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L'Homme

H. Strauss, The Mi-Culture of the Mount Hagen People, Papua New


Guinea
Pierre Lemonnier

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Lemonnier Pierre. H. Strauss, The Mi-Culture of the Mount Hagen People, Papua New Guinea. In: L'Homme, 1995, tome 35
n°133. pp. 155-158;

https://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1995_num_35_133_369892

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lui, risque d'être rebuté par la présentation de l'ouvrage. Dommage. Enfin, que penser
du style de l'auteur ? Il va de celui des guides touristiques au « Lançons-nous dans le
voyage au bout de la nuit créatrice » (p. 244), en passant par le genre « Plus incestueux
que moi, tu règnes ». Le lecteur jugera...

Jean-Paul Latouche
CNRS, Paris

1. Il y a toutefois une ambiguïté en ce qui concerne le titre de l'ouvrage : la couverture et la page de


garde en inversent les deux composants.
2. Mais au fait, aurait-on encore l'idée de traduire Hésiode en français à partir d'une traduction
anglaise ?

BIBLIOGRAPHIE
Barreré, Dorothy B.
1969 The Kumuhonua Legends : A Study of Late 19th Century Hawaiian Stories of Creation and
Origins. Honolulu, B.P. Bishop Museum Press.
Beckwith, Martha
1970 Hawaiian Mythology. Honolulu, University of Hawaii Press.
Daws, Gavan
1968 Shoal of Time : A History of the Hawaiian Islands. Toronto, Toronto University Press.
Howe, K. R.
1984 Where the Waves Fall. Honolulu, University of Hawaii Press.
Valeri, Valerio
1972 « Le Système des rangs à Hawaii », L'Homme XII (1) : 29-66.
1982 « The Transformation of a Transformation. A Structural Essay on an Aspect of Hawaiian
History (1809-1819) », Social Analysis 10 : 3-41.
1985 Kingship and Sacrifice. Ritual and Society in Ancient Hawaii. Translated from the French by
Paula Wissing. Chicago, The University of Chicago Press. [Voir compte rendu par David
Hicks dans L'Homme 105 : 157.]

Hermann Strauss, The Mi-Culture of the Mount Hagen People, Papua New Guinea.
Traduit par B. Shields, édité par G. Stiirzenhofecker & A. Strathern. Pittsburg,
Department of Anthropology, University of Pittsburg, 1990, 361 p., index, fig., ph.
(« Ethnology Monographs » 13).

Célèbre pour ses big men organisateurs d'échanges cérémoniels, la région de Mount
Hagen — située dans les hautes terres de l'actuelle Papouasie Nouvelle-Guinée — a fait
l'objet d'observations ethnographiques presque continues depuis le moment où les
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Blancs y pénétrèrent en avril 1933. Les premiers témoignages dont on dispose furent en
effet recueillis et publiés par le père Ross et le révérend Vicedom1 qui établirent dès
1934 les missions catholique et luthérienne dans ce qui devait devenir un haut lieu de
l'anthropologie mélanésianiste. Bien qu'il ait rejoint Vicedom en 1936, ce n'est qu'en
1962, du fait d'un long séjour dans un camp d'internement en Australie pendant
et après la Seconde Guerre mondiale (1939-1947), qu'Hermann Strauss,
missionnaire luthérien comme lui, fit paraître son propre livre2. C'est de ce dernier que G. Stiir-
zenhofecker et A. Strathern proposent une traduction anglaise et quelques
commentaires (malheureusement limités) permettant aux lecteurs qui n'ont pu avoir accès au
texte allemand de découvrir une ethnographie aussi fine qu'abondante et une analyse
sociologique qui constitue — si l'on peut dire, compte tenu de l'ordre des
publications — un passionnant « complément » aux travaux désormais classiques d'A. et
M. Strathern.
Entre 1936 et 1971, Strauss passa plus de quinze ans à Ogelbeng, en pays « mbo-
wamb » comme on disait alors, c'est-à-dire chez les Melpa. La durée de son séjour sur
le terrain, sa connaissance de la langue et son intérêt pour les catégories des Mbowamb
l'amenèrent à remettre en cause les interprétations de Vicedom (et de son collaborateur
Tischner) sur plusieurs points importants qui furent par ailleurs fort bien documentés
par ses successeurs : nature des groupes exogames, description des cultes rendus aux
Grands esprits, absence de classes sociales à Mount Hagen. Mais, comme le souligne à
juste titre G. Stiirzenhofecker dans l'introduction, c'est l'exposé minutieux, et
agréablement didactique, des représentations et des pratiques religieuses associées au
« complexe mi » qui constitue le fil conducteur de l'ouvrage.
Sans chercher à résumer cette notion dont Strauss s'est efforcé de montrer les
multiples facettes, disons que pour les Mbowamb le mi est l'entité sacrée par laquelle divers
pouvoirs cachés se manifestent aux membres d'une communauté donnée (mi-commu-
nity). C'est par le canal de mi que celle-ci bénéficie de ces pouvoirs — grâce auxquels
elle « croît et se multiplie » — ou qu'elle en subit au contraire les effets néfastes. Le mi
est représenté par un arbre, une plante, une pierre, etc., qui rappellent les circonstances
dans lesquelles les « êtres du haut » le « déposèrent » devant l'ancêtre fondateur d'un
groupe en échange d'un sacrifice. Unis par les cultes qui évoquent le sacrifice dont ils
tirent leur existence, les membres de ce groupe partagent également un sang identique,
reçu par l'intermédiaire de leur mi, et constituent un ensemble patrilinéaire exogame.
Fondement du lien social, le mi veille sur « sa » communauté en la protégeant des
atteintes extérieures et en faisant régner l'ordre en son sein : ainsi peut-il « manger » la
force vitale de ceux qui menacent l'harmonie du groupe ou attirent sur lui l'hostilité des
autres mi- communities par leur comportement délictueux.
Prenant la vie religieuse des Mbowamb comme point de départ et centre de son
analyse, Strauss montre que, plus encore que les échanges cérémoniels, ce sont les
pratiques sacrificielles qui rythment leur vie quotidienne. L'agriculture, le commerce
intertribal, les échanges économiques et les cultes tendent vers un même but : l'obtention de
porcs à sacrifier. Du même coup, pour l'auteur, l'activité des big men se trouve indisso-
ciablement liée au mi-complex dont elle n'est qu'une composante, car les porcs
domestiques sont au premier rang des animaux dont l'odeur de cuisson transmet la force vitale
aux divers esprits et habitants du monde invisible comme à « l'âme » des humains eux-
mêmes. D'une part les échanges cérémoniels peuvent être vus comme un moment d'un
processus plus large de circulation des animaux à sacrifier. D'autre part le statut et le
prestige qu'un big man tire de sa capacité à approvisionner en porcs sa communauté ne
sont que le reflet du pouvoir que lui confèrent les êtres surnaturels auxquels il offre des
sacrifices. La réussite d'un tel personnage est la preuve qu'il a su s'attacher la bien-
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veillance de ceux dont dépend, en dernière analyse, le sort de toute entreprise humaine.
Certains big men jouent d'ailleurs parfois un rôle dans la vie rituelle elle-même,
notamment en offrant les sacrifices qui, tout en reconstituant l'unité de leur communauté,
assurent la bonne santé et la prospérité de tous.
En d'autres termes, alors que les travaux des années 70 et 80 mettaient l'accent sur
le volet économique des sociétés à big men, Strauss donnait, dès 1962, de leur culture et
de leur organisation sociale une lecture qui n'est pas sans rapport avec les plus récents
travaux sur les sociétés de l'ouest des Highlands de Papouasie Nouvelle-Guinée. Ainsi
sa description de l'imbrication des sacrifices et des compensations lors de
l'établissement de la paix entre ennemis est-elle en accord avec l'ethnohistoire des Enga ou des
Huli3 qui indique que les cultes de fertilité et les sacrifices de porcs étaient associés aux
échanges entre groupes avant que ceux-ci ne prennent l'ampleur et l'aspect compétitif
qu'on leur connaît souvent aujourd'hui.
Ici, on doit remarquer que le travail de Strauss met une fois de plus les procédures
de compensation au centre d'un système à big men. Aux yeux des Mbowamb, tout
trouble de l'ordre du monde, tout malheur traduit une interruption de l'influence
bénéfique des esprits ou des pouvoirs cachés ; au pire, il s'agit d'une agression de leur part.
Les pouvoirs cachés aiment avant tout que règne la bonne entente entre les hommes et
que les problèmes soient réglés par la compensation et non par la violence. Dans tous
les cas, il importe de rétablir une harmonie rompue, entre humains souvent, mais aussi
— et toujours — entre ceux-ci et les esprits. Les sacrifices qu'on leur offre persuadent
ces derniers d'agir positivement. Or, fréquemment, les sacrifices sont pensés comme
une compensation. Par exemple, sacrifier aux esprits des morts, c'est leur offrir une
réparation pour les avoir trop longtemps négligés. De même, le repas sacrificiel qui
réconcilie deux groupes est efficace parce qu'il compense le triste spectacle qu'ont
donné aux esprits les humains. Inversement, lors d'une attaque de sorcellerie, le désir de
vengeance vise à compenser non seulement une mort par une autre, mais aussi le
sentiment d'impuissance, de «honte effrayée », c'est-à-dire d'abandon momentané par les
pouvoirs cachés que l'on ressent lorsqu'un membre de la communauté a été tué par
magie. Si la compensation et les sacrifices sont nécessaires au rétablissement de
relations pacifiques, inversement le refus de verser un dédommagement peut conduire au
déclenchement des hostilités. Il est important de noter que la violence n'est plus alors
un substitut direct de la compensation. Pour ceux qui en usent, il s'agit de prendre par la
force les biens que l'autre parti refuse de leur donner à titre de réparation pour un tort
quelconque. Si l'on blesse ou tue l'adversaire, ce n'est pas pour se venger mais pour
obtenir son dû. Ici, la symétrie est totale : la compensation permet aussi bien de passer
de la guerre à la paix que de la paix à la guerre.
Constatons enfin que l'ethnologie de la Nouvelle-Guinée se révèle à nouveau
cumulative. Certes, à dix ans de distance, H. Strauss et A. Strathern ont donné d'une même
société des analyses centrées sur des phénomènes de nature différente — « religieux »
d'une part, «économique» de l'autre — alors même que leurs ethnographies
respectives couvraient des champs largement comparables (le mécanisme du « financement »
est décrit par Strauss et les premiers travaux d'A. ou M. Strathern n'ignorent rien des
fonctions rituelles des big men ou des cultes). Il n'en reste pas moins que, loin d'être un
concert de fausses notes, le rapprochement des deux analyses donne au contraire du
système socioculturel des gens de Mount Hagen une vision élargie et enrichie. Celle-ci est
de toute première importance à un moment où l'accent mis sur la dimension rituelle des
échanges cérémoniels de porcs confère aux sociétés des Highlands une homogénéité
culturelle qui n'apparaissait pas dans les travaux d'anthropologie économique ou
politique.
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On ne peut qu'applaudir l'initiative de G. Stiirzenhofecker et d'A. Strathern : c'est


un livre essentiel et tout à fait d'actualité — trente ans après sa publication en
allemand — qui est aujourd'hui rendu accessible à un large public.

Pierre Lemonnier
CNRS-IRSEA, Aix-en-Provence

1. W. Ross, «Ethnological notes on Mt. Hagen tribes (Mandated Territory of New Guinea)»,
Anthropos, 1936, 36 : 341-363 ; G. F. Vicedom & H. Tischner, Die Mbowamb, Hamburg, Friede-
richsen, de Gruyter, 1943-1948, 3 vol.
2. Die Mi-Kultur. Der Hagenberg-Stämme im Öslichen Zentral-Neuginea, Herausgegeben vom Ham-
burgishen Museum für Völkerkunde III, Kommissionverlag Cram, de Gruyter, Hamburg, 1962.
3. A. Tumu, P. Munini, A. Kyangali, P. Wiessner, A View at Enga Culture, Madang, KPI
Publishing ; C. Ballard, communication personnelle ; voir aussi J. D. Muke, « The Wahgi Opo Kumbo.
An account of warfare in the Central Highlands of Papua New Guinea », Ph. D. Thesis, University
of Cambridge, Department of Archaeology, 1993.

Bernard Juillerat, La révocation des Tambaran. Les Banaro et Richard Thurnwald


revisités. Paris, CNRS Éditions, 1993, 231 p., annexes, bibl., fig., cartes (« CNRS
Ethnologie »).

Malgré l'étude célèbre de Richard Thurnwald, aucun anthropologue n'avait eu


l'idée, depuis 1915, de retourner chez les Banaro de Nouvelle-Guinée. Ces derniers
semblaient avoir rejoint le paradis des mythes anthropologiques. On pouvait presque se
demander, vu le silence qui régnait dans la littérature, s'ils existaient encore. Pourtant,
l'étude que Thurnwald leur consacra1 aguicha plus d'un ethnologue ! Car celui-ci y
décrit une double organisation dualiste qui est le lieu d'un échange de services sexuels
ritualisés entre partenaires (mundu) appartenant à une même maison des hommes.
À partir de cette double articulation, Thurnwald tenta de reconstruire l'histoire des
transformations sociales.
Étonnant personnage que Thurnwald. Juillerat, dans l'introduction, retrace son
itinéraire2. Il participa entre 1906 et 1909 à une première expédition en Mélanésie où il fit
des recherches à Bougainville et en Nouvelle-Bretagne. Entre 1912 et 1915, il est à
nouveau sur le Kai serin- Augusta Fluß (le Sépik actuel) avec l'expédition du Musée
d'ethnographie de Berlin. Il découvre alors le bassin des sources du Sépik puis s'installe près
de l'embouchure du fleuve. Deux jeunes garçons revenant des plantations lui parlent de
la société banaro qui se trouve à plusieurs jours de pirogue de son lieu de résidence.
Thurnwald effectue un voyage de quinze jours chez les Banaro afin d'y reconduire les
deux garçons qui lui servent d'informateurs : les pages du journal traduites par Juillerat
sont étonnantes. Vient la guerre. Il y perd presque toutes ses notes et les collections
qu'il avait amassées. À son retour en Occident, c'est en grande partie de mémoire qu'il
écrivit ses articles.
En 1989, Bernard Juillerat, qui avait travaillé chez les Yafar3, partit chez les Banaro
sur ce qu'il croyait être les pas de Thurnwald. De cette rencontre naît La révocation des
Tambaran. Comme l'indique le sous-titre du livre, l'auteur y propose une double lec-

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