Vous êtes sur la page 1sur 19

Genre, sexualité & société

14 | Automne 2015 :
Varia
Articles

Mobilisation de femmes
chinoises migrantes se
prostituant à Paris. De
l’invisibilité à l’action collective
The Mobilization of Migrant Chinese Women who prostitute in Paris. From invisibility to collective action.

HÉLÈNE LE BAIL

Résumés
Français English
Cet article décrit comment des migrantes chinoises se prostituant à Paris, encore invisibles il y a
quelques années, se sont fait remarquer dans les manifestations de travailleuses/eurs du sexe en
2013, ont été consultées par les autorités nationales et locales et ont créé une association
communautaire en 2014. Trois facteurs de mobilisation sont décrits  : une identité collective
construite sur une expérience migratoire fortement stigmatisée  ; le soutien d’un partenaire
associatif militant ayant mobilisé des ressources pratiques, politiques et médiatiques ; enfin, un
contexte de réforme législative sur la prostitution et de mobilisation plus large des associations de
travailleuses/eurs du sexe en France qui a représenté une fenêtre d’opportunité. L’analyse
chronologique des données de terrain met avant tout en évidence un processus de mobilisation
soulignant la synergie entre un groupe de femmes chinoises en quête de reconnaissance et un
programme humanitaire militant de l’ONG Médecins du Monde.

Almost invisible in the Parisian urban landscape a few years ago, the Chinese sex workers  have
attracted lots of attention since 2013 due to their involvement  in the recent demonstrations
against a new bill on sex work. Since then, the Chinese women, mostly irregular residents, were
invited by elected  representatives  on local and national level and they created a sex worker
collective at the end of 2014. To explain the rallying of highly stigmatized and precarious migrant
women, three factors can be studied. Firstly, those women share a collective identity based on a
common migration experience which is highly stigmatized. Secondly, they have the support of a
well-established NGO which mobilized practical, political and media resources for them. Thirdly,
their mobilization took place in a period of legislative reform and of broader mobilization among
sex workers’ groups, which was a window of opportunity. The article proposes a chronological
account of the mobilization process which underlines the synergy between the quest of legitimacy
by the Chinese migrants and the militant approach of a humanitarian NGO, Doctors of the World.
Entrées d’index
Mots-clés : migration, Chine, prostitution, action collective, santé communautaire
Keywords : migration, China, sex work, collective action, community health

Texte intégral

Introduction
1 17 décembre 2014, journée internationale de lutte contre les violences faites aux
travailleuses et travailleurs du sexe, le rassemblement annuel s’organise à Belleville avec
un nouvel acteur : une association de femmes chinoises travaillant dans le quartier, Les
Roses d’Acier.
2 « La présidente brandit fièrement le poing : “Les roses, c’est le symbole de la féminité.
Et l’acier, c’est pour exprimer l’idée qu’on est fortes.” Elles attendent une centaine de
travailleuses du sexe, ce 17 décembre, à Belleville. »1
3 Il y a seulement dix ans, ces femmes étaient peu nombreuses, très isolées. Encore
aujourd’hui, beaucoup sont en situation de séjour irrégulier, dans des conditions
économiques précaires, ne parlent quasiment pas français et sont peu intégrées dans les
communautés chinoises du quartier. Comment expliquer qu’en l’espace d’une dizaine
d’années des femmes invisibles dans les débats sur la prostitution se retrouvent en tête
des manifestations à Paris, créent leur association en 2014, inventent leur propre forme
d’action collective, pacifique et symbolique (le balayage des rues de Belleville2), soient
auditionnées par le Sénat et s’expriment dans de nombreux médias ?
4 Les travaux sur les prostitué(e)s d’une part (Mathieu 2001), sur les sans-papiers
d’autre part (Siméant 1998), ont montré combien le passage à l’action collective pour
des personnes fortement marginalisées était incertain, voire improbable. Or, les femmes
chinoises sans-papiers se prostituant à Paris cumulent les deux formes de marginalité et
font ainsi face à l’imbrication de rapports de domination lié au genre, à leur activité
stigmatisée et à leur statut de migrante. L’étude de leur mobilisation nous permet de
contribuer aux travaux qui questionnent l’impact de la migration sur les rapports
sociaux de genre. Alors que nombre de ces femmes migrent «  grâce  » à la
mondialisation d’une division genrée du travail pour remplir des emplois du «  care  »
(Sassen 2001  ; Falquet et al. 2010), certains travaux insistent sur la réification des
inégalités entre hommes et femmes, et sur le renforcement des relations de domination
et d’exploitation (Parreñas 2001 ; Ehrenreich et Hochschild 2004), d’autres constatent
que ces migrations favorisent un gain d’autonomie pour les femmes (Constable 2005 ;
Bélanger et Tran 2011). Cette polarisation des points de vue est particulièrement forte
dans le cas des travailleuses du sexe migrantes (Dorlin 2003  ; Guillemaut 2006  ;
Agustín 2007  ; Liu 2011). Notre démarche est certes de prendre en compte des
situations imbriquant plusieurs formes de rapports de domination (Falquet et al. 2006 ;
Kergoat 2009) et de décrire, hors des perspectives moralisantes, comment ces rapports
de pouvoir sont construits par des politiques migratoires et sécuritaires qui renforcent
les stigmas (en particulier celui de « putain », Pheterson 2001). Mais la démarche est
aussi de souligner que ces rapports de forces ne sont pas stables et que les migrantes les
font évoluer grâce à leur émancipation (Miranda, Ouali, Kergoat 2012) illustrée, ici, par
la capacité à se mobiliser. Nous nous inscrivons en cela dans la continuité des travaux
de Morokvasic en soulignant comment la capacité de choix et d’action des femmes ne
doit pas être oubliée même dans des situations évidentes de domination
(Morokvasic  1975, 2010) et combien les rapports de genre peuvent être mobilisés
comme une ressource ainsi que cela a déjà été démontré dans le cas des migrantes
chinoises en France (Levy et Lieber 2009), au Japon (Le Bail 2012) ou à l’intérieur de la
Chine (Liu 2011).
5 Dans cet article nous souhaitons étudier le processus par lequel les prostituées
chinoises s’émancipent et font entendre leur voix malgré une situation de forte
stigmatisation. Nous avons pour cela recours aux outils de la sociologie de l’action
collective afin de mettre en évidence, dans la continuité des travaux de Siméant et de
Mathieu évoqués ci-dessous, et dans la tradition des travaux sur la mobilisation des
ressources (Neveu 2002), que le passage à l’action nécessite des intermédiaires pour
aider à l’acquisition des ressources. Nous faisons l’hypothèse que l’éthique de travail
d’une ONG engagée auprès des femmes chinoises se prostituant à Paris a joué un rôle
clé dans leur passage à l’action collective.
6 Ainsi, dans une première partie, tout en revenant sur les caractéristiques propres du
groupe concerné, nous décrirons pourquoi l’ONG Médecins du Monde a pu être un
partenaire clé en faveur de leur mobilisation, mais aussi combien le contexte législatif et
de mobilisation plus large des travailleuses/eurs du sexe a représenté une fenêtre
d’opportunité et orienté les modes de passage à l’action.
7 La seconde partie proposera un analyse chronologique des données de terrain3 afin
de décrire le processus de mobilisation soulignant la synergie entre des femmes
chinoises en quête de reconnaissance et un programme humanitaire militant.

Facteurs de mobilisation : identité


collective, partenaires associatifs et
contexte de réforme.
8 Cette première partie pose trois éléments de contexte qui permettent de comprendre
le processus de mobilisation des femmes chinoises au cours des dix dernières années.
Nous verrons, premièrement, comment l’isolement de ces femmes qui migrent seules a
été compensé par une expérience migratoire commune fortement stigmatisée leur
permettant aujourd’hui de mobiliser une identité collective. Deuxièmement, l’identité
militante d’un partenaire associatif clé, Médecins du Monde, a été décisive dans la
mobilisation des ressources pratiques, politiques et médiatiques. Enfin, le contexte de
réforme législative sur la prostitution, de débats sur les présupposés qui doivent décider
des choix politiques et de mobilisation plus large des associations de travailleuses/eurs
du sexe en France a représenté une fenêtre d’opportunité.

Des migrantes isolées, des travailleuses


stigmatisées
9 Les femmes chinoises qui se prostituent à Paris ne représentent bien sûr qu’une petite
part des migrantes chinoises en France. Leur parcours migratoire explique leur
marginalité dans la société française, ainsi que dans la population chinoise de Paris. La
quasi-totalité de ces femmes est venue sans contact de proches en France, faisant le
voyage seules grâce à un visa d’affaire ou de tourisme. Elles sont originaires de régions
chinoises qui n’ont pas de tradition migratoire4 et donc pas de réseaux de
connaissances et elles se trouvent souvent, selon les témoignages, dans des situations de
conflit, d’exploitation ou de rejet de la part de Chinois originaires d’autres régions5. En
général, ces migrantes chinoises sont venues dans le but de financer un projet
(l’éducation des enfants, leurs installation matérielle en vue du mariage, etc.) ou de
surmonter des dépenses exceptionnelles (frais médicaux d’un membre de leur famille,
dettes, etc.) (Lévy 2012, Lévy et Lieber 2009). C’est à la fois la difficulté du marché du
travail ethnique et leur projet financier au pays qu’elles évoquent pour légitimer leur
décision de se prostituer.
10 Par ailleurs, leur marginalisation dans la société française est aussi le fait de leur
statut de résidence et de leur activité. Selon une enquête réalisée entre 2010 et 2012
auprès de 86 femmes, 45  % étaient en situation irrégulière, 6  % avait un permis de
séjour et 49  % avaient une autorisation provisoire de séjour dans le cadre d’une
demande d’asile (MdM 2013a). En outre, leur profil dément un certain nombre d’a
priori sur les prostituées migrantes  : elles sont relativement âgées6, s’habillent de
manière peu ostensible et travaillent en indépendantes.
11 Elles forment donc un groupe homogène en termes d’origine et de parcours
migratoire. Toutefois, séjour irrégulier, précarité, manque d’organisation interne au
groupe, absence d’expérience de la mobilisation font que le passage vers un engagement
dans l’action collective requiert la présence de partenaires pour les aider à définir « les
formes et enjeux de leur mobilisation  » et pour rendre accessible les ressources
nécessaires à cette mobilisation (Mathieu 2001 : 288). Dans le cas de la mobilisation des
femmes chinoises se prostituant à Paris, le soutien d’un programme de prévention de
Médecins du Monde a joué un rôle essentiel dans la mobilisation et la politisation des
femmes chinoises se prostituant à Paris.

Le programme de Médecins du Monde : la santé


comme point d’entrée de la mobilisation contre les
discriminations
12 Au début des années 2000, l’ONG Médecins de Monde (ci-dessous MdM) constate la
présence de femmes chinoises se prostituant dans les rues de Paris tout
particulièrement exclues du système de santé du fait de l’imbrication de plusieurs
facteurs tels que leur statut irrégulier de résidence, la barrière de la langue et la
stigmatisation de leur activité. De ce constat, est né en 2004 un nouveau programme
appelé le Lotus Bus qui vise à prévenir les risques liés au travail sexuel et à faciliter
l’accès aux structures publiques de soin et de services sociaux. Ce programme est un
acteur central dans le processus de mobilisation des femmes chinoises. L’implication
des salariés et bénévoles en faveur de l’action collective de leurs usagères se comprend
au regard de méthodes de travail mettant en avant la capacité de décision des
bénéficiaires.
13 Dès la création du programme Lotus Bus, des membres de l’ONG se battent pour qu’il
s’inscrive dans une approche dite de « réduction des risques » (harm reduction), ou de
santé communautaire, qui privilégie la prise de décision par les personnes concernées.
Influencé par le modèle des associations communautaires apparues dans les années
1990 (Mathieu 2001), telles le Bus des femmes, Cabiria ou Grisélidis (voir note 10), le
Lotus Bus s’inscrit dès le départ contre les discours qui privilégient une analyse
victimisante des personnes se prostituant.
14 La démarche de réduction des risques s’est développée au début des années 1990
auprès des usagers de drogue. Il s’agit de travailler au plus près des personnes
concernées sans juger leurs pratiques. Pour cela le Lotus Bus met en place des
permanences mobiles en bus sur les lieux de prostitution, ou à proximité, afin de mettre
à disposition du matériel de prévention et d’offrir un espace d’écoute. Les premiers lieux
d’intervention ont été les quartiers parisiens de Strasbourg Saint-Denis, Belleville,
Crimée, puis de la Porte Dorée (remplacée par Porte de Choisy) et enfin Place de Clichy.
Ces permanences sont assurées par des personnes du corps médical et des interprètes
sinophones. Le programme assure aussi un suivi plus individualisé avec interprétariat
(consultations médicales, dépistages, accompagnements dans les CPAM, les
commissariats, les tribunaux, etc.) ainsi que la traduction d’informations sur les risques
liés aux IST et sur les droits des étrangers et des travailleuses/eurs du sexe. En 2015, le
programme a rencontré 500 femmes en moyenne par semaine. Trois salariés travaillent
à plein temps dont une salariée paire (une femme chinoise se prostituant ou s’étant
prostituée), aux côtés d’une trentaine de bénévoles.

Illustration 1 : Le premier bus du programme Lotus Bus (Dessin de Damien Rondeau).


15 En France, MdM définit son action comme politiquement engagée contre toute forme
de discrimination envers les individus, les groupes ethniques ou religieux et
d’exclusions nées de la pauvreté, de la précarité et des pathologies7. L’ONG est attachée
à la définition de la santé communautaire formulée au cours de la première conférence
internationale pour la promotion de la santé en 1986 (Charte d’Ottawa). Il s’agit de
prendre en compte les déterminants sociaux de la santé (dont la justice sociale), de
reconnaître que les individus et les communautés constituent la principale ressource de
santé8. Cette réflexion sur les rapports entre corps médical et usagers croise, à la fin des
années 1990, la question de l’épidémie du VIH et des réponses à y apporter sachant que
les personnes les plus précaires ou marginalisées sont celles qui ont le plus grand risque
d’être infectées (MdM 2013b). C’est dans ce contexte que l’approche par la réduction
des risques s’est développée en France, portée par des associations communautaires,
ainsi que par de nouveaux programmes développés par l’ONG Médecins du Monde. Ces
programmes ont visé avant tout les usagers de drogue, domaine dans lequel MdM a été
plusieurs fois précurseur (Simonnot 2013)9.
16 Bien que n’étant pas au même titre que d’autres associations nées dans les années
1990 une « association communautaire », les programmes prostitution de MdM qui se
sont montés dans les années 2000 sont fortement nourris de l’expérience de ce type
d’association10. Une place active est donnée aux usagers qui en négociant les besoins
avec le corps médical assurent une plus grande efficacité des soins (Bernard 2013). La
démarche suppose en outre le non-jugement de l’autre, de ses pratiques et de son mode
de vie, et un principe de «  bas seuil  » (tenter de ne mettre aucune condition, aucun
critère pour accéder aux services), tout ceci dans le but d’établir un lien de proximité
avec les personnes les plus exclues.
17 Toutefois cette approche reste l’objet de tensions au sein même de l’ONG et
l’implication croissante des usagères du Bus, voire leur autonomisation est un enjeu de
légitimation en interne de l’approche choisie, ainsi qu’aux yeux des «  vraies  »
associations communautaires qui deviennent des partenaires proches. En effet, le
processus de polarisation qui oppose les associations de soutien aux prostituées dans
une logique abolitionniste et les groupes issus de la démarche communautaire et
préventive tel que décrit par Lilian Mathieu (2013, pp. 180-185) est également présent
au sein de l’ONG. Au début des années 2000, quand le programme du Lotus Bus est mis
en place, les débats sont tendus. La question de la prostitution relève alors du groupe
thématique «  Santé génésique  » qui pose le problème en termes de «  personnes
prostituées victimes de trafic  »11 et refuse d’adopter une approche de réduction des
risques pour les programmes auprès des prostitué(e)s comme cela était le cas pour les
consommateurs de drogues. La rédaction du projet Lotus Bus a été un sujet polémique,
car l’approche choisie allait décider des pratiques médicales et de la relation établie avec
les usagères. La réduction des risques suppose que les personnes se prostituant ne sont
pas passives et savent mieux que les intervenants ce qui est bon ou non pour elles
(Simonnot, 2013, p. 40). L’objectif n’est pas de les « sauver » d’un trafic.
18 Or au cours des années 2000, puis 2010, l’approche préconisée entre aussi en conflit
avec les discours politiques dominants sur la prostitution. Médecins du Monde renforce
alors son plaidoyer politique en se focalisant sur l’idée que la pénalisation accentue la
stigmatisation des personnes se prostituant et, par-là, contribue à rendre l’accès aux
soins plus difficile et les risques de violences plus grands. Si ce plaidoyer évoque les
questions concrètes d’accès aux soins et de prévention des violences, il se base aussi sur
la négation du postulat présentant les travailleuses du sexe comme des victimes. Afin de
donner du poids à ce positionnement, l’ONG alors favorisé l’implication des femmes
chinoises dans son plaidoyer.

Le contexte de réformes législatives : une fenêtre


d’opportunité pour la prise de parole directe
19 La présence croissante de migrant(e)s se prostituant en Europe a engendré une vision
misérabiliste et sécuritaire de la question et nourri le renouveau des législations
abolitionnistes (Mathieu 2013  : 219-240). La question migratoire et la victimisation
systématique des personnes se prostituant tendent à créer un amalgame entre plusieurs
approches politiques pourtant distinctes : problème moral, problème de crime organisé,
problème migratoire, problème de conditions de travail, problème de droits humains
(Wijers et van Doorninck 2002  ; Mai 2012  ; Doezema 2010). Selon la perspective
privilégiée pour traiter la question, les stratégies politiques sont soit répressives
(répression des prostitué(e)s ou des clients  ; lutte contre le crime organisé ou contre
l’immigration irrégulière), soit protectrices (protection des droits des femmes et/ou des
droits des travailleuses/eurs du sexe, les deux domaines étant considérés de façon
antagonique par les politiques publiques).
20 Depuis les années 2000, on observe un retour des discours abolitionnistes et une
volonté de légiférer légitimée par la présence croissante de migrant(e)s se prostituant en
Europe et la réaffirmation du statut de victime de ces personnes dans le cadre d’un
proxénétisme transnational (Mathieu, 2013). Cette tendance est doublée d’une politique
sécuritaire. Le cas des prostituées migrantes illustre ainsi la tension entre des choix
politiques guidés par les logiques de «  sécurité sociale  » et de «  sécurité publique  »,
tension particulièrement forte lorsque l’État a affaire à des populations précaires
(Fassin et alii, 2013, p.  13). Les femmes chinoises en tant que personnes en situation
irrégulière, sont à la fois la cible du durcissement des politiques migratoires et des
mesures prises en faveur de la protection des droits individuels des étrangers (Fischer,
2013). En tant que personnes se prostituant, elles sont la cible de politiques répressives
fondées sur la sécurité publique et de politiques protectrices fondées sur la lutte contre
la traite des personnes et sur la protection des personnes vulnérables. La frontière est
mince entre répression et protection comme on le voit dans les choix politiques qui
limitent l’égalité démocratique des personnes se prostituant en proposant des
«  mesures de surveillance et de contrôle rationalisées sous forme de «  protection
spéciale » qui serait nécessaire pour des « personnes vulnérables » » (Pheterson, 2001,
p. 154).
21 En 2003, le gouvernement UMP crée un délit de racolage passif, dans le cadre de la
Loi pour la sécurité intérieure (article 225-10-1 du Code pénal). Cette mesure, comme
d’autres prises dans le cadre de cette loi, est dénoncée comme représentant une
nouvelle criminalisation de la pauvreté : « exclure encore plus les exclus » et donc les
précariser encore plus (Wacquant, 2004). Le gouvernement socialiste qui prend le
pouvoir en 2012 condamne le fait de pénaliser les «  victimes  » et propose une
pénalisation des clients, une plus grande protection des «  victimes  » et un travail de
prévention par l’éducation  : des propositions rassemblées dans la proposition de loi
renforçant la lutte contre le système prostitutionnel (ci- après proposition de loi sur la
prostitution) présentée à l’Assemblée nationale par une députée socialiste le 4 décembre
2013. La pénalisation des clients est la recommandation phare du rapport de la mission
d’information sur la prostitution du 13 avril 201112.
22 La discordance entre discours répressif et protecteur est par exemple illustrée par les
arrestations de femmes chinoises en décembre 2013 à Paris dans le 13ème
arrondissement13. Au moment même où l’Assemblée nationale débat de la proposition
de loi sur la prostitution, loi qui se fonde sur le postulat que la plupart des personnes se
prostituant sont des victimes, la police judiciaire mène une vaste opération contre le
proxénétisme dans le 13ème arrondissement. Une trentaine de femmes chinoises sont
arrêtées avec brutalité et soupçonnées de proxénétisme. Loin d’être considérées comme
des victimes, elles sont traitées avec brutalité. Presque toutes sont aussitôt relâchées,
mais au cours de ces arrestations de l’argent a été confisqué (les sommes déclarées par
les femmes et la police ne correspondant pas toujours) et des objets ont disparu, de plus
des femmes racontent des tentatives d’intimidation de la part de policiers qui leur
recommandent de ne plus travailler dans ce quartier.
23 En France, le renouveau des politiques publiques visant à lutter contre la prostitution
s’inscrit aussi dans un contexte où les femmes de l’immigration ont été instituées en
tant que problème public. Ainsi les mesures politiques qui les visent se multiplient dans
l’objectif de lutter contre des formes de violences qui seraient spécifiques à la migration
(Manier, 2013). Si les principaux objets des mesures politiques sont les mariages forcés,
la polygamie et les mutilations, la prostitution est aussi présente dans les rapports
officiels qui considèrent que plus que les «  Françaises  », les femmes migrantes sont
victimes de leur situation, en particulier victimes des réseaux de traite des personnes.
24 Comme beaucoup de rapports récents, la proposition de loi fait reposer la motivation
de la nouvelle législation sur la présence croissante d’étranger(e)s (90  % selon des
estimations souvent reprises, mais non vérifiables) et sur le lien tiré entre la migration
de ces femmes et le développement de réseaux transnationaux de traite des personnes :
«  Les pays d’origine sont bien connus (Roumanie, Bulgarie, Nigeria et Chine
principalement) et démontrent l’emprise croissante des réseaux de traite sur la
prostitution. »14 Pour Mathieu (2013), la réactualisation du thème de la traite est un
peu postérieure à la remobilisation abolitionniste, mais lui donne une impulsion
décisive. Rares sont les analyses qui mettent de côté la question de la traite des
personnes et proposent un cadre plus large, tel celui de la migration de travail (Agustin,
2007). Pourtant le processus migratoire des femmes se prostituant n’est pas très
différent de celui des autres travailleurs migrants. Tout en prenant en compte les
multiples contraintes et structures socio-économiques qui amènent ces femmes à se
prostituer, en soulignant aussi que beaucoup envisagent la prostitution comme une
activité temporaire, les divers travaux de terrain soulignent que la majorité des femmes
ont pris une décision autonome en se prostituant, que ce soit avant ou après la
migration (Darley 2007  ; Agustin 2007  ; Lévy et Lieber 2009), montrent qu’il peut
même s’agir d’une forme de “micro-résistance”, la prostitution permettant de
développer de l’expérience et de l’autonomie (Guillemaut, 2006).
25 Cette autonomie est généralement omise, voire niée, dans les discours
institutionnels15. Un des textes représentatifs de cette tendance, et qui influence le
débat politique en France, est le Protocole de Palerme ou Protocole additionnel à la
Convention des Nations-Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à
prévenir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (2001). Ce
protocole porte avant tout sur la prostitution, il « valide et rend officielle la construction
des femmes migrantes comme des victimes de trafic. Ceci implique que les femmes ne
sont pas considérées comme des sujets de leur propre histoire, mais comme des objets
(de trafic)  » (Guillemaut, 2006, p.  160). Les femmes migrantes prostituées ayant pris
une décision indépendante ne représentent selon les législateurs qu’une exception et
leur voix ne serait pas représentative. Les Chinoises de Paris seraient donc une
exception ne pouvant orienter les choix politiques.
26 La principale critique faite à la législation abolitionniste est qu’elle fait « croire que les
effets induits par toutes [les] violences sur les personnes touchées sont dues à l’activité
elle-même et non au stigmate et à la répression tout azimut de la prostitution » (Monnet
2006). Lutter contre la prostitution sans stigmatiser les personnes se prostituant
apparaît pour la plupart des observateurs tout à fait illusoire. L’impact sur les femmes
des mesures politiques prises pour faire reculer la prostitution est invariablement une
combinaison d’isolement, de stigmatisation et de marginalisation qui les expose à des
risques accrus de violence et d’abus étant donné le statut illégal de leur travail (Wijers et
van Doorninck 2002 ; David 2013).
27 Sous couverts de lutte contre le proxénétisme, la traite des personnes et le crime
transnational organisé, les politiques peuvent renforcer les violences faites aux
personnes se prostituant. Le programme Lotus Bus a mené une enquête entre 2010 et
2011 qui souligne la quasi absence de proxénétisme dans le cas de la prostitution
chinoise à Paris (MdM 2013a). Les rares cas évoqués de versement d’argent sous la
menace sont liés à des disputes et des cas de racket isolés. Le proxénétisme prend avant
tout la forme de proxénétisme de soutien (sous-location d’un lit, d’un lieu de travail,
aide à la recherche de clients sur internet, etc.) et reste aujourd’hui loin de concerner
toutes les femmes. Ce type de proxénétisme ne doit donc pas être confondu avec
l’existence de traite des personnes et de réseaux internationaux, sans nier que cela
existe, voire tende à se développer. Les personnes rencontrées sur le terrain évoquent
des dettes de voyage, mais ces dettes ne sont pas en lien avec l’existence de réseaux
transnationaux de traite de prostituées, ces femmes ayant fait le choix de partir et ne
s’étant pour la plupart prostituées qu’après avoir divers petits boulots en France.
28 Au-delà du cas des migrantes chinoises, les enquêtes menées par Cabiria apportent
des résultats similaires : 81 % des femmes déclarent être parties volontairement de leur
pays, celles forcées de partir l’ont été par leurs proches et non par des réseaux criminels
(sur 500 entretiens, l’association n’a enregistré qu’un seul cas de rapt) (Guillemaut
2007). Ces constats sont encore confirmés par d’autres travaux de recherche tels ceux
de Nick Mai à Londres qui souligne la nécessité de dépasser la dichotomie entre des
migrantes se prostituant librement ou sous la contrainte, de dépasser l’approche en
termes de victime ou d’esclavage qui correspond rarement à la façon dont les personnes
concernées vivent leur situation. Le travail sexuel est rarement un choix, mais une
décision réfléchie découlant d’un long processus d’expérimentation de divers emplois
dans le secteur du sexe ou non. Cette décision dépend beaucoup de l’entourage social,
de la normalisation de la vente de service sexuels, ainsi que de considérations
économiques lorsque la personne compare les conditions de travail et de revenus à
celles d’autres petits boulots (Mai, 2012). Le processus de décision est très similaire
dans le cas des femmes chinoises en situation irrégulière dont les conditions de travail
sont particulièrement mauvaises à Paris et les besoins financiers urgents. Ces femmes
ne sont pas victimes de la traite dans le sens où elles ne migrent pas sous la contrainte.
Elles sont toutefois souvent victimes de violences et de coercition qui arrivent plus tard
dans le processus migratoire16. Or les violences évoquées par les femmes sont certes
liées au proxénétisme et aux clients, mais aussi dans une large mesure aux pratiques
policières (MdM 2013a).
29 Alors que la commission d’enquête et la proposition de loi écrivent : « les personnes
prostituées sont victimes de violences particulièrement graves qui portent atteinte à leur
intégrité physique et psychique  », les enquêtes de terrain, elles, soulignent les
conséquences des violences du contrôle policier. Celle de l’association Cabiria montre
que 66 % des femmes ont décrit des violences perpétuées par la police et 14 % par des
clients (vient ensuite la violence des passants, des autres prostituées) (Guillemaut
2007)17. L’enquête du Lotus Bus souligne aussi l’importance des abus policiers  :
arrestations abusives, utilisation des menottes, privation de nourriture et humiliation
pendant la garde à vue, obligation de signer des procès-verbaux sans traduction, vols,
menaces, etc. Ces violences se sont aggravées depuis la création du délit contre le
racolage passif de 200318.
30 Malgré la mise en place d’auditions des différents acteurs et actrices du monde de la
prostitution au cours de l’élaboration de la proposition de loi sur la prostitution, le
sentiment que les principaux(ales) concerné(e)s ne sont pas entendu(e)s autant
qu’ils/elles le devraient reste fort. Acteurs associatifs ou non dénoncent l’approche du
groupe de député(e)s décrétant savoir pour certaines femmes ce qui est mieux pour
elles. «  Le pire se trouve être dans la confiscation de la parole des prostituées parce
qu’inaudible, parce que jugée fausse, qu’elle soit perçue comme dictée par le vice, un
proxénète ou par la misère  » (Monnet, association Cabiria, 2006). L’idée même de
parler au nom des autres est antagonique avec l’approche de santé communautaire et la
démarche de réduction des risques décrites ci-dessus. C’est donc dans ce contexte
politique particulier que se met en place une synergie entre les femmes chinoises se
prostituant à Paris et le programme du Lotus Bus. La politisation des femmes chinoises
est venue légitimer le choix de méthodes de travail à l’intérieur de l’ONG, mais aussi
épauler le travail de plaidoyer mené par cette association contre des lois stigmatisantes
qui tendent à repousser l’accès aux soins et à renforcer les discriminations. Nous allons
décrire dans la seconde partie comment le Lotus Bus a fait un travail de mise à
disposition de ses ressources pour favoriser la prise de parole et l’action collective des
femmes chinoises.

De l’invisibilité à l’action collective : vers


une prise de parole directe des femmes
chinoises se prostituant à Paris.
31 Nous souhaitons dans cette seconde partie décrire le lent processus par lequel
membres du programme Lotus Bus et femmes chinoises se sont progressivement
impliqués dans l’action politique. Nous verrons combien l’ONG a souvent eu un rôle
d’initiatrice mais que les choix d’action étaient confirmés et confortés par l’écho trouvé
chez des femmes désireuses de défendre leurs droits. Ainsi les actions collectives
menées par les femmes chinoises sont le fruit de l’interaction entre les travailleuses du
sexe chinoises et l’ONG (relayée progressivement par d’autres partenaires, tel le
STRASS).
32 Avant même les grandes manifestations de travailleuses/eurs du sexe de 2013, 2014
et 2015 au cours desquelles les femmes chinoises ont été chaque fois plus visibles, le
programme Lotus Bus a eu recours à diverses actions pour mettre en avant la parole des
usagères. En plus de son travail de prévention santé, les activités se sont diversifiées en
faveur de l’accompagnement juridique et du plaidoyer politique. Il s’est agi tout d’abord
d’amener les femmes à porter plainte, première étape pour légitimer leur parole.

Premières démarches collectives auprès des


institutions locales. Construire la légitimité
33 Assez rapidement après la mise en place du programme, les salariés et bénévoles du
programme ont été confrontés à la difficulté pour des personnes en situation
extrêmement précaire de faire valoir leurs droits en tant que victimes de violences. Il
s’agit non seulement de faire savoir aux femmes qu’elles peuvent faire des démarches,
mais aussi de sensibiliser les services de police à leur situation. En 2008, des femmes
acceptent de porter plainte pour viol accompagnées par l’ONG. La coopération avec la
police permet d’arrêter le violeur rapidement. Bien qu’une des cinq plaignantes ait été
expulsée de France avant la fin du procès et qu’une autre n’ait pas voulu y assister (son
mari le lui ayant interdit), le procès s’est déroulé en la présence de trois femmes
chinoises et le coupable a été condamné. Cette expérience a modifié le rapport de ces
femmes chinoises aux institutions françaises et facilité pour le Lotus Bus la
transmission du message selon lequel leur mobilisation peut avoir un réel impact sur
leur sécurité quotidienne (en condamnant les personnes qui les violentent ainsi qu’en
coopérant avec la police), ainsi que sur leur reconnaissance sociale (comme citoyennes
de facto ayant des droits).
34 Le jugement en faveur de ces travailleuses du sexe chinoises a marqué le groupe de
femmes du quartier de la Porte Dorée ainsi que l’équipe du Lotus Bus. L’affaire avait a
eu lieu dans un contexte répressif lié à l’application de la LSI et à une vague
d’arrestations pour racolage particulièrement dense dont les femmes chinoises
semblaient être la cible privilégiée dans ce quartier de Paris. Une femme avait été
arrêtée une centaine de fois en l’espace d’un an. Les nombreux témoignages des femmes
évoquant des arrestations abusives et l’impact sur leur travail (choix des lieux ou des
modes de travail qui augmentent leur insécurité) sont confirmés par l’enquête menée en
2010-2011 par le Lotus Bus qui propose alors d’aider les Chinoises de ce quartier à
entrer en dialogue avec les autorités locales et la police.
35 Ainsi le premier espace de parole pour ces femmes se plaignant du harcèlement
policier a été une rencontre avec la maire du 12ème arrondissement en 2011 grâce à la
médiation du programme. La seconde rencontre en présence du commissaire de police
fut beaucoup plus rude pour les femmes. Le commissaire y a monopolisé la parole
rappelant qu’elles étaient coupables de racolage et les accusant de faire de fausses
accusations au sujet d’abus policier (attouchements, menaces, chantages). Son discours
fut menaçant. Les femmes eurent le sentiment que leur prise de parole était contre-
productive et que les menaces des policiers ont alors augmenté dans la rue.
36 Toutefois, un noyau revendicateur s’était formé et ce sont cette fois les femmes qui
prennent l’initiative de pousser plus loin leurs revendications. Elles se rendent en
groupe au bureau de l’ONG en septembre 2011, le coordinateur du Lotus Bus leur
propose de les aider à rédiger une lettre pour le maire et le commissaire de
l’arrondissement au sujet des abus policiers à leur encontre. Ce courrier avait pour
objectif l’ouverture d’une enquête par la police des police, l’Inspection générale de la
police nationale (IGPN). MdM a été auditionné et a pu donner une liste des arrestations
considérées comme abusives (le Lotus Bus recueille après chaque tournée les
observations des bénévoles et les témoignages des usagères). Mais l’enquête n’a pas pu
se poursuivre car il était nécessaire d’avoir les témoignages de victimes, or aucune
femme n’a voulu témoigner sans anonymat par peur que le harcèlement policier ne les
vise personnellement.
37 Par ailleurs MdM a aussi saisi la commission nationale Citoyens-Justice-Police19 en
décembre 2011, pour «  abus policiers exercés à l’encontre de personnes chinoises se
prostituant à Paris ». Ceci permettait de faire mener une enquête sans avoir besoin que
les femmes donnent leur nom pour témoigner. Pour cette demande, le Lotus Bus avait
réalisé une analyse préliminaire des résultats de son enquête en cours sur les violences
faites aux femmes sur un échantillon de 56 femmes qui permettait de mettre en
évidence «  le nombre important de femmes chinoises se prostituant qui sont
interpellées et gardées à vue au titre du racolage ainsi que l’impact de ces arrestations
tant sur les conditions de vie de ces femmes que sur les conditions d’exercice de leur
activité » et qu’ainsi, par crainte de la répression policière, ces femmes adoptaient « des
stratégies d’évitement » qui les « exposent davantage aux autres formes de
violence »20. La pénalisation du racolage en 2003 avait été légitimée comme outil de
lutte efficace contre le proxénétisme : les arrestations des prostitué(e)s étaient censées
déstabiliser les réseaux de proxénètes et permettre d’engager le dialogue avec les
prostitué(e)s. Les enquêtes de MdM ont montré que les femmes étaient rarement
interrogées sur les possibles liens avec des réseaux lors des arrestations (MdM 2013a).
De même les enquêtes publiées par l’association Cabiria de Lyon soulignent l’absence de
dialogue et l’importance des menaces des policiers à l’égard des prostitués (Monnet
2006). L’enquête de la commission21 confirmait la violation des droits des femmes
chinoises et les effets néfastes des arrestations pour racolage.
38 Ces premières initiatives soulignent la capacité à mobiliser les ressources propres à
une ONG renommée : prise de contacts avec les élus, la police, le milieu juridique. Par
ailleurs, nous l’avons évoqué, le programme est influencé par le modèle des associations
communautaires de prostitué(e)s et tire un certains nombres de ressources de son
insertion dans un réseau d’associations. En particulier, le rapprochement avec le
STRASS est remarquable et le Lotus Bus a régulièrement recours à leur conseil
juridique. Par exemple, à la suite d’une grande opération de police dans le 13ème
arrondissement présentée comme une opération de démantèlement d’un réseau de
proxénétisme (voir ci-dessus), le programme Lotus Bus a recueilli les témoignages avec
une avocate bénévole et une juriste du STRASS afin de porter plainte en groupe contre
les abus policiers perpétués pendant l’intervention et les gardes à vue  ; puis il a
accompagné les femmes à se mobiliser collectivement malgré le temps long des
démarches juridiques, obstacle évident pour des personnes en situation précaire.
Premières manifestations et prises de parole sur la
place publique
39 La mobilisation des femmes du 12ème arrondissement décrite ci-dessus a fait évoluer
le programme Lotus Bus et favorisé une implication croissante des usagères. Ainsi au
cours de l’année 2011, l’ensemble de l’équipe, salariés et bénévoles, ont travaillé à la
réécriture des objectifs du programme pour que les usagères soient mieux impliquées.
C’est dans ce cadre que l’association a recruté en 2012 une intervenante qui avait
travaillé à AIDES dans le but de mettre en place l’accueil de bénévoles paires. En juillet
2012, est organisé un “Conseil de vie sociale” (pratique courante dans les établissements
ou centres sociaux pour permettre aux usagers de participer aux décisions) auquel
quatre femmes chinoises ont participé. Toutes sont devenues bénévoles sur le bus.
40 Un autre élément ayant favorisé leur mobilisation a été leur participation aux Assises
de la Prostitution22 (une femme chinoise en 2011, dix en 2013), la prise de contact avec
d’autres personnes se prostituant et en particulier avec le Syndicat du travail sexuel, le
STRASS, le plus militant en faveur de la légalisation de la prostitution et la
reconnaissance de leurs droits. La mise en contact avec des militants et la
compréhension des discours continue de passer par le soutien du Lotus Bus qui assure
toutes les traductions.
41 Les usagères du Lotus Bus sont de plus en plus sensibilisées aux débats politiques.
Dans sa campagne présidentielle, François Hollande avait parlé de sa volonté d’abroger
le délit de racolage et d’engager une réflexion sur la pénalisation des clients de la
prostitution. La position du PS est réaffirmée aux lendemains des élections par exemple
dans un entretien de la nouvelle ministre Najat Vallaud-Belkacem au Journal du
Dimanche23. Le Lotus Bus avait traduit cet article en chinois et l’avait affiché dans le
bus afin d’informer les usagères soucieuses de savoir si le changement de gouvernement
allait ou non confirmer l’abrogation du délit de racolage. La lecture de cet article a
engendré la rédaction spontanée d’une pétition des femmes contre le projet de
pénalisation des clients. Une centaine de femmes auraient signé cette pétition.
L’information circule et les discussions se développent entre femmes chinoises.
42 C’est dans ce contexte de dialogue, d’implication croissante dans le programme et de
sensibilisation aux débats sur la prostitution que la mobilisation nationale à l’occasion
des dix ans de la LSI a pris place. Pour permettre aux femmes chinoises d’y participer
malgré l’obstacle de la langue, le Lotus Bus a organisé des réunions préparatoires pour
expliquer les objectifs de la manifestation ainsi que les slogans. Une quarantaine de
femmes chinoises y ont participé. Alors que la direction des missions France de MdM
souhaitait manifester en marge des manifestations prévues par les travailleuses/eurs du
sexe, les programmes prostitutions de MdM, dont le Lotus Bus, ont insisté pour
s’intégrer à la manifestation des travailleuses/eurs du sexe afin de permettre aux
usagères d’apporter leur voix à celle des autres personnes se prostituant. Ce désaccord
rappelle les tensions toujours existantes au sein de Médecins du Monde concernant le
positionnement sur la prostitution et la volonté de l’ONG de garder une certaine
neutralité, mais pour le Lotus Bus l’important était de favoriser la visibilité et
l’engagement des femmes chinoises elles-mêmes.
43 La principale manifestation a eu lieu le 16 mars 2013. Au cours de la marche, les
femmes chinoises, frustrées de brandir des pancartes en français et de ne pas
comprendre les slogans des autres manifestants, ont créé leur propre slogan : « Wo men
yao ziyou, women yao chifan, wo men yao quanli  » (nous voulons être libres, nous
voulons manger, nous voulons des droits). Les femmes chinoises se prostituant à Paris,
masquées de blanc, furent nombreuses aux côtés des autres groupes, tels les
transsexuelles (beaucoup de latino-américain(e)s), les membres du STRASS et les
associations communautaires.

Illustrations 2 et 3 : Femmes chinoises à la manifestation du 26 octobre 2013 contre le


projet de loi sur la prostitution (photos de l’auteure).
44 Suite à cette grande visibilité des femmes chinoises, trois ont été reçues par la
Ministre des droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem le 25 mars 2013. Le
programme Lotus Bus de son côté fait partie des représentants de la société civile
auditionnés en amont de la rédaction de la proposition de loi sur la prostitution. Les
positions défendues par l’ONG et les femmes chinoises sont en accord. Leur parole est
particulièrement importante car elle défie un certain nombre de stéréotypes qui fondent
le projet de loi sur le « système prostitutionnel » : l’absence de réseaux transnationaux
de prostitution (les femmes sont en général arrivée avec un visa et ont tenté d’autres
boulots en France avant de choisir le travail sexuel), la rareté des proxénètes et le
caractère indépendant des femmes.
45 Les femmes chinoises sont à nouveau très mobilisées pour la manifestation organisée
à la veille du vote à l’Assemblée nationale de la proposition de loi (4 décembre 2013),
elles sont même co-organisatrices et en tête de la manifestation du 17 décembre 2014
pour la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Mais cette
fois, le rôle du programme de MdM est moindre car un groupe de femmes chinoises
vient de créer une association et a pris en mains l’organisation et le travail de
mobilisation de l’ensemble des femmes chinoises travaillant à Paris. Toujours grâce au
travail de traduction du Lotus Bus, mais aussi avec le soutien actif du STRASS, elles
mettent en place leurs statuts.
46 A chacune de ces manifestations, les femmes chinoises ont été particulièrement
nombreuses d’un quartier ou d’un autre suivant la communication des messages et leur
volonté de motiver les autres. La plupart sont restées d’un bout à l’autre du parcours et
ont exprimé leur détermination à revendiquer la dépénalisation de leur travail et à
dénoncer les violences institutionnelles.

Création d’un collectif de femmes chinoises


travailleuses du sexe : l’importance de la
citoyenneté locale
47 Fin 2014, six femmes sont à l’initiative de la création des Roses d’Acier. Elles sont en
situation irrégulière, en France depuis moins de deux à cinq ans. Elles ont toutes fait
l’expérience d’arrestations pour racolage et l’expérience de la garde à vue, voire de la
mise en centre de rétention. Certaines ont aussi été victimes de violences graves de la
part des clients. Le discours préparé pour la manifestation du 17 décembre (leur
première action de groupe) insiste sur la diversité des violences et le sentiment d’en
accumuler les effets plus que n’importe quel résident du quartier :

« Malgré les barrières de notre monde intérieur et de nos constructions


psychologiques, malgré de profonds dilemmes, nous avons fait le choix de la
prostitution pour vivre. En faisant ce choix, nous n’imaginions pas, et personne
n’imagine les difficultés et les soucis que nous endurons. Chaque jour nous
sommes sur le qui-vive : la peur des maladies, les regards froids des voisins, les
contrôles répétitifs et injustifiés de la police, la précarité de nos conditions de vie
et de travail. Chaque jour les travailleuses et travailleurs du sexe du monde entier
subissent physiquement toutes sortes de violences, jusqu’à en perdre la vie pour
certain(e)s.

Parmi les travailleuses du sexe de Belleville, qui ne travaille pas chaque jour la
peur au ventre ? Qui ne craint pas les actes de violence, les vols, voire les viols ?
Qui ne craint pas pour sa santé, pour sa sécurité ? Qui ne craint pas les contrôles
d’identité non motivés, les mises en rétentions, voire l’expulsion ?

Nous avons déjà supporté plus que notre part de discriminations, d’humiliations et
d’intimidations non seulement de la part des passants dans la rue et des autres
Chinois, non seulement des criminels et des délinquants, mais aussi de la part de
la police et du gouvernement. » (Discours de l’association Roses d’Acier, 17 dec.
2014)

48 Pour leur première action, les membres de l’association Roses d’Acier assurent leur
visibilité. Elles préparent de grandes banderoles indiquant en français et en chinois leur
nom et leurs revendications (et non plus les slogans de MdM) et répondent à toutes les
sollicitations de journalistes. Toutefois, plus que ces manifestations et la participation
au débat national, la première motivation de leur mobilisation est d’améliorer leur
situation au niveau local. Sans doute, le début d’un dialogue avec les représentants
politiques du 10ème arrondissement de Paris en septembre 2014 (demande de rencontre
faite via le Lotus Bus) et l’écoute obtenue a été un moment clé. Les femmes ont eu
l’impression d’être respectées et d’avoir été entendues en tant que résidentes du
quartier. Elles demandent à la mairie de les aider à organiser une rencontre avec les
commissariats ainsi que de pouvoir participer à des comités de quartier pour discuter
avec les riverains. Reconnues comme citoyennes et actrices de la vie locale, l’association
leur donne une occasion de retrouver une place sociale ainsi que l’illustre les deux
entretiens ci-dessous :

X. vient du Nord-Est de la Chine. Son mari est décédé. Elle est venue dans
l’intention de gagner de l’argent pour élever ses deux enfants. « Le but de notre
association est de pouvoir aider les autres à régler des problèmes. Moi quand je
suis arrivée je ne savais pas à qui demander de l’aide. Il existe le Lotus Bus et le but
de l’association est aussi d’aider les autres à trouver des solutions aux problèmes,
en particulier nous assurer plus de sécurité. Parmi les femmes du Nord de la
Chine, il n’y a pas beaucoup de solidarité peut-être parce qu’il n’y avait jusqu’ici
pas d’organisation, peut-être que les choses vont changer avec la création des
Roses d’Acier, je l’espère. En ce moment, si je n’ai pas de travail, je me dis que ce
n’est pas grave et je donne du temps à l’association pour aider les autres, les autres
me connaissent maintenant et peuvent me contacter. L’association des Roses
d’Acier c’est ne pas avoir peur des difficultés et chercher des solutions aux
problèmes la tête haute. » (janvier 2015)

J. est arrivée, il y a 9 mois. Elle a quitté sa famille avec une amie après une
formation de masseuse, mais sans papiers n’a pas pu trouver de travail. « Dans le
dortoir où je logeais à Paris, plusieurs femmes se prostituaient et m’ont proposé de
venir à Belleville. Les premiers jours étaient durs, je pleurais tout le temps.
Quelques semaines auparavant, j’étais mère au foyer, je m’occupais de mon enfant,
faisais la cuisine, je trouvais la situation très injuste.
Aujourd’hui c’est mon premier jour à l’association. Pour moi, cette association
parle des droits des femmes, elle est là pour les personnes isolées, pour celles qui
ont besoin d’aide. Je suis contente d’être membre de cette association. En fait
j’aime bien aider les autres, mais je n’en ai jamais eu l’occasion. En Chine je
n’aurais jamais pu participer à ce genre s’association. J’étais mère au foyer, je ne
sortais pas beaucoup, je n’avais pas beaucoup d’amis, j’avais peu de vie sociale. »
(janvier 2015)

49 L’association donne ainsi à ses membres une place sociale dans le quartier et cherche
à créer de la solidarité entre les travailleuses du sexe. A côté de la grande visibilité des
manifestations, l’essentiel des activités relève de l’action sociale  : cours de français,
voyages culturels, soirées dansantes. Toujours en coopération étroite avec le Lotus Bus,
les femmes organisent aussi des rencontres avec les institutions pour faciliter l’accès aux
structures de droits et aux commissariats. Enfin, leur dernière capacité à inventer leur
propre répertoire d’action a été illustré par la campagne de balayage des rues de
Belleville pour répondre aux accusations du Maire du 19ème disant qu’elles dégradaient
l’image du quartier. Nous n’analyserons pas ici ces derniers événements, mais ils nous
semblent intéressants en termes d’autonomisation des femmes, dans le sens où elles
affirment leur objectif prioritaire qui est celui de leur place dans le quartier.

Conclusion
50 Après plus de dix ans d’intervention auprès des femmes chinoises se prostituant à
Paris, le programme Lotus Bus de MdM a permis à ces femmes, souvent en situation
irrégulière et dans une grande précarité, de faire entendre leur voix. Le travail de
proximité et d’empowerment24 du programme s’est fait dans le souci de porter la voix
des personnes exclues du débat sur la prostitution alors qu’elles en sont les premières
concernées. Le programme s’est également construit et a évolué dans un contexte de
politisation croissante de la question de la prostitution et de radicalisation des
positions. Un processus d’interaction entre les salariés et bénévoles de MdM et les
travailleuses du sexe chinoises a permis la mobilisation au départ très improbable de ces
femmes pour lesquelles le temps nécessaire aux résultats de leur investissement est
souvent trop long  au regard de leur situation. En effet, les femmes ayant créé
l’association Roses d’Acier sont en situation irrégulière et pourraient être expulsées du
jour au lendemain. Beaucoup se plaignent de cette visibilité croissante, elles craignent
que les informations arrivent jusqu’à leurs familles en Chine qui s’interrogent sur leur
activité en France. Il serait intéressant de poursuivre ce travail pour mieux comprendre
le profil particulier des femmes les plus engagées dans l’action collective, leurs
motivations et les rétributions qu’elles en tirent.
51 Dans le contexte du débat législatif qui a lieu en France sur la prostitution depuis
2013, la création de cette association de femmes chinoises est par ailleurs très
instructive. Nombres d’élus locaux au niveau des arrondissements et de la mairie de
Paris ont manifesté une gêne, voire une désapprobation à l’annonce d’une organisation
de prostituées chinoises et de leur revendication de leur capacité d’initiative et de prise
de parole. Leur réaction rappelle les travaux sur les mobilisations de victime qui
décrivent combien le statut de victime suppose la passivité (Lefranc et Mathieu 2009 :
19). Ainsi qu’Elsa Dorlin le décrivait au début des années 2000, les revendications des
prostituées mobilisées restent inacceptables pour une grande partie des féministes et
des abolitionnistes (Dorlin 2003) qui pourtant soutiennent l’émancipation des femmes.
Dans leur définition de la prostitution où la femme est forcément une victime, la prise
de parole fait perdre à la victime toute crédibilité. Or, si elle n’est pas victime, elle est
sûrement coupable (dans le cas des Roses d’Acier coupable de proxénétisme) ou du
moins suspecte. S’observe ainsi une fois de plus, avec la mobilisation des femmes
chinoises à Paris, la difficulté à sortir d’une vision binaire des prostitué(e)s
considéré(e)s soit comme victimes, soit comme hors-la-loi.

Bibliographie
AGUSTÍN Lauria María, Sex at the margins. Migration, Labour Markets and the Rescue
Industry, Londres, Zed Books, 2007.
BELANGER Danièle, TRAN Giang Linh, « The Impact of Transnational Migration on Gender and
Marriage in Sending Communities of Vietnam », Current Sociology, 59(1), 2011, pp. 59-77.
DOI : 10.1177/0011392110385970
BERAHA Richard (dir.), La Chine à Paris. Enquête au cœur d’un monde méconnu, Paris, Robert
Laffont, 2012.
BERNARD Olivier, «  La réduction des risques entre approche humaniste et innovation  », in
Médecins du Monde (dir.), Histoire et principes de la réduction des risques. Entre santé publique
et changement social, MdM, 2013, pp.  13-19. En ligne  :
http://issuu.com/medecinsdumonde/docs/mdm_rdr_fr_bd
CONSTABLE Nicole (dir.), Cross-Border Marriages : Gender and Mobility in Transnational
Asia, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2005.
DARLEY Mathilde, «  La prostitution en clubs dans les régions frontalières de la République
tchèque », Revue française de sociologie, 48(2), 2007, pp. 273-306.
DOI : 10.3917/rfs.482.0273
DAVID Marion, « Contextualiser la réduction des risques auprès des prostituées. Enjeux moraux
et politiques du traitement sociétal d’une activité stigmatisée  », in Médecins du Monde (dir.),
Histoire et Principes de la réduction des risques. Entre santé publique et changement social,
MdM, 2013, pp. 83-93. En ligne : http://issu.com/medecinsdumonde/docs/mdm_rdr_fr_bd
DOEZEMA Jo, Sex slaves and discourse masters: The construction of trafficking, London,
ZedBooks, 2010.
DORLIN Elsa, « Les Putes sont des hommes comme les autres », Raisons politiques, 11, 2003, pp
117-132.
DOI : 10.3917/rai.011.0117
EHRENREICH Barbara, HOCHSCHILD Arlie Russell (dir.), Global Women: Nannies, Maids and
Sex Workers in the New Economy, New York, Henry Holt and Company, 2004.
FALQUET Jules, LADA Emmanuelle, RABAUD Aude (dir.), «  (Ré)articulation des rapports
sociaux de sexe, classe et “race”. Repères historiques et contemporains  », Cahiers du CEDREF,
14, 2006. En ligne : http://cedref.revues.org/407/
FALQUET Jules et alii., Le Sexe de la mondialisation. Genre, classe, race et nouvelle division du
travail, Paris, Les presses de Sciences Po, 2010.
GUILLEMAUT Françoise (dir.), Femmes et Migrations en Europe. Stratégies et empowerment,
recherche Daphné 2002-2004, Lyon, Cabiria le Dragon-Lune, 2007.
GUILLEMAUT Françoise, « Victimes de trafic ou actrices d’un processus migratoire ? », Terrains
& travaux, 10, 2006, pp. 157-176.
GUILLEMAUT Françoise, «  Mobilité internationale des femmes, échange économico-sexuel et
politiques migratoires : la question du « trafic » », Les cahiers du CEDREF, 16, 2008. En ligne :
http://cedref.revues.org/582/
Hommes et Migrations, Dossier “Chinois de France”, 1254, 2005, pp. 1-103.
JAKSIC Milena, « Devenir victime de la traite. L’épreuve des regards institutionnels », Actes de la
recherche en sciences sociales, 198, 2013, pp. 37-48.
KERGOAT Danièle, «  Dynamique et consubstantialité des rapports sociaux  », in Dorlin, Elsa
(dir.), Sexe, classe, race. Pour une épistémologie de la domination, Paris, PUF, 2009.
LE BAIL Hélène, «  Femmes chinoises dans les campagnes japonaises  : négociation de la
modernité », in Tania Angeloff et Marylène Lieber (dir.), Chinoises au 21ème siècle. Ruptures et
continuités, éditions La Découverte, 2012, pp. 139-156.
LEFRANC Sandrine, MATHIEU Lilian, Mobilisations des Victimes, Rennes, PUR, 2009.
LÉVY Florence, « La Migration des Chinoises du Nord : une alternative genrée ? », Perspectives
chinoises, 2012. En ligne : http://perspectiveschinoises.revues.org/6423/
LÉVY Florence, LIEBER Marylène, « La sexualité comme ressource migratoire, Les Chinoises du
Nord à Paris », Revue française de sociologie, 50(4), 2009, pp. 719-746.
LIU Min, Migration, Prostitution and Human Trafficking. The Voice of Chinese Women, New
Brunswick, New Jersey, Transaction Publishers, 2011.
MAI Nick, «  Embodied cosmopolitanisms: the subjective mobility of migrants working in the
global sex industry  », Gender, Place & Culture: A Journal of Feminist Geography, 20(1), 2012,
pp. 107-124.
MAINSANT Gwénaëlle, «  Gérer les contradictions du droit "par le bas". Logiques de police en
concurrence dans le contrôle de la prostitution de rue à Paris », Actes de la recherche en sciences
sociales, 198, 2013, pp. 23-34.
MANIER Marion, « Cause des femmes vs cause des minorités : tensions autour de la question des
"femmes de l’immigration" dans l’action publique française », Revue Européenne des Migrations
Internationales, 29 (4), 2013, pp. 89-110.
DOI : 10.4000/remi.6652
MATHIEU Lilian, Prostitution et Sida. Sociologie d’une épidémie et de sa prévention, Paris,
L’Harmattan, col. Logiques sociales, 2000.
MATHIEU Lilian, Mobilisations de Prostituées, Paris, Belin, 2001.
MATHIEU Lilian, La Fin du tapin. Sociologie de la croisade pour l’abolition de la prostitution,
Paris, Editions François Bourin, 2013.
Médecins du Monde, Rapport d’enquête : Travailleuses du sexe chinoises à Paris face aux
violences, 2013 (document de travail). Une synthèse est disponible sur le site de MdM  :
http://www.medecinsdumonde.org/Nos-Combats/Campagnes/MdM-se-mobilise-pour-
defendre-la-sante-et-les-droits-des-personnes-se-prostituant/Enquetes-a-l-appui/
Médecins du Monde (dir.), Histoire et Principes de la réduction des risques. Entre santé publique
et changement social, 2013, en ligne  : http://www.medecinsdumonde.org/Nos-
Combats/Priorites-d-action/Lutte-contre-le-VIH-et-reduction-des-risques-RdR/
Migrations société, dossier «  Migrations chinoises internes et internationales  », 25(149), 2013,
pp. 23-213.
MIRANDA Adelina, OUALI Nouria, KERGOAT Danièle, «  Les mobilisations des migrantes  : un
processus d’émancipation invisible  ?  » (Introduction) Dossier Migrantes et mobilisées, Cahiers
du Genre, 51, 2011, pp. 5-24.
DOI : 10.3917/cdge.051.0005
MONNET Corinne, «  "Trafic de femmes"  : crime organisé ou organisation de la répression  ?  »,
Argument, 2(8), 2006, pp. 94-107.
MOROKVASIC Mirjana, «  L’Immigration féminine en France  : état de la question  », L’année
sociologique, 26, 1975, p. 561-575.
MOROKVASIC Mirjana , « Le genre est au cœur des migration », in Jules Falquet et alii (dir.), Le
sexe de la mondialisation. Genre, classe, race et nouvelle division du travail, Paris, Presses de
Sciences Po, 2010, p. 105-119.
NEVEU Erik, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 2002.
PARRENAS Rhacel Salazar, Servants of Globalization: Women, Migration and Domestic Work,
Stanford, Stanford University Press, 2001.
PHETERSON Gail, Le Prisme de la prostitution, Paris, L’Harmattan, 2001.
PINA-GUÉRASSIMOFF Carine, «  Migrantes, femmes, mères  : les Chinoises… des “nouveaux
oiseaux de passage” en Europe ? », Espaces, Populations, Sociétés, 2010, pp. 471-484.
SIMEANT Johanna, La cause des Sans-papiers, Paris, Presses de Sciences Po, 1998.
SIMONNOT Nathalie, «  La Réduction des risques à Médecins du Monde, un engagement qui
résiste à tout  », Médecins du Monde (dir.), Histoire et Principes de la réduction des risques.
Entre santé publique et changement social, 2013, pp. 36-43.
WACQUANT Loïc, Punir les pauvres, le nouveau gouvernement de l’insécurité sociale, Marseille,
Agone, 2004.
WIJERS Marjan, VAN DOORNINCK Marieke, «  Only rights can stop wrongs: A critical
assessment of anti–trafficking strategies  », paper presented at EU/IOM STOP European
Conference on Preventing and Combating Trafficking in Human Beings, September 18–20, 2002,
European Parliament, Bruxelles.
XIANG Biao, «  The Making of Mobile Subjects: How Institution Reform and Outmigration
Intersect in Northeast China », Development, 50(4), 2007, pp. 69-74.
DOI : 10.1057/palgrave.development.1100430

Notes
1 Camille Emmanuelle, « A Belleville, les prostituées chinoises sortent de l’ombre », Les Inrocks,
17/12/2014  : http://www.lesinrocks.com/2014/12/17/actualite/belleville-les-prostituees-
chinoises-sortent-de-lombre-11541492/
2 Voir la page facebook, alimentée par le STRASS (Syndicat du travail sexuel)  :
https://www.facebook.com/StopHarcelementBelleville
3 Le terrain a été réalisé entre octobre 2013 et janvier 2015. Il se compose de trois types de
données  : des entretiens semi-directifs avec cinq responsables bénévoles ou salariés du
programme Lotus Bus de Médecins du Monde ; l’analyse des archives du programme depuis son
origine en 2002  ; enfin, les notes de terrain d’une démarche d’observation participante comme
bénévole-interprète (l’auteur a participé à des rencontres avec des élus, des réunions publiques
sur la prostitution, des conférences de presse à l’Assemblée nationale, aux manifestations, aux
premières réunions de l’association des femmes chinoises, à des moments festifs entre femmes
chinoises, aux rencontres avec le STRASS, avec des juristes et des avocats, à la rédaction des
discours et à la médiation entre les femmes et les médias).
4 Sur 1080 personnes suivies en 2014 par le programme Lotus Bus, 55% viennent du Liaoning
(67% des trois provinces du Nord-Est chinois – Liaoning, Jilin et Heilongjiang) et 15% du Jiangxi
(MdM, Rapport d’activité du Lotus Bus 2014).
5 Pour une présentation plus générale de l’immigration chinoise à Paris et en France, nous
recommandons l’ouvrage de Carine Pina-Guérassimoff (2010), celui dirigé par Richard Beraha
(2012) et les numéros spéciaux de Hommes et Migrations (2005) et Migrations société (2013).
Enfin, pour comprendre les conditions de départ, nous conseillons la lecture des travaux de Xiang
Biao (2007).
6 En 2014, 88.5% avaient plus de 40 ans, 29% plus de 50 ans (MdM, Rapport d’activité du Lotus
Bus 2014).
7 Signée à Cracovie 31 Mars 1990, la Charte européenne de l'action humanitaire, plus souvent
appelée Charte de Cracovie, énonce les principes fondamentaux qui sous-tendent le travail de
Médecins du Monde.
8 En ligne sur le site de l’OMS  :
http://www.who.int/healthpromotion/conferences/previous/ottawa/en/
9 MdM crée le premier centre de dépistage volontaire anonyme et gratuit en 1987, le premier
programme d’échanges de seringue en 1989 (les usagers de drogue viennent déposer les seringues
usagées dans des poubelles renforcées et obtiennent des seringues neuves et stériles), puis le
premier centre méthadone en 1994 ouvert à tous (opiacé de synthèse qui permet aux personnes
dépendantes de stopper leur consommation sans ressentir les signes du manque), puis le premier
bus méthadone en 1998 (équipe de rue à proximité des usagers de drogue) et des interventions
dans les cadres festifs avec le programme rave. Cette démarche encore aujourd’hui militante et
marginalisée est toutefois reconnue pour ses résultats. En 2004, la réduction des risques a été
inscrite dans le code de la santé en France.
10 La création de L’Agence française de lutte contre le sida en 1989 a permis le financement
d’initiatives locales émergentes, inspirées des premières actions de lutte contre le sida parmi les
homosexuels et les consommateurs de drogue. Les associations qui apparaissent ont pour
particularité de se monter sur une base mixte de travailleurs médicaux et d’animateurs de
prévention eux-mêmes prostitué(e)s ou ex-prostitué(e)s (Mathieu 2000). Parmi les initiatives
soutenues au début des années 1990 se trouvent le Bus des femmes, le groupe Pin’aides au sein de
Aides et le P.A.S.T.T. (Prévention, Action et Santé pour les Transsexuels et Travestis), à Paris  ;
Cabiria, à Lyon  ; Autres Regards, à Marseilles  ; ARAP Rubis à Nîmes  ; Perles, à Montpellier  ;
L’Endroit à Bordeaux (l’association a cessé ses activités). Créée plus récemment, en 2000,
l’association Grisélidis à Toulouse emploie également à parité des personnes prostituées. Les
objectifs combinent lutte contre les IST et contre la stigmatisation.
11 Voir le document MdM : « 12 propositions pour un accès aux soins pour tous en France »,
2002.
12 Ce rapport présente les conclusions d’une mission d’information sur la prostitution en France
pour l’Assemblée nationale dirigée par les députés Danielle Bousquet (PS) et Guy Geoffroy
(UMP). En ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i3334.asp.
13 Le Parisien saluait le jour même un «  vaste coup de filet dans le milieu de la prostitution
asiatique » (10/12/2013), le Canard enchaîné (18 décembre 2013) a été le seul média à mettre en
doute l’existence d’un réseau de grande ampleur de proxénétisme et a souligné que cette
opération avait précarisé encore plus les femmes.
14 Extrait de la proposition de loi p. 4-5. En ligne  : http://www.assemblee-
nationale.fr/14/pdf/propositions/pion1437.pdf.
15 L’un des trois constats de départ sur lesquels se fonde la proposition de loi française (p.4, voir
note 14) est le suivant  : «  Les pays d’origine sont bien connus (Roumanie, Bulgarie, Nigéria et
Chine principalement) et démontrent l’emprise croissante des réseaux de traite sur la
prostitution  ». Selon cette formulation, l’origine des migrantes serait une preuve suffisante
qu’elles sont victimes de « traite ».
16 Sur la question du statut de “victime” des femmes migrantes se prostituant et de la traduction
pratique au niveau des associations, des institutions de police et de justice, voir les travaux de
Milena Jakšić (2013).
17 En ligne sur le site de l’association Cabiria  : http://www.cabiria.asso.fr/article/femmes-et-
migrations-en-europe.
18 Gwénaëlle Mainsant (2013) décrit l’application sur le terrain de la pénalisation du racolage.
Son enquête relate les actions menées entre 2003 et 2008. Dans le cas des femmes chinoises se
prostituant, les formes de répression du racolage sont les mêmes mais sont intervenues plus tard :
à la fin des années 2010 pour le quartier de la Porte Dorée où la prostitution chinoise a disparu et
depuis plusieurs années dans les quartiers du triangle de Choisy et de Belleville.
19 Cette commission créée en 2002 et composée de la Ligue des droits de l'Homme (LDH), du
Syndicat des avocats de France (SAF) et du Syndicat de la magistrature (SM) est non-
gouvernementale et indépendante.
20 Archives du programme.
21 « Mission d’enquête. Un harcèlement institutionnalisé, Les prostituées chinoises et le délit de
racolage public  ». En ligne sur le site de la ldh : http://www.ldh-france.org/Rapport-Un-
harcelement.html.
22 Rencontres annuelles entre associations communautaires. Initiées par un collectif droits et
prostitutions monté aux lendemains du vote de la LSI.
23 Entretien du 23 juin 2012, en ligne (consulté le 25 janvier 2013) :
http://www.lejdd.fr/Societe/Actualite/Vallaud-Belkacem-Je-souhaite-que-la-prostitution-
disparaisse-interview-521763.
24 Le concept d’empowerment est couramment utilisé par les ONG et autres associations luttant
contre la pauvreté ou les discriminations pour décrire une approche favorisant l’appropriation et
le contrôle par les personnes concernées de leurs initiatives et de leurs destinées (nous reprenons
ici les termes de la charte d’Ottawa mentionnée ci-dessus). L’approche de Médecins du Monde
présentée dans cet article se rapproche d’une définition plus large encore de l’empowerment qui
vise la participation politique et le changement de structures économiques, politiques, légales,
sociales qui perpétuent des rapports de pouvoirs et des traitements inégalitaires ou discriminants.

Table des illustrations

Titre Illustration 1 : Le premier bus du programme Lotus Bus (Dessin de


Damien Rondeau).
URL http://journals.openedition.org/gss/docannexe/image/3679/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 140k
Titre Illustrations 2 et 3 : Femmes chinoises à la manifestation du 26 octobre
2013 contre le projet de loi sur la prostitution (photos de l’auteure).
URL http://journals.openedition.org/gss/docannexe/image/3679/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 252k

URL http://journals.openedition.org/gss/docannexe/image/3679/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 204k
Pour citer cet article
Référence électronique
Hélène Le Bail, « Mobilisation de femmes chinoises migrantes se prostituant à Paris. De
l’invisibilité à l’action collective », Genre, sexualité & société [En ligne], 14 | Automne 2015, mis
en ligne le 01 décembre 2015, consulté le 07 novembre 2019. URL :
http://journals.openedition.org/gss/3679 ; DOI : 10.4000/gss.3679

Cet article est cité par


Mayer, Sibylla. (2015) Zone de tolérance. Géographie et cultures. DOI:
10.4000/gc.4119

Auteur
Hélène Le Bail
Chargée de recherche CNRS
SciencesPo Centre de recherches internationales

Droits d’auteur

Genre, sexualité et société est mis à disposition selon les termes de la licence Creative
Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

Vous aimerez peut-être aussi