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milieux kôngo
Nouvelle approche anthropologique d’une typologie des
forces surnaturelles
1 Introduction
Le développement d’une société est facteur de plusieurs éléments, mais il
implique toujours une évolution de mentalités des individus dans une société. La
sorcellerie est aujourd’hui un fléau qui court à contrecourant de l’évolution positive
des mentalités dans tout milieu où elle est prépondérante. Une étude
anthropologique des forces surnaturelles qui régissent les mentalités de la société
est donc indispensable pour une appréhension des faits qui puisse amener à une
élaboration correcte des méthodes efficaces visant à endiguer le fléau de la
sorcellerie.
Dans cet article, je vise à proposer, grâce à une analyse ethnologique basée sur la
société kôngo, une nouvelle typologie des forces surnaturelles devant amener à une
appréhension plus profondes de la relation entre la lutte contre la sorcellerie et le
développement et je vise aussi à fournir une nouvelle orientation de pistes des
solutions pour la lutte contre ce fléau.
Cette étude anthropologique, bien que basée sur la société kôngo offre des
conclusions qui sont applicables à toute société négro-africaine.
L’anthropologue américain Hutton Webster dans son libre intitulé la Magie dans
les sociétés primitives, nous permet de comprendre la typologie traditionnelle où les
forces surnaturelles sont divisées en forces impersonnelles (la magie blanche et
noire) et forces personnelles (l’animisme). Selon Webster, La magie est une qualité
reconnue, par expérience à des objets donnés; elle est donc impersonnelle.
L’animisme est une puissance personnelle, car elle est attachée à des êtres
spirituels (âmes désincarnées, esprits, et dieux) doués d’action volontaire.
Exemple :
Suivant cette règle du verbe loka provient le mot n’loki, et le mot ndoki doit
provenir du verbe doka. Ainsi on peut encore retrouver le vrai sens du mot ndoki en
se référant aux mots de la même famille que doka et en rapport avec le système
d’éducation précolonial. L’éducation en Afrique précolonial, comme en Egypte
pharaonique, comportait 3 phases symbolisant : la mort, la vie avec les esprits », et
la résurrection.
• Dokisa = soumettre
• Dokana = s’incliner,
• Doka = être courbé, d’où on tire n’doki = celui qui est soumis.
• Dodikila = exhorter
• Dokalala = exhorté
• Doka = persuadé.
Dans la seconde phase, symbolisant la vie avec les esprits, l’initié apprenait les
enseignements secrets, c’est la phase d’instruction exprimée par les mots suivants :
• Doka = étendre
• Makutu ma doka = oreilles (ouïe) fines.
Tout ce développement montre que le kindoki n’est qu’un savoir qui permet à
l’homme d’améliorer ces facultés spirituelles et intellectuelles.
Le kindoki acquis par la première voie ne peut être utilisé que dans le bien. Dans
le deuxième cas le kindoki peut être utilisé dans le bien comme dans le mal. Dans le
troisième cas le kindoki ne peut être utilisé que dans le mal, c’est-à-dire dans la
sorcellerie.
Ces trois modes d’acquisition du kindoki implique ipso facto trois sortes de
pouvoirs en présence dans la société kôngo et congolaise :
ancêtres
Crainte des coutumes ancestrales Argumentation
Spiritisme matériel
Moi divin
Suggestion
démoniaques
Cette façon de plaider contre la sorcellerie est connue dans toute l’Afrique noir
et j’ai observé que les Africains ont amené cette argumentation même dans les
Caraïbes où ils ont été forcés de partir.ix Cette argumentation n’a pas jusqu’ici attiré
l’attention des anthropologues, alors qu’elle montre la conviction profonde de
l’homme noir quand à la nature de la force de la sorcellerie.
Cet argument nous permet aussi de comprendre que pour l’Africain, la force
intrinsèque du sorcier réside dans le fait qu’il agit en tant qu’esprit ou en étant mû
par des esprits, car s’il est esprit, il appartient à un ordre supérieur d’humanité et a
de l’ascendance sur le commun des mortels et échappe à leurs lois.
11 Approche sociologique de la sorcellerie en tant que déviance
Dans son livre intitulé Introductory sociologyx, Russ Long propose principalement
trois explications des déviances :
• L’explication biologique,
• L’explication fonctionnelle,
• L’explication religieuse.
Cet argument nous montre que la force de la sorcellerie est la croyance que le
sorcier agit en tant qu’esprit ou comme mû par des esprits. Elle nous montre aussi
que selon la tradition africaine, nous ne pouvons lutter efficacement contre la
sorcellerie que dans des approches qui forcent le sorcier à choisir entre l’abandon
de sa conduite maléfique et l’effet boomerang qui conduit fatalement à la mort.
Dans le droit traditionnel kôngo quand quelqu’un avait raison on lui mettait le
kaolin, la couleur blanche (mpêmba) sur le front en signe de conformité à la vérité,
au droit, à la lumière, à l’ordre, etc. Tandis qu’à celui qui avait tort on mettait la
couleur noir (kala). Le diable dans la langue kôngo est désigné par le terme nkadi-
ampêmba. Plutôt que de faire allusion à une personne, le concept du diable
implique une attitude de pensée qui refuse la vérité, le droit, la lumière, l’ordre,
etc.; car nkadi désigne ce qui est amer, ce que l’on déteste.
Ainsi dans la pensée kôngo profonde la maladie, si elle n’est pas une réprimande
venant des ancêtres, est le fait d’avoir tort par défaut de se conformer à la vérité ou
de se mettre sous la protection des forces supérieures. En d’autres termes la
maladie est toujours la conséquence d’une attitude subjective. On peut ici se
demander : quand est-il des maladies naturelles ? Des telles maladies, mis à part le
fait qu’elles ne sont pas le résultat d’envoutement, étaient considérées comme ne
pouvant jamais entrainer la mort ; elles étaient donc des hiatus qui ne perturbaient
pas foncièrement l’ordre social.
Les efforts dans la lutte contre le fléau de la sorcellerie doivent s’inspirer de cette
approche pour arriver à endiguer plus efficacement ce mal qui gangrène les actions
entreprises dans le sens du développement.
14 Conclusion
Il est un fait indéniable que la sorcellerie opère à contrecourant de l’évolution de
la société. Mais la typologie des forces surnaturelles proposée jusqu’à présent par
l’anthropologie ne permettait ni de saisir ce qu’est réellement la sorcellerie, ni
d’arriver à des approches plus efficace contre un fléau qui mine tout effort de
développement.
Dans cet article je me suis efforcé de proposer une nouvelle typologie dans
laquelle les forces surnaturelles tant personnelles qu’impersonnelles sont classifiées
en divines, humaines, et démoniaques. Cette typologie permet de mieux
comprendre la sorcellerie en la différenciant du kindoki (le mystère initiatique et le
pouvoir qu’il confère), de fournir une explication du déclin des sociétés congolaises
traditionnelles basée sur la rupture de l’emprise du mystère divin sur l’humain et de
comprendre ainsi la nécessité, pour le développement des sociétés congolaises
d’aujourd’hui, de remettre le mystère humain sur une voie totalement positive, par
une lutte plus efficace contre les méfaits de la sorcellerie.
16 Bibliographie
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5. Charles Harvey, Ndoki, Kinshasa, 1974.
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9. Karl Laman, Dictionnaire kikongo-français.
10. Kimpianga Mahaniah, la Problématique crocodilienne à Luozi, CVA, Kinshasa,
1989.
11. Kimpianga Mahaniah, la Problématique crocodilienne à Luozi, CVA, Kinshasa,
1989.
12. Kimpianga Mahaniah, Vie et époque de Mbuta Mahaniah, Kinshasa, 1983
13. Matota-Ndongala-Masinda, "la Kindoki, obstacle à l’évolution chez les
Bakôngo", in les mouvements de résistance kôngo à l’évangélisation su 16e
siècle à nos jours, Mayidi, 1992.
14. Matukanga, "Ambigüité de la néoculture Kôngo", in 500 ans d’évangélisation
et de rencontre des cultures en pays Kôngo, Kisantu, 1996, pp. 130-131.
15. Mbiti, J., Religions et philosophies africaines, Yaoundé, 1972
16. Meinrad P. Hebga, Sorcellerie, chimère dangereuse…?, INADES Editions,
Abidjan, 1979.
17. Russ Long, Introductory sociology, www.varsitynotes.org.
18. Van Dyck, J., F. S. C., Vocabulaire kikongo-français, Tumba.
19. Zamenga Batukezanga, Kindoki, Kinshasa, 1996.
i Matota-Ndongala-Masinda, "la Kindoki, obstacle à l’évolution chez les Bakôngo", in les
mouvements de résistance kôngo à l’évangélisation su 16e siècle à nos jours, Mayidi, 1992, p. 97.
ii Hutton Webster, la Magie dans les sociétés primitives, Payot, Paris, 1952, p.344.
iii Meinrad P. Hebga, Sorcellerie, chimère dangereuse…? INADES Editions, Abidjan, 1979, p.16.
iv Matukanga, "Ambigüité de la néoculture Kôngo", in 500 ans d’évangélisation et de rencontre des
cultures en pays Kôngo, Kisantu, 1996, pp. 130-131.
v A. Fukiau, Le Mukôngo et le monde qui l’entourait, Kinshasa, p.133.
vi Mode de pensée africaine où la primauté est donnée à l’intuition sur la raison et où le phénomène
physique est perçu comme n’étant qu’une conséquence de l’activité des plans supérieurs.
vii Le Kimpasi est l’une des écoles initiatiques où l’on formait l’élite de la société kôngo.
viii C. Harvey, Ndoki, Kinshasa, 1974, p. 99. Le pasteur Harvey parle du kindoki : comme étant « un
aspect important de la sorcellerie. » (p. 1). Ainsi j’estime que dans le passage cité il parle du sorcier,
un malfaiteur, non du ndoki tel que j’explicite le sens de ce mot. Le pasteur a donc failli de faire la
distinction entre le kindoki et la sorcellerie.
ix Les Haïtiens de Port-de-paix m’ont affirmaient qu’ils connaissent cette façon d’argumenter qu’ils
ont souvent entendu chez les anciens.
x Russ Long, Introductory sociology, www.varsitynotes.org.
xi Kiatezua L. Luyaluka, Vaincre la sorcellerie en Afrique, Harmattan, Paris, 2009, pp. 117-118.
xii Hutton Webster, la Magie dans les sociétés primitives, Payot, Paris, 1952, p.344.