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Les Français peints par eux-

mêmes. Tome 2

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


. Les Français peints par eux-mêmes. Tome 2. 1853.

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I

— Est-ce que ta peau n’est pas payée à toi? on dirait que


lu as peur de la gâter. — lluhu ! xi! xi! Mords donc!
pousse dessus ;i mort! Et autres interjections de même
farine. L’apparition d’un sergent de ville signalé à l’ho
rizon par quelque vigie hissée sur la hune d’une borne
dissipe les acteurs et les spectateurs de ce tournoi d’un
nouveau genre.
— Ouf! dit l’un, je crois que j’ai le brochet décro
ché; mais je lui ai joliment labouré la jambe, et mon
coup de ramasse était fameux. Je lui ai pelé la grève
comme une pomme; le zeste est venu. Si j’avais su, je
lui aurais coulé un saut ou fauché le changement de
garde, et il aurait été esquinté à fond.
— Cré-nom ! fait l'autre en rajustant les lambeaux de
son hourgeron, que c’est bête de taper sur les effets du
1

monde. C’est égal, je lui ai envoyé un coup de tampon


sus le mufle, qu’il ne pourra ni becquiller ni licher de
quinze jours. Ho çà! les autres, qu’est-ce qui paye à
boire aux artistes? J'étoufferais volontiers un polichi
nelle de bleu ; rien n’est plus salé que de se bûcher : ça
vous altère... Allons, Auguste, un petit verre de fil en
quatre, histoire de se velouter et de se rebomber le
torse.
La troupe ne peut qu’opiner du bonnet, et s’engouffre
avec un touchant empressement dans la boutique de
quelque marchand de vin suspect, portant une enseigne
hiéroglyphique, comme : les Ruines de Moscou, l'In
secte volage, la Femme sans tête ou le Puits qui parle;
hideux vestiges oubliés dans les recoins obscurs de la ci-
i
vilisation.
Les petites rues tortueuses, les bouges enfumés, ont exercices de son premier emploi avaient assoupli les
toujours beaucoup convenu aux savatiers; la Cité, ce té jambes, et qui montait les coups de pied plus haut
nébreux repaire des truands et des mauvais garçons du qu’aucun des maîtres contemporains. Baptiste, qui avait
moyen âge, a toujours été leur retraite favorite. conservé un vernis d’élégance et de bonne société, eut
Il y a quelques années seulement de cela, lorsque No l’honneur de travailler avec Son Altesse Royale le duc de
tre-Dame n’était pas encore veuve de son archevêché, les Berri. Son Altesse se revêtait, pour ses exercices, d’une
duels et les tournois avaient lieu à la pointe de l’ile, prés espèce d’armure de bras, de poitrine et de jambes en fil
de ce pont que l’on appelle le pont Rouge, sans doute de fer treillissé, recouverte de bourre et de peau. Mais,
parce qu’il est peint en gris : ce lieu désert était propice dans les salles, on ne se servait ni de plastron, ni de
à vider les querelles qui avaient ordinairement pour mo brassards, ni de jambards; seulement l’on tirait le cha
tif la possession de quelque Hélène de bas lieu. Les peau sur la tête, ce qui ne se fait plus aujourd’hui à
champions arrivaient suivis de leurs témoins, et deman cause du développement du jeu. Cette importation de
dai! nt avant de commencer : « Va-t-on de tout? » mœurs anglaises était d’une grande hardiesse pour le
Selon la gravité de l'offense appréciée parles seconds, temps, et, malgré cet exemple princier, l’art sublime de
la réponse était affirmative ou négative. « On va de la savate, de la canne et du bâton resta confiné dans les
tout, » cela voulait dire que l’on pouvait se manger le classes inférieures. A Baptiste succéda Fanfare, qui ti
nez, s’extirper les yeux avec le coup de fourchette, s’ar rait la savate et le bâton; puis vinrent Mignon, Roche-
racher les oreilles, et se servir des dents et des ongles; reau et Carpe, qui ont laissé de brillants souvenirs dans
dans le cas contraire, les coups de pied et les coups de le monde des salles d’armes et des estaminets.
poing étaient seuls permis, différence qui représente as Les rues où se tenaient les classes n’avaient rien de
sez bien les duels au premier sang et les duels à mort. très-élégant. Le vieux Champagne, ancien marin, de
Quand on allait de tout, les bottes secrètes, les coups de meurait rue Mouffetard, et François avait sa salle rue de
traître, tout était bon. En ce temps de barbarie, des maî la Morlellerie. Quand nous disons salle, nous avons
tres montraient aux barrières, pour deux sous, les trois tort; c’est cave qu’il faudrait dire. Les assauts avaient
,

coups : crever le tympan, faire sauter le globe de l’œil lieu effectivement dans une grande cave; les élèves
et couper la langue par un coup dessous le menton. étaient, en général, des ouvriers, ou des garnements
Tout ceci doit paraître à nos lecteurs, et surtout A nos suspects. Toulouse et Gadou montraient la savate aux
lectrices, plus inintelligibleque du bas-breton, du haut- maçons de la Grève. Pour le chausson, on tirait les
allemand, du théolisque ou du grec. C’est du grec, en coups bas, les temps d’arrêt à demi-hauteur; on courait
effet, comme on le parlait jadis en Argos, s’il faut en beaucoup, et l’on moulinait des bras. Le jeu du bâton
croire les étymologistes de la cour des Miracles et du n’était pas développé et se composait principalement des
bagne. Cet argot s’expliquera au fur et à mesure : nous coups de bout, de coupés et d'enlevés-dessous. La canne (

en demandons pardon aux Muses, ;i l’hôtel Rambouillet se tirait comme le sabre.


et aux salons aristocratiques. Le jeu développé fut apporté en France par les prison
La savate, que l’on appelle aujourd’hui chausson, par niers des pontons d’Angleterre : durant les longues
euphémisme, est la boxe française, avec cette différence heures de la captivité, ils s’étaient beaucoup exercés,
que la savate se travaille avec les pieds, et la boxe avec avaient travaillé les coups, et, faute d’autre occupation,
les poings. faisaient assaut du matin jusqu’au soir; ce qui les rendit
Comme tous les autres arts, la savate a eu son mouve les plus redoutables bàtonnistes de l’univers. — La pa
ment ascensionnel, ses phases et ses révolutions. Il y a trie des boxeurs ne pouvait qu’inlluer heureusement sur
la savate classique et la savate romantique : le savatier leur manière : toutefois, le jeu développé resta un ar-
classique est simple comme un tragique du temps de cane entre les plus habiles, et se concentra dans Paris,
l’Empire; il n’emploie qu’un petit nombre de mouve ce foyer lumineux, ce centre intelligent, qui sait tou
ments; ses coups de pied sont bas, et ne montent guère jours avant tous les autres le dernier mot de l’art; la
au-dessus du genou; ses mains restent ouvertes et por province, routinière et fossile, conserva l’ancien jeu. —
tent avec les paumes des coups appelés musettes, qui se Vers 1829, cependant, quelques maîtres de régiment
rapprochent plus du soufflet proprement dit que du coup développaient, mais c’étaient des Parisiens; l’art du
de poing. Ces musettes coiffent ordinairement le menton chausson ne resta pas non plus stationnaire : des nova
ou le nez. Il ne tient pas la parade, et mouline perpé teurs hardis commençaient à placer des coups de poing
tuellement; il manque d’assiette, et ne pourrait tenir de bout A l’anglaise, et le temps d’arrêt en pleine poi
tête à un adversaire sérieux. Son jeu est tout de tradi trine, autrement dit coup de pied en vache, mais bien
tion et de pratique; il ne raisonne pas, et la théorie n’est peu se risquaient à détacher ce coup, de peur de se faire
pas son fort. Ce n’est, en effet, que depuis un petit nom ramasser les jambes.
bre d’années que la savate a été élevée au rang d’art et Toutefois, malgré ces perfectionnements, la savate ne
de science, et s’est placée dans la hiérarchie des exerci comptait que fort peu d’adeptes fashionnables, elle était
ces de corps sur le même rang que l’escrime, l’équita même inconnue des gens du monde; seulement, de
tion ou la danse. temps à autre, il courait quelque histoire merveilleuse
Un petit traité historique de la savate depuis une qua d’un garnement de mine chétive et de pauvre apparence,
rantaine d’années sera ici tout à fait à sa place. — Les ayant à lui seul déconfit tout un peloton de gendarmes
maîtres bâtonistes de Caen avaient de la célébrité avant extrêmement surpris de se trouver assis en un clin d’œil
la Révolution; celle gloire s’abîma comme tant d’autres au beau milieu du ruisseau; et la Gazette des Tribu
dans le gouffre de 93, et il faut sauter jusqu’à l’Empire naux expliquait comme quoi ce succès, dans un combat
et à la Restauration pour trouver dans la mémoire des inégal, était dû aux passes mystérieuses et aux crocs-en-
plus vieux maîtres les noms des rois primitifs qui consti jambe invincibles de la savate; et chacun, dans la rue,
tuent la dynastie de la savate. — Fanfan est le Phara- passait respectueusementà côté de tout individu que sa
mond, le Romulus de cette histoire ; il représente la pé blouse débraillée, sa casquette posée sur l’oreille, son
riode héroïque et fabuleuse; Sabatticr lui succéda; après air crâne et tapageur, pouvaient faire suspecter de con- ;

lui vint Baptiste, ancien danseur à l’Opéra, à qui les naître les mystères de cet art formidable.
lités rigides, la loyauté inviolable, le vif éclat, la netteté thétique du grand art de la savate, nous allons vous in
incisive, et cette union tacite était si bien comprise, que troduire dans une salle de chausson, celle de M. Lecour,
le plus grand éloge que l’on pût donner à quelqu’un, c’é qui est le professeur à la mode, et qui compte parmi scs
tait de dire qu’il était brave comme son épée. Mais nous éléves les lions les plus chevelus et les plus aristocrati
sommes dans une époque peu chevaleresque, et la pro ques de l’Opéra et du boulevard de Gand. Vous voyez
saïque savate doit remplacer la jolie épée française, ce cette file de cabriolets, de tilburys et de coupés qui sta
bijou aigu, cet éclair d’acier qui du moins brillait dans tionnent à l’angle de la rue du Faubourg-Montmartre,
la nuit avant d’arriver à la poitrine d’un homme. tout prés du boulevard : hâtez-vous, c’est jour d’assaut,
La savate, comme on la pratique aujourd'hui, est un et vous auriez peine à trouver place.
art très-compliqué, trés-savant, très-raisonné; c’est l’es La salle d’armes est au rez-de-chaussée, car le piétine
crime sans fleuret. Il y a la tierce, la quarte, l’octave et ment perpétuel serait insupportable aux voisins les plus
le demi-cercle; seulement dans l’escrime on n’a qu’un pacifiques, et les bourgeois proprets partagent la haine
bras, et à la savate on en a quatre; car les jambes dans de Nicole contre les ferrailleurs et les déracineurs de
l’état actuel de la science sont de véritables bras, et les carreaux ; la première pièce s rt d’antichambre et de
pieds deviennent des poings. Les maîtres placent un vestiaire ; contre le mur est appliquée une petite fon
coup de pied dans les gencives ou dans l’œil avec beau taine, qui fournit de l’eau froide pour tremper les coins
coup de facilité : plusieurs même décoiffent leurs ad de mouchoir quand il va des nez compromis à bassiner,
versaires avec le bout du chausson. ce qui ne laisse pas que d’arriver quelquefois.
Le maître de chausson actuel ne ressemble en rien au La salle est une grande pièce tapissée de coutil, en
savatier ancien : c’est un jeune homme de figure douce forme de tente, avec un plancher frotté au grés et à
et prévenante, le sourire sur les lèvres, qui s’exprime l’eau bouillante, pour que le pied morde bien et ne se
correctement et avec un son de voix perlé. Scs manières dérobe pas. Tout autour sont disposées des banquettes
sont d’une distinction parfaite; on le prendrait plutôt élevées sur une marche qui encadre l’arène destinée aux
pour un professeur d’esthétique et de philosophie que combattants; le long des murs sont accrochés les gants
pour un pugiliste; il fume tout au plus des cigarettes de de boxe des élèves, portant chacun leur numéro. Ces
papel espagnol, comme George Sand, et boit de l’eau su gants, dont les doigts ne sont articulés que par-dessous,
crée comme un orateur. Il ne porte ni cravates rouges, ressemblent à des traversins; la peau est de buffle et la
ni gilets violets, ni pantalons fabuleux, ni casquette ex garniture de crin. Les Anglais remplissent les leurs avec
centrique; sa mise est celle d’un fils de famille qui s’ha la plume; mais la plume, plus moelleuse d’abord, ne
billerait bien. — A l’entendre parler de son art, vous tarde pas à se tasser en paquets, et devient plus dure
croiriez être en présence d’un savant de l’Institut, fai que le crin. A côté des gants, qui font trophée avec les
sant des calculs sur l’équilibre et la dynamique : la savate masques, pendent les cannes et les bâtons de longueur.
est en effet un calcul très-exact des forces humaines Les assistants sont rangés au plus prés du mur, afin
combinées avec la libration et la pondération. Après de ne pas gêner les combattants; et, pour ne pas être at
quelques mois d’étude, on est vraiment surpris de l’é teints, dans les coups de grande volée, par les cannes
norme puissance que peut acquérir un muscle bien dé des maîtres qui font assaut, chacun tient en main un
veloppé et bien dirigé, et l’on s’aperçoit que la nature bâton dans la pose d’arrêt, ce qui donne à l’assemblée
n’a pas fait l’homme aussi désarmé que le prétendent les l’apparence d’un chapitre de chanoines assis dans lens
philosophes moroses. Des poings bien fermés selon les stalles un cierge à la main.
principes de l’art valent des marteaux de fer. Le costume du maître est très-pittoresque; il consiste
Le maître de chausson fashionable ne n-églige rien dans un pantalon de laine rouge à pieds, demi-collant,
de ce qui peut perfectionner son jeu. M. Lecour, célè serré à la ceinture et tenant sans bretelles, une chemise
bre professeur, a travaillé avec Adam, le boxeur anglais, rayée de violet ou de bleu, une petite calotte pourpre, et
le redoutable adversaire de Swift. Cette élude lui a beau des gants de boxe avec des crispins vernis.
coup servi pour perfectionner les coups de poing, qui, à L’assaut commence ordinairement par la canne et le
vrai dire, étaient la partie faible de la savate. Les coups bâton. La canne se tire à une seule main, et le bâton à
droits dans la poitrine ou dans la figure sont fouettés et deux mains, comme les espadons et les estocs du moyen
détachés avec une vigueur rare, et si bien calculés, qu’il âge. Avant de commencer, les maîtres se donnent une
ne se perd pas un atome de force; la vitesse est triplée, poignée de mains, puis ils font le salut. Ce salut, où les
et, dans moins d’une seconde, l’on a placé une série ainsi maîtres exécutent avec leurs cannes des arabesques plus
composée : coups de poing sur le nez, sur l’os maxillaire capricieuses que celles décrites par le bâton du fantasti
et dans l’estomac, ou bien coup de pied bas, coup de que caporal Trim-Trim, dans le roman humoristique de
pied haut, et coup de poing. Autrefois l’on ne faisait pas Tristram Shandy, en faisant des sauts et des pas de vol
de séries, et l’on ne liait pas les coups : un assaut actuel tige (la voltige se fait lorsqu’on est attaqué dans la rue
diffère autant d’un assaut ancien, pour la difficulté de par plusieurs personnes ; la rose couverte, que l’on fait
l’exécution et la hardiesse des poses, qu’un morceau de pour salut, est la plus jolie arabesque dessinée au bâton
Hertz ou de Kalbrenner d’une sonate de Steibelt. Il y a que l’on puisse voir; les voltés, les écarts de côte, les
dix ans, tout cela eût paru impraticable. coups de travers pieu vent drus comme grêle); ce salut
On se tromperait beaucoup si l’on représentait les maî est vraiment très-gracieux et très-élégant. Après cela,
tres de chausson comme des gens de carrure athlétique; les maîtres se mettent en garde, et les hostilités sont
ils ne tiennent en rien de 1 Hercule et du lutteur; ils ouvertes, les cannes tourbillonnent et s’entre-choquent
sont ordinairement de taille moyenne, ont les extrémités en pétillant; quand le coup porte, le vaincu s’écrie:
fines et les mains petites.
— Plus d’une femme envierait « Touché, bien touché, » et l’on reprend la
garde. Comme
les mains de Swift; mais ces mains délicates, si elles ont les combattantsn’ont ni masques, ni plastrons, les coups
la blancheur du marbre, en ont aussi la dureté; et, dé doivent être retenus : ils le sont presque toujours au dé
tachées parles puissants muscles des épaules, meurtris but de la lutte; mais quelquefois les adversaires s’é
sent les chairs comme un caillou lancé par une fronde. chauffent, et l’assaut ne diffère pas beaucoup d’une vé
Maintenant que nous vous avons fait l’histoire et l’es ritable bataille. Aussi, l’assaut terminé, les combattants
s’embrassent pour montrer cju ils ne se gardent pas ran son pied derrière le talon de son ennemi, on ramène à I

cune, et n’ont aucun fiel dans le cœur. Cette coutume a soi par un mouvement de brusque saccade qui se donne
quelque chose de loyal, de louchant, et doit prévenir avec le coude-pied, et il tombe d’un seul temps. On peut
bien des querelles. L’agilité et la prestesse des maîtres encore très aisément renverser quelqu’un en lui donnant
bàtonnistes sont réellement effrayantes. M. Lecour exé un tour de clef à la cravate, et en lui passant la main
cute en une minute des carrés composés de vingt coups sous le jarret, ce qui lui fait perdre l’équilibre.
sur chaque face, il a même été jusqu’à deux cents coups Nous écririons un volume si nous voulions indiquer
de bâtons à la minute, ce qui est prodigieux; l'on ne voit tou es les ruses et toutes les ressources de la savate.
pas le bâton, on l’entend seulement sifller. Toutes les attaques sont prévues et déjouées.
Les assauts de savate viennent ensuite. Les coups de Si un homme vous attaque et vous prend par le col
pied, les coups de poing se suivent et ne se ressemblent let, vous lui saisissez le poignet a deux mains et vous
pas, mais ce spectacle n’a rien de repoussant, les mou faites un revers sur les talons : le coude de l’assaillant
vements sont si justes, si précis, si bien raisonnés, si se trouve placé sur votre épaule; vous faites une pesée
bien calculés, que toute idée de douleur est éloignée : on qui lui rompt le bras placé à faux à l’articulation de la
croirait plutôt assister à une leçon de voltige qu'à un saignée.
combat; les temps d’arrêt, les coups de pied exécutés Si un homme très-vigoureux vous entoure de ses bras et
par Lecour et son frère, sont aussi gracieux qu’un temps que vous ne puissiez vous dégager, appliquez-lui la paume
d'arabesque de Perrot, le merveilleux danseur. Les com de la main sur le menton ou sur le nez, pour lui renverser
battants, suspendus au milieu d’un tourbillon de bras et la tête en arrière ; la douleur qu’il éprouvera sera si
de jambes, semblent ne pas tenir à la terre, Auriol n’est atroce, qu’il lâchera prise sur-le-champ.
pas plus vif, plus pétulant et plus allègre; et cependant On lient aussi la tête de son antagoniste sous le bras,

!
ces mouvements si prompts, si lestes, sont d’une force en parapluie, et on lui fourre des séries de coups de
prodigieuse: le plus faible de ses coups vous renverse poing dans la figure. Si, en lançant un coup de pied haut,
rait. vous avez la jambe ramassée, faites un revers, et vous
Voici quelques-unesdts poses qui se pratiquent. On tomberez en équilibre sur vos deux mains; mais le coup
donne des coups de tête dans la figure et dans l’estomac : de pied dit temps d'arrêt est si vite passé, et son effet
pour cela on saisit l'adversaire par le collet ou par la est si violent, qu’il n’y a guère de danger de ce côté-là.
!
tête, et en l’attirant vers soi on lance le coup. Quand ces coups sont portés sérieusement et les mains
Si votre adversairecourt sur vous, vous placez le coup nues, ils sont de nature à causer des blessures graves et
de tête dans l’estomac, vous lui saisissez en même temps même la mort.
les deux jarrets pour le renverser; quelquefois, comme Vous voyez que la savate est une science profonde,
une arabesque fantastique, comme ccs parafes à main qui exige beaucoup de sang-froid, de réflexion, de cal
levée que l’on fait au bout d'une page dont on est con cul, d’agilité et de force; c’est le plus beau développe
tent, vous le faites passer par-dessus votre tête, et vous ment de la vigueur humaine, une lutte sans autres ar- |

l’envoyez, en manière de fioriture, décrire une parabole mes que les armes naturelles, et où l’on ne peut jamais j

derrière vous. être pris au dépourvu.


Ce coup, comme toutes les botks possibles, a sa pa Ce spectacle est tellement attrayant, que plusieurs
rade : en l’exécutant, vous pouvez être saisi par la nuque: g, ns du grand monde font dans leur appartement une
,

plié à terre et recevoir sur le nez un coup de genou ou salle où ils s’exercent eux-mêmes, prennent leçon, et font j

un coup de poing fourré. faire assaut entre les maîtres de réputation. Lecour a fait
Il y a aussi une infinité de moyens pour jeter son assaut chez lord S... avec Loze, le premier maître de
homme par terre : le passement de jambe du jarret Bordeaux; et M. de NV... a une salle ou se réunissent les
<1 le passement de jambe du coude-pied. Le premier élégants de la loge infernale du Jockey’s-Club; il y en aune
sc pratique en croisant la jambe derrière le jarret de aussi chez M. le duc V Michel Pisseux a donné des le- !

..
l’adversaire, que l’on saisit simultanément par le col; çons au duc d’Orléans. La savate est désormais désenca- |

on tend le jarret vigoureusement, on le pousse, il perd maillée, et prendra dans les pensionnats place à côté de
!

pied, chancelle et tombe; dans le second cas, l’on pose

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