutes où elles sont renfermées à bord des
bâtiments de guerre que l'on a cherché à mettre les poudres B à l'abri des causes de
détérioration.
Les soutes à munitions sont des chambres dans lesquelles on conserve les poudres
et les projectiles.

D'après les principes actuellement enA'igueur, on les répartit en trois groupes, dont
deux principaux, à l'avant et à l'arrière, et un troisième, moins important, situé au
centre du navire.
Des chambres de distribution, en communication aA'ec ces dépôts, reçoivent les
monte-charges qui amènent jusqu'aux pièces les munitions dont elles ont besoin.
Enfin, tout au moins à bord des cuirassés, les trois dépôts'et leurs chambres de
distribution sont mis en communication par un corridor longitudinal ou coursive,
qui permet de faire passer des munitions d'un dépôt à un autre.
On conçoit l'intérêt de cette disjiosition. Si les pièces de 3ocm de la tourelle
avant ont eu, par exemple, au cours d'un engagement, à tirer souvent, et que le
stock des munitions du dépôt avant qui les approvisionne touche à sa fin, on pourra,
par la coursiA'e, faire arriver aisément les munitions du dépôt de l'arrière et doubler
ainsi, en cas de nécessité, la durée du feu de la tourelle aA'ant.
Cette manoeuvre, étant donné le poids de la charge d'une pièce de 3ocm, devenait
tout à fait impossible aA'ec l'ancienne installation des soutes dont chacune desservait

uniquement sa pièce et qui n'avaient entre elles aucune communication.


La nouvelle disposition dont bénéficient nos 12 cuirassés des types République et
Danton constitue donc un progrès très notable.
On s'efforce en outre de réaliser, dans l'installation des soutes à munitions, les
desiderata qui suivent :
La soute doit être placée hors du voisinage trop immédiat de toute source de
chaleur, tuyaux de A'apeur, chaudières, etc. Cette condition est, on le comprend,
très difficilement remplie. On y supplée alors en interposant entre la soute et la
source de chaleur dés matières
isolantes, charbon, amiante, liège.
Si ces procédés sont insuffisants, il faut en venir à la réfrigération mécanique, que
l'on obtient, soit en entourant la soute de rideaux de toile constamment arrosés
d'eau, soit en y faisant pénétrer de l'air comprimé qui se refroidit en se détendant,
soit encore en refroidissant l'air au contact d'eau de mer amenée par une pompe,
ou enfin en envoyant dans des radiateurs placés à l'intérieur de la soute de l'ammo-

niaque liquéfié dont la vaporisation.produit du froid.


On voit par cette simple énumération que les moyens mécaniques dont on dispose

pour abaisser la température des soutes manquent de simplicité et exigent des


installations délicates et pour la plupart fort coûteuses.
i68 L ARTILLERIE NAVALE

Le pis est que ni les uns ni les autres ne donnent de résultats vraiment satisfai-

sants, et
les ingénieurs auxquels revient de droit la solution de ce genre de pro-
blème sont réduits à avouer qu'il n'existe pas actuellement de système vraiment
efficace pour maintenir la température d'une soute à poudres dans les limites dont il
est cependant si urgent de ne pas
sortir.
On se borne donc à en écarter
le plus possible les sources de cha-
leur et notamment le tuyautage de

vapeur.

Les sont, suivant le ca-


poudres
libre et le genre des pièces dans

lesquelles elles doivent être tirées,


enfermées dans des gargousses,
sortes de sacs en serge, ou dans des
douilles en cuivre qui portent quel-
quefois le projectile.
On a alors de véritables cartou-

ches, en tout semblables, toutes pro-


gardées, aux cartouches
portions
dont on les revolvers.
charge
Elles servent
pour les petits cali-

bres, 37mra, 47mm. 65",m.


Les gargousses s'emploient pour
les gros calibres, 3ocm, 24cm, igcm,
i6cm ; le poids total de ces charges
est en effet trop grand pour qu'on
puisse songer à les réunir en une
seule masse.
FIG. — de munitions.
11g. Embarquement Les gargousses arrivent toutes
confectionnées des ateliers de l'ar-
tillerie et sont renfermées dans des caisses en cuivre
soigneusement fermées.
Dans les soutes ces caisses sont placées par rangées sur des étagères.
Les douilles en laiton renferment les charges de poudre réservées aux calibres de
iocm et i4cm, le projectile est alors séparé.
Les cartouches et les douilles sont affectées
au chargement des pièces à tir rapide.
Les unes et les autres sont placées en couches horizontales sur les étagères des soutes.
Les projectiles séparés sont logés horizontalement et par couches successives que
maintiennent des poutres.
Le maniement de ces munitions fort lourdes s'opère dans les soutes au moyen
de palans, de treuils et de chemins de fer dont les rails sont fixés au pla-
petits
fond du pont supérieur.
L'ARTILLERIE NAA'ALE 16g

Leurembarquement à bord est entouré de jirécautions minutieuses, bien natu-


relles quand il s'agit d'engins si délicats et dont la chute peut provoquer une catas-
trophe.
Aussi toutes les parties du bâtiment par lesquelles poudres et projectiles doivent
passer pour aller dormir dans leurs soutes, sont-elles soigneusement garnies de pail-
lets ('), toute apparence de feu doit disparaître dans leur voisinage ; les hommes qui
les transportent sont démunis de leurs allumettes, de leurs couteaux, voire même
de leurs souliers, dont les clous pourraient produire des étincelles inopportunes. Le
règlement est formel à ce sujet : les hommes, dit-il, doivent être nu-pieds ou chaus-
sés de sandales en toile.
Outre
les poudres B, il existe encore à bord des navires de guerre une certaine
quantité de poudre noire qu'on utilise pour les saints fort nombreux, préA'us par le
protocole maritime national et surtout international, pour l'exécution des signaux
de brume, etc.
On a de grands doutes sur la façon dont poudres B et poudre noire supportent la
cohabitation, et de tous temps on a prescrit de les tenir à l'écart les unes des autres.
Depuis la catastrophe de Yléna, où les enquêtes oiit pu incriminer leur voisinage
dans des soutes séparées, on ordonne de les éloigner le plus possible ; on cherche même
à supprimer tout à fait l'usage de la poudre noire, ce à quoi il ne semble pas très
difficile d'anÏA'er. '

Bienentendu, ni les étoupilles qui contiennent du fulminate de mercure, extrê-


mement sensible aux chocs, ni les fusées ou artifices de signaux ne sont placés dans
les soutes à poudres. Ce matériel se loge dans des armoires spéciales.
Toutes ces soutes, dans lesquelles reposent ces munitions si délicates, ne sont
point, on le pense bien, livrées à elles-mêmes.
Il existe toute une une longue série de précautions
série, édictées par les règle-
ments et en vertu desquelles on peut dire qu'une surveillance incessante s'exerce sur
les poudres.
Comme l'ennemi le plus à redouter est l'excès
de chaleur, on tâche de les en pré-
server comme je l'ai expliqué plus haut ; de plus, un thermomètre à maxima est
placé à l'endroit le plus chaud de chaque soute et deux fois par jour l'officier canon-
nier doit faire constater à quelle hauteur le mercure ou l'alcool s'est élevé.
Si, en dépit de toutes ces précautions prises, les poudres ont eu à supporter pen-
dant plusieurs jours des températures anormales, on doit les débarquer.
Il en est de même si on s'aperçoit que, pour une cause ou pour une autre, un
commencement de décomposition se manifeste dans les poudres d'une soute.
On arrive à reconnaître
cette décomposition au moyen de la caisse-lémoin. C'est
une caisse spéciale dans laquelle on enferme quelques brins de poudre prélevés sur
chacune des caisses de la soute, et qu'on 'place, comme le thermomètre, à l'endroit
le plus chaud de la soute.
Cette caisse-témoin est ouverte fréquemment par l'officier, canonnier, qui peut

(J) Sorte de tapis en corde tressée.


I 70 L ARTILLERIE NAVALE

constater si la qualité de la poudre change et si, sur ses lamelles, apparaissent les
indices bien connus de la désagrégation, signe avant-coureur de la combustion spon-
' "
tanée. • !
De plus, les poudres d'un navire doivent être visitées par les services de l'Artille-
rie, c'est-à-dire débarquées et réembarquées une fois par an dans les conditions nor-
males, et plus souvent si des faits particuliers ayant pu modifier leur état se sont

produits. j
On a dû se préoccuper également du danger que courraient les soutes à poudres et
à projectiles, et par suite le naA'ire lui-même, si un incendie même partiel se déclarait
dans le voisinage de ces locaux, et pouvait les atteindre. !
Aussi chaque soute possède-t-elle un tuyautage qui permet de la remplir d'eau de
mer à A'olonté, de la noyer.
On a encore prévu le cas où le feu aurait pris dans le voisinage immédiat de la
soute, le robinet d'accès est, à cet effet, muni d'une longue tige qui permet de le
manoeuA'rer à distance. Le diamètre de ces tuyaux est calculé de telle sorte que

chaque soute puisse être remplie complètement en dix minutes.


On A'oit, par tout ce que je A'iens de dire, que l'installation, la conservation, la
surveillance des munitions à bord d'un naA'ire de guerre ne constituent pas une
mince affaire et qu'elles imposent aux officiers et au personnel canonnier qui en ont
la charge une tâche et une responsabilité considérables ; dans l'accomplissement de
cette tâche, comme de toutes celles qui lui sont dévolues, ce personnel d'élite déploie
un déA'ôuement traditionnel pour ainsi dire, et qui fait du canonnier, abord,
l'homme de toute confiance, celuià qui on fait appel, sûr de le trouver toujours
prêt, dans les dures traverses du métier.
CHAPITRE V

LÉ PERSONNEL. OFFICIERS, ÉQUIPAGES.


LA VIE A BORD.

La valeur du personnel tout, en fait de marine. — Les officiers de vaisseau. — Leur recrutement. —
prime
L'Ecole navale. Ce qu'on y fait. — Fistots et anciens. — L'Ecole d'application.
— Les
postes d'aspirants.
— L'échelle des grades'des officiers dans la marine — Nombre d'officiers de chaque grade. —
française.
Comment ils vivent à bord. — Les tribulations de l'officier en second. — La gamelle et le cap Fayot. —
Officiers des corps auxiliaires. -— L'équipage. — L'inscription maritime. — Les Écoles de — Les
spécialités.
exercices. -— Lancements de torpilles. — Le cône de choc. — Tirs du canon. -— Comment on apprécie
leur justesse. — La journée du marin. — Le débrouillard. — Le et ses fonctions. — Le branlebas
maître-coq
et les permissionnaires. — Le hamac, roi des lits. — L'échelle des — La maislrance.
grades pour le marin.
— L'école des élèves-officiers.

Une nation qui veut pouvoir dire son mot sur mer doit assurément posséder des
naA'ires bien étudiés et bien construits, doués d'une artillerie puissante et convenable-
ment approvisionnée, en résumé, tout ce qui constitue un bon matériel.
Mais, quelle

que soit la perfection de ce matériel, s'il n'est pas servi par un personnel de premier
ordre, si les officiers et les équipages ne sentent pas la grandeur patriotique de leur tâche
et ne comprennentpasleurdeA'oir, s'ils se laissent détourner d'un but unique qui doit
être la préparation au combat, les dépenses, si énormes soient-elles, que cette na-
tion aura consenties
pour sa marine de guerre, se réduisent à un simple gaspillage,
et la confiance qu'elle aura placée en celte arme amènera un jour ou l'autre la plus
terrible et la plus cruelle désillusion.
En aucune matière ne se vérifie plus exactement la vérité de cet adage : « Tant
vaut l'homme, tant vaut la chose ».
La préparation, l'éducation, l'entraînement du personnel doivent donc être la
constante d'un Gouvernement qui veut avoir une marine forte.
préoccupation
Le capitaine de frégate Daveluy, dans son très remarquable ouvrage, La luttepour
de la merÇ), dit excellemment à ce sujet:
l'empire

Développer chez les. officiers et dans les équipages l'esprit de devoir et de sacrifice; leur
montrer la grandeur et aussi les difficultés de la tâche qu'ils auront à remplir; inculquer à
'
chacun le sentiment de la responsabilité qui lui incombe devant le pays ; telle doit être la
base de l'éducation militaire. Pour former le caractère des hommes, il faut avant tout de
bonnes institutions ; il faut aussi des traditions d'honneur et de discipline.

0 Comm' DivELuy, La lutte.pour l'empire de la mer. Challamel, éditeur.


LE LA VIE A HORD
172 PERSONNEL,

Mais aujourd'hui la trempe morale ne suffit plus ; la guerre moderne met en oeuvre des
moyens si compliqués et si variés, que pour s'en servir il faut un entraînement constant.
C'est à cette condition seulement qu'on évitera les fautes qui ont coûté si cher aux Russes ;
c'est à ce prix seulement que les obus et les torpilles iront au but.

LES OFFICIERS

Les qualités et les connaissances que doit posséder un bon officier de marine sont
nombreuses. Le courage personnel est, bien
entendu, la première de ces qualités, celle

qui lui permet d'affronter, non seulement


les dangers du combat, mais encore ceux

qu'il rencontre devant lui pour ainsi dire à

chaque moment de son existence mari-


time.
L'officier de marine, en maintes occa-
sions, aura à remplir des missions au cours

desquelles il représentera le pays ; il lui


arrivera de devoir faire acte de diplomate
dans des moments souvent critiques ; il se
trouvera en présence de difficultés d'ordre
très délicat, qu'il lui faudra résoudre à l'ins-
tant même
et sans espérer d'autres lumières

que les siennes propres. En contact fréquent


avec ses camarades des marines étrangères ou
avec des personnages importants, il aura en
outre à montrer des qualités de bonne

FIG. lao. Le dernier Borda en rade de Brest.
tenue, d'éducation, de courtoisie, et aussi
de retenue politique et de discrétion.

Quant à ses connaissances techniques, elles devront être des plus étendues, à peu

près universelles pourrait-on dire. La conduite d'un navire à la mer, la connaissance

parfaite et approfondie des mille organes renferme, leur mise en oeuvre, en temps
qu'il
de paix comme en temps de guerre, exigent de l'officier qu'il soit une sorte de savant
ou mieux d'ingénieur universel.
Aussi ne faut-il du soin que réclame le recrutement du personnel
point s'étonner
officier, de ses difficultés, du temps qu'exigent l'éducation et l'instruction de ce

personnel, de l'énorme labeur qu'elles représentent.


La principale source de recrutement de nos officiers de marine, je veux parler ici
de ceux à qui est confié le soin de mener nos navires au feu, est l'Ecole navale. Les

jeunes qui ont réussi à se bien classer dans le difficile


gens concours qui en ouvre les

portes, passent, ou pour mieux dire passaient jusqu'à présent, deux années sur un
vieux vaisseau, mouillé en rade de Brest.
Mais les vaisseaux en bois ont disparu, les travaux considérables at coûteux que
LE LA VIE A BORD
PERSONNEL, i73

nécessiterait 1 aménagement d'un cuirassé démodé pour le rendre propre à l'usage


d'Ecole navale rendent cette solution difficile. Par ailleurs, il s'est créé un courant

d'opinion en vertu duquel il ne paraît plus nécessaire que l'École soit flottante.
Cette théorie a prévalu et la nouvelle École navale, celle qui remplacera le vieux
et dernier Borda sur les bords de la rivière en
('), s'édifie en ce moment Penfeld,
centre de l'arsenal maritime de Brest.
plein
Il faut reconnaître d'ailleurs que toutes les autres nations maritimes, l'Angle-
terre, l'Allemagne, les États-Unis, le Japon, l'Italie, l'Autriche ont adopté la solution
de l'Ecole navale à terre.

Quoi qu'il en soit, et si, comme il est très vraisemblable, nos futurs officiers de
marine doivent trouver
dans leur nouvelle de-
meure des facilités de
tous genres, inconnues à
bord du vieux vaisseau,
ils perdront assurément
au point de vue du pitto-

resque de l'existence ce

qu'ils gagneront en con-


fortable.
Ils ne verront plus,
par les larges sabords où
leurs tables de travail
avaient remplacé les an-

tiques caronades, les cô-


FIG. 121. — B.-itterie du Borda transformée en étude. tes lointaines ou rappro-
chées de l'admirable rade
de Brest défiler lentement sous leurs yeux pendant que le vaisseau pivotait autour de
ses ancres, sous l'effort changeantdu vent et des courants. Il n'auront plus le spectacle
si intéressant et si suivi, délicieux intermède entre un problème de calcul intégral et
un dessin coté de pièces de machines, du combat des goélands et des mouettes em-

pressés à recueillir les reliefs des festins et les innombrables détritus que tout navire
sème à la mer.
Finies pour eux, ces premières
aussi émotions du métier maritime, alors que les

coups de vent du S.-O. faisant rage, on appelait, la nuit, l'équipage pour aller, dans
le hurlement des rafales, dépasser les mâts de perroquet (2), orienter les vergues en
et qu'on surveillait attentivement les feux de la côte pour voir si on ne chas-
pointe,
sait pas(3).

(') Le nom de Borda, savant astronome et marin distingué qui vécut de 1733 à 1799, a été donné tradi-
par
tion aux trois vaisseaux qui ont successivement servi d'Ecole navale. La création de l'École navale flottante re-
monte à 1837.
Abaisser et amener sur le la des mâts, de façon à diminuer la offerte aux
(-) pont partie supérieure prise
rafales.
Cette ne doit éveiller ici aucune idée Chasser des marins, lo
( 3) expression cynégétique. signifie, pour que
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD
i74

Finie
également la vue passionnante des gracieuses évolutions des bricks et des
corvettes où s'exercent les mousses et les apprentis-marins. On ne discutera
plus
entre loups de mer de dix-huit à vingt ans leurs élégantes manoeuvres non plus que celles
de l'escadre, que l'on suivait si commodément du bastingage de la dunette du Borda,
ou mieux encore, des enfléchures des grands haubans.
Mais
s'ils perdent quelques précieux
avantages de cet ordre et d'autres, en revanche
nos jeunes marins ne verront peut-être plus, comme c'était de règle à bord du vieux

ponton, quelques parties de leurs vêtements, leurs chaussettes par exemple, dispa-

FIG. 122. — Au Borda: L'étude transformée en dortoir.

raître, entraînées par les rats, qui, en légions redoutables, avaient élu domicile dans
les recoins discrets de la membrure du vieux et faisaient
vaisseau, chaque nuit la
rafle régulière de tout ce qui était
imprudemment laissé à portée de leurs atteintes.
Les futurs officiers mènent à l'École navale une existence partagée entre la pratique
du métier de la mer et l'étude des sciences très diverses dont la connaissance leur
est nécessaire.
Pour être à même de donner des ordres et de surveiller leur correcte exécution, il
faut tout d'abord connaître à fond les éléments du métier où l'on aura plus tard à
commander. La mise en oeuvre de ce principe, plus exact peut-être encore en ma-
rine qu'en toute autre chose, conduit à faire tout d'abord apprendre aux élèves de
l'École navale les moindres détails de la vie du marin. Nager (') en embarcations,
savoir serrer une voile, hisser un signal, tenir correctement la barre d'un canot à la
voile, enfourner le charbon à longues pelletées sur la grille du fourneau d'une chau-

navire mouillé est entraîné la force des rafales ou la violence de la mer et que ses ancres, raclant sur le
par
fond, ne le maintiennent en La d'un navire chasse, le vent le sur une
plus place. position qui lorsque porte
côte peu éloignée, est des plus dangereuses.
(') Nager signifie ramer.
LE PERSONNEL, LA A'IE A BORD ^5

dière, gréer un hamac et le rouler, tels sont quelques-uns des détails pratiques par
OÙ commence leur éducation. Elle se complète ensuite peu à peu, à mesure que
l'assimilation se produit, pour arriver à là possession des connaissances qui con-
cernent plus particulièrement le métier d'officier, telles que conduite du naA'ire, obser-
vations astronomiques,; calculs, utilisation des armes, du canon, des torpilles, etc.
La première partie de cette éducation pratique est donnée par des instructeurs gra-
dés, sous la surveillance d'officiers à qui incombe plus particulièrement le soin de
donner ensuite la seconde.
Les cours d'ordrescientifique, historique et littéraire sont faits, soit par des offi-
ciers de marine, soit par un corps spécial de professeurs provenant de l'Université
et jouissant de la situation et des prérogatives des officiers.
De fréquents examens, vulgairement désignés sous le nom de colles et dont les
résultats, sous forme de notes, concourent à fixer le rang définitif avec lequel chaque
élève quitte; le Bordât entretiennent parmi les jeunes gens une ardeur qui sommeille-
rait si volontiers quelque peu après les rudes labeurs nécessaires pour forcer la porte
de l'École navale. Ce classement de sortie, combiné aA'ec celui du.croiseur école-d'ap-
plication, détermine en effet le rang du futur officier sur la liste d'ancienneté du
corps et donne aux premiers un avantage important pour la suite de leur carrière.
L'esprit d'émulation est encore soutenu par la distinction conférée aux élèves clas-
sés dans le premier douzième de chaque promotion. Deux ancres en or brodées de

chaque côté du collet du dolman de grande tenue distinguent les brigadiers. Les
suivants, jusqu'au premier quart de la liste de classement, sont dits éhYves d'élites,
leur col porte une seule paire d'ancres.
Ces titres ne sont pas d'ailleurs considérés comme des grades, ce qui est peut-
être un tort.
Le séjour au Borda est de deux années. ..
Les liens de la plus cordiale camaraderie, se muent
le plus souvent en bonnes
qui
et durables amitiés, unissent presque toujours les élèves d'une même promotion et
même ceux des trois promotions qui se trouvent en contact pendant ce séjour.

Chaque nouveau, oufistot, est assuré de l'aide et de la protection affectueuse, des


bons conseils de l'un au moins de ses deux anciens, le réglementaire, celui dont le
numéro matricule correspond au sien, ou celui qui a été choisi et accepté par sympa-
thie réciproque, l'ancien de coeur.
Le fi.st.ot est, par rapport à son ancien, dans un état de A'assalité : il lui doit foi et

hommage, voire même certaines redevances féodales! C'est ainsi qu'un règlement
secret, tout à fait en opposition d'ailleurs avec le A'rai règlement, celui qui a pour lui
la force et la distribution de punitions Variées, oblige chaque fistot à rapporter à son
ancien, les jours de sortie, quelques douceurs, une boîte de bonbons ou de chocolat,

qu'en passant à la coupée il dissimulera tout tremblant sous sa pèlerine, lorsqu'il


lui faudra passer sous l'oeil malin et scrutateur de l'adjudant, bon molosse qui sait
fort bien de quoi il retourne et n'intervient le plus souvent qu'à contre-coeur.
Le régime disciplinaire de l'École navale s'est, paraît-il, beaucoup amendé depuis
quelques années. Autrefois, l'acte de solidarité qui vient d'être rapporté- amenait,
LE LA VIE A BORD
176 PERSONNEL,

On en sortait pourseulement
les conférences et on s'y en-

nuyait ferme. Le présence d'un factionnaire qui se promenait


devant les portes à jour des cellules et empêchait les pri-
sonniers d'échanger leurs réflexions, ajoutait à l'horreur de
la situation, excepté lorsque ce factionnaire était un fusilier,

que se rappellent les promotions de 1876-77, bien connu

pour la facilité avec laquelle il pliait en deux avec ses dents


une pièce de ofr,io. Ce sport avait un énorme succès auprès
des pauvres reclus, à qui il coûtait un nombre considérable
de décimes.
Le peloton, de moindre conséquence et octroyé pour des
fautes plus légères, était peut-être plus ennuyeux: il consistait
à se tenir debout pendant une
heure après le coucher des élèves,

A l'exercice du fusil dit : dans la batterie basse, sous la sur-


cabillol.
veillance d'un
adjudant. Après
les grandes fatigues des journées
lorsqu'il était décou-
de corvettes ou de mâture, on
vert, et c'était, hélas,
le cas le fré- pense si on regrettait amèrement
plus
le doux hamac, où les camarades,
quent, une répres-
dans la batterie au-dessus, rêvaient
sion particulièrement
à leurs futures étoiles.
pénible. La privation
Et quelle reconnaissance on
de sortie pour le
avait à l'excellent aumônier L...,
mois suivant : tel
était le tarif!
Nombreuses, du
reste, étaient les fau-
tes qui comportaient
A bord et à l'étude.
cette punition redou-
tée. Deux jours de salle de police combien faciles
à obtenir ! mauvaises notes aux colles, pelotons
trop fréquents, et il fallait remettre au mois sui-
vant l'espoir d'aller promener son sabre à la mu-

sique du Champ de bataille ou sous les grands


ormes du cours d'Ajot.
Des punitions que nous venons de citer, la

police et le peloton, étaient les deux plus fré-


quentes, la prison étant réservée pour les cas très

graves. Pour la première on amenait le délin-

quant dans une cellule d'ailleurs très proprement


blanchie à la chaux, située dans le faux-pont du
naA'ire et recevant un filet de jour par l'étroit
Dans les machines.

hublot percé obliquement dans ses flancs épais. FIG. 123, — Au Borda : OIFFKHENTKS.
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD
t77

qui venait chaque soir, en sortant de chez le com-

mandant, passer devant les rangs alignés, et offrait


à chacun avec un mot de consolation une prise de
tabac. On éternuait longuement, et sans que l'au-
torité pût y trouver rien à dire, on pouvait à la
faveur de ce phénomène physiologique dégourdir
quelque peu ses membres ankylosés.
Au nombre des distractions autorisées, le tabac,
sous une autre forme, jouait un rôle
important à
l'École navale. Il était permis de fumer après les
deux récréations d'une heure qui suivaient les re-

pas. On trouvait dans une cantine spéciale à ache-


ter, jusqu a concurrence
des vingt-cinq sous al-
Pour la pluie.
loués par semaine, tout
ce qu'il fallait pour cela.. si je m'en
pipe faisait,
Inutile de dire que les souviens bien, une con-
al- currence
préférences générales déloyale au mal
laient à la pipe, dont le de mer, et j'ai toujours
cantinier vendait d'ail- l'Administra-
soupçonné
leurs un seul modèle, en tion d'avoir voulu pré-
terre, représentant un munir les futurs officiers

type de vieillard barbu contre l'abus du tabac en

que les plus crânes essa- leur fournissant un si dé-

yaient de culotter. Cette matériel. De fait,


plorable
beaucoup d'officiers de
marine ne fument plus
En sortie (été).
que très peu.
L,es deux années a étu-
des de l'École navale sont coupées par un congé
et une navigation d'un mois, que les fistots,
avant de passer anciens, exécutent à bord d'un
aviso spécialement affecté à leur usage. La pro-
motion qui y est embarquée sert d'équipage et y
mène la vie du matelot.
Avec quelle joie on voit arriver le moment de
cette croisière où sont réunis tous les plaisirs :

prendre le large, voir du pays, oublier pour quel-


ques jours les fastidieuses conférences et leurs
fâcheux compléments, les colles.
Enfin, comme tout arrive, on se trouve au
En sortie (hiver)
bout de la deuxième année. Après un dernier exa-
TEMJES nES ELEVES. men, on dit adieu au vieux ponton, aux fistots,
SAUVAIRE JOUKDAN. I-J
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD
i78

et avec, aux manches, le joli galon d'or coupé de soie bleue du midshipman, le pre-
mier galon tant désiré, on entre dans la vie...
Pour une année cette vie sera
encore, cependant, réglée un peu trop mathéma-
tiquement au gré des jeunes aspirants, qui voudraient voir se réaliser à la fois tous
leurs rêves où la liberté joue toujours un rôle important.
L'École d'application, sous la forme imposante d'un beau grand croiseur, attend
nos jeunes gens après deux
mois de vacances à peine
suffisants pour montrer à la
famille, jusqu'à ses mem-
bres les plus reculés, notam-
ment aux arrière-petites
cousines, le bel uniforme
si élégant dans sa sobriété,

que parent les gracieuses


aiguillettes d'or et que mi-
litarise tout juste assez, le

petit sabre de marine légè-


rement courbé.


Le croiseur-école d'ap-
FIG. 134. Le Bougainville en croisière.

plication reçoit chaque an-


née au mois a octobre la promotion sort de 1 ficofe navale, ses deux années
qui
achevées.
Pendant dixil promène
mois dans l'Atlantique et la Méditerranée les aspirants, qui
prennent, au cours de ce voyage des plus intéressants, un premier aperçu du monde.
Les côtes de l'Afrique occidentale, celles du Brésil, les Antilles, quelquefois un

point ou deux du littoral des États-Unis, puis les ports de France et d'Algérie,
le Levant déroulent devant
les yeux étonnés de nos jeunes marins le kaléidoscope
de leurs couleurs locales et de leurs mouvements si pittoresques.
Les
permissions de « descendre à terre », c'est le terme maritime consacré, sont
accordées à chaque mouillage avec une libéralité suffisante que le souvenir des
pour
pays visités reste dans l'esprit de nos futurs amiraux.
Les traversées assez longues qui séparent les différentes relâches sont mises à profit

pour inculquer aux aspirants la pratique détaillée des nombreux et complexes pro-
blèmes que comportent l'art de la navigation et l'utilisation d'un navire comme
arme de guerre.
Mais, à bord du Duguay-TrouinÇ), c'est au point de vue du commandement qu'ils
étudient cette pratique. Chaque aspirant remplit le plus souvent possible, sur la

passerelle, le rôle d'officier de quart, calcule le point tous les jours, dirige le tir
des canons et le lancement des torpilles, en un mot s'initie à toutes les besognes et
à tous les devoirs qu'il aura à accomplir dans les fonctions d'officier.

(J) C'est le nom porté par le croiseur-école actuel. On songe aie remplacer par un de nos plus anciens croiseurs
cuirassés.
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD
179

Des cours professés par les officiers du bord complètent l'instruction théorique
sur quelques points laissés dans l'ombre au Borda.
L'installation matérielle des aspirants à bord du Duguay-Trouin est exactement
celle que de temps immémorial leurs prédécesseurs trouvaient sur les navires de la
flotte. C'est un poste commun pour dix ou douze, qui sert à la fois de salle à

manger, de salon, de salle d'étude, de dortoir et de vestiaire.


Dans ce poste les midships sont chez eux. Ils sont libres d'y donner carrière à
leurs goûts pour l'ornementation et même le confort, dans la limite fort restreinte où
le leur permet l'espace dont ils disposent. Le plus clair de la place est en effet occupé

par une vaste table autour de laquelle trou-


vent juste à se loger les pliants que l'Ad-
ministration délivre en guise de fauteuils.
Le soir, au branlebas, des matelots ap-
portent les hamacs, tout pareils à ceux du
Borda, qu'on accroche dans tous les coins
du poste et au-dessus de la table. C'est
l'instant des grandes discussions entre
ceux qui ont la perspective peu riante d'être
réveillés à minuit pour le quart
prendre
jusqu'à quatre heures, et qui par consé-

quent veulent dormir le plus tôt possible,


et les autres, qui ont la nuit franche et dé-
sirent prolonger jusqu'au moment de l'ex-
tinction réglementaire des feux les délices
d'une veillée agrémentée d'un poker ou
d'un punch clandestins.

Après avoir promené son chargement


FIG. ia5. — Le croiseur-école de midships sur le plus de mer possible, le
Duguay-Trouin, d'applica-
tion, les jeunes sur des mers plus
qui promène midships
Duguay-Trouin rentre à Brest où, devant
lointaines.
une Commission solennellement présidée
par un vice-amiral, se passe le dernier et définitif examen. C'est celui d'où dépend
le classement sur la liste d'ancienneté. Le rang qu'on y occupe présente l'intérêt que
j'ai déjà dit pour les promotions aux grades successifs; il permet en outre le choix
du port auquel, sauf modifications passagères, on sera attaché pendant toute sa carrière.
Dans l'ordre des préférences, c'est toujours Toulon qui vient en première ligne.
La douceur de son climat, le séjour des grandes escadres, une certaine réputation
bien méritée de ville
gaie et agréable attirent généralement le choix des heureux
classés en tête de la liste d'ancienneté.
Le midship dépouille à ce moment la soie bleue de ses galons d'or, laisse ses

aiguillettes, et devient aspirantde ireclasse(1). En cette qualité, il estembarqué sur les

(') Ces feuilles étaient écrites, lorsque, par une mesure complémentaire à celle dont il est parlé ci-après,
l'amiral lioué de Lapeyrère a décidé le titre d'aspirant ne serait plus porté les officiers
que que par jeunes
l8o LÉ PERSONNEL, LA VIE A BORD r

bâtiments d'escadre et autant


que possible sur les navires faisant campagne au loin..
Une sorte de révolution s'est produite l'année dernière dans l'état social dé l'aspi-
rant français. Cet éA'énement dément la réputation d'amateurs de routine sous laquelle
on a voulu accabler pendant quelques années nos amiraux, simple et d'ailleurs mau-
vais prétexte à les écarter des ministères. Il a fallu qu'un des chefs les plus en vue
de notre marine, succédant
à une trop longue série de ministres civils, ait été enfin ins-
tallé rue Royale, pour que put se produire cette sorte de 178g au petit pied par
lequel les plus jeunes officiers de la marine française ont été enfin tirés de l'état infé-
rieur où, moralement, ils croupissaient.

Il y a bien longtemps (') que le mode d'utilisation, ou plus exactement^ de non-utilisation


des aspirants, prêtait à de justes critiques. | |
Faisons un retour en arrière et rappelons ce qu'était, j jusqu'à hier, j la vie du midship.
Lorsque, tout pimpant, avec un beau trousseau tout neuf,| on quittait l'École d'application^
un ordre ministériel vous destinait à Un bâtiment quelconque.
Dès l'embarquement, l'aspirant avait un avant-goût dé là vie qui l'attendait. D'abord, rien
de préparé pour le recevoir : l'officier de quart était, comme par hasard, occupé ailleurs qu'à
la coupée; les bagages,lés bouquins réglementaires, le sextant, la boîte où gisait le bicorne,
restaient au bas de l'échelle.
Gomme logement, un poste commun de dimensions exiguës, aA'ec une table et des pliants
occupant tout l'emplacement ; tout autour, pour réduire encore respàcej des armoires aA'ec
deux ou trois rayons. C'est là qu'ilfallait ranger les redingotes, l'habit à |queue, le sabré, lès
chaussures, etc. Bref, le confort des premiers âges ! V !
Comme couchage, le hamac du matelot suspendu toujours dans le posté, à moins, comme
sur certains croiseurs pas si vieux, qu'on ne l'accrochât simplement dans la ligne d'arbres au
milieu de senteurs delà machine, de l'huile et du cambouis. I j
Avec cela un service ridiculement compris, le quart en troisième or. en quatrième, un
service de détail (canonnage, torpilles ou mousqueterie) en sous-ordre, après les seconds
maîtres et même les quartiers-maîtres. 1
Partout, l'aspirant se sentait à la fois gênant et gêné,
nulle part il n'était chez lui, jamais il ne pom'ait se rendre; réellement utile. De même que le
mousse est considéré comme « rien qui A'aille » parmi les marins du commerce, de même
les midships étaient considérés pomme la « dix-septième roue du char »,;par le commandant
et l'état-major. C'était une Abeille habitude de l'ancien temps, de l'époque où les cadets et
les gardes du pavillon, gamins de treize ou quatorze ans embarquaient sur les A'aisseaux
« du roy » pour s'initier au métier de la iner.

les aspirants
Or, de irc classe de notre époque n'ont plus treize ou quatorze ans,
mais bien A'ingt-deux ou A'ingt-trois. Outre qu'ils: souffraient dans leur dignité de
se A'oir traiter en unités encombrantes et inutiles, il! arrivait que beaucoup d'entre
eux perdaient, dès leur entrée dans lacarrière, un zèle et une ardeur dont le service
eût assurément profité. Ne pouvant réagir contre un de choses si malheureu-
ordre
sement établi, ils ne songeaient plus qu'à passer leur temps le plus gaiement qu'ils
pouvaient, en se mêlant le moins possible d'un service dont ils n'avaient à attendre
aucun agrément.

embarqués à bord du croiseur-école. Dès qu'ils sontlversés au service général, les aspirants deviennent enseignes
de vaisseau de 2e classe.
(') SAIKT RÉQUIER, Les aspirants. Le Fac/i!, n° |i649-
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD t8i

Fuyant le bord
dès qu'elle le pouvait, cette jeunesse se réunissait à terre pour des
exploits nocturnes dont les paisibles habitants de nos principaux encore
ports gardent
le fâcheux souvenir. Bien des sommeils ont été troublés par les bruyantes facéties
auxquelles la police était quelquefois appelée à mettre un terme. N'a-t-on pas entendu,
il y a quelques la solennelle
années, place d'armes de Toulon retentir de vibrantes
fanfares sonnées à perdre haleine par une théorie de midships, célébrant, minuit
passé, l'hallali d'un nombre incalculable de chats à cor et à cri dans les
poursuivis
ruelles noires de la vieille ville.
Par ailleurs, certain à bord du cuirassé amiral de l'escadre de la
poste d'aspirants,
Méditerranée, produisait, aux

yeux stupéfaits et scandalisés du


commandant en cérémonie d'ins-

pection, une ornementation com-

posée d'enseignes décrochées aux

boutiques endormies et parmi

lesquelles trônait, à côté du chou


traditionnel des sages-femmes,
un gigantesque chapeau gibus
d'un rouge éclatant.
L'amiral Boue de Lapeyrère,
ministre de la Marine, a mis ordre
à une situation contraire de tous

points aux intérêts de la marine.


Un des premiers actes de son Mi-
nistère, qui en compte tant d'u-
tiles, a consisté à ordonner que
les aspirants seraient désormais
traités, au point de vue du ser-
vice et des prérogatives, comme

FIG. 126. —
Aspirant on tenue de débarquement. les enseignes de vaisseau. Leur
installation matérielle a été éga-
lement beaucoup modifiée. Des chambres, il en est de disponibles, leur sont
quand
données ; le carré des officiers leur est ouvert ; bref, les aspirants ont cessé d'être des
élèves, des étudiants en science nautique et militaire pour véritablement les
remplir
fonctions d'officier auxquelles les rendent parfaitement aptes et leur âge et les études
auxquelles ils ont été astreints.
trois années
Après passées dans le grade d'aspirant, la loi confère aux jeunes offi-
ciers celui d'enseigne de vaisseau. C'est un avancement mathématique.
L'enseigne de vaisseau porte deux galons et son grade l'assimile
à un lieutenant
de l'armée de terre. Il est embarqué sur toutes sortes de bâtiments. A bord des cui-
rassés d'escadre, il double le lieutenant de vaisseau, auquel seul le règlement confie,
en principe, le droit de commander le quart en chef, estimant que les graves res-
ponsabilités qu'implique la direction de ces lourdes et coûteuses unités, naviguant en
i8a LE PERSONNEL, LA VIE A BORD

et manoeuvrant constamment, exigent une connaissance approfondie du


groupes
métier, une spéciale, privilège de l'âge.
expérience
Depuis quelques années, le rôle des enseignes de vaisseau à bord des cuirassés s'est
et fort heureusement étendu.
prennent Ils
en effet une part impor-
singulièrement
tante à la surveillance du matériel et à l'instruction militaire du personnel.
Sur tous les autres bâtiments de moindre tonnage, naviguant dans les mers loin-
taines ou sur nos côtes, les enseignes forment la majeure partie ou même la totalité
de l'Etat-Major. Ils ont, pour ainsi dire, le monopole des longues campagnes, de
celles qui, les menant par toutes les mers du
globe, font passer sous leurs yeux les enchan-
tements des pays lointains.
C'est l'âge heureux, la période exquise de
la carrière, celle où, sous lesimpressions
facilement enthousiastes de la jeunesse, la vie

apparaît tout en rose ; on


ignore encore les

aiguillons de l'ambition, aussi bien que les

déceptions qui assombrissent les caractères,

aigrissent les relations avec les camarades ;


on est généralement libre de ses mouvements

que des soucis de famille n'alourdissent pas.


Bref, on a tout ce qu'il faut pour goûter avec
sérénité la joie des voyages en des pays de
rêve et l'orgueil de se produire sous les plis
d'un pavillon glorieux.
Il y a bien, il est vrai, quelques ombres à
ce tableau, et je ne voudrais
que mes point
jeunes lecteurs puissent croire que tout est
douceur et plaisir dans la vie de nos officiers
de marine. Tels séjours dans des colonies, sous

le soleil mortel de l'équateur, telle croisière


FIG. — de vaisseau dans le capot d'une
127. Enseigne
tourelle de 3ocra. sur des côtes inhospitalières, comme celle
du Maroc, où l'éternelle houle vous secoue

sans relâche, sont là pour démontrer le contraire. C est alors que doivent intervenir

d'humeur, la trempe du caractère, de se satisfaire à l'idée


l'égalité qui permettent
du devoir bien accompli, et de supporter les épreuves présentes en pensant aux beaux

jours passés... et futurs !


Les enseignes de vaisseau trouvent encore des emplois très instructifs et très

intéressants à bord des et sous-marins de toutes


torpilleurs, contre-torpilleurs
où ils exercent les fonctions d'officiers en second et d'officiers de
catégories
Souvent même on leur confie le commandement de torpilleurs, grave
quart.
honneur, dans ils faire montre de qualités qui assureront leur car-
lequel peuvent
rière.
suivant le chiffre des promotions,
Enfin, après un nombre d'années assez variable
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD [83

un troisième galon d'or vient s'ajouter sur les manches aux deux premiers. On est
lieutenant de vaisseau, et
assimilé aux capitaines
de l'armée de terre.
C'est ici, il me semble,
le lieu d'expliquer le dou-
ble mécanisme au moyen

duquel se produit l'avan-


cement dans le corps des
officiers de marine, à par-
tir dugrade d'enseigne
jusqu'à celui de capitaine
de vaisseau.
J'ai déjà dit qu'on de-
vient enseigne automati-
quement, dès qu'on a
FIG. 128. — dans la lame.
Torpilleur
porté pendant deux an-
nées le galon unique de l'aspirant de 1" classe. Pour à celui de passer de ce grade
les deux échelons on peut
lieutenant de vaisseau, comme pour franchir suivants,
être nommé, soit a 1 ancienneté, c est-a-dire
à son tour, en suivant la liste générale établie
à la sortie de l'École d'application, soit au
choix. Ce choix résulte de l'inscription au
tableau d'avancement, dressé annuellement

par une Commission d'officiers généraux, au


vu des notes données chaque année à tous les
officiers durant toute leur carrière.
Être inscrit au tableau ! Voilà le but que
doivent se proposer constamment les officiers
désireux de parcourir une carrière brillante.
De graves compétitions, des luttes ardentes
s'établissent, des efforts désespérés s'accomplis-
sent pour la réalisation de ce rêve où apparais-
sent dans le lointain les épaulettes à gros

grains, puis les étoiles d'argent de l'amiralat !


Les déçus sont malheureusement toujours
nombreux. Le chiffre des inscriptions au ta-
bleau est peu élevé, il reste forcément très
FIG. — Lieutenant de vaisseau de garde
139.
inférieur à celui des candidats réunissant
(au mouillage).
toutes et ayant fait preuve du
les conditions
mérite nécessaire pour y être compris. Aussi n est-ce pas une mince tâche pour les
officiers généraux chargés de ce travail que de dresser la fameuse liste sur laquelle
ils savent d'avance qu'ils ne pourront inscrire tous les officiers dignes d'y figurer.
[86 LE PERSONNEL, LA VIE A BORD

Les lieutenants de vaisseau forment la grande du


majorité corps des officiers de
marine. C'est le grade dans lequel se dessine généralement l'avenir d'un officier, celui
où il pourra montrer, par l'utilisation qu'il saura faire de ses connaissances profession-
nelles, par la maturité de son esprit et par son initiative, qu'il est à la hauteur des
tâches d'ordres multiples et élevés, que peut avoir à remplir un chef et que ces
tâches ne l'effrayent pas.
C'est encore dans le grade de lieutenant de vaisseau se complète définitive-
que
ment l'éducation des officiers
professionnelle par leur envoi, sur leur demande, aux

FIG. I3O. — L'instruction du canonnage.

différentes Écoles où se donne l'enseignement théorique et pratique complet des


diverses branches delà science maritime militaire.
A un très petit nombre
près, tous les officiers passent par une ou deux de ces
Écoles et se spécialisent dans la branche qu'elles comportent. Ces Écoles sont au
nombre de trois.
L'Écolede canonnage est de beaucoup la plus importante, parce que le canon con-
stitue, en somme, l'arme principale des navires de guerre et que de l'usage qu'on
sait en faire dépend l'issue des batailles navales.
presque uniquement Chaque
navire de guerre possède donc dans son Etat-Major un officier à qui incombe le
soin de toute l'artillerie, et qui la dirige au combat sous les ordres et la responsabilité
du commandant. C'est l'officier l'homme
canonnier, important qui sait calculer
les divers éléments de la hausse, régler le tir, comme nous l'avons vu au chapitre

précédent, augmenter ou diminuer l'intensité et la rapidité du feu.


LE PERSONNEL, LA VIE A BORD i85

Les officiers reçoivent le brevet de canonnier après un stage de cinq mois à terre et
de sept mois à bord des bâtiments qui composent la division-école de canonnage.

Jusqu à ces dernières


années, l'École de canon-

nage, qui sert d'ailleurs à


l'instruction des matelots
comme à celle des offi-
ciers, se composait d'un
seul bâtiment, vieux vais-
seau à trois ponts, auquel
on adjoignait un navire
annexe. Cette organisation
a été complètement refon-
due en raison de l'impor-
tance toujours croissante
de l'artillerie. A bord du
FIG. I3I . — Le rocher des Mèdcs, à PorqueroUeft,
vaisseau-école proprement
dit, les officiers étudient te
fonctionnement et les détails du matériel très compliqué et très délicat qui constitue
l'artillerie navale moderne. A cet effet, ils trouvent réunis sur ce bâtiment toutes les
installations, les mécanismes, les pièces de divers calibres dont ils auront plus tard
ta charge lorsqu ils rempfi-
ront les fonctions d'officiers
canonniers à bord d'un na-
vire armé.
Puis, sur un croiseur cui-
rassé spécialement affecté à
cet usage, ils apprennent à
voir les choses de plus haut,
à remplir pour le mieux la
tâche principale qui leur in-
combera : celle qui consiste
à diriger l'ensemble de l'ar-
tillerie d un bâtiment, à

régler son feu de façon à lui


faire produire son effet maxi-
mum.
La division de l'École de
FIG. I32. — La de débarquement s'exerçant à bord.
Compagnie
canonnage qui comprend
encore un cuirassé et trois bâtiments annexes spécialement affectés aux matelots,
est placée sous les ordres d'un contre-amiral. Elle séjourne habituellement dans la

magnifique rade des îles d'Hyères où elle trouve, sous un climat favorable, toutes les
facilités désirables pour les innombrables tirs et exercices auxquels elle doit se livrer.
l86 LE PERSONNEL, LA A'IE A BORD

Les roulements perpétuels de l'artillerie n?y gênent personne. Tout un


promon-
toire de Porquerolles
de l'île et le pittoresque rocher des Mèdes qui la termine sont
transformés en une butte de tir que les obus labourent incessamment. Le fond de la
rade d'Hyères est, on peut le dire, paA'é de projectiles tirés par des générations de
canonniers. Les pêcheurs des bourgs delà côte saA'ent exploiter cette mine d'un
nouA'eau genre et toute une industrie s'est créée pour rechercher, relever et reA'endre
tout cet acier et toute cette fonte.
L'École des officiers
torpilleurs est installée à terre, à Toulon. Le séjour y est de
dix mois. On y étudie le mécanisme et le maniement des différents genres de tor-
pilles dont la marine française fait usage, et plus particulièrement de la torpille auto-
mobile. Le démontage, le remontage, le réglage, le lancement de ce merveilleux

engin occupent le plus clair du temps que les officiers passent à l'École. Ils s'y
initient également à la conduite des torpilleurs, qu'ils iront ensuite commander
dans les différentes de la défense du littoral.
flottilles
chargées Ils prennent un

aA'ant-goût de ces passionnantes mais pénibles fonction s au prix d'un nombre consi-
dérable de douches salées que la mer leur octroie généreusement quand l'étrave
de leur torpilleur la laboure à une A'itesse exagérée.
dans ses multiples
L'électricité, applications à la marine, fait encore partie dubagage

scientifique que doit posséder l'officier torpilleur. C'estiluiqui, en plus des torpilles
et de ce qui s'y rattache, est chargé, à bord des navires où il est embarqué, de tous
les engins et appareils électriques, monte-charges de l'artillerie, éclairage, télégraphie
sans fil, etc. Ce n'est d'ailleurs pas là le côté le moins ingrat de sa tâche. Des kilo-
mètres, des myriamètres de conducteurs électriques s'allongent en effet dans la coque
d'un bâtiment moderne. Leur installation n'a pas toujours été très bien étudiée , sur-
tout sur les bâtiments anciens, et il est quelquefois nayrant de A'oir le malheureux
officier torpilleur et ses aides s'arracher les cheveux devant un effrayant écheA'eau de
fils, dans lequel il s'agit de trouver celui ou ceux dont l'isolement défectueux laisse

échapper le précieux fluide.


Et puis il y a, ou du moins il y aA'ait encore à une époque qui n'est pas loin-
taine, le commandant grincheux, laudalor lemporis acii, dont toute la vie avait été
éclairée par de fumeux quinquets à huile, et qui, résolu fermement à ne pas
reconnaître la supériorité de l'incandescence électrique, faisait à la moindre ani-
croche appeler l'officier torpilleur et s'en prenait à lui des méfaits de ce fluide mysté-
rieux.
C'est à Lorient
qu'est installée l'École où les officiers de marine, aussi bien
d'ailleurs que les matelots choisis, à cet effet, reçoivent, après un stage d'une année, le
breA'et de fusilier. L'instruction qui y est donnée porte sur la connaissance approfondie
du fusil de guerre et des sen'ices qu'on peut lui demander, mais aussi sur celle du
sei'A'ice des troupes en campagne.
Il ne semble pas à première ATie très nécessaire que des marins soient dressés à
faire le serA'icede fantassins. C'est une erreur. En une foule de circonstances, nos
matelots ont eu à accomplir à terre des tâches où il leur a fallu-agir en troupiers. La
dernière de ces occasions date de l'occupation de Casablanca au Maroc, et leur con-
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD 187

duite y fut héroïque ('). Il est donc indispensable qu'une partie au moins de l'équipage
soit à même de se bien comporter à terre, et c'est à cette
préoccupation que répond
l'organisation à bord de chaque navire d'une Compagnie de débarquement sur laquelle

je reviendrai plus loin


(2).
Les officiers qui commandent en chef ou en sous-ordre cette doivent
compagnie
avoir passé par l'École de Lo-
rient et posséder le brevet de
fusilier.
En plus des services qu'ils

peuvent rendre à terre, les


fusiliers marins forment à
bord le peloton de la mous-

queterie, qu'on suppose pou-


voir jouer encore un rôle
dans un combat naval. Il est

peu probable que cette éven-


tualité se produise désormais,
étant données les distances

toujours de plus en plus gran-


des où il est probable que l'on
devra se battre, mais la ma-
rine tient à ses vieilles insti-
tutions. C'est à peine si elle
a renoncé aux détachements

d'abordage, qui autrefois de-


vaient s'élancer à l'assaut du
navire ennemi maintenu par
les grappins; on ne peut donc
lui demander encore d'effacer
de ses rôles le détachement
de la mousqueterie, qui, par
ailleurs, estnécessaire comme
cadre de la compagnie de dé-

FIG. i33. — Fusilier marin en faction. barquement.


Par une anomalie assez sin-

gulière et qui devra disparaître un jour ou l'autre, c'est à l'École de Lorient que se
donne aux officiers élèves comme aux matelots l'instruction du maniement des petits
canons à tir rapide. C'est là, semble-t-il, l'affaire de l'École de canonnage (3).
plutôt

( 1) On en trouvera le récit complet et très dramatique au chapitre ix.


( 2) L'esprit d'ordre et de discipline qui caractérise plus spécialement les fusiliers leur a fait confier le service
si important et si délicat de la police abord. La tradition maritime donne aux gradés de cette spécialité des appella-
tions spéciales. Le premier maître de mousqueterie, chef du service d'ordre et de police, est le capitaine d'armes;
les seconds maîtres deviennent des sergents d'armes.
( 3) C'est chose faite depuis quelques mois.
i88 LE PERSONNEL, LA VIE A BORD

Il existe à Paris une dernière École


peuvent passer nos officiers
par laquelle de ma-
rine, l'École supérieure de la marine, créée dans
un but analogue à celui que rem-
plit l'Ecole de guerre. Une quinzaine de lieutenants de vaisseau y viennent chaque
année recueillir les doctrines d'un enseignement d'ordre professionnel élevé que
leur exposent des professeurs éminents. La création relativement récente de cette
école a été le sujet de discussions ardentes. Certains prétendaient en effet qu'un
marin s'instruit uniquement en mer ou à bord d'un navire, d'autres considéraient

que l'organisation d'une marine moderne exige que les officiers destinés à en devenir
les chefs possèdent des connaissances générales étendues ; ces derniersvoyaient en-
core dans la création d'une Ecole supé-
rieure maritime, l'avantage de constituer
un centre d'études où s'élaborerait le corps
de doctrines et s'orienteraient, vers le sens

pratique, les idées


générales dont il n'est

pas possible à la marine de se passer. Ils


ont eu raison ; après quelques avatars cor-

respondant à un grand nombre d'hésita-


tions, l'École supérieure de la marine a

pris son orientation définitive et personne

aujourd'hui n'oserait contester son utilité.


La marine ne possède pas de grade inter-
médiaire entre ceux de lieutenant de vais-
seau et de capitaine de frégate.
Ce dernier se caractérise par cinq galons
d'or et d'argent. Le capitaine de frégate
est assimilé au lieutenant-colonel. Le grade
de capitaine de corvette a été supprimé
FIG. i34. — Le commandant en second, de frégate
capitaine depuis longtemps, et quoiqu'on parle sou-
vent de le rétablir ('), il n'est encore
pas
sûr qu'on doive voir avant notre corps d'officiers se compléter
longtemps par l'adjonc-
tion du quatre-galons.
Le capitaine de frégate est le premier officier supérieur que l'on rencontre
dans l'échelle des grades de la marine de guerre. Les fonctions qu'il peut remplir
sont de deux sortes. Il commande des unités moins importantes que les cuirassés,
des groupes de torpilleurs, ou bien il est commandant en second à bord des grands
navires. C'est là, d'ailleurs, le moins agréable de son affaire, les règlements lui con-
férant en quelque sorte, en temps de paix, des fonctions de maltresse de maison.
Or, si ce rôle offre quelquefois à terre des joies et en tous cas quelques

compensa
tions aux peines qu'il comporte, il n'en est plus de même à bord où, comme on le
pense, le côté mondain lui fait tout à fait défaut.
Aussi l'embarquement comme second est-il mis au des
généralement rang

(') Notamment en ces derniers temps.


LE PEUSONNEL, LA ME A BORD
l89

corvées, inévitables d'ailleurs, puisqu'il constitue une condition indispensable pour


franchir l'échelon
qui mène au grade supérieur.
Debout dès l'aube, souvent même avant, le frégaton, secondé par son enseigne ou
son aspirant de détail, a l'oeil à tout, surveille tout, est informé de tout ce qui se

passe à bord et hors du bord. En plus des mille détails du service qu'il règle à tout
instant, tout au long de sa journée, il rédige encore le cahier dit de service, d'après
lequel se déroule heure par heure la
vie du bord.
Sa mémoire doit le servir fidèle-
ment, car à lui incombe le soin de faire
exécuter, sans en omettre le moindre
alinéa, les innombrables ordres, per-
manents et autres, qui émanent du
commandant du navire, de l'État-major
de l'escadre, du contre-amiral chef de
division ; puis il lui faudra penser en-
core à mille détails, aux vivres à em-

barquer, au charbon qu'il faut deman-


der dans l'arsenal, au matériel de

rechange qu'on doitprendre, au linge


à laver, à l'eau douce qui ne doit pas
être gaspillée, aux embarcations qu'il
convient ou ne com'ient pas d'expédier
pour le service des uns et des autres.
'
Et malgré tous ses soins, et quoiqu'il
ait parcouru le navire trois ou quatre
fois dans la matinée, du haut en bas
et de long en large, il aura encore, le
moment de l'inspection venu, à affron-

FIG. i35. — de vaisseau à l'inspection.


le regard
ter sévère du commandant
Capitaine

qui, de son doigt ganté de blanc, ra-


mènera d'un coin obscur où s'enchevêtrent les poutres d'acier, quelques grains de
poussière ou quelque chiffon à fourbissage malencontreusement oublié.

Après ces temps d'épreuve, et après un commandement qui lui remonte le moral, le
Mais il faut à
capitaine de frégate est apte à faire un capitaine de vaisseau (colonel).
ce tournant décisif de sa carrière qu'il ail bon vent en poupe.
Il n'est en effet plus ici question d'anciennelé, et le choix seul, basé sur ses notes,
de ses chefs, et aussi la chance d'avoir dans la Commission de classe-
l'appréciation
ment quelques amiraux qui auront pu apprécier sa manière de servir, lui permettront
de franchir l'étape redoutable.
Aux capitaines de A'aisseau sont réservés les commandements des grosses unités
et aussi de quelques nombre de
divisions navales lointaines, composées d'un certain
bâtiments. Mais ces dernières aubaines sont rares et très recherchées ; la plupart
IQO LE PERSONNEL, LA VIE A BORD

des capitaines de vaisseau ne quittent guère les mers d'Europe où ils commandent
les cuirassés de nos escadres.
Si la chance, les circonstances favorables, ont permis au capitaine de vaisseau
d'exercer trois années le commandement d'une unité ou d'une division na-
pendant
vale, si surtout il a déployé dans cette situation, comme aussi tout au long de sa

carrière, les qualités que


doit posséder un grand
chef maritime, si enfin
il arrive à remplir toutes
ces conditions sans tou-
cher à l'âge fatidique
où la retraite s'impose,
notre heureux officier
verra peut-être deux
étoiles d'argent rempla-
cer les cinq galons d'or
sur les manches de sa

redingote et l'annuaire
de la marine le ranger

parmi nos trente contre-


amiraux. Il est désor-
mais officier
général.
Dans ce grade, envié
de tous, atteint par un
si petit nombre, l'offi-
cier de marine exerce
le commandement ré-

gulier des divisions na-


vales lointaines, d'ail-
leurs de moins en moins
nombreuses, et surtout
celui des divisions d'es-

Fin. 136. La cérémonie des couleurs à bord. cadres, dans lesquelles
il réunit sous son auto-
rité un groupe de trois unités. Celui de ces trois bâtiments à bord duquel il est em-

barqué porte en tête de son mât d'arrière un pavillon tricolore qui constitue ce qu'on

appelle la marque de l'amiral. Deux étoiles blanches sont imprimées dans le bleu de
ce paA'illon.
Ausujet du mot pavillon une explication aura peut-être ici son utilité. L'emblème
national est toujours désigné, chez nos marins, sous le nom de pavillon. On n'en-
tendra jamais à bord de nos navires parler de drapeau ou d'étendards, appellations
qui sont cependant les seules admises pour les emblèmes de nos régiments.
Le pavillon, que l'on désigne aussi sous le nom de couleurs est
quelquefois
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD
I91

à bord, comme il convient, l'objet d'un culte religieux. Tout ce qui se rapporte
à ses mouvements devient une sorte de cérémonie. Pendant la journée, il doit flotter
au mât spécial placé tout à fait à l'arrière de nos navires ; le règlement prescrit de
le rentrer au coucher du soleil et de le hisser à huit heures du matin. Ces deux
mouvements s'exécutent avec une solennité
singulièrementimpressionnante. Lorsque
l'officier de quart voit approcher l'heure prescrite, il commande « Attention pour
les couleurs ! » puis « Envoyez ! » A cet ordre, les deux factionnaires des coupées

déchargent en l'air leurs fusils, les tambours et clairons réunis à l'arrière sonnent
et battent « Au Drapeau », le peloton des fusiliers de garde rend les honneurs. Toutes
les personnes qui se trouvent sur le pont
font face à l'arrière et se découvrent. Et

pendant ce temps, le glorieux emblème


monte lentement dans l'azur du ciel, ou
descend dans le crépuscule commençant.
Nos marins, qui deux fois par jour
participent à cette cérémonie si grande
dans sa simplicité, éprouvent pour ce qui
constitue le signe de la Patrie un senti-
ment hautement respectueux. Ils ne peu-
vent supporter de voir son étamine déchi-
rée par le vent, et il leur est pénible de ne

pouvoir le soustraire au contact de la fumée

qui le salit. Aussi est-ce pour eux un spec-


tacle cruellement humiliant que de voir
quelquefois flotter sur les établissements

publics du pays, sur les palais qu'habitent


FIG. 13^.
— Le pavillon national, comme on le voit nos représentants, nos ministres, voire
trop
souvent sur nos monuments publics. même sur celui du chef de l'Etat, de véri-
tables loques, déchiquetées, souvent même privées d'une ou deux de leurs trois cou-
leurs. Ces chiffons salis, usés, hissés une fois pour toutes, pendent lamentablement
sur des drisses qui ne sont généralement le drapeau
pas à bloc, et ainsi mis en berne,
semble porter le deuil de sa propre dignité !
il est bien évident dans cette de
Certes, qu'il n'y a aucune préméditation façon
la
traiter le pavillon national. Les temps sont encore lointains, quoi qu'on en dise, où
France cessera d'honorer l'emblème s'est donné et dont les couleurs ont glo-
qu'elle
rieusement flotté dans le monde entier.
Le contre-amiral commande une fraction importante de l'escadre ; en temps ordi-
naire, la division exécute les ordres de l'amiral commandant en chef; mais il est bien
certain le contre-amiral et
qu'au après une période
combat, plus ou moins longue,
le groupe commande devront au mieux, et en se guidant seule-
qu'il agir isolément,
alors des plus
ment sur le plan général combiné pour l'action. Son rôle deviendra

importants.
L'issue du combat, et peut-être le salut du pays, quelquefois des déci-
dépendra
LÉ PERSONNEL, LÀ VIE A BORD
tg'2

sions que le contre-amiral-devra prendre, delà, vigueur avec laqu ell3.ilconduira sa


division en bonne place. On A'oit donc combien il importe de ne donner les étoiles

qui entraînent de pareilles responsabilités qu'à des chefs d'un


éprôuA'é. mérite
Ceci est encore plus A'rai pour le vice-amiral : au général de division) à
(assimilé
qui incombera le devoir des plus graA'es décisions, et entre les mains de: qui le sort
de la flotte est remis. Pour être sûr de posséder, le jour de la bataille A'enu, une
escadre prête à fournir le maximum de puissance, le commandant en .chef-aura dû,
pendant la paix, veiller à lui donner, par un soin detousles jours, l'entraînement
matériel, la confiance en ses forces
; l'imprégner de l'idée bien profonde qu'elle est à
la hauteur de toutes les tâches, en un mot la préparer constamment aux luttes qu'elle

pourra avoir à affronter demain '.


Non moins strictement, il deA'ra encore s'assurer que les approvisionnements de ses
naA'ires sont toujours tenus au complet, que ni les projectiles ni les gargousses ne

manquent dans les soutes, et qu'en un mot tout le matériel est prêt à répondre à
l'entraînement du personnel.
En plus des commandements d'escadres,
généralement au nombre de deux ou

trois, les A'ice-amiraux occupent les importantes fonctions de préfets maritimes dans
les cinq villes où sont installés les arsenaux, celles .d'Inspecteurs généraux des diffé-
rents services de la flotte, et siègent aux grands Comités ou Commissions du Minis-
tère.
Il n'y a pas dans la marine de
grade supérieur à celui de vice-amiral. Celui
d'amiral qui correspondait au grade de maréchal
dans l'armée de terre a été sup-

primé en même temps que ce dernier, par raison d'économie vraisemblablement.


Il n'est pas très certain cependant que la politique n'ait pas une part de responsa-
bihté dans celte mesure. I
Les cadres des officiers de A'aisseau de la marine française sont fixés par la loi
comme suit:

10 vice-amiraux aA'ec retraite obligatoire à 65 ans:


3o contre-amiraux — 62
125 capitaines de vaisseau — 60
2i5capitaines de frégate —- 58
'
754 lieutenants de A'aisseau . — 53
x
420 enseignes de A'aisseau — ! $2
'
aspirants en nombre variable. . i

A côté du corps des officiers de vaisseau Q s'en un certain nombre


groupent
d'autres qui assurent le fonctionnement des divers serA'ices accessoires. Ce sont
d'abord les officiers mécaniciens, chargés des machines, et dontle rôle a pris une

importance considérable aA'ec l'accroissement si : rapide en ces dernières années de


la puissance des appareils moteurs.:

L'Etat-Major de tout grand bâtiment plusieurs officiers mécaniciens qui


compté

(*) Nous avons maintenu l'appellation officiers de vaisseau pour désigner le corps des officiers. 1susceptibles de
commander un bâtiment de guerre, parce qu'elle est d'usage courant. la loi organique de la marine
Cependant
les désigne sous le nom d'officiers de marine, les autres sont officiers de la marine. S
SAUVAIRE J0URDAN PL. IV.

Pour hâter la disponibilité de leur navire, les officiers n'hésitent pas à participer à l'embarquement du charbon.
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD 103

font, à tour de rôle, le quart dans les machines tout comme les lieutenants ou en-

seignes de vaisseau sur la passerelle.


Les officiers du service de santé assurent le service médical à bord et dans les hôpi-
taux de la marine ; suivant l'importance numérique de l'équipage, on en embarque
un, deux ou même trois sur chaque bâtiment. Les médecins de la marine reçoivent
leur instruction dans des Écoles spé-
ciales établies dans les ports ; leur va-
leur professionnelle et leur dévouement
sont universellement reconnus et ap-

préciés. Longue est la liste de ceux qui


ont donné leur existence dans les épi-
démies dont nos colonies ont subi à

plusieurs reprises les effets dévastateurs


et dont les terribles ravages se sont
étendus à nos bâtiments détachés sur
des côtes malsaines. En
plus de leur
service journalier, les officiers du corps
de santé sont chargés à bord de tout
ce qui regarde, en temps de guerre, le

transport et l'évacuation des blessés.


Cette partie de leur tâche est particu-
lièrement importante et sa préparation
excite vivement leur émulation. Des
études faites à ce sujet ont amené la
création d'installations hygiéniques
raisonnées et d!un ingénieux matériel

qui permettra d'amener les blessés, à


travers ce dédale de cloisons et de com-

partiments étanches, jusqu'aux postes


disposés à l'abri de la cuirasse, en leur
évitant le plus possible des souffrances
FIG. I38. —Vice-amiral commandant en cbef une escadre.
que comporte inévitablement un pareil
voyage.
La gestion administrative des arsenaux et des bâtiments, qui n'est pas une petite
affaire, est confiée aux officiers du Commissariat de la marine, qui remplissent au
mieux ces délicates fonctions. Tout bâtiment d'une certaine importance compte
un commissaire dans sou État-Major. A bord des petites unités, contre-torpilleurs
et au-dessous, l'administration est entre les mains du commandant, qui est alors
commandant comptable.
Les officiers du Commissariat se recrutent grâce à une Ecole installée à Lorient.

Quoique portant l'épée, les commissaires travaillent plus souvent de la plume. Il


est cependant une occasion où ils jouent un rôle militaire actif. C'est pendant le
branlebas de combat, où le règlement leur assigne la tâche importante de surveiller
SAUVAIRE JOUKDAN. I3
Iû4 LE PERSONNEL, LA A'IE A BORD

le transport des munitions d'artillerie. En dehors de ces heures où ils ont à faire
oeuvre belliqueuse, leur temps est occupé à tenir les comptes individuels des officiers
et matelots et ceux des naA'ires, à surveiller les approvisionnements, les vivres, enfin
à toucher et à distribuer la solde, service qui leur A'aut une popularité de bon aloi.
Un certain nombre d'officiers du Commissariat forment un corps spécial qui, sous
le nom d'administrateurs de l'Inscription maritime, résident dans les quartiers répar-
tis sur nos côtes et A'eillent au bon fonctionnement des antiques rouages de. cette
institution qui fournit à notre flotte
une partie considérable de ses équipages.
Un des organismes très importants de notre marine est constitué par le corps très
saA'ant et très estimé à qui est confié le soin d'établir les plans de nos naA'ires, d'en

diriger la construction, puis de les entretenir en bon état pendant toute leur car-
rière. C'est le corps du génie maritime, dont les membres sont souvent appelés aussi

ingénieurs des Constructions naA'ales, dénomination non officielle. Dans sa presque


unanimité, ce corps se recrute parmi les élèves de l'École polytechnique qui appren-
nent ensuite dans une École d'application spéciale les particularités de l'art qu'ils
auront à exercer.
D'autres élèves de l'École
polytechnique, en moins grand nombre, passent égale-
ment au serA'ice de la marine avec le titre d'ingénieurs hydrographes. Ils sont char-
gés de releA'er un peu partout sur les mers du globe, les éléments nombreux et variés
qui permettent de dresser ensuite ces admirables cartes marines sur lesquelles les
navigateurs tracent et surveillent leur route. Le genre de travaux
ils auxquels
ont à se livrer pour les levers des plans, et j>articulièremént les; sondages, sont extrê-
mement ardus et fatigants, parce qu'ils s'accomplissent le plus souvent sous des
cieux malsains et torrides. Aussi le métier «de l'ingénieur hydrographe, auquel
collaborent d'ailleurs le plus souvent les officiers de A'aisseau, exige-t-il de ceux qui

s'y livrent une énergie et un dévouement inlassables ; il n'est que trop juste de rendre
à ces officiers un hommage mérité.
On a créé il y a quelques années un corps spécialement chargé de contrôler les
actes administratifs des officiers et fonctionnaires de la marine. Les contrôleurs de
la marine se recrutent parmi les commissaires et les officiers de vaisseau au moyen
d'un examen Chargés de missions
spécial. ou attachés aux arsenaux, ils s'assurent

que les lois et règlements si nombreux et si A'ariés qui régissent l'administration des
choses navales sont strictement et correctement appliqués, et signalent directement
au ministre les infractions
ou les abus qu'ils ont relevés.
Inutile de dire que ces fonctions, quelque peu inquisitoriales et vexatoires, ont valu
au Contrôle pris en corps une assez médiocre popularité.
On trouve encore dans notre organisation maritime deux groupements formés
d'officiers temporairement détachés au serA'ice de la marine.
C'est d'abord, ou plutôt c'était, le corps important de l'artillerie, mrvale, composé
d'officiers de l'armée coloniale qui, pendant un laps de temps plus ou moins long,
travaillaient pour le compte du ministère de la Marine, dont ils ne dépendaient pas
d'ailleurs au point de vue de l'avancement, et lui confectionnaient les canons et les

projectiles dont il a besoin. On a trouA'é qu'un pareil système avait de graves incon-
LÉ PERSONNEL, LA A'IÈ' A BORD ig5

yénients. Les officiers détachés à ce service dans des conditions peu favorables à leur
carrière y séjournaient le moins possible, et l'artillerie navale ne s'en trouvait pas
pour le mieux.
On a porté remède à cette situation en créant un corps nouA'eau, celui des ingé-
nieurs d'artillerie naA'ale, dont les membres, proA'enant du personnel des officiers de
vaisseau, du génie maritime et de l'artillerie coloniale, auront la charge permanente
et définitiA'e de ce matériel si important.
Les constructions diverses que la Marine
possède un peu partout, principalement
dans les ports, sont conçues et édifiées par les soins d'ingénieurs des Ponts et Chaus-
sées, mis également pour un temps à la disposition du ministère de la marine et qui
forment le serA'ice des travaux hydrauliques.
Enfin, par une disposition assez bizarre, ces mêmes ingénieurs des Ponts et Chaus-
sées sont chargés chez nous des importants tervaux de balisage des côtes et des

ports, et du non moins important serA'ice de l'éclairage, c'est-à-dire des phares: Il


semblerait à première vue que des marins seraient plus en situation que qui que ce
soit de A'eiller au bon fonctionnement
de serA'ices qui intéressent si directement la

technique même de la naA'igation ; les autres nations maritimes en ont du reste jugé
ainsi. Napoléon Ier, à qui nous devons cette disposition, a été d'un aA'is contraire. On
sait d'ailleurs que ce grand homme nourrissait contre les marins des préventions

injustifiées.
Les officiers des corps auxiliaires portent le même uniforme que les officiers de
vaisseau, différencié seulement par un parement de couleur placé sur la manche de
la redingote. Ce parement est A'ioletpour les mécaniciens, rouge pour les médecins,
noir pour les ingénieurs, loutre pour les commissaires (').

Les officiers de marine et tous les marins mènent à bord des naA'ires une existence

qui, par certains côtés, rappelle un peu la vie monastique. On y retrouve en effet,
l'existence en commun, la règle sous forme d'une discipline séA'ère, et jusqu'à la
cellule, car on peut, sans être taxé d'exagération, appliquer ce nom aux étroites
chambrettes qui constituent le home d'un officier embarqué ; elles sont si exiguës sur
certains petits navires que l'on n'y peut passer les jambes de son pantalon sans
laisser la porte ouverte.

Chaque officier possède à bord sa cabine, meublée par l'État, au moins pour ce

qui concerne les objets indispensables. Tout le mobilier, lit, armoire, toilette, etc.,
est d'ailleurs très suffisamment confortable, quoique fait d'une matière qui se prête
assez peu à l'élégance. Pour éAdter, là comme ailleurs, que les projectiles ennemis
n'allument des incendies, on n'y emploie en effet que la tôle d'acier, recouverte
d'une couche de peinture couleur bois destinée à donner satisfaction à l'oeil.
Quant au reste, chacun est libre de compléter son mobilier et d'orner Sa chambre
comme il l'entend. Les goûts les plus diA'ers se donnent en cette matière libre car-

( 1) Par une mesure remontant à quelques années, le port de l'épaulette a été concédé à tous les officiers de la
marine. D. était réservé jusqu'à ce moment aux officiers de vaisseau ; ceux des autres corps portaient des patteB

d'épaulcltes.
IQ6 LE PERSONNEL, LA VIE A BORD

rière, et si la chambre de tel lieutenant de vaisseau, ancien, revenu des frivolités


déjà
de ce monde et atteint
de la frégalite aiguë ('), d'une cellule de
présente l'aspect
moine, telle autre où loge un jeune et fringant enseigne de vaisseau, tendue d'étoffes

soyeuses, agrémentée de quelques gravures et de chers souvenirs, évoquera plutôt


l'idée d'un boudoir parfumé, jusqu'au jour tout au moins où quelque lame traîtresse,

grimpant aux flancs du navire


et passant par le hublot laissé ouvert,
imprudemment
inondera la cabine, éclaboussera les tentures et noiera les souvenirs enrubannés.
En plus de leur chambre, les officiers d'une
disposent pièce commune, générale-
ment assez vaste, où ils prennent leurs repas. C'est le carré, dont la dénomination
ne se rapporte nullement
à la forme de cette pièce,
assez souvent placée à l'ar-
rière et épousan t les formes
du bâtiment. On l'appelait
autrefois la grand'chambre.
La table des officiers est

gérée par chacun d'eux à


tour de rôle. La caisse
en est alimentée par une
allocation quotidienne de
2 fr. 60 par tête. La somme

produite par l'ensemble de


ces frais de table est re-
mise chaque mois au chef
de gamelle, qui l'admi-
nistre au mieux de l'intérêt

général et en est responsa-


FIG. 139. — Chambre d'officier à bord d'un bâtiment de guerre.
ble devant ses camarades.
n'est aisée. D'aucuns s'en tirent sans
Cette gestion pas toujours cependant trop de
douleur, en laissant au cuisinier et au maître d'hôtel la bride sur le cou et en fermant
les oreilles aux réclamations de leurs administrés. C'est alors
le régime
soigneusement
bien connu de l'anse du panier auquel succède rapidement celui du cap Fayot, ainsi
nommé dans l'alimentation
parce que ce farineux, fourni par la ration, arrive à jouer
du carré un rôle bien vite excessif.
D'autres, plus consciencieux, apportent tous leurs soins à la tâche qui leur est con-
fiée. Ils se font présenter les menus, veillent à la dépense, font acte de maître de
maison. S'ils n'ont pas à faire à des estomacs trop délabrés par les curries et les

piments des pays chauds, ils recueillent quelquefois des éloges... Quelquefois aussi
ils doivent se contenter de la satisfaction du devoir accompli !...
En dehors de leurs heures de service, ou tours de quart, qui reviennent assez

(îenre de maladie essentiellement maritime dont le microbe aux officiers attendent


(') s'attaque spécialement qui
sans patience leur promotion au grade supérieur.
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD
197

fréquemment, et des exercices de toute nature qu'ils ont l'obligation de diriger, les
officiers sont libres de leur temps. Ils peuvent l'employer en promenades à terre

pour lesquelles une embarcation dite canot-major est mise à leur disposition à des
heures régulières, ou bien ils se livrent à des travaux, à des études choisies suivant
le goût de chacun. Il n'y a pas très longtemps encore, à l'époque des longues

navigations à la voile qui ne comportaient que peu de relâches et peu d'exercices,


nombre d'officiers pratiquaient l'art delà tapisserie, et y devenaient fort experts. Ces

temps ne sont plus ; la complication constante du matériel entraîne, pour l'offi-


cier qui a le souci de sa responsabilité et le sentiment de son devoir, une attention,
une surveillance de tous
les instants. En outre,
une partie du temps est

prise encore par la ré-


daction de notes, de

rapports, demandés à
tous propos par les États-

Majors, le Ministère, et
en réalité les moments
de réels loisirs sont ra-
res.
Il est aisé de conce-
voir combien ce contact

perpétuel de gens qui

FIG. i4o. — Le carré des officiers. peuvent fort bien n'avoir


pas les mêmes goûts, la
même tournure d'esprit, le même caractère, est susceptible à la longue d'amener des
froissements, des rivalités, voire même des inimitiés, et finalement de rendre la vie
commune intolérable.
Certes, le cas se produit, la nature humaine est telle qu'il ne saurait en être autre-
ment, mais on peut affirmer reste à l'état d'exception. L'unité
qu'il d'origine, pro-
venant du fait que tous les officiers sortaient de l'unique École navale, donnait

jusqu'à ces derniers temps à l'ensemble du corps une sorte de façon d'être, de sentir,
des habitudes de vie qui ressemblaient assez à celles d'une grande famille, où l'édu-
cation des enfants est semblable, et où de bonne heure les frères s'habituent à leurs
travers réciproques. Depuis quelques années, celte unité d'origine a été quelque peu
rompue par l'introduction dans les Etats-Majors, en plus grand nombre qu'autrefois,
d'officiers sortant des rangs. Mais cette minorité finit par s'amalgamer au reste et le
ton général de la vie au carré n'en a pas été trop sensiblement modifié.
A l'étage supérieur à celui où se réunissent les officiers, séparé d'eux par un sim-
ple pont au travers duquel il peut entendre parfois les vives critiques ou même les

éloges dont sont l'objet, entre la poire et le fromage, sa dernière manoeuvre ou son
ordre le plus récent, le commandant du bâtiment vit seul ou à peu près.
Il dispose d'un appartement ou moins vaste, suivant les dimensions
complet, plus
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD
i98

du navire, mais toujours installé avec le confortable relatif convenant à l'engin essen-
tiellement militaire qui le porte. On tient compte aussi, dans cette installation, du
côté représentatif auquel est tenu, par profession, le commandant d'un navire de

guerre français.
Aux heures des repas, le commandant voit arriver son second, si c'est un capi-
taine de frégate ; les règlements maritimes veulent que la vie intime des officiers

supérieurs ne soit pas mêlée à celle des officiers subalternes, et le second, ne pou-
vant avoir une table à lui tout seul, est de droit admis à celle du commandant, qui se
voit ainsi soustrait, deux
fois par jour, à la soli-
tude majestueuse à la-

quelle le condamnent ses


hautes fonctions.

Quand il s'agit de cui-


rassés d'escadre à bord

desquels sont embarqués


un mécanicien et un mé-
decin en chef, officiers

supérieurs, ces officiers


forment avec le second et

quelquefois aussi avec le


lieutenant de vaisseau
senior, c'est-à-dire ayant
plus de quatorze ans de

grade, un carré et une


table spéciale.
FIG. iil. — Salon du commandant.
Le capitaine de vais-

seau commandant a dans ce cas comme seule ressource, s'il veut échanger avec un
à
être humain quelques paroles qui ne se rapportent pas trop au service, d'inviter
ou à dîner quelques-uns de ses officiers. C'est d'ailleurs, une sortede règle
déjeuner
fidèlement suivie la plupart des commandants et qui répond parfaitement aux
par
traditions de déférenteet courtoise camaraderie qui règlent la plupart du temps les
relations entre chefs et subordonnés dans notre marine de guerre.
A bord des bâtiments qui portent un amiral, c'est cet officier général qui reçoit
officiellement à sa table son commandant, pour lequel d'ailleurs il lui est alloué des
frais de table
supplémentaires, et son chef d'État-Major.
Les autres officiers de l'État-Major particulier sont répartis, suivant leurs grades,
au carré des officiers ou à celui des officiers supérieurs.

LES EQUIPAGES. LA VIE A BORD

Le grand réservoir où la Marine puise les matelots nécessaires à l'armement de


LE PERSONNEL, LA VIE A BORD igQ

nos bâtiments est une vieille et célèbre institution par Colbert et qui s'ap-
imaginée
pelle l'Inscription maritime.
Gréée pour remplacer le vexatoire système de la presse, elle a subi, au cours
des ans, de nombreuses modifications, mais son esprit n'a pas changé, et cette lon-

gévité démontre péremptoirement son excellence. Voici en quelques mots son mé-
canisme actuel.
Tout Français exerçant les professions maritimes : navigation, cabotage, bornage,
affecté pour l'accomplissement de
pêche, etc., est inscrit maritime et obligatoirement
son service militaire à l'armée de mer.
maritimes.
présent en France à vingt ans estenrôlé parle soin des autorités
L'inscrit
Quand il est absent, par suite d'une navigation qui peut l'avoir emmené à l'autre
bout du monde, il n'est tenu de se présenter qu'à son retour en France.
La période de service actif due par l'inscrit est au maximum de cinq années qui,
en pratique, se réduisent à quarante-six mois. Mais les nécessités des armements
C'est ainsi que pendant la dernière de
peuvent faire A'arier cette.durée. campagne
Chine la durée d'activité est montée à cinquante-six mois et a ainsi presque atteint
le niaximum. -

Son serA'ice d'activité terminé,T'inscrit maritime n'est pas quitte envers l'État.
Pendant deux années encore, il peut être rappelé sous le paA'illon par simple décision
ministérielle; il est ensuite versé dans la réserA'e de l'armée de mer jusqu'à cin-

quante ans.
En somme, le régime militaire découlant de l'Inscription maritime se sépare du

régime normal du recrutement auquel sont soumis tous les Français sur quatre points :
i° Il n'y a pas de date d'appel du contingent, Les marins sont levés « individuel-
lement » dès qu'ils ont vingt ans.
2° La durée d'activité n'est pas de deux ans, elle peut être de cinq ans. En fait,
elle est à peu près de quatre ans.
3° Après salibération, l'inscrit est encore, pendant deux ans, rappelable par décision
du ministre. Un décret est nécessaire pour mobiliser les hommes de la réserve.
4° Les inscrits maritimes sont assujettis à la mobilisation jusqu'à cinquante ans, les
autres Français
jusqu'à quarante-cinq.
Les charges réelles que l'Inscription maritime peut faire peser sur nos marins
sont, il faut se hâter de le dire, compensées par des avantages très sérieux.
Le plus apprécié consiste en une pension qui leur est A'ersée à cinquante ans et après

vingt-cinq années de navigation (') et qui leur enlève les soucis de la vie matérielle
pour leur vieillesse.' Contrairement encore à ce qui se produit pour tout Français se
livrant au négoce, les inscrits sont exempts de l'impôt appelé patente pour la vente des
de leur pêche. Des concessions gratuites sur le domaine public leur sont
produits
facilement accordées et leur permettent d'établir leurs industries à peu de frais;
enfin, les lois sévères qui prohibent l'embarquement des étrangers sur les navires

à 720fr (loi du 1.4 juillet 1908). De plusy le service à


."(*') Le taux de cette pension varie de 36ofr (minimum)
l'Etat au delà de trente-six mois et dans là limite de soixante mois donne droit à un supplément de pension
de 4fr pour chaque mois'de services accomplis.
2O0 LE PERSONNEL, LA VIE A BORD

le pavillon français, leur assurent en fait le monopole du métier de matelot.


portant
la vieille s'est
Très décriée par les uns, trop prônée par les autres, Inscription
maintenue jusqu'à nos jours, à peu près telle que
l'avait imaginée le plus ancien et non le moins
de nos ministres de la Marine. C'est
marquant
assez dire combien elle était admirable.
Mais il faut reconnaître qu'elle ne s'adapte plus
très exactement au mécanisme de la vie moderne
et qu'elle ne saurait encore bien longtemps échap-
à la ruine, du moins à des remanie-
per, sinon
ments sérieux.
Elle n'est plus déjà d'ailleurs la seule source
du recrutement maritime. Les engagements vo-
lontaires amènent à la flotte un contingent impor-
tant de jeunes gens, principalement de ces
ouvriers mécaniciens et autres dont elle a actuel-
lement si grand besoin.
un
Les jeunes marins arrivant au service sont,
FIG. lia. — Matelot en permission (tenue après quelques mois d'apprentissage, répartis
d'hiver).
dans les diverses Écoles où ils deviennent des ma-
telots des spécialités : gabiers, torpilleurs, canonniers, fusiliers. On choisit natu-
rellement les sujets les plus aptes à recevoir
l'instruction assez technique que comportent les
fonctions attachées à ces titres. Le reste, qui n'en
est souvent pas plus mauvais pour cela, demeure
sans affectation spéciale, et entre aussitôt au ser-
vice courant sous l'appellation de matelots sans

spécialité.
Les besoins de la marine moderne cadrent
très mal avec le service réduit que la loi exige
actuellement des jeunes Français. Si on peut,
à la rigueur, former un jeune soldat et le dresser
au métier militaire en deux années, il n'en est

plus de même lorsqu'il s'agit d'apprendre à des

jeunes gens bretons ou autres, intelligents et


bien disposés certes, mais peu préparés aux
études scientifiques ou mécaniques, la théorie et
la pratique du métier de torpilleur, d'électricien,
ou même de canonnier. Le régime de l'Inscrip- FIG. lû'6. — Matelot (tenue d'été).

tion permet à la Marine, comme nous venons


de le voir, de prolonger le séjour de ses matelots sous le pavillon national par une
équitable compensation des avantages considérables qu'elle leur octroie.
Mais il n'en est pas moins certain qu'une trop importante partie du temps pen-
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD 201

dant lequel elle les garde au service se passe à leur donner une instruction techni-
et qu'elle est obligée de les renvoyer dans leurs foyers, alors
que nécessaire,
une bonne pratique, ils sont devenus
qu'ayant joint à leurs connaissances techniques
~
d'excellents sénateurs.
Par ailleurs, la difficulté avec laquelle la Marine se trouve ainsi aux prises, pour
assurer le bon recrutement de son personnel, ne fera que croître, en raison de la

complication toujours plus grande du matériel, et il faudra bien un jour ou l'autre


résoudre le problème à fond. On s'en préoccupe du reste et des projets dans ce sens
sont à l'étude.
Pour le moment encore, on se borne à laisser les matelots désignés pour les diverses
spécialités s'imprégner, dans chacune
des Écoles, de la science que leur versent à'
flots trop pressés des officiers et des sous-officiers instructeurs zélés et consciencieux.
Des examens terminent ces périodes, à l'issue desquelles on délivre le fameux brevet,
dont la possession comporte, outre une certaine réputation de savant, un petit com-

plément de solde qui n'est peut-êtrepas moins goûté.

À bord, en dehors du service


général auquel tout le monde contribue, les mate-
lots brevetés s'occupent spécialement de ce qui fait l'objet de leur brevet. Sous la
haute direction, très effective cependant, de l'officier qui porte le même titre qu'eux,
sous celle aussi de l'admirable corps d'adjudants, généralement désignés sous le nom
de maîtres, dont chaque spécialité possède un titulaire à bord, les breA'etés s'occupent
d'entretenir, de mettre en .oeuvre, dé réparer le matériel dont ils ont la charge et de
le tenir toujours prêt à fonctionner pour le combat. De nombreux exercices sont à
cet effet prescrits le plus possible des
par le règlement et exécutés en se rapprochant
conditions du temps de guerre. C'est ainsi que les torpilles automobiles, dont

chaque cuirassé ou torpilleur porte un certain nombre, sont lancées périodiquement


du navire en marche contre un but remorqué lui-même par un torpilleur ('). De temps
eh temps même, ces lancements s'exécutent sur les coques d'autres bâtiments. Il faut
bien entendu dans ce cas des précautions
prendre pour éviter que la coque du navire-
but ne soit endommagée ou même percée par la pointe aiguë de la torpille. On rem-

place à cet effet toute la partie avant de la torpille, son cône de charge en acier, par un
autre cône, de poids égal et de forme exactement semblable, mais fait en métal malléable
et qui s'écrase contre l'obstacle. Ces exercices de lancement de torpilles avec cônes
de choc se pratiquent naturellement de nuit, tous les feux éteints et en se rapprochant
le plus possible des conditions du temps de guerre. L'exercice se passe en général
entre torpilleurs et cuirassés. Ces derniers sont mouillés ou circulent dans des parages

pas tropprofonds, defaçon à permettre le repêchage de la torpille qui, grâce à la malléa-


bilité de son cône d'écrasement, ne souffre en aucune façon du choc et continue à
flotter à moins d'accident. Un godet plein de phosphure de calcium est placé dans
un des compartiments de la torpille où l'eaupeut pénétrer. Dès que la torpille s'arrête,

(J) La charge de fulmi-coton est remplacée, dans ce cas, par de l'eau de mer, dont le poids est sensiblement

équivalent.
202 LE PERSONNEL, LA VIE A BORD

qu'elle flotte ou coule, le phosphure de calcium s'enflamme et permet de


qu'elle
repérer exactement l'endroit où elle se trouve et par conséquent de la ramasser ou de
la repêcher au moyen de scaphandriers.
Cet exercice est un des plus intéressants de ceux que pratique la marine. Il met

enjeu toutes les qualités de hardiesse, d'habileté des commandants et des équipages
de torpilleurs qui doivent, en grande vitesse et sans feux de route, manoeuvrer pour
se rapprocher cuirassé du sans être vus et venir lancer leur engin terrible à bonne

portée, sous la grêle des coups de canon heureusement non chargés qui les accueille

FIG. lliti. — Exercices de lancement de torpilles, la nuit, sous le feu des navires au mouillage.

inévitablement et sous la fulguration aveuglante des projecteurs. Malgré l'absence des


boulets, l'exercice n'est pas du reste sans présenter de dangers, car les abordages
entre torpilleurs manoeuvrant sans aucun feu sont toujours possibles et par le fait
assez fréquents.
Les tirs au canon ne le cèdent en rien en intérêt aux lancements de tor-

pilles. Ils tiennent d'ailleurs dans la vie maritime une place des plus impor-
tantes. Depuis quelques années surtout, on a pris toutes sortes de mesures

propres à élever à son maximum le rendement de l'artillerie à bord des bâti-


ments français. D'une part, l'instruction théorique et pratique des canonniers
et des pointeurs a été poussée autant qu'il est possible. D'autre part, de longues
et patientes études auxquelles sont attachés les noms de quelques-uns de nos
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD 10'à

plus brillants et savants officiers, ont abouti à la création d'uncorps de doctrine


sur l'utilisation de l'artillerie, la conduite du feu, l'emploi de tels ou tels projectiles, et
ont amené dans cet ordre d'idée des progrès extrêmement importants. Ces progrès
ont été réalisés grâce à un entraînement intensif, qui se manifeste principalement par
des tirs variés et nombreux auxquels tous les bâtiments sont astreints, en vertu de

règlements très précis, qu'ils soient isolés ou incorporés dans une force navale. Les
résultats de ces tirs, soigneusement vérifiés et notés, donnent lieu à des classements

auxquels sont attachés des prix et des récompenses de carrière. Celles-ci

FIG. I&5. — Escadre exécutant un tir au canon, en marche à grande vitesse.

s'adressent aussi bien aux matelots qu'aux officiers canonniers. L'émulation et le


sentiment du devoir accomplibien
produisent en cette matière des effets excellents.
Les écoles à feu comprennent toute une gamme d'exercices variés. La raison d'éco-
nomie intervenant, là comme partout, s'oppose à l'exécution trop souvent répétée de
tirs dans
lesquels on lancerait des projectiles de combat, mais on entretient l'instruc-
tion des canonniers et l'oeil des pointeurs au moyen de tirs réduits dans lesquels on
se sert de cartouches lançant de petites balles, grâce à l'introduction dans l'âme de
la pièce d'un tube en acier qui en diminue considérablement le diamètre.
Puis viennent les tirs d'exercices, dans lesquels on emploie des charges de poudre
un peu réduites et des obus en fonte d'un prix assez faible.
Enfin on exécute les grands tirs, à charges de combat, on fait à bord
pour lesquels
le grand branlebas,
20/| LE PERSONNEL, LA VIE A BORD

Comme pour la bataille, les navires s'avancent à grande vitesse vers le large où se
une silhouette de navire en toile montée sur une sorte de radeau. Ce radeau
profile
au bout d'une aussière suffisamment
est remorqué par un bâtiment léger de l'escadre
longue pour éviter tout accident. Successivement, chaque unité s'en approche à la
distance prescrite par les ordres de l'État-Major et commence le feu. Tantôt celui-ci
s'exécute par pièce, quand
il s'agit de vérifier l'habi-
leté des pointeurs, tantôt

par sections ou bordées

quand, se plaçant exac-


tement dans les conditions
du combat, l'amiral veut
se rendre compte de la

façon dont l'officier canon-


nier règle et conduit le feu
de son artillerie.
Le spectacle est, dans ce
dernier cas, des plus sai-
sissants. Le bâtiment cra-
che par ses cheminées

FIG. — Un des buts les tirs du canon. d'épaisses volutes de fu-


ia6. employés pour
mée noire ; son avant,
comme le soc d'une gigantesque et puissante charrue, soulève une masse d'eau qui
entoure ses flancs d'un ruban d'argent. Les longues gueules des canons se projettent
hors des tourelles ; leurs mouvements rapides, pour suivre le pointage sans cesse

changeant, leur donnent l'aspect de tentacules impressionnants ; leurs bouches cra-


chentà chaque instant,
dans un fracas de ton-
nerre, des jets de
flammes accompagnés
seulement d'une très

légère fumée.
Tout vibre à bord
sous la formidable

poussée des énormes FIG. 1&7. Schéma montrant comment on apprécie la valeur d'un
tir au canon. d'un et à droite.)
(Exemple coup trop long
pièces de 3ocm, sous
le choc des pièces mo-

yennes tirant par groupes. C est le moment des épreuves fatales pour tout ce qui peut
être brisé : les vitres qu'on n'a pas eu la de laisser battantes, la vaisselle
précaution
imprudemment oubliée dans les armoires, les objets légers accrochés aux cloisons
des chambres sortent rarement indemnes de cette aventure.
On ne fait point toute cette
dépense de poudre et de projectiles sans se rendre un

compte aussi exact que possible des effets qu'elle a produits. On a une première
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD 2o5

idée de la justesse du tir par l'inspection de la cible. Mais cette inspection ne peut
être effectuée que lorsque le feu a cessé et elle n'apprend rien de ce qu'il faut savoir,
c'est-à-dire des résultats
obtenus par tel ou tel ca-
nonnier, tel ou tel bâtiment.
On y supplée en plaçant
dans le voisinage du but, et
suivant son sillage lorsqu'il
est remorqué, un navire

léger, croiseur ou contre-

torpilleur, qui note soigneu-


sement (fig. 1^7), les points
de chute des projectiles, en
observant les belles gerbes
d'écume produisent,
qu'ils
et en appréciant leur dis-
tance au but dans le sens
de la portée. Des observa-
tions analogues sont prises
FIG. I^8. — La toilette matinale du cuirassé.
sur le bâtiment qui tire,

pour la direction. £,n rap-


ces observations on se rend un compte suffisamment exact de la valeur
prochant
du coup, s il s agit dune

pièce tirant isolément; on


note de même l'ensemble
des gerbes quand c'est toute
l'artillerie d'un navire qui
fait feu à la fois, et on déduit,

parle même procédé, la va-


leur moyenne de son tir.
Nous allons suivre main-
tenant pendant toute une

journée la vie du marin à


bord, en nous reportant à ce

qu'en a dit le Figaro illus-


tré, dans le beau numéro

qu'il a consacré spéciale-


ment à la marine de guerre.

Après avoir roulé son

FIG. 14g.
— Toilette do l'équipage. hamac et absorbé son quart
de café où la chaleur rem-

place peut-être trop souvent l'arôme, le matelot, appelé par une sonnerie de clairon
et les sifflets des maîtres, commence la toilette du navire. Autrefois, des flots d'eau
206 LE PERSONNEL, LA VIE A BORD

de mer ruisselaient sur les ponts en bois que des équipes munies de balais de bruyère
frottaient en cadence. Aujourd'hui, c'est avec des éponges, des fauberts ('), de l'eau
douce, que l'on lave les linoléums, les murailles d'acier, les cloisons de tôle, partout
substituées au bois.
Ceci fait, l'heure vient de la toilette personnelle. Les raffinements appréciés des
terriens sont totalement exclus de cette opération hygiénique. Une vaste baille joue
le rôle de cuvette commune à dix ou douze hommes, et le souci de la pudeur passe
après celui de ne pas plonger le dernier sa tête dans l'eau, parcimonieusement mesurée
d'ailleurs, qu'elle contient.
Voilà notre équipage lavé, habillé dans la tenue qu'a prescrite le matin même le

signal de l'amiral et

qui comporte, pour


l'hiver les vêtements
de laine recouverts de
la vareuse et du pan-
talon de toile, pour
l'été ces derniers seu-
lement.
Deux fois par se-
maine il y a lessive,
ou, pour parler plus
exactement, lavage du
car les appareils
linge,
perfectionnés au mo-

yen
desquels on pra-

tique à terre l'opéra-


tion ainsi dénommée

FIG. IÔO. — Le la\age du linge à bord. font défaut sur un bâ-


timent de guerre, et
c'est à la force du poignet que chemises, vareuses et tricots reprennent périodique-
ment leur couleur naturelle. Le savon est distribué aux matelots les soins de
par
l'administration du bord, à un prix très minime, qui est retenu sur la masse d'habil-
lement.
C'est dans cette du lavage que se donne libre carrière
opération l'instinct qui pro-
duit le débrouillage, propre au soldat en campagne et au marin en tout temps. Pen-
dant que le jeune blanc-bec, frais embarqué, s'évertuera à rincer sa figure ou son

linge dans la baille commune où il ne reste plus que quelques gouttes d'une eau
irréductiblement savonneuse, le roublard, le débrouillard, s'installe, à l'abri des
regards indiscrets, dans un recoin de tourelle, dans une huneassez haut perchée pour
n'y pas craindre les larrons. Là, il contemple avec une intime joie la l|elle eau claire,
sa propriété à lui tout seul, acquise par les moyens peut-être les moins légitimes et

Sorte de balai mou formé de bouts de filins effilochés, réunis une de leurs extrémités.
(') par
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD 207

contenue dans un joli seau en fer-blanc, autrefois réceptacle d'unegraisse américaine


quelconque, que ses prévenances ont obtenu du cuisinier des officiers ou du maître
d'hôtel de l'amiral.
Toute la lessiveau sec sur des cordages spéciaux,
est mise des cartahus, où le bon
vent du large a tôt fait de la sécher... à moins que la pluie ne la remouille.
Une inspection passée par les officiers réunit ensuite tous les marins sur le pont,

puis quelques exercices variés, ou l'entretien du matériel, occupent le temps jusqu'à


l'heure du déjeuner qui a lieu à onze heures.
Des bancs et des tables en bois, soigneusement briqués(l), s'accrochent en un instant
dans les parties du navire
disponibles et se
couvrent d'un très rudimentaire mais suffi-
sant couvert en fer-blanc, dont chaque
homme possède un exemplaire.
C'est l'heure du maître-coq 1 Un person-

nage important que ce serviteur dont toute


l'ambition au point de vue de l'avancement
ne peut aller plus loin que les galons de
laine du quartier-maître, mais qui n'en
tire pas moins une légitime fierté de ses
fonctions.

Voyez-le (s), trônant sur le rebord de la baille


aux pommes de terre à la porte de son labora-
toire. Il tient en manière de sceptre la longue
fourche que tout à l'heure il plongera dans ses
immenses marmites
pour y quérir les broches
d'endaubage, quand les gazouillis joyeux des
sifflets préluderont au dîner.
Il médite sur les graves problèmes de la cui-
sine parfaite et de la bonne justice distributive.

FIG. I5I. Le linge au sec sur les cartahus. Il faut, en effet, que le rata soit à point
pour les hommes de service dont le repas est
avancé de trois quarts d'heure, et il importe néanmoins qu il ne soit pas brûlé pour le reste
de l'équipage !
Et le coq tient à honneur que la soupe soit bonne. Il ne se passerait peut-être pas sa
fourche au travers du corps pour un retard du canot des vivres, mais il serait très mortifié
que l'officier de quart ait à réprimer une grimace en goûtant le potage que le règlement
l'oblige à se faire présenter avant le repas.

Certes, à bord, Lucullus ne s'invite pas tous les jours à souper, mais un maître
commis aux vivres débrouillard, stimulé par un commissaire attentif et secondé

par un maître-coq adroit, savent tirer un excellent parti de la ration, tant en nature

qu'en numéraire, .que l'État alloue à chaque matelot.

(') Blanchis à la brique.


DE VIELFAYOL, Petit Journal militaire, maritime et colonial.
( 2)
208 LE PERSONNEL, LA VIE A BORD

Et en vérité, de très grands progrès ont été accomplis depuis quelques années en
ce qui concerne la nourriture des marins. Outre que la bonne qualité des matières

FIG. i5a. — Toilette des armes d'un canon de 3ol-nl).


(écouvillonnage

premières, viande, pain, vin fournis par l'administration, est soigneusement vérifiée,
la délivrance de numéraire

permet d'introduire dans l'a-


limentation une variété très
favorable à une bonnehy-
giène. Grâce à ces innova-
tions, on voit souvent figu-
rer sur les tables du bord
des fruits et des douceurs.

Quelques économies facile-


ment pratiquées sur l'ordi-
naire permettent de célébrer
une sorte de festin les i
par
grands jours ou la fête du
navire. L'oie ou la dinde
traditionnelles égaient le
FIG. I53. — Le dans
repas l'entrepont. dîner de Noëll Quant au
lard salé rance, à l'antique

biscuit de mer, causes de scorbut et de dents cassées, ce ne sont plus aujourd'hui

que de lointains et vagues souvenirs.


A la mer, les repas se prennent C'est-à-dire moitié de l'équipage
par bordées. qu'une
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD
20g

déjeune ou dîne pendant que l'autre reste sur le pont, prêle à toutes manoeuvres utiles.
Puis, après un repos
prescrit par le règlement,
les exercices recommen-
cent. Ils occupent l'après-
midi de façon variée, et
sont naturellement cou-

pés par les pauses néces-


saires.
Deux fois par semaine

pendant deux heures, l'é-

quipage est envoyé aux


sacs. Il faut entendre par
là que chaque homme

peut aller prendre dans


les caissons où en temps
ordinaire ils sont ver-
rouillés, les sacs en toile
FIG. i5i. — L'heure du maître-coq (distribution des rations). qui constituent la malle
du marin. C'est un mo-
ment de grande liesse pour le matelot. Il le meta profit pour réparer ses effets, écrire

FIG. i55. — Le maitre-coq médite un menu. FIG. i56. — L'officier de quart la soupe.
goûte

à sa famille, et enfin revoir les humbles et attendrissants souvenirs du pays qu'il


tire religieusement de la petite boîte en bois blanc. ,
SAUVAIKE JOUKDAN. Ï4
2IO LE PERSONNEL, LA VIE A BORD

Le dimanche, l'officier de quart commande : « L'équipage aux sacs. Les jeux sont

permis ! » Il n en faudrait point


déduire que le navire de guerre
va se transformer immédiate-
ment en une sorte de casino.
Les jeux permis sont d'hon-
nêtes jeux de braves gens,
parmi lesquels le loto, un beau
loto fourni par le détail ('),
occupe la place d'honneur. Le
soin de sortir les petites boules
de bois du sac mystérieux est
confié à quelque vieux quartier-
maître, qui, à traAers une barbe
broussailleuse, accompagne de
facéties traditionnelles la pro-
clamation des numéros.
A bord des navires amiraux,
Fin. 157.

L'équipage aux sacs. la musique joue pendant une
heuredesairsdedanse,etunbal
viennent quelquefois se mêler quelques payses spécialement convo-
s'organise, auquel
quées.

FIG. I58. — Les jeux à bord (le loto).

par la vente
Le détail était une caisse alimentée de menues matières, résidus de la vie
(') cxtra-régtementaire
du et dans on corser un peu de
bord, laquelle puisait pour quelque peu les menus de l'équipage, ou lui donner
confortable. Cette caisse était administrée l'officier en second. récemment, le détails été remplacé
par Supprimé
une institution tout à fait mais revêtue du caractère officiel.
par analogue,
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD 211

Depuis quelques années, le goût des sports divers, qui a si heureusement rénové
les habitudes et les goûts de la jeunesse française, s'est étendu à la marine. Déjeunes
officiers ont obtenu d'arracher de loin en loin au tableau du service quelques heures

que l'on consacre au football et à d'autres jeux. Nos matelots ont pris grand goût à
ces sports qui les changent de la vie forcément un peu monotone du bord, et quel-

ques-unes des équipes de nos cuirassés se mettent en ligne dans des rencontres qui ne
sont pas pour elles sans gloire.
Pour épuiser la liste des joies offertes à nos marins, il faut citer encore les
séances théâtrales, dont les acteurs se
recrutent à bord bien entendu.

Après le souper, qui se prend à cinq


heures, les clairons et les tambours
« rappellent aux postes de combat ».
Ainsi le prescrit le règlement. Même
en pleine paix, il veut, très sagement,

qu'on soit toujours prêt contre une

surprise, et c'est pour lui obéir que le


commandant en second faitchaque
soir, une fois
de plus, le tour du na-
vire afin de s'assurer que tout homme
connaît son poste de bataille et que,
si besoin était, il saurait s'y rendre au

premier signal. De temps en temps,

l'appel aux postes d'incendie


remplace
celui aux postes de combat.
Ces précautions prises, on sonne le
FIG. 159.
— L'aumônier de jadis. branlebas. 11 n'est peut-être pas inutile
de signaler que ce vieux mot signifie
est temps de mettre 60s, de descendre des bastingages ou ils sont ranges, les
qu'il
branles qui ne sont autre chose que les hamacs !
A la sonnerie du branlebas, l'équipage se réunit à nouveau sur le pont, à l'ar-
rière.
Il n'y a pas longtemps encore, après l'appel terminé, l'officier de quart, se décou-

vrant, commandait la prière, que l'aumônier récitait devant les fronts nus.
L'aumônier, l'ami du matelot, le confident de bien des peines, le consola-
teur de tant de chagrins, l'aumônier s'en est allé, chassé du bord, et avec lui
la prière. Avec la grande majorité des marins, envoyons-lui notre salut et nos

regrets !
Puis le capitaine d'armes,
adjudant commis à l'ingrate besogne de la police, et en
cette qualité généralement chargé des analhèmes du peuple, donne lecture à haute
voix des punitions encourues dans la journée et qu'a réglées le commandant en

second, seul délégué à ce soin par le commandant.


2 1 2 LE PERSONNEL, LA AIE A BORU

Contrairement en effet à ce qui se passe dans l'armée, aucun gradé dans


la marine, fût-il offi-
cier, n'a le droit de pu-
nition directe. Et cette

disposition me paraît ex-


trêmement sage et judi-
cieuse.
Voicià ce sujet com-
mentleschoses se passent.
Tout gradé qui a relevé
une infraction et croit de-
voir la réprimer s'adresse
à l'officier de quart, qui
fait inscrire sur un cahier

spécial nommé cahier de

punitions, le nom de
l'homme fautif, celui du

gradé plaignant et le
motif pour lequel on de-
mande la punition. Ce

registre est présenté tous


les soirs au comman-
dant en second qui fixe
la punition, après en-

quête et comparution
des intéressés, et sui-
vant un tarif fixé par le
FIG. 160. — Branlebas de combat.
règlement.

Les punitions prévues sont :

POUR LES OFFICIERS-MARINIERS(Premiers maîtres, maîtres, seconds maîtres).

Consigne 8 jours au maximum.


Arrêts simples. . . . Sans interruption du service. ) Ces
punitions peuvent être por-
Arrêts de rigueur. . . Interruption du service ; un fac- I tées à 3o jours parle comman-
tionnaire est placé à la porte de ( dant; à 60 jours par le com-
la chambre ou du local. ) mandant en chef.

QUARTIERS-MAÎTRESET MARINS ET ASSIMILÉS.

Consigne Privation de 1 à 8 tours de permission.


Peloton de punition. . De 1 à 8 jours (2 h. par jour au maximum).
Police simple. . . . Suppression du hamac. Peloton. \
Police double. . . . Suppression du hamac. Peloton? 10 jours au maximum.
plus pénible et plus fréquent. )
LE PERSONNEL, LA VIE A RORD 21.S

Prison nominale. . . Sans interruption du service. In- \


carcération pendant la nuit.
Cespunitions peuvent être
Retenue de la solde.
r, sr ,. T . , . T portées
l à 3o jours par le
Prison effective.
M . . . Interruption du service. Incar-, , • « •
. r , , . 1 commandant; a oo jours par
ceratton permanente (saul i h. , , i <
, , , . „v ,' 1 le commandant en chet.
ou 2 h. de peloton). Ke tenue de
la solde. Privation de vin. /
La barre de justice, ou fers, est maintenue pour les cas de force majeure, en vue d'assurer, la
sécurité des hommes et du bâtiment.

Le branlebas se termine par la distribution des hamacs, ce roi des lits, si commode,
si pratique, si économique,
si propre (on le lave tous
les quinze jours), si peu en-
combrant (il se roule en
manière de saucisson et se

loge pour la journée dans


des caissons). Il est permis,
à ce sujet, de s'étonner que
le hamac avec toutes ses

qualités ne remplace pas


dans nos casernes l'odieux
châlit, avec sa paillasse et
ses punaises, malpropre,
malsain, malodorant et si
coûteux.
FIG. I6I. — Les hamacs.
Chaque soir, pendant le

séjour du navire en rade,


les permissionnaires, ayant subi la minutieuse inspection du capitaine d'armes, s'en-
tassent dans le canot qui les conduit au quai le plus voisin.
La mise à terre des permissionnaires sonne, pour nos ports de guerre, l'heure de la

plus pittoresque animation, qui ne va pas toujours, il faut le reconnaître, sans quel-

ques explosions de turbulence.


Les innombrables établissements reçoivent où l'on
une trop boit
nombreuse
clientèle, et ce ne sont pas toujours des gars aussi droits et portant aussi beau que
la veille qui, sous l'oeil goguenard des autorités, franchissent le lendemain, à
six heures, heure de la rentrée, la coupée du navire.
Pour ceux que le règlement a retenus à bord, la nuit s'est écoulée
pour deux tiers
dans le hamac, pour un tiers au quart. Ainsi est tissure le service de garde, qui ne
doit jamais chômer à bord d'un navire de guerre. La division de quart fournit les
factionnaires placés dans les diverses parties du bâtiment et les armements des em-
barcations de service.
A la mer en règle générale, une bordée, c'est-à-dire la moitié de 1 équipage, doit

toujours être sur le pont. Au temps où la manoeuvre des voiles exigeait une foule de
bras, celle disposition s'imposait.
2l/| LE PERSONNEL, LA VIE A BORD

n'est plus de mise aujourd'hui


Elle où le soin de faire avancer le navire est remis
aux mécaniciens et aux chauffeurs, et le service du pont se fait, en pratique, par tiers,
et tout matetota ses huit
heures de sommeil.
Il en est de même

pour la tribu des hommes


noirs, ceux des machines
et chaufferies qui, après
quatre heures de présence
à leurs postes, doivent

jouir de huit heures de

repos. Cependant, quand


tous les feux sont allu-
més et que l'on doit mar-
cher en donnant toute la

puissance des machines,


il est difficile de remplir
ce desideratum.
D'ailleurs, en raison
du travail particulière- FIG. 162. — L'inspeclion des permissionnaires.

ment pénible qu'ils ont


à fournir, le règlement alloue aux chauffeurs et mécaniciens, avec une solde plus
forte que celle de leurs ca-
marades du pont, une ration
de vivres plus considérable.
Ils ont aussi la faculté de

prendre leur hamac pen-


dant une partie de la jour-
née et de s'y reposer de
leur fatigant labeur.

Entré au service comme

apprenti marin, le matelot

passe par trois classes diffé-


renciées au point de vue de
la solde avant d'obtenir le
double galon de laine rouge
qui en fait un quartier-maî-
tre (assimilation au capo-
FIG. I 63. — Le jour de Dominique. Distribution de la solde le commissaire.
par
ral). Après un temps de
service plus ou moins long,

trop long généralement, il est nommé second maître, ce qui l'assimile au sergent.
Puis après de bons, longs et loyaux services, il échange la tenue du marin contre
LE PERSONNEL, LA VIE A BORD 2IO

la redingote et la casquette du premier maître, avec lesquelles ils devient l'égal des

adjudants de l'armée de terre.


Le corps des premiers maîtres, la maistrance suivant couramment
l'appellation

FIG. i&lt. — Un FIG. iG5. — Un second maître.


quartier-maître.

employée, est une des pierres angulaires de notre édifice naval. Il est composé de ser-
viteurs chez lesquels le sentiment du devoir prime
tout, qui jouissent à ce titre de la confiance de
leurs chefs, et remplissent à bord de nos navires
le rôle le plus important. On trouve, sur tout bâ-

timent, un premier maître placé spécialement à la


tète de chaque branche du service, torpilles, ca-
non, manoeuvre, etc. Le maître commis est

chargé des vivres ; le maître magasinier, de la


soute où se renferment les innombrables denrées
et matières d'un usage constant ; le maître char-

pentier-calfat s'occupe de la tenue des fonds et de


tout ce qui touche aux moyens de combattre l'in-
cendie, enfin le maître de mousqueterie ou capi-
taine d'armes remplit, comme je l'ai déjà dit, le
rôle peu envié du policeman.
Les maîtres ont, tout comme les officiers, cha-
cun leur chambre et un carré ou poste commun.
FIG. 166. — Un premier maître : le capitaine
d'armes. Ils ont également un cuisinier spécial, au moins
sur les bâtiments importants. Il en est de même

depuis quelques années pour les seconds maîtres, serviteurs très méritants et dé-
2l6 LE PERSONNEL, Ll Tffi A BORD.

\oués, dont on a enfin songé à adoucir un peu l'existence en leur donnant Un poste
où ils prennent leurs repas entre eux. Ils couchent dans desTianiacs.
Il existe à Brest une École où les marins gradés peuvent être -.envoyés,- après exa-
mens sérieux. Ils y suivent pendant deux années des cours analogues à ceux du
Borda, quoique d'un niveau moins élevé au point de vue scientifique. S'ils surmon-
tent les difficultés d'un second examen, ils sont alors promus élèAres-officiêrs et
sur le croiseur-école
prennent place dans la promotion d'aspirants embarqués
; puis, après un stage sur un cuirassé et un dernier examen, ils sont
d'application
promus enseignes de vaisseau. i.
C'est la porte par laquelle on peut dans la mariné passer des! rangé aux États--Ma-

jors. Les idées de démocratisation actuellement à la mode ont fait ouvrir largement
il y a quelques années. Les résultats produits n'ont pas démontré d?une
cette-porte
façon péremptoire qu'on ait eu raison.
CHAPITRE VI

LA NAVIGATION. — UN NAVIRE ISOLÉ

Les essais officiels du navire de guerre. — Avant de partir pour sa destination le navire Tegle ses compas. —.
Pourquoi cette opération est nécessaire. — Le magnétisme terrestre. —-
Usage du compas.
— Comment on
trouve sa route sur mer. — La loxodromie et la projection de Mercator. — Le quart. — dé
Responsabilité
l'officier — Les — Faire le — Mesure de la vitesse d'un navire. —
qui lé commandé. compensations. point.
Sillomètre et loch. •— Ce — La
qu'est un noeud marin, et d'où vient celte expression. point estimé et le
— La semaine-des
point observé.—Le sextant et les hauteurs d'astres.—Deux méridiens origines. deux
Jeudi. —-Lé chronomètre. Son usage en navigation. — Un
peu dé météorologie maritime. :—: Les vents.
— — — Courants. — Les
Typhons et cyclones. Pluies de sablé et de grenouilles. épaves de navires qu'ils
— Derelicls. — —• —
promènent. Dangers qu'ils font courir aux paquebots. Spectacles que présente là mer.
— La brume et ses méfaits. — Aurores boréales. — et poissons volants. — Le
Icebergs. Cétacés, marsouins
la Ligne. — Les — Un homme à la mer I— —- Sondeur Thom-
baptême.de grandes lames. L'atterrissage.
son. — L'odeur de la terré. — Phares, bouées et balises: -— Les signaux par cloches sèus-marines.

ESSAIS

Le naA'ire est ache\ré et armé. Avant de le mettre en service, il reste à procéder à


ses essais officiels, au cours les éléments
desquels divers qui lui donnent sa puissance
seront éprouvés où mesurés. Les canons tirent chacun une série de coups dans des

positions dé pointage extrêmes


éprouArer la solidité
pour des affûts et des ponts sous
les réactions les plusATiolentes qu'ils auront à supporter, les torpilles automobiles
sont lancées à plusieurs et le fonctionnement des tubes de lance-
reprises régulier
ment soigneusement vérifié. On mouille toutes les ancres pour constater que les
apparaux qui servent à cette opération ainsi que les ancres et chaînes elles-mêmes
sont en bon élat.
et c'est la partie
Enfin, la plus délicate de ces essais, les machines sont soumises
à des épreùA^es nombreuses et variées qui permettent de constater qu'elles répondent
exactement aux clauses et conditions des marchés passés pour leur fourniture, et

qu'elles donnent les résultats attendus au point de vue de la solidité, de la consom-


mation du combustible et de la vitesse.
A cet effet, on fait circuler le bâtiment à plusieurs reprises sur une base bien

repérée et dont la longueur est minutieusement mesurée. Il existe une ou plusieurs


de ces bases parfaitement rectilignes à proximité de tous nos grands ports de guerre.
On •chronomètre le temps exigé pour le parcours de la base et on en déduit la
vitesse correspondant à un certain nombre de reArolutions des hélices, et aussi la

puissance déAreloppée par les machines à celte allure. . ."


2l8 LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE

seront très utiles plus tard, lorsque le bâtiment


Ces éléments disposés en tableaux
sera incorporé dans une escadre et qu'il lui faudra, au signal de l'amiral, fournir une

vitesse donnée et conformer sa marche à celle de ses voisins.


Les essais de machines se terminent par une navigation d'assez longue durée pen-
dant on fait donner aux machines toute leur puissance afin de connaître la
laquelle
vitesse maximum sur laquelle on pourra C'est le moment critique de ces
compter.
celui où tous les éléments des machines et des chaudières travaillent au
épreuves,
et où peuvent se produire des
plus près de leur limite de résistance, par conséquent
avaries dans les pièces qui n'auraient pas la solidité voulue.
des machines, de
Ce sont donc des heures de vive émotion pour le constructeur
grande joie aussi quand
tout marche bien et que,
une fois l'épreuve termi-
née, il peut ajouter à la
noble satisfaction d'avoir
bien conçu et bien exécuté
une belle oeuvre,celle plus

prosaïque, mais non moins


méritée, de se voir attri-
buer la prime importante
que la Marine alloue pour

chaque dixième de noeud


fourni par les machines en
FIG. — Cuirassé mesurant sa vitesse sur une base.
167. sus de la vitesse stipulée
au contrat.

Enfin, tout s'est bien au cours de ces essais divers ! Le bâtiment finit
passé
ses trois, ou six cheminées, ce dernier chiffre n'ayant pas
d'expectorer par cinq
été dépassé le moment, les torrents de fumée qui démontrent que, pour
pour
la décisive les fourneaux ont fait une consommation de
épreuve, effrayante
charbon.
d'essai et
Tout le monde est content à bord ! L'amiral qui préside la Commission
une cor-
les membres de cette Commission parce qu'ils n'auront pas à recommencer
vée toujours le commandant du navire va enfin jouir des joies
ingrate, parce qu'il
intenses du avec, sous les pieds, un beau navire
commandement, qu'il sera fier de

montrer aux camarades et aux rivaux, l'équipage parce qu'il va être quitte pour
des appareillages et
quelque lemps des continuelles corvées de charbon, perpétuels
delà satisfaction sera octroyé,
que le quart de vin, manifestation habituelle générale,
l'on devine, qui vont
le constructeur du navire et des machines pour des raisons que
le libérer de tout souci.
du
Le préfet maritime lui-même est
d'apprendre, par la dépêche
fort satisfait
le plus voisin de la base, que le bâtiment a arboré le signal : Essais très
sémaphore
satisfaisants et qu'il fait route pour le port. Ce succès est une bonne note pour l'arse-
nal dont il a la direction suprême.
LA NAVIGATION. UN .NAVIRE ISOLE 2I9

RÉGULATION DBS COMPAS .

Avantde partir pour sa destination, lointaine ou rapprochée, il'.reste au navire à


prendre une mesure fort importante. Il doit régler ses compas.
C'était une opération tout à fait inconnue alors que le bois entrait seul dans la
construction des navires. La boussole, que les marins appellent compas, donnait alors
invariablement la direction du Nord magnétique, et il suffisait de reporter cette di-
rection, à droite ou à gauche, du nombre de degrés représentant la déclinaison du
lieu, pour connaître la direction du Nord vrai.
Il n'en est plus du tout ainsi depuis que le fer et l'acier ont remplacé le bois. Ces
métaux en effet sur raiguille
exercent aimantée une influence considérable, dont
il est absolument nécessaire de connaître la puissance.
La déviation que subit l'aiguille aimantée sous l'influence des masses de fer placées
dans son voisinage peut être corrigée en opposant aux forces magnétiques qui lafont
dévier dans un certain sens, d'autres
forces s'opposant aux premières.
C'est en ceci que consiste l'opération du réglage proprement dit. La théorie de la
déviation des compas et la pratique de leur réglage ont été l'objet de nombreuses et
savantes études, dont les principales, celles qui font autorité aujourd'hui, sont dues à
l'ingénieur hydrographe -Gossin (i884) et surtout au capitaine de frégate Guypu, et
aux contre-amiraux Gaschard et Perriu. Sans entrer dans des détails qui nous con-
duiraient à des exposés mathématiques inopportuns, on peut dire qu'on règle un
compas en diminuant, autant qu'il est possible de le faire, les diverses forces magné-
tiques agissant sur lui et provenant des masses métalliques Aroisines. On y arrive en
plaçant, dans des positions déterminées moitié par la théoriej moitié par tâtonnement,
des sphères et des barreaux de fer doux verticaux et horizontaux.
Les déAriatiôns sont ainsi ramenées a des chiffres normaux, mais non tout à fait
annulées. Il est, bien entendu, tout à fait nécessaire de connaître exactement la Araleur
de ce qui en reste. Gommé cette Araleur varie suivant que le cap du navire est di-
rigé dans telle ou telle direction, on la détermine pour un certain nombre de
caps (')., en faisant faire au bâtiment solidement amarré à un poste spécial un tour
d'horizon. On se sert pour cette détermination de points de repère préalablement dé-
terminés et même tracés sur des parties bien visibles de la côte.
Ces déviations restantes sont soigneusement notées sur un tableau spécial, dont un
exemplaire reste toujours sous les yeux de l'officier de quart. Nous verrons comment
on l'utilise lorsque nous nous occuperons de la façon dont un navire suit son chemin
sur les mers.

„ DÉPART

Tout est prêt désormais ! Les derniers permissionnaires ont rallié le bord. Les em-

(*) Le cap s'entend de l'angle que'-fait Taxe du navire avec la direction du Nord.
220 LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE

barcations ne sont plus suspendues sur leurs porte-manteaux, d'où on peut les amener
directement à la mer. Elles reposent, de toiles
encapuchonnées qui les protègent des
escarbilles, sur des chantiers boulonnés
le pont supérieur, où les fixent sur des sai-
sines grâce auxquelles le roulis et le tangage n'auront pas de prise sur elles (').
Les cheminées vomissent la fumée noire et. par les tuyaux leur
d'échappement qui
sont accoles, quelques
flocons de vapeur blan-
che s'échappent, indi-

quant que la pression


aux chaudières est déjà
suffisante pour action-
ner les machines.
Une baleinière A'igou-
reusement nagée se di-
rige vers le bord. Elle
ramène le commandant,

qui est allé prendre


congé du vice-amiral

préfet maritime et a reçu


de lui ses dernières in-
structions.
Dès qu'il a mis le pied
sur le pont, il donne un
ordre et aussitôt un
commandement retentit
dans toutes les
parties
du navire : « Chacun à
son poste pour l'appa-
reillage ! »
FIG. 168. — « Chacun à son poste pour l'appareillage I » Retour à bord du
commandant. Bientôt la chaîne qui
fixait le bâtiment au

corps mort (*) file par l'écubier avec un bruit de tonnerre, et le fier navire, libre de
toute entrave, le cap tourné vers les océans lointains d'où il ne reviendra peut-être
qu'après de longues années, prend la route de la haute mer, laissant derrière lui,
avec le profil aimé des côtes familières, bien des coeurs serrés et des yeux en larmes.

Aussitôt, tout à bord s'installe


pour l'accomplissement régulier d'un service qui
assurera d'une façon définitive les deux objectifs en vue desquels est créé le navire
de guerre, la sécurité de la naAigalion, l'immédiate et continuelle disponibilité pour
le combat.

On conserve deux embarcations légères prêtes à être mises à l'eau pour le sauvetage d'un
(') cependant
homme tombé à la mer.
On nomme ainsi un fixe très solide, constitué sur le fond d'une
par deux rade
ou trois ancres assu-
(*) point
par une bouée. C'est cette chaîne
jetties ensemble et d'où remonte à la surface une forte chaîne soutenue que les
par leurs
bâtiments devant sur rade écubiers et qui les maintient en place.
séjourner embarquent
LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE 221

un fait par le commissaire du bord pour s'assurer


Après appel général que toutes
les personnes inscrites sur le rôle d'équipage sont bien présentes, le commandant
en second vérifie, en faisant rappeler successivement aux postes de combat, à ceux
d'incendie ou de voie que tout le monde à bord
d'eau, connaît exactement, le poste

qu'il doit occuper dans chacune de ces trois éventualités.


On procède de même pour les autres éventualités de la vie maritime, d'un intérêt
moindre, mais est cependant utile afin que le bon ordre
qu'il dérégler règne à bord
en toutes circonstances. On installe à
cet effet le rôle de couchage et celui
des plats, qui indiqueront à chaque
homme la position des crocs où il
devra, le branlebas sonné, accrocher
son hamac, et celle de la table où, en

compagnie de camarades, toujours les


mêmes, il prendra ses repas.
Bref, c'est la période d'installation,
commune à toute collectivité ou même
à tout individu
qui part en voyage.
Pendant ce temps, l'officier de quart
a reçu du commandant les ordres con-
cernant la route à suivre, la vitesse à

prendre. Installé sur la passerelle d'où


il domine le pont et la mer, entouré
des appareils permettant de trans-
mettre les ordres aux machines et gé-
néralement à toutes les parties du na-
vire où sont placés des organes im-

portants, il a sous les yeux la petile


roue que manoeuvre l'homme de barre
et qui actionne le servo-moteur du gou-
vernail. Devant cette roue est placée
FIG. — Le commandant et l'officier de quart sur la passerelle.
169. la colonne en cuivre qui porte le com-

pas de route, 1 instrument précieux


sans lequel il serait absolument de naviguer hors de vue des côtes autre-
impossible
ment qu'au hasard.
On sait que le compas ou boussole se compose d'une rondelle de carton circulaire

portant une rose des vents, sous laquelle est fixée une aimantée dont le propre
aiguille
est de se tourner toujours vers celte partie mystérieuse de notre globe, située non
loin du pôle vrai, et qui
porte le nom de pôle magnétique.
La position exacte de ce point et l'étude du magnétisme terrestre ont été l'objet de
nombreuses et patientes recherches. Parmi les travaux les plus mémorables, il faut

rappeler l'expédition antarctique de sir James Ross en I83Q-I8/I5, celles plus récen-
tes de la Discovery (anglais) et de la Gazelle (allemand).
2 22 LA NAVIGATION.-. UN NAVIRE ISOLE i

De nos jours, l'aviso


français Manche, à l'île Jean-Mayen, et \& Princesse-Alice,

yacht du prince de Monaco, au Spitzberg, ont apporté de nouArelles contributions


aux études magnétiques. Enfin le capitaine norvégien Roald Amundsen, à bord du

petit cotre Gjoa, a fait en igo^-igo5 de très intéressantes observations dans le voi-

sinage immédiat du pôle magnétique ('). ': i! f


La principale'-'utilité du compas consiste à permettre au navigateur de se diriger
sur mer et AToici comment.

LA ROUTE

On sait que parmi les nombreux


moyens de représenter sur une feuille de papier
la surface terrestre(2), il en existe un qui porte le homdé son aùteurIMèrcatôr (iBôg).
Dans ce mode de représentation, les degrés de longitude et de latitude se projettent
suivant des lignes droites se coupant à angle droit.
Cette projection offre aux marins cet Érvantage unique
que si on trace sur le papier
où elle est figurée d'un point à un autre, route
la route d'un navire A7oulânt se rendre

qui tracée sur une sphère terrestre serait évidemment courbe, cette; routé est repré-
sentée par une ligne droite qui coupe les méridiens de la projection suivant le même
angle que sur la sphère. Ces routes marines portent le nom barbare dé lo'xodromies.
Si donc on trace sur une projection de Mercator une ligne droite entre deux

points séparés par un océan, l'angle, d'ailleurs constant; que fait cette droite avec les
méridiens, est précisément celui suivant lequel le naA7irè marchant d'un de ces points
vers l'autre devra se diriger en prenant pour point de départ de cet angle là direction
'
fixe du Nord donnée par son compas. j |_, ,|; i
Un exemple éclairera cette explication un peu concise.
Un navire partant de Dakar pour gagner Néw-Yôrk' deATra suivre là route tracée
sur la carte de Mercator entre ces deux points. Cette route coupé;l'un quelconque
des méridiens qu'elle rencontre suivant un angle de 65° compté à gauche, 'du Nord
A'ers l'Ouest ; en employant les notations de la rose des vents et le langage maritime
cet angle sera désigné comme suit : Nord 55°; Ouest.' ';'\ ; ;''
. Il en résulte que la route à faire par le navire sera le Nord 55° Ouest jet qu'il là sui-
vra en tenant constamment son avant sur la ligne de sa boussole ou se lit l'iridication
55° entre le Nord et l'Ouest. ^
Pour faciliter la tâche de l'homme de barre, à qui incombe le soin de maintenir le
naArirè en bonne direction, et celle de l'officier de quart, qui doit contrôler constam-
ment la bonne tenue de la route, on trace, sur le couvercle en verre jplacé sur le com-

pas dans le but d'éviter à la rose le fâcheux effet des; intempéries, une figne fixe dite
ligne de foi, coïncidant exactement avec l'axe du naA'ire. ; j

( 4) D. faut ajouter encore à ce sujet que la Carnegie Institution de Washington vient de faire construire aa ma-

gnifique bâtiment, le Carnegie, spécialement aménagé en vue des recherches et études magnétiques : ce navire
offre cette particularité que le fer et l'acier sont proscrits de sa construction j de façon à ne -porter en lui-même
aucune cause de troublé jîour les observations magnétiques.- : |
'
( 2) C'est ce qu'o'n appelle des projections., -•!]. j t I. : i ;'"'.. ,
LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLÉ 223

C'est la juxtaposition
par constante de cette ligne de foi et de la division du com-

pas correspondant à la route, que l'on voit si cette dernière est suivie correcte-
ment.
Les compas dont on se sert le plus généralement dans toutes les marines du
monde, et aussi bien à bord des navires de guerre que de ceux du commerce, sont du

genre dit Thomson ('). Au lieu d'une seule aiguille aimantée, qui ne possède pas tou-
jours une force d'orientation suffisante vers le Nord et donne ce qu'on appelle un com-

pas paresseux, la rose en porte un certain nombre placéesparallèlement en faisceau ;


les forces attractivesde ces aiguilles s ajoutent
et donnent au compas une stabilité supérieure.
La rose est portée sur un pivot à pointe d'os-
miure d'iridium par l'intermédiaire d'un godet
ou chape dont le fond est muni d'un saphir en

ogive (2). Elle est centrée très soigneusement


de façon à rester parfaitement horizontale.
On connaît la particularité en vertu de la-

quelle, l'aiguille aimantée, attirée vers le pôle

magnétique, ne donne pas exactement la direc-


tion du Nord qui est cependant
vrai, celle qu'il
importe de connaître.
Des recherches et des calculs dans le détail

desquels il ne nous est pas possible d'entrer


ont permis de fixer pour chaque point du globe

l'angle qui sépare le Nord vrai du Nord magné-


tique. Cet angle a été baptisé déclinaison
parce
qu'il indique la quantité dont l'aiguille aiman-
tée décline vers le pôle magnétique.
Sa valeur, qui atteint souvent 200, est inscrite
sur les cartes marines ou du moins indiquée
FIG. 170.

Compas de lord Kelvin, dit compas
par des courbes, dites courbes de déclinaison,
Thomson.
qui relient tous les points du globe où la valeur
de la déclinaison est la même.
Il résulte de ceci que lorsqu'un commandant a tracé sur sa carte marine la ligne

qu'il devra suivre, et qu'il a inscrit l'angle que cette ligne fait avec le méridien pour
avoir la route, ou plus exactement l'angle de route, il n'est pas au bout de ses

peines. Il lui faudra encore faire subir à cet angle qui est l'angle vrai, pris sur la
direction réelle du Nord du monde, une correction afférente à la valeur de la décli-
naison. Cette correction permettra de rapporter cet angle au Nord magnétique et de
le suivre pendant la traversée, sur le compas qui, lui, indique le Nord magnétique
et non le Nord vrai, comme il a déjà été expliqué.

(') Son inventeur, sir William Thomson, a été élevé à la pairie, en i8ga, sous le nom de lord Kelvin.

( 2) Toute cette installation, très soignée, a pour but de supprimer le plus des frottements absorbe-
possible qui
raient une partie de la force directrice du compas.
224 LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLÉ

Ce n'est pas tout encore, et si on ne tenait compte que de la déclinaison pour cor-
on commettrait
la route vraie, une erreur qui pourrait être grave et avoir parfois
riger
des conséquences désastreuses.
Pour obtenir l'angle définitif de route au compas, il faut faire subir à la route vraie,
outre la correction afférente a la déclinaison, celte

qui provient de la déviation (action des masses

métalliques du bord sur l'aiguille aimantée).


C'est seulement après ces deux opérations que
le commandant aura enfin l'angle de route pra-
tique et définitif, celui que l'officier de quart

indiquera à l'homme de barre chargé de maintenir


cet angle.
Ces deux corrections constituent un petit pro-
blème fort
simple assurément et dont on se tire

par une addition ou une soustraction.


Néanmoins, comme les éléments qui les com-
— Rose d'un
posent ont, suivant les lieux et les circonstances,
FIG. 171. compas Thomson.

On voit au centre le faisceau des aiguilles aiman-


tées.
une valeur positive ou négative, qu'ils peuvent
Les lettres tracées sur le pourtour Bout celles de h
rose des venta. être et sont souvent de signes contraires, le fait
de les combiner entre eux et d appliquer ensuite le
résultat de cette avec le signe qui lui reste, à la route vraie, demande
combinaison,
une attention et un soin particuliers. On ne compte plus les accidents, voire les dé-
sastres, qui ont été causés par une erreur commise en corrigeant l'angle de route,
erreur telle qu'un navire peut suivre une direction éloi-

gnée de 20 ou 3o° de la route exacte.


Si une erreur de cette importance, qui ne doit jamais
d'ailleurs pouvoir se prolonger puisque la vérification de
la route et de ce qui en dépend doit être le souci per-
pétuel de l'officier de quart, ne saurait avoir d'autre con-

séquence, au large, que d'allonger la durée de la tra-


versée et de provoquer un retard et une plus forte
FIG. — Alidade mobile montée
il n'en de même lors- 17a.
consommation de charbon, est plus sur un compas de relèvement.

qu'on se trouve
à proximité de terre, la nuit, ou si l'on les deux branches de l'ali-
A,A sont
dade mobiles dans le plan vertical. La
navigue par brume, dans des chenaux étroits. Un naufrage inclinée, représentée sur la
position
leur est donnée lorsqu'il s'agit de
ligure
peut être et a été souvent la conséquence d'une erreur prendre le relèvement d'un objet très
élevé, un astre par exemple.
commise dans cet ordre de faits. M, couvercle de la boite dans laquelle
est installée une rose.
Un accident de ce genre faillit arriver, il y a quelques
années, à un de nos plus puissants croiseurs cuirassés,
tout ses essais. Pris par la brume, si fréquente dans
qui sortait
neuf, de Brest pour
ces parages, il dut marcher au compas dans un des chenaux bordés d'affreux récifs

et par suite d'une erreur dans la route indiquée, erreur


qui conduisent à la rade,
d'une fausse application de la déviation, il donna contre une roche où il
provenant
se fit de graves avaries, et il s'en fallut de peu qu'il ne pérît misérablement.
LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE 225

RELÈVEMENTS

Les
compas d'un navire, car on pense bien qu'on installe à bord plusieurs de
ces instruments de première nécessité, sont munis d'un petit appareil nommé ali-
dade qui tourne sur un pivot fixé au centre de la boîte vitrée renfermant la rose
elle-même. L'alidade se com-

pose de deux réglettes verti-


cales, évidées suivant leur axe,
et montées aux deux extrémités
d'une autre règle horizontale
tournant autour du pivotcentral.
L'alidade sert à obtenir le relè-
vement d'un point quelconque
extérieur au navire, un phare,
un cap, un navire au large, etc.
A cet effet, on regarde l'objet
ou le point en question à travers
les fentes des deux règles verti-
cales et on lit sur la rose l'angle

que fait cette direction avec le


Nord magnétique.
En faisant subir à cet angle
les corrections de la déclinaison
et de la déviation, mais en sens
inverse de celles effectuées pour
passer de la route vraie à la
route au compas, on obtient la
direction vraie ou relèvement
vrai du point.
On peut alors reporter sur la
carte cet angle (fig. 173) en
FIG. 173.

Croquis montrant le procédé employé par un navire au largo
prenant le phare, cap, etc.,
carte de relèvements de points
pour fixer sa position sur la au moyen
de la côte.
comme point de départ, et on
obtient ainsi une ligne sur
le navire se trouvait au moment où l'observation a été faite.
laquelle
Si, au lieu d'un seul relèvement, on en a pris simultanément ou à peu près, plu-
sieurs de points différents et convenablement placés les uns par rapport aux autres,
les lignes ainsi tracées sur la carte se couperont en un point qui sera précisément celui
où se trouvait le navire.
Cette manière de fixer sa situation est employée à chaque instant par un navire
en vue des côtes. Elle est d'une extrême précision et permet par conséquent
naviguant
SAUVAIRE JOURDAN. I5
226 LA NAA1GATI0N. UN NAVIRE ] ISOLÉ

de circuler dans des passes resserrées, même semées d'écueils, avec une sécurité suf-
fisante, et d'abréger souvent les traA7ersées.
Mais la terre a disparu. Le naAdre poursuit sa route paisiblement à l'allure écono-

mique. Après quelques jours, tout et chacun s'est tassé à bord.! La


vie prend un
cours régulier et calme sur les détails duquel nous nous sommes arrêtés dans le cha-

pitre précédent.

LE QUART

Le quart se transmet régulièrement d'officier à officier toutes les quatre heures.,


Pendant son temps de sendce, l'officier de quart porte la responsabilité du navire.
A lui de surveiller la route, l'allure de la machine, de s'assurer que le service inté-
rieur du navire s'exécute conformément aux ordres donnés par lé second, mais à lui
surtout, sur qui repose la conservation de tant d'existences, il incombe dé veiller aux

dangers qui peuA^ent assaillir celles-ci, et principalement à l'abordage, à l'étrave du


bâtiment qui, subitement, se dresse dans la brume à quelques mètres de vous et dont
le choc brutal et inattendu change en un instant un coin de mer paisible en une scène
où se déroule la plus épouvantable tragédie. !

Quelques minutes, le plus souArent quelques secondes, voilà tout le temps dont

disposera l'officier de quart pour parer à des événements qui ont presque toujours
un caractère de soudaineté foudroyant, pour juger la situation, jjreiidrê la détermina-
tion capable de sauver le naArire et donner les ordres nécessaires.; On juge si de pa-
reilles éArentualités sontde nature à déA'elopper chez de jeunes officiers qui ont à les envi-
sager, le calme, le sâng-froid, la promptitude dans la décision et la netteté dans les
ordres, la maturité d'esprit en un mot. Aussi sont-ce là des qualités qu'on trouve à
un haut degré chez les officiers de marine, et dont la pratique, transportée hors des

contingences professionnelles, leur donne presque toujours un relief particulier;


Mais il ne faudrait pas croire qu'une pareille tension d'esprit soit l'état normal de
l'officier, lieutenant ou enseigne de A'aisseau, qui, de la: passerelle élevée, surveille
l'horizon pendant quatre heures. U; j
Il est de longues traversées, des jours sereins, de clairesj nuits, des océans

peu fréquentés, où il peut, dans la quiétude engendrée par le calme de la mer,


l'absence de tout A^oisin de route, la bonne humeur du commandant, goûter la
douceur de Aàvre. Sous le ciel bleu ou la lumière des étoiles, il peut alors à loisir

contempler le tableau toujours nouveau, toujours changeant, quel compose pour le


plaisir de ses yeux la mer où se reflètent les nuages, ou dansent les vagues capri-
cieuses et d'où sortent à tout instant la troupe affolée des poissons volants, la souple
sarabande des marsouins joueurs. !

LE POINT

Une importante préoccupation de ces traversées dèi longue durée est de fixer

chaque jour, au moins une fois, sur la carte: marine, le point où se trouve le bâti-
LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLÉ
227

ment. Nous avons vu plus haut combien cette opération était aisée en vue de terre.
Mais au large, il faut trouver autre chose.
Il existe alors deux
façons de procéder :
La première qui s'im-
pose à l'esprit consiste à
tracer sur la carte la
route que suit le navire
depuis le départ, et à

porter sur cette ligne le


nombre de milles par-
courus, dont il est facile
• de tenir compte puis-
qu'on sait très exactement
à [quelle vitesse corres-
FIG. — Le loch ancien
pond le nombre de tours 174. et ses accessoires.

donnés par la machine.


De plus, il existe à bord des instruments de contrôler ce rensei-
qui permettent
gnement en mesurant directe-
ment la vitesse du navire. Ils

portent le nom de lochs ou


sillomètres.
Les plus usités actuellement
consistent en une petite hélice
montée librement sur un mo-

yeu métallique et qu'on file


derrière le navire ou sur ses
flancs. L'hélice, actionnée par
la vitesse, tourne. Son moyeu
renferme un qui
compteur
enregistre le nombre de tours,
d'où on déduit le chemin

parcouru pendant un temps


donné.
Le vieux loch voit son dé-
clin. Après avoir suivi pendant
FIG. -— Loch Fleuriais.
175. permanent, système
de longues années le
fixées aux extrémités du moulinet,
sillage
A,A,A, coupelles
B, étrier portant l'axe du moulinet. des vaisseaux à voiles, il ne
F, axe du moulinet.
Q, lamelle
plus aux besoins de la
établissant le contact
b, contact
métallique
fixé sur une rondelle
électrique.
d'ébonite.
répond
électrique
marine moderne où les grandes
vitesses sont la règle.
L-epenaant, je veux dire quelques mots de ce vieux serviteur et de son empfoi,
parce que ses longs et loyaux services lui ont mérité de ne pas tomber dans l'oubli
228 LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE

et aussi parce que sa description nous conduira à connaître le noeud, cette mesure
maritime dont bien peu de personnes, en dehors des gens du métier, savent exacte-
ment la valeur et l'étymologie.
Le principe du loch est la simplicité même.
Le moyen qui se présente tout d'abord à l'esprit quand on veut mesurer la vitesse
d'un véhicule quelconque consiste à laisser filer derrière ce véhicule et pendant un

laps de temps bien contrôlé, une corde dont on mesure ensuite la longueur. On saura
ainsiqu on a parcouru
5o ou ioo, ou 200m en
une minute par exemple,
et on en déduira aisé-
ment la vitesse à l'heure.
C'est tout le loch.
Seulement, comme il
faut que la corde reste
tendue derrière le véhi-

cule, en l'espèce le na-


vire, et soit maintenue
à son extrémité par un
point aussi fixe que
possible, on munit cette
extrémité que l'on file à
la mer d'une planchette
FIG. 176.
— Comment on tile le loch. en bois de forme trian-

gulaire et lestée de plomb


sur un de ses côtés de façon à lui faire dans l'eau une position verticale.
prendre
On crée ainsi le point fixe, ou tout au moins suffisamment fixe, car on sait combien
il est difficile de faire mouvoir dans l'eau une planche dans un sens perpendiculaire à
sa largeur.
La cordelette ou ligne de loch est fixée sur cette planchette par une patte d'oie à
trois brins. Quand on jeltc à la mer le bateau de loch, c'est le nom de la planchette
On
en question, la
ligne de loch se déroule d'un tourel porté par un support.
du matériel
compte 3o secondes à une montre ou à un sablier qui fait partie
et on mesure en la ramenant sur le pont la longueur de la corde qui
réglementaire
s'est déroulée pendant la demi-minute.
Pour faciliter cette on divise la cordelette en longueurs égales par des
opération,
noeuds.
La distance entre noeud est de i5m,432 exactement la 120e
chaque représentant
partie d'un mille marin (1 852m).
Comme les 3o secondes sont également la 120e partie de l'heure, autant l'on file
de noeuds de la ligne de loch pendant la 1 20e partie de l'heure, autant le navire par-
court de milles dans une heure.
On comprend maintenant filer 20 noeuds signifie que le navire
que l'expression
LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE
229

couvre pendant une heure une distance de 25 milles marins ou 25><ikm,852 ou


46 kilomètres.
Il est quelquefois utile de connaître la valeur en mètres par seconde que repré-
sente une vitesse exprimée en noeuds ou en
milles, ce qui est exactement la même chose.
On obtient ce chiffre avec une approximation
suffisante en prenant la moitié du nombre de
noeuds ou de milles. Le mille est une unité de

longueur spéciale à la marine. 11 représente


la 60e partie d'un degré de longitude ; en fai-
sant le tour de la terre on parcourt donc
21 600 milles.

Après cette digression nécessaire, revenons


à la première façon de placer sur la carte ma- FIG. — Sextant.
177.
rine le point où se trouve le navire à un lunette-viseur
L, fixe.
M, miroir mobile.
instant quelconque. M, miroir fixe.

A partir du point de départ nous porterons


sur la route tracée le nombre de milles parcourus et mesures comme nous venons de
le voir. On déterminera ainsi un point qui est dit estimé. Il mérite cette épithète

parce qu'il est le produit de deux éléments qui peuvent ne pas être rigoureusement
exacts. D une part, la route n est

jamais tenue à un ou même à quel-

ques degrés
près, d'autre part, la
vitesse, qu'on mesure de loin en

loin, peut varier sensiblement entre


deux observations par suite de mo-
difications peu sensibles du nombre
de tours des machines. Bref, on
estime la valeur de ces éléments au
lieu de les calculer exactement, et
de ce fait cette manière de faire le

point ne donne qu'une approxima-


tion, d'ailleurs suffisante dans bien
des cas.
On possède un autre moyen plus
mathématique de fixer la position
FIG. 178.
— Officier observant au sextant la hauteur du soleil. du navire. C'est le point observé.
Ce dernier est basé sur l'observa-
tion de hauteurs et plus spécialement
d'astres, du soleil au-dessus de l'horizon à certaines
heures favorables. Ces hauteurs se prennent au moyen de l'instrument appelé sextant.
Par une combinaison de miroirs dont l'un est fixé sur un rayon mobile du sextant, on
ramène l'image du soleil, d'ailleurs atténuée par son passage à travers des verres de
couleur, à l'horizon de la mer observé à travers une lunette astronomique.
tangenter
23o LA NAA'IGATION. UN NAA'IRE ISOLÉ |

Grâce aux
perfectionnements que lui ont apportés les constructeurs modernes,
A'éritables artistes, le sextant, petit-fils de l'antique astrolabe, est un instrument
d'une extrême précision aA'ec lequel la hauteur du soleil s'obtient à quelques secondes
de degré près.
En même temps qu'on obsen'e cet élément, on note soigneusement l'heure mar-

quée au chronomètre, dont tout bâtiment est tenu d'aA'oir à son bord un ou plusieurs

exemplaires!
Ce chronomètre garde, aA'ec une exactitude remarquable résultant des soins appor-
tés à sa construction et à sa conservation, l'heure d'un premier méridien qui pour
nous Français est celui de Paris, pour les Anglais et il faut le dire pour la majorité
des naAigateurs, celui de GreemA'ich(1).
La hauteur du soleil obtenue par le sextant est le point de départ de calculs dans
le détail desquels je n'entrerai pas et qui permettent de connaître l'heure exacte du
heu où a été faite l'observation du soleil. Or, il est loisible
de supposer que la circon-
férence delà terre, au lieu d'être divisée en degrés au nombre de 36o, l'est en vingt-

quatre parties qui seront des heures. Il résultera de cette conA'ention que i5 degrés
de longitude équivaudront à i heure et i degré à quatre minutes de temps.
Il est donc
éA'ident que le marin, qui possède l'heure de Paris par son chronomè-
tre et l'heure du heu où il se trouve par son calcul, connaîtra exactement la longi-
tude de ce heu en prenant la différence entre ces deux heures. Il convertira le nombre
d'heures, de minutes et de secondes de temps ainsi obtenu en degrés et minutes de

degrés et pourra tracer sur la Carte le méridien sur lequel le navire se trouA'e ou se
trouvait au moment précis de l'observation.
C'est
généralement à midi que l'on porte le point sur la carte. A ce. moment, le
second élément nécessaire pour le déterminer, c'est-à-dire la latitude, s'obtient très
aisément en notant l'heure exacte où le soleil, observé au sextant^ atteint sa hauteur
maximum, c'est-à-dire passe au méridien.
11 est à remarquer que pour le naAagateurqui circule à travers les océans, les

journées n'ont jamais exactement heures. Elles seront plus longues ou


Aingt-quatre
plus courtes de quelques minutes tous les jours, suivant qu'il se dirige vers l'Est ou
vers l'Ouest, et s'il fait le tour du inonde, le nombre de minutes ainsi gagnées ou

perdues équivaut à une journée complète, comme l'a si ingénieusement expliqué


Jules Verne dans son amusant et instructif ouA'rage : Le tour\ du monde en
80 jours.
Le chronomètre sert donc de base aux calculs qui permettent de faire le point, et
la plus ou moins grande exactitude aA'ec laquelle on obtient ce point dépend en
s1 .

(') Les méridiens de Paris et de Greemvicli sont éloignés de 2° 20' l5". D'assez gravés inconvénients résultent
de celle dualité des méridiens origines qu'il importe extrêmement de ne pas oublier quand on se sert de
cartes qui n'ont pas toutes la même jjrovenance. Il serait fort à souhaiter d'ailleurs que celte dualité disparût.
La tendance générale si marquée qui pousse les nations à faire disparaître un certain nombre de" barrières qui .
les séparent et les gênent, fait espérer que l'unité de méridien existera quelque jour. De bonne foi, et en consi-
dérant combien l'usage du méridien de Greenwick est plus répandu que celui du méridien de Paris, nous
pourrions consentirsur ce point un sacrifîced'amour-propre, quitte peut-êlre à reprendre l'avantage sur la question
du système métrique, que nous ferions adopter à nos voisins.
LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLÉ 23l

grande partie de la régularité de sa marche. Aussi est-ce un instrument à la


construction duquel on apporte une précision et des soins tout particuliers.
La fabrication des chronomètres est le monopole d'un petit nombre de maisons, et
constitue un art véritable dont les traditions se transmettent religieusement de père
en fils chez les Leroy, Rodanet, Berthoud, Bréguet,
Dumas, Jacob, Vissière, Winnerl. La perfection à

laquelle arrivent ces ingénieurs est telle que la

plupart du temps leurs chronomètres varient à

peine de quelques dixièmes de seconde par jour.


Cette minime variation est, en terme de métier, ce

qu'on appelle la marche du chronomètre ; elle est

soigneusement étudiée, suivie, notée, et on en tient

compte dans les calculs d'heures au moyen desquels


on obtient la longitude.
Ces instruments précieux sont entourés à bord
de soins méticuleux. Un logement spécial, consis-
tant en une boîte capitonnée, leur est réservé dans
un coin du bâtiment où ils sont à l'abri des varia-
tions de la température. Une suspension à la
Cardan (') les rend insensibles aux mouvements
du roulis
et du tangage. L'officier chargé de l'im-
Fia. 179. — L'officier des montres. portant service des calculs et des points, désigné
par le règlement sous le nom d'officier des montres,
a seul la clef de la boîte où ils reposent ; il les remonte chaque jour avec une sorte
de solennité par laquelle cette opération prend une allure de rite mystérieux (2).

LE TEMPS

La variation du temps a toujours été la grande préoccupation des marins. On

pourrait croire qu'elle a un peu perdu de son importance aujourd'hui où le vent n'est

plus le grand maître et où la direction de laquelle il souffle n'a plus qu'une impor-
tance secondaire.

Cependant, s'il n'est plus le dispensateur du plus près, du grand largue ou du


vent arrière doux aux anciens navigateurs, il reste toujours l'élément essentiellement
variable qui, suivant des caprices non encore complètement déterminés, ride à

peine la surface des flots bleus, ou les soulève en lames énormes auxquelles les
navires monstres de nos jours eux-mêmes ne peuvent rester indifférents.

(') C'est une combinaison de cercles et d'axes soustrayant les objets qui en sont munis à tous les mouvements
de rotation du milieu extérieur.
C2) Les admirables progrès de la télégraphie sans fil ont permis d'apporter dans le service des chronomètres
d'importantes simplifications. C'est ainsi qu'un signal envoyé tous les jours, à minuit, par les puissantes antennes
de la tour Eiffel fait connaître, avec la plus grande exactitude, l'heure du lieu où ils se trouvent a tous les
navires munis des appareils nécessaires et circulant dans l'immense espace que couvrent les ondes hertziennes
qu'elles émettent.
23.2 LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE

Aussi la question du vent debout ou du largue (*) est-elle toujours à l'ordre du jour

pendant une traversée, et les marins continuent-ils à étudier de près les phénomènes

auxquels il est permis d'attribuer les modifications se produisent dans la direc-


qui
tion et la force des vents.
Cette science de la météorologie maritime a ses adeptes fervents à qui un
grâce
certain nombre de lois très utiles ont été établies.
Pas plus que pour d'autres sujets, très tentants il ne nous est possible
cependant,

FIG. 180. — Carte des vents


générale réguliers.

d'entrer ici dans les détails de cette science où bien des découvertes restent encore
à faire, et nous n'en pouvons exposer que les grandes lignes.
on connaît les lois qui régissent le mouvement
Depuis longtemps général des vents
ou des déplacements de l'air à la surface du globe. Ces déplacements sont détermi-
nés d'une part, par la rotation de la terre, tournant au milieu de l'épaisse couche
atmosphérique qui la baigne sans l'entraîner dans son mouvement, et d'autre part,
par réchauffement plus ou moins intense des diverses parties du globe inégalement
caressées par le soleil. Sous cette double action, il se produit autour de lequateur
une circulation d'air dont le mouvement général se fait de l'Est à l'Ouest et qui
porte le nom de vents alizés.

(') Le vent largue est celui navire reçoit l'arrière de son travers.
qu'un par
LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLÉ 233

Par une analogie assez naturelle avec les lois régissant le mouvement des cours
d'eau, un courant de vents en sens inverse du premier s'établit de l'Ouest vers l'Est
sur les deux bords de cette espèce de fleuve venteux qui court le long de l'équàteur.
La disposition des vents alizés et de leurs contre-courants, figurée sur la carte ci-
contre, explique nettement pourquoi un navire à voiles qui partirait de Brest par exem-

ple pour aller au Cap devrait suivre une route à première vue inexplicable. Celle-ci
le ferait descendre jusqu'aux Canaries, où il trouverait les alizés du Nord-Est, puis
ceux du Sud-Est qui le conduiraient jusqu'aux côtes du Brésil, où le contre-courant
d'Ouest l'amènerait vers sa destination.
En dehors succédanés, il existe encore de grands vents régu-
des alizés et de leurs
liers qui balayent les mers de Chine en soufflant alternativement du Nord-Est,

pendant l'hiver, et du Sud-Ouest, pendant l'été. Ils portent le nom de mousson et


sont utilisés pour la naA'igation tout comme les alizés.

Mais tous ces vents si connus et si constants ont de toute éternité été les amis des
navigateurs. Il n'en est j>as de même de ces phénomènes le plus souvent terribles
qui, suivant la région sur laquelle les déchaîne l'aveugle fureur du hasard, se nom-
ment ouragans, typhons ou cyclones.
En principe, ce sont des tourbillons animés, outre leur mouvement de rotation,
d'un autre mouvement qui les transporte assez lentement sur la surface des mers
dans des directions presque fixes et que des observations répétées ont permis de
déterminer de façon assez précise.
Ces phénomènes météorologiques ne sévissent pas, avec leur plus grande intensité
tout au moins, sur toute la surface du glohe. Les parages qu'ils affectionnent, et
où des causes analogues encore à peu près inconnues doivent leur donner naissance
sont la mer des Antilles, la partie sud de l'océan Indien et la mer de Chine. On
en a certes vu et subi ailleurs, notamment en certains points de l'océan Pacifique,
mais on peut presque dire que c'est à l'état d'exception.
Dans les trois parties du monde où ils sont le plus fréquents, le centre de ces tour-
billons se déplace suivant une ligne parabolique plus ou moins omrerte.
Il est arrivé atout le monde devoir, au coin de quelque rue, alors même que le
temps est calme, se former une sorte de petit tourbillon atmosphérique se manifes-
tant par une ronde affolée des objets légers, branchettes d'arbres, papiers, poussière,,
qui gisaient à terre. Entraînés dans un triple mouvement rotatif, ascensionnel et en
même temps horizontal, ces débris sont promenés de çà et de là au gré des caprices des
remous aériens qui ont créé et promènent le tourbillon où ils sont englués, jusqu'à
ce que tout cet appareil s'évanouisse, aussi mystérieusement qu'il s'est produit.
C'est un cyclone en miniature qui a passé. Aux grands carrefours de notre globe,
des vents se heurtent quelques jours, dans des conditions de température, de pres-
sion atmosphérique telles que de leur choc naît le typhon, l'ouragan, le cyclone qui,
tourbillonnant avec une vitesse folle, prend sa course à travers les mers et les terres (').

(') La vitesse de translation des cyclones atteint de 12 à i5m par seconde, d'après L. Besson. D'autres auteurs
leur assignent de 3o à Go'*" 1 à l'heure dans la mer des Antilles, i5km seulement dans l'océan Indien.
234 LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE

La mer, aspirée sur son passage et battue des vents d'une violence
par incroyable
qui souillent ae direc-
tions constammentdif-

férentes, s'élève en

vagues monstrueuses

que nul navire, fut-il


un des échantillons de
la gigantesque ma-
rine moderne, ne peut
affronter sans danger.
Les terres que leur mal-
heur a mises sur sa
route sont horrible-
ment dévastées. La vé-

FIG. 181. — Les parages à cyclones. gétation disparaît sous


ie soume nuriant. i_,es
maisons légères sont emportées ; les objets les plus lourds s'envolent comme des fétus(').
11me souvient d avoir vu autrefois, fichée a dix
mètres du sol, dans le tronc d'un palmier du jar-
din de l'évêché de Saint-Pierre, à la Martinique,
une lance en fer arrachée à la grille de clôture du

jardin. C'était l'oeuvre d'un des nombreux cyclo-


nes qui ont dévasté cette malheureuse ville avant

qu'un désastre
unique au monde ne l'efïaçât en

quelques minutes de la surface du globe.


Dans le tournoiement de ses spires ( 2) le cyclone
entraîne une foule
d'objets, d'animaux, de ma-
tières inertes cueillis sur son passage, que la vitesse
de la rotation maintient ainsi en l'air pendant des
heures et des journées, et qui vont retomber à
des centaines de lieues plus loin. C'est pourquoi
il n'est pas rare de voir, sur le pont d'un navire

surpris en pleine mer par une de ces tempêtes,


choir du sable, des oiseaux, des grenouilles, les
matériaux les plus divers et les plus inattendus.
Ces phénomènes météorologiques ont toujours FIG. 183. —
Trajectoire d'un cyclone de la mer
des Antilles et tourbillonnement du vent dans
été la terreur des marins. On ne peut compter le ce cyclone.
nomDre ae navires qui ont disparu corps et mens
dans ces cataclysmes, à l'époque surtout, pas très lointaine encore, où les lois assez

(') Le diamètre moyen des cyclones est de 60 à 90 milles (110 à i65knl) dans la branche avoisine
qui l'équa-
teur ; ils s'épanouissent en les et leur diamètre atteint alors 600 milles
gagnant régions tempérées (1 100 à
1 200km), mais alors la violence du météore est très atténuée.

( 2) Le vent y est convergent plutôt que circulaire.


LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE 235

à leur formation et à leur marche étaient ignorées, et où


rigoureuses qui
président
étant à voiles se trouvaient dans de mauvaises con-
la majeure partie des bâtiments
ditions pour les éviter.
Aujourd'hui, comme on est prévenu de l'approche d'un cyclone par la baisse
et plus ou moins rapide du baromètre, que l'on connaît exactement la
persistante
autour de ce centre,
trajectoire de son centre, les règles que suit le vent tourbillonnant
tout capitaine de navire à hauteur de ses fonctions démêle immédiatement la con-

duite doit tenir, sinon mettre son bâtiment hors des atteintes du redou-
qu'il pour
table météore, au moins l'en éloigner le plus possible, et le placer dans la
pour

FIG. I83. — Situation d'un navire rencontrant un cyclone dans l'hémisphère nord

(Atlantique nord).

situation la plus favorable lui de supporter un assaut qu'il n'aura pu


pour permettre
lui éviter tout à fait.
La première et la plus importante des précautions à prendre consiste à fuir le

centre du cyclone. Au milieu de l'immense colonne tourbillonnante, il existe en


on ne ressent plus aucun
effet une zone circulaireplus ou moins étenduedans laquelle
vent. Comme le montre la figure i83 donnant le schéma d'un cyclone de l'hémi-

nord dans lequel les vents tournent en sens inverse du mouvement des
sphère
d'une montre on n'accède qu'après avoir
à cette zone de calme central
aiguilles (,),
traversé la moitié de l'épaisseur du cylindre à peu près le météore, et
que représente
subi la violence du vent toujours croissante de la périphérie vers le centre. Cette

violence atteint sur le bord de la zone centrale une furie dont rien ne peut donner

du vent fait dans le


qui se produit ; la
c'est l'inverse rotation
(') Pour les cyclones de l'hémisphère sud, s'y
d'une montre. à la direction de leur elle est inver-
sens de la marche des aiguilles Quant trajectoire, également
sée.En la dos naissance de l'équateur et s'en écartent.
somme, majorité cyclones prennent près
2 36 LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE

idée quand on ne l'a pas subie; puis tout d'un coup, aux hurlements sauvages de

l'ouragan, à son fracas formidable, succède un silence de mort, au ciel du moins, car
la mer, formidablement battue de tous les côtés, reste monstrueuse et abat ses lames
les unes sur les autres, dans une sorte de chaos de l'autre monde.
Le ciel apparaît sinistre et noir, sillonné d'effroyables décharges électriques, et
déverse des torrents d'eau où se mêlent ces corps étrangers dont nous avons parlé.
Puis, au boutde quelques minutes, d'une heure quelquefois, suivant la vitesse avec

laquelle le cyclone se déplace sur sa trajectoire propre, l'ouragan éclate à nouveau


avec la même furie. Le centre du météore a passé sur vous et on se trouve dans le
second demi-cercle où le vent souffle aussi violent que dans le premier, mais d'une
direction diamétralement opposée. Alors, peu à peu, la tempête s'apaise par lents

degrés, le baromètre re-


monte indiquant que le
tourbillon s'éloigne, le ciel
s'éclaircit, et il reste au
marin, s'il
n'a pas disparu
dans cette effroyable mêlée
des éléments, à panser les
blessures plus ou moins

graves que son navire n'a

pas manqué de recevoir.


Comme il
est logique,
c'est sur le trajet du centre

que l'on court les plus


graves dangers, parce que
FIG. I84. — Navire dans un cyclone. la violence du vent y est
plus forte, la mer plus
soulevée. Il s'agit donc de ne point s'y trouver et de le fuir le plus vite possible,

puisqu'on aura, en s'en éloignant davantage, un temps mauvais peut-être, mais


moins affreux.
Si on se reporte à la figure i83, on voit navire
placé sur la route du centre d'un
qu'un
cyclone et qui, pour une raison quelconque, n'aura pas eu le temps de s'en écarter,
verra d'abord le baromètre baisser et rapidement,
régulièrement puis il subira des
vents toujours croissants en force, invariables ou à peu près en direction. C'est là un

signe infaillible de l'approche du centre et, dès qu'il l'a constaté, le capitaine, d'ail-
leurs renseigné sur la marche ordinaire du cyclone dans la région où il se trouve,
devra faire route le plus vite possible pour en sortir.
S'il aborde le cyclone en un point quelconque de sa périphérie, il lui sera aisé, en
observant les changements de direction du vent et les mouvements du baromètre, de
déterminer sur sa carte la direction dans laquelle se trouve le centre et la route qu'il
suit.
Connaissant ainsi la marche du météore, le capitaine pourra, s'il n'est pas gêné
par le voisinage de terres ou par d'autres considérations, s'éloigner en grande hâte
LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLÉ 237

des parages où
risqueson navire
de recevoir quelque mauvais coup. 11 devra encore
cependant dans sa manoeuvre tenir compte du fait suivant : on voit que dans le demi-
cercle du cyclone situé au-dessous de sa trajectoire, le déplacement de l'air se produit,
ou mieux encore le vent souffle, dans la direction où se déplace le météore lui-même.
Il en résulte qu'un bâtiment, dans cette partie du cyclone, aura à subir des
pris
vents dont la vitesse
et par conséquent la violence sera la somme des vitesses du vent
et de celle qui entraîne le cyclone.
propre
Au contraire, dans le demi-cercle supérieur, le vent ressenti sera la différence des
deux.
Cette constatation a fait donner au demi-cercle inférieur le nom de dangereux, et
celui de maniable à l'autre.
Le capitaine qui sera libre de sa manoeuvre par ailleurs, et qui n'aura pas le
temps de se mettre hors de 1 atteinte
d'un cyclone menaçant, devra donc

gagner le demi-cercle maniable, de

préférence à l'autre.
Tous les vents tournants ne consti-
tuent heureusement pas des ouragans.
Ce sont bien des cyclones,
cependant
puisque ce mot implique par sa racine
l'idée de rotation, mais l'a ré-
l'usage
servé pour désigner les cataclysmes
dont nous venons de
atmosphériques
parler.

Unautre de phénomènes mé-


genre

FIG. — téorologiques provoquent cependant


I85. Arrivée d'une dépression sur les côtes de Bretagne
les vents sur l'Atlantique des vents rotatifs moins
qu'elle y produit.
violents mais encore bien gênants
pour la navigation. Ce sont les dépressions de façon plus ou moins continue,
qui,
arrivent des côtes nord des États-Unis celles d'Europe qu'elles atteignent
jusqu'à
en des points variés.
Ces dépressions ont tous les caractères des cyclones de l'hémisphère nord, moins
la violence ; le vent y tourne en sens inverse des aiguilles d'une montre et la mer

soulèvent, si elle constitue une la navigation, n'est qu'excep-


qu'elles gêne pour
tionnellement dangereuse.
La marche de ces dépressions, sont souvent d'un diamètre très étendu, a été
qui
très minutieusement étudiée, aux innombrables observations en
grâce que peuvent
faire les paquebots incessamment entre New-York et les
qui parcourent l'Atlantique
ports d'Angleterre, de France et d'Allemagne.
D'autre le service des le États-Unis a
part, météorologique que
gouvernement
admirablement à l'Europe le départ de ces dépressions, dont l'ap-
organisé signale
est ensuite
proche confirmée par la baisse du baromètre.
238 LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE

Leur marche la plus habituelle fait


passer leur centre dans le Nord de la France ;
c'est ce qui explique, un simple coup d'oeil sur la carte
(fig. i85) aidant, l'abon-
dance et le mauvais renom des vents deS.-O. sur nos côtes bretonnes et normandes :
on comprendra de même pourquoi la fin du mauvais temps dans ces parages est
annoncée par le vent de N.-O. C'est celui qui, dans la translation de la dépression,
doit nécessairement succéder au vent de S.-O. et après lequel la dépression disparaît,
emportée vers l'Ouest.
Tout passager, beaucoup de marins même sous l'impression trop durable de
moments désagréables, sont enclins dans les récits de leurs traversées, à exagérer la
hauteur des lames auxquelles
ils ont eu à faire. Le spectacle
d'une mer déchaînée est, pour
celui qui s'y trouve aux pre-
mières places, singulièrement
impressionnant, et une erreur
dans l'appréciation des dimen-
sions des vagues est bien excu-
sable.
C'est dans la partie méridio-
FIG. 186. — Mer soulevée un coup de vent.
par nale du globe, dans l'immense

espace qui sépare le cap Horn du


cap de Bonne-Espérance et qu'avaient à parcourir autrefois, faute du canal de Suez,
les bâtiments qui devaient faire le tour du monde, c'est dans les mers du Sud que
se rencontrent les plus gros soulèvements d'ondes, provoqués par les terribles coups de
vent d'Ouest qui les balaient.
Alors que partout ailleurs, dans l'Atlantique comme dans les océans Chinois ou
Indien, la hauteur des lames dépasse rarement 6 ou 7™, des navigateurs dignes de
foi assurenten avoir rencontré dans ces parages qui atteignaient i5m.

Les ondes soulevées peuvent alors, sans trop d'hyperboles, se comparer à des montagnes;
le navire porté sur leur crête, redescend lentement dans les vallées qui les séparent et qui
occupent parfois plus d'un mille d'étendue ; l'horizon de la mer, dentelé par les cimes de ces
Cordillères mouvantes, n'est plus qu'une ligne hypothétique, inutile aux observations de
l'astronome marin (').

Précédant
les coups de vent ou leur succédant, la houle est encore pour les navires
une cause de ce manque d'équilibre, père d'un mal affreux, par la faute duquel un

voyage en mer reste, pour une notable partie de l'humanité, une entreprise redou-
table.
La houle se propage à des distances énormes, et vient se briser sur les côtes qui
lui barrent la route, en produisant de gigantesques volutes dans lesquelles osent se

(') I'ACINI, La Marine.


LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLÉ 33û

seulement les pirogues manoeuvrées par les indigènes avec une sur-
risquer légères,
prenante habileté (').

LES COURANTS

Des causes jusqu'ici plus ou moins connues ont créé dans les diverses mers qui
baignent le globe de véritables fleuves dont les eaux, douées d'un mouvement propre,
suivent avec une vitesse réglée un cours particulier. Ce sont les courants marins.
On a tenté d'expliquer le mouvement des eaux marines par les différences de tem-

FIG. 187. — Carte générale des principaux courants marins.

des diverses mers. Les théories les plus récentes, appuyées sur des obser-
pératures
vations la thèse en donnant le principal rôle aux
précises et nombreuses, étendent

questions d'équilibre et de densité.


L'eau des régions équatoriales, très dilatée par la chaleur, devient plus légère sous un
même volume; son niveau devient dès lors supérieur à celui des couches voisines
à s'écouler vers les parties les plus basses,
plus denses. Elle tend donc naturellement
exactement comme elle le ferait sur un terrain imperméable incliné. La vitesse
d'écoulement est proportionnelle à la différence des niveaux (2). Les courants marins

(') Notamment sur la plus grande partie de la côte occidentale de l'Afrique.


( 2) Et peut attoindre 5 milles à l'heure (o,im,aoo), c'est la vitesse du Rhin aux hautes eaux (L'Océan, de

THOULET).
FIG. 188. — de carte tous les mois le Bureau du service des États-Unis.
Type pilote publiée par météorologique

Nous avons sur les deux cartes de clarté, les indications de toule nature sur chacune de ces cartes.
réparti pilotes, pour plus généralement portées
FIG. — de carte
189. Type pilote.
Sur cette seconde carte, nous avons, pour pluB de clarté, la des indications
supprimé plus grande partie relatives aux vents, qui sont d'ailleurs sur la première.
portées
2/J2 LA NAVIGATION. UN NAVHU3 ISOLÉs I ;

ne seraient, d'après cette théorie, que dès fleuves d'eaux plus; légères et à surface bom-
bée coulant dans un lit d'eaux plus denses, à la recherche d'un ëqiuiUbre qui n'est
jamais atteint.
Dans tous les bassins océaniques, il existe des courants qui coulent au Nord et au
Sud de l'équateur et de l'Est vers l'Ouest. Butant contre les continents,,ils se par-

tagent en branches dont l'une au moins se dirige d'abord vers les pôles pour s'in-
fléchir ensuite vers l'Est à une distance de l'équateur plus ou moins grande.
Le plus célèbre et le plus régulier de ces courants, le G-ulf-Stream, prend naissance
dans le golfe du Mexique d'où il
s'échappe par le cariai de la Floride, avec une
vitesse de 3 milles 1/2 (8 km) à l'heure Ç). Il remonte, ien élargissant sans cesse
son lit et en suivant les côtes des Etats-Unis, jusqu'à Terre-Neuve, d'où il s'in-
fléchit vers l'Est jusqu'auprès des côtes d'Europe, pour venir disparaître autour des

Açores.
Le caractère spécial du Gulf-Stream est d'être un courant d'eaux; chaudes. Cette
particularité est remarquable surtout dans le canal de la Floride où le thermomètre

indique une température plus élevée de 5° que la température moyenne des eaux de
la mer dans ces parages. Gette différence décroît d'ailleurs et tout naturellement à
mesuré que le Gulf-Stream s'éloigne de son origine et se mêle davantage aux eaux

plus froides : cependant on peut, jusqu'à des distances considérables, reconnaître sa

présence à l'aide du thermomètre et mieux encore par l'observation: de la flore et de la


faune marines qui y abondent. •'.-
En approchant des côtes nord de l'Europe, le Gulf-Stream y projette une branche
dont la chaleur donne aux rivages de l'Irlande, de l'Ecosse, de ; la Norvège un
climat beaucoup plus tempéré que la latitude de ces pays ne semble le comporter.
Dans la partie de l'Atlantique nord comprise entre le Gulf-Stream et le courant

équatorial nord, qui, fait à remarquer, forment un cycle à peu près complet, se
trouve Un grand espace, une sorte de remous où viennent s'accumuler tous les débris

transportés par les courants et qui s'en écartent par une cause quelconque.
On y rencontre notamment en abondance cette végétation marine curieuse- qui a
été baptisée raisins de Sargasses et dont l'aspect offre en effet une [ vague analogie
avec la grappe succulente de la vigne.
La connaissance, si intéressante au point de vue de la science générale et si pré-
cieuse pour les marins, du régime des vents et des courants réguliers, est due aux
travaux du savant hydrographe américain : -
Maury.:'.','~.
MaUry vécut de 1806 à 1873. Il descendait d'unefamillefrançaise qui se réfugia en

Amérique lors de la révocation de l'Édit de INarités,/Ce fut en\i845 qu'il publia ses

premières cartes des vents et des courants, fruit d'un énorme labeur qui consista à
relever un nombre immense d'observations faites à la nier par les navigateurs.
Les traditions de Maury ont été d'ailleurs maintenues" aux États-Unis, où il existe
une organisation officielle qui, sous le nom d'Office météorologique, rend à la navi-

gation les plus éminents services.

(') L. POIREL, Géographie moderne, "-': : .\ . '•


LA NAVIGATION. UN NAVIBE ISOLE 243

DERELICTS

Parmi les nombreux documents


que ce Bureau météorologique publie constam-
ment, il faut citer en première ligne les admirables pilot-charts (fig. 188 et 189) qui
fournissent, pour chaque mois de l'année, les renseignements les plus précis et les

plus exacts sur la direction et la force des vents probables dans l'Atlantique nord.
Elles donnent aussi ces indications pour les courants, la position des icebergs, et
celle de ces nombreuses de navires, abandonnés après un incendie ou une
épaves
voie d'eau, que leur chargement de bois de couler, et qui s'en vont au
empêche
gre des courants a travers
les mers, constituant pour
les paquebots un péril re-
doutable (').
Certaines de ces épaves

(en anglais derelicts) flot-


tant au ras de l'eau ou
entre deux eaux, ont cir-
culé dans l'Atlantique pen-
dant des années, entraî-
nées généralement par le
Gulf-Stream et ramenées

par le courant équatorial


du Nord(2).

FIG. — Un derelict. C'est ainsi qu'on a éta-


190.

bli, par les rapports nom-

signalé sa rencontre sur les points les plus divers,


breux de capitaines qui ont que
le trois-mâts Fannie-Wolston, abandonné en 1891 au large de Charleston, ne
avoir fait deux fois le tour de l'Atlantique nord
disparut qu'en 1894, après
On estime l'état d'épave ce navire avait parcouru plus de 5 000
(fig. 191). qu'à
lieues marines.
On conçoit aisément
quel danger ces écueils flottants constituent pour les paque-
bots qui parcourent incessamment, à des vitesses toujours croissantes, les parages où

traînent ces carcasses délabrées, couvertes d'algues vertes, et qui, avec leur cortège
à leurs res-
d'oiseaux de mer attirés par la présence des animalcules attachés flancs,
semblent étrangement à des cadavres de baleines.
Il est hors de doute doit à la présence des derelicts une bonne partie des
qu'on

Ces excellentes fournissent encore une quantité de renseignements utiles aux marins, comme,
(') pilot-cliarts
des brumes, et leur fréquence, la quantité des pluies, les meilleures
par exemple, les parages où ont été observées
routes à suivre, les stations de télégraphie sans fil, etc.
a enregistré i63o rencontres de derelicts différents dans une période de sept ans.
( 2) Le bureau de Washington
On estime qu'il s'en produit a3o environ chaque année et qu'il y a toujours une vingtaine d'épaves à flot en
même temps (La Nature, 3i août 1907).
244 LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE

accidents qui se produisent au cours des navigations, et non moins certain que
beaucoup de navires dont on n'a plus eu de nouvelles ont disparu corps et biens pour
avoir trouve sur leur
route une de ces re-
doutables épaves.
Aussi faut-il encore
féliciter le Bureau

météorologique des
États-Unis d'avoir con-
struit l'année dernière
et mis immédiatement
en service un vapeur
spécialement aménagé
pour la destruction
des derelicts. Cette
(Le Petit Journal maritime.)

oeuvren'est point aussi
FIG. 191. Parcours du derclict Fannie- Wolston dans du i5 octobre
l'Atlantique, 1891
au 31 octobre i8q4. commode qu'on pour-
rait le croire, étant
donné que les navires ainsi abandonnés des chargements de
portent généralement
bois qui ne peuvent couler. Il faut alors se résoudre à la fastidieuse besogne de les
remorquer jusqu'à la côte la plus voisine.

ICEBERGS

Le navigateur doit encore redouter l'iceberg (montagne de détaché


glace) qui,
des glaciers lointains des contrées boréales ou australes, descend sous l'influence
des vents et des courants vers l'équateur ce ait rencontré des eaux
jusqu'à qu'il
assez chaudes pour le fondre.
Les parages que traversent les bâtiments faisant le service entre New-York et l'Eu-

rope en sont infestés en été.


Une surveillance toute spéciale est alors nécessaire éviter des chocs dont le
pour
navire est toujours le mauvais marchand. Cette surveillance est facilitée dans une
certaine mesure par le froid que ces masses de glace souvent énormes projettent
autour d'elles à une assez grande distance et que le thermomètre accuse parfaite-
ment.

L'aspect que présentent les icebergs est généralement fantastique et provoque à

juste titre l'ardente curiosité des passagers qui les rencontrent pour la première fois.
Un officier de marine, M. Strauss, décrit ainsi le spectacle que ces montagnes de

glace lui ont offert sur les côtes du Labrador.

Il y en a de toutes tailles sur notre route ('), de tout petits et de très grands, dont plu-

(*) Petit Journal militaire, maritime et colonial.


LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE 245

sieurs doivent dépasser la hauteur de 3o mètres. Les uns ont des contours amollis et ne pré-
sentent que des courbes gracieuses, d'autres sont abrupts comme de sauvages falaises.
On pourrait s'amuser à les décrire un à un, car leurs formes, non seulement sont des plus
variées et des plus originales, mais changent totalement, à ne plus les reconnaître, à mesure

que nous défilons devant eux.


Quelques-uns cependant restent semblables à eux-mêmes, à peu près sous toutes leurs
faces. Ainsi un beau dragon blanc, tapi dans la baie du Pistolet, qui ouvrait sa gueule déme-
surément et dressait à l'extrémité de sa croupe rebondie, une petite queue fort comique ;
ainsi également un amptntneatre
de marbre, rival du Colisée,
dont je ne puis oublier la beauté.
Son enceinte presque géométri-
quement circulaire, était éboulée
sur un dixième environ du pour-
tour ; non loin de cette brèche,
un porche colossal donnait accès
à l'intérieur du monument.
La muraille était comme fen-
dillée de crevasses, dont les plus
larges s'imprimaient, dans le
marbre étincelant de blancheur,
comme de magnifiques veines
de lapis-lazuli.
La couleur de ces icebergs est
bien souvent, encore, plus extra-
ordinaire que leurs formes. La
plupart sont d'un blanc satiné
d'une douceur extrême sous le
ciel gris.
Si leurs flancs sont balafrés de
fentes ou de crevasses, ces bles-
sures sont d'un merveilleux bleu
tendre, ou d'un vert profond
FIG. 192. —
Passagers d'un transatlantique se pressant sur le pont pour allant quelquefois jusqu'au bleu
un iceberg.
contempler intense.
Souvent même le bloc tout
entier est teinté uniformément de ce vert si pur ou de ce bleu exquis. Il semble alors que ce
sont des rocs tombés de quelque carrière céleste.

l'immense ou se retourne complètement. On


Quelquefois, montagne glacéechavire
voit alors émerger la masse qui était cachée sous l'eau et dont le volume est

cinq fois plus considérable Ce bouleversement


que celui de la partie supérieure. pro-
vient de ce que, peu à peu, les eaux plus chaudes ont fait fondre une partie de la
carène du vaisseau fantastique et détruit l'équilibre entre le haut et le bas. Le même

phénomène se reproduira jusqu'à disparition complète de l'iceberg.

BRUME

La brume est un autre ennemi du marin, plus redoutable que les derelicts et les

icebergs.
a46 LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE

Traînant sur les eaux son linceul humide, elle le prive de l'élément essentiel d'une
bonne navigation, la vue, et l'expose au plus grave danger, l'abordage.
Certains soumis sans doute à des évaporations particulièrement inten-
parages,
ses (') sont plus souvent que d'autres régulièrement visités par des bancs de brume

épais dans lesquels l'horizon est borné à quelques centaines de mètres.


Parmi ces régions il faut citer en première ligne les bancs de Terre-Neuve, la
Manche, la cote d Afrique sous
le cap Guardafui, à l'entrée de
la mer Rouge, quelques points
des côtes de Chine et du Japon.
Sur les bancs de Terre-Neuve,
la brume règne en certaine saison
à peu près en permanence, et
comme, d'une part, la route
des grands et rapides paquebots
transatlantiques passe sur ces
bancs, que, d'autre part, ceux-ci
sont le rendez-vous de l'énorme
flotte qui va, chaque année,
d'avril à novembre, y pêcher la
morue, on pense que nombreux
sont les accidents, voire les
désastres par abordage qui s'y
produisent. Les règlements in-
ternationaux ( 2) ordonnent bien,
pour les cas de brume, toutes
sortes de précautions : diminu-
tion de la vitesse, emploi des

FIG. 193. — Dans la brume, sur les bancs de Terre-Neuve, il arrive sirènes et des cornets à bou-
qu'un transatlantique aborde un doris. dans
quin, etc., qui peuvent,
une certaine mesure, prévenir
les collisions, mais il faut que ces prescriptions sont trop
compter peu suivies,
celles qui ont trait au ralentissement de la marche
particulièrement pour les vapeurs.
On a toujours reculé devant la seule mesure qui eût pu en cette matière avoir
une efficacité certaine, la limitation de la vitesse à un chiffre On s'en remet
indiqué.
aux soins des commandants pour juger de combien il leur suffit de diminuer le
nombre de tours de leurs hélices lorsque la brume s'étend sur eux. d'entre
Beaucoup

(') Par suite, vraisemblablement, de la rencontre des courants chauds venant du Sud avec les eaux glacées
des parages arctiques.
( 2) Il existe en effet un règlement international pour prévenir les abordages. Ce petit et précieux documont,
dont au moins un exemplaire doit se trouver à bord de tout navire de guerre ou de commerce, énonce les règles
établies pour les manoeuvres que doivent exécuter les bâtiments
qui se rencontrent, les feux qu'ils doivent porter
la nuit et contient nombre d'autres renseignements utiles.
LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLÉ 247

eux, la plupart, il faut bien le dire, se contentent à se sujet de fort peu dé chose ; ils
croient être prêts à tout événement lorsqu'ils passent de 20 noeuds à i4 ou i5.
La perte de temps, aArec les autres inconvénients qu'elle entraîne : consommation
de charbon, retard dans le
débarquement des passagers, des marchandises et des

correspondances, est un fait si fâcheux pour.le service strictement réglé des paque-
bots, qUe tout prétexte est par eux facilement saisi qui permet de l'éviter, et l'on
va ainsi, trop vite, dans la ouate épaisse où se perdent même les sons des sirènes, se
fiant à son étoile et aussi à la puissance d'arrêt rapide que donne aux bâtiments
modernes la présence à leur arrière d'hélices multiples.
L'auteur de ce livre a personnellement A'écu quelques journées à bord d'un navire
mouillé sur les bancs de Terre-Neuve, au milieu des bâtiments pêcheurs. 11 a,

pendant de longues heures de brume à couper au couteau, entendu à plusieurs

reprises le bruit des sifflets de vapeurs qui ont passé, sans qu'on pût même les dis-
tinguer, à quelque cent mètres peut-être du navire qui le portait. On avait à bord la
sensation très nette et fort angoissante que le destin du bâtiment était absolument
remis au hasard. Celui-ci voulut bien ne pas le placer directement sur la route d'un
de ces coureurs des mers qui vraisemblablement n'aurait été averti qu'un obstacle se
dressait sur son chemin
que par le fracas de l'abordage.
Parmi les méfaits de la brume, on peut citer encore la perte trop fréquente, sur
ces mêmes bancs de Terre-Neuve, de ces embarcations légères, nommées doris, mon-
tées par deux hommes et qui essaiment au nombre de dix ou douze autour des

grandes goélettes de pêche, sur le pont desquelles elles s'entassent en pile quand on

navigue.
L'arrivée des bancs de brume est parfois si soudaine, leur intensité si forte, que les

équipages des doris, tout occupés à leur pêche fructueuse, perdent subitement la vue
de la goélette dont ils ne s'écartent cependant jamais beaucoup, et ne sont plus

capables de la retrouver. Vienne un grain, une de


ces bourrasques si fréquentes

également dans ces parages vraiment déshérités, et la frêle embarcation, balayée


comme une plume ou remplie par les lames, disparaît avec ceux qu'elle porte.
C'est ici le Heu de dire un mot d'une très belle institution, fondée et entretenue
dont la plupart ont Arécu dans la marine et
par un groupe de personnes charitables,
connaissent en conséquence les dures épreuves de la vie des pêcheurs de Terre-
Neuve et d'Islande. C'est la Société des oeuvres de'mer que dirige avec tant de compé-
tence et de dévouement le
capitaine de vaisseau en retraite Magnon-Pujo. Cette
société envoie chaque année sur les bancs de Terre-Neuve et d'Islande, pendant la
saison de pêche, un naArire-hôpital qui recueille les malades et les blessés des navires

pêcheurs, apporte et distribue les lettres, les emporle, visite les bâtiments, et leur
fournit tous.les secours matériels et moraux dont leurs équipages ont besoin.
11 semble malheureusement certain qu'aucune des prescriptions établies jusqu'ici
pour éviter les accidents de toute nature en temps de brume n'ait
de réelle efficacité.
Une invention récente permet cependant d'espérer que les plus fâcheux d'entre
eux, les collisions et les échouages, pourront être le plus souvent évités. Je veux

parler des signaux sous-marins faits au moyen de cloches immergées, sur lesquels je
248 LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE

reviendrai lorsqu'il sera question des divers moyens que possèdent les navigateurs

pour échanger entre eux des signaux ou communiquer avec la terre.

Quelles que soient les mers où l'envoie l'exercice de sa belle et noble profession,
le marin qui les parcourt trouve presque
à chaque instant, dans le spectacle des
flots qui l'entourent, un sujet de distrac-
tion et d'étude.
S'il navigue dans les mers froides, ce
seront les glaces sous la forme d'ice-

bergs, de banquises, sur lesquels ou


autour desquels il pourra chasser l'ours
blanc, suivre les ébats des morses et des
veaux marins, contempler le vol des
eiders.
Comme pour le dédommager de la
sévérité du climat, le ciel lui donnera
de temps en temps, en allumant les
aurores boréales, une fête d'un éclat

indescriptible et telle que n'en verront

jamais les yeux qui n'iront pas les cher-


cher aux hautes latitudes.

Au moment où le météore
apparaît, aux
approches de la nuit ('), le ciel donne passage
à mille rayons lumineux, convergeant acti-
vement vers un même point, comme dans
une gloire ; de ce centre sont dardées inces-
FIG. —
194. Dépeçage d'une baleine en mer, aux lueurs samment des lames de feu rayonnant dans
d'une aurore boréale.
toutes les directions. Ces lames sont elles-
mêmes sillonnées d'ondes de lumière rouge,
rose, blanche, violette, bleue ; des torrents de feu s'écoulent sans cesse de cette source iné-
puisable, et l'horizon resplendit pendant plusieurs heures de cette magnifique clarté.

D'autres fois, l'aurore boréale se présente sous la forme d'une immense draperie
lumineuse qui couvre dans la direction du Nord une vaste étendue de l'horizon. De
cette sans cesse en mouvement,
draperie, pend comme une sorte de frange dont
chaque brin prend successivement les teintes de l'arc-en-ciel : on dirait qu'un gigan-
tesque faisceau électrique projette les tons du prisme sur les vêtements d'une Loïe
Fuller céleste.
Dans des latitudes plus basses, le marin s'intéressera aux évolutions des grands

(') PACINI, La Marine.


LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE 249

cétacés et à la chasse rigoureuse que leur donnent les baleiniers modernes.


trop
La destruction totale de ces animaux pourrait bien d'ailleurs être imminente,
maintenant vieux harpons des baleiniers d'autrefois ont succédé ceux plus sûrs
qu'aux
et plus mortels que lancent,
sous forme d'obus, les ca-
nons-revolvers dont sont
armées les embarcations mu-
nies de moteurs, qui les

pourchassent sans répit.


Dans les zones tempé-
rées et équatoriales, il se
distraira au spectacle que
lui donneront les marsouins
évoluant gracieusement au-
tour du bâtiment qu'ils sem-
blent reconnaître pour un

grand frère ; sous ses yeux,


les troupes ahuries des pois- FIG, ig5.
— Chasse à la haleine (aujourd'hui).

sons volants surgiront des


mers qui dorment sous l'équateur ; et de loin en loin, la vue de l'aileron du requin
dans
qui suit le sillage et y attend sa proie lui rappellera que tout n'est pas poésie
cette mer qui le berce.
Le baptême de la Ligne est une vieille tradition maritime, née du besoin de pro-
curer quelques distractions aux équi-
le seul
pages, alors que le vent était
propulseur connu et que son absence,

presque absolue sous le cercle équa-


torial, retenait les navires pendant de

longs jours dans les calmes torrides du

pot au noir (').


Les navires d'aujourd'hui, grâce à
leurs hélices, échappent à ce séjour
sous des cieux brûlants, mais la fête
de la Ligne marque toujours le passage
de l'équateur et permet, en baptisant

PUoto. Bossière.
les néophytes qui coupent pour la pre-
FIG. — Un canon sur l'avant d'un baleinier mière fois cette ligne idéale, de les
196. harpon
moderne.
consacrer vrais marins.
Je ne saurais mieux la décrire qu'en me reportant à l'ouvrage de Pacini, La Marine,

auquel j'ai fait et ferai encore de larges emprunts.

On nomme ainsi une bande de mer un au Sud de l'équateur, où les alizés du Nord et du Sud
(') placée peu
so neutralisant, créent des calmes où on subit tantôt les ardeurs d'un soleil brûlant, et tantôt les torrents d'eau

versent des nuages lourds et noirs.


que
25o LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE

La veille de cette singulière cérémonie, vers le soir, un orage d'un nouveau genre trouble
la tranquillité du ciel : du haut des mâts des roulements de tambour figurent le bruit du ton-

Plïolo. Bossiire.

FIG. — Pèche à la baleine


197, (autrefois).

nerre, des amorces brûlées sillonnent en guise d'éclairs ce théâtre en plein vent, des torrents
de haricots secs (les célèbres fayots!) poursuivent de leurs durs grêlons les spectateurs naïfs.
Au milieu de cet impo-
sant appareil, le dieu
des mers, Neptune lui-
même, d'une voix che-
vrotante, hèle le bâti-
ment.
D'où vient-il ? où va-
t-il ? le nom du navire ?
celui du commandant?
. Après les
réponses
complaisantes de l'offi-
cier de quart, le père
La Ligne expédie un
émissaire,
qui descend,
FIG. IQ8. — Poissons volants. suspendu le long de
l'étai du grand mât, en
costume de postillon : il remet au commandant une missive composée par le bel esprit du bord
et qui contient l'autorisation de pénétrer dans les régions sacrées où règne le père La Ligne.
Quelques bouteilles de vin sont pour le digne postillon la plus éloquente des réponses.
LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE 25l

Le lendemain a lieu la grande cérémonie. Le dieu, satisfait, vient avec sa suite recevoir le
tribut des novices qui n'ont pas encore été initiés à ses mystères. Dans cette burlesque pro-
cession figurent pêle-mêle les plus grotesques images des institutions des sociétés modernes
et des traditions mythologiques.
s'avancent suivis de
Neptune et Amphitrite, précédés de sapeurs, d'Indiens peaux-rouges,
leur cour, où ne manque jamais un chapelain.
de vin remplace avanta-
L'astrologue royal, maniant un octant fabuleux où une bouteille
et déclare que la Ligne »
geusement la lunette, fait gravement ses observations
va être coupée par le bâtiment.
Des gendarmes à aiguillettes de corde combattent, le bancal à la main,
les serpents des Euménides et les fourches d'une légion de diables.
Tous maintiennent la police parmi les néophytes transformés en damnt
au corps noirci de goudron et trempé dans les plumes, dépouilles des
d'abor-
cages à poules, qui traînent à leurs bras les chaînes des grappins
dage.
Le courrier de la veille monté sur un fabuleux hippogriffe, un meu-
nier breton prodigue de sa farine, cheminent à côté d'un Bac-
chus rayé de rouge et de bleu.
Après avoir défilé sur le pont du bâtiment, la noble
assemblée va s'asseoir sous une tente tendue de pavil-
lons bariolés, le chapelain prononce un sermon burlesque
où ne manque jamais l'invitation aux autorités d'être à
l'avenir plus prodigues de la double ration.
Enfin chacun des néophytes est appelé à s'as-
seoir sur un trône recouvert de drape-
ries. Aussitôt les sacrificateurs s'empa-
rent de lui. Le barbier équatorial passe
sur sa figure barbouillée de savon un
— du de la Ligne.
immense rasoir en bois, pendant que
FIG. 19g. Divinités marines Passage

ses pieds sous prétexte de cirage sont


enduits de noir de fumée jusqu'aux genoux, enfin son siège bascule et le patient disparaît
dans une cuve pleine d'eau dont il s'enfuit à grand'peine, bien et dûment baptisé.
Quelques récalcitrants essaient de se dérober par la fuite à cette investiture qui n'est pas de
leur goût ! Peines perdues ! Le registre baptismal est sévèrement contrôlé, et à l'appel d'un

manquant, une légion de diables et d'Indiens s'élance dans la mâture, scrute les coins les
plus reculés du navire et ne manque jamais de ramener l'insoumis à qui cette incartade pro-
cure un redoublement d'aspersions.
La fête se termine par un combat général dont les pompes à incendie, les seaux et les
bailles constituent la formidable artillerie et dont la mer fournit les inépuisables munitions.
Quelques heures après, le pont est lavé et séché, l'équipage dégrimé et tout, à bord,
reprend son aspect ordinaire.
Mais à côté de ces moments de joie et de gaieté, la navigation en réserve de plus
sévères, de bien
dramatiques aussi.
Un cri a retenti : « Un homme à la mer ! », cri que nul n'a entendu sans sentir son
coeur se serrer.
Toute une série de dispositions sont constamment prises en vue de cette éventua-
lité à bord de tout bâtiment qui navigue. A l'arrière du navire, accrochée à une po-
tence en fer, se balance une bouée de sauvetage perfectionnée sur laquelle veille
constamment un factionnaire porteur d'une petite hache.
25a LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE

Une embarcation appelée baleinière,


légère,
suspendue de chaque bord à ses porte-
manteaux, est toujours prête à descendre à la mer. Son équipage est désigné à l'avance
et doit toujours en restera proximité. A l'appel sinistre, le factionnaire de la bouée

coupe le lien qui la main-


tient. Une tige métalli-

que surmonte le plateau


central de la bouée et

permet de la distinguer
d'assez loin le jour. Une

petite boîte, placée à la

partie inférieure de cette

tige, contient du phos-


phure de calcium qui
s'enflamme au contact
de l'eau. La flamme sort

par le sommet de la tige,


et projette une lueur sur

laquelle l'embarcation de

sauvetage peut se diriger


Fin. 200. — Le factionnaire de la bouée de sauvetage. la nuit.
L'officier de quart a
fait stopper et remerser les machines, mais non sans s'être rendu compte, dans la
mesure du possible, de la situation de l'homme tombé. Il faut éviter en effet que se
trouvant trop près des
hélices il ne soit saisi et

englouti par le terrible


remous qu'elles produi-
sent quand on change le
sens de leur marche.
L'officier doit en même

temps manoeuvrer la
barre et mettre le bâti-
ment en travers ou à peu

près, à la direction des


lames, pour créer un abri
à la baleinière qui va être
amenée (') du côté sous
le vent. FIG. 201. — La baleinière de sauvetage est amenée à la mer.

Pendant que, sous ses


ordres, ces opérations s'accompliront à peu près mécaniquement, son aura
esprit
dû peser la possibilité de mettre une embarcation à la mer, et se rendre s'il
compte

(') En terme de marine amener faire descendre.


signifie
LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE 253

luiest permis d'aventurer l'existence des six hommes et de l'officier qui vont tenter
de retrouver leur camarade.
Enfin la décision
est prise, et si on veut bien songer aux courts instants qui, dans
ces conjonctures, peuvent être accordés à la réflexion, on jugera qu'en cette matière
comme en beaucoup d'autres dont est faite la vie du marin, la promptitude et la
rectitude dujugement doivent être
les premières des nombreuses qua-
lités que requiert l'exercice de ce
noble métier.

Grimpant aux porte-manteaux,


l'armement de la baleinière s'est
installé aux bancs. Chaque homme
a capelé sa ceinture de sauvetage,

disposé son aviron. Le patron tient


la barre ou l'aviron de queue qui

permettra de mieux gouverner dans


les lames creuses ; les garants sont
filés, et la baleinière descend, rude-
ment ramenée contre les flancs par
le roulis du navire ; elle touche enfin
l'eau, et, d'un coup sec de levier,
le patron dégage à la fois les crocs
des deux palans. On pousse ('), et
la frêle coquille de noix, tantôt

portée sur la crête des vagues, tan-


tôt sombrée et invisible dans les
vallées profondes qui les séparent,
se dirige vers la bouée qui, elle
aussi, danse follement. Du bord
on suit avec angoisse la baleinière

perdue dans la mer. A la voix si


202. — Sauvé !
FIG. on peut, au moyen de pavillons
tendus à bout de bras si la dis-
tance est trop grande, on dirige sa marche vers le point noir qui est la bouée.

L'angoisse étreint tous les coeurs pendant que, sous les efforts surhumains de douze
bras vigoureux, l'embarcation se rapproche lentement du but. L'atleindra-t-elle ?
L'homme quiest cramponné à la bouée aura-t-il la force d'attendre son arrivée? Du

pont, de la passerelle, de la mâture tous les yeux sont braqués, toutes les longues-vues
sont en action. Enfin un cri éclate. Ils y sont ! Ils l'ont ! Sauvé !
Malheureusement, il n'en est point toujours ainsi et trop souvent l'embarcation
de sauvetage ne ramène que la bouée seule.

( 4) Pousser signifie qu'on écarte l'embarcation du flanc du navire en poussant avec une gaffe.
254 LA NAVIGATION. UN NAÀ'IRE ISOLÉ

De nos jours où les mâts ne portent plus de vergues, il est très rare qu'un homme
tombe directement à la mer. Il y a bien des chances pour;qu'il heurte auparavant
quelque rambarde, le flanc du navire lui-même ou le can( 1) de la cuirassé, et qu'il
arrive à l'eau étourdi, sinon déjà tué par un de ces chocs ; il disparaît alors à jamais.
Mais il faut dire aussi que la suppression des A'oilures et dés; manoeuvres continuelles,

qu'elles entraînaient a réduit dans une proportion considérable ce genre d acci-


" :' ;
dents. ;'; . . j .,
U'arrive que le commandant, responsable de la vie de ses hommes, se voie, devant
l'état de la mer, contraint à abandonner toute tentative de et doive résister
[sauvetage,
aux sollicitations enfiévrées, aux offres de dévouement les plus émotionnântes que le
respect et la discipline né contiennent pas toujours.
On jugé alors de l'angoisse qui étreint tous ces coeurs pourtant bien trempés lors-

que, devant les lames qui engloutiraient à l'instant toute embarcation et peuvent
même causer des aA'aries au bâtiment s'il leur présentait le travers, il faut laisser
tout espoir et reprendre la route.
Les règlements maritimes prescm7ent que lorsqu'un homme tombe à la mer, tous
les bâtiments naviguant ensemble mettent leur paA'illon en berne ; si on parvient aie

sauArer; les pavillons sont rehissés à Hoc. Si au contraire toutes les recherches sont

vaines, on rentre le paA'illon. C'est le dernier salut de la pairie à celui qui lui donne
sa vie. .-.''! I
La manière dont quelques hommes ont été arrachés à une mort certaine pourrait,
à bon droit, passer pour miraculeuse. I ' il
i {' ! J .

Nous aA'ons vu, dit PaciniQ, à bord d'un bâtiment de comm|erce unlmâtelot dont le sau-
vetage présentait des circonstances extraordinaires. Il tomba à la hier dans un grain où son
bâtiment; était forcé de laisser arriver Q). ; | ;
On lui; jeta tous les objets flottants qui tombèrent sous la main,; cages à poules, paniers, etc.,
mais l'équipage, peu nombreux, ne put entreprendre les manoeuvres nécessaires pour le sau-
A'fer; le naAire continua sa route; une demi-heure après le grain cessa ; le capitaine, désespéré,
voulut faire une tentative pour retrouver ce marin ; il révint sur seb pas en suiA'ant autant que
possible une roule opposée et mit en panne à l'endroit où il aperçut les objets que l'on avait
jetés à la mer. \
Le temps était devenu brumeux ; cependant il fit amener une embarcation qui rôda inu-
tilement pendant une heure ; enfin les canotiers croyant entendre un faible cri, se dirigèrent
de ce côté, c'était bien le matelot! !
EL aA'ait passé trois heures et demie à la mer ; au moment où;ilhrit le naA'ire continuer sa
route, il avait om'ert on couteau, décidé à abréger ses souffrancesr; mais ayant pensé à Dieu
et au diable, disait-il, il aA'ait changé d'idée, et pour ne pas en âvqir une seconde fois ia ten-
tation, il aA'ait détaché son arme et l'aA'ait laissée couler. i ;- •.
En racontant ce drame, cet homme simple ne paraissait pas se douter de la sublimité de sa
•".•'.-'! ,. . J . :•..
résignation stoïque.

(J) Tranche de la cuirasse qui déborde sur le flanc du navire. !


'
La Marine, cité. , ;:
( 2) déjà
( 3) Se rapprocher du vent arrière. Cette manoeuvre permet aux voiles de mieux supporter l'effort du vent et
écarte la crainte deies Voir masquer ou coiffer, ce qui compromettrait la mâture tout entière.
LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE 255

L'ATTERRISSAGE

Enfin, contrariée ou non, bonne ou mauvaise, la traversée s'achève. Les points


fréquemment portés sur la carte indiquent que l'on approche de terre. Bientôt, dans
la nrume légère qui couvre l Ho-
rizon, quelques formes indécises se
dessinent. Montagnes ou nuages ?
Il est souvent facile de s'y tromper
et cette erreur a été commise bien
des fois.
Nombreux sont
les moyens que
possèdent les navires pour recon-
naître le point de la côte sur

lequel leur route les a conduits.


Si, en raison de l'état du
temps,
les observations astronomiques ont
été impossibles pendant un ou

plusieurs jours, ce qui arrive assez

fréquemment, il règne à ce sujet


un doute dont il importe de sortir
le plus promptement possible. Les
courants, les vents, les petites
erreurs inévitables sur la route

peuvent en effet avoir poussé le


navire assez loin du point sur le-
FIG. 2O3. — Sondeur Thomson.
quel il se dirigeait, et, à l'approche
A, caisse dans laquelle le sondeur est descendu lorsqu'il n'est pas employé.
B, indicateur du nombre de mètres de corde qui est filé à la mer. des côtes et des dangers qui les
C, touret sur lequel est enroulé le ûl d'acier.
D, linguet servant à maintenir le touret au-dessus de la holte.
précèdent parfois de fort loin, il
E, eau de chaux dans laquelle plongent le touret et le fil d'acier au repos.
F, lil d'acier à l'extrémité duquel est fixée une corde sur laquelle sont est absolument nécessaire de savoir
attachés le tube H et le plomb de sonde S.
G, poulie fixée à l'arrièro du navire et sur laquelle passe le fil d'acier. exactement où l'on est.
H, tube coloré dans lequel l'eau de mer pénètre en comprimant l'air.
frein à corde servant à modérer
F, T, le mouvement de rotation du touret. Leprocédé de reconnaissance
S, plomb de sonde.
M, manivelle servant à rentrer à bord le fil, le plomb et le tube.
auquel on peut avoir recours du

plus loin consiste à comparer le

profil de la terre qui se présente aux vues qui en sont dessinées et soigneusement
marquées sur les cartes, prises de points situés à grande distance.
La forme du sommet d'une haute montagne, le profil d'une coupure dans une
chaîne de hauteurs, tels sont en général les caractères particuliers grâce auxquels
le marin peut fixer avec une certaine approximation sa position à grande distance
de la terre.
Si la brume
l'enveloppe, et que ce genre de renseignements lui échappe, il y sup-

pléera en sondant. Des appareils perfectionnés remplacent la vieille ligne de sonde de


nos pères dont l'emploi exigeait l'immobilité du bâtiment. Le sondeur Thomson,
256 LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE

aujourd'hui universellement employé, permet de trouver la


hauteur du fond sans qu'il soit nécessaire, ni même utile de

stopper. Un tube de verre presque capillaire, bouché à l'une


de ses extrémités, est enduit intérieurement d'une solution de
chromate d'argent qui reste rouge quand elle est sèche, mais
qui devient jaune quand elle a été mouillée. Convenablement

protégé par une armature en cuivre léger, ce tube est fixé à


l'extrémité d'un fil d'acier qui se déroule d'un treuil, et

qu'entraîne au fond une forte masse de plomb. Ce tube est


ouvert à une seule de ses extrémités. L'eau s'y introduit en

comprimant l'air qui s'y trouve, et suivant la pression qu'elle


exerce, pression augmente quidans une proportion connue
avec la profondeur, pénètre d'autant plus avant dans le tube

que cette profondeur est plus considérable. La couleur du

E tube disparaît là où elle est en contact avec l'eau. On file donc

* 1 le plomb, le tube et le fil d'acier à la mer jusqu'à ce qu'on


8 I § sente, au moyen d'un outil posé sur le fil qui se déroule, que
o -I r.
ë ^ »
le fond est atteint ; on en est averti par un relâchement dans
u •« g le fil d'acier. On relève alors le tout en tournant le treuil,
1 3 puis
" ^ s on mesure la hauteur de la montée de l'eau dans le tube, et on
i s
^«I
j .-s
en déduit la profondeur d'après la loi de Mariotte en reportant
« V o cette indication sur une règle graduée ad hoc. Un peu de suif
•0) « -B
collé dans la cavité du plomb rapporte, à l'ancienne mode, un
fi I -1
M 1 S
* { "" échantillon de la nature de ce fond, sable, coquilles brisées,
ou rien du tout, ce qui signifie roc (').
4 il vase,
u | La hauteur du fond et sa composition sont un des renseigne-
> i s ments les plus intéressants que fournissent les cartes marines.

U En cherchant à leur comparer les résultats fournis par un ou


mieux coups de sonde, on arrive très bien à fixer
par plusieurs
-s sa position.
Nos pères, à qui manquaient beaucoup des moyens perfec-
tionnés actuellement mis à la disposition des marins, faisaient
flèche de tout bois. Ils tiraient notamment de toutes sortes
d'indices l'avertissement que la terre
proche. était
C'est ainsi
se fiaient au
que les anciens navigateurs portugais beaucoup
vol des oiseaux, dont ils avaient fait une étude particulière.
Les paille en queux de l'île Bourbon, les fous et les frégates
des îles Amirauté, les albatros aux ailes immenses des caps
Horn et de Bonne-Espérance devenaient des indicateurs.
En Bretagne, nombre de marins pratiques prétendent encore

au
(') Un jeune officier de la marine marchande, M. Warluzel, vient d'apporter
encore bien plus
sondeur Thomson des perfectionnements qui le rendent, paraît-il,
pratique.
SAUVAIRE JOURDAN
pL

Spécimen de carte marine. (Les taches noires la position des phares.)


indiquent
LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE
207

distinguer les goélands d'Ouessant de ceux de Belle-Isle, et assurent que ces oiseaux
ne se mêlent point entre eux ('). Ils estiment leur position suivant qu'ils ont affaire
à l'une ou à l'autre des deux espèces.
Un autre indice de l'approche des terres est quelquefois fourni à grande distance

par l'odeur caractéristique qui s'en dégage, lorsqu'elles sont couvertes de bois odo-
rants. C'est ainsi que la côte de Provence répand au large l'odeur de ses pins, et les
îles des Antilles la senteur enivrante de leurs fleurs. C'est surtout la nuit qu'on peut
avoir recours à ce mode exquis de reconnaissance de la terre, parce que c'est la nuit

que règne la brise venant de terre.

Lorsque les vues de côtes, les sondages ont permis de fixer avec une certaine

approximation le heu où
l'on se trouve, on fait route

d'après cette indication, et


bientôt apparaissent des dé-
tails de la terre, des points
secondaires, phares, îles,
monuments placés sur les
hauteurs, et au moyen des-

quels le problème de la fixa-


tion du point se résout alors
dans toute sa rigueur. Il
suffit d'employer le système
de relèvement que j'ai indi-

qué au commencement de
ce chapitre, et le comman-
dant peut alors reconnaître
FIG. ao5. — Le phare du Planîer à Marseille.
sur sa carte la situation
exacte du navire.
Les cartes marines sont de plusieurs espèces. Toutes, comme je l'ai dit plus haut,
sont établies
d'après la méthode de Mercator, c'est-à-dire en projection plane. Celles

qui servent pour les grandes navigations et qui représentent des mers tout entières
sont dites routiers. Quand on approche des côtes et que le besoin se fait sentir de

posséder des renseignements plus précis sur les fonds, leur hauteur et leur nature,
sur les bancs déroches souvent situés très au large, etc., on sort les cartes à petits

points, où figure une assez grande étendue du littoral et de la mer qui le baigne.
C'est sur ce genre de cartes que se trouvent les vues de côtes dont j'ai parlé et les
phares avec l'indication de leurs caractéristiques.
Enfin, pour se guider tout près de terre et pour entrer dans les ports, on consulte
les cartes à grands points, qui portent les moindres susceptibles détails
d'intéresser le
marin, bouées des chenaux, récifs, les indications pour mouiller en bonne place, et
enfin les plans qui représentent à grande échelle les ports et les baies avec leurs dispo-
sitions particulières et les moyens d'amarrage qu'ils fournissent.

(') PACINI, La Marine.

SAUVAIRE JOURUAN. 7
i58 LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE

Pendant tout le cours de la traversée et plus spécialement aux atterrages, le com-


mandant et les officiers de quart consultent avec fruit une série de volumes précieux,
dont la collection
porte le titre d'Instructions nautiques et qui leur donnent, pour toutes
les mers et toutes les côtes du globe, les renseignements les plus précieux sur le régime
des vents, tempêtes et marées, le signalement des dangers et les meilleures routes
à faire pour les éviter, les alignements à suivre dans les chenaux et pour entrer dans
les ports et rades, les ressources de tout genre et le prix des approvisionnements et
denrées diverses qu'ils pourront y trouver. Ces instructions sont rédigées à Paris, au
service Hydrographique de la Manne, par un

groupe d'officiers d'après les données que leur


envoient constamment leurs camarades qui par-
courent les mers.
La confection des cartes est confiée à un corps

spécial d'officiers qui portent le nom d'ingé-


nieurs hydrographes et fournissent à la Marine
des documents admirables dont la réputation
est universelle.
Mais la routeque suit un navire ne l'amène
pas toujours sur la côte pendant que le soleil
luit. Un vrai marin n'est jamais retardé par la
difficulté apparente que présentent un atter-

rissage et une entrée de nuit dans un port.


On n'admettrait pas notamment qu'une force
navale se vît arrêtée un instant par l'obscurité,
et depuis longtemps nos amiraux commandant
les escadres et parmi eux les vice-amiraux Ger-
FIG. ao6. — Gardien dans la lanterne du phare.

vais, Fournier, Touchard, Germinet, Jauré-

guiberry, deJonquières, Caillard ont, par une pratique continuelle, mis nos comman-
dants sur le pied de ne reculer devant rien dans ce genre d'opérations. C'est grâce à
cet entraînement qu'une entrée de nuit à Toulon, de 20 ou 25 navires de gros ton-

nage, spectacle d'ailleurs merveilleux, est passée au rang des faits maritimes courants.

PHARES

L'approche des côtes, la nuit, est signalée par les phares.


Le plus ancien phare dont l'histoire fasse une mention positive est celui de la tour
Tintée construite 600 ans avant J.-C, à la pointe de la Corne d'Or qui maintenant
est le port de Constantinople (').
En France, ce fut sous le règne de Louis XIV que l'on construisit le premier de ces
utiles édifices à l'embouchure de la Gironde, sur la baie laissée par l'île d'Andros qui

PACINI, La Marine.
(')
LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE
259

y était située et disparut en 1^27 dans un tremblement de terre. Le feu y était entre-
tenu au moyen de lampes et de réflecteurs

plans.
La multiplication et la
puissance des

phares garnissant actuellement les côtes


du monde entier, à l'exception de quelques
rares points qui ne tarderont pas d'ailleurs
à en être munis, rendent facile la naviga-
tion de nuit sur les côtes (').
Dans certains parages même où les

points de reconnaissance, les amers, pour


employer le terme propre, sont quelque-
fois embrumés ou difficiles à distinguer,
bien des marins
préfèrent la navigation de
nuit pour laquelle les éclats puissants des

phares donnent toujours des indications


aussi précises que précieuses.
Sur les côtes européennes comme sur
celles des États-Unis et d'une assez grande
FIG. — Bouée lumineuse do sauvetage.
207.
partie du reste du monde, les phares sont
disposés à telle distance les uns des autres bâtiment ne de vue
qu'un perdant pas

FIG. 208. — la nuit, à la bouée lumineuse.


Sauvetage, grâce

(') Notons cependant, comme une, négligence inconcevable pour une époque qui se pique de sentiments altruistes,
l'absence de tout phare sur le cap Guardafui, à l'entrée de la mer un des points les du
Rouge, plus dangereux
et sur l'île Socotora l'entrée de cette même mer.
globe, qui marque
260 LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE

le littoral ne quitte jamais l'espace où l'un d'eux projette sa lumière avant d'avoir

aperçu celle du phare voisin.


Les perfectionnements apportés dans la fabrication des pièces dont se compose la
lanterne d'un phare, les progrès de la science de l'optique, l'adoption de puissants
ont per-
foyers lumineux et l'application à ces foyers, en certains cas, de l'électricité,
mis d'ailleurs d'atteindre, pour quelques grands phares placés sur les points où se

généralement l'atterrage des bâtiments, des portées qui eussent paru fabu-
produit
leuses il y a quelque cinquante ans. Pratiquement, en dehors des cas de brume mal-
heureusement trop fréquents, la portée de ces gigantesques et puissantes torches n'est
limitée que par la rotondité de la terre,
et on les aperçoit de distances d'autant

plus considérables par une nuit noire

que l'on s'élève plus haut sur le pont


ou dans la mâture du navire.

Quant à la hauteur des phares eux-


mêmes, a appris
on qu'il pouvait être

inopportun de les placer sur des points

trop élevés, au sommet de montagnes

par exemple, les chances de voir leur


lueur absorbée par la brume croissant
rapidement avec F altitude.
Je ne crois pas utile d'insister sur une
erreur que peuvent seules commettre les

personnes n'ayant des choses maritimes

que des notions trop vagues et superfi-


cielles : elles paraissent croire que les
phares sont destinés à éclairer la mer
et à faciliter ainsi la roule du navire.
C'est seulement en indiquant jiar leurs
éclats un point de la côte bien déter-
FIG. 209.— Ratcau-phare mouillé sur le banc Sandettié
dans la Manche. miné, dont la connaissance servira aux
marins
pour déterminer leur position,
qu'ils sont utiles. On s'ingénie naturellement à différencier autant que pos-
sible les feux de phares voisins, en faisant varier la façon dont ils émettent leur
lumière, ou même la couleur de celle-ci, mais cette
disposition dernière
n'est pas

adoptée pour les phares à grande portée, parce que les éclats de lumière colorée, surtout

pour certaines couleurs, ne se voient pas aussi bien à la même distance. Le blanc
a sur ce point une grande supériorité.
On ne peut penser sans mélancolie à l'existence que mènent dans ces prisons de

pierre, sans cesse soumises àl'assaut des vagues et des vents, les gardiens chargés de
veiller sur ce feu qui ne doit jamais s'éteindre la nuit tout au moins. Ces postes sont

cependant vivement sollicités. L'un des avantages les plus singuliers qu'y trouvent
les marins qui les demandent est l'abondance d'oiseaux de toutes espèces qui
LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLÉ 26l

viennent s'y briser les ailes, fascinés par l'étincelant foyer, et pourvoir en partie à leur

nourriture. - =—;—.^—^—v^—===. ^—^_ _


1 _-=r-j

Sur les bancs dangereux qu'on trouve


très au large de certaines côtes, on place
des signaux qui permettent de les recon-
naître et de les éviter. Ce sont pour le

jour des bouées, des balises; pour la


nuit des phares flottants fixés au mât
de bateaux-feux, ou encore des appa-
reils lumineux installés sur les bouées.

Quelques-unes de ces dernières portent


encore, pour les cas de brume, des sortes
de sifflets ou de cornes d'appel que le
mouvement de la houle fait fonctionner,
et dont le son lugubre produit un effet
FIG. 210. — Bouée lumineuse et à cloche signalant
singulier. l'approche d'un banc.

Il est une invention toute moderne

qui permet de parer aux dangers ou inconvénients de cette brume qui


principaux
reste la principale ennemie du marin.
Elle est basée sur cette loi physique en
vertu de laquelle les sons émis se sous l'eau
transmettent à des distances considérables
avec une vitesse et une netteté inconnues à
ceux que l'air se charge de véhiculer. La

rapidité de propagation dans le premier cas


est en effet de 1 43ora à la seconde et dans
le second de 3301" seulement. Quant à la

portée, des expériences très concluantes ont


démontré que le son d'une cloche immer-

gée est perçu très nettement à une distance

moyenne de i5km, mais qui peut atteindre

/jo1"".

L'application de ce principe remonte à

cinq ou six années seulement, mais elle


rend déjà les services les plus signalés aux

navigateurs et leur en rendra de bien plus


encore quand son usage se sera
grands
universellement répandu.
FIG. an. — Balise en maçonnerie.
Et voici comment.

Sur les points des côtes où aboutissent lignes de navigation et dans


les3 grandes
262 LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLÉ

tous les parages dangereux, on installe des cloches sous-marines suspendues sous les
bateaux-feux, les bouées, ou même simplement sous des echatau-
dages reposant directement sur le fond. Le battant de ces cloches
est mû par un moyen mécanique quelconque, électricité, air com-

primé, etc., de façon à donner toujours le même nombre de coups,

Coupe schématique. Cloche fermée. Cloche ouverte.

FIG. 213. — Cloche sous-marine l'émission de signaux sonneur est commande


pour (l'appareil par l'air comprimé).

doubles ou simples, qui indiquent, d'après un livret spécial, le numéro du bateau-


feu, de la bouée, qui portent la cloche, ou du
phare près duquel elle est mouillée, et per-
mettent à celui qui entendra ce signal de recon-
naître et de fixer sur la carte le point d'où
les sons sont partis.
De leur côté, les navires portent en dedans
de leur coque et contre cette
coque, au-des-
sous de la flottaison, des microphones qui
recueillent les ondes sonores émises par les
cloches, les amplifient et les transmettent à
des écouteurs téléphoniques placés sur la pas-
serelle. Le bruit arrive avec beaucoup plus
d'intensité à celui des écouteurs qui est du
même côté que la source du son. Il résulte
de cette très heureuse propriété qu'en
FIG. 2i3. — Indicateur de direction et téléphone- por-
récepteur pour signaux par cloches sous-marines. tant successivement les deux écouteurs aux
oreilles et en faisant tourner le navire
jusqu'à
ce que les sons arrivent des deux côtés avec la même intensité, on acquiert la
LA NAVIGATION. UN NAVIRE ISOLE 263

certitude que le point où est placée la cloche dont lessons proviennent est situé
sur le de l'axe du bâtiment. Le commandant du navire possède
prolongement
donc aussitôt un élément lui permettra de reconnaître sa position, puisqu'il
qui
connaîtra le relèvement du phare, de la bouée, du bateau-feu lu sur le compas et
son identité fourme par le nombre des coups de
cloche.
Grâce à ce système, dont l'installation sur les
côtes du monde entier se répand rapidement, on
la brume les
peut dire qu'on a supprimé pour
navires munis de l'appareil si simple qui permet
d'entendre les sons des cloches.
Son usage permet journellement aux comman-
dants de paquebots d'accomplir des prouesses
inouïes. Le point du monde où atterrissent le plus

grand nombre de navires est sans doute l'entrée


de la rivière Hudson sur laquelle est bâtie New-
York. Or cette entrée présente des coudes, des
bancs qui rendent l'accès du port fort délicat par
beau temps, très difficile et souvent même impra-
ticable par temps de brume ; les cloches sous-
marines dont on a garni les approches de l'em-
bouchure, muni les bouées qui marquent les bancs
et les sinuosités de la rivière, font maintenant de
cette opération un jeu pour les commandants un

peu hardis. On en cite qui ont conduit leurs

gigantesques paquebots de 200™ de longueur jus-


qu'à leurs piers (') devant New-York sans avoir

aperçu un phare, une bouée, un bout de terre ( 2) !

Lorsque, ce qui ne peut tarder, on aura trouvé


un moyen pratique de munir les navires, non plus
seulement des appareils écouteurs, mais aussi de

FIG. 214. — Le pilote montant à bord.


la cloche sous-marine,
qu'ils et
pourront ainsi
s'avertir les uns les autres de leur approche, la nuit
ou en temps de brume, on voit quelle sécurité nouvelle sera apportée à la navigation,
et combien diminueront les chances d'abordages.
Les applications de cette belle invention pourront d'ailleurs être diverses. Pour-

quoi n'en tirerait-on pas parti, par exemple, sur ces pauvres doris de Terre-Neuve et
d'ailleurs, dont j'ai raconté plus haut les dramatiques aventures ?
Il est évident que la marine de guerre trouvera, dans 1 adoption de ce système, les
mêmes avantages que les paquebots au point de vue de la navigation. Au point de

(') Sortes de quais en bois placés perpendiculairement à l'axe du fleuve et le long desquels les paquebots
s'amarrent à New-York.

( 2) Notamment la Provence et nombre d'autres paquebots de la Compagnie Générale Transatlantique.


2'64 LA NAArIGATION. UN NAVIRE ISOLÉ

A^ue militaire strict, il est vraisemblable qu'il en sera de même. Grâce aux cloches
sous-marines, on peut très bien envisager,, par exemple, la possibilité d'échanger des
signaux entre sous-marins en plongée, ou entre sous-marins et navires à la surface.
Ce sera une grosse lacune comblée dans l'utilisation de ces ^bâtiments.
Quoi qu'il en soit, le navire que nous venons de promener sur les mers est enfin
rentré au port. Les formalités qui accompagnent l'arrivée, l'arraisonnement;, là véri-
fication de la patente de Santé ont été remplies saris incidents,
L'ancre est au fond, la longue flamme, indice d'une campagne qui se termine1,':
monte au haut du grand mât; à l'agitation de laimer, aux mouvements du roulis
succédé Un calme, un repos qui, si impatiemment désiré,! déconcerte cependant au
premier abord.
Heureux le marin qui touche au port après un long voyage !
CHAPITRE VII

LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT

Les escadres et les divisions.- :— Là marque de l'amiral; — Répartition de nos forcés navales. — Nécessité de

l'homogénéité. — Les leurs différents modes. — La télégraphie sans fil. — Comment une escadre
signaux,
se formé pour naviguer, — Services que rendent les sémaphores. -— La des flottes
pour combattre. tactique
— Gomment — — Le combat. —
nombreuses. une escadre se garde, s'éclaire. Dispositions pour la bataille.
Rôle des croiseurs cuirassés. — La guerre de course. —Le droit de visite. — Pirates modernes. •— Le blocus,
les effets qu'il peut produire.

GROUPEMENT DES NAVIRES

Il est de plus en plus rare qu'un navire de guerre ait à naviguer isolément, ou du
moins à faire dans ces conditions une campagne d'une certaine durée.
Toutes les nations marquée à consacrer la majeure partie de
oht une tendance
leur budget maritime à la construction de navires de combat, c'est-à-dire de cuirassés.
Et Une fois qu'elles, les ont construits, elles tiennent à les conserver à portée de
leurs côtes, d'abord parce que la navigation lointaine de ce genre de bâtiments coûte
fort cher, ensuite et surtout parce qu'il est plus sage de les avoir sous la main en cas
de nécessité.
Ces bâtiments, généralement très puissants, qu'elles gardent ainsi sous leur aile,
on a été naturellement amené à les grouper,-de façon à faire produire pendant le
combat à la masse compacte qu'ils forment, ainsi réunis, un effet supérieur à la
somme des effets que chacun d'eux pourrait fournir isolément.
Le groupement d'un certain nombre de cuirassés forme une escadre.
La marine française a depuis longtemps diA'isé ses escadres en divisions compre-
nant chacune trois unités, placées sous le commandement d'un contre-amiral dont le

pavillon flotte sur un des bâtiments de sa division (J).


Quant au nombre de divisions réunies il varie suivant le nombre
dans l'escadre,
d'unités dont ori disposé, mais on admet généralement que le chiffre de trois divisions
est celui qui correspond le mieux aux besoins tactiques et se prête davantage à une
bonne utilisation militaire.
Il importe, pour une escadre comme pour une armée, que le commandant en
chef garde à tout moment du combat le contrôle de ses forces et qu'il puisse leur

marines notamment, ont adopté le chiffre de quatre unités par division.


(*) Quelques étrangères, l'Allemagne
266 LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT

faire exécuter aisément et rapidement telle manoeuvre, même imprévue, qu'il jugera
nécessaire. Ces conditions ne se réaliseraient pas avec une force navale qui compren-
drait plus de 9 ou, à la rigueur, plus de 12 navires.
Il faut considérer en effet que le minimum de la distance
à laquelle peuvent se
tenir deux cuirassés en ligne est de 4oora, comptés de passerelle à passerelle, ce qui,
avec les longueurs de i5ora actuellement atteintes par ces navires, réduit la distance
d'arrière à étrave à 25om. Il serait de toute imprudence de tomber au-dessous de ce
chiffre.
Or, avec 12 navires en ligne de fileC), on voit que le bâtiment de tête, qui est

FIG. 2i5. — d'une escadre en ligne de file. Les douze cuirassés sont placés à foo mètres les uns des autres.
Aspect

généralement l'amiral, est à l\ 8oom du navire de queue, c'est-à-dire à une distance


telle que les signaux perdus dans la fumée vomie à torrents par les nombreuses

cheminées, ne seront pas aperçus. De plus, la durée des évolutions et des


manoeuvres diverses sera d'autant plus grande, généralement, que le nombre des
navires en mouvement sera plus considérable.
Pour ces raisons, il est sage de borner à trois divisions la composition d'une es-
cadre.
Celle-ci est placée sous le commandement d'un vice-amiral, qui est en même

temps le chef de la division dont fait partie le bâtiment qu'il monte et sur lequel est
arboré son pavillon. Cet insigne, qu'on appelle aussi la marque
(sous-entendu : du

commandement), est hissé chaque matin, au jour, au mât de l'avant; celui des contre-
amiraux est porté par le mât de l'arrière.
C'est, dans les deux cas, un petit pavillon français où figure avec les trois ou les

(') Rangés les uns derrière les autres.


LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT
267

deux étoiles grade, un chiffre


indices du tracé en bleu dans la partie blanche. Ce
chiffre donne le rang d'ancienneté de l'officier général dont le pavillon est la marque,
indication rendue nécessaire par la présence simultanée sur une même rade de plusieurs
officiers généraux du même grade ; elle permet de connaître celui à qui revient au

mouillage le commandement de tous les bâtiments réunis.


Le chef et le navire qui le porte s'identifient si bien
que l'expression l'amiral

désigne aussi souvent le navire que l'officier.


L'amiral donne ses ordres par signaux
dont nous étudierons plus loin le fonction-
nement. Aucun navire de l'escadre n'exé-
cute le moindre mouvement sans en avoir

reçu l'ordre ou l'autorisation ; la plus com-

plète déférence pour le bâtiment qui com-


mande est de règle générale, les moindres
faits et gestes de l'amiral sont soigneusement
épiés par les timoniers de veille des autres
navires qui, la longue-vue à l'oeil, montent
la garde sur la passerelle la plus élevée, et
ils sont immédiatement imités.

Quand il
exige une soumission aveugle
à ses décisions, l'amiral assume en échange
une entière
responsabilité pour les consé-

quences qui en peuvent découler, et les


bâtiments placés sous ses ordres se reposent
complètement sur sa vigilante sollicitude.
Un bâtiment a-t-il pris un mouillage dan-

gereux? L'amiral lui signale en temps utile


FIG. 216. —- De sa le vice-amiral surveille
passerelle,
les évolutions de son escadre. d'allumer ses feux,
d'appareiller. Un contre-

torpilleur fatigue-t-il à la mer? Un signal


lui donne liberté de manoeuvrer pour prendre la route qui lui convient. L'amiral
félicite et blâme ; rien ne doit lui échapper.

A bord de l'amiral les attributions (') ; le personnel


des diverses autorités sont distinctes
du bord assure la vie propre du navire et dépend uniquement du commandant, le capitaine
de pavillon. Le personnel de majorité, qui reçoit ses ordres du chef d'État-Major, ne s'occupe
que de l'escadre, de ses mouvements, prépare les ordres divers et si nombreux, fait les signaux
nécessaires et en surveille l'exécution.
Les deux responsabilités sont représentées sur le pont en rade, sur les deux passerelles à
la mer, par l'officier de quart du navire, qui dirige le bâtiment et surveille la route, et par l'offi-
cier de majorité (aide de camp) de service, dont les épaulettes et les aiguillettes d'or évoquent à
chaque instant le prestige du grand chef qui veille aux mouvements de l'escadre et fait hisser
les signaux.

Il arrivera cependant fréquemment en temps de guerre et il se produit même sou-

Le Petit Journal militaire, maritime et colonial, n° 85,


(')
268 LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT

vent en temps de paix dans les marines où on garde une grande quantité de bâtiments
armés, comme en Angleterre, et dans les autres pour les grandes manoeuvres par
exemple, que le nombre des bâtiments réunis pour agir ensemble dépasse les chiffres
auxquels on veut limiter une escadre.
On en forme alors une seconde ou plusieurs autres suivant les nécessités,
en ayant
soin de les composer autant

que faire se peut de navires


homogènes. L'ensemble de
ces escadres constitue, dans
ce cas, une armée navale

placée sous les ordres d'un


commandant en chef qui
est généralement le plus
ancien des vice-amiraux
commandant les différentes
escadres.
C'est ainsi que les vice-
amiraux Fournier, Tou-
chard et Caillard ont com-
mandé pendant les grandes
manoeuvres navales de ces
dernières années des armées
navales composées de trois
et même quatre escadres.
Il est évident que les
forces navales d'un
pays
— sui-
FIG. 217. Le vaisseau amiral en rade. doivent être réparties
vant les convenances de sa
Ces nécessités ne sont et des remaniements dans
politique. pas d'ailleurs immuables
la disposition des escadres s'imposent de temps à autre, suivant les variations que
peut subir cette politique.
En l'état actuel de nos alliances et de nos ententes, le gouvernement a jugé conve-
nable de garnir la Méditerranée, dans laquelle nous aurions à tenir
principalement
en respect les forces navales des deux riveraines de la Tri-
puissances qui font partie
ple Alliance, l'Autriche et l'Italie, pendant que la formidable flotte anglaise et la nou-
velle flotte russe feraient face aux escadres allemandes dans la mer du Nord.
Cette obligation de garder la maîtrise de la Méditerranée nous est encore imposée

par 1 urgent besoin où nous serions, en cas de guerre européenne, de maintenir l'ab-
solue sécurité des relations entre le continent et l'Algérie, d'où les idées qui ont cours
actuellement et auxquelles il faut applaudir permettent de penser que nous tirerions

d'importantes ressources pour le renforcement de notre armée (').

(') Par le développement de l'armée noire.


LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT 269

Pourcorrespondre à ces conceptions politiques, le ministre de la Marine a réparti


1 * £
les 12 cuirasses que son

budget lui permet de tenir


armés en deux groupes, dé-
nommés ire et 2e escadres,

qui manoeuvrent indifférem-


ment dans l'Océan ou dans
la Méditerranée, mais qui
sont affec-
plus spécialement
tées à cette mer. Une divi-
sion de quatre croiseurs cui-

rassés, et une escadrille de


douze contre-torpilleurs sont
attachés à chacune de ces
escadres.
Outre ces bâtiments, nos

ports en contiennent un cer-


tain nombre d'autres, qui sont
FIG. 218. — Timonier recevant les signaux do l'amiral.
tenus en réserve, soit pour
uaus les escciuies
remplacer
armées les unités peuvent avoir besoin de réparations, soit en cas de guerre
qui
pour former d'autres esca-
dres.

Quant à nos forces dé-

fensives, elles consistent


en une nuée de torpil-
leurs et de sous-marins

répartis dans nos ports de

guerre et quelques ports


de commerce.

Quoique des critiques


vives et justifiées, dont
l'examen ne peut rentrer
dans le cadre de cet ou-

vrage, aient pu, en ces


dernières années, être
adressées à l'administra-
tion de notre Marine, et
bien que nous soyons
— Passerelle arrière d'un cuirassé amiral trois fanaux
tombés du deuxième rang
FIG. 219. (Les indiquent
la présence à bord d un vice-amiral). au quatrième dans l'or-
dre des puissances na-
vales par suite de la poussée formidable des États-Unis et de l'Allemagne, on
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT
270

peut affirmer que la marine française présente encore un front très redou-
table.
Ce fait indéniable et consolant est en grande partie dû, si on met à part la valeur
indiscutable du personnel, à ce que nous possédons enfin des escadres homogènes.
Mus par ce sentiment d'ailleurs naturel et louable qui nous pousse à faire toujours
mieux, nous avons
longtemps pratiqué cette erreur de construire nos navires par
unités, sur des plans constamment perfectionnés, et nous sommes arrivés à posséder
une flotte qu'on a trop bien caractérisée en la baptisant du nom de flotte d'échantillons.
Or, que faire, quel parti tirer, en temps de guerre, d'une force navale où chaque

FIG. 220. — Une escadre française il y a dix ans (escadre d'échantillons).

unité sera dissemblable de sa voisine par le tonnage, la vitesse, la disposition, de

l'artillerie, la contenance des soutes à charbon et cent autres détails moins impor-
'
tants ? .
Pour ne pas voir sa troupe se désorganiser au premier effort, le commandant en
chef devra tout d'abord réduire la vitesse de l'escadre à celle que peut donner le

plus mauvais marcheur, et perdre ainsi le bénéfice de la meilleure marche des autres ;
il ne pourra établir aucun plan judicieux de combat puisque tel de ses bâtiments sera

plus armé en pointe et tel autre par le travers.


Les poursuites de l'ennemi ou les opérations de longue haleine qu'il pourrait en-

treprendre avec des approvisionnements de combustible et des rayons d'action

égaux lui deviennent interdites parce qu'un certain nombre des unités placées sous
ses ordres se verraient arrêtées au cours de la route par le manque de charbon.
Ce sont cependant des escadres composées de semblable façon que nos amiraux
auraient eu à conduire au feu jusqu'à ces dernières années !
Le cri unanime de réprobation sorti des rangs des officiers de marine a été, après
de trop longues années, enfin entendu. Le règne de l'homogénéité que, depuis long-
LA NAVIGATION EN GROUPE,LE COMBAT 27!

temps cependant, nous prêchait l'exemple de notre voisine, l'Angleterre, est enfin
venu pour nous. Nos 12 derniers cuirassés (') ont été construits en deux séries de
6 unités, qu'on peut considérer comme identiques, et le spectacle que présentent ces
magnifiques bâtiments, d'une puissance égale et pareils dans leur aspect extérieur,
mouillés en rade de Toulon, ou évoluant sur les eaux de la Méditerranée, est des plus
réconfortants.

Les unités d'une escadre qui navigue ne peuvent, on le conçoit fort bien, être lais-
sées à elles-mêmes ; il faut au contraire, pour éviter les chances d'accident et surtout

FIG. 221. — Une escadre actuelle des six cuirassés du programme de 1900, Danton
française composée type
(escadre homogène).

pour être prêts à tous événements, qu'un ordre strict préside à leurs mouvements
et les coordonne. Cette nécessité a été reconnue de tous temps, les flottes à voiles s'y
soumettaient et l'adoption de la vapeur l'a rendue plus facile pour les escadres
modernes.
Une escadre à la mer est toujours formée dans un ordre géométrique où chaque
bâtiment occupe un poste déterminé dont il ne doit s'écarter que sur un ordre
de l'amiral et en suivant des règles rigoureuses ayant pour but d'éviter les abor-

dages.
Les formations géométriques que peut prendre une escadre en marche sont assez
nombreuses. La manière de les prendre, la place que doit occuper chaque navire
dans chacune d'elles, constituent, avec quantité d'autres prescriptions et renseigne-
ments, les volumes de la Tactique navale officielle, qui est aussi un recueil de signaux
et dont chaque navire de guerre possède deux exemplaires.

(') Et ceux qui vont les suivre, cspérons-lo.


2T2 LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT

SIGNAUX DE JOUR

Avantde passer en revue les principales formations que peut adopter une esca-
divers qui sont
dre, il est utile, je pense, de décrire succinctement les procédés
à la disposition du commandant en chef pour faire connaître aux unités placées sous
ses ordres, ses volontés en toute
circonstance, et notamment pour
leur faire exécuter, au moment

qu'il juge opportun, les mouve-


ments dénommés évolutions, au

moyen desquels son escadre pas-


sera d'un ordre à un autre.
Ces procédés, assez nombreux,
constituent le Code des signaux,
inséré comme je viens de le dire
aux livres de la Tactique. Ils ont
été imaginés pour correspondre à
toutes les circonstances de la navi-

gation et du combat.

Que ce soit le jour ou la nuit,

que la brume cache ses bâtiments


les uns aux autres, qu'une grande
distance les sépare, qu'il désire

communiquer des renseignement»


ou des nouvelles à la terre par
le moyen des sémaphores, ou qu'il
veuille leur en demander, l'amiral

dispose constamment de tous les

moyens utiles à ce but.


En tête de ces moyens, il con-
Fi;. 222. — Une antenne de T.S. F. au mat d'un cuirassé.
A'ient de placer le dernier venu en
date, celui que la science, sous les
de M. Branly, a mis depuis années a la disposition des chefs d es-
auspices quelques
cadre, la télégraphie sans fil.
A elle seule elle constituerait assurément le moyen de liaison parfait, celui que
rien n'arrête, ni nuit, ni brume, ni distance, et son application définitive aurait rendu
inutile tout autre système de signaux s'il était possible d'assurer son bon fonctionne-
ment en toutes circonstances et surtout la discrétion dont doivent être nécessaire-
ment entourées des communications qu'il importe de soustraire à l'ennemi.
Or la T. S. F. pèche encore par ce côté. On peut redouter des brouillages dus à des
émissions simultanées d'ondes hertziennes sur des points différents, et la divulgation
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT
27^

des signaux portés à la connaissance de tous les bâtiments amis et ennemis qui rôde-
ront dans un rayon fort étendu et qui n'auront d'autre peine que de les enregistrer.
Il est fort vraisemblable que les études et recherches auxquelles se livrent un peu
partout les hommes les plus compétents et qui ont pour but d'assurer la discrétion
des signaux par T. S. F. aboutirontprochainement. Ces études, confiées en France à
une Commission où se réunissent de savants officiers de notre marine et de notre ar-
mée, se poursuivent avec ardeur et promettent, à brève échéance, un succès complet
(').

Fie. 223. — Cuirassé le grand


portant pavois.

Le jour où un message sans fil pourra, en toute sécurité, être envoyé à tel bâti-
ment et enregistré par lui seul, ce jour-là, tous les autres systèmes de signaux au-
ront vécu, et on pourra réaliser une grande simplification dans le matériel naval.
Mais, en attendant ce progrès qui la fera régner sans conteste, la T. S. F. n'est
pas moins d'un usage courant et fort apprécié à bord de la plupart des bâtiments de
guerre de toutes les marines.

Il faut noter aussi les excellents résultats obtenus dans l'escadre de la Méditerranée au
(') moyen d'appareils
de téléphonie sans fil (expériences par MM. les capitaines de frégate Colin et Jeance).
dirigées

SATJVAIRE JOURDAN. 18
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT
27^

mais nécessaires, on
En établissant règles, un peu gênantes
certaines assurément,
obtient de la T. S. F. un rendement très précieux, notamment entre navires placés
hors de la vue les uns des autres, soit parce que la distance qui les sépare est trop
considérable, soit que des obstacles terrestres, îles, caps interposés, les empêchent
de se voir (').
Pour une idée de ces règles, je citerai celle en vertu de laquelle,
donner dans nos
à l'amiral. Les autres bâti-
escadres, l'usage des signaux par T. S. F. est réservé
ments ont seulement le droit de répondre aux questions qu'il leur pose individuel-
lement. On évite ainsi les brouillages résultant de signaux émis simultanément. La
transmission des ordres généraux ne com-

portant aucune réponse est ainsi assurée dans


des conditions parfaites.
De jour, les navires de guerre qui ont à
entre eux usent encore des
correspondre
signaux par pavillons. Ces pavillons, que
tout le monde a vu flotter au sommet de

leurs mâts, ne serait-ce qu'aux jours de céré-


monie où ils enguirlandent le bâtiment et
forment le grand pavois, affectent les formes
de carrés, de trapèzes, de triangles et de
flammes.
Dans chacunede ces catégories, la disposi-
FIG. 224. — L'aperça. tion des couleurs différencie les pavillons et
leur attribue la valeur d'un chiffre, de o à 9.
La ire sériecomprend dix pavillons carrés, numérotés de o à 9, et deux sub-
stituts ; la 2e série dix trapèzes, numérotés également de o à 9, et deux substituts.
Viennent ensuite huit flammes, numérotées de 1 à 8, deux triangles et un pavillon
de rectification.

Quand ils sont hissés isolément, chacun de ces signes a un sens propre qui est

indiqué dans les légendes de notre planche en couleurs. Groupés, soit entre signaux
de même catégorie, soit entre signaux de catégories différentes, ils donnent des com-
binaisons extrêmement variées, forment des nombres d'une lecture très facile, dont la

signification se trouve dans les volumes de Tactique navale, appelés Code des signaux.
Les substituts, qui, hissés isolément, ont chacun une signification particulière,
encore, — et leur nom vient de là, — même chiffre est répété
s'emploient lorsqu'un
dans un nombre : au lieu de hisser une seconde fois le même pavillon, on le remplace

par un substitut. Le ter substitut sert à répéter le chiffre des centaines, et le 2e


celui des dizaines. Les signaux de la i'e et de la 2e série (pavillons carrés et tra-

pèzes) sont souvent d'une flamme ou d'un triangle modifient leur


accompagnés qui
signification.

(') Au cours des grandes manoeuvres navales de mai 1910, les croiseurs cuirassés de la division Pivet, détachés ,
pour surveiller les mouvements de l'escadre de l'amiral Aubert mouillée à Oran, ont pu, par la télégraphie sans
fil, tenir constamment l'amiral de Jonquières, au courant des moindres mouve-
qui faisait le blocus d'Ajaccio,
ments de l'escadre ennemie.
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT
275

Généralement, c'est l'amiral qui prend l'initiative des signaux pour donner ses
ordres. Chaque bâtiment indique à l'amiral qu'il a vu et compris le signal qui lui est
fait en hissant, seul sur une drisse (') spéciale, le Ier substitut de la série des

pavillons carrés, qui signifie aperçu (fig. 22/1).


Si le signal a été vu, mais pas compris pour une raison est
quelconque, l'aperçu
hissé à mi-hauteur.
A la mer, les signaux prescrivant des mouvements ont
une importance spéciale,
parce qu il est nécessaire, pour la
sécurité de tous, qu'il n'y ait pas
d'erreurs dans leur interprétation
et dans l'exécution de la manoeu-
vre qu'ils ordonnent. Chaque
bâtiment est en conséquence tenu
de répéter le signal de l'amiral et
de ne hisser l'aperçu que lorsque
tous les bâtiments placés plus loin
du chef par rapport à lui ont hissé
le leur. Le signe aperçu revient
alors de proche en proche, du plus
loin de la ligne jusqu'à l'amiral,

qui peut ainsi, en toute sécurité,


ordonner l'exécution du mouve-
ment prescrit. Cet ordre est donné
en amenant le signal, c'est-à-dire
en faisant abaisser jusque sur le

pont et rentrer les pavillons qui le

composent.
On pourrait, à première vue,
croire qu'un pareil procédé doit
entraîner des lenteurs considé-
rables dans les manoeuvres. Il n'en

FIG. 225. — Amiral le « 872 première » (double ration


est rien cependant.
signalant
de vin aux équipages). Les d'élite
timoniers, personnel
a qui est confie le service des

signaux, s'en acquittent avec une surprenante habileté ; ils arrivent à connaître

par coeur la plus grande partie des signaux usuels et déploient, dans la manoeuvre
des drisses et des pavillons, une amusante activité.
Il est même un signal (fig. 225) qui, pour n'être pas tous les jours hissé au grand
mât du bâtiment amiral, n'en jouit pas moins de la propriété d'être connu de
tous les marins et accueilli avec une joie sans mélange ; c'est celui par lequel le

grand chef, satisfait d'une inspection, d'une manoeuvre bien exécutée, ou d'un

(') Une drisse est une corde assez mince dans une poulie en tète du mât ou à l'extrémité d'une
qui, passant
sert à hisser les formant un
vergue, pavillons signal.
LA NAVIGATION EN GKOUPE. LE COMBAT
276

rapide ravitaillement en charbon, accorde aux équipages la double Ç) si appréciée.


Il arrive souvent que l'amiral a des ordres à donner à un bâtiment ou à un groupe
de bâtiments qu'une mission particulière a conduits trop loin pour qu'ils puissent
distinguer la couleur des pavillons, flammes ou trapèzes et par conséquent interpré-
ter les signaux.
Dans ce cas, on dispose d'un système où des pavillons et des flammes de grandes
dimensions, associés à des sphères et à des cônes en toile visibles de loin, forment des
combinaisons numériques dans laquelle leur
silhouette et non plus leurs couleurs entre
seule en ligne. On obtient ainsi une série
de signaux dits de grande distance qui per-
mettent aux bâtiments de communiquer
entre eux à 5 ou 6 milles par temps clair.

L'usage de la télégraphie sans fil a d'ail-


leurs permis de mettre à peu près défini-
tivement au rancart ce matériel encombrant
et dont l'emploi donnait, somme toute, des
résultats assez médiocres.
Au cas où l'on veut transmettre un ordre
ou un avis qui n'est pas prévu dans les

226. — Un de grande distance.


livres
de la Tactique, on a recours
si- aux
FIG. signal

gnaux du télégraphe (V. planche en couleurs).


Les nombres signalés se rapportent à des
mots contenus dans un livre spécial appelé Dictionnaire télégraphique. On peut donc,
de cette manière, échanger toute espèce de conversations.
Il existe enfin un autre système de signaux par pavillons, destiné à permettre les
communications soit entre navires de guerre de nationalités différentes, soit entre
bâtiments de commerce de toutes nationalités, soit encore entre tous ces navires et
les sémaphores de toutes les côtes. C'est en un mot un moyen de communication
absolument général. Il repose sur l'emploi de pavillons dits du Code international

représentant des lettres et correspondant à un livre spécial.

SIGNAUX DE NUIT

Avant que l'électricité fût venue révolutionner les modes d'éclairage, les signaux de
nuit se faisaient au moyen de fanaux à bougie avec lesquels les mécomptes étaient
innombrables.
Ces pauvres lanternes se hissaient tout comme les pavillons en tête des mâts, at-
tachées à la queue leu leu à la même drisse et s'éteignaient assez régulièrement au

Double ration de vin.


(')
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT
277

souffle du vent
pénétrant par les ouvertures, si petites fussent-elles, qu'il fallait bien
ménager dans leur structure pour permettre l'introduction de l'air.

Quand elles s'éteignaient toutes, on en était quitte pour recommencer la cérémo-


nie et pour perdre un temps s'agissait de choses ur-
cependant précieux lorsqu'il
gentes. Mais quand il ne s'en éteignait qu'une ou deux on risquait, malgré la hâte

qu'on mettait à rentrer la cordée, devoir les navires


auxquels s'adressaient les signaux

comprendre tout le contraire de ce qu on voulait leur dire,


ce qui pouvait avoir des conséquences graves.
Les signaux à bougie ont disparu et pris place dans le
bric-à-brac préhistorique, et ce n'est plus que leur souve-
nir qui hante comme un cauchemar l'esprit des anciens
aides de camp, aujourd'hui amiraux ou à peu près, qui
ont eu dans leurs jeunes ans la pénible tâche de faire con-
naître par ce moyen suranné et difficultueux la volonté du

grand chef.

Aujourd'hui au contraire, grâce à la lampe à incandes-


cence, l'exécution d'un signal est plus facile et presque
mieux assurée de nuit que de jour.

Quatre fanaux électriques fixés à demeure sur une même


drisse suffisent à tous les besoins et permettent de donner
tous les ordres possibles.
On obtient la série des nombres nécessaires en faisant

produire aux fanaux électriques, au moyen de commuta-


teurs spéciaux très ingénieux, des feux qui sont à volonté
blancs ou rouges, fixes ou scintillants. Ces nombres cor-

respondent, dans le Code des signaux, aux signaux de

jour O.
On emploie assez souvent aussi une
lampe électrique
unique placée au sommet d'un mât et de laquelle on fait

jaillir des éclats longs et brefs que les bâtiments inter-

prètent d'après l'alphabet Morse.


Avec un peu d'habitude, les timoniers arrivent par ce
FIG. — Colonne Allaire
227.
à une rapidité de communications tout à fait
pour signaux de nuit. procédé
surorenante.
Les projecteurs électriques, doués comme on le sait d'un énorme pom^oir éclai-

rant, ont quelquefois aussi été employés pour établir des communications de nuit à

grandes distances. On les pointe alors à 45° en l'air, ce qui permet d'apercevoir leur
d'un on lui fait
pinceau lumineux de très loin, et au moyen interrupteur produire
des éclats longs et brefs du système Morse.
C'est en usant de ce procédé, d'ailleurs fort aléatoire mais qui était le seul à sa

disposition, que l'amiral Courbet, après avoir détruit la flotte chinoise au mouillage

de nuit, et dont le succès a été consacré une est


(') Ce système de signaux très ingénieux par longue pratique,
dû à un officier de notre marine, le lieutenant de vaisseau Allaire, do vaisseau.
aujourd'hui capitaine
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT
278

de la Pagode, dans la rivière Min, le 23 août 1884, tenta de faire connaître le résul-
tat du combat et ses intentions pour le lendemain à la Saône et au Châteaure-
nault, mouillés en aval dans un étranglement de la rivière, et au La Galisson-
nière, qui croisait au large de l'embouchure, à environ 60 kilomètres du lieu du
combat.
Les détours de la rivière Min et les hauteurs qui la bordent cachaient tous les
bâtiments les uns aux autres.
Un projecteur du Voila, à bord duquel Courbet dirigea le glorieux engagement, fut,
à la nuit, pointé vers les nuages, dans la direction où se trouvaient les navires que
l'amiral voulait renseigner, et le signal télégraphique fut exécuté.
La tentative réussit pleinement, et l'auteur de ce livre, officier à bord de la
saone, noubhera

jamais la joie pro-


fonde avec laquelle
fut accueilli, à bord
de ce navire et du
Châteaurenault Ç),
le message dont les
mots tombaient
ainsi du ciel : « En-
nemi détruit, au-
cune perte en bâti-
ments ».

SIGNAUX DE BRUME

Il me reste à dire
comment on arrive
à communiquer en-
FIG. 228. — Officier faisant exécuter des signaux de brume par clairon. tre bâtiments pris
dans la brume.
On ne peut plus dans ce cas compter sur la vue. Les sons peuvent seuls être
utiles. Aussi la parole est-elle donnée au clairon et au canon.
Le premier sonne les airs usuels, alors la valeur d'un nombre avec
qui prennent
de brume, trou-
lequel on se reporte au Code des signaux, chapitre des signaux pour
ver l'indication de la manoeuvre à exécuter.
Avec le canon, on donne la même indication, en tirant une certaine quantité de

coups espacés par un nombre de secondes déterminé.


Inutile de dire que ces moyens restent assez précaires et que, dans la crainte des

confusions, on s'efforce de réduire les signaux en temps de brume au strict minimum.

(') Le La Galissonnibre no le
put pas interpréter signal.
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT
279

Là encore, du reste, la télégraphie sans fil est venue suppléer à des moyens très
imparfaits. •

SÉMAPHORES

En tout temps, guerre ou paix, il est


extrêmement important force
pour une
navale qui navigue de pouvoir recueillir en

passant près des côtes des renseignements


de toute nature émanant de la terre, sans
être obligée de détacher un navire au port
le plus voisin.
De même, un amiral ou un comman-
dant de bâtiment naviguant isolément,
éprouvera souvent le besoin de faire con-
naître au ministre de la Marine un évé-
nement important ou de lui demander des
ordres, sans trop changer sa route.
Ce sont les sémaphores
qui leur rendront
ce genre de services.
Ces établissements se composent gé- FIG. — Un sur la côte.
22g. sémaphore
néralement d'une tourelle en maçonnerie

placée sur un sommet bien visible du large et surmontée d'un mât sur sont
lequel
articulés quatre grands bras
en tôle noircie.
Le mât est monté sur pi-
vot, de façon que le plan
dans lequel se meuvent les
bras, articulés eux aussi,
puisse être placé perpendi-
culairement à la ligne qui
joint le sémaphore au na-
vire.

Chaque bras peut pren-


dre, par rapport au mât qui
le porte, six positions qui
représentent autant de chif-
fres.

FIG. a3o. Les signaux à bras. On forme ainsi des nom-
1 11

porte à un volume spécial de la Tactique Code des signaux


appelé sémaphoriques,
dans lequel on trouve la signification du
signal.
SIGNIFICATIONS DES PAVILLONS HISSES ISOLEMENT

iro Série : PAVILLONS CARRÉS.

Pavillon o On annule le signal qui est hissé en même temps, ou le dernier de ceux qui ont
été faits.
— i Signât d'exécution prescriA'ant d'exécuter sur-le-champ l'ordre qui vient d'être
donné par signaux. Commencer le feu, si on est en hranlebas de combat.
— On ne distingue
2 pas bien les signaux et on demande qu'pn les place d'une manière

plus apparente, ou qu'on les répète s'ils viennent d'être amenés.


— 3 Le bâtiment qui hisse ce signal n'est plus maître de sa manoeuvre (en cas, par
exemple, d'avarie dans l'appareil à gouverner, ou dans les machines).
— 4 Ordre d'imiter la manoeuvre de l'amiral.
•— 5 Ordre de stopper.
— 6 Ordre de mettre en marche.
— Le guide sera l'amiral ou le bâtiment dont on indique le n° (le guide est le bâti-
7
ment sur lequel on règle la distance et l'alignement).
— 8 L'amiral règle sa machine au nombre de tours indiqué par un second signai.
— Ordre de prendre une prompte formation sans avoir égard à l'ordre de numérotage.
9
Ier substitut Aperçu, on a bien distingué les signaux.
2e — Ralliement et absolu.
général

2e Série: TRAPÈZES^).

Trapèze o Une embarcation vient de chavirer ou de remplir; les bâtiments à portée doivent
lui envoyer les plus prompts secours.
rappelle à bord :
i, la chaloupe; 2, le canot à vapeur; 3, le canot du commandant;:
4, le canot-major; 5, le icr canot de service; 6, le 2e canot de service;
!On 7, la baleinière i ; 8, la baleinière 2; g, le youyou.
Ier substitut L'amiral rend sa manoeuvre indépendante.
2e —r- On prévient que l'on va se servir des signaux du dictionnaire télégraphique, ou on
demande à s'en servir.

3° FLAMMES (2).

Flamme i On prévient que l'on marche en arrière.


— 2 Ordre de hisser ou de rentrer les couleurs.
— 3 Ordre à l'armée de prendre la plus vitesse possible.
petite
— 4 — -— ;
grande
— 5 On pré\'ient que l'on diminue de A'itesse.
— 6 — —
augmente
•— On prévient
. 7 que l'on stoppe. j
— On indique
8 que le bâtiment est mouillé ou appareillé.

4° TRIANGLES.

Triangle i Oui.
— 2 Non.
PAVILLON DE RECTIFICATION. Est hissé par le bâtiment qui se juge exactement arrivé à la place

qu'il doit occuper dans toute espèce de formation.

(*) En vue de l'ennemi, les trapèzes hissés isolément ont une signification relative au combat.
( 2) Les indications fournies par les flammes hissées isolément sont particulièrement'utiles dans la navigation
d'escadre, où, en raison de la faible distance qui sépare les bâtiments, il est nécessaire qu'ils soient prévenus des
changements d'allures les uns des autres. Aussi, en fait-on, dans ce cas, un usage constant,
SIGNES DU TÉLÉGRAPHE

i° PAVILLONS.

Chacun des dix pavillons représente un des chiffres de o à g, et exprime, selon la place qu'il
dans le signal, à partir du bas, des unités, des dizaines, des centaines ou des mille. Les
occupe
nombres d'un seul chiffre se signalent par un seul pavillon, ceux de 2 chiffres par a pavillons, etc.
Le pavillon zéro hissé seul signilie : annuler le signal précèdent, ou on ne comprend pas.

20 FLAMMES *.

Flamme 1 Aperçu. Hissée par l'amiral : ordre de répéter les signaux.


— 2 Fin des signaux. Hissée par l'amiral : signaux pour toute l'armée.
— 3 Les signaux qui suivent sont pour les capitaines.
— 4 Dans les signaux on se servira du nombre secret.
qui suivent,
— 5 Hissée seule et précédant un autre signal, elle est la caractéristique d'une position
géographique française.

PAVILLON NATIONAL ET MARQUES DISTINCTIVES

1 Pavillon national.
2 Pavillon du Président de la République.
3 Pavillon du ministre de la Marine.
4 Pavillon de vice-amiral commandant en chef.
5 Pavillon de vice-amiral commandant en chef, préfet maritime.
6 Pavillon de vice-amiral commandant en sous-ordre (avec son numéro d'ancienneté).
7 Pavillon de contre-amiral commandant en chef.
8 Guidon de capitaine de vaisseau, chef de division, commandant une division indépendante.
9 Flamme distinctive des bâtiments de guerre.

Place réservée à chacune des couleurs et dimensions réalemenlaires.

PAVILLONS FLAMMES GUIDONS ET TRIANGLES

Bleu 3o 0/0 Bleu 20 °/0 Bleu a3,5 %


Blanc 33 % Blanc 20 °/„ Blanc 26,5 %
Rouge 37 % Rouge 60 °/0 Rouge 5o %

Le pavillon national français doit avoir le battantQ) égal au guindant. plus la moitié.
Le pavillon de commandement a le battant égal au guindant, plus un sixième.
Le guidon et le triangle ont le battant égal au double du guindant.

Le battant est la longueur du pavillon, au guindant


(!) par opposition qui en est la hauteur.

Bâtiments de guerre. — La marque distinctive des


bâtiments de guerre est le pavillon national
hissé chaque jour à la poupe, et la flamme na-
tionale au grand mât lorsqu'aucune marque de
commandement n'y est arborée.
Le bleu et le blanc de cette flamme gardent
toujours des dimensions invariables. 11 en est
tout autrement de la partie rouge de la flamme,
qu'il est de tradition d'allonger quand un navire
revient d'une croisière longue et lointaine. Si la
campagne a été très prolongée, l'extrémité rouge
de la flamme vient traîner sur l'eau (Voir la
figure ci-contre).

* Pour
signaler des nombres dans lesquels un même
chiffre est répété plusieurs fois, on se servira des
Navire de guerre français revenant d'une campagne lointaine. flammes 1. 2. 3. comme substituts, la flamme 1
devant répéter le chiffre des mille, la flamme 3
le chiffre des centaines, la flamme 3 celui des dizaines.
282 LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT

Fis. a3l. ALPHABET


LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT a83

Du destinataire : On ne comprend pas.


De l'expéditeur: Erreur, on s'est trompé.

REMARQUES. — I. Le W se signale au moyen de deux V


successifs.

d'un
II. Dans le cours signal à bras, le bâtiment interpellé qui
désire que le timonier faisant le signal se place d'une façon plus

apparente, répond par les deux bras horizontaux (lettre S).


III. On à bras la nuit, le timo-
peut faire usage des signaux
fixée
nier qui fait les signaux ayant une lampe électrique rouge
sur la poitrine, et tenant de chaque main une palette munie
d'une lampe électrique non colorée.

Attention. Fin d'un mot, d'un


Aperçu. nombre ou d'une phrase.

DES SIGNAUX A BRAS.


a84 LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT

Si c'est le navire qui désire communiquer avec le sémaphore, il le fait au moyen


de ses pavillons. Les guetteurs, tous anciens timoniers de la flotte, interprètent ces

signaux sans difficultés.

Outre tous ces moyens de communication, il en existe encore un autre, constam-


ment employé dans la vie courante, lorsque les bâtiments sont assez près les uns des
autres. Ce sont les signaux à bras, qu'on a d'ailleurs introduits dans l'armée, au
moins pour les troupes alpines, et qui leur rendent, comme aux marins, de très pré-
cieux services.
Les différentes positions des bras représentent les lettres de l'alphabet (fig. 23i).
Les signaux s'exécutent et s'interprètent directement sans le secours d'aucun livre, ce

simplifie leur emploi et justifie la faveur dont ils jouissent.


qui

FORMATIONS DE NAVIGATION ET DE COMBAT

au bon temps où le vent était l'unique


Autrefois, et économique mode de propul-
sion des bâtiments, la tactique des commandants d'escadres ou de navires isolés qui
•_.^ lu
avaient, a coiiinaure,
consistait à peu près
uniquement, à garder
ou à prendre, par rap-
port à l'adversaire, une

position qui leur don-


nât, à tout moment, la
facilité soit de
se rap-

procher de celui-ci, soit


de s'en tenir constam-
ment à la même dis-
tance, sans que lui-
même pût jouir des
mômes avantages.
FIG. 23a. — « Au vent » et « Sous le vent ». On juge donc de
l'intérêt de cette ma-
noeuvre qui consistait à se placer au vent de l'ennemi et permettait de choisir la dis-
tance de combat avantageuse, en maintenant toujours l'adversaire sous le feu.
Ceci s'appelait pittoresquement : tenir le vent.

Lorsqu'on avait conservé cet avantage et suffisamment criblé son ennemi de


boulets, on laissait porter sur lui pour l'enlever à l'abordage, ou le réduire en l'acca-
blant à bout portant de bordées d'enfilade.

L'adoption de la vapeur, puis celle des cuirasses, ont profondément modifié ces

antiques traditions.

Assurément, la direction et surtout la force du vent joueront toujours un certain


FORMATIONS D'ESCADRES.

FIG. 233. — de file. Fn. 234. — de la ligne de file à la ligne de front.


Ligne Passage

FIG. a35. — de relèvement. FIG. a3G. — Formation en pelotons ou divisions.


Ligne
286 LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT

rôle dans les événements maritimes, et un commandant de forces navales devra en


tenir compte dans les dispositions qu'il adoptera pour combattre.
Si la mer est 1res grosse, par exemple, il sera avantageux de se présenter dans une

position telle que l'on puisse employer les pièces de l'arrière, alors que l'ennemi ne

pourra tirer qu'avec ses pièces de l'avant à demi noyées.


Il faudra compter encore avec l'effroyable nuage de fumée que vomissent les che-
minées des combattants dont les feux seront poussés activement. Il y aura avantage
certain à se placer de façon
que ce nuage fuligineux et asphyxiant aille tout
droit les yeux
dans des commandants et des canonniers ennemis qu'ils aveugleront
et à qui ils déroberont la vue de l'adA'ersaire.
Mais ce ne seront là que des considérations secondaires. A armement égal, l'avantage
incontestable reste dans les batailles navales des temps modernes à celui dont les
bâtiments sont les plus rapides, et qui peut soit forcer l'ennemi à combattre, soit le

placer à telle distance qui semblera plus favorable.


Il est à noter que cet important élément de puissance est sujet à changer de

camp au cours de l'engagement. La vitesse d'une escadre est en effet, au combat


comme en temps de paix, réduite à celle du plus mauvais marcheur parmi les naA'ires

qui la composent.
Qu'au cours de la lutte une avarie survienne
plusieurs à un
des bâtiments ou
d'une escadre ; que leurs cheminées, par exemple, trouées par les obus, ne permettent

plus un bon tirage (*) ; qu'une voie d'eau vienne les alourdir, et l'aA'antage de la
vitesse passera d'un côté à l'autre.
En dehors de la
supériorité que donnera ce facteur, il est d'autres considérations

importantes qui entrent en jeu dans la conduite d'un combat naval. Une des pre-
mières est l'utilisation qu'il conviendra de faire des dispositions particulières de l'ar-
tillerie des unités. !'
On conçoit aisément en effet que si les naA'ires composant une escadre pem'ent
tirer aArec un plus grand nombre de canons, lancer un poids de projectiles plus gros
dans le sens de l'avant, par exemple, que par le travers, il sera avantageux de se

placer pour se battre dans une situation qui permette de tirer parti de cette supériorité.
La connaissance des dispositions de l'artillerie chez l'ennemi aura également une
influence sur la manière de diriger le combat.
Un commandant d'escadre peut choisir dans un certain nombre d'ordres qu'on
appelle des formations (fig. 233 à 236), celle qui comment le mieux pour naA'iguer
ou pour combattre.
La plussimple de ces formations est la ligne défile, dont le nom est suffisamment

expressif. Les naA'ires y sont rangés dans les eaux les uns des autres à. une distance
de /|OOm, comptés de passerelle à passerelle. Pour aAroir la distance qui sépare l'ar-
rière d'un bâtiment de l'élravede son A'oisin, il faut donc eh déduire une longueur
de bâtiment, soit 120 à i3o™ et même i5om avec les monstres modernes ; on A'oit

(d) J'ai cité à ce sujet, l'exemple du cuirassé russe Césarevitch à la bataille du id août igo5. On s'est préoccupé
de celte éventualité dans les bâtiments de construction récente, et on a cuirassé les bases des cheminées.
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT 287

donc que cette distance se réduit à 270 ou 2bom. Il est à peu près impossible, et il
serait extrêmement imprudent de la diminuer davantage, le moindre à-coup dans la
marche, le moindre incident .pouvant alors amener des risques d'abordage.
On a, en tout cas, tout à fait renoncé dans la marine française à serrerdavantage
les distances
depuis un abordage qui se produisit en escadre de la Méditerranée
entre le Gaulois et le Bouvet, un jour où l'amiral avait ordonné de serrer les dis-
tances à 3ooni. Grâce à la promptitude et à la netteté de la manoeuvre des deux
commandants, la catastrophe complète put être éA'itée, mais il s'en fallut de peu.
D'ailleurs, l'intérêt de cette diminution des distances est nul.
11 n'y a aucun danger de A'oir couper une escadre dont les naA'ires seront à 4oom les
uns des autres, et l'ennemi qui risquerait pareille folie s'exposerait à un abordage
fatal.
Dans la ligne de file, l'amiral marche généralement en tête et conduit comme il
l'entend sa ligne qui suit consciencieusement ses mouvements. Vues d'une falaise, les
éA'olutions d'une escadre
en ligne lui donnent l'apparence d'un serpent sinueux dont
les cuirassés forment les anneaux reliés par les traces blanches des sillages.
La ligne de file est, par excellence, la formation souple et manoeuA'rante, celle qui
a sur toutes les autres conceptions tactiques la préférence de beaucoup de marins.
C'est à peuprès la seule que pratique la marine anglaise. C'est celle que le glorieux
amiral Togo aA'ait adoptée au combat de Tsushima.
Si on suppose que les bâtiments rangés en ligne de file, comme nous A'enons de
le voir, tournent tous en même temps de 900 sur la droite ou sur la gauche, et conti-
nuent à marcher dans la nouA'elle direction, ils se trouveront en ligne de front. Si,
au contraire, ils n'ont tourné de 45° ils forment ce qu'on appelle en tactique
que
navale une ligne de relèvement.

Enfin^ pour ne pas sortir des ordres simples, les seuls qu'un chef sera tenté
d'utiliser au combat, il faut citer encore la formation en pelotons ou divisions, dans

laquelle les bâtiments sont groupés trois par trois, en triangles dont les sommets
tournés vers l'ennemi'sont occupés par les commandants des pelotons.
Les pelotons peuA'ent d'ailleurs être eux-mêmes disposés en ligne de file ou de
front; les chefs de divisions sont alors rangés sur une même ligne, soit les uns
derrière les autres, soit
sur une ligne de front.
La bonne tenue de chaque bâtiment à son poste dans chacun des ordres que je A'iens
d'énumérer est d'une nécessité absolue pour éviter les collisions et donner à l'escadre
la cohésion qui en fait une force naA'ale au lieu d'une troupe de navires.
Aussi la préoccupation constante de l'officier de quart est-elle de bien tenir ce

poste. Il doit, dans ce but, A'eiller à rectifier, aussitôt qu'elles se manifestent, les
moindres variations dans la distance et dans la route.
Il dispose à cet effet de moyens
très perfectionnés; d'instruments de toutes sortes. Tel celui qui lui permet de con-
stater que la distance à l'amiral mesurée par l'angle de la cheminée à la flottaison par
exemple décroît de quelques minutes ; tel cet autre d'une extrême ingéniosité,
im'enté il y a quelque vingt années par le capitaine de frégate Valessie, au moyen

duquel les officiers mécaniciens de quart, avertis du nombre de mètres qu'il s'agit de
288 LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT

gagner ou de perdre, savent exactement de combien de tours ils doiA'ent accélérer ou


retarder la marche des machines, tel autre encore qui donne à chaque instant le
relèvement du bâtiment amiral ou du bâtiment A'oisin.

LES GRANDES FLOTTES

Jusqu'à une époque encore récente, on n'aA'ait guère à .envisager d'autre perspec-
tive que celle de faire naA'iguer et combattre des escadres icomposées au maximum
d'une dizaine de bâtiments.
Mais, depuis quelques années, nous assistons à une compétition de toutes les
nations A'ers l'Empire de la mer. Chacune A'oulant ou essayant de se l'assurer, le
nombre des unités de combat a crû, dans toutes les marines, d'une façon impression-
nante.
Il est fort à présumer qu'au début d'une guerre naA'ale les efforts des adversaires
tendront tout d'abord à s'assurer la liberté de leurs communications, la maîtrise de
la mer en un mot, en réduisant à néant, ou tout au moins à l'impuissance, les
forces de leurs ennemis.
Cette tactique est préconisée partout par les plus hautes sommités maritimes ; elle
est d'ailleurs l'expression même de la logique et il n'y a pas de doute qu'elle sera

pratiquée.
Chaque nation concentrera la totalité de sa flotte, pour l'envoyer à la rencontre
ou à la recherche de l'ennemi dans les conditions les meilleures, en A'ue du choc
terrible et A'raisemblablement définitif qu'elle aura à subir.
Ce seront donc des groupements énormes qui s'élanceront les uns sur les autres

pour se détruire, et on peut se demander comment un amiral arm'era à mener au

combat, à y faire manoeuA'ier une armée composée de 3o naA'ires ou daA'antage.


Même, en ne tenant compte que des cuirassés, et en laissant de côté les croiseurs

qui pourront avoir un rôle spécial, défini d'avance et qui; évolueront à part, il est
certain que la ligne de bataille comptera encore 18 ou 20 unités.
Or, les procédés qu'on peut employer pour obtenir d'une force aussi considérable
le maximum d'effet utile né sont plus du tout les mêmes que s'il s'agit de 6 ou 9
bâtiments seulement-
La formation en ligne de file ou ses succédanés qui peuA'ent être utilisés en ce
dernier cas et offrent des moyens acceptables puisque la longueur de la ligne ne

dépasse pas 2 /loom pour 6 bâtiments (à 400™ de distance) et que cette ligne reste

par conséquent très manoeuATante. n'est plus applicable à 18 navires qui s'étendront
en un long serpent mesurant 8 à g kilomètres.
Il faut considérer en effet que si l'amiral A'eut faire exécuter à son armée ainsi

rangée une éA'olution quelconque, il y a bien des chances pour que son signal,
masqué par l'effroyable nuage des fumées accumulées, n'arrive pas jusqu'aux derniers
naA'ires ; s'il y arrive, ce sera avec un retard tout à fait incompatible avec l'urgence
vraisemblable du mouvement.
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT
289

De plus, ce signal atteindrait-il avec la rapidité désirable l'extrémité de la ligne,

que la promptitude de la manoeuvre serait sans doute singulièrement diminuée, si


celle-ci doit être exécutée 18 ou 20 navires, fussent-ils aussi entraînés le
par qu'on
voudra».
Enfin, il faut reconnaître, et c'est là un point moitié au moins des
capital, qu'une

FIG. — Cuirassés formés en ligne tie combat suivant la de l'amiral Fournicr.


337. tactique

unités d'une ligne comme celle que nous considérons seraient, en raison de leur
distance à l'ennemi, hors d'état de prendre une part utile à l'action.
De même tous ces bâtiments se verraient négligés par l'ennemi, car il les aperce-
vrait à peine, alors que les bâtiments de tête seraient bientôt accablés sous le feu
concentré de toutes les unités de l'adversaire qui aurait su adopter une disposition
*
plus pratique.
Pour toutes ces raisons et d'autres encore, parmi lesquelles il faut compter la
fâcheuse tension d'esprit au chef à un moment où il devrait pouvoir consa-
imposée
crer toute la puissance de son cerveau et toutes ses facultés à des préoccupations
d'ordre plus général, on ne peut concevoir qu'une flotte très nombreuse se pré-
sente au combat en une ligne de file unique ni dans aucun des ordres qui en dé-
coulent, car tous offrent les mêmes inconvénients.

Quelle sera donc la solution adoptée pour ce problème? C'est le secret des futurs

champs de bataille maritimes, et chacun le garde jalousement. Le Japon, cependant,


ou plutôt son glorieux amiral Togo a livré le sien dans le détroit de Tsushima. Ayant
SAUVAIRE JOUKDAN. 19
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT
2gt»

à faire manoeuvrer une force de ig bâtiments ('), il laissa à chaque chef d'escadre
une autonomie tempérée par des ordres généraux, et ne. s'occupa personnellement
que de son escadre principale composée de 4 cuirassés et 2 croiseurs cuirassés.
Le résultat de cette tactique fut si heureux qu'on peut s'attendre à la A'oir imitée,
le cas échéant.
L'amiral Eournier, toujours préoccupé, enA'rai marin, de la préparation au combat,
et pénétré de l'idée que l'emploi de forces massées serait toujours plus fructueux que
celui des escadres moins nombreuses opérant à peu près chacune pour son propre
compte, a préconisé chez nous la disposition suivante (fig. 237).
L'armée naA'ale serait formée en une ligne souple composée dégroupes de trois uni-
tés formant chacun une division. Cette ligne serait orientée de façon que tousles bâti-
ments de l'armée puissent fournir, dans les meilleures conditions possibles, le [maxi-
mum de l'effet utile de leur artillerie.
Dans ce dispositif, chaque diA'ision est formée eii un triangle dont le sommet, oc-
cupé par le contre-amiral, est tourné A'ers l'ennemi ; les deux autres bâtiments de la
diA'ision constituent les autres sommets du triangle et font varier leur position pour
ne pas gêner réciproquement leurs feux. '
Je ne peux entrer ici dans de plus longues explications au sujet de ces procédés
dont l'application, faite au cours des grandes manoeuATes des années 1905, 1906,

1907, fut des plus intéressantes et provoqua de très instructives discussions.

GARDE D'UNE ESCADRE

chef d'une
Tout que celui d'une armée opérant à terre, le commandant en
autant
force naA'ale a besoin de connaître ce qui se passe à grande distance autour d'elle,
d'être renseigné le plus exactement possible sur les mouvements de l'ennemi, afin
d'aA'oir le temps de se préparer à le bien recevoir s'il s'avanceJaveC l'intention de com-
battre, de pousser ses feux et prendre ses dispositions pour l'enserrer au cas où l'ad-
versaire chercherait au contraire à fuir la lutte.
Cette nécessité a amené l'institution d'un certain nombre i de règles, résultats de

longues expériences et d'études faites par des officiers que la marine compte parmi
les plus distingués. Ces règles, soigneusement codifiées, forment une sorte d'évangile
naA'al (2) auquel se reportent, le cas échéant, les commandants et les amiraux chefs
d'escadre.
La première des nécessités pour une escadre en action de guerre est de pourvoir
à sa sécurité immédiate. , 1 i
Qu'elle soit au mouillage dans un port, dans une rade quelconque où il lui faudra
bien venir se ravitailler en charbon et en munitions ; qu'elle circule sur mer avec un
objectif déterminé, il est de toute importance pour elle de ne poUA'oir être surprise
dans une posture, qui la mettrait, s'il fallait se battre, en état d'infériorité notable.

'
(') 4 cuirassés, 8 croiseurs cuirassés, 7 croiseurs protégés. ;|
( 2) Instructions générales de la -Tactique navale. ,
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT
29I

Nos marins ne peuvent oublier la leçon d'Aboukir, où Nelson tomba sur notre escadre
au mouillage pendant qu'une partie des équipages était à terre,
occupée à prendre de
l'eau douce, ni le désastre
qui en résulta.
Les dangers qui menacent une escadre au mouillage se sont d'ailleurs
multipliés
de nos jours, au point de rendre bien aléatoire le repos qu'elle trouver.
y pourra
Pour en avoir une idée, il suffit de
penser aux torpilleurs, toujours prêts à tenter
un mauvais coup, aux sous-marins, que leurs dimensions rendent actuellement aptes
à aller chercher fortune
loin de leurs bases d'opé-
rations, aux torpilles de
blocus que des croi-
enfin,
seurs audacieux et rapides
viendront, pendant la nuit,
semer en quantité devant
les passes par où l'escadre
peut regagner la haute mer,
e t qui lui fermeront la sortie.
Elle devra craindre en-
core, si un goulet un peu
étroit la sépare de la mer,
de le voir obstrué par quel-
que vapeur, aux innocentes
allures de cargo-boat, qui
viendra, avec une feinte
maladresse, se couler au
beau milieu du chenal.
C'est l'embouteillage, pra-
tiqué avec plus ou moins
de succès par les Américains
FIG. a38. — au
Escadre mouillage (en temps de guerre). à Santiago de Cuba, par
les Japonais à Port-Arthur.
Contre tous ces dangers, une escadre au mouillage cherchera à se protéger par
plusieurs moyens.
Je ne parlerai que pour mémoire du cas où elle aura s'abriter dans une
pu
rade fortifiée comme celle de Toulon, par exemple ; le soin de sa sécurité est
alors confié aux formidables de défense de tous ordres
ouvrages qui y sont accu-
mulés.
Dans le cas, au contraire, où les circonstances l'ont obligée à jeter l'ancre en un

point de la côte où elle ne peut compter que sur elle-même, elle devra prendre des

précautions dont voici les principales.


Si c'est la journée seulement que l'escadre veut passer au mouillage, il lui suffira

pour sa sûreté de placer engrand'garde, du côté du large et à une distance suffisante,


des bâtiments légers qui surveilleront l'horizon et de de
préviendront l'approche
20' LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT

l'ennemi assez à temps ait la possibilité d'appareiller et de se former


pour qu'elle
pour le combat.
Mais si les circonstances veulent que le séjour de l'escadre sur rade se prolonge

pendant la nuit, le service de garde et de sûreté deviendra alors bien plus compliqué
et délicat.
Tout d'abord, la surveillance à bord des cuirassés eux-mêmes devra être très

sévère. Une moitié seulement des officiers et de l'équipage sera admise à se reposer;
l'autre veillera à côté des pièces toutes prêtes à foudroyer les torpilleurs qui auraient
franchi les barrages établis
au large.
Ces barrages peuvent être
de plusieurs sortes. Bien
entendu, concurremment
avec leur emploi, le système
des grand'gardes sera main-
tenu et même développé.
Une double ligne de na-
vires légers croiseront à pe-
tite vitesse autour du corps
de bataille qu'ils devront
chacun d'eux étant
garder,
tout spécialement chargé
FIG. 23Q. —
Grand'gardes au large. de la surveillance d'un sec-
teur peu étendu.
Si on craint les attaques des torpilleurs, et elles seront presque toujours à redouter,
non averti, donnera à cette veillée
on usera d'un procédé qui, pour un spectateur
des armes si profondément inattendu d'une fête véni-
impressionnante, l'aspect
tienne.
En plus des grand'gardes mobiles, des croiseurs seront mouillés
points de aux

croisement des secteurs de surveillance attribués aux premiers. Ils dirigeront vers le

suivant deux directions déterminées et fixes, les faisceaux de deux puissants


large,
se croiseront avec les faisceaux, semblablement dirigés, des deux
projecteurs qui
navires voisins.
L'escadre sera ainsi enfermée dans un véritable
polygone lumineux que les tor-
ennemis ne pourront franchir sans être aperçus et couverts au passage d'une
pilleurs
de petit calibre déversent comme une pompe à
pluie de ces projectiles que les pièces
incendie projette de l'eau.
Au cas où un ou plusieurs d'entre eux réussiraient à traverser, sans avoir reçu trop

d'obus, cette de lumière ce qu'en somme ils peuvent


nappe aveuglante électrique,
vitesse dont ils disposent ils
faire assez rapidement grâce à l'énorme (3o noeuds),
à leur
seraient aussitôt cueillis par les projecteurs des cuirassés qui les canonneront
tour et devront en avoir raison avant qu'ils aient pu lancer leurs torpilles.

Ceci est de la théorie. La pratique aux espoirs qu'on peut fonder


répondrait-elle
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT
2g3

sur une idée aussi séduisante ? Question que seule pourrait résoudre une expérience
in anima, qui n'a pas encore été faite.
Il ne manquera pas de commandants
de torpilleurs pour risquer la chance, et si
une attaque de ce genre est faite en trombe par un nombre suffisant de ces microbes
de la mer, il est bien possible que quelques-uns d'entre eux passent à travers les
mailles du filet tendu pour les arrêter, et que leurs torpilles arrivent, malgré tout, à
destination.
Et ce sera bien autre chose si les sous-marins s'en mêlent ! On peut dire que si

FIG. a4o. — Défense d'une escadre au mouillage contre les torpilleurs (polygone lumineux).

ces redoutables et minuscules ennemis sont à portée, aucun commandant d'escadre


n'osera prendre sur lui de passer une nuit dans un mouillage
ouvert.
On a cru bon, il y a quelques années, de supprimer les filets pare-torpilles dont
nos cuirassés étaient pourvus et dont le mécanisme a déjà été expliqué.
On a trouvé que ce matériel était lourd et encombrant, ce qui est parfaitement
exact. Les cisailles dont on munit les pointes des torpilles pouvaient encore le rendre
inutile. Il n'en
est pas moins vrai que plusieurs marines, entre autres la marine an-

glaise, ont gardé ces filets d'acier auxquels elles ont conservé leur confiance. Peut-
être ferons-nous bien de leur rendre la nôtre et d'y revenir.
Concurremment avec le système de polygone lumineux, ou sans son aide si les
menant à la rade où l'escadre s'est réfugiée sont étroites, on peut encore em-
passes
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT
294

les estacades, sortes de barrages composés de fortes poutres de bois, d'aus-


ployer
sières en acier, de chaînes dont chaque bâtiment possède dans ses cales un certain
assortiment.
Ces matériaux, bout à bout et soutenus par de fortes barriques ancrées sur
ajoutés
le fond, formeront les torpilleurs un obstacle à peu près insurmontable, der-
pour
de précaution, des embarcations armées de petites
rière lequel, par surcroît pièces
d'artillerie se tiendront prêtes à canonner
à bout portant le gêneurimprudent empêtré
dans les chaînes et les cordages d'acier.
A la mer, le service de sûreté d'une
force navale ressemble beaucoup à celui
dont s'entoure une armée en marche. La
cavalerie est remplacée par l'escadre légère.
Cette dénomination s'applique aux croi-
seurs attachés à l'escadre et constitués en
une force spéciale, généralement douée
d'une vitesse supérieure à celle du corps
de bataille.
Cette escadre légère est placée sous l'au-
torité d'un contre-amiral qui lui donne
directement ses ordres dès qu'elle opère
Donc l'escadre légère, char-
séparément.
gée d'assurer pendant le jour la sécurité
de l'armée navale, éclaire sa route de

façon que, si l'ennemi est signalé, cette


dernière ait toujours le temps de pren-
dre les dispositions nécessaires avant qu'il
FIG. adi. — Cuirassé, la nuit, contre les torpilles
protégé soit arrivé à portée de canon.
par son filet Bullivant.
La direction dans laquelle cet éclairage
se bien entendu, des renseignements qu'on possède sur la
produira, dépendra,
situation de l'adversaire, et plus généralement ce sera la direction d'où on peut s'at-
tendre à le voir arriver.
S'il désire s'éclairer dans toutes les directions, l'amiral formera l'escadre légère
suivant un polygone au centre duquel le corps de bataille sera en toute sécurité.
S'il est fixé sur la direction où se trouve l'ennemi, l'escadre légère sera alors déployée
sur une seule ligne suivra la même route que l'escadre principale, et se placera
qui
entre elle et la position supposée de l'adversaire.

Quel que soit l'ordre adopté, les éclaireurs s'écarteront les uns des autres de façon
à surveiller le plus grand champ possible, tout en ne permettant pas cependant que
l'ennemi puisse se glisser, inaperçu, entre deux bâtiments.
On conçoit fassent varier la distance
que les circonstances atmosphériques qui
doit ainsi séparer deux éclaireurs. Par temps très clair, cette distance pourra être de

20 à 25 milles à 45k,n). Dans ce cas, surveillé par une


par exemple (38 l'espace
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT
295

chaîne de 6 croiseurs, aura une étendue de 120 à i5o milles à


par exemple, (220
28okm), mais c'est là un cas très favorable et par conséquent assez rare ; par temps
on peut admettre
moyen, que 6 croiseurs déployés en ligne éclairent la route d'une
escadre sur une étendue de i8okm. La distance à laquelle cette ligne, ou les som-
mets du polygone dont j'ai parlé en premier lieu, se trouver du
peuvent groupe
principal, est réglée par la visibilité des signaux.
Si on ne compte
que sur les signaux ordinaires, 10 milles (ou i8km) sont la portée

FIG. — Une escadre au mouillage se mettre à l'abri d'une de torpilleurs, en se couvrant d'une estacade.
2&2. peut attaque

maximum, mais la télégraphie sans fil, quand on est sûr de son bon fonctionne-

ment, peut augmenter considérablement celte dislance.


Il y a grand intérêt, on va le voir, à ce que la ligne d'éclairage soit poussée le plus
loin possible. Si on compte 10 milles entre les éclaireurs et le corps de bataille, et
encore 10 milles que peuvent explorer ces éclaireurs en avant de leur route, on
voit que le rayon de sécurité de l'escadre est seulement de 20 milles. C'est dire
heure après le moment où l'ennemi
aura été aperçu par les éclaireurs, il pourra
qu'une
être à bout portant, et qu'en trente ou quarante minutes il arrivera à portée de canon.
Ce délai serait évidemment bien court pour permettre à l'escadre de prendre toutes
ses dispositions de combat.
Dans le but d'assurer la transmission des ordres et des renseignements entre le

gros et les éclaireurs et de doubler le service des signaux de grande distance, dont le
fonctionnement peut n'être pas assuré si le vent ne déploie pas les pavillons ou si
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT
296

les fumées les masquent, on adjoint aux éclaireurs, autant que faire se peut, des
estafettes ou de petits bâtiments très rapides qui font aisément la navette entre les
deux lignes.
Si, au lieu de vouloir simplement s'éclairer, le commandant en chef désire se
renseigner sur la position
et la route de l'ennemi,
trouver une force amie,
rencontrer un convoi, un

paquebot, ce sont encore


ses croiseurs qu'il enverra
à la découverte.
De savants calculs et des
études très sérieuses ont
amené à adopter pour ces
recherches des dispositifs
dont les noms, appropriés
à leur nature, semblent

évoquer quelques figures de


— cotillon que de graves
FIG. 263. L'éclairage en -râteau.
plutôt
opérations de guerre.
C'est le râteau (fig. 243), dans lequelles croiseurs, après s'être espacés d'un nombre
suffisant de milles, font des routes parallèles et figurent assez bien les dents de l'instru-
ment de jardinage dont l'escadre, formée en ligne de file, représenterait le manche.
C'est encore l'ordre en éventail (fig. 244), double ou simple, dans lequel les
croiseurs, au lieu de mar-
cher parallèlement, font
des routes divergentes qui
s'écartent du centre comme
les lames d'un éventail.
Ces routes divergentes
sont poussées à une dis-
tance déterminée, puis les
croiseurs rejoignent l'es-
cadre à un rendez-vous
fixé d'avance.

CONTACT

FIG. 2^4. — en éventail.


L'éclairage

Il est encore un genre


d opérations que 1 on conhe uniquement aux bâtiments légers et qui est bien tait

pour mettre à l'épreuve la sagacité et les nerfs de leurs commandants.


C'est celle consistant à garder le contact d'une force ennemie l'on a décou-
que
LA NAA'IGATION EN GROUPE. LE COMBAT 297

verte et qu'ilimporte de ne pas perdre de A'ue, pendant que le gros de l'escadre, qui
peut en être très éloigné, accourt pour la combattre.
De jour, il n'y a rien là de
trop difficile. Il y faut cependant encore du doigté. Si
on se tient
trop près de l'ennemi, il vous prie poliment, à coups de canon, de vous
écarter; si on est trojD loin on le verra
et s'éclipser dans un banc de
disparaître
brume ou un grain. 11 faut
aussi être prêt à prendre chasse (c'est le terme diploma-
tique employé pour indiquer qu'on s'enfuit) devant un têle-à-queué de croiseurs que
l'adversaire déchaînera sur vous pour vous faire lâcher
prise ; on doit encore éA'iter de
se faire couler par eux, et cependant se remettre à leur suite dès qu'ils rebrousseront
chemin, avec l'espoir qu'ils A'OUs ramèneront à l'escadre est de
qu'on chargé
sùrA'eiller.
Mais, de nuit, cette besogne déjà délicate se complique au point de rendre très
souA'ent l'entreprise impossible. Les moindres feux de l'ennemi de
qu'il s'agit
garder en vue seront bien entendu
soigneusement ou éteints est ; si la nuit
masqués
noire, il faudra se rapprocher terriblement de vagues silhouettes
pour distinguer
qu'une subite augmentation de A'itesse ou un brusque crochet feront en
disparaître
un instant. A moins encore qu'une gerbe de lumière n'inonde tout à coup
électrique
le malheureux chasseur qui, surpris à trop courte distance, sera canonné d'impor-
tance, ou. qu'une nuée de contre-torpilleurs ne s'abatte sur lui et ne le mette en fort
mauvaise posture {*). .
Aussi la tactique ne recommande-t-elle guère ce genre d'opérations. Tout au plus

peut-on, si le cas, est urgent, consacrer à cette besogne ingrate et périlleuse un ou


deux Tjetits bâtiments très légers et très rapides, des contre-torpilleurs par exemple,
qui ne craindront pas les torpilles, peu les coups de canon et seront toujours prêts
à prendre le large à la première alerte.
Mais A'oilà que les A'igies envoyées au plus haut des mâts, pu mieux encore les
avertissements par T. S. F. des croiseurs en surA'eillance ont signalé l'approche de
l'ennemi. Un signal monte au grand mât de l'amiral : « Se préparer à combattre » et
de toutes les passerelles le commandement éclate : <( Branlebas de combat ». Clairons
et tambours parcourent les ponts et les batteries, sonnent et battent à tout rompre
la générale dont les A'ibrants éclats
retentissent dans tous les coins du naA'ire, appe-
lant chacun à son poste de bataille.
C'est la minute émouvante où le bâtiment semble d'une de fous.
peuplé légion
Mais cette confusion n'estqu'apparente. *
Tout officier, tout homme à bord doit à ce moment, une bien
accomplir besogne
définie; le résultat de tous ces efforts est instants tout se trouve
qu'en quelques prêt
pour entamer la lutte, et qu'il suffira d'une sonnerie, d'un ordre parti du blockhaus
où se tient le commandant pour faire éclater le tonnerre des énormes pièces ou jaillir
silencieusement de son tube la torpille automobile.
Des escouades désignées jettent à la mer tout ce qui exister encore de niaté-
peut

(*) H faut cependant citer la belle manoeuvre exécutée, dans cet ordre d'idées, aux grandes manoeuvres de. 1910,
par là division légère, du contre-amiral Pivet. Cette division réussit à tenir le contact de l'escadre de l'amiral.
Aubert; Oran jusqu'à la côte est de Sardaigne. •
depuis
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT
298

riel en bois, embarcations, tables, etc., susceptible, au choc']des projectiles, d'occa-


sionner des incendies. Pour ce qui est des canots, la plupart auront été laissés
au port, et on ne conserve, suspendues àleurs porte-manteaux, que les baleinières de
aUx communications
sauA'etage ; elles serviront aussi, si les obus les Ont épargnées,
même pendant l'action.
qu'il y aura lieu de faire après ou peut-être
D'autres escouades dégagent le pont et les superstructures de tous les impedi-
menta qui gêneraient le tir des pièces et favoriseraient l'éclatement des obus ennemis;
les panneaux sont démontés, leurs ouvertures bouchées par des plaques d'acier, les
d'ancre et d'embarcations.
rampes rabattues ainsi que les bossoirs
Dans les tourelles et les casemates les canoilniers et leurs officiers se sont enfer-
més. Ils mettent en ordre et disposent tout le matériel dont ils A'ont avoir à se ser-
A'ir. Les appareils électriques ou hydrauliques, les palans qui font manoeuvrer les
énormes masses des tourelles sont essayés pour être sûr;que rien ne clochera au
moment décisif. - '' i 'i .
Par les tubes centraux qui servent d'axes à ces tourelles^ les hommes employés
dans les soutes à munitions font monter au moyen de monte-charges mécaniques
les gigantesques gargousses contenues dans des gargoussiers en cuir et les projectiles
hauts comme un bomme. [. ; .
Les chefs de pièce disposent les lunettes de pointage et les! sellettes sur lesquelles,
assis tout à l'heure, ils guetteront l'ennemi par les guérites découpées dans le toit des
tourelles et où leur tête s'encadre.
Partout dans l'intérieur une besogne semblable s'accomplit
du navire, et l'anima-
tion est la même. . '!]!'';
Les torpilleurs ont amené leurs torpilles des magasins où elles sont enfermées aux
compartiments des différents tubes lance-torpilles.
Ils ont complété, au moyen de pompes spéciales, la charge d'air comprimé qui
le but et, muni leur extrémité du
prOA'oquèra l'a course rapide de ces torpilles A'ers
cône qui renferme la charge de fulmi-coton ; enfin, ils les ont introduites dans les
tubes que tout à l'heure on pointera sur l'ennemi.
Ce pointage sera d'ailleurs aA'eugle. Comme on l'a déjà vu, on a renoncé, en rai-
son du grand danger que présentaient ces engins exposés au choc d'un éclat d'obus
de lancement au-dessus de la flot-
qui amènerait leur explosion, à placer les tubes
taison. Ceux dont On munit encore les cuirassés sont généralement installés sous l'eau,
à l'abri du pont cuirassé. Il en résulte toute une organisation fort compliquée, desti-
née à prévenir les rentrées d'eau dans le navire par le trou que le tube découpe dans
la coque; il en résulte aussi que le tube doit être pointé et là torpille lancée sur les
indications et les ordres qui A'ieiment du pont où l'officier torpilleur sui'A'eille l'ennemi
et attend le moment propice.
Sur quelques récents, on a prévn de petits postes cuirassés,
bâtiments étrangers
réductions du blockaus, d'où l'officier chargé du service desjtorpilles pourra le diriger
sans risquer d'être tué dès les premiers coups. '•'!
Chauffeurs et mécaniciens sont à leurs postes, les feux de toutes les chaudières
sont allumés : le charbon tiré dés soutes est amené A'ers les chaufferies pour assurer
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT 299

leur nourriture aux gueules des fourneaux qui vont dévorer le combustible pour
donner et maintenir les grandes A'itesses.
Dansdes compartiments aménagés à cet effet au-dessous des ponts cuirassés, les
médecins, infirmiers et leurs aides disposent le matériel de pansement, les tables poul-
ies opérations, les lits et les cadres pour les blessés qui seront amenés de tous les

points du navire au moyen de. brancards et d'appareils spéciaux.


Enfin, tout est paré!,A la confusion qui paraissait inextricable, ont succédé le
silence et le calme. Les huit cents
composent hommes
l'équipage du cuirassé
qui
sont tous à leur poste. Le commandant en second, suivi de ses auxiliaires, parcourt
le naA'ire en entier pour s'assurer que choses et hommes sont prêts. Il en rend compte
au commandant. Là-haut, sur la passerelle, celui-ci est entouré des officiers canon-
niers, télémétristes, officiers de manoeuvre, qui doivent l'aider dans l'exécution de
sa tâché complexe. Tous scrutent l'horizon et le bâtiment, sous leurs ordres, exécute
les mouA'èments prescrits par l'amiral pour la prise de la formation de combat.
Mais A'oici qu'au loin, derrière l'essaim des croiseurs qui, en toute hâte, se replient
sur l'armée, un nuage apparaît.
Ce sont les fumées de l'escadre qui, à toute vapeur, s'avance.
ennemie
Un dernier ordre est donné, que le clairon traduit : « Fermez les
par une sonnerie
cloisons étanches » et désormais, dans les flancs du monstre cuirassé, plus des deux
tiers de l'équipage; ou moins dans les alvéoles
répartis par groupes plus importants
d'acier fermées comme un caA'eau, né sauront plus rien du monde extérieur.
Se figure-t-onl'état d'âme de ces emmurés que A'iendront peut-être surprendre dans
leur abri l'étrave de l'ennemi, ou les cris joyeux de la victoire ?
Existe-t-il quelque chose de plus noble, grand, de plus beau, que cet
de.plus
obscur courage ?
Les deux flottes qui marchent l'une A'ers l'autre se sont rapidement rapprochées.
L'amiral a signalé : « Soyez prêts à commencer le feu ». Des tourelles, des casemates,
les pièces tendent A'ers l'ennemi leurs longues A'olées prêtes à A'omir l'obus. Le com-
mandant et ses aides ont gagné le blockhaus d'où les ordres seront portés dans tout
le naA'ire par les nombreux systèmes de transmission. Lés derniers timoniers ont

rejoint l'abri d'où ils pourront peut-être encore exécuter signaux très
quelques
nécessaires. -

Aucun être A'ivant ne paraît plus maintenant sur le pont du cuirassé.


, La parole est au canon !

LE COMBAT

Sur les différentes phases de l'action, sur


générale l'allure
d'une bataille navale
moderne, notre unique leçon réside dans les engagements de la guerre russo-japo-
naise, et particulièrement dans celui de Tsushima. C'est là seulement en effet-

qu'une vraie lutte a eu heu et que les âdA'ersaires ont réellement essayé de prendre
l'un sur l'autre la supériorité. Rien de semblable ne s'est passé au combat du
10 août igo4 devant Port-Arthur, où l'escadre russe, sortie pour gagner Vladivos-
tok, y a renoncé et est rentrée au port après avoir constaté, peut-être à tort, que
3oo LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT

l'amiral Togo était décidé à lui barrer la route ; rien non


plus à Santiago de Cuba en

1898, lorsque la division de croiseurs cuirassés espagnols défila avec la seule pré-

occupation de se soustrairele plus vite possible aux coups, devant l'escadre américaine
de l'amiral Sampson et succomba presque sans défense.
Tsushima seul peut donc nous éclairer, et il est vraisemblable que les futurs combats
de mer, aussi longtemps du moins qu'ils mettront aux prises des bâtiments comme ceux

que construisent actuellement toutes les marines du monde, verront se reproduire,


à quelques variantes près, les péripéties qui se sont déroulées dans ce jour tragique.
Le combat naval moderne ne peut être qu'un duel d'artillerie. Profitant de toutes
les circonstances secondaires, de vent, de mer, d'éclairage, chacun des adversaires
cherchera à se pla-
cer à la distance de
son ennemi et dans
une direction telle

que ses canons


soient dans leurs
meilleures condi-
tions de tir, qu'ils
aient les plus gran-
des chances d'at-
teindre et de percer
les cuirasses qui
leur sont opposées
et contraire
qu'au
toutes ces condi-
tions soient pour
l'adversaire les plus
FIG. 2^5. — Escadre au combat.
défavorables possi-
bles.
Les grandes des pièces actuelles font que le
portées et la puissance de perforation
combat naval s'engagera assurément à grande distance, 7 à 8 ooom probablement. A
les premiers à 6ooom et le feu des Japonais a été
Tsushima, coups ont été échangés
concentré, dès le premier instant, sur les navires de tête de la ligne russe, et spéciale-
ment sur YAmiral-Souvarov, qui portait le pavillon de l'amiral Rodjestvenski et fut
mis rapidement hors de combat.
Cette tactique, fort recommandée par les meilleurs écrivains maritimes, a pour
résultat de désorganiser la force adverse, ou tout au moins d'y jeter un trouble qui
équivaut à un commencement de désorganisation et de défaite.

Lorsque les premières passes auront amené un affaiblissement notoire de l'un des
deux combattants, ou que sa manoeuvre flottante et indécise accusera un commen-
cement de désorganisation, on verra alors l'adversaire se rapprocher pour donner plus
d'efficacité à un feu dont la supériorité s'est déjà fait sentir et accabler l'ennemi sous
une pluie de projectiles qui finiront de le démoraliser et de le détruire.
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT 3oi

Ce sera le moment où les gros projectiles de 3o<m s'attaqueront plus spécialement


aux cuirasses de flottaison pour les percer et y créer des voies d'eau irréparables.
Peut-être même si la distance entre les deux adversaires est suffisamment réduite,
les torpilles dont tous les cuirassés sont munis entreront en jeu, soit pour donner
le dernier coup à un adversaire désemparé, soit au contraire, si c'est un bâtiment

compromis qui les


emploie, pour tenter, par un coup heureux, de se débarrasser
de l'étreinte qui l'enserre.
Ce sera aussi le moment où, jouant leur va-toul, les contre-torpilleurs qui accom-
pagnent les escadres quitteront l'abri des cuirassés grâce auxquels ils auront été

FIG. 260. — Inférieur d'une casemate le combat.


pendant

jusqu'alors à peu près protégés des projectiles, s'élanceront à la rescousse, et


essaieront, à la faveur du tumulte général, de s'approcher de l'ennemi et de le tor-

piller.
S'ils sont aperçus, une contre-attaque des destroyers adverses et la grêle des petits
obus des canons légers les arrêteront vraisemblablement avant qu'ils aient pu lancer
leurs torpilles, on ne sait jamais cependant ce qui peut advenir d'une tentative déses-

pérée, poussée à fond par des hommes qui, avec entrain, ont fait le sacrifice de leur
vie pour risquer unsuprême effort! Il faut jusqu'à la fin d'un combat si peu de
chose pour en changer la face ! Qu'une ou deux seulement de ces torpilles portent,
et le navire amiral, par exemple, peut sombrer tout à coup sous les yeux de tous, au
moment même où la victoire lui semble
acquise.
Le désordre ne se mettra-t-il pas à cette vue dans l'escadre qui se croit déjà victo-
rieuse? Chez l'autre, au contraire, cet événement remontera les courages, produira
peut-être un de ces sursauts d'enthousiasme qui vont jusqu'à l'héroïsme et peuvent

produire les plus grands et les plus inattendus effets.


002 LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT

le tableau
Vraisemblablement les dernières phases d'un combat naval! présenteront
: L'une des escadres, celle dans une extrême confusion, les
suivant qui succombe,
rangs rompus, les naA'ires restants combattant encore isolément, pendant que l'es-,
la ligne les unités continuera à cir-
cadre A'ictorieuse, ayant fait serrer dans valides,
culer en aussi bon ordre que possible autour de l'ennemi désemparé en resserrant

son étreinte, moment fatal où, réduits, à. l'état .d'épaves, leur artil-
toujours jusqu'au
lerie détruite et leur décimé, les naA'ires vaincus se décideront à demander
équipage
leur paA'illon, ou bien, comme l'ont fait si héroïquement
grâce en amenant quelques-
uns des naA'ires russes dans la dernière ouA'riront leurs soupapes de prises
guerre,
d'eau et se coulei'ont A'olontairement.
cuirassés ne pas à l'action
On admet généralement que les croiseurs prendront
une part immédiate. Formés en une escadre
spéciale, ils se tiendront: sur les flânes et

attendront le moment de jouer leur rôle. Celui-ci pourra consister à se porter au

secours des unités aA'ariéès qui, forcées de quitter la ligne, se trouveraient isolées et
Ce rôle au contraire, consister à
risqueraient d'être entourées par l'ennemi. pourra,
et à détruire une unité ennemie qui se trouverait dans le même cas.
envelopper
Il est de plus vraisemblable que, lorsque vides se ;seront des
produits dans les

rangs de l'escadre qui porte leur paA'illon, les plus puissants d'entre eux seront
à combler ces vides et à compléter la ligne combattante.
appelés par leur chef
aux coups
Enfin, si l'amiral, A'oyant son escadre faiblir, juge bon delà soustraire

et de battre en retraite, une bonne ligne de croiseurs cuirassés, intacts, sera pré-

cieuse couvrir cette retraite et empêcher un ennemi qui évidemment aura été,
pour
lui aussi, assez maltraité, de courir sus au A'aincu et de l'inquiéter.

La reddition d'un naA'ire implique qu'il deAdent la propriété absolue de l'ennemi ;


et l'équipage, est prisonnier de guerre. De très
qui l'a conquis, Etat-Major compris,
A'ieux règlements allouaient à ceux qui montaient le naA'ire capteur des parts de
le montant était calculé sur le nombre de canons du navire
prise en argent dont
: de nos jours, ces règlements sont restés en Aigueur, mais comme le nombre
capturé
de pièces qui arment un naA'ire dé guerre a diminué considérablement, la part de
valeur insignifiante sa distribution sera d'ailleurs fort car
prise n'aurait qu'une ; rare,
il ne faut pas compter A'erra souA'ent des naA'ires de guerre modernes se rendre. -
qu'on
Ils couleront ou pourront s'échapper. ;
La capture des navires de commerce
appartenant à la nation ennemie sera égale-
ment une,source de bénéfices assez modiques. Pendant lés premières semaines des

hostilités, il pourra sans doute arriver que des voiliers partis depuis longtemps, que
paquebots ignorants de l'onverture des hostilités, tombent entre les
quelques
mains des croiseurs qui iront les guetter sur les grandes routes maritimes ou aux

d'atterrissage. Mais ces aubaines disparaîtront rapidement, les voiliers aA'ertis


points
se réfugieront dans les ports, les paquebots, moyennant quelques formalités assez
SAUVAIRE J0URDAN PL. VI.

Officier d'un navire belligérant venant vérifier que les cales d'un paquebot ne contiennent pas de contrebande de guerre.
LA NAA'IGATlON EN GROUPE. LE COMBAT 3o3

simples, passeront sous paA'illon neutre, et seul le transport de la contrebande de.


guerre pourra encore donner lieu à quelques captures plus ou moins fructueuses.
On sait qu'on entend par contrebande de guerre toutes les denrées, tout le maté-
riel, jusques et y compris le charbon, qui peuvent aider les belligérants à prolonger
les hostilités. D'après les règles du droit international, cette contrebande peut être
saisie par les navires de l'un des adversaires à bord de tous les bâtiments qui la por-
tent, quelle que soit leur nationalité.
Il est bien évident que si des mesures spéciales n'avaient été décrétées, et s'il fallait
s'en tenir à la déclaration des
capitaines sur la nature du chargement qu'ils
transportent, le droit à la saisie de la contrebande de guerre resterait un simple leurre.
On a donc, malgré l'apparence un peu vexatoire de cette mesure, édicté que tout
navire de guerre d'une nation belligérante a le droit de visiter tout navire de
commerce placé sur sa route, et de s'assurer, par tous les moyens qu'il juge utiles, de
la nature exacte de son chargement.
L'exercice de ce droit ne va pas, on le pense bien, sans quelques difficultés. Le

simple fait d'envoyer une embarcation à bord d'un navire aperçu au large, si la mer
n'est pas très belle, en est déjà une ; puis il est assez rare qu'on soit bien reçu lors-

qu'on se présente deA'ant un capitaine, dont tout au moins on allonge la traversée et

gêne les mouvements, en lui déclarant qu'on A'a mettre sens dessus dessous tout ce

que ses cales contiennent, opération pour laquelle on ne peut d'ailleurs compter sur
aucun secours de sa part ou de celle de son équipage.
On se trouA'e quelquefois, dans ce cas, en présence de ruses qu'il faut savoir
éventer.
Un chargement d'obus, par exemple, se dissimule très bien si, ayant empilé les
projectiles au fond des cales, on a versé par-dessus du charbon ou toute autre inno-
cente marchandise.
Le commandant Séménov, dans un de ses carnets
de notes ('), cite à ce sujet la
rencontre que fit l'escadre russe dans la mer de Chine d'un grand vapeur anglais,
dont la ligne de flottaison en charge extrême, indiquée par la marque du Lloyd, se
trouA'ait fort au-dessous de l'eau. Interrogé par un officier d'un des croiseurs de
l'escadre, le capitaine répondit à Nagasaki des bidons de pétrole,
qu'il transportait
et en effet une visite des cales ne fit découvrir
que des bidons dont le poids ne
pouvait expliquer en aucune manière la surcharge dont le naA'ire était évidemment
accablé. G
Une seconde visite, poussée plus à fond, ne fit toujours découA'rir que couches de
bidons sur couches de bidons.
Comme il était évident,
cependant, qu'il y aA'ait quelque part au fond des cales
quelque matériel infiniment
plus lourd, et qu'une perquisition complète ne pouvait
s'exécuter en pleine mer, l'amiral Rodjestvenski décida, malgré les énergiques pro-
testations du capitaine, de se saisir proA'isoirement du navire et de l'envoyer à Vla-
divostok où le pot aux roses serait assurément découvert. Il arriva d'ailleurs que

(f) Gomm 1 SÉMÉNOV, Sur le chemin du sacrifice, traduit par le capitaine de frégate DE BALINCOTJKT.
3o4 LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT

ce bâtiment, placé sous le commandement d'un officier russe, se perdit en traversant


le détroit de Lapérouse, et emporta son secret au fond de l'eau.
Il est inutile de dire que les erreurs qui peuvent se produire si on contraint ainsi
un navire de commerce à se détourner de son chemin, et à plus forte raison si un
accident survient avant que le bien-fondé delà saisie ait pu être prouvé, entraînent de

graves responsabilités pécuniaires ; de larges dédommagements sont en effet accordés


aux armateurs victimes de ces erreurs.
La guerre de course, c'est le nom sous lequel on désigne la recherche par les
croiseurs des bâtiments de
commerce ennemis, ou neutres
mais transportant de la con-
trebande de guerre, ne don-
nera donc plus dans les guerres
modernes les résultats que
procurèrent autrefois aux cor-
saires fameux : Surcouf, Jean-
Bart, du Casse, leurs gran-
des randonnées à travers les

océans, alors que tout parti-


culier, avec une autorisation

royale, pouvait armer un de


ces bâtiments agiles et aller
conquérir la fortune qui cou-
rait les mers sous le pavillon
de la riche Compagnie des
Indes. Capturer un vaisseau
de la Compagnie des Indes
étaiti'aubaine rêvée, et le nom-
bre des corsaires qui se livrè-
FIG. 267.
— Pirates cbinois captures par une canonnière au Tonkin. rent à cette exploitation devint
tel que ladite Compagnie en
arriva à faire de ses navires destinés cependant uniquement aux transports des riches
marchandises des pays fabuleux, de véritables bâtiments de guerre, d'excel-
porteurs
lents canons et d'équipages très capables de se défendre et qui le montrèrent à
maintes reprises.
L'exercice du Corsariat, si j'ose m'exprimer ainsi, donna d'ailleurs naissance à de
criants abus. Tous les corsaires ne ressemblaient
pas à ceux que j'ai cités plus haut,
et bien souvent, sans doute, il s'établit des confusions regrettables entre les navires
marchands appartenant à la nation ennemie et ceux qui lui étaient étrangers.
Comme il fallait alors s'arranger de façon que personne ne pût venir se plaindre, les
atrocités qui semblaient nécessaires étaient commises d'un coeur léger.

L'appât du lucre dut fréquemment faire du corsaire un simple pirate.


La piraterie maritime serait aujourd hui rentrée dans le domaine de l'histoire si les
LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT 3o5

côtes de l'Indo-Chine et les très nombreux estuaires de riA'ières, les canaux connus
sous le nom d'arroyos qu'elles présentent, les dédales formés par les innombrables
îlots répandus sur la côte du Tonkin, n'offraient encore leur asile à de hardis aven-
turiers chinois. Montés sur de petites jonques ou même sur de fragiles sampans, ils
viennent, de loin en loin piller les villages de pêcheurs annamites ou tonkinois,
leur enlever leur
riz, ce qu'ils peuvent d'argent, et le plus souA'ent leurs filles et
leurs femmes qui sont ensuite conduites en Chine et vendues.
Ce genre de commerce est, paraît-il, très lucratif et constitue la ATaie raison d'être
de la piraterie indo-chinoise. Très florissante avant que nous nous soyons installés
au Tonkin, et encore pendant les premières années qui suivirent notre occupation,
cette industrie a été tellement
traquée par nos canonnières qu'elle a fortement périclité.
Mais elle était si fortement entrée dans les moeurs d'une population où grouillent les

plus mauA'ais éléments, qu'on peut s'attendre à voir les pirates reparaître en grand
nombre, dès que la surveillance se relâchera.

Blocus. — Le blocus est une de guerre maritime


opération par laquelle un des
belligérants ferme l'accès d'un port ou d'une rade. Le blocus doit être notifié à toutes
les nations et cette notification comporte la conséquence que tout navire marchand

qui essayera de pénétrer dans le port bloqué sera capturé, quelle que soit sa nationa-
lité et qu'il soit neutre ou ennemi.
Des règlements internationaux prescrivent que le blocus doit être effectif, ce qui
veut dire qu'il ne suffit pas pour bloquer un port, de faire une déclaration de blocus
et de n'y placer qu'un seul bâtiment pour le faire respecter. -Le nombre des naA'ires

bloqueurs doit être suffisant pour garder tous les débouchés.


Les opérations de blocus sont devenues fort difficiles
et bien aléatoires, depuis que
toutes les nations maritimes ont confié la garde et la défense de leurs côtes aux tor-

pilleurs et surtout aux sous-marins.


La crainte des attaques de ces minuscules mais redoutables adversaires écartera
éA'idemment, pendant la nuit tout au moins, les gardes du blocus et rendra celui-ci
inefficace. Pendant ce temps les forceurs de blocus auront beau jeu pour introduire
dans la place assiégée les munitions, armes, viA'res dont elle a besoin.
Toutes les guerres maritimes jusqu'aux temps actuels ont comporté des blocus,
dont certains très efficaces. Au cours de nos longs démêlés aA'ec l'Angleterre, celle-ci

après avoir forcé nos vaisseaux à rentrer au port, a toujours rigoureusement bloqué
nos côtes.
Durant les hostilités avec la Chine, en février i885, l'amiral Courbet avait installé
le blocus de l'entrée du fleuve Yang-Tsé pour empêcher la sortie du riz indispen-
sable aux provinces du Nord de la Chine et qui ne pouvait y arriver que par la voie
de mer(').
Cette mesure très judicieuse amena la cour de Chine à résipiscence.

(') « On évalue à 5ooooo tonnes la quantité de riz qui sort annuellement du port de Shanghaï pour le compte
du gouvernement chinois et gagne le Petchili à bord de i5o ou 200 steamers affrétés spécialement pour cet
usage. » M. Loin, L'escadre de l'amiral Courbet.

SAUVAIRE JOUIIDAK. 20
3o6 LA NAVIGATION EN GROUPE. LE COMBAT j

Si, en 1870-71, la résistance de la France s'est prolongée d'une façon qui a excité
l'admiration universelle, si de nouvelles armées surgies du sol pour remplacer celles

que l'impéritie ou la trahison avaient anéanties ont pu se constituer et s'équiper, vivre


et combattre, nous l'avons dû à ce que notre ennemi n'a pu, faute de la puissance
navale nécessaire, établir le blocus de nos côtes. Nos escadres sont restées maîtresses
de la mer, et de tous côtés les naAires anglais, américains et français ont pu faire
affluer dans nos ports armes, vivres et munitions.
CHAPITRE VIII

SOUS L'EAU

Quelques mots sur les origines de la navigation sous-marine. — Les •— Profondeurs


scaphandres. qu'ils per-
mettent d'atteindre. — Le —
repêchage des richesses enfouies sous la mer. Les galions de Vigo et les trente
millions de la Lutine. — Un sous-marin des éponges. — La pèche des perles. — Un peu
pour la cueillette
-r— Aimé, le précurseur. •— de sondage. — Les plus grands fonds. — Des pois-
d'océanographie, Appareils
sons péchés à 6000 mètres de profondeur. — Bentos, Nekton et Plankton. — Les sous-marins modernes. —
Une croisière de quarante jours.—L'efficacité du sous-marin est démontrée. — Le moteur Diesel. — Le dan-
ger des moteurs à essence.
La navigation sous-marine n'est pas plus dangereuse qu'une autre. — Trois malheurs sur près de 60000 jriongées.
— Le — — La seule arme du sous-marin. — Ce
périscope. Singulières méprises. torpille, qu'on trouve sur
et dans un sous-marin. — Comment on y respire. — Un appareil de sauvetage pour les équipages de sous-
marins.

Depuis les temps les plus reculés, l'homme, curieux de connaître jusque dans ses

parties les plus cachées, le globe où le destin l'a jeté, a cherché les moyens de.se
frayer un chemin au sein d'un élément dans lequel la possibilité de A'ivre lui est re-
fusée.
Il n'est naturellement pas possible de reprendre ici l'histoire complète des tenta-
tives qu'à tous les âges il a faites dans ce but. On en trouvera d'ailleurs le récit très
détaillé dans le bel ouvrage de M. Pesce (') auquel on aura souvent recours dans les

pages qui suivront, et dans celui d'un officier très distingué, enleA'é trop jeune à la
Marine où sa carrière promettait d'être brillante (2). Il faut l'appeler seulement que, de
tout temps, il se trouva, dans les populations maritimes, des individus qui prati-
quaient aA'ec une grande maîtrise le métier de plongeurs, qui allaient chercher au
fond de la mer les perles, le corail, les éponges et, en temps de guerre, coupaient
sous l'eau les câbles des naA'ires ennemis. Un certain Scyllis de Scioné et sa fille

Cyana (3), très habiles plongeurs, causèrent par ce moyen la perte de la flotte de
Xerxès, dont les naA'ires, mouillés près du mont Pélion pendant une violente tem-

pête, furent ainsi privés de leurs ancres, tombèrent les uns sur les autres et se fra-
cassèrent.
Jal, dans son Archéologie navale, raconte qu'au siège de Malte par Mustapha
Pacha en i565, les Turcs et les Maltais disposaient chacun d'une compagnie de

plongeurs qui détruisaient sous l'eau les pieds des fortifications et des palissades de

(') La navigation sous-marine, Vuibert et Nony éditeurs, 1906.


( 2) DELPEUCH, La navigation sous-marine à travers les siècles, F. Juven, éditeur.
( 3) Raconté par Pline, Pausanias et Hérodote, rappelé par Pesce.
3o8 sous L'EAU

l'ennemi. Ces compagnies finirent par se livrer un A'éritable combat à la nage, où


«chacun des combattants, se soutenant d'une main sur l'eau, frappait de l'autre
« avec la hache ou l'épée ». Finalement, les Turcs durent abandonner le champ de
bataille aux Maltais, que « du haut des fortifications, le grand maître La Valette vit
« rentrer dans le port, emportant leurs blessés, ou aidant à nager ceux que les armes
« turques n'avaient pas. réduits à l'impossibilité de faire quelques mouvements ».
C'est A'ers i65o qu'on A'oit apparaître les premières cloches à plongeur destinées
à permettre le sauvetage des chargements précieux des naAdres coulés. Les scaphan-
dres, appareils avec lesquels le travailleur recevait de l'air frais de l'extérieur, datent
de 176/i. On arriva dès leur apparition à en tirer des résultats très appréciables, puis-
que nous A'oyons qu'en 1798 le citoyen Sardou, employé des galères, et le forçat
Burlet (J) restèrent sous l'eau plus d'une heure, dans un scaphandre de leur im'en-
tion, en présence du vice-amiral de Thévenard et de nombreux officiers, et se livrè-
rent à diverses opérations. Notamment, ils releA'èrent une ancre, clouèrent une feuille
de plomb sur la carène d'un vaisseau, etc. Un porle-A'oixpermettait de communiquer
aA'ec le scaphandrier.
Les principes sur lesquels est basé l'emploi du scaphandre n'ont pas changé. : On a
seulement perfectionné ses différentes parties et l'on est arriA'é à l'admirable appareil
qui permet aujourd'hui d'exécuter sous l'eau, à dès profondeurs considérables, des
travaux très importants et très délicats.
Le costume du scaphandrier moderne se compose d'un habit en caoutchouc ayant
A'aguement la forme du corps qu'il doit contenir tout entier, et muni seulement de
trois ouA'ertures, deux pour les mains qui resteront à l'air ou pour mieux dire, à
l'eau libre, et la dernière plus large, par laquelle le plongeur pénétrera dans son ha-
bit et d'où sa tête seule émergera.
Des bracelets en caoutchouc, appliqués sur les poignets, préA'iennent les rentrées
d'eau par ces points. La tête est emprisonnée dans un casque en cuivre, à l'intérieur

duquel elle garde la liberté de ses mouvements. Ce casque repose sur les épaules où
il fait joint étanche aA'ec l'habit, au moyen de rondelles en caoutchouc serrées par
des écrous sur une collerette métallique.
L'airest envoyé au scaphandrier par une petite jDompe à deux corps placée sur le
chaland ou dans le canot d'où il est descendu.
Cet air arrive, au moyen d'un tube en caoutchouc, à l'arrière du casque ou bien
dans une caisse métallique où, grâce à une disposition spéciale, aA'ant d'arriver à la
bouche du scaphandrier, il se met automatiquement à la pression du milieu dans

lequel le plongeur se meut. Cette caisse forme donc une sorte de régulateur qui
éA'ite les à-coups très nuisibles que produiraient, en cas d'arrivée directe de l'air de
'
la pompe, les mouvements dés pistons.
L'air frais arrive donc constamment dans le casque du plongeur directement ou après
avoir passé dans cette caisse inventée par MM. Rouquayrol et Denayrouze en i865 (2).

( 1) PESCE, La navigation sous-marincJ


(2) Le modèle de scaphandre adopté par la marine française ne comporte pas de caisse métallique.
SOUS L EAU 3og

Quant à l'air rejeté par lui ou qui se trouve en excès, il sort du casque à travers une
ouverture contre laquelle est fixée une soupape qui ne peut s'ouvrir que du dedans
en dehors. On emploie également un appareil, celui de la marine anglaise, fabriqué
par MM. Sièbe, Gormon and C, dans lequel l'air arrive aussi directement de la

pompe au casque. Dans ce système, le casque porte au-dessus du front un robinet


que le scaphandrier peut ouvrir pour se débarrasser de l'excédent pour lequel la
soupape ne serait pas suffisante, et aussi pour prendre dans sa bouche un peu d'eau
avec laquelle il lave la paroi des glaces qui se couvrent facilement de buée.
Ces glaces sont placées en avant, sur les côtés et sur le sommet du casque et per-
mettent au plongeur de voir les objets
dans un rayon fort étendu. Celle du
devant se visse sur le casque lorsque
le plongeur a fini sa toilette, et c'est
en l'enlevant qu'on commence son
déshabillage lorsqu'il remonte des pro-
fondeurs.
Mais le scaphandrier, enfermé dans
son habit de caoutchouc rempli d'air,
flotterait comme un bouchon si on ne
complétait son habillement par l'ad-
jonction de souliers garnis de fortes
semelles de plomb, et de deux masses
de plomb reliées par une corde qu'on
lui passe autour du cou et qui viennent
reposer sur ses épaules et sa poitrine.
Le total de ces poids atteint 5okî.
Ce n'est pas tout encore. Une cein-
ture permet au plongeur de suspendre
Fio. 2I1S. — Un scaphandrier prêt à plonger. les outils nécessaires au travail qu'il
doit exécuter. On y place aussi un fort
poignard qui lui servira à se défendre contre les entreprises des squales trop familiers.
Certes, l'apparition d'un monstre comme celui que représente un scaphandrier tout
équipé, semble bien faite pour semer la terreur dans le monde des poissons, mais il faut
compter que, sous l'eau comme au-dessus, l'accoutumance se fait vite, et que le prin-

cipal moyen dont disposent les poissons et spécialement les requins pour se rendre
compte de la nature et de la valeur d'un objet nouveau, est d'en manger un peu. Si
coriace et si peu appétissant que puisse être un scaphandrier, qui n'est, extérieure-
ment du moins, que cuivre et caoutchouc, on a voulu lui éviter des émotions inu-
tiles en lui donnant le moyen d'écarter les animaux trop voraces ou trop curieux.
On pense bien que n'est pas scaphandrier qui veut. Le travail sous l'eau, à une
pression souvent forte, avec un système de respiration qui, malgré tout, ne peut être
parfait, comporte des fatigues auxquelles peuvent seuls résister des hommes très
fortement constitués, entraînés progressivement et méthodiquement.
3io sous L'EAU

Jusqu'à ces dernières années, on considérait que la profondeur maximum à laquelle


il était possible de demander un effort au corps humain était de 3o à 35 mètres.
Mais des expériences très sérieuses, exécutées en igo5 par une Commission que
nomma l'Amirauté anglaise (')[ ont permis de constater que cette profondeur pou-
vait être doublée et qu'à 6om 1;homme'était, encore capable de rester sous l'eau un
temps très suffisant. Mais, à cette profondeur, le traA'âil est rendu à peu près impos-
sible par l'obscurité. La limite du travail facile paraît être de Zt5 à 5ôm.
La durée du séjour que peuvent faire au fond de l'eau les scaphandriers entraînés
est de quelques heures. Certaines équipes dé ces travailleurs se sont acquis une

grande renommée par leur endurance et la difficulté des opérations qu'elles ont su
accomplir à maintes reprises. On en trouA'e dans presque tous nos arsenaux mari-
times ; celle du port de Toulon est particulièrement célèbre. Marseille possède égale-
ment une équipe de scaphandriers fameux. Ce sont ceux qui, lors du naufrage du
Liban, coupé en deux aux îles du Frioul par le vapeur Insulaire sortant de Marseille,
réussirent à retirer deTépave joù ils étaient enchevêtrés 117 cadavres d'émigrants
engloutis avec le navire. j

que l'art de la navigation existe, il s'est produit des naufrages, et s'il était
Depuis
possible d'établir une statistique du nombre des navires qui peuplent le fond des
mers, on en serait évidemment effrayé, ; !
Or, toutes ces épaves ont contenu ou contiennent encore des objets de A'aleur,
beaucoup même de véritables trésors, et de tout temps on a cherché les moyens de
les repêcher.
L'existence dé quelques-uns! de ces trésors est certaine, i
On est assuré, tout au moins:, que lorsque se produisit le naufrage du ou des navires
qui les portaient, ils disparurent avec eux.
C'est le cas des fameux galions de Vigo dont l'histoire est parfaitement authen-
tique. Ces naA'ires, dit Delpeuch(2), formaient une flotte qui venait de TAmérique
du Sud avec un riche chargement de lingots. L'escadre française de Châteaurenaùlt
avait reçu l'ordre de protéger l'arrivée de ce conA'oi et le joignit en effet au large. La
jonction était faite quand l'amiral français reçut la nonvelle qu'une formidable flotte
anglaise qui bloquait Cadix faisait force de voiles pouf combattre l'escadre alliée.
C'est en vain que Châteaurenaùlt A'ôulut persuader à l'amiral espagnol dé se réfu-
gier dans un port français d'où le chargement précieux des galions pourrait être
transporté par terre en Espagne ; il ne put avoir raison de l'esprit soupçonneux de
nos alliés. L'escadre franco-espagnole cbercha alors asile dans la baie de Vigo où,
quelques heures après quelle !eut jeté l'ancre, elle était attaquée par une escadre
anglo-hollandaise de plus de 100 voiles. Après des prodiges de valeur, Châteâure-

-(*) Report of a Comittee appoinled lo Cohsider and report upon the conditions of deep-sea diving, London, A_ugust
1907, Wyman and sons, FetterLane. B.iG. London.
( 2) DELPEUCH, La navigation sous-marine à travers les siècles, i. i :
sous L'EAU 3II

nault, sentant qu'il allait être écrasé, donna l'ordre d'incendier et de couler ses
vaisseaux et les galions.
Qu'adAint-il du trésor qu'attendait avec impatience le roi d'Espagne ?
Est-il encore enfermé dans les flancs des A'aisseaux qui le portaient ?
A-t-il été au contraire, comme il semble très probable, débarqué en totalité Ou en
partie aA'ant que l'escadre anglaise eût prononcé son attaque ? Dans ce cas, il semble-
rait bien que l'histoire ferait mention de ce sauA'etage qui, en somme, aurait constitué
un succès relatif pour les forces franco-espagnoles, dont l'objectif principal aurait été
atteint.
Faut-il croire que, dans le désordre et le tumultequi accompagnèrent évidemment
l'évacuation des galions, les équipages aient quelque peu pillé ledit trésor, qui aurait
ainsi échappé au roi d'Angleterre comme à son cousin d'Espagne ? C'est une suppo-
sition qu'il est très permis de faire.
Quoi qu'il en soit, une des deux dernières
hypothèses doit être la bonne, à en

juger par les tentatives réitérées qui ont été faites pour retrouA'er le trésor des galions,
et n'ont en somme donné aucun résultat appréciable.
Les dernières recherches datent de quelques années à peine, et ont été effectuées
avec des moyens très perfectionnés (') et dans des conditions excellentes ; la mer est

toujours calme dans ce fond de la baie de Vigo et la profondeur de l'eau n'y est

pas considérable. Les coques des galions ont été parfaitement reconnues et soigneu-
sement explorées, des canons, des armes, de la A'aisselle plate, les objets les plus
divers ont été retrouvés et remontés, mais c'est à peine si l'on a trouvé quelques

pièces de monnaie et un ou deux lingots.


Un autre trésor authentique est celui qui a été englouti dans la nuit du 9 octobre

179g avec la corvette de guerre anglaise la Lutine, à l'entrée du Zuyderzée.


La cale de la Lutine renfermait 3o millions de francs que Londres expédiait à

Hambourg où séAÙssait alors une grave panique financière par suite du manque de
'
numéraire. .
C'est exactement
ce qui s'est passé à. New-York en 1907, où une pareille indigence
de métal précieux faillit amener des catastrophes, qui ne furent éA'itées que grâce
aux énormes envois d'or faits alors par le Vieux-Monde au NouA'eau.
Au moment du naufrage de la Lutine, l'Angleterre était, on le sait, en guerre avec
la France et la Hollande. Celle-ci était notre alliée plus ou moins sincère. Elle
se déclara propriétaire du trésor qui était ainsi venu s'échouer sur ses côtes.
Mais encore fallait-il le repêcher, et sur ce point, les plongeurs hollandais se heur-
tèrent à une difficulté qu'ils ne purent, vaincre.
Le sable, qui circule en grande abondance dans les passes du Zuyderzée, recou-
vrit si bien et si vite le naA'ire, qu'il leur fut impossible d'arriver jusqu'à la coque.
la paix survint, en 1815, le roi de Hollande céda au roi d'Angleterre ses
Lorsque
droits au trésor de la Lutine, avec d'autant plus de facilité assurément qu'il avait dû

(') En 1870-72 notamment, le célèbre ingénieur français R. Bazin employa sans succès sur le? coques des

appareil de son invention,


un excellent qui s'appelait l'explorateur sous-marin Bazin,
galions espagnols
312 SOUS L'EAU

renoncer à l'espoir d'en tirer profit. C'était un cadeau in partibus qui fut néanmoins
accepté.
Mais la compagnie du Lloyd anglais, qui avait assuré une partie du chargement

précieux de la Lutine et aA'ait été mise par la perte du bâtiment dans l'obligation de
payer la forte somme, revendiqua la propriété de l'épave qui lui fut en effet aban-
'
donnée, j ; i
Elle se heurta dans ses essais; de sauvetage aux mêmes difficultés que les Hollandais.
Cependant, à plusieurs reprises et en saisissant les moments favorables où des tem-
pêtes balayèrent une partie du jsable accumulé sur la coque, les plongeurs du Lloyd
réussirent à remonter
198 barras d'or et d'argent et une certaine quantité de mon-
naie, le tout formant un total de deux millions emiron :; niais de nouveaux apports
de sable revinrent chaque fois arrêter des travaux qui durent en somme depuis plus
d'un siècle. r
Décidée à en finir et. mettant
à profit les progrès de la science, le
cependant,
Lloyd, ou plutôt la compagnie à laquelle a été confié le ;soin de retirer de la mer ce
qui reste du trésor de la Lutine, a fait construire une machiné avec laquelle elle
espère arriver prochainement à son but.
C'est au bout d'un long tube d'acier, dont l'extrémité supérieure pénètre dans une
sorte de chaland, une chambre métallique d'où des opérateurs pourront explorer à
leur aise le fond de la mer au moyen de puissants projecteurs. Ces explorateurs,
le moment venu, se mueront en scaphandriers et pourront sortir de leur cabine.
Un système très ingénieux, basé sur l'emploi de l'air comprimé et dont l'inventeur
est un ingénieur américain, M. Lake, leur permettra de descendre sur l'épave par une
porte dont est munie la chambre en question.
L'enlèA'ement du sable qui recouvre la coque de la Lutine constitue la partie la
plus difficile de cette opération. On estime en effet à 4oooo tonnes la quantité
qu'il faut en déblayer, aA'ant d'arriver à l'épave dans laquelle le trésor repose depuis
cent dix ans.
Ce déblaiement,
parait-il, s'effectuera aisément au moyen de quatre pompes puis-
santes, qui aspireront, non de l'eau mais le sable lui-même, et qui, à elles quatre,
sont capables de retirer ces /ioooo tonnes en vingt-quatre heures.
Tous les trésors qui ont excité la coiwoitise des chercheurs n'ont pas le même
degré d'authenticité que les deux dont nous venons déparier. Bien des entreprises,
tentées sur la foi d'indications trop A'agues, ou même de simples légendes, n'ont
eu d'autre résultat que d'engloutir les capitaux qui avaient servi à les fonder.
Parmi les récits fantaisistes
qui ont proA'oqué quelques-unes dé ces expéditions au
cours des années dernières, il faut ranger celui d'après lequel de fabuleux trésors
auraient été enfouis autrefois par les pirates et écumeurs de mer qui avaient établi
leur empire dans certaines petites îles des Antilles, et auraient disparu avec euxQ.
Il en est encore un autre, plus moderne, basé sur le naufrage d'un navire à bord

duquel le président Krùger aurait entassé une partie de sa fortune au moment où il

(') Voir l'histoire des flibustiers et boucaniers au chapitre ix,;page 3^2.


sous L'EAU 3I3

dut le Transvaal,
quitter puis un autre encore tout récent qui donna lieu à une expé-
dition fameuse d'un navire vers une île mystérieuse découverte, disait-on,
anglais
sur la côte ouest de
l'Afrique, par un certain capitaine Jones, et où le diamant se
ramassait, paraît-il, à la pelle.

Les recherches faites au fond de la mer ne tendent pas toutes au sauvetage des
richesses qu'un nombre immense de naufrages y a évidemment et dont la
englouties
majeure partie est définitivement •
perdue.
Il en est d'autres
qui ont pour objet l'exploitation régulière des produits de la mer,

Fie. — Sous-marin la pêche aux sur les côtes de Tunisie


ail). pour éponges

comme les éponges, le corail, les perles, voire même les huîtres comestibles dont la
pêche, pour employer le mot, un peu impropre cependant, qui désigne généralement
cette exploitation, a bénéficié également dans une très large mesure des de la
progrès
science.
C'est ainsi
que pour la cueillette des éponges notamment, qui se pratique en
grand sur les côtes de la Tunisie et de la Tripolitaine et dans bien d'autres
parages,
le scaphandre est universellement Les chantiers de La Seyne-sur-mer, en
employé.
rade de Toulon, ont même combiné et construit, il y a trois ans, pour le compte
d'une société un petit sous-marin
tunisienne, très ingénieux et très curieux, mû par
deux avirons, et de l'intérieur duquel deux hommes, qui forment tout son équipage,
récoltent les éponges au moyen d'une antenne mobile.
La pêche des huîtres perlières se fait principalement autour de certaines îles du Paci-
fique et sur les côtes de Ceylan. Cette industrie, qui est certainement une des plus
vieilles du monde, est pratiquée en ce dernier point depuis près de trois mille
ans ; la perle de Ceylan est d'ailleurs réputée comme la plus belle.
Les indigènes vont chercher le précieux bivalve sur des fonds dont
la profondeur
atteint vingt mètres. L'atavisme de centaines de siècles et l'accoutumance de toute
une vie les ont rendus si aptes à ce genre de travail défient la concurrence du
qu'ils
scaphandre dont ils ne veulent pas d'ailleurs entendre parler pour leur propre compte.
3ii sous L'EAU

Comme leurs ils plongent


ancêtres, directement sur le banc. Les narines bouchées

par un morceau de corne et un sac passé autour du cou, ils se paumoient jusqu'au
fond au moyen d'une corde lestée. Dès que leur sac est plein, ils donnent un signal .
au moyen d'une autre corde aA'ec laquelle on les remonte rapidement. Le sac dé-

chargé, ils redescendent aussitôt. Ces plongeurs restent; sous l'eau de une minute à
une minute et demie, et rarement ils reviennent à la- surface sans avoir leur sac

plein.
Cette pêche est d'ailleurs sévèrement organisée et réglementée, à Ceylan tout au

moins, par un gonvernement prévoyant qui veut empêcher la destruction d'une

pareille source de richesse. Les huîtres pêchées sont placées dans des sacs scellés par
un fonctionnaire et vendues à l'enchère à des acheteurs qui procèdent alors à l'ou-
verture des coquilles et à la recherche des perles qu'elles contiennent... ou ne con-
tiennent pas.
On se rend aisément compte combien doit être attirant... et décevant aussi ce tra-
vail au cours duquel la fortune peut se rencontrer.
Les fonds sur lesquels on trouA'e les bancs d'huîtres perlières sont composés uni-

quement de sable pur où croissent des masses isolées de corail. Ce genre de fonds
est naturellement très sensible aux mouA'ements des eaux causés par des tempêtes,
et les bancs d'huîtres qui s'y forment disparaissent souvent aA'ec les remous que ces
tempêtes y produisent. Par ailleurs, sa nature explique qu'on ne puisse pas utiliser
des dragues ou des chaluts qui, pour quelques huîtres ramassées, causeraient les plus

grands raA'ages parmi les autres;


A Ceylan la pêche est très intermittente.
1890 à igoS, De
toute autorisation fut

supprimée ; en igo5, la pêche fut considérable. On ramassa plus de 80000000


d'huîtres qui produisirent des perles pour une A'aleur de 6 1B0000 francs.
Le plongeur est payé en nature. Il reçoit, à chaque retour à terre, un tiers de sa

pêche, qu'il revend aussitôt à d'humbles spéculateurs.

' '
! i . '
i
L'OCÉA-NOGRÀPHIE

Le désir de connaître les


espaces immenses que les mers recouvrent a poussé

quelques hommes d'étude à diriger leurs recherches vers les profondeurs des océans ;
ils ont ainsi créé l'océanographie, science dont il est possible de présager le magni-
!
fique avenir d'après les résultats importants obtenus jusqu'ici.
En effet, on peut compter qu'une connaissance exacte de la mer, de ses courants,
de ses températures, de ses phénomènes divers est appelée à rendre les plus grands
services à la naA'igation. D'autre part, une étude complète des innombrables espèces
d'êtres vivants dont la mer est peuplée, ne sera pas moins utile à la science d'abord,

qui n'a pu avoir jusqu'à présent sur ces animaux que des lumières assez courtes,
et à l'humanité en général qui fait des poissons une si abondante consommation.
Enfin l'océanographie, en nous révélant la disposition et la constitution des ter-
rains forment les fonds des mers, fera une source nouvelle et
qui peut-être jaillir
SOUS L EAU 3i5

pratiquement intarissable de richesses, en permettant l'exploitation d'une partie-tout


au moins des minéraux et autres matières que ces fonds recèlent.
Ce n'est pas d'hier que datent les.recherches océanographiques. On retrouve trace
dans les premiers siècles de l'histoire, de cette de connaître la profon-
préoccupation
deur dés mers, la nature de leurs fonds, la vie et les particularités des animaux et des

A'égétaux qui les peuplent.


C'est ainsi i45.o le cardinal Nicolas inventa un
qu'en CusanusQ appareil qui
devait permettre de juger de la hauteur de l'eau dans les gouffres des océans. Il
consistait en une bande de bois ou de métal creux munie d'Un crochet auquel était

suspendu un cylindre métallique recourbé en forme de demi-lune et qui se déta-


chait en heurtant le fond. La boule remontait à la surface. En notant le temps écoulé

pour le double voyage de descente et de remontée, on calculait la hauteur de la


colonne d'eau comprise entre la surface et le fond, c'est-à-dire la profondeur de la
inèr.
Cette invention,ingénieuse à première vue, ne donna jamais de résultats sérieux,
pour la bonne raison qu'on ne percevait pas le moment exact où le flotteur que lés
courants entraînaient parfois fort loin, réapparaissait à la surface après son A'oyage
soi sous-marin
jusqu'au (2). Elle mérite cependant d'être signalée parce qu'elle marque
le premier effort vers la réalisation de la mesure des grandes hauteurs d'eau.
pratique
En 1707, le comte de Marsigli se livra à.l'étude du fond de la Méditerranée le long
des côtes du Roussillon, du Languedoc et de Provence. Il faillit même, en procédant
à des sondages, être pris par les corsaires venaient derrière
algériensqui s'embusquer
les rochers et jusque dans les criques des petites îles qui bordent la côte (3).
Ses études le conduisirent^ à formuler des lois topographiques si exactes que les
travaux ultérieurs n'ont fait qnè les confirmer ; il s'en serA'it pour dresser une carte
des fonds de la Méditerranée à laquelle il y aurait peu de choses à reprendre aujour-
d'hui.
Là grande, l'invincible difficulté des recherches par sondages exacts dans les gran-
des profondeurs résida longtemps dans l'impossibilité d'obtenir des chiffres même

approchant de l'exactitude par l'emploi des lignes de cham're munies de poids. Ce

poids, arrêté par le frottement de l'eau sur la corde, n'arrivait pas au fond et ce fut
seulement eii i84i qu'Aimé, alors professeur au lycée d'Alger, obtint des résultats
certains et définitifs en employant des cordons de soie à la place de cordes en chan-
vre. Il imagina aussi de creuser la partie inférieure du plomb de sonde et d'y loger
une certaine quantité de suif qui prenait, au contact du fond, quelques parcelles des
matières qui le composent.
Il réussit ainsi à sonder par des fonds de 1 o66m, ce qui n'avait été
jamais appro-
ché avant lui.
C'est un agréable devoir de citer à propos de ce saA'ant trop modeste quelques-unes
des lignes que lui consacre M. Thoulet.

(4) J. THOULET, L'Océan, ses lois et ses problèmes, Hachette et C'Q, éditeurs.
( 2) Ibidem.
( 3) Ibidem, p, o,.
3-i 6 sous L'EAU

N'est-il pas curieux de constater après tant de belles découvertes


faites par Aimé, après que
ses procédés ont été décrits et figurés dans une publication officielle, les mémoires relatifs à

l'exploration scientifique de l'Algérie, imprimés à l'Imprimerie royale en 1845, que le nom


d'un savant d'un tel mérite soit aussi peu connu en France? . ;
Les étrangers et principalement les Américains et les Anglais, des Français même, vonttra-
A'ailler pendant une trentaine d'années à redécouA'rir ses inventions et quand, à force de
labeur, on aura enfoncé des portes depuis si longtemps ouvertes, on en Saura Faire sortir
une ample moisson de gloire, tandis que le pauvre Aimé, mort à la peine, restera ignoré.

Parmi de nombreuses inventions ou moins ingénieuses, le choix des,savants


plus
à mesurer les grandes s'est fixé sur un appareil dont voici une
appelés profondeurs
description sommaire.
Le fil destiné à descendre jusqu'au sol sous-marin le poids qui l'entraîne est com-
On en enroule une dizaine de mille mètres sur un treuil
posé de trois brins d'acier.
fixé au pont du navire à bord duquel les sondages doivent être exécutés. Ce fil triple

passe sur un certain nombre de poulies qui régularisent son mouvement ; sur la
dernière est fixé un mécanisme compteur de tours ; ce compteur s'engrène lui-même
aA'ec une vis sans fin munie d'une aiguille indiquant en mètres, sur un cadran, la
' <
i i •
.

longueur du fil déroulée, c'est-à-dire l'épaisseur de la couche d'eau.


Au bout du fil d'acier, on attache quelques mètres de corde dont l'extrémité reçoit
le poids de sonde. Ce poids consiste généralement en un tube long de 8ocm (') à rm,
le fond, s'y remplit de vase et la rapporte à bord où elle sera
qui heurte verticalement
soigneusement analysée.
Mais le poids de ce tube seulme suffirait pas à assurer; la descente; Aussi, enfile-
fil de
t-on autour de lui une série de rondelles en fonte maintenues par un simple
fer, elles se détachent au moment où : se produit le choc et restent
automatiquement
sur le fond ; on évite ainsi d'aA'ôir à remonter un poids assez considérable ; il est vrai

qu'on perd les rondelles en question.


On fixe encore, au-dessus dujsondeur, une bouteille qui remontera un échantillon
sera immo-
de l'eau du fond et un thermomètre spécial dont la colonne merçurielle
bilisée après qu'elle aura enregistré
la température sur le sol.

. A mesure la ligne de sonde


se déroule, on y attache, de loin en loin, de sem-
que
et la
blables bouteilles et de semblables thermomètres pour connaître là composition
'
de l'eau aux diverses . 'i
température profondeurs.
Lés plus grands fonds trouvés au moyen de cet appareil ou d'autres analogues ont
le Pacifique, à l'Est de la Nouvelle-
été de 83/iimpour l'Atlantique (?), de 9427™ dans
Zélande et de 9 636™ près de l'île Guam, l'une des Mariannes (3). Cette dernière est
la plus grande profondeur marine actuellement mesurée ; on voit qu 'elle dépasse
de 800™ la plus grande altitude! connue, celle du pic Everest, dans l'Himalaya, qui
se dresse à 8 84o'\
Nous avons décrit au chapitre vi, le sondeur Thomson, si
page 255, précieux

(f) C'est le système inventé par Bucbanan. THOULET, L'Océan.


( 2) Trouvé par l'aviso anglais Blake, en ;i882. THOULET, L'Océan. '
( 3) Cité par le .Dr J. Richard. ?.
Fio. J5O. — Carte des profondeurs de l'Océan nord.
Atlantique
3i8 sous L'EAU

parce qu'il permet de connaître presque constamment là; hauteur de l'eau, sans arrêter
la marche du naA'ire et qu'il fournit ainsi aux commandants, pour les atterrissages
de nuit ou en cas de brume, des indications extrêmement utiles.,
Mais l'étude des océans ne s'arrête naturellement pas à;la connaissance des profon-
deurs. Il faut encore ce que ces profondeurs
savoir cachent.
De même qu'on est arrivé à envoyer un plomb de sonde jusqu'au fond des abîmes,
de même, à force de recherche^, de soins patients, où à! réussi à y descendre égale-
ment des engins de pêche, des dragues, nasses, chaluts, qui en ont rapporté des
échantillons de la faune sous-marine. C'est ainsi que le Prince Albert de Monaco,
dont les traA'aux ont fait à l'océanographie dés progrès considérables, et
accomplir
Princesse-Alice les installations océano-
qui possède à bord de son magnifique yacht
les plus perfectionnées, a pu ramener au jour des poissons péchés àplus
graphiques
de 6 ooom de profondeur. ! !
!
De ses recherches et des études précédemment faites par une foule de savants et

marins, il résulte, à l'opinion


contrairement exprimée en 1843 par le naturaliste an-

glais EdAA'ard Forbes, que la A'ieJ existe partout à la surface de la mer et dans toutes
ses profondeurs. Ce saA'ant aA'ait fixé à 3oo brasses ou 55om la Hrhite au-dessous de
la vie animale cessait, '
laquelle j
Quant à la vie végétale, il proclama qu'elle ne devait pas dépasser là profondeur où

pouvait atteindre la lumière et l'expérience a démontré qu'il avait complètement raison.


Il ne peut être question ici d'entrer dans les détails de cette science si attachante
1
qu'est l'océanographie. j 'j r !''''
Les lecteurs désireux de la creuser davantage pourront se reporter au beau livre
de M. Thoulet auquel je fais de;si
copieux emprunts Ç): :
Il est utile de dire cependant que les océanographes j Ont réparti l'ensemble des

êtres, animaux, les océans, en trois catégories, aux noms


végétaux, qui peuplent
assez barbares.
Ce sont : le Benthos, qui comprend les êtres vivants'sur le fond, qu'ils y soient
fixes ou errants; le Nekton, ensemble des animaux A'ivantà toutes les profondeurs et
se mouvant de leur gré; le Plankton constitué par les êtres, flùrè et faune,
propre
u
qui flottent indépendamment de| leur volonté.

Le Plankton offre un intérêt particulier, parce que la connaissance des lois qui régissent
sa distribution et ses mouvements est le problème capital; ide l'industrie rationnelle des

pêches Q). ! ii!.!


Le Piankton est suiA'i en effet dans ses naA'igations par des troupes ! d'animaux qui s'en
repaissent ; ces derniers sont suivis à leur tour par des poissons carnivores et ceux-ci sont
pourchassés par les pêcheurs. ! ;|; . . ':
On parle beaucoup des migrations des harengs ou des sardines, elles sont les mêmes que
celles du Plankton dont parlent peu de personnes, et qui sont la conséquence fatale des va-
riations des courants, de la température ou de la densité des eaux dont personnene s'occupe.

Handbuch der
(') On lira encore avec grand fruit : Dr Otto.KiuJMMEL, Der Qzéan, Leipzig, G; Freytag, 1982.
Ozéanographia, von D 1' Otto KR.UMMEL, Band I, Stuttgart, K. Engelhorn, 1907. Dr J. RICHABD, L'Océanogra-
phie, Paris, y-uibert et Nony, igo8.' !
' ' '
L'Océan, Hachette et C'°, éditeurs. j . Il i !
( 2)
sous L'EAU 319

Les animaux qui habitent les grandes profondeurs offrent un tout particu-
aspect
lier et sont
généralement hideux,
Au-dessous de 3oom, limite extrême où encore vestiges de
pénètrent quelques
lumière et où s'arrête la vie végétale, on ne trouve plus que des carnivores A'ivant
dans des ténèbres éternelles traversées de temps en temps par des éclats de phos-

phorescences bleues, jaunes ou vertes émanant des habitants de ces parages et dont
la nature les a doués pour leur fournir les moyens de chercher leur proie.
Ces animaux effrayants ne sont qu'une gueule énorme, derrière laquelle ondule
un corps filiforme.

J'ai \'u, dit Thoulet, ramener des profondeurs de 2 à 3 000 mètres, à la splendeur du jour
qui les éclairait pour la première fois, des sortes de requins dont le corps, noirâtre, hideux,
s'étalait, flasque, sur le pont du naA'ire, dont la tête, aplatie comme celle d'une vipère géante,
portail une mâchoire armée de formidables rangées de dents et dont l'oeil brillait d'une lueur
horrible, glauque, pâle et puissante à la fois, semblable à celle d'une fournaise
livide, brûlant
au loin, aperçue tout au bout d'un tunnel aux parois de ténèbres.

Il est évident que les recherches océanographiques, en dehors du caractère pure-


ment scientifique qu'elles peuvent prendre, sont également susceptibles de fournir
les renseignements les plus utiles à l'industrie si importante de la pêche.
Aussi faut-il regretter profondément, à ce double point de vue, que la France ait
cru devoir, jusqu'ici, se tenir à l'écart des efforts tentés pour former un groupement
international s'occupant des études océanographiques.
Ces efforts ont d'ailleurs abouti à un accord entre l'Allemagne, l'Angleterre, le
Danemark, la Hollande, la Norvège, la Suède, la Russie, la Belgique et la Fin-
lande.
Ces neuf puissances ont installé à frais communs un Comité central international

d'exploration des mers, avec siège central permanent à Copenhague et laboratoire


central à Christiania. Chacune d'elles s'est en outre imposé d'entretenir un vapeur de
recherches pour exécuter les traA'aux décidés par le Comité central Q. Les contribu-
tions annuelles des neuf États intéressés se montent au total à i3a 000 francs, mais
cette sommé est consacrée uniquement au laboratoire. Les frais de construction des
navires de recherches ont été bien plus considérables ; ils se sont élevés à ï 620000

francs, les frais d'entretien annuels de ces neuf bâtiments montent à peu près à la
même somme. ,
Cette organisation fonctionne définitivement depuis igo3. Conçue dans un ordre
d'idées où la pratique tient une large place, il n'y a pas de doute qu'elle ne fournisse
à l'industrie de la pêche des moyens précieux de se développer : les premiers résul-
tats obtenus sont d'ailleurs probants. En voici Un exemple rapporté par M-. le Con-
sul général de France à Hambourg.
Au de 1901, le A'àpeur de recherches norvégien, Michaël-Surs, dirigé
printemps
une autorité hydrographique, le docteurHjort, explorait la région des îles Lofo-
par
den. En recherchant la présence des oeufs de morue dans ces parages, le docteur

Bulletin de la Ligue maritime française, numéro de février igo5;


(!)
3ao SOUS L EAU

Hjort réussit à déterminer exactement l'emplacement d'une série de lieux de frai de


ce poisson, jusqu'alors ignorés des pêcheurs.
Un petit vapeur de pêche, venu à l'époque favorable, recueillit en quelques semai-
nes environ 80000 morues, vingt-quatre autres bateaux se réunirent sur ces nou-
veaux lieux de pêche et la récolte totale fut estimée à plus
de 700000 poissons. A
elle seule, cette découverte suffit, et au delà, à dédommager la nation norvégienne
des dépenses d'entretien du Michaël-Surs.
La France ne se doit-elle pas vraiment de prendre sa place dans un groupement
aussi utile ?

LES SOUS-MARINS

L'apparition des premiers sous-marins (') dans les rangs de notre flotte fut le signal
de vives et intéressantes

controverses, qui ne sont


pas encore d'ailleurs tout à
fait closes. Les uns voulu-
rent voir, dans ce nouveau

type de navire de
guerre,
une sorte de panacée uni-
verselle, le bâtiment à tout
faire, avec
lequel apparais-
sait la solution définitive du

problème de la guerre sur


mer. A les entendre, la

France, à qui était échue,

grâce au labeur et à l'ingé-


niosité de ses officiers de
FIG. 25I. — Le Gymnote, premier de nos sous-marins. la bonne fortune
marine,
u avoir, 1a première, reanse
le sous-marin devait renoncer à toute espèce d'autres bâtiments de guerre,
pratique,
cuirassés, croiseurs cuirassés, si coûteux, et consacrer toutes les ressources de son

budget maritime à la construction de sous-marins. Ceux-ci, placés en sentinelles


autour des côtes, tiendraient en respect ou détruiraient sans tout ennemi rémission
assez audacieux pour vouloir en approcher en vue d'un bombardement ou d'un

débarquement.
Ce raisonnement, par trop simpliste, obtint cependant un assez grand succès

auprès d'une partie du public, si fermé en France à la compréhension des choses

(') Les noms des deux premiers de ces bâtiments méritent d'être conservés. Ce sont le Gustave-Zédé et le Gymnote.
Le nom du premier consacre la mémoire du célèbre ingénieur des Constructions navales à qui revient l'honneur
d'avoir résolu pratiquement le problème de la navigation sous-marine. Le Gustave-Zédé et le Gymnote ont été
deux chefs-d'oeuvre. C'est à leur bord que nos officiers de marine ont pris la confiance dans ces engins et l'assu-
rance qu'ils montrent aujourd'hui en toutes circonstances. Le Zédé a plongé plus de 2 5oo fois, le Gymnote plus
de 2000 fois, sans qu'aucun accident se soit jamais produit à leur bord.
SOUS L EAU i'JM

et pour de n'avoir plus à payer nombre


de la mer, qui la perspective de gros cuirassés
à 5o ou 75 millions la pièce, était un argument péremptoire.
Le auquel adhéraient les contempteurs des nouveautés, prenait le
parti opposé,
contre-pied de cette opinion.
A leur si la navigation
avis, sous-marine avait fait, quelques et ils devaient
progrès
le reconnaître, elle n'en restait pas moins à l'état de problème incomplètement
résolu. Le sous-marin n'était, d'après eux, qu'un demi-aveugle, un demi-paralytique

aussi, en raison de la trop faible vitesse que tous les efforts n'arrivaient à lui
pas
îaire dépasser, condamne en

outre, par suite de l'instabilité


de son équilibre, à dépenser
cette vitesse, ou tout au moins
une bonne partie, en mouve-
ments désordonnés, fatale-
ment destinés à provoquer des

catastrophes. En résumé, nul


ou à peu près, comme engin
militaire, le sous-marin res-
tait une sorte de joujou scien-

tifique, amusant d'ailleurs,


mais à près inutilisable
peu
sans grands dangers.
Comme il arrive presque
FIG. 2^2. — Le sous-marin Gustave-Zédé. la vérité se trouve
toujours,
dans l'opinion moyenne.
Le sous-marin point n'est
destiné à remplacer les cuirassés.
C'est l'empire de la mer qui sera le but de toutes les guerres maritimes et le sous-
marin ne peut avoir aucune prétention à le disputer ; c'est au navire de haut bord,
au cuirassé que revient cette tâche. Le rôle du sous-marin reste d'ailleurs assez beau
et assez vaste.
Il défendra admirablement l'abord immédiat des côtes. Puis, amélioré, perfec-
tionné comme nous verrons tout à l'heure qu'il tend de plus en à l'être, il ira
plus
chercher l'ennemi sur son propre littoral, quand celui-ci ne sera
jusque pas trop
Il barrera très efficacement l'entrée des mers resserrées, comme la
éloigné.
Manche, l'entrée des Dardanelles, certains passages de la mer Rouge, les détroits de
la Sonde, etc., et étendra
par là son action jusqu'à concourir à la très efficacement
du large, en forçant les navires ennemis à ne pas prendre certains chemins et
guerre
à allonger leur route.

Certes, son organisme est encore délicat, et il est évident que des progrès nom-
breux et considérables amélioreront dans l'avenir ses qualités actuelles, mais tel qu'il
est dès à présent, ce serait nier l'évidence que de refuser au sous-marin la possibilité
de naviguer et de rendre, en temps de guerre, les plus appréciables services.
Des faits probants le démontrent d'ailleurs.
SAUVAIRF. JOUKDAN. 21
322 SOUS L'EAU !

Dès1907, le ministère de la Marine, préoccupé de déterminer les qualités de naA'i-

gabilité du type nouA'eau, fit exécuter par l'Opale, sous-marin de 38g-423 tonneaux
de déplacement ('), la traA'ersée Cherbourg-île de Croix (devant Lorient)-Cher-
bourg, sans aucun arrêt et sans aucune aide. La distance parcourue fut de 628 milles,
à la vitesse moyenne de 8n,5. Cette première expérience réussit fort bien. Il ne se

produisit aucun incident, le naA'ire et l'équipage supportèrent parfaitement cette


i < 1.
navigation.
Des
essais analogues furent faits A'ers la même époque à l'étranger et donnèrent les
mêmes résultats, et le raid de Y Opale fut renouA'elé chez nous à plusieurs reprises
I I
par les sous-marins entrant en service.
En mai 1909, on résolut de recommencer cette expérience en lui donnant une
tournure plus militaire. Les quatre sous-marins Pluviôse, Ventôse, Émeraude et

Opale, de Cherbourg, furent désignés pour accomplir une A'éritable croisière. Quel-
ques jours après leur départ, l'Opale eut une avarie de machine qui la força à rentrer
au port. i
Mais les trois autres n'y reA'inrent que quarante jours plus tard. Pendant toute cette

longue période ils prirent part à des exercices combinés aA'ec l'escadre du Nord.
Ils défendirent Lorient que cette force naA'ale bloquait, procédèrent sur ses bâtiments
à plus de quarante attaques, dont un grand nombre furent considérées comme
réussies, puis revenant au Nord, tentèrent un essai de barrage de la Manche, éta-
blirent pendant trois jours le blocus de Cherbourg défendu par l'escadre du Nord,
restant en. plongée le jour, en surface la nuit, rechargeant leurs accumulateurs par
leurs propres moyens, faisant en somme exactement ce qu'ils auraient à faire en

temps de guerre.
Puis, sans aA'oir repris contact aA'ec la terre, les trois sous-marins piquèrent une

pointe jusqu'à Dunkerque, où ils ne relâchèrent pas davantage et rentrèrent à Cher-

bourg, non sans aA'oir préalablement lancé toutes leurs torpilles pour s'assurer que
le réglage de celles-ci n'aA'ait
pas été dérangé par cette dure épreuve.
En somme, ces petits bâtiments aA'aient fait pendant quarante jours un service de
temps de guerre et parcouru notamment, sans reprendre haleine, une distance de plus
de 1 000 milles.
Pendant six jours ils ont vécu au large, sur leurs propres ressources: officiers et

équipages ont supporté, avec la coutumière bonne humeur des marins, les petites

épreuA'es inséparables d'un séjour en un lieu où les raffinements du confortable


moderne n'ont évidemment les coques et les machines
pas pénétré, n'ont aucune-
ment souffert. Bref, cette expérience a démontré l'endurance du personnel et !la
solidité du matériel ; elle a aussi prouA'é que nos sous-marins sont bien capables de
rendre les services pour lesquels ils ont été créés.
L'utilité du sous-marin comme arine de guerre n'est donc pas un mythe. On
en peut donner encore cette prenve, tirée du rapport de la Commission parlemen-
taire d'enquête sur la marine de 1909. i

(') Le premier nombre indique le déplacement lorsque le bâtiment est à la surface, le second, le déplacement
en immersion. .
sous L'EAU 3i3

Le président de cette. Commission posait au commandant de la flottille des sous-


marins à Cherbourg cette question qui correspond très exactement à cette préoccu-

pation de la A'aleur du sous-marin militaire : Avez-vous connaissance de torpilles lancées

par des sous-marins, ayant atteint le but et ayant frappé des cuirassés marchant en
'
route libre non concertée ?
Et A'pici la réponse : — Oui, et A'oici dans quelles conditions. La manoeuATe aA'ait
lieu deA'ant Cherbourg. Il était entendu que nos cuirassés figurant l'ennemi attaque-
raient à une distance de la côte A'ariant de 4 à 10 kilomètres: du port et sur une lon-

gueur d'une centaine de kilomètres, ce qui représente un peu plus que la presqu'île du
Cotentin. Dans cet espace, que l'on peut considérer comme le rayon pratique d'une

attaque, les cuirassés se mouvaient à leur A'olonté. Notre flottille de sous-marins a

attaqué l'ennemi et le nombre des touchés


a été de 20 à 25 °/0 des attaques.
Le point faible du sous-marin est jusqu'à présent la A'itesse. Elle est forcément
limitée, lorsque le bâtiment est en plongée, par l'energie que peuvent fournir les
accumulateurs actionnant le moteur électrique. Celui-ci est, dans la marine française
et jusqu'ici tout au moins, seul employé pour la marche en plongée.
1 sont lourds et encombrants
Or, les accumulateurs ; on n'en peut donc augmenter
le nombre, et par conséquent accroître la quantité d'énergie qu'ils fournissent, qu'en
augmentant en même temps les dimensions du naA'ire. c'est-à-dire son déplacement,
sa longueur, son tirant d'eau. On arrivera alors bien A'ite à des dimensions consi-
dérables, peu compatibles avec l'aisance des éA'olutions, qualité très nécessaire.

L'ingénieur des Constructions naA'ales, Laubeuf, qui a créé en France le type


du sous-marin militaire pratique et dont les études et les procédés font loi en cette
matière en France et à l'étranger, a établi que pour A'oir donner à un sous-marin
20 noeuds en surface et 14 noeuds en plongée, il faudrait arriver aux déplacements
de 1000 tonnes avec
75™ de longueur et 4m,5o de tirant d'eau.
Le savant ingénieur estime que de tels bâtiments ne seraient plus maniables ; leurs
évolutions seraient beaucoup trop lentes ; de plus, leur tirant d'eau leur interdirait
souA'ent de passer sous les cuirassés, parce qu'ils n'auraient pas assez d'eau pour
effectuer cette manoeuvre qui deA'iendrait dangereuse. Enfin, en naA'iguant normale-
"
ment, à 8m de profondeur et piquant de lWant sous certains angles, ils risqueraient
de heurter souA'ent le fond dans les mers aussi peu profondes que la Manche (4).
La AÙtesse en plongée paraît donc deA'oir rester médiocre tant qu'on n'aura pas
découA'ert le moteur pratique fonctionnant en A'ase clos, moteur que l'on peut espérer
voir paraître dans un aA'enir pas trop éloigné, et à la recherche duquel tant de bonnes
volontés et de compétences se sont d'ailleurs attachées.
Mais cette A'itesse sous l'eau, qu'il serait si intéressant de A'oir s'accroître, n'est pas
un élément dont il soit impossible de se passer. Certes, il la faut suffisante pour que le
sous-marin puisse, pendant toute la période du combat où l'invisibilité-est néces-
saire, prendre sa position d'attaque, manoeuvrer de façon à éA'iter un abordage, se.

(*) Déposition de M. Laubeuf devant la Commission d'enquête sur la marine. Rapport de M. H. Michel,
p. 378.
324 SOUS L'EAU

présenter en traA'ers de l'ennemi aA'ec toute l'aisance utile. On doit remarquer cepen-
dant que cette période sera relativement de peu de durée, et que, sauf dans les rares
occasions où il se trouA'era en face de l'adA'ersaire, le sous-marin aura toute liberté
de naA'iguer et d'évoluer à la surface.
C'est pour cette partie de sa tâche, pour gagùer les lieux où il saura tronver l'en-
nemi, que le sous-marin doit pouvoir marcher vite, et fort heureusement il n'y a.pas
d'empêchement majeur à donner dans ce but une force suffisante au moteur spécial
dont il est muni pour la marche en surface. I
On sait en effet que tous nos sous-marins nouveaux portent deux sortes de mo-
teurs : un moteur électrique qui reçoit son énergie des accumulateurs dont il a déjà
été parlé et sert uniquement pour la marche en plongée, un moteur thermique ou à
combustion intérieure pour la marche en surface.
Nous avons bien encore en service un certain nombre de sous-marins (6 de i5o
tonnes, 20 de 68 tonnes), les premiers A'enus dans notre marine, qui sont mus en
surface comme en plongée par un unique moteur électrique, mais on a tout à fait
renoncé à cette disposition, car elle réduit à trop peu de chose le rayon d'action du
naA'ire, limité par la capacité toujours trop faible des accumulateurs.
Nos sous-marins actuels ont donc tous deux, moteurs. Le moteur électrique n'of-
fre aucune particularité. Il est généralement double.
Quant au moteur de surface, il se présente sous deux formes. C'est tantôt une
machine à A'apeur alternative, alimentée par une chaudière ordinaire brûlant du

pétrole, tantôt un moteur à combustion du système Diesel. Ce dernier moteur fonc-


tionne au pétrole lourd
et d'après le principe suivant :
Le liquide, mélangé à l'air en proportions convenables, est introduit dans le ou les
cylindres où, sous une compression suffisante du piston, il brûle, mais sans explo-
sion, et produit les gaz dont la détente donne le mouA'ement au piston ;
Ce genre de moteur, dont les applications à la marine sont relativement récentes,
rend d'excellents services et offre des aA'antages sérieux. C'est d'abord une très faible
consommation de pétrole, 200ffr environ par cheA'al et par heure, alors qu'un moteur
à A'apeur, chauffant au pétrole, en consomme de 6 à 8oo0r.
Puis il est d'une conduite facile et ne cause aucune fatigue au personnel qui
en est chargé. Un résultat très important de l'emploi de ce moteur réside dans la sup-
pression de la chaudière, absolument indispensable avec le moteur à vapeur, et dans
la possibilité de réaliser de ce chef, une économie très importante de poids et d'en-
combrement.
Lorsqu'un sous-marin naviguant sur l'eau arrive en vue de l'ennemi, il doit
naturellement quitter la surface pour les profondeurs, et il y a un intérêt considé-
rable à ce que cette manoeuATe s'opère le plus rapidement possible. Les projec-
tiles en effet lui arriveront comme grêle aussitôt que les bâtiments hostiles seront à

portée.
Mais il faut qu'à bord du sous-marin, on prenne, avant depouA'oir disparaître sous
l'eau, un certain nombre de dispositions, parmi lesquelles la plus importante, et la plus

longue aussi, est celle qui consiste à éteindre les feux de la chaudière, si le bâtiment
SOUS L EAU 325

en porte une. à faire évacuer la vapeur inutile et à refroidir le plus possible l'eau que
la chaudière contient encore. Tout cela demande du temps on le conçoit, et le temps
est précieux lorsque le salut du naA'ire en dépend; de plus, quand ces mesures ont
été prises, la chaudière, qui est cependant isolée dans un compartiment spécial, reste
malgré fout une source de chaleur presque intolérable dans cette sorte de bouteille

hermétiquement close que devient le sous-marin et où les autres sources de chaleur


ne sont déjà que trop nombreuses. . -
Le Diesel offre encore à ce point de vue un
avantage marqué. Il se refroidit très

rapidement. Déplus, il n'y a pas, avec lui, de chaudière à éteindre, d'où un gain
sérieux sur le temps nécessaire pour préparer la plongée.
Quoi qu'if en soit des différents moteurs employés jusqu'ici pour les sous-marins,
il est bien certain que l'on n'est pas encore arrivé à la solution idéale qui comporte-
rait un seul engin propre à la naA'igation aussi bien en émersion qu'en immersion et
assez puissant pour fournir les vitesses nécessaires dans les deux cas.
Il est à penser que ce problème, bien fait pour exciter l'émulation des savants et des
inventeurs, sera résolu un jour ou l'autre.

Dès les premières années du sous-marin on a renoncé en France à employer les


moteurs à explosion utilisant les produits dénommés benzine, gazoline, essence de
pétrole. Cette inspiration a été heureuse.
Les marines américaine, russe, anglaise et italienne, qui les ont admis pour la
navigation en surface, n'ont vraiment pas à s'en louer. Ces produits dégagent des
vapeurs très subtiles qui, au moment où on les embarque, se mélangent à l'air et
s'accumulent dans certains coins des bâtiments où la moindre étincelle, le plus sou-
vent un court-circuit suffit ensuite à les enflammer et à les faire exploser.
Le nombre des accidents
graves, ayant cette cause, est déjà considérable. Beaucoup
ont entraîné des morts. Nous ne citerons que les principaux (*) : Le Fulton (améri-
cain), 28 avril 1902, 5 blessés grièvement ; le N" 1 (anglais), 4 mars igo3, 4 blessés ;
le As (anglais), 15 février 1905,6 tués, 12 blessés ; le Storljad (russe), novembre 1906,
1 tué, 4 blessés ; le Foco (italien), 26 aA'ril 1909, i4 tués, 9 blessés ; le Ak (anglais),
10 juin 1909, 4 blessés.
Les accumulateurs, universellement et uniquement employés pour la marche en
plongée, dégagent également des A'apeurs dont l'emmagasinement peut présenter des
inconvénients.
Nous avons eu, aussi bienqueles étrangers, un certain nombre d'explosions de gaz
d'accumulateurs, mais elles n'ont jamais causé que quelques brûlures sans gravité.
Le seul liquide inflammable dont la présence soit autorisée sur les sous-marins
français est le pétrole ayant une densité de 0,800 au moins et ininflammable au-des-
sous de 35°. Il sert uniquement pour la chauffe des chaudières, où il remplace le
charbon, ou pour le fonctionnement du Diesel, et ne présente aucun des incom'é-
nients des essences.

(*) Le Yacht, n° du 26 juin 190g.


326 SOUS L EAU

Ce qui vient d'être dit nous amène tout naturellement à examiner si, comme on
le croit trop généralement, la navigation sous-marine présente des dangers plus con-
sidérables que la navigation à la surface, et si le marin qui confie son existence à ces

engins encore un peu mystérieux court plus de risques que son camarade de l'étage
au-dessus.
A ce sujet une observation s'impose tout d'abord. Nous pouvons admettre, en res-
tant même au-dessous de la réalité, que la navigation sous-marine est pratiquée
d une manière active chez
nous, depuis douze ans.
Pendant ces douze an-
nées une
moyenne de
25 sous-marins ont effec-
tué sur l'ensemble de nos
côtes métropolitaines et
coloniales 200 sorties
chacun et chaque année.
C'est donc un total mi-
nimum de 60000 sorties,
et si l'on veut de 60000

plongées, en admettant

F10. 253. — Sous-marin du type que chaque sous-marin


Farfadet.
n'ait plongé qu'une fois
au cours de chacune des sorties qui ont été faites sur les côtes françaises depuis que
le sous-marin est devenu un instrument militaire.
Un pareil déploiement d'activité comportait, n'est-il pas vrai, un important aléa ?
S'en aller ainsi sous l'eau, dans des conditions qui restaient malgré tout assez dou-
teuses, à l'intérieur de coques murées comme un tombeau, remplies d'un matériel
extrêmement délicat, avec la certitude que le moindre abordage, le moindre heurt,

beaucoup d'autres causes


qu'on ignorait encore, entraîneraient la mort de tous, sans

sauvetage possible; il y avait là, on l'avouera, de quoi troubler bien des coeurs et
donner à réfléchir aux plus courageux.
Aussi devons-nous
applaudir à la fermeté d'âme de nos officiers et de nos matelots

qui, par amour du métier et aussi par amour d'une patrie à laquelle ils avaient con-
science de forger une arme terrible, se sont, froidement, enfermés dans les premiers

sous-marins, et ont tenté cette grande aventure !


Les faits ont d'ailleurs bien justifié leur confiance !
En effet, en regard de ce chiffre de 60000 plongées, que trouvons-nous à inscrire
au chapitre des accidents (') ?
Un certain nombre d'incidents sans gravité et trois sinistres, ceux du Lutin, du

Farfadet et du Pluviôse qui coûtèrent la vie, le premier à i4, le second à 16, le troi-
sième à 24 personnes.

(') Il est bien entendu que nous ici seulement des sous-marins français.
parlons
sous L'EAU 3-2H

Il est utile
de rappeler ici les détails de ces trois drames parce que le sonvenir des
marins qui y périrent mérite d'être conservé.
Le sous-marin Farfadet évoluait le 6 juillet 1905, dans le lac de Bizerte, lorsque
son commandant, le Heutenant de vaisseau Ratier, donna l'ordre de plonger. Toutes
les dispositions furent immédiatement prises, le bâtiment commençait à s'enfoncer et
l'eau atteignait le bord du capot resté ouA'ert, trop longtemps peut-être.
Lorsque le commandant A'oulut fermer cet orifice en manoeuA'rant le mécanisme à
Ais qui l'obstrue, quelques grains de sable apportés sans doute par le.vent, delà plage
voisine jusque dans les filets de la vis, empêchèrent la manoeuvre de cette porte qui
ne put être close et resta béante, en dépit des efforts les plus énergiques (*).
L'eau envahit alors le sous-marin qui coula par iom de fond.
Par une chance inouïe, l'air qui s'échappait avec force par le capot, tout comme
il sort du goulot d'une bouteille qu'on plonge dans l'eau, projeta hors du bâtiment le
commandant Ratier évanoui, et deux hommes qui se trouvaient près de lui. Ces trois
personnes furent seules samvées. 12 hommes de l'équipage réussirent à se réfugier
dans le compartiment de l'arrière du sous-marin et à fermer sur eux la porte de la
cloison étanche.
L'arsenal de Bizerte, dont le Farfadet n'était qu'à deux cents mètres, ne possé-
dait malheureusement, à cette époque, aucun appareil capable de souleA'er le sous-
marin. On n'avait pas préA'u, non plus, dans la construction de ces bâtiments,
les boucles où accrocher les palans des grues : on dut creuser dans la A'ase où le
bâtiment s'était enfoncé des tunnels par lesquels on passa des chaînes qui le ceintu-
rèrent.
Ce traA'ail dura deux mortelles
journées pendant lesquelles les scaphandriers, au

moyen de coups de marteau frappés sur la coque, correspondaient aA'ec les douze mi-
sérables êtres enfermés dans leur prison.
Enfin, la plus puissante grue flottante dont on disposait put être mise en action.
Hélas ! Au moment où l'arrière du Farfadet arrivait à fleur d'eau et où, par une
ouverture de manche à vent,
quelques paroles de réconfort pouvaient être adressées
aux dix marins suniA'ants (2), le bras de la grue cassa et le malheureux Farfadet
retomba sur le fond, entraînant définitiA'ement à une mort qu'il faut espérer rapide,
ces martyrs d'une effroyable agonie.
Il fallut encore trois
jours pour se rendre maître de l'épave. On parvint enfin à la
soulever en se servant d'un petit dock flottant pour torpilleurs, et à l'amener au
bassin de radoub de Sidi-Abdallah.
Par une fatalité étrange, c'est encore à Bizerte que s'est produite la seconde catas-

trophe.
Le 16 octobre 1906, le sous-marin Lutin, frère du Farfadet, procédait dans la

matinée, au large de Bizerte, à des exercices de plongée, dans les conditions habi-
tuelles. Il était convoyé par un remorqueur du port. Après deux plongées normales,

(*) Lé commandant Ratier avait cependant, a-t-il assuré, fait jouer cet opercule du capot quelques instants
avant de donner l'ordre de plongée, et avait constaté à ce moment qu'il fonctionnait parfaitement.
( 2) On apprit de ceux-ci, dans cette minute tragique, que deux de leurs camarades avaient succombé.
3a8 SOUS L EAU

le lieutenant de vaisseau
Fépoux qui commandait le bâtiment prévint le patron du

convoyeur qu'il allait effectuer une plongée de longue durée.


Peu après, le sous-marin reparut à la surface, mais dans une position :
singulière
son avant seul émergeait. Au bout d'une ou deux minutes, il disparut de nouveau :

puis rien ne reparut plus à la surface.

Après quelques jours de recherches rendues difficiles par la mer souvent assez
grosse devant Bizerte, on retrouva le Lutin couché sur le sable par 36m de fond.
Le même dock flottant qui avait servi à relever le Farfadet fut encore utilisé. Le

27 octoDre, le sous-ma-
rin était mis à sec dans le
bassin de l'arsenal et on

pouvait retirer de leur


tombe d'acier les 16 cada-
vres qu'il portait.
L'enquête révéla la
cause, lamentable dans sa
futilité, qui amena la ca-

tastrophe.
On sait que les sous-

Fui. 254. — Submersible du Pluviôse.


marins portent à la partie
type
inférieure de leur coque
des caisses nommées waler-ballast
dans lesquelles l'eau de mer peut être introduite à
volonté au moyen d'un robinet qui les fait communiquer directement avec l'extérieur.
On provoque ainsi un alourdissement du navire lorsqu'on veut plonger. On peut de
même rejeter à la mer l'eau de ces caisses en la chassant au moyen d'air comprimé,

lorsqu'on veut délester le bâtiment pour le ramener à la surface.


Or, en visitant
la coque du Lutin, on constata qu'une pierre de la grosseur d'un
oeuf de pigeon avait obstrué, par quelle fatalité mystérieuse et restée inconnue, la
valve par où l'eau de mer pénétrait dans la coque. On découvrit également que la
tôle intérieure du waler-ballast était crevée sur
une grande surface.
On put alors expliquer le désastre. Le matelot chargé de la manoeuvre du robinet
de remplissage de la caisse à eau, avait cru fermer ce robinet commandé par une vis,
lorsque l'ordre lui en avaitTrompéété donné.
par la résistance due à la présence de
la pierre, il ne s'était pas douté que la communication restait ouverte entre la mer et
la caisse à eau, d'ailleurs pleine, et que la pression extérieure se communiquait inté-

gralement aux parois de la caisse. On n'avait point, hélas ! fait celles-ci assez fortes

pour supporter une pareille poussée.


Dans la dernière plongée, un peu profonde, les parois de la caisse avaient cédé, et
l'eau avait envahi et entraîné à l'abîme le malheureux sous-marin avec son équipage.
Les circonstances du naufrage du Pluviôse sont encore trop présentes à là mémoire

pour qu'il soit nécessaire de les relater en détail. Ce fut là d'ailleurs l'accident de
mer dans toute sa tragique banalité. La fatalité voulut que le submersible, qui exé-
cutait ses manoeuvres habituelles au large de Calais, remontât des profondeurs juste
SOUS L EAU
329

devant l'étrave du vapeur courrier de Calais à Douvres et eût son arrière défoncé par
le gouvernail avant du steamer. Un instant, l'avant du submersible
apparut pourtant
hors de l'eau, pour s'engouffrer minutes Aucune des vingt-quatre
quelques après.
personnes qui se trouvaient à bord ne put s'échapper. Le renflouement du Pluviôse
fut particulièrement difficile, en raison d'abord du poids du bâtiment qui atteignait
45o tonnes, puis par suite des difficultés que provoquent les courants violents du
Pas-de-Calais et les mauvais temps qui obligèrent souvent à cesser les travaux.

Ce serait bien mal connaître nos marins que de supposer que leur confiance dans
...--- les sous-marins fut un in-
stant ébranlée par ces ca-
tastrophes, à la vérité im-

pressionnantes.
Aucune interruption
dans le service de ces pe-
tits bâtiments ni dans la
série de leurs exercices ne
se produisit. Aucun indice
ne fut nulle part relevé

qui permît de penser que


les équipages eussent, du
fait de ces malheurs, éprou-
vé quelque découragement
FIG. 255. — Sous-marin du type Naïade. ou quelque inquiétude.
La marine française a
donc eu à déplorer sur plus de 60000 plongées trois accidents, fort graves, il est
vrai, mais la navigation sous-marine en comporte-t-elle d'autres ? On avouera

que cette proportion est bien faible ; elle pourrait même paraître surprenante si on
ne savait quelle prudence, quelle sûreté de coup d'oeil, quel sens marin, quelle pro-
fonde science professionnelle en un mot, ont déployés en plus d'une circonstance

critique, et déploient tous les jours les commandants, officiers et équipages de nos
sous-marins.
Les exemples à ce sujet sont nombreux, nous n'en citerons qu'un. Au mois de

juillet 1909 pendant un exercice d'attaque effectué par les sous-marins de Toulon
sur le cuirassé Masséna, on aperçut tout à coup du pont du cuirassé le sous-marin
Grondin à une distance de 3om environ et dans une situation telle qu'une terrible
collisionparut à tous inévitable. Alors, avec une admirable présence d'esprit, le
commandant du Grondin, le lieutenant de vaisseau Magnier, ordonna une audacieuse

plongée à toute allure. Le Grondin disparut aussitôt sous les flots avec une telle ra-

pidité que, du Masséna, officiers et équipage aperçurent son hélice battant l'air.
Il y eut un moment de suprême émotion ! Le petit sous-marin allait-il se briser
sur le mastodonte?

Quelques instants après, on était rassuré. Le Grondin était descendu à 20m. Il avait
33o sous L'EAU

du cuirassé et reparaissait à la
passé sous la coque surface de l'autre côté, sans la
moindre aA'arie. Ce fut sur le Masséna nn unanime cri d'admiration^
Les bâtiments destinés à la navigation sous-marine sont en France de deux types

qui portent les noms de sous-marins proprement dits et de submersibles. Ces dénomi-
nations, insuffisamment précises, n'indiquent pas clairement en quoi les deux types
diffèrent, et mes lecteurs me sauront peut-être gré de le leur expliquer.
La différence réside principalement dans la flottabilité dont les deux genres de
bâtiments disposent lorsqu'ils se tiennent à la surface de l'eau. Cette flottabilité, très
faible chez le sous-marin, atteint
à peine 10 °/0 du déplacement. Pour le submersi-
ble, au contraire, elle s'élève à 27 °/0 du déplacement.
On s'efforce également de donner à ces derniers des formes se rapprochant au-
tant que possible de celles des bâtiments ordinaires ayant à peu près les mêmes di-

mensions, c'est-à-dire des torpilleurs ou des contre-torpilleurs. Il en résulte que les


submersibles sont, beaucoup plus que les sous-marins, aptes aux longues naA'iga-
tionsà la surface, auxquelles ils sont principalement destinés. Capables de s'élever à
la lame, ils peuvent affronter dans cette position des mers assez mauvaises, et s'y
trouA'ent en somme dans des conditions normales qui permettent à leurs équipages
de jouir la plupart du temps des bienfaits de l'air pur. Les soùs-miarins, au con-
traire, alourdis, balayés par les vagues les moins fortes, sont réduits, même pour
naviguer à la surface, à fermer leurs onvertures et à se remettre dans les conditions
de la plongée.

On peut affirmer que le sous-marin serait resté un jouet inutilisable si on n'était


arriA'é à le munir de l'organe indispensable qui, en permettant à son commandant
de A'oir au-dessus de l'eau, lui donne le moyen de diriger sa route.
Il me paraît donc utile d'entrer dans quelques détails au sujet de cet organe, le

périscope, dont le but est suffisamment défini par ses racines grecques (mpi autour,
a-/.o7rEtvA'oir).
En principe, ce périscope se compose d'un tube métallique de petit diamètre qui
s'élèA'e A'erticalement au-dessus du dôme du sous-marin. La partie inférieure pénètre
dans le bâtiment pendant que l'extrémité supérieure vient dépasser de quelques déci-
mètres la surface de l'eau.
Son fonctionnement repose sur l'application du plus simple principe d'optique,
la double réflexion
par miroirs inclinés.
Le bout supérieur du tube porte un miroir incliné à 45° sur l'horizontale qui. re-
çoit l'image des objets placés au-dessus de l'eau et la renvoie A'erticalement sur Un
second miroir pareillement incliné à 45°, fixé à l'extrémité inférieure du tube, d'où
cette image arrive au commandant placé devant ce second miroir.
Cette conception théorique a inspiré les études et les recherches d'officiers.de ma-
rine Ç) et d'ingénieurs qni en ont poursuivi aA'ec plus ou moins de succès la réalisa-
tion pratique.

(') Parmi.lesquels il faut mentionner spécialement les capitaines de frégate et Violette,


Dayeluy
SOUS L EAU 33-i

Les périscopes actuellement en service sont


dus à l'ingénieur constructeur J. Car-

pentier, membre de l'Institut et du Bureau des longitudes, qui, dans un sentiment


patriotique louable, a réservé ses modèles à la marine française.
Ces appareils reposent sur l'emploi de combinaisons optiques spéciales disposées,
pour le cas du périscope de modèle le plus simple, dans un tube d'acier. Ce tube

porte à son extrémité supérieure un objectif et à son extrémité inférieure un oculaire


à travers lequel un observateur la surface de l'eau. Le tube coulisse à
peut explorer
travers la coque du bâtiment par
un presse-étoupe : il peut émerger

plus ou moins du bâtiment et être


rentré complètement, s'il est né-
FIG. 25G. — Principe de la vision par le périscope.
cessaire de le dissimuler totale-
Un miroir AB repoil les images des objets qui flottent
à la surlace (le l'eau cl les renvoie par le tube T sur
un ment.
second miroir CD dans l'intérieur du sous-marin où
elles sont observées. La manoeuvre de montée.ou de
descente s'opère au moyen d'une
crémaillère, d un contrepoids, ou même d un petit moteur électrique.
Le commandant ou l'homme de barre a l'oeil appliqué sur l'ocu-
laire simple ou double, au traA'ers duquel il voit la surface de la mer et
les objets qui s'y promènent, exactement comme peut le faire aA'ec sa

jumelle le camarade de quart sur la passerelle d'un cuirassé d'escadre.


Deux poignées fixées sur le tube mobile permettent de lui imprimer un.mouve-
ment de rotation grâce auquel on explorera très aisément l'horizon tout entier.
Tous nos commandants de sous-marins s'accordent à trouver excellente la A'ision
fournie par nos périscopes. Les images sont nettes et claires, elles sont directes et
non inversées, et tout à fait comparables à celles que peut donner la meilleure

jumelle.
Le prisme supérieur se promène à quelques décimètres seulement au-dessus de la
mer. Celle-ci étant rarement très calme, il est bien éA'ident que les embruns doivent

y déposer des gouttelettes gênantes pour la A'ision. Mais ces gouttelettes glissent sur
la surface très inclinée du
prisme, et si elles y restent trop longtemps attachées, on
s'en débarrasse sans peine en plongeant simplement le prisme dans l'eau.
Le périscope, oeil du soùs-marin, est donc l'instrument faute duquel le bâtiment
deAient tout à fait inutilisable.
Mais s'il lui est un organe indispensable, il constitue aussi le seul signe par lequel
la présence du sous-marin puisse être décelée. En effet, ce tube, si mince soit-il,
laisse sur la mér, lorsque le naA'ire est en marche, un-sillage indiscret.
C'est là un mal sans remède et dont il ne faut pas d'ailleurs s'exagérer la gravité.

Que fera le cuirassé à bord duquel on aura aperçu, à une distance forcément assez
faible, le mince objet dominant à peine la crête des lames ? Gherchera-t-il à le
détruire à coups de canon ? Difficile besogne, en raison du peu de temps dont on dis-

posera ! OEuvre encore assez A'aine ! Car le périscope détruit ne compromettra nul-
lement l'existence du sous-marin. Celui-ci se rira des projectiles sous la couche de
4 ou 5™ d'eau qui le protégera mieux que toutes les cuirasses.
33a SOUS L EAU

Et d'ailleurs, tous nos sous-marins récents possèdent un second périscope qui sor-
tira de sa gaine si le premier est détruit.
Du reste, on peut se figurer l'état d'énervement et de surexcitation seront
auquel
fatalement amenés l'équipage et les officiers des navires qui sentiront flotter autour
d'eux la menace des sous-marins (').
Tous les corps flottants, les moindres débris, une bouteille, une bouée de pêcheur,
seront signalés comme des périscopes et il sera bien difficile
d'empêcher la grêle des

projectiles de s abattre sur les objets les plus


inoffensifs, alors que le véritable ennemi pas-
sera inaperçu et décochera tranquillement sa

torpille.
Le fait s'est déjà produit au cours de maints
exercices ( 2) et il est à présumer que les sous-
marins, en action
de guerre, faciliteront ces
erreurs en semant eux-mêmes des trompe-
l'oeil, au milieu desquels leur périscope aura
bien des chances de passer inaperçu.

Les bâtiments dont le type semble préva-


loir définitivement en France sont les sub-
mersibles construits d'après les plans de l'in-
génieur des Constructions navales Laubeuf (3).
Leur déplacement est de 45o tonnes avec
54m de longueur. Tout ce que je dirai des
sous-marins se rapportera à ces unités qui,

par leurs qualités diverses, constituent de


véritables croiseurs sous-marins, très capables
de s'éloigner de leurs bases, comme nous
l'aA'ons vu, pendant six ou huit jours et d aller,
FIG. 257. — Le commandant, l'oeil au périscope, en partant de Cherbourg ou de Dunkerque,
explore l'horizon.
chercher l'ennemi sur des côtes relativement
lointaines, celles de la mer du Nord et même de la Baltique par exemple.
La seule arme du sous-marin
torpille est la automobile du système Whitehead,
de 45cm de diamètre, portant une charge de 90 à iookE de fulmi-coton, laquelle pro-
duit exactement le même effet, à l'éclatement, que 4ookR de poudre noire.

(') Le récit que j'ai rapporté au chapitre i, au sujet de l'affolement dont furent frappés les équipages do l'es-
cadre russe de Port Arthur, au moment de la perte du Pctropavlovsk, donne une idéo de ce que produira l'attente
des sous-marins.
( 2) Notamment, lors des manoeuvres entre l'escadre du Nord et les submersibles de Cherbourg dont j'ai parlé
— Puis, aux
plus haut dans le même chapitre. grandes manoeuvres navales de mai 1910, au large d'Ajaccio,
l'escadre qui bloquait Ajaccio canonna violemment un cachalot dont le dos noirâtre avait été pris pour un sous-marin.

( 3) Comme il a été dit au chapitre 11, nous possédons, au moment où ces lignes sont écrites, 4 sous-marins
d'expérience de 800 tonneaux (en plongée). L'un d'eux, YArchimede, monté par 26 hommes et commandé par
le lieutenant de vaisseau Frochot, vient de faire des essais sensationnels et de couvrir, sans relâche, une distance
de 1 4oo milles (2 200 kilomètres).
SOUS L EAU 333

Elles sont en nombre les tonnages et les types de bâtiments.


variable suivant Sur
nos derniers submersibles, ceux qui portent les noms des mois du calendrier répu-
blicain, ou de savants, on en trouve 6, avec 6 tubes lance-torpilles.
Ces tubes sont disposés extérieurement à la coque,comme le montre la figure 258.
Lies a tubes des ex-
trémités sont fixés et

peuvent tirer dans le


sens de l'axe, en avant
et en arrière, ceux du
travers sont mobiles et
se pointent, quand le
moment est venu, de
l'intérieur de la coque,

grâce à un système très

ingénieux.
On voit donc
que le

sous-marin peut faire
FIG. 258. Emplacement des tubes sur un submersible.
lance-torpilles
feu dans presque toutes
les directions, ce qui simplifie notablement sa manoeuvre en lui permettant de se

présenter pour tirer dans une position quelconque.


J'ai dit que tous ces tubes sont
placés à l'extérieur de la coque.

FIG. 259. —. Chambre de manoeuvre d'un submersihle.

Ceci est exact pour les derniers venus de nos submersibles qui entrent en ce mo-
ment en service ou dont la construction se poursuit. Les plus anciens portent à
l'avant deux tubes dans l'intérieur de la coque. Cette disposition présente des incon-
vénients qui y ont fait renoncer (').

0) On y est cependant revenu les submersibles actuellement en construction un tube


pour qui porteront
dans l'étrave.
334 sous L'EAU

Nous allons, pour terminer ce court aperçu relatif aux sous-marins français, nous
de bout en bout sur le pontet dans l'intérieur d'un de ces engins formidables,
promener
en jetant un coup d'oeil sur leur installation et les divers mécanismes qu'ils contiennent.
La est généralement double, ou complètement, comme on
coque partiellement
est destinée à amortir les
peut le A'oir sur la figure 260. L'enveloppe extérieure
chocs en cas de collision. Les water-ballast et les caisses à pétrole occupent une

partie de l'espace com-


pris entre les deux mu-
railles.
Les surfaces exté-
rieures sont très lisses,

pour offrir à la résis-


Type Narval. Type Pluviôse. Type Schneider.
tance de l'eau le moins
FIG. 2C0. — transversale de différents de submersibles montrant
Coupe types
la disposition des doubles coques.
de prise possible ; les
seules protubérances
qui se présentent sur le pont sont le kiosque du commandant d'où s'élèvent, pareils à
deux petits mâts, les périscopes, puis une courte cheminée pour laisser échapper
la fumée de la chaudière, ou les gaz du moteur Diesel suivant le cas, lorsqu'on

navigue à la surface. Deux ou trois panneaux donnent accès dans les différents

compartiments du navire. Une


légère rambarde permet aux hommes de l'équipage

que leur service ne retient pas dans l'intérieur de venir respirer l'air pur du large
sans risquer de tomber à la mer.

FIG. 261. — montrant les étanches d'un submersible.


Coupe principaux compartiments

a, chambre de manoeuvre du tube /, machines à vapeur.


lance—torpilles.
b, poste de l'équipage. g, moteurs électriques.
c, logement des accumulateurs. h, poste des maîtres.
d, poste central. i,i, caissons protecteurs pour les cas d'abordage.
e, chaudières.

Sur les flancs, nous voyons les 6 tubes lance


torpilles dont j'ai déjà parlé et
6 gouvernails horizontaux de plongée, qui se manoeuvrent par paires et sont disposés
à peu près comme les tubes.
A l'arrière sortent de la coque les deux arbres porte-hélices entre lesquels est logé
le gouvernail de direction, qui est, lui, vertical. A l'intérieur, un certain nombre de
cloisons étanches divisent le submersible en compartiments (fig. 261). A l'extrême
avant et à l'extrême arrière on trouve deux petits réduits, séparés du reste de la
coque par de fortes cloisons et destinés à supporter les chocs éventuels provenant
d'abordages.
sous L'EAU 335

A l'avant est placé le tube lance-torpilles aA'ec ses organes de manoeuvre

lorsque l'armement du navire comporte un de ces engins dans l'étraA'e. Le poste

d'équipage A'ient ensuite.


J'ai déjà dit qu'un confortable relatif règne sur nos derniers sous-marins suscep-
tibles de tenir la mer quelques jours. C'est ainsi que les matelots ont à leur disposi-
tion, soit des couchettes, soit des jDostes pbur crocher leurs hamacs. Une cuisine

électrique permet au maître-coq de préparer à ses camarades des repas chauds. On


évite soigneusement de placer des accumulateurs dans ce compartiment où il est

important que ne se répandent pas les gaz toujours assez méphitiques qu'ils dégagent.
. On trouve encore dans le poste d'équipage un certain nombre d'appareils, parmi
lesquels les pompes qui servent à vider les water-ballasl. Ceux-ci sont répartis dans
la longueur du bâtiment suivant un plan soigneusement étudié, puisque c'est sur cette

disposition que repose l'équilibre du sous-marin, condition primordiale de sa sécu-


rité et de la possibilité de sa navigation.
Les pompes dont je viens, de parler sont mues par l'électricité, comme d'ailleurs
tous les engins que renferme la coque.
On chasse aussi l'eau des water-ballasl en y introduisant de l'air comprimé. On est
arrivé à uile telleperfection dans cet arrangement que l'eau est refoulée à la mer et

disparaît de ces caisses plus vite qu'elle n'y entre.


Le compartiment suivant est uniquement réservé aux accumulateurs. Jusqu'à ce

qu'on ait découvert le moteur idéal, capable de marcher pratiquement en A'ase clos,
force est de recourir à ces tiroirs à électricité, encombrants, malodorants, coûteux
et d'un maniement si délicat.
On trouve ensuite une chambre divisée en deux parties par une cloison longitudi-
nale ; celle-ci sépare le réduit réservé aux officiers, du poste de commandement que
surmontent le kiosque et les périscopes. Le commandant, même lorsqu'il repose, est
ainsi toujours à portée des organes de manoeuvre et de commande aux différents

ajDpareils de plongée, de direction ou de marché.


A la suite se trouvent-la ou les chaudières
qui alimentent, lorsqu'on naA'igue en
surface, les machines à A'apeur. Ces chaudières sont généralement du type du Tem-

ple et se chauffent au pétrole. Lorsque le bâtiment porte un moteur Diesel, les chau-
dières sont naturellement supprimées Ç).
Deux machines à A'apeur occupent le compartiment suivant. Elles sont à mou-
vements alternatifs, du modèle ordinaire et conduisent chacune une hélice. Puis
viennent les deux moteurs électriques.
Lès maîtres ont un petit poste dans le dernier compartiment. Ils y goûtent sur
des Couchettes étroites un repus généralement bien gagné. '''.
Sous la coque du soUs-marin, sont placés les plombs de sécurité dans des encas-
trements où ils se logent de façon à épouser les formes de la coque.

( 4) Les 18 submersibles de ioo tonneaux, dont la construction a commencé en igo5, sont munis de machines
à vapeur. Les ifj suivants, commencés en 1906, portent des moteurs Diesel auxquels il semble qu'on soit revenu
définitivement.
336 SOUS L EAU

Ce sont des masses pesant de 5oo à i 5ook|î, suivant le type du bâtiment. Elles
sont disposées de telle façon qu'on peut les détacher de l'intérieur, et les séparer du
navire. On provoque ainsi un allégement très considérable, et une remontée rapide
et assurée du sous-marin en cas de voie d'eau qui annihilerait en tout ou en partie
l'effet de la chasse d'eau des water-ballast.
La question de l'air respirable est une de celles qui paraît devoir préoccuper
le plus quand il s'agit de navigation sous-marine. De fait, on a cherché des

moyens de renouveler l'air

que respire l'équipage d'un


sous-marin, et des pro-
cédés nombreux ont été

expérimentés. Quelques-
uns ont donné d'ailleurs
des résultats très apprécia-
bles. Fulton a montré la
meilleure voie à suivre en
renouvelant l'air respira-
ble de son navire à l'aide

d'oxygène comprimé dans

FIG. 262. —
Disposition d'un plomb de sécurité sur un submersible un récipient métallique(').
du type Laubeuf.
Dans ces derniers temps,
la découverte de la liqué-
faction de l'air est venue fournir un nouvel à la bonne habitabilité des sous-
appoint
marins.
Ces procédés divers sont employés dans la plupart des marines étrangères. En

France, on pense que le volume des sous-marins et spécialement des derniers con-
struits est très suffisant pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y renouveler l'air autre-
ment que par l'ouverture des panneaux et le jeu des ventilateurs quand on remonte
à la surface. La provision d'air suffit très bien à un séjour sous l'eau de douze et même
de vingt-quatre heures. En conséquence, on ne fait usage à bord de nos sous-marins
d'aucun procédé artificiel pour renouveler l'air.
A bord des sous-marins
anglais, on embarque, pour le cas d'accident qui immo-
biliserait le navire sous l'eau, des appareils ressemblant assez à des casques de sca-

phandriers. Ces casques auxquels sont attachés des vestes étanches contiennent des
tablettes sous l'action de lhumidité de la respiration et
d'oxylithe qui se dissolvent
fournissent à l'homme muni de l'appareil une provision d'air grâce à laquelle, le cas

échéant, il pourrait attendre l'arrivée des secours, ou même sortir seul du squs-ma-
rin, en ouvrant le capot du kiosque. C'est, en somme, une sorte de demi-scaphan-
dre automatique, où l'air se régénère pendant près d'une heure et demie.

(') DsLPEVCB, La navigation sous-marine à travers les siècles.


SAUVAIRE J0URDAN PL. VII.

Les marins défendant le fort de Montrouge pendant le siège de Paris (1870).


CHAPITRE IX

NOTRE MARINE ET NOS MARINS

Bévéziers. — on cherchait dans les combats, à prendre l'avantage du vent. —Barlleur. —Une scène
Pourquoi
impressionnante à. bord du Soleil royal. — « Messieurs, par ordre du roi ! » •— Désastre de La Hougue.—
Les grands corsaires. — Jean Bart et Duguay-Trouin. — Guerre de course. — Piraterie. — Flibustiers et bou-
caniers. — Le pavillon des Frcres de la Côte. —: Grandeur de la marine française sous le règne de Louis XVI.
— La
tactique du bailli de Suffren. — Le combat d'Ouessant et la légende du Vengeur. — La flotte d'Egypte.
— Aboutir. — La flottille de Boulogne. — Trafalgar. — Comment mourut Nelson. — Navarin. — Ecrase-
ment de la flotte turco-égyptienne. — La Crimée. — Nos marins au —
siège de Sébaslopol. Apparition des
navires cuirassés au bombardement de Kimburn. — fiole de la marine en 1870. — Elle a maintenu
important
nos communications avec l'étranger et permis à la nation de vivre et de combatlré. — La défense des forts de
Paris par les marins. — Campagne de l'amiral Courbet en Cbine. — Lès combats de la rivière Min. —

Prouesses de deux petits torpilleurs français. — Destruction de la flotte chinoise. — Le terrible Coupa !
Comment on descend une rivière encombrée de forts et d'obstacles divers. — Les marins du Galilée à Casa-
blanca. — Les femmes de France au danger.

QUELQUES FAITS DE LEUR HISTOIRE

Il ne saurait rentrer dans le cadre de ce volume de tracer un historique complet


des faits et gestes de la marine française à travers les siècles. Ce travail important a
été d'ailleurs fait de main de maître et beaucoup mieux que je ne saurais y pré-
tendre par des historiens de premier ordre comme le capitaine de frégate Chabaud-
ArnaultQ, Guérin et en dernier lieu et de façon magistrale par M. Charles de la
Roncière (2).
H m'a cependant paru utile de tirer de cette longue série d'événements dont aucun
ne fut sans gloire, quelques-uns des grands épisodes, heureux ou malheureux, qui
marquent au cours des âges la vie de la marine française et démontrent que notre race
a toujours possédé en abondance les qualités nécessaires à qui veut et doit affronter
la mer.

LA MARINE ROYALE

Sans remonter trop haut dans les temps où cependant les faits glorieux pour la
marine de la France ne manquent pas, nous nous arrêterons un instant à la grande
rencontre qui signala la guerre soutenue par Louis XIV contre l'Angleterre, l'Alle-

(J) G.. CUABATID-ARNATILT, Histoire des flottes militaires, Berger-Levrault, éditeur.


( 2) CH. DE LA RONCIÈRE, Histoire de la marine française, en cours de publication, Plon-Nourrit, éditeurs.

SATJVAIRE JOUKDAN. 22
338 NOTRE MARINE ET NOS MARINS

magne, l'Autriche, l'Espagne, la Suisse et la Hollande, coaliséessous l'énergique


main de Guillaume d'Orange, pour empêcher Jacques II de remonter sur le trône
d'Angleterre.

Bévéziers. — Le vice-amiral comte dé Touryille,


Anne-Hilarion
de Cotentin, sortit
de Brest le 23 juin 1690. Sa flotte, à l'armement de laquelle le ministre Seignelay
avait présidé avec une activité fébrile, comprenait 70 vaisseaux de ligne (J) et i,5 ga-
lères ; ces dernières, reténues par la grosse mer rencontrée à la sortie du goulet de
Brest, ne purent suivre la flotte (*).
L'amiralanglais Herbert était sous l'île de Wiglït avec 5g vaisseaux, dont 38 an-
glais et 21 hollandais.
Après sept jours de manoeuvres diverses, les deux flottes, résolues à combattre, se
rencontrèrent au point du jour en vue du cap Beachy-Head ou Bévéziers. Elles se

présentèrent l'une à l'autre déployées en une seule ligne, dans un ordre magnifique,
et avec ce luxe d'étendards, qui faisait un peu ressembler les rencontres de ces épo-
ques à de brillants tournois. .
Chacune des flottes comprenait trois corps : l'avant-garde, le gros et, l'arrière-
-
garde. . .
Du côté des Français, Châteaurenaùlt commandait rayant-garde' désignée par la
flamme bleue qui flottait au mât de misaine de ses 20 vaisseaux. Le Dauphin royal,
de 110 canons, portait son pavillon.
Le corps de bataille; composé de 28 vaisseaux, était directement sous les ordres de
ïourville, vice-amiral le Soleil royal, de
du Ponant et amiral de lai flotte. Il montait

98 canons et 900 hommes d'équipage.


Une flamme blanche au grand mât distinguait les unités de cette escadre.
Le vice-amiral d'Estrées commandait l'arrière-garde, dont les bâtiments arboraient
une flamme blanche et bleue au mât d'artimon.
Bon nombre des vaisseaux
français étaient de dimensions modestes. La moyenne

portait de 5o à 60 pièces de canon et 270 à 35o hommes d'équipage. On en "voyait


même, comme le Cheval marin, de 4o canons et 2/io hommes.
Les brûlots, petits navires chargés de matières incendiaires et qui devaient cher-
cher à détruire l'ennemi par le feu en s'accrochant
à lui, étaient à cette époque à la
mode. La flotte de ïourville en possédait 18, répartis entre les trois escadres.'
Du côté de l'ennemi, les amiraux hollandais Evertzen et van der Putten com-
mandaient l'avant-garde et le coi-ps de bataille, l'amiral anglais Herbert l'arrière-
garde (3).
L'engagement fut précédé d'habiles manoeuvres exécutées par les deux adversaires
pour prendre ou garder l'avantage du vent. "'..-'-

-
0) 7^ vaisseaux d'après Guérin.
"
( 2) Les. galères, faites pour marcher à l'aviron, convenaient fort bien à la Méditerranée où les calmes sont fré-
quents et la mer peu gênante. En revanche, dans l'Atlantique, la Manche ou la mer du Nord, elles se trouvaient
souvent gênées ou même arrêtées.

( 3) D'après Chabaud-Arnault, Herbert commandait le gros et d'Estrées était, avec son arrière-garde, oppose à
l'amiral anglais Russel.
NOTRE MA1U.NE ET NOS MARINS
339

On sait ce que représentait cet avantage. Possibilité pour la flotte qui restait au
vent de livrer le combat à son heure, à la distance qu'elle fixait, de tomber,en
laissantporter, sur l'ennemi faiblissant et de l'achever à l'abordage ou de très près.
De plus, avec le vent, la fumée, la lourde et épaisse fumée que la poudre de cette

époque produisait en nuages par les gueules de centaines de canons tirant à la fois,
cette fumée était immédiatement entraînée loin des navires, tandis que chez l'adver-

Fin. a63. —• Combat de Rcvé/.iers (3o juin iGyo).

saire, placé sous le vent, elle était repoussée par les sabords dans l'intérieur des
batteries où elle gênait considérablement le service des pièces.
Tous ces avantages furent pour la flotte anglo-hollandaise qui sut les conserver.
Tourville resta-donc sous le vent. Cette position n'est pas, non plus, sans offrir

quelques facilités qui compensent jusqu'à un certain point ses inconvénients. Avec
la bande (') que donnent toujours les navires sous voiles, le côté du feu, pour les
bâtiments sous le vent est plus élevé, on peut à coup sûr ouvrir les sabords des
batteries basses et utiliser la grosse artillerie qu'elles contiennent alors que l'adver-
saire, se trouvant en situation exactement inverse, peut être contraint de ne pas se
servir de l'artillerie de sa batterie basse, sous peine de voir la mer l'envahir. La

position sous le vent permet encore aux navires endommagés de sortir de la ligne

(') Inclinaison que prennent les navires à voiles sous la poussée du vent.
3l\Ô NOTRE MARINE ET NOS MARINS

et de s'abriter derrière leur ; de même, si l'affaire mauvaise


propre.-flotte prend
tournure, la retraite générale sera grandement facilitée. V
La bataille débuta par une attaque violente de l'avant-garde hollandaise sur celle
de Châteaurenaùlt. Mais cette offensive ne fut pas suivie par le centre. Il en résulta

que Châteaurenaùlt,. vaillamment et intelligemment secondé par le lieutenant gé-


néral Villette-Mursay sut doubler l'escadre hollandaise et la placer entre deux
qui
feux, puis Tourville lui-même, avec son corps de bataille, écrasèrent- l'escadre
d'Everlzen.
A ce moment survint le calme qui empêcha le reste de la flotte anglo-hollandaise
de secourir son Il était d'ailleurs lui porter
avant-garde. trop tard pour aide et le man-

que de décision d'Herbert lui


valut les accusations les plus graves. Il fut même mis en

prison à Londres sur la plainte formelle dés amiraux hollandais et traduit devant, une
Cour martiale mais en le privant de tous ses honneurs et charges. La
qui l'acquitta,
bataille prit fin de façon assez singulière. Le courant de marée ayant changé, Herbert
fit mouiller ce qui restait de sa flotte. Tourville ne s'en aperçut point à temps et vit
la sienne entraînée hors de portée, puis tout à fait séparée de la flotte anglo-hollan-
daise dans laquelle il lui eût été facile d'exercer d'autres ravages. Quoi qu'il en soit,'
l'action se terminait à notre grand avantage.
Lesconséquences matérielles de la Aicloire de Bévéziers furent considérables : i4
vaisseaux anglo-hollandais pris, coulés ou brûlés par leurs équipages. Pendant les
six jours qui suivirent, Tourville donna encore la chasse à l'ennemi et lui détruisit

quatre autres vaisseaux. Le reste se réfugia en désordre dans la Tamise où le manque


de pilotes empêcha l'amiral français d'aller lui porter le dernier coup.
Mais les conséquences morales furent encore plus importantes. L'affolement le plus

complet régnaà Londres.La victoire navale française de Bévéziers, coïncidan t avec celle
de Fleurus, ébranla l'empire britannique, au dire des historiensanglais, dans
jusque
ses fondements. En tout cas, fait à peu dans l'histoire. Bévéziers nous
près unique
donna, sans conteste possible, la suprématie absolue des mers.

La — Ce fut encore d'aider II dans ses tentatives


Hougue. afin Jacques désespé-
le trône que Louis
rées pour reconquérir d'Angleterre, XIV donna;, à Tourville en
mai 1692 l'ordre formel de se mettre à la recherche de la flotte a et de
anglo-batave
la combattre, en arriver ».
quoiqu'il pût
Cet ordre malencontreux, encore les commentaires fit le minis-
aggravé par qu'en
tre de la Marine, Pontchartrain, obligea Tourville à courir avec 44 vaisseaux seule-
ment, au-devant de l'armée navale ennemie commandée par l'amiral anglais Russel
et qui en comptait 99.
Le 2g mai 1692 au matin, les flottes s'aperçurent au large du cap
réciproquement
de Barfleur, à l'Est de la presqu'île du Colentin.
Une scène d'une grandeur impressionnante se passa alors à bord du Soleil royal,
Araisseau de Tourville, où les officiers généraux avaient été appelés par leur chef.
D'une Aroix unanime, ils déclarèrent qu'un combat qui se présentait dans de telles
conditions d'infériorité pour l'escadre française devait être évité à tout prix. Tour-
NOTRE MARINE ET NOS MARINS 341

ville mit alors sous leurs yeux l'ordre écrit du roi : « Combattre l'ennemi fort ou

faible, et quoi qu'il pût en arriver ».


Tous s'inclinant. prirent congé de l'amiral sans prononcer un mot, et rejoigni-
rent leurs vaisseaux respectifs pour exécuter de leur mieux la volonté sacrée qu'au-
cun d'eux n'aurait eu
l'idée de discuter un
seul moment (').
La
stupéfaction fut
énorme chez l'ennemi,
en voyant nos 44 vais-
seaux se former en

ligne et arriver sur lui.


Plus d'un officier, sur-
tout à bord des navires
hollandais, pensa, en

voyant l'incroyable au-


dace dont faisaient

preuve les Français,


qu'ils comptaient,
comme le bruit en
avait d'ailleurs couru
et avait provoqué peut-
être l'ordre si brutal et
si imprudent du roi,
sur la défection d'un
certain nombre de
commandants de vais-
seaux anglais.
Il n'en était rien ce-

pendantetl'action s'en-

gagea bientôt avec une


vigueur extrême. Nos
FIG. 'jôti. — Combat de la Hougue. A bord du Soleil royal, Tourville vaisseaux, bien grou-
à ses capitaines l'ordre du roi.
pés et bien manoeu-
communique

vrants, eurent affaire

principalement à l'avant-garde et au centre de l'armée anglo-batave, dont l'arrière-

garde se trouva n'avoir pas d'adversaires à combattre et ne fit rien ou presque pour
en trouver.

Quatre de nos bâtiments de guerre commandés par l'amiral de Pannetier, qui étaient
restés en retard, furent de leur côté hors d'état de prendre part à l'action générale,
si bien que Tourville, placé au centre en face des Anglais, et d'Amfreville, qui comman-

(') CHABAUD-ARNAULT, Histoire des flottes militaires.


3/| 2 NOTRE MARINE ET NOS MARINS

dait l'avant-garde et avait affaire aux Hollandais, eurent à combattre avec 4o vais-
seaux contre 6o.
Ils s'en tirèrent à leur grand honneur. La précision et l'habileté de leurs manoeu-
vres compensèrent leur faiblesse numérique, comme cela arrive et arrivera encore
souvent dans les combats sur mer, et lorsqu'après deux heures de lutte le calme sur-
vint, nous étions loin d'avoir le désavantage.;
Comme à Bévéziers, les deux flottes, très en désordre, mouillèrent leurs ancres ; une

partie de l'arrière-garde anglaise qui s'était mise, au nombre de 20 vaisseaux, à la

poursuite de la division de Pannetier dès le début du combat, se trouva à ce moment

séparée de sa flotte et coupa ses câbles pour rejoindre le pavillon de l'amiral Russel.
Mais il lui arriva une cruelle mésaventure; le vent n'était point suffisant pour
permettre aux navires de gouverner, le courant les entraîna bien vers la flotte an-

glaise, mais en leur faisant traverser la ligne, plus ou moins bien formée de la flotte

française, où ils'essuyèrent, comme on le.pense, une furieuse canonnade.


Cet incident marqua la fin de la bataille de Barfîeur. C'est une des plus belles

pages dont puisse s'enorgueillir notre marine. Après une lutte acharnée, denos aucun
vaisseaux ne manquait à l'appel, alors que les ennemis en avaient vu couler deux des
leurs. La science, l'habileté de nos.commandants, l'entraînement de nos marins leur
avaient permis de sortir à leur gloire d'une lutte où ils combattaient un contre deux.
Malheureusement, cette affaire si honorable eut un lendemain calamiteux. La flotte

française ayant appareillé dans la nuitse dispersa dans la bruine et l'obscurité. Avec
35 vaisseaux seulement, dont quelques-uns, avariés, retardaient trop la marche des
autres, Tourville s'engagea dans le raz Blanchard, entre
la presqu'île du Cotentin et
les îles normandes, comptant que le courant très rapide dans ce couloir, le mène-
rait promptement sur les côtes de Bretagne, à l'abri des recherchés de Russel. Mais
il prit trop tard sa décision. Le courant changea avec la marée ; 12 de ses vaisseaux,
parmi lesquels le sien, furent séparés du reste, rejelés vers le Nord et obligés de
chercher refuge dans la rade de la Hougue où, le 2 juin, l'ennemi vint les incendier
sous les yeux de troupes nombreuses réunies sur le rivage pour tenter une descente
en Angleterre sous les ordres de Jacques II, et sans qu'on put s'entendre pour oppo-
ser une résistance utile.
Ce fut le désas'tre de La Hougue dont le souvenir assombrit celui du glorieux
combat de Barfîeur !

CORSAIRES, FLIBUSTIERS ET BOUCANIERS. —- Cette même époque vit l'apogée de cette


manière spéciale d'entreprise guerrière maritime qu'on a appelée la guerre de course.
Notre marine marchande était totalement hors d'état
d'entreprendre quoi que ce
fût; on pensa que la seule façon d'utiliser les nombreux navires que la peur de
l'ennemi confinait dans nos ports était de les armer et de les envoyer isolément, en
enfants perdus, parcourir les mers et enlever les bâtiments ennemis, marchands ou
autres. Les bénéfices considérables que pouvaient donner ces opérations tentèrent

beaucoup de marins, appartenant d'ailleurs aussi bien à la marine de commerce

qu'à celle de guerre.


NOTRE MARINE ET NOS MARINS 343

Des motifs d'un ordre


plus élevé et plus noble les y entraînaient également.
La guerre de course, exercée librement, présentait un attrait tout particulier pour
des hommes passionnés pour les aventures" et les grandes émotions de la mer.
Le méfier n'allait d'ailleurs pas sans grands risques. Les armateurs anglais et

hollandais, instruits
par l'expérience, n'envoyèrent plus au large que des navires plus
ou moins armés, et montés, eux aussi, par des équipages déterminés, qui ne se lais-
saient point capturer sans se défendre et souvent sortaient vainqueurs de combats

imprudemment engagés par les corsaires.


Dunkerque et Saint-Malo furent les deux ports où s'équipèrent
français la majeure

partie de ces coureurs des mers. On compte que les Dunkerquois à eux seuls prirent
45o navires, de
1672 à i678(*).
A bord des bâtiments armés pour la course régnaient une discipline et des moeurs

particulières^). Avant de commencer une croisière ou d'engager une action, le

capitaine prenait l'avis, non seulement de ses officiers mais encore des simples
matelots. Il discutait son plan de campagne avec tous et le mûrissait par un échange
d'observations souvent contradictoires; puis, une fois ses résolutions bien arrêtées,
sanctionnées en quelque sorte par cette libre discussion, il exigeait une obéissance

passive et redevenait à son bord, seul maître après Dieu.


Le type du corsaire hardi, héroïque, généreux et loyal, se personnifie dans le.

dunkerquois Jean Bart, dont les exploits remplirent de terreur le coeur des marins,
ennemis.
De son côté Saint-Malo se glorifie d'avoir,donné le jour à Duguay-Trouin dont
la valeur ne fut pas moindre.
A côté de ces corsaires qui combattaient loyalement les ennemis de leur patrie, il
s'était créé Une autre industrie beaucoup moins avouable qu'exerçaient des hommes
sans foi ni loi, rebut de tous les pays et de toutes les sociétés. On les appelait les

flibustiers. C'étaient en réalité de véritables


pirates qui pillaient indistinctement tous
les navires amisi neutres ou ennemis que leur malchance faisait passer sous leur
vue et qui n'étaient point assez puissamment armés pour leur faire peur.
Pendant près d'un siècle, les flibustiers, installés principalement aux Antilles, écu-
mèrent l'Atlantique et ravagèrent les îles. Ils étaient devenus une sorte de puissance

organisée avec les gouverneurs de nos colonies ne dédaignèrent pas de trai-


laquelle
ter. Ce fut ainsi que du Casse, un des plus glorieux marins de cette époque, nommé

gouverneur de Saint-Domingue en 1691, s'aboucha avec eux, s'en fit aider dans la

plupart de ses expéditions et utilisa notamment leur concours pour ravager de fond
en comble l'île anglaise de la Jamaïque.
Les boucaniers étaient d'autres aventuriers
qui s'étaient étabbs vers 1620 dans

quelques-unes des Antilles, notamment à Haïti, et y faisaient plus ou moins correc-


tement le commerce de la viande séchée ou boucanée qu'ils se procuraient en chas-
sant les boeufs vivant en grand nombre dans ces îles.

(*) CHABAUD-ARKA-UIÎT, Histoire des flottes militaires.


. (-). Ibidem. _ ...
344 NOTRE MARINE ET NOS MARINS

Ils finirent par lierpartie avec les flibustiers.


Ceux-ci avaient établi leur repaire principal sur un rocher strès difficilement acces-
sible, la Tortue, situé sur la côte N.-O. d'Haïti. Alliés aux boucaniers, ils s'organi-
sèrent de façon à former une véritable puissance maritime. Amatelotés en groupes

comptant de A'ingt-cinq à trente hommes, complètement autonomes, ils couraient


la mer des Antilles dans de grandes barques où ils avaient à supporter les plus

pénibles aventures. Leur extraordinaire courage et aussi leur férocité en faisaient


des adversaires à qui on essayait peu de résister. Le bruit de leurs succès et des
immenses trésors récoltés par les moyens les moins louables qu'ils enterraient dans
les sables de la Floride et les criques désertes des Antilles, attirèrent bientôt des
foules de plus en plus nombreuses de ces aventuriers, et bientôt les flibustiers
devinrent une puissance que son éloignement des continents et sa situation rendirent
formidable.
Les rois de France,
en politiques que les scrupules ne retenaient pas toujours,
n'hésitèrent pas à utiliser cette puissance et nouèrent aA'ec les flibustiers des relations

qui les aidèrent à combattre leurs ennemis et à s'mstaller dans les Indes occiden-
tales.
C'est ainsi qu'en 1637 Louis XIII nomma gom'erneur de la Martinique, Dupar-
quet, chef des flibustiers,
et qu'à plusieurs reprises, notamment dans les circons-
tances rappelées plus haut, on conclut aA'ec eux des traités en bonne et due forme.
Leurs plus célèbres et plus audacieuses entreprises datent des eirvirons de 1660,
Ils s'organisèrent alors sous le nom de Frères de la Côte, et se donnèrent un

paA'illon spécial dans lequel on Aroyait une tête de mort et un sablier ressortant sur
un fond noir.
Sous différents chefs, dont les plus célèbres s'appelaient Montbars, Nau TOllon-
nais. Michel le Basque, ils saccagèrent, pillèrent, ruinèrent plus de dix îles des
Antilles et portèrent leurs raA'ages jusqu'à Gibraltar.
Une bande comptant cinquante flibustiers se promena du détroit de Magellan

jusqu'en Californie, pillant les ports espagnols,


pas n'hésitant à monter à l'abor-

dage et à capturer un A'aisseau de guerre qui portait plusieurs millions en numéraire.


Leurs exploits deA'inrent enfin si inquiétants que le roi de France dut aA'iser à les
faire disparaître. On y parvint après de longs efforts en les divisant, et en les exci-
tant les uns contre les autres. Auxqui avaient
boucaniers
longtemps fait
d'Haïti,
cause commune aA'ec eux, on emroya quelques subsides, un gouA'erneur et, pensée
bien machiaA'élique, un certain nombre de femmes dont ces aventuriers manquaient
absolument. Ayant créé des familles qu'il leur fallait nourrir, ils deA'inrent peu à peu
des colons et des agriculteurs. Ce fut l'origine de la colonie d'Haïti qui fut, jusqu'à
la fin du xviue siècle, une des plus prospères que posséda la France.

L'époque du règne de Louis XVI pour la marine


fut, française, unepériode de

grandeur. La mer des Antilles et les côtes américaines virent à maintes reprises
NOTRE MARINE ET NOS MARINS 345

triompher le pavillon fleurdelysé que portaient les magnifiques escadres que Louis XVI
envoya sans relâche au secours des insurgents américains et dont il confiait le com-
mandement à Guichen, La Motte-Picquet, de Grasse, secondés
d'Estaing, Ternay,
par de Vaudreuil, Bougainville.
C'est l'époque des belles manoeuvres, des batailles des
classiques, tactiques
savantes, où l'on cherche
à couper les lignes ennemies, entre à prendre deux feux
quelques vaisseaux séparés du gros, une avant-garde ou une arrière-garde.
La fleur de la marine française, mêlée à des auxiliaires dont l'expérience
pratiques
piquait l'émulation des officiers, fai-
sait manoeuvrer avec un ensemble
et une précision magnifiques, des
flottes de 4o et 5o vaisseaux.
En même temps, le grand Suf-
fren, bailli de l'ordre de Malte, sur
les galères duquel il avait fait un
excellent apprentissage maritime,

remportait, dans l'océan Indien,


d'éclatants succès dus à son cou-

rage et à son indomptable énergie.


Il inaugura dans cette mer une

tactique nouvelle, à laquelle il se


tint pendant ses belles campagnes,
et qui lui eût donné les résultats les

plus brillants et les plus décisifs s'il


n'avait eu sous ses ordres que des
commandants et des officiers ca-

pables de l'apprécier et de l'appli-


FIG. 265. — Le bailli de Suflrcn.
quer. Elle consistait à porter des
forces supérieures sur l'une des
extrémités de la ligne ennemie et à compter la suite des opérations et 1 exé-
pour
cution de ses ordres généraux sur l'intelligence, militaire et l'initiative des
l'esprit
capitaines. Le combat à portée de pistolet, l'abordage, tels étaient ses moyens d'action
préférés, qui le plus souvent déroutaient et démoralisaient l'adversaire.
N'est-il pas décevant de constater ce fut dans cette de Suffren
que tactique que
Nelson puisa à pleines mains les leçons dont il devait, trente ans plus tard,
quelque
faire l'application au grand détriment de notre marine n'avait su
propre' qui pas
comprendre et garder les belles traditions du grand bailli ?

LA MARINE RÉPUBLICAINE

En dépit de l'extraordinaire
amalgame qui formait les Etats-Majors et les équi-

pages des vaisseaux que la Convention faisait armer, les preuves de grand courage
346 NOTRE MARINE ET NOS MARINS

individuel, d'enthousiasme enflammé, d'abnégation et de déA'ouement patriotique


abondent dans les événements de mer de la fin du xArnic siècle. Malheureusement
la science naA'ale ne s'improAise pas et les graA'es lacunes qui subsistaient, à ce point
de A'ue dans l'instruction de beaucoup des commandants improvisés auxquels le gou-
A'ernement réA'olutionnaire confia le commandement des A'aisseaux, furent cause de

quelques insuccès partiels, ou empêchèrent de tirer les fruits qu'on aurait pu espérer
de quelques rencontres heureuses (').

Ouessant. Le Vengeur. — En mai le gouA'ernement attendait, avec la


1794,
plus vive impatience, l'arrivée d'un immense convoi de grains venu des côtes

d'Amérique sous l'escorte de 2 A'aisseaux


et de 4 frégates.
Une escadre anglaise de 26 A'aisseaux, commandée par l'amiral HoAve, prit le

large pour essayer d'intercepter cette riche proie. De son côté, la ConA'ention ordonna

d'enA'oyer à la rencontre du conA'oi, pour le défendre et l'amener jusqu'à Brest, une


flotte de 27 A'aisseaux qui se trouvait réunie dans cette rade et à la tête de laquelle
était placé le contre-amiral Villaret de Joyeuse, devenu Villarel-Joyeuse en un temps
où la particule ne se portait pas A'olontiers. Les contre-amiraux Bouvet..et- Nielly com-
mandaient en sous-ordre.
Le représentant du peuple, Jean Bon-Saint-André, était à bord du naA'ire amiral.
Le icr juin 1794, le combats'engagea à huit heures du matin, après deux journées
d'escarmouches et de manoeuvres plus ou moins habiles pour conserver.le précieux
aA'antage du A'ent. Finalement cet aA'antage resta à lord HoAA'e('2). .
Dans le combat engagé par une flotte où les éléments discutables étaient en grand
nombre et où on en trouA'ait de franchement mauA'ais," contre des adA'ersaires très
entraînés et bien dans la main de leur chef comme étaient les Anglais, on pouvait
s'attendre à voir nos affaires mal tourner.
Il n'en fut heureusement rien.
Si nous ne remportâmes pas une victoire décisiA'e,
du moins peut-on dire de ce combat qu'il ne se termina pas à notre désaA'antage
trop marqué. Nous perdîmes, il est A'rai, sept A'aisseaux capturés ou coulés, mais une
douzaine de bâtiments anglais furent mis hors de combat et finalement, A'ers le soir,
les deux flottes se séparèrent et prirent chacune la route de leurs côtes respectives.
Mais, à en juger par le résultat que l'on cherchait et qui fut obtenu, cette rencontre
constitua néanmoins un important succès. Le fameux convoi, si ardemment attendu,

parce qu'il deA'ail sauA'er la France de la famine, passa librement deux jours après la
bataille sur les lieux où elle s'était livrée et, ne rencontrant aucun ennemi pour lui
barrer la route, entra tranquillement à Brest.

(d) Cette profonde inexpérience de nos Etats-Majors et de nos équipages et ses tristes résultats éclatèrent dans
un engagement particulier où se rencontrèrent la frégate française la Réunion et la frégate anglaise Crescent.. Au
bout do deux heures de combat, le navire français fut obligé d'amener son pavillon. Son équipage comptait 38
tués et lt& blessés, tandis que son adversaire n'avait ni un seul Messe à son bord, ni.un seul boulet dans sa coque.
(CHABATID-ARNATJLT)
( 2) C'est à ce combat qu'apparut pour la première fois le pavillon tricolore. Seul le vaisseau La Montagne le
1
portait. Les autres bâtiments français arboraient encore le pavillon blanc marqué au coin supérieur d'un petit
pavillon tricolore.. !. . - .
NOTRE MARINE ET NOS MARINS 347

C'est au cours de cette


se produisitbataille
un incident que la légende
que a

singulièrement déformé. Je veux parler de la défense et de la perte du vaisseau

Vengeur du Peuple. Le sentiment populaire, appuyé sur des récits exagérés, engloba
dans une même faveur enthousiaste la première qui fut fort belle et la seconde
qui ne présenta pas le caractère complet d'héroïsme qu'on lui a prêté. De l'ensemble
on fit une sorte de légende sacrée, à laquelle il est un peu agaçant de voir qu'on
revient toujours lorsqu'on veut donner la mesure de la bravoure et de l'héroïsme
de nos marins.
On a été jusqu'à décider qu'un monument placé dans le Panthéon, temple de nos

gloires nationales, rap-


pellerait le souvenir de
cet épisode du combat
d'Ouessant.
Notre marine possède
assurément, dans son

passé de gloire trop mé-


connu, de quoi fournir
à toutes les apothéoses

que l'on voudra, mais il


faut que l'acte d'héroïs-
me dont on souhaitera

perpétuer le souvenir au
Panthéon soit d'une au-
thenticité indiscutable.
Ce n'est point le cas de
la reddition du Vengeur,
et on me pardonnera de
FIG. 26G. — Combat d'Ouessant (icr juin 1796).
remettre ici les choses
au point, par pur amour
de la vérité et sans vouloir diminuer en rien le mérite de l'équipage de ce
vaisseau.
Sous le souffle d'exaltation
patriotique qui régnait alors, les récits des survivants

échappés au naufrage s'enflèrent et se déformèrent en passant de bouche en bouche.


Ils furent encore grandis par l'imagination ardente des poètes qui chantèrent cet
événement et notamment par Lebrun et M.-J. Chénier.
De ce concours de gens bien intentionnés mais mal informés sortit de toutes

pièces la légende nous représentant


l'équipage du Vengeur, massé sur la dunette du
vaisseau qui s'enfonçait lentement, refusant de se rendre aux suppôts de la tyrannie

qui cherchaient à l'arracher à la mort, et s'abîmant enfin dans les Ilots, aux
accents de la Marseillaise, avec les débris du vaisseau qu'il avait si noblement
défendu.
Voici d'ailleurs en quels termes, aussi pompeux que fantaisistes, Barrère présenta
à la Convention l'honorable affaire du Vengeur :
348 NOTRE MARINE ET NOS MARINS

Imaginez le vaisseau le Vengeur percé de coups de canon, s'entr'ouvrant de toutes parts


et cerné de tigres et de léopards anglais ; un équipage composé de blessés et de mourants,
luttant contre les flots et le canon. Tout à coup, le tumulte du combat, l'effroi du danger,
les cris de douleur des blessés cessent; tous montent ou sont portés sur le pont. Tous les
pavillons, toutes les flammes sont arborés, les cris de Vive la République ! Vivent la liberté
et la France ! se font entendre de tous côtés ; c'est le spectacle louchant et animé d'une fête
civique plutôt que le moment terrible d'un naufrage. Un instant ils ont dû délibérer sur leur
sort. Mais non, citoyens, nos frères ne délibèrent plus, ils A'oient l'Anglais et la Patrie. Ils aime-
ront mieux s'engloutir que de la déshonorer par une capitulation ; ils ne balancent point; leurs
derniers voeux sont pour la Liberté et la République. Us disparaissent Q.

La légende du
Vengeur est née de cette fantaisie oratoire.
Le rapport adressé à Villaret-Joyeuse par le capitaine de A'aisseau Renaudin, qui
commandait le Vengeur, rapport conserA'é aux Archives nationales, permet de
constater que la A'érilé est assez éloignée de cette romantique version.
Renaudin échappa au naufrage aA'ec 267 matelots et officiers et fut recueilli par
l'escadre anglaise.
Son rapport montre séparé du reste de la flotte, luttant
le Vengeur seul pendant plus
de six heures et de façon héroïque contre trois vaisseaux anglais dont les A'olées répétées
finissent par le percer comme une écumoire, si bien qu'il commença à s'enfoncer.
Pour la suite des événements, voici les propres termes du rapport de Rénàudin ;

L'eau aA'ait gagné l'entrepont ; nous avions jeté plusieurs canons à la mer, nous étions
tous épuisés de fatigue. Les pavillons étaient amarrés en berne (f). Plusieurs vaisseaux anglais
ayant mis leurs canots à la mer, les pompes furent bientôt abandonnées... Ces embarcations,
arrivées le lortg du bord, reçurent tous ceux qui, les premiers, purent s'y jeter.
A peine avaient-elles poussé que le plus affreux spectacle s'offrit à nos yeux. -
Ceux de nos camarades qui étaient restés sur le Vengeur, les mains levées au ciel, implo-
raient en poussant des cris lamentables des secours qu'ils ne pouvaient plus espérer.
Bientôt disparurent et le vaisseau et les malheureuses victimes qu'il portait.

Assurément, la conduite de l'équipage du Vengeur fut des plus honorables et la


belle défense de ce bâtiment mérite de rester comme un des faits d'armes.dont notre
marine a le droit d'être fière. Il
est pas moins n'en
évident que les marins du

Vengeur, après aA'oir lutté héroïquement et aussi longtemps qu'ils le purent, cher-
chèrent à sauA'er leurs existences, comme c'était leur droit absolu, au moment où le
naA'ire allait sombrer.
La A'érilé est d'ailleurs encore assez belle pour mériter aux marins du Vengeur,
si l'on y tient, les honneurs du Panthéon, mais il faudrait dans ce cas faire connaître
exactement le fait que l'on A'eut glorifier et ne pas donner une consécration définitive
à une légende.

Aboukir. — Le de Toulon aA'éc


19 mai 1798, le A'ice-amiral Brueys appareillait

1
(J) Comm CHEVALIER, Histoire de la marine française, livre IV, p. 161.
( 2) C'est-à-dire pour réclamer du secours.
NOTRE MARINE ET NOS MARINS 349

i3 vaisseaux, autant de frégates, et une foule de navires de charge à bord desquels


était répartie l'armée que Bonaparte conduisait en Egypte.
Le Ier juillet, cette flotte, qui avait en passant enlevé Malte, arrivait devant Alexan-
drie, échappant par miracle à la poursuite et aux recherches énervées de Nelson.
L'armée mise à terre, Brueys, renonçant on ne sait trop pourquoi à entrer dans
le port même d'Alexandrie, alla mouiller son escadre dans la rade ouverte d'Aboukir
et l'y laissa goûter un repos que rendait bien imprudent l'exaspération de son redou-
table adversaire. Celui-ci n'avait pas réussi en effet à trouver la flotte française, qu'il
avait si ardemment cherchée pendant son voyage cependant si long. Il avait même,
et cette circonstance est bien curieuse, paru devant Alexandrie trois jours avant que
l'armée de Bonaparte y débarquât. Ne trouvant personne, il avait repris la mer en
hâte, se demandant vers quel but le diable
d'homme pouvait bien se diriger. Quel-
ques jours plus tard, il était enfin renseigné
exactement sur un événement que rien ne
pouvait plus empêcher. Il décida aussitôt
de faire expier sa déception à l'escadre

française, ce qui au demeurant était fort

politique puisqu'il devait, en la détruisant,

couper l'armée d'Egypte de ses communica-


tions.
L'amiral anglais parut le Ier août
1798,
avec i4 vaisseaux, devant la baie d'Aboukir.
Il y trouva notre flotte ancrée sur une seule

ligne, parallèlement à la plage, mais à une


distance de terre telle que les fonds qui
s'étendaient entre la côte et les navires fran-
çais étaient encore très suffisants pour per-
mettre d'y naviguer. Brueys avait eu le plus

grand tort d'adopter un pareil plan de

mouillage, il ne tarda pas à s'en apercevoir.

FIG. 367.
— L'Orient saute au- combat d'Aboukir. De plus, une partie des équipages de nos
vaisseaux avaient été envoyés à terre pour
diverses corvées, et ce fut dans une hâte extrême qu'il fallut les rembarquer au
moment où on vit l'escadre anglaise s'avancer rapidement, poussée par une jolie
brise de N.-O. Quelques canots, même, n'eurent pas le temps de rallier le bord.
Les vaisseaux anglais vinrent mouiller leurs ancres du côté de la haute
mer, par le travers des navires de tête de la ligne française, que Nelson comptait
écraser sans se préoccuper des navires formant l'arrière-garde. Mais quelques-uns
de ses bâtiments conduits par des commandants audacieux et décidés, doublèrent la

ligne française et vinrent se poster entre les bâtiments de Brueys et la terre. Nos
malheureux navires étaient ainsi placés entre deux feux. Ils ne pouvaient, dans ces
conditions désastreuses, offrir de résistance sérieuse à un ennemi que de longues et
35o NOTRE MARINE ET NOS MARINS

dures naA'igations, des luttes répétées, sous l'énergique main d'un des plus grands
hommes de mer qui aient existé, avaient amené tout près de la perfection comme

préparation au combat.
A dix heures
du soir (le premier coup de canon ayant été tiré à six heures) notre

a\ant-garde était détruite. Le vaisseau amiral l'Orient, sautait, entraînant son équi-

page et Brueys lui-même dans son désastre.

Cependant, par une bien singulière interprétation de son devoir, l'arrière-garde


irançaise, commanaee par le conire-
amiral de Villeneuve, était restée pas-
sive pendant que la tête de notre ligne
subissait tout l'effort de l'ennemi.
Au jour du 2 août, des 6 vaisseaux

qui la composaient, 2 se jetèrent à la


côte, où ils furent pris, un troisième
très avarié fut brûlé par son équipage,
le Tonnant, à bord duquel le comman-
dant Dupetit-Thouars avait trouvé la

plus glorieuse des morts, dut se rendre.


Enfin les deux derniers, le Guillaume-
Tell et le Généreux portant les contre-
amiraux de Villeneuve et Decrès,

purent s'échapper avec deux frégates et

gagnèrent Corfou.
C'était tout
ce qui restait de la belle
flotte partie de Toulon trois mois plus
tôt. Tout le reste, soit 11 vaisseaux de

ligne, avait sombré ou s'était rendu.


Par quelle aberration, par quel fu-
neste aveuglement, Bonaparte, qui.
FIG. 268. — Mort de Duputit-Thouars à bord du Tonnant.
cependant s'y connaissait en hommes
et en caractères, en vint-il à confier

cinq ans plus tard à 1 amiral de Villeneuve, le commandement de la flotte sur les

opérations de laquelle reposait le couronnement de sa gigantesque politique.


Comment ne sut-il pas voir que le marin, d'ailleurs brave et loyal, qui était resté
inerte à Aboukir faute d'ordres l'appelant au feu, n'avait pas l'envergure d'un chef
et se retrouverait, commandant en chef à Trafalgar, et devant le plus redoutable des
adversaires, Nelson, l'homme passif et découragé dont la victoire ne veut jamais !

LA MARINE IMPÉRIALE

La flottille de Boulogne. Trafalgar. — On sait quelle colossale tenta


entreprise
le génie de Napoléon lorsque la guerre éclata de nouveau entre l'Angleterre et la
France au mois de juin i8o3.
NOTRE MARINE ET 'NOS MARINS 35l

'..'• Il avait résolu de jeter d'un seul coup uiïe: formidable armée de iko ooo hommes
sur le territoire de l'ennemi ; dans ce but. il fit préparer une énorme
quantité de petits
bâtiments de diverses esiDèces, tous marchant à la voile et à l'aviron, tous à fond plat
de manière à permettre un débarquement rapide et facile sur la côte même. Ces pe-
tits bâtiments étaient armés de canons et devaient porter un nombre déterminé de
soldats avec leur matériel. Toute cette flottille
partagée était
en nombreuses divi-
sions, réparties dans divers ports, au Sud et au Nord de Boulogne. Les troupes* qui
devaient les monter campaient sur le rivage, chacune en face de sa division. Tous
les détails de l'entreprise étaient réglés minutieusement et avec cette précision que le
grand homme savait apporter à la préparation de ses moindres expéditions.
Pour accoutumer les soldats à des luttes maritimes auxquelles ils n'étaient point
entraînés, les divisions de la flottille exécutaient, avec leur chargement de troupes;
d'incessantes sorties et des mouvements au cours desquels de rudes escarmouches
s'engageaient avec la croisière anglaise. Celle-ci surveillait avec une attention pleine
d'inquiétude la préparation de cette nouvelle et terrible
machine de guerre ; dans ces

engagements, ce n'étaient pas toujours les imposants vaisseaux qui avaient l'avantage;
et la nuée dés prames, chaloupes canonnières, péniches et caïques", les forçaient

quelquefois a reculer leur ligne de surveillance. ',-'"" . '/ '.'r


'
Mais personne, fût-ce Napoléon, ne pouvait songer à forcer avec une flottille le
passage du Pas de Calais. Il fallait qu'une flotte de haute ".mer, assez puissante pour
assurer la maîtrise du détroit, vînt s'y installer après avoir défait bu éloigné" les
forces navales anglaises qui le gardaient.

Napoléon ne demandait qu'à être maître de la mer pendant s.oixahte7dduze heures,


grâce auxquelles il se flattait de réduire l'Angleterre à merci ! '.'",' ".'r
La flotte de haut bord à qui allait échoir le redoutable honneur de lui garantir
ces heures devait être formée de /[2 vaisseaux français armés dans nos divers ports et 1
de 16 vaisseaux espagnols.
: L'amiral de Villeneuve hélas ! la mission de concentrer les divers éléments dé
reçut,
cette formidable force. Il commença par n'y réussir que très imparfaitement. Ses
ordres lui enjoignaient de partir de Toulon avec les n vaisseaux qui s'y trouvaient,
de courir jusqu'aux Antilles
après avoir récueilli 6 vaisseaux espagnols à Cadix, d'y
rallier l'escadre de l'amiral Missiessy qui s'y trouvait, de" débloquer en revenant i5
autres vaisseaux mouillés au Ferrol, de se présenter enfin devant Brest où, fa croi-
sière anglaise levée, 21 vaisseaux de l'amiral Ganteaume viendraient encore se ranger
" ...... .. <
sous son pavillon. . \ - ^
Il aurait eu à ce moment sous ses ordres 58 vaisseaux
français et espagnols.'
Il n'y avait pas de doute qu'une force aussi considérable pût tenir la clef du détroit
': '
pendant les soixanle-douze heures réclamait l'Empereur ! . '.
que
Mais les entreprises maritimes sont sujettes à des aléas auxquels échappent celles;
*
qui se déroulent sur terre. , ;
Les vents et les eaux ont des caprices que ne domptent point les génies, et de ces

caprices Napoléon ne voulait tenir aucun compte. Tout devait lui céder et se sou-
mettre! La mer n'admet pas tant de présomption.
35a NOTRE MARINE ET NOS MARINS

La première partie du plan conçu par. l'Empereur- s'exécuta cependant sans trop
de difficultés. j
Villeneuve arriva aux Antilles le ik mai, ayant eu la chance d'échapper à la vigi-
lance de Nelson et de rallier à son pavillon les vaisseaux de Cadix. II ne retrouva

point, il est vrai, Missiessy qui, après avoir exécuté ses ordres, étaitreparti pour la
rade de l'île d'Aix, niais reçut deux vaisseaux que lui amenait de France le contrer
amiral Magon.
Le 10 juin il reprenait la route de l'Europe. Mais sa marche fut si lente que Nelson,
parti sur ses traces aux Antilles où il ne l'avait
point retrouvé et qu'il avait quittées
deux jours après lui, eut le temps d'arriver à Gibraltar et d'en repartir pour Ports-

mouth, avant que l'escadre française eût eu seulement connaissance des côtes d'Es-

pagne.
De même l'Amirauté anglaise prévenue par un aviso de la route que suivait Ville-
neuve eut tout loisir de prendre ses dispositions par lui barrer la route.
i5 vaisseaux, sous les ordres de l'amiral Calder, rencontrèrent en effet notre flotte
de 20 vaisseaux au large
du cap Finisterre (Espagne). Un combat, indécis et mou,

s'engagea le 22 juillet. A la fin de la journée, les deux flottes se séparaient sans


s'être fait grand mal (deux vaisseaux espagnols avaient cependant amené leur pavil-

lon); Villeneuve continua sa route sur le Ferrol, après une courte relâche à Vigo.
Il fit sa jonction avec l'escadre franco-espagnole qui y était mouillée.
Le temps pressait cependant. La traversée de la Manche par une flottille exigeait
le beau temps et l'été par conséquent.

Comptant sur une marche plus rapide de Villeneuve, Napoléon donnait partout
ses dernières instructions, prescrivait les dernières mesures. Ganteaume recevait
Tordre de se porter avec ses 20 Araisseaux à l'extrême ouverture du goulet de Brest

pour être prêt à se jeter dans les bras de Villeneuve.


Pendant ce temps, ce dernier sortait du Ferrol, avec 29 vaisseaux. Mais, décou-

ragé par des vents contraires, par l'étal peu satisfaisant de ses navires et de leur per-
sonnel, par la nouvelle
effrayé (d'ailleurs fausse) de l'approche d'une flotte anglaise
de 25 vaisseaux, manquant au fond de l'énergie trempe de et de la caractère sans

lesquelles on n'est point un chef, il tourna le dos à la route que lui traçaient ses
ordres, et, vent arrière, courut se mettre, dans la rade de Cadix, à l'abri du péril qui
était encore à ce moment imaginaire, et qui devint quelques jours après très réel.
Ce fut la fin des espoirs de l'Empereur. La flotte manquant, la flottille et son
armée devenaient inutiles
: après un accès de colère terrible, Napoléon détourna de
la mer ses regards sollicités d'ailleurs par les événements qui se passaient sur les
rives du Danube, et les Autrichiens eurent à payer pour les Anglais.

Cependant, sur les ordres réitérés de Decrès, ministre de la Marine, sur la menace
même d'une destitution, Villeneuve se résigna enfin, mais le 20 octobre seulement,
à quitter Cadix pour rentrer en Méditerranée.
Le lendemain 21 octobre, il tombait dans les griffes de Nelson qui allait faire

payer cher à nos vaisseaux les inquiétudes et les fatigues épromrées dans la longue
chasse qu'il venait de leur donner. I
NOTRE MARINE ET NOS MARINS 353

Villeneuve avait sous ses ordres 33 vaisseaux, dont i5 espagnols (1). Quelques-uns
de ces derniers étaient d'énormes monuments, portant jusqu'à i3o canons comme la
Santissima de l'escadre ibé-
Trinidad( 2) que montait l'amiral Gravina, commandant
Mais si la valeur de nos propres bâtiments était médiocre, ceux de nos alliés
rique.
valaient moins encore.
Lourds et peu manoeuvrants, d'une lenteur incroyable, ils étaient en outre com-
mandés et montés, à brillantes près, par un personnel sans
quelques exceptions
énergie, ni science, ni entraînement.
A la tête de cette Armada se trouvait un chef, doué sans nul doute du plus grand
courage personnel, mais sans confiance dans son
étoile.
De l'autre côté, au contraire, un des plus grands
marins furent, commandait à 27 vaisseaux
qui
admirablement (3), manoeuvres par des ca-
équipés
pitaines et des équipages qui couraient les mers les

plus dures depuis des années, adorant leur chef, et

pleins de l'ardeur et de l'enthousiasme que ce grand


homme de mer savait inspirer.
D'admirables instructions, simples comme tout
ce qui est bon, avaient été rédigées par Nelson et

communiquées à ses commandants ; chacun con-


naissait par conséquent les intentions de l'amiral

pour les cas d'ailleurs peu nombreux qui pouvaient


se présenter, et la conduite à tenir dans chacun
d'eux.
Dans ces conditions, l'issue du combat ne pou-
vait hélas, être douteuse, mais il aurait dû cepen-
FIG. 2G9. — Nelson à bord du Victory. dant ne pas tourner au désastre ! Si terrible qu'en
fût le résultat, notre amour-propre doit néanmoins
trouver quelques consolations dans la magnifique défense de quelques-uns de
nos vaisseaux, et dans les nombreux actes individuels d'héroïsme qu'accomplirent
nos marins.
Sans entrer dans un récit détaillé de cette mémorable rencontre, qui nous entraî-
nerait les grandes et renverrai mes lecteurs
trop loin, j'en indiquerai cependant lignes
le surplus aux historiens maritimes le
pour qui en ont rendu compte par menu('),
Nelson venait d'arriver devant Cadix et avait le commandement général des
pris
forces le port. Sa joie fut immense sa division de surveil-
qui bloquaient lorsque
lance lui signala la sortie de Y Armada franco-espagnole. C'était le 20 octobre i8o5.

(') La flotte alliée comptait 4 vaisseaux à trois ponts, tous espagnols.


( 2) La Santissima Trinidad était
le plus grand navire alors à flot.

7 vaisseaux
(:i) Dans la flotte se trouvaient à trois ponts portant 100 canons.
anglaise
L'amiral JURIEN DE LA GRAVIÈRE, Guerres maritimes 1 CHEVALIER, de la marine
(*) ; Comm Histoire française;
Comm' DESBRIÈRES, et surtout La vie de Nelson, le bol ouvrage du A.-ï. MAHAN, de la
Trafalgar; capitaine
marine des Etats-Unis.

SAUVAIKE JOURDA.N. a3
35A NOTRE «MARINE ET NOS MARINS

Le lendemain les deux flottes se trouvaient en présence. La ligne alliée, mal for-

mée, de nombreux créneaux. Les forces anglaises, en deux colonnes,


présentait
mirent délibérément le cap sur ces intervalles. Nelson et son inséparable Colling-
wood tenaient la tête des deux colonnes La brise qui soufflait faiblement
d'attaque.
de l'Ouest diminua encore de force à ce moment, que ce fut avec une extrême
si bien
lenteur une énorme houle venant du large
que se prononça l'attaque. En revanche
faisait d'une violente qui se déchaîna en effet après la
présager l'approche tempête
bataille. Portes sur le dos de ces
immenses lames, les vaisseaux de
Nelson approchaient doucement
de notre dans le
ligne laquelle
calme augmentait le et
désordre,
où les roulis violents ne facilitaient

pas la tâche de canonniers déjà trop


inexpérimentés.
En arrivant sur la flotte franco-
les deux divisions de
espagnole,
Nelson se déployèrent, chacun de
ses capitaines, fidèle au plan géné-
ral d'attaque, se porta sur un des
adversaires se présentaient
qui de-
vant lui et s'y attacha. La ligne
fut du
alliée, déjà si mal formée,
coup séparée en plusieurs tronçons

incapables désormais de se re-


et d'exécuter une ma-
joindre
noeuvre d'ensemble. La bataille
de Trafalgar ne fut donc qu'un
ensemble de combats particuliers,
engagés pour la plupart de très
r.o. — de la ligne alliée à Trafalgar.
370. L'attaque
Nelson, sur le Victory, traverse la ligne en du
près, ou même de corps à corps.
française poupe Baceniaure,
vaisseau de Villeneuve (ai octobre i8o5, iah35).
Quelques instants avant d'arri-
ver sur 1 ennemi, Nelson ht hisser
aux mâts du le fameux : « England
qu'il montait,
Victory, signal expects every man to
do his dutyÇ) », qui est resté le mot d'ordre vénéré pour tout Anglais. Mais, toujours

pour rendre hommage à la vérité, je dois dire que cette belle exclamation, très digne
du grand homme de mer qui l'a poussée, ne paraît pas avoir provoqué, au moment
où elle se traduisit par un signal, l'accueil enthousiaste a connu et
qu'elle depuis,
qu'en vérité elle méritait. Il semble au contraire qu'elle ait un peu agacé, à en
croire du moins cette phrase à haute voix, au moment
prononcée par Collingwood
où le fameux signal se déploya aux mâts du Victory et que le commandant
rapporte

(') « chacun fera son devoir.


L'Angleterre compte que
. -'" NOTRE MARINE ET NOS MARINS 355

Chevalier : « Je voudrais bien que Nelson s'arrêtât de faire des signaux, nous
savons tous ce que nous avons à faire. »
La tactique par Nelson eut un premier presque décisif. En résultat
employée
arrivant sur la ligne alliée, ses vaisseaux se trouvèrent en position de prendre en
enfilade les bâtiments français et espagnols et les foudroyèrent à bout portant du feu
de toutes leurs bordées, pendant que les nôtres ne pouvaient riposter qu'au moyen
du très petit nombre de pièces qui armaient les dunettes ou les gaillards d'avant.
Il advint donc que,dès les premiers moments du combat, un certain nombre de
nos unités furent désemparées, encombrées de morts et de blessés et pratiquement
mises hors de combat.
Dès lors, la bataille ne fut plus quunemêlée confuse entre navires accrochés les
uns aux autres, dans le calme plat qui s'était définitivement établi. Ce calme empêcha
en outre 10 Araisseaux de notre avant-garde qui n'avaient aucun.ennemi à combattre
de se porter au secours du centre écrasé. Il en fut de même de l'arrière-garde où
commandait l'amiral espagnol Gravina. Arrière-garde et avant-garde ne purent se

porter au feu avant deux heures et demie, et à ce moment il était trop tard pour que
leur intervention eût chance de produire aucun effet sérieux.
Le Victory s'était attaqué directement au Bucentaure, vaisseau que. montait Ville-
neuve. En passant à l'arrière dans les conditions que j'ai relatées plus haut,, il
l'avait criblé de boulets qui, prenant les batteries en enfilade, avaient causé à bord
du vaisseau amiral français d'effroyables ravages : 20 canons démontés, /joo hommes
mis hors de combat, les murailles du vaisseau criblées, la membrure ébranlée,
tels furent les résultats de cette foudroyante attaque qui, en réalité, mit le Bu-
centaure hors d'affaire (*).
Laissant cet ennemi presque réduit, le Victory, toujours pprté.par la houle, tomba
sur le deux-ponts le Redoutable, commandé par le capitaine de vaisseau Lucas. Une
lutte acharnée s'engagea. Tout d'abord, le Victory vit son équipage décimé par un feu
de mousqueterie terrible qui partait des hunes et des bastingages du vaisseau français (2).
Le commandant Lucas, saisissant l'instant favorable, forme ses divisions d'abordage et
les lance à bord
du Victory. Le vaisseau amiral anglais va être à nous ! A ce moment,
deux bâtiments ennemis poussés par un souffle de brise se portent au secours de
leur chef et foudroient le Redoutable.
C'est dans cette mêlée que Nelson fut tué.
, Ayant à ses côtés son capitaine de pavillon, le commandant Hardy, il circulait
sur le gaillard arrière; à leurs côtés, quelques, hommes ripostaient de leur mieux à
la terrible fusillade du Redoutable. Tout à coup l'amiral chancelle et tombe la face
sur le pont. Une balle, partie de la hune d'artimon du Araisseàu français, l'avait

frappé à l'épaule gauche et, traversant


son épauletle, avait été se loger dans l'épine
dorsale. Des matelots se précipitent et relèA^ent l'amiral déjà comrert de sang. Hardy
qui ne l'aArait point vu tomber se retourne alors, et, plus pâle, plus ému que Nelson

de lui sur
(') Cette terrible bordée fut tirée de si près, que Nelson et les personnes qui se trouvaient autour
la dunette du Victory furent couverts de la poussière et des éclats de bois arrachés au vaisseau français.
( 2) Les vaisseaux anglais n'avaient pas de mousqueterie dans leurs hunes.
356 NOTRE MARINE ET NOS MARINS

lui-même: « J'espère, Mylord, que vous n'êtes


pas dangereusement blessé? » « C'est
fait de moi, l'amiral, ils ont enfin réussi : j'ai l'épine du dos brisée. »
Hardy, répond
Et alors, dans le tumulte du combat, dans le fracas des décharges d'artillerie et le

crépitement de la fusillade,
emporte on
dans le faux-pont le héros qui ne tarde pas
à y rendre le dernier soupir ('), mais non avant d'avoir reçu de la bouche de Hardy
le pavillon
l'assurance que la plus magnifique victoire couronne britannique.
A la vérité, quel marin pourrait rêver une fin plus triomphante !
Le et deux autres vaisseaux accrochés aux flancs du Redoutable
Victory anglais
formaient ungroupe
d'où un
s'échappait
feu effroyable. Fina-

lement, le glorieux
vaisseau français,
couvert de morts et
de mourants, percé à
jour, privé de tout

moyen de se mou-

voir, se rendit au Té-


méraire.
Le Bucentaure, in-

capable de se défen-
dre après la terrible
bordée du Victory,
la moitié de ses ca-
FIG. — Le Redoutable et le à Trafalgar. nons les
271. Victory démontés,
autres couverts par
les débris de mâture et les voiles qui pendaient de tous côtés, ayant 45o tués ou

blessés, dut amener son et remettre aux mains des Anglais le


également pavillon
commandant en chef, l'amiral de Villeneuve, qui, faute d'embarcation en bon état,
n'avait sur un autre navire.
pu se transporter
Sur toute la ligne, une série de combats où nos marins et les marins espagnols
montrèrent du moins le courage le plus héroïque, eurent la même issue.
Les résultats de la bataille
de Trafalgar furent désastreux. 17 vaisseaux français ou
furent un vaisseau sauta en pleine 11 vaisseaux
espagnols pris, bataille, plus ou
moins maltraités rentrèrent à Cadix avec l'amiral espagnol Gravina qui ne tarda
pas à succomber à une grave blessure reçue pendant la lutte. 4 vaisseaux français, qui
s'étaient échappés vers le Nord sous les ordres du contre-amiral Dumanoir, rencon-
trèrent une division anglaise bien supérieure à laquelle ils durent se rendre après une
lutte d'ailleurs fort honorable. Cette dernière mésaventure porte à 22 le nombre des
unités perdues au combat de Trafalgar (2).

(') Pendant qu'on transportait Nelson, il se couvrit lui-même la figure et ses décorations de son mouchoir pour
que la vue de leur chef mourant n'affectât pas les marins qui combattaient.

( 2) Des 37 vaisseaux anglais, la moitié environ furent mis hors d'état de naviguer davantage. Le Bucentaure et
NOTRE MARINE ET NOS MARINS 357

Navariri,^— Au commencement de 1827, la Grèce luttait vaillamment, mais aArec


grand désavantage, contre lé sultan Mahmoud, dans l'espoir de reconquérir son indé-
pendance.
Au moment où les événements tout à fait mauvaise tournure
prenaient pour les
Hellènes, l'Angleterre, la France et la Russie s'unirent pour offrir et au besoin im-

poser leur médiation aux belligérants. Les Turcs mirent, et cela se conçoit assez, une
extrême mauvaise volonté à accepter des propositions qui tendaient évidemment à
leur ravir leur D'autre ils ne pouvaient à lutter contre une aussi
proie. part, songer
puissante coalition. Leur hésitation précipita le dénouement du drame.
Le.20 octobre
1827, la flotte turco-égyptienne était mouillée dans la magnifique
rade de NaA^arin- Elle 3 vaisseaux, et 6g bâtiments
comptait 17 frégates plus petits.
Les escadres des trois puissances alliées réunissant en tout 10 vaisseaux et 10 fré-
gates, pénétrèrent dans la rade déjà très encombrée et jetèrent l'ancre au milieu de
l'entassement des naArires ottomans.
A ce momentj aucune hostilité n'aA^ait encore éclaté entre les Turcs et les alliés.
. Le fanatisme musulman, que comprimait insuffisamment une un peu relâ-
discipliné
chée, mit le feu aux poudres. Quelques coups de fusil partirent inopinément d'un
brûlot turc. Aussitôt un feu intense, mais heureusement fort mal dirigé, éclata sur
tous les navires de la flotte et des nombreuses batteries
lurco-égyptienne placées à
terre.
La flotté chrétienne,
peu surprise, un fut pendant instants dans une
quelques
position assez critique ; mais la riposte ne se fit pas attendre et, là supériorité mani-
feste des canonniers chrétiens aidant, là lutte proprement dite fut de courte durée ; la

plupart des grands bâtiments d'Ibrahim furent détruits successivement par le feu,
mais les navires alliés eurent à se défendre assez longtemps contre les attaques répé-
tées et acharnées des brûlots turcs.
4 000 ou 5 000 hommes périrent &\QC les bâtiments musulman s, pendant que la flotte
chrétienne en était quitte avec 180 tués et 470 blessés.
Tel fut l'incident d'une longue et dure terrestre et maritime,
principal campagne,
qui aboutit en septembre 1829 à la signature du traité consacrant l'in-
d'Andrinople
dépendance du nouveau royaume de Grèce.

Crimée. — Le rôle de la marine la guerre la


française, pendant que l'Angleterre,
France et la Turquie déclarèrent à la Russie le 27 mars i854» fut considérable. Sur .
toutes les mers où on pouvait atteindre l'ennemi, le tricolore
pavillon apparut
et nos marins firent de leur -mieux.
Mais la partie de leur tâche la plus ardue fut celle qui consista à transporter, à dé-

barquer, puis à ravitailler l'armée que le maréchal de Saint-Arnaud conduisit en Cri-


mée. 15 vaisseaux de ligne, 2,5 frégates, corvettes ou avisos à vapeur, 5 frégates à.

le Redoutable coulèrent avec six autres prises françaises pendant la tempête qui fit rage dans la nuit. Les autres
vaisseaux français capturés, à l'exception de trois, furent brûlés par les Anglais ourepris par 5 vaisseaux qui sor-
tirent de Cadix.le lendemain. Les pertes des alliés à Trafalgar furent de i oo4 tués, i320 blessés. Les Anglais
perdirent 449 tués, i 200 blessés.
358 NOTRE MARINE ET NOS MARINS

voiles et 52 bâtiments de commerce prirent à bord et convoyèrent le contingent fran-


çais qui comptait 29000 hommes. Le vice-amiral Hamelin les commandait.
En comptant les forces navales anglaises et turques amenant les troupes de ces deux

pays, la flotte qui, dans les premiers jours de septembre i854, se dirigea sur les côtes
de la Crimée, comptait 35o navires portant une armée de plus de 60000 hommes.
Dès que le siège de Sébastopol fut commencé, la marine coopéra vivement avec
les troupes de terre. On demanda même
anglaise et française aux
de mettre à flottes
terre un nombre de gros canons suffisant pour répondre aux énormes pièces qui gar-
nissaient une partie des murs de la ville. L'escadre française eut ainsi dans les batte-
ries a terre 1 000 matelots
avec 3o bouches à feu. On

peut dire
que la conduite
qu'ils y tinrent et le rôle

qu'ils surent jouer les fit


donner en exemple au reste
de l'armée.
L'auteur de ces lignes a
eu la bonne fortune d'appro-
cher un certain nombre
d'officiers qui firent en cette
occurrence leurs premières

— Les trois batteries flottantes à Kiinburn : armes. Il a entendu de leur


FIG. 272. françaises
Tonnante, Dévastation. Lave. bouche le récit des pénibles
travaux qu'ils durent exé-
cuter sous un feu d'enfer, et des dures souffrances que l'hiver leur imposa, comme
d'ailleurs au reste de l'armée.
Ces souvenirs d'heures d'épreuves ne par\enaient point cependant à leur faire
oublier les belles émotions que leur vaillance avait trouvées dans cette lutte gigan-
tesque. Leur jeunesse leur avait d'ailleurs permis de supporter ces épreuves, le sou-
rire aux lèvres.
Le17 octobre, la flotte anglo-franco-turque prit une part très active au bom-
bardement de la ville, en se plaçant en face des batteries nombreuses et
puis-
santes qui défendaient l'entrée du port ; i4 vaisseaux français, 1 frégate et 1 corvette
s'embossèrent à 1 5oora des ouvrages russes. Pour exécuter cette manoeuvre, très
délicate pour toute espèce de navire, mais à peu près impossible pour des vaisseaux
à voiles, les frégates et corvettes à vapeur les conduisirent à leur poste de combat,
en les remorquant à couples ('). Le feu fut très vif et les résultats obtenus douteux.
Les batteries furent pendant quelques heures réduites au silence, mais nos bâtiments
subirent des pertes. Le vaisseau amiral Ville-de-Paris sur lequel le vice-amiral Hame-
lin avait arboré son pavillon reçut une bombe qui éclata sous la dunette et fit de
nombreuses victimes.

Un navire se à couple d'un autre en s'amarrant le long de son bord, d'un côté ou de l'autre,
("') place
NOTRE MARINE ET NOS MARINS
35g

Nous avons déjà dit ce fut au cours de cette dans une


que guerre, expédition
dirigée par les amiraux -français et anglais Bruat et Lyons contre la forteresse de
Kimburii, située à l'embouchure du Dnieper, que parurent la fois
pour première
au feu trois hatteries flottantes cuirassées, un rôle des plus impor-
qui y jouèrent
tants. Cette
expérience ouvrit l'ère de la marine Ilcuirassée. n'est pas inutile de
faire ressortir
que ce progrès, comme plusieurs autres réalisés depuis cette époque,
est dû à l'esprit d'initiative, à l'intelligente des choses de la mer qui
compréhension
sont le propre de nos officiers de marine.
Une
des particularités curieuses de cette fut sévit dans
guerre qu'elle également
les parages les ceux où les longues nuits et les frimas d'or-
plus lointains, imposent
dinaire aux hommes des rapports plus cordiaux. C'est ainsi qu'une force navale
franco-anglaise opéra dans la Baltique et fit le siège de la citadelle de BomarSund

qui défendait la principale des îles d'Oland. Une autre petite escadre, également
formée de navires des deux nations alliées, alla jusque dans la mer Blanche détruire

quelques fortifications/élevées sur les îles Solovetskoï et Shayley. Enfin, 4 frégates


et 2 corvettes anglaises et françaises remontèrent K.amtsçbatlca et y atta-
jusqu'au
quèrent le port russe de PetropavloA'sk, sans.succès d'ailleurs.

'.''< LA MARINE CONTEMPORAINE

1870. — Si le rôle de la marine


de guerre l'année terrible n'a
française pendant
pas été de premier plan, si elle n'a pas eu à livrer des combats retentissants que l'ex-
cessive prudence de la flotte, d'ailleurs très faible, de notre ennemi renditimpossibles,
il faut protester bien haut contre la légende à faire
qui tendrait croire qu'elle fut
d'une complète inutilité.
Il est vrai que notre escadre du Nord, envoyée trop tardiArement sur les côtes de là

Baltique et de la mer du Nord, empêchée d'ailleurs par le tirant d'eau de ses unités

d'ajjprocher à portée utile d'une côte trop basse, ne put rien entreprendre contre la

petite flotte prussienne enfermée dans le fond


du port de la Jalide, et que les opéra-
tions militaires proprement dites se réduisirent à bien peu de chose.
Mais le grand, lé réel service
que nos escadres, disséminées dans les mers du globe,
rendirent'au pays, consista à conserver à notre commerce la plus entière liberté dé

navigation, tandis que celui de l'Allemagne instantanément.


disparut

La maîtrise de la mer, que nous gardâmes d'une façon indiscutable, nous permit de con-
server toutes nos relations aArec l'étranger et de recevoir des pays neutres, aussi facilement
qu'en pleine paix, des Aivres, des armes, des objets d'équipement dont nous avions le plus
Urgent besoin.! Services que l'on eût encore beaucoup mieux appréciés si la lutte se fût pro-
longée dâA'antage. En dépit de nos désastres, on peut affirmer que la possession de l'Océan
nous procura pendant cette guerre dé précieux avantages et ressources. Nous
d'indispensables
assurer cette possession, c'était tout ce que
' ' pommait faire notre flotte, et elle ne faillit pas à
sa tâche Q. -

(*yGui&A.VD-AjRXA.vi,T7 Histoire des Jlotles militaires


36o NOTRE MARINE ET NOS MARINS

Le seul engagement naval de cette guerre se produisit, au large de la Havane,


entre l'aviso français Bouvet et la canonnière prussienne Météor. Ces deux petits
bâtiments, se trouvant ensemble sur rade de la Havane, échangèrent un cartel
aux termes duquel ils devaient se mesurer en dehors des eaux territoriales espa-
gnoles.
Au jour dit, ils se rencontrèrent en effet, au large du port.
Le lieutenant de vaisseau Franquet, commandant du Bouvet, se porta aussitôt sur
son adversaire avec l'intention de l'aborder, ou tout au moins de le canonner à courte
distance. La canonnière allemande avait déjà reçu quelques projectiles dangereux,
et l'affaire paraissait tourner
à son désavantage lorsqu'un
de ses obus vint frapper la
chambre de vapeur de la
chaudière du Bouvet : cet

organe si important était


démuni de toute protection,
et ce dôme de vapeur sur-
montait le pont, s offrant
ainsi à tous les coups ; on
voit par cet exemple com-
bien, à une époque qui n'est
pourtant pas bien lointaine,
la construction navale s'était
Fio. — Les frégates devant les côtes allemandes en 1870.
273. françaises encore de la
peu pénétrée
nécessite de mettre les or-

ganes vitaux des navires à l'abri des projectiles. En réalité, les marins de cette époque

comptaient encore plus sur leur voilure que sur leurs machines pour se tirer d'affaire
dans tous les cas.

Quoi qu'il en soit, le Bouvet se trouva, avec sa chaudière crevée, hors d'état de
continuer la lutte, que d'ailleurs son adversaire, fort malmené, ne tenait pas à pro-
longer. Le Bouvet, hissant ses voiles, reprit la route de la Havane pendant que le
Météor s'écartait de son côté.
croiseurs prussiens, qui avaient quitté les côtes de la Baltique avant que
Quelques
notre escadre les bloquât, jetèrent, pendant les premiers jours, un certain trouble
dans notre marine de commerce. Mais nos bâtiments, envoyés à leur poursuite, ne
tardèrent pas à mettre bon ordre à la situation. h'Augusta, qui avait paru à l'embou-
chure de la Gironde, dut se réfugier à Vigo pour n'en sortir qu'à la fin de la guerre.
Il en fut de même pour les grandes corvettes prussiennes Herta et Médusa, en Chine,
Arcona aux Açores. Le rôle de la marine allemande se réduisit, on le voit, presque
à rien.

Lorsqu'eut sonné l'heure fatale des grands désastres, la majeure partie de nos
navires de guerre, exception faite pour ceux qui surveillaient le littoral allemand,
à terre
n'avaient plus rien à faire. Aussi se décida-t-on à les désarmer et à utiliser
SAUVAIRE JOURDAN PL. VIII.

L'Amiral Courbet, sur la passerelle du Volta, au combat de Fou-Tchéou (1884).


NOTRE MARINE ET NOS MARINS 36l

des hommes sur le moral et sur la discipline desquels on savait pouvoir compter.
Cette espérance ne fut point déçue.
Cinq jours après le désastre de Reichshoften, les premiers marins arrivaient à
Paris dégarni de troupes régulières. Leur présence y produisit une grande sensa-
tion de réconfort. Il en vint ainsi 9000, provenant de tous les ports, des écoles de
canonniers et de fusiliers de la flotte, de 4o transports que l'amiral Roze, préfet
maritime de Cherbourg, avait su armer au milieu de difficultés en apparence
inextricables, et qui étaient

primitivement destinés à

porter sur le littoral de la

Baltique un corps de 4 000


hommes.
Le commandement de
cette petite armée de ma-
rins fut confié à l'amiral La
Roncière le Noury, qui en
a d'ailleurs retracé les glo-
rieux faits et gestes dans
son volume Les Marins au

siège de Paris.
Les marins reçurent des
FIG. — Combat du Bouvet et du Météor devant la Havane.
274.
postes d'honneur. On leur
confia la défense des forts
de Saint-Denis et de six forts de l'Est et du Sud. Ils durent, tout d'abord, mettre en
état de supporter les attaques qui ne devaient point tarder à se produire, ces ouvrages
dont la plupart étaient seulement à moitié prêts et démunis de toutes installations

pratiques.

Il faut avoir assisté à la transformation rapide et complète des forts pour avoir l'idée du
travail qu'eurent à accomplir nos matelots. Pour remplacer des misérables canons qui armaient
seulement quelques embrasures, on fit venir des ports des pièces de i6cm, de 19e'" et 2 pièces
de 24cm dont la justesse et la portée surprirent les Parisiens et gênèrent beaucoup l'ennemi (').

Non contents de les avoir mis


sur le pied de guerre, les marins, qui vivaient dans
leurs forts comme à bord des vaisseaux et y étaient soumis à la même discipline,
exacte et saine, surent encore ne pas négliger le côté agrément :

A Ivry, un réseau de cheminements drainés et sablés offrait une promenade à l'abri de


toute atteinte. D'un bastion à l'autre, les dispositions variaient; ici on s'en tenait à l'utile, là
on sacrifiait à l'agrément: dans quelques-uns, des massifs de fleurs figuraient près des canons,
ailleurs c'étaient des corbeilles, des bancs, des observatoires. Commandants en chef, officiers
d'Etat-Major ou de batteries renchérissaient à l'envi sur tous les arrangements, comme des
gens qui ont devant eux un long bail. C'était à qui assainirait et embellirait le mieux sa rési-
dence (s).

(') Louis REYBAUD, La marine au siège de Paris. Iteoue des Deux-Mondes, janvier 1871.
( 2) Ibidem.
362 NOTRE MARINE ET NOS MARINS

La défense des forts de Paris, confiée à nos marins, fut admirable. Les Parisiens
ne l'ont pas oublié. Soumis au feu lé plus intense, ils tinrent jusqu'au bout sans ^fai-
blir, rendant coup pour coup, réparant la nuit les dégâts, souvent énormes, que
produisaient les obus allemands pendant le jour.
Le fort de Montrouge, où commandait le capitaine de Araisseau Amet, peut être
donné commeexemple de l'héroïque et belle contenance que firent les six forts de
Paris confiés à nos matelots. L'importance de Montrouge, reconnue tout d'abord par
l'Etat-Major allemand, lui Aralut d'être de bonne heure soumis à un bombardement
intensif.
Du 5 jamùer au 26, date de l'armistice, une grêle d'obus ne cessa dé tomber sur
le fort, détruisant les bâtiments et les casemates, rem'ersant les pièces sur les para-

pets, creusant de profonds et sanglants sillons dans les rangs de l'équipage, dont
cette aAralanche de fer ne réduisit pas un instant le courage et l'entrain. Certains jours
le nombre des coups de canon tirés par le fort dépassa 65o.
Dès le 20 janA'ier, Montrouge n'est
plus qu'une ruine, presque tous les abris ont
été détruits, la caserne n'existe plus ; les terres des parapets labourées par les boulets
n'offrent plus aucune consistance, le mur d'enceinte présente une large brèche par
où l'escalade serait facile ; mais les pièces constamment bouleversées par ies coups
d'embrasure de plus en plus nombreux, sont, après chaque accident, ramenées au

parapet, les affûts réparés.


Le fort gardé par ses marins
croulant, qui font simplement et héroïquement leur
aussi redoutable et aussi imprenable • 1
devoir, apparaît qu'au début des hostilités.
La lutte terminée, l'amiral La Roncière put épargner à ses marins l'insigne dou-
leur d'aA7oir à remettre à l'ennemi leurs forts si brillamment et si courageusement
défendus. La reddition
s'opéra par l'intermédiaire des commandants de place, pen-
dant que les garnisons, en bon ordre et portant leurs armes, rentraient à Paris où
nos matelots reçurent l'accueil enthousiaste qu'ils avaient bien mérité.

Campagne de Chine de 1883. Les combats de la rivière Min. —- On se rap-


pelle que le 23 juin i884 une colonne de 600 hommes allant, sur la foi des traités

passés avec le gouA'ernement chinois, prendre possession de la citadelle de Lang-Son


sur la frontière du Tonkin, fut traîtreusement assaillie par une petite armée de régu-
liers chinois et dut battre en retraite après avoir subi des pertes importantes.
La nouvelle de ce guet-apens produisit en France une énorme impression et le

gouA'ernement décida d'avoir recours aux mesures de rigueur pour forcer la Chine à
exécuter enfin ses engagements et à payer le prix du sang que nous coûtait sa félonie.

Après de nouveaux et longs pourparlers, dans lesquels la diplomatie de Pékin


réussit encore, suivant sa coutume, à nous entraîner pendant trois mois,! le Arice-
amiral Courbet, qui commandait les forces naA'ales rassemblées sur les côtes de
Chine, reçut enfin l'autorisation de procéder par la force.
C'était le 22 août i884.
La petite flotte française était composée dés canonnières de mer Lynx, Aspic, Vipère,
des croiseurs en bois ViUurs, d'Estaing, Volta, Châteaurenault, du grand croiseur
NOTRE MARINE ET NOS MARINS 363

Duguay-Trouin, du transport-aviso Saône et des deux petits torpilleurs 45 et4#(').


L'amiral Courbet l'avait rassemblée dans la rivière Min, sur les bords de laquelle
est situé, à 20km environ de l'embouchure, l'arsenal maritime de Fou-Tchéou, que
l'on avait décidé de détruire si les réparations demandées n'étaient pas accordées.
Autour des navires français s'étaient petit à petit groupés 11 bâtiments de guerre
chinois, bien modernes
et de tonnage à peu près équivalent à ceux de nos unités.
Ces 11 bâtiments étaient soutenus par io jonques portant chacune de 8 à 9 canons,
une masse de brûlots, et tout un système de défenses et de batteries armées de pièces
Krupp, que les Chinois eurent tout loisir d'installer sur les hauteurs qui dominaient

La Pagode.

FIG. — La flotte de l'amiral Courbet au mouillage de la dans la rivière Min.


275. Pagode

la rivière, pendant le long mois l'ouverture d'hostilités à chaque instant


qui précéda
imminentes.
Cette attente énervante dura d'ailleurs assez longtemps pour que l'amiral pût
arriver à craindre sérieusement de se voir finalement enfermé, lui et ses navires,
dans une souricière. Aussi fut-ce avec un sentiment de joie le 23
inexprimable que
août, à onze heures du les officiers et les équipages furent informés
matin, qu'à une
heure de l'après-midi du même on l'escadre chinoise et les fortifi-
jour, attaquerait
cations élevées à terre.
Il faut dire, pour bien donner la physionomie du combat qui s'engagea en effet à
l'heure fixée, que les deux forces rivales étaient mouillées à un coude de la rivière,
endroit où celle-ci s'étale de façon à former
naturelle- une sorte de lac,
que n'agite
ment aucune houle. De plus, les navires français et chinois étaient à peine à 3oo ou
4oom les uns des autres. Toutes ces conditions devaient rendre le tir des canons aussi

précis que possible.


Sur la rive gauche de la rivière, au coude même, un promontoire une haute
portait
tour en forme de pagode, au pied de laquelle une batterie de canons tout
Krupp,
récemment installée, dominait les ponts de nos navires et formait un très
danger
sérieux.

(') Les cuirassés Bayard et La Galissonnière, faisaient de l'escadre des mers He Chine,
qui également partie
n'avaient entrer dans la rivière à cause de leur tirant d'eau
pu Min, trop élevé.
364 NOTRE MARINE ET NOS MARINS

Tout ceci constituait pour l'escadre française une situation qui pouvait paraître
critique. De plus, en cas d'insuccès devant Fou-Tchéou, un désastre devenait pro-
bable, si on avait à battre en retraite vers la haute mer. La rivière Min coule en effet
de Fou-Tchéou à la mer, entre deux étran-

glements fort étroits, les passes Mingau et

Kimpaï. Les deux bords de celles-ci étaient

garnis de nombreuses et puissantes batteries,


dont quelques-unes, cuirassées, renfermaient
des pièces de 2icm. De toute nécessité, il
eût fallu passer sous leur feu, presque à bout

portant.
Enfin, les Chinois avaient préparé, près
de la passe Kimpaï, une ligne de torpilles et

quantité de jonques chargées de pierres qui


devaient être coulées en travers de la passe
et fermer la route aux navires français.
On voit par ce simple exposé que la tâche
FIG. 276.
— Le torpilleur 46 torpille un
imposée à l'amiral Courbet et à nos marins
croiseur chinois.
n'était point aisée, et qu'elle comportait de
redoutables aléas.
Mais Courbet était un de ces hommes à qui le destin sourit parce qu'ils savent

risquer quelque chose pour atteindre de grands buts. De plus, il avait ce don d'ins-

pirer à ceux qui servaient sous


ses ordres la plus absolue cer-
titude que ce qu'il ordonnait
était possible et devait se faire.
Pierre Loti a donné, dans les

pages magnifiques que lui a

inspirées la mort de ce grand


marin, la plus exacte impression
de sa puissance d'entraînement.

Il avait, dit-il, sa manière à lui,


impérieuse et brève, de donner ses
ordres. — « Vous m'avez compris,
mon ami ? Allez. » Avec cela un
salut, une poignée de mains, et on
allait. — On allait n'importe où ;
FIG. 277. — Le Volta au combat de Fou-Tchéou.
on allait avec confiance, parce que
le plan était de lui...
Dans les heures d'anxiété (et elles revenaient souvent), au milieu des engagements qui
semblaient douteux, dès qu'on le voyait paraître, lui, ou seulement son pavillon dans le
lointain, on disait : Ah ! le voilà. C'est tout ce qu'il faut ; ça finira bien puisqu'il arrive I En
effet, cela finissait bien, toujours; cela finissait de la manière précise que lui tout seul, très
caché dans ses projets, avait arrangée et prévue.
NOTRE MARINE ET NOS MARINS 365

Donc le a3 août i884 à 11 heures du matin, on apprit à bord des navires fran-
çais, et avec quel enthousiasme ! que l'on allait enfin se battre.
Mais trois heures devaient encore s'écouler avant les premiers coups de canon.
L'amiral avait en effet décidé d'engager l'action au moment précis où le courant de
marée descendante s'établirait et où tous les navires auraient par conséquent leur
avant tourné vers la source de la rivière (l).

Par cette décision, l'amiral prenait sur l'ennemi un avantage tout à fait décisif, dit M. Loir,
dans son récit si vit et si image du combat de
la Rivière Min (*). Dans cette position, le
Voila, les trois canonnières et les deux tor-
pilleurs étaient sous le courant par rapport à
l'escadre chinoise et la menaçaient de leurs
étraves. Les Chinois, au contraire, leur pré-
sentaient l'arrière, point faible de tout navire,
et ne pouvaient venir sur eux qu'après avoir
fait une demi évolution complète, c'est-à-dire
après avoir présenté leur travers à nos coups.
Les trois avisos chinois mouillés en aval près
de la douane (fig. 279) avaient, il est vrai,
sur les navires français mouillés en amont, les
avantages qui viennent d'être dits, mais les
trois grands croiseurs Duguay-Trouin, Villars,
d'Estaing, les tenaient sous leur puissante
artillerie; ils étaient de taille à les maintenir
FIG. 278.
— La Saône et le Chùteaurenault, au mouillage de en respect et à leur barrer la route.
Quanloa, apprennent par les projections la défaite de la
flotte chinoise. Il y avait cependant, dans la décision

prise par l'amiral Courbet, un grave dan-

ger, qui, on peut le dire, tint tout le monde haletant le 23 août jusqu'au moment où
les premiers signes du changement de courant se produisirent.
Notre attaque ne devait pas en effet s'effectuer sans que nos adversaires en fussent
informés. Les procédés appliqués par le Japon quelques années plus tard, et qui
seront, paraît-il, de règle pour les futurs conflits, n'étaient pas encore de mode en
i884. et ni Courbet ni aucun des officiers sous ses ordres n'eussent admis un instant
la possibilité d'ouvrir si peu sympathique
le feu sur fût-il, un
sans l'avoir adversaire,

auparavant prévenu qu'on allait en découdre. Dans cette pensée chevaleresque et


conformément au droit des gens, l'amiral Courbet avait mandé (a) à bord du Volta,
où flottait son pavillon, M. de Bezaure, vice-consul de France à Fou-Tchéou et
l'avait informé des décisions du gouvernement. Ce fonctionnaire avait aussitôt rega-
gné sa résidence pour prévenir le vice-roi de la province et rentrer son pavillon.

(') La marée se fait sentir dans la rivière Min bien haut le où étaient mouillées les escadres
plus que point
françaiso et chinoise. Mais en raison du courant de la rivière, le courant de flot se
propre (mer montante)
moins que celui de jusant (mer descendante).
produit longtemps
( 2) M. LOIR, L'escadre de l'amiral Courbet. Notes et souvenirs, éditeurs.
Berger-Levrault,
Dans la soirée du 22. Par les soins du vice-consul, les consuls furent informés à huit heures
( 3) étrangers
du matin, le 23, de ce qui allait se passer; le vice-roi le fut à dix heures.
366 NOTRE MARINE ET NOS MARINS

Les Chinois surent donc, plusieurs heures avant le moment décisif, qu'ils allaient
être attaqués. S'ils avaient été doués du moindre
esprit militaire, ils eussent sans
doute compris l'intérêt majeur qu'il y avait pour eux à ne pas attendre le renverse-
ment du courant et engagé l'action alors que les circonstances leur étaient favorables.
Ils n'en firent rien.

FIG. — Carte de la rivière Min. Position des navires français et chinois au moment de l'attaque
279. générale
(combat de Fou-Tchéou).

L'émotion était grande cependant à bord des navires français, où toutes les pré-
cautions étaient naturellement prises pour parer à une attaque inopinée.
Du pont du Voila qu'il ne quitte pas, l'amiral surveille les mouvements des navires
chinois à bord desquels tout se prépare pour l'action :

Il est calme, comme à son ordinaire, toujours recherché dans sa mise, vêtu d'un veston
en flanelle de Chine, guêtres blanches à ses chaussures, la tête coiffée d'un chapeau de paille
NOTRE MARINE ET NOS MARINS SQ']

blanc dont le ruban noir porte en lettres dorées le nom de « Bayard » le cuirassé qu'il
monte habituellement (').

Enfin les heures redoutables ont


passé. II.est une heure quarante-cinq, YévitageQ)
s'est prononcé. Tout le monde est à son poste de combat. Un silence de mort, une
chaleur accablante régnent sur la rivière dont les eaux se replient en remous gris sous;
la lutte des courants contraires. L'instant est solennel. Enfin monte au niât du.Volta
un paAillon( 3) ; quelques minutes encore, le signal s'amène! Aussitôt, le tonnerre
éclate, en même temps que les couleurs nationales se déferlent en tête des mâts de
tous nos navires (4).
Dès le premier instant, pendant qu'une canonnade furieuse s'échange presque à
bout portant, les deux torpilleurs s'élancent chacun Arers un ennemi choisi d'avance,
et le mettent hors de combat en faisant éclater leurs torpilles portées au bout d'une
hampe, sous son arrière. Le croiseur Yang-Ou, à bord duquel se trouve le chef de
l'escadre chinoise, mortellement atteint, se jette
à la berge et s'échoue. L'aviso Fou-

Sing, touché par la torpille du 45 dans une partie moins Aritale, cherche à échapper
en mettant en marche à toute vitesse. Mais une seconde torpille, placée par un petit
canot à vapeur du Volta que monte le capitaine de frégate Boue de Lapeyrère, aujour-
d'hui ministre de la Marine, démolit son hélice, et le naA'ire, désemparé, parti en

dérive, est enhrvé


à l'abordage par la flottille de nos embarcations.
Pendant les quelques minutes ainsi employées, chacun de nos bâtiments a rempli
le programme que lui aArait tracé l'amiral, tirant d'un bord sur les bâtiments chi-
nois qui lui étaient opposés, de l'autre sur les batteries à terre ou les jonques qui
font un feu d'enfer. .
A deux heures trente, après une demi-heure de combat, la canonnade cesse complè-
tement. En réalité, la lutte est terminée. La flotte chinoise est écrasée. Les naA'ires,
les jonques, les canonnières alphabétiques (b), les brûlots et les embarcations porte-
torpilles,percés de coups s'en vont à la dérive, coulent ou sautent.
brûlent, Leurs

équipages sont à l'eau, pêle-mêle, dans un fouillis de mâts, de cordages, cramponnés à


des coques de canots, à mille épaA^es dont le fleuAre est littéralement couArert. Seuls,
deux à lutter, ont cherché à gagner, à toute vitesse, un refuge
petits avisos, renonçant
dans le haut de la rivière. Poursuivis parles obus, ils s'échouent dans leur fuite.
A trois heures,il n'y a plus aucun bâtiment chinois à flot. Il reste cependant à
faire taire les batteries du rivage qui forcément ont été un peu négligées et tirent
sans discontinuer. Cette besogne s'accomplit, non sans difficulté ni sans quelques
à bord du Volta sur lequel les Chinois, sachant qu'il porte leur
pertes, principalement
redoutable ennemi, le terrible Coupa (0)> ont concentré leur feu.

(') M. LOIR, Op. cit.


( 2) On appelle évilage, en terme de marine, le mouvement par lequel l'avant d'un navire, mouillé sur une
ancre, change de direction sous l'effort du courant ou du vent.
( 3) Pavillon i- « Commencez le feu! »
(4) Depuis les temps les plus reculés, le règlement prescrit que tout navire français combattant porte en tête
de chacun de ses mâts et à la poupe le pavillon national. ,
(s) Ainsi dénommées parce qu'elles étaient désignées par une lettre de l'alphabet grec. Ces petits bâtiments
très bien construits, étaient fortement cloisonnés et portaient à l'avant une pièce de 25cm.

(6) C'est le Vocable sous lequel l'amiral Courbet était connu des Chinois.
368 NOTRE MARINE ET NOS MARINS : .

A quatre heures cinquante-cinq nos bâtiments, qui depuis une heure trente étaient

appareillés, laissent tomber leurs ancres


pour la nuit.
Cette nuit-fut des plus mouA'emenlées. Voici ce qu'en dit l'amiral Courbet dans
son rapport. '..'..- > j,. .

La nuit du 23 au ik fut un qui-A'ive perpétuel. La plupart dés bâtiments durent appareiller


trois et quatre fois. Vers neuf heures du soir, à la fin du jusant, un dès transports chinois, mis
en feu par un obus, était poussé vers notre mouillage par deux grandes jonques que montaient
une trentaine de matelots ; quelques coups de canon du cYEstaing, mouillé en vedette,
coulèrent les jonques el leurs équipages ; mais le transport continua à dériver au courant et
menaça successi\rement plusieurs bâtiments. D'autres moins grands lui succédèrent qu'il fallut
couler à coups d'obus pour s'en débarrasser.

Les résultats de; là mémorable journée du 23 août 1884 furent annoncés par
Courbet au gouvernement par cette simple dépêche en quatre mots : « Bonne journée
de début ». Elle nous coûtait 6 tués, 27 blessés; aucun de nos bâtiments n'avait
eu d'avarie graA'e. Les Chinois avaient perdu 22 naArires ou jonques, 5 comman-
dants, 3g officiers et plus de 2 000 marins ou soldats!
Mais après cette tâche si brillamment, si héroïquement remplie, il en restait une
autre non moins délicate. Il fallait sortir de cette rivière : aux bords hérissés de dé-
fenses dont quelques-unes Arraiment formidables, aux fonds semés d'épaA'es, de tor-

pilles, d'obstacles inconnus.


Le.25 août dans l'après-midi, après une journée consacrée à ruiner l'arsenal de
Fou-Tchéou, à détruire de fond en; comble les défenses et batteries qui avaient pris
part au combat du 23, la descente de la rivière commença.
Elle dura du 25 au 29 août. Pendant ces quatre jours, l'escadre, formée en une

ligne dont la Triomphante et le Dùguay-Trouin durent au gros calibre de leurs canons

d'occuper les premiers postes, descendit lentement le fleuve, détruisant en les pre-
nant à revers et à mesure qu'elles; se présentaient sous leur feu, les batteries et:
défenses diverses installées sur les riAres, et qui généralement étaient disposées pour
canonner un ennemi remontant et non descendant.

Lorsque le feu de l'artillerie aArait bouleversé pièces et casemates, forcé les garni-
sons à s'enfuir, quelques détachements de marins "allaient acheter l'oeuvre de des-
truction au moyen de pétards de fulmi-coton. ; ... .'
Dès le second jour de cette naAÏgation, un spectaclelùgubre, accompagné d'ef-
fluves abominables, A>int affecter sans relâche les yeux et les narines de nos matelots.
C'était celui de centaines de cadaATes de marins et soldats, chinois, remontés à la
surface, boursouflés dans leurs ceinturons de cuir, qui passaient et repassaient sans
cesse entraînés par lé flot et le jusant. Ces lamentables débris s'accrochaient aux
chaînes des ancres, tourbillonnaient dans les remous des hélices ;; c'était à soulever
les coeurs les plus solides. ::::.-
Le 29 août à midi, lès casemates, batteries blindées, de la passe Kimpaï qui forme
le dernier étranglement de la rivière Min étaient dans un état de bouleversement,
d'effondrement complets. La porte sur la mer était enfin ôuATerte à notre escadre

qui sortait glorieusement de la souricière où, depuis quarante jours, elle s'était
SAUVAIRE JOURDAN PL. IX.

Le cuirassé Triomphante, guidant l'escadre de l'amiral Courbet, descend la rivière Min.


NOTRE MARINE ET NOS MARINS 36g

volontairement enfermée. Six jours d'une lutte acharnée aA^aient été nécessaires pour
briser tous les obstacles.
Le moment où les bâtiments de l'amiral Courbet franchirent la [passe fut des plus

impressionnants. L'auteur de ces lignes et tous ceux à qui échut la chance d'être de
cette fête en garderont un impérissable souvenir.
Un soleil éclatant brillait sur les collines Arerdoyantes, encheA^êtrées, entre les-

quelles le fleuve roule ses eaux profondes. De toutes parts, sur les crêtes de ces
hauteurs, flottaient au vent des milliers de paA'illons et d'étendards plantés autour
des innombrables camps de l'infanterie chinoise qui assistait impuissante au dernier
acte du drame.
Sur les bords du Min, la désolation la plus complète. Ce ne sont que forts éAren-
trés, canons brisés,.plaques de cuirasses défoncées, casemates écroulées; une ma-
çonnerie éboulée laisse apercevoir un blindage formépar de Arieux canons placés
côte à côte verticalement et noyés dans le béton que nos obus ont fait sauter.
Au milieu de toutes ces ruines,- pas .une âme. Un silence absolu. Quelques ca-
davres se voient le long des mûrs qui relient les camps retranchés des hauteurs aux
fortifications du bord de la rivière. Ce sont les malheureux qui, fuyant la déArasla-
tion des batteries, ont été tués par la mousqueterie ou les Hotchkiss pendant qu'ils
cherchaient.à regagner les camps à l'abri de ces murs. On distingue nettement,
la dislance est si courte, le grand soleil rouge brodé dans le dos de leurs casaques

jaunes.
Dans cette scène de désolation, nos navires, en ligne de file, glissent lentement
vers la haute mer dans la passe étroite. En tête de leurs mâts, à leur poupe, flotte
fièrement le pavillon tricolore vainqueur.
Nos morts de Bac-Lé étaient bien vengés (*)!

— Le 3o juillet
Casablanca. 1907, la population fanatisée de la ville marocaine
de Casablanca, située sur la côte atlantique, massacrait neuf ouArriers européens
employés aux travaux
du port, sans que la débile autorité représentée par les fonc-
tionnaires du Maghzen, intervînt pour mettre un terme aux troubles.
Dès la nouvelle connue à Tanger, le croiseur protégé fiançais Galilée était envoyé
en hâte et arrivait devant Casablanca le 1cr août.
La ville est ceinturée de murs, même sur le port, ou du moins sur la plage rela-
tivement abritée
qui en tient lieu. Une seule porte, nommée porte de la Douane,

percée sous un bastion, donne accès dans la Aolle en passant sous une Aroùte fermée

par deux épais vantaux de bois.


Dans la ville, lapopulace, arrivée au dernier degré de l'exaltation, menaçait de tout
massacrer et de tout détruire. Les Français contre lesquels le mouA'ement était surtout

^dirigé avaient en majeure partie quitté la A'ille et s'étaient réfugiés sur les navires
mouillés au large. Il restait cependant au consulat, avec le consul, sept Français et

( 4) Les pertes totales de l'escadre française, y compris celles du 23 août, furent de 10 tués dont i officier, 48
blessés dont 6 officiers. On estime, d'après des renseignements officiels chinois, que les perles matérielles infli-
gées au gouvernement chinois avoisinèrent 5o millions.

SAUVAIRE JoURDAÎi. 2/J


NOTRE MARINE ET NOS MARINS
370

deux dames, et il importait au plus haut point de protéger leurs existences, tout en
éAitant les mesures qui eussent une apparence de provocation, de façon à empêcher

l'explosion finale.
Le capitaine de frégate Olhvier, commandant du Galilée, au milieu de ces cir-
constances des plus critiques, sut faire ce qui était nécessaire. Pour parer au plus

pressé, un premier groupe de 10 marins commandés par un officier gagne par groupes
de deux personnes le consulat et s'y installe. Puis on obtient du caïd de la Aille,

affolé, qu'un détachement de 66 hommes ATiendra officiellement protéger la demeure


du représentant de la France.
Là suite de ce récit est empruntée à la Revue de Paris Q. Au risque de froisser la
modestie de son auteur, je n'hésite pas à dire qu'il est du médecin de la marine,
Brunet, qui suivit à terre le détachement du Galilée et déploya, dans ces circon-
stances dramatiques, le courage et le déATouement coulumiers d'ailleurs à l'admirable

corps des médecins de la Flotte.

66 marins commandés par l'enseigne de A'aisseau Bàllande quittèrent le Galilée à 5 heures


et demie du malin. Les fusils ont été approAusionnés mais non chargés (2).
Le détachement débarque au pied de la muraille, sous le bastion dont la porte est grande
ouA'erte; mais contrairement aux con\'enlions, on ne trouve au rendez-vous ni caïd, ni aucune
autorité marocaine, seul un interprète du consulat pour montrer la.route. ;
Le débarquement s'opère sans incidents, dans la solitude. La petite troupe, baïonnette au
canon et l'arme à l'épaule, commence à marcher, son commandant en tête.
Nos hommes longent les hautes murailles, ils regardent en l'air le chemin de ronde que
'
dépassent quelques bouches de canon.
Tout à coup des coups de fusil éclatent, crépitent, et. des balles venant des remparts
sifflent au-dessus des têtes. Que se passe-t-il? . -

Bàllande, arrivé sur le terre-plein du haut de la rampe, à cinq ou six mètres de la porte
grillagée de la Marine, aperçoit qu'on ferme ses battants ouverts depuis de matin, et derrière,
des Askris armés se rassemblent. Il crie: « Ouvrez ». Les vantaux continuent à se rapprocher
et par le grillage une salve répond qui ne blesse: personne à cause du terrain en contre-bas.
Bàllande, sans s'arrêter, court à la porte et d'un A'iolent coup de poing écarte l'un des pan-
neaux au moment où on s'efforçait de pousser leA^errou. La garde d'Askris se replie et tire préci-
pitamment, mais Bàllande resté sur le seuil se retourne et commande : « Chargez les armes,
en aArant à la baïonnette ». Le second maître Labaste répète ses ordres et les premiers rangs
arrivent en face de la porte. NouA'elle décharge du poste et cette fois une balle traverse la
main de Bàllande qui brandissait son sabre. Le sabre tombe. Bàllande le ramasse de la main
gauche et crie en se releArant: « En avant, feu à volonté! >n Labaste s'élance derrière lui et
enlèA'e sa section en répétant: « Allons, mes garçons, hardi, en avant à la baïonnette! ». Il
les entraîne sous la voûte de la porte qu'il franchit au pas de course. Mais en débouchant sur la
rampe de la douane, il s'arrête brusquement. Une balle vient de lui traverser la poitrine, brisant
la claATicule gauche, et remontant près de fa colonne vertébrale ; il ne peut plus crier, il a la
bouche pleine de sang, mais il garde sa place et réprend le pas'de charge à côté de ses hommes.
La première section a abattu presque tout le poste de la douane dont les survivants se
sauvent ou se cachent derrière les sacs d'orge empilés dans la rue. En haut de la rampe, unt
feu de salve dégage la voie et la colonne pénètre dans Casablanca, se ruant à la baïonnette,
et ne s'arrêtant après chaque bond de cinquante mètres que pour de nouveaux feux. Les Arabes

(.4) Numéro d'avril 1909, page 4g5 (sans signature).


(2) Ce qui veut dire que des cartouches ont été placées dans le magasin de l'arme, mais non dans sa culasse.
NOTRE MARINE ET NOS MARINS 37i

accourus en armes et les soldats venus des bastions lâchent précipitamment leur coup de
fusil et se dissimulent dans les encoignures. La charge balaie tout sur son passage. Les sol-
dats restés sur les remparts tirent sur nos flancs. Des rues avoisinantes, les balles sifflent,
parties des fenêtres des maisons ou des ouvertures des magasins. Le poste de la prison essaie
de narrer la route.
Les feux de salve le
dispersent. Ceux qui
ne tombent pas se sau-
vent pour revenir par
un détour sur les der-
rières du détache-
ment. Les marins sont
entourés et les der-
nières lilcs serrées de
près. Le quartier-
maître de mousque-
terie Thierry, qui mar-
chait à l'arrièreprès du
médecin, reçoit une
balle dans la cuisse.
Le marin Charpentier
a le bras fracassé. Les
blessés comprennent
qu'on ne peut inter-
rompre la marche
pour eux, ils suivent
péniblement en s'ap-
puyant sur les cama-
rades et en laissant
une traînée de sang.
Les Marocains enhar-
dis approchent davan-
tage.
Le gabier Maillard
qui se trouve avec les
torpilleurs-mineurs à
l'avant-dernier rang,
s'en aperçoit en se
retournant ; il s'écrie :
FIG. 280. —• La
Compagnie de débarquement du Galilée pénètre dans Casablanca. « Mais, docteur, ils
sont tout près ! ».
La colonne s'arrête
pour dégager un carrefour par des feux de salve. On en profite pour
faire face aux assaillants.
Le torpilleur Le Gars met en joue les Arabes les plus rapprochés qui se défilent sur le seuil
des portes. Maillard qui ne peut tirer, car il porte un fusil destiné aux hommes du consulat,
et par suite, n'a pas reçu de cartouches, assomme à coups de crosse, autour de lui. Les
autres torpilleurs font place nette à coups de revolver. L'arrière se dégage ainsi et réussit à
éloigner suffisamment l'adversaire pour continuer à suivre le gros à l'allure réduite des blessés.
Bàllande en tête avance toujours. Les hommes excités chassent par leur tir plus précis et
plus nourri comme par leur élan furieux tout ce qui se trouve devant eux. Le long du
chemin, les baïonnettes fouillent les gourbis et les paillottes en roseaux.
NOTRE MARINE ET NOS MARINS
372

Bientôt la tête du détachement débouche devant le consulat où se trouve un poste de


35 soldats du Màghzen grossi par les fanatiques de la mosquée voisine. On leur crie en arabe ::
« Allez-vous-en ! ». Une courte lutte s'engage, les décharges s'entrecroisent; des Askris
s'abattent, d'autres chancellent ; les survivants s'enfuient, laissant la place A'ide.
De la terrasse du consulat, les feux à Arolonté les poursuivent dans les rues. Mais la porte
reste fermée. On crie : « Ouvrez, ouvrez ! » en cognant sur les vantaux. Les défenseurs groupés
sur la terrasse sont tellement occupés à tirer qu'ils ne pensent plus que l'entrée est barricadée

par un piano.
Enfin, des Aroix françaises répondent. On écarte l'ameublement consulaire et les marins
pénètrent dans le jardin.
Bàllande entre le dernier ; les hommes s'effacent sur son passage de chaque côté de l'allée
et A'oyant son Areston blanc rougi par sa main sanglante crient: « Vive le lieutenant ! ». Ils;
ont compris que sans lui, ils ne seraient pas entrés dans Casablanca, ni arrivés au terme.
Labaste n'en peut supporter daA'antage. Il se couche épuisé, suffoqué par le sang, tournant
vers le docteur Brunet des yeux d'angoisse et ce regard de muette interrogation qui Areut dire
tant de choses chez ceux qui sentent la mort.
Pendant ce temps, une contre-attaque furieuse se produisait à la plage, où la situation des
canots qui avaient amené le détachement à terre et qui y restaient échoués devenait très critique.
Les balles pleuA'aient sur eux et les blessés se faisaient nombreux;
Pendant que ses quelques hommes travaillent à remettre les embarcations à flots, l'enseigné
de Araisseau de :Saizieu pointé lui-même et tire sans arrêt la petite pièce de 37mm placée à
l'avant d'un dès canots. Enfin, le convoi peut s'éloigner poursuivi par la fusillade et les
canons des remparts.
A bord du Galilée, l'émotion était intense. On croyait à une promenade militaire et on entend
la terrible fusillade. Que devient le détachement des 66 hommes noyés dans cette ville fanatisée
de 3oooo âmes?
Enfin du consulat on signale : « Détachement arrivé. Bombardez la ville ! » Après quelques
minutes d'une hésitation bien compréhensible, les canons du Galilée ouvrent le feu sur le
bastion du rempart d'où est partie l'attaque, puis sur la A'ille arabe.
Dans le consulat, où sont entassés les Européens, réfugiés tout d'abord sur un vapeur et
qui sont reA'enus. à terre, un certain affolement règne. On regrette l'asile "flottant malgré les
rassurantes affirmations de nos marins que démentent d'ailleurs le bruit crépitant de la fusil-
lade et l'éclatement des obus du Galilée. 5
Dans cette confusion, une femme à cheveux blancs, calme, résolue et souriante, offre son
dévouement et ses services à tous.
Les premiers entrés au consulat l'avaient trouvée dans leVestibule, le revolver à la main;
puis, la maison:occupée par les marins, elle avait dit au docteur Brunet: « De quoi avez-vous
besoin pour vos blessés, de l'eau chaude, du thé, du café? ». C'était Mme Maigret, mère du
vice-consul. Son plus jeune fils, âgé de quinze ans, montrait le même courage. .

Il me plaît, en terminant ce chapitré consacré à perpétuer le souvenir de quelques


faits où éclate, tout au long de l'Histoire, la bravoure de nos marins, officiers et
matelots, d'associer à l'hommage qu'il faut leur rendre, la femme française ! ,
TABLE DES MATIERES

Pages.
PRÉFACE . vu

CHAPITRE 1

Le Port de guerre.

de nos villes maritimes. — Le — Les a. m'enfatort ». — L'heure


Aspect spécial quai de Toulon. des
et celle du canot-major. — Le pointu. — L'arsenal. — Le
permissionnaires préfet maritime et
ses attributions. — Nos — et sa digue. — La rade de
cinq arrondissements maritimes. Cherbourg
Brest. — Le raz de Sein. — Dangers semés aux abords de Brest. — Les grandes marées des côtes
de Bretagne. — Lorient. — Bénédiction des Gourreaux de Groix. — Rochefort et ses rades. Elles
forment un point de refuge qu'on ne saurait abandonner. — Toulon. — Histoire
tragique de ce
— Bizerte et l'arsenal de Sidi-Abdallah. — des arsenaux. — Direc-
port en I7g3. L'organisation
tions. — La salle d'armes et ses magnificences. — Le navire sur sa cale. — Comment on
procède
au lancement. — L'achèvement à flot. — Bassins de radoub et docks flottants. —: Défense de
l'arsenal. — de fond et de blocus. — Les mines sous-marines à Port-Arthur. — Le
Torpilles
désastre du Petropavlovsk. — Les effets d'une — La défense des
panique. ports par les torpilleurs
et les sous-marins.

CHAPITRE II

Le Navire de guerre à travers les âges.

Antiquité du navire de guerre. — Birèmes et trirèmes. — Controverses sur les rames. — Drakkars nor-
mands. — Les nefs des croisés. — Prix d'un passage pour la Terre sainte. — Là Moni-Joye de
saint Louis. — Transformations produites dans le bâtiment de combat par l'introduction des
— Galères et — Galéasses. — Les caravelles de Colomb. —• Les vaisseaux
pièces à feu. galériens.
du xvnc siècle. — Le bâtiment de guerre au siècle de Louis XIV. — Le Soleil royal. — Puget.
— d'un vaisseau et de son armement. — Bôle des — Révolution
Description frégates. par la
— L'hélice. — Le
vapeur. Napoléon de Dupuy de Lôme. •— La cuirasse. — Les croiseurs rapides
en 1876. — Le navire moderne. :— Croiseurs protégés. — Croiseurs cuirassés- — Le tonnage du
cuirassés —Les Dreadnoughl, naval entre l'Angleterre et l'Allemagne. — Etat
—L'antagonisme
TABLE nES MATIÈRES
37^

actuel de la marine — Déclin — Rôle de


française. —Nos futurs cuirassés. du torpilleur. plus en
plus important du croiseur sous-marin . ... . . . . . . 5i

CHAPITRE III

Le Na\rire de guerre moderne. -

Description sommaire d'un cuirassé. — Le caisson blindé renferme les organes vitaux du navire. —
Machines. — à gouverner.
Appareils
Le blockhaus. — Son — Le blockhaus du Césarevitch à la bataille du 10 août igo/5. — La
importance.
— Tube de lancement. — Sous le
torpille automobile. pont cuirassé. — L'efficacité de la torpille
automobile. —; — Les derniers
Quelques exemples démontrent qu'on peut s'en garer. progrès
réalisés. —
L'éperon est abandonné.
Les moyens défensifs. — La cuirasse. — La lutte de la cuirasse et du canon. — Cuirasses de fer. —
Cuirasses d'acier. — Procédé Harvey. — L'acier-nickel. — La cémentation. — Les
épreuves des
plaques.
Chaudières de divers modèles. — Tubes de feu et tubes d'eau. — Le charbon. — Ce qu'en consomme un
navire. — Le rayon d'action. — Ravitaillement, en rade, à la mer. — L'exemple de la flotte
russe de Rodjestvenski. — La chauffe au pétrole. — des bons tuyaulages de vapeur.
L'importance
— Machines. —
Usage de la vapeur en détente. — Machines à multiples — Machines
expansions.
horizontales. — d'une machine de 17500 chevaux. — Les turbines à
verticales, Description
— Installation du Danton. — Examen comparatif
action, à réaction. des turbines des machines
à turbines et alternatives. — Les moteurs à — Le moteur Diesel. — Les moteurs à
explosion.
gaz • < 79

CHAPITRE IV

L'Artillerie navale.

Le canon de marine moderne. — Quelques définitions. — De


quoi et comment est fait un canon.
— La
théorie de la rayure. — Son utilité. — La dérivation. — Confection et usinage d'un canon. —
Tirs d'épreuves. — La vis et sa puissance. — L'obturateur. — Son rôle
primordial. — L'artillerie
à tir rapide. — Nelson en fut l'inventeur et lui doit nombre de victoires. — Artillerie
légère,
— Le
moyenne, grosse. petit canon de VAmiral-Souvarov, au combat de.Tsushima, qui tirait
— Installation d'une tourelle de 3oom. — Gomment on pointe une de ces tourelles. —
toujours !
Le pointage. — Éléments dont il faut tenir compte. — Ce qui se passe quand on tire une pièce
de 3ocm. — La conduite du tir. — Lés projectiles. — La mélinile. — Ses effets au combat
de Tsushima. — La poudre sans fumée. — Sa composition. — Ses avantages et ses inconvénients.
— Elle craint — — h'Iéna. — Installation
trop la chaleur. Quelques exemples d'accidents. des
soutes. — Comment on cherche à y maintenir une température normale. — Surveillance
qu'on
— —
y exerce. Gomment sont confectionnées les charges des canons. Gargousses, douilles, car-
louches. — Noyage des soutes 128

CHAPITRE V

Le Personnel. Officiers, équipages. — La vie à bord.

La valeur du personnel prime tout, en fait de marine. — Les officiers de vaisseau. — Leur recrutement.
— L'Ecole navale. Ce — Fislots et anciens. — L'Ecole d'application. — Les
qu'on y fait. postes
TABLE DES MATIÈRES 375

L'échelle dés grades des officiers dans la marine française. — Nombre d'officiers
d'aspirants,.—
de chaque grade. — Comment ils vivent à bord. — Les tribulations de l'officier en second. —
La gamelle et le cap Fayot. — Officiers des corps auxiliaires. — —
L'équipage. L'inscription
maritime. — Les Écoles de spécialités. — Les exercices. — Lancements de torpilles. •— Le cône
de choc. — Tirs du canon. Comment on apprécie leur justesse. — La journée du marin. —-
Le débrouillard. — Le et ses fonctions. — Le branlebas et les —
maître-coq permissionnaires.
Le hamac, roi des lits. — L'échelle des grades pour le marin. — La m'aislrance. — L'école des
élèves-officiers. . 171

CHAPITRE VI

La Navigation. — Un navire isolé.

Les essais Officiels du navire de guerre. -— Avant de partir pour sa destination le navire règle ses compas.
— cette opération est nécessaire. — Le magnétisme terrestre. — —
Pourquoi Usage du compas.
Comment on trouve sa route sur mer. — La loxodromie et la projection de Mercator. — Le
— de l'officier — Les — Faire 3e
quart. Responsabilité qui le commande. compensations. point.
— Mesure de la vitesse d'un navire. — Sillomètre et loch. — Ce qu'est un noeud marin, et d'où
vient cette expression. — Le — Le sextant et lés hauteurs
point estimé et le point observé. d'astres.
— Deux méridiens — La semaine des deux Jeudi. — Le chronomètre.
origines. Son usage en
-— Un •— Les vents. — — Pluies
navigation. peu de météorologie maritime. Typhons et cyclones.
de sable et de grenouilles. — Courants. — Les
épaves de navires qu'ils promènent..—• Derelicts.
-— — —
Dangers qu'ils font courir aux paquebots. Spectacles que présenté la mer.— Icebergs.
La brume et ses méfaits. — Aurores boréales. — Cétacés, marsouins et poissons volants. — Le
— Un homme à la mer 1 — — Son-
baptême de la Ligne. —Les grandes lames. L'atterrissage.
deur Thomson. — L'odeur de la terre. — bouées et balises. — Les cloches
Phares, signaux par
sous-marines. 217

CHAPITRE VII

La Navigation en groupe. <— Le combat,.

Les escadres et les divisions. — La — de nos forces navales. — Nécessité


marque de l'.amiral. Répartition
de l'homogénéité. — Les modes. — La télégraphie sans fil. •—• Comment
signaux, leurs différents
une escadre se forme pour naviguer, — Services —
pour combattre. que rendent les sémaphores.
La tactique des flottes nombreuses. — Comment une escadre se garde, s'éclaire. —
Dispositions
— — — La guerre de course. — Le
pour la bataille. Le combat. Rôle des croiseurs cuirassés.
droit de visite. — Pirates modernes. — Le
blocus, les effets qu'il peut produire.. ...... . 265

CHAPITRE VIII

Sous l'eau.

mots sur les origines de la navigation sous-marine. — Les — Profondeurs


Quelques scaphandres. qu'ils
d'atteindre. — Le —
permettent repêchage des richesses enfouies sous la mêr. Les galions de
et les
3o millions de la Lutine. — Un sous-marin
Vigo pour la cueillette des épongés.— La
— Un — —
pêche dés perles. peu d'océanographie. Aimé, lé précurseur. Appareils de son-
— Les —- Dès —
dage. plus grands fonds. poissons péchés a 6 000 mètres de profondeur. Bentos,
TABLE DES MATIERES
376

Nekton elPlanklon. •— Les sous-marins modernes.—


Unecroisière de quarante jours.— L'effica-
cité du sôus-marin est démontrée.— Le moteur Diesel. — Le danger des moteurs à essence.
La navigation sous-marine n'est pas plus dangereuse qu'une autre. — Trois malheurs sur près de 60 000
— — La —•
plongées. —. Le périscope. Singulières méprises. torpille, seule arme du sous-marin.
Ce qu'on trouve sur et dans un sOus-mariri. — Gomment on y respire.—*- Un appareil de sauvetage '

pour les équipages de sous-marins. . . . . . . . . . ... ..... . . '. . . .... 307

CHAPITRE IX

Notre marine et nos marins.

Bévéziers. —
Pourquoi on cherchait dans les combats, a prendre l'avantage du vent. — Barfleur. —- Une

scène impressionnante à bord au Soleil royal. — « Messieurs, par ordre du roi! » — Désastre
de La Hougue. —- Les grands corsaires. — Jean Bai-t et Duguay-Trouin. — Guerre de course. —

Piraterie. — Flibustiers et boucaniers. -4- Le pavillon des Frères de la Côte.— Grandeurde là


marine française sous le règne do Louis XYI. — La
tactique du bailli de Suffren.— Le combat
d'Ouessant et la légende du Vengeur. — ;La flotté d'Egypte. Aboukir. — La flottille de Bou-
— — Comment mourut Nelson. •— Navarin. — Écrasement de la flotte turco-
logne. Trafalgar.
— La Crimée. — Nos marins au siège de SébastojraL — des navires
égyplienne. Apparition
cuirassés au bombardement de Kimburm -—Rôle important de la mariné en 1870.— Elle a
maintenu nos communications avec l'étranger et permis à la nation de vivre et de combattre. —
La défense dés forts de Paris parles marins. — Campagne de l'amiral Courbet en Chine.—7 Lès
combats de la rivière Min. ^Prouesses de deux'petits torpilleurs français. — Destruction de la
flotte chinoise. — Le terrible — Comment
Coupa ! on descend une rivière encombrée de forts et
d'obstacles divers. — Les marins du Galilée à Casablanca. —- Les femmes de France au danger. 337

CHMTMS. -— IMPRIMERIE RTJE


DUR.AKD, FULBERT.."
: -VIBi-R'ArR-IB-v^'UJB.'E'RT-;
6.3:,' Boulevard Sai.ht-Gêrmain, Paris, 5e.

FERNAND DECOURT

-.]La WamMe- JÇçrdaleç


au Soudan .
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Un volume 'aô/rô™ BAUCET, -fi photographies
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dramatiques,
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pénétration
vastes de notre
par là même; d'étendre l'influence française dans cette région, l'une des plus belles et des plus
et la connaît à merveille, a voulu
domaine colonial, mais aussi l'une des moins connues. L'auteur, qui l'aime
nous là faire .connaître et aimer.
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les 'plus complets. Très intéressant, très instructif, le livre est également très moral puisqu'il offre aux jeunes
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obtient toujours sa récompense...
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joli 2b/i8cm, occupant
Broché 4 fr. ; relié toile, tête dorée. . 6 l'r. 50
culs-de-lçtmpés spécialement graves pour l'ouvrage.

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quantité
autres. Aussi est-il nécessaire dé les observer si l'on veut apprécier avec fidélité un pays dont le
soigneusement,
charmé et l'intérêt
captivent tout voyageur intelligent.
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et dé faits qui ont le mérite dé la sincérité et de l'exactitude psychologique. Ce sont là des documents précieux,
car ils nous donnent une idée de celle àme chinoise si fuyante, si difficilement sâisissable, et surtout profondé-
ment dissemblable de la nôtre.
des scènes les plus curieuses, des monuments, les plus
, D'admirables,photographies éyoquent quelques-unes
étranges d'un pays d'autant plus séduisant qu'il garde encore pour nous une saveur d'énigme.

',i,.' Précédemment paru,,.dans la même collection que <r En Chine: Choses vues » :

AU JAPON : Choses Vues, CXIVE HOLLAKD. Traduit de l'anglais par


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J.-R. LDGNÉ-PHILIPOK. — 4 fr. ...... 6 fr.
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PAUL DOUMER

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maroquin, tête dorée : 18 fr. .
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sans de à cheval son Il voulait voir
presque seul, escorte, longues expéditions qui effrayaient entourage. par lui-
même. Aussi connaît-il bien le pays. Le récit vécu qu'il nous en fait se substituera à bien des' légendes^ et il
ravivera en foule les souvenirs des militaires, des marins, des fonctionnaires, des colons qui ont été mêlés, de
i8g7 à igoa, aux événements d'Indo-Chinc et de Chine. Partout l'anecdote se mêle aux vues profondés et vient
doubler l'intérêt du récit.
Le livre est écrit surtout la jeunesse. Nous affirmer sera pour elle une école de virilité.
pour pouvons qu'il
M. Doumer a toujours l'admiration et le respect à ceux qui l'approchaient. Dans ces conditions, il pou-
inspiré
vait obtenir beaucoup de ses collaborateurs, et c'est ce qui lui a permis de faire de grandes choses en Indo-Chine.
La belle page d'histoire coloniale a écrite sur la terre d'Asie montre
qu'il que de brillantes destinées sont encore
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L'auteur nous dans leur


ordre la période derniers événe-
présente chronologique, depuis légendaire jusqu'aux
les faits se rattachant tant à l'aviation une
ments, qu'à l'aéroslation. C'est histoire vraiment vivante, où l'auteur
laisse volontiers la aux personnages des époques considérées. Le récit eh prend une saveur
parole contemporains
toute particulière que vient doubler une illustration extrêmement riche et abondante. Nous
assistons, singulière-
ment captivés, aux efforts des inventeurs, aux incessants des aéronautes et des savants de tous
progrès pays
s'acharnanl au et,si nous sommes émus au récit des accidents dont ils sont parfois victimes,
palpitant problème,
la relation de leurs succès nous d'enthousiasme. En fermant cet instructif et intéressant le
pénètre ouvrage,
lecteur, amusé et charmé, l'avenir brillant réservé à la aérienne.
perçoit navigation

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dorées : 14 fr. — Relié dos et coins dorée : 18 fr.
amateur, maroquin, tête

«... Les premiers chapitres de cet ouvrage traitent des microbes en général, de leur naissance, de leurs conditions de vie,
de la manière dont on arrive à les connaître. Ils contiennent, surtout en ce qui concerne la génération bien des
spontanée,
délaîls intéressants et peu connus : car l'auteur l'histoire de cette grande controverse en remontant aussi haut
ajécrit que
et la il s'est donnée à vieilles et vieilles a été
possible, peine qu compulser paperasses estampes récompensée par plus d'une
rurieusc trouvaille. Puis M. Gharpenlier nous fait connaître les microbes bienfaisants nous devons le pain; les
auxquels
boissons fermentées et beaucoup d'autres bonnes choses; l'activité de ces modestes travailleurs, dont on ne'parle le plus
souvent que pour en dire du mal, se chiffre tous les ans à des centaines de millions...
La famille des microbes malfaisants est innombrable aussi : diphtérie, tuberculose, fièvre jaune,
typhoïde, peste, choléra,
paludisme, maladie du sommeil sont les noms des mais M. en étudie bien d'autres encore. Des
plus mauvais, Charpentier
maladies causent, venues des pays lointains, sont surtout et l'histoire de leurs invasions'
qu'ils beaucoup, épidémiques,
montre par quelle voie elles nous arrivent et de retracer, semaine par semaine, leur marche en avant...
permet
13 est heureusement certain ne la même extension le
qu'ils prendraient pas aujourd'hui que par passé : toutes les nations
occidentales se sont armées pour les combattre, et les règlements élaborés en prévision d épidémies en assureront l'extinction
et sur ces soient C'est là le et M.
rapide place, pourvu que règlements appliqués. point délicat, Charpentier qui insiste
beaucoup, et avec raison, sur le çôlê hygiénique et social de la question, sait mieux que personne soulèvent
quelle opposition
des mesures prophylactiques ne sont sans
qui pas gêner quelque peu ceux qui en sont l'objet. La lecture de son livre pourra
convaincre que l'on n'a le choléra, ou la peste que si on le veut bien. » Bévue du
(La Mois).
Librairie VUIBERT, 63, boulevard Saint-Germain, Paris, Ve.

Les Entrailles de la Terre


. (Ouvrage couronné par l'Académie la,.Sociéiè de Géographie commerciale de Paris.)
française'et
Par E. GAUSTIER. —-Un volume 3i ><2icm, titre rouge et noir, illustré de 354 gravures, 4e édi-
— Broché: 10 fr. — Relié toile, fers spéciaux, tranches dorées: 14 fr- -—Relié
tion (1910).
amateur, dos et coins maroquin, tête dorée : 18 fr.

les mines et les carrières, les grottes et les


Avec l'aimable guide qu'est M. CAUSTIER, le lecteur visitera
cavernes ; il observera le feu intérieur que laissent entrevoir les cratères des volcans ; il étudiera les eaux souter-
raines qui jaillissent du sol parles geysers, les sources thermales ou les puits artésiens; descendant dans les gouffres,
il naviguera sur les rivières suivra leur cours capricieux, les verra à l'oeuvre, accomplissant leur
souterraines,
saris trêve ni repos, et rendant en un flot jaillissant ou en fontaines tumultueuses,
besogne de mineur ensuite,
tout ce que le sol avait bu par mille gorgées. Et l'homme, lui-même, dans les gigantesques travaux qu'il accom-
ou passer sous les océans, apparaîtra au lecteur comme un être fantastique, au
plit pour traverser les montagnes
milieu de ce royaume des ténèbres qu'il a su conquérir, parmi les forces naturelles qu'il a domptées, utilisées,
' '
faites siennes.-

L'Océanographie
couronné l'Académie des Sciences.)
(Ouvragé par
du Musée de Monaco. — Un volume
Par le Dr RICHARD, Directeur océanographique 3i/aicm,
titre et noir, illustré de 33g gravures. Broché: 10 fr. — Relié toile, fers spéciaux,
rouge
tranches dorées : 14 fr. — Relié amateur, dos et coins maroquin, tète dorée : 18 fr.

Les études'd'océanographie sont, à l'heure actuelle, en faveur; la création à Paris d'un


particulièrement
Institut dé nombreuses conférences ont attiré sur elles l'attention publique. Nous faire
océanographique,
connaître, au moins dans ses notions.essentielles, celle science dont la constitution et les méthodes datent d'hier,
tel est le but. que se propose le Dr Richard.
L'auteur étudie d'abord l'Océan au point de vue physique et chimique ; puis il passe à l'observation des êtres
vivants qui y pullulent. Lés plus intéressants sont* sans contredit, les habitants des grandes profondeurs, qui
vivent dans un milieu considéré comme impropre à la vie.
longtemps
-. M. le Dr Richard',,qui est un océanographe distingué, nous initie à ces mystères. Au cours de nombreuses
campagnes, il a recueilli toute une documentation extrêmement intéressante qu'il déploie sous nos yeux. Son
texte est commenté élôquemment par des dessins très nets et très exacts, par des photographiés toujours originales
'
et pittoresques. ' '. »

H. HAUSER, professeur à l'Université de Dijon.


par
*fj? couronné l'Académie et la Société de Géographie
(Ouvrage par française
O >" commerciale de Paris.)
,

10 fr.
rouge et noir, illustré
Un volume SiXai0™, titre de magnifiques gravures. Broché:
(2e édition)
— Relié fers spéciaux, tranches dorées : 14 fr Relié amateur, dos et coins tête
,.,. toilej maroquin,
dorée : 18 fr.
L'Or! Il n'est plus rebattu et cependant plus nouveau; il n'en est pas de plus
pas de sujet plus attrayant,
ne saurait raconter l'histoire d'une pièce d'or sans toucher à la chimie et à là physique, à la
Universel, puisqu'on
de l'art et des sciences, à la géographie, à l'économie
géologie et à la minéralogie, à la métallurgie, à l'histoire
politique, à la sociologie. Ce vaste sujet a purement été traité dans son ensemble, M. Hauser a tenté de n'en
sacrifier aucune partie.
Et c'est vraiment, en raccourci, un résumé de l'histoire de l'humanité, de ses longs et courageux efforts vers
lé bien-être, vers la science, vers la civilisation. Tout est dans tout, a-t-on dit bien souvent. Nous dirions
tant de notions, tant
que tout est dans ce livre où, autour d'un mince fil d'or, l'auteur
volontiers a su enrouler
de souvenirs, tant de faits et tant d'idées.

A Travers .T.Électricité
Par G. DARY. — Un volume illustré de belles, gravures, titre et noir,
3i/3icmj 877 rouge
4e édition. — Broché : 10 fr. — Relié
toile, fers spéciaux : 14 fr. — Relié amateur, dos et coins
tête dorée: 18 fr. .
maroquin,
Ce livre est enrichi de belles illustrations ; les unes proviennent dé dessins finement gravés ; les autres de
photographies prises dans.le monde entier.
'
De nos jours l'électricité envahit tout ; elle s'associe de plus en plus à notre existence. On est arrivé à assouplir,
à domestiquer celte force inouïe, et chaque jour marqué de nouveaux progrès ; de sorte que celui qui vit sur les sou-
venirs d'un passé cependant très rapproché et qui cherche à comprendre ce qu'il a sous les yeux, est souvent dérouté.
Le livre de M. Dary sera pour tous un guide précieux. Mais il n'a pas l'aridité d'un traité technique. C'est avant
tout un livre d'élrennes, où la science se fait aimable, où le côté historique a sa large place et où les anecdotes abondent.
-
H est d une lecture attachante, passionnante même en raison des merveilles qu'il étale sous les yeux du lecteur.
PREFACE
CHAPITRE I Le Port de guerre.
Aspect spécial de nos villes maritimes. - Le quai de Toulon. - Les "m'enfatort". - L'heure des permissionnaires et celle du canot-major. - Le pointu. - L'arsenal. - Le préfet
maritime et ses attributions. - Nos cinq arrondissements maritimes. - Cherbourg et sa digue. - La rade de Brest. - Le raz de Sein. - Dangers semés aux abords de Brest. -
Les grandes marées des côtes de Bretagne. - Lorient. - Bénédiction des Courreaux de Groix. - Rochefort et ses rades. Elles forment un point de refuge qu'on ne saurait
abandonner. - Toulon. - Histoire tragique de ce port en 1793. - Bizerte et l'arsenal de Sidi-Abdallah. - L'organisation des arsenaux. - Directions. - La salle d'armes et ses
magnificences. - Le navire sur sa cale. - Comment on procède au lancement. - L'achèvement à flot. - Bassins de radoub et docks flottants. - Défense de l'arsenal. -
Torpilles de fond et de blocus. - Les mines sous-marines à Port-Arthur. - Le désastre du Petropavlovsk. - Les effets d'une panique. - La défense des ports par les torpilleurs
et les sous-marins
CHAPITRE II Le Navire de guerre à travers les âges.
Antiquité du navire de guerre. - Birèmes et trirèmes. - Controverses sur les rames. - Drakkars normands. - Les nefs des croisés. - Prix d'un passage pour la Terre sainte. -
La Mont-Joye de saint Louis. - Transformations produites dans le bâtiment de combat par l'introduction des pièces à feu. - Galères et galériens. - Galéasses. - Les
caravelles de Colomb. - Les vaisseaux du XVIIe siècle. - Le bâtiment de guerre au siècle de Louis XIV. - Le Soleil royal. - Puget. - Description d'un vaisseau et de son
armement. - Rôle des frégates. - Révolution par la vapeur. - L'hélice. - Le Napoléon de Dupuy de Lôme. - La cuirasse. - Les croiseurs rapides en 1876. - Le navire
moderne. - Croiseurs protégés. - Croiseurs cuirassés. - Le tonnage du cuirassé. - Les Dreadnought. - L'antagonisme naval entre l'Angleterre et l'Allemagne. - Etat actuel de
la marine française. - Nos futurs cuirassés. - Déclin du torpilleur. - Rôle de plus en plus important du croiseur sous-marin
CHAPITRE III Le Navire de guerre moderne.
Description sommaire d'un cuirassé. - Le caisson blindé renferme les organes vitaux du navire. - Machines. - Appareils à gouverner.
Le blockhaus. - Son importance. - Le blockhaus du Césarevitch à la bataille du 10 août 1904. - La torpille automobile. - Tube de lancement. - Sous le pont cuirassé. -
L'efficacité de la torpille automobile. - Quelques exemples démontrent qu'on peut s'en garer. - Les derniers progrès réalisés. - L'éperon est abandonné.
Les moyens défensifs. - La cuirasse. - La lutte de la cuirasses et du canon. - Cuirasses de fer. - Cuirasses d'acier. - Procédé Harvey. - L'acier-nickel. - La cémentation. -
Les épreuves des plaques.
Chaudières de divers modèles. - Tubes de feu et tubes d'eau. - Le charbon. - Ce qu'en consomme un navire. - Le rayon d'action. - Ravitaillement, en rade, à la mer. -
L'exemple de la flotte russe de Rodjestvenski. - La chauffe au pétrole. - L'importance des bons tuyautages de vapeur. - Machines. - Usage de la vapeur en détente. -
Machines à multiples expansions. - Machines verticales, horizontales. - Description d'une machine de 17500 chevaux. - Les turbines à action, à réaction. - Installation des
turbines du Danton. - Examen comparatif des machines à turbines et alternatives. - Les moteurs à explosion. - Le moteur Diésel. - Les moteurs à gaz
CHAPITRE IV L'Artillerie navale.
Le canon de marine moderne. - Quelques définitions. - De quoi et comment est fait un canon. - La théorie de la rayure. - Son utilité. - La dérivation. - Confection et usinage
d'un canon. - Tirs d'épreuves. - La vis et sa puissance. - L'obturateur. - Son rôle primordial. - L'artillerie à tir rapide. - Nelson en fut l'inventeur et lui doit nombre de victoires.
- Artillerie légère, moyenne, grosse. - Le petit canon de l'Amiral-Souvarov, au combat de Tsushima, qui tirait toujours! - Installation d'une tourelle de 30cm. - Comment on
pointe une de ces tourelles. - Le pointage. - Eléments dont il faut tenir compte. - Ce qui se passe quand on tire une pièce de 30 cm. - La conduite du tir. - Les projectiles. -
La mélinite. - Ses effets au combat de Tsushima. - La poudre sans fumée. - Sa composition. - Ses avantages et ses inconvénients. - Elle craint trop la chaleur. - Quelques
exemples d'accidents. - L'Iéna. - Installation des soutes. - Comment on cherche à y maintenir une température normale. - Surveillance qu'on y exerce. - Comment sont
confectionnées les charges des canons. - Gargousses, douilles, cartouches. - Noyage des soutes
CHAPITRE V Le Personnel. Officiers, équipages. - La vie à bord.
La valeur du personnel prime tout, en fait de marine. - Les officiers de vaisseau. - Leur recrutement - L'Ecole navale. Ce qu'on y fait. - Fistots et anciens. - L'Ecole
d'application. - Les postes d'aspirants. - L'échelle des grades des officiers dans la marine française. - Nombre d'officiers de chaque grade. - Comment ils vivent à bord. -
Les tribulations de l'officier en second. - La gamelle et le cap Fayot. - Officiers des corps auxiliaires. - L'équipage. - L'inscription maritime. - Les Ecoles de spécialités. - Les
exercices. - Lancements de torpilles. - Le cône de choc. - Tirs du canon. - Comment on apprécie leur justesse. - La journée du marin. - Le débrouillard. - Le maître-coq et
ses fonctions. - Le branlebas et les permissionnaires. - Le hamac, roi des lits. - L'échelle des grades pour le marin. - La maistrance. - L'école des élèves-officiers
CHAPITRE VI La Navigation. - Un navire isolé.
Les essais officiels du navire de guerre. - Avant de partir pour sa destination le navire règle ses compas. - Pourquoi cette opération est nécessaire. - Le magnétisme
terrestre. - Usage du compas. - Comment on trouve sa route sur mer. - La loxodromie et la projection de Mercator. - Le quart. - Responsabilité de l'officier qui le
commande. - Les compensations. - Faire le point. - Mesure de la vitesse d'un navire. - Sillomètre et loch. - Ce qu'est un noeud marin, et d'où vient cette expression. - Le
point estimé et le point observé. - Le sextant et les hauteurs d'astres. - Deux méridiens origines. - La semaine des deux Jeudi. - Le chronomètre. Son usage en navigation.
- Un peu de météorologie maritime. - Les vents. - Typhons et cyclones. - Pluies de sable et de grenouilles. - Courants. - Les épaves de navires qu'ils promènent. - Derelicts.
- Dangers qu'ils font courir aux paquebots. - Spectacles que présente la mer. - Icebergs. - La brume et ses méfaits. - Aurores boréales. - Cétacés, marsouins et poissons
volants. - Le baptême de la Ligne. - Les grandes lames. - Un homme à la mer! - L'atterrissage. - Sondeur Thomson. - L'odeur de la terre. - Phares, bouées et balises. - Les
signaux par cloches sous-marines
CHAPITRE VII La Navigation en groupe. - Le combat.
Les escadres et les divisions. - La marque de l'amiral. - Répartition de nos forces navales. - Nécessité de l'homogénéité. - Les signaux, leurs différents modes. - La
télégraphie sans fil. - Comment une escadre se forme pour naviguer, pour combattre. - Services que rendent les sémaphores. - La tactique des flottes nombreuses. -
Comment une escadre se garde, s'éclaire. - Dispositions pour la bataille. - Le combat. - Rôle des croiseurs cuirassés. - La guerre de course. - Le droit de visite. - Pirates
modernes. - Le blocus, les effets qu'il peut produire
CHAPITRE VIII Sous l'eau.
Quelques mots sur les origines de la navigation sous-marine. - Les scaphandres. - Profondeurs qu'ils permettent d'atteindre. - Le repêchage des richesses enfouies sous la
mer. - Les galions de Vigo et les 30 millions de la Lutine. - Un sous-marin pour la cueillette des éponges. - La pêche des perles. - Un peu d'océanographie. - Aimé, le
précurseur. - Appareils de sondage. - Les plus grands fonds. - Des poissons pêchés à 6000 mètres de profondeur. - Bentos, Nekton et Plankton. - Les sous-marins
modernes. - Une croisière de quarante jours. - L'efficacité du sous-marin est démontrée. - Le moteur Diésel. - Le danger des moteurs à essence.
La navigation sous-marine n'est pas plus dangereuse qu'une autre. - Trois malheurs sur près de 60000 plongées. - Le périscope. - Singulières méprises. - La torpille, seule
arme du sous-marin. - Ce qu'on trouve sur et dans un sous-marin. - Comment on y respire. - Un appareil de sauvetage pour les équipages de sous-marins
CHAPITRE IX Notre marine et nos marins.
Bévéziers. - Pourquoi on cherchait dans les combats, à prendre l'avantage du vent. - Barfleur. - Une scène impressionnante à bord du Soleil royal. - "Messieurs, par ordre
du roi!" - Désastre de La Hougue. - Les grands corsaires. - Jean Bart et Duguay-Trouin. - Guerre de course. - Piraterie. - Flibustiers et boucaniers. - Le pavillon des Frères
de la Côte. - Grandeur de la marine française sous le règne de Louis XVI. - La tactique du bailli de Suffren. - Le combat d'Ouessant et la légende du Vengeur. - La flotte
d'Egypte. - Aboukir. - La flottille de Boulogne. - Trafalgar. - Comment mourut Nelson. - Navarin. - Ecrasement de la flotte turco-égyptienne. - La Crimée. - Nos marins au
siège de Sébastopol. - Apparition des navires cuirassés au bombardement de Kimburn. - Rôle important de la marine en 1870. - Elle a maintenu nos communications avec
l'étranger et permis à la nation de vivre et de combattre. - La défense des forts de Paris par les marins. - Campagne de l'amiral Courbet en Chine. - Les combats de la
rivière Min. - Prouesses de deux petits torpilleurs français. - Destruction de la flotte chinoise. - Le terrible Coupa! - Comment on descend une rivière encombrée de forts et
d'obstacles divers. - Les marins du Galilée à Casablanca. - Les femmes de France au danger

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