Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
“Je préfère les femmes qui jettent des sorts plutôt que les hommes qui construisent des
EPR.” déclarait Sandrine Rousseau lors d’un entretien accordé au journal Charlie Hebdo sur
le thème de l’écoféminisme. La figure de la sorcière, auparavant associée à des pratiques
cruelles et démoniaques1, s’est transformée à partir des années 60 en un symbole
d'émancipation féminine (le collectif WITCH aux Etats Unis est créé en 1968). La sorcière
est celle qui refuse son rôle subalterne et qui détient le savoir, celle qui sont autres que mères
ou filles, libre ou non d’enfanter.
La force de cette symbolique tient en majeure partie à l’idée que l’on se fait de la
persécution dont les sorcières ont fait l’objet au Moyen Âge et plus particulièrement à
l’époque Moderne. Cette chasse menée par des institutions machistes (l’Eglise, l’Inquisition)
prônant des valeurs masculines forme un parallèle symbolique efficace pour caractériser la
domination de la culture paternaliste et phallocratique de nos jours. Un effet doublement
renforcé par l’importance de la mise en scène au cours des procès et des châtiments qui a vu
naître à partir du XIXe siècle une forte production artistique et culturelle en Occident (les
sorcières de Salem, etc.). Les mouvements s’appuient donc également sur une iconographie
et une force symbolique déjà bien installée dans les imaginaires des publics occidentaux.
Hors ce tissu symbolique, la réalité de cette perception est plus discutable. En effet, on ne
recense quasiment aucun de procès pour sorcellerie au Moyen-Âge2, les sorcières et sorciers
faisaient plus souvent l’objet d'une condamnation sociale mais très rarement institutionnelle3.
De la même façon que les jugements en sorcellerie de l'Époque moderne n’étaient pour la
plupart pas menés par des organes directement liés à l’Eglise mais plutôt par des magistrats
laïcs4. L’idée d’un persécution de la sorcière par l’Eglise et au Moyen-Âge tient aux travaux
de Jules Michelet et plus précisément à son ouvrage intitulé La sorcière (1862) qui mit à
profit cette idée, dans une démarche idéologique plus qu'historienne5, pour faire mauvaise
presse au Moyen-Âge et à l'Église.
D’autres procès, cette fois-ci du Moyen-Âge, bien que moins mis en avant par la recherche
historique et les médias semblent faire échos aux procès de sorcières. En effet, on observe en
Europe Occidentale au Moyen-Âge et à l’époque moderne un grand nombre de procès
1
Henri INSTITORIS, Jacques SPRENGER, Le Marteau des sorcières : Malleus Maleficarum, Jérôme Millon,
coll. « Atopia », Grenoble, 2009.
2
Franck MERCIER, La vauderie d'Arras : une chasse aux sorcières à l'automne du Moyen Âge, Presses
universitaires de Rennes, coll. « Histoire », Rennes, 2006.
3
Martine OSTORERO, “La répression de la sorcellerie aux marges du Royaume de France à la fin du
Moyen-Âge, Cahiers de recherche médiévales et humanistes, 2011.
4
Ibid.
5
Denis CROUZET, Le XVIe siècle est un héros: Michelet, inventeur de la Renaissance, Paris, Albin Michel,
2021.
d'animaux. Ceux-ci sont parfois rapprochés, notamment par les mouvements éco féministes
des procès de sorcières, car selon ces derniers l’on perçoit au cours des procès une dimension
patriarcale analogue. Cependant peut-on distinguer une réelle filiation entre les procès
d’animaux et les procès de sorcières? Peut-on même y entrevoir une perspective de véritable
lutte intersectionnelle?
6
Robert DELORT, Les animaux ont une histoire, Seuil, Paris, 1984.
7
Pierre-Gilles LANGEVIN, Recherches historiques sur Falaise. Supplément, Falaise, 1826.
8
Michel PASTOUREAU , Une histoire symbolique du Moyen-Âge occidental, Seuil, Paris, 2004.
9
Ibid.
mis en place tout au long du déroulé de l’affaire qui démontre un peu plus l’importance de
l’évènement.
. Ce procès, qui a surtout fait office de curiosité au cours du XIXe siècle, a été exhumé à
partir de la fin du XXe siècle par les rares travaux historiques sur l’histoire des animaux (qui
auparavant était surtout cantonnée à la Petite Histoire). En effet, ce procès est un laboratoire
très intéressant pour observer le rapport de l’homme à l'animal et au vivant au Moyen-Âge, et
plus largement de comprendre les mécanismes sociétaux et les dynamiques culturelles à
l’action dans la considération de l’altérité. Ainsi, il sert autant d'antichambre pour
comprendre le rapport de l’homme médiéval à l’animal, que par extension de l’homme
médiéval à lui-même mais également au regard de l'habillement du cochon, au genre.
“La créature elle-même sera libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la
liberté de la gloire des enfants de Dieu.” écrit saint Paul dans son épître aux Romains. Cette
phrase forme l’objet d’une importante querelle théologique et philosophique à l'origine de
deux courants de perception de l’animal au Moyen-Âge. En effet, de cette phrase découle
une question très importante: quelle place doivent occuper les animaux dans la société? Et
plus exactement, qu’est ce qui les différencient des hommes?
Il convient tout d’abord d’effectuer un retour sur le rapport de l’homme médiéval à l'animal.
Ce dernier se cristallise par le biais de cette citation de Saint Paul. En effet, celle-ci introduit
pour les théologues et intellectuels du temps l’idée que l'animal serait, au même titre que
l’homme, une créature de Dieu et donc un chrétien10. Ainsi, de la même façon que le
chrétien, l’animal, doit observer des jours de jeûne lors du Carême, faire maigre les vendredis
et même accéder au Paradis. Ceci inclut également que comme tout chrétien, l’animal est
responsable moralement et pénalement. Un animal peut donc être jugé et condamné pour ne
pas avoir respecté les commandements sacrés.
Ce courant conceptuel n’est pas unique, on reconnaît un autre mouvement qui sépare
nettement l’homme de l’animal. Selon le prisme de celui-ci, dont le représentant majeur est
saint Bernard11, l’animal est plutôt caractérisé dans ce qu’il a de différent et d’inférieur. D’où
l’importance de la symbolique animale au Moyen-Âge, il est celui qui fait exemple et
accentuer la bestialité de certains de leurs comportements permet de justifier un peu plus
l’interdit qui peuvent peser sur ces derniers.
Cependant, le courant considérant l’existence d’une communauté chrétienne d’êtres
vivants est dominant dans certaines parties de l’Europe Occidentale notamment en France
(plus particulièrement à la Sorbonne12). C’est cette pensée qui est à l’origine des procès
d'animaux et de celui de la truie de Falaise. Dans ce cas doit-on analyser la symbolique
entourant le procès comme une simple expression du souci de montrer le lien de la truie aux
hommes dans le sens de la thèse de Saint Paul ou comme un désir de féminiser plus que
d’humaniser la truie?
10
Robert DELORT, Les animaux ont une histoire, Seuil, Paris 1984.
11
Bernard DE CLAIRVAUX, L’apologie à Guillaume de Saint Thierry, Librairie de Louis Vivès, Paris, 1866.
12
Michel PASTOUREAU , Une histoire symbolique du Moyen-Âge occidental, Seuil, Paris, 2004.
La truie de Falaise: une icône animale ou femelle?
La richesse de cet événement explique que certains courants écoféministe ce soient emparés
de l’affaire, ils marquent celle-ci comme l’un des prémices de la persécution des sorcières des
siècles suivants et plus généralement comme l’expression significative de la société et des
valeurs patriarcales de l’Europe Occidentale13. En effet, un rapprochement peut être exécuté
entre les deux procès du point de vue de la mise en scène du supplice. Tout d’abord l'usage du
feu, qui possède un caractère purificateur14 et qui est une méthode réservée aux hérétiques et
aux crimes de mœurs graves. En outre, il apparaît que la truie ait été habillée durant son
procès et avant son supplice en femme, ce que certains courants écoféministes interprètent
comme une action visant à féminiser la truie plus qu’a l’humaniser. Par ce geste l’institution
expliquerait une partie de la cruauté de l’animal par son caractère féminin.
Une pratique qui s’explique aussi quand on considère la dimension symbolique inégal du
cochon comparé à la truie. Le cochon est souvent rapproché de l’homme au Moyen-Âge.
L’un des exemples les plus parlants sont les cours d’anatomie, où l’on suppose que le cochon
dispose d’une organisation anatomique proche de l’homme. Ainsi pour contourner l’interdit
religieux qui prohibe de disséquer des corps humains, on effectue la majorité des études sur
des corps de cochons15. Cette pratique a des origines pratiques mais également culturelles,
due à l’aspect et à l’intelligence du cochon qui lui ont octroyé dans les sociétés européennes
occidentales une place de cousin16.
Là où la truie elle a hérité d’attributs moins valeureux, on met surtout en lumière sa
dimension vorace et infanticide, en effet il ne serait pas rares que, donnant naissances à de
nombreux porcelets, elle en étouffe quelques uns qu’elle dévore ensuite17. Ce qui a pus
rejoindre le mythe ancien de la femme infanticide.
D’après cette conclusion, le procès de la truie de Falaise pour le meurtre de Jean le Maux,
prend une coloration toute différente, si l’on considère que le prévenue était une truie et non
un cochon et qu’elle a été habillée en femme, le procès prend une tournure différente.
Peut-on voir dans le procès de la truie une dimension misogyne?
Malheureusement un manque d’historiographie sérieuse empêche de l’affirmer. En effet,
en dehors des quelques minutes du procès qui nous sont parvenues (sachant que la
représentation sur les murs de l’église de la Trinité ne sont plus visibles) nous disposons de
peu de sources nous permettant de déterminer exactement l’habillement de l’animal. Michel
Pastoureau lui même n’est pas catégorique quant aux vêtements, la truie a bien été habillée,
mais on ne sait si elle fut habillée en homme ou en femme? Existe-t-il une lecture féministe
de l’évènement?
13
Maria MIES, Vandana SHIVA, Ecoféminisme, L’Harmattan, Paris, 1999.
14
Frédéric ARMAND, Les bourreaux en France. Du Moyen Age à l'abolition de la peine de mort, Éditions
Perrin, Paris, 2012.
15
Marylin NICOUD,« Formes et enjeux d'une médicalisation médiévale : réflexions sur les cités italiennes
(xiiie-xve siècles) », Genèses, vol. 82, no. 1, 2011, pp. 7-30.
16
Michel PASTOUREAU, Le cochon, histoire d’un cousin mal aimé, Découvertes Gallimard, Paris, 2009
17
Ibid.
Dessin représentant le procès de la truie de Falaise issu du livre The book of days : a miscellany of popular
antiquities, Robert CHAMBERS, 1869. [Intéressant de noter la ressemblance entre la truie et l’éclésiaste
accusateur]
« Les contemporains sont façonnés par des événements qu’ils peuvent ignorer et dont la
mémoire même se sera perdue ; mais rien ne peut empêcher qu’ils seraient différents, et
penseraient peut-être d’autre façon, si ces événements n’avaient pas eu lieu »18. Cette phrase
de Françoise d’Eaubonne met en lumière un phénomène : celui de l’héritage culturel que
nous portons tous et toutes sans même en avoir conscience. L’Histoire a longtemps été écrite
par l’homme, de ce fait, n’existerait-il pas une lecture plus féministe de l’histoire, non pas
dans un sens de parti pris, mais qui mettrait en lumière des phénomènes de domination
masculine jusqu’alors peu connus. Que signifie tuer une “sorcière” ? Quelles en sont les
conséquences ? Que nous dit le procès de la truie de Falaise de notre rapport à l’animal
contemporain et d’où vient-il ?
18
Françoise D’EAUBONNE, Le Sexocide des sorcières, L’Esprit frappeur, Paris, 1999.
L’intérêt porté dans les mouvements féministes pour la période de la chasse aux sorcière ne
tient pas seulement dans le fait qu’il s’agisse d’un événement tragique de l’Histoire qui a
longtemps été ignoré, perpétuant de ce fait son caractère sexiste, mais aussi pour la révolution
culturelle que cet événement a permis. Ce ne sont pas simplement des femmes qui ont été
brûlées durant cette période, c’est aussi le paradigme d’une époque. Selon Anne L.Barstow,
les chasses aux sorcières ont mis fin à “la sous-culture féminine vivace et solidaire du
Moyen-Âge”19, la montée de l’individualisme qui a suivi, pour le cas de la femme, peut
s’expliquer selon elle largement par un sentiment de peur où sororité rimerait avec
sorcellerie. De plus, les femmes suspectées de sorcellerie étaient en majeure partie des
célibataires ou des veuves, et donc des femmes qui ne dépendent d’aucun homme pour leur
subsistance. On a donc une double dynamique, la diabolisation d’un modèle : la femme
indépendante, et la mise en place des conditions nécessaires à l’émergence d’un nouveau
modèle féminin à travers la désolidarisation des femmes qui ne peuvent plus, de par leur
isolement, se battre pour leurs droits.
Les femmes se voient interdire l’accès à l’apprentissage des métiers, elles sont
expulsées des corporations, elles ne peuvent donc plus subvenir économiquement seules à
leurs besoins20. Tandis que les femmes mariées perdent des droits au moment du mariage
avec la réintroduction du droit romain en Europe à partir du XIème siècle qui entérine leur
incapacité juridique. Ce phénomène est confirmé en France à travers le code civil en 1804
qui, au nom de la stabilité familiale, déclare la soumission de la femme à l’autorité du mari.
On reproche aux “sorcières” d’être des anti-mères, le sabbat était un moment où l’on se
nourrissait des cadavres d’enfants selon les dires de l’époque. En 1556, une loi oblige toute
femme enceinte en France à déclarer sa grossesse et à disposer d’un témoin lors de
l’accouchement. Selon Armelle le Bras-Chopard, l’époque de la chasse aux sorcières est
désormais révolue puisque la loi elle-même “permet de brider l’autonomie de toutes les
femmes” et donc l’existence de “sorcières” en tant que femme savante et indépendante.
C’est dans ce contexte que peut se développer à la fin du XVIIIème siècle, l’idéal de
la femme sentimentale, assujetie à un homme qui la protège de par sa nature fragile.21 Cette
domination masculine à la fois légale et dans les mœurs permet l’émergence d’un nouveau
paradigme rationnel et masculin que Francis Bacon, savant anglais du XVIème siècle
considéré comme le père de la science moderne qualifie de “naissance masculine du temps”.
La masculinité de la science inaugure de ce fait une ère nouvelle ayant une relation
épistémologique au monde plus propre, plus pure, plus objective et plus disciplinée.22 Le lien
entre la perte de droits des femmes et la naissance d’une ère masculine est fait par Guy
Bechtel en ces termes : “la machine à fabriquer l’homme nouveau était aussi une machine à
19
Anne L. BARSTOW, Witchcraze. A New History of the European Witch Hunts, HarperCollins, New York,
1994
20
Mona CHOLLET, Sorcières, La puissance invaincue des femmes, La Découverte, Paris, 2018.
21
Maria MIES, Vandana SHIVA, Ecoféminisme, L’Harmattan, 1999.
22
Mona CHOLLET, Sorcières, La puissance invaincue des femmes, op. cit.
tuer les femmes anciennes”23. Susan Bordo qualifie ce phénomène de “drame de la
parturition” car s’opère une “fuite loin du féminin, loin de la mémoire de l’union avec le
monde maternel, et un rejet de toutes les valeurs qui y sont associées”24. On quitte le monde
organique du Moyen-Âge associé au féminin pour un monde détaché et objectif associé au
masculin qui a pu se développer une fois que les connaissances, les conditions de vie et la
relation étroite avec la nature des “sorcières” aient été détruites. C’est en référence à cela
qu’Irene Diamond et Floria Orenstein parle de l’écoféminisme comme “un terme nouveau
pour une ancienne sagesse”25.
23
Guy BECHTEL, La Sorcière et l’Occident. La destruction de la sorcellerie en Europe, des origines aux
grands bûchers, Plon, Paris, 1997.
24
Susan BORDO, The Flight to Objectivity, Essays on Cartesianism and Culture, State University of New York
Press, Albany, 1987.
25
Irene DIAMOND, Gloria ORENSTEIN, Reweaving the World: The Emergence of Ecofeminism, Sierra Club
Books, New York, 1990.
26
Emilie HACHE, Reclaim : Anthologie de textes écoféministes, Cambourakis, France, 2016.
27
Mona CHOLLET, Sorcières, La puissance invaincue des femmes, op. cit.
femme étant faits28 il a fallu détruire ces schémas mentaux et diaboliser la femme sorcière et
la nature chaotique pour justifier l’exploitation sans frein de la nature.
Cette association entre la femme et la nature se retrouve une fois cette révolution
dogmatique faite avec l’exemple de l’oeuvre du sculpteur français Louis-Ernest Barrais, La
Nature se dévoilant à la Science. On y voit une femme dénudée au niveau de la poitrine,
retirant gracieusement son voile, sans résistance. La nature est toujours associée au corps de
la femme, ici sa poitrine, mais elle est désormais domptée au travers d’une femme docile, qui
en se dénudant accepte de se rendre vulnérable et de se montrer à nu de la même manière que
l’on rasait les sorcières afin d’inspecter le moindre signe du diable ou que l’on rase la forêt.
Cette peinture témoigne d’une nature et d’une femme qui ont été domptés par des siècles de
révolution culturelle.
La Nature se dévoilant à la Science,
Louis-Ernest Barrais, 1884
Le fait de supposer que le procès de la truie de Falaise et les autres procès d’animaux
semblables à celui-là puisse avoir des caractéristiques et logiques similaires que les procès de
“sorcières” nourrit le mouvement écoféministe d’un imaginaire fort de souffrance partagée
entre les femmes et les femelles.
Dans un entretien à France Inter pour parler de son dernier ouvrage en 2019,
l’historien Michel Pastoureau s’exprimait en ces termes : “je n’ai aucune animosité envers les
éleveurs de porcs, je ne milite dans aucune société protectrice des animaux ; je suis
simplement historien, spécialiste des rapports entre l’homme et l’animal. Or l’honnêteté
m’oblige à dire que ces porcheries industrielles sont des lieux abominables, constituant une
sorte d’enfer sur terre pour les animaux qui s’y trouvent.”29 Dans ces propos, Michel
Pastoureau invite à relativiser nos schémas mentaux actuels dans la lecture du procès de la
truie, il est anachronique que de s’amuser de cette époque où les Hommes pensaient que les
animaux avaient une âme. Il faudrait plutôt se nourrir de cela pour repenser ou mettre à
distance la manière dont aujourd’hui nous considérons les animaux. En effet, “les truies sont
enfermées par centaines dans des espaces qui leur interdisent de se déplacer. Leur vie durant,
elles ne voient jamais la lumière du soleil, ne fouillent jamais le sol, sont nourries d’aliments
chimiques, gavées d’antibiotiques, inséminées artificiellement. Elles doivent produire le
maximum de porcelets en une seule portée, avoir le maximum de portées dans les quelques
années de leur misérable vie, et lorsqu’elles ne sont plus fécondes, elles partent à
l’abattoir”30 nous dit l’historien.
28
Mona CHOLLET, Sorcières, La puissance invaincue des femmes, op. cit.
29
France Inter, Le cochon, notre cousin mal-aimé" : la carte blanche de Michel Pastoureau sur la condition
animale, Culture, 2019.
30
Ibid.
Si l'écoféminisme est antispéciste comme affirmé dès la première convention sur le
sujet : “[l’écoféminisme] affirme la force et l’intégrité particulières de tout être vivant”31,
aucune mention particulière n’est faite aux femelles, ces animaux qui de par leur nature
génitrice voient leurs corps violentés, phénomène auquel les femmes pourraient se rattacher.
Evidemment, il ne s’agit pas de dire qu’il faut sauver les femelles plus que les mâles de
l’élevage intensif au nom d’une sororité du vivant mais plutôt que si l’on décide de repenser
notre rapport actuel à la nature et aux animaux, cela suppose de rentrer dans un schéma de
pensée qui considère une truie comme victime de viol ou une brebis comme victime de rapt
de son enfant.
Les animaux libres, en dehors du système esclavagiste des chairs n’ont, quand à elleux,
qu’un seul nom , hors des dénominations nécessaires aux violeur, sexeur, naisseur,
engraisseur, tueur.”33 Ici, nesclave signifie née esclave et le titre “END HUSBANDRY, NOUS
SOMMES TRUIES” signifie “STOPPONS L’AGRICULTURE, NOUS SOMMES TRUIES” où
l’usage de l’anglais permet de faire une référence à la domination masculine où “husband”
signifie mari. Il s’agit ici de considérer comme sexiste la scission entre nature et culture qui a
eu lieu au moment des Lumières ainsi que la victoire de la rationalité masculine sur la
spiritualité féminine entérinant notamment l’abolition de tout droit animal et notamment celui
des femelles. Ce mouvement femelliste m’a semblée intéressant pour ce développement étant
donné qu’il permettrait de défendre à la fois la truie de Falaise et les truies d’aujourd’hui dont
31
Maria MIES, Vandana SHIVA, Ecoféminisme, op. cit.
32
Boucherie-Abolition. [en ligne] Boucherie-Abolition (page consultée le 15 décembre 2021)
33
Solveig HALLOIN (2021). END HUSBANDRY, NOUS SOMMES TRUIES. Boucherie-Abolition [en ligne]
<https://boucherie-abolition.com/2021/04/25/end-husbandry-je-suis-truie/>
le traitement actuel découle d’un changement de paradigme opéré en partie grâce aux chasses
aux sorcières.
Le procès de la truie de Falaise, si l’on ne peut affirmer son caractère sexiste, en dit
long sur notre rapport à l'animal de l'époque et par extension, à notre rapport contemporain.
C'est le pari qu'a fait l'écoféminisme que de se replonger dans le passé pour proposer un autre
récit, une autre manière de gérer et d'appréhender la crise environnementale. C'est un
mouvement qui se veut spirituel et créateur d'imaginaire tout en proposant des applications
concrètes. Si les femmes ont régulièrement gagné et perdu des droits au cours de l'histoire, les
animaux aussi, parfois pour les mêmes raisons ou motivations. La femme comme l'animal a
souffert de cette période de mutation culturelle qui a accompagné les chasses aux sorcières. Il
y a donc un potentiel de lutte intersectionnelle entre les deux dans lequel le procès de la truie
de Falaise pourrait jouer un rôle symbolique très fort.
BIBLIOGRAPHIE
- Susan BORDO, The Flight to Objectivity, Essays on Cartesianism and Culture, State
University of New York Press, Albany, 1987.
- Robert DELORT, Les animaux ont une histoire, Seuil, Paris, 1984.
RESSOURCES NUMERIQUES