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LES ESCLAVES
DU
PACHA D’AÏDIN
A mes petits-fils :
Gérard et Jçan Berdoidat.
PREMIERE PARTIE
L’EXIL
CHAPITRE PREMIER
Halte!
— Halte!
— double injonction claqua
La comme des coups
de pistolet, de chaque côté d’un sentier malaisé,
courant à flanc de montagne dans les environs des
sources de la Sègre, avant que cette rivière, quit
tant le territoire français, ne pénètre en Espagne.
Le voyageur auquel ce cri s’adressait, s’immobi
lisa un instant.
Il scruta les buissons d’arbousiers qui bordaient
le chemin, ne distingua rien, haussa les épaules et
se remit en route.
C’était un jeune homme, grand, bien découplé,
qui semblait n’avoir qu’à peine dépassé la première
vingtaine d’années. De jolie figure régulière, ses
yeux étaient vifs et des boucles brunes se glissaient
hors du foulard qui lui entourait la tête.
Il portait un vêtement de velours à côtes, des
Sont réservét tous droits de traduction, d’adaptation, de mise
au théâtre et au cinématographe.
Copyright J. FERENCZl ET FILS. 1930.
souliers ferrés et des guêtres montant au-dessus
des genoux.
Une ceinture lui ceignait les reins, dans laquelle,
pour être plus libre dans sa marche, il avait passé
son manteau.
Malgré la simplicité de son vêtement un obser
vateur ne' se serait pas mépris sur son rang et ne
l’aurait certainement jamais confondu avec un de
ces sans-culotte qui, en cette fin de printemps 1793,
prétendaient exercer sur tout le pays une sanglante
autorité.
Ayant repris sa marche, il retomba bientôt dans
les pensées pénibles qui semblaient l’assaillir avant
cette halte imprévue.
Cependant, de*temps à autre, il ralentissait, glis
sait les mains aux poches de sa veste de chasse où
il portait des pistolets, tournait la tête de chaque
côté pour essayer de surprendre dans les taillis les
mouvements qui suivraient le double appel impé
rieux.
Mal lui prit, d’ailleurs, de ne pas surveiller plus
attentivement le sol sur lequel il avançait car, a un
moment où il tentait de percevoir des bruits sous
les arbustes, il trébucha contre une corde tendue
en travers du sentier et tomba de tout son long, la
face en avant.
Quelqu’un bondit sur lui. Un genoux dur lui
comprima les reins. Ses coudes furent tirés en ai-
iière et fixés par des cordes.
On le remit sur ses pieds.
Deux hommes l’encadraient. ^
Us avaient des figures farouches et étaient vêtus
tous deux d’une sorte de chemise passée dans une
culotte de cuir et maintenue à la taille par une cein
ture rouge faisant plusieurs fois le tour et dans la
quelle étaient glisses deux pistolets.
Aux pieds, ils portaient des sandales à semelles
de corde et des jambières en grosse laine rude
maintenues par les lanières croisées des sandales.
LES ESCLAVES DU PACHA D’AÏDIN 5
CHAPITRE III
La vie avait coulé sans heurt au château de Ver-
neilhac, où était né notre héros, pendant les pre
mières années de la Révolution.
C’était au-dessus d’un paysage verdoyant sur un
éperon rocheux, la masse sombre de deux tours
coiffées en poivrières, reliées par un mur d’en
ceinte en mauvais état, au delà duquel pointaient
les hautes cheminées historiées et le toit en pente
d’un logis renaissance.
De cette retraite, on dominait la vallée de la
Garonne un peu en amont de Langôn.
Le village se blotissait au pied du contrefort,
tranquille et gai, sous un ciel clément qui donnait
du soleil assez pour sucrer les grains de la vigne
et de la pluie en quantité suffisante pour grossir
les épis de maïs.
Mais Bordeaux était malheureusement proche.
Et l’esprit exalté des clubs enflammait d’honnêtes
convaincus et des gredins avides.
Heureux ceux qui n’avaient affaire qu’aux pre
miers.
Quelques semaines avant que ne commence no-
tre histoire, deux hommes cheminaient un matin
sur la route mal entretenue que l’on nommait en
core « le Pavé du Roi ».
La. chaleur excusait peut-être le débraillé de leur
mise et la sueur coulait sur leur front mélangée à
la poussière pour tracer sur les visages des sillons
hideux qui complétaient les stigmates que les vices
y avaient déjà creusés.
Au bout d’un bâton, un baluchon de peu de
poids se balançait sur leur épaule. Ils étaient vê
tus d’une carmagnole et d’un pantalon rayé. Au
tour de leur tète était enroulé un foulard.
Tels qu’ils étaient, ils représentaient l’écume
des bas quartiers de Bordeaux. Las d’opérer —
conviction révolutionnaire — dans cette ville
sans
riche, où la plupart de leurs dénonciations profi
taient davantage à de plus puissants, ils avaient
pris la campagne pensant bien arriver à d’autres
résultats, dans des endroits où ce seraient eux qui
crieraient le plus fort.
Tandis qu’ils avançaient, dans la poussière, ils
aperçurent de la route le château de Verneilhac.
Tu as vu? fit Tun d’eux en poussant du coude
—
son camarade.
Quoi?... Et puis n’y vas pas si fort, eh! Musa
—
raigne, tu m’esquintes!
Le château!
— Què château?
— tè, celui-là vois-tu pas, vieux Passe-
— Et
Boules?
Vrai de vrai, c’en est un!
— ...Et des cheminées qui fument...
— ...Et village au pied.-
un
— deux compères
Les se regardèrent :
Si qu’on irait? firent-ils tous deux à la fois.
—S’engageant sur un chemin de traverse, ils se
dirigèrent vers le malheureux village.
La première maison qu’ils rencontrèrent était
naturellement l’auberge. La porte était encadrée
de vignes et des bancs étaient disposés de chaque
côté, le long du mur.
Ils y entrèrent en conquérants :
— Salut et Fraternité! crièrent-ils dès le seuil.
Cette formule de politesse, bien qu’on ne l’igno
rât point, était d’un usage assez rare dans le pays,
pour qu’elle frappât l’aubergiste, occupé, dans un
réduit voisin, à rincer des bouteilles.
Il s’avança vivement, tenant à la main sa toque
et malgré qu’il eût été impressionné défavorable
ment par l’aspect de ses hôtes, il omit de changer
la formule ordinaire de sa profession et demanda:
Que puis-je vous servir, Messieurs?
Les deux individus s’arrêtèrent, se tournèrent
l’un vers l’autre, hochèrent la tête :
—
Musareigne! fit Passe-Boules, Musareigne,
m’est avis que nous n’avons rien à faire dans ce
sacré pays.
L’autre hocha la tête d’un air dubitatif :
— Voire! fit-il.
— Eh quoi! poursuivit Passe-Boules, tu ne vois
donc pas que les gens — il prononçait ginsses —
ici, ils ne connaissent pas les bienfaits de l’Ega
lité. Ils gémissent encore sous le joug des tyrans...
Et tu veux frayer avec — il prononçait aoè — ces
esclaves...
— Passe-Boules! Passe-Boules! Tu ne veux
donc pas répandre les bonnes idées. Ces gens, ils
ne savent pas et tous les champs, ils sont de bonne
terre. Tu ne voudrais donc pas en arracher la mau
vaise herbe.
— Mon petit Musareigne, tu as peut-être raison.
Arrive ici, esclave, continua-t-il en s’adressant à
l’aubergiste.
- Pendant ce dialogue, l’aubergiste inquiet tour
nait entre ses doigts sa toque blanche.
' Il pesait alternativement sur chaque pied en ap
puyant la pointe et en levant le talon, ce qui lui
donnait l’air de danser à la façon des ours des Py-
20 LES ESCLAVES DU PACHA D'ANDIN
CHAPITRE IV
Cependant, dans le village, le bruit s’était ré
pandu que deux étrangers de mauvaise mine ve
naient d’entrer à l’auberge.
Le petit apprenti du forgeron s’était dissimulé
près de la porte, derrière un des pieds de vigne qui
encadraient celle-ci, et avait été témoin de toute la
scène.
Bientôt chacun fut au «ourant de l’événement
et se demanda ce qui pourrait bien en découler.
Les langues se mirent de la partie. On chuchota
entre soi. Les commères s’en mêlèrent.
Verneilhac était assez loin du trafic pour s’être
à l’abri de tous les ennuis les dangereux
cru —
régime.
ennuis — que créait le nouveau
Ses habitants se félicitaient d’être en sûreté —
ils le croyaient, les pauvres! — et espéraient conti
nuer leur vie paisible.
24 LES ESCLAVES DU PACHA 4>’AÏDIN
CHAPITRE V
Marie-Egalité s’était aisément rendu compte
qu’avec des hommes de mentalité aussi basse, qui
11e connaissaient que la haine, surtout l’envie, rai
sonnaient à faux aux noms des principes sacrés, et
ne savaient tirer des plus belles utopies que des
conclusions de sectaires, il était inutile de chercher
à faire prévaloir les lois d’amour du prochain et
(le reconnaissance pour les bienfaits
Elle avait résolu, en conséquence, reçus.
de paraître
abonder dans le sens de leurs desseins cachés,
d’arranger avec eux la persécution qui leur donne
rait satisfaction et. lorsque l’action serait mûre.
LES ESCLAVES DU PACHA d’aÏDIN 29
!•’
Armés de
• • ...
Ils avaient créé une milice.
fourches, de lléaux, de pistolets rouil-
lés, de sabres ébréchés, les plus jeunes villageois
avaient été embrigadés sous les ordres de Passe-
Boules et de Musareigne.
Les exercices de cette valeureuse cohorte se ter
minaient le plus souvent chez Dumas, aux frais
du pauvre hôtelier.
Marie-Egalité présidait toujours ces agapes. Elle
qui avait pensé diriger le mouvement, ne permettre
que ce qu’elle voulait, se trouvait surprise, dépas
sée par les événements.
Le jour où, poussés par l’éloquence redondante
des deux soi-disant envoyés des clubs, les villa
geois acceptèrent de se saisir enfin du jeune André
de Verneilhac, c’est à peine si quelques minutes
seulement avant l’arrivee de la troupe qui inter
rompit la fête familiale, elle put faire prévenir le
jeune homme par le vieux serviteur.
i*i • ;* • • • i lt: i». *“
LES ESCLAVES DU PACHA d’aÏDIN 37
— Je l’ignore. voilà
-
Cependant, son couvert...
— 11 est vrai. Mais il est vrai, aussi, qu’il a
aujourd’hui vingt et un ans et qu’il y a un instant
je viens de lui ordonner de voyager pour acquérir
de l’expérience.
— Ah! Ah! firent le deux drôles. Cologne...
...
Aix-la-Chapelle... Cobourg... le vieux Brunswick...
— Vous mentez! s’écria le'seigneur.
— La preuve? demandèrent tout doucement
...
Capdenac et Mazaniel.
M. de Verneilhac courba la tète. Des larmes mon
tèrent aux yeux de la comtesse et de sa fille.
— ... Eh bien! la preuve... répétèrent les argou-
sins.
— Ma parole d’honneur!
Une...cascade de rires secoua ses adversaires. Les
paysans, eux, n’étaient plus aussi convaincus que
M. de Verneilhac disait la vérité.
Marie-Egalité commençait à craindre que sa ruse
n’ait pas le résultat qu’elle avait espéré.
Elle se rendait compte, un peu tard peut-être,
qu’il faudrait des victimes à ces bandits assoiffés
de sang.
Elle n’osa pas pleurer, mais, au dernier rang, ses
mains derrière son dos se tordaient de désespoir.
Pendant ce temps, sur des ordres de Capdenac,
on fouillait le château de fond en comble. On ne
trouva personne.
— Eh bien, puisque le jeune louveteau n’est pas
là, c’est toute la nichée que nous allons emmener
pour l’interroger.
Sans brutalité, toute la famille, entourée des
paysans qui baissaient les yeux devant les regards
francs de leurs victimes, fut conduite à la maison
de ville et enfermée.
— On les interrogera plus tard, firent Capdenac
et Mazaniel.
— Us seront envolés, pensa Marie-Egalité.
525Ç
CHAPITRE VIII
CHAPITRE IX
I
%>
Ce fut
en vain.
Cette bête aimait son maître. Celui-ci s’éloignait,
le cheval suivait.
André ne voulait pas le frapper, mais il faisait
devant le quadrupède des grands gestes pour
l’elTrayer.
L’animal ne comprenait plus. Son maître, avec
sollicitude, s’était occupé de lui depuis le départ de
Verneilhac, pourquoi, aujourd’hui, voulait-il le
chasser? Pourquoi ne voulait-il plus de lui? Des
yeux ronds, il fixait tristement le jeune homme.
Celui-ci, enfin, parvint à s’enfuir, grimpa à tra
vers des rochers, dans une sente impraticable à
son compagnon de route.
Le cheval s’elTorça d’abord de suivre; puis, ne
pouvant continuer, il redescendit.
Regardant en l’air, il vit André qui grimpait tou
jours.
Pensant que ce n’était là qu’un jeu, que son
maître allait bientôt redescendre, lui remettre son
mors et sa selle, il chercha quelques touffes d’herbes
et se mit à brouter.
Cependant, André continuait son ascension.
Parvenu à une certaine hauteur, il s’arrêta et
se dissimula entre les rochers.
Le cheval continuait son repas. De temps à autre,
il se rapprochait de l’endroit où s’amorçait le sen
tier qu’avait suivi le jeune homme, il grattait un
peu la terre du sabot, hennissait, comme pour un
appel, attendait un instant, puis retournait arra
cher quelques touffes d’herbes.
Cependant, de sa cachette, André aperçut, de loin,
un paysan qui suivait le sentier.
Celui-ci, les mains dans ses poches, marchait
allègrement en sifflant.
Le cheval leva la tète et hennit.
L’attention du paysan fut ainsi attirée sur la
bête.
11 s’approcha. Le cheval ne bougea pas.
Le paysan regarda tout autour de soi. Personne.
A qui pouvait bien être cet animal?
Le paysan poussa des appels :
— Holà! Oùrépondit.
êtes-vous?
L’écho seul
L’animal,, un peu effrayé de cette voix inconnue,
avait bronché légèrement.
Le paysan le saisit par le licol.
Puis, comme personne ne paraissait, comme
...
personne ne répondait à ses appels, il tlutta de la
main les flancs de la bête apeurée, il lui caressa le
museau.
La bête hennit doucement.
André, de sa cachette, avait suivi toutes les péri
péties de la rencontre.
Il se réjouit que son cheval ait trouvé un nou
veau maître qui ne semblait pas brutal.
La traversée des Pyrénées devait être pénible et
fertile en incidents.
André, là, allait complètement à l’aventure. Il
ignorait les chemins, essayait bien de s’orienter
d’après le soleil, mais les pistes qu’il suivait étaient
peu marquées, et il se retrouva quelquefois, le
matin, revenu, après avoir marché toute la nuit,
à l’endroit qu'il avait quitté la veille.
Il se rendit bientôt compte qu'il lui serait impos
sible de traverser sans un guide, ou tout au moins
sans de précises indications.
Cependant, il se souvint qu’un des métayers
chez lesquels il avait séjourné lui avait parlé de la
contrebande, qui était alors très active et qui fai
sait passer en Espagne tout l’argent monnayé qui
restait dans les campagnes et rapportait de Cata
logne des eaux-de-vie, des cuirs, du tabac et d’au
tres richesses que la désorganisation de la vie cau
sée par la tourmente révolutionnaire rendaient
précieuses.
Où rencontrer cependant ces bandes? Comment
éviter les miquelets qui y faisaient la chasse, pour
leur propre compte, sur le versant français; pour
le compte du Gouvernement royal, sur le versant
espagnol, où ces partisans étaient déjà enrégimen
tés par les provinces, comme ils le furent, plus tard,
sur le versant français, par Napoléon.
C’étaient là maints dangers auxquels il fallait
échapper.
A ceux-ci s’ajoutaient encore les risques de mou
rir de faim, si André ne sortait au plus tôt de cet
impasse, car ses provisions diminuaient chaque
jour.
Il résolut de redescendre dans la plaine.
Là, il se dirigea vers l’Est.
Il ne connaissait plus personne dans un pays
aussi éloigné du sien, il n’osait pas toujours en
trer dans les fermes qui se présentaient à sa vue.
Cependant, partout où il se hasardait à deman
der soit l’hospitalité, soit un renseignement, on
affectait de le traiter avec déférence.
Ceci finit par lui sembler suspect. Eh quoi! dans
un moment aussi troublé que celui que traversait
son pays, on semblait attendre sa venue à lui,
pauvre fugitif, on semblait aller au devant de ses
désirs.
Que pouvait bien signifier tout cela?
II n’en avait aucune idée et cela ne laissait pas
que de l’inquiéter...
C’est alors qu’arriva l’événement par lequel
commence notre récit et qui entraîna André de
Verneilhac dans le camp des contrebandiers.
CHAPITRE X
Après deux jours passés en préparatifs, la bande
repartit au milieu de la troisième nuit pour des
cendre vers la France.
Le camp restait presque vide.
Quatre ou cinq hommes seulement demeuraient,
autant de femmes. grande partie du
Les hommes jouaient la plus
temps aux dés.
Les femmes mettaient de l’ordre, raccommo de
daient des hardes, préparaient des conserves
viandes.
Chaque jour, des bandes composées de quatre
cinq contrebandiers revenaient d’expéditions
ou
diverses ou partaient.
Souvent on emportait des ballots; d’autres ve
naient les remplacer.
Des chasseurs rapportaient des isards, des pa
lombes prises au filet dans des passes étroites de
la montagne.
Souvent aussi, ils revenaient chargés de lièvres.
C’était une activité méthodique qui régnait en
ce lieu. très stricte était
Il était évident que la disciplinebonne volonté.
cependant douce et acceptée de
On sentait la main d’un chef.
Et André était fier d’avoir serré cette main, qui
s’était loyalement tendue vers lui.
Il lui avait raconté son histoire. Un moment, il
avait cru que l’autre aurait répondu à sa con
fiance par une confiance pareille, mais effusion le chef
arrêta sur ses propres lèvres la cordiale
des paroles.
Non, fit-il, je ne dois pas. Appelle-moi Louis,
—
c’est tout ce que je puis te dire. Louis, ici sur la
terre de France, don Luis en Espagne. Tous me
connaissent. C’est-à-dire qu’ils connaissent cela de
moi, mon prénom, pas plus. Ils savent que ce que
je dis est la vérité, que ma parole est sacrée, et
cela suffit.
Un vrai gentilhomme, avait murmuré André.
— Ne croire..., mais Louis n’avait pas
— va pas
achevé sa pensée.
La bande principale revint au bout de huit jours.
En rentrant au camp, dans le cirque de la mon- •
tagne, Louis paraissait soucieux.
Il serra la main d’André en le regardant d’un air
pensif.
Puis il activa les préparatifs de l’expédition :
Dépêchez, dépêchez, il faut partir la nuit pro
—
chaine.
Tous y mirent une telle ardeur qu’à l’heure fixée
pour le départ chacun était à son poste, les sacs
répartis dans les cacolets, les bêtes non chargées
attachées entre elles par des cordes, les armes four
bies et les provisions prêtes.
On partit par une nuit sans lune.
André marchait près du chef.
On suivait des sentes dissimulées qui doublent
les passes trop connues et trop fréquentées qui
suivent le cours de la Sègre et conduisent direc
tement de France près d’Urgel, en terre espagnole,
en passant à l’est d’Andorre.
Louis était toujours soucieux.
J’ai eu de mauvaises nouvelles, se bornait-il
— à André.
à dire
Celui-ci, par discrétion, n’insistait pas.
Toutes les heures passées auprès de ce contre
bandier augmentaient l’estime qu’André avait res
sentie pour lui dès la première entrevue.
Il eût aimé s’attacher à cet homme, apprendre
de lui à être sur terre un chef digne d’admiration
et de respect.
Ce hors la loi, hors les lois sous tous les régimes,
lui semblait un modèle comme ceux qui figuraient
dans cette galerie de beaux caractères, dont l’abbé,
son précepteur, lui avait fait lire en latin les vies
illustres.
Il n’était jusqu’au mystère de cette existence qui
n’ajoutât un charme à sa compagnie.
Tout le long des sentiers, lorsque les difficultés
LES ESCLAVES DU PACHA d’aÏDIN 51
CHAPITRE XI
I
62 LES ESCLAVES DU PACHA
d’aÏDIN
CHAPITRE XII
L’ESCLAVAGE
CHAPITRE PREMIER
La vie suit sa course implacable.
André a emporté Inez dans ses bras. Don Jaime,
qui attendait sa Fille, a vu le jeune homme entrer
dans le patio avec le cher fardeau. Muet d’étonne
ment, il a maîtrisé ses paroles sur un signe de Mer-
cédès. Celle-ci a porté celle qui pour elle est tou
jours un bébé dans sa chambre. Pendant des jours
la jeune Fille s’est débattue dans les affres de la
fièvre et dans'la douleur de son amour défunt.
Pendant des jours la vieille a veillé son enfant.
Pendant des jours elle a calmé don Jaime qui s’in
quiète et André qui ne peut se consoler d’avoir été
le terrible messager.
Don Jaime a compris que l’amitié vive ne régnait
F as seule entre la jeune Fille et don Luis. Devant
inévitable il n’a élevé aucune plainte et n’a point
retiré au souvenir de Louis l’estime qu’il avait pour
ce garçon dont il connaissait le grand cœur. Il n’a
pas interrogé André.
Et puis, un jour, la fièvre s’est apaisée. Dolente,
la jeune fille a promené dans le gai soleil une figure
amaigrie, des yeux au cerne violet, un nez pincé
par le chagrin.
Et dans la lumière vive, les abeilles butinaient
les fleurs et emplissaient la cour d’un bourdonne
ment. Le jet d’eau relancé jasait fraîchement.
Après quelques pas soutenus par Mcrcédès, Inez
s’est assise dans la lumière.
Don Jaime s’est précipité vers sa fille bien-aimée
et lui a pris les mains. Il a penché son front et de
grosses larmes ont coulé sur ses joues. La jeune
fille a appuyé sa tête sur celle de son père.
Au bout de quelques instants, brisée de fatigue,
la jeune fille s’est retirée dans sa chambre, toujours
soutenue par sa fidèle nourrice.
Les sorties se sont répétées. Ses forces, peu à
revenues, la jeunesse a triomphé. Mais
{>eu, sonttoujours
nez est faible. Le rire a disparu de ses
yeux, sa bouche ne s’entrouve plus joyeusement
sur l’émail pur de ses dents. l’habitera désormais...
Inez sait que le chagrin
Pendant toute la maladie de la jeune fille et pen
dant sa convalescence, André avait évité de se pré
senter devant ses yeux. Il avait eu la vision de cette
enfant frappée durement par l’injustice du sort et
avait souffert de n’avoir pu lui épargner celte peine.
L’obéissance a un mort est sacrée et, d'ailleurs,
n’était-if pas mieux qu’il eût lui-même porté la
pénible, la terrible nouvelle plutôt que d’exposer la
douloureuse enfant à l’entendre sans précaution
aucune d’une bouche qui eût ignoré les tendres
liens d’amour qui l’unissait à l'infortuné don Luis.
Pendant les premiers temps de la convalescence,
Inez ne fit aucune allusion à André, elle ne pro
nonça jamais son nom.
Puis lorsque quelques forces furent revenues
elle demanda un jour à Mercédès s’il se trouvait
toujours dans la maison de son père. Sur la réponse
affirmative de sa nourrice :
Tu lui diras de venir me parïer, fit-elle.
—
André vint le lendemain.
Inez d’abord sans voix, lui fit d’une main signo
de s’asseoir près d’elle.
Après un instant de silence, cependant, elle parla
Sa voix n’avait plus ce clair éclat qu’il avait si peu
entendu avant de le briser pour toujours. Elle ré
sonnait sourdement comme un instrument qu’uu
choc aurait fêlé.
Je ne vous en veux pas, fit-elle, et ses mots
—
tombaient lentement de ses lèvres comme poussés
avec effort.
C’est une triste mission que vous avez eue à
—
remplir et je n’ai pas eu de courage ni de force
devant l’éclatement imprévu de ce malheur.
Elle étouffa quelques sanglots, sans larmes, ce-
tendant qu’Anaré assis près d’elle, de biais et sur
Ï taisait, la tête baissée et ses
e bord du banc se
deux mains croisées entre ses genoux.
Puis elle continua :
Mais maintenant, je suis plus forte, fit-elle
— triste sourire. Je suis aussi forte que je
avec un
serai jamais. Je peux tout entendre. Dites-moi
tout!...
Et André dit leur rencontre et combien, à
...
première vue, il avait eu d’estime pour lui. Il recom
mença, pour elle, le récit de sa vie tel qu’il l’avait
fait à Louis. Il dit à la jeune fille son séjour dans
le camp, le retour soucieux de Louis. Le départ de
la caravane. Sa marche retardée par les précau
tions. Il raconta l’embuscade et comment, par son
par sa décision. Louis avait sauvé toute
j ugement, d’un
a troupe désastre certain.
Elle suivait le récit les mains jointes et les yeux
noyés de larmes; de temps en temps, elle poussait
un soupir qui semblait un gémissement étoufTé.
André continuait. Il racontait le combat, le cou
rage de Louis et son calme et comment alors quo
tout presque était terminé, comment Louis avait
été frappé.
Elle gérait doucement et murmura :
— Mon Dieu !
Et puis ce fut le récit de la retraite; l’arrivée
dans le cirque des montagnes; les soins prodigués
en vain et la confession. Il conta la douleur des
hommes, les pleurs qu’ils versaient et le dernier
adieu qu’ils firent à leur chef.
— Louis de Capferac est mort en prononçant vo
tre nom. Il m’a dit tout l’amour qu’il avait pour
vous et combien vous l’aviez soutenu dans ses
épreuves. Il m’a donné pour vous ce souvenir.
En môme temps, il passait la bague de Louis au
doigt de la jeune fille.
Celle-ci, d’abord, la regarda d’un air étonné, puis
elle la porta à ses lèvres d’un mouvement rapide et
éclatant en sanglots elle s’enfuit.
Pendant quelques jours, elle ne parut pas dans
le patio.
À André qui l’interrogeait, son père répondit
qu’elle était encore un peu souffrante.
Puis elle revint. Elle recommença à s’asseoir à
table avec eux.
La première fois que tous trois se trouvèrent
ensemble, elle se tourna vers son père et lui dit en
montrant André ;
de Verneilhac a été un douloureux
— Monsieur
messager. 11 m’a rapporté les dernières paroles de
don Luis. Nous nous aimions, mon père, et nous
voulions vous demander de nous unir. Le destin
a été différent. Que la Vierge du Pilier l’aide et me
protège.
Comme elle avait appuyé sur le nom de don Luis,
Quelques mois s’écoulèrent.
André, dans la maison de don Jaime travaillait
comme un fils dans la maison de son père, mettait
la même application à accomplir ses devoirs, pre
nait les mêmes soins à soutenir les intérêts du
maître.
Don Jaime le traitait d’ailleurs comme un iils.
Inez le regardait comme un frère.
Toujours vêtue de noir, elle continuait à vivre
Silencieuse dans ce patio qu’elle emplissait jadis
de ses rires et de scs chants.
Et les serviteurs et les commis respectaient cette
douleur. Ils semblaient avoir oublié toute joie. Rien
ne troublait le travail et l’aspect de cette maison
triste dans le soleil et sous le ciel bleu faisait mal.
On sentait que les douleurs y avaient élu domi
cile et que rien ne ferait déloger ces hôtes indési
rables.
Cela ne déplaisait pas à André. Dans son état
d’esprit, le rire et la gaieté l’eussent gêné, car il
n’aurait pu s’y donner tout entier.
Il était jusqu’alors resté sans nouvelles du pays.
Il avait bien songé à envoyer des messages, mais à
quel messager se fier.
Un jour, pourtant, don Jaime avait dû faire por
ter des comptes à des correspondants, à Toulouse,
Sur la prière d’André, don Jaime avait consenti à
ce que le courrier poussât jusqu’à Y; erneilhac.
Il était revenu sans précision sur le sort de son
père et de sa famille.
Il avait su, seulement, que le château, devenu
bien communal, était administré par un conseil
composé des habitants.
Sur la prière d’inez, André avait demandé secrè
tement à l’envoyé de don Jaime de passer au retour
par Capférac.
Uà, on avait su que le vieux seigneur demeurait
dans l’antique demeure sous les soins vigilants de
ses serviteurs. Rien, jusqu’alors, ne lui était arrivé
de fâcheux et il était à supposer que jusqu’au réta
blissement de l’ordre il n’en serait pas autrement.
Inez avait appris la nouvelle sans manifester au j
sentiment. Toutefois, elle avait doucement com
cun
pati à l’incertitude d’André.
Don Jaime, lui, avait, avec effusion, serré les
mains du jeune homme.
Voyons, soyez raisonnable, avait-il dit. Puis
— Verneilhac, même, on n’a pu fixer mon mes
qu’il
sager sur le sort de vos parents, il est à supposer
les habitants eux-mêmes l’ignorent. Or, si l’ir-
que
rémédiable était accompli, ce qu’à Dieu ne plaise!
nouvelles
croyez-vous qu’ils l’eussent ignoré. Les l’exécution de
sont ailées, croyez-vous que celle de
parents n’eut pas volé en un clin d’œil de Bor
vos
deaux à Verneilhac.
D’ailleurs, ces habitants muets, qui peuvent
«
craindre une enquête de %’otre part — or, mon
homme est habile et je doute qu’il se soit dévoilé
à ce point — n’auraient pas manqué de proclamer
le moindre soupçon qu’ils auraient eu d’un tel fait?
N’ont-ils pas intérêt à fixer dès maintenant que le
château dont ils se sont rendu acquéreurs ne peut
plus avoir d’autres maîtres qu’eux?
Non! Non! André, ne soyez pas inquiet! Pour
moi, Marie Dumas dont vous m’avez conté l’histoire
«
CHAPITRE II
C’est vers cette époque qu’André de Verneilhac,
dans une posada où il buvait une cervoise, un jour
de chaleur, rencontra une bande de jeunes gens
avec lesquels il lia conversation.
Tous étaient français et ils reconnurent aisé
ment un compatriote.
Ils causèrent, se communiquèrent des nouvelles
du pays qui n’étaient d’ailleurs pas abondantes.
La reine était morte et Madame Elisabeth. Tous
s’étaient levés et découverts en prononçant ces deux
noms. Il courait d’ctranges bruits sur le dauphin
et les armées des princes se renforçaient chaque
jour.
Les jeunes gens prirent l’habitude de se retrou
ver à intervalles réguliers pour parler de l’état des
affaires de la couronne.
C’étaient tous de jeunes nobles du Midi qui
avaient fui la guillotine et toutes leurs histoires,
D’aÏDIN 79
LES ESCLAVES DU PACHA
!
Va! André, fit Inez de sa voix sans timbre.
—
Il serra les mains du vieillard qui l’attira sur sa
poitrine.
Il se pencha sur les mains d înez.
Adieu mon père! Adieu ma sœur!
— bondit
Il sur la mule et sortit du patio.
Don Jaime et Inez le suivirent jusqu’à la rue.
Lorsqu’arrivé au bout de la calle Saint-Jacques
il se retourna, il distingua la haute d’adieu...
silhouette de
Don Jaime qui lui faisait des signes
Dans les pâles lueurs des lampes, devant
l’image, une forme noire était agenouillée et priait.
Le lendemain, dans le sillage d’une barque, un
homme lisait un nom, un seul nom...
Au loin, la terre d’Espagne s’estompait dans les
buées du matin.
CHAPITRE III
Assis sur un rouleau de cordages, il regardait
fuir l’Espagne. Il pensait à l’aimable hospitalité
dont il avait joui chez Don Jaime Salas y Campeor.
Il revoyait les travaux dans le port : la surveillance
des débardeurs rapides sous le soleil; l’entrain, la
joie dans la peine de tout ce peuple et son indus
trie; cette habileté à se servir de toutes les circons
tances et à les tourner à son profit qui fait dire du
Barcelonnais — et ce dicton est devenu proverbe
que Des pierres même il tirerait du pain. »
—André songeait à
: «
ses retours vers la calle San
Joachim de Compostelle, à l’accueil que lui réser
vait toujours ce patio frais et parfumé.
Les odeurs qui émanaient des dépôts eussent pu
flatter une ardeur juvénile et l’inciter à courir les
pays, mais le souci d’être présent lorsque vien-
LES ESCLAVES DU PACHA D’AÏDIV 85
I
88 ESCLAVES DU PACHA d’aÏDIN
LES
•
A • •
l’aube du
••»•••••••••••
Il ne l’atteignit jamais...
/
deuxième jour, la vigie, grimpée sur
l’enfléchure du hunier, signala, au Sud, faisant la
même route, une voile. qu’ils
Il hurlait les détails au fur et à mesure
se
manifestaient à ses yeux.
Deux voiles latines... une galère... Ils roulent
—tentes qui abritent la chiourme la nuit... aux
les
antennes de mestre et du trinquet des flammes Pi de
des flammes vertes... Sainte Vierge du
guerre...
lier! une enseigne rouge... avec du blanc... sur les
loup gris... les Barbaresques ! les Barba-
voiles, un
resques!
Et il dégringola sur le pont, tout pâle.
LES ESCLAVES DU PACHA D'ANDIN 91
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE VII
—
André de Verneilhac, pour le moment esclave
du pacha.
Moi, Lucile Lauvijoux, enlevée presque sur la
— de
côte Port-Vendres.
— Que puis-je faire pour vous’
— M’aider à fuir.
correspondre?
— Comment petit Tous les soirs, je
— Par votre compagnon.
descends à la fontaine devant l’appartement des
femmes. Qu’il me guette, et qu’il s’approche lorsque
j’aurais une fleur dans la bouche. Il est petit, on le
connaît, la vieille Zeïneb lui fait faire des commis
sions. CJn ne le remarquera pas. Je lui parlerai ou
je lui donnerai un billet. Il est de France?
Non. Esnagnol, de Barcelone, et ne sait presque
—
Je parlerai catalan.
— Parfait.
—
Lucile s’éloigna lentement et rejoignit un groupe
de suivantes. André attendit la nuit. Une fois les
princesses revenues dans leurs appartements, le parc
se vida.
André fut libre de revenir vers les écuries.
CHAPITRE VIII
i
suraigus la complainte de ceux que le bâton cha
touille un peu trop durement.
Pendant quelques semaines, la moitié des gar
diens de l’appartement des femmes se traînaient
plutôt qu’ils ne marchaient. Ce qui ne les empêchait
pas de redoubler de surveillance et d’exercer leur
autorité hargneusement...
Midhat elfendi avait été averti des événements.
Si la colère d’Hussein lui avait été une chose
agréable parce qu’elle présageait des ennuis con
sidérables à Irfan bey, la fuite de Saïmé et de l’es
clave franc chargé du soin des chevaux ne laissait
pas d’être, elle, parfaitement désagréable, par con
tre, à ce consciencieux serviteur.
Il n’ignorait pas, en effet, que Saïiné plaisait con
sidérablement au pacha d’Aïdin et que si le prince
de Caramanie n’avait pas encore élevé celle-ci au
rang de concubine, c’est qu’il s’était réservé de la
faire complètement éduquer à la mode des femmes
d’Orient et lui faisait enseigner le chant, la danse
et les poètes.
Midhat effendi présageait donc que l’orage qui
allait éclater de ce fait risquait d fatteindre plus
d’une tête, et qu’il serait bon de déployer le zèle
le plus actif pour réparer, si possible, ce fâcheux
accident.
Mettant immédiatement ces bonnes résolutions
en action, il envoya avertir Irfan bey et, sans at
tendre, monta à cheval aussitôt.
Passant d’abord par les écuries, il s’y arrêta,
examina lui-même si d’autres détails ne lui donne
raient pas d’indications nouvelles. La défroque de
José, à laquelle on n’avait, jusqu’alors, attaché
qu’une attention très passagère, attira ses regards.
Il se demanda quel costume avait bien pu revê
tir le jeune mousse, et, passant d’un des acteurs
de cette tragi-comédie à l’autre, sous quels vête
ments la jeune fille s’était enfuie.
~~——
CHAPITRE X
•a .
I
140 LES ESCLAVES DU PACHA D’AÏDIN
CHAPITRE XI
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
Il décide :
se
•— Madame! fait-il.
%
— Pour vous servir. Monsieur!
L’aubergiste est accorte. Elle a pour ce jeune
homme si bien tourné, mais si triste, un sourire
engageant.
André continue :
Madame, ce n’est donc plus l’auberge de
—
Dumas? Et l’ancienne maîtresse de cette maison,
Marie Dumas, elle n’est donc plus là?
Oh! on voit, mon pauvre Monsieur, que vous
—
n’êtes pas venu ici depuis longtemps... Mon pauvre
oncle, Dumas, est mort... C’est toute une histoire,
d’ailleurs... Il est mort de chagrin, parce que sa
femme était partie... partie par sa faute... C’est
une histoire très compliquée... Alors, comme son
mari était mort, ma tante n’a plus voulu rester
seule dans cette auberge, et elle nous a fait venir
de Bazas, où nous étions. Mon mari... c’est celui
qui sortait quand vous êtes entré, s’occupe main
tenant de la maison, et moi je...
Mais, vous ne m’avez pas dit où était main
— Marie Dumas, votre tante?
tenant
Mais elle est au château maintenant.
—
L’aubergiste eut un air d’extrême satisfaction
en disant ces mots qui percèrent le cœur d’André.
Au château, répéta-t-il à voix basse... Je re
— fit-il à haute voix. Je laisse
viens, mon cheval et
mon manteau.
Comme vous voudrez. Monsieur.
—n’y qu’au château vraiment qu’André
Il a pourra
satisfaire sa douloureuse curiosité.
La grimpette qui conduit vers le pont-levis est
dure. C’est pour le jeune homme un véritable cal
vaire.
Franchissant le fossé sur le pont, la herse étant
levée, il entre dans la cour.
Il appelle.
Un vieil homme se précipite, qui, à sa vue, pâlit
et joint les mains.
— Monsieur André!
C’est le serviteur dévoué de famille, celui qu’il
sa
a toujours connu, qui l’aima dans enfance et
son
que lui, André, a tant aimé.
— Parle! voyons, où est Marie, où sont mes
parents, parle... Mais parle donc.
Tant d’impétuosité suffoque le vieux serviteur.
Il essaye de parler. André qui l’a saisi par la veste,
le secoue, le secoue. Cependant, sourire naît sur
un
le visage ridé... Avec un effort, il appelle
Madame :
— Marie!
Ainsi maintenant, c’est Madame Marie...
Et voiqj qu’en effet, dégringolant les marches,
une dame en noir se précipite :
— André!... Pardon! Monsieur André!
La figure du jeune homme est sérieuse, sévère
même.
— Vous voilà revenu enfin!
— Où sont mes parents?
— Mais là, dans le château! fait Marie
sourire. avec un
•— Là! Là! O mon Dieu!
Tant d’émotions ont raison de ce caractère si
énergique, de ce corps si endurci
défaillerait presque. aux fatigues. 11
Marie le prend par le bras et l’entraîne. Ils
tent les marches conduisant à la grande salle. mon
vieux serviteur suit en trottinant. Le
— Geneviève! appelle Marie.
Et Geneviève paraît, se préepite dans les bras de
son frère. C’est maintenant une belle jeune fille.
Mon père? Maman?
— Doucement,
— il faut les préparer à tant de joie.
Attends ici. J’y vais avec Marie.
Les deux femmes le laissent Le vieux serviteur
qui suivi,
a s’approche.
— Un ange, cette Mme Marie. C’est elle qui
tout fait. a
•— Explique! Explique! je ne sais rien.
•— Eh bien! à Bordeaux, c’est elle qui est allée
J9G LES ESCLAVES DD PACHA d’aÏDLV
| de
I l’Aventure
PLUS BELLE
Collection la
| et la MEILLEURE MARCHÉ
10.000 lignes
| de texte sous une couverture en couleurs