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Enseignant : M.

Dehier Université d’Angers


TD de Culture Générale Deug I Psychologie
Année 2003/2004

La
prostitution
Legros Nathalie Groupe 3

Lermite Pascal

Sommaire

Introduction 03

I- Historique 04

A- Les premières conceptions de la prostitution 04

B- L’évolution divergente des « deux » prostitutions 06

II- Organisation de la prostitution de nos jours 12

A- Le proxénétisme 12

B- Des réseaux toujours plus nombreux 13

C- Les différentes attitudes des Etats et de la société envers la 15

prostitution

2
III- Causes de la prostitution de nos jours 19

A- Quels enjeux pour les Etats ? 19

B- Un « choix » ? 21

Conclusion 24

Introduction
La prostitution n’est pas un phénomène récent. Elle s’enracine dans nos sociétés depuis si
longtemps qu’un penseur aussi éminent que Nietzsche jugeait qu’elle avait toute les chances
de perdurer dans l’avenir et qu’il fallait donc cesser de la condamner, de la mépriser et au
contraire « l’ennoblir » selon ses propres termes. N’entend-t-on pas d’ailleurs plus
populairement l’expression « Ça a toujours existé, ça existera toujours » ?

Intéressés par le sujet et intrigués par ces déclarations, nous avons donc décidés de faire
le présent dossier en nous aidant pour cela des documents de Jacques Solé, Jean Jacques
Servais et Jean-Pierre Laurend ainsi que, dans une moindre mesure, Claudine Legardinier.
Grâce à eux, nous dresserons successivement un historique du phénomène prostitutionnel et
un bilan de la prostitution de nos jours, et tenterons enfin de dégager ses causes actuels avant
de conclure.

3
I. Historique
A- les premières conceptions de la prostitution

Lorsque l’on remonte dans l’Histoire à la recherche des premières formes de prostitution,
on constate que la plupart étaient alors liées au domaine religieux. Elles entraient dans la vie
sacrée comme une manière d’offrande. En effet, vers 3000 av. J.-C., un sens plus profond de
l’humain porte des peuples de l’Orient ancien à renoncer aux rites cruels des sacrifices
humains (plus précisément, des sacrifices d’enfants) pour y substituer l’offrande symbolique
d’une partie du corps. C’est de cette évolution que procèdent les mutilations sacrées :
circoncision et castration, puis la prostitution sacrée1.

Mais revenons aux origines. Pour l’homme préhistorique, la sécheresse, la famine,


l’incendie de forêt sont des actes de colère des esprits. Comme il ne connaît pas l’explication
des phénomènes, il imagine que l’univers « vit » par des esprits qui le peuplent. C’est la
pensée animiste. Ainsi l’homme préhistorique cherche un moyen pour les atteindre, des gestes
ou des formules lui permettant de communiquer avec les esprits, d’établir le dialogue avec ces
forces invisibles de l’univers. Dans ce sens, l’extase mystique a toujours été selon les
religions Le « véhicule » privilégié pour cela, tout chemin de l’extase étant façon de
« communier ». Considérant l’émulation sexuelle comme un moyen pour atteindre des
paroxysmes, les sociétés primitives justifiaient du même coup cette première forme de
prostitution.2

Cette prostitution sacrée se manifestait alors de deux façons : Ou bien la famille consacrait
l’un des siens au service du dieu pour son rachat collectif, c’est l’esclavage sacré, la
hiérodulie ; ou bien toute femme, une fois, se prostituait dans le temple pour la gloire du dieu
et le bénéfice du trésor sacré : c’était le cas des femmes babyloniennes.

1
. Servais, J. J. & Laurend, J. P. (1965). Histoire et dossier de la prostitution. Planète, p.39.
2
. Ibid, p.40.

4
La prostitution se définissait ainsi sur trois plans : le religieux, l’humain et le matériel. Le
religieux, c’est l’offrande du corps ; ici, le geste rejoint le souvenir du sacrifice humain. La
jouissance, qui est l’abolition dans l’éternité de l’instant de la conscience d’être, d’exister, est
assimilée à l’extase. Pour l’Homme, c’est une façon de se porter au niveau du divin, de
participer au divin. Au-delà de la jouissance et de l’extase confondues, l’amour charnel est la
communion des êtres, le retour à l’Un originel de la création. Même à son épilogue, pour
l’aspect matériel, l’acte demeure au niveau du divin : la prostituée verse son salaire au trésor
du temple.3

Dans ces lieux privilégiés, un autre élément favorise la prostitution ; c’est le devoir
l’étranger qui est le lien avec d’autres « bouts » du monde, l’être par qui l’on renoue avec
d’hospitalité. Un exemple significatif est celui des peuplades vivant dans les steppes et les
déserts. Ceux-ci ne fixent pas les tribus : elles s’y déplacent constamment à la recherche des
pâturages. Aussi accueillent-elles toujours volontiers l’humanité entière. L’étranger apporte
des nouvelles, des curiosités ; parfois il enseigne des techniques neuves, donc de nouvelles
chances de mieux vivre. C’est pourquoi dans la province de Khamil l’hospitalité se veut
totale. La femme source de plaisir permet d’accéder à cette source de connaissance qu’est
l’étranger : « Je vous dis que si un étranger vient dans leur maison pour y loger, l’homme en
est tout joyeux et commande à sa femme qu’elle fasse tout le plaisir de l’étranger. Puis il s’en
part et s’en va ; et ne revient jusqu’ à tant que l’étranger soit parti ».4

Du point de vue juridique, la prostituée que les sociétés orientales accueillent dans leurs
temples n’est pas oubliée dans leurs codes, et les lois lui accordent, selon notre langage, « une
existence juridique ». Il s’agit de définir ses droits à la propriété et de prévoir la condition
juridique de son éventuelle descendance. Pendant le 2nd millénaire av. J.-C., les coutumes ou
les lois garantissent à la prostituée son indépendance : un privilège juridique,
comparativement à la condition de la femme prise dans le lien des obligations familiales ! Les
gains qu’elle retire de son activité sont désignés, dans la plupart des textes, par le même mot
que les fruits du travail : il s’agit d’un salaire ce qui, sans moraliser la prostitution, la hausse
cependant à la dignité sociale des activités honnêtes et utiles.

La condition juridique des prostituées est par ailleurs ambiguë et varie selon les cultures.
En Mésopotamie, par exemple, des filles de la meilleure extraction sont consacrées au dieu.
C’est la pratique, commune à tout l’Orient, de la hiérodulie, ce qui signifie littéralement :

3
. Ibid, p.46.
4
. Ibid, p.61.

5
esclavage sacré. Selon ses aptitudes et sa vocation, selon le gré des prêtres aussi, le hiérodule
assume telle ou telle tâche. Toutefois, les « grandes prostituées », les « femmes consacrées »,
les « femmes pures » des temples égyptiens paraissent, en vertu de leur activité, vivre dans
des conditions privilégiées de fortune et d’indépendance.5

Ainsi, à ses origines, la prostitution était très liée au monde religieux et des efforts
importants étaient fait pour faire de la prostituée sacrée une personne privilégiée dans la
société. Cependant, s’il y avait bien une forme de prostitution sacrée encouragée par les
religions en vigueur, il est très probable que fleurissait déjà à l’époque une forme de
prostitution liée davantage à des questions de survie qu’au sacré. Bien que fortement
condamnée par les juridictions, cette prostitution profane allait en fait bien vite prendre la pas
sur toutes autres formes de prostitution.

B- l’évolution divergente des deux prostitutions

La prostitution sacrée s’installe ainsi au lieu de rencontre des offrandes, des bénédictions
mais aussi des appétits. La prostitution se prend ainsi dans les mailles de la société et de
l’économie : l’intérêt, de curieux appétits qu’enrichissent encore de suprêmes tentations,
enserrent dans un lacis d’ambiguïtés l’amour et le religieux, le profane et le sacrée.6 Bientôt
les institutions religieuses se heurtent à un problème de taille : Comment en effet différencier
les clients authentiques venus pour débuter leur ascension mystique des simples curieux ou
des consommateurs chroniques ? Peu regardant sur les nouveaux venus, les gardiens des
temples laissaient à l’occasion l’étranger jeter un coup d’œil pour quelques pièces. Dans de
tels conditions, certains établissements devinrent rapidement des lupanars où l’aspect sacrée
n’était plus que prétexte à débauches permanentes.

Ainsi préoccupées par la volonté permanente de justifier une prostitution sacrée de plus en
plus critiquée du fait de ces abus, les institutions religieuses s’employaient à l’organiser avec
toujours plus de rigueur. Mais la corruption grandissante au sein même de ces institutions eut
raison de la bonne volonté restante. En effet, certains temples entretenaient, à côté de l’atelier
où d’autres esclaves sacrées fabriquaient les tissus de lin fin et peu à peu, l’institution
oblitérèrent le principe et ne se justifièrent plus que par l’usage et l’efficacité. 7 Dès lors la
prostitution sacrée est condamnée à disparaître sous cette prostitution profane triomphante, de

5
. Ibid, p.79.
6
. Ibid, p.58.
7
. Ibid, p.46.

6
mieux en mieux organisée et ne trouvant sa justification que dans le bénéfice toujours
croissant qu’elle rapporte à ses organisateurs.

L’un des archontes de l’année 954 av. J.-C., Solon, remarqué pour sa sagesse et son souci
du bien de tous, adapte la hiérarchie sociale aux nouvelles conditions économiques et
sociales ; il fonde les distinctions sur des estimations en argent (drachmes) ; il institutionnalise
et organise ; plus précisément, il impose à la prostitution ses cadres et ses règlements ; il crée
les premières « maisons » et lève, pour le bien de la cité, une taxe sur les courtisanes.8
Codifier la prostitution, dans l’esprit du législateur – en particulier Solon -, c’est consolider
l’ordre social, garantir les hiérarchies de la société. Installer officiellement la prostitution
c’était sinon en reconnaître l’utilité sociale, du moins en accepter la nécessité, l’admettre
comme un fait d’évidence. La nécessité de la prostitution reconnue par le législateur c’était
précisément cette permission tacite aux jeunes gens d’accomplir leur émancipation. Ainsi, on
est bon citoyen d’Athènes et client des prostituées. C’est l’ordre normal des choses, leur
aspect banal.9

Dans ce nouvel ordre prostitutionnel se distingue peu à peu des catégories : les recluses,
les femmes publiques, les occasionnelles. Dans la pratique de la prostitution se retrouvent les
différents niveaux de la société. De la courtisane triomphante à la prostituée de condition
servile et d’usage plus que quotidien, il existe de nombreux échelons :

Au bas de l’échelle, les prostituées officielles, c'est-à-dire les prostituées des lieux
officiels de prostitution, reconnus par la loi de Solon. « Les prostituées se tiennent debout sans
voile ; pas de surprise possible, on peut tout voir…La porte est ouverte ; une obole suffit :
entre. Ici pas de façons, pas de vains bavardages, pas de résistance. Tout de suite si l’on veut
et de la façon qu’on veut. Dès que tu sera dehors, bonsoir la belle, tu n’as plus rien à démêler
avec elle. »

Seconde catégorie, les établissements particuliers : les tenanciers sont surtout des
étrangers, métèques ou affranchis. Dans la maison tout est leur propriété, le mobilier et les
femmes ; la plupart des prostituées de ces maisons sont d’origine servile, bien souvent
destinées dès l’enfance à la prostitution. Dans ces maisons privées, afin de satisfaire
différentes catégories de clientèle, le tenancier entretient aussi des courtisanes d’allure plus
huppée, plus riche. Le décor, le cadre, l’atmosphère y sont plus soignés : danses, chants et
toilettes.

8
. Ibid, p.79.
9
. Ibid, p.91.

7
Enfin, au sommet de la hiérarchie sociale des prostituées, les courtisanes de condition
libre exercent seules, et de façon tout à fait indépendante. Parmi ces dernières la proportion
d’affranchies, d’étrangères est encore très grande.10

Ainsi donc voyait-on progressivement la prostitution profane éclipser une prostitution


sacrée devenu trop compliquée et inadapté à la demande. Cependant, cette substitution
s’effectua différemment suivant les cultures : En Asie, où la prostitution sacrée était fortement
implantée, les dernières institutions tantriques furent supprimées il y a seulement quelques
décennies. Au contraire, en Europe le processus fut beaucoup plus rapide, du fait notamment
de la christianisation de tout l’Occident où l’on prôna la pureté virginale et condamna
sévèrement l’union charnelle entre deux individus lorsqu’elle s’opère en dehors du mariage.
La doctrine ne fut donc profitable qu’à une forme de prostitution profane presque clandestine
régie par des institutions étatiques ou des escrocs sans scrupules tous désireux de faire de gros
bénéfices.

Ainsi, à Tarascon, en 1370, les consuls délibèrent sur le lieu le plus propre à l’érection
d’un prostibulum publicum, et la construction de cette maison publique ce fait à frais
communs. En 1392, la ville achète un immeuble pour en faire un hôtel de ville et le paie en
cédant au vendeur les revenus du bourdeau public. En 1404, les consuls obligent les
prostituées à habiter les lieux ou elles exercent et finalement les contraignent, en 1467, à
n’exercer nulle part ailleurs que dans le prostibulum de la ville sous peine d’une amende de
dix livres et de la fustigation.11

Le calvinisme fut une réforme puritaine. Genève, qui au temps des princes-évèques avait
été une ville de plaisirs, devint sous la férule de Calvin une cité austère et quelque peu
lugubre. Le dimanche anglais étendu à tous les jours de la semaine ! Le consistoire des
pasteurs et des anciens surveillaient étroitement les mœurs des citoyens, proscrivant les jeux
et la danse, réglementant les toilettes des femmes et organisant l’espionnage privée.

Déjà, sous Léon X (1513-1521) et Clément VII (1523-1534), deux Médicis pourtant, et
forts amis des artistes des humanistes, les prostituées avaient commencées d’être inquiétées.
Léon X voulut mettre un peu d’ordre dans leurs quartiers. Et Clément VII essaya de les
dégoûter de leur profession, en frappant la débauche publique s’un impôt très lourd. Il les
priva aussi de la liberté de disposer de leurs biens par donation ou testament : la moitié de leur
bien devait être attribuée au monastère Sainte – Marie – Madeleine – de – la – Pénitence (dont

10
. Ibid, p.79.
11
. Ibid, p.146.

8
le nom indique qu’il était destiné à accueillir les filles repentis). Si bien que les courtisanes
tournèrent la difficulté en plaçant leur argent en rentes viagères.12

Les courtisanes avaient sous Pie V fait l’épreuve de leur force. Aux brimades dont les
menaçait le nouveau pontife, elles répondirent en menaçant de quitter d’elles-mêmes la ville.
Et, devant l’émoi des Romains, le pape recula. Il fallut se borner à interdire aux filles l’accès
des principales rues de la ville.13

En France, la répression de la prostitution commença avec la grande Ordonnance de 1560.


En fait, un seul article, le 101e, concernait la prostitution ; encore ne visait-il que les lupanars
dont il ordonnait la fermeture : « Défendons à toutes personnes de loger et de recevoir en
leurs maisons, plus d’une nuict, gens sans adveu et incogneus. Et leur enjoignons les dénoncer
à justice, à peine de prison et d’amende arbitraire. Défendons aussi tous bourdeaux, brelans,
jeu de quilles et de dez, que voulons estre puniz extraordinairement, sans dissimulation ou
connivence des juges, à peine de privation de leurs offices. » Dès 1542 d’ailleurs, le
Parlement avait rendu plusieurs arrêts contre les bourdeaux : il avait décidé qu’une femme de
mauvaise vie pouvait être expulsée de son logis soit par son propriétaire, soit par réquisition
des voisins. A la suite de l’ordonnance de 1560, les juges du Parlement ou du Châtelet
ordonnèrent la fermeture d’un certains nombre de maisons. Les premières à être interdites
furent les plus récentes.

Le mandement de 1566 marquait la volonté royale d’appliquer l’ordonnance de 1560.


L’un après l’autre les lupanars disparurent et « les asyles des femmes publiques furent ruinés
de fond en comble ». Bien sûr, l’amour vénal subsista ; mais il passa cette fois-ci dans la
clandestinité la plus complète : la prostitution légale était abolie. Le régime de tolérance établi
par l’ordonnance de Saint Louis avait fait place à un système de répression. Les filles
publiques avaient perdu leurs statuts, leurs droits, leurs juges et en même temps la protection
des autorités. Dans une société fondée sur le privilège, constituée de corporations, d’ordres, de
communautés, le « métier » de prostituée avait cessé d’exister. Ce régime de répression
instauré au XVIè siècle resta en vigueur jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.14

Le XVIIè siècle vit ainsi se multiplier les mesures d’internement contre les femmes
débauchées, pour aboutir finalement à la création d’une maison de force spéciale pour les
prostituées. De temps en temps, les commissaires font des visites dans leur quartier et

12
. Ibid, p.178.
13
. Ibid, p.179.
14
. Ibid, p.180-181.

9
enlèvent les filles de petits bordels du commun, pour faire conduire celles qui sont gâtées à
l’hôpital, ce dont se plaignent les filles.15

Par la suite, le code donne à chacun une existence légale et la prostitution quitte la
clandestinité. En effet, la prostituée subit le sort commun : toutes les filles publiques sont
inscrite sur un registre de police. Afin de donner à la profession le même caractère légal
qu’aux personnes, on en définit le statut des maisons : c’est le régime dit de « tolérance ». les
établissements, du fait de cette tacite acceptation gouvernementale, passent sous le contrôle
administratif de l’Etat. Le régime des maisons de tolérance trouve son achèvement sous la
restauration. Louis XVIII, dans les premiers temps de son règne (1823), apporte la touche
ultime de l’œuvre napoléonienne. Dès l’Empire on avait procédé à un inventaire des maisons :
visite des lieux, rapport sur les conditions d’installation, salubrité…Le gouvernement
établissait alors son pouvoir de supprimer ou de maintenir telle ou telle maison, selon les
conditions de son fonctionnement.16

Puis, avec la construction des « fortifs » (c’est l’enceinte Louis-Philippe), se dessina une
nouvelle aire géographique de la prostitution parisienne. Les colonies de terrassiers des
remparts suscitèrent une nuée de filles qui implantèrent dans les cafés de la barrière le
racolage populaire. La prostitution se constitua là un nouveau folklore. Elle s’y développa
concurrentiellement à la prostitution intra-urbaine et obtint, au moment où la nation recevait
le conseil de s’enrichir en se moquant du reste, sa justification officielle : de clandestins, les
bistrots de la barrière devinrent maisons de tolérance.17

Le système français des maisons closes perdura pendant tout le19 ème, ce grâce notamment
à l’éloge qu’en faisaient certains auteurs célèbres, et c’est seulement en 1946 qu’un arrêté
officiel décréta les maisons closes fermées jusqu’à nouvel ordre.

La France fut cependant une exception dans les pays d’occident. Ainsi l’évolution fut bien
différente en Angleterre. Pourtant durant la première moitié du 19ème la prostitution permettait
seulement à des femmes désœuvrées de survivre le temps de trouver une meilleure condition.
Même si cette élévation n’arrivait que rarement, au moins ces femmes exerçant plus par
nécessité que librement étaient tolérées ne subissaient que peu ou pas de pressions extérieurs.
Mais leurs piètres conditions de vie, le plus souvent sordides, sonna la révolte d’un
mouvement féministe important et conduisit à la mise en place d’une campagne moralisatrice,
signant par la-même le début des actions répressives policières envers ces femmes.
15
. Ibid, p.185-191.
16
. Ibid, p.200.
17
. Ibid, p.203.

10
De même, en 1900, on assista aux Etats-Unis à une semblable politique de répression, à la
seule différence que celle-ci émana alors des autorités locales et non fédérales. En effet,
voulant lutter contre la prostitution massive de femmes préférant se prostituer plutôt que de
travailler à l’usine, elles lancèrent une vaste campagne de répression contre cette prostitution
dite « traditionnelle ».18

Et, comme le souligne Peter Gray (1986, cité par Solé, 1993), « l’essor de la prostitution
ne fut pas causé par l’attitude répressive envers la sexualité, typique du 19ème siècle, mais
signala plutôt l’échec pratique de cette attitude ». Bien qu’animées de bonnes volontés, les
actions féministes de cette fin de siècle, en méprisant la prostituée au lieu de l’aider, ont
facilité la criminalisation de la prostitution. En fait, ces campagnes de répression moralisatrice
eurent des effets des plus déplorables sur les prostituées : En criminalisant leur activité
durement pourchassé par la justice, elles permirent à la police d’accroître considérablement
son rôle et poussèrent les filles à chercher la protection auprès de souteneurs. Mais ceux-ci,
voyant seulement l’argent facile que cette activité leur promettait, firent progressivement de la
prostitution une affaire d’hommes en faisant travailler les prostituées pour du profit et non
pour leur survie.19 Comme l’avaient fait auparavant les temples de manière légale, les
souteneurs organisèrent la prostitution féminine pour leur propre bénéfice et la lièrent alors à
la grande criminalité.

18
. Solé, J. (1993). L’âge d’or de la prostitution : De 1870 à nos jours. Plon, p.86.
19
. Ibid.

11
II- Organisation de la prostitution de nos jours
A- Le proxénétisme

On assista donc à la fin du 19ème siècle à un remaniement de l’organisation


prostitutionnelle. L’argent de la prostitution changea de destinataire, désertant les poches des
prostituées pour fournir celles des souteneurs et des différentes mafias pour lesquelles ils
travaillaient. Dans une Europe en pleine mutation du fait des grandes migrations de
populations, l’arrivée massive d’hommes venant de l’est et du sud pour travailler fut à
l’origine d’une demande considérable en femmes. Grâce aux innovations techniques et la
révolution moderne des transports, un véritable trafic international put se mettre en place 20 et
satisfaire cette toujours demande croissante. Un réseau international se forma et on parla
même de « traite des blanches » tant l’esclavage sexuel des femmes européennes fut
d’importance, telles ces filles débarquant à Montevideo contraintes de se déshabiller pour être
mise à l’enchère. La-bas, les patrons du Zwi Migdal organisaient de véritables ventes de
femmes dont la seule perspective honorable se réduisait alors à devenir patronne de bordel.

La traite des blanches marqua un tournant dans l’exploitation de la prostitution. En effet,


jamais auparavant les femmes n’avaient été asservies avec autant d’habileté et de rigueur que
celles des proxénètes et autres trafiquants d’époques. Dans certains milieux, le proxénétisme
demeure même considéré comme une activité virile inhérente au passage dans la vie adulte,
sorte de nouveau rite d’initiation, avatar de la chevalerie faisant désormais de la prostitution
féminine une entreprise masculine. Cependant, le climat relativement humains des anciens
bordels avait bel et bien été remplacé par le sadisme des nouveaux « protecteurs ».21

De nos jours, si les proxénètes existent toujours, leur statut a pris de multiples formes. De
la mère maquerelle patronne de bordels de luxe au souteneur à la petite semaine prostituant
son « amie » dans des coins sordides, le proxénétisme a maintenant les formes les plus
diverses. Dans ce sens, la prolifération du proxénétisme de clubs de rencontres, dans la France
contemporaine, confirme l’importance qu’y prend la prostitution dite occasionnelle. En fait, il
est peu de secteurs représentatifs de la vie française contemporaine que le proxénétisme ne
concerne pas plus ou moins. A tel point que si vous acceptez la moindre faveur d’une
20
. Ibid, p.93.
21
. Ibid, p.101.

12
prostituée, discutez, buvez ou mangez avec elle, vous vous retrouvez, juridiquement,
proxénète.22 Mais les souteneurs modernes ne sont pas concerner par cet état de fait. Les
nouveaux moyens de communications leur ont permis d’acquérir un contrôle plus distant, plus
impersonnel, sur l’activité de ses filles, qui se sentent plus libres, moins soumises aux
pressions extérieurs et deviennent donc plus consentantes.

Le souteneur traditionnel représenté par le chômeur marginal usant de promesses, de


menaces et de chantage pour contraindre sa victime à obéir) est maintenant davantage un
homme d’affaire impeccable aux relations politiques puissantes régnant sur un empire de
filles qu’il ne connaît pas, la plupart du temps consentantes.

Cependant, cette prostitution moderne moins contraignante est toujours minoritaire dans le
milieu et beaucoup de filles sont encore violentées, victimes d’un esclavage sexuel passant
notamment par les réseaux internationaux.

B- Des réseaux toujours plus nombreux

En effet, les réseaux de prostitution sont aujourd’hui plus nombreux que jamais. Bien que
la traite des blanches se soit éteinte dans les années 20, les nouveaux moyens de
communication et le rapprochement des frontières permis par les transports modernes ont
grandement facilité l’apparition non pas de un mais de plusieurs réseaux internationaux bien
organisés et répartis sur l’ensemble sur globe. De plus les femmes ne sont plus les seules
concernées. La traite des blanches est ainsi devenu une traite d’êtres humains en général.

Parmi le pays les plus touchés par ce phénomène, on compte les pays de l’Asie
méridionale comme la Thaïlande ou les Philippines qui par leur statut de paradis du sexe
voient leurs filles disparaître par milliers dans les mailles de ces réseaux. En fait, Les
trafiquant ont toujours su profiter de la naïveté de certaines femmes. Ainsi de nombreuses
femmes thaïlandaises et philippines sont toujours victimes de faux voyages touristiques. 23

Ainsi retrouve-t-on au Japon dans les clubs, loves hôtels et autres soap land, des
prostituées d’origine thaïlandaises travaillant sous la contrainte. Elles arrivent avec une dette
de plusieurs milliers de yen (frais pour le passeport), elles doivent alors rembourser grâce à
leur pourboire. Mais sur une passe de 1600 $, elles ne récupèrent que le ¼, le reste étant pour
les yakusas, véritables maîtres de l’économie japonaise et de l’esclavage sexuel.

22
. Ibid, p.258.
23
. Ibid, p.101.

13
Autre destination privilégiée des femmes asiatiques : les pays du Golfe où les filles sont
mariés à de riches émirs les essayant comme des produits. Ce mariage de plaisir autorisé par
le Coran ne l’est bien souvent qu’à sens unique et si certaines femmes y rencontrent la
sécurité, voire l’indépendance et la liberté sexuelle, la plupart s’y trouvent humiliées et
soumises à l’exploitation du mâle. Saddam Hussein lui-même dénonça ces émirs du pétrole
qui acceptent de pousser les femmes arabes à la prostitution. Ainsi, pour limiter cette
esclavage renforcé, l’Inde a interdit à toute femme de moins de trente ans de venir travailler
dans le Golfe.

Les pays européens ne sont pas étrangers à ces trafics. Ne rencontre-t-on pas de jeunes
thaïlandaises dans les éros centers implantés en Allemagne ? Cent ans après la traite des
blanches, il serait également faux de croire que l’Europe épargne ses femmes de cette
prostitution généralisée. Partout en Europe de l’Est, la révolution capitaliste et libérale donna
lieu à une explosion favorable aux progrès de la pornographique et de la prostitution.24 Cette
terre romantique est aujourd’hui peuplée de call-girls ; Les éros centers et salons de massage y
remplacent cafés et entrepôts. Budapest devient Bangkok. Des filles venant des quatre coins
d’Europe à la recherche d’un emploi tombent dans les mains de la mafia locale et celles qui
espéraient n'avoir à effectuer que des massages s’aperçoivent bien vite que la réalité se révèle
très différente.

Plus grave encore est la mise en place de réseaux pédophiles depuis la recrudescence de la
prostitution infantile. 75% des prostituées indonésiennes avaient ainsi entre 14 et 23 ans en
1979 et près du Pigalle de la capitale thaï, un garage bourré de gosses attend l’arrivée du
client anonyme.25 Cette demande croissante permit l’élaboration de réseaux internationaux
servant de riches pédophiles en jeunes enfants.

Ainsi, à Paris une fausse agence matrimoniale offrait à leurs clients de jeunes philippines
parfois vierges pour près de 20000 francs. Le Centre de Recherche et d’Information sur
l’Enfance et la Sexualité lui ne servait en fait qu’à des pédophiles argentés de moyen
commode pour choisir sur catalogue des enfants de cinq à douze ans.26

Tous les moyens sont bons pour exploiter cette forme de prostitution déjà prisée durant la
Rome Antique. On voit alors des convois de bus amenant des centaines de filles en renfort
depuis une capitale où l’on arrête des professionnelles de 11 ans et soigne de syphilis des
gamines de neuf. On retrouve celle-ci au Pérou, dans les bordels d’Amazonie, à Iquitos où
24
. Ibid, p.491.
25
. Ibid, p.555.
26
. Ibid, p.541.

14
une jeune vierge est offerte aux vainqueurs de certaines parties de cartes, ou à Lima, sur le
marché de gros de La Parada où des enfants des deux sexes se vendent aux chauffeurs
routiers. Et dans certaines pensions discrètes de Sri Lanka, des enfants de 5 ans sont offerts
aux touristes…

Cette exploitation existe sous une autre forme dans les riches Etats-Unis où un procureur
de Washington estimait, en 1986, qu’il y avait dans la capitale fédérale au moins 5 réseaux
informatiques permettant de choisir des enfants prostitués. Il est alors évident que, par son
ampleur, le problème dépasse les organisations internationales qui le dénoncent.

Une carte représentant l’exploitation des enfants dans le monde le résume. La prostitution
n’y est plus qu’un élément parmi d’autres, même si on la retrouve partout où la situation est
mauvaise, alarmante (dans presque toute l’Amérique du Sud, une bonne moitié de l’Afrique et
presque toute l’Asie méridionale), grave (dans l’Amérique Centrale, le reste de l’Afrique et le
Proche-Orient) ou médiocre (aux E.U, au Venezuela, dans de nombreux pays européens, en
Russie ou en Chine).27

Et comment ne pas être dépassé lorsque la modernité technique apportée par le Minitel
rose et maintenant Internet permet aux parents de proposer leurs propres fillettes ou
d’échanger leurs enfants ? Ces réseaux communs servent au troc ou à la vente de vidéo porno
d’enfants. Quant à leur prostitution, après les sex-charters à destination du Sud-Est asiatique,
on peut maintenant acheter, dans les grandes capitales européennes, ce qu’on allait autrefois
chercher à Bangkok. Ce marché est difficile à démasquer parce que fait de riches et puissants
amateurs, industriels ou chirurgiens, politiciens ou journalistes, médecins ou policiers, juges,
enseignants ou ecclésiastiques.28

C- Les différentes attitudes des Etats et de la société envers la


prostitution

Face à un tel développement du procédé prostitutionnel, on peut légitimement s’interroger


sur le rôle des Etats dans la lutte contre son expansion. Mal nécessaire ou fléau à abattre, les
gouvernements n’ont jamais su vraiment le dire. Préférant oublié la prostitution de leur
discours politique, la plupart des actions sur la prostitution, en méprisant les prostituées,
furent ambiguës voire même contradictoire.29 Les politiques répressives furent toujours des
exemples significatifs d’échecs puisqu’elles ne firent qu’accentuer encore sa criminalisation.
27
. Ibid, p.549-550.
28
. Ibid, p.552-553.
29
. Ibid, p.353.

15
De même, la diversité des attitudes adoptées par les gouvernements montrent clairement le
problème posé par la prostitution : Aucune politique internationale n’a encore été mise en
place du fait de la multiplicités des opinions à son sujet. Ainsi, trouve-t-on en Europe une
France répressive, alors qu’il y a soixante ans fleurissaient encore à Paris les maisons closes,
une Allemagne semi-libérale où les éros centers sont gérés comme des entreprises, et des
Pays-Bas considéré comme paradis relatif pour la prostitution, siège de l’organisation
internationale des prostituées Vindication.30 A l’heure d’un nouvel élargissement de l’Union
Européenne, notons tout de même la disparité de ces attitudes vis à vis d’un phénomène aussi
important que la prostitution, d’autant que l’Europe de l’Est est durement touché par la traite
de ses femmes.

Les gouvernements ne sont donc pas au clair avec la prostitution. Et que dire lorsque les
dirigeants eux-même sont impliqués dans des affaires plus ou moins sordides ? Victime d’une
presse anglo-saxonne maîtresse du scandale politico-sexuel, Lord Lambton, sous-secrétaire
d’Etat à la Défense d’Edward Heath, fut en effet photographié en train de conter fleurette à
deux prostituées. Le News of the World, qui publia les clichés, affirma avoir un
enregistrement des ébats du ministre. Celui-ci démissionna aussitôt.31

L’Evénement du Jeudi, à qui l’on doit ces détails, a récemment rappelé que le News of the
World a encore démasqué le chancelier de l’échiquier Lamont qui louait sa demeure du West
End à une call-girl. La Cicciolina elle fut star du porno avant de devenir député du parti
radical italien. Les récentes affaires en France montrent également l’ampleur du paradoxe.

Toujours plus loin dans l’absurde, le comble de la contradiction et du mauvais goût


revient sûrement au Centre de Recherche et d’Information sur l’Enfance et la Sexualité dont
nous avons déjà parlé. Non seulement cette institution ne servait qu’au bon plaisir de riches
pédophiles mais impliquait également l’organisation des nations unies pour l’enfance, la
fameuse Unicef ! Michel Felu était un de ses employés : son emploi et sa connaissance des
lieux permirent d’utiliser les labos photos et les ordinateurs de l’organisation pour
informatiser le réseau en question.32

Pour Jacques Solé (1993), ces contradictions ne sont que le reflet d’une société tiraillée
entre le moralisme des grandes consciences et l’immoralisme généralisé. Il est vrai qu’il est
difficile de s’y retrouver, en notre fin de siècle, entre cette célébration de la culture du corps
et de l’érotisme et la lutte antipornographique, entre un matérialisme affiché et la lutte contre
30
. Ibid, p.390.
31
. Ibid, p.454.
32
. Ibid, p.542.

16
la marchandisation du corps humain. Entre deux prêches de femmes de ministres, une
intervieweuse à la mode accueille avec complaisance les amatrices de strip-tease d’hommes
(beaux, jeunes et à consommer), les monitrices californiennes de strip-teaseuses, les clientes
de cassettes porno homosexuelles et telle dominatrice heureuse d’associer, en famille, ses
autres esclaves à son mari. 33

Ainsi, la Grande-Bretagne voit coexister militantes de la lutte antipornographique,


obsessions traditionnelles et attractions de Soho où l’on peut maintenant, dans une boîte à
palper, caresser une femme dévêtue et enfermée ; la publicité pour le préservatif elle y montre
une bouche de femme disposant, avec soin, une capote, sous les yeux des téléspectateurs. 34
D’ailleurs les femmes ne sont pas les seules visées par l’impudeur éclatante qui s’étale dans
les images de nos différents médias.

Les agences de voyages continuent ainsi de jouer sur l’image du sexe, notamment en
Asie, ou à célébrer une tradition culturelle qui la voue à la prostitution des enfants. Or il est
impossible d’arrêter des français ayant eu des rapports sexuels à l’étranger avec des mineurs
qui ne portent jamais plainte. Les services sexuels personnalisés sont donc parties intégrantes
d’une touristique qui se sert des pays du tiers monde comme d’un objet passif pendant que
ceux-ci s’enrichissent sur le dos de leurs prostitués. Les guides ne précisaient-ils pas que le
filles n’y laissaient « aucun désir insatisfait ». Pattaya d’ailleurs est présenté par le Guide du
routard comme le « Lourdes du cul », quant au « Spartacus » qui recense les lieux de
rencontres homo à travers le monde, il consacra, en 1992, 28 pages à la Thaïlande.35

Cette érotisation de la société se retrouve partout et comme le fait remarquer la sociologue


thaïlandaise Thanh-Dam Truong (citée par Solé, 1993), paradoxalement elle a parfois des
effets bénéfiques pour l’image de la femme. En effet, en Thaïlande les prostituées issues des
villages du Nord ayant enrichi leurs familles, la sexualité féminine y a été mise en valeur par
opposition au travail mâle et l’on y célèbre, désormais, la naissance d’une fille, promesse de
mobilité et d’ascension. Le corps de la femme s’y trouve, à la différence d’autrefois, glorifié
au service de la consommation, de la publicité et de la pornographie.36 Cependant, cette
marchandisation du corps se révèle bien plus souvent un désastre physiologique et
psychologique, notamment lorsqu’elle est effectuée sous la contrainte.

33
. Ibid, p.385.
34
. Ibid, p.473.
35
. Ibid, p.556-570.
36
. Ibid, p.567.

17
Mais dans un état d’esprit plus matérialiste que jamais, qu’elle pourrait être le statut du
corps humain ? En Thaïlande, dans les villages du nord, presque tous les enfants après leurs
études primaires entrent dans l’industrie du sexe vendus parfois par leur propre parents et en
Hongrie, là où la pègre s’installe au chevet des « étudiantes » à titre temporaire, un patron de
night-club à Budapest précise d’ailleurs que l’industrie du sexe « fait progresser l’avenir de la
Hongrie ».37

En fait, l’image même de la prostituée est devenu une source de profit. Le succès
planétaire de Pretty Woman étant là pour en attester. Dans ce conte de fée moderne,
Cendrillon devient une prostituée et le prince charmant un riche homme d’affaire plutôt
romantique ! L’image de la prostituée devient un moyen pour faire de l’argent, telle cette
reprise en 1910 de l’histoire d’une vierge vendue par un juif allemand. Aujourd’hui, le
phénomène est plus important encore et la prostitution tend à perdre sa réalité, une réalité
parfois dorée, mais bien plus souvent sordide.

III- Causes de la prostitution de nos jours


Vouloir définir les causes de la prostitution moderne pourrait sembler une tâche périlleuse
lorsqu’on sait le phénomène fortement implanté dans nos civilisations. En effet, qui n’a
jamais entendu ces expressions : « c’est le plus vieux métier du monde » ou encore « c’est un
37
. Ibid, p.493.

18
mal nécessaire ». Nous avons vu que les gouvernements eux-mêmes sont bien incapables de
s’entendre sur cette question dans une société en proie à une érotisation extrême. Mais ces
réponses toutes faites et autres contradictions ont bien des causes et si la prostitution moderne
ne peut plus se justifier par les pratiques religieux, elle n’en demeure pas moins au centre de
questions éthiques, sociales et économiques.

A- Quels enjeux pour les Etats ?

La diversité des actions menées vis à vis de la prostitution, aussi bien les légalisations que
les répressions, montrent à quel point le sujet est épineux. Cependant, il est un point sur lequel
les Etats aussi bien que les proxénètes s’accordent depuis longtemps : le profit que l’activité
peut générer. Et depuis les institutions religieuses abusant de leurs filles aux bordels chics
d’Amsterdam, les bénéfices liés à la pratique n’ont cessé d’augmenter. Il est évident qu’une
telle source de richesse, exploitée la plupart du temps par les mafias se chargeant de blanchir
l’argent, dans les investissements immobiliers par exemple, devient plus qu’intéressante pour
certains Etats. On comprend alors pourquoi les décisions sont si dures à prendre lorsqu’il
s’agit d’intervenir unanimement contre la prostitution.

Ainsi, au cours des années 1970, 700000 soldats américains passèrent quelques jours en
Thaïlande dont ils firent remonter, par ce moyen, l’économie. Après leur départ, les agences
de tourisme prirent le relais pour conserver le bénéfice de ce flux de devises. Le repos du
guerrier devint simplement celui de l’homme d’affaires. Dirigeants, maris, pères fermaient
tous les yeux devant un mal profitable. La femme, dans le tiers monde, était l’avenir du
tourisme. Le boom des transports aériens avait fait de Bangkok la banlieue rose des
métropoles du monde industriel. En Thaïlande, la prostitution assure maintenant 50% des
recettes d’exportation.38

On comptait 500000 prostituées thaïlandaise en 1982, 1% de la population, 300000 aux


philippines. Bangkok, aux 400 pagodes, baptisée « cité des anges », recevait maintenant
70000 visiteurs par jours. Elle possédait 1500 bordels et 250000 prostitués sans compter ses
200 cliniques pour maladies vénériennes, ses 500 night-clubs et 100000 drogués.39

De même, l’industrie du sexe au Japon représente 25 milliards d’euros soit 1% du PNB


japonais. Onze milliards de yen est dépensé chaque jours entre « love hotels », « strip-tease
theater », « massage room », « peep-show » et autres « soap land ». Pour Jacques Solé, la
résurgence du contrôle de l’industrie du sexe par la mafia des yakusas n’est que le simple
38
. Ibid, p.559.
39
. Ibid, p.563.

19
reflet de la structure hiérarchique de la société japonaise et témoigne du développement
continue et parallèle de la richesse nationale et de la consommation érotique.

Dans cette industrie du sexe, il faut également ne pas oublier l’importance croissante que
prend le marché de la pornographie. On assiste en effet à un développement considérable de
la vente des vidéos pour adultes et ce sont 300 nouveaux films qui sont mis en vente chaque
mois dans les quelques 12000 boutiques spécialisés, sans compter celles vendues désormais
sur Internet. Ainsi, bien que le Japon se veuille un pays où la censure est féroce et érige un
barrage contre la pornographie, il croule tout de même sous les vidéos pornos, les émissions
hards et autres mangas pour adultes, l’industrie de la pornographie représentant plus de 2
milliards d’euros.

Aux Etat-Unis, où cette industrie est partie intégrante de la civilisation américaine, la


sortie à New York en juin 1972 de Gorge Profonde, premier véritable film porno, fut une
réussite totale : 600 millions de $ en 8 ans. Bien que la grande partie de l’argent tomba dans
les poches de la mafia, il est certain que l’expérience donna des idées, ce malgré la description
cauchemardesque que Linda Lovelace, l’héroïne du film, fit de sa carrière.

Du point de vue économique, la justification de la prostitution et de la pornographie à


laquelle elle est liée n’est donc plus à démontrer. Dans une société où la recherche de profit
économique passe avant tout, le corps humain et son érotisation est une mine d’or. Les Etats
l’ont bien compris et profitent de ce matérialisme roi, certains, comme nous l’avons vu dans
les pays d’Asie, n’hésitant pas à jouer sur l’image d’une « culture de la prostitution » dans les
guides touristiques pour appâter le touriste. Pour Thanh-Dam Truong (citée par Solé, 1993),
sociologue thaïlandaise, la prostitution prend ainsi sa place dans la loi du marché. Elle n’est
une stratégie collective en vue de satisfaire des besoins sociaux.40

Et quels sont-ils ces besoins sociaux ? Sans aucun doute la recherche de plaisir sexuel,
mais aussi, la majorité des clients étant des hommes, sûrement la recherche d’une affirmation
masculine à une époque où la femme s’émancipe toujours davantage. En effet, alors que la
question de l’égalité homme-femme fait toujours couler autant d’encre, le constat de la
permanence de la demande masculine peut être vu comme la conséquence de cette inégalité
mais également comme une réponse concrète masculine à cette égalité qui effraie les
hommes. D’ailleurs ne trouve-t-on pas 60% d’hommes mariés parmi les clients des
prostituées ? La libération des mœurs n’a donc rien réglé en diffusant les recettes de
l’orgasme, les variantes de positions ou l’incitation pornographique. Bien au contraire, devant
40
. Ibid, p.568-572.

20
des femmes de plus en plus maîtresses de leur corps, les mâles s’adressaient toujours en secret
à celles qui leur redonnaient confiance sans exiger en retour une jouissance obligatoire.41

B- Un « choix » ?

Restent les femmes elles-mêmes et les prostitués en général, ceux qui sont les premiers
concernés et qu’on a toujours tendance à exclure du débat. Choisit-on de se prostituer ou le
devient-on de force ? La question, bien que souvent revenue, mérite d’être reposer car elle
s’inscrit désormais dans un nouveau cadre socio-économique voire idéologique.

Des facteurs restent cependant d’actualité, tel celui de la survie qui poussait les femmes
anglaises sur les trottoirs à la fin du 19ème. Ainsi, dans les pays du tiers monde où le niveau de
vie est bas, la prostitution est un moyen pour enrichir les familles pauvres et en Thaïlande,
c’est dès la sortie de l’école primaire que les enfants commencent à se vendre, quand ce ne
sont pas leurs propres parents qui le font.

Cette prostitution de nécessité fait déjà intervenir deux contraintes expliquant l’entrée
dans le milieu : le besoin d’argent et la pression de l’entourage. Dans celle-ci on trouve la
famille mais aussi les proxénètes extérieurs qui font eux travailler leurs prostitués non pas
pour survivre mais pour faire du profit.

Jusque là, rien de nouveaux dans l’organisation de la prostitution à part que les réseaux
sont maintenant nombreux et le marché titanesque. Il faut tout de même rajouter à ces facteurs
les causes psychologiques personnelles. Ainsi, en 1979 aux U.S.A, 65% des prostitués avaient
subi des violences sexuelles dans leur jeunesse et/ou de graves difficultés familiales. La
recherche d’affection, de proximité physique, de punition due à un fort sentiment de
culpabilité peuvent être autant de moyens pour rentrer dans le milieu.42

Mais ces schémas d’entrée dans la prostitution, bien qu’effectifs pour la grande majorité
des cas de prostitution, ne s’appliquent pas à tous et une minorité grossissante semble se
prostituer de manière libre. Ainsi, comme le précise Jacques Solé (1993), se prostitue-t-on de
plus en plus pour arrondir les fins de moins, payer les factures en retard, ou encore pour payer
ses études telles ces étudiantes japonaises spécialistes du « finger service » dans l’industrie de
l’éjaculation qui, ayant renoncé à lutter pour l’égalité du salaire, préfèrent faire fortune
rapidement en s’amusant. Le corps et la sexualité devenant qu’un produit de consommation,
elle n’en éprouve aucun scrupules du moment que leur famille l’ignore.

41
. Ibid, p.354.
42
. Legardinier, C. (1996). La prostitution. MILAN.

21
Pendant que certaines font du baby-sitting, d’autres se prostituent donc. En Hongrie, les
étrangers visitant Budapest y admirent une marchandise polyglotte, cultivée, faite souvent
d’étudiantes ou de profs.

Plus significatif encore de la mutation qui s’opère dans le milieu de la prostitution, la


revendication de certaines prostituées voulant être reconnues comme indépendante en tant que
« travailleuses du sexe ». Ces femmes militantes, soudées derrières l’organisation
internationale des prostituées Vindication, ne considèrent pas leur activité de prostituée
comme occasionnelle mais l’inscrivent plutôt dans la durée, dans une perspective de carrière.
Si jusqu’alors beaucoup de prostituées s’étaient vues contrainte de vivre de cela toutes leurs
vies alors même qu’elles voulaient arrêter, rares sont celles qui souhaitaient à leur début
« faire carrière ».

A ce propos, il est intéressant de noter que cette vocation se rapproche de celle des
acteurs et actrices de films pornographiques qui maintenant, à la manière de certains acteurs,
font parfois fortune et acquièrent leur fan-club. Alors que dans les années 80, le témoignage
de Linda Lovelace sur sa carrière choquait le public et servait de preuve accablantes aux
militantes anti-porno, aujourd’hui les choses ont bien changé et certaines filles se lancent dans
le porno pour y décrocher le prestige avant d’entamer, comme la Cicciolina, une carrière
politique.

Mais n’oublions tout de même pas que la pornographie s’effectue aussi parfois sous la
contrainte et que celles des enfants elle n’est jamais volontaire. En effet, la perspective de
carrière n’est pas le seul point commun entre la prostitution et la pornographie. Ils témoignent
tout deux d’un marchandising généralisé au corps humain puisque la majorité des sites
pornographiques offrent du rêve aux internautes moyennant finances. La pornographie
prépare donc à la prostitution et il n’est pas surprenant de voir une grande partie de l’argent de
la pornographie tomber dans les poches des mafias responsables des réseaux de prostitution et
pornographiques.

Aux U.S.A rappelle Jacques Solé (1993), Ruth Rosen estimait que les développements
récents en nouvelles technologies et infrastructures avaient profité aux grandes entreprises
plus qu’aux femmes. Elle insistait justement sur l’exploitation du corps de la femme dans la
pub et la pornographie. Mais elle avait la lucidité d’admettre que les femmes pouvaient en
tirer la sage conclusion de la faire d’abord servir à elles-mêmes.

22
D’ailleurs la question de l’égalité homme-femme tend à prendre une forme car comme le
souligne la sociologue Thanh-Dam Truong (citée par Solé, 1993), qui reproche au féminisme
de n’envisager la prostitution que comme une victime de la violence mâle, elle est d’abord
une affaire de pouvoir et non de moral ou de sexe. En effet, les femmes ne sont plus les seules
impliquées et la prostitution concerne aussi bien les enfants et les hommes. Elle est en fait là
où est le pouvoir. Or aujourd’hui le pouvoir est plus que jamais lié à l’argent et s’étonnera-t-
on de voir ainsi certaines entreprises l’encourager en allant jusqu’à installer des salons de
massage dans leurs locaux.

Sur cette question d’égalité, les revendications de certaines prostituées s’inscrivent en fait
dans un contexte où la volonté d’égalité fait exploser les velléités des minorités et les volontés
d’indépendance et de reconnaissance individuelle. Et dans une société marchande où
l’individu doit vendre ses compétences - le terme n’est pas trop fort - pour être pris lors d’un
entretien d’embauche, est-il vraiment surprenant de voir en la prostitution et sa consommation
un moyen pour accéder à cette reconnaissance ?

Le milieu de la prostitution est donc en pleine mutation et si l’on se prostitue toujours


pour survivre, certains commencent désormais à vivre de cette activité. Le champ de
contraintes liées à la prostitution est donc plus que jamais à rapporter au cas individuel,
même s’il est utile de rappeler que cette prostitution plus libre est encore largement
minoritaire.

Ainsi, pour Jacques Solé (1993), la solution du problème ne réside pas dans une
distinction simpliste entre l’existence et l’inexistence de la contrainte mais dans l’appréciation
de ses différents degrés dont la traite serait le plus haut et la prostitution routinière le plus bas.

Conclusion
Pour conclure, la prostitution, aussi vieille soit-elle, non seulement existe toujours mais
n’a jamais eu une telle ampleur. Aidée en cela par les nouvelles technologies, elle s’intègre et
explose naturellement dans une société obsédée par l’argent et la matière faisant de ses
enfants vierges des produits de luxe.

Mais comme le fait remarquer Jacques Solé (1993), pendant que les gouvernements se
perdent en conjecture sur l’attitude à mener à son propos, que les médias exploitent
allègrement l’image de la femme, il devient, du fait de son ampleur et des dégâts causés par le
sida, plus urgent de limiter ses conséquences que de la condamner car dans l’état d’esprit

23
actuel tourné vers le merchandising absolu la prostitution a malheureusement sa place. C’est
pourquoi, lorsqu’on prend conscience de l’ampleur du problème, la question du marchandage
humain ne semble plus être d’actualité. L’important aujourd’hui serait plutôt de remédier aux
autres horreurs qu’il entraîne.

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