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coups : crever le tympan, faire sauter le globe de l’œil lieu effectivement dans une grande cave; les élèves
et couper la langue par un coup dessous le menton. étaient, en général, des ouvriers, ou des garnements
Tout ceci doit paraître à nos lecteurs, et surtout A nos suspects. Toulouse et Gadou montraient la savate aux
lectrices, plus inintelligibleque du bas-breton, du haut- maçons de la Grève. Pour le chausson, on tirait les
allemand, du théolisque ou du grec. C’est du grec, en coups bas, les temps d’arrêt à demi-hauteur; on courait
effet, comme on le parlait jadis en Argos, s’il faut en beaucoup, et l’on moulinait des bras. Le jeu du bâton
croire les étymologistes de la cour des Miracles et du n’était pas développé et se composait principalement des
bagne. Cet argot s’expliquera au fur et à mesure : nous coups de bout, de coupés et d'enlevés-dessous. La canne (
lui vint Baptiste, ancien danseur à l’Opéra, à qui les naître les mystères de cet art formidable.
lités rigides, la loyauté inviolable, le vif éclat, la netteté thétique du grand art de la savate, nous allons vous in
incisive, et cette union tacite était si bien comprise, que troduire dans une salle de chausson, celle de M. Lecour,
le plus grand éloge que l’on pût donner à quelqu’un, c’é qui est le professeur à la mode, et qui compte parmi scs
tait de dire qu’il était brave comme son épée. Mais nous éléves les lions les plus chevelus et les plus aristocrati
sommes dans une époque peu chevaleresque, et la pro ques de l’Opéra et du boulevard de Gand. Vous voyez
saïque savate doit remplacer la jolie épée française, ce cette file de cabriolets, de tilburys et de coupés qui sta
bijou aigu, cet éclair d’acier qui du moins brillait dans tionnent à l’angle de la rue du Faubourg-Montmartre,
la nuit avant d’arriver à la poitrine d’un homme. tout prés du boulevard : hâtez-vous, c’est jour d’assaut,
La savate, comme on la pratique aujourd'hui, est un et vous auriez peine à trouver place.
art très-compliqué, trés-savant, très-raisonné; c’est l’es La salle d’armes est au rez-de-chaussée, car le piétine
crime sans fleuret. Il y a la tierce, la quarte, l’octave et ment perpétuel serait insupportable aux voisins les plus
le demi-cercle; seulement dans l’escrime on n’a qu’un pacifiques, et les bourgeois proprets partagent la haine
bras, et à la savate on en a quatre; car les jambes dans de Nicole contre les ferrailleurs et les déracineurs de
l’état actuel de la science sont de véritables bras, et les carreaux ; la première pièce s rt d’antichambre et de
pieds deviennent des poings. Les maîtres placent un vestiaire ; contre le mur est appliquée une petite fon
coup de pied dans les gencives ou dans l’œil avec beau taine, qui fournit de l’eau froide pour tremper les coins
coup de facilité : plusieurs même décoiffent leurs ad de mouchoir quand il va des nez compromis à bassiner,
versaires avec le bout du chausson. ce qui ne laisse pas que d’arriver quelquefois.
Le maître de chausson actuel ne ressemble en rien au La salle est une grande pièce tapissée de coutil, en
savatier ancien : c’est un jeune homme de figure douce forme de tente, avec un plancher frotté au grés et à
et prévenante, le sourire sur les lèvres, qui s’exprime l’eau bouillante, pour que le pied morde bien et ne se
correctement et avec un son de voix perlé. Scs manières dérobe pas. Tout autour sont disposées des banquettes
sont d’une distinction parfaite; on le prendrait plutôt élevées sur une marche qui encadre l’arène destinée aux
pour un professeur d’esthétique et de philosophie que combattants; le long des murs sont accrochés les gants
pour un pugiliste; il fume tout au plus des cigarettes de de boxe des élèves, portant chacun leur numéro. Ces
papel espagnol, comme George Sand, et boit de l’eau su gants, dont les doigts ne sont articulés que par-dessous,
crée comme un orateur. Il ne porte ni cravates rouges, ressemblent à des traversins; la peau est de buffle et la
ni gilets violets, ni pantalons fabuleux, ni casquette ex garniture de crin. Les Anglais remplissent les leurs avec
centrique; sa mise est celle d’un fils de famille qui s’ha la plume; mais la plume, plus moelleuse d’abord, ne
billerait bien. — A l’entendre parler de son art, vous tarde pas à se tasser en paquets, et devient plus dure
croiriez être en présence d’un savant de l’Institut, fai que le crin. A côté des gants, qui font trophée avec les
sant des calculs sur l’équilibre et la dynamique : la savate masques, pendent les cannes et les bâtons de longueur.
est en effet un calcul très-exact des forces humaines Les assistants sont rangés au plus prés du mur, afin
combinées avec la libration et la pondération. Après de ne pas gêner les combattants; et, pour ne pas être at
quelques mois d’étude, on est vraiment surpris de l’é teints, dans les coups de grande volée, par les cannes
norme puissance que peut acquérir un muscle bien dé des maîtres qui font assaut, chacun tient en main un
veloppé et bien dirigé, et l’on s’aperçoit que la nature bâton dans la pose d’arrêt, ce qui donne à l’assemblée
n’a pas fait l’homme aussi désarmé que le prétendent les l’apparence d’un chapitre de chanoines assis dans lens
philosophes moroses. Des poings bien fermés selon les stalles un cierge à la main.
principes de l’art valent des marteaux de fer. Le costume du maître est très-pittoresque; il consiste
Le maître de chausson fashionable ne n-églige rien dans un pantalon de laine rouge à pieds, demi-collant,
de ce qui peut perfectionner son jeu. M. Lecour, célè serré à la ceinture et tenant sans bretelles, une chemise
bre professeur, a travaillé avec Adam, le boxeur anglais, rayée de violet ou de bleu, une petite calotte pourpre, et
le redoutable adversaire de Swift. Cette élude lui a beau des gants de boxe avec des crispins vernis.
coup servi pour perfectionner les coups de poing, qui, à L’assaut commence ordinairement par la canne et le
vrai dire, étaient la partie faible de la savate. Les coups bâton. La canne se tire à une seule main, et le bâton à
droits dans la poitrine ou dans la figure sont fouettés et deux mains, comme les espadons et les estocs du moyen
détachés avec une vigueur rare, et si bien calculés, qu’il âge. Avant de commencer, les maîtres se donnent une
ne se perd pas un atome de force; la vitesse est triplée, poignée de mains, puis ils font le salut. Ce salut, où les
et, dans moins d’une seconde, l’on a placé une série ainsi maîtres exécutent avec leurs cannes des arabesques plus
composée : coups de poing sur le nez, sur l’os maxillaire capricieuses que celles décrites par le bâton du fantasti
et dans l’estomac, ou bien coup de pied bas, coup de que caporal Trim-Trim, dans le roman humoristique de
pied haut, et coup de poing. Autrefois l’on ne faisait pas Tristram Shandy, en faisant des sauts et des pas de vol
de séries, et l’on ne liait pas les coups : un assaut actuel tige (la voltige se fait lorsqu’on est attaqué dans la rue
diffère autant d’un assaut ancien, pour la difficulté de par plusieurs personnes ; la rose couverte, que l’on fait
l’exécution et la hardiesse des poses, qu’un morceau de pour salut, est la plus jolie arabesque dessinée au bâton
Hertz ou de Kalbrenner d’une sonate de Steibelt. Il y a que l’on puisse voir; les voltés, les écarts de côte, les
dix ans, tout cela eût paru impraticable. coups de travers pieu vent drus comme grêle); ce salut
On se tromperait beaucoup si l’on représentait les maî est vraiment très-gracieux et très-élégant. Après cela,
tres de chausson comme des gens de carrure athlétique; les maîtres se mettent en garde, et les hostilités sont
ils ne tiennent en rien de 1 Hercule et du lutteur; ils ouvertes, les cannes tourbillonnent et s’entre-choquent
sont ordinairement de taille moyenne, ont les extrémités en pétillant; quand le coup porte, le vaincu s’écrie:
fines et les mains petites.
— Plus d’une femme envierait « Touché, bien touché, » et l’on reprend la
garde. Comme
les mains de Swift; mais ces mains délicates, si elles ont les combattantsn’ont ni masques, ni plastrons, les coups
la blancheur du marbre, en ont aussi la dureté; et, dé doivent être retenus : ils le sont presque toujours au dé
tachées parles puissants muscles des épaules, meurtris but de la lutte; mais quelquefois les adversaires s’é
sent les chairs comme un caillou lancé par une fronde. chauffent, et l’assaut ne diffère pas beaucoup d’une vé
Maintenant que nous vous avons fait l’histoire et l’es ritable bataille. Aussi, l’assaut terminé, les combattants
s’embrassent pour montrer cju ils ne se gardent pas ran son pied derrière le talon de son ennemi, on ramène à I
cune, et n’ont aucun fiel dans le cœur. Cette coutume a soi par un mouvement de brusque saccade qui se donne
quelque chose de loyal, de louchant, et doit prévenir avec le coude-pied, et il tombe d’un seul temps. On peut
bien des querelles. L’agilité et la prestesse des maîtres encore très aisément renverser quelqu’un en lui donnant
bàtonnistes sont réellement effrayantes. M. Lecour exé un tour de clef à la cravate, et en lui passant la main
cute en une minute des carrés composés de vingt coups sous le jarret, ce qui lui fait perdre l’équilibre.
sur chaque face, il a même été jusqu’à deux cents coups Nous écririons un volume si nous voulions indiquer
de bâtons à la minute, ce qui est prodigieux; l'on ne voit tou es les ruses et toutes les ressources de la savate.
pas le bâton, on l’entend seulement sifller. Toutes les attaques sont prévues et déjouées.
Les assauts de savate viennent ensuite. Les coups de Si un homme vous attaque et vous prend par le col
pied, les coups de poing se suivent et ne se ressemblent let, vous lui saisissez le poignet a deux mains et vous
pas, mais ce spectacle n’a rien de repoussant, les mou faites un revers sur les talons : le coude de l’assaillant
vements sont si justes, si précis, si bien raisonnés, si se trouve placé sur votre épaule; vous faites une pesée
bien calculés, que toute idée de douleur est éloignée : on qui lui rompt le bras placé à faux à l’articulation de la
croirait plutôt assister à une leçon de voltige qu'à un saignée.
combat; les temps d’arrêt, les coups de pied exécutés Si un homme très-vigoureux vous entoure de ses bras et
par Lecour et son frère, sont aussi gracieux qu’un temps que vous ne puissiez vous dégager, appliquez-lui la paume
d'arabesque de Perrot, le merveilleux danseur. Les com de la main sur le menton ou sur le nez, pour lui renverser
battants, suspendus au milieu d’un tourbillon de bras et la tête en arrière ; la douleur qu’il éprouvera sera si
de jambes, semblent ne pas tenir à la terre, Auriol n’est atroce, qu’il lâchera prise sur-le-champ.
pas plus vif, plus pétulant et plus allègre; et cependant On lient aussi la tête de son antagoniste sous le bras,
!
ces mouvements si prompts, si lestes, sont d’une force en parapluie, et on lui fourre des séries de coups de
prodigieuse: le plus faible de ses coups vous renverse poing dans la figure. Si, en lançant un coup de pied haut,
rait. vous avez la jambe ramassée, faites un revers, et vous
Voici quelques-unesdts poses qui se pratiquent. On tomberez en équilibre sur vos deux mains; mais le coup
donne des coups de tête dans la figure et dans l’estomac : de pied dit temps d'arrêt est si vite passé, et son effet
pour cela on saisit l'adversaire par le collet ou par la est si violent, qu’il n’y a guère de danger de ce côté-là.
!
tête, et en l’attirant vers soi on lance le coup. Quand ces coups sont portés sérieusement et les mains
Si votre adversairecourt sur vous, vous placez le coup nues, ils sont de nature à causer des blessures graves et
de tête dans l’estomac, vous lui saisissez en même temps même la mort.
les deux jarrets pour le renverser; quelquefois, comme Vous voyez que la savate est une science profonde,
une arabesque fantastique, comme ccs parafes à main qui exige beaucoup de sang-froid, de réflexion, de cal
levée que l’on fait au bout d'une page dont on est con cul, d’agilité et de force; c’est le plus beau développe
tent, vous le faites passer par-dessus votre tête, et vous ment de la vigueur humaine, une lutte sans autres ar- |
l’envoyez, en manière de fioriture, décrire une parabole mes que les armes naturelles, et où l’on ne peut jamais j
plié à terre et recevoir sur le nez un coup de genou ou salle où ils s’exercent eux-mêmes, prennent leçon, et font j
un coup de poing fourré. faire assaut entre les maîtres de réputation. Lecour a fait
Il y a aussi une infinité de moyens pour jeter son assaut chez lord S... avec Loze, le premier maître de
homme par terre : le passement de jambe du jarret Bordeaux; et M. de NV... a une salle ou se réunissent les
<1 le passement de jambe du coude-pied. Le premier élégants de la loge infernale du Jockey’s-Club; il y en aune
sc pratique en croisant la jambe derrière le jarret de aussi chez M. le duc V Michel Pisseux a donné des le- !
..
l’adversaire, que l’on saisit simultanément par le col; çons au duc d’Orléans. La savate est désormais désenca- |
on tend le jarret vigoureusement, on le pousse, il perd maillée, et prendra dans les pensionnats place à côté de
!